Jacques Derouard

MAURICE LEBLANC (1864-1941) EN ATIENDANT ARSENE LUPIN •..

La nouvelle L'Arrestation d'Arséne Lupin paralt en juillet 1905 dans le sais tout, mensuel illustré lancé par Pierre Lafitte, célebre éditeur de la BelleEpoque. Le magazine n'en est qu'a son síxierne numéro, mais se vend déja a pres de 200000 exemplaires. L'auteur de la nouvelle, Mau- rice Leblanc, est un écrivain distingué, auteur de contes et de romaos psychologiques tres fouillés, qui analysent avec finesse les méandres du sentiment. 11 est apprécié par beaucoup de ses confreres. 11 est parfaite- ment inconnu du graod publico Quatre ans plus tard, lorsque L'Aiguille creuse paraít en librairie, Mau- rice Leblanc, devenu «le Conan Doyle francaís ». est connu du Tout- Paris,et Arsene Lupin célebre dans le monde entier.

Entre-temps, il y eut la publicité fracassante de Pierre Lafitte, qui mul- tiplia les «Concours Arsene Lupin », n y eut aussi une píece en quatre actes,écrite avec Francis de Croisset. Ellefit se déplacer en foule les Pari- siens, pour qui le gentleman-cambrioleur, pendant des décennies, devait avoir le visage romantique et la distinction native d'André Brulé, comédien aimé du grand publico 11 y eut surtout, ce qu'on oublie trop souvent, le talent de Maurice Leblanc.Un véritable écrivain qui a, plus qu'aucun autre, le sens de la clarté,le don de conter, l'art de décrire. Son ceuvre fourmille de portraits teintés d'ironie, esquissés en quelques lignes suggestives. En veut-on un exemple?Voicil'émouvante héroíne du Mariage d'Arsene Lupin: «Angé- lique était longue et maigre comme son pere, osseuse et seche comme lui. Agéede trente-trois ans, toujours vétue de laine noire, tirnide, effacée, elle avaítune téte trop petite comprirnée a droite et a gauche, et d'oü le nez jaillissaitcomme une protestation contre une pareille exiguíté. » N'est-ce point merveilleux ? L'on ne résistera pas au plaisir de citer aussi le portrait du notaire, maitre Audigat, daos La Femme aux deux ~ourires,«un jeune homme pille, gauche d'aspect, phraseur et timide, epris de poésie et qui jetait négligemment daos la conversation des 1177 1176 MAURICE LEBIANC MAURICE LEBIANC alexandrins spécialement fabriqués par lui, tout en ajoutant : COlll ' , CorneiJIe de , Maurice fait d'excellentes études classi- rn }.U Iycee ,. I .. orte en 1881, époque de sa «rhétorique », e« prermer pnx dit le poete ». ela es 11rem P " d qu ~ et d'histoire littéraire », et en 1882, a la fin de son annee e Et l'art de la mise en scene ! Voyez maítre Audigat dans l'exercice d d'an yse hie » le « prix d'honneur de dissertatíon francaise ». Le 8 aoüt esa hilosoP , l prafession: « (11) exhiba une boite d'allumettes, en prit une, la frott « P année-Ia, il passe l'oral du baccalauréat, est interragé sur a psy- appracha la flarnme de la premiere des trois bougies; tout cela avecalet de cette. de la pensée et sur l'école d,Alexan d n.e, et d ort. expliquer un s gestes d'un prestidigitateur qui va faire sortir une douzaine de lap.e chOl~g¡deDe vita beata de Séneque . il est recu bachelier avec la mentíon lns d'un chapeau haut de forme. » extralt u ' "assez bien». Cher Maurice Leblanc, qui eut le bon goüt de ne jamais ennuyer u f it rnieux au service militaire, au Xl" régiment d'artiJIerie de Ver- seul de ses innombrables lecteurs ! n Il al l· ·1 bti 1 t saiIles puisque, en 1884, nous apprend son ívret, l o tíent a no e Et puis, surtout, avec Lupin, il eut le don, rare entre tous, de créerun «bien'» aux examens de fin d'année ... mythe. n eut également celui de se renouveler, chose rare aussí dansle Il n'empeche: il ne conserva point un ~eilleur ~ouvenir ?~régiment domaine du raman d'aventures; chacune de ses ceuvres baigne dansun que de l'école; c'est, écrira-t-i~ dan s L,Enthous~asme, « ~ epreuve e.n climat tout a fait différent des autres. Ce renouvellement, ille doít aufait laquelle se résume et s'acheve I ceuvre d oppression que Ion poursuít qu'il eut le génie d'utiliser l'histoire et la géographie non comme de sím, tre nos jeunes années». C'est que, comme sa sceur Georgette, le con . . , , tI pIes éléments de décor, de « pittoresque ». mais cornme faisant partiede íeune écrivain, dandy et volontíers anarchisant, Jugera severemen e l'histoire. Songeons a L'Aiguille creuse! Comme avec les plus réussies J ílíeu bourgeois rauennais oü il fut élevé: « Nous fürnes des enfants des aventures de Lupín, La Comtesse de Cagliostro, L'Ile aux trentecero mibien élevés», écrit-il dans L'Enthousiasme, un raman auto biiographiique. cueils, La Demoiselle aux yeux verts ou La Barre-y-va, Maurice Leblanc Maisil ajoute : « Ce qui ne signifie point des enfants en qui l'on a dé.v:- écrit plus qu'un raman : il crée une légende. loppél'énergie, la volonté, la clairvoyance, l'espr~t d'e~amen, les qualités d'initiatives, mais des enfants qui savent se terur, qui ne se permettent quedes gestes accoutumés, et qui ont déja l'intuition. de ce qui se fait et dece qui ne se fait paso » Il écrit aussi : « On nous enseigna que les usa~es Maurice Leblanc était né a Rouen, en 1864, dans une famiJIe aisée.Son les plus ineptes doivent etre acceptés comme des dogmes. Les corvees pere, négociant en charbon, avait fait, en épousant Blanche Brohyen mondaines sont des religions. On met a les remplir autant de dévotion 1861, un beau mariage : Blanche appartenait a une famiJIe de richestein- qu'a suivre la messe.» turiers, qui fréquentait les notables. L'une de ses tantes avait épouséun cousin d'AchiJIe Flaubert, chirurgien-chef a l'Hótel-Dieu ... ce qui per- Dans ses premiers livres, Maurice dépeint Rouen comme une ville mettra a la famiJIe d'entretenir quelques légendes sur ses relations avec «méfiante et mauvaise », soumise aux préjugés, incapable de généro- l'auteur de Madame Bovary. síté, Il vit son départ pour París, a la fin de 1888, comme une libéra- tíon. Il s'installe 6, rue de Calais, non loin du cabaret du Chat-noir. Il Iusqu'en 1888, date de son départ pour Paris, Maurice a vécu dansla épouse en 1889 Marie-Ernestine Lalanne. Un beau mariage qui lui belle demeure de la famille, dont les hautes fenétres moulurées donnen! permet de s'installer 18, rue Clapeyran, de passer quelques mois sur les grands arbres du jardin Solférino, cadre de ses premiers jeux.n a d'hiver a Nice et l'été sur la cóte normande, a Vaucottes, entre Yport deux sceurs, Iehanne, son ainée d'un peu plus d'un an, et Georgette,.sa et Etretat. cadette de quatre ans. Elle devait, malgré l'opposition de sa famille.fatre une belle carríere de cantatrice. Et il écrit. Son nom apparait pour la premiere fois dans la luxueuse Revueillustrée de mars 1890, avec la nouvelle Le Sauvetage. Elle est carac- Son oncle Achille Grandchamp, négociant lui aussi fortuné, possedea téristiquede ce que sera la « maniere » de Maurice Leblanc, par l'íroníe du Iumieges, pres des ruines de la célebre abbaye, une maison de carnpagne litre,la facon dont elle ménage l'intérét et son dénouement inattendu. oü le jeune Maurice passe ses vacances. nécrira : « Je n' ai pas, au pluspro- fond de ma sensibilité, d'image plus éblouissante et plus impérieu~eq~: Ennovembre 1890, il fait éditer a compte d'auteur, chez Kolb, son pre- celle des ruines de Iumieges.» C'est la qu'il prit goüt a «la beaute de Illierlivre, Des couples, un recueil de contes dédié « au maítre Guy de nature qui se méle aux ruines, et du passé qui s'entrelace au présent»· Maupassant». Le 4 décembre, Le Voleur illustié consacre au livre un 1179 MAURICE LEBIANC 1178 MAURICE LEBIANC . I le Gil BIas donne en feuilleton en décembre 1.897,' long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon voici des alles ., qu~ 1898 est un roman consacré tout entler a Monsieur Fouque: « Elle porte la griffe d'un homme de talent et d' une de u'OllendOrffpubh~ en mars 'aurice ratique depuis longtemps. n Et, düt le mot paraítre bien gros, j'ai pensé en la lisant a l'iranie é~venir. ~ qgloirdee la divin~ bu:CYcCyl~~:e)c~fOndé{~~ :uavril1896 par le journaliste du grand Flaubert. I'ai retrouvé dans Monsieur Fouque cette blaarme ••• ue. de 1'«ArtlS c ' {ait par futu r éditeur de Lupin. froid, ce pince-sans-rire qui était resté a prendre dans l'hérita guea sportifPierre ~afitte, M. Humblot, directeur des éditi?~S Ollendorff, l'auteur de Bouvard et Pécuchet. » ge de Cette annee 1~98, 1 blicité de ses livres. de rédíger son auto- demande a Maunce, pou~ a pu oie cet « instantané » qui le définit assez L'article est signé M. Champimont, pseudonyrne de René Morot l' portrait. Le jeune. r~m;:~~:u::t de Maupassant, dont les conseils lui des me illeurs ami.s duu jieune M'aunce ... ' Un bien: «Compatno e hvsi d'épaules larges. de teint pille, de gestes rent précieux. Au p y~lque, II fut un des premiers a lancer ces {u 'Iégance tres personne e, d lents. D'une ;830 dont on a tant abusé depuis. Sous cet. aspect e mo~- Maurice passe l'été 1892 Vaucottes. Il y fréquente le poete Edmond a joliesmode~ . ant sortant peu, n'aimant París que comme e Haraucourt, auteur du fameux Rondel de l'adieu (<< Partir, e'est mourirun dain, un sohtalre cepe~d '. sont pas assez tentantes pour rom- peu ... ») et le dramaturge Maurice Donnay, avec qui il écrit une parodie seu!endroit dont les dlst:a~tl~~s nedont il a besoin quand il se met au d'Aristophane, Lysistrata. A Etretat, il fréquente Marcel Prévost, roman_ re la vie réguliere et rnet o ique "1 le peut l'hiver dans les pays du P le plus souvent qu l' d . cier spécialiste du cceur féminin, qui écrivait alors ses Demi- Vierges. travail. Voyage éte de vieilles villes murées, e vieux Gráce a ces relations, Maurice peut entrer au prestigieux Gil BIas,auquel soleil,l'été a travers la France en qu . nné de sport et de tourisme. Avec lO il donne, a partir d'octobre 1892, de nombreux contes, et OUil faitla chílteaUX,d'églises romanes ..U n pass avec l'immense bicycle et la m e connaissance de nombreuses célébrités du temps. I'antique ve'1ocr.peede de bois , com l routes de France et de Navarre. . 1 tt a roulé sur toutes es Beaucoup de ces contes ne méritent sürement pas I'oubli dans lequel moderne blCyc e e, d 1 vie libre dont la marque est ils sont tombés. Le jeune écrivain maitrise l'art de conter, et Lupin esten Ya pris un amour exalté de la nature et e a germe dans beaucoup de ces récits, teintés de l'anarchisme alors en visibleen ses derniers livres. » Maurice adresse le 23 octobre vogue dans les milieux littéraires. Le Conte de Noel que donne le GilBIas Egalement révélatrice, une lettre ~ue , lívre et demandé des f ' . lui avaít envoye un 1 , du 25 décembre 1893 est significatif. Le pauvre qu'il met en scene eston 1898a un jeune con rer~ ~Ul., s donner de conseils que les deux ne peut plus honnéte : « Depuis son enfance, entre le bien de ses sem- conseils littéraires: «[e n al pomt a vou blables et lui, s'élevaient, sans qu'il songeát a en examiner la solidité, suivants : d ' . . s ceux qui ont bien le génie . b P nos gran s ecnvam , 1 d'infranchissables barrieres. » Un vol qu'il commet presque malgré luí, « 1.Lisez eaucOU , 1 Voltaire des contes, Pau- celui d'une poupée, destiné e a la petite fille qui l'attend dans sa man- francais. Montaigne, Pascal, La Bruyere, e sarde, lui ouvre les yeux: « Il s'apercevait que les obstacles échafaudés LouisCourier, Flaubert, Re~an ... áchez de sentir beaucoup, d'aimer, de entre la propriété des uns et les besoins des autres sont de purs menson- «2.Vivez. Oui, surtout vivez, t~ ívre C'est notre premier . "h Nous vtvoris pour VI . ges, de vaines menaces. » souffnr, d etre eureux. d faí e de bonnes choses. Une C'est dans les colonnes du Gil BIas que Maurice publie son premier devoir. Et puis, e'est le meill~ur mo~e~on~é::ur la vie. Celui qui reste ceuvre ne se soutient que SI elle es id Q nd 1'1 ya du soleil dans la roman, Une femme, édité par Ollendorff en mai 1893. Suivront chezle . b't"tsurleVl e ua mérne éditeur Ceux qui souffrent et Les Heures de mystére, recueils d~ enfermé dans son cabmet a 1 l' he tre plume. n sera toujours contes, puis L'CEuvre de mort et Armelle et Claude, deux romans qUl me ou une jolie femme quelque part, ac ez YO, . ez n' en sera que plus d es et ce que vous ecnr assoient sa réputation. Le Courrier francais du 2 mai 1897 écri~: temps de la repren re, apres, , «Armelle et Claude, le nouveau roman de Maurice Leblanc que pubhe imprégné de chaleur et de beaute. » aujourd'hui Ollendorff, est un livre d'une intensité surprenante. Il fal- lait tout le souple talent et l'admirable langue du jeune écrivain de Une femme pour rendre dans ses infimes nuances cette histoire d'un arnour . vaille a un roman auquel il atta- si particulier, si neuf, cette tentative de deux étres vers une communion Aux alentours de 1900, Maunc,e tra. C'est la seule de ses plus complete, dans une harmonie absolue. L'ceuvre laisse une des plus che beaucoup d'importance, ~ Entho~s¡as~e. ule aussi dont il avait

d'innombrables corrections, qui témoignent d'un travail achar . . son comité en 1907, cornme secrétaire, avec Iules Bois et janvier 1900, depuis Nice, il écrit a son ami René Boylesve' neoEn élu e Daniel Lesueur. C'est a cela, bien plus qu'aux succes de son Lupin, . "Mo tableau de travail, le fameux tableau qui vous a fait rire, enregistre h ~ M;U doit d'etre fait, en j~vi~r 1908; ~hevalier de la ~~gi,ond' h~nneur. ,. heures d'efforts quotidiens. (...) Mes fins de romans détermine UI! q En mars 1909, il est elu vice-président ~e. la Soclet~, une tac~e qu u . d .. d d' h . d nt tou_ jours es peno es ac arnement exquises et ouloureuses, oü il lit avec assiduité, dévouement et seneux. 11assíste aux dmers de accomP , d b ,.. beaucoup l'ardent désir d'en étre débarrassé. J'aurai fini dans laentre Société, prononce des discours, frequente e nom reux ecnvams. miere quinzaine de mars. Fini ! Entendons-nous. Car j'aurai beaucPre- la ucoup regrettent qu'il s'adonne a son Arsene Lupin: ils pensent qu'il a refaire, ce livre étant horriblement difficile. Il sera peut-etre tout a~U~ Beat mieux que cela! lean Ernest-Charles écrit dans Le Censeur, en raté, comme je l'ai toujours cru, mais sapristi, quelle conscienc ~,It vau . L bl . uüt 1907: « 11ne faut pas perdre de vue que Maunce e anc est un tres aurai mis! » e J y bao écrivain de notre temps. Conteur d'une sobre et rorte" e'1egance' , I'1a éO~tdes nouvelles d'une psychologie profonde et il est capable d'écrire Le livre paraít en février 1901. Il tombe dans l'indifférence générai ncore de tres beaux livres oü palpitera la vie. Ie ne m'irrite point contre Maurice, que sa vive sensibilité et son extreme émotivité prédisposaie:; en .. d' A a la souffrance, est gagné par la neurasthénie. I i s'il s'amuse a narrer les agitations fantastiques et cormques un mar- rrue voleur, et me me son récit m'amuse autant qu 'il amuse M'aunce Son ami Henri Desgrange lui propose de donner au joumal L'Autoquel, Leblanc lui-rnéme ... Mais j'aimerais autant qu'il revint a son inspiration ques Contes sportifs. Maurice, cornme il le fera plus tard avec Lafitteet véritable et qu'il laíssát écrire la suite des Aventures d'Arsene Lupin par Lupin, regimbe un peu :il se croit davantage fait pour étudier la vie délicate son concierge ou par quelque Félicien Champsaur. » des ames que pour étre le champion de l'action. Mais il faut bien vivre... Erreur de jugement, bien sur, comme il y en a mille autres dans l'his- toire des lettres! Le pire pour Maurice est qu'il partage I'opínion de son Avec ces contes, Maurice est le premier écrivain a faire entrer l'auto. ami Emest-Charles. J.-H. Rosny ainé, tres mélé lui aussi a la vie littéraire mobile dans la littérature. Mirbeau, que l'on cite souvent comme píon- de ce temps, et dont la célebre Guerre du feu parut aussi en feuilleton nier dan s ce domaine, avec sa 628 E 8, viendra plus tard ... Ces contes, dans fe sais tout, écrit dans ses Mémoires de la vie littéraire :« On rencon- surtout, annoncent Lupin : Maurice glisse avec eux du conte psychologí- trait Maurice Leblanc promu au succes foudroyant par la gráce d'Arsene que au monde de l'aventure. Le héros du conte Un gentleman, qui paran Lupin - succes imprévisible, car Maurice Leblanc cultivait une littéra- en 1904, dans le volume Gueule-rouge 80-chevaux, semble un frere ture sans analogie avec celle de Lupin. Ie n'ose dire qu'Arsene Lupin le d'Arsene Lupin. révéla a lui-méme et aux autres. Ie crains plutót que ce gentleman-cam- brioleur n'ait un peu bazardé la carriere de Leblanc. » Il écrit aussi: « Je ne sais si Leblanc est ravi de son succes ... I'ai toujours pensé qu'il se pro- posait de suivre l' autre carriére, mais Lupin le tire par les pieds. » Lorsque L'Arrestation d'Arsene Lupin parait dans fe sais tout, en J.-H.Rosny voyait juste, comme le montre une émouvante lettre que juillet 1905, Maurice ignore completernent qu'il deviendra « le pere Maurice écrivait le 31 janvier 1913 a un confrere qui lui avait consacré un d'Arsene Lupin ». Il a bien d'autres projets en téte, et notamment pour article chaleureux: « Mon cher ami, votre article m'a donné une grande le théátre. Mais la piece La Pitié, représentée en mai 1906 au Thécitre joíe... une grande joie melée d'un peu de larmes. Mon cher ami, je vais Antoine, ne connait que huit représentations ! Antoine se souviendra vous dire une chose qui vous étonnera, une chose qui est tout de me me que le soir de la derníere, Maurice, « navré », lui a dit: « C'estbien, je vais un peu attristante: votre étude est la premiere qui paraisse sur mon ce qu'illeur faut, je renonce a faire du grand théátre et je vais fabriquer O!uvrelittéraire. Avant Lupin, je défie qu'on trouve dans un seul joumal des choses pour gagner de l'argent. » Et, déja, il a en chantier ce chef- Un seul véritable article sur un seul de mes livres. Le titre méme de d'ceuvre : L'Aiguille creuse. L'Enthousiasme n'a pas été cité une seule fois. Ie ne parle pas de la 11fréquente assidfunent les milieux littéraires. Il est souvent chez sa vente... 1000 ou 1200 exemplaires vendus ... mais enfin ce livre qui rn'a soeur Georgette, instaIlée a Paris avec Maeterlinck depuis 1897. On le voit Couté deux ans d'effort et de réflexion méritait bien de la part de mes aux réceptions données par Pierre Lafitte dans le luxueux hotel de se~t confreres un peu d'attention, quelques lignes. Rien ... Ie n'en ai concu, étages oü sa maison s'est installée, au 90 des Champs-Elysées. on le vo~t bien entendu, aucune amertume, mais enfin j'ai passé a un autre genre aux conférences organisées par Le Censeur politique et littéraire. oo levoít d'exercice ... le théátre d'abord ... puis Arsene Lupin, puisque l'occasion surtout a la prestigieuse Société des Gens de Lettres, cité Rougemont. n sst s'offrait... Rien ne m'empéchera un jour de revenír a ce que je n'ai pas lHl;¿ MAURICE LEBLANC

cess~ d'aimer. Et croyez bien, mon cher ami, que votre affectue serait pour beaucoup dans ce retour. Ie vous en remercie d UX article ment, pour l' avenir et pour le passé. J' ai eu en le lisant la s on~ double_ , . enSatlOn d' reparatíon que me donnait la critique ... par la plume de s une tant .le.plus, libre, le plus indépendant et le plus conscienc~en rep~ésen_ une joie qu on n'oublie paso » UX. e esr la II

LA GRANDE GUERRE

Le Maurice Leblanc qui publie Le Bouchon de cristal en feuilleton dans Lejournal, a l'automne de 1912, est certes tres différent du jeune écri- vaín sportif et dandy qui collaborait au Gil Blas et donnait a Ollendorff des romans d'analyse psychologique. D'abord il a « réussi », et comme ceux de ses confreres qui se sont acquis quelque célébrité, il a mainte- nant la Légion d'honneur et s'est installé dans un tres confortable hotel particulier du XVIe arrondissement, situé au fond de la provinciale impasse Herran. Il y vit avec sa seconde épouse, Marguerite, et son fils Claude. Il y recoit beaucoup de ses confreres : Rosny ainé, André Cou- vreur, Michel Corday ...

n passe une partie de l'hiver dans le Midi, de préférence a Nice, oü il va voir sa sceur Georgette, qui demeure avec Maeterlinck (prix Nobel depuis peu) dans la villa Les Abeilles, avenue des Baumettes. L' été, e' est a Saint-Wandrille qu'il va voir sa sceur. Elle a loué avec Maeterlinck les vastes bátiments de l'abbaye retiré e aux moines a la suite des lois sur les congrégations. Elle y a monté, pour quelques privilégiés, des représen- tations mémorables de Macbeth et de Pelléas et Mélisande.

Maurice séjourne aussi quelques semaines au cháteau de Tancarville, loué par sa grande sceur Jehanne. Elle y passe les mois d'été avec son marí, Fernand Prat, et ses deux filles, Fernande et Marcelle, cette derniere future épouse de Bertrand de Jouvenel. Le cháteau, sa falaise abrupte, Son vieux puits, ses arcades gothiques et son formidable donjon, vidé de ses planchers et avec « quatre creux de cheminées qui se superposaient sous des manteaux de pierres sculptées », servira de modele a la plupart des cháteaux évoqués dans les aventures d'Arsene Lupin. Ils présentent souvent comme lui une aile du XVlIIe siecle voisinant avec une partie médiévale en ruin e : Volnic, dans La Femme aux deux sourires, Ornequin dans L'Eclat d'obus, Montmaur dans Le Bouchon de cristal, Halingre dans L'AgenceBarnett et Cie, Formigny dans Les Dents du tigre...

A Paris, Maurice fréquente beaucoup de ses confreres, connus a la Société des Gens de Lettres (oü il a siégé de Úl07 a 1910). On le voit sou- MAURICE LEBlANC 1185

t au somptueux Pauillon des Muses de Neuilly, occupé jusqu'en 1909 venRobert de Montesquiou et loué ensuite par sa sceur Iehanne, qui y rnne de grandes réceptions et y recoít de nombreux artistes et écri- o. s. Marcel L'Herbier rapporte dans Arts et Lettres y avoir souvent ren- =ré, en 1913,«le subtil Maurice Leblanc, flaubertien de race pris aux piegesdorés d'Arsene Lupin », Maurice fréquente souvent le milieu actif, débordant de vie, des nom- breuses publications de Pierre Lafitte. Lafitte a de quoi se frotter les 4¡nainsdevant les succes remportés par le gentleman cambrioleur, tra- lluit un peu partout, publié dans de nombreux journaux, adapté avec Buceesau théátre, a l'Athénée et au Chátelet, et déja porté a l'écran, en :AInériqueet en Allemagne. Maurice tache de prafiter de ce succes pour faire rééditer par Ollendorff ses romans « psychologiques », auxquels il renait tant. Il donne a la revue Le Liure a un sou, a la fin de 1912,sous le titre La Petite Pée, le raman Voici des ailes !, paru en 1898,tan dis qu'il fait éditer par Lafitte sa píece La Pitié. Ce Maurice Leblanc est-il parfaitement heureux?

Le 27janvier 1911, Paris-Iournal avait publié un conte, La Derniere Victime de Sosthéne Lapin, dans lequel Michel Psichari mettait en scene le pere de Lupin, sous le pseudonyrne de Fabrice Lenoir. A la fin du conte, le héras condamnait son historiographe au silence !Maurice écrit au journal: «Non, non! Ie ne renonce pas du tout a pramener mon ArseneLupin par le monde et j'entends bien le ramener de temps a autre dans la vie, toujours jeune et toujours ingénieux ... » En fait, il se sent contraint de faire vivre son Lupin, mais il compte bien poursuivre parallelernent une carríere d'écrivain psychologue. Ainsi,tandis qu'il a écrit pour fe sais tout les nouvelles de la série Les Confidences d'Arséne Lupin, il donne au journal Excelsior, que vient de lancer son ami Pierre Lafitte, quelques contes «sentímentaux . qui rap- pellent le style de Maupassant, et un grand roman d' amour, La Froruiére. Estrévélatrice de ce désir de mener de front deux « carríeres » une lettre qu'il écrit le 20 février 1912 a Henri de Régnier, directeur littéraire du Journal: ilveut bien lui livrer aussitót fini «un raman sur Lupin »intitulé Le Bouchon de cristal, qui lui sera réglé au prix de deux francs la ligne, maís il y met deux conditions; d'abord que Le [ournal s'engage a PUblier,payés au mérne prix de deux francs la ligne, ses «trois prachains romans sur Lupin»; ensuite et surtout qu'íl accepte de publier «un roman d'aventures amoureuses »,intitulé Les Quatre Sceurs amoureuses, pou- lequel il se contentera d'un franc cinquante la ligne ! p ~'est évidemment a son Lupin qu'il doit d'étre une figure du Tout- ans, d'avoír son portrait dans le fameux Mariani de 1913 ou 1186 MAURICE LEBLANC MAURICE LEBLANC 1187

dans l'Album-Revue des Opinions de 1914. En décembre 1913,le Casino prisonniers de guerre» créée par la Croix-Rouge, de savoir s'il est mort de Paris présente «en exclusivité absolue » le premier film francaís ou prisonnier. consacré au gentleman cambrioleur: Arséne Lupin contre Ganimard, mis en scene par Michel Carré. Georges Tréville incarne Lupin. Harry Cornrne pour la plupart des écrivains, 1914 marque une nette cassure Baur préte ses traits a l'inspecteur Ganimard. dans la production de Maurice Leblanc: ses romans nous plongent maintenant dans une atrnosphere tourmentée, violente, marquée par la Le 10juillet 1914, Arsene Lupin fait son entrée, avec les nouvelles guerre, «époque de folie et d'égarement ». d'Arsene Lupin, gentleman cambrioleur, dan s 1'«Idéal-Bibliotheque» de Pierre Lafitte. La couverture en couleurs dessinée par Léo Fontan mon- De juillet a décembre 1914,toutes les publications avaient été suspen- tre Lupin tel que devaient le voir des générations de lecteurs, l'air mys- dues, dans l'attente de la fin du conflit, que 1'0nespérait proche. Maurice térieux et racé, avec un monocle, une canne a pommeau et un haut-de- ne peut faire paraitre Les Dents du tigre, qui sort cependant aux Etats- forme luisant. Les éditions populaires a bon marché se développaient Unis. Les romanciers sont aussi touchés par la réduction de la pagination alors considérablement. Fayard avait donné le signal de départ en 1904. des journaux, dont les feuilletons sont réduits, tandis que ne cesse de C'est avec ces éditions que Lupin devait connaítre de forts tirages, et s'allonger la rubrique Morts au champ d'honneur. Maurice Leblanc l'assurance de substantiels bénéfices ... Mais, comme le Maurice, avec sa sensibilité aígué, semblait mal fait pour supporter de bonheur n'est jamais parfait, il yavait, malgré tout, la répugnance mani- tels bouleversements. Il souffrit sans aucun doute, mais déborda malgré festée par beaucoup de ses distingués confreres pour ces fascicules tout d'activités. Trop ágé évidemment pour s'engager, il souhaite par «populaires » devant lesquels les délicats se píncaíent le nez ... tous les moyens étre, a sa facon, utile a son pays. Il participe volontierss Et puis il y eut la guerre ... aux «ceuvres d'assistance ». aux «matinées de bienfaisance ». aux «con- férences patriotiques » et aux «ventes de charité » organisées pour venir « Est-ce vrai que nous pourrions avoir la guerre?» se demande Gus- en aide aux hópitaux militaires, aux soldats mutilés, a leurs familles tave Téry, dans Le Iournal du 26 juillet 1914.Hélas oui. La nouvelle sur- démunies et aux nombreux « orphelins de guerre ». Pour les kermesse s prend Maurice a Tancarville, oü il pensait pouvoir passer des vacances animées par la Croix-Rouge, il envoie des volumes dédicacés. Il fait par- sereines ... Il évoquera dans L'Eclat d'obus « les journées sinistres de la tie du jury du « Concours des journaux du front ». lancé par Le Ioumal fin d'aoüt, les plus tragiques peut-étre que la France ait jamais pour venir en aide aux innombrables publications qui fleurirent dans les vécues », puis, du 6 au 11 décembre, la glorieuse bataille de la Marne. tranchées. Comme tous ses confreres, il se montre patriote. Il a admiré «l'ordre Soucieux de se rendre utile chez les «gens de Lettres » (beaucoup sont parfait de la mobilisation, l'enthousiasme des soldats, le réveil de l'áme nationale ». au front), il assiste a l'assemblée générale de la Société, le 21 mars 1915. On y adopte «a l'unanimité . cet «ordre du jour » : «Rendant hornrnage a En novembre paraít le premier numéro du Bulletin des écrivains, qui ceux qui sont morts pour que l'esprit francais vive, la Société croit étre donne la liste des dix-sept premiers écrivains tombés a l'ennemi. La I'interprete de leurs dernieres volontés en affirmant que leur sacrifice «guerre de mouvement » terminé e, les adversaires, terrés dans la boue dicte a tous les écrivains qui restent le devoir d'associer leurs efforts pour des tranchées, vont rester de longs mois (quatre ans, mais ils ne le maintenir l'union des cceurs et des énergies. » savaient pas) face face, se livrant réguliérernent des offensives rui- a a Au «Comité » de la Société, oü Maurice est élu pour trois ans, on lit neuses en vies humaines, tandis qu'á Paris l'on s'installe petit petit a d'« admirables Iettres . envoyées du front par des écrivains, on félicite dans la guerreo ceux qui sont cités « l'ordre du jour . de l'armée, on envoie des condo- e a Noe11914, 144 jour de la guerre, n'a rien de réjouissant. Pour le jour léances aux familles des hommes de lettres touchées par la guerre, on de l'an, on offre aux enfants comme livre d'étrennes Les Mémoires d'un offre des livres pour les prisonniers et les blessés, on organise des «con- 75,«le canon merveilleux », d'André Tudesq ... férences patriotiques ». Un deuil déja est venu attrister la famille Leblanc: Maurice a perdu Apartir d'octobre 1915,Maurice Leblanc, a la Société des Gens de Let- son jeune cousin, le comédien Marcel Dufay, porté disparu et laissant la tres, s'occupe plus particulierernent de la «médaille cornmémorative . farnille dans l'angoisse; il est difficile, malgré 1'«agence de recherche des que Maurice Barres avait souhaité offrir aux écrivains « morts au champ MAURICE LEBLANC 1189

d'honneur ». n se dé mime beaucoup, enquétant sur ces écrivains (sou- nt fort obscurs), entrant en contact avec leurs familles, entretenant vee correspondance suivie avec Barres, a qui iI envoie régulíerement des :hes concernant les écrivains qui doivent recevoir la médaille pos- thume ou figurer dans une Anthologie des Ecrivains [rancais morts pour /apatrie. Ala mérne époque, Mme Aurel, femme de Lettres alors célebre, orga- nisait dans son hotel particulier de la rue du Printemps des « jeudis » qui furent fameux. Elle y invitait des écrivains combattants perrníssíonnai- res, et rendait hommage aux poetes disparus. Maurice assista a quel- ques-uns de ces « jeudis », mais de maniere trop peu assidue au goüt d'Aurel, qui le lui reproche gentiment. Maurice lui écrit assez seche- ment, le 2 février 1917: « Pourquoi me jetez-vous, avec une autorité dédaigneuse, dans la tourbe de ceux que les postes n'intéressent pas ? Lespoetes que vous glorifiez, je les ai honorés avant vous, en recher- ehant leurs noms, en étudiant leurs ceuvres, en correspondant avec leurs familles, en les désignant pour la médaille Barres. Besogne obscure, et qui n'a certes pas le relief de la vótre. Mais peut-étre aí-je été plus pres encore de leur ame secrete en lisant les lettres désespérées de leurs meres et de leurs veuves. » Ce travail, Maurice Leblanc le fit en effet avec conscience, malgré ses problernes de santé. Le 18 avril1916, il écrivait a Barres: « Bien qu'assez souffrant, et prévoyant une période de plusieurs mois pendant laquelle jevais étre obligé de renoncer a toute espece d'activité (épuisement ner- veux, angoisse de guerre, etc.), je désire cependant continuer l'ceuvre que j'ai commencée.»

Leplus étonnant est que cette période troublée fut aussi l'une des plus fécondes du romancier. Jamais iI n'aura tant écrit, et de longues ceuvres complexes, adroitement agencées, qui témoignent d'une imagination peu commune. On s'émerveille que les chefs-d'ceuvre que sont L'Eclat d:obus, Le Triangle d'or et L'Ile aux tren te cercueils aient pu étre menés a bien par un écrivain si bouleversé par les horreurs de la guerreo D'autant plus qu'íl a donné aussi au [ournal une série de Cantes héroiques, qui Maurice Leblanc vers 1900 eXaltentla vaillance de nos combattants, et surtout le long roman Le Cer- c!e rouge, adaptation d'un film américain a épisodes. Il consacra plu- :Ie~rs mois a ce travail on ne peut plus difficile, qui consistait a écrire un eU~l1etoncalqué sur un film, en rendant cohérente une histoire pour le moms décousue. lVlAU1HLt LttlLl\I~L

Pendant toute la guerre, Maurice passe les mois d' été a Etretat, d la villa Le Sphinx, qu'illoue a Georges Leve!. Situé e a l'angle de la ru ans e Bec-Castel et de la route de Criquetot, non loin de la Guillette de Gu dll Maupassant, c'est une belle villa normande a colombages, de:de laquelle s'étend un beau jardin, agrémenté de pergolas sous lesqUelle~t romancier aime a s'installer pour écrire. Car il écrit autant a Etretat q ,e Paris. ua

Malgré la guerre, la « saison d'été » de 1915 est assez vivante. Le Nor: mand de Paris écrit : « Presque toutes les villas ont été louées et les hóte~ ont de nombreux clients. Cependant la saison n' est plus la meme, caron y sent une pointe de mélancolie. On pense aux absents C..) Plus de bals me me d'enfants, ni de soirées mondaines.» '

Maurice assiste aux concerts et aux « séances récréatives » donnés au profit de l' « hópital auxiliaire » d'Etretat, qui recoit de nombreux blessés évacués du front. Beaucoup de villas accueillent des « orphelins de guerre»: une « colonie des enfants de mobilisés orphelins de mere. avait été créée a Etretat par Emile Vitta des aoüt 1914. Le chansonnier Xavier Privas fait partie de son administration. Sur les terrasses du casino, Maurice fréquente quelques-uns de ses amis parisiens eux aussi en villégiature a Etretat : le journaliste Georges Bourdon, le romancier Henri Duvernois, l'écrivain Léon Blum, qui séjourne en famille a l'hótel des Falaises ...

L'été 1916, le cimetiere militaire créé autour de l'église d'Etretat s'est cruellement agrandi. Louis Fabulet lui consacre un article érnu, dansle Journal de Rouen du 16 aoüt, L'été suivant, pour la premiere foís,un guide touristique décrivant les célebres falaises évoque Maurice Leblanc et son Arsene Lupin. Les hotel s de la Plage et des Roches blanches son! transformés en hópitaux, Maurice y rend visite aux soldats blessés. leur dédícacant ses livres. Beaucoup de ces jeunes soldats sont des suppor- ters enthousiastes d'Arsene Lupin, dont les aventures sont largemen! diffusées par les collections populaires de Pierre Lafitte, « Les Romans d'aventure et d'action », Toutes les ceuvres de cette époque sont évidemment tres marquéeS par la guerreo Le Triangle d'or décrit le Paris de 1915, un Paris oü lesm~ts « schrapnell », « taube » ou « zeppelin » sont entrés dans le vocabul~~ quotidien, oü plusieurs hótels sont transformés en ambulances (aIl1SI appelait-on les hópítaux improvisés), et oü l'on croise en grand nombre Maurice Leblanc en 1907. e des mutilés et des ínfirmieres, vétues « d'un grand manteau bleUqu. gul- marquait la croix rouge». Dans ces livres, surtout, le « boche» san s naire, le « barbare », est présenté comme capable de toutes les h~rreure; el placé face a des soldats ou officiers francaís débordant d'héro1Sme de générosité. Les bruits les plus fous couraient sur I ' " bares» et expliquent le ton germanophobe des c:ea férocíta des « bar c.amPdosaa cette époque, ton que l'on retrouve dansu:~~e;uI e M.aUti~ ue, tions u temps. es Prod Certains, plus tard, et méme parmi les plus fervents lu . . III la fine bouche devant ces romans oü Maurice se montrPI,nllens, Ontfait peu trop patri t 11 e a eur g , . Id' 10 e. s ne reconnaissent pas le déesmvo Ite gentlem OUtun LUPIN ET SES AVATARS bno eur es premlers contes . MaIS. ce patnot. ísme. est luí d an ea~1••.I- rom~ciers du temps. Citons, pour nous en tenir a de ce Ul e tou, les ~a~nce, Arnould Galopin, avec Nos poilus de la e, e~p~~~~~ a~is de oute du 75 et Femmes et gosses héroiques. VOlav, ec Avec le recueil de nouvelles des Huit Coups de l'horloge, Maurice Et ~uis, mérne s'ils sont tres marqués par leur tem Leblancrevient a une inspiration beaucoup plus sereine. Son gentleman Maunce Leblanc restent parfaitement lisibles On ,~s, ce~ reman, de il est vrai a bien changé, laissant de cóté ses outils de cambrioleur pour teur refermer L'Ile aux trente cercueils avantl I d n ~ jamais VII un lec- ch it e ermer mot du d . se faire le défenseur de la veuve et de l'orphelin. Maurice lui fait dire: api re, et Le Iournal avait raison d'annonc .. d erruer ~Partout, si on le veut, il ya prétexte s'émouvoir, faire le bien, sau- la publication de L'Eclat d'obus : C' er ainsi ans ses colonnes a a a , . . « est, en méme tem ver une victime, a mettre fin a une injustice. » Mais le romancier a maní- mysteneuse et troublante aventure un d d . ps que la plus ' rame e passion et d haí festement oublié les cauchemars qui hantaient les c:euvres du temps de auque II a guerre ajoute un caractere de violence e ame « Ce roman est peut -étre l'ceuvre mai presque sauvage» (..). guerreoCette nouvelle jeunesse se manifeste aussi avec le beau roman guerre évidemment, mais oü~~n~~I~:s~e de ~a~rice Lebl~nc. Récitde La Comtesse de Cagliostro, qui raconte la premiere aventure - et le pre- mier amour _ d'Arsene Lupín. et avec La Demoiselle aux yeux uerts, un qu'il est presque impossible de songger a~l amutryste ecnhoeussee quest'auSxI cap,.tiva,.nte roman dans lequell' énigme baigne dans un climat de poésie tout fait du roman, aux personna es . l' . penpetíes a angoisses, bref a toutes le; sce~~~ tr:n~ment, a, le~rs épreuves et a leurs particulier. Pour les beaux yeux d'Aurélie, Lupin-Leblanc retrouve le peut créer l'imaginati .,. g ques, héroiques et terrifiantes que ion inépuisable de l'auteur. » merveilleux de ses visions d' enfant.

Le Maurice Leblanc de cette époque a abandonné toute activité au sein de la Société des Gens de Lettres, et ses problemes de santé, tout autant que son tempérament discret, le contraignent a une vie de plus en plus réguliere. n écrit a l'une de ses cousines de Rouen, en 1925 : « Ca va toujours a peu pres, avec un systeme nerveux ultra-sensible et un estomac qui se contracte pour ríen, et, au fond. un tempérament plutót solide, que je dois a des ancétres bien équilibrés qui, heureusement pour moí, ont vécu bien sagement en dehors de ce diabolique et charmant

Paris. » En vieillissant, il éprouve de plus en plus la nostalgie de son passé nor- mand que, jeune écrivain, il avait rejeté avec une certaine vigueur. Cette nostalgie se traduit, dans un roman comme La Comtesse de Cagliostro par l'évocation des lieux du pays de Caux les plus chers a son cc:eur ~omm: l'abbaye de jumíeges. pres de laquelle il avait passé ses vacance~ ae ~~ceen,Saint-Wandrille, oü il est souvencallé voir sa sc:eurGeorgette I epoque oü elle y demeurait avec Maeterlinck, Gueures, pres di 1l~4 MAURICE LEBLANC MAURICE LEBLANC 1195

oü Dieppe, iI a passé les mois d'été, de 1900 a 1910, dans le cháteau loué de l'horloge: « Cette arríere-saíson fut si douce que le 2 octobre au matin par sa grande sceur Jehanne. Les Huit Coups de l'horloge décrivent «les plusieurs familles attardées dans leur villa d'Etretat étaient descendues courbes majestueuses» de la Seine, et la forét de Brotonne, «toute au bord de la mer. On eüt dit, entre les falaises et les nuages de l'horizon, pleine de souvenirs romains et de vestiges du Moyen Age ». un lac de montagnes assoupi au creux des roches qui l'ernprisonnent, Maurice collectionne les cartes postales représentant les cháteaux et s'il n'y avait eu dans l'air ce quelque chose de léger, et dans le ciel ces les manoirs de son cher pays de Caux dans un bel album qu'il évoque couleurs páles, tendres et indéfínies, qui donnent a certains jours de ce dans un texte écrit pour la petite revue fécampoise La Peuille en 4. Il pays un charme si particulier. » parle avec émotion du «triangle cauchois », cadre de beaucoup des A Etretat comme a Paris, les journées du romancier sont bien réglées. aventures d'Arsens Lupin, «ce triangle sacré pour moi », écrit-il, « ou A onze heures, il est a « la Potiniere ». sur les terrasses du casino, oü il toute ma vie heureuse, ma vie des jours d'été et d'automne, s'est écoulée converse avec ses amis habitués de la station balnéaire: le journaliste autour de ces quelques villages dont les noms jalonnent la route de mon Georges Bourdon, les musiciens Henry Février et André Messager, les passé: Iumíeges et son abbaye, Saint-Wandrille et son cloitre, Tancar- auteurs dramatiques René Peter et Maurice Sergine, le peintre Iules Cay- ville et ses ruines, Etretat et son aiguille ... » ron, son beau-frere le sénateur René Renoult, qui passe l'été dans la villa Son attachement pour sa province natal e se manifeste par son adhé- Heurtevent. sion, en 1920, a l'association des «Normands de Paris ». qui organisait Etretat a renoué avec son animation d'avant guerreo Animation spor- excursions et banquets, et par ses retours de plus en plus fréquents a tíve, avec les «challenges» qu'organíse la «Jeunesse sportive étreta- Rouen. Il y est le 25 janvier 1923, avec André Maurois, pour I'inaugura- taise », les compétitions de golf et le « tournoi international de tennis ». tion du monument aux morts du lycée Corneille. Il assiste de plus en oü l'on put applaudir la célebre Suzanne Lenglen, a qui Maurice consa- plus souvent aux réunions des anciens éleves, oü il retrouve avec plaisir cre un artic!e chaleureux, Championne du monde. ny a aussí, et surtout, des visages depuis longtemps perdus de vue. une grande animation mondaine et artistique. Maurice participe a Il souhaite aussi renouer avec ses cousins rouennaís, qu'il voyait tres beaucoup des fétes organisées par les «Vieux Galets », association rarement, trop rarernent a son goüt, Il obtient qu'une féte de farnille, a d'habitués d'Etretat créée par Georges Bourdon et le poete-rnusicíen Rouen, en juin 1924, les réunisse tous. L'été 1925, avant de rejoindre Louis de Morsier. Etretat, iI fait étape a Rouen ; il rend visite au grand « cimetíere monu- mental» oü, depuis l'inhumation de son pere, en 1905, il n'avait guere eu l'occasion de retourner. Voyant« avec tristesse l'état de délabrement A la différence de celui d'avant guerre, le Maurice Leblanc des années vingt s'est résolu étre devenu un romancier d'aventures. souhaite néan- oü se trouve la chapelle funéraire » de ses parents, il demande a l'une de a n moins, pour que son Arsene Lupin lui fasse moins d'ombre, donner vie ses cousines rouennaises de lui trouver un artísan, qui n'aura qu'a lui a envoyer sa facture. d'autres héros. En février 1918, il écrivait a Hachette qu'il aimerait que la maison accueille avec la méme faveur tous ses ouvrages, y compris ceux qui Son attachement pour le pays de Caux explique aussi qu'il passe tous ont peu de chance de connaitre le succes : « Il est tres possible que je donne les mois d'été a Etretat. En février 1919, il a acheté la villa Le Sphinx, qu'il a l'occasion un volume d'aventures plus sérieuses, ou un volume de contes, louait depuis quatre ans. Ill'a rebaptisée Le Clos-Lupin, a fait redessiner et je ne voudrais pas que la vente, inévitablement plus restreinte, de ce le jardin et fait rajeunir la facade a pans de bois. C'est a cette villa qu'il volume, parüt un insucces, un faux pas comme vous dites. » songe en évoquant Le Clos des Lupins dans lequel Arsene Lupin se retire A cette époque en effet, Maurice Leblanc est loin de ne travailler que a la fin des Dents du tigre: « En dehors de ses vieux livres de morale et de pour son gentleman cambrioleur. Il donne a le sais tout deux « romans philosophie, qu'il a retrouvés avec tant de plaisír, il cultive son jardin. d'aventure a point de départ scientifique»: Les Trois Yeux et Le Formi- Ses fleurs le passionnent. Il en est fier. » dable Evénement, qui occupent une place a part dans son ceuvre. Ce sont, comme on dira plus tard, des romans d'« anticipation ». Ils perrnet- Maurice reste souvent a Etretat jusqu'áu milieu d'octobre, pour goüter tent aussi de retrouver le passé, therne cher entre tous a Maurice : Le For- aux charmes de l'arríere-saíson, joliment évoqués dans Les Huit Coups midable Evénement nous fait découvrir, dans les profondeurs de la MAURlCE LEBIANC 1197

Manche, une civilisation disparue, et les Vénusiens des Trois Yeux nous envoient d'étranges scenes filmées de l'histoire de notre planete. Dans ce roman, Maurice réussit a mélanger adroitement une histoire d'amour, une énigme políciere et une aventure mystérieuse.

L'été 1922, sous les pergolas de son Clos-Lupin d'Etretat, il commence a travailIer au roman La Vie extravagante de Balthazar, avec lequel il souhaite donner vie a un nouveau héros. Mais celui-ci, qu'il a voulu pathétique, est plutót ridicule, et Maurice doit se rattraper avec le « príere d'insérer » qui accompagne en 1926 l'édition ilIustrée du livre : « Le pere d'Arsene Lupin a tenté la parodie du genre méme oü il excelle ». C'est aussi un nouveau personnage qu'il veut créer avec la charmante hérome de Dorothée, danseuse de corde, un roman qui développe un theme qui lui est cher, celui d'une énigme venue jusqu'a nous d'un loin- tain passé, comme celle qu'il avait imaginé e dans la nouvelle Le Signe de l'ombre, dan s Les Confidences d'Arséne Lupin. Mais, malgré la publicité faite par Le [ournal et les éditions Hachette autour du nom de Dorothée, le livre ne connait qu'un succes tres relatif. Est aussi caractéristique de ce désir de ne pas étre considéré seule- ment comme le pere d'Arsene Lupin la préface, intitulée Maurice Leblanc et ses romans, que Maurice écrit en 1923 pour une édition ilIus- trée de La Frontiére : « Si Maurice Leblanc s'est acquis une réputation universelle en contant les Aventures extraordinaires d'Arsene Lupin (...), il n'en est pas moins avantageusement connu comme auteur de nom- breux contes et romans dans lesquels ne figure point le sympathique gentleman cambrioleur C.. ) Maurice Leblanc ne dépense pas tout son talent en faveur de son héros principal. Il sait nous émouvoir tout autant Maurice Leblanc vers 1910. en narrant d'autres aventures.» C'est aussi un autre personnage qu'il souhaite créer avec Hercule Petitgris, un détective qu'il met en scene dans une longue nouvelle publiée en décembre 1924 dans Les CEuvres libres, dirigées par son ami Henri Duvernois. Mais, la encore, cette « nouvelle création » n'en est pas vraiment une, et Maurice songera méme a donner cette nouvelIe dans un recueil de contes consacrés a Arsene Lupin. Ill'aurait alors intitulée Le Pardessus d'Arséne Lupin. Un peu plus tard, il connaítra la mérne mésaventure avec Iim Barnett, dont il fera finalement un avatar d'Arsene Lupin. Il se consolera en 1930, en constatant, a propos de Conan Doyle, créateur de : « Créer l!n type, ne füt-ce qu'un seul, ne pensez-vous pas que ce soit la marque de quelque souffle íntéríeur t » 11::1::1 MAURICE LEBLANC 1198 MAURICE LEBLANC

ann d'apres guerre, l'édition connaít u~e g~ave crise, Pourquoi done Dorothée, Balthazar, Hercule Petitgris, Iim Barnet ées D~S ~e:a l'augmentation du prix du papier et de la m~-d c:uvre. Le plus tard le Gérard du roman De minuit el sept heures ou Le Prince ~ consecuu.v ente considérablement ... sans que puissent etre aug- Iéricho, ressemblent-ils tous, tres curieusement, au gentleman cambr' s 10- priX d: l1~es;~: droits d'auteur. Le 16 février 1925, Maurice. éc~it sur leur? Maurice Leblanc n'avait-il recu le don de ne créer qu'un seul « type mentes d aut t b lle lettre a son ami Pierre Lafitte: «Ie SUlSsur q~e . t une longue e e , ' L n littéraire»? N'est-ce pas plutót que son Arsene Lupin, homme-protée ce sUJe h tt ( ) u'endra a honneur que l' auteur d Arsene upi pouvait revétir toutes les identités comme toutes les personnalités ? ' . on Hac e e .,. d t lle la mals. . d'un effort qu'il poursuit depuis vingt ans, et on e . le [uste pnx , . reC;:Olve é d 1 . de longues années encore apres moi, » En tout cas, ce Lupin connaít toujours un succes extraordinaire i'ai la fierte e e croire, . notamment au théátre, La piece en quatre actes Arséne Lupin, écrit~ profitera, J, íté a 1égitimé la fierté du pere d'Arsene Lupm! , La posten e . d ce nouve1 état d'esprit a l'égard du roman d aven- avec Francis de Croisset et présentée pour la prerniere fois a I'Athénée le , 'gne aUSSl e '1 927 ' TemOl . bl 1 1ettre qu'il envoie en avn 1 a 280ctobre 1908, est constamment reprise avec succes. André Brulé, SOn h Maunce Le anc, a ill tures, e ez d t I mari le célebre créateur de Rouletab e, interprete principal, n'avait cessé d'étre identifié avec le gentleman Mme Gaston Leroux, on e , , d noms et nos deux cambrioleur. Comme il avait été victime d'un vol, Comoedia titrait, le . dis araltre: « On a rapproche nos eux . venalt de p h dont je suis ñer.» Et aussi: « Ie sais trop par 29 octobre 1919: « Arsene Lupin n'a pas retrouvé son voleur». Il reprend C'est un onneur ,. reu~es: t ce ue vaut l'effort d'imaginer et tout ce qu il suppose le róle en juin 1920 au théátre des Galeries Saint-Hubert. Adolphe Bris- mOl-me~e tou. q de réverie acharnée, d'obsession méme. pour ne son, d'habitude sévere, écrit dans Le Temps : « Arsene Lupin est un cam. de pensee consclen~e, personne la puissance de Gastan Leroux, brioleur délicieux. Le public a eu grande joie a le revoir. » mprendre mieux que, 1 d pas co. ~inu de renouvellement, ses dons incomparab es e La píece est reprise peu apres au Théátre de Paris (oü elle est jouée son besom ~~:lités merveilleuses de constructeur et d'animateur, tout 210 fois !), en juillet 1921 a l'Empire-Théátre, en mai 1922 a la Porte con~eu:l1~:~ement d'idées, d'inventions, de conceptions amusant~s et Saint-Martin, en juin au Nouvel-Ambigu, en 1924 a nouveau au Théátre ~e O:ll verve sa bonne humeur entralnante, son sens du traglque lmprevues, sa , '1 de Paris ... et du mvstere, la conscience qu'il apportait a son travai . »

Devant ce succes d'Arsene Lupin, Maurice éprouve une légitime fierté. Dans une lettre a son éditeur, en 1921, il regrette qu'on n'ait pas profité de l'extraordinaire succes de la píece Arsene Lupin au Théátre de Paris (plus de 200000 spectateurs!) pour faire de la publicité ases livres. Depuis que Bernard Grasset, pour imposer L'Atlantide de Pierre Benoit, en 1918, a utilisé la publicité, l'usage s'en répand dan s les Lettres. Mau- rice aimerait en profiter. Le 1er mars 1921, il écrit a Paul Calvin, direeteur de la librairie Hachette, pour demander un « budget de publicité»: « Mon livre est sorti. Qu'on le soutienne. I'ai mis dans les mains de la maison Hachette une belle affaire. Qu'elle l'exploite, non pas comme une série de livres classiques, mais selon les procédés modernes. C'est a elle de décider: ou bien l'enterrement du catalogue, ou bien la vie en plein air, le tumulte, l'appel ininterrompu aux foules. Ou bien la mort de Lupin, ou bien la continuation des succes qu'il a connus par fe sais toUr, par la librairie Lafitte, par Le [ournal. » En mars 1923, preuve qu'il accorde beaucoup d'importance a son gent- leman cambrioleur, Maurice manifeste le désir que ceux de ses volumes de la collection in-16 qui lui sont consacrés portent désormais sur la eOU- verture« le nom d'Arsene Lupin en grosses lettres noires et en travers"- IV

LUPIN TIRE SA RÉVÉRENCE

Maurice Leblanc semble avoir connu, a la fin des années víngt, une période particulíerement heureuse, et un grand bonheur d'ínspíration, comme en témoignent les nouvelles alertes du recueil L'Agence Barnett et Cie, le charme du roman La Demeure mystérieuse, et surtout la parfaite réussite qu'est La Barre-y-va, un roman qui, comme L'Aiguille creuse ou La Comtesse de Cagliostro, s'enracine dans l'histoire et la géographie du pays de Caux: l'ingénieuse énigme qu'il propose s'explíque par le phé- nornene de la barre, ou du mascaret, alors bien connu dan s la vallée de la Seine, et partículíerement spectaculaire entre Caudebec et VilIequier. Par rapport a ces réussites, il faut bien convenir que les dernieres aven- tures d'Arsene Lupin, La Femme aux deux sourires, victor, de la brigade mondaine et La Cagliostro se uenge, malgré un certain bonheur d'écri- ture, manquent un peu de souffle. Le Maurice Leblanc de cette époque vit de plus en plus a l'écart du monde des Lettres. Il écrit en mars 1934 a son confrere Michel Corday, Maurice Leblanc dans les années tren te. qui venait de lui consacrer un articIe sympathique : «Le soin de mon équilibre nerveux, comme vous le savez, m'éloigne de plus en plus du siecle et de mes anciens camarades. NuI que je regrette plus que le sym- pathique et loyal Michel Corday. » Mauríce, romancier díscret, que ses contemporains ont décrit comme modeste et réservé, a aussi de plus en plus la nostalgie de son passé. Il fait partie du «comité de rédaction » de Notre Vieux Lycée, organe de I'Association des anciens éleves du Lycée de Rouen. Il y publie en 1929 une Lettre ouverte elAndré Maurois, qui venait de faire paraitre un petit livre sur Rouen. Maurice évoque sa vilIe natale oü, dit-il, «j'ai tant erré, adolescent rornantique, et oü je retourne si souvent en pelerin passionné ». En 1931, il donne a la méme revue un articIe significative- ment intitulé Le Mal du pays de Caux. Au début de 1933, c'est a la revue Les Artistes normands qu'il donne un article nostalgique sur I'époque oü il passait ses vacances pres de I'abbaye de Iumieges, MAURICE LEBLANC 1203

Maurice, qui possede maintenant une automobile, va de plus en plus ouvent a Etretat, dans sa belle villa du Clos-Lupin, « mon meilleur ~upin », dit-il a Georges Charenso!. 11y vient parfois pour les vacances de Paques ou de la Pentec6te. 11y passe évidemment toute la « belle saí- son », et retrouve avec plaisir, au début de juillet, les « apérítifs-con- certs » de 11h 30, sur les terrasses du casino. 11participe volontiers aux nornbreuses fétes qui, chaque année, ponctuent l'été: la kermesse des Anciens Combattants, les soirées des « Vieux Galets » et le traditionnel « bal de bienfaisance » qui marque la fin de la « saison », Son jeune ami Rayrnond Lindon, qui passe l'été dans la grande villa Les Pelouses, route du Havre, est devenu maire d'Etretat. 11y multiplie les festivités, pour lesquelles Maurice Leblanc est souvent sollicité. 11 fait partie du jury des « Grandes Fétes nautiques » de 1929. 11écrit pour les fétes de bienfaisance des articles imprimés sur feuilles volantes et vendus avec sa signature: en 1931, dans Les Bals costumés d'Etretat, il évoque les personnalités habituées des terrasses du casino; en 1933, dans Vieille caloge, il raconte des souvenirs d'enfance ... En 1932,il corn- pose une « saynete a deux personnages », mettant en scene Arsene Lupin, intitulée Cinq minutes montre en main. Elle est jouée par ses jeunes amis Michel Brindejont et Colette Bourdon lors de la féte don- née le 20 aoüt. Pour la « Grande Iournée normande» du 10septembre 1933,on lui a demandé de faire partie du jury chargé de désigner, parmi les jolies filles qui défilent en maillot sur la scene du casino, celle qui sera élue « Reine des plages normandes ». 11fait partie du « comité de Le Clos-Lupin. patronage» des grandes fétes données le 24 aoüt 1935. Le Mémorial cauchois, qui rend compte des festivités et décrit longuement le casino, note: « Maurice Leblanc était la, et l'ombre d'Arsene Lupin planait sur la salle. »

Comme lesannées précédentes, Maurice neveut pas se consacrer exclu- sivement a son gentleman cambrioleur. 11donne au [ournal, a partir de juillet 1927,quelques contes sentimentaux avec lesquels il semble revenir aI'inspiration de ses débuts. 11bataille pour qu'Albin Michel, qui a racheté lefonds de lalibrairie Ollendorff, donne une nouvelle édition de L'Enthou- siasme, un roman qu'il continue a considérer comme son chef-d'ceuvre, et en février 1930il écrit a Hachette: « N'est-il pas pénible pour moi que la maison Hachette laisse tomber certains de mes volumes ? Sur les trois cents volumes d'Alexandre Dumas, l'éditeur n' en abandonne pas un seu!. Sans prétendre a la moindre comparaison, ne peut -on agir de méme avec les deux douzaines de livres que j'ai publiés et suivre ainsi jusqu'au bout la collection complete de mes ceuvres ? » MAURICE LEBlANC 1205 1204 MAURICE LEBlANC chez nous que toutes vos eeuvres précédentes ont le meme caractere, A partir d'octobre 1927, Le Gaulois a donné Peau d'Ane et Don Qui- c'est-a-dire qu'elles ne peuvent étre mises entre toutes les rnains.» Et chotte, un roman d'aventures poétique, écrit avec André de Maricourt. Il Hachette demande que la publicité faite pour ces deux livres évite de met en scene un Petit Pierre sensible et imaginatif, projetant dans la réa- faire mention des « romans antérieurs publiés chez nous et notamment lité les aventures vécues par ses lectures. du nom d'Arsene Lupin ». Surtout, voulant tirer la lecon de l'échec qu'il avait connu avec La Vie extravagante de Balthazar, Maurice a tenté de donner vie a un nouveau héros, Iim Barnett, personnage que, cette fois, il a voulu comique. Ill'a Malgré ces petits désagréments, Maurice, s'agissant de son Lupin, ne mis en scene dans trois savoureuses nouvelles, parues a partir d'octo- pouvait qu' étre fier. Il ne se passe plus de mois sans qu' on lui transmette bre 1927 dans Lectures pour tous. Dans la publicité pour son numéro de de nouvelles demandes d'autarisation de traduction de ses livres, de Noél, la revue annonce la publication des Douze Africaines de Béchoux, publication en revue, d'adaptation a la scene, a la radio ou a l'écran ... Depuis le milieu des années vingt, les Etats-Unis et l'Angleterre ont sou- « oü reparait la nouvelle création du grand romancier d'aventures poli- vent demandé l'autorisation de donner des éditions en francaís de quel- cíeres ». En fait, cette « nouvelle création» n'en est pas vraiment une, et ques-uns de ses romans, avec notes en anglais, a l'intention des lycéens dans la préface au volume L'Agence Barnett et Cie, Maurice fait de Iim et étudiants. Un de leurs préfaciers américains décrivait les aventures Barnett l'un des avatars d'Arsene Lupin ... d'Arsene Lupin comme idéales pour apprendre le francais car, écrivait- L'été 1929 paraissent dans Le [ournal les aventures du Prince de il, outre qu'elles sont bien écrites, on a envie de les lire [usqu'au bout. Iéricho, avec lequel Maurice a une nouvelle fois tenté de créer un nou- Est-il, pour un romancier, meilleur compliment? veau « type littéraire ». En 1931, Le Iournal donne De minuit sept heu- a Et puis la piece Arslme Lupin, qui fut pour beaucoup dans le succes res, un roman dont le héros, Gérard, ressemble beaucoup lui aussi a des romans, continue une carriere éblouissante. Le jeune Marcel Lupin: « Il aimait les sensations fortes, l'action, le risque. » Achard, dont la Comédie des Champs- Elysées venait de présenter avec Pierre Lafitte, plus tard les éditions Hachette, furent toujours intransi- succes lean de la Lune, déclare, apres étre alié voir Arsene Lupin en avril1929 au théátre Sarah-Bernhardt: « C'est plus jeune que n'importe geants sur un point : que leurs publications puissent « étre mises entre quoi!» La piece est reprise en juin de la meme année au théátre toutes les mains ». Cela explique que, méme si les jolies femmes peu- Edouard-VIl. Antoine écrit dans L'Information: « L'intérét ne languit plent les aventures d'Arsene Lupin, l'amour y est toujours tres éthéré ... pas, chaque scene amene une surprise et un rebondissement de l'action Nous sommes tres loin des contes un peu grivois dont le Gil BIas s'était et la curiosité du public reste constamment surexcitée. » fait une spécialité. Cela chagrine un peu Maurice, qui aurait souhaité donner ases ceuvres un caractere moins sage, mais, retenu par le contrat Arsene Lupin aurait sürement connu aussi le succes au cinéma, si qui le liait a son éditeur, il ne le pouvait guere, Il se voit refuser, en 1930, Maurice Leblanc n'avait point été entravé par un contrat signé en 1913 une série de contes consacrés a Arsene Lupin, qu'il espérait voir paraitre avec le studio Eclair-Menchen d'Epinay-sur-Seine, contrat non honoré sous le titre Le Cabochon d'émeraude. Certains de ces contes ne parais- par Menchen, qui ne produisit qu'un film (Arsene Lupin contre Gani- sant pas assez « convenables » a Hachette, il songe a les donner a Albin mard, en 1913), mais ernpécha longtemps Maurice de donner d'autres Michel, qui continue a publier, sans grand succes, les romans psycholo- autorisations. Ce n'est qu'en 1931 qu'il peut vendre les droits sur cer- giques de ses débuts. Mais Hachette a l'exclusivité des Lupin... Maurice tains de ses romans a la Metro Goldwyn Mayer. n'avait pu ainsi donner suite, en 1922, a l'offre que lui faisaient Alex et Un hornme aussi moderne que le gentleman cambrioleur devait tout Max Fischer, directeurs littéraires chez Flammarion, de publier quelques naturellement faire aussi carriere a la radio. Il fait ses débuts dans ce aventures de son gentleman cambrioleur ... domaine au Canada et aux Etats-Unis. En France, ses aventures sont dif- fusées sur Radio-Cité a partir du 28 février 1936. C'est chez Flammarion que Maurice publie, en 1934 et 1935, deux « romans d'amour », L'Image de la femme nue et Le Scandale du gazon bleu, romans d'aventures un peu « osés », Hachette ne voit pas la chose Le nouveau regard porté par Maurice Leblanc sur ses aventures d'un bon oeíl,et lui écrit : « Il peut y avoir un tres grave inconvénient de d'Arsene Lupin résulte sans doute d'un changement de mentalité. Le laisser penser aux lecteurs de ces deux ouvrages publiés en dehors de lZUf MAURICE LEBlANC 1206 MAURICE LEBlANC roman d'aventures conquiert alors ses lettres de noblesse La v l . a raconté l'anecdote a un journaliste du Figaro: « Ils venaient .. . ou~ Maun,c~ en partie de plaisir pour vérifier I'itinéraíre quí, a travers les neuse these que Régis Messac fait paraitre en 1929 sur Le Detective N - d'Arnenque ". , . . . d'un petit chiHeau fort et dans 1 epaisseur d une muraille, avaít montre que le genre n'est plus aussi dé crié que par le passé. Des ,ov:l ai d al ,., ecn_ [Ulndes. Arsene Lupin jusqu'aux cavernes oü les maitres de la France, v ms e v. eur s y mteressent: Georges Simenon, Marcel Ayrné, Pa con Ult. J les César, gardaíent jalousement leurs tres. ors. »« Que 11e e' mo- Morand, Píerre Nord, Claude Aveline... ul depUlS. u vous! » fait remarquer le j.ourn al'íste a. M'aunce, qUl. lUl.,repon d : non pour ' . incid '1 Pierre Mac Orlan, Francis Careo, Ioseph Kessel ou Pierre Ben . in done 1 Lorsque je lui eus raconte ce petít mci ent, 1 a déd . ... oa ne « Et pour Lup ' . e aígnent " pas de faire partie du JUry du « Grand Prix du Rornan d' aven_ leuré de [oie ! » tures », cree en 1930. De grands écrivains (y compris le délicat et P Voulant défendre son Lupin, Maurice se pla~nt s~uv~nt: d~,n~ ses let.- pop ulaaiire Jean G'irau doux!) font partie du « comité de direction» dpeue la a son éditeur, qu'il soit insuffisamment diffusé. Ainsi, 1ete 1928, il tres voir chez les deux li1brraíaires d'E tretat d es « pl'1es» d e romans revue Le Club des Masques. On y lit aussi le nom de Maurice Lebl regre tt e de . « l'immortel auteur d'Arsene Lupin ». Pierre Mille écrit dans les No:~' de Clément Vautel et de Maurice Dekobra, « mais pa~ une ~gence Bar- les littéraires du 21 mai 1932: « Il n'y a aucun motif raisonnable ou- nett». L'année suivante, a l'inverse, il se félicite de « l'ímpulsion . que la qu ,un roman "po licier" ne soít. pas un cheí-d'eeuvre aussi bien Pqur ublicité a donnée ases livres : « Il y a la un rajeunissement dont nous ,. ~ n Importe quel autre romano » Les remarques de ce genre se multiplie ~vons le droít de nous réjouir et de nous féliciter. » ' nt Il est aussi de plus en plus soucieux de la qualité des adaptations de dans les annees trente. son ceuvre. En juin 1929, a propos de l'opérette Arséne Lupin banquier, Et puis, surtout, Maurice, qui fait dans ce domaine figure de pionnier qu'Yves Mirande et Albert Willemetz ont écrite pour les Bouffes-Pari- a des admirateurs de poids. Ioseph Kessel écrit dans Gringoire, le 10 rnaí siens, il avertit la Société des Auteurs qu'il tient a conserver tous s~s 1929, avoir « lu et relu» ses romans : « Il y a dans ces pages une inven- droits d'autorisation d'adaptation de cette ceuvre : « Il y a un tel "emmé- tion, une verve, un don de conteur qui me ravissent. » Et encore : « Il faut lement" dans la cinquantaine d'aventures écrites par moi sur Arsene une certaine force intérieure et des moyens rares de l'imposer - c'est-á- Lupin que je ne puis disposer du nom méme d'Arsene Lupin, dans un dire du talent - pour créer un type. Arsene Lupin n'en est-il pas un?» cas isolé, sans me faire du tort pour le reste. »

Le tres sérieux hebdomadaire Les Feuillets bleus donne en mai 1931 la n.ouvelle La Dent d'Hercule Petitgris. Il prévient certes que le genre poli- L'article que Maurice écrit, « A propos de Conan Doyle », pour les cier n'est point celui qu'il préfere, mais ajoute : « Maurice Leblanc n'en Annales politiques et littéraires du 1er aoüt 1930, montre son souci de possede pas moins des qualités remarquables de style et de construction défendre le roman d'aventures: « Celui qui vient de mourir n'est pas qui donnent ases écrits un indéniable intérét, un réel pouvoir attractif.: pres de mourir dans la mémoire des hommes.» L'auteur de romans Le 1er aoüt de la rnéme année, Frédéric Lefevre écrit dans La République: d'aventures, écrit Maurice, « émeut, captive, inquiete, bouleverse. « I'ai relu cette année a peu pres tous les livres de Maurice Leblanc. Cela Autant de qualités qui sont celles d'un véritable écrivain ». En m'arrive de temps en temps. Ie ne connais pas de meilleure distraction.» juillet 1931, il écrit pour un admirateur japonais : « Arsene Lupin! Ie ne Et il condut son artide en écrivant (ce qui eüt paru inconcevable vingt me permettrais pas de faire l'éloge des livres que j'ai consacrés a l'exis- ans plus tót) qu'il verrait bien le pere d' Arsene Lupin représenter a l'Aca- tence de cet illustre aventurier. Mais n'ai-je pas le droit de dire, sans qu'il démie la « littérature romanesque », francaise y ait la moindre prétention de ma part, combien j'éprouve de sympathie Vous voulez mieux encore? Le 10 mars 1932, Benjamin Crémieux fait pour le personnage mérne qui a bien voulu m'honorer de son amitié et paraitre dans Candide un artide dans lequel il défend « l'école fran- de ses confidences ? » caise » du roman policier : « Oü trouver par exemple dans Conan Doyle En février 1932, alors qu'il séjourne dans le Midi, Maurice lit dans I'équivalent de ce chef-d'ceuvre du genre : L'Aiguille creuse?» L'Eclaireur de Nice un artide de Georges Avril sur Georges Simenon. Arti- Cela explique que, le temps passant, Maurice parle de son Lupin avec de chaleureux pour le genre policier, et se moquant des « écrivains a de plus en plus de sympathie. L'été 1927, déja, il avait eu une grandejoie. prétentions » et des « lecteurs pervers qui jugent la valeur d'un ouvrage Un groupe d'étudiants de l'université de Philadelphie séjournait a Etre, ~ la somme d'ennui qu'il dégage ». L'article donne envie a Maurice de tat. Passionnés par les aventures du gentleman cambrioleur, íls étaient hre Le Charretier de la Providence. Il écrit a Georges Avril : « C'est rude- venus avec L'Aiguille creuse pour suivre les traces d'Isidore Beautrelet. MAURICE LEBlANC 1209 1208 MAURICE LEBlANC

lé n de la bataille de Montmirail !Le gentleman cambrioleur ment bien. Et combien vous avez eu raison d'insister plus particulie ous Napo eo ., d é d S s .' 1 dans ce roman sous le nom de capítaine An re e avery, ment sur cette faculté, si rare parmi les romanciers d'aventures, de cr~:- dlss1rnu e 1 h f se . t de verve d'imprévu de fantaisie ». Illutte contre e e e une atmosphere et d'établir des caracteres. On n'a pas le temps de 'tourdlssan ' , . . A « e 11' nce Service et place tres haut ses ambítíons : « le ne reve », s'attarder. L'action vous presse. La moindre digression ralentit le mou, d l'Inte Ige, ." e . d' íder a l'établissement du regne de la paix universelle »! vement ... Et Georges Simenon, par je ne sais quel sortilege, décrit et au-n «que al _ l '. . a toujours varié les décors et l'atmosphere de ses romans, approfondit sans que l'on s'en apercoíve.» Maunce, qUl . , bl ltirne aventure de Lupin dans la «Zone » la plus rrusera e, situe cette u l 1 1 L'été 1932, a un journaliste anglais venu le voir a Etretat, Maurice autour de pantin ... oü son héros joue, aupres des enfants du peup e, e confie: «Bien qu'Arsene Lupin füt un accident dans ma carriere, il róle d'éducateur! devint le début de ma gloire. Un heureux accident en fait : il fut pour moi un excellent ami, cet Arsene. »

On pourrait multiplier les citations. Une seule pour finir : le 11 novem_ bre 1933, Maurice donne au Petit Var un article intitulé « Qui est Arsene Lupin ? ». Apres avoir souligné l'intérét que présente dans ses aventures «la liaison du présent dans ce qu'il a de plus moderne avec le passé, sur- tout historique ou me me légendaire », il conclut: «Etablir un reman d'aventures polícíeres sur de telles données éleve forcément le sujet; et c'est une des raisons, j'imagine, qui ont concouru a rendre populaire et attachante la personnalité de ce Don Quichotte sans vergogne qu'est Arsene Lupin. »

lean Cabanel, qui consacre un article a Maurice Leblanc dans la revue Triptyque de mars 1939, constate qu'il est le «prisonnier d'Arsene Lupin ». Il y songea en effet jusqu'a ses derniers jours, malgré la maladie qui, a partir de 1937, assombrit ses demíeres années. En 1937, il avait terminé le roman Les Milliards d'Arsene Lupin, donné dans L'Auto en janvier 1939. Il parait chez Hachette en novembre 1941, le mois méme oü disparait Maurice Leblanc. Le romancier laissait quelques manuscrits et les dactylographies cor- rigées d'une adaptation théátrale de L'Aiguille creuse, d'une píece en un acte, Un quart d'heure avec Arséne Lupin, d'un «roman historique », La Guerre de mille ans, et de deux romans consacrés au gentleman cam- brioleur: Quatre Filles et trois garcons et La Derniére Aventure (ou Le Dernier Amour) d'Arsene Lupin. Ces deux romans consistent en deux versions de la méme aventure. Dans le premier, Lupin a l'identité du «capitaine Raoul d'Argery, officier de réserve, instructeur bénévole des groupes scolaires de la banlieue nord de Paris, connu sous le norn de Capitaine Cocorico ». La donnée de ce roman non achevé est reprise dan s La Derniere Aventure d'Arséne Lupin, qui emprunte aussi quelqueS éléments a La Guerre de mille ans. Le prologue, Un ancétre d'Arsene Lupin, met en scene le grand-pere d'Arsene, le général Lupin, vaínque-"