CHASSY

GABRIELLE/COIN

CHASSY

Aux confins de trois provinces Berry • Bourbonnais • Nivernais Carte aérienne au l/30000ërae des Services de l'Armée. INTRODUCTION

Chassy s'est présenté à moi, simplement, dans un temps de boule- versements sociaux. Le siècle n'avait guère plus de trente ans. Et cer- tes, la "bonté" du terroir, la mesure et la grâce du climat, ne m'ont pas fait moins aimer le romantisme, les rigueurs aussi parfois, de la Comté qui m'avait élevée. Je goûtais cependant pleinement la paix en ce lieu-ci.

Moins de dix ans plus tard, la brûlante actualité déferle dans ce havre de quiétude... Voici venir du Nord la détresse de ceux qui fuient devant l'invasion. Ils ont passé la Seine, les ponts de bombardés,... plus lamentables d'autres suivent, il y a des malades graves,... le canon tonne de La Charité, ... de nouveaux groupes ac- courent de l'Est, les troupes allemandes combattantes en même temps sont partout dans le Bourg.

C'était en juin vous le savez. La saison était belle. Je me souviens du potager de devant la maison. Insolence de cette verdeur, là où rien semblait-il, n'aurait dû se passer!

Les épreuves et les deuils s'estompent, le quotidien est le plus fort. C'est pourquoi entre son passé et son devenir, chaque jour cette terre du centre m'interpelle et lorsque, à Baugy, la So- ciété d'Archéologie décide que soit écrite la monographie de chacune des communes du Canton, je lève la main pour Chassy. Carte de Cassini III montrant les étangs de Chassy et alentour. CHASSY, ESPACE RURAL

L'HYDROLOGIE ET LES ETANGS

C'était en 1933, au mois de mars, ou peut-être en avril .. Les terres se couvraient des blés en herbe. L'horizon offrait un rideau boisé. Au Liard, nous avions traversé la Vauvi-se. Elle avait auparavant reçu plusieurs affluents, parmi les premiers celui que ses riverains nomment familièrement "La Petite " et qui revenait souvent dans les propos autour de moi... passé, -nous attendions cet instant- au détour de la route c'est tout le romantisme du Berry : le Château de Doyes sur la droite, l'étang à gauche reposant sous les nénuphars et le vol des oiseaux à vie aquatique!... Dans les années vingt, des garçons de quinze ans y venaient à bicyclette, de Mornay, de Chassy ! Sur les bords, ils se rafraîchissaient, parfois se baignaient... Quels joyeux souvenirs !

Voici venir enfin la Petite Vauvise, dans sa partie la plus secrète, surprise à border quelques jardins, mi pré-vergers, mi potagers.. Ce fut mon premier contact avec Chassy : le ruisselet sautait un barrage sous le ponceau de bois, visitait le lavoir étroit suivi d'une passerelle familiale, jouait à fleurir les iris jaunes et bientôt les reines des prés... Juste pour se perdre dans l'ombre des grands saules!... Je pre- nais plaisir à la regarder faire ! - "C'est l'entrée du bief de l'ancien moulin... Voyez les deux bornes qu'on a peintes en blanc !"

Sans perdre de temps, Grand'Mère Honorine, son panier à sa- lade glissé sous le bras gauche, s'activait déjà à récolter les pissen- lits. Ce faisant, elle m'expliquait le réseau d'amont... Je la suivais au Creux des Joncs, sur le bord des Etangs de Villiers, de Marelles, dans les prairies mouillées, et bientôt son récit me ramenait vers le frêle cours d'eau, toujours fidèle me disait-elle, dont la naissance, si proche de nous, se situait dans cet ensemble que j'avais sous les yeux, une source appelée La Fontaine, le lavoir, la mare ... J'admirais ma compa- gne cernant adroitement chaque pied avec la pointe amenuisée de son cou- teau. Les "dents de lion" du botaniste se dressaient, se pressaient dans le panier...

Nicolas, qui nous avait devancées, revenait de la pêche. Voyez- • vous, me dit-il, les grandes étendues de l'Aprée sur l'autre rive ? Je les retrouve toujours avec plaisir !... Demain vous pourrez vous y promener! Mais autrefois, elles étaient quasiment immergées... Au mieux, dans les bonnes périodes, il n'y venait que des "rauches"... Eh bien ! mon oncle, le P'pa Coin a draîné seul, au début du siècle, son "Pré d'Avor" comme il l'appelait, qui est alors devenu accessible aux troupeaux. Naturellement, l'exemple a été suivi. Et, petit à petit, toutes les terres se sont trouvées valorisées. Chacun par la suite a voulu, comme lui, marquer les limites de sa propriété, ce qui ne se faisait pas auparavant.

Je hasarde la question classique : - Avez-vous fait bonne pêche ? - Oh ! une petite friture ! des vairons, quelques loches... Ce ne sont pas les prises de jadis ! - Jadis ! que se passait-il donc ?

Et, jour après jour, j'apprenais, par exemple, que pour la consécration de l'église de la Charité, en 1107, alors que le Pape Pascal II était venu lui-même, les gens du prieuré, pour le festin, avaient "retiré de leurs filets plus de cent gros poissons, de cette sorte que l'on nomme saumons" (96).

Même les pièces d'eau et les petites rivières étaient fort productives. Et l'on sait que "le Comte de , Etienne 1er du nom, accordait en 1170, la dixième partie de tous les saumons qui se prendraient en ses écluses aux Religieux de Fontmorigny" (104), l'abbaye proche de .

Les moines sans doute ne mangeaient pas de viande et le pois- son couvrait suffisamment leurs besoins en protéines animales, comme diraient aujourd'hui les savants. Ils avaient eux-mêmes des étangs. Il faut croire que partout le rapport était abondant. Pour preuve, ce contrat d'embauche dont la tradition garde le souvenir. Cela se passait au Bec d'Allier et concerne des ouvriers agricoles... Une disposition prise en leur faveur précisait que le saumon ne serait donné aux repas qu'une fois par semaine... Il revenait trop souvent à l'ordi- naire ! Cette clause, dit-on, fut vite étendue à d'autres groupes de tra- vailleurs !

Mais, plus tard, le poisson de nos étangs avait regagné une place d'apparat ... Ainsi, des carpes du Val de Germigny furent servies au banquet du sacre de Napoléon !... Les grands pourvoyeurs étaient alors, en effet, les pièces d'eau où se pratiquait l'élevage.

Cependant, les écrits nous apprennent que dès les XIVe et XVe siècles les étangs du Berry" sont entretenus avec soin, les chaussées sont refaites, les bondes vérifiées, l'alevinage en carpeaux et en bro- cheteaux nécessite la distinction des étangs naisseurs des étangs de pêche, et la surveillance (est assurée) contre le braconnage et les loutres" (35a).

Pour Chassy, les Archives de Villiers (114) mentionnent l'acquisition de l'Etang de Marelles, en 1524,sous François 1er, par René Thizard, trésorier de la Garde Ecossaise du Roi (107). L'étang est désigné encore dans une transaction de 1561, sous Charles IX (30a). Peut-être faut-il rapprocher ces opérations des événements où les biens du Connétable Charles de Bourbon sont impliqués, confiscation, restitu- tion, qui couvrent les années 1521 à 1561. Ces biens intéressaient notamment Germigny l'Exempt, fief donné par Louise de Savoie au Sire de la Bourdaisière, bisaïeul de Gabrielle d'Estrées(106a), et Fontenay. Les changements de frontières du Bourbonnais et du Berry dans notre secteur, qui en sont l'une des conséquences, rendent l'hypothèse vrai- semblable .

Les étangs étaient alors nombreux ici et alentour. Une descrip- tion de Jean Chaumeau, en 1566, que nous pouvons lire dans un ouvrage dédié à "très illustre Dame et Princesse Madame Marguerite de , Duchesse de Savoye et de Berry (fille de François 1er et de Claude de France), fait revivre "cette grande vallée, située au-dessous de Montfaucon" () "environ un jet d'arc, où passe une petite rivière nommée la Vau-vire qui vient en partie de l'Etang du Crotet" (au pied de la commune de Laverdines et qui s'étendait jusqu'à la di- gue de la Ferme de la Loge) "et d'autres petits ruisseaux de fontaines qui se rendent tous en la rivière de Loyre" (20).

Il nous sera facile alors de nous reporter trois siècles en arrière pour imaginer à Chassy même ce paysage encore à l'état de natu- re caractérisé par la multitude des étangs, "la pêche desquels est de grand et merveilleux revenu" car "en tout ce circuit de ladite Ba- ronnie de Montfaucon ... où sont comprises les paroisses et seigneu- ries de Gron, La Faye, de Lyuron, , , Seury, Marcilly, Marnay, Menestou, Farges, Avor, Azy, Salligny, Chassy, Garigny, Le Brion, Milly, Verrières, Percigny, Cru, Corbeil, Laffay, Mannay, Sanoye, Rigny, Boisbozon, Le Nuysement, Villiers, Le Coulpoy... et où est encore comprise et enclose la seigneurie, Châtel et bourg de Baugy, ... il y a bien cinquante étangs ou plus, qui sont grands et larges",...

"L'un desquels appelé l'étang de Poligny" que la carte de Cas- sini situe sous Baugy, "contient environ quatre lieues de circuit et re- çoit en lui les eaux de quatorze étangs...".

Que les étangs de Chassy soient de ce nombre ou n'en soient pas, la proximité et la similitude de vie invitent à leur appliquer la description de l'étang de Poligny... et à nous faire rêvera "au mi- lieu d'iceluy, il y a une belle et grande garenne fort épaisse et bien complantée de buissons, tant de geniève, genêts et autres espèces de bois, qui porte environ une lieue d'étendue ou circuit, laquelle est si fort peuplée de lapins et conilz selon la grandeur du lieu, que le récit en est quasi incroyable, parce que le lieu est environné d'eau fort profonde : si que le Seigneur même n'y peut entrer que par bateau ou nacelle, par ce moyen est hors de danger des renards et autres bêtes qui y peuvent nuire : dot les conilz y viennent si abondamment, que si la garenne n'était souvent, et presque tous les jours chassée par le Seigneur et ses officiers, il serait impossible qu'ils y puissent tous vivre. Cet étang (outre le nourrin qu'on y met) de lui-même se peuple de poisson en si grande abondance, que la pêche d'iceluy vaut au Sei- gneur par communes années la somme de trois mille livres ou environ, et par spécial quand la pêche ne se fait que de trois ou quatre ans : Etang de Marelles - 1983

La fontaine et la mare vues du jardin d'Honorine. car alors la carpe se trouve communément grâde de deux pieds et demi entre les deux battants : et le brochet de deux pieds et demi et trois pieds, sans les autres qui de longtemps mussés en quelque fosse apparais- sent aucunes fois plus grands. L'éau d'iceluy est si forte et puissante, que durant la pêche le bateau passe par le crot ou canal de la bonde qui est en terre dans.la chaussée qui dure plus de demi-lieue, et se vient rendre en une grande fosse en laquelle se fait la pêche du poisson".

Voici, peut-être plus modestement, pour nous : "Les autres étangs ne sont si grands, néanmoins, selon leur étendue... produisent grande abondance de poisson gras et bien nourri".

"On laisse souventes fois aucun d'iceux étangs à sec et vides d'eau (même ceux desquels le brochet abonde) parce que le coing d'ice- luy ne dépérit en terre, afin d'y ensemencer du millet, lequel, pour la fertilité et greffe de la terre, croît si haut qu'un homme à cheval se- rait tout caché dedans, et quand on le cueille, on laisse les étroubles de la hauteur de deux pieds ou plus, afin que l'année ensuivante quand on y remet l'eau et que le coing se commence à fermer, aussi qu'on y met le nourrin, iceluy poisson chassé et poursuivi des cygnes, hérons, égrettes, butors, cormorans et autres oiseaux, qui le dévorent(dont les étangs sont fort peuplés) se puisse retirer et cacher à fureter dans lesdits étroubles : et aussi pour les grandes gelées et froidures, il soit plus chaudement et à son aise..."

Les indications ou événements se rapportant en particulier aux étangs de Chassy nous viennent de différentes sources : les Archives de Villiers, nous l'avons vu, 1 "'Histoire de mon village", des documents tels que la cartographie, des textes administratifs aussi...

C'est ainsi qu'un acte de 1642 mentionne la réfection de la chaussée de l'étang de Marel dont les limites sont alors fixées ... et en 1658 les étangs de Villiers et de Boute Auvergne sont cités.

Un incident est signalé en 1665� le Prince de Conti ayant cons- truit une chaussée pour son étang de Beauregard, les prés de Cueilly et de La Faye sont inondés. En 1743, à Villiers, est envisagé l'aménagement des pièces d'eau. Un marché est passé dans ce but le 30 septembre... Six ans après, en 1749, il est procédé à un empoissonnement... Le 12 septembre 1757, l'étang de Villiers est mesuré : sa superficie est de 20 arpents soit 11 hectares. Celui de Boutauvergne compte 10 arpents soit 3,6 hectares.

Le 12 août 1765, l'étang de Marelles fait l'objet d'une loca- tion.

Il y avait dans le 9.000 hectares d'étangs au XVIIIe siècle, notamment dans les bassins de l'Aubois et de la Vauvise (46 a). Sur notre territoire communal, la carte de Cassini III (1714-1784), por- te de nombreuses pièces d'eau qui se retrouvent sur le cadastre de Chas- sy de 1825 et pour la plupart sur les cartes du département du Cher de 1841.

Quelques événements s'y rapportant peuvent être notés : par exemple, un curage du ruisseau de l'étang de Villiers est exécuté en août 1846 par le Sieur Délabre ; cette .opération se fait sur une lar- geur de deux mètres, une profondeur de 0,35 mètre , une longueur de 300 toises. Le prix du travail aurait été de 30 cent. la toise couran- te. Le curage de la bonde et de La Fontaine est également signalé.

Cependant, en 1849, il n'est plus fait mention que de Boute- Auvergne, pour lequel il n'y a pas de solution.de continuité alors que Villiers et Marelles ont disparu, de la cartographie du moins. L'un d'eux a pu être transformé en rouissoirs. Puis, sans doute, ont-ils été vidés ? En effet, vers 1853, sous Napoléon III, fut prise une décision de caractère général, dont l'article 134 du Code rural actuel est l'ex- pression, obligeant à la vidange de certains étangs. Ou cette opération aurait-elle été en relation avec le Règlement d'eau de 1878 mentionné plus loin ?

Le curage des ruisseaux dans la commune de Chassy est signalé en exécution d'un arrêté préfectoral du 20 juin 1855.

Les étangs portant le nom de Chassy, moins étendus que les précédents, se trouvaient à l'entrée du Bourg de chaque côté de la

route venant de Dejointes. Des récits de braconnage, circulant à voix cou- verte en famille, permettent de situer la vidange de celui de droite vers 1880, datte voisine du règlement d'eau. La pelle était visible en 1914.

Dans le voisinage, plusieurs étangs ont leur histoire. A celui de Bourdoiseau, au sud de notre agglomération, jumelé avec les moulins de Verrières, nous consacrerons plus loin quelques pages.

L'étang du Crotet était toujours indiqué sur la carte de 1849 ; la digue qui subsiste entre La Loge et le chemin de Druges donne une idée de son importance. Il serait intéressant de connaître la date de sa vidange qui eut lieu vraisemblablement avant 1870, date de l'arri- vée de M. Gindre à Laverdines.

L'étang Margot, est porté sur le cadastre de Chassy de 1825.

Situé à l'aval, l'étang de Berlières figure sur la carte de 1841. Les ouvrages de retenue sont visibles à gauche de la ferme du mê- me nom.

L'étang de la Chaume Blanche est alimenté par les ruisseaux de Bois-Rivière ; le gué, situé au Pré Jolly, était un lieu de passage important.

Quant à Eguilly, toujours en eau à la fin du siècle dernier, il est probable que sa disparition coïncide avec celle des marteaux de Feuillarde ; c'est une suite logique de la désaffection de la force hydraulique.

Le tableau 1 présente, par dates et communes, ce que nous sa- vons actuellement de l'histoire de ces étangs.

Depuis cinquante ans cependant, sans qu'il y paraisse, et peu à peu, des changements profonds ont bouleversé l'aspect hydrologique général. Et si des publications assez pessimistes (29) semblent mainte- nant dépassées, nous le devons sans doute aux actions multiformes de ceux qui, depuis de nombreuses années, traquent l'une après l'autre les manifestations de la pollution. Après la Loi sur l'Eau de 1964 (70) dont l'un des promoteurs et rédacteurs est connu de longue date des habitants de la commune, avec les Agences de Bassin qui en sont issues et dont on sait l'impact sur l'ensemble du pays, après que les nations voisines, avec nous, aient publié en 1978 et 1979 les Directives du Conseil des Communautés euro- péennes (39) sur la "qualité des eaux douces ayant besoin d'être proté- gées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons", et l'atten- tion restant toujours en éveil sur l'apparition et le développement de nouveaux aspects de la pollution, voici que ces dernières années -c'est un exemple parmi d'autres- le "Plan poissons migrateurs" pour 1981-1986, patronné par le Ministère de l'Environnement, tente de réamorcer le cycle des migrations du saumon et de la truite, avec quelque succès semble-t-il ... La Loi sur la Pêche, en cours d'étude, a sans doute un autre sens.

Néanmoins, toujours les eaux de nos petites rivières et de nos pièces d'eau en quelque sorte sauvages, offrent un spectacle désolant ... Si elles sont désertées des grenouilles, les fervents de la ligne y taquinent encore parfois une éventuelle proie mais, c'est un signe, on vient ici surtout chercher les écarlates petits vers de vase qui seront l'appât des gardons de nos beaux étangs... de Villiers, de Marelles,que, justement, M. Jacques de Dreuzy, a remis en eau dès 1969.

Et pour toutes ces eaux abandonnées on parle pêle-mêle d'éco- logie, d'eutrophisation, c'est-à-dire de prolifération d'algues bleues cyanophicées ou d'algues brunes microscopiques, de diatomées parfois toxiques ; on évoque les détergents indestructibles, l'excès d'engrais et de pesticides...

Comment "notre Soeur Eau qui est fort utile et humble et pré- cieuse et chaste" s'y retrouverait-elle ?... Tous les François d'Assise - sont invités à lui rendre sa noble place au "Cantique des Créatures".

D'un autre point de vue, l'importance économique des étangs, des moulins et des petites rivières sur le développement de la région doit être signalée. "C'est par dizaines que les roues propulsées par les eaux permettent de broyer les graines, fouler les draps" des moulins à foulon sont cités en Berry et en Nivernais au XIIe siècle. Pêche dans l'Etang de Villiers en 1973.

Dans la pêcherie.

On rabat le poisson.

Le triage du poisson. Le Théols, le Cher, l'Indre,l'Auron ou l'Yèvre, les moindres ruisseaux, mais aussi la vallée de l'Aubois sous Torteron se distinguent. Un moulin à eau est connu en 1212 à Fontmorigny (95a). Il arrive que les étangs soient des sources de conflits :

- On signalait déjà dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, l'attitude des moines de Villeloin envers "le chevalier Pierre de Pal- luau qui veut établir un étang à Oignais, dans la paroisse d'Heugnes"... Les religieux prétextant que les eaux de cet étang pouvaient recouvrir une partie de leurs terres, demandent d'abord qu'on détruise la jetée de l'étang. Puis ils acceptent le fait accompli, se contentent d'exi- ger pour chaque arpent de lande recouvert par les eaux une indemnité annuelle. Celle-ci, d'abord calculée grossièrement, ne sera fixée défi- nitivement que dans les trois ans, quand l'étang sera mis à sec et qu'on pourra mesurer les surfaces qu'il recouvre.

Quant à elle, l'Abbaye de Fontmorigny a provoqué, dit-on, par ses initiatives au moins cinq interminables procès en un siècle (35a), mais il est juste de noter par exemple au contraire,que l'un des étangs de cette abbaye ayant été exhaussé "une plus grande quantité d'eau pro- longeait le travail du fourneau et fournissait conséquemment une plus grande ressource à ceux d'entre les usagers, les habitants de Chassy, Mornay, Saint-Hilaire, qui n'attendent leur subsistance et celle de leur famille que de leur travail" (43).

Les deux moulins et le meunier.

Il fut un temps à Chassy où la Petite Vauvise, grâce aux amé- nagements hydrauliques d'amont, se précipitait en chutes successives pour actionner la roue du moulin. Toute une vie se déroulait alentour, accompagnée du chuintement musical des eaux. Un petit peuple de canards s'ébrouait dans le bief et des oisons picoraient sur l'aire le son et les issues.

On allait au moulin pour un oui, pour un non. Le meunier était bon compagnon, la meunière et sa maison du bord de l'eau accueillantes... On y venait surtout pour faire moudre ! ... Les attelages et charrettes de toutes sortes se croisaient, apportaient les récoltes,reprenaient les sacs de mouture. Les moulins à eau apparaissent au cours du 1er siècle avànt Jésus-Christ (18) et leur introduction en France se situerait dans les années 500 à 550 (40). On ne se contente plus alors des antiques meules actionnées à la main pour broyer le grain. Le nombre des mqulins augmen- te à l'époque carolingienne et bientôt ils deviennent l'une des machines essentielles dans les sociétés rurales et l'équipement des grands domai- nes. Au IXe siècle construire un moulin à eau n'est plus un objet de curiosité.

Si dans certaines régions, comme le Lauragais, leur activité s'accroît en fin du seizième et début du dix-septième siècle par suite de la généralisation de la culture du mais, à Chassy le seigle, la mar- sèche, l'orge, mais surtout le blé, l'une des productions du Berry van- tée par Jean Chaumeau, alimentaient le moulin à eau avant le seizième siècle.

On distingue deux formes de moulin à eau. L'une,dont la roue motrice, horizontale, est mise en mouvement par le courant d'eau action- nant directement la meule,était utilisée en France méridionale jusqu'au début du dix-neuvième siècle ; elle est qualifiée maintenant d'archaï- que ; ces moulins étaient des engins peu coûteux dont "l'extrême sim- plesse" était avantageuse en pays de torrents. L'autre, à roue motri- ce disposée verticalement, comme elle l'était à Chassy, implique l'uti- lisation de pignons d'angle qui renvoient le mouvement à angle droit et font agir l'eau avec force, ce qui suppose un seuil plus élevé de technologie.

Voici près d'un demi-millénaire qu'un écrit signé par Guillaume Dodin le 15 mai 1506, informe de la vente d'un pré joignant les écluses du Moulin de Chassy. Il existait donc !... et ses écluses étaient con- nues et fonctionnelles, peut-être depuis fort longtemps... Les Archi- ves de Villiers nous ont gardé ce merveilleux souvenir.

Un peu plus tard, elles nous délivrent le nom d'un meunier, Jean Chenier,le 1er juin 1548, vraisemblablement pour le seul moulin à eau.

Les moulins d'implantation ancienne, tel celui de Chassy, s'ac- comodaient des ruisseaux comme des grosses rivières. Mais l'établisse- ment de ce qu'on appelait déjà des "usines" coûtait cher. Le 1not "usine" désignait alors, selon un manuel de jurisprudence du XIXe siècle, une fa- brique, un atelier quelconque, construit sur les bords de l'eau. Il né- cessitait souvent des travaux de terrassement, parfois le creusement d'étangs de réserve, la confection de conduites en pierre ou en bois, la construction d'un barrage, celle de la maison sur la berge ou à che- val sur le cours d'eau.

Retrouverons-nous pour Chassy le déroulement de ces installa- tions ? Le souvenir, chez plusieurs d'entre nous, de la roue et du bar- rage, la maison proche, sont pour l'instant ce qui reste du passé.

Mais vient l'ère de diffusion des moulins à vent dont l'entrée dans l'histoire est complexe. En effet, si le droit médiéval avait bien codifié les règles d'emploi de l'eau, et si le possesseur de fief pou- vait disposer de tout ce qui s'y trouve, main-d'oeuvre, cheptel, outil- lage, eaux vives, l'usage du vent n'avait pas été prévu, ce mystérieux droit de vent que seule jusqu'alors la voile utilisait.

L'invention des moulins à vent "serait due aux Hommes de la Terre et de la Mer des plaines normandes de France, d'Angleterre, aussi de Provence" (95 c). Des anecdotes se déroulant dans ces régions au cours des XIIe et XIIIe siècles soulignent les difficultés d'introduc- tion de ce nouveau mode de production, nécessitant parfois des voies détournées.

C'est ainsi que le doyen Herbert ayant construit l'un de ces mou- lins, la destruction lui en est ordonnée en 1191 par un Abbé de Bury Saint-Edmunds parce que, dit-il, "les bourgeois accourront à ton mou- lin, y moudront leur blé et je ne pourrai pas les en empêcher car ce sont des hommes libres". Herbert alors supprime lui-même son moulin.

La rivalité avec le moulin banal à eau est soulignée à Bex-en- Auxois où deux moulins à vent, puis trois,sont "fez de novel en ban- lieue d'ilec, ausquels toutes gens font moudre".

Et si l'autorisation du seigneur et le droit de moudre dans un ressort de banalités coutumières ou dans un fief de haubert en viennent bien à s'appliquer aux deux sortes de moulins, un nouveau jugement,

faisant suite à un jugement de l'Echiquier à Pâques 1216 à Falaise, pré- cise que "en cas de plainte, tous les moulins à vent construits depuis l'acquisition de la Normandie par le roi (1204) seront détruits".

Il note même que plus tard, un charpentier ayant construit un moulin à vent dans les limites de la ville de Lille, se voit enjoint par lettre de justice du roi, de le détruire car il avait bravé le privilège accordé à l'Hôtel-Dieu qui seul pouvait reconnaître l'établissement de nouveaux moulins. C'était au XIVe siècle.

Un répertoire de jurisprudence publié à Paris en 1785, qui con- sacre quarante-trois chapitres aux moulins, souligne la grande diversi- té dans les provinces françaises où, par exemple, la coutume de Norman- die selon laquelle "un moulin à vent ne peut être banal" s'opposait à celle du Poitou qui répondait par l'affirmative.

Cependant, malgré les embûches du droit, le moulin à vent se développe. Grands clercs, petits nobles, et jusqu'à des notables ou même des communautés de village l'installent, à la sauvette parfois. Mais bientôt, envers et contre tout, le moulin à vent est dit "banal" et le seigneur peut librement utiliser son moulin "tout en percevant le droit de mouture sur ses clients qui viendront librement profiter de ses services". Il en fut ainsi sans doute à cette époque pour le moulin à vent de Villiers qui, avec le moulin à eau de Chassy, figure bien sur la carte de Cassini.

Voici donc la suite des événements, liés à la présence des deux moulins du pays, que nous reprenons grâce aux Archives de Villiers, trop succintement consultées, mais auxquelles nous sommes redevables :

François Brodes est meunier en 1654, pour le seul moulin à eau semble-t-il, qui figure dans un inventaire par Laurent Moreau le 21 avril 1655.

Néanmoins, un achat de Villiers le 1er avril ayant mentionné le moulin, il peut s'agir du moulin à vent, celui-ci faisant l'objet d'un bail peu de temps après, en août 1657. En confirmation, ce moulin est bien répertorié dans un inventaire du 2 février 1677 dressé à la demande de Laurent Moreau. Au plus tard à cette date les deux moulins sont donc réunis. Vont-ils orchestrer leurs activités ?... C'est justement là qu'apparaît de façon très;concrète cette dualité entre l'eau et le vent, sous-tendue par les exemples historiques. Tout le jeu consistera donc bien à rechercher l'efficacité dans un équilibre entre les deux sources d'énergie, à en faire une complicité, de telle sorte, que "le même meu- nier, si le vent pouvait encore mouvoir quelque peu les ailes, déléguait au moulin à eau son garçon meunier, son farinel, le temps nécessaire"(95d).

L'irrégularité du débit de certains cours d'eau est aussi à ! l'origine de ce double système ; pendant la saison des pluies, les ré- serves se remplissent que le meunier utilise en période d'étiage, le moulin à vent faisant appoint si nécessaire. Il n'est pas toujours fa- cile de dire lequel des deux moulins aide l'autre... La connaissance du micro-climat caractérisé par une carte éologique, et celle des jours de "vent utile",seraient donc intéressantes. Cependant le meunier y sup- pléait par ses observations personnelles.

Le relief semble un facteur déterminant. Le moulin à vent de Verrière situé sur un point culminant et le moulin à eau de Bourdoi- seau en contre-bas semblent bien placés pour le jumelage. La position du Moulin de Villiers méritant une particulière attention, nous avons demandé à la Station météorologique d' (100) de nous communiquer ses observations sur le secteur, Villiers-Chassy, Villequiers, Verriè- res, et de nous expliquer comment une application éventuelle pourrait être faite aux siècles antérieurs.

M. Belhandouz, Ingénieur des travaux; Chef de la Station, à qui nous exprimons notre gratitude, nous a fait parvenir une documen- tation basée sur des données anémométriques recueillies de 1949 à 1976, les mesures étant faites à 10 mètres au-dessus du sol. Il y joignait la méthode d'exploitation de ces statistiques et un exemple d'utilisa- tion.

La direction du vent en dizaines de degrés, et sa vitesse en mètre/seconde,sont figurées par une rose des vents annuelle,moyennes de 17 années, et douze roses des vents mensuelles,accompagnées de ta- bleaux offrant de nombreuses possibilités de calcul (tableau 2). STATION MhlËOKOLOGIQUE 18490 AVOKD AIR Téléphone (48) 59.12.93 Avord le 17mare 1983

EXPLOITATION DES TABLEAUX DE FREQUENCES MOYENNES DES DIRECTION DU VENT

Ces tableaux statistiques portent sur des données anémomètriques recueillies à la Station météorologique d'AVORD durant la période 1949-1976. Le' vent est mesuré à 10 mètres au dessus du sol. La direction du vent, indiquée en dizaine de degrés, est celle d'où vient le vent. Exemple: 36 = 360° = vent venant du nord . 08 = 8Co = vent venant de l'est . La vitesse du vent, exprimée en mètre par seconde , est considérée par groupes - vitesse inférieure à 2 m/s ( vent faible ou calme, direction non préciée ) - vitesse comprise entre 2 et 4 mis noté sur le graphique. - vitesso comprise entre 5 et 9 m/s noté i i sur le graphique. - vitesse supérieure à 10 m/s noté □ sur le graphique. (vitesse en nombre entier) La longueur des sggments sur le graphique est proportionnelle à la fréquence moyenne ( en% ) de chaque groupe de vitesse. Sur le graphique, un segment de longueur 1cm correspond à une fréquence de 1,38 % .

Exemple d'utilisation :

Recherche du vent dominant pour l'année. Determiner la fréquence totale maximale dans le tableau : 8,28 % de secteur 260° . En observant le graphique, on s'apperçoit que la dominante globale s'étend des secteurs 280° à 220°. Faire la somme de ces secteurs: 27,4 %• Donc, sur l'ensemble de l'année, 27 % des vents de vitesse supérieure à 2 m/s viennent de l'ouest-sud-ouest. Il y a 23 % de vent très faible ou calme. De la même manière, en ne considèrant que les groupes 5/9 m/s et Sup à 10 m/s, il ressort que 14 % des vents de vitesse supérieure à 5 m/8 ( 18 Km/h ) viennent de l'ouest-sud-ouest ( secteurs 220 à 280° ). des tableaux offrent à l'utilisateur de nombreuses possibilités de calcul suivant le but recherché.

Il en résulte que la dominante globale des vents s'étend des secteurs 280° à 220°. Sur l'ensemble de l'année, 27 % des vents de vi- tesse supérieure à 2 m/s viennent de l'ouest-sud-ouest. Il y a 23 % de vent très faible ou calme. Les vents les plus rapides, plus de 10 m/s, s'observent pendant les quatre premiers mois de l'année et les deux derniers.

A Villiers,la vitesse nécessaire à la rotation des ailes n'é- tait donc pas constante. On peut estimer que le moulin marchait cinq à six mois par an, ce qui correspond sensiblement à la prévision faite autrefois dans certaines régions de France où le moulin à vent chômait le tiers ou la moitié de l'année. Des vitesses de vent moins fortes, mais suffisantes, étaient néanmoins utilisées on le sait, la toiture et les ailes pouvant être orientées face au vent.

Le moulin à eau était plus pérenne. C'est tout le problème de l'équilibre nécessaire... Manque de vent... Nécessité de réserves d'eau. Ennoiements...

"Par rapport aux siècles précédents", remarque H. Belhandouz, "et consécutivement au.'.déboisement, on peut affirmer qu'en moyenne les vents sont actuellement un peu plus forts en raison : - de l'accentuation de l'écoulement horizontal de l'air due à la nudité des sols, les forêts constituant un obstacle - "simultanément, de l'accentuation des phénomènes de turbulence de basses couches, le sol s'échauffant plus rapidement et plus fortement, sous l'effet du rayonnement solaire, que les forêts plus humides".

Reprenant, avec un détour par Villequiers, la suite de l' his- toire des moulins, notons que dès le 26 mai 1661, Laurent Moreau avait acheté 14 hommées de pré en-dessous le moulin de Villequiers, à La Faye et, le 3 juillet 1682 il fait l'acquisition de ce moulin dit de La Ville. Le 9 septembre suivant,une sentence du marquis de Villequiers lui adjuge la moitié du moulin à vent. Le 6 novembre,foy et hommage sont rendus par Laurent Moreau à la seigneurie de Villequiers.

A Chassy, le meunier François Brodes, déjà nommé en 1654,à moins que ce ne soit son fils, bénéficie du renouvellement de baux en 1678, 1679 et en 1682, ce qui dénote une activité soutenue... Et le 9 mai 1720, Nicolas de Brodes est appelé meunier des moulins du hameau...

La suite ne traduit guère que les difficultés de gestion ... Si le 19 mars 1735 Claude Roux est bien meunier de Chassy, le 2 juillet suivant une sentence du bailly de Chassy condamne sa veuve à payer les 17 livres pour fermage des moulins de Villiers et Chassy ; Mme Roux est citée encore le 17 décembre 1748 et le 5 mai 1764.

Trois "meusniers" se succèdent alors : Compain, le 28 septem- bre 1764, Jean Ogé le 1er septembre 1784 et Philippe Guesno, meunier et cabaretier à qui le 15 octobre 1791 est signifié un commandement de payer.

En 1789; une intéressante disposition législative est introdui- te concernant les moulins à eau, qui sera rapportée plus loin sous la rubrique "Moulin de Chassy".

Au cours du XIXe siècle, pour ce même Moulin, sont notés une citation à comparaître en 1815 c/M. de ..., puis les baux suivants : 22 avril 1815 à Jean Devolière, 1826 à Antoine Gardiner, 29 avril 1837 un autre bail signé par J. de T... Le 1 er mai 1837, il est question de Jeanne Thuillier, veuve de Pierre Roux, meunier, "demeurant au Moulin de Chassy, bord de l'eau". Les baux suivants des moulins à eau et à vent sont pour François Guilleminot (épouse Soulas) de Villeville, Jean Dau- bin à Villeville se portant caution, le 9 septembre 1837. La révision des meules en 1838 indique que celles-ci sont en très bon état... Les baux se succèdent en 1841, toujours avec un Guilleminot et le 20 octo- bre 1846. Des réparations sont effectuées au Moulin à eau pendant les années 1845 à 1850. De nombreux baux sont signés le 8 novembre 1853 et en 1855, le meunier étant aussi un Guilleminot...

Le curage des ruisseaux dans la commune de Chassy est fait en 1855 en exécution d'un arrêté préfectoral du 20 juin 1855. Les pièces concernant cette opération, déposées aux Archives de la Commune, "sont importantes pour le propriétaire du Moulin en ce qu'elles fixent la largeur sur laquelle ce curage a été exécuté et donnent ainsi le moyen de réprimer les empiétements qui seront nécessairement faits sur le dit ruisseau". Les mensurations portées au devis sont depuis la Fontaine jusqu'au moulin 255 mètres de longueur sur 3 mètres de lar- geur et pour l'arrière-bief une longueur de 340 mètres. Le curage de la Vauvise est estimé, en plus, par ailleurs.

La veuve Guilleminot est citée, toujours pour les moulins, en 1865, son bail expirant le 1er mai. De cette longue lignée de meuniers, le souvenir est précieusement gardé par leur descendant, M. Jack Mary, habitant de Chassy.

On comptait, dans le département du Cher, en 1880, 75 moulins à vent et 555 moulins à eau (63) et, pour le seul canton de Baugy, 23 moulins à eau en 1876 et 1880 (1a). La vente des moulins de Chassy avait été conseillée en 1867 (114) ; elle n'eut pas lieu alors mais, comme l'explique M. Daize, l'électrification et l'introduction du cou- rant force dans les exploitations agricoles conduisent bientôt, pro- gressivement, à l'utilisation de moulins à grains et de concasseurs ; les meules en silex, verticales ou horizontales, sont mises en oeuvre à la ferme même, tandis que prennent place les moulins industriels.

- Le Meunier. Avant de suivre dans les grandes lignes le des- tin, différent dorénavant de nos deux moulins, essayons d'approcher quelque peu la personnalité du meunier. Les notes autobiographiques de Madame Tortu-Belloire, fille de meunier, meunière elle-même, nous ren- seignent sur les conditions de vie et le salaire de son père (95b). C'é- tait la fin du XIXe, début du XXe siècle :

"Le meunier (mon père) rendait 102 livres de fleur de farine et 35 livres de son pour un hectolitre de blé, 10 boisseaux pesant 156 livres. Il a commencé à faire la poche (c'est-à-dire aller chercher le grain chez le client ; poche = sac) à l'âge de seize ans. Il a (servi le moulin) avec l'aide de sa femme qui faisait le farinier. Elle faisait le travail intérieur du moulin', la farine, (faisait) attentiç>n au vent et à la bonne marche du matériel. Quand il fallait passer les nuits à moudre, c'était maman et le garçon qui prenaient la veillée jusqu'à minuit, puis papa se levait et prenait le moulin pour le reste de la nuit... (Vers 1900) le cours du blé se maintenait aux environs de 15 francs l'hectolitre ou 156 livres, les 100 kg arrivaient à 22 francs. Le meunier par son émeute (gardait) un boisseau par poche pour aller chercher le blé à domicile et reconduire la farine et le son chez son client, et là-dessus il fallait qu'il arrive à faire face à l'en- tretien du cheval, de la charrette, (ainsi que) du moulin qui était ré- visé chaque année par les charpentiers en moulins".

"L'émeute" (ou mouture, ou émouture) représentait le salaire du meunier. Il rendait 137 livres pour 156 de grain reçu ; il retenait donc environ 1/8ème. Il lui fallait tirer parti des déchets pour nourrir poules et canards, engraisser des cochons et des vaches, d'où la produc- tion de lait et de fromage. Un moulin (cavier) pouvait moudre bon an, mal an, 1.500 quintaux.

"Entre le blé et le pain" se trouve donc le meunier. D'où ce personnage, dont les relations avec le paysan, homme d'une autre condi- tion, se teintent de malice, et avec le gentilhomme ou le seigneur, qu'il approche souvent et pour qui il travaille, d'une certaine liberté. D'autre part, le meunier, souvent notable en son village, jouait parfois de son influence sur les marchés et foires. du voisinage.

En Anjou, et ceci vaut pendant des siècles, d'après André Sarazin, archiviste, une place était faite au meunier aisé dans la hiérarchie des dignités ; il était compté comme "Honorable Homme" à l'instar des notaires et des greffiers, et appelé Messire. En Berry,com- me ailleurs vraisemblablement, des familles de meuniers ont pu conquérir des titres nobiliaires ou s'élever dans les classes sociales.

A Chassy, il semble que les meuniers aient vécu sous le régi- me du fermage. Et malgré cela, les générations et parentèles se sont succédées dans bien des cas et ont acquis une notoriété. L'exemple de François Brodes, dont les baux s'échelonnent de 1654 à 1682 et au-delà, peut être retenu. Celui que nous trouvons ensuite, en 1720, Nicolas de Brodes, orne son nom d'une particule et précise bien son titre : Meu- nier des Moulins du Hameau. Il en est de même pour les Guilleminot où père, fils et petits-fils prennent la relève. Oui,les descendants de tous les "meuniers des moulins du hameau" peuvent se flatter d'avoir perpétué la tradition. Ils ont certainement hérité la symbolique qui s'attache au moulin, au meunier,à la meunière,dont l'image populaire a tiré de tous temps,surtout au Moyen-âge et à la Révolution,des légendes, des chansons...prestes et gaies. Qui n'a entendu fredonner ou "flûter" : "Permets-moi, belle meunière, Que pour passer la rivière Je traverse ton moulin Car j 'ai perdu mon chemin J..."

Le destin du Moulin de Chassy.

La continuité de son influence sur la vie de la commune res- sort de la longue lignée de ses meuniers. Et jusqu'à la fin du XIXe siècle -1878- des pièces administratives sont la preuve de son fonction- nement .

Mais l'importance de ces usines n'avait pas échappé au légis- lateur dans les siècles précédents. Une thèse (71) vient conforter ce propos et, quel que soit l'état actuel de notre moulin, il est juste de souligner qu'il bénéficie, au titre d'établissement fondé en titre de l'une des deux exceptions accordées lors de l'abolition des privilè- ges votée dans la nuit du 4 août 1789 (l'autre étant, croyons-nous, le droit de propriété).

Qu'est-ce donc qu'un établissement fondé en titre ? En quoi le Moulin de Chassy est-il concerné ? Deux questions auxquelles nous bornerons nos réponses, une étude complète de cette thèse très appro- fondie débordant nos préoccupations.

A la base est la distinction entre cours d'eau navigables et cours d'eau non navigables. Les premiers sont du domaine public de l'Etat : tout usinier désireux d'utiliser la force des eaux doit être muni auparavant d'une permission ou concession régie par la loi. Quant aux riverains des cours d'eau non navigables, il leur suffit pour user de la force motrice, ayant acquis les droits de riveraineté, d'une sim- ple permission, d'une autorisation de police visant la sécurité et la salubrité. C'est le statut normal des usines hydrauliques. Echappent cependant à ces règles générales, les établissements fondés en titre ou "ayant une existence légale".

Sur les rivières navigables, sont considérés comme fondés en titre ceux qui ont été autorisés avant l'ordonnance de Moulins, rendue sous l'influence du chancelier Michel de l'Hospital le 15 février 1566, faisant suite à un édit de François 1er du 30 juin 1539 déclarant que "le Domaine de la Couronne ne peut tomber ès mains des hommes" et confirmée dans la suite par de nombreux textes.

Sur les rivières non navigables, sont considérées comme fon- dées en titre les usines établies avant l'abolition de la féodalité (nuit du 4 août 1789) et les usines ayant fait l'objet d'une vente na- tionale et, plus spécialement, le Conseil d'Etat a admis par ailleurs que devaient être considérées comme fondées en titre les usines, qui, sans présenter de titre authentique d'autorisation justifiaient d'une existence de fait incontestée antérieure à l'abolition du régime féodal (4 août) et plus spécialement à la loi du 20 août 1790 qui plaçait les petits cours d'eau sous l'autorité réglementaire et il n'est même pas nécessaire que l'établissement ait eu sous l'empire de l'ancien droit une existence assez prolongée pour justifier la prescription.

Mais, pour Chassy, la différence est fondamentale puisque si le Moulin, qui fonctionnait avant 1506, est resté "fondé en titre" jusqu'à son changement de destination (vente, cessation d'activité),la rivière était passée dès le 20 août 1790 à l'autorité réglementaire.

C'est ainsi qu'au cours de l'hiver 1877-1878, la mise en oeuvre, exagérée sans doute, d'une trop grande masse d'eau en arrière du barrage entraînant l'ennoiement des terres bordières de la Petite Vauvise et du secteur de La Fontaine... sur la base "des réclamations relatives aux inconvénients qu'occasionne le trop-plein du bief, qui inonde le lavoir et en fait remonter les eaux jusque dans la fontaine publique, et couvre une partie des propriétés privées",une demande col- lective de divers propriétaires riverains du bief du moulin a été formulée le 16 décembre 1877, et une enquête publique était ouverte à la suite de la réunion du Conseil municipal en mars 1878 en vue d'établir un règlement d'eau.

Ce règlement détermine les capacités d'accumulation en amont du moulin et les seuils d'écoulement par rapport au nivellement fixé. Ses conclusions restent encore valides actuellement. Pour cette raison nous le reproduisons ci-après.

Les procès-verbaux des enquêtes menées par les Ingénieurs du Service hydraulique de janvier à juillet 1878, contenant treize récla- mations,la délibération du Conseil municipal (copie ci-jointe) ayant eu lieu le 10 mars, considérant que "Ze niveau actuel du moulin de Chassy pose préjudice aux riverains et à la fontaine publique située en amont, que le propriétaire M. le Comte de Toulgoët, et son fermier, reconnaissant cette situation, le Préfet du Cher arrête :

Art. 1- M. le Comte de Toulgoët est autorisé à maintenir en activité le moulin de Chassy qu'il possède sur Ze ruisseau et dans la Commune de ce nom, à charge pour lui de se conformer aux prescriptions suivantes : Art.2- Le niveau légal de la retenue est fixé à sept mètres sept cent quatre-vingt-deux millimètres (7,782) en contre-bas du seuil, jambage droit de la porte principale de l'église de Chassy, point pris pour repère provisoire, lequel point est à l'altitudè cent quatre vingt-seize mètres neuf cent quatre vingt-seize millimètres (196,996) au-dessus du niveau moyen de la mer (nivellement général du Cher par M. Bourdaloue). Art. 3- Le déversoir actuel situé sur la rive droite, à 25 mètres en amont de l'usine sera maintenu dans sa position ; mais sa longueur sera portée à trois mètres soixante-cinq centi- mètres (3 m.65) et sa crête en pierre de taille sera placée au niveau de la retenue, c'est-à-dire à sept mètres sept cent quatre vingt-deux millimètres (7,782) en contre-bas du repère provisoire. Art.4 - La vanne de décharge actuelle, de soixante deux centimètres de largeur libre, pourra être conservée avec son seuil placé à huit mètres sept cent quatre vingt-deux millimètres(8,782) en contre-bas du repère, mais il devra dans ce cas être établi à proximité un nouveau vannage d'un mètre trente huit centimètres (1,38) de largeur libre. De façon que l'en- semble des deux vannages présente une largeur libre totale de deux mètres (2 m. 00). Le seuil de ce vannage complémentaire sera, comme celui actuellement existant, placé à huit mètres sept cent quatre-vingt deux millimètres (8,782) en contre-bas du repère provisoire. Si la vanne actuelle n'est pas conservée elle devra être remplacée par un nouveau vannage ayant deux mètres (2 m.00) de largeur libre et dont le seuil et la crête seront arasés comme il vient d'être dit. Art. 5- Toutes les vannes de décharge devront pouvoir se manoeuvrer facilement 'et se lever au-dessus des plus hautes eaux connues. Art.6- Tous les canaux de fuite et de décharge seront disposés de ma- nière à embrasser à leur origine les ouvrages auxquels ils font suite et à écouler facilement toutes les eaux qu'ils doi- vent débiter. Art. 7- Un repère définitif et invariable du modèle adopté dans le département sera posé près de l'usine en un point qui sera désigné par l'Ingénieur, de manière à être visible par tous les tiers intéressés, sans entrer dans la propriété. Ce repè- re dont le zéro indiquera seul le niveau légal de la retenue devra toujours rester accessible aux ingénieurs et agents de l'administration chargés de la police des eaux. Le permissionnaire ou son fermier seront responsables de la conservation du repère définitif, ainsi que des repères provi- soires jusqu 'à la pose du repère définitif. Art.8- Dès que les eaux dépasseront le niveau légal de la retenue, - le permissionnaire ou son fermier seront tenus de lever les vannes de décharge pour maintenir les eaux à ce niveau, et de les ouvrir au besoin en totalité. Ils seront responsables de la surélévation des eaux, tant que leurs vannes ne seront pas levées à toute hauteur. En cas de refus ou de négligence de leur part d'exécuter cet- te manoeuvre en temps utile, il y sera procédé d'office à leurs frais, à la diligence du Maire de la commune, et ce, sans préjudice de l'application des dispositions pénales dont ils seraient passibles, ou de toute autre action civile qui pourrait leur être intentée à raison des pertes et dommages résultant de ce refus ou de cette négligence. Art.9- Toutes les fois que la nécessité en sera reconnue et qu'ils en seront requis par l'Autorité administrative, le permission- naire ou son fermier seront tenus d'effectuer le curage à vif fond et vieux bords du bief de la retenue dans toute l'am- plitude du remous, sauf l'application des règlements et des Imprimerie Jacques et Demontrond ZI Thise/Besançon Dépôt légal novembre 1984 N° 10298

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