Werther, À L'opéra-Comique. — Alain Lombard Dirige Le Requiem De Verdi
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MIHAI DE BRANCOVAN L'Incoronazione di Poppea, à l'Opéra de Paris. — Werther, à l'Opéra-Comique. — Alain Lombard dirige le Requiem de Verdi. — L'Orchestre des jeunes de la Communauté européenne. — Le Requiem de Mozart, par l'Orchestre de Paris. — Hubert Soudant. — Katia et Marielle Labèque. — Ileana Cotrubas. Trois cent trente-six ans après sa création au théâtre vénitien de Santi Giovanni e Paolo, L'Incoronazione di Poppea, dernier des opéras nés de la plume de Monteverdi, fait son entrée au répertoire du Palais Garnier. C'est un événement considérable, que le public a fêté avec un enthousiasme et une spontanéité qui lui font honneur et qui sont la meilleure preuve, s'il en fallait une, de la pérennité du génie de Monte• verdi. Je dois dire, en toute sincérité, que je ne m'attendais pas que cet ouvrage, qui remonte à une époque où le genre opéra était à peine quadragénaire, provoquât, de la part de spectateurs dont beaucoup devaient l'entendre pour la pre• mière fois, un tonnerre d'applaudissements comparable à ceux que ne manquent jamais de déchaîner les chefs-d'œuvre de Verdi ou Wagner. La chaleur presque inespérée de cet accueil a dû aller droit au cœur de Rolf Liebermann, lequel, obligé — pour des raisons financières — d'abandonner plu• sieurs de ses projets, a eu le courage de sacrifier Tristan, Die Meistersinger et tes Troyens plutôt que de renoncer à L'Incoronazione di Poppea. Ce pari audacieux, il vient de le gagner haut la main. Il y a aussi un autre pari qu'il a remporté, bien que de façon peut-être moins absolue : c'est celui d'avoir confié les rôles principaux à quatre chanteurs dont les noms, universel• lement connus, n'ont cependant pas été jusqu'ici étroitement 460 LES CONCERTS associés à la musique ancienne; tous les quatre abordaient d'ailleurs cette partition pour la première fois. La réussite la plus éclatante est sans doute celle de Nicolaï Ghiaurov, qui incarne son personnage avec une force et une noblesse impres• sionnantes ; sa ligne de chant est d'une pureté admirable, ses vocalises sont exécutées avec une aisance confondante. Interprétée par un tel artiste, il n'est pas étonnant que la mort de Sénèque ait été l'un des très grands moments de la soirée. Autre réussite : le Néron de Jon Vickers. Merveil• leux acteur, il campe un empereur violent, brutal, totalement sous la domination de sa passion pour Poppée; ses colères contre Sénèque, « maestro impertinente, filosofo insolente », sont mémorables. Sa voix est presque trop puissante pour ce rôle qui, ne l'oublions pas, fut créé par un castrat, mais, styliste incomparable, il sait en réduire le volume jusqu'aux limites de l'audible : rien de plus subtil que ses demi-teintes, de plus immatériel que ses pianissimi, dans le sublime duo final notamment. Christa Ludwig est une Octavie qui ne manque pas de grandeur; il est cependant possible de donner des deux monologues de l'impératrice, Disprezzata regina et Addio Roma, une lecture encore bien plus émouvante que la sienne. Quant à Gwyneth Jones, qui est, scéniquement, une superbe Poppée, elle m'a plutôt agréablement surpris : vu l'état de sa voix ces dernières années, je m'attendais, en effet, au pire ; or, Dieu soit loué ! le pire ne s'est pas produit : certes, dans le forte, elle continue à crier et à émettre simul• tanément quatre ou cinq notes différentes; mais ses mezza voce sont, en revanche, d'une grande pureté. Qui sait ? Peut- être une cure intensive de Monteverdi lui permettrait-elle de retrouver enfin la forme vocale d'antan, qu'elle n'a perdue qu'à force de tout vouloir chanter tout de suite. Au premier rang des autres interprètes je placerai Valérie Masterson, Drusilla à la voix jeune et fraîche, ainsi que Richard Stilwell, Ottone au timbre magnifique, au style irré• prochable. Jocelyne Taillon, Arnalta truculente à souhait, chante à ravir l'une des plus belles berceuses que l'on ait jamais écrites, alors que Danièle Perriers, qui est aussi agréable à écouter qu'à regarder, se partage entre l'Amour et la Demoiselle, rôles qu'elle incarne avec un bonheur égal. La mise en scène de Giinther Rennert est, dans l'ensemble, sobre et efficace. Les choses ne se gâtent que lorsqu'il veut faire preuve de trop d'originalité, ce qui se produit par deux fois : dans la scène où Néron et Lucain (Michel Sénéchal) célèbrent bruyamment la mort de Sénèque (et où l'on peut LES CONCERTS 461 voir Vickers, monté sur des échasses, se taper la tête contre les murs !), et dans celle, charmante, où le valet conte fleu• rette à la gentille demoiselle (ce qui se traduit, hélas ! par un ballet tout à fait ridicule, ayant pour accessoires un râteau et un arrosoir). Le décor unique d'Ita Maximowna, lequel figure une arène semi-circulaire, aurait été plus beau s'il avait été construit dans un matériau qui ressemblât davantage à de la pierre. Les costumes de José Varona sont, par contre, somptueux. Cette merveilleuse musique, que nous entendions dans la réalisation de Raymond Leppard, était dirigée avec sensi• bilité et amour par Julius Rudel. Après une longue séparation, l'Opéra-Comique vient enfin de retrouver son cher Werther, pour le plus grand bonheur de certains, au nombre desquels j'avoue ne pas avoir le privi• lège de me compter. Pourquoi ? Tout simplement parce que je trouve cette musique profondément ennuyeuse. Massenet était un mélodiste-né; or ici, au lieu de se laisser guider par son instinct naturel, il succombe aux sirènes du wagnérisme, épaissit sa pâte orchestrale, émaille sa partition de motifs d'allure faussement tétralogiques. Pour quelques moments d'une belle inspiration (l'Invocation à ta nature, le chant d'Ossian), que de longueurs, que de platitudes, que de phrases insipides ! Nous nageons presque constamment dans la sensi• blerie, dans la fadeur. On ne peut même pas dire que l'œuvre ait été desservie par une présentation médiocre. Qu'on en juge : les inter• prètes principaux sont excellents, qu'il s'agisse d'Alain Vanzo, Werther passionné et vaillant, dont le timbre légèrement voilé donne à son personnage un surplus de mystère, ou de Jane Rhodes, qui prête à Charlotte sa voix chaleureuse ainsi que son grand talent d'actrice. Dans les autres rôles, on retrouvait le baryton solide d'Yves Bisson (Albert), le soprano encore un peu vert de Danièle Chlostawa (Sophie), de même que Jean-Louis Soumagnas (le bailli), Jacques Loreau (Schmidt) et Fernand Dumont (Johann). L'orchestre de l'Opéra, égal à lui-même, était dirigé avec sûreté et conviction par Pierre Dervaux. J'ai beaucoup aimé les décors de Dominique Delouche qui, en s'inspirant des tableaux de Caspar David Friedrich, réussit à faire régner sur le plateau une atmosphère qui nous trans• porte en plein cœur du romantisme germanique. Sa mise en 462 LES CONCERTS scène reste, en revanche, assez conventionnelle; elle devient même gênante, à force d'invraisemblance, à la fin du dernier acte, lorsque l'on voit Werther, la chemise copieusement tachée de rouge à l'emplacement du cœur, arpenter les planches avec une énergie, une vigueur assez étonnantes, vu son état ! Cela dit, le principal responsable de ces extra• vagances n'est-il pas le livret, par instants insupportable, d'Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann ? Trois plumes différentes, pas une de moins, pour tirer cela du roman de Gœthe ! Peu à peu tout le monde commence à se rendre à l'évi• dence : sous la direction d'Alain Lombard, l'Orchestre philharmonique de Strasbourg est devenu l'une des toutes premières phalanges françaises. Les signes du succès ne trompent jamais : pour n'en citer que deux, ses enregistre• ments sont accueillis avec un enthousiasme quasi unanime, et ses apparitions parisiennes — dont la fréquence ne cesse de croître — attirent des foules de plus en plus nombreuses. Ainsi, le 14 mars dernier, la salle du Théâtre des Champs- Elysées était pleine comme un œuf pour un Requiem de Verdi que je compte parmi les plus beaux que j'aie entendus jusqu'ici, tant par la qualité de l'exécution orchestrale et chorale (il faut rendre hommage à l'excellence des chœurs de l'Opéra du Rhin et du Staatstheater de Karlsruhe) que par celle du quatuor vocal qui, outre la divine, la merveilleuse Kiri Te Kanawa (y a-t-il seulement, aujourd'hui, une voix plus pure que la sienne ?), comprenait Nadine Denize, mezzo au timbre chaleureux, épanoui, Veriano Luchetti, très bon ténor italien, et Evgueny Nesterenko, basse dont la voix d'airain semble venir d'outre-tombe. Mais le héros de la soirée reste Alain Lombard, dont le tempérament fougueux, la direction flamboyante, s'accordent admirablement avec la nature dramatique, mouvementée du chef-d'œuvre verdien. Des gestes d'une sobriété exemplaire lui suffisent pour électriser ses troupes, et les obliger à donner le meilleur d'elles-mêmes. Quant à ses tempi, ils sont constam• ment d'une justesse infaillible. Une quinzaine de jours plus tard, le même Théâtre des Champs-Elysées était le témoin ébloui des fracassants débuts LES CONCERTS 463 du nouvel Orchestre des jeunes de la Communauté européenne. Cet ensemble sympathique et supérieurement doué, auquel il a suffi de se montrer pour faire la conquête de tous les cœurs, est tout d'abord un symbole. Il est, en effet, la preuve vivante du fait que, si l'Europe économique et politique tarde à se faire, l'Europe musicale, elle, est déjà une réalité. A la timidité des gouvernements, aux discussions byzantines des fameux « marathons » bruxellois, il oppose l'idéalisme, l'ardeur conquérante de la jeunesse.