SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND 16 Août 1870 Par M
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SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND 16 août 1870 par M. le Général J. COLIN (C.R.) Note liminaire. — M. F.-H. Legrand, petit-fils du général Legrand, a bien voulu nous aider à réunir la documentation utilisée pour cette étude et les gravures qui l'illustrent. Par ailleurs, le Dr Crestin, bien connu à Metz, nous a autorisés à faire état du carnet de route du capitaine Crestin, son grand-père, qui appartenait à l'état-major du général Legrand. Ce carnet, encore inédit, était tenu au jour le jour avec le plus grand soin. Enfin, Mlle J.-M. Champagne, de Nancy, petite-fille du lieutenant J.-D. Voirin, aide de camp du général Legrand, gravement blessé en tentant de secourir son chef mortellement atteint, nous a communiqué certains souvenirs recueillis de la bouche même de son grand-père, décédé en 1915. Nous tenons à souligner la valeur de ces témoignages, qui ajoutent singulièrement à l'intérêt que peuvent présenter ces quelques pages. De précieux souvenirs concernant le général de division Frédéric Legrand ont été confiés récemment au Musée de guerre de Gravelotte : ces remarquables collections s'enrichissent ainsi dans des conditions bien dignes, semble-t-il, d'être relatées. Passé lointain, questions anachroniques... dira-t-on. Mais l'intérêt que manifestent bien des Français pour l'Année Terrible n'est-il pas stimulé par l'approche du centenaire de ces funestes événements ? Metz même, enjeu de la lutte et rançon de la défaite, fut au centre de ce drame historique dont les terribles conséquences sont loin d'être épuisées : les rémanences en apparaissent quotidiennement, de façon pesante parfois, aux esprits avertis ! Peut-on, dans notre cité, rester insensible au sou venir de cette période tourmentée et à l'évocation de glorieux épisodes qui, déjà, laissaient présager de tout autres lendemains ? 1 92 SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FREDERIC LEGRAND I Le 16 août 1870, alors que la bataille de Rezonville faisait rage, le général Fr. Legrand, commandant la division de cavalerie du 4e corps (Ladmirault), tombait à la tête de ses escadrons dans les charges mémorables du plateau de Ville-sur-Yron, au nord de Mars-la-Tour, l'un des derniers grands chocs de cavalerie de l'Histoire. Aux deux adversaires l'enjeu de ce furieux engagement avait paru capital. En fait, le combat indécis et trop excentrique, à l'extrême droite de l'armée française, n'eut pratiquement aucune influence sur le déroulement ultérieur des opérations. Il n'en avait pas moins été mené, de part et d'autre, avec le plus grand acharnement. Historiens et critiques militaires n'ont point manqué d'épiloguer sur cette chaude affaire, longtemps restée obscure ! Comment s'en étonner ? « Alors, que se passa-t-il ? — écrit le capitaine Crestin. — 77 est impossible à aucun d'entre nous de le préciser, car il est difficile de voir au milieu du tumulte résultant du choc de deux cavaleries. » Nous n'entrerons pas dans le maquis des controverses passées. Bornons-nous à l'exposé des faits, tels que l'histoire militaire les a définitivement établis. Les Allemands de Frédéric-Charles, dont la situation des plus critiques s'aggravait de minute en minute, devaient à tout prix, pour éviter une catastrophe imminente, arrêter l'action offensive victorieuse du 4e corps français (Ladmirault), débouchant de Bruville en direction de Tronville et Mars-la-Tour. La brigade von Wedell, qui s'y opposait, venait d'être littéralement anéantie au « Fond de la Cuve ». Suprême espoir, lancer la cavalerie disponible dans le flanc droit des Français ! Vingt-deux escadrons purent être rassemblés, cuirassiers westphaliens, dragons et hou- zards prussiens, dragons oldenbourgeois, uhlans hanovriens. Ladmirault leur opposa des forces de cavalerie sensiblement équivalentes : division Legrand (2e et 7e hussards, 3e et 11e dra gons) 1 soutenue par la division du Barrail, réduite provisoirement 1 Le lie dragons, en soutien d'artillerie, ne prit pas part aux combats. 2 SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND 93 au 2e chasseurs d'Afrique 2, et par la Brigade de France (lanciers de la Garde et dragons de l'Impératrice). Sur le plateau de Ville-sur-Yron que borde à l'est le ravin de la ferme Greyère (ou Grizières), près de six mille cavaliers, aux uniformes chamarrés, s'affronteront avec fureur dans une lutte épique, tandis que de Vionville à Rezonville et au Bois des Ognons, la bataille atteindra son paroxysme. Dès 5 h 30 de l'après-midi, le 2e chasseurs d'Afrique « ouvrait la danse » : charge lancée, il sabrait une batterie prussienne aventurée et gênante, en dispersait les soutiens et refoulait les détachements et éléments avancés de la cavalerie ennemie avant de se rallier. Mais voici la division Legrand qui débouche du ravin de la ferme Greyère et se déploie aux allures vives. « Mon Général, dit du Barrail, il est trop tard pour profiter du désordre que mes chasseurs ont provoqué dans les rangs ennemis !» — « Tant pis, répond le général Legrand averti de l'impatience manifestée à nouveau par Ladmirault ; j'ai reçu l'ordre de charger, je charge ! » — Il faut préciser que, ce jour-là, excédé par une première obser vation assez inopportune de Ladmirault, il était, si l'on en croit les officiers de son état-major, d'une humeur exécrable. Le colonel du 2e hussards avait proposé d'ébranler au préalable les lignes de la cavalerie allemande à coups de mousquetons-chassepot : « Non, au sabre », avait répliqué le général3. Et il avait découplé la brigade légère du général de Montaigu, qui, au galop et le sabre haut, s'élançait aux cris de « Vive l'Empereur ! ». Lui- même, monté sur un vigoureux cheval d'armes à robe noire, suivi de son état-major, puis du 3e dragons en deuxième échelon à droite, conduisait ainsi avec vigueur la charge de sa division. Soldat magnifique, le général Legrand portait la tenue des officiers de l'armée d'Afrique : ceinture de laine rouge roulée sur le dolman à larges brandebourgs retenus par des olives de 2 La brigade de chasseurs d'Afrique du général Margueritte escortait l'empereur en route pour le camp de Châlons ; elle avait remplacé dans cette mission, à partir d'Etain, la Brigade de France, de la Garde impériale. 3 Ce dédain apparent pour les armes à feu était normal avant l'apparition d'armes à tir rapide et à longue portée. La cavalerie, arme du mouvement, de la vitesse et du choc, ne devait pas être une « infanterie montée ». Le très éminent général Bonnal écrivait encore en 1908 « ... on voit la cavaleirie..., employer des moyens indignes d'elle, comme le tir à cheval pour ébranler l'ennemi avant l'attaque... » 3 SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND 95 soie ; épaulettes d'or frappées des trois étoiles d'argent ; haut képi galonné et étoile coiffant ses cheveux blancs. Le voici abordant les premiers rangs de la cavalerie alle mande. « Combattant comme un simple cavalier », dit un témoin, il est bientôt au cœur de la mêlée. Mais son cheval s'abat, fou droyé ; dans la chute, son épée se brise, une jambe reste prise sous la monture. Son aide de camp, le lieutenant Voirin, un major de Saint-Cyr et de l'Ecole impériale d'état-major, a sauté à terre pour secourir son chef. Mais, en vain ! Démonté et désarmé, foulé Photographie du lieutenant Voirin. aux pieds de leurs chevaux par de peu chevaleresques dragons oldenbourgeois, le général reçoit de très graves blessures. Voirin s'effondre, frappé de nombreux coups de sabre. 5 96 SUR LA MORT DU GÉNÉRAL FRÉDÉRIC LEGRAND Il est 6 heures. Le soleil, si ardent dans la journée, décline déjà sur les Hauts de Meuse. On entend vers Rezonville le gron dement incessant des artilleries adverses déchaînées. Sur le plateau de Ville-sur-Yron, deux énormes nuages opaques de poussière blan che, correspondant à deux mêlées distinctes, se sont élevés sous le galop des chevaux ; on y perçoit des clameurs, les cris de « Vive l'Empereur » répondant aux « Hourrahs » allemands, le cliquetis des armes qui s'entrechoquent, le crépitement des coups de feu. Des groupes surgissent, puis disparaissent à nouveau dans la pous sière. L'entrée en ligne de nouveaux escadrons allemands d'une part, des lanciers de la Garde et des dragons de l'Impératrice d'autre part, ne peut qu'accroître le tumulte et la confusion : certaines analogies dans les uniformes, en effet, amènent de fâcheuses méprises entre combattants d'un même parti. Rompre le combat dans de telles conditions est bien risqué, mais peut-on tarder plus longtemps ? De part et d'autre, des trompettes réussissent enfin à se faire entendre, sonnant des ralliements d'une extraordinaire difficulté. Quelques instants encore, et la cavalerie allemande se replie en désordre au-delà de Mars-la-Tour et jusqu'à Puxieux pour s'y reformer, tandis que nos escadrons, tout aussi désunis et exténués, se regroupent au sud de Bruville, couverts par le 2e chasseurs d'Afrique, ardent au combat et infatigable manœuvrier : il est 6 h 30 (du soir). II Cependant, la division de cavalerie du 3e corps 4, accourue, allait chasser les fractions ennemies attardées, assurant l'occupa tion du plateau de Ville-sur-Yron que l'ennemi ne menacera plus. Morts et blessés par centaines 5, armes brisées, pièces de harnachement jonchant le sol, chevaux abattus ou errants par petits groupes affolés, cavaliers démontés, mais résolus, se repliant le mousqueton au poing, tout témoignait de la violence exception nelle du combat, de la valeur des adversaires qui s'étaient affron tés, de la fougue et de l'esprit de sacrifice de leurs chefs.