Chassy. Aux Confins De Trois Provinces
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CHASSY GABRIELLE/COIN CHASSY Aux confins de trois provinces Berry • Bourbonnais • Nivernais Carte aérienne au l/30000ërae des Services de l'Armée. INTRODUCTION Chassy s'est présenté à moi, simplement, dans un temps de boule- versements sociaux. Le siècle n'avait guère plus de trente ans. Et cer- tes, la "bonté" du terroir, la mesure et la grâce du climat, ne m'ont pas fait moins aimer le romantisme, les rigueurs aussi parfois, de la Comté qui m'avait élevée. Je goûtais cependant pleinement la paix en ce lieu-ci. Moins de dix ans plus tard, la brûlante actualité déferle dans ce havre de quiétude... Voici venir du Nord la détresse de ceux qui fuient devant l'invasion. Ils ont passé la Seine, les ponts de Loire bombardés,... plus lamentables d'autres suivent, il y a des malades graves,... le canon tonne de La Charité, ... de nouveaux groupes ac- courent de l'Est, les troupes allemandes combattantes en même temps sont partout dans le Bourg. C'était en juin vous le savez. La saison était belle. Je me souviens du potager de devant la maison. Insolence de cette verdeur, là où rien semblait-il, n'aurait dû se passer! Les épreuves et les deuils s'estompent, le quotidien est le plus fort. C'est pourquoi entre son passé et son devenir, chaque jour cette terre du centre m'interpelle et lorsque, à Baugy, la So- ciété d'Archéologie décide que soit écrite la monographie de chacune des communes du Canton, je lève la main pour Chassy. Carte de Cassini III montrant les étangs de Chassy et alentour. CHASSY, ESPACE RURAL L'HYDROLOGIE ET LES ETANGS C'était en 1933, au mois de mars, ou peut-être en avril .. Les terres se couvraient des blés en herbe. L'horizon offrait un rideau boisé. Au Liard, nous avions traversé la Vauvi-se. Elle avait auparavant reçu plusieurs affluents, parmi les premiers celui que ses riverains nomment familièrement "La Petite Vauvise" et qui revenait souvent dans les propos autour de moi... Garigny passé, -nous attendions cet instant- au détour de la route c'est tout le romantisme du Berry : le Château de Doyes sur la droite, l'étang à gauche reposant sous les nénuphars et le vol des oiseaux à vie aquatique!... Dans les années vingt, des garçons de quinze ans y venaient à bicyclette, de Mornay, de Chassy ! Sur les bords, ils se rafraîchissaient, parfois se baignaient... Quels joyeux souvenirs ! Voici venir enfin la Petite Vauvise, dans sa partie la plus secrète, surprise à border quelques jardins, mi pré-vergers, mi potagers.. Ce fut mon premier contact avec Chassy : le ruisselet sautait un barrage sous le ponceau de bois, visitait le lavoir étroit suivi d'une passerelle familiale, jouait à fleurir les iris jaunes et bientôt les reines des prés... Juste pour se perdre dans l'ombre des grands saules!... Je pre- nais plaisir à la regarder faire ! - "C'est l'entrée du bief de l'ancien moulin... Voyez les deux bornes qu'on a peintes en blanc !" Sans perdre de temps, Grand'Mère Honorine, son panier à sa- lade glissé sous le bras gauche, s'activait déjà à récolter les pissen- lits. Ce faisant, elle m'expliquait le réseau d'amont... Je la suivais au Creux des Joncs, sur le bord des Etangs de Villiers, de Marelles, dans les prairies mouillées, et bientôt son récit me ramenait vers le frêle cours d'eau, toujours fidèle me disait-elle, dont la naissance, si proche de nous, se situait dans cet ensemble que j'avais sous les yeux, une source appelée La Fontaine, le lavoir, la mare ... J'admirais ma compa- gne cernant adroitement chaque pied avec la pointe amenuisée de son cou- teau. Les "dents de lion" du botaniste se dressaient, se pressaient dans le panier... Nicolas, qui nous avait devancées, revenait de la pêche. Voyez- • vous, me dit-il, les grandes étendues de l'Aprée sur l'autre rive ? Je les retrouve toujours avec plaisir !... Demain vous pourrez vous y promener! Mais autrefois, elles étaient quasiment immergées... Au mieux, dans les bonnes périodes, il n'y venait que des "rauches"... Eh bien ! mon oncle, le P'pa Coin a draîné seul, au début du siècle, son "Pré d'Avor" comme il l'appelait, qui est alors devenu accessible aux troupeaux. Naturellement, l'exemple a été suivi. Et, petit à petit, toutes les terres se sont trouvées valorisées. Chacun par la suite a voulu, comme lui, marquer les limites de sa propriété, ce qui ne se faisait pas auparavant. Je hasarde la question classique : - Avez-vous fait bonne pêche ? - Oh ! une petite friture ! des vairons, quelques loches... Ce ne sont pas les prises de jadis ! - Jadis ! que se passait-il donc ? Et, jour après jour, j'apprenais, par exemple, que pour la consécration de l'église de la Charité, en 1107, alors que le Pape Pascal II était venu lui-même, les gens du prieuré, pour le festin, avaient "retiré de leurs filets plus de cent gros poissons, de cette sorte que l'on nomme saumons" (96). Même les pièces d'eau et les petites rivières étaient fort productives. Et l'on sait que "le Comte de Sancerre, Etienne 1er du nom, accordait en 1170, la dixième partie de tous les saumons qui se prendraient en ses écluses aux Religieux de Fontmorigny" (104), l'abbaye proche de Torteron. Les moines sans doute ne mangeaient pas de viande et le pois- son couvrait suffisamment leurs besoins en protéines animales, comme diraient aujourd'hui les savants. Ils avaient eux-mêmes des étangs. Il faut croire que partout le rapport était abondant. Pour preuve, ce contrat d'embauche dont la tradition garde le souvenir. Cela se passait au Bec d'Allier et concerne des ouvriers agricoles... Une disposition prise en leur faveur précisait que le saumon ne serait donné aux repas qu'une fois par semaine... Il revenait trop souvent à l'ordi- naire ! Cette clause, dit-on, fut vite étendue à d'autres groupes de tra- vailleurs ! Mais, plus tard, le poisson de nos étangs avait regagné une place d'apparat ... Ainsi, des carpes du Val de Germigny furent servies au banquet du sacre de Napoléon !... Les grands pourvoyeurs étaient alors, en effet, les pièces d'eau où se pratiquait l'élevage. Cependant, les écrits nous apprennent que dès les XIVe et XVe siècles les étangs du Berry" sont entretenus avec soin, les chaussées sont refaites, les bondes vérifiées, l'alevinage en carpeaux et en bro- cheteaux nécessite la distinction des étangs naisseurs des étangs de pêche, et la surveillance (est assurée) contre le braconnage et les loutres" (35a). Pour Chassy, les Archives de Villiers (114) mentionnent l'acquisition de l'Etang de Marelles, en 1524,sous François 1er, par René Thizard, trésorier de la Garde Ecossaise du Roi (107). L'étang est désigné encore dans une transaction de 1561, sous Charles IX (30a). Peut-être faut-il rapprocher ces opérations des événements où les biens du Connétable Charles de Bourbon sont impliqués, confiscation, restitu- tion, qui couvrent les années 1521 à 1561. Ces biens intéressaient notamment Germigny l'Exempt, fief donné par Louise de Savoie au Sire de la Bourdaisière, bisaïeul de Gabrielle d'Estrées(106a), et Fontenay. Les changements de frontières du Bourbonnais et du Berry dans notre secteur, qui en sont l'une des conséquences, rendent l'hypothèse vrai- semblable . Les étangs étaient alors nombreux ici et alentour. Une descrip- tion de Jean Chaumeau, en 1566, que nous pouvons lire dans un ouvrage dédié à "très illustre Dame et Princesse Madame Marguerite de France, Duchesse de Savoye et de Berry (fille de François 1er et de Claude de France), fait revivre "cette grande vallée, située au-dessous de Montfaucon" (Villequiers) "environ un jet d'arc, où passe une petite rivière nommée la Vau-vire qui vient en partie de l'Etang du Crotet" (au pied de la commune de Laverdines et qui s'étendait jusqu'à la di- gue de la Ferme de la Loge) "et d'autres petits ruisseaux de fontaines qui se rendent tous en la rivière de Loyre" (20). Il nous sera facile alors de nous reporter trois siècles en arrière pour imaginer à Chassy même ce paysage encore à l'état de natu- re caractérisé par la multitude des étangs, "la pêche desquels est de grand et merveilleux revenu" car "en tout ce circuit de ladite Ba- ronnie de Montfaucon ... où sont comprises les paroisses et seigneu- ries de Gron, La Faye, de Lyuron, Couy, Villabon, Seury, Marcilly, Marnay, Menestou, Farges, Avor, Azy, Salligny, Chassy, Garigny, Le Brion, Milly, Verrières, Percigny, Cru, Corbeil, Laffay, Mannay, Sanoye, Rigny, Boisbozon, Le Nuysement, Villiers, Le Coulpoy... et où est encore comprise et enclose la seigneurie, Châtel et bourg de Baugy, ... il y a bien cinquante étangs ou plus, qui sont grands et larges",... "L'un desquels appelé l'étang de Poligny" que la carte de Cas- sini situe sous Baugy, "contient environ quatre lieues de circuit et re- çoit en lui les eaux de quatorze étangs...". Que les étangs de Chassy soient de ce nombre ou n'en soient pas, la proximité et la similitude de vie invitent à leur appliquer la description de l'étang de Poligny... et à nous faire rêvera "au mi- lieu d'iceluy, il y a une belle et grande garenne fort épaisse et bien complantée de buissons, tant de geniève, genêts et autres espèces de bois, qui porte environ une lieue d'étendue ou circuit, laquelle est si fort peuplée de lapins et conilz selon la grandeur du lieu, que le récit en est quasi incroyable, parce que le lieu est environné d'eau fort profonde : si que le Seigneur même n'y peut entrer que par bateau ou nacelle, par ce moyen est hors de danger des renards et autres bêtes qui y peuvent nuire : dot les conilz y viennent si abondamment, que si la garenne n'était souvent, et presque tous les jours chassée par le Seigneur et ses officiers, il serait impossible qu'ils y puissent tous vivre.