TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION p 1

1ERE PARTIE : L’AUTONOMIE DES STRUCTURES RESISTANTES (1940-FIN 1942)

I Les pesanteurs de l’isolement p 6

A/ La mouvance communiste p 6

1/ La genèse p 6

2/ La diffusion des tracts p 8

3/ La constitution des triangles p 9

B/ Le groupe HECTOR p 11

1/ La formation des noyaux initiaux p 11

2/ L’exploitation des renseignements p 12

3/ Un organigramme en construction p 13

II L’émergence d’une cohérence p 16

A/ La création du Front National p 16

1/ Les bases d’une solidarité p 16

2/ L’établissement d’un écheveau de soutiens p 17

B/ Déploiement et renforcement des groupements p 19

C/ L’échec de l’affermissement du dispositif militaire p 22

III Aux prémisses d’une organisation p 24

A/ Un pôle résistant : Ceux de la Libération p 24

1/ La segmentation des responsabilités p 24

2/ La quête d’une coordination p 26 B/ L’institution des Francs Tireurs et Partisans p 28

C/ Des entités aux compositions disparates p 30

1/ La disparition de l’O.C.M. p 30

2/ La croissance de mouvement novateurs p 31

2EME PARTIE : L’INTEGRATION AUX MOUVEMENTS NATIONAUX DE RESISTANCE (DEBUT-FIN 1943)

I La mise en place de délégations p 35

A/ Des forces résistantes puissantes p 35

1/ Les progrès des principes organisationnels p 35

2/ L’emprise de la sphère d’influence bourguignonne p 37

3/ Vers une vigueur nouvelle p 39

B/ La persistance d’ensembles instables p 41

C/ L’apparition d’organes complémentaires p 43

II L’apport de cadres externes p 46

A/ La pérennisation des parachutages p 46

1/ La rigueur d’une hiérarchie p 46

2/ Assumer un rôle d’interface p 48

B/ La primauté du modèle britannique p 50

1/ Le concours d’agents du S.O.E. p 50

2/ La séparation des tâches p 52

III Un mouvement original : l’Armée Secrète p 54

A/ L’affaiblissement des structures préexistantes p 54

B/ Des conditions propices d’installation p 56

1/ La reprise des compétences antérieures p 56

2/ Une exploitation de l’espace géographique p 59

C/ Des appuis diversifiés p 62

1/ L’obtention de relais dans la société p 62

2/ Favoriser les formes paramilitaires p 64

3 Les méfaits d’un cloisonnement incertain p 66

3EME PARTIE : UNE SYNTHESE DIFFICILE A ELABORER (FIN 1943-AOUT 1944)

I L’affirmation des groupements résistants p 70

A/ La reconstitution de l’Armée Secrète p 70

1/ Permettre une réorganisation p 70

2/ Assurer le financement p 74

3/ Etendre les rapports organiques p 76

B/ La concentration des éléments p 77

1/ Répondre à des considérations tactiques p 77

2/ L’ampleur du maquis p 79

C/ La force du commandement p 80

1/ Privilégier les connexités p 80

2/ Préparer un encadrement à caractère territorial p 82

II Les risques d’une recomposition p 84

A/ La volonté d’indépendance des F.T.P. p 84

1/ La mobilité des effectifs p 84

2/ La primauté des charges collégiales p 88

B/ La désagrégation de Libération-Nord p 91

C/ Un mouvement en quête d’homogénéité : les Commandos M p 92

1/ La tripartition des fonctions décisionnelles p 92

2/ La multiplication des liens interdépartementaux p 95

III L’aboutissement : la réalisation d’une synergie p 97

A/ L’emprise de l’A.S. p 97

1/ Une mise sous tutelle des parachutages p 97

2/ L’introduction d’une inflexion stratégique p 99

B/ L’unification des structures résistantes p 101

1/ La fédération de rassemblements antinomiques p 101

2/ La participation aux combats de la libération p 103

CONCLUSION p 106

PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISES

A.N.A.C.R. : Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance A.S. : Armée Secrète B.C.R.A. : Bureau Central de Renseignements et d’Action B.M.N. : Bureau Militaire National B.O.A. : Bureau des Opérations Aériennes C.D.L.L. : Ceux de la Libération C.E.I : Commissaire aux Effectifs Interrégionaux C.E.R. : Commissaire aux Effectifs Régionaux C.L.P.G. : Centre de Libération des Prisonniers de Guerre C.M.N. : Commissaire Militaire National C.M.R. : Comité Militaire Régional C.N.R. : Conseil National de la Résistance C.O.R. : Commissaire aux Opérations Régionales C.T.R. : Commissaire Technique Régional C.V.R. : Combattants Volontaires de la Résistance D.M.R. : Délégué Militaire Régional D.M.Z. : Délégué Militaire de zone E.M. : Etat-Major F.F.I. : Forces Françaises de l’Intérieur F.N. : Front National F.T.P.F. : Francs Tireurs et Partisans Français G.M.R. : Groupes Mobiles de Réserve N.A.P. : Noyautage de l’Administration Publique O.C.M. : Organisation Civile et Militaire S.A.S. : Special Air Service S.O.E : Special Operation Executive S.R. : Service de Renseignements S.T.O. : Service du Travail Obligatoire

Pour discerner les conditions de la lutte dans lesquelles opérèrent les mouvements de Résistance aubois, il paraît nécessaire d’introduire une précision préalable sur l’environnement militaire de la région susnommée pendant la seconde guerre mondiale. L’ appartient d’abord à la zone occupée et ce fait conditionne toute tentative de compréhension plus globale de la situation en Champagne méridionale. Suite à la défaite de la en 1940, les Allemands dominent l’espace géographique par le truchement de leurs troupes et rendent difficiles les possibilités d’expansion durable des agglomérats humains destinés à nuire à l’implantation germanique.

Une première approche des diverses formations résistantes met en exergue l’extrême hétérogénéité de la documentation concernant les forces en présence. Des ensembles présentent des caractères marginaux, tant par leur importance numérique, que par l’efficience des résultats acquis. Par conséquent, le potentiel initial de recherches se trouvait considérablement réduit avant toute analyse historique tendant à percevoir le fonctionnement de ces organes.

Il faut souligner en outre que le présent travail n’a de sens que par rapport aux supports effectivement conservés et exploitables par le chercheur. Or la réalité supposait de procéder à une collecte intense d’informations avant d’engager plus avant une entreprise de recomposition du passé.

En cela, notre tâche s’avérait ardue. D’une part, le cadre chronologique et l’objet même de notre réflexion posaient indubitablement problème puisqu’ils faisaient référence à une période où le facteur clandestin joua par nature un rôle déterminant. De plus, les règles de sécurité propres au milieu résistant engendraient un second obstacle puisqu’elles stérilisèrent une grande partie de la production écrite.

D’autre part, nos efforts se heurtèrent à l’insigne faiblesse des archives publiques disponibles dans les différents centres de conservation. Certes, les dépôts départementaux aubois recèlent des données pour le moins intéressantes. Encore convenait-il de disposer d’un inventaire sinon exhaustif du moins le plus complet possible des sources disponibles dans les fonds considérés. La dispersion des documents et plus encore l'impéritie de certaines autorités tutélaires compétentes ont nui grandement à ce projet. Même l’apport de l’Institut d’Histoire du

Temps Présent (I.H.T.P.), dépositaire de la plus grande partie des synthèses historiques élaborées par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale (C.H.S.G.M.), ne permit pas de répondre pleinement à nos attentes.

Il est vrai que l’absence de correspondant du C.H.S.G.M. dans l’Aube pendant plus d’une décennie n’a fait que dégrader une situation déjà précaire. Un résultat plus satisfaisant put néanmoins être obtenu grâce à des aides substantielles parvenues de l’extérieur.

Malgré tout, ceci se révéla insuffisant pour mener à bien l’étude que nous nous proposions de réaliser, les corpus de textes publics ne permettant pas d’acquérir la plénitude des renseignements indispensables à la poursuite de notre action. De telles démarches pâtirent aussi amplement des restrictions d’accès aux archives, soumises à un régime dérogatoire singulièrement contraignant et peu soucieux de célérité.

De fait, l’attention se porta sur les sources privées, non déposées dans les institutions traditionnelles, bien que recelant des richesses tant qualitatives que quantitatives inexploitées jusqu’alors. Encore devions nous oeuvrer une fois encore pour tenter de les inventorier et de les sérier, avec la préoccupation de rendre leur abord plus intelligible.

Grâce à la compréhension et à l’acquiescement des principaux représentants des associations résistantes locales, un vaste champ d’investigation émergea qui facilita grandement les approches multiformes du sujet. Assurément, l’exploitation des productions ainsi fournies devait procéder d’un appareil critique rigoureux apte à indiquer nettement les développements fallacieux.

Ces mises en garde méthodologiques achevées, il s’agissait dans un second moment de définir plus précisément les structures de la Résistance auboise. Ceci en s’attachant prosaïquement à montrer comment les différentes parties constitutives s’agençaient réciproquement et parvenaient à s’unir. Les observations insisteraient sur l’aspect dual du sujet, sémantique mais également chronologique.

En effet, notre propos se devait de veiller à souligner les notions particulières de coordination et de liaison inhérentes à la contexture résistante. Un groupe n’existe pas par

soi-même, isolément, mais s’établit en fonction d’autres unités combattantes contre les troupes allemandes. Il s’impose dans la mesure où il parvient à s’organiser et à créer un écheveau de soutiens indispensables à sa survie. Il nous appartient donc de mettre en perspective ces mécanismes dans le dessein de les rendre plus aisément perceptibles.

D’où l’obligation de saisir les formes endogènes et exogènes des systèmes résistants idoines, les apports internes et externes. D’autant que l’Aube occupe une situation charnière, car même si elle appartient à la Champagne méridionale, elle n’évite guère par ailleurs l’attraction de zones proches géographiquement.

C’est pourquoi nous devons nous intéresser à la traduction de ces influences et à leurs incidences sur les dispositifs mis en place par les dirigeants clandestins. Evoquer les corrélations existantes entre les aspects territoriaux et les réalités organisationnelles offre la possibilité de s’interroger parallèlement sur les particularités des groupements qui affirmaient des objectifs politiques et recherchaient un recrutement de masse.

L’acception des mouvements répondait à des critères déterminés, à l’instar des réseaux. La distinction entre ces deux concepts résidait avant tout dans leurs finalités respectives. Organisme militaire souvent formé de l’extérieur, le réseau s’édifiait en vue d’un objectif précis : renseignement, sabotage, évasions de prisonniers de guerre et surtout aide aux pilotes alliés abattus au-dessus de l’espace français. Au contraire, le mouvement sensibilisait, informait et mobilisait la population de la manière la plus large possible. La césure constatée demeura cependant assez artificielle puisque des cloisonnements inopérants rendirent quelque peu superfétatoire les dispositions adoptées.

Pour donner quelques éléments pouvant faciliter les tentatives de compréhension, il nous parut opportun d’expliquer plus avant les modalités présidant à la création et à l’extension de l’Armée Secrète (A.S.). Divers motifs présidaient à ce choix. Premièrement, cette force puisait ses sources aux origines de la Résistance locale, au sein de courants d’idées multiples, complémentaires et parfois antinomiques. On ne peut mésestimer la virulence des débats qui portèrent concurremment sur la nature que revêtirait l’action et sur les capacités à concevoir des mesures plus énergiques, correspondant davantage aux attentes exprimées par les participants.

En second lieu, l’A.S. composa sans nul doute le pivot résistant dans le département. Par ses effectifs et son encadrement, elle s’imposa effectivement comme le pôle propre à déstabiliser les forces ennemies. De surcroît, elle obtint des relais dans toute la société, parmi les corps civils et militaires, ce qui accrut son statut de protagoniste essentiel pendant la période.

Hors de ces considérations somme toute conventionnelles, un de nos objectifs visait à porter un regard particulier sur les conditions de financement de l’A.S. puisque nous disposions de pièces comptables en nombre suffisant pour envisager une étude sur la longue durée. Ce sujet si déterminant ne bénéficie guère d’une vigilance soutenue (faute de documents chiffrés) bien que l’une des conditions de la pérennité d’une organisation consistait dans la capacité à réunir des fonds substantiels immédiatement exploitables.

Dès lors s’exprime la volonté de traiter les problèmes décrits en adoptant concomitamment une thématique qui incorpore sans conteste l’environnement factuel avec l’aspiration à adopter une attitude plus réflexive. Appliquer ces considérations permet de déceler l’évolution de la pensée des dirigeants, de présenter leurs facultés d’adaptation, d’exposer comment les inflexions, soit tactiques, soit stratégiques, s’exprimaient concrètement dans l’organigramme.

Aussi, alors qu’originellement subsistait un terreau primitif sans véritable infrastructure quoique centré exclusivement sur le milieu urbain, on voit sourdre ultérieurement le souhait de doter le monde rural d’une cohérence, avec division de la région en secteurs et sous-secteurs. Ce ne fut que face à de nouvelles exigences que s’accomplit une mobilité des membres avec une dispersion des lieux de décision. Au surplus, il parait loisible d’expliquer comment l’Armée Secrète a pu se transformer sans connaître de trop fortes altérations. Ceci permet d’indiquer explicitement les ambivalences induites par la problématique du sédentaire et du clandestin.

De même, notre travail a pour finalité de déceler si les assises des mouvements subirent les dispositions géographiques particulières du département aubois, reliant les vastes aires territoriales de la Champagne, de la Bourgogne, de la Lorraine et du Bassin Parisien. Distingue-t-on l’émergence d’entités possédants des caractères propres ou au contraire, les formes actives de la Résistance éprouvent-elles des difficultés à se manifester face aux

pesanteurs et aux pouvoirs d’attraction de trop puissants voisins ? L’Aube doit-elle se contenter de recevoir des groupements déjà implantés à l’échelon supérieur ?

Au final, la Résistance départementale ne représente-t-elle qu’une simple déconcentration de la région parisienne et des zones limitrophes ou se caractérise-t-elle par des aspects novateurs, bénéficiant d’un réel potentiel d’impulsion ? En bref, il importe de séparer la part acquise par chacune des deux parties, intérieure et locale, extérieure et extra-départementale.

Pour tenter de répondre à ces questions, 3 phases prépondérantes s’imposent, s’intégrant dans une périodicité précise. Aux réactions individuelles et spontanées de l’année 1940 se substituèrent de nouveaux aspects de l’engagement. Aux noyaux chargés de collecter des renseignements succédèrent des groupes cherchant à influencer la population, agissant à l’intérieur de mouvements dorénavant mieux ordonnés. Ce n’était « plus tout à fait le désert des débuts et point encore le fourmillement organisé de 1943. »1

Primitivement, les ensembles restèrent autonomes, les contacts demeurant particulièrement ténus avec les centres de décision. Ensuite, les rassemblements nationaux se greffèrent avec des réussites inégales sur les structures auboises, suscitant l’émergence de conflits inévitables. Enfin, les organes propres à la Champagne méridionale s’imposèrent en dépit de l’existence persistante de modèles exogènes, réalisant la synthèse des formes résistantes connues. I LES PESANTEURS DE L’ISOLEMENT

Il est intéressant de noter que la Résistance auboise prit forme dans deux milieux politiquement opposés (ce qui ne manqua pas d’influencer les conditions dans lesquelles se préparèrent les premiers essais de rassemblement) : d’une part les adhérents communistes se réunirent autour du secrétaire fédéral et de quelques-uns de ses camarades ayant échappé aux arrestations opérées par le gouvernement français en 1940.

D’autre part se regroupèrent des membres du P.S.F.(Parti Social Français fondé par le colonel DE LA ROCQUE, après la dissolution des Croix de Feu), recrutés avant tout dans

1 DOUZOU, Laurent. Les cahiers de l’I.H.T.P, n°29, septembre 1994, p 5.

les bourgs environnants , provenant de la bourgeoisie et plus précisément des secteurs d’activité liés aux industries textiles locales comme la bonneterie.

La constitution de ces petits agrégats ne se comprend que dans la mesure où les deux ensembles précités disposaient antérieurement de réseaux de relations disponibles. Dans ces circonstances, la première phase se caractérisa par l’intérêt notable accordé à des initiatives individuelles, hors de tout champ organisé. La deuxième étape, celle des noyaux (à cause de leur faiblesse numérique), permit d’accroître les cercles restreints résultant de rapports politiques ou professionnels. Toutefois, l’absence de schémas préconçus a marqué la période initiale de structuration.

A/ LA MOUVANCE COMMUNISTE

1/ La genèse

En dépit du décret-loi DALADIER du 26 septembre 1939 dissolvant le P.C.F. (Parti Communiste Français), les sympathisants continuèrent à se côtoyer, nonobstant la surveillance exercée par les services de police. Dès les premiers mois de l’occupation allemande, en juillet 1940, Jean BAILLET, responsable parisien du Parti communiste (secrétaire avant-guerre de la fédération Seine-ouest) reçut la mission d’assurer la coordination entre le Comité Central clandestin et les communistes de l’Aube. Il obtint une entrevue avec Maurice ROMAGON, secrétaire fédéral du P.C. départemental et ancien conseiller du 3ème arrondissement de Troyes (qui appréhendé en 1939, parvint à s’évader de la prison de Dijon en juin 1940).2

Lors de ces entretiens s’élaborèrent les directives relatives à la mise en place d’une nouvelle unité instruite par l’expérience de l’illégalité et de la clandestinité depuis 1939. Une réunion se déroula alors le 5 septembre 1940, au lieu dit le château des Cours à Saint Julien les Villas, dans la proche agglomération troyenne, pour édicter des comportements communs. Les 9 participants appartenaient au P.C. : Maurice ROMAGON et son fils

2 Archives BIZZARI

PIERRE ; Eugène KILLIAN ; Auguste LIENHARDT ; Alphonse SCHOENENBERGER ; Alfred CHARLES ; Jean MEYER ; Emile AFOUFA et Alice CUVILLIERS.

Tous insistèrent sur l’accomplissement d’un projet comprenant trois dimensions prépondérantes : récupérer les armes abandonnées par l’armée française ; produire des tracts contre la politique du gouvernement de Vichy ; permettre la distribution la plus large possible de ces tracts3. Sur le plan théorique s’établit parallèlement un Conseil Départemental de l’Aube de la Résistance Française, aux fonctions encore embryonnaires.

Durant cette phase préparatoire, Maurice ROMAGON sollicita le concours d’André PARISE de Romilly sur Seine (centre ouvrier dans la partie septentrionale auboise) pour élargir le champ territorial de l’activité. Ils se rencontrèrent au champ de tir de Romilly, aux Hauts Buissons, en présence d’un autre militant communiste de la cité romillonne, Raymond BALDET.

La situation géographique de cette résistance originelle correspondit à une localisation particulière, reflétant l’implantation communiste avant-guerre dans le département : les villes et les groupements urbains adjacents. Surtout que « les centres urbains alliaient plusieurs facteurs favorables : la densité de l’habitation, la foule et la plus grande facilité à passer inaperçu. »4 Ils paraissaient plus sensibles aux argumentaires formulés à l’encontre des occupants. Encore fallait-il posséder les moyens logistiques suffisants pour répandre une propagande opportune contre les oppresseurs.

2/ La diffusion des tracts

En septembre 1940, grâce à l’utilisation de ronéos dissimulées chez des particuliers, des feuillets anti-allemands purent être exécutés. Eugène KILLIAN, d’origine alsacienne, employé à la mairie de Troyes, réussit à s’emparer de 2 machines à écrire pour les cacher chez les époux MOREAU, demeurant à Saint Julien les Villas, tout en traduisant lui-même les textes destinés aux troupes allemandes.

3 NA 10096 4 SAINCLIVIER, Jacqueline. « Les débuts de la Résistance en zone occupée. » Mémoire et histoire : la Résistance, 1995, p 162.

Quant à Georges AYOT, affecté aux transports à la municipalité troyenne, il se résolut à vaincre les problèmes matériels en fournissant le papier indispensable à l’impression. Habituellement, des volontaires propageaient ces écrits lors d’opérations menées nuitamment. Un rapport du commissaire central de police du 26 septembre 1940 attesta de ces pratiques :

« Il apparaît nettement que des tracts communistes sont diffusés à Troyes, édités dans la ville ou dans les environs. Il n’en est recueilli jusqu’ici qu’un petit nombre d’exemplaires et rien ne permet d’évaluer l’ampleur de la diffusion à laquelle il a été procédé. On trouve les tracts dans des boîtes aux lettres ou sous les portes des magasins. Il est certain que la diffusion se fait de nuit, plus particulièrement avant le lever du jour. Les rondes organisées pour opérer un flagrant délit ne donnent jusqu’ici aucun résultat. »5

Pour étendre leur autorité et témoigner de leurs capacités de nuisance, les communistes firent paraître une double feuille ronéotypée intitulée la Dépêche de l’Aube, émaillée de slogans antivichystes. Pourtant, éditer un journal supposait la rédaction des articles, leur reproduction puis leur distribution : cela nécessitait une stricte répartition des attributions et une multiplicité de soutiens. Bien que l’opposition se manifesta davantage contre le gouvernement pétainiste que contre la présence germanique (même si quelques-uns semblaient déjà privilégier l’action directe), la Sûreté Nationale exprima ses inquiétudes en envoyant à tous les Préfets une circulaire en date du 28 novembre 1940, avec le libellé suivant :

« Une dépêche de Monsieur le Préfet de l’Aube fait connaître selon un renseignement recueilli de bonne source que le Parti Communiste aurait organisé le ramassage sur tout le territoire des armes abandonnées par l’armée française ; la création d’équipes de chocs, d’effectifs de six à huit hommes, est aujourd’hui envisagée.»6 Il est certain que de telles formations commençaient à se fixer dans certains secteurs territoriaux.

3/ La constitution des triangles

Observant les recommandations du parti communiste clandestin, la direction auboise conçut des groupes de 3 membres. En janvier 1941, 33 à 35 groupes, les Troïkas,

5 Archives PLANSON

fonctionnaient dans le département. Ils se composaient de triangles dans lesquels seulement 3 personnes se connaissaient (dont l’une possédant une autorité supérieure).7

Leurs activités se concentraient particulièrement sur les diffusions de documents, le détournement des affiches et des panneaux de propagande. Le système des liaisons entre les différents triangles reposait exclusivement sur les femmes et les jeunes filles.

En mars 1941, dans la zone romillonne, Raymond BIRER puis Marcel BULARD devinrent les deux principaux représentants locaux avec Lucien ROY et se placèrent sous l’égide de BOUHELIER, chef de secteur. Initialement, 5 triangles existèrent à Romilly. Les 3 premiers furent fondés aux ateliers de la Société Nationale des Chemins de Fer (S.N.C.F.) :

Le 1er avec Maurice PERARD, habitant à Gélannes ; Alphonse DENUAULT de Romilly ; Lucien SEVESTRE de Romilly. Le 2ème avec Aimé POIGNANT, Paul LELEU, René REAUX, trois romillons. Le 3ème avec Constant LUCOT de Romilly ; Mary FAVIN de Romilly ; Eugène VERGET de Conflans.

Corrélativement, deux autres triangles comprenant uniquement des romillons agissaient aux camps militaires allemands de Châtres et de la Belle Idée : Le 1er avec Raymond BALDET, Marcel BARDIN, Calixte BOITARD. Le 2ème avec Roger PROTAT, René MICHELOT, Bernard PRUNIER.8

Les triangles de la S.N.C.F. oeuvraient au sabotage sur le matériel et pratiquaient la recherche de renseignements concernant le trafic ferroviaire. Ceux de Châtres et de la Belle Idée rendaient inutilisables les installations électriques et confiaient des informations sur les mouvements constatés au camp d’aviation.

Par ailleurs, les tracts parvenaient au lieu de travail de ROY par l’intermédiaire de deux femmes, Mauricette BIRER et Renée BULARD qui elles, tâchaient de correspondre avec

6 OUZOULIAS, Albert. Les bataillons de la jeunesse, éditions Sociales, 1967, p 221. 7 SC 4273 8 NA 10099

les dirigeants troyens. En corollaire, chaque triangle désignait l’un de ses membres (jamais le même) pour aller chercher ces tracts auprès de ROY.

On constate aisément que la Résistance puisa avant tout parmi le milieu militant préexistant et s’appuya sur des forces homogènes socialement comme les cheminots, utilisant des relais d’obédience variée (politique, syndicale, professionnelle). Elle sut exploiter précocement les possibilités offertes par des ensembles partageant des valeurs communes.

Au total, si certains actes conservaient avant tout un caractère isolé, appartenant indubitablement à une Résistance « a-organisationelle », d’autres provenaient au contraire de réflexions plus soutenues, traduisant une volonté « pré-organisationelle »9 (les triangles témoignant parfaitement de cette évolution). Désormais, une hiérarchie prit corps même si les tentatives de cloisonnement demeuraient encore incomplètes. Mais surgirent d’autres impulsions aux visées singulièrement différentes, reposant sur des postulats théoriques militaires. B) LE GROUPE HECTOR

1/ La formation des noyaux initiaux

Blessé au cours de la campagne de 1940, Georges WAUTERS, industriel et ancien affidé du P.S.F., fut contacté dès le mois de septembre 1940 par Pierre GRUNY, armurier à Troyes, qui lui fit rencontrer un agent de Paris, lui-même en relation avec les Forces Françaises Combattantes (F.F.C.) de Londres.

Celui-ci cherchait une personne susceptible de transmettre ses observations sur les déplacements des divisions ennemies dans le département de l’Aube. WAUTERS offrit ses compétences. S’insérant peu après dans le groupement HECTOR dirigé par le colonel HEURTEAUX (appartenant au 2ème Bureau de l’état-major de l’armée d’Armistice), il devint l’agent départemental de cet organe avant tout parisien.10

9 Jacqueline SAINCLIVIER, Op. Cit., p.162. 10 NA 10563

En octobre 1940, quelques individualités rejoignirent WAUTERS, émanant en grande partie des bureaux de la mairie de Troyes. Nicolas SOLIVELLAS, qui y travaillait au bureau des réquisitions allemandes, donna son accord. Sous le pseudonyme de DEFOE, il collectait toutes les indications susceptibles d’intéresser ses supérieurs puis s’attacha la collaboration de Jacques JEANNY, secrétaire à la mairie, et de Charles REIDEL.

Ce dernier, secrétaire de l’intendant du ravitaillement aubois et interprète, compulsait des documents de grande valeur qu’il communiquait à WAUTERS. Sa connaissance de l’allemand se révéla également précieuse pour obtenir, avec des risques limités, nombre de données sur les unités venues d’outre-Rhin. En outre, un autre interprète, Louis ROTHFUSS, donna son acquiescement pour aider ses camarades.11

Cependant, les participants d’HECTOR affrontèrent brièvement la concurrence d’un mouvement, l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), crée en zone nord, à Paris, quelques mois après l’Armistice 12. Ses cofondateurs, le colonel TOUNY et BLOCQ- MASCART, en firent un bloc d’inspiration militaire, avec nombre d’officiers issus des états-majors et divisés en cellules départementales.

Leur atout principal résultait du fait qu’ils s’entretenaient régulièrement avec la Résistance française de Londres. L’O.C.M. pouvait donc tirer profit de sa position favorable pour parfaire son équipement en matériel. Son objectif consista à favoriser le recrutement, à augmenter ses cadres pour fédérer les patriotes. En sus de ces considérations, ils s’efforçaient de connaître les armements des détachements de l’occupant afin de les communiquer en Angleterre.

Dans l’Aube, il reste ardu de préciser l’origine exacte de l’O.C.M., notamment parce que des confusions ont été commises avec des formations présentants des caractères similaires. Seul l’intendant MERLINGE, veillant au ravitaillement du département, relata avoir entretenu quelques rapports avec le capitaine CHOUPOT (CHARCOT), ex-chef du 2ème bureau de la 2ème division de cavalerie où tous deux venaient de servir en 1940. Dans ces

11 Témoignage de Nicolas SOLIVELLAS, rencontré le 17 janvier 1997. 12 CALMETTE, Arthur. L’O.C.M.-Organisation Civile et Militaire-Histoire d’un mouvement de Résistance de 1940 à 1946. P.U.F.,1961. p 6.

circonstances s’installèrent le réseau URANUS et le service de renseignements KLEBER- NORD au sujet desquels on ne dispose d’aucun autre élément complémentaire.13

2/ L’exploitation des renseignements

A l’opposé de cette O.C.M. anémique, les adhérents d’HECTOR possédaient une plus grande vitalité, marquant l’existence d’une parfaite entente entre corps civils et militaires. Chacun se préoccupait de s’emparer, selon ses possibilités, des armes et de recenser des camions camouflés.

Simultanément, les soldats français internés au camp des Hauts-Clos à Troyes bénéficièrent de secours, tels l'octrois de vêtements, de nourriture et de faux certificats de démobilisation par l’entremise de complicités à l’intérieur du personnel de la Préfecture. Finalement, WAUTERS accrut sensiblement le nombre de ses amitiés et put exprimer sa satisfaction :

« Nous connaissions tous les logements ennemis avec le nom de la division, l’emploi de chaque soldat par l’intermédiaire du service d’entretien. Tous les régiments dans le département étaient localisés et nous pouvions suivre les déplacements des troupes. Au camp de Brienne le Château, nous relevions l’état des stocks de munitions pour chaque catégorie et nous étions tenus au courant de toutes les sorties. »14

Communément, des notes étaient remises soit à WAUTERS qui les faisait parvenir à l’état-major national parisien, soit à DALIT, commerçant troyen, dont le fils possédait un poste-radio et émettait en direction de Londres. Dans le dessein de favoriser une meilleure concertation, une réunion se déroula au début de l’année 1941, dans un immeuble rue du général SAUSSIER à Troyes.

Deux membres d’HECTOR, Robert GAUTHIER et Fernand HESTIN, présentèrent le propriétaire, le commerçant Albert EGELE, à WAUTERS qu’ils avaient amené chez lui. La conversation porta sur les moyens capables de porter préjudice au dispositif de l’oppresseur. Consécutivement à ces débats, EGELE décida de s’entremettre avec les

13 NA 10434 14 BEURY, André. 1940-1944 dans l’Aube : de la Résistance à la Libération. Troyes, 1984. p 12.

communistes à des fins de coordination15. Ainsi se précisèrent les principes d’un agencement des forces résistantes.

C/ UN ORGANIGRAMME EN EVOLUTION

Avec l’instauration de l’O.S. (Organisation Spéciale) à l’intérieur du P.C.F., s’introduit une inflexion déterminante. En effet, une hiérarchie rigoureuse naît autour de la réalisation de deux ambitions : protéger les militants par un service d’ordre interne, rassembler des dépôts d’armes. Emile AFOUFA, bonnetier troyen, l’intégra avec Pierre CHAPUT (ROGER), menuisier demeurant à Pont Saint Marie. CHAPUT s’occupait de la Résistance intérieure avec André BURTIN, coiffeur à Troyes. Ils se tenaient sous les ordres de POIROT (ANDRE).16

Dans ces conditions, un système cohérent apparut, s’appuyant sur le P.C.F. qui maîtrisait un écheveau de responsabilités verticales, avec des cadres interrégionaux contrôlant plusieurs départements alors que les cadres régionaux maintenaient leur emprise sur un seul département. A tous les niveaux, l’organigramme se scindait selon le triangle : P (politique), O (organisation), M (masses). L’interrégion Champagne-Bourgogne comprenait la Côte-d’Or, l’Aube, l’Yonne, la Saône et Loire et la Marne.

Par le truchement des sabotages, on constata une nette recrudescence de l’activité. Les lignes téléphoniques entre les villes de Saint Léger et Troyes, Saint Julien les Villas et Verrières furent coupées en plusieurs endroits. Des distributions de tracts s’amplifièrent, à la fois sur les quais d’embarquement des gares (sur les indications fournies par le cheminot NIEPS de Saint Julien les Villas) et à la fois dans les casernements, appelant à la désobéissance et à la désertion.17

Une autre action plus psychologique avait pour but de compléter un texte sur les affiches collées sur les murs de Troyes et portant le terme V (Victoire) en joignant au V une bande collée en lettres de la même dimension que le mot VORBEI, rendant cette proposition

15 Archives DANESINI 16 Archives NIGOND 17 Archives BIZZARI

insultante pour les occupants. Toutes les affiches subirent ce sort dans la nuit du 2 mars 1941 dans la cité troyenne, à la même heure et à la même minute.

Cette initiative prouvait la puissance coordinatrice résistante, incitant les autorités bafouées à tenir des propos comminatoires18.C’est pourquoi en avril 1941, KILLIAN et une quarantaine de ses camarades ne purent se soustraire aux recherches policières. Leurs captures mirent momentanément un terme aux opérations de propagande du P.C.

Au total, un bref bilan permet de s’apercevoir que la combinaison entre civils et militaires éprouva quelques contrariétés pour s’épanouir. La multiplication des arrestations nuit grandement à tout travail pérenne et les connexions entre les divers niveaux de pouvoir décisionnel restèrent aléatoires. Aussi, les entités existantes s’orientèrent surtout vers la propagande ou vers la quête d’informations, bien qu’ils éprouvassent des difficultés à les acheminer pour les rendre exploitables.

On assista à un dualisme certain dans l’attitude adoptée qui puisa sa source dans deux origines : le patriotisme et l’antifascisme pour les uns (les communistes), le nationalisme et l’antigermanisme pour les seconds (les officiers de l’armée d’Armistice). Ces différences expliquèrent l’impréparation des premiers mois et les obstacles rencontrés pour construire des assises stables, profitant d’appuis suffisants, tant humain que matériel. Néanmoins, ces déficiences ne purent interdire à terme de parfaire l’élaboration d’une contexture plus ferme qui s’évertua à se développer en collaboration avec les autorités résistantes nationales.

18 Annexe n°2

II L’EMERGENCE D’UNE COHERENCE

A/ LA CREATION DU FRONT NATIONAL

1/ Les bases d’une solidarité

En mai 1941, Bernard BALESTIE (DUPRE) reçut la visite de PERIER, instituteur à Paris, militant du mouvement Front National (F.N.) tout nouvellement fondé le 26 avril de la même année par le P.C.F., reprenant les directives du Front National de lutte pour l’indépendance de la France. Les deux hommes établirent conjointement le Front National dans l’Aube. BALESTIE, promu chef départemental, chercha à détacher la population du régime de Vichy19. Primitivement, seuls 5 membres se réunirent (GIROUX, GERVAIS, PAVOILLE, FERROUILLE, BALESTIE).

Dans un deuxième temps, les volontaires se recrutèrent par l’intermédiaire d’échanges verbaux avec des personnes dont les opinions étaient partiellement connues. La persuasion et les amitiés amenèrent par la suite un nombre plus important d’adhérents dont les noms restaient secrets.20

Pour renforcer une homogénéité naissante, un appel du F.N. fixa 7 objectifs à la population en juillet 1941 : empêcher que les ressources de la France ne servent l’industrie hitlérienne ; soutenir les luttes revendicatrices des ouvriers pour nuire aux usines françaises

19 1 J 786

travaillant pour l’occupant ; faire obstacle aux chemins de fer transportant dans le Reich les richesses et les produits nationaux ; aider les paysans à gêner la livraison des produits agricoles outre-Rhin ; soutenir ardemment le combat contre la répression hitléro- vichyssoise ; répandre les écrits, appels ou documents du F.N. ; partager et exalter face à l’envahisseur et à ses séides les sentiments patriotiques et la volonté de libérer la France du joug germanique.21 Pour répondre à ces exigences, des sympathisants garantissaient la réception et la diffusion du journal clandestin Le Front National, imprimé dans la région parisienne. Dès que les exemplaires parvenaient en gare de Troyes, ils transitaient par des planques diverses avant d’aboutir au domicile de Marcel PLANSON, à Saint Julien les Villas.

Or il parut nécessaire d’agir avec beaucoup de prudence, de rappeler aux chefs de groupe les incertitudes qui pesaient sur les actions. En conséquence s’imposa la parution locale du Front de l’Aube, (première sortie en septembre 1941) dans lequel BALESTIE et GIROUX prirent une grande part dans la rédaction des articles.

Le journal était tiré à la ronéo chez les époux GERVAIS de Troyes pendant que des jeunes du F.N. répartissaient les exemplaires, soit à domicile (boites aux lettres), soit par l’intermédiaire de la poste. Des militants s’astreignaient quotidiennement à joindre les quartiers de Troyes et ceux de l’agglomération environnante. On note à ce propos que le F.N., organe avant tout soucieux de propagande politique, ne s’instaura que dans le monde urbain et ne réussit pas à s’épanouir pleinement dans les campagnes alentours qui ne disposaient que d’une culture politique encore trop médiocre.

Malgré ces lacunes portant sur l’expansion géographique, BALESTIE sut accroître son autorité en entretenant des intelligences avec le professeur LANGEVIN, alors en résidence surveillée à Troyes, et avec ZEVACO, inspecteur d’académie de cette ville. Tous deux lui apportaient la plus grande aide22. Par la suite, devant la persistance des risques, la direction décida de faire imprimer Le Front de l’Aube à Paris.

2/ L’établissement d’un écheveau de soutiens

20 NA 10096 21 1 J 789 22 1 J 786

A l’intérieur du F.N., les structures se voulaient à la fois verticale (interrégion regroupant plusieurs départements appelés régions) et horizontale (à tous les niveaux : responsables politiques, aux opérations et aux effectifs). Marcel FREON, conseiller municipal de Reims, occupa les fonctions de chef départemental. Il sollicita en premier lieu le concours de Raymond MAURY, (LEBLANC), employé à la ville de Troyes, adjoint F.N. aux renseignements.23

A ces éléments s’agrégèrent les époux GERVAIS, commerçants ravitaillants les clandestins. Louise et Jules FERROUILLE, maraîchers à Saint André les Vergers, participaient aux distributions de tracts avec les PAVOILLE. André PAVOILLE, leur fils, et Léon GRAND s’occupaient des Jeunesses Communistes dissoutes. Ils s’associèrent à Robert ORTELLI, Marcel NOEL, Alphonse GUENIN, Suzanne PARISE, Gaston THUILLIER de Montigny les Monts, Roger THUILLIER de Chessy les Prés, Robert et Betty DIE.24

Après l’attaque de l’Union Soviétique par l’Allemagne en juin 1941, la répression s’intensifia. Les 14 et 15 juillet 1941 eut lieu une vaste opération anticommuniste tant à Troyes qu’à Romilly. Les policiers français procédèrent à près de 600 perquisitions et à plus de 80 interpellations, dont celles de Maurice ROMAGON et de nombre de ses compagnons.

Les sections clandestines furent presque toutes démantelées avec l’arrestation des 3 frères JOUVET du quartier des Tauxelles, d’Armand LAUBY et de MENAULT. La plupart des suspects gagnèrent la prison centrale de Clairvaux. De fait, les dirigeants aubois perdirent presque totalement leur capacité de nuisance. Toutefois, des tentatives éparses se manifestèrent comme l’indique un rapport de police du 5 août 1941 déclarant que « ce jour, nous avons trouvé au lavoir municipal de Troyes des tracts émanants du Parti Communiste qui avaient été déposés à chaque place des laveuses. »25

Mi-août 1941, une nouvelle action intervint à l’encontre des employés de la S.N.C.F., en gare de Troyes et aux rotondes de la Chapelle Saint Luc. Les agents du maintien de l’ordre inspectèrent toutes les locomotives, principalement celles rattachées au dépôt de la Villette

23 Archives NIGOND 24 1 J 794 25 Archives PLANSON

et de Noisy le Sec. Sur l’une d’elle, on découvrit un paquet de feuillets portant une étiquette rédigée en ces termes : cellule 107. Les armoires du personnel subirent une fouille systématique, ce qui permit de s’emparer de près de 200 kilos de tracts.

En dépit de ces échecs patents, il parut indispensable de passer à une seconde phase prenant davantage en considération l’expérience des départements voisins mieux organisés par l’apport de cadres externes. Les adhérents de Champagne méridionale dépendant du colonel HEURTEAUX essayèrent de reproduire ces modèles limitrophes.

B/ RENFORCEMENTS ET DEPLOIEMENTS DES GROUPEMENTS

Mi-juin 1941, la formation HECTOR, alors la plus élaborée, comprenait outre WAUTERS : Albert EGELE, Camille EGELE, Henri MISWALD, Marius LIEBERT, GAUTHIER et HESTIN. Chacun s’ingéniait à poursuivre la progression des effectifs considérés comme trop faibles. Dans ce contexte défavorable, Albert EGELE fit la connaissance de GAUSSOT, secrétaire départemental du Parti Populaire Français (P.P.F.). WAUTERS lui donna l’ordre de sympathiser avec ce collaborateur notoire pour qu’EGELE s’introduise parmi les partis pro-allemands.26

En plus de ce travail d’infiltration, l’attention principale se porta sur le recrutement de nouveaux soutiens. Raymond MAYER, agent d’assurances influent, consentit à aider la Résistance. Il intervint avec : Pierre FERAT, garagiste à Mailly le Camp, surveillant les installations militaires proches de son domicile ; ANDRE, ingénieur S.N.C.F. aux ateliers de Romilly sur Seine ; Camille MATHELIN, électricien à Nogent sur Seine et lieutenant de réserve ; Jean POTRON appartenant au Poste Central de Renseignements à la gare de Troyes ; Georges MAHEE, docteur à Troyes ; Georges SIMARD, inspecteur des contributions directes, lieutenant de réserve à Saint André les Vergers.27

Avant la fin de l’année rejoignirent l’avocat André MUTTER, le docteur BOUVIER et l’intendant MERLINGE (qui accepta en principe le poste de Préfet de l’Aube dès que la

26 Archives DANESINI 27 NA 10562

libération surviendrait)28. Quant à Fernand HESTIN, il s’entretint avec le médecin Georges MAHEE. Le docteur MAILLARD et Pierre CLAVEL, occupant un poste au service du ravitaillement, oeuvraient ensemble autour de la ville de Bar sur Aube.

Deux équipes franches se constituèrent avec Marcel MULLOT, tueur aux abattoirs de Troyes et Edouard BAUDIOT, cultivateur à Torvilliers29. Les deux dernières personnes précitées se distinguèrent par leur origine sociale puisqu’il est remarquable de constater que le recrutement se fit presque exclusivement parmi des notabilités et la bourgeoisie urbaine. Il semble que les amitiés antérieures entretenues naguère au sein du P.S.F. aient servi pour partie à élargir le cercle des initiés. Avec l’accroissement tangible des sympathisants, la répartition des attributions adopta l’organigramme subséquent :

Organisation générale WAUTERS Renseignements sur l’aviation MAYER et HESTIN Renseignements sur le camp de Mailly FERAT Renseignements sur le camp de Brienne le adjudant du camp Château Renseignements sur le terrain d’aviation de ANDRE Romilly Renseignements généraux sur la région de MATHELIN Nogent sur Seine Renseignements sur le département GAUTHIER Renseignements divers SIMARD Renseignements sur la S.N.C.F. POTRON Responsable des évasions MAILLARD Adjoint à l’organisation générale MAHEE Récupération des armes et recensement des BAUDIOT et MULLOT camions Renseignements sur les réquisitions SOLIVELLAS allemandes A côté de cette Résistance point une autre forme de lutte qui, si elle touche des catégories professionnelles sensiblement semblables, n’en revêtit pas moins des aspects différents.

28 NA 10434 29 NA 10563

L’engagement en faveur de l’action directe paraissait plus avancé comme le certifie un rapport du Préfet de l’Aube au ministre de l’Intérieur en date du 30 janvier 1941, ayant pour objet « la détention d’armes et des menées anti-allemandes. »

Il s’agissait d’un « groupe de jeunes hommes (10 à 12) » identifiés à Troyes par le commissaire de la police spéciale et plusieurs de ses inspecteurs comme se livrant à la détention et au maniement d’armes de guerre :

« Ces jeunes hommes, dont la plupart appartienne à de bonnes familles et au milieu de l’ancien Parti Social Français, tenaient des réunions dans des granges aux abords de la ville. (...) . Les deux principaux meneurs ont été arrêtés. Plusieurs de ces agitateurs sont vivement désavoués par leur famille.

Deux d’entre eux ont été trouvé porteurs de la photographie du lieutenant-colonel DE LA ROCQUE, membre du Conseil National. Il est à noter que le colonel DE LA ROCQUE est passé à Troyes le 14 janvier dernier et a tenu au café du Buffet de la Gare une réunion avec un nombre restreint de ses partisans. J’attends d’avoir réuni assez d’éléments sur cette entrevue pour vous en rendre compte en détail. Mais dès à présent, j’ai la certitude que des consignes favorables à l’action de l’ex-général DE GAULLE ont été données par ce chef de parti à ses représentants locaux. »30

Pourtant, il paraît difficile de rattacher ces agissements à un mouvement déterminé. Ne répondant pas à des mots d’ordre précis, il semble que seules des considérations de caractère patriotique animaient ces jeunes gens. Dans tous les cas, ces attitudes montraient nettement que persistaient des comportements ne se soumettant pas seulement aux directives édictées par des instances dominantes puisque la part d’autonomie se caractérisait encore par sa vigueur. A l’opposé de telles positions, les noyaux attachés au P.C.F. clandestin se développaient avec célérité selon des modalités précises, ce qui les autorisa à renforcer leurs principes organisationnels. C/ L’ECHEC DE L’AFFERMISSEMENT DU DISPOSITIF MILITAIRE

30 Annexe n°1

Le renouveau advint de l’extérieur et plus précisément de la Côte-d’Or, inaugurant les prodromes d’une excellente coordination entre les deux départements. Lucien DUPONT, traqué par la Gestapo en Bourgogne en tant que chef militaire de l’interrégion, se réfugia dans l’Aube avec un camarade, Charles GROSPERRIN (BUREAU), commandant régional de l’O.S. OUZOULIAS, un de leurs supérieurs à l’échelle nationale, les rencontra pendant l’hiver 1941-1942 dans une bâtisse de Troyes.31

Ils s’enquirent des problèmes posés par l’exacerbation des pressions assurées par les occupants et leurs complices. Consécutivement aux exécutions d’otages effectuées de juillet à septembre 1941, BUREAU rédigea un tract, traduit en allemand, avertissant les soldats adverses que pour un français fusillé, dix officiers germaniques trouveraient la mort dans des attentats.

Les 2 seules machines à écrire disponibles étaient alors installées à Saint André les Vergers et à Saint Julien les Villas, fonctionnant grâce à une Dijonnaise, Jeanine LEJARD, associée à Pierrette GONDON (ARMANDE). Mais lors d’un rendez-vous au domicile des époux FERROUILLE à Saint André les Vergers, Charles GROSPERRIN échappa de peu à l’arrestation et se résolut à gagner la région parisienne.

Quoiqu’isolé, Lucien DUPONT s’efforça de venger la mort de Maurice ROMAGON, fusillé comme otage à Clairvaux en février 1942. Il réussit à travailler comme employé au siège de l’état-major de la Wehrmacht en Champagne méridionale et souhaitait faire sauter ladite habitation. Le projet ne put finalement pas aboutir. DUPONT gagna donc la Marne par l’intermédiaire de Roger BOURDY, du P.C.F. marnais.

En bref, le printemps 1942 se distingua par une phase d’indétermination dans le département. Ne pouvant plus recourir aux militants locaux, le Comité Militaire National (C.M.N.) désigna PIERROT, de Paris, pour occuper la place vacante. Il ne put prendre ses fonctions car en mars 1942 la Brigade Mobile de Reims le blessa grièvement et le C.M.N. dut le remplacer promptement.

31 Albert OUZOULIAS, Op. Cit., p 221.

D’autre part, Eugène KILLIAN n’assuma qu’une éphémère direction, étant appréhendé le 8 avril 1942 avec Auguste LIENHARDT32. Enfin quelques semaines plus tard, le pôle romillon disparaissait avec l’arrestation des époux BIRER et BULARD. La totalité des triangles cessèrent d’exister.

Après la dissolution des ensembles militaires, il ne restait plus qu’à se consacrer à la consolidation de l’organigramme politique épargné par les démantèlements. René ROULOT, un cheminot icaunais, prit début 1942 la tête de la région, composée de l’Aube, de l’Yonne et de la Côte-d’Or.

A Laroches-Migennes, on amenait le matériel venant de Saint-Denis : tracts de propagande, papier pour l’impression des journaux locaux, le tout transporté ensuite à Dijon. Dans la cité bourguignonne se faisait la répartition des paquets qui revenaient à Migennes par l’entremise de 2 mécaniciens du dépôt dijonnais. Les colis attribués aux Aubois transitaient grâce à un aiguilleur de Saint Florentin.33

Mais les mouvements de Résistance ne purent prendre corps dans l’Aube que quelques mois plus tard, bénéficiant du travail préparatoire de groupes maintes fois annihilés et toujours reconstitués. Pour parvenir à des résultats satisfaisants, il convenait de préciser les emplois de chacun des acteurs pour parfaire l’ordonnancement général. Les efforts portaient sur les manières de concilier l’établissement de nouvelles forces paramilitaires tout en consolidant les avantages acquis parmi les éléments civils de la population.

III AUX PREMISSES D’UNE ORGANISATION

A/ UN POLE RESISTANT : CEUX DE LA LIBERATION

32 Archives BIZZARI

1/ La segmentation des responsabilités

Les mouvements souffrirent amplement de cloisonnements insuffisamment respectés, ce qui provoqua des pertes significatives. A l’instar de Ceux de la Libération (C.D.L.L.) qui naquit de la destruction du groupe HECTOR dans la mesure où en mars 1941, suite à l’arrestation d’un fils du colonel HEURTEAUX, son père intervint de manière intempestive pour obtenir sa libération. Repéré par la police, il ne put éviter d’être capturé34. WAUTERS et ses compagnons désormais coupés de l’organe parisien cherchèrent à intégrer une autre formation. Quelques semaines de flottement se produisirent avant qu’ils ne parviennent à s’introduire parmi Ceux de la Libération.

L’accord bilatéral se concrétisa par le truchement de HASS dont le fils servit en 1940 sous les ordres du capitaine SAVOUREY (à la tête de C.D.L.L. en octobre 1941). SAVOUREY se rendit à Troyes et demanda de mettre à sa disposition tous les services préexistants, utilisant surtout les compétences de PERGAULT, de la S.N.C.F. Et cette unité se raffermit d’autant plus que C.D.L.L. présenta dès l’origine une forte implantation grâce à une stricte hiérarchie et à un encadrement qui puisa largement dans le vivier des officiers issus de l’armée d’active ou de réserve.35

Devant des perspectives encourageantes, WAUTERS acquit en juin 1942, lors d’une réunion à Paris, la délégation régionale de C.D.L.L. pour 5 départements (Aube, Haute- Marne, Marne et une partie de la Seine et Marne et de l’Yonne), désignant le capitaine de réserve Jean HOPPENOT (TERROT) comme chef militaire départemental aubois. HOPPENOT constata rapidement que la prééminence nationale du mouvement échut à son ami Roger COQUOIN, connu sous le pseudonyme de LENORMAND. Quant à WAUTERS, il eut une entrevue avec le colonel SCHIMPF (LE COR) avec qui il partagea l’autorité sur la moitié de la Seine et Marne.36

Dans chacun de ces départements, WAUTERS, qui prit comme adjoint régional le docteur MAHEE, sépara les attributions civiles et militaires qu’il confia respectivement pour l’Aube à l’intendant MERLINGE puis au proviseur du lycée de Troyes, CASATI,

33 BAILLY, Robert. Les feuilles tombèrent en avril. Témoignages et documents sur la Résistance dans l’Yonne en liaison avec l’Aube et la Côte d’Or. Paris, éditions sociales, 1977, p 66. 34 Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.37. 35 NA 10097 36 NA 10033

pour les affaires civiles ; HOPPENOT veillait aux aspects exclusivement militaires. Concernant le territoire de la Seine et Marne qu’il contrôlait, WAUTERS choisit de se dessaisir de cet espace au profit de Camille MATHELIN.

Au premier semestre 1942, après quelques délibérations au domicile de WAUTERS, l’état-major aubois trouva sa forme définitive, avec 4 bureaux conventionnels, à l’image des armées traditionnelles : chef régional de C.D.L.L. pour la WAUTERS Champagne adjoint au chef régional MAHEE chef militaire dans l’Aube Jean HOPPENOT, capitaine de réserve 1er Bureau Pierre MILLERET, capitaine de réserve 2ème Bureau WAUTERS provisoirement (remplacé ultérieurement par DALIT et MICHEL, officiers d’active) 3ème Bureau BOUGUIER, capitaine d’active au Centre de Libération des Prisonniers de Guerre 4ème Bureau Roger FLEURY, capitaine de réserve

« Nous organisions, dit WAUTERS, deux genres de groupes. Les premiers, les groupes francs, travaillant immédiatement, les seconds, les troupes de réserves, ne devant agir et se grouper que sur ordre et après le débarquement. »37 De fait, les corps francs ne comprenaient jamais plus de 5 personnes afin de restreindre les risques de dérèglement survenant après les potentielles investigations policières. Aussi, la répartition des tâches reproduit le schéma suivant : 1) Les groupes francs, travaillant immédiatement pour : a) La récupération des armes. b) Le renseignement. c) Les évasions. d) La recherche de terrains pour opérations Lysanders. e) La quête de terrains pour les parachutages. f) La recherche de maisons-asiles pour émissions-radio.

37 NA 10563

g) Le service de santé. h) Les maquis. 2) Les troupes de réserves qui ne devaient agir et se grouper que sur ordre, après le débarquement (capitaine HOPPENOT). 3) Organisation civile comprenant : a) Le préfet. b) Le procureur. c) La presse. d) Les transmissions. e) Le ravitaillement. f) Le service hospitalier. g) L’électricité.38 Pour appliquer un plan si ambitieux, il fallait dans le même temps favoriser toute tentative tendant à rendre plus aisé les liens entre les participants résistants.

2/ A la quête d’une coordination

Après l’occupation de la zone libre (novembre 1942), Maurice DALIT et Pierre MICHEL se soumirent aux notifications de WAUTERS qui les dirigea vers le 2ème Bureau encore embryonnaire. Jean POTRON dorénavant muté, les contacts reprirent avec son successeur à la S.N.C.F., l’inspecteur Gabriel THIERRY (Marcel MISMER). THIERRY proposa de fournir un calque de neutralisation des principales lignes de chemin de fer de la région en vue des destructions à pratiquer dès que le matériel serait efficient. On prévoyait d’immobiliser les grues de Châlons sur Marne et de Chaumont et de copier le plan des relais des communications téléphoniques allemandes. THIERRY rapporta au surplus des indications sur les déplacements des trains, les transports de troupes et leur ravitaillement, les expéditions en Allemagne, le moral des cheminots.39

Par ailleurs, grâce au docteur MAHEE, WAUTERS essaya d’intensifier ses appuis dans l’environnement judiciaire. Il devisa avec le procureur VASSART qui jouissait de quelques soutiens à l’intérieur de l’administration pénitentiaire (parmi les gardiens de la

38 1 J 787 39 1 J 792

prison de Clairvaux)40. Il nomma le procureur comme magistrat présidant le tribunal militaire de l’Aube, amené à siéger lorsque les circonstances le commanderaient.

En décembre 1942, un rassemblement se produisit à Paris pendant lequel furent officiellement données aux membres nationaux et régionaux de C.D.L.L. des consignes dont on leur dit qu’elles émanaient de l’état-major allié. WAUTERS, oeuvrant en Champagne, région où C.D.L.L. occupait la plus forte position en zone occupée, souscrit à l’accomplissement d’instructions inédites :

« Au cours de ces débats, j’ai reçu l’ordre d’être prêt pour fin avril 1943, en vue d’un débarquement possible en mai 1943. De plus, il fallait rechercher des terrains de parachutage ARMA-DEPOT et des maisons asiles pour les émissions-radio. »41

Dès lors, durant les premiers mois de 1943, une grande activité affecta l’Aube. D’après Londres, la Champagne méridionale offrait en zone occupée une structuration telle qu’elle pouvait prétendre à être pourvue en matériel. En mars 1943, deux parachutages parvinrent au mouvement C.D.L.L. : sur le terrain DINDE près de Bar sur Aube et sur un site à proximité de Nogent sur Seine42. Dans cet environnement propice apparut un mouvement complémentaire qui démontra une vive propension à reprendre certaines mesures susnommées. B/ L’INSTITUTION DES FRANCS TIREURS ET PARTISANS

La recomposition entreprise à la fin de l’année 1942 dans l’Aube correspondit à l’échelle nationale à des principes innovants d’intervention, par lesquels le Comité Militaire National substitua la lutte armée à la distribution de tracts. Dès ce moment, le groupe servit de modèle : 2 équipes de 3 ou 4 individus, sous l’égide d’un chef et de son adjoint, conservaient le plus longtemps possible leurs occupations quotidiennes légales, ne se retrouvant qu’au cours des opérations, se dissolvant après l’engagement dans l’anonymat de leur métier et de leur domicile (selon la tactique des « gouttes de mercure » préconisée par Charles TILLON).

40 1 J 793 41 NA 10563 42 Archives SOLIVELLAS

Par conséquent, le F.N., orienté vers la propagande, se dota d’une branche militaire, les F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans), au cours du second semestre 1942 pour faire face à ces exigences. Utilisant initialement l’O.S., les F.T.P. souhaitaient accueillir tous les hommes, sans distinction politique ou confessionnelle, décidés à combattre prestement l’occupant et à pratiquer la guérilla contre l’armée ennemie.43

Ils affirmèrent le mieux leur originalité dans leur approche spécifique de la lutte armée, profitant d’une plus grande expérience acquise dans la clandestinité. Les F.T.P furent étroitement dépendants de ces conceptions et insistèrent fortement sur une nécessaire déconcentration des fonctions, offrant une certaine latitude de décision pour les acteurs concernés.

De manière théorique, le département constituait l’unité référentielle, appelée région. Cinq départements représentaient une interrégion, vingt départements une subdivision. L’Aube se trouva rattachée avec la Saône et Loire occupée, l’Yonne, la Côte-d’Or et la Marne à l’interrégion que commandait Fernand GRILLOT, cheminot de Dijon (GERMAIN). Au niveau départemental, à chaque échelon géographique, le titulaire du poste entretenait une correspondance étroite avec le F.N. et le Parti Communiste clandestin. A la base, 8 hommes se fractionnaient en deux équipes. Trois groupes s’agrégeaient en un détachement, 3 détachements en une compagnie. Les F.T.P. puisèrent largement parmi les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) pour étoffer les noyaux initiaux et mettre en place des strates ordonnées. De ce fait, ils présentaient une mobilité certaine par leurs facultés à se mouvoir dans les délais les plus brefs.

Le secteur F.T.P. le mieux connu recouvrait la zone de Chamoy-Saint Phal-Montigny les Monts, dans le sud du département, où Gaston THUILLIER, maçon à Montigny, joua un rôle décisif. En mars 1942, il se mit en rapport avec Marcel MARCHAND, habitant la Côte-d’Or, mais la coupure intervint très rapidement. Puis un Icaunais se présenta en août 1942. Un mois après, la césure s’installait une fois encore. Nonobstant ces difficultés récurrentes, THUILLIER réussit à s’adjoindre le concours des villageois de Montigny les

43 SC 4273

Monts, , Villiers le Bois, Saint Phal, Chamoy, Villeneuve au Chemin et des Chaillots.44

A cet effet, on dissimula dans les régions de et d’Ervy le Châtel des syndicalistes cégétistes et des sympathisants communistes recherchés, soit 3 ensembles de 30 personnes. En septembre 1942, GEHIN (FELIX) se mit en relation avec un adhérent parisien des Francs Tireurs et Partisans qui lui offrit d’apporter sa protection à ces volontaires en leur procurant des armes et de l’argent. GEHIN accepta et se plaça officiellement sous la tutelle des F.T.P.

Les hommes bénéficièrent d’une immatriculation partielle et reçurent le matériel promis, qui consistait en tracts et en brochures communistes (France d’Abord, l’Humanité, Front National). En corollaire, Edouard BAUDIOT répartit un armement substantiel aux F.T.P. et hébergea à son domicile de des équipes de sabotage travaillant dans l’Aube et dans la Marne.45

Dans tous les cas, le fait important résida dans l’extension géographique que prit la Résistance puisque les centres urbains jusqu’alors prépondérants perdirent leur primauté exclusive au profit d’individus provenant du monde rural. Une telle évolution modifia notablement les dispositions internes des mouvements. Dorénavant, ces derniers durent veiller à maintenir une bonne concordance entre les sympathisants disséminés dans les campagnes et dans les villes. Il importe de noter que ces changements affectèrent même de manière irréversible quelques forces qui devinrent inopérantes.

C/ DES ENTITES AUX COMPOSITIONS DISPARATES

1/ La disparition de l’O.C.M.

Dans la zone nord, l’O.C.M. se singularisait avant tout par son influence auprès des industriels, des hauts fonctionnaires et des professions libérales. Elle s’attira les faveurs des environnements socialement et politiquement conservateurs. Or en Champagne, les

44 Archives BIZZARI

membres se recrutèrent en majorité au sein des ouvriers bonnetiers, des commerçants et des artisans même si subsistaient quelques militaires ; aux environs de Bar sur Aube et Bar sur Seine, ils provenaient même du monde agricole ; le groupe de Romilly sur Seine comprenait nombre d’employés de la S.N.C.F46. En conséquence, l’O.C.M. s’illustra dans la région par une composition professionnelle atypique.

Un rapport adressé à Londres, donnant un aperçu de la situation au 31 décembre 1942, permet de dresser un bilan global de son fonctionnement interne. Il existerait à cette date 16 groupements dotés chacun de 33 résistants sédentaires, commandés par des officiers. Néanmoins MERLINGE, représentant essentiel de l’Organisation Civile et Militaire dans le département, demeura pondéré et émit même quelques réserves sur ces précédents chiffres, en particulier sur l’exacte réalité des effectifs :

« Personnellement, j’avais embauché le plus possible d’officiers, de sous-officiers et de Saint-Cyriens licenciés dans les services du Ravitaillement Général et au centre de libération des prisonniers de guerre et tous dirigeaient des subordonnés demeurant principalement à Bar sur Aube, Brienne le Château et Bar sur Seine. »47 Malgré une faiblesse évidente de l’O.C.M., une réelle capacité de mobilisation se maintînt grâce à l’intendant MERLINGE. Des transports (autos et motos), des réserves d’essence, des installations sanitaires, des terrains d’aviation et de parachutage étaient reconnus. Quelques maires acceptèrent d’appuyer l’O.C.M, en collaboration avec des entreprises civiles, comme les Ponts et Chaussées, la Société Lyonnaise d’Electricité, la Compagnie du Gaz de Troyes.

Des correspondants signalaient les mutations des troupes allemandes et leur stationnement dans l’espace aubois. Un bombardement allié du camp d’aviation de Romilly sur Seine survint en décembre 1942 par l’entremise des agents romillons de l’O.C.M. : MERLINGE, en association avec LELIEVRE, avait fourni au Service de Renseignements (S.R.) KLEBER un plan fort complet des 6 emplacements de batteries antiaériennes germaniques. Ils transmirent postérieurement une missive et un calque pour annoncer les résultats obtenus et faire connaître semblablement l’état du réseau de transport des lignes électriques.

45 109 J 108 46 Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.84. 47 NA 10434

Mais le 18 janvier 1943, la police mit un terme aux activités de MERLINGE, dénoncé par un agent appartenant au S.R. KLEBER-NORD, rencontré à Epernay, se disant du 2ème Bureau48. Etêtée, l’O.C.M. évanescente ne put obvier à réduire ses insuffisances et s’inclut presque intégralement à l’intérieur de C.D.L.L.. Elle perdit toute autonomie et la rapidité avec laquelle elle se désagrégea prouva son absence de vivacité et de relais dans la population, à l’opposé d’autres corps démontrant leurs aptitudes à adopter des mesures idoines, susceptibles d’asseoir une hiérarchie.

2/ La croissance de mouvements novateurs

Fondée en novembre 1940, Libération-Nord s’installa seulement en 1942 en Champagne méridionale, sous l’impulsion du Rémois GUYOT (CHRISTIAN), délégué pour la région avant que Gabriel THIERRY ne le remplace. Celui-ci put compter sur l’aide indéfectible de Germain RINCENT, un instituteur qui sut s’entourer d’hommes sûrs et diffuser régulièrement la publication clandestine Libération, ce qui lui valut d’accéder aux plus hautes responsabilités.49

Son but prédominant consistait à utiliser les amitiés professionnelles antérieures à la guerre. RINCENT se lia avec Georges LAPIERRE, (secrétaire général du syndicat des instituteurs demeurant dans la partie septentrionale de l’Aube, à Périgny la Rose), qu’il vit soit à Paris, soit à Troyes. LAPIERRE lui demanda au préalable de commencer la récupération de moyens de transports légers (motos ou vélos) et RINCENT lui fit faire la connaissance de WAUTERS.

Les débuts s’avérèrent ardus et « le milieu instituteur et syndicaliste ne se montra guère actif. Il fallut même faire preuve de prudence vis à vis de plusieurs collègues de l’enseignement. »50 En dépit de ces aléas, THIERRY prescrit de faciliter l’introduction de militants syndicalistes, de membres de cercles philosophiques, du Parti Socialiste et de la Démocratie-Chrétienne, etc... Cet effort de dilatation géographique porta sur les territoires de l’agglomération troyenne, de la forêt d’Othe et de Bar sur Aube.

48 NA 10142 49 NA 10095 50 72 AJ 101 A/N°9 I

Dans le dessein d’accroître les infrastructures naissantes, Germain RINCENT approcha RIBIERE mi-1942 et s’entretenait le plus souvent avec DENIAU et RICHARD de l’état- major national. Il fréquenta à de rares occasions Pierre BROSSOLETTE, Daniel MAYER, BIONDI, VERDIER.

Il toucha parallèlement les officiers de réserve du corps enseignant bien que Libération Nord se distingua de prime abord par l’appétence de l’encadrement à privilégier le monde civil. D’où des assises inégalement développées. Cette conjonction de facteurs explique sans nulle doute que toute velléité d’expansion cessa suite à la capture de LAPIERRE en mars 1943.

L’extension de la Résistance ne résulta pas seulement du déploiement d’énergies spécifiquement départementales puisque des Français acceptèrent résolument de dépendre directement de Londres et des Britanniques du Special Operation Executive (S.O.E.), crée le 22 juillet 1940 par CHURCHILL. Cet organe relevait du ministère de la guerre économique et les divisions en sections correspondaient aux différents pays occupés (la France composant la section F).

Son objectif initial se limitait à détruire la production ennemie, à équiper les patriotes pour suppléer les efforts consentis par les Alliés. Pour accéder à ces résultats, on pratiquait des sabotages de toute nature de façon à altérer les capacités de l’occupant en accentuant le sentiment latent d’insécurité. Dans ce contexte s’implanta dans l’Aube le réseau BUCK- ABELARD qui devait contribuer à la préparation du débarquement des armées anglo- américaines.51

Un noyau naquit en août 1942 sous l’emprise de Pierre MULSANT (un industriel travaillent chez STEIN-OUDOT, entrepreneur de matériaux à Troyes) qui s’assura l’attention bienveillante de SIMON, un sculpteur parisien52. Sa mission visait à réceptionner et stocker des armes parachutées et à former des unités prêtes à paralyser le trafic sur les voies de communication adverses. De la sorte, on vit poindre deux types de mouvements : les uns reliés étroitement avec Londres mais non soumis aux services français du général DE GAULLE ; les seconds ne représentant que des délégations de grandes associations nationales de Résistance.

51 Témoignage de Charles RASETTI, rencontré le 4 novembre 1996.

En terme de bilan, il est aisé de constater la pluralité des situations. Sur les 5 ensembles conçus de 1940 à 1942, un seul a disparu : l’O.C.M. Un tel échec s’explique en mettant en perspective deux phénomènes complémentaires. D’un côté, l’O.C.M. ne pouvait aspirer à garantir sa pérennité lors de crises majeures, étant donné l’insuffisance de ses capacités humaines et la carence intrinsèque de ses cadres. D’un autre côté, elle semblait trop proche socialement (et politiquement) de C.D.L.L. pour espérer s’épanouir, son organisation ressemblant par trop à celle de sa puissante consoeur :

« A Ceux de la Libération, l’O.C.M. apparaissait comme une entreprise rivale et réactionnaire à laquelle il s’agissait seulement de répondre en recrutant des officiers. »53 En définitive, les F.T.P., C.D.L.L. et dans une moindre mesure l’antenne auboise du S.O.E s’affirmèrent. En effet, on assista à une véritable tripartition des fonctions où chacun joua un rôle défini. Libération-Nord resta en marge, possédant certes des dirigeants de qualité mais sans pouvoir prétendre posséder un réel soutien populaire. D’autant que l’influence d’un mouvement se définit entre autre par sa faculté à rassembler des volontaires et à utiliser leurs compétences à bon escient.

Incontestablement, on se trouvait à une époque charnière où l’indécision prévalait encore. Mais dans ces circonstances peu avantageuses, il semble nécessaire de remarquer que les formes résistantielles changèrent de nature avec la substitution des solidarités antérieures à la guerre par des dispositifs plus cohérents, exploitant pleinement les possibilités offertes par les strates de commandement verticales et horizontales. Assurément, les essais de construction d’infrastructures plus rigides mettaient en exergue ce désir de bâtir un ordonnancement endogène.

Ainsi, après une phase de croissance du potentiel humain, les mouvements aubois se consacrèrent dans un second moment à des entreprises précises contre l’occupant. Ils adoptèrent des attitudes fort diverses selon leur degré d’autonomie face aux pouvoirs concentrés essentiellement à Paris. Ces modulations induisent l’analyse des trois comportements qui émergèrent dans le dessein de parvenir à l’instauration d’une contexture appropriée.

52 NA 10092

En premier lieu, il faut s’attacher aux ensembles qui ne furent que de simples émanations de mouvements nationaux, reprenant presque intégralement les singularités en vigueur chez ces derniers. Ensuite notre attention se portera sur les formations proches de la Résistance extérieure au territoire national (S.O.E.). Enfin, il conviendra de s’intéresser tout particulièrement à l’Armée Secrète. Quoique régie par des règles endogènes qui semblaient fort peu adaptées aux exigences qu’imposaient le combat de l’ombre, celle-ci s’imposa par sa capacité à fédérer les aspirations patriotiques grâce

53 PASSY (colonel), Missions secrètes en France (novembre 1942-juin 1943). Plon, Paris, 1951, p.157.

I LA MISE EN PLACE DE DELEGATIONS

A/ DES FORCES RESISTANTES PUISSANTES

1/ Les progrès des principes organisationnels

Chez les F.T.P., l’activité dominante reposait sur la personne de GEHIN qui veillait au domaine paramilitaire et institua de petits agrégats légaux disséminés dans des secteurs favorables, souscrivant à un service de renseignements recueillant toutes les informations possibles sur les troupes allemandes. Dès février 1943, l’implantation essentielle se situait au sud de Troyes, dans les imposantes forêts chaourçoises et ervytaines54. Les dénominations usitées par les groupes sédentaires reprenaient le plus souvent des attributs topographiques locaux (le Perchoir, Spada, le Mé) ou exaltaient le sacrifice consenti par des militants fusillés en 1942 (PELLERIN).

Bien que soumis à des approximations et à des incertitudes, les F.T.P. aubois surent mettre en oeuvre un organigramme reproduisant celui du modèle national. Par suite, à l’organisation par unités combattantes se superposait une organisation territoriale verticale par département et association de départements. Au sein du Centre parisien, le Comité Militaire National des F.T.P. comprenait Charles TILLON, commandant en chef, Eugène HENAFF, commissaire aux effectifs (remplacé par René CAMPHIN en mai 1943), Albert OUZOULIAS aux opérations, Georges BEYER à l’armement et au renseignement.55

Sous leurs ordres, les subdivisions relevaient des C.M.I.R. (Commissaires Militaires Interrégionaux) qui coiffaient de leur autorité plusieurs régions. Dans ces dernières, un C.M.R. (Commissaire Militaire Régional) s’imposait à tous les membres d’une région (un ou plusieurs départements). Son rôle se réduisait à impulser la lutte contre l’ennemi et à parfaire la discipline sur toute la zone circonscrite.56

54 NA 10096 55 La Résistance et les Français : lutte armée et maquis. Actes du colloque international de Besançon 15-17 juin 1995, Besançon, 1996, p.135. 56 13 P 46

A chaque niveau du dispositif vertical en vigueur, on retrouvait le commandement du C.M.R. se répartissant en un triangle de trois personnes solidaires devant l’échelon supérieur : le Commissaire Politique (C.P.), Militaire (C.M.), Technique (C.T.). Début 1943, le C.M.I.R. André DUCROIX (RICHARD) de Reims coordonnait plus spécialement l’action des F.T.P. avec le C.T.I.R. François GRILLOT (GERMAIN)57. Mi-1943, ce triangle devint : Effectifs, Opérations, Technique (Armement). L’effectivité des mesures prises resta difficile à discerner à cause de l’ampleur de la répression et du renouvellement fréquent des titulaires. Cependant, on assista à une véritable tripartition des attributions.

Le Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.) dépendait directement de Paris, ce qui lui conférait une place prépondérante. Il avait sous ses ordres des adjoints pour faciliter le recrutement. Le C.E.R. devait contrôler les engagements, prévoir des maquis, fixer des lieux de stationnement pour les hommes dans le but de maintenir leur moral, assumer les difficultés inhérentes à l’instauration de la discipline, connaître l’état de la comptabilité et des fonds, s’entretenir hebdomadairement avec les partis clandestins.

Il préparait les entrevues du Comité Militaire Régional et du Bureau Militaire Régional. Quant au Commissaire Technique Régional (C.T.R.), il « dirigeait l’ensemble des services de l’armement, des renseignements et de la santé »58, c’est à dire qu’il s’intéressait aux problèmes matériels et de logistique.

Le C.O.R. (Commissaire aux Opérations Régionales) transmettait les ordres de la région aux recruteurs de réfractaires (au nombre de quatre dans l’Aube). Il prenait en charge la préparation et l’exécution des opérations, entraînait les individus au combat selon les directives fournies par le Comité Militaire National. Ces trois représentants « se réunissaient en bureau militaire pour élaborer des plans et juger de leur application par les échelons inférieurs. »59 Pour finir, un chef de détachement ou de secteur commandait deux ou trois groupes et chaque chef de groupe dominait 30 hommes. Toutefois, il faut reconnaître que « ces règles strictes furent bien souvent bousculées par les circonstances ou les nécessités pratiques de la lutte. »60 Aussi, les lourdes pertes subies nécessitèrent de recourir à des militants

57 Témoignage de Jules JACQUESON, rencontré le 6 mars 1997. 58 TILLON, Charles. Les F.T.P. : témoignage pour servir à l’histoire de la Résistance. Julliard, 1962, p.175. 59 Annexe n°8 60 COURTOIS-GARCIA, Noëlle. Les F.T.P. dans l’Yonne pendant la seconde guerre mondiale (1942- septembre 1944). Dijon, 1970, p. 14.

extérieurs mais nantis d’une solide expérience prompte à s’exercer à l’encontre de l’envahisseur.

2/ L’emprise de la sphère d’influence bourguignonne

Début 1943, le C.O.R. Léon BOUCHARD (ALAIN), de Migennes, se rendit dans l’Aube. Gaston THUILLIER lui présenta un effectif, somme toute théorique, de 150 hommes en février 1943. Traqué par la Gestapo, ALAIN passa peu après dans l’illégalité et ne put échapper à l’arrestation en mars suivant. Son successeur se révéla un Côte-d’Orien, Charles COUCHE.

Travaillant parmi les cheminots de Dijon-Perrigny, il participa à de nombreuses destructions de voies ferrées dès le début de l’année 1941. Il se vit dans l’obligation de quitter le département le 15 février 1943, après l’interpellation de ses 4 frères résistants. Activement recherché, il rejoignit pourtant François GRILLOT dans le cadre aubois pour y devenir Commissaire aux Opérations le 1er avril 1943.

Spécialisé dans les sabotages, hébergé à Torvilliers chez Edouard BAUDIOT (MARIUS), il endommagea plusieurs lignes électriques, perturba les transports ferroviaires et intégra l’équipe qui mit hors d’usage les locomotives du dépôt de Troyes, dans la nuit du 3 au 4 juillet 1943. Mais son ardeur le fit repérer et il gagna alors l’ouest de la France où COUCHE prit la tête des opérations dans 8 départements bretons.61

Dans les faits, la situation présenta seulement en octobre 1943 une cohérence dans l’interrégion car antérieurement une certaine confusion l’emportait suite aux multiples départs de militants et aux vacances des postes. Louis MUTIN (SEGUIN) fut nommé C.E.I.R. (Commissaire aux Effectifs dans l’Interrégion) tandis que Jean VANTALON (MARCEAU), un bonnetier troyen, faisait office de correspondant aubois. Leur supérieur, un subdivisionnaire, demeurait Jean NICOLAS.62

Louis FRANCOIS (ALBERT) se souciait du recrutement dans l’interrégion alors que François GRILLOT (GERMAIN) était le commandant militaire. Les Aubois n’apparaissaient nullement au sein de l’organigramme interdépartemental des F.T.P.,

61 Témoignage de Charles COUCHE, rencontré le 10 avril 1997.

traduisant concurremment leur faiblesse du moment et une relative incapacité à dégager des personnalités fortes, à même de contribuer aux processus décisionnels. En conséquence, les cadres envoyés par la Côte-d’Or l’emportèrent très largement dans tous les organes de direction.

Jules JACQUESON (ROBERT) accéda de la sorte au poste de Commissaire aux Opérations Interrégionales et prit ses fonctions le 1er octobre 1943 dans l’Aube où son prédécesseur l’accompagna pour lui indiquer quelques préceptes relatifs à la sécurité. Il joignit Gaston THUILLIER et s’appuya sur la famille JEANSON de Baudement, habitant l’extrême sud de la Marne.

Caché à Troyes, JACQUESON constitua un état-major avec comme adjoints LESSUISSE qui se consacra au sud du département et Raymond ROGER qui s’intéressait à la partie la plus septentrionale63. Proche du F.T.P. Pierre OUY, il conçut avec Roger BERGANZ, Guy JEANSON et Gaston GAGNIERE nombre d’expéditions contre les installations allemandes, visant les communications ferroviaires à Saint Julien les Villas et à Romilly :

« Je dominais des groupes de destruction qui avaient pour but d’anéantir les réservoirs d’essence, de paralyser les déplacements sur les voies ferrées, de s’emparer des tickets de ravitaillement grâce à la complicité de secrétaires de mairie, de bloquer les transports par écluses. Je rencontrais le saboteur Charles COUCHE dans un café-épicerie à Sainte-Savine et recevais indifféremment la visite des autres interrégionaux, tels que NICOLAS, SALOMON ou GRILLOT. »64

Concomitamment, une autre Côte-d’Orienne, Jeanine LEJARD, se vit confier les Forces Unifiées de la Jeunesse Patriotique (F.U.J.P.) pour les zones bourguignonnes et champenoises. En novembre 1943, elle assuma en outre les transmissions pour l’interrégion des F.T.P. (Marne, Aube, Yonne, Côte-d’Or et Saône et Loire en partie). En résumé, on observe aisément que le mouvement F.T.P. aubois éprouva de grandes peines à se manifester comme un élément d’impulsion, à cause du manque de moyens mis à sa disposition.

62 13 P 71 63 Annexe n°6 64 Témoignage de Jules JACQUESON, rencontré le 6mars 1997.

De plus, sans l’apport incessant de facteurs exogènes, toute tentative de consolidation aurait connu un sort défavorable. Le recours à des résistants n’appartenant pas à la région permit de satisfaire à une dynamique, d’autant que l’aspect politique de la lutte semblait connaître un sort plus favorable et une croissance certaine, correspondant semble-t-il aux attentes formulées.

3/ Vers une vigueur nouvelle

Le F.N. départemental poursuivit sa quête de documents ayant trait aux occupants (cantonnements, matériels) pour les faire parvenir à Paris. Le travail aboutissait par l’entremise de noyaux de 5 éléments qui représenteraient 100 à 150 hommes. Leur chef, Bernard BALESTIE, recouvra la liberté en février 1943 après plusieurs mois d’incarcération.

Se sentant étroitement surveillé, il abandonna provisoirement toutes ses prérogatives avant de reprendre en juillet 1943 son activité en relation avec le P.C. BALESTIE fit délivrer de fausses cartes d’identité aux individus traqués et aux réfractaires du S.T.O. auxquels il procura du travail dans les campagnes65. L’application de ces résolutions se produisait sur les recommandations de Marcel DUFRICHE (LAURENT), interpolitique F.N de mars à décembre 1943, date à laquelle René POIROT, hébergé à Dijon, le suppléa. Acquiesçant aux préconisations susnommées, THUILLIER rassembla un détachement et le dirigea sur le hameau des Chaillots, au sud de Troyes, en septembre 1943. On comptait 32 hommes qui composèrent le premier groupement armé aubois. Attaqués par une section allemande, ils furent contraints de se replier le 10 novembre 1943.

Mais ils n’hésitèrent pas trois jours plus tard à assaillir une patrouille germanique à Chesley, accrochage au cours duquel deux ennemis trouvèrent la mort. Un tel épisode revêt une dimension particulière car il marqua le moment où le mouvement de Résistance, pourvu de cadres et d’un armement même léger, s’engagea dans la guérilla dans les zones qu’ils contrôlaient.66

65 NA 10179 66 Archives BIZZARI

Les déplacements incessants des volontaires mettaient en exergue une intention accrue de parfaire aux règles de mobilité dans le dessein de ne pas adopter les habitudes néfastes des sédentaires. Or le 6 décembre 1943, la capture de Gaston THUILLIER mit fin aux efforts déployés depuis plusieurs mois, renouvelant une fois encore totalement la hiérarchie des F.T.P.

Au commencement de l’année 1944, un axe directeur inédit se mit donc en place. Jules JACQUESON quitta sa situation de Commissaire aux Opérations dans l’interrégion à la fin du mois de janvier. Peu de jours auparavant, le 19 janvier à Boulogne Billancourt, le subdivisionnaire NICOLAS ne pouvait échapper aux rets policiers en se rendant à une réunion du C.M.N. à Sartrouville.

Par suite, Maxime SALOMON (MAX) accéda au poste de Commissaire Technique Interrégional (C.T.I.R.). Le même mois, GRILLOT, commandant interrégional F.T.P., rappela Maurice CETRE pour remplacer JACQUESON et le nomma dans l’Aube et la Marne où les F.T.P venaient d’endurer une sévère répression.

Bien qu’affecté par les pertes de nombreux camarades, un Comité Consultatif Militaire (C.C.M.) se créa en Champagne méridionale avec notamment les présences de Pierre CHAPUT (ROGER) et Marius CATRIN (OLIVE), ajusteur-mécanicien à Troyes67. Cette démarche démontrait explicitement la volonté générale de ne pas abandonner tous les organes départementaux à des personnes venues de l’extérieur.

Un bref bilan permet d’insister successivement sur deux points développés lors de la présente étude. En premier lieu, il paraît évident que les F.T.P. ont connu d’amples problèmes pour étendre leur influence, faute non pas seulement du peu de patriotes locaux acquis à ses idées mais parce que les polices vichystes et allemandes concentrèrent en priorité leur attention sur ses sympathisants.

Ensuite, il semble important de noter que les rapports avec les départements limitrophes évoluèrent notablement : si l’Aube établit des contacts initiaux avec l’Yonne, dans un second moment la Côte-d’Or joua le rôle central et celle-ci utilisa les structures auboises,

67 Archives NIGOND

les alimentant pour partie en hommes et en matériel. D’autres forces, démunies de tout concours extrinsèque, pâtirent de ces déficiences.

B/ LA PERSISTANCE D’ENSEMBLES INSTABLES

Libération-Nord ne possédait pas de réel soutien populaire, ce qui restreignit son rôle à cause essentiellement d’un tissu de militants trop pauvre numériquement pour être exploité pleinement. Seule une demi-douzaine de réfractaires au S.T.O. et de prisonniers évadés d’Allemagne se rassembla en septembre 1943, aux environs des Grandes Chapelles, dans la contrée la plus au nord du département, ne bénéficiant que d’installations pour le moins sommaires.68

Le paradoxe de ce mouvement tint au fait que sa relative impéritie à recruter se compensait par la valeur et la qualité de ses adhérents. La Marne, la Haute-Marne et l’Aube dépendaient de Germain RINCENT. Dans le pôle champenois s’érigea un restreint mais solide écheveau d’auxiliaires avec des noyaux à Troyes, Bar sur Seine, Romilly, Bar sur Aube, Aix en Othe et dans l’agglomération troyenne. Les correspondances avec Paris s’exécutaient dans de bonnes conditions. Fin 1943, environ 300 exemplaires de Libération, imprimés dans cette dernière ville, 60 rue des Vinaigriers, étaient acheminés dans la cité troyenne. Les personnes traquées pouvaient se munir de faux papiers obtenus 10, rue des Pyramides à Paris, dans un magasin possédé par LAIR.69

Au demeurant, l’action se poursuivit en se concentrant sur des secteurs déterminés. Premièrement, la collecte de documents par le Noyautage des Administrations Publiques (N.A.P.) et plus exactement à l’intérieur de l’administration des impôts s’accentua nettement. Jean-François PIQUEMAL, contrôleur principal des contributions indirectes à Troyes, centralisait par devers-lui les contributions fournies par ses collègues et oeuvrait à l’élaboration de pièces d’identité falsifiées.

68 NA 10095 69 72 AJ 101 A/N°9 I

Il obtint la collaboration de Joseph ANGLADE, receveur des contributions indirectes dans le bourg d’Aix en Othe. Dans le milieu enseignant, on ne compta guère que l’engagement de Marcel FEBVRE, instituteur à l’école d’Aix en Othe, approché préalablement par l’Aixois Roger BIDAUT (PAUL), lui-même enseignant, comme Paul BRANDON, instituteur à Troyes.70

Dans la S.N.C.F., Gabriel THIERRY (CHATEAU) recourut aux compétences de René FRANQUIN, chef-aiguilleur à la gare de Troyes-Preize, (possédant le pseudonyme d’Auguste BARBE) et de Roger BEAUDOUIN, employé S.N.C.F. D’autres cheminots offraient occasionnellement leurs services pour délivrer des précisions sur les itinéraires des trains de marchandises.

C’est pourquoi, plus que tout autre mouvement, Libération profita grandement de l’existence d’amitiés entretenues antérieurement à la guerre, dans le cadre du métier pratiqué et sur une base uniquement professionnelle. Maurice MONTENOT, inspecteur commercial dans une société d’alimentation, fit exception grâce à son expérience militaire dans la mesure où Libération-Nord n’accordait nullement sa faveur aux stratégies requises par les bellicistes. Un aperçu plus détaillé met en évidence les conclusions subséquentes : les militants provenaient avant tout non pas des centres urbains dominants mais bien plutôt des petites ou moyennes villes périphériques du département, dans des régions aux limites territoriales hautement définies : le Barsuraubois autour de où la presque totalité des membres travaillait à la cristallerie71 ; la forêt d’Othe autour d’Aix en Othe (avec DANGOUMAU, BIDAUT, JADOT) et des centres isolés à l’exemple de Marigny le Châtel ou (avec Alphonse SOUQUET, délégué cantonal).

La diffusion ne cessa de revêtir un caractère épars, laissant de vastes espaces sans nul contrôle, même partiel. Il est vrai que tout en participant (avec des réserves) à l’effort militaire, un organe à dominante politique comme Libération-Nord, ne savait trouver sa finalité dans la confrontation directe avec l’ennemi. Surtout que les acteurs principaux de la formation durent fuir et en septembre 1943, Paul BRANDON remplaça RINCENT, recherché par la Gestapo72. Quoique subissant de rudes épreuves, Libération Nord

70 72 AJ 101/A II n°3 71 Témoignage d’Abel THIERRY, rencontré le 13 décembre 1996. 72 72 AJ 101/AII 3

poursuivit ses activités résultantes de l’interpénétration existante avec Résistance-Fer, autorisant des échanges réciproques.

C/ L’APPARITION D’ORGANES COMPLEMENTAIRES

Résistance-Fer tenta d’accomplir un objectif dual : donner des indications scrupuleuses sur les trafics ferroviaires ; provoquer les conditions favorables à l’exécution des sabotages (voies, matériels...). Toutes ces dispositions avaient déjà été prises précédemment par des entités isolées et Résistance-Fer se proposait de fusionner le potentiel humain pour garantir des effets optimaux.73

Dans l’Aube, Lucien BOURGEOIS, ancien inspecteur S.N.C.F. promu par avancement à Paris, revint à Troyes pour implanter Résistance-Fer avec THIERRY, de Libération-Nord. Prestement s’agrégèrent André CONIN, BAUDRY, BLOT, PANIER, GUILLAUME. A l’origine, ce comité décida d’effectuer uniquement des actes illicites sur les wagons partant pour l’Allemagne.

Puis Londres se résolut à tirer profit d’un réseau pouvant fournir des synthèses sur la direction et la contenance des convois ennemis, sur leur itinéraire et l’heure d’atteinte des différentes gares. De telles directives devaient à la fois faciliter les interventions aériennes alliées et limiter les pertes de la population civile résidant près des objectifs virtuellement exposés.

Paul DUVAL, agent S.N.C.F. au 2ème arrondissement, s’employa à concrétiser ces ordres. Pour réaliser expressément cette mission, MARCHAND et LEVAULT, contrôleurs au service des lignes téléphoniques aériennes, assistaient DUVAL, se souciant plus particulièrement des écoutes clandestines par branchements directs sur les câbles.

Hughes PORTAILLER, qui possédait un poste-émetteur-récepteur radio, recueillait tous les résultats, sous l’égide de Maurice DALIT. De fait, Résistance-Fer maintenait des complicités dans la presque totalité des gares champenoises (comme Charles DEVAUX à

73 NA 10131

Bar sur Seine ou Louis MAILLOT à Romilly) et même dans quelques-unes des départements limitrophes.74

Mais à l’été 1943, le dispositif fut étêté. Gabriel THIERRY, chef régional de Résistance- Fer, se réfugia à Paris où il continua à diriger à un niveau plus élevé. Au terme de débats internes, Pierre BERNARD (FLUTEAU), inspecteur S.N.C.F. (agent technique de la surveillance générale de la gare de Troyes) lui succéda avec comme auxiliaire Paul DUVAL (LELOUP).

D’où la création en août 1943 du Comité de Résistance S.N.C.F. avec les deux personnalités citées peu avant auxquelles vinrent se greffer quatre Troyens : Marcel AUBIN (PILLOT), contrôleur technique adjoint ; Pierre LEVEAU (DIORA), des services techniques ; René CHAPOUTOT (LAGNEAU) ; Jean FONTAINE (TONNEAU), dessinateur. Une réunion du Comité de Résistance S.N.C.F. se déroula le 6 novembre 1943 pour entériner la naissance d’équipes de sabotage. FLUTEAU commandait, accompagné de LELOUP et de LAGNEAU. PILLOT s’occupait des secours éventuels pour lesquels un docteur fut pressenti75. Dans tous les cas, Résistance-Fer sembla le premier agrégat résistant qui se dota d’un organisme collégial, à vocation délibérative quant à la prise de décisions.

Tous les mouvements analysés présentaient des caractères similaires : issus de la Résistance intérieure, fortement interdépendants, ils résultaient de choix édictés par le centre parisien. Leurs organisations reprenaient largement celles prescrites par les autorités supérieures, modérant les velléités de liberté. Parallèlement à leurs développements s’affirmèrent de nouvelles constructions conçues sur des formes sensiblement différentes puisque influencées directement par Londres.

74 1 J 792

II L’APPORT DE CADRES EXTERNES

A/ LA PERENNISATION DES PARACHUTAGES

1/ La rigueur d’une hiérarchie

En mars 1943, la Résistance extérieure fixa des règles pour l’accomplissement des opérations aériennes. Le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.) devait permettre d’augmenter ostensiblement la sécurité des parachutages en zone nord. En effet, il parut indispensable de répondre aux demandes réitérées concernant l’armement. Début avril 1943, Jean MOULIN mandata AYRAL (PAL) pour soutenir l’ordonnance de ce mouvement, reproduisant le Service des Opérations Aériennes et Maritimes (S.O.A.M.) en zone sud.

Le B.O.A. reposait sur une assise régionale. La zone d’occupation nord se divisait en 4 blocs, chacun reprenant un certain nombre de régions de l’Armée Secrète (A.S.) nationale. Paris faisait office de siège central. AYRAL coordonnait les 4 blocs opérationnels tout en

75 NA 10093

portant personnellement intérêt au bloc Centre, région P du B.O.A., avec la coopération de PERGAUD.76

Seuls des officiers parachutés assumaient les tâches d’encadrement, ayant reçu en Angleterre un entraînement approprié, à l’instar des opérateurs-radio. Elaboré en avril 1943, le nouveau découpage des secteurs n’entra pas en application avant mai. Dès lors, Michel PICHARD (BEL) prit la tête du bloc Est où il conservait des amitiés avec l’O.C.M.. Ce vaste ensemble déployé géographiquement s’étendait sur :

-la Marne, l’Aube, la Haute-Marne. -la Meuse, la Meurthe et Moselle, les Vosges. -le Doubs, la Haute-Saône, le Jura. -la Côte-d’Or, l’Yonne. -la Nièvre, l’Allier, la Saône et Loire.77

PICHARD s’appuya sur C.D.L.L. dans les régions de Nogent sur Seine, Troyes et Bar sur Aube. Durant cette période, chaque chef s’entremettait personnellement avec les groupements qui possédaient des éléments dans son bloc. Aussi précocement, le B.O.A. et C.D.L.L. s’interpénétrèrent, les équipes homologuées et mises en place provenant pour une part non négligeable de C.D.L.L. Une telle concordance se heurta néanmoins à des impondérables.

Par conséquent, des évolutions profondes eurent lieu en mai 1943. Paul SCHMIDT (KIM), PICHARD et AYRAL procédèrent à des modifications dans les choix des terrains dans la Nièvre, l’Aube et l’Yonne. Comme à l’époque les secrétariats du B.O.A. n’étaient guère étoffés, un certain temps de latence apparut avant d’aboutir à des conclusions singulièrement probantes.

A l’usage, quelques rectifications territoriales intervinrent. PICHARD prit en charge, en plus des régions C et D, la quasi-totalité de la subdivision P 3 (Yonne, Nièvre et Aube, excepté le secteur de Nogent sur Seine)78. Le bloc Centre se trouvait réuni avec la région parisienne et PERGAUD, secondant le chef national KIM, joignit dans l’Aube

76 1 J 788 77 AN 72 AJ 38 78 Annexe n°3

WAUTERS, commandant toutes les équipes de parachutage de C.D.L.L., pour qu’il accepte de se placer sous sa tutelle.

La segmentation de l’espace autorisa une répartition pyramidale des attributions : le département étant scindé en secteurs, incluant chacun un ou plusieurs terrains, la hiérarchie comprenait au sommet un responsable départemental, puis à l’échelle inférieure des chefs de secteur et de terrains. Théoriquement, 20 hommes au maximum composaient une équipe par terrain79. De surcroît, à chaque niveau, les résistants s’ignoraient entre eux pour parfaire les exigences de sûreté et profiter pleinement des avantages relatifs aux cloisonnements. Selon les instructions, les armes gagnaient des caches. Les inventaires étaient acheminés à Londres (avec le courrier mensuel) et aux représentants nationaux des organisations auxquelles appartenaient les équipes. Le B.O.A. restait strictement indépendant des autres groupes de Résistance, auxquels il tentait de distribuer équitablement les quantités parachutées de matériel. La particularité auboise du B.O.A. tint dans l’établissement de liens intenses avec les F.T.P. car Edouard BAUDIOT possédait des amitiés avec deux de ses représentants : Charles COUCHE et Léon BOUCHARD.80

En juillet 1943, KIM, en partance pour l’Angleterre, commença à remettre les consignes à son successeur PICHARD. Ce dernier occupa la fonction de coordinateur national des B.O.A. Il s’intéressait particulièrement à l’Est (soit 15 départements), transmettant aux autres chefs les ordres de Londres, répartissant les budgets alloués au B.O.A., communiquant régulièrement avec la délégation générale parisienne.

A la lune d’août 1943 arriva l’officier d’opérations Jacques GUERIN (AMPERE) destiné à la région P. PICHARD, adoptant le pseudonyme de GAUSS, gardait les deux régions de l’Est (C et D), rendant P 3 (Yonne et Aube) à AMPERE pendant que René COLLIN (JEROME) veillait sur les parachutages dans le secteur Marne-Ardennes. Dans ces conditions, le B.O.A. s’efforça de promouvoir les échanges intermouvements.

2/ Assumer un rôle d’interface

79 SC 4273 80 109 J 108

A l’été 1943, des démantèlements successifs provoquèrent la destruction d’équipes entières et placèrent le départemental B.O.A., le docteur MAHEE, hors d’état d’exercer sa position. Raymond MAYER assuma par la suite la prééminence. Dans le Barséquanais, un directeur d’usine de Mussy sur Seine, Gérard BERNET, suppléa Henri GAUTHIER, dorénavant recherché, en juillet-août 1943. Il renouvela sa confiance aux agents B.O.A précédemment disponibles.

A savoir : VASCHALDE à Merrey sur Arce, POINTIS et Lucien MAITRE à Celles sur Ource, DARLEY à la ferme de Beauregard, MOUCHOTTE à , Madame CARSIGNOL à , GUICHARD à Chaource, DEMUSSY et THIEL à Gyé. Dans un second temps, il rallia à son service 18 personnes de Mussy sur Seine (dont Paul TERRILLON, Albert DROUIN, Gabriel MASSON, Henri VUILLAUME, Pierre PIERRON, Albert MARGERIE).81

Par ailleurs, BERNET rencontrait JEROME à Troyes et dans d’autres localités du département plusieurs fois par semaine pour que celui-ci lui donne des instructions. En octobre, après l’interpellation de MAYER et son remplacement par le docteur BELL, il est certain que l’ascendant de JEROME, émanation du centre parisien, prévalut plus nettement encore : tous les chefs de secteurs convergeaient vers lui.

De même, lorsque BAUDIOT voulut remettre des terrains de parachutage aux F.T.P. quand certains de ses camarades s’y refusaient opiniâtrement, JEROME se déplaça dans l’Aube pour régler ces discordes internes. L’entrevue se produisit avec une personnalité mandatée par les F.T.P., ce qui permit de leur accorder effectivement les terrains demandés.82

Mais le 12 octobre 1943, dans la Nièvre, AMPERE ne put échapper aux investigations policières consécutives aux dénonciations d’un officier d’opérations qui, trahissant au profit de la Gestapo, livra de nombreux militants du B.O.A. Aussi, en novembre 1943, on attribua la région P (Bassin Parisien / Morvan) à l’O.R.O. (Officier Régional d’Opérations) TOUBA (SEIGNEUR). Aucun parachutage n’aboutit pendant cette phase, d’autant que la répression exercée par les forces du maintien de l’ordre nuit grandement à l’expansion envisagée.

81 109 J 107

Le B.O.A. régional, dès sa première année d’existence, concentra quelques remarques peu amènes, faisant office de corps privilégié de par la suffisance des officiers formés à Londres. Toutefois, l’étendue des dommages humains éprouvés dès les premiers mois signifiait que ce dernier cristallisait l’attention des polices et que l’inobservation des règles de sécurité pénalisa sa croissance. Surtout que détruire les équipes de parachutage équivalait à supprimer les rares approvisionnements en armes d’une Résistance progressant régulièrement. Quoiqu’il en soit, la singularité du B.O.A. aubois résida dans l’alliance entretenue avec les F.T.P., nonobstant les consignes discriminantes du Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.). Ce souci de prendre en compte les réalités organisationnelles champenoises affecta également le S.O.E. pendant qu’il s’évertuait à multiplier ses relais dans la société.

B/ LA PRIMAUTE DU MODELE BRITANNIQUE

1/ Le concours d’agents du S.O.E.

Le 1er semestre 1943 permit aux éléments aubois dépendants du S.O.E. de prétendre à l’obtention de soutiens extérieurs. Le 11 avril 1943, Benjamin COWBURN (GERMAIN présent pour la 3ème fois en France)83 et son radio, Denis John BARRETT (HONORE) furent parachutés sur un terrain près de Blois avant de gagner Paris où COWBURN se fit présenter Pierre MULSANT :

« Je lui expliquais ce que j’attendais de lui et lui demandais s’il pouvait m’aider dans ma tâche la plus urgente : transporter HONORE et ses deux postes dans la zone dont il s’occupait. »84

Ces délibérations revêtirent un caractère important, COWBURN disposant de par son grade élevé de la possibilité de ravitailler ses subordonnés aubois et de compléter leur

82 1 J 786 83 FOOT, Michael R.D. S.O.E. in France :An account of the work of the British Special Operation Executive in France 1940-1944. Londres, Her Majesty’s Stationnary Office, 1966, p.272.

instruction. Quelques jours plus tard, les envoyés anglais se présentèrent dans la préfecture troyenne, trouvèrent des locaux dans la ville et déposèrent les postes-radio dans deux bâtisses.

Pour davantage de sûreté, le choix se porta simultanément sur d’autres maisons à une vingtaine de kilomètres de Troyes, notamment à Dierrey Saint Julien, chez Madame BOURGEOIS, à Lusigny et Saint Benoît sur Seine85. Les émissions se faisaient hebdomadairement et s’intensifièrent :

« A l’occasion d’une conversation avec des membres des professions libérales, je fis la connaissance du docteur MAHEE. C’était un homme admirable, d’une loyauté parfaite et il ne voyait que des avantages à ce que je le fisse profiter d’une partie du matériel que j’étais à même de recevoir. Il m’aida à m’établir, me présenta des résistants locaux. »86

Un petit noyau dans l’obédience du S.O.E. se forma, utilisant le nom de code TINKER, se spécialisant dans le sabotage ferroviaire. Une trentaine d’hommes seulement en faisait partie. On retrouvait Gabriel MANSER, représentant en vin, ancien cheminot révoqué en 1920 ; AVELINE de Sainte-Savine ; Cyrille THOURAULT, commerçant, qui servait d’interprète avec les Britanniques87 ; BALTHAZAR, un mécanicien. Yvonne FONTAINE (WATERLOO) se consacrait aux rapports interdépartementaux.

COWBURN délivra trois missions à ces patriotes : photographier les points stratégiques des lignes de chemin de fer du département ; esquisser le plan de toutes les écluses du canal de Bourgogne depuis Tronchoy jusqu’à Ancy le Franc ; rechercher des habitations susceptibles d’abriter des parachutistes anglais, de recevoir des postes-émetteurs, de stocker des armes, munitions et explosifs.

La principale action de la période s’acheva par la destruction de six locomotives aux rotondes de Troyes dans la nuit du 3 au 4 juillet 1943. A la mi-septembre, les enquêtes menées par la Gestapo prirent un caractère menaçant, ce qui obligea COWBURN à regagner l’Angleterre le 17/18 septembre 1943.

84 COWBURN, Benjamin. Sans cape, ni épée. Gallimard, 1958, p.241. 85 72 AJ 101/A II N°18 86 Benjamin COWBURN, Op. Cit, p.264.

Il laissa TINKER à Pierre MULSANT. Pourtant les Allemands poursuivaient ardemment leurs recherches et MULSANT dut également partir pour la Grande Bretagne dans la nuit du 15 au 16 novembre 1943. Il emmena avec lui le courrier Yvonne FONTAINE et le radio HONORE. TINKER cessa faute de commandement et il parut opportun de le remplacer par un second réseau, DIPLOMAT, qui correspondait mieux à l’effectivité de la situation.88

2/ La séparation des tâches

La délégation auboise du S.O.E. revint à un jeune parisien, Maurice DUPONT (YVAN), qui possédait une expérience certaine des opérations militaires, ayant oeuvré près d’Agen, dans le Lot et Garonne, en 1941. Parachuté avec un autre agent le 20 octobre 1943 sur le terrain de Mesnil-Lettre, on lui donna l’autorisation de maintenir les équipes disponibles autour de Troyes, ville-carrefour et centre stratégique : 5 voies ferrées y aboutissaient et la ligne menant de Paris à Belfort traversait le centre urbain.

Porteur des plans de sabotage à employer uniquement lors du débarquement des Alliés en France, DUPONT inspecta les unités opérationnelles89. Il opta pour une position d’attente pendant l’hiver 1943, selon les modalités décisionnelles émises par Londres, sondant la fiabilité de ses aides et se préparant à rendre DIPLOMAT actif dès que le moment opportun se présenterait. Il se plaçait par là même en opposition avec nombre de mouvements qui prônaient l’affrontement direct avec les Allemands.

Entre temps, YVAN résolut d’améliorer la configuration locale de la Résistance en reprenant à son profit les individus précédemment engagés depuis plusieurs mois. Ainsi s’instituèrent les Commandos M qui prolongeaient les initiatives prises par BUCK ACTION. La lettre M fut désignée par le fondateur des Commandos en souvenir de son pays d’origine, l’île Maurice.

Les Commandos M s’édifièrent sur un principe déterminant : ils comprenaient conjointement un réseau Renseignements et un réseau Action. Ceux-ci agissaient en totale indépendance l’un vis à vis de l’autre tout en se centralisant à l’échelon radio et au niveau

87 Témoignage de Cyrille THOURAULT, rencontré le 15 février 1997. 88 Annexe n°9 89 NA 10092

le plus élevé des Commandos. Dans la partie inférieure se situaient des mains (de 5 personnes), dont un seul responsable connaissait les 4 autres hommes et son supérieur immédiat, le chef de dizaine. Sur ce modèle, Hubert JEANNY, travaillant dans une entreprise de travaux publics, obtint l’accord de 4 camarades dont l’agent de police Serge PETTERENS et ses cousins André GAUDET et Georges JEANNY.90

Au niveau intermédiaire dominait le chef de trentaine, relié directement à l’échelon spécial et connu simplement des chefs de dizaines. Les risques d’indiscrétion demeuraient ténus alors que corollairement l’unité s’exécutait rapidement. La mobilité, gage de sécurité, représentait la condition indispensable pour acquérir une parfaite réussite.

Au total, à partir d’octobre 1943, les Commandos M cherchèrent avant tout à conserver une indépendance de fait, se contentant d’un simple rôle d’observateur. Ils négligèrent quelque peu les autres intervenants de la Résistance régionale. Leur objectif consistait à intercéder en faveur des troupes alliées dans le cadre du prochain débarquement et à soutenir les maquis qui ne manqueraient pas de naître pendant cette phase. D’où l’utilisation de structures plus contraignantes pour les participants, dans le dessein d’accomplir en totalité les buts fixés grâce à des schémas idoines préalablement définis.

En conséquence, seules des mesures limitées dans le temps et dans l’espace pouvaient être menées pour altérer le potentiel de guerre allemand. Face à de telles forces adoptant des dispositions perçues comme trop restrictives par certains des acteurs résistants, on constata ensuite l’essor d’un ensemble qui souhaitait proposer un exemple achevé des formes existantes : l’Armée Secrète.

90 Témoignage de Hubert JEANNY, rencontré le 1er février 1997.

III UN MOUVEMENT ORIGINAL : L’ARMEE SECRETE

A/ L’AFFAIBLISSEMENT DES STRUCTURES PREEXISTENTES

La stratégie adoptée par les mouvements résulta originellement d’un choix que les fondateurs énoncèrent explicitement. Certains privilégièrent la dimension militaire comme Ceux de la Libération. AMPOULE, dépendant de C.D.L.L., incarnait la référence numérique dans le secteur aubois même s’il reste difficile d’en apprécier les effectifs. Les chiffres exposés par CALMETTE91 ne présentaient que des proportions pour le moins incohérentes (170 adhérents pour 10.000 habitants), qui ne pouvaient reproduire la présente réalité. Surtout que les sympathisants n’affluaient guère, ce qui provoqua quelques tiraillements entre les éléments paramilitaires et civils.

Après plusieurs entrevues, l’entente se fit définitivement sur l’unicité du commandement : le procureur VASSARD continua à s’occuper du recrutement de par son statut professionnel privilégié bien qu’il se soumit à HOPPENOT pour toutes les questions générales. VASSARD se vit encore décerner le poste de procureur général de l’Aube en cas de libération prématurée.92

Mais vers avril 1943, MUTTER, surveillé par la Gestapo, demanda à gagner plus souvent l’état-major C.D.L.L. de Paris tandis que WAUTERS se sentait de même épié. Celui-ci transmit à DERRIEN le contrôle de la Marne. DERRIEN réalisa ensuite plusieurs déplacements à Troyes puis son fils le suppléa. Quant à WAUTERS, il désigna le lieutenant méhariste Jean PANAS, un officier d’active, comme son auxiliaire immédiat.

En mai, au cours d’un voyage à Paris, le service de contre-espionnage demanda à WAUTERS de redoubler de prudence et de ne plus rentrer à son domicile. Le 3 mai 1943, il apprit la capture du colonel SCHIMPF, son supérieur, possédant malencontreusement un carnet contenant des noms et des adresses. WAUTERS ne cessa cependant de gérer à distance la région de la Champagne, par le truchement de deux officiers de renseignements

91 Arthur CALMETTE, Op. Cit., p.100.

qu’il recevait ponctuellement à Paris : Maurice DALIT et Pierre MICHEL, des Saint Cyriens appartenant à son 2ème Bureau.93

Le 6 mai 1943, les Allemands pénétrèrent en vain dans le logement du chef régional. Finalement, devant la montée des périls, WAUTERS reçut l’ordre de quitter le territoire français. Maître ROBERT (GIRARD) qu’il présenta lui-même à ses amis le remplaça et WAUTERS acheva sa mission régionale le 30 juin 1943.

Le 7 juillet 1943, il prenait le train pour Rion des Landes, point de ralliement de nombreux clandestins, puis gagnait l’Espagne le 11 juillet. Arrêté à Zuggaramondi par les carabiniers espagnols, enfermé à la prison d’Irun, il connut l’internement au camp de Miranda del Obro à partir du 15 juillet avant de parvenir à solliciter l’aide de l’attaché militaire britannique. Sorti du camp le 15 août, il se rendit à l’ambassade anglaise à Madrid. Quatre jours plus tard, muni d’un passeport et d’une nouvelle identité, il se dirigea sur Gibraltar d’où un avion lui fit rejoindre Londres et les locaux du B.C.R.A. le 28 août suivant.94

Evidemment, une phase de désorganisation s’ensuivit et les résistants les plus compromis s’isolèrent pour éviter que la police allemande ne les découvre. Paul LANCE (Jean DUFLOT), qui devait recruter des hommes en zone urbaine, relata dans quelles conditions il affronta les difficultés ambiantes :

« Ayant perdu toute possibilité de m’entretenir avec WAUTERS, le docteur MAHEE, SENEE, tous en fuite ou arrêtés, je me trouvais seul pendant plusieurs mois, comme nombre de compagnons. »95

La Gestapo voulut en outre se saisir de MUTTER le 11 novembre 1943 mais il réussit à s’échapper, se cacha à Paris et assista Roger COQUOIN présidant aux destinées nationales de C.D.L.L. Celui-ci lui attribua le soin de veiller attentivement sur les infrastructures de la subdivision P 4, en les modelant si nécessaire.

92 SC 4273 93 ARCELIN, Gérard. Chronique des années noires dans l’arrondissement de Bar sur Aube 1939-1945. Némont, 1989, p.207. 94 NA 10563 95 72 AJ 101/A 4 N°6

Assurément, ces incertitudes autorisèrent l’apparition de l’Armée Secrète auboise (l’A.S.), au moment même où C.D.L.L., alors la force la plus influente, connaissait une crise due aux départs de ses cadres les plus éminents (juillet 1943). L’évolution constatée semblait vérifier le paradigme selon lequel tout groupement déstructuré se recomposait ultérieurement sous une autre dénomination, autour de corps préexistants.

B/ DES CONDITIONS PROPICES D’INSTALLATION

1/ La reprise de compétences antérieures

Les prodromes de l’A.S. se manifestèrent dans un organisme singulier, le Centre de Libération des Prisonniers de Guerre de Troyes (C.L.P.G.). Elles restèrent indissolubles de l’environnement propre à l’Armée d’Armistice démobilisée. L’impulsion provint en premier lieu du commandant Emile ALAGIRAUDE, à la tête du C.L.P.G. Il eut préalablement l’occasion d’offrir ses compétences à des prisonniers rapatriés et à des évadés, à qui il donna les pièces indispensables au franchissement de la ligne de démarcation.96

Ces agissements et l’attitude anti-allemande d’ALAGIRAUDE incitèrent HOPPENOT à faire appel à lui en juillet 1943 afin qu’il se consacre exclusivement au ressort militaire. HOPPENOT conservait les domaines civils et financiers, correspondant avec les organes de tutelle. De fait, il énonçait à ALAGIRAUDE (ROLAND) les instructions parisiennes tout en rendant compte du travail afférent accompli. Les recrues appartenaient pour la plupart au Centre de Libération où s’établit un état-major avec l’adjudant-chef UNTERWALD, le capitaine Alexandre BOUGUIER, le sergent HENRY, les adjudants HARAND et RENARD. D’autres sympathisants les augmentèrent : le capitaine POIRIER, le lieutenant Jean HAVERSIN, LANEZ de Brienne le Château97. Certains intégrèrent l’A.S. quoique appartenant déjà à d’autres organisations, essentiellement le B.O.A. A l’instar de Gérard BERNET de Mussy sur Seine collaborant avec Louis DEGE, le docteur BELL de Saint

96 1 J 793 97 109 J 101

Julien les Villas et le notaire GAUTHIER des Riceys. A l’exemple de CLAVEL qui se distingua par une multitude d’opérations dans le Barsuraubois et en Haute-Marne.

Toutes les sensibilités sociales se trouvaient associées : comme BARDET de Ville sous la Ferté, l’inspecteur de police Hubert DANESINI et le commissaire BOUGARD de Troyes, Jacques JEANNY et Jean SOLIVELLAS, Maurice ROUSSINEAU de Bar sur Seine, etc...Une analyse succincte permet de remarquer que la majorité de ces militants détenait une pratique des formes clandestines, s’étant aguerris au sein de solidarités résistantes.

Le 1er juillet 1943, ce rassemblement prit le nom d’Armée Secrète pour mettre en évidence son caractère à dominante militaire et exclure de ses activités toute préoccupation à connotation politique. Crée localement, il se dissociait complètement de l’Armée Secrète du général DELESTRAINT, née en mars 1943 (agglomérant l’O.C.M., Libération-Nord...). Dans cette intention, l’A.S. auboise se voulait un simple prolongement du réseau C.D.L.L.- Action.98

Mais à cause de la complexité des connexions et de leur expansion continue, il fallut mettre directement en relation ROLAND avec les rares émissaires parisiens connus. A partir de cet instant, HOPPENOT cessa de se rendre au C.L.P.G. où se situait pour des motifs de commodité le siège paramilitaire.

Dès octobre 1943, une note fut élaborée au sujet de la composition interne de l’A.S. : elle acceptait tous les combattants de la Résistance qui gardaient leur autonomie politique et administrative. Un officier qualifié en principe et en fonction représenterait chaque mouvement à l’Etat-Major (E.M.) de l’A.S. Cet officier coopérant avec l’E.M. devait servir d’intermédiaire et recueillir les comptes-rendus demandés par l’E.M. de l’A.S. Pour concrétiser ces souhaits, la division du département en sous-secteurs intervint avec l’existence d’unités territoriales. En théorie, chaque sous-secteur relevait d’un officier secondé par un adjoint. Ils se chargeaient du recrutement pour le jour J, encadrant les volontaires et pourvoyant à leur instruction. On leur assignait la surveillance des villages, faisant la police sur la zone dévolue, tout en obéissant scrupuleusement à l’A.S. Un projet

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si ambitieux suivait amplement les injonctions du plan de mobilisation français de 1939- 1940.

ALAGIRAUDE se résolut à segmenter l’espace départemental en 7 sous-secteurs convergeant vers Troyes, ayant chacun pour axe les routes nationales y aboutissant99. Un 8ème sous-secteur prit forme à l’intérieur même de l’agglomération troyenne qui se dota d’un statut spécifique relatif à son importance stratégique. La préfecture auboise figurait le centre initial d’où partaient les différents axes quadrillant la région circonscrite : secteur 1 Arcis sur Aube-Mailly le Camp secteur 2 Piney-Brienne le Château secteur 3 Lusigny-Vendeuvre sur Barse-Bar sur Aube secteur 4 Bar sur Seine-Mussy sur Seine secteur 5 Bouilly-Auxon-Ervy le Châtel secteur 6 -Villeneuve l’Archevêque secteur 7 Méry-Romilly-Nogent sur Seine secteur 8 Troyes et son agglomération

Corrélativement, les dirigeants tentèrent d’étendre la quête de renseignements dans les bourgs. L’adjudant-chef FERAT de Mailly et le capitaine BEUGE du camp de Brienne acquirent des armes. Un maquis d’attente pour réfractaires au S.T.O. s’implanta dans le domaine de Beaumont, à l’est du département100. Quand l’effectif était au complet (15 personnes au maximum), il se dirigeait sur la Haute-Marne où MARTIN, de Chaumont, leur donnait une fausse identité avant de les faire travailler dans les coupes de bois101. A partir de ce moment, un organigramme commença à poindre, permettant de délimiter les attributions de chacun.

Les commandants de sous-secteurs prescrivaient à leurs subordonnés de limiter les échanges horizontaux. Aucune liste de noms ne pouvait être écrite, ou lorsque cela se révélait indispensable, les patriotes ne se désignaient que par des pseudonymes. D’autre part, l’évolution numérique sensible s’expliquait par le fait que désormais C.D.L.L. se

99 NA 10097 100 1 J 795 101 Témoignage de Hubert DANESINI, rencontré le 10 février 1997

fondit, pour ce qui concerne l’action directe, dans l’A.S. qui tentait de maîtriser les aires spatiales disponibles.

2/ Une exploitation de l’espace géographique

A l’automne 1943, l’A.S. envisageait un plan à visée départementale. Il sollicitait l’incorporation des jeunes capables de porter des armes dans des formations d’actions directes, prêtes à agir de jour comme de nuit : équipes de sabotage et de parachutage, corps francs procédant à l’élimination des délateurs et des agents français passés au service de l’ennemi.102

L’exploitation territoriale émanait des prescriptions suivantes. Tout village reposait sous l’autorité d’un ou plusieurs groupes, selon la population dudit centre urbain. Les personnes mobilisables provenaient des habitants d’âge mûr connaissant déjà les affres de la lutte résistante, appuyés par des éléments féminins. Des maires agrées avaient l’obligation de suivre les objurgations subséquentes.

Pendant la période de préparation, ils soutiendraient les réfractaires au S.T.O., rechercheraient des données de tout ordre, les feraient parvenir aux commandants de sous- secteurs qui les achemineraient sur l’E.M. De plus, ils situeraient les vivres exploitables pour le ravitaillement, surveilleraient et signaleraient les personnes compromises avec l’occupant103. Il s’agirait également de recruter tous les hommes valides ayant subi une instruction militaire et de s’attacher le soutien indéfectible de la population masculine à partir de 18 ans. Ces unités de combat disposeraient de l’encadrement suivant : 1-Le groupe avec le chef, un agent de liaison, 6 hommes. Soit 8 hommes au total. 2-La section avec un chef, un adjoint, 2 agents de liaison, 4 groupes. Soit 36 hommes. 3-La compagnie avec un chef, un adjoint, 3 agents de liaison, 4 sections. Soit 149 hommes.

La limite du nombre de compagnies était conditionnée par les disponibilités des individus pourvus en armes dans chaque sous-secteur. Il convenait pareillement de s’attacher à l’institution de l’ossature de ces détachements :

102 109 J 101

« Le choix des agents de liaison porterait sur des individus pratiquant la bicyclette et la motocyclette à l’échelon compagnie. Provisoirement et jusqu’à la réalisation complète des formations précitées qui devrait s’effectuer le plus rapidement possible, un groupe pourrait ne comporter que 3 ou 4 hommes, une section que 2 à 3 groupes et la compagnie que de 2 à 3 sections. »104

En sus de ces facteurs, l’A.S. prévoyait une fragmentation des formes paramilitaires entre : -celles qui oeuvraient immédiatement, dite d’action immédiate. -celles qui n’agiraient qu’au moment de la libération, après le déclenchement des opérations du jour J.

Les premières, les équipes spécialisées, s’entraînaient et devaient intervenir à tous les instants pour procéder aux destructions et aux répressions éventuelles. Les secondes reconnaissaient les objectifs, se préparant exclusivement pour le rétablissement d’un nouveau régime politique acquis au général DE GAULLE mais ne prenaient aucunement part à la confrontation armée.

Au début et au cours de l’action, les forces territoriales s’empareraient des leviers de commande (mairie, poste, gare et tous bâtiments publics), rendaient plus aisé les ralliements de la police et de la gendarmerie, neutraliseraient les individus pouvant nuire à la réussite de l’entreprise, collecteraient des produits alimentaires pour subvenir à l’approvisionnement des personnes mobilisées, etc...105

Cette construction théorique, somme toute classique, s’inspirait de nouveau en grande partie des orientations militaires qui prévalurent pendant la mobilisation de la France lors de la campagne de 1939-1940. ALAGIRAUDE s’évertuait à imaginer une zone franche de troupes allemandes avec la coopération d’habitants unanimes à accepter les risques inhérents à leur engagement.

Bien qu’une adhésion partielle s’exprima, on semblait surestimer assez largement l’aptitude à fédérer la Résistance et négliger plus encore le fait qu’une majorité de citoyens

103 13 P 71 104 NA 10628

adoptait une attitude sinon prudente du moins attentiste. D’autant que les structures présentées demeuraient tout de même celles, assez rigides pour une bataille clandestine, d’une armée régulière, à laquelle l’A.S. s’efforçait de ressembler. Ceci impliqua une certaine inadéquation et inadaptation, comme le révéla un des participants :

« Ce plan magnifique ne sera que très imparfaitement appliqué car la Gestapo et les mauvais français veillaient, aidés par quelques inconscients qui, par leurs bavardages intempestifs, les mirent sur la piste. »106

Il est certain que la Résistance possédait des considérations erronées sur le potentiel de réaction de l’ennemi et sur ses facultés de riposte. HOPPENOT, ALAGIRAUDE et leurs camarades, pour la plupart officiers de réserve, ne désiraient pas déroger à certaines règles. Ils se jugeaient avant tout comme les gardiens de valeurs morales qu’ils se refusaient à transgresser.

La police allemande ne se formalisait pas de tels cas de conscience et utilisait tous les moyens de coercition pour parvenir à ses fins. C’est pourquoi l’A.S. modifia sensiblement les dispositions prises pour élargir le champ social de sa hiérarchie, le support strictement militaire ayant montré sa relative inaptitude. C/ DES APPUIS DIVERSIFIES

1/ L’obtention de relais dans la société

Dans le dessein de compléter un organigramme insuffisamment développé, l’inspecteur de police Hubert DANESINI faisait office de secrétaire de ROLAND et détenait un double des archives. Il s’occupait aussi du renseignement avec les inspecteurs Abel COSSON et STROUBLE. Tous bénéficiaient de l’aide des commissaires PARVENCHERES et BOUGARD qui donnèrent toutes facilités pour le travail à l’E.M. Ces membres de l’institution policière confectionnèrent des cartes d’identité, permettant à l’A.S. de détenir des pièces officielles. Fin 1943, le commissaire TISSOT les rejoignit avec l’apport de son propre personnel : le secrétaire NOEL, les inspecteurs DULOT et AUGROS.

105 BRUGE, Roger. 1944, le temps des massacres. Les crimes de la Gestapo et de la 51è brigade SS. Paris : Albin Michel, 1994, p.23. 106 110 J 109

GRATTARD, employé à l’administration des Pailles et Fourrages, avec qui collaborait Jean ALAGIRAUDE, fils de ROLAND, s’inclut avec le commandant CHENEVET pour pénétrer à l’intérieur de l’état-major germanique. De même dans la police en tenue, le brigadier Robert SAUVAGE (ROBERT) usa des compétences de : CHAUMONNOT, François EPPERS de Troyes, Daniel HYVERT gardien de la paix à Sainte Savine, NALLOT, Léopold GUENS, CHEVALLET, Pierre DUCREUX107. SOLIVELLAS intervint auprès de certains de ses collègues de la mairie troyenne comme LILLE et surtout PINEY, chef de bureau.

Au demeurant, en octobre 1943, GAUTHIER contacta HERZOG, fonctionnaire dans les instances préfectorales, dans le but d’acquérir des autorisations de circulation pour des voitures automobiles. On le sollicita 5 à 6 fois et les premiers entretiens eurent lieu à l’annexe de la préfecture, rue du Cloître Saint Etienne à Troyes. DANESINI devisa avec VITTMAN, directeur du bureau du travail, qui donna des papiers pour les réfractaires et remit d’autres actes administratifs au profit de l’A.S. BASTIEN, habilité à délivrer des documents officiels, n’hésitait pas à remettre des bons d’essence, essentiellement pour les équipes franches qui utilisaient des véhicules. D’autre part, la Résistance pouvait compter sur Fernand PETEL, chef de service à la préfecture, surveillant l’entretien des habitations départementales. De par sa fonction privilégiée, il pouvait accéder aux archives relatant la situation hebdomadaire des Allemands et leur situation exacte dans l’Aube. Tous les mouvements de troupe, leur répartition dans les villages, l’indication des unités, le moral des soldats parvenaient à PETEL qui transmettait ces indications.108

Paul LANCE (Jean DUFLOT), jusqu’alors isolé, s’entretint dans le même temps avec le commandant ALAGIRAUDE. Ce dernier lui enjoignit de procéder au recrutement d’hommes parfaitement sûrs, de dénombrer les collaborateurs, d’enquêter sur les arrestations de patriotes par la Gestapo. LANCE réunit 132 fiches nominatives et parfaitement détaillées sur l’activité d’agents français à la solde de l’ennemi109. L’efficacité du labeur de l’A.S. n’échappait pas à la sagacité des Vichyssois qui ne pouvaient que faire état de constations peu satisfaisantes :

107 Archives DANESINI 108 72 AJ 101/A II N°17 109 72 AJ A 4 N° 6

« Des complicités se manifestent dans tous les milieux puisque les résistants connaissent tous les déplacements des forces du maintien de l’ordre et des fonctionnaires. Les messages sont captés, les télégrammes dévoilés, le plus petit renseignement aussitôt communiqué. »110

Il paraît manifeste que l’A.S. connut une progression continue à la fin de l’année 1943. En décembre, elle comprendrait 1500 hommes (300 armés), dont plus de 1000 à Troyes, Romilly sur Seine et Nogent sur Seine, issus presque exclusivement de C.D.L.L. A l’exemple du capitaine Paul BOURGEOIS qui reçut en novembre 1943, par l’intermédiaire du capitaine BOUGUIER, des instructions d’ALAGIRAUDE pour : -préparer à partir de janvier 1944 la mobilisation générale de la région de Romilly sur Seine, Nogent sur Seine et Villenauxe. -identifier les sections pouvant se trouver dans la région. -s’unir avec les résistants des ateliers S.N.C.F. de Romilly sur Seine.111 La délivrance de ces ordres s’inscrivaient dans une démarche plus complète tendant à redonner de la vigueur aux éléments dotés de capacités militaires.

2/ Favoriser les formes paramilitaires

Un groupe d’Action Immédiate (A.I.) naquit sous l’égide de Jean SOLIVELLAS qui coordonnait les efforts de : Emile DELATRONCHETTE de Saint Benoit sur Vanne ; Jean HAVERSIN, Jacques JEANNY et COLIN de Troyes ; André PAUTRAS de Sainte Savine. Tout en se déclarant résolument hostile à des manoeuvres prématurées d’envergure qui risqueraient d’occasionner des pertes massives, l’A.S. croyait à des possibilités de sabotages perpétrés par des corps francs spécialisés, conformément à une note sur l’A.I. de décembre 1943.

Il importait de soumettre les volontés des intervenants à un plan général cherchant à contrarier au maximum l’Allemagne en paralysant les déplacements de la production destinée au Reich, en désorganisant les communications ferroviaires et fluviales, en

110 Annexe n°5 111 NA 10099

attaquant et en s’emparant de dépôts d’armement et de matériel, en châtiant de manière exemplaire les traîtres et les partisans de la collaboration.112

L’acte fondateur s’effectua de concert avec la mission ARMADA II, composée de Raymond BASSET (MARY) et d’André JARROT (GOUJON). Mis au point par le B.C.R.A. de la France Combattante et le S.O.E. britannique, un plan dénommé bleu consistait à amoindrir le potentiel productif des usines françaises impliquées dans l’effort de guerre hitlérien.

A cet effet, on projetait d’endommager gravement les lignes de transport d’énergie électrique à très haute tension. Parachuté dans la nuit du 8 au 9 novembre 1943 sur un terrain de Saône et Loire, ARMADA II avait entre autre comme but la destruction des pylônes des centrales d’Eguzon, de Roye et de Creney acheminant l’énergie jusque dans la région parisienne.113 Le 15 novembre 1943, MARY se rendit à Troyes puis à Paris. Les 29 et 30 novembre, par train et par camion, le matériel caché à Reims arriva sans difficulté. Parvenu dans la préfecture auboise le 1er décembre, MARY pénétra grâce à des papiers falsifiés dans le poste de Creney, situé dans les environs immédiats de la cité troyenne. Il repéra les emplacements des pièces antiaériennes, les points où se tenaient les sentinelles et évalua les chances d’une attaque. En sortant, il demanda à SOLIVELLAS d’agir le soir même. Mais le complice intérieur se récusa au dernier instant et le tout échoua.

En désespoir de cause, une équipe se détermina à rendre inutilisable les pylônes extérieurs et non plus les installations mêmes de la centrale électrique. BASSET, SOLIVELLAS, COLIN se présentèrent avec HAVERSIN qui conduisait la camionnette. Dans la nuit du 1er au 2 décembre, ils appliquèrent les charges explosives sur le pylône 22, énorme portique supportant toutes les lignes, et sur 9 pylônes secondaires.

L’ouvrage se termina à l’aube avec un parfait succès puisque les déflagrations se produisirent entre 5H30 et 6H30. ARMADA quitta immédiatement la région en laissant le soin aux Aubois de réitérer de semblables dégâts sitôt les réparations achevées. Ainsi, les

112 La Résistance et les Français : lutte armée et maquis. Actes du colloque international de Besançon 15-17 juin 1995, Besançon, 1996, p.108. 113 NA 10629

détériorations provoquèrent l’arrêt, deux jours par semaine, des industries parisiennes utilisant l’énergie électrique.114

Le 16 décembre suivant, par l’entremise du policier SAUVAGE, le groupe d’Action Immédiate confirma ses possibilités de nuisance. Effectivement, il apprit incidemment l’arrivée à la gare de Troyes de deux gestapistes français qui venaient de se manifester dernièrement dans le département de la Marne. Ils furent neutralisés promptement par l’A.I. locale.

Quelques jours après, le 18 décembre, SOLIVELLAS et JEANNY décidèrent de faire sauter des camions des Groupes Mobiles de Réserve (G.M.R.) devant attaquer un maquis. Ils déposèrent les explosifs sous deux véhicules à gazogène immobilisés dans la cour de la mairie troyenne. Une admirable réussite conclue la tentative. Ce sabotage eut un retentissement d’autant plus grand que l’intendant régional de police se présenta peu de temps après. En dépit de ces résultats honorables, des carences apparurent, dus à l’inobservation attentive des règles de sûreté.

3/ Les méfaits d’un cloisonnement incertain

A l’intérieur de l’A.S., Joseph BONNEAU se souciait de gérer la trésorerie du mouvement en tâchant de se faire attribuer de l’argent grâce à des amitiés qu’il entretenait depuis plusieurs mois. Il revenait de Paris avec des fonds assez conséquents, offrant 10.000 francs mensuels à ROLAND, somme singulièrement incomplète pour satisfaire les nombreuses charges qui grevaient l’A.S.

Acheter de l’essence, subvenir aux besoins des réfractaires au S.T.O. (placés dans des entreprises forestières exploitées par BONNEAU dans la forêt de Lusigny, par HAVERSIN dans les bois du Bailly et BARDET dans la forêt de Clairvaux) impliquaient des dépenses substantielles. Le groupe d’Action Immédiate avait quelques nécessités. Quant à HOPPENOT, il collectait des subsides complémentaires auprès d’industriels et d’organismes professionnels.115

114 Témoignage de Nicolas SOLIVELLAS, rencontré le 17 janvier 1997 115 109 J 101

L’effervescence observée inquiéta les Allemands qui, supplées par des traîtres, procédèrent à des interpellations. Par suite, le Poste de Commandement (P.C.) départemental changea souvent de localisation pendant que l’état-major entrait dans la clandestinité la plus totale à la fin du mois de décembre. ALAGIRAUDE lui-même quitta son domicile le 23 décembre 1943 quand il apprit que la Gestapo s’enquit d’un commandant des troupes coloniales. Dès lors, il se cacha dans l’un de ses P.C. au hameau des Cornées-Alexandre, près d’Aix en Othe, où la famille VIGNEZ le ravitaillait.

De retour à Troyes le 2 janvier 1944, il attendit les consignes d’HOPPENOT alors que plusieurs de ses camarades ne pouvaient se soustraire aux investigations menées par les envahisseurs. ALAGIRAUDE alerta ses plus proches compagnons et s’isola de nouveau. Dans un premier temps, il gagna Courmononcle, un écart de Saint Benoit sur Vanne, où les DARTHENAY l’approvisionnaient, puis il se réfugia près de Paris. Le bilan s’avéra détestable. En à peine un mois, des 8 chefs de sous-secteurs, 4 cessèrent tout commandement (LANEZ ; CLAVEL ; HAVERSIN ; BOUGUIER) et 4 autres prirent la fuite (ESPINASSE, POIRIER, BERNET et CASTEX)116. En janvier 1944, un petit état- major se maintint cependant à Troyes, englobant les membres les moins compromis, pour régler les affaires courantes. SAUVAGE le présida quelques semaines avant de suivre ultérieurement ROLAND dans l’agglomération parisienne :

« Le commandant ALAGIRAUDE resta seul. Fin janvier 1944, il ne restait presque plus rien de l’organisation initiale. Il fallait retrouver des chefs et recommencer presque à zéro car certains des officiers travaillaient secrètement et leurs hommes nous étaient inconnus. Et pendant la même période, un certain nombre de dépôts d’armes parachutées fut découvert par les occupants, ce qui désorganisa encore la Résistance. Aucune liste n’avait pu être établie et les successeurs étaient obligés de recommencer tout le travail. »117

En janvier, une réunion se tint à Chauffour les Bailly, sous la présidence de Jean HOPPENOT. ALAGIRAUDE, Henri HURTAULT, agriculteur à Chauffour et Jean SOLIVELLAS l’accompagnaient. Le thème dominant de la conversation porta sur l’avenir de l’A.S. et sur le redéploiement à effectuer.

116 1 J 793 117 109 J 107

Pour y parvenir, GUENIN, chef départemental du B.O.A., présenta à ALAGIRAUDE Pierre OUY (HURET) qui désirait être son nouvel auxiliaire en assumant certaines des tâches dévolues à ROLAND. Or l’équilibre précaire se rompit rapidement, au moment où HOPPENOT fut lui-même appréhendé le 4 février 1944. Il semblait que s’exposait la vacuité de la présente réalisation qui éprouvait des difficultés considérables à pallier l’irrésolution de ses instances supérieures.118

De fait, l’Armée Secrète constitua un paradoxe de par sa place dans l’Aube. Certes elle ne possédait, malgré une homonymie avec la puissante formation nationale, aucune relation avec cette dernière. Nonobstant son isolement vis à vis du centre parisien, l’A.S. démontra sa capacité à assumer le rôle de principal ensemble résistant de la Champagne méridionale à la fin de l’année 1943, exploitant amplement l’inanité conjoncturelle des autres groupements. En tout cas, l’été 1943 autorisa une croissance exemplaire du mouvement susnommé. Il semble acquis que l’A.S. jouit de ces circonstances éminemment favorables, avec la persistance de structures préexistantes, ce qui lui permit d’étendre durablement son emprise.

En reprenant à son profit ces forces, elle forma une entité complexe, tant civile que militaire et on peut se demander si l’A.S. ne recouvrit pas simplement une réalité antérieure : l’imposante partie de C.D.L.L. Ceci permettrait de comprendre plus aisément comment l’A.S. a réussi à supplanter ses rivales pourtant créés bien plus tôt et à affermir peu à peu sa domination.

En cela, l’Aube se singularisa, car quoique influencé par la pesanteur manifeste des facteurs externes, l’A.S. composa le seul organe élaboré dans l’environnement local, sans l’appui de membres extrinsèques, semblant répondre le mieux aux aspirations de la population. Le premier semestre 1943 marqua en tout cas une étape déterminante dans l’évolution des formes résistantes avec une grande extension, tant par le recrutement opéré que par les actions entreprises.

On assista concomitamment à une dilatation géographique de la Résistance, soit par l’envoi de « sergents-recruteurs »119 (préconisé et appliqué par le S.O.E.), soit par l’absorption de volontaires préalablement instruits. Tout ceci rend intelligible

118 NA 10141

l’implantation des réseaux et la diversité des milieux désormais concernés parmi lesquels Londres et Alger, Américains et Britanniques, trouvaient les correspondants qui leur convenaient120. A ce niveau, la multi-appartenance était fréquente et la séparation entre les activités civiles et militaires se distinguait par son caractère incertain.

Plus globalement, la période suivante, de novembre 1943 au début de l’année 1944, témoignait de l’existence d’une césure dans les comportements, étant donné que tous les mouvements (sauf les plus indépendants du contexte départemental) furent gravement affectés par des démantèlements successifs. Il semble que ces problèmes mettaient avant tout en exergue une inadaptation des aménagements jusqu’alors mis en place.

Les tactiques employées marquaient leurs limites et l’absence de séparations rigoureuses pénalisa les agrégats les plus frêles. Par conséquent, on parvint à une « organisation centrale très aboutie mais au prix d’une répression féroce »121 La poursuite d’erreurs commises lors des années clandestines initiales et l’incapacité à repenser les pratiques quotidiennes provoquèrent ces dysfonctionnements.

De même, ce furent les rassemblements les plus anciennement formés qui souffrirent le plus de cette incapacité à se conformer aux réalités les plus récentes. Les derniers installés, à l’exemple des Commandos M, ne rencontrèrent pas ces obstacles, leur isolement relatif les protégeant sans conteste des difficultés externes.

Néanmoins, cette phase chronologique tourmentée permit une répartition et une spécialisation des missions afférentes. En dépit de dichotomies réelles entre les groupes, des similitudes existaient quant aux manières de concevoir l’agencement de la pyramide hiérarchique, seules des notifications secondaires permettant de discerner de menues distinctions : les uns restaient attachés à des dispositifs traditionnels avec 4 bureaux principaux (l’A.S.) pendant que d’autres défendaient âprement une division tripartite des fonctions organisationnelles (Commandos M).

Assurément, malgré des avancées significatives, les différences persistèrent entre les forces qui dépendaient directement de Londres (B.O.A., S.O.E.) et celles soumises aux

119 WIEVORKA, Olivier. Les Cahiers de l’I.H.T.P. , n°29, septembre 1994, p.47. 120 WIEVORKA, Olivier, Op. Cit., p.48. 121 WIEVORKA, Olivier, Op. Cit., p 25.

contrôles exercés par les organismes intérieurs nationaux (F.T.P.). Elles s’accentuèrent même davantage, ce qui pénalisa les tentatives ambitionnant de faciliter une synergie. Il est vrai que les structures résistantes différaient entre d’un côté des ensembles pourvus d’une grande autonomie et d’un autre côté de simples antennes de la région parisienne.

I L’AFFIRMATION DES GROUPEMENTS RESISTANTS

Après des tâtonnements, les différents mouvements envisagèrent en priorité la constitution de groupes de combat autonomes pour procéder à la destruction des moyens de production utilisés par les troupes allemandes plus que le développement de camps retranchés imposants. En conséquence, la volonté d’instaurer des maquis naquit tardivement, ceci à cause d’une conjonction de facteurs concomitants.

D’abord, le manque persistant de cadres qui ne formaient qu’un noyau pour le moins restreint numériquement s’imposa comme un sérieux handicap. En second lieu, l’absence précoce de contexture entre les organes de la Résistance ne permit guère d’envisager un regroupement opportun des divers rassemblements disséminés dans l’aire géographique auboise. Enfin, on ne peut mésestimer la faible mobilisation des énergies pour disposer d’éléments nouveaux. Autant de données explicitant que les postulats stricts de hiérarchisation entre les unités se concrétisèrent pour le moins tardivement, seulement au printemps 1944.

A/ LA RECONSTITUTION DE L’ARMEE SECRETE

1/ Permettre une réorganisation

Pendant les semaines qui suivirent l’incarcération d’HOPPENOT, chef départemental militaire de l’Armée Secrète en février 1944, celle-ci interrompit toute action. En particulier parce que les mesures policières en vigueur contre l’A.S. faillirent détruire dans le même temps le Comité Résistance-Fer à cause de l’interpénétration existant entre les deux forces. Les sabotages se trouvèrent stérilisés puisque la direction nationale de Résistance-Fer à Paris subit parallèlement des pertes sévères qui la contraignirent à restreindre ses initiatives.122 Toutefois, ALAGIRAUDE reprit le commandement sous le pseudonyme de MONTCALM. Il s’agissait de reconstruire presque totalement une cohésion militaire et, en

122 1 J 792

application des directives d’Alger de février 1944, d’adhérer à un nouvel organisme clandestin, les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.), qui réuniraient l’A.S., les F.T.P., le B.O.A. et les Commandos M.

L’un des antagonismes de la période résida dans le fait qu’affaiblis dans l’environnement départemental, les mouvements se virent dans l’obligation soit d’adopter une attitude plus velléitaire (B.O.A. ; Résistance Fer ; A.S.), soit de poursuivre plus avant une phase de remise en cause de leurs conceptions tactiques et stratégiques (F.T.P., Commandos M). Ils obtinrent alors le concours d’appuis à l’échelon interrégional.

Le 9 février 1944, MUTTER prit la direction nationale de C.D.L.L. En mars 1944, Jean SOLIVELLAS, ancien membre influent de l’A.S., devint interrégional-maquis pour les régions P2 (Eure et Loir, Loiret) et P3 (Aube, Yonne, Nièvre). Il collabora avec des camarades connus précédemment tel André PAUTRAS qui se manifesta comme un des agents les plus énergiques tandis que Robert SAUVAGE secondait SOLIVELLAS. COLIN transportait argent et messages entre les zones géographiques bourguignonnes et champenoises.123

La solidarité du commandement restait encore incomplète. YVAN, des Commandos M, n’éprouvait pas d’hostilité particulière à une unification de tous les résistants mais il entendait continuer à recevoir instructions, armes et munitions de ses supérieurs hiérarchiques du S.O.E. de Londres. Concernant THIERRY et RINCENT, ils estimaient que Résistance-Fer et Libération-Nord avaient avantage à se placer sous l’égide des F.F.I car le B.O.A. avait préalablement donné son accord.124

Seuls les F.T.P. attendaient des consignes émanants de leurs dirigeants nationaux et l’évolution demeurait lente de leur part. A l’évidence, chacun souhaitait bénéficier des bienfaits de l’entente à venir tout en conservant une certaine indépendance quant à son mode de fonctionnement interne. Caché près de la cité troyenne, ALAGIRAUDE s’occupa avec zèle de faire disparaître les stigmates relatives aux bouleversements précédents, recevant de nouveau ses agents de liaisons et diverses personnalités afin d’agencer les efforts déployés par tous. A l’exemple de OUY, nommé départemental-maquis, et de son adjoint Louis MARRET (MARTIN),

123 NA 10629

gendarme à , qui participaient aux tournées d’inspection. ALAGIRAUDE confirma cette situation :

« OUY était bien le chef départemental-maquis de l’Aube ; il était sous mes ordres. Je le considérais comme mon bras droit depuis mars 1944. A cette époque, j’étais traqué par la Gestapo et je m’en remis à ce dernier pour l’organisation des maquis. »125

Puis au début d’avril 1944, le commandant établit son Poste de Commandement (P.C.) à Sainte-Savine. Il y multiplia les rencontres pour s’accommoder d’un encadrement prêt à se réunir sous ses ordres : le capitaine POIRIER se vit désigné comme chef militaire suppléant alors que DURLOT se chargeait des renseignements.126

Le P.C. départemental connut une expansion certaine de ses services. Ceux-ci se divisaient en 4 bureaux à la tête desquels se trouvaient des hommes subordonnés à MONTCALM. Les P.C. de sous-secteurs fonctionnaient sur le modèle en vigueur dans les état-majors de bataillon, avec l’implantation d’un groupe franc pour chaque sous-secteur.

La transformation marquante du printemps 1944 consista dans le déploiement de membres sédentaires de l’A.S. dans des villages de l’est aubois déjà largement acquis à la Résistance : Rouilly Saint Loup, , -Lenclos, Virey sous Bar, Lusigny, Saint-Mesmin, Rilly Sainte Syre, Creney, -La Bretonnière et Ville sous la Ferté (sous l’autorité de l’adjudant-chef GHERARDI).127

Pourvus d’une initiation aux maniements des armes, ils restaient disponibles pour agir dès que possible contre les Allemands et pouvaient combattre rapidement, les autres patriotes du jour J, n’étant ni armés, ni en mesure d’être utilisés avant le déclenchement des opérations de libération du territoire.

Pour préparer les objectifs à atteindre et affermir plus encore le précaire ordonnancement, une note adressée le 20 avril 1944 aux responsables de sous-secteurs insista sur deux points :

124 13 P 46 125 110 J 17 126 109 J 99 127 1 J 795

« 1/ Il est rappelé à tous les chefs de groupe de Résistance qu’ils ont le devoir de rendre compte d’urgence à l’état-major de tout acte accompli contre l’ennemi, les traîtres et les collaborateurs connus et dépistés, pour pouvoir coordonner l’action de répression et en tenir un contrôle à jour qui est adressé par l’état-major au Tribunal Militaire de l’A.S. sous forme de compte-rendu, aux fins d’homologation. 2/ A ce sujet, il est rappelé également que dès qu’un élément d’un groupe de Résistance trahit, il est obligatoirement jugé par le Tribunal Militaire avant tout acte de répression.»128

Au reçu des indications concernant le plan à appliquer pour masser ses hommes, MONTCALM prépara un dispositif de départ pour le sud du département. Après une délibération du Comité Départemental de Libération (C.D.L.), le docteur MERAT s’entremit auprès de plusieurs de ses confrères qui, sous sa tutelle, soigneraient les blessés éventuels. De plus, RINCENT demanda que l’A.S. supporte le transport des victimes potentielles. Les questions portant sur la partie militaire ne purent être satisfaites et les participants confièrent à RINCENT le soin de solliciter des précisions au commandant de l’A.S.129

Aussi le 8 mai 1944 furent publiés conjointement une étude sur la mise en oeuvre des moyens de transport pour les F.F.I. et un ordre préparatoire à destination des troupes F.F.I. Conformément à ces directives, le commandant MONTCALM se rendit dans le sud-est de la région, à Bar sur Seine, où il fixa son P.C. Dans l’attente du débarquement, il installa des postes de renseignements avancés dans le nord de l’Aube et dans les 4 centres urbains de Brienne le Château, Bar sur Aube, Vendeuvre sur Barse et Troyes. Ces antennes rattachées au 2ème Bureau observaient les déplacements de l’occupant (trafics routiers et ferroviaires). Les volontaires se dispersèrent dans les fermes les plus proches des emplacements reconnus pour les maquis, sur les lignes et les points prévus. La formation diluée facilitait le cantonnement. Pour autoriser le ravitaillement des troupes, on ordonna de prescrire d’urgence l’augmentation des dépôts de vivres dans toutes les exploitations agricoles. Le paiement des denrées intervenait soit immédiatement si la situation le permettait, soit ultérieurement, contre présentation aux organismes payeurs des bons de réquisitions réguliers donnés par les représentants qualifiés.

128 109 J 101 129 SC 39175

Or le 30 mai 1944, un câble du B.C.R.A. annonça la suspension de toutes les tentatives de parachutage en Champagne méridionale consécutivement à la capture du départemental B.O.A., GUENIN. Une telle décision nuit très sensiblement à l’A.S. qui cherchait des armes et à maîtriser des moyens numéraires suffisants pour subsister.130

2/ Assurer le financement

Comprendre les conditions dans lesquelles l’Armée Secrète disposa d’argent rend possible l’étude de l’adéquation entre les disponibilités pécuniaires et les conséquences induites sur les structures de l’A.S. Assurément, il convient de savoir si l’importance quantitative des capacités financières eut une influence sur la rapidité avec laquelle crut le groupement clandestin. De fait, fort rapidement, des besoins impérieux et immédiats s’exprimèrent nettement.

Originellement, MONTCALM pria quelques industriels d’offrir leur contribution et début février 1944, le syndicat de la Maille versa 500.000 francs. Un peu plus tard, un autre syndicat abandonna 551.000 francs au profit de l’A.S. D’autres dons parvinrent, comme 90.000 francs remis par le maire d’Essoyes, auxquels s’agrégèrent des sommes minimes saisies sur des délateurs et des collaborateurs notoires. A cette première période où les fonds manquaient notablement se substitua un second moment où le départemental- maquis OUY (DEGLANE), répartissant l’argent, servit d’intermédiaire avec les délégués du service national-maquis. Le 1er avril 1944, à Ossey les Trois Maisons, l’interrégional-maquis SOLIVELLAS distribua 150.000 francs à DEGLANE131. Fin avril, à Paris, pour le budget de mai à venir, SOLIVELLAS lui attribua encore 300.000 francs pendant qu’il se trouvait de passage dans la capitale. Mais ces paiements se révélèrent insuffisants et la position de l’A.S. se dégrada insensiblement en raison même des hommes à entretenir.

Il avait été entendu qu’un million serait mis à la disposition du chef-maquis pour subvenir aux besoins considérés comme les plus urgents. Pourtant, à partir d’avril, MONTCALM reçut un budget de seulement 150.000 francs par mois. A deux reprises, des auxiliaires sûrs déposèrent l’argent chez un cultivateur de Saint Julien les Villas. L’agent de liaison PAUTRAS ramena également 200.000 francs à Troyes pour DEGLANE. En

130 Archives SOLIVELLAS

mai, à Ossey les Trois Maisons, SOLIVELLAS délivra 150.000 francs à DEGLANE qui était accompagné de Pierre CHUCHU, André PAUTRAS, Robert SAUVAGE et Emile DELATRONCHETTE.132

Puis DEFOE perçut de nouveaux fonds à Lormes dans la Nièvre. Il fit passer 300.000 francs à DEGLANE par PAUTRAS. Après la survenue d’incidents, la direction parisienne prit la décision que dorénavant tout l’argent reviendrait directement à MONTCALM. DEFOE transmit donc un million à l’officier de liaison PAYEUX en présence de MONTCALM et peu de jours plus tard, ce dernier obtint un second million jugé utile par le Délégué Militaire Régional (D.M.R.) RONDENAY (JARRY) pour l’aider à sortir de la situation pénible dans laquelle il se trouvait.

Au total, SAUVAGE affirma avoir assisté personnellement à la remise à DEGLANE par JARRY : -de 100.000 francs au titre du plan vert (sabotage). -de trois fois 150.000 francs pour frais de coordination F.F.I. affectés à ALAGIRAUDE.133

Grâce à ces fonds, MONTCALM put enfin pourvoir en partie à l’approvisionnement de ses équipes et à leur équipement. Il composa de même un système de secours pour les familles des personnes arrêtées ou déportées. Madame BELL collectait ces subsides au nom du C.O.S.O.R.(Comité des Oeuvres Sociales de la Résistance). Néanmoins, l’A.S. souffrit sans cesse de la médiocrité des sommes réparties par ses supérieurs hiérarchiques. Aussi, dès que les problèmes financiers furent partiellement résolus, l’A.S. reprit plus vigoureusement les liens avec des ensembles complémentaires, dans le dessein de procéder à des échanges pour favoriser une entente commune.

3/ Etendre les rapports organiques

En prévision du débarquement, Résistance-Fer choisit de concevoir un comité incluant quelques salariés supplémentaires appartenant à la S.N.C.F. Il restait proche du comité directeur de la S.N.C.F. et de l’A.S. départementale, ayant pour objet l’étude d’un projet

131 110 J 17 132 Annexe n°14 133 Archives DANESINI

qui, avant sa réalisation, serait soumis aux représentants tutélaires pour approbation et accord. On répartit les fonctions des titulaires de l’organisme avec :

-un responsable pour l’arrondissement auprès du comité S.N.C.F. et de l’A.S. L’arrondissement comprenait l’intégralité du département de l’Aube et les secteurs de Chaumont (Bologne Bricon) et de Chatillon en Haute-Marne. -un responsable local pour les gares et les dépôts de Troyes et de Troyes-Preize. Il assurait l’exécution du plan dans la zone circonscrite entre Saint Julien les Villas et Troyes-Preize. -un responsable pour les villes de Romilly, Flambain, Brienne et . -un adjoint au chef local de Troyes pouvait être utilisé le cas échéant sur l’espace échu à Saint Julien les Villas. -un agent S.N.CF. fournissait des conseils techniques.134

Pour l’action préliminaire, il paraissait indispensable de faire connaître à l’A.S., en temps utile, tout déplacement appréciable des troupes germaniques, en corollaire avec l’acheminement du carburant, du ravitaillement en nourriture et en munitions. Ces observations convergeaient dans les plus brefs délais au S.R. de la S.N.C.F. qui les communiquait immédiatement à l’A.S. en lui indiquant les points intéressants pour intervenir efficacement et les moyens à employer. Pour l’action générale, dans toutes les contrées où s’exprimaient les lacunes humaines de la S.N.C.F., le chef de secteur qui contactait au préalable l’A.S. locale disposait de toute latitude pour demander à celle-ci aide et assistance. L’A.S. pouvait doubler les chefs d’équipes S.N.C.F. pour les destructions ferroviaires.

La résolution du chef d’équipe S.N.C.F. primait seulement pour les questions techniques. Au sujet de l’obtention d’armes et de munitions, l’A.S. donnait le matériel en faveur des résistants habitants à l’extérieur de Troyes. En cas de défection pour une cause quelconque, les fournitures provenaient de la S.N.C.F.135

Dans la perspective d’exploiter pleinement ces unités opérationnelles, le personnel de la S.N.C.F. adhéra en nombre à Résistance-Fer. A Troyes, René BECKER, Julien VUILLEMIN, André DELORMES, tous trois sous-agents technique joignirent MONTEMONT, contrôleur technique, pour faciliter l’achèvement de leur entreprise.

134 NA 10131

Des relais existaient dans toutes les principales gares avec : Emilien HUSSON, brigadier- chef à Brienne le Château ; Maurice GIRAULT, facteur mixte dans le bourg de Jessains ; MAILLOT, sous-chef de gare à Romilly ; René HENRIOT, chef de gare à Lusigny ; MAITROT à Jeugny136. Possédant dès lors une assise solide et des soutiens dans la société, l’A.S. put se concerter pour concrétiser la tenue d’un imposant rassemblement de maquisards, répondant à une modification notable des principes jusqu’alors défendus.

B/ LA CONCENTRATION DES ELEMENTS

1/ Répondre à des considérations tactiques

Tactiquement, l’annonce du débarquement des armées alliées en Normandie s’accompagna d’un changement du P.C. car au 7 juin 1944, un noyau de 30 hommes occupait le château de Polisy. Le même jour, l’E.M. adressait la note de service N°40/D ci- après aux chefs de groupement des F.T.P. et de Libération-Nord :

« 1. La situation des effectifs armés du département de l’Aube ne permet pas de tenir le front prévu au plan d’action primitif. En conséquence, tous les groupes armés désirant se rallier aux troupes départementales des F.F.I. stationneront dans la région des Riceys, pendant la période de concentration. Un officier de permanence se tiendra au casino de ce village, qui dirigera les détachements au fur et à mesure de leur arrivée sur les cantonnements respectifs. 2. Les groupements constitués et encadrés qui seraient déjà stationnés dans une région où ils estiment être à l’abri d’une surprise de la part de l’ennemi pourront, s’ils le désirent, rentrer dans les F.F.I. du département. A cet effet, ils devront s’adresser de toute urgence au commandant MONTCALM qui leur donnera des instructions. Ils pourront en attendant rester sur place. »137

135 NA 10093 136 1 J 792 137 109 J 101

Les représentants des F.T.P. refusèrent ce plan puisqu’un autre schéma prévoyait un premier regroupement dans le Pays d’Othe avant un second dans le Morvan, avec 10.000 à 15.000 combattants. Ceci se traduisit par le fait que le 8 juin 1944, malgré l’ordre donné, OUY ne rejoignit pas l’A.S. comme convenu. MONTCALM, quoique chef départemental des F.F.I., put mesurer l’ampleur de la défection de son principal assistant qui, réduisant à néant les efforts de plusieurs mois, le laissa pratiquement sans armement.

Au demeurant, les F.T.P. qu’ALAGIRAUDE pensait tout acquis à la cause qu’il défendait rejetèrent la fusion. OUY déclara qu’il ne rallierait pas, arguant de l’existence de la directive émanant de l’état-major F.T.P. qui envisageait un repli potentiel sur l’Yonne138. Ces luttes prirent un caractère d’autant plus désagréable qu’elles opposaient les deux protagonistes dominants l’Aube.

Certes l’A.S. pâtit nettement de ces désagréments bien que le commandement estimât que son dispositif ne devait point connaître d’évolutions concernant l’organisation adoptée. Surtout que la Résistance se satisfaisait désormais «de la protection muette de la plus grande partie des habitants, l’autre partie craignant de s’attirer des ennuis sans nombre. »139 C’est pourquoi l’E.M. proposait la création d’un maquis imprégné par les doctrines militaires.

2/ L’ampleur du maquis

Le 20 juin 1944, les maquisards jusqu’ici dispersés se réfugièrent tous dans les bois de Mussy-Grancey, au sud-est du département140. La volonté de former ce grand ensemble répondait aux souhaits formulés explicitement par l’état-major de l’A.S. de participer de la manière la plus énergique aux combats de la libération. Opposé au morcellement, ce dernier prônait une mobilisation accrue des militants en un seul point pour affronter dans les meilleures conditions les détachements allemands. Pour accéder à de tels desseins, il fallait instaurer un vaste camp semblable à une redoute fortifiée. POIRIER, chef de l’E.M., légitima ces perspectives :

138 SC 4273 139 Annexe n°5 140 Annexe n°4

« Un petit maquis est un bloc perdu dans la nature, qui agit, vit et combat seul, abandonné, sans aucun espoir d’être secouru en cas d’attaque, en raison même de la rapidité de l’action (...). Cette poussière de petits maquis se serait révélée incommandable : les liaisons, les transmissions, les inspections, la coordination des missions auraient présenté d’énormes difficultés. Pour le combattant, le grand maquis bien organisé offrait une sécurité reposante et confiante. La présence d’autres combattants sur les ailes, et de réserves sur les arrières, entretenait chez lui un immense sentiment de solidarité.(...). Au fond, on pouvait considérer le grand maquis comme celui de Mussy-Grancey comme un ensemble de petits maquis aptes à toutes les manoeuvres car il n’excédait pas les limites compatibles avec le plein emploi du commandement. »141

Ainsi le 28 juin 1944, il fut demandé à la subdivision 300 armes antichars avec dotations de munitions, 1300 fusils-mitrailleurs, 3500 mitraillettes, 3000 revolvers et pistolets, 300 mousquetons. D’autre part, MONTCALM récrimina avec véhémence à l’encontre des F.T.P., leur reprochant de ne pas accepter ses propres vues décisionnelles relatives aux conceptions hiérarchiques à appliquer :

« Il n’est pas tenu compte de mes dispositions par le groupe F.T.P. qui me paraît se complaire dans sa déplorable erreur. L’absence de tout chef qualifié dans ce groupement en fait un instrument trouble, et l’exclusive jetée par lui sur tout ce qui représente l’ordre et la discipline ne permet plus de lui faire confiance. Son rêve, c’est le chambardement et la prise du pouvoir ; la Libération du pays reste le dernier de ses soucis. Il serait donc dangereux de persister dans notre erreur première, à savoir : continuer à les armer. Il existe dans le département des milliers de patriotes qui insistent chaque jour pour rejoindre les forces qui sont sous mon commandement. C’est celles-là uniquement qui doivent être armées afin d’éviter le pire. » (note N°70/D)142

Il est certain que MONTCALM répugnait à comprendre l’ordonnance caractérisant les F.T.P., désirant construire un modèle résistant reproduisant en tout point l’agencement de l’armée régulière. Effectivement, il conservait l’ambition d’accorder une suprématie totale aux seuls militaires qui se détermineraient toujours en dernière instance.

141 109 J 99

C/ LA FORCE DU COMMANDEMENT

1/ Privilégier les connexités

Pour améliorer les opérations conjointes, POIRIER eut une entrevue à Bar sur Seine avec deux représentants de Résistance-Fer, AUBIN et BERNARD, vers le 30 juin 1944. Les discussions portèrent sur l’efficience des sabotages. Les participants se résolurent à ce qu’une équipe F.F.I. double chaque équipe S.N.C.F. ; la première assumerait l’exécution tandis que la seconde de caractère technique maintiendrait une correspondance entre l’ordre et l’exécution tout en participant à celle-ci. Pour les actes d’envergure, une section mobile du maquis de l’A.S. se rendrait sur les lieux désignés, prévenue grâce à la célérité du chef de gare de Bar sur Seine143. De surcroît, le 14 juin 1944, des soldats d’un régiment du Génie, stationnant à Arcis sur Aube, se rendirent à Mussy. L’A.S. profita des connaissances de ces volontaires en les cachant chez des cheminots pour pratiquer des ruptures de voies ferrées.

POIRIER plaça 2 sous-officiers sur la ligne Sens-Troyes chez un facteur de la S.N.C.F. près de Bouilly. Deux autres s’occupèrent de la voie menant à Brienne le Château, en parallèle avec les Commandos M. Une équipe du Génie procédait à des destructions de Troyes à Châlons sur Marne. Pour la ligne de Paris à Belfort, des hommes sortant du maquis oeuvraient. 100 kilos d’explosifs, le tout transporté par camionnette, étaient octroyés à chacun.

De cette façon subsistaient concurremment des équipes sédentaires sur les différentes lignes et des équipes volantes engagées à partir de Mussy, destinées à gêner les transports de l’occupant. Le chef des cheminots s’immisçait dans les débats lors de la désignation des objectifs à annihiler144. Cependant, l’imperfection des liaisons explique que le comité d’action de la S.N.C.F. réclama de nouveau des précisions sur la nature de sa mission par une missive du 17 juillet 1944 :

142 Archives DANESINI 143 109 J 100 144 Annexe n°12

« Le comité départemental S.N.C.F. est à la disposition du commandant des F.F.I. : il propose de l’informer dans les plus brefs délais des mouvements importants qui seraient susceptibles d’être paralysés immédiatement par la destruction des voies de communication. Dans la mesure du possible, il fera tout en son pouvoir pour mettre à exécution les directives qui lui seront ordonnées. Une mise au point serait nécessaire pour une action rapide.

Le comité d’action S.N.C.F. demande des indications pour l’action à exercer dans les cas suivants : 1. Action des F.F.I. sur la ville de Troyes ou dans le département. 2. Arrivée des troupes alliées sans action préalable des F.F.I. 3. Rôle du comité S.N.C.F. à la reprise du trafic ferroviaire. 4. Rôle du comité S.N.C.F. dans la réorganisation immédiate des chemins de fer. Toute directive sera exécutée dans le sens où elle sera ordonnée. »145

Pour répondre aux sollicitations témoignant de carences dans son agencement intérieur et pour obvier à ses déficiences, l’A.S. s’évertua à quadriller l’Aube de manière plus significative en faisant appel à des hommes affectés à des tâches de surveillance.

2/ Préparer un encadrement à caractère territorial

Une notule émise le 20 juillet 1944 (N°133/D) concernait le rôle de la gendarmerie qui faisait l’objet d’une vigilance toute particulière, marquant l’apport certain des diverses brigades aux côtés de la Résistance mais plus encore l’excellence des rapports entretenus entre l’A.S. et les corps paramilitaires. Deux points émergeaient.

D’abord, « seuls les titulaires du brevet de chef de sections volontaires seront dirigés d’urgence sur le groupement et nommés sous-lieutenants chefs de section. Les brigades resteront sur place à l’exception des éléments précédemment cités, afin d’assurer la police en général, mettre hors d’état de nuire les agents de l’ennemi et informer les chefs de la Résistance. Ils pourront se renforcer de quelques patriotes si besoin est.

145 NA 10093

Enfin, dès que le ravitaillement en armes le permettra, toutes les brigades seront armées par nos soins. Au total, la surveillance du territoire est confiée aux brigades de gendarmerie. Dans chaque siège de brigade sera constitué un noyau de 30 hommes qui devront assurer la police, faire régner l’ordre, garantir la sécurité des déplacements des troupes du maquis et donner tous les renseignements sur l’adversaire. (...). En attendant, s’armer avec ce qui existe sur place. Dans chaque localité, il sera procédé également à la formation d’un petit détachement selon les mêmes principes.

Ces détachements devront pourvoir à leur armement en recherchant les armes disponibles dans les villages (armes de guerre, pistolets, fusils de chasse). Les détenteurs sont invités à les remettre aux chefs désignés dans lesdites localités. Sans attendre d’autres ordres, les chefs de toutes les brigades organiseront et encadreront les divers détachements demandés. L’armement caché sera strictement recherché. Les officiers et sous-officiers touchés par l’appel de la radio et par la note du commandant des F.F.I. pourront entrer dans l’organisation territoriale en attendant leur appel définitif dans les F.F.I. »146

Le commandant MONTCALM reçut aussi l’assistance du C.D.L. qui, dans sa séance du 24 juillet, regretta que les F.T.P. et quelques isolés ne se soient pas, depuis le débarquement, placés sous sa protection. Le C.D.L. approuva la décision du chef F.F.I. de n’approvisionner en armes et en argent que ceux qui reconnaissaient sa prédominance. Libération-Nord, le F.N., C.D.L.L., la C.G.T. paraphèrent le texte.147

Au 24 juillet, l’A.S. se déployait comme suit : 1ere compagnie hors rang, 1er bataillon au complet, 2ème bataillon en cours d’élaboration. Soit au total, 700 hommes. Pour améliorer les communications endogènes, on employa des agents choisis pour leurs compétences. Tel GLEIZE qui parlait couramment l’allemand, secondé par le fils du maire de Bar sur Seine, DEGUILLY, par l’aîné des enfants de TERRILLON à Mussy sur Seine, par le fils de l’avocat de Bar sur Seine FERLET. Pour les relations exclusives avec Troyes (notamment avec le C.D.L.), GRATTARD, GAUTHIER et les inspecteurs AUGROS et DULOT acceptèrent de servir d’intermédiaires.

Dans le même temps, ALAGIRAUDE prit connaissance d’une réflexion du colonel VIAT, parachuté le 22 juillet 1944 en France, et qui à la tête du groupe opérationnel du

146 110 J 101

Morvan, envoya des sous-sections de la mission VERVEINE en Côte-d’Or, dans l’Yonne, en Saône et Loire, en Haute-Marne et dans l’Aube. Le projet envisagé semblait quelque peu démesuré, ces deux derniers départements ne présentant aucune analogie avec le pôle morvandiau148. De fait, aucune concentration de résistants ne se produisit à l’échelle départementale, chaque mouvement alléguant de sa spécificité pour ne pas se soumettre aux contingences susnommées. D’où l’affirmation de modalités organisationnelles fort complexes, reposant sur des bases divergentes.

II LES RISQUES D’UNE RECOMPOSITION

A/ LA VOLONTE D’INDEPENDANCE DES F.T.P.

1/ La mobilité des effectifs

Pour rendre intelligible et accessible l’état du dispositif mis en œuvre par les F.T.P. au printemps 1944, nous avons en notre possession un rapport rédigé par la police française en juillet de la même année149. Les extraits les plus intéressants concernent les observations particulièrement détaillées que les forces répressives possédaient sur la complexité interne des infrastructures résistantes, bien qu’on puisse noter l’insanité de l’assimilation entre communistes et F.T.P. :

« Comme il l’a déjà été indiqué dans mon précédent rapport du 15 juin 1944 dernier, le Parti Communiste semble actuellement complètement désorganisé dans l’Aube, permettant de dévoiler l’organisation clandestine du parti (...) et de disloquer la tête départementale des F.T.P.

Les animateurs et les dirigeants de l’organisation F.T.P. étaient : 1) un surnommé PETIT MARCEL, demeurant à Sainte Savine, sans autre indication, Commissaire de l’Organisation Militaire (C.O.M.).

147 NA 10106 148 13 P 65 149 Annexe n°7

2) un surnommé LOUIS logeant chez le cafetier PAULEN, rue Beauregard à Troyes, Commissaire Technique (C.T.). 3) un nommé GEHIN René, demeurant impasse Beauregard prolongée à Saint Julien les Villas, Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.). 4) un nommé DHEILLY Georges, demeurant 85 rue Beauregard à Troyes, adjoint du précédent. 5) un surnommé GRAND MARCEL demeurant 11, rue des Trois Ormes à Troyes, chef d’un détachement de F.T.P. à Troyes. Il a pu être établi que le Commissaire de l’Organisation Militaire, le Commissaire aux Effectifs Régionaux et le Commissaire Technique, se réunissaient en bureau militaire pour discuter, élaborer les plans d’actions, les faire exécuter et juger de l’exécution par les échelons inférieurs. C’était le Commissaire Technique qui était chargé de fournir en armes, argent et vivres les membres du groupement, le Commissaire aux Effectifs Régionaux n’étant qu’un répartiteur et un comptable. Les membres de cette organisation ont participé à plusieurs vols à main armée et à des assassinats. Ils recrutaient de jeunes réfractaires.

Le résultat des opérations entreprises en mars 1944 a amoindri les communistes du département et depuis lors, aucun tract ni aucune affiche n’a été découvert permettant d’en attribuer l’origine à des membres de l’ancienne organisation. Il est certain que malgré le succès incomplet de l’opération, le mouvement a été enrayé pour une assez longue période.

Sept individus sont en fuite: Eugène LESSUISSE dit GRAND MARCEL, 24 ans, manoeuvre à Sainte Savine ; Marcel POILVE dit PETIT MARCEL, 32 ans, terrassier à Troyes ; Gaston GAGNIERE, employé à la S.N.C.F. ayant demeuré à ; Roger BERGANZ, garde-voies et communications, 41 ans, de Troyes. Charles ROMAJOT, bonnetier à Troyes ; Hélène BOIGEGRAIN, 41 ans, de Troyes ; Georges DHEILLY, 33 ans, bonnetier à Troyes.

Les renseignements concernant les organisations dites de résistance se rapportent à ceux donnés dans le paragraphe précédent. Dans le sud du département, il existait plusieurs groupes, à savoir : groupes Stalingrad, Ferrouil, Truchot, Pellerin, Patrie, Honneur, les Alliés, la Marseillaise, Casanova, Valmy. Ils s’étaient implantés dans la région d’Ervy le Châtel en juillet 1943. Ils furent constitués au début par quelques réfractaires locaux qui avaient pour chef Roger THUILLIER. (...).

Il n’est actuellement pas possible de recueillir les noms des individus présumés comme pouvant appartenir à la Résistance, mon service ne possédant aucun des moyens qui seraient susceptibles de mener à bien ce travail. On peut cependant remarquer qu’un certain nombre d’individus ont quitté brusquement leur travail et leur domicile et n’ont depuis donné aucun signe de vie. Il est à présumer que certains d’entre eux ont rejoint un groupement de Résistance, obéissant à un ordre qui a dû leur être transmis. Cependant, la plupart de ceux-ci se sont sans aucun doute réfugiés à la campagne dans la crainte d’événements susceptibles de leur nuire (arrestation par la Milice ou par les autorités allemandes à la suite du débarquement des armées alliées). »150

Avec la multiplication des interpellations (GEHIN le 1er mars 1944 ; Roger BERGANZ, chef des saboteurs, en avril) et pour combler ces pertes, le commandement établit en mai 1944 un infléchissement stratégique, avec l’arrivée de cadres extérieurs au département. Cette évolution provint du Comité Militaire National comme l’atteste une correspondance d’OUZOULIAS adressée à l’interrégional GRILLOT le 27 mars 1944 :

« Renforcez l’Aube en envoyant des compagnies de manière à étendre notre action. Le moment est venu de truffer les bois avec nos maquis bien armés. »151

Suite à ces instructions, un maquis s’implanta en mai 1944 dans la Marne, à la ferme de Varsovie, avec nombre d’Aubois. Il prit naissance sous l’empire de Hubert JEANSON et de Marcel LESSUISSE, C.O.R. François IMPERIAL constitua une compagnie à 3 sections dite compagnie France, s’intégrant au sein des F.T.P. « Cette unité devait se regrouper en vue d’un départ imminent pour rejoindre un front intérieur prévu près de Paris.152 » Le chef demanda alors à la direction des F.T.P. de lui envoyer un ou deux spécialistes de la guérilla possédant de bonnes connaissances militaires. Quelques jours après se présentèrent GERARD et CLAUDE (KATYN).

Par ailleurs, OUZOULIAS s’entretint avec Albert LAFOND, ancien participant des Brigades Internationales et du Comité Central des Jeunesses Communistes. Il l’envoya auprès de GRILLOT (GERMAIN), interrégional F.T.P.F. pour la Champagne et la

150 110 J 14 151 72 AJ 56 152 Témoignage de François IMPERIAL, rencontré le 22 juin 1997.

Bourgogne. LAFOND (RIVOIRE) gagna l’Aube pour présider aux destinées du maquis de Rigny la Nonneuse153. Il est indubitable que l’encadrement se révéla insuffisant et l’un des membres F.T.P. reconnut que « dans nos maquis, les formations ne reposaient pas sur la base des armées traditionnelles. Les effectifs variaient énormément, les structures également d’un endroit à un autre. Les grades aussi d’ailleurs. »154

L’étude du secteur nord-est aubois permet de mettre en exergue l’échelonnement des F.T.P. BOUHENRY, de Saint Martin de Bossenay, reçut GABY, un officier radio, pour préparer un poste d’émission dans la région. Par la suite, il conserva avec lui des connexités pour autoriser la transmission de ses messages. Dans cette intention, il coopéra avec BOURGEAT à la Fosse Cordouan, BENOIST à Saint Loup de Buffigny, FLON à Ferreux, VILLIOU à Rigny la Nonneuse, SOUPOST à Avon la Pèze. Quant à SCHMITT ou HEURTEVIN, ils se rendaient à Romilly pour maintenir le lien avec leurs supérieurs.155

Il existait des ensembles identiques à Marcilly le Hayer par l’entremise d’ORY et de PAILLET. La zone contrôlée s’étendait aux villages de Pâlis, Dierrey Saint Pierre, , , , Fays les Marcilly. Les entrevues journalières se déroulaient à 7H15 au domicile de BOUHENRY. Une entité demeurait aussi à Marigny le Châtel avec LAPLACE et Louis VAST. Ils se chargeaient de l’espace compris entre Saint Flavy, Echemines et Saint Lupien. Roger BAUDOUIN, du S.R., les aidait pour acheminer les comptes-rendus écrits.156

En conséquence, les F.T.P. se « déplacèrent fréquemment, exploitant des circonstances territoriales indépendantes les unes des autres, d’un canton à l’autre (de même d’un département à l’autre).157 » En somme, les dirigeants disséminèrent les maquis soit dans des contrées excentrées, aux confins des limites territoriales auboises (Arcis sur Aube, Rigny la Nonneuse), soit même sur des aires géographiques hors de la Champagne (maquis de Suy dans l’Yonne, de Varsovie dans la Marne).158

En outre, pour préserver leur autonomie, les F.T.P. réussirent à mettre en place une équipe devant prendre part aux parachutages dans le Barséquanais. S’appuyant sur des

153 Annexe n°4 154 Roger BRUGE. Op. Cit., p.145. 155 NA 10099 156 Archives NIGOND 157 Annexe n°5

sédentaires dispersés dans les bourgs ruraux et sur de petits noyaux de réfractaires au S.T.O., celle-ci prit l’appellation de réseau F.T.P. G. Le ravitaillement émanait de Louis EULLAFFROY, boulanger à Sainte-Savine tandis que le régional Jacques FELLA (PAOLI) et l’interrégional Pierre HUISARD (MARTIN) commandaient. Toutefois, le démantèlement intervint rapidement. PAOLI appréhendé, HUISARD seul parvint à échapper aux recherches.159

Pourtant, dans le dessein de financer la lutte clandestine, les F.T.P. obtinrent des fonds expédiés d’Angleterre. Durant la nuit du 9 au 10 mai 1944, un imposant parachutage eut lieu sur le terrain ARCHE, près de Méry sur Seine, sous l’égide de Guy JEANSON, chef du secteur nord des F.T.P.

Près de 36.000.000 de francs destinés essentiellement au Centre parisien furent décomptés. Immédiatement, on avertit GERMAIN qui répartit l’argent. Alors que FINOT à Romilly en dissimulait une partie, le reliquat gagna la ville de Saint Quentin, chez TESTART. La soeur de GERMAIN vint chercher la somme le plus importante et repartit par le train pour Paris, accompagné de Guy JEANSON porteur de trois valises.160

Ces actions témoignaient bien du fait que l’Aube apparaissait en premier lieu comme une base arrière des F.T.P. parisiens. D’autant que sensibles à ces influences exogènes, les militants locaux surent adopter des instances suprêmes délibératives, non soumises à la volonté d’une seule personne.

2/ La primauté des charges collégiales

A la faveur de l’été 1944, une vaste réorganisation affecta l’organigramme aubois qui semblait s’atrophier consécutivement aux condamnations exercées à son encontre. D’une part, Jean VANTALON (MARCEAU) faisait office de C.E.R. avec le soutien de Jean MAZUIR (LENOIR) pour le renseignement. KILLIAN, récemment libéré, les complétait. Son travail consistait à repérer les Alsaciens engagés dans l’armée allemande et à les inciter à déserter avant de les remettre à un interrégional d’origine alsacienne. Au niveau le

158 Annexe n°4 159 Témoignage de Louis EULLAFFROY, rencontré le 2 décembre 1996. 160 110 J 117

plus élevé, André SEGUIN veillait scrupuleusement à maintenir une bonne coordination entre les divers acteurs impliqués.

D’autre part, le C.M.N. utilisa les compétences de René CONTASSOT, ancien responsable technique régional (C.T.R.) dans la Marne, nommé dans les mêmes fonctions en Champagne méridionale. Puis en juillet, on désigna CETRE comme interrégional aux opérations (C.O.I.R.) à la place de François GRILLOT161. Pierre OUY (DEGLANE) conservait son poste de départemental F.T.P. avec l’aide de CHARPENTIER (NEUNEUILLE).

Gaston GAGNIERE favorisait l’ordonnance avec les F.F.I. comme C.O.R., Roland NIGOND le secondant. Ils se réunissaient rarement tous simultanément, les quelques débats se déroulant le plus souvent au café PAULEN lors de la tenue du Comité Militaire. Des auxiliaires féminines servaient de messagers, ayant appris par cœur des textes qu’elles s’estimaient capables de transmettre avec exactitude.162

Par le truchement d’un écrit rédigé par VANTALON, il est loisible d’avoir un aperçu de la situation des F.T.P. pendant la période du 1er au 15 juillet 1944. Ce document possède un caractère exceptionnel car il s’agit de la seule archive contemporaine des événements décrits. Il relate expressément les diverses pérégrinations du C.E.R. :

« Je suis parti en tournée à Bar sur Aube où un groupe est formé à Fontaine, composé de 6 hommes et d’un chef de groupe ; à Bar sur Seine où j’ai pu reprendre contact avec un chef de groupe qui me donnera le nombre d’hommes et la composition du groupe. Dans le secteur de Bouilly- et Troyes, un Commissaire aux Effectifs Régionaux Adjoint (C.E.R.A.) est au travail. Pour Arcis (groupe DANTON), on compte 19 hommes et un chef de détachement. Je dois aller prendre contact avec un groupe à Bouy-Luxembourg. »163

Simultanément, le compte-rendu évoque nettement la persistance de tensions avec MONTCALM : « ALAGIRAUDE ordonne aux maquisards de rejoindre le sud du département à tous les hommes. Aussi j’ai dit aux camarades de rester là où ils se trouvent et que nous étions seuls habilités à leurs donner des ordres. ». Le C.E.R. dressa en

161 Témoignage de Roland NIGOND, rencontré le 3 mars 1997. 162 Annexe n°5 163 Archives BIZZARI

complément un bilan du Bureau Militaire du 7 juillet 1944. La transformation des maquis en équipes de 10 hommes s’achevait dans des conditions favorables. Le C.O.R. GASTON s’occupait de la région de Chaource, le C.O.R. PIERRE de Bar sur Aube et Bar sur Seine. Les unités du maintien de l’ordre ne relâchaient guère leur étreinte puisque « ce que nous avions prévu pour le 14 juillet a été éventé et que la police a manifesté sa présence dans tous les parages. »164

Au surplus, il est possible de se doter de données substantielles portant sur les F.T.P. en analysant le texte du Comité Militaire du 26 juillet 1944. Les participants préservent pour la plupart leur anonymat, à l’exception notable de VANTALON et GAGNIERE dont les présences sont avérées. L’I.P.A.P. et le T ne peuvent être dénommés et leurs attributions respectives échappent à toute tentative de désignation. En tout cas, le matriculage se distinguait par sa lenteur résultant de l’éclatement des hommes et de la difficulté à les surveiller tous.

Nonobstant cet éparpillement, 4 compagnies rassemblèrent les combattants : 1ère compagnie LES GLIERES avec le lieutenant NENESSE (Ernest WOERTH) ; 2ème compagnie GEOFFROY avec le lieutenant RENE ; 3ème compagnie LIBERTE avec le lieutenant DULOU ; 4ème compagnie FRANCE avec le lieutenant JOSEPH (IMPERIAL). 3 sous-lieutenants les accompagnaient dans leurs déplacements : un sous-lieutenant au matériel, le second au renseignement, le dernier à l’état-major.

Or le Bureau Militaire, organe départemental agglomérant les secteurs, fit preuve de circonspection sur l’opportunité de créer des détachements spécifiquement urbains. En effet, on privilégiait les maquis, donc la déconcentration de la lutte dans le monde rural, en négligeant quelque peu les villes. C’est pourquoi la zone de force des F.T.P. se situait avant tout au sud d’une ligne Nogent sur Seine-Troyes, dans un espace n’offrant que de pôles urbains secondaires165. Libération-Nord présentait les mêmes similitudes quoique la ténuité de son dispositif nuise à sa pérennité. B/ LA DESAGREGATION DE LIBERATION-NORD

164 Annexe n°7 165 Annexe n°4

A l’évidence, le mouvement pouvait bénéficier de relais appréciables dans le Barsuraubois, dans le Pays d’Othe et dans les communes limitrophes de Troyes. Mais une antinomie subsistait entre la faiblesse des adhérents et sa représentation sans commune mesure à l’échelon local et plus encore régional. THIERRY, chef régional de Résistance- Fer et de Libération-Nord, présidait le C.D.L. de l’Aube, appuyé dans ce comité par Germain RINCENT et Paul BRANDON. La dichotomie résida certainement dans le fait que Libération-Nord soit parvenue à susciter les assises d’un maquis bien qu’amoindrie par le nombre limité de ses sympathisants et par sa médiocre pénétration dans la population.

Seuls THIERRY et RINCENT jouissaient de soutiens au sein du comité parisien tout en ne portant pas une prévenance particulière pour intensifier l’encadrement aubois. Même si Maurice MONTENOT (POIRIER) faisait figure de commandant militaire pendant qu’André LAPLANCHE s’efforçait de recruter des volontaires, avec l’appui de Marcel FEBVRE, André CHANTRENNE, Abel COSSON, Roger BIDAULT et Joseph DANGOUMAU, tous chefs de section166. L’apparition concomitante d’une conjonction de facteurs défavorables ébranla durement ces résistants.

Le 24 avril 1944, une vague d’arrestations les décimèrent. Les fonctionnaires Joseph ANGLADE et Jean-Francois PIQUEMAL, l’ébéniste Henri PRADERE, le mécanicien Georges CONAT, le commissaire de police TISSOT subirent l’éprouvant régime carcéral allemand167. Dans le but de pallier à ces captures, Maurice LAFONT, receveur des contributions indirectes à Aix en Othe, devint le délégué de Libération-Nord dans le canton othéen.

En sus de ces changements, le 6 juin 1944, les patriotes se présentèrent dans un maquis nouvellement installé à Montaigu, à quelques kilomètres au sud-ouest de Troyes168. Après une expédition menée sur le camp de jeunesse de , les 120 à 150 hommes purent s’équiper et se vêtir. Ils quittèrent ensuite les bois, faute d’abris suffisants, et occupèrent le hameau voisin des Grandes Chapelles. Les maquisards ayant commis plusieurs imprudences, les troupes d’occupation les attaquèrent violemment le soir même (7 juin 1944).

166 NA 10095 167 NA 10141 168 Annexe n°4

Le combat paraissant par trop inégal, le repli fut décrété. Deux jours après, les rescapés se regroupaient à Forêt Chenu puis au Haut du Lait avant de se réfugier au maquis de Mussy-, où il se placèrent sous la tutelle de l’A.S. L’expérience de l’indépendance du groupement prit fin suite à cette expérience malheureuse.

Il est incontestable que Libération-Nord, qui semblait presque exclusivement consubstantiel de la société civile, éprouva des désagréments à maîtriser des unités paramilitaires, ne possédant que fort peu d’ascendant sur l’Armée d’Armistice. S’appuyant sur un organigramme fort lâche, il ne parvint pas à concilier les exigences de sûreté avec le souhait de laisser toute latitude aux différents protagonistes impliqués contre le régime d’oppression. Au contraire, d’autres formations s’épanouirent pleinement en réussissant à profiter d’ordres conférés par des officiers confirmés qui s’employaient à accroître la structuration hiérarchique résistante.

C/ UN MOUVEMENT EN QUETE D’HOMOGENEITE : LES COMMANDOS M

1/ La tripartition des fonctions décisionnelles

A la fin du mois d’avril, Maurice DUPONT (YVAN) comptait une centaine de subordonnés entraînés et équipés pour isoler Troyes, par route et par rail, dans la partie nord-est du département. Pour les renforcer et prolonger leur action, l’officier britannique André WATT (RASE MOTTE) fut envoyé en France, le 12 avril 1944. Il se substitua à BARRETT, opérateur-radio de DIPLOMAT, qui transmit par radio pour DUPONT pendant six semaines.169 Dès lors, à l’été 1944 s’établit une répartition des attributions qui induit de manière définitive une tripartition des fonctions. YVAN l’emportait sur ses camarades et ses décisions ne pouvaient être contestées. A ses côtés, WATT tentait de préserver quotidiennement la liaison avec Londres et LOPEZ (BEAUBLOND) s’assurait de la sûreté interne et externe. Autour de cet ensemble existaient :

-un service sanitaire (mobile et fixe).

169 NA 10092

-un service de sécurité. -une section spéciale (pour surveiller les hommes). -un échelon ravitaillement, confié à Robert LEBLANC, courtier en animaux. -une section camouflage (permettant l’hébergement des personnes recherchées par les Allemands). -un service-radio (connu uniquement de WATT et de DUPONT). Strictement indépendants, tous ces services s’ignoraient entre eux.170

Pour parachever l’homogénéité, les Commandos M surent utiliser à compétences égales les résistants clandestins et sédentaires, ces derniers offrants de multiples avantages de par leurs obligations professionnelles. Cyrille THOURAULT usait de son magasin d’articles de pêche à Troyes pour couvrir ses activités de boites aux lettres et de lieu de rendez-vous pour les Commandos M.

CUISIN, agent de renseignements, vint à deux reprises y apporter de l’argent à remettre à YVAN. Tous les soirs, THOURAULT rencontrait un adhérent de Résistance-Fer. Le plus fréquemment, il s’agissait de Jean MARCHAND, contrôleur adjoint au service technique de la S.N.C.F., qui donnait la marche des trains militaires ennemis, avec la complicité de l’ingénieur TOUCHOT.171

En règle générale, il n’y avait pas de réunion mais simplement une tournée hebdomadaire d’inspection. Habituellement, l’itinéraire recouvrait le parcours suivant : à Luyères chez les BRIET, à Fontaines-Luyères chez les 3 frères LAFFILLEE, à Nogent sur Aube chez les BURIDANT, à chez les BERTRAND, à Epagne chez les DOIZELET, à Bréviandes chez Marcel VEZIEN172. Chaque entretien permettait de connaître exactement la situation dans les localités.

Dès que tous les hommes se rassemblèrent, le maquis se répartit sur une ample étendue, avec une ceinture extérieure de protection et des postes avancés (avec P.C. à ). Les villages appartenant à la zone d’influence des Commandos M se distinguaient selon le schéma subséquent : mains (5 individus), dizaines, trentaines. Leurs apports se voulaient

170 1 J 785 171 Témoignage de Cyrille THOURAULT, rencontré le 15 février 1997. 172 Témoignage de Charles RASETTI, rencontré le 4 novembre 1996.

avant tout logistique en permettant l’approvisionnement en nourriture et la fourniture de main d’oeuvre pour les équipes de parachutage.

Il est manifeste que les Commandos M tenaient un secteur stratégique, avec les voies ferrées Troyes-Brienne, Troyes-Mailly, Paris-Belfort et les lignes internes aux trafics plus secondaires. En conséquence, YVAN détermina des frontières territoriales pour que ses affidés les plus compétents deviennent responsables d’un ou de plusieurs villages. A l’exemple de Daniel HUBAIL de Jaucourt, ex sous-officier de l’Armée d’Armistice, qui domina la zone comprise entre Vendeuvre sur Barse et Bar sur Aube.173

Il élabora une section capable d’effectuer des sabotages contre l’occupant, sur le modèle prôné par YVAN : s’accommoder de la mobilité de petites compagnies promptes à se déplacer, montrant leurs parfaites aptitudes au harcèlement, n’agissant que sur des objectifs ponctuels définis antérieurement. A l’instar de l’expédition qui détruisit l’usine pyrotechnique d’Héry, près de Tonnerre, dans l’Yonne.174

Dans un deuxième temps, les détachements se déplacèrent aux côtes 165 et 192, près de Fontaine-Luyères. Puis ils se rendirent à la côte 140 (à l’ouest de Voué) avec des commandos fort épars. Après un nouveau départ jusqu’à la forêt de Soulaines, à 4 kilomètres au nord du village de , ils se répartirent de manière très dispersée dans le triangle Arcis sur Aube-Bar sur Aube-Troyes. Cette volonté de se mouvoir continûment supposait un éclatement des combattants disponibles, une telle dissémination se trouvant accentuée par le désir de s’affranchir des limites géographiques auboises. 2/ La multiplication des liens interdépartementaux

Les Commandos M insistèrent sur la tenue d’une réelle coopération avec les départements voisins, surtout avec le sud de la Marne où la Résistance éprouva des pertes sensibles. Aussi, 4 hommes d’un Jedburgh arrivèrent par parachutage le 4 juin 1944 : un Français, un officier canadien (Jacques TASCHEREAU dit le capitaine JACK) et deux Anglais (dont un radio). Ils devaient contribuer à la reconstitution des groupes marnais disloqués.

173 NA 10110 174 Témoignage de Marcel DAUTIL, rencontré le 4 avril 1997.

De plus se manifesta une concordance fonctionnelle avec l’Armée Secrète pour parvenir à une meilleure coordination pour la répartition des tâches et des zones d’action. Le 7 juillet 1944, le capitaine JACK, mandaté par le général KOENIG, se présenta au P.C. de l’A.S. à Mussy-Grancey. Il revint les 26-29 juillet 1944 avant de regagner Bar sur Aube. Des projets militaires d’envergure furent étudiés entre les deux états-majors, français et interallié.175

Pour renforcer davantage les Commandos M, 3 soldats appartenant au Special Air Service (S.A.S.) survinrent lors d’une opération aérienne à Pel et Der dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944 : le radio anglais Herbert Maurice ROE (BOUBOULE), le radio britannique Alfred SAWDEN (LA FOUINE), le lieutenant américain Roger CORMIER, un saboteur. En définitive, 3 radios émirent du centre de la ville de Saint André les Vergers en juillet 1944 : WATT, ROE et SAWDEN.

Peu après advint le parachutage du major Nick BODINGTON, le 11 juillet, sur le terrain de la côte 192, pour prendre la tête des S.A.S. A partir de ce moment, les militaires alliés se dirigèrent vers leurs affectations respectives. Maurice ROE et Roger CORMIER allèrent conjointement en Haute-Marne pour intervenir rapidement non loin de la cité de Robert- Magny.176

Quant à SAWDEN, il rejoignit la Marne avec trois sympathisants des Commandos M : Olivier JOURDAN, l’inspecteur de police Charles CASARI et LEMONNIER. Charles RASETTI, alléguant de sa profession de transporteur, se rendait tous les mardi à Epernay pour les ravitailler en armes et matériel, accompagné quelquefois de BODINGTON. Au surplus, le capitaine canadien Jacques TASCHEREAU et le lieutenant canadien René LANDREAU contrôlaient les maquis de Lévigny et de avec le lieutenant Jack ROLLAND, aux confins de la Champagne et de la Bourgogne.

Au total, on remarque que les Commandos M privilégièrent nettement des forces fortement décentralisées, accordant la primauté à l’autonomie de leurs membres plutôt qu’à leur assujettissement au commandement. YVAN rejeta toute hypertrophie des organes décisionnels, préférant déléguer partiellement ses pouvoirs en faveur de petites cellules

175 Annexe n°14 176 Témoignage de Hubert JEANNY, rencontré le 1er février 1997.

combattantes pratiquant la guérilla. Le morcellement spatial des unités disponibles répondait parfaitement à la volonté de mettre en pratique ces théories.

Face à de telles conceptions se dégagèrent des propriétés organisationnelles qui se souciaient avant tout d’appliquer une contexture reprenant presque intégralement celle en vigueur chez les militaires. Les choix formulés corroboraient ces analyses puisque l’A.S. s’érigea sur ce modèle, façonnant son fonctionnement interne sur celui pratiqué par les armées traditionnelles.

III L’ABOUTISSEMENT : LA REALISATION D’UNE SYNERGIE

A/ L’EMPRISE DE L’A.S.

1/ Une mise sous tutelle des parachutages

L’Aube connut à l’été 1944 une modification de ses missions de par sa situation géographique. Alors qu’originellement les armes devaient satisfaire uniquement aux besoins des maquis régionaux, dans un second temps il fallut dorénavant soutenir simultanément l’équipement de la Résistance icaunaise et donner du matériel aux équipes

du plan TORTUE (notamment attribuer des mines antichars dans le dessein de retarder les blindés allemands durant leur progression vers le front de Normandie).177

Mi-1944, TOUBA (SEIGNEUR) assumait la direction interrégionale du B.O.A., les transmissions avec le Centre parisien se réalisant grâce à Robert ROUILLON (MICHEL). Mais les échecs prirent un caractère considérable et les autorités rappelèrent prestement TOUBA à Londres. En avril 1944, Alain GROUT DE BEAUFORT (PAIR) le remplaça dans la région P.

Une certaine confusion régnait alors en Champagne car Londres indiquait les coordonnées de très vieux terrains à utiliser dont on ignorait visiblement en Angleterre s’ils remplissaient à nouveau les conditions de sécurité requises. La résolution d’enfreindre sciemment les règles admises ne fut prise qu’en raison de la nécessité d’armer à tout prix l’agglomération parisienne, dans l’attente des combats libérateurs.178

En mai 1944, Edouard BAUDIOT (MARIUS) devint le départemental B.O.A. pendant que Jean-Marie REYNAUD (FRANCOEUR III) faisait office de régional B.O.A. (Aube et nord de l’Yonne ). Communément, André PAUTRAS les secondait, agissant comme agent interdépartemental, transportant des fonds et des plis issus des parachutages. Il importe de remarquer que le B.O.A. conservait seul l’habilitation à recevoir de l’argent et à le redistribuer aux groupements concernés (à l’exception des Commandos M). L’entente avec les F.T.P. ne cessa d’être excellente, comme le démontre le journal de marche de MARIUS :

« Nous avons eu 4 parachutages en juillet-août 1944 qui furent attribués aux F.T.P. et il me semble qu’un autre est allé dans l’Yonne. L’ordre de distribuer les parachutages nous a été donné par l’état-major national, composé du commandant GILLOT (DUPRE) et du commandant LAURENT (MATHELIN) que nous avons contacté à Estissac et qui nous enjoignirent de signaler nos parachutages au commandant DEGLANE, ordres que nous avons exécuté. »179

177 NA 10179 178 1 J 788 179 109 J 108

Ces délivrances de matériel engendrèrent l’ire d’ALAGIRAUDE qui émit des notes comminatoires180. Dans le but d’apaiser ces tensions, BAUDIOT se rendit dans l’est du département pour se placer sous la protection de l’A.S., d’autant qu’existait de nombreux terrains dans le Barséquanais. MARIUS s’efforça par la suite de servir d’intermédiaire privilégié entre MONTCALM et FRANCOEUR qui se trouvait en zone icaunaise, à Saint Florentin.

Le 14 juillet 1944, BAUDIOT se présenta même avec Alain DE BEAUFORT au maquis de Mussy, confirmant par là-même la place privilégiée de l’A.S. qui acquit irrémédiablement la maîtrise sur le B.O.A. départemental (hormis dans la zone de la forêt d’Othe). ALAGIRAUDE confirma ces faits en prescrivant « la remise des fonds à ma personne et la répartition des armes aux troupes F.F.I. de l’Aube par nos soins, à l’exclusion de tout autre canal. »181

En bref, le B.O.A. perdit progressivement sa sphère de liberté et une certaine indépendance pour se placer sous l’égide de l’A.S. qui représentait le pivot de la Résistance auboise de par sa faculté à intégrer civils et militaires dans le combat contre l’occupant. Effectivement, l’A.S. domina successivement Résistance-Fer, Libération-Nord puis le B.O.A., avant de changer notablement ses principes constitutifs. L’accroissement sensible de ses composantes induit une nécessaire redistribution des fonctions rendues obsolètes par la multiplication des organes dirigeants.

2/ L’introduction d’une inflexion stratégique

Avec l’augmentation de ses capacités humaines, ALAGIRAUDE demanda le 1er août 1944 à l’état-major de la subdivision, outre des besoins financiers pour le mois d’août qui s’élevaient à 2.600.000. francs, l’équipement indispensable pour 3 bataillons et les troupes territoriales. Dans une réponse au questionnaire adressé par la région182, MONTCALM estimait que son maquis comprenait à cette date environ 900 individus, gradés et soldats.

Selon les prévisions établies, les apports numériques permettraient d’atteindre 1500 membres à partir du 10 août : soit 3 bataillons de 500 hommes. La pesanteur de

180 Annexe n°16 181 Annexe n°10 182 Annexe n°14

l’encadrement militaire s’exprimait par l’uniformité de la fourniture des armes. Soit par groupes de combat de 10 maquisards : 1 fusil-mitrailleur, 2 mitraillettes, 7 fusils, 15 grenades.

Pour les patriotes non présents au maquis, une division territoriale s’esquissait lentement avec 900 personnes environ, soit 30 hommes par brigade de gendarmerie (il existait 30 brigades dans le département). Pour le 15 août, on escomptait que 500 d’entre eux disposeraient d’un armement suffisant. Enfin, les réserves comportaient près de 3000 volontaires, chiffre en singulière diminution par rapport aux estimations primitives, à cause du recrutement opéré par les diverses missions militaires interalliées implantées dans la partie la plus septentrionale de la région.183

Pour étendre son autorité, l’A.S. consentit à inciter les F.F.I. de Haute-Marne à envoyer des stagiaires état-majors et troupes à Mussy pour y puiser une instruction qui leur permettrait d’intervenir dans les meilleures conditions. Cependant, peu après, les services d’ALAGIRAUDE s’emparèrent d’un compte-rendu écrit qui se révéla une transcription d’une entrevue entre WIEGAND, chef régional de la Gestapo et SPACH, intendant du maintien de l’ordre en Champagne. Ce document témoignait de la valeur des informations en possession de l’occupant quoique des imprécisions demeuraient quant à la réalité des moyens matériels des résistants184. Mais bien qu’en état d’alerte, le regroupement de Mussy subit une violente offensive des troupes allemandes les 2-3 août 1944 et dut se replier pour ne pas connaître la destruction.

C’est pourquoi le 7 août 1944, suite à l’échec patent résultant de la concentration, la note n°18 édictée par l’E.M. de l’A.S. reprit des conceptions opposées aux idées jusqu’alors formulées et ardemment défendues. Assurément, l’insuccès constaté se comprenait par la rigidité des formes prises par l’encadrement et par le refus d’accorder aux subordonnés une part d’initiative. Dorénavant, l’axiome de base reposait sur de petits maquis essaimant dans des contrées favorables pour couvrir la presque totalité de l’espace. Ensuite, il convenait de fixer irrévocablement au siège de chaque brigade de gendarmerie une section dite du territoire.

183 Archives DANESINI 184 Annexe n°11

Les premières formations seraient contrôlées par zone d’action du triple point de vue de l’organisation, du ravitaillement et des directives tactiques par en théorie : 1 capitaine par 3 maquis de 30 hommes, 1 chef de bataillon par 12 maquis de 30 hommes. Quant aux sections territoriales, elles se placeraient dans l’obédience du capitaine DENIS, officier assisté d’adjoints qui se rendraient maître de 4 zones : nord-ouest, nord-est, sud-est, sud- ouest. Ces sections aideraient les groupes maquis, « y compris à fournir l’assistance par les armes si le besoin s’en faisait sentir et si la demande leur en était faite expressément par le commandement. »185

Un officier d’armement confiait le matériel à sa charge aux maquis, selon les disponibilités, au fur et à mesure des arrivages. Il correspondait étroitement avec le B.O.A. qui lui communiquait les inventaires des parachutages. A côté de ces obligations, l’officier indiquait les emplacements appropriés de distribution. Le ravitaillement des troupes n’intervenait que grâce à des bons de réquisitions réguliers remis aux habitants des villes et des villages. Une synthèse des développements antérieurs traduit les différences entre les mouvements F.T.P. et A.S. qui tinrent principalement dans la confrontation entre deux postulats distincts. Au sein de l’A.S., une hiérarchie rigoureuse l’emportait, avec un système avant tout pyramidal et vertical où tout désir d’autonomie se trouvait fortement prohibé au profit d’une soumission contraignante à l’encadrement. Au contraire, chez les F.T.P. s’instaura un plus grand souci de la collégialité et donc de l’horizontalité des fonctions.

Mais tous s’accordèrent sur deux propositions : favoriser les groupements situés aux limites territoriales auboises pour les rendre moins vulnérables aux éventuelles attaques ennemies ; s’associer avec les aires limitrophes pour amalgamer les énergies et non les fractionner. Il est vrai les F.T.P. aubois s’unirent aux Icaunais et aux Marnais lorsque l’A.S. collaborait étroitement avec la Haute-Marne et la Côte-d’Or et que les Commandos M veillaient à étendre leur influence sur la Marne et la Haute-Marne.

L’augmentation appréciable des rapports entre chacune des parties provoqua indubitablement une remise en cause des préceptes longtemps acceptés. Les divers commandements intégrèrent ces nouvelles réalités dans leurs organigrammes respectifs. Ils cherchèrent à apaiser les antagonismes en acceptant de comparer leurs expériences dans le

185 110 J 101

but de mettre en exergue les dispositifs les plus favorables à la poursuite de la lutte antigermanique.

B/ L’UNIFICATION DES STRUCTURES RESISTANTES

1/ La fédération de rassemblements antinomiques

A cause de l’opposition latente entre les F.T.P. et l’A.S., tant du point de vue tactique que stratégique (désaccords entre centralisation et déconcentration, entre les délégations de pouvoirs et l’existence d’un état-major restreint et omnipotent), les échanges entre tous les mouvements ne purent s’épanouir que tardivement, ne faisant que refléter la vigueur des tensions. La première réunion intermouvement se produisit seulement le 11 août 1944, au château de la Cordelière près de Chaource.

Etaient présents : Maurice DUPONT, WATT, JACQUELIN et Charles RASETTI, tous des Commandos M. ALAGIRAUDE et POIRIER côtoyaient les officiers alliés Nick BODINGTON, du S.O.E., et le capitaine JACK, qui oeuvraient tout deux dans la Marne et la Haute-Marne. L’absence de représentant de Libération-Nord et des B.O.A. marquait leur inanité du moment tandis que les F.T.P. refusèrent de participer à ces conciliabules et que manquait le lieutenant-colonel MATHELIN (LAURENT) de la subdivision P 3 qui devait présider.186

Chacun des intervenants accepta quelques concessions concernant ses prérogatives et l’accord put intervenir. Les Commandos M scindés en bataillons et l’équipe de JACK restèrent à la disposition de MONTCALM sur le plan tactique dans le triangle Troyes- Mailly le Camp-Bar sur Aube. Administrativement, ils dépendaient aussi de lui. On définit également les principaux emplacements des zones F.F.I. pour les régions de Chaource, de Bar sur Seine, des Riceys et de la forêt d’Othe.187

Trois heures plus tard, MONTCALM reçut d’un agent de liaison envoyé par MATHELIN l’ordre de se présenter au village des Bordes-Aumont, non loin de Troyes, où

186 SC 39175

un nouveau rassemblement était prévu. Il s’y rendit toujours accompagné de son chef d’état-major, POIRIER. Ils y rencontrèrent : PETITBON, préfet clandestin ; THIERRY, président du Comité Départemental de Libération, OUY, des F.T.P. et MATHELIN.

Les entretiens se déroulèrent dans un climat exécrable, LAURENT expliquant à ALAGIRAUDE que celui-ci n’ayant pu réussir la fusion de toutes les forces clandestines du département, il envisageait de le placer sous la subordination d’un lieutenant-colonel qui prendrait les mesures idoines. MONTCALM protesta fermement contre ces arguments fallacieux et réaffirma que seuls les F.T.P. avaient toujours rejeté toute idée d’intégration au sein des F.F.I. Il se déclara même en position de force avec 3 bataillons armés et instruits face à des F.T.P. jugés indisciplinés, souffrant de l’absence d’officiers de réserve.188

Pourtant un compromis s’institua pour ne pas déconsidérer l’action de la Résistance, d’autant que les Alliés s’apprêtaient à venir dans un laps de temps très court. PETITBON atténua les difficultés en insistant pour une réconciliation. Il prôna la concorde, les F.T.P. conservant leur zone traditionnelle d’influence autour de Romilly sur Seine tout en reconnaissant MONTCALM comme unique responsable militaire départemental. YVAN acquiesça à ces nouvelles directives. Par conséquent, la proximité de la libération de la Champagne méridionale autorisa l’apparition d’unités résistantes s’accordant une aide réciproque.

2/ La participation aux combats de la libération

Le 18 août 1944, le commandement procéda à une modification de l’organigramme de l’A.S. Le 1er bataillon (BERNET) comptait 4 compagnies qui se situaient dans les bourgs d’Auxon, Crésantignes, Chamoy. Le 2ème bataillon comprenait 5 compagnies cantonnées dans les villages de Vauchassis, Villemoiron, et Cormost. Enfin la compagnie franche stationnait à Crogny, au sud de Troyes, pour entraver la retraite des détachements de l’occupant.

La publication d’un ordre général préconisait l’application des modalités précédemment adoptées : « se disperser aux environs du P.C. de compagnie en petits maquis de 30

187 SC 4273

hommes maximum (1 section), les maquis de 10 (1 groupe) étant préférables ; limiter les sorties au minimum pour des questions de ravitaillement ; veillez à ce que les hommes n’aient avec eux que le strict nécessaire afin de ne pas être encombrés et alourdis au moment où seront reçus les ordres de se mouvoir. »189

Toutefois, c’est seulement le 19 août 1944, à , qu’ALAGIRAUDE et POIRIER s’entretinrent pour la dernière fois avec OUY dans le but de compléter les tentatives locales de fusion. Ceci avec l’assentiment généralisé d’YVAN, de PETITBON, de THIERRY et de RINCENT. Les F.T.P. admirent de se placer sous la tutelle de MONTCALM.

Consécutivement à la ratification de cette entente, DURLOT, laissé dans un corps de réserve avec d’autres officiers, fut mis le 22 août à la discrétion des F.T.P. ralliés aux F.F.I., en sollicitant un encadrement plus important190. L’agencement entre les détachements devint effectif, l’A.S. l’emportant nettement dans les instances suprêmes de direction.

Aussi le groupement sud du département put s’appuyer sur 2 bataillons (MARCEAU et NICOLAS) à 4 compagnies de 115 hommes environ : 1 compagnie franche (veillant aux missions spéciales, à la garde du P.C.), 2 compagnies F.T.P., 1 compagnie instruite par le capitaine BOURGEOIS dans la région de Nogent-Romilly. L’armement des 2 bataillons et de la compagnie franche était à peu près semblable avec 9 armes automatiques par compagnie, plus un certain nombre de fusils, mitraillettes et grenades.

Chaque chef de bataillon possédait un organe de commandement composé de 6 agents de transmissions sur motos ou bicyclettes, de 2 camions ou camionnettes susceptibles de transporter rapidement sur un point quelconque une trentaine d’hommes et un secrétaire. Une compagnie incluait parallèlement 3 sections à 33 hommes.

Chaque unité recourait aux compétences d’un médecin, de quatre brancardiers et d’un infirmier, tous prêts à soigner les victimes. Les forces, légères et souples, se distinguaient par des bagages peu volumineux. Dès leur entrée en campagne, toutes les troupes logèrent

188 1 J 793 189 109 J 101 190 109 J 99

et s’approvisionnèrent dans les localités rurales pour pourvoir à leur ravitaillement en vivres.191

Lors de la phase de la libération, les 22-29 août 1944, les Commandos M protégèrent les ponts de l’Aube pour favoriser la percée américaine. La majeure partie des maquisards, soit 300 éléments, se groupa dans le quadrilatère formé par Avant-les-Ramerupt-Mesnil Lettre-Ramerupt- pour contrôler la route de Troyes à Châlons et le triangle Arcis- Brienne-Troyes. Une équipe demeura dans le secteur de Vendeuvre-Lusigny, une seconde opérant à , une troisième se préoccupant du secteur Précy--Brienne192. Ils accompagnèrent et appuyèrent donc la progression des Alliés.

Dès la Libération, les Commandos M formèrent d’une part le 3ème Bataillon du 106ème Régiment d’Infanterie, entièrement équipé avec du matériel parachuté. Une compagnie partit en renfort en Haute-Marne pour terminer la délivrance de ce département selon les instructions de Nick BODINGTON. De leur côté, les F.T.P. s’engagèrent dans le 2ème Bataillon du 106ème Régiment d’Infanterie qui s’illustra lors de la campagne d’Alsace. D’autre part, les combattants du maquis de l’A.S. formèrent les 1er et 2ème Bataillons du 131ème Régiment d’Infanterie en octobre 1944 avant d’affronter les armées allemandes repliées autour des poches de l’Atlantique dans l’ouest de la France, au printemps 1945.

191 Annexe n°15

Au terme de la présente étude, il nous est possible de dégager plusieurs points déterminants résultant des hypothèses de recherche développées antérieurement. En premier lieu, il paraît indispensable d’insister sur l’étroite corrélation entretenue entre les phases chronologiques de la période et les évolutions affectant les structures résistantes. Ainsi, on ne peut mésestimer la situation géographique initiale de la lutte contre l’occupant qui modela durablement les comportements. Les centres urbains constituèrent les milieux dans lesquels émergèrent les éléments destinés à affaiblir l’oppression ennemie.

Dès lors, ces conditions influèrent sur les principes d’élaboration originelle. D’où la faveur accordée à une propagande active, susceptible de toucher une population des villes plus sensible aux difficultés quotidiennes et devant subir davantage la présence physique de l’occupant. Un tel environnement explique sans nul doute que le monde rural n’ait pas fait préalablement l’objet d’une attention soutenue pour y augmenter de manière notable le concours de soutiens.

Ensuite, la seconde remarque concerne plus précisément l’Armée Secrète. Quoique présentant un grand classicisme dans ses formes, reprenant de manière presque exhaustive celles en vigueur dans les armées traditionnelles, elle s’inséra parfaitement dans l’environnement clandestin. De surcroît, en dépit de son caractère intrinsèquement militaire, l’Armée Secrète se manifesta comme le mouvement qui sut maintenir avec le monde civil les relations les plus intenses et les plus constantes. Elle parvint à concilier concurremment les aspirations des formations paramilitaires prêtes à se battre car déjà expérimentées et les souhaits des unités s’évertuant à soutenir les efforts produits par ces combattants.

De plus, le paradoxe de l’A.S. tint dans la place privilégiée qu’elle acquit à l’intérieur de la Résistance départementale alors que ce fut le seul groupement aubois qui ne possédait pas de liens réguliers avec un organe supérieur, parisien ou britannique. Malgré cette

192 NA 10092

originalité, l’A.S. cristallisa vivement la prévenance des responsables et proposa un ensemble cohérent, strictement hiérarchisé, où les velléités d’autonomie des membres se trouvaient singulièrement réduites. Seuls les participants appartenant à l’état-major détenaient l’effectivité du pouvoir décisionnel. Par ailleurs, on peut concevoir un parallèle entre les formes organisationnelles des F.T.P. et celles des Commandos M, avec une volonté semblable de faciliter une déconcentration des noyaux armés, même si les seconds s’attachèrent primitivement plus que tout autre mouvement à une mobilité de leurs sympathisants.

En terme d’approches globales, les bilans semblent plus contrastés en raison des diverses perspectives et stratégies adoptées. Si l’A.S. disposa de prime abord de plusieurs groupes, elle consentit dans un second moment à n’en créer qu’un qui s’affirma comme le pôle mobilisateur, doté d’installations propres à l’expansion d’un vaste camp. Puis devant l’insuccès de cette tentative, elle revint ultérieurement à un accroissement substantiel de petits maquis, avec une dispersion spatiale explicitement recherchée.

Au contraire, les F.T.P., fidèles aux missions traditionnelles attribuées à la guérilla, ont toujours privilégié nettement la multiplicité de rassemblements numériquement restreints. Ils estimaient que l’éclatement des forces, loin d’amoindrir leurs facultés offensives, correspondait parfaitement aux exigences de la guerre clandestine. L’instauration de conseils collégiaux, habilités à statuer en dernière instance, témoignait de ces priorités. Les entités dépendantes du S.O.E. tinrent pareillement à éviter résolument les vaines confrontations en s’attachant à promouvoir l’activité de patriotes disséminés sur tout le territoire, tirant avantage des ordres fournis par les officiers alliés venus pour les instruire.

Or il faut bien comprendre que ces toutes ces modifications structurelles furent davantage subies que voulues par les commandements concernés. Aussi, plus que tout autre facteur, les circonstances même de la lutte influèrent sur la composition des détachements et imposèrent des adaptations.

Les obstacles rencontrés pour exploiter complètement les énergies disponibles témoignèrent d’influences extérieures contradictoires portant sur le département, les mouvements exogènes éprouvant de la peine à greffer leurs organigrammes sur le cadre local. En somme, la prédominance de l’A.S. révéla incontestablement que les

infrastructures résistantes sises en Champagne méridionale parvinrent en définitive à s’épanouir pleinement, s’affranchissant des apports extrinsèques des contrées limitrophes.

INDEX DES PRINCIPAUX NOMS

ALAGIRAUDE, Emile (ROLAND, MONTCALM) : p 56, 58, 61, 63, 66, 67, 70, 73 75, 78, 80, 83, 89, 99, 102, 103, 105 ANGLADE, Joseph : p 42, 91 AYOT, Georges : p 8 AYRAL (PAL) : p 46, 47 BAILLET, Jean : p 6 BALDET, Raymond : p 7, 10 BALESTIE, Bernard : p 16, 17 BARDET : p 57, 66 BARRETT, Denis John (HONORE) : p 50, 92 BASSET, Raymond (MARY) : p 64, 65 BAUDIOT, Edouard (MARIUS) : p 20, 29, 37, 48, 49, 97, 98 BELL : p 49, 57 BERGANZ, Roger : p 38, 85, 86 BERNARD, Pierre (FLUTEAU) : p 44, 80 BERNET, Gérard (MARCEAU) : p 48, 49, 57, 67 BIDAUT, Roger : p 42, 43, 91 BIRER, Raymond : p 9, 23 BODINGTON, Nick (NICK) : p 95, 96, 102, 105 BONNEAU, Joseph : p 66 BOUCHARD, Léon (ALAIN) : p 37, 48 BOUGUIER, Alexandre : p 25, 56, 63, 67 BOURGEOIS, Paul : p 63, 104 BOUVIER : p 19 BRANDON, Paul : p 42, 43 BULARD, Marcel : p 9, 23 BURTIN, André : p 14 CETRE, Maurice (ANDRE) : p 40, 89 CHAPUT, Pierre (ROGER) : p 13, 40 CHUCHU, Pierre : p 75 CLAVEL, Pierre : p 20, 27, 57, 67 COLLIN, René (JEROME) : p 48, 49 COQUOIN, Roger (LENORMAND) : p 25, 55 CORMIER, Roger : p 95 COSSON, Abel : p 62 COUCHE, Charles : p 37, 38, 48 COWBURN, Benjamin (GERMAIN) : p 50, 51 DALIT, Maurice : p 13, 25, 26, 44, 55

DANESINI, Hubert : p 57, 62 DE LA ROCQUE : p 6, 21 DELATRONCHETTE, Emile : p 64, 75 DIE, Betty : p 18 DUCROIX, André (RICHARD) : p 36 DUPONT, Lucien : p 22 DUPONT, Maurice (YVAN) : p 52, 71, 92, 93, 94, 102, 103 DUVAL, Paul (LELOUP) : p 44 EGELE, Albert : p 13, 19 EULLAFFROY, Louis : p 88 FERAT, Pierre : p 19, 58 FONTAINE, Yvonne (WATERLOO) : p 51 FRANCOIS, Louis (ALBERT) : p 38 FREON, Marcel : p 17 GAGNIERE, Gaston (GASTON) : p 38, 85, 89, 90 GAUTHIER, Henri : p 13, 19, 20, 48, 57, 62 GEHIN, René (FELIX) : p 29, 35, 84, 86 GERVAIS : p 16, 17, 18 GIROUX, Maurice : p 16, 17 GRILLOT, François (GERMAIN) : p 28, 36, 37, 39, 86, 88, 89 GROSPERRIN, Charles (BUREAU) : p 22 GROUT DE BEAUFORT, Alain (PAIR) : p 97, 98 GUENIN, Marcel : p 67, 74 GUERIN, Jacques (AMPERE) : p 48 HAVERSIN, Jean : p 57, 64, 65, 67 HESTIN, Fernand : p 13, 19, 20 HOPPENOT, Jean (TERROT) : p 24, 25, 26, 54, 56, 57, 61, 66, 67, 70 HEURTEAUX : p 11, 19, 24 HUISARD, Pierre (MARTIN) : p 88 IMPERIAL, François (FRANCOIS) : p 86, 90 JACQUESON, Jules (ROBERT) : p 38, 40 JEANNY, Jacques : p 11, 57, 64, 65 JEANNY, Hubert : p 52 JEANSON, Hubert : p 38, 86 KILLIAN, Eugène : p 7, 8, 14, 23, 88 LAFOND, Albert (RIVOIRE) : p 86 LANCE, Paul (JEAN DUFLOT) : p 55, 63 LANEZ, Jean : p 57, 67 LANGEVIN, Paul : p 17 LAPIERRE, Georges : p 32, 33 LAPLANCHE, André : p 91 LESSUISSE, Marcel : p 38, 85, 86 MAHEE, Georges : p 19, 20, 25, 27, 48, 51, 55 MANSER, Gabriel : p 51 MARCHAND, Marcel : p 29 MARRET, Louis (MARTIN) : p 72 MATHELIN, Camille (LAURENT) : p 19, 20, 25, 98, 102

MAZUIR, Jean (LENOIR) : p 88 MAYER, Raymond : p 19, 20, 32, 48, 49 MERAT : p 73 MERLINGE : p 12, 19, 25, 30, 31 MONTENOT, Maurice : p 42, 91 MULLOT, Marcel : p 20 MULSANT, Pierre : p 33, 50, 51 MUTTER, André : p 19, 54, 55, 71 NIGOND, Roland : p 89 OUY, Pierre (HURET, DEGLANE) : p 38, 67, 72, 74, 75, 78, 98, 102, 103 OUZOULIAS, Albert : p 22, 35, 86, 89 PARISE, André : p 7 PAUTRAS, André : p 64, 71, 75, 97 PERGAUD : p 46, 47 PETEL, Fernand : p 63 PETITBON : p 102, 103 PICHARD, Michel (BEL, PIC) : p 46, 47, 48 PIQUEMAL, Jean-François : p 42, 91 PLANSON, Marcel : p 17 POIRIER, Jean : p 57, 72, 79, 80, 81, 102, 103 POIROT, René : p 14 PORTAILLER, Hugues : p 44 RASETTI, Charles : p 96, 102 REYNAUD, Jean-Marie (FRANCOEUR III) : p 97, 98 RINCENT, Germain : p 31, 41, 43, 71, 73, 91, 104 ROE, Maurice (BOUBOULE) : p 95 ROMAGON, Maurice : p 7, 18, 22 RONDENAY (JARRY) : p 75 ROULOT, René : p 23 SAUVAGE, Robert (ROBERT) : p 62, 65, 67, 71 SAVOUREY : p 24 SAWDEN, Alfred (LA FOUINE) : p 95 SCHMIDT, Paul (KIM) : p 47 SCHIMPF (LE COR) : p 25, 54 SOLIVELLAS, Nicolas (DEFOE) : p 11, 20, 57, 62, 64, 65, 67, 71, 75 TASCHEREAU, Jack (JACK) : p 95, 96, 102 THIERRY, Gabriel (CHATEAU) : p 26, 27, 31, 42, 43, 44, 71, 91, 102, 104 THOURAULT, Cyrille : p 51, 93 THUILLIER, Gaston : p 18, 29, 37, 38, 40 TILLON, Charles : p 28, 35 TOUBA (SEIGNEUR) : p 97 VANTALON, Jean (MARCEAU) : p 38, 88, 89, 90 VASSARD : p 27, 54 VIAT : 83 WATT, André (RASE-MOTTE) : p 92, 93, 102 WAUTERS, Georges : p 11, 13, 19, 20, 24, 25, 27, 32, 47, 54, 55

LE PREFET DE L’AUBE AU MINISTRE DE L’INTERIEUR

Le 30 janvier 1941.

Objet : détentions d’armes et menées anti-allemandes.

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance le fait suivant : un groupe de jeunes hommes (10 à 12 identifiés pour le moment) vient d’être découvert à Troyes par le Commissaire chargé de la Police Spéciale, comme se livrant à la détention et au maniement d’armes de guerre.

Ces jeunes gens, dont la plupart appartienne à de bonnes familles et au milieu de l’ancien Parti Social Français, tenaient des réunions dans des granges aux abords de la ville. Ils portaient l’emblème de la Croix de Lorraine. Une douzaine de fusils LEBEL modernes, des torpilles de 1,5 kilogrammes parfaitement entretenues ont d’autre part été saisis par la Feldgendarmerie.

J’ai obtenu du Colonel-Feldkommandant et des services de la police, que l’enquête dont les premiers éléments ont été découverts par la police française, fut continuée par elle. Cette méthode permettra d’éviter aux coupables des peines particulièrement graves. Les deux principaux meneurs ont été arrêtés.

Mes services de police recherchent actuellement de qui dépendait cette organisation qui, de l’aveu des jeunes hommes arrêtés jusqu’à présent, était décidée à commettre un ou plusieurs attentats contre les forces allemandes isolées, sur un ordre qui devait venir de l’extérieur du département.

Il est à noter que plusieurs de ces agitateurs sont vivement désavoués par leur famille. Deux d’entre eux ont été trouvés porteurs de la photographie du lieutenant-colonel DE LA ROCQUE, membre du Conseil National. Il est à noter également que le colonel DE LA ROCQUE est passé à Troyes le 14 janvier 1941 et a tenu au Buffet de la Gare une réunion

avec un nombre restreint de ses partisans. J’attends d’avoir réuni assez d’éléments sur cette réunion pour vous en rendre compte en détail.

Dès à présent, j’ai la certitude que des consignes favorables à l’action de l’ex-général DE GAULLE ont été données par ce chef de parti à ses représentants locaux. Ce fait, selon toute apparence, n’est pas sans relations avec la recrudescence d’agitation anti-allemande observée à Troyes depuis huit jours. Aussitôt l’enquête terminée, je m’empresserai de vous en faire parvenir un compte-rendu d’ensemble.

Le préfet de l’Aube

Source : 110 J 10

COMMUNIQUE DE LA PREFECTURE AUBOISE AVIS A LA POPULATION

2 avril 1941

Depuis quelques jours, on a pu remarquer que la lettre V avait été peinte sur de nombreux murs de l’agglomération troyenne pour répondre à l’invitation d’un poste d’émission étranger dont l’activité anti-française a été de nouveau récemment flétrie par le Maréchal PETAIN, chef de l’état.

L’autorité occupante, considérant ces faits comme une provocation systématique, la population est prévenue qu’une surveillance est organisée pour surprendre le auteurs de ces inscriptions qui feront l’objet de sanctions sévères et immédiates.

Par ailleurs, tout propriétaire ou gérant d’un immeuble sur les murs duquel seront relevés des signes de ce genre ou tout autre signe injurieux pour l’armée d’occupation, est invité à effacer ces inscriptions s’il ne veut pas s’exposer également à des sanctions.

D’autre part, au cours de la première moitié du mois de mars, 20 employés d’un établissement industriel troyen ont été arrêtés pour avoir distribué des tracts anti-allemands ou pour ne pas avoir remis à la Kreiskommandatur de Troyes les tracts en leur possession. Le cas étant le premier que l’on ait observé à Troyes, le Tribunal Allemand n’a condamné les accusés qu’à une légère peine ; il est certain que si de nouveaux tracts de ce genre étaient distribués ou détenus, les coupables seraient exposés à des peines beaucoup plus sévères, par application de l’ordonnance allemande du 14 septembre 1940.

Le Préfet attire de nouveau l’attention de la population sur le caractère inutile et dangereux de ces manifestations, qui risquent, si elles se renouvellent, de provoquer une généralisation des sanctions prévues par l’autorité occupante.

Source : archives BIZZARI

CARTE DU B.O.A. : DIVISIONS DE LA FRANCE EN REGIONS (AOUT 1943)

Source : 110 J 12

CARTE DES PRINCIPAUX MAQUIS DE L’AUBE (ETE 1944)

RAPPORT DE POLICE SUR LES MAQUIS DE L’AUBE (JUILLET 1944)

Ainsi que je l’ai indiqué dans mes précédents rapports, les groupes de résistance subsistent, les attentats et les sabotages ayant redoublé depuis le débarquement anglo- américain. Cependant, il est très difficile et même pour dire impossible de les situer géographiquement ou de donner leur importance dans le département, étant donné que ces groupes se déplacent fréquemment et le plus souvent de nuit, profitant des circonstances territoriales indépendantes les unes des autres d’un canton à l’autre (de même d’un département à l’autre).

C’est ainsi qu’il est à remarquer que le plus souvent leur coup fait, les groupes ou détachements se retirent dans un autre département ou leur activité n’est pas connue rapidement de la gendarmerie ou de la police (exemple : enlèvement de l’inspecteur BALTHAZAR à Essoyes (Aube), assassinat de cet inspecteur à Ormoy sur Aube (Haute- Marne).

Quant à parler des complicités locales, le sujet est beaucoup trop vaste pour qu’on puisse s’y aventurer. On peut déclarer, sans crainte de se tromper, que la population ne donne jamais à quelques rares exceptions près, le moindre détail sur les agissements ou les déplacements des groupes. Ceux-ci bénéficient de la protection muette de la plus grande partie des habitants, l’autre partie craignant de s’attirer des ennuis sans nombre et qui sont d’ailleurs réprimés par les gens du maquis avec une sévérité qu’ils veulent donner en exemple.

Bien plus, les services de police de sûreté n’ont pas hésité dans un rapport assez récent à faire état de ces complicités qui se manifestent dans tous les milieux. C’est ainsi que les chefs de groupes sont tenus au courant de tous les déplacements des forces et des fonctionnaires de police. Les messages sont captés, les télégrammes dévoilés, le plus petit renseignement aussitôt communiqué (assassinat du maire de , quelques instants après qu’il eût signalé à la gendarmerie, par téléphone, la présence de récipients parachutés sur le territoire de sa commune).

Il en résulte que les liaisons entre groupes s’effectuent au mieux puisque dans un milieu favorable. Il est à peu près certain (aucun message écrit important n’ayant été trouvé sur les

individus arrêtés jusqu’alors) que ces liaisons s’opèrent par l’intermédiaire de messagers ayant appris par coeur le texte d’un ordre ou qui sont certains de pouvoir le transmettre avec exactitude.

En ce qui concerne les ravitailleurs, il découle de ce qui précède que les cultivateurs sont nombreux à apporter leur aide, si petite soit-elle, aux groupes armés. Les attaques, les armes à la main contre les épiceries, les bureaux de tabacs, les fromageries, les laiteries (pour l’octroi des tickets de rationnement) complètent suffisamment le ravitaillement des groupes en question.

Il est encore à peu près certain que ces groupes disposent de dépôts d’armes et de matériel et qu’ils connaissent les lieux de parachutages qui ne sont jamais les mêmes à chaque voyage (des containers chargés d’armes ont été découverts dans les bois de Jully sur Sarce mais jamais aucun autre n’a pu être aperçu dans les parages).

Pour conclure, j’insiste une fois de plus sur l’impossibilité matérielle dans laquelle je me trouve de fournir des précisions. Je ne manquerai pas de vous informer de tous renseignements qui pourraient parvenir à ma connaissance à ce sujet.

Source : 110 J 14

ORGANIGRAMME F.T.P. DE L’INTERREGION I 28 : MARNE, AUBE, YONNE, COTE D’OR (DEBUT 1944)

Commissaire Militaire Interrégional (C.M.I.R.) : François GRILLOT (GERMAIN)

Commissaire aux Effectifs : Jean NICOLAS (GEO)

Commissaire-recruteur : Louis FRANCOIS

Commissaire technique : Maxime SALOMON

Commissaire à l’Organisation : Jules JACQUESON (ROBERT) Adjoints : Marcel LESSUISSE (MARCEL 75) Raymond ROGER

Chef régional F.T.P. : commandant Maurice CETRE (ANDRE)

ORGANIGRAMME F.T.P. DE LA REGION AUBE R 5:/I 28 (ETE 1944)

Chef départemental F.T.P. : Pierre OUY (DEGLANE, HURET)

Chef des maquis F.T.P. et Commissaire à l’Organisation Régionale (C.O.R.) : Gaston GAGNIERE (GASTON) Commissaire à l’Organisation Régionale Adjoint (C.O.R.A.) : Roland NIGOND (DONALD)

Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.) : Jean VANTALON (MARCEAU) Commissaire aux Effectifs Régionaux Adjoints (C.E.R.A.) : Jean MAZUIR (LENOIR)

Commissaires Techniques (C.T.) : Roger CHAPUT Joseph CONTASSOT

Commissaires chargés du renseignement : Pierre MURARD (604) Jean LE CROM (MARIUS) Chefs de groupe : Charles COUCHE Gaston THUILLIER Maurice LAFFONT (RIVOIRE)

Liaisons : Madeleine CHALONS (Madame GILLES) Rolande DIE (BETTY) Arlette ROUSSEAU (FRANCOISE) Liliane CATRIN (DANIELE ou MARIE) Lucienne BLUGEOT (COLETTE) Josette RIPOLL (DANY)

RAPPORT DU C.E.R. VANTALON (1.07. au 15.07. 1944) R 5 / I 28

I) Vu la dispersion des effectifs dans l’Aube, nous n’avons pas pu prendre contact avec tous les F.T.P.F. mais la situation me semble assez bonne et par la suite de plus amples renseignements vous seront fournis.

II) Les tournées faites par nous ne sont pas terminées mais déjà, je puis vous donner quelques listes de groupes que nous avons repêché. Je suis parti en tournée à Bar sur Aube où un groupe est formé à Fontaine, composé de 6 hommes et un chef de groupe, à Bar sur Seine où j’ai pu reprendre contact avec un chef de groupe qui me fournira le nombre d’hommes et la composition du groupe. Dans le secteur de Bouilly, Jeugny et Troyes, un Commissaire aux Effectifs Régional Adjoint (C.E.R.A.) est au travail.

Arcis : groupe DANTON. Un chef de détachement et 19 hommes. Je dois aller prendre contact avec un groupe à Bouy. Mais partout, nous trouvons une circulaire émanant de MONTCALM qui commande les F.F.I. de l’Aube et qui enjoint à tous les hommes de rejoindre le sud du département (où se trouve l’A.S.). Aussi, j’ai dit aux camarades de rester où il se trouve, que seul nous devions leurs donner des ordres.

III) Il doit y avoir des fuites car ce que nous avions prévu pour le 14 juillet a été éventé et la police a manifesté sa présence dans tous les parages. Au Bureau Militaire du 7 juillet, il avait été décidé : -de transformer les maquis en équipes (10 hommes), chose en cours. -que le C.O.R. GASTON s’occuperait de la région de Chaource. -de placer un homme au F.F.I., chose encore en retard. Journée du 14 juillet : néant ou presque. Pas d’exécutions de traîtres et aucune action. J’apprends en dernière minute qu’il faut aller à Nogent pour trancher une question entre les militaires et le P.

Source : archives BIZZARI

RAPPORT SUR LES F.T.P. AUBOIS (JUILLET 1944)

Comme il l’a déjà été indiqué dans mon précédent rapport du 15 juin dernier, le Parti Communiste semble actuellement complètement désorganisé dans l’Aube depuis l’arrestation de RINGENBACH, le 29 février 1942, qui a permis de dévoiler l’organisation clandestine du parti et surtout depuis les opérations de police du 1er mars dernier qui ont disloqué en grande partie la tête de l’organisation départementale des F.T.P. Il semble important d’insister sur le fait que l’affaire RINGENBACH a, en mars 1942, provoqué une certaine émotion.

L’instruction de cette affaire qui remonte à deux ans n’est pas encore terminé et, de plus, les inculpés ont presque tous été remis en liberté provisoire. Parmi ceux-ci, un nommé GEHIN René, militant communiste d’avant-guerre, domicilié impasse Beauregard prolongée à Saint Julien les Villas, était après sa mise en liberté parti en Allemagne.

En octobre 1943, au cours d’une permission, il entra dans le mouvement F.T.P. de l’Aube dont il ne tarda pas à devenir le Commissaire aux Effectifs Régionaux. Les animateurs et les dirigeants de l’organisation F.T.P. étaient:

1) un surnommé PETIT MARCEL, demeurant à Sainte Savine, sans autre indication, Commissaire de l’Organisation Militaire (C.O.M.).

2) un surnommé LOUIS logeant chez le cafetier PAULEN, rue Beauregard à Troyes, Commissaire Technique (C.T.)

3) un nommé GEHIN René, demeurant Impasse Beauregard prolongée à Saint Julien les Villas, Commissaire aux Effectifs Régionaux (C.E.R.).

4) un nommé DHEILLY Georges, 85 rue Beauregard à Troyes, adjoint du précédent. 5) un surnommé GRAND MARCEL demeurant 11, rue des Trois Ormes à Troyes, chef d’un détachement de F.T.P. à Troyes.

Il a pu être établi que le Commissaire de l’Organisation Militaire, le Commissaire aux Effectifs Régionaux et le Commissaire Technique, se réunissaient en bureau militaire pour discuter, élaborer les plans d’actions, les faire exécuter et juger de l’exécution par les échelons inférieurs. C’était le Commissaire Technique qui était chargé de fournir en armes,

argent et vivres les membres du groupement, le Commissaire aux Effectifs Régionaux n’étant qu’un répartiteur et un comptable.

Les membres de cette organisation ont participé à plusieurs vols à main armée et à des assassinats. Ils recrutaient de jeunes réfractaires. Le résultat des opérations entreprises en mars dernier a amoindri le mouvement communiste du département et depuis lors, aucun tract ni aucune affiche n’a été découverte permettant d’en attribuer l’origine à des membres de l’ancienne organisation.

Il est certain que malgré le succès incomplet de l’opération des forces du maintien de l’ordre, le mouvement a été enrayé pour une assez longue période. Sept individus sont en fuite:

1) LESSUISSE Eugène dit GRAND MARCEL, 24 ans, né le 11.09.1919 à Saint Dizier de ? et de STOCHERS Marie, marié, manoeuvre demeurant 22 rue Edmond BILLY à Sainte Savine (Aube). 2) POILVE Marcel dit PETIT MARCEL, 32 ans, né le 28.01.1912 à Saint Parres les (Aube) de feu Alphonse et de PULOINE Marie, marié, six enfants, terrassier, habitant 11 rue des Trois Ormes à Troyes. 3) GAGNIERE Gaston, Hilaire, Fabien, 31 ans, né le 28.04.1912 à Igny le Jard (Marne) de Pierre et MALLIOCHON Juliette, marié, employé à la S.N.C.F. ayant demeuré à Courteranges (Aube). 4) BERGANZ Roger, Henri, Jacques, 34 ans, né le 31.10.1909 à Troyes de Louis Jean et de MULTIER Berthe, marié, garde-voies et communications, 41 rue Beauregard à Troyes. 5) ROMAJOT Charles, Marcel, 41 ans, né le 11.02.1902 à Troyes des feus Paul, Jules et THEVENIN Julie, marié, sans enfant, bonnetier, 9 rue BOUCHER DE PERTHE à Troyes. 6) BOIGEGRAIN Helène, 41 ans, née le 28.07.1902 à Saint André les Vergers (Aube) des feus Louis Charles et POIRSON Catherine, célibataire, bonnetière, rue du Beau Séjour à Troyes. 7) DHEILLY Georges, Adrien, Louis, 33 ans, né le 28.12.1910 à Moreuil (Somme) de feu Camille et de DELASALE Adrienne, marié, sans enfant, bonnetier, 83 rue Beauregard à Troyes.

Les renseignements concernant les organisations dites de résistance se rapportent à ceux donnés dans le paragraphe précédent. Dans le sud du département, il existait plusieurs groupes, à savoir : groupes Stalingrad, FERROUIL, Truchot, PELLERIN, Patrie, Honneur, les Alliés, la Marseillaise, CASANOVA, Valmy. Ces groupes s’étaient implantés dans la région d’Ervy le Châtel en juillet 1943. Ils furent constitués au début par quelques réfractaires locaux qui avaient pour chef Roger THUILLIER. Ces petites formations avaient tout d’abord trouvé asile dans un pavillon de chasse situé dans les bois de Lignières. Ils ont été aidés matériellement par Mr BAZIN, châtelain et maire de Chessy les Prés, qui fut tué par la suite.

Ces individus se livrèrent jusqu’à la fin novembre 1943 à des sabotages et à des exécutions de collaborateurs notoires très mal considérés. THUILLIER s’était adjoint Robert MASSE et à partir de décembre commencèrent les agressions contre les particuliers, les services publics, les épiceries et les bureaux de tabacs.

Au cours de l’attaque d’un convoi, THUILLIER fut tué par des soldats allemands, MASSE blessé à ce moment réussit à s’enfuir et prit bientôt la tête du groupe. Sous sa direction, les attentats contre les personnes s’amplifièrent et il fut décidé de son remplacement par le centre de Troyes. Il mettait son successeur au courant des différents systèmes de liaisons lorsqu’il a été arrêté.

A la suite d’une opération effectuée par la Police de Sûreté, l’organisation des groupes fut complètement disloquée et un regroupement s’opéra dans la région des Riceys.

Un autre groupe beaucoup moins important s’était constitué vers la mi-janvier 1944 dans un bois près de Soligny les Deux Etangs. Ce groupe a été attaqué par les troupes d’occupation. Vers la fin mai, trois membres du groupe trouvés porteurs d’armes ont été appréhendés par les forces du maintien de l’ordre. Leur interrogatoire amena l’arrestation d’autres membres. Il s’agit de :

1) BORELLO ONOFRIO, Ercole, Richard, alias VICTOR ou SPAGHETTI, né le 18 mai 1923 à Rubiera (Italie), bonnetier, sans domicile fixe, ayant demeuré chez sa mère, 127 rue Gornet Boivin à Romilly, naturalisé par décret en date du 30 mai 1930, déchu par décret du 1er mai 1941.

2) SAUVIGNON Charles, alias EUGENE, né le 13 août 1924 à Grandes Armoises (Ardennes), ouvrier agricole demeurant à Courgenay (Yonne). 3) LACHAUSSEE Jean, Lucien, né le 28 février 1920 au Mériot (commune de Beaulieu dans l’Aube), demeurant 5 rue COLLERON à Romilly sur Seine, conducteur de camions, marié, deux enfants. 4) BISSON Bernard, alias BERNARD, employé S.N.C.F., né le 19.10.1913 à Courteranges (Aube), demeurant 1 rue des Graviers à Nogent sur Seine.

Il n’est actuellement pas possible de recueillir les noms des individus présumés comme pouvant appartenir à la Résistance, mon service ne possédant aucun des moyens qui seraient susceptibles de mener à bien ce travail. On peut cependant remarquer qu’un certain nombre d’individus ont quitté brusquement leur travail et leur domicile et n’ont depuis donné aucun signe de vie. Il est à présumer que certains d’entre eux ont rejoint un groupement de Résistance, obéissant ainsi à un ordre qui a dû leur être transmis.

Cependant, la plupart de ceux-ci se sont sans aucun doute réfugiés à la campagne dans la crainte d’événements susceptibles de leur nuire (arrestation par la Milice ou par les autorités allemandes à la suite du débarquement des armées alliées). Il n’est néanmoins pas permis d’affirmer que ces individus font partie à coup sûr de la Résistance

Signé : le commissaire de police de sûreté

Source : 110 J 14

CARTE DES GROUPEMENTS DEPENDANTS DU S.O.E. (ETE 1944)

LETTRE D’ALAGIRAUDE A RONDENAY (10 JUILLET 1944)

J’ai l’honneur de vous adresser :

1°. Le barème des soldes établi par mon groupement, ainsi que le montant des soldes et indemnités qui en découlent pour le mois de juin 1944.

2°. La situation est celle existant au 30 juin 1944 (à noter que les effectifs F.T.P. n’ont pu être contrôlés, qu’aucun des renseignements demandés ne m’est parvenu et que l’officier de liaison n’a toujours pas rejoint). HURET, seul, a donné signe de vie par lettre en date du 7 juillet, me demandant 200.000 francs.

3°. Le service de renseignement du groupement que je commande rend compte que tout le groupe F.T.P. dirigé par HURET demande à rallier mon groupement.

4°. Je vous demande de bien vouloir confirmer par écrit vos instructions de l’entrevue de Saint-Cyr et d’Argenteuil, à savoir : remise des fonds à ma personne et répartition des armes aux troupes F.F.I. de l’Aube par nos soins à l’exclusion de tout autre canal.

N.B. : Prière adresser fonds dès que possible L’effectif armé à la fin de la semaine en cours sera de 500 hommes (F.T.P. exclus)

Source : 109 J 101

ETAT FRANCAIS RAPPORT WIEGAND 16 JUILLET 1944

Préfecture régionale. Région de Châlons sur Marne

Compte-rendu de mon entretien du dimanche 16 juillet 1944, à 16H30, avec le chef de la police allemande à Troyes (...).

Monsieur WIEGAND me dit alors qu'il va nous mettre au courant de ses constatations. Il déclare qu'il a décidé de nettoyer le département de l'Aube en commençant par la région de Romilly et en descendant vers le sud-est jusqu'à la frontière de la Haute-Marne. Il utilise à cet effet un détachement spécialisé de feld-gendarmes, muni d'un armement approprié et les troupes de passage de l'armée de terre ou de l'air.

Un premier engagement a eu lieu d'après ses déclarations dans la forêt de Rigny, aux environs de Saint Loup. Là, son service avec les troupes du camp de Romilly aurait attaqué un détachement de F.T.P. Ce détachement aurait été commandé par un nommé GUEGIN, ancien gendarme. Il comprenait les gendarmes qui ont déserté à Nogent sur Seine et disposerait du véhicule amené par ces gendarmes lors de leur désertion.

Des individus nommées RIVOIRE et KANDINE dont il ne m'a pas été donné d'autres précisions seraient les animateurs de ce groupement qui aurait également l'aide d'un médecin nommé LUPAS. Ce groupement aurait été en contact avec des F.T.P. opérant du côté de Dizy-Magenta et l’on aurait retrouvé une relation avec l’affaire DE VOGUE.

Monsieur WIEGAND déclare ensuite qu'une opération a eu lieu dans la région de Marcilly-Aix en Othe. Là, les Allemands ont attaqué un camp de l'Armée Secrète qui comprenait 310 hommes. Ils ont été anéantis, en particulier 50 terroristes. Les terroristes disposaient d'un armement redoutable en particulier de petits lances-grenades, appelés tuyaux de poële. Un important butin en armes et matériel de campement est resté aux mains des Allemands.

D'anciens militaires de l'armée d'armistice faisaient partie de ce groupe. Enfin, actuellement les troupes allemandes sont sur la piste d’un groupement de résistance du côté d’Essoyes, Cunfin et . Ils ont arrêté un dénommé André MASSIN, né le 22 janvier 1914 à , domicilié à Saint André les Vergers, près de Troyes, 29 rue THIERS. Cet individu a essayé en prison de se suicider en s’ouvrant les veines, mais il pourra bientôt être interrogé et fournir des explications et des indications. Le groupe d’Essoyes serait dirigé par un dénommé GASTON.

Monsieur WIEGAND déclare ensuite qu’il n’y a plus que deux organisations : les F.F.I. et l’A.I.S. Les F.F.I. comprendraient selon lui 2000 hommes mais beaucoup d’adhérents partis le 6 juin ont regagné leur domicile légal, estimant que ce n’était pas encore le moment.

Monsieur WEIGAND dit qu’il existe quelque chose de beaucoup plus dangereux : c’est l’A.I.S., Armée de l’Intelligence Service. Cette armée comprend environ 400 hommes stationnés dans la région des Riceys. Elle est dirigée par un commandant qui porte le nom de guerre de MONTCALM. Elle comprend des officiers anglais et français, parachutés, qui constituent la plus grande partie des cadres. Elle comprend en outre un certain nombre d’individus qui travaillent avec les services secrets anglais.

Les hommes de ce groupement sont revêtus d’uniformes kaki. Ce groupement aurait trouvé une aide très précieuse auprès de la gendarmerie en général et même d’officiers. Ce groupement aurait son camp près des Riceys. On trouverait dans ce camp des membres affiliés au groupement des G.M.R. de Bourgogne qui ont déserté et des militaires du 7ème Régiment, 7ème escadron de la Garde qui ont également déserté.

Ce groupement disposerait de deux chars et d’un armement très complet. Il détiendrait en outre un certain nombre de prisonniers allemands (soldats allemands enlevés récemment dans la région). Ce groupement disposerait de moyens de transport très rapides et aurait commis de nombreux sabotages. Ce serait lui en particulier qui aurait commis des sabotages importants à Troyes (vols d’essence à Saint Julien les Villas par exemple), les destructions d’arbres au bord des routes. Ses membres partiraient en petits commandos depuis la région des Riceys jusqu’à Brienne le Chateau et dans la Haute-Marne. Monsieur WIEGAND est en train d’étudier de très près l’évolution de cette situation.

Je réponds à Monsieur WEIGAND que pour la police française, la question se présente comme suit : il y a d’abord des groupements dissidents qui font du banditisme pur, des anarchistes agissant pour leur propre compte. Il y a ensuite les F.T.P. du Front National. Enfin il y a la Résistance proprement dite qui a un caractère avant tout militaire, alors que les deux premiers groupements cherchent avant tout à troubler l’ordre moral et social.

Je déclare à Monsieur WEIGAND que, en ce qui concerne les groupements opérants pour leur propre compte et les F.T.P., la police française à des moyens suffisants pour intervenir. Par contre, en ce qui concerne les autres formations, on est en présence d’opérations militaires qui dépassent nos moyens et de plus, la neutralité de la population et de l’administration française dans le conflit, rend l’exécution de ces missions impossibles. Lorsque nous sommes au contact de pareils groupements, nous ne pouvons que nous retirer et rendre compte ; conformément aux instructions reçues, nous ne pouvons assumer le combat. Monsieur WIEGAND donne son accord à ce sujet (...), prend acte de ces déclarations. L’entretien est terminé.

Avant de partir, je résume encore une fois les distinctions à faire entre les trois formes différentes de terrorisme et de banditisme auxquels nous pouvons nous heurter : groupements dissidents ou anarchistes ; F.T.P. ; organisations paramilitaires. J'insiste sur le fait que si la lutte contre les deux premières est entièrement de notre ressort et de nos moyens, l'attaque de groupements plus importants nous échappe à la police comme à la Milice. Nous ne pouvons que rendre compte directement à la sûreté allemande ; la police continuera comme d'habitude à envoyer ses notes d’urgence sur les attentats commis.

Signé : l'intendant régional du maintien de l'ordre

Source : archives DANESINI

MISSIVE DU CHEF DEPARTEMENTAL F.F.I. AU COMITE D’ACTION S.N.C.F. (21 JUILLET 1944)

1°. Les ordres actuellement en vigueur précisent :

A) L’arrêt total de la circulation des trains, soit par la destruction d’ouvrages à l’exclusion des gros ouvrages dont la reconstruction nécessiterait de trop longs délais, soit par déraillements ou destructions de rails. B) La non-réparation des destructions par les cheminots (beaucoup d’ouvrages ont été réparés trop rapidement ; cette action est regrettable).

2°. Depuis le 6 juin, nos équipes s’emploient activement à l’interdiction de la circulation des trains et aux destructions de toute nature. Notre organisation est la suivante : -d’une part, des équipes sédentaires réparties sur différentes lignes. -d’autre part, des équipes volantes partant du maquis, destinées à opérer de concert avec une force armée. Toutes ces équipes détiennent une certaine quantité d’explosifs.

Pour coordonner l’action de tous ces éléments, le commandant ordonne : A) Le chef cheminot responsable des sabotages prendra la direction et ordonnera toutes les actions qu’il jugera nécessaires. B) En cas de destruction nécessitant la force armée, une liaison sera préalablement établie avec l’équipe volante du maquis. C) Un compte-rendu mensuel de toutes les opérations devra parvenir au commandant des F.F.I. pour le 20 du mois. Un compte-rendu immédiat sera adressé à l’Etat-Major après chaque grosse opération. D) Une grève générale devra être préparée et déclenchée au moment où l’offensive anglo- américaine progressera. Les cheminots en grève assureront leur sécurité, soit en se réfugiant à la campagne chez des parents ou des amis, principalement en dehors des grands axes encore sous le contrôle de l’ennemi, soit en venant s’abriter au maquis.

Source : 109 J 101

RAPPORT MENSUEL SUR L’ACTIVITE TERRORISTE ET SA REPRESSION

Le commissaire principal de police de Sûreté à Monsieur le Commissaire principal, chef de la 12ème Brigade Régionale de police de sûreté à Reims.

Reims, le 31 juillet 1944

Depuis un mois, la situation s’est grandement aggravée et ne fait qu’empirer. La fièvre s’est transformée en délire : c’est près de 500 attentats (au lieu de 250 pour la même période correspondante) qui ont été enregistrés et le courant ne fait que croître en intensité.

Dans l’Aube, d’après les Allemands, les F.F.I. auraient 2000 hommes, bien que depuis le 6 juin, une partie importante des adhérents serait rentrée chez elle, le moment d’agir n’étant pas encore arrivé. Il semble en effet que plusieurs rassemblements ont été dissous : celui dans les bois de Luyères contre lequel nous avions fait une expédition, celui de Maraye en Othe et celui de Rigny le Ferron attaqués par les Allemands. Il ne doit subsister que de petites équipes spécialisées dans les sabotages.

Par contre, il existe dans la région d’Essoyes-Bar sur Seine une forte troupe disposant d’un matériel moderne et puissant de l’aveu même des Allemands. C’est là que seraient notamment des éléments divers de l’armée, de la garde, de la gendarmerie, de la police ayant quitté leur poste. En plus, il faut compter avec de petits groupes qui se sont constitués à l’initiative de quelques uns. Sur les F.T.P., on ne possède pas de renseignements. Enfin des bandits intrinsèques exploitent la situation.

Pour Troyes et dans un cercle de 15 kilomètres de rayon, on note 97 attentats de tous genres. Les sabotages de toutes les voies ferrées partant de Troyes sont nombreux. Les assassinats se montent à 10. Pour le reste, gamme de vols. La région de Bar sur Aube enregistre 15 attentats ferroviaires, 3 assassinats, 4 vols et une mutinerie à la maison centrale de Clairvaux. Dans la contrée de Nogent sur Seine-Romilly sur Seine, pour 4 sabotages et 1 assassinat, on trouve 20 vols. Dans le canton de Piney, ce sont les vols qui prédominent, 7 contre 3 sabotages et un triple enlèvement. Dans la vaste surface que recouvre les forêts d’Othe et d’Aumont, on se trouve en présence d’une vingtaine de cadavres, de quelques sabotages et d’une cinquantaine de vols. Les canton d’Ervy et de Chaource, qui y sont inclus, ont été de tout temps la terre d’élection des F.T.P. Enfin dans le canton de Bar sur Seine existe un mélange d’assassinats (15), de sabotages (10) et de vols (15).

BILAN DES ATTENTATS (juillet 1944)

AUBE HAUTE- MARNE MARNE Assassinats et tentatives (dont meurtres de 3 membres de la 65 9 6 police en service commandé et

de 5 soldats allemands) Enlèvements 11 1 0 Disparitions signalées 1 0 0 Agressions contre mairies et 43 1 11 administrations Vols de tabac 40 11 32 Attentats contre voies ferrées et 81 17 20 dépôts S.N.C.F. Destructions de pylônes 7 2 7 Destructions diverses 3 1 8 Incendies 2 1 0 Destructions matériel agricole 2 0 0 Vols camions et automobiles 10 2 9 Vols divers 43 6 6 Manifestations de force par les 4 2 10 bandes armées

Source : archives départementales de l’Aube 300 W 108

REPONSE DE L’ARMEE SECRETE AU QUESTIONNAIRE DEMANDE PAR LA REGION (NOTE N°178)

I EFFECTIFS PAR DEPARTEMENT

A/ Forces actives. Maquis principal commandé par le commandant MONTCALM. 1200 gradés et hommes. Selon les prévisions établies, cet effectif sera porté à 1500 à partir du 10 août : soit en gros, 3 bataillons à 500 hommes. Armement uniforme, soit par groupe de combat de 10 hommes : 1 fusils-mitrailleur, 2 mitraillettes, 7 fusils, 15 grenades. En outre, chaque bataillon est doté d’engins et de grenades antichars.

B/ Non-maquis. Une organisation territoriale est en voie de formation. Son effectif sera porté à 900 environ, soit 30 hommes par brigade de gendarmerie. (il existe 30 brigades dans le département). L’armement de cette formation est commencé. Pour le 15 août, on peut compter que 500 hommes environ seront armés.

C/ Réserve. 3000 environ. Cette réserve a baissé par rapport aux estimations primitives du fait d’un recrutement opéré par des missions militaires interalliées existant dans le nord du département.

II COMPOSITION DE L’ETAT-MAJOR DEPARTEMENTAL

Commandant départemental : commandant MONTCALM Chef d’Etat-Major : commandant DUPONT Commandant du 1er bataillon : commandant MARCEAU Commandant du 2ème bataillon : commandant NICOLAS 1er bureau : capitaine ESPOIR 2ème bureau : capitaine LEFORT 3ème bureau : comandant DUPONT (déjà cité comme chef d’E.M.) 4ème bureau : capitaine FEBVRE

III FINANCES ET MATERIEL

A/ Etat des finances Mai Reçu de DURIEZ : 50.000 francs Reçu de CLAUDE : 150.000 francs (perçu par HURET directement, somme contestée, à éclaircir avec CLAUDE) 8 juin Reçu de CLAUDE : 1.000.000 de francs 9 juin Reçu opérations sur perceptions diverses : 175.000 francs 14 juin Don d’un industriel : 100.000 francs 23 juin Reçu de CLAUDE : 1.000.000 francs 5 juillet Don d’un industriel : 100.000 francs 31 juillet Don d’un industriel : 50.000 francs Total : 2.626.000 francs

Les divers paiements et la solde ont absorbé 2.000.000 de francs à la date du 31 juillet 1944.

B/ Armes reçues depuis mai : au total 9 parachutages.

C/ Il n’existe aucun appareil-radio permettant de communiquer avec la subdivision ou l’état-major national.

IV CONTACTS AVEC DES OFFICIERS ALLIES

Un contact a été établi avec un officier canadien. 3 parachutages sont déjà arrivés par son canal. Des parachutages massifs sont attendus prochainement. Cet officier canadien est mandaté par le général KOENIG.

Des opérations d’un caractère essentiellement militaire et concernant strictement le département de l’Aube (actions contre les agents de la Gestapo et actions de sabotage) sont en cours après accord. Des opérations militaires de plus grande envergure seront étudiées et exécutées après entente entre les deux états-majors (français et inter-allié), toujours dans le cadre du département de l’Aube.

J’ai été amené à prendre contact avec l’officier canadien JACK en raison d’un besoin d’armes. Je me trouvais en effet sans moyens après la trahison de HURET. Le B.O.A. n’avait pas encore repris la liaison avec Londres. La presque totalité de mon maquis n’était pas armé (100 hommes seulement l’étaient). La situation à cette époque était tragique. Le premier parachutage ne m’est arrivé que le 6 juillet, soit un mois après la formation du maquis que je commandais.

V DIFFICULTES RENCONTREES DANS L’EXERCICE DE MON COMMANDEMENT

Des difficultés en nombre considérables et de toutes natures ont jusqu’alors été surmontées grâce à la technique et au dévouement de tous mes officiers et hommes de troupe. La formation d’un maquis unique de 1200 hommes tel qu’il existe actuellement et

dont tous les rouages sont coordonnés, constitue une opération de grande envergure. Mon organisation a même incité les groupements F.F.I. Haute-Marne à m’envoyer des stagiaires état-major et troupe pour y puiser une instruction qui leur permettra de travailler dans de meilleures conditions.

Un seul obstacle, c’est toujours le même et je n’y reviendrai jamais assez est l’attitude plus qu’équivoque de HURET. Tout dernièrement encore, il arrêtait deux artificiers de mon groupement qui avaient pour mission d’opérer des destructions sur la ligne de Châlons. Je suis décidé à user de représailles sévères contre cet individu de bas-étage.

Signé : MONTCALM, le 1er août 1944.

Source : 109 J 101

F.F.I. AUBE Opérations 3ème Bureau

GROUPEMENT SUD-ORDRE N°1

1) Le groupement sud du département aux ordres du commandant MONTCALM comprend 2 bataillons à 4 compagnies : 1er bataillon MARCEAU 2ème bataillon NICOLAS -1 compagnie franche (mission spéciale, liaison , garde du P.C.) -2 compagnies F.T.P. dont on ignore l’effectif réel et l’armement -1 compagnie aux ordres du capitaine BOURGEOIS dans la région de Nogent-Romilly. Armement inconnu.

2) ARMEMENT

L’armement des 2 bataillons et de la compagnie franche est à peu près uniforme et comprend : 9 armes automatiques par compagnie, plus un certain nombre de fusils, mitraillettes et grenades. L’effectif par compagnie est d’environ 115 hommes.

3) COMPOSITION D’UN BATAILLON

Un bataillon comprend 4 compagnies à 3 sections. En outre, dès maintenant, chaque chef de bataillon devra se constituer un organe de commandement composé de : a) 6 agents de transmissions sur motos ou bicyclettes (2 pour les liaisons avec le commandant MONTCALM et 4 pour les liaisons entre les unités) b) 2 camion touristes c) 2 camions ou camionnettes susceptibles de transporter rapidement sur un point quelconque une trentaine d’hommes d) 1 secrétaire et 2 plantons 4) COMPOSITION D’UNE COMPAGNIE

Une compagnie se décompose en 3 sections à 33 hommes plus un organe de commandement de 5 hommes. En outre, chaque unité doit prévoir un médecin, 4 brancardiers avec brancard de fortune à confectionner, 1 infirmier avec une trousse d’infirmerie.

5) MODE D’ACTION GENERALE DES UNITES

Elles devront être légères et souples, les bagages restreints au minimum. Dès leur entrée en campagne, toutes les troupes logeront et s’approvisionneront dans les villages. Chaque unité pourvoira à son approvisionnement en vivres. Si possible, le commandement donnera deux jours de vivres de réserve.

6) OPERATIONS PROPREMENT DITES Phase préliminaire Interdire par tous les moyens la circulation sur les routes : Sens-Troyes, Saint Florentin- Troyes, Châtillon-Troyes et les routes secondaires que l’ennemi pourrait emprunter. Les coupures seront effectuées par des compagnies sous la direction d’un capitaine. Le point de

rupture devra être choisi de telle manière que les voitures ennemies ne puissent utilisées les abords immédiats de la route pour éviter l’obstacle. La coupure consistera en abattis sur une longueur de plusieurs centaines de mètres. L’obstacle sera battu par le feu.

P.C., le 21 août 1944

Le commandant départemental Signé : MONTCALM

Source : archives DANESINI

CORRESPONDANCE ENTRE ALAGIRAUDE ET LE COMMANDANT DE LA SUBDIVISION

Août 1944. Additif à l’ordre d’opérations n°3 (note N°209)

J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’un fait très grave vient d’être porté à ma connaissance par les chefs B.O.A. du département que je commande. Toutes les armes parachutées dans l’Aube depuis le début d’août ont été mises par FRANCOEUR III, chef interrégional, à la disposition de HURET. Or je ne puis accepter cette manière de faire. D’abord parce que je suis le seul chef qualifié pour armer le département et aussi parce que je suis responsable de l’ordre dans ce même département, ordre qui est profondément troublé précisément par des éléments que HURET contrôle.

Je reçois des plaintes de tous côtés chaque jour et je suis loin de tous connaître car les gens ont peur de parler. D’autre part, vous n’ignorez pas les desseins de prise en main du pouvoir par ce même parti et cela par tous les moyens dès le départ de l’ennemi. Nous n’avons donc pas le droit ni vous, ni moi, de laisser se perpétrer une telle chose et je vous

demande de donner des ordres immédiatement pour que ces armes me soient remises sans délais car j’ai tous les éléments sains du département à armer.

Si vous n’intervenez pas, vous porterez alors seul devant le commandant en chef la responsabilité des actes graves qui ne manqueront pas de vous être reprochés. Enfin, si je n’ai pas satisfaction dans les 48 heures, je prendrai les dispositions que m’imposent mon commandement.

Source : 109 J 101