n° 235- 24e année La lettre des Amis de Montluçon Société d’histoire et d’archéologie  [email protected] Compte rendu de la séance du 10 janvier 2020 www.amis-de-montlucon.com Paysages montluçonnais aux xve-xvie siècles à travers le polyptyque de la vie de la Vierge Les Amis de Montluçon avaient invité Olivier Troubat pour cette première conférence de l’année 2020. S’appuyant sur un riche diaporama, le conférencier a analysé chacun des sept panneaux composant ce polyptyque pour retrouver les paysages locaux ou les monuments que le peintre a représentés dans cette œuvre. Si nous pouvons en deviner quelques- uns, les explications d’Olivier Troubat ne seront pas de trop pour nous faire découvrir et localiser les autres.

Le peintre et les peintures Le polyptyque de Notre-Dame de Montluçon comprend Le polyptyque conservé dans l’église Notre-Dame de 7 panneaux en bois de chêne. Ils représentent : Montluçon est l’œuvre d’un peintre réputé, Jacquelin de 1 - La rencontre de Joachim et d’Anne à la Porte-Dorée Montluçon, fils du peintre Jean de Montluçon. Tous deux sont 2 - La naissance de la Vierge actifs à Bourges, comme peintres de chevalet, peintres verriers 3 - L’Annonciation et enlumineurs, entre 1461 et 1505. Jacquelin est aussi connu 4 - La Sibylle de Libye annonçant à l’empereur la naissance du Christ pour avoir séjourné à Chambéry entre 1496 et 1497, où il a 5 - La présentation de Jésus au Temple peint l’important retable du couvent des Antonins. 6 - L’Assomption 7 - La présentation du donateur À noter sur votre agenda… Le donateur porte les armes de la famille de Laage qui Vendredi 14 février 2020, 18 h possède plusieurs biens dans les environs de Montluçon, Salle Salicis, rue Lavoisier à Domérat, Lavault-Sainte-Anne, Quinssaines, etc. Cette e Jean-Paul PERRIN famille s’éteint au XVI siècle. Domérat (1950-2000), de la petite cité Conventions de représentation vigneronne à la commune périurbaine La topographie du paysage est exagérée. Les courbes et les pentes sont plus importantes que dans la réalité. C’est un Samedi 14 mars 2020, 15 h 30 « code de représentation » qu’on retrouve habituellement au Moyen Âge et qui se perpétue sur les lithographies du Salle Robert-Lebourg, rue de la Presle XIXe siècle, par exemple pour Montluçon dans l’Ancien Sophie LIÉGARD Bourbonnais d’Achille . Archéologie d’une ville médiévale Les monuments sont regroupés en vue cavalière et ne bourbonnaise : sont pas forcément ordonnés. C’est un procédé habituel, comme on le voit par exemple dans les villes et châteaux de Samedi 4 avril 2020, 15 h l’armorial de Guillaume Revel. Salle de conférence du MUPOP, Un procédé répétitif est utilisé tant dans les personnages rue Notre-Dame que dans les bâtiments représentés. Le même monument Daniele RIVOLETTI peut être reproduit plusieurs fois sur les différents tableaux. La sculpture en Bourbonnais Veut-on par-là accentuer son importance et le caractère symbolique qu’on souhaite lui attacher ? à la fin du Moyen Âge 1 fruits, d’où il sort en particulier une poire, fruit également présent dans la main de Jésus sur la statue de la Vierge à l’Enfant de l’église Notre-Dame. Panneau 1 : sainte Anne et saint Joachim À travers une porte de ville, une rue se dessine, où l’on reconnaît la fontaine de la place de la Fontaine, appelée autrefois fontaine Notre- Dame. Toute cette scène tient dans un registre de 5 cm de large seulement. La rue est animée et l’on y voit une rigole d’eau s’écoulant depuis la fontaine. Or les archives de la ville témoignent de travaux sur les fontaines Notre-Dame et Saint- Annonciation de l’ange à saint Joachim Pierre en 14792. Bordée La représentation de la campagne environnante et des de maisons de pierre, animaux la rue est en pente avec Les paysages représentent des zones de plaines une rigole coulant en Fontaine de la rue de la Fontaine direction de la porte de bordées de forts reliefs comme on en voit à Montluçon, et scène de rue essentiellement à l’est et au sud de la ville. Cette zone ville. Elle est animée correspond globalement à l’ancien archiprêtré de Narzenne, avec des boutiques à enseignes : étoile d’or, écus, ustensiles basé à l’origine à Néris, archiprêtré dont dépendait la ou pains ronds. Une femme remplit un seau à la fontaine, une paroisse Notre-Dame, contrairement à Saint-Pierre qui autre porte deux seaux sur un porte-épaule, une autre lave relevait de l’archiprêtré d’. du linge, un cavalier fait boire son cheval, des ânes chargés circulent avec des passants. À l’arrière-plan, on distingue Cette représentation apporte déjà des informations avec un donjon carré et un clocheton d’église surmonté d’une une occupation des sols qui n’est pas anodine : prairies et croix. M. Fournier-Sarlovèze y reconnaissait « la rue de la forêts. Pas de haies ou très peu. Or, on sait que le paysage de Fontaine, le clocher du prieuré Saint-Nicolas »3. On pourrait l’ouest bourbonnais, contrairement au centre de la province, reconnaître effectivement cette rue avec une perspective a évolué de l’openfield au bocage pendant la période du cavalière et une vue d’artiste rajoutant du château XVIIe au XVIIIe siècle.1 On reconnaît des alignements d’arbres sur la droite. et des maisons encloses de palissades de bois. Une autre scène, sur la droite du tableau, montre un Ce paysage ouvert s’explique et se complète en partie château présentant également un donjon carré et les mêmes grâce aux animaux représentés. La spécialisation de l’élevage échauguettes que celui figuré dans la ville. On voit aussi une bovin ne s’est pas encore faite dans la région, et c’est la grosse tour ronde à droite et un grand bâtiment rectangulaire nécessité des enclos pour ce type d’élevage qui créera le couvert de tuiles à l’arrière. Il est représenté en haut d’un bocage. Les animaux représentés sont essentiellement des rocher entre d’autres montagnes. Un soleil le surplombe, qui troupeaux de moutons blancs et gris gardés par des bergers éclaire également la scène de l’ange annonçant la grossesse et des chiens, dans un paysage ouvert. Or le Bourbonnais de sainte Anne à saint Joachim. La scène de l’Annonciation est réputé alors pour ses exportations de laine et étoffes à Marie montre également un château à donjon carré, une de laine. On voit quelques chèvres blanches également, grosse tour ronde à droite et un grand bâtiment couvert mais les bovins ne sont représentés qu’en bêtes de somme, de tuile à l’arrière. Il est également surplombé d’un soleil de transport ou de labour. Les chevaux sont représentés éclairant la scène de l’Annonciation. Un long escalier le également en bête de trait et bien sûr de monte. Un animal longe avec des personnages qui le gravissent. Lucien Duchet ressemblant à un cochon est utilisé également comme bête écrit en 1896 : « les anciens habitants de notre ville ont de somme, peut-être une fantaisie de l’artiste. On remarque tous connu l’escalier, semblable à celui-ci, qui conduisait à également des ânes chargés. la plate-forme, et qui a été détruit il y a environ cinquante 4 Autres animaux présents : dans la présentation au ans ». Les représentations sont assez fidèles à un modèle temple, des oiseaux sont amenés dans un panier. La tradition montluçonnais bien connu, celui du blason de la ville. Celui religieuse voudrait que ce soient des pigeons, mais là, ils 2. Perrot de Saint-Angel (G.B.), Montluçon ses établissements ressemblent plus à des cailles. On distingue également un civils et religieux du Moyen äge au XIXe s.…, Montluçon, 1913, cygne, et aussi une scène de chasse à courre avec chevaux p. 192. et biche ou chevreuil poursuivi. 3. Fournier-Sarlovèze (M.), « Quelques primitifs du centre de e Enfin, saint Joachim offre à sainte Anne un plateau de la », Bulletin des Amis Montluçon, 1 série, n° 3, p. 70- 71, 1912. 1. Paillet (A.), Archéologie de l’agriculture en Bourbonnais…, 2 4. Duchet (L.), La vie de la Vierge, d’après le tableau à Nonette, 1996, p. 67. compartiments de l’église Notre-Dame de Montluçon, Moulins, 1896. est présent notamment sur le blason de l’hôpital, daté de Si l’on était en présence d’un témoignage de cet ancien 1588. Il est reproduit dans d’autres terriers et gravures, avec château, il faudrait noter l’existence sur les 3 panneaux de le donjon carré. La grosse tour pourrait correspondre à la tour bâtiments en hauteur, en grisaille, à chaque fois à gauche. d’angle de la rue du Petit Château, qui affecte un diamètre Dans la perspective de Néris, il pourrait également s’agir d’un château disparu (Réaux), ou des châteaux de Néris en perspective cavalière (Cerclier, Pérassier, etc.).

Ci-dessus : blason de la ville : représentation de 1588. Ci-contre : château sur montagne entre les monts sous soleil figuré et escalier signalé comme détruit au milieu du XIXe siècle

nettement supérieur à toutes les tours de l’esplanade. La vallée à l’arrière-plan est très encaissée, on y distingue au fond une vue que nous rapprocherons plus loin de Néris. L’ange annonciateur survole la vallée. Nous sommes dans un tableau dédié à sainte Anne. Sainte Anne est très présente à Montluçon. Elle avait sa statue au débouché de la vallée quasi-éponyme du Diénat. Maurice Piboule évoquait les saints de ces côtes, mais aussi le légendaire de cette gorge de rivière, avec le Roc du Saint. Promenade des Montluçonnais évoquée par une gravure d’Achille Allier, il fut détruit au XIXe siècle.5 Cette vue illustre-t-elle le Diénat ? On y remarque une galerie à colonne couverte, comme le côté d’un cloître. Trois représentations du château Panneau 2 : Nativité de la Vierge figurant sur le polyptyque Par la fenêtre ouverte, on distingue un paysage de Panneau 3 : Annonciation plaine avec un laboureur derrière son cheval. Dans le fond Au premier plan du paysage, un moulin fourmille de détails : en grisaille, un bâtiment sur colline et peut-être des tours roue à aubes, grange, appentis, pont sur le ruisseau, charrette à droite. Sur le panneau 1, on remarque une grande tour à roues, meunier chargé d’un sac, âne chargé et un animal dans la direction présumée de Néris. Sur le panneau 3 que mal défini, qui ressemble à un cochon chargé d’un sac, mal nous verrons plus loin, bien identifié à Nerdre en direction dessiné ou fantaisie de l’artiste. À l’arrière un gibet avec un de Néris, des tours se remarquent également. Or, Néris pendu, et sur la droite un champ avec des moutons, et des possédait un château, dont il reste les fondations, visibles tours au fond. notamment sous les pyramides de verre, près de l’église. Nicolas de Nicolay nous décrit en 1569 un château sur motte Il s’agit là d’un des éléments parmi les plus simples à fossoyée et de forme pentagonale, entouré de murailles et de comparer. Il semble, en effet, qu’il s’agisse du moulin de six tours, dont une plus considérable servant de donjon. Au Nerdre, situé sur la route de Néris. Deux bâtiments existaient XVIIIe siècle, on la surnommait la « tour de Néron ». Elle encore jusque dans les années 1970 et la comparaison aurait mesuré 20 m de hauteur et se serait écroulée en 1728.6 des photos les rapprochent assez remarquablement de la peinture du panneau 3. 5. Piboule (M.), Promenades légendaires et historiques près de Montluçon, à compte d’auteur, sans millésime. Piboule (M.), Le bassin montluçonnais - Dits et non-dits, Montluçon 2005. Touchard-Lafosse, La Loire historique… Nantes, 1841, vol. 2, p. 123 : Nous avons signalé le Roc du Saint : le voici se dessinant au penchant d’un coteau, où des touffes de buis et de rouges bruyères croissent seules sur un terrein dénudé, entre les rochers. Dans cette grotte noircie par la fumée, la tradition locale reconnaît l’habitation d’un saint ermite, dont elle ne dit pas autrement l’histoire. Plus loin se présente le Trou du Serpent : serpent ailé, ma foi, qu’un noble chevalier combattit jadis, et dont il demeura vainqueur… ». Moulin en arrière de la scène de l’Annonciation et moulin de 6. Nicolay (N. de), Générale description du Bourbonnois en Nerdre détruit dans les années 1970 1569, Moulins, 1875, p. 102. Près de l’église « se voient les ruines d’un ancien chastel situé sur une mothe fossoyée estant à cinq sixiesme plus haute et plus grande que les autres… ».Touchard- 3 faces ou forme pentagone, ayant cinq petites tour rondes et une Lafosse, La Loire historique… Nantes, 1841, vol. 2, p. 124. Panneau 4 : annonce de la Sibylle Pas de paysage dans ce panneau, mais les initiales J.M. de Jacquelin de Montluçon, entrelacées dans les broderies de la robe de la Sibylle. Panneau 5 : Présentation au temple Pas de paysage non plus dans ce panneau. Panneau 6 : Assomption La Vierge monte au ciel et donne sa ceinture à Saint- Thomas. Une rivière passe entre deux montagnes, avec à gauche une chapelle à clocher-mur et une maison villageoise ; et à droite un bâtiment à tour ou clocher. Une scène de chasse à courre se déroule au-dessus du caveau, avec des cavaliers, des chiens et une bête poussée vers des personnages qui tiennent peut-être des rets pour la capturer. Arrière-plan du panneau 6 (Assomption) Dans la rivière, un cygne et un pêcheur à la ligne. avec église et autres bâtiments en bord de rivière. Chasse à courre, pêcheur à la ligne Ce paysage a donné lieu à des identifications fallait évoquer des paysages et bâtiments de la ville, l’église hasardeuses. M. Fournier-Sarlovèze y a trouvé le château de paroissiale qui abrite les épisodes de la vie de sainte Anne Bisseret ou de Bien-Assis ou de la Brosse, la chapelle Saint- et de la Vierge manquerait singulièrement. On remarquera Jean ou de Lavault. Pour Lucien Duchet, il s’agit des bords que l’église – peut-être de Sainte-Anne – par le jeu de la du Cher près de Lavault-Sainte-Anne. Pour le Chanoine perspective, est de même taille que l’autre édifice – peut-être Clément : « Il est certain que la vieille église à campanile du de Notre-Dame. L’artiste aurait-il voulu symboliquement tableau ressemble en tout point à l’église de Saint-Genest » 7 montrer la filiation symbolique des deux églises et placer au et il voit à côté un « fier château ». même niveau celle dédiée à sainte Anne et celle dédiée à sa Les églises à clochers-murs ne sont pas rares autour fille Notre-Dame ? de Montluçon. C’était le cas de la chapelle Saint-Jean, de Le polyptyque représente d’ailleurs Sainte-Anne trois l’ancienne église de Quinssaines, de Saint-Genest-vieux- fois et Notre-Dame également trois fois. bourg, de Frontenat (à Saint-Martinien), de Polier (à ), de . Celle de Lavault-Sainte-Anne a été modifiée avec Panneau 7 : le donateur l’adjonction d’un clocher en façade. Quant à celle d’Argenty Il s’agit du sire de l’Aage, de l’Âge-Bartillat à Saint- à Teillet-Argenty, elle est en partie détruite, mais comme elle Martinien, seigneur de Chezelles, de la Cour-de-Domérat, de est dépourvue de clocher-tour, elle devait porter aussi ses Puyhaut, de Lavault-Sainte-Anne, de Quinssaines. On peut cloches dans un mur. penser que son prénom est Michel en raison de la présence Si l’on part du postulat que la chapelle peinte représente du saint éponyme. Il est chevalier comme le montre ses un certain degré de fidélité à l’original, on remarquera que éperons d’or. L’église est imaginée. Mais par contre la baie le clocher-mur est au milieu de l’église et non en façade figurée au fond évoque la baie orientale de l’église Notre- et qu’une fenêtre de façade est dessinée. Cela réduirait le Dame. choix entre Argenty et Lavault-Sainte-Anne. Ou alors peut- être Saint-Genest-Vieux-Bourg, mais l’état de destruction de cet édifice est trop avancé pour pouvoir le comparer. Olivier Troubat La position en bord de Cher n’est occupée que par deux églises : La première est celle de la Petite-Marche, dédiée à Saint-Thomas, justement présent sur le panneau. Hélas, l’église a été détruite et reconstruite au XIXe siècle et le plan précédent n’est pas connu. La seconde à remplir aussi ce critère est celle de Lavault-Sainte-Anne. Si Lavault-Sainte-Anne remplit tous les critères, sa position face à un château est aussi intéressante : juste en face s’élevait le château de Chauvières, qui appartenait au donateur du polyptyque. Mais à y regarder de près, l’édifice en face de la chapelle est-il un château ? La tour avec ses nombreuses fenêtres évoque également un clocher et le clocher de l’église Notre-Dame de Montluçon ressemble beaucoup à celui du polyptyque abrité dans cette église. S’il

7. Fournier-Sarlovèze (M.), « Quelques primitifs du centre de la France », Bulletin des Amis Montluçon, 1e série, n° 3, p. 70- 71, 1912. Duchet (L.), La vie de la Vierge, d’après le tableau à À gauche : baie orientale de À droite : baie du panneau compartiments de l’église Notre-Dame de Montluçon, Moulins, Notre-Dame de Montluçon du donateur. 1896. Clément (J.H.), Le tableau à compartiments de la vie de la 4 très Sainte-Vierge, dans l’église de Notre-Dame de Montluçon. Art flamand fin du eXV siècle. Moulins 1896.