Utopies Pirates
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Utopies pirates... ... ainsi que Les bateaux ivres de la liberté et Between the devil and the deep blue sea Boîte à Outils Editions 2012 - révisé 2013 Les textes Utopies pirates est la traduction d’une brochure de Do or Die, un collectif libertaire britannique qui publie la revue d’écologie radicale du même nom. La première traduction est du collectif FTP, parue sous le nom de Bastions pirates, revue et corrigée pour parution en plusieurs épisodes dans Archipel N° 186 à 190 (forumcivique.org). Les bateaux ivres de la liberté est un extrait de la préface que Julius Van Daal a rédigé pour Pirates de tous les pays, de Markus Rediker, l’un des ouvrages les plus fréquemment cités dans Utopies pirates. Between the Devil and the Deep Blue Sea est la préface de l’auteur, Markus Rediker, à l’édition française Les Forçats de la mer, marins, marchands et pirates dans le monde anglo-américain (Libertalia 2010). Professeur d’Histoire à l’Université de Pittsburgh, spécialiste du monde le la mer, Markus Rediker, né en 1952, est aussi l’auteur de L’Hydre aux mille têtes: L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire (Ed. Amsterdam, 2008), The slave Ship (Viking-Pinguin) et Pirates de tous les pays: l’âge d’or de la piraterie atlantique, 1716-1726 (Libertalia, 2008). Les illustrations P. 6, les Ranters, gravure d’époque. Toutes les autres illustrations sont tirées de A General History of the Robberies & Murders of the Most Notorious Pyrates, du Capi- ère taine Charles Johnson (1 édition, 1724). Utopies pirates ème ème Durant «l’Age d’Or» de la piraterie, entre le 17 et le 18 siècle, des équipages composés des premiers rebelles prolé- tariens, des exclus de la civilisation, pillèrent les voies maritimes entre l’Europe et l’Amérique. Ils opéraient depuis des enclaves terrestres, des ports libres, des «utopies pirates» situées sur des îles ou le long des côtes, hors de portée de toute civilisation. Depuis ces mini-anarchies – «Les conditions pour les marins des «Zones d’Autonomie Tempo- ordinaires étaient à la fois dures raire» – ils lançaient des raids si et dangereuses – et la paye était fructueux qu’ils déclenchèrent une faible. Les punitions infligées par crise impériale, en s’attaquant aux les officiers incluaient les fers, la échanges britanniques avec les co- flagellation, le passage sous la lonies, paralysant ainsi le système quille – la victime étant tirée au d’exploitation globale, d’esclavage moyen d’une corde d’un côté à 1 et de colonialisme naissant . Nous l’autre du bateau. Le passage sous pouvons aisément imaginer l’at- la coque était un châtiment qui 3 traction qu’exerçait cette vie d’écu- s’avérait souvent fatal.» Comme meur des mers n’ayant de compte l’a très bien fait remarquer le Dr à rendre à personne. La société Johnson: «Aucun homme ne sera ème ème euro-américaine des 17 et 18 marin s’il peut se débrouiller pour siècles était celle du capitalisme en aller plutôt en prison; car être plein essor, de la guerre, de l’escla- marin c’est être en prison avec le vage, de l’expulsion des paysans 2 hors des communaux ; la famine 1. Par exemple, la Compagnie des Indes et la misère côtoyaient une richesse faillit être mise en déroute par les pirates inimaginable. L’Eglise dominait dans les années 1690. Robert C. Ritchie - Captain Kidd and the War against the tous les aspects de l’existence et les Pirates, pp. 128-34. femmes avaient peu de choix hor- 2. L’enclosure act a permis l’appropriation privée des prés communaux et plus mis l’esclavage marital. Vous pou- généralement des terres communales qui viez être enrôlés de force dans la étaient auparavant mises en commun par marine et y endurer des conditions les paysans et habitants. (ndlt) 3. Larry Law - Misson and Libertalia bien pires que celles qui avaient (London, A Distribution / Dark Star Press, cours à bord d’un bateau pirate: 1991), p. 6. 3 risque d’être noyé... En prison, un verte du Nouveau Monde et de homme a plus d’espace, une l’énorme empire conquis par les meilleure nourriture, et commu- Espagnols dans les Amériques. De nément, une meilleure compa- nouvelles technologies permirent 4 gnie.» aux voyages en mer d’avoir plus En opposition à cela, les pira- de régularité et de précision, et les tes créèrent un monde qui leur était nouveaux empires émergents propre, où ils avaient leur libre-ar- n’étaient pas tant basés sur le con- bitre – un monde de solidarité et trôle des terres que sur celui des de fraternité, où ils partageaient les mers. Les Espagnols constituaient risques et les gains de la vie en mer, la superpuissance mondiale du ème prenaient collectivement les déci- 16 siècle, mais ils ne restèrent pas sions et reprenaient leur vie en très longtemps sans concurrence: main, refusant aux marchands leur Français, Hollandais, et Anglais ten- utilisation comme outil d’accumu- tèrent de les devancer dans la lation de richesses. D’ailleurs, Lord course à l’empire. Dans cette quête, Vaughan, Gouverneur de la Jamaï- ils ne se gênaient pas pour recourir que écrivait: «Ces Indes sont si vas- à la piraterie et attaquer les Espa- tes et riches, et ce genre de rapine gnols tant haïs, remplissant ainsi si doux, que c’est l’une des choses leurs coffres avec les richesses dont les plus dures au monde que d’en les Espagnols avaient dépouillé les sortir ceux qui en ont fait usage Amérindiens. En temps de guerre, 5 pendant si longtemps.» les raids étaient légitimés comme actes corsaires, mais le reste du Emergence de la piraterie temps il s’agissait purement et sim- L’ère de la piraterie euro-amé- plement de piraterie d’Etat (ou du ricaine est inaugurée par la décou- moins d’une piraterie tolérée, voire même encouragée). Au cours du ème 17 siècle, ces empires embryon- naires finirent par devancer les Es- pagnols et à s’établir. Grâce aux nouvelles technologies, la naviga- tion n’était plus uniquement utili- sée pour les produits de luxe, mais devint la base d’un réseau com- mercial international essentiel dans l’émergence et le développement du capitalisme. L’expansion mas- sive du commerce maritime du- amis et qu’ils étaient de plus en plus rant cette période créa également, considérés comme des «brutes, et et de fait, une population de ma- des prédateurs». Au fur et à me- rins – une nouvelle classe de sala- sure que la société dominante reje- riés qui n’existait pas auparavant. tait les pirates, ceux-ci devinrent Pour nombre d’entre eux, la pira- aussi de plus en plus radicaux dans terie paraissait être une alternative leur rejet de celle-ci. A partir de là, attractive aux dures réalités de la les vrais pirates étaient ceux qui re- marine marchande ou de guerre. jetaient explicitement l’Etat et ses Mais en même temps que les lois et se déclaraient en guerre nouveaux empires – et plus parti- ouverte contre celui-ci. culièrement l’empire Britannique – Les pirates étaient chassés loin se développaient, l’attitude envers des centres de pouvoir tandis que la piraterie évolua: «Le boucanier les colonies américaines, à l’origine festoyeur ne convient pas aux hors du contrôle de l’Etat et relati- marchands à la tête froide ni aux vement autonomes, étaient con- bureaucrates impériaux, dont le traintes de rentrer dans le rang de monde de bilans et de rapports qui la gouvernance et du commerce sent le renfermé entre en conflit impériaux. C’est alors que se dé- violent avec celui des pirates.» La veloppa une spirale infernale de classe dirigeante prit conscience du violence sans cesse croissante, alors fait qu’un commerce stable, disci- que les attaques de l’Etat entraî- pliné et réglementaire servait bien naient la vengeance des pirates, ce mieux les intérêts d’un pouvoir im- qui mena à une terreur d’Etat plus 6 périal mature que la piraterie. Ainsi grand encore . la piraterie fut forcée d’évoluer en- ème tre la fin du 17 et le début du Un tas de fumier ème 18 siècles. Les pirates n’étaient Durant la seconde moitié du ème plus des gentlemen-aventuriers sub- 17 siècle, les Iles Caraïbes étaient ventionnés par l’Etat, tels que Sir un melting-pot d’immigrants re- Francis Drake, mais des esclaves 4. Marcus B. Rediker - Beetween the Devil du salariat en fuite, des mutins, un and the Deep Blue Sea: Merchant Seamen, mélange pluriethnique de prolétai- Pirates and the Anglo-American World 1700-1750, p. 258. res rebelles. Alors que la frontière 5. Rediker, Op. Cit., p. 255; Ritchie, Op. entre activité commerciale légitime Cit., p. 29, 142. et piraterie était auparavant plutôt 6. Rediker, Op. Cit., p. 272 n52, 274 - «plus il y avait de pirates capturés et pendus, plus floue, les pirates réalisèrent vite qu’il la cruauté des survivants était grande»; leur restait très peu de leurs anciens Ritchie, Op. Cit., p. 2. 5 belles et paupérisés venant du Ceci n’est guère étonnant dans la monde entier. Il y avait des milliers mesure où les territoires du Nou- de déportés irlandais, de men- veau Monde étaient utilisés par la diants de Liverpool, de prisonniers Grande-Bretagne comme colonies royalistes écossais, de pirates pris pénitentiaires pour ses pauvres en haute mer anglaise, de bandits mécontents et rebelles. En 1655, la de grands chemins pris aux fron- Barbade était décrite comme «un tières écossaises, de Huguenots et tas de fumier sur lequel l’Angle- de Français en exil, de religieux dis- terre jette ses ordures».