Guémené-Sur-Scorff. Pays Des Pourleths
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Paul LE BOURLAIS GUÉMENÉ - SUR - SCORFF Pays des Pourleths Préface de Louis LE CUNFF Illustrations Joë LE FUR 1963 «Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber... » Gérard DE NERVAL Il m'arrive souvent de fredonner une sorte d'air qui n'est chaque fois ni tout à fait le même, nt tout à fait un autre; un air ancien à la fois désinvolte et mélancolique auquel je suis sans doute seul à trouver des charmes secrets. Si j'ai au cœur quelquè tristesse, il prend l'allure d une complainte où je retrouve toute la misère d'un peuple longtemps oublié. Mais lorsque la joie se glisse en moi et me réchauffe comme un soleil printanier, alors l'amertume de ma vieille mélopée s'évapore doucement et des oiseaux inconnus mêlent leurs trilles légères à mes notes bourrues. Il est pour moi comme la clef magique d'un royaume impossible : chaque mesure fait surgir du fond de ma memoire les éléments précis d'un paysage oublié : voici les boucles d'une rivière bordée de saules, voici des prairies vastes et paisibles ; voici des chemins creux, quasiment mûrés par des chênes noueux et des hêtres moussus ; voici des maisons basses aux toits de chaumes ; voici des allées rectilignes qui conduisent vers un manoir... Comme il faudrait alors peu de chose pour que le passé s entrou- vre et laisse apparaître, dans leur réalité changeante et multico- lore, des personnages sortis d'un livre d'histoire : Un jeune enseigne de vatsseau mettant le leu aux poudres, alors que les pirates viennent de prendre son bâtiment à l'abordage : Hipppolyte Bisson : Un vieux prêtre penché sur des livres et qui rêve d'un voyage entre la Terre et la Lune : l'Abbé Moigno... Un joli marquis de vingt trois ans, dont la tête tombe sous la hache du bourreau parcequ'il a conspiré contre le Roi Louis XV : Pontcallec... Une fille arrogante à la crinière rousse, tenant au bout de ses pistolets les prévôts du Roi : Marion du Faouêt, chef d'une bande de hors la loi... Et puis, des soldats de toutes armes, de tous grades, de tous uniformes : Maquisards des années 40 à 44, Fusiliers-marins res- capés de Dixmude, Poilus des régiments bretons, Grognards de l'Empire, Chouans en sabots, Volontaires de la Révolution, Dragons et Chevau-légers de l'ancien régime, et, plus loin encore dans le temps, Ligueurs casqués du Duc de Mercœur... Tout cela formant pour moi le « Livre d'Heures » de Guéméné, le « Livre Saint » du pays pourlet. De Bubry jusqu'à Méllionnec et de Séglien jusqu'à Meslan, c'est en effet le même pays, c'est le même peuple qui continue de garder, en plein cœur de la Bretagne terrienne, son visage si particulier... Terre de conteurs et de poètes, royaume des solides lutteurs et des batailleurs de pardons, paradis (terrestre) de nos vieux Saints celtiques, toujours vénérés, toujours accessibles aux prières bien dites et aux repentirs sincères : je viens soudain de vous recon- naître... Amiraux et Ducs, seigneurs anciens, brigands, Chouans et Citoyens, bonnes femmes à capois-ribots, prîseuses, fumeuses de pipes en terre, laboureurs, bergers et maquignons, tous mangeurs d'andouille et buveurs de cidre : je vous retrouve tels qu'en vous mêmes ma mémoire et mon imagination vous ont fixés ; je vous retrouve plus précis que jamais grâce à l'excellent ouvrage que vous consacre un authentique Guémenoîs : Paul Le Bourlais Celtisant, ancien marin, curieux de toutes choses, vous représen- tez pour moi, Paul Le Bourlais, un type de Breton maintes fois rencontré au hasard de mes pérégrinations à travers le monde : rien ne leur parait plus beau, plus attachant que leur propre pays, la Bretagne. Et au sein de cette Bretagne, que leur paroisse, leur plou, comme on disait jadis. Vous avez parcouru les mers et vu des pays merveilleux. Peut- être avez-vous, rêvé sur l'Acropole vous aussi; mais c'est toujours vers la Bretagne, c'est toujours vers Guémené et sa rivière que vous ramenaient vos pensers. Sans doute portiez-vous déjà en vous le projet de ce livre. Ce n'est plus un projet : c'est une réalité, vivante et haute en couleurs. Soyez-en remercié, Paul Le Bourlais. Au nom de tous les Pourlets... Au nom de tous les Bretons... Et, j'en suis sûr, au nom de tous les amis de !a Bretagne. Louis LE CUNFF. AVANT-PROPOS Guémené est une petite ville située au cœur de la Bretagne, dans le Morbihan. Devenue chef-lieu de canton lors de la réorganisation administrative de 1801, on l'appela Guémené- sur-Scorff ; le Scorff est une rivière qui coule dans le bas de l'agglomération, ce qui la distingue de Guéméné-Penfao, autre chef-lieu de canton de la Loire-Atlantique. Mais Guémené est aussi un nom que l'on trouve mêlé à l'histoire de la Bretagne et de la France dès le moyen âge ; l'érection d'une motte féodale vers 1050 à cet endroit de la vallée du Scorff est à la base de la fondation de l'agglomé- ration. Le fief de Guémené, après la domination de quelques seigneurs dont on ne connaît que peu de choses, passa, à la fin du XIV siècle, aux mains d'une branche des Rohan, les Rohan-Guémené, qui y restèrent jusqu'à la Révolution de 1789. La petite cité a toujours belle allure quoique son aspect primitif de ville moyenâgeuse se soit transformé par les besoins de l'urbanisme. Elle garde encore, malgré cela, un cachet caractéristique de son ancienneté avec ses maisons à pignon sur rue parmi lesquelles ressortent quelques façades à encorbellement qui sont comme la signature de l'art archi- tectural situant cette lointaine époque. On y remarque aussi ce qui reste de la forteresse des Rohan-Guémené : un immense pan de mur à créneaux, une porte monumentale de style ogival et la base du corps de logis du château. Dans le pays, des légendes et des chansons font revivre ces vieilles pierres et vous transportent dans de fastueuses époques, évoquant l'apparition des seigneurs, leur carrosse traîné par des chevaux blancs, les soldats faisant le guet, les vieilles halles, etc. Derrière cela se cache une his- toire que nous avons essayé de conter. Nous savons qu'il existe déjà, au sujet de la période féodale, des travaux particuliers d'érudits, certains déjà publiés, d'au- tres inédits ; en les classant dans leur temps ils nous ont aidé à donner à ce travail un aspect plus complet de l'histoire de Guémené pendant cette époque. Pour la période contempo- raine, des travaux d'historiens et les archives nous ont donné des indications précises nous permettant de faire connaître les douloureuses années révolutionnaires et de suivre l'évolu- tion de la société guémenoise vers les temps nouveaux. Ce travail, sans doute incomplet, est donc, pour une part, un résumé de ce qui a déjà été écrit. En l'entreprenant, nous n'avons eu aucune ambition, si ce n'est celle de faire aimer notre petite ville comme nous l'aimons et nous croyons la faire aimer davantage en racontant sa passionnante histoire. P. Le B. NOS SOURCES GÉNÉRALITÉS Histoires de Bretagne, de Durtelle de Saint-Sauveur et A. Dupouy, un essai de Maurice Duhamel. TRAVAUX D'ÉRUDITS Chanoine Le Mené, professeur Joseph Loth, professeur Corgne, Monseigneur de Villeneuve, M. du Holgoët.. DOCUMENTATIONS DIVERSES Archives de Guémené, revues et bulletin de différentes sociétés d'archéologie et l'ancien écho paroissial de Guémené La Cloche. DANS LES TEMPS ANCIENS Dans les temps anciens, le territoire où se situe Guémené faisait partie, comme tout le cœur de la péninsule armori- caine, d'une immense forêt qu'on appelait le Poutrocoët. Les habitants de cette primitive Armorique étaient surtout dissé- minés sur le bord des côtes, le centre restant pratiquement inhabité. Leur présence sur le littoral est marquée encore de nos jours par les menhirs et les dolmens qu'on y rencontre. Dans l'intérieur, qui semble n'avoir été occupé que sur cer- tains points épars, ces pierres sont plutôt rares. Pour la région de Guémené on signale cependant un menhir et un dolmen près du village de La Villeneuve en Langoëlan ; les « gens » du pays appellent ce dolmen « longe er torré- ganet », en français « loge des korrigans ». Notre compatriote Joseph Loth, l'éminent celtisant, a découvert des tumulus à Saint-Hervézen en Lignol et à Kerservan, près de Locuon. Lors de la mise au jour de ces sépultures préhistoriques, on trouva des poteries contenant les cendres des guerriers inhu- més sous ces amas de pierres et de terre. En ce qui concerne Guémené, des érudits ont déterminé qu'une station humaine aurait aussi existé dans ces temps reculés. La découverte de plusieurs haches en pierre polie au cours des fouilles d'une très vieille motte dont l'emplacement se trouve à la sortie de la ville, vers Lorient, à l'endroit désigné sous le nom de la « Motte à Madame », « er votenn » en breton, démontrerait, en effet, l'existence d'être humains en ce lieu à l'âge néolithique, soit quelque 3 000 ou 4 000 ans avant Jésus-Christ. Cet âge correspondrait également avec l'apparition des dolmens, menhirs et tumulus dont nous par- lons plus haut. Plus près que cela, quand les Romains envahirent la Gaule, l'Armorique fut aussi soumise par eux vers l'an 25 de notre ère, et c'est sans doute à cette époque que le cœur du pays commença vraiment à se peupler grâce aux travaux de voirie et installation de camps que l'occupant fit exécuter par les Armoricains réduits à l'état d'esclaves.