révolution culturelle entretien Royal au bar ! Des royalistes de gauche ? Oui, ça existe ! Et Bertrand Renouvin a longtemps été leur figure de proue. En 1974, il est candidat à l’élection présidentielle où il obtiendra 0,17 % des voix. Ensuite, il soutiendra Mitterrand, puis Chevènement avant de s’enticher récemment de Nicolas Dupont-Aignan. Mais qui est donc ce dahu politique, gaulliste souverainiste, ami de la famille d’Orléans, ancien membre du Conseil économique et social, et rédacteur en chef du bimensuel Royaliste ? Entretien. par César armand

ous êtes né au Val-de-Grâce sous occupation allemande car votre mère était internée à la prison de Fresnes, et votre père, avocat royaliste, est mort en déportation. Vous êtes né royaliste, en fait. Effectivement, mon père est resté royaliste dans la Ré- sitance et se définissait comme monarchiste socialiste, mais ma mère ne l’était pas. Elle était strictement gaulliste, plutôt à droite. Les héritages, c’est compliqué dans ce cas-là, mais je peux dire maintenant, après un détour par l’Action française dans ma jeunesse, que je suis royaliste et gaulliste. Quand on a créé la Nouvelle Action royaliste, on a rencontré très rapidement les représentants du gaullisme de gauche comme Philippe de Saint Robert qui était lui-même proche du comte de . Il y a eu, dans notre rapport au gaullisme, un rapport essentiel avec les gaullistes de gauche. Nous avons toujours eu beaucoup d’amis dans ce mouvement. Après la victoire de Giscard d’Estaing, les relations se sont concrétisées dans une réflexion en commun autour de la revue L’Appel que dirigeait Olivier Germain-Thomas et à portraits lucas grisinelli laquelle contribuait déjà Régis Debray.

127 128 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « D’abord, on nous a surnommés “les gauchistes du roi”. Puis, quand on a soutenu Mitterrand, c’est devenu “les royalistes de gauche”. Je n’ai jamais compris d’où cela venait. Une fois qu’on aura défini la gauche, on pourra peut-être dire si nous sommes ou pas des royalistes de gauche… »

Vous êtes docteur en sciences politiques et Quel était le profil des maires qui vous avaient titulaire d’un DEA de philo. Quel était votre sujet de donné leur paraphe ? Tag de la campagne présidentielle thèse ? C’était des maires libéraux de petites communes car de 1974. à droite, affiche pour L’Action française et la question sociale. Une thèse que les vrais maires royalistes étaient généralement liés la campagne présidentielle de 1981 époque il y avait beaucoup d’attentats à la bombe. Avant, j’ai soutenue en 1972 à l’université d’Aix-en-Provence, à l’Action française et ne voulaient pas signer pour les bagarres entre services d’ordre se réglaient dans la après avoir fait Sciences Po Paris. C’est important dans quelqu’un qu’ils considéraient comme un traître. Pour rue ; après, c’était à l’explosif ! Cela préoccupait tout le mon histoire puisque c’est le moment où j’ai compris eux, j’étais un dissident. Les maires, qui voulaient bien partir de 1981, c’est le Conseil constitutionnel qui envoie monde... qu’il fallait rompre avec l’Action française et abandonner que de nouveaux mouvements politiques s’expriment, des formulaires aux maires. Ils sont seuls devant leur Au fait, royaliste de gauche, qu’est-ce que ça la référence à Charles Maurras. Un long processus qui signaient aussi bien pour que pour moi. feuille, et même s’ils vous promettent de signer, souvent signifie ? s’est conclu en 1977 par le changement du titre de notre En , un certain nombre d’élus estiment que des ils se disent : « Je vais avoir des ennuis... Que va-t-on Je ne sais pas ce que cela veut dire. On nous a collé cette journal en Royaliste. Un an plus tard, notre mouvement tendances minoritaires doivent se présenter à l’élection raconter dans ma commune ? » Dernière chose : les grands étiquette. D’abord, on nous a surnommés « les gauchistes est devenu la Nouvelle action royaliste (NAR). Naturel- présidentielle et signent systématiquement pour un partis exigent de leurs élus qu’ils ne paraphent pas pour du roi ». Puis, quand on a soutenu Mitterrand, c’est lement, je n’ai pas été le seul à œuvrer à cette évacuation petit candidat. les petits candidats, dans la mesure où ils viendraient devenu « les royalistes de gauche ». Je n’ai jamais compris du maurrassisme. Nous en avons beaucoup discuté au En 1981, avez-vous retenté le coup ? perturber l’élection. En revanche, quand il faut affaiblir d’où cela venait. Une fois qu’on aura défini la gauche, on sein de la NAR et des gens en sont partis car ils voulaient Oui, mais nous avons échoué à avoir ce qui était devenu le camp adverse, ça se fait beaucoup. pourra peut-être dire si nous sommes ou pas des roya- rester fidèles à l’héritage de l’Action française. En 1974, entre-temps les 500 signatures nécessaires. Ce qui était Votre femme est présente dans un reportage dédié listes de gauche… le virage est pris, mais il n’aboutira vraiment qu’en 1978. bien plus compliqué. Nous avons à nouveau rencontré à votre campagne. Elle a été de tous vos combats ? Vous avez aussi été surnommé « le mao-maurassien »... En 1974, vous décidez d’être candidat à l’élection ces petits maires. J’ai beaucoup circulé en France avec Pas du tout ! En 1974, on ne se rendait pas encore compte C’était il y a quarante ans. C’était une invention des présidentielle. Pourquoi ? mes camarades, mais souvent, ces maires me disaient : du pouvoir des médias. On savait que la télévision avait médias de l’époque. C’était drôle : les maoïstes étaient à la Tout simplement parce que nous en avions la possibilité. « Désolé, on a déjà signé pour Arlette », parce que chez un impact très fort en politique car il n’y avait que trois mode, on était encore maurrassiens, mais on n’a jamais, La quête des 100 signatures a été facile. Nous en avons Lutte ouvrière, ils étaient mieux organisés. C’était chaînes et tout le monde regardait le 20 heures, et ça vraiment jamais, eu la moindre sympathie pour Mao même obtenu 170, je crois. Cette campagne nous per- des supers militants avec une discipline de fer et bien c’était formidable. On ne voyait pas que cela pouvait être Zedong, ni pour la Révolution culturelle. Ça n’a stricte- mettait de nous faire connaître dans l’opinion publique souvent, ils nous passaient devant et récoltaient les embêtant pour la famille. Alors oui, j’ai laissé interviewer ment aucun sens de nous qualifier ainsi. comme le nouveau mouvement royaliste. Une difficulté signatures d’élus qui n’avaient pourtant rien à voir avec ma femme et photographier ma fille de 3 ans mais après- En 1978, vous vous présentez aux législatives à subsistait néanmoins. On avait prévenu le comte de le trotskisme. Alors, ces mêmes maires nous disaient : coup, je me suis aperçu qu’il ne fallait pas faire ça et je Nantes, en 1986 à Angers, puis plus rien. L’accueil sur Paris – qu’on ne connaissait pas encore –, lequel nous « C’est pas grave, je vais aussi signer pour vous. » On leur n’ai plus jamais recommencé. Par ailleurs, nous avions eu le terrain était difficile ? avait demandé de ne pas faire une campagne royaliste. répondait : « Désolé, il n’y a qu’une signature possible... ! » des attentats à notre bureau de la rue des Petits-Champs. C’est plutôt une question d’argent : ça coûtait cher, ces Nous lui avons obéi, ce qui pour moi était une difficulté Il y avait des contraintes supplémentaires. La première, La police nous avait conseillés de déménager car elle ne campagnes électorales. Et nous étions très pauvres ! dans la mesure où tout écart, toute parole malheureuse, c’est la publicité des signatures : pour les maires des pouvait pas assurer notre protection. Il n’était alors plus Nous ne pouvions plus continuer à ce rythme. La pouvaient entraîner un sévère communiqué de sa part. petites communes, cela devenait compliqué. Deuxième question de montrer quoi que ce soit, ni l’appartement, ni dernière campagne électorale de la NAR, c’était en 1993

Nous risquions le désaveu. difficulté : en 1974, on présentait un papier libre alors qu’à © D R les proches. C’était dangereux ! On l’a oublié, mais à cette en Vendée contre Philippe de Villiers. On a présenté

129 130 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « La dernière campagne électorale de la NAR, c’était en 1993 en Vendée contre Philippe de Villiers. On a présenté un candidat, le seul de nos dirigeants qui avait une particule. La population nous tournait le dos et faisait la gueule à nos jeunes qui tractaient dans la rue car on attaquait Monsieur le Comte ! »

un candidat, le seul de nos dirigeants qui avait une Les riverains n’aimaient pas ce genre de plaisanteries particule. Je crois d’ailleurs qu’il n’était même pas noble… surtout quand on avait des paroles désagréables pour de Enfin, je n’ai jamais vraiment compris s’il l’était ou pas. Villiers. On a finalement fait un score misérable, mais on En tout cas, Luc de Goustine, c’est son nom, a accepté et s’est bien amusés ! Ci-dessus, avec Jean-Pierre Chevènement au colloque il a même écrit un livre assez dur contre de Villiers qui Vous soutenez Mitterrand en 1981 et êtes membre «Nouvelle citoyenneté» le 12 novembre 1983. à droite, affiche s’appelle Coup de gueule contre un valet de pique à l’usage de son comité de soutien en 1988. Avez-vous une pour le bicentenaire de la Révolution française en 1989. de ceux qui l’aiment et ceux qui le détestent. Nous sommes anecdote particulière à son sujet ? Ci-dessous, Journées royalistes à Paris les 29 et 30 avril 1978. allés faire campagne avec lui et nous avons dépensé une Je l’ai rencontré assez régulièrement à partir de 1984 par somme assez rondelette. Cinquante militants de Nantes l’intermédiaire de Frédéric Grendel, l’ancien rédacteur sont venus sur le terrain car nous étions peu implantés en chef de Notre République, le journal des gaullistes de dans ce département, avec un seul délégué sur place. La gauche. Frédéric était un ami et voyait dans Royaliste Vendée est une terre hostile. Jamais nous n’avons été l’héritier de son journal. Très proche de Mitterrand, il lui aussi mal accueillis. Même dans la Lorraine industrielle, avait dit qu’il fallait absolument qu’il me reçoive. Après, nous étions mieux acceptés. Dans la Vendée militaire, je l’ai revu à dates régulières jusqu’en 1992. Je n’ai pas sur les terres de De Villiers, la population nous tournait voulu le déranger ensuite car il était très malade, et je ne le dos et faisait la gueule à nos jeunes qui tractaient voyais aucune raison de lui prendre du temps. dans la rue car on attaquait Monsieur le Comte ! C’est la De quoi parliez-vous quand vous vous voyiez ? campagne la plus drôle de ma vie : on se moquait ouver- C’était à l’Élysée, dans son bureau, et ça durait toujours tement de lui avec des centristes et des socialistes dis- quarante-cinq minutes. Il était question de notre sidents qui n’avaient pas pu se présenter. On avait par mouvement, du comte de Paris et de la vie politique du exemple occupé un champ en jachère avec la Confédé- moment. Mon grand souci, c’était le quinquennat. Je lui ration paysanne pour protester contre les subventions disais : « Il ne faut pas le faire ! » Il me répondait toujours : inutiles de l’Union européenne. J’ai aussi posé la dernière « Si la classe politique me le demande, il faudra que je le pierre de la digue de Montaigu. On était arrivés, sous un fasse. » Heureusement, elle ne le lui a pas demandé, air de trompette, et j’avais fait un discours sur la politique même si ça s’est fait depuis et que c’est une catastrophe. pénitentiaire de la monarchie qui était assez sympa- Pourquoi ? thique, dans la mesure où ceux qui partaient au bagne J’ai toujours été partisan de la vème République. C’est pouvaient se reposer avec des femmes accueillantes, sur une monarchie élective, que le quinquennat dégrade. cette même digue. On avait ouvert une barrique de vin. Le président n’est plus un arbitre. Regardez Sarkozy La population était invitée à boire avec nous, mais elle ne et Hollande, ce sont des chefs de gouvernement. C’est

© D R se marrait pas du tout, alors que nous, on riait aux éclats. un inconvénient qui déstabilise complètement le

131 132 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Mitterrand a lui-même été royaliste. Il avait rencontré Henri d’Orléans avant la guerre au manoir d’Anjou en Belgique. »

système institutionnel. Il n’y a plus de président ! Où guerre au manoir d’Anjou en Belgique. est-il ? Le 14 janvier 2014, Hollande a fait un discours François Mitterrand, c’est le meilleur monarque de Premier ministre en parlant des impôts et des entre- de la vème ? prises. Mais c’est le Premier ministre qui détermine et Le meilleur, c’était de Gaulle, et Mitterrand le savait bien. conduit la politique de la nation ! Par ailleurs, il est sur- Son problème à lui, c’était son rapport très complexe au Avec Pierre Péan en 1994. à droite, affiche pour prenant que le président ait l’initiative de la loi, car c’est Général. Mitterrand avait une conception gaullienne les élections législatives à Angers en 1986 ce qu’on reprochait aux monarques absolus ! Il s’agit en de la politique étrangère, il incarnait la vème et il m’a réalité d’une pente extrêmement dangereuse. expliqué, comme à d’autres, que « ces institutions étaient Vous pouviez tout évoquer avec François Mit- mauvaises avant lui, et qu’elles le resteraient après lui. » Là c’était le signe d’une existence dans la France libre. terrand ? résidait l’une de ses ambiguïtés. On parlait de tout sauf Qu’ils se soient mal entendus, c’est une vérité historique. Comme je n’étais pas dans les rapports de force de la d’économie, et je le regrette, même si je n’avais aucune Mais, croyez-moi, ceux qui arrivaient à Alger avec une politique, il était avec moi d’une grande franchise. influence sur lui, reconnaissons-le ! Il lisait les journaux mauvaise réputation, ils étaient collés au mur. La fran- Autant il manipulait les autres, autant avec moi il parlait et l’édito de Royaliste. Il savait ce que nous pensions de cisque, tout ça, c’est comme tous ces gens qui ont joué des uns et des autres, de ses projets. J’ai ainsi su très vite la rigueur de 1984, mais bon, nous ne pouvions aborder double jeu avant d’avoir une conduite honorable. qu’il se représenterait. Je ne racontais rien aux médias, tous les sujets. En 1995, vous appelez à voter blanc... je rendais compte seulement au comité directeur de Comment le fils du résistant déporté à Mauthau- Oui, il m’était impossible de choisir entre Jacques Chirac la NAR, et tous les secrets restaient dans la maison. Il sen que vous êtes a-t-il réagi à la publication d’Une et Lionel Jospin à cause de leurs programmes. en 1975, ça s’est bien passé : il a demandé à voir plusieurs savait qu’il pouvait me faire confiance. La dernière fois jeunesse française en 1994 ? Les avez-vous déjà croisés ? de mes amis, puis il a reçu des militants dix par dix, tous que je l’ai vu, il m’a parlé de Rocard. Il m’a dit : « Il a des Je n’ai pas réagi négativement, et Pierre Péan est venu Chirac, je lui ai serré la main une fois à Matignon lorsqu’il les vendredis, pendant des mois, à Chantilly. Le comte nerfs mais il n’a pas le plexus. » Ce à quoi j’ai répondu : présenter le livre chez nous. Certes, je viens d’une famille recevait les parlementaires du Conseil économique de Paris discutait avec eux pendant trois heures. Puis « Qu’entendez-vous par là ? » Et Mitterrand de répliquer : de résistants où l’on a longtemps tenu pour inexistants et social. Il m’a dit, comme à mille autres personnes : des intellectuels nous ont accompagnés comme Olivier « Il a des qualités, mais elles ne sont pas reliées. » Il avait les résistants de la dernière heure, mais j’ignorais tout « Bonjour ! Comment ça va ? » Jospin, je ne l’ai jamais vu, Germain-Thomas qui dirigeait la revue gaulliste L’Appel des phrases destructrices de ce genre. Il aimait la langue du Mouvement national des prisonniers de guerre et mais dès qu’il a été nommé Premier ministre en 1997, on à laquelle nous collaborions, ou encore Roger Pannequin, française et, à la différence de ses successeurs, il me déportés que Mitterrand dirigeait. Je ne savais pas qu’il a vu que, de toute façon, il ne ferait rien de ce qu’on sou- communiste libertaire, homme d’appareil du PCF exclu parlait de l’Histoire. Un jour, il m’a montré une brochure avait eu une attitude courageuse à Paris en 1943. haitait. Il a accepté le Traité d’Amsterdam, il a privatisé... dans les années 50, grand résistant et instituteur du sur Philippe Auguste alors que j’avais envie de lui parler Et la francisque… Bref, il a fait ce qu’il ne fallait pas. Nord avec une belle personnalité. Ces deux-là se sont d’autres choses ! Parfois, il faisait arrêter sa voiture pour Oui, il a été vichyssois. Mais Maurice Couve de Murville, Quatre ans plus tard, Henri d’Orléans décède. tout de suite bien entendus. Avant le premier entretien, visiter une abbaye alors que Sarkozy et Hollande, c’est quelle a été sa carrière avant d’être le Premier ministre Racontez-nous votre amitié avec le comte de Paris. Roger m’a demandé : « Comment faut-il l’appeler ? Monsieur pathétique : ils ne savent même pas où ils sont... Un ami de De Gaulle ? Haut fonctionnaire sous l’État français ! Nous n’étions pas amis, mais nous avions de bonnes le comte ? » Ce à quoi je me suis exclamé : « Surtout pas ! a visité la cathédrale de Tulle avec Hollande qui ignorait Souvenez-vous aussi de Maurice Clavel qui écrivait dans relations. Les premières années, jusqu’à la présidentielle C’est Monsieur ou Monseigneur ! » Arrivé face à lui, il le où se trouvait le transept. Mitterrand, en revanche, avait Compagnon, la revue des jeunes du Maréchal, sur le culte de 1974, il a observé la NAR avec beaucoup de méfiance, remercie d’avoir tué l’amiral Darlan ; et Henri d’Orléans, beaucoup de références historiques. Il avait lui-même du chef. Mitterrand a joué un jeu complexe, mais moins car il se souvenait de l’Action française qu’il avait de s’excuser : « Désolé, je n’ai pas demandé qu’on le fasse

été royaliste. Il avait rencontré Henri d’Orléans avant la que d’autres. De Gaulle l’a reçu à Alger. Qu’il le reçoive, © D R condamnée. Quand je l’ai rencontré pour la première fois tuer, mais ça me fait plaisir que vous ayez pensé à moi ! »

133 134 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Vers 1982-1983, à la NAR, on a cherché collectivement les hommes d’État de l’avenir, et on en a trouvé deux : Philippe Séguin et François Hollande. Nous avons passé cinq heures ensemble. »

Quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, ils se sont vus Vers 1982-1983, à la NAR, on a cherché collectivement pour le millénaire de la dynastie des capétiens et pour les hommes d’État de l’avenir, et on en a trouvé deux : le bicentenaire de la Révolution. Le président a associé Philippe Séguin que je suis allé rencontrer à Épinal en les familles de France aux commémorations, c’était très 1983, et François Hollande. bien de sa part. Le comte de Paris avait une vraie intelli- François Hollande ? Vraiment ? Dès 1983 ? gence politique. Il impressionnait car il était lié à la vie En 1984 ou 1985, nous avons organisé un dîner privé chez politique française depuis les années 30. Il avait rompu Régine Judicis qui s’était installée à Paris et il y avait Luc avec l’Action française, protesté contre les accords de de Goustine qui, en Corrèze, connaissait bien Hollande. Munich et s’était engagé dans la Légion étrangère sous Nous nous sommes retrouvés tous les quatre autour de un faux nom car ni l’armée française ni l’armée britan- la table. Nous avons passé cinq heures ensemble. Nous nique ne l’avaient intégré. Quand il a publié ses Mémoires, en avons tous gardé un bon souvenir, mais nous ne l’opinion publique a été très intéressée. Nous avons été l’avons jamais revu. Il était sympa, drôle et aimable. Je de tous ses combats historiques et politiques. Un jour, me rappelle qu’il voulait que je rencontre Lionel Jospin. en 1987, nous déjeunions à l’Élysée avec François Mit- Avec Luc de Goustine, ils se revoient régulièrement et terrand et, au moment du café, le comte de Paris lui a se tutoient, à tel point que Luc a raconté à un journal demandé : « Alors, naturellement, vous vous représentez catholique le rapport de Hollande à la religion : « Tous les parce qu’il faut de la continuité... » faits religieux sont extérieurs à lui. » On peut être athée ou Et que lui a répondu Mitterrand ? agnostique, mais nier l’importance des religions, c’est Il a dit : « Je ne sais pas... Suis-je vraiment l’héritier du quand même embêtant ! Ces trouvailles n’étaient quand général de Gaulle ? » Henri d’Orléans l’a vite rassuré : « Si, même pas si mal. Philippe Séguin était alors au début de si, vous l’êtes ! Il faut continuer Monsieur le président ! » son ascension, et François Hollande n’avait pas encore Arrive 2002 où vous soutenez Chevènement. Quel vraiment commencé. On a continué à chercher mais mal- rôle avez-vous joué dans sa campagne ? heureusement, on n’a trouvé personne. Sauf Chevène- J’étais à la direction du pôle républicain dans le comité ment. On a toujours eu des relations proches sur le plan de campagne avec Régine Judicis, notre première élue sur politique : nous étions comme lui contre l’austérité, nous une liste de gauche à Épinal en 1977, battue en 1983 par partagions le même avis sur la question européenne, la Philippe Séguin. J’ai d’ailleurs rencontré Séguin chez elle. même conception de l’État, et la même amitié pour Régis

Que pensiez-vous alors de ce gaullo-chiraquien ? Debray, si bien qu’en dépit de quelques blocages du côté ou r c harl es Je ne voudrais pas choquer certains amis de la maison, de son parti, nous avons fait sa campagne. mais il n’est pas allé au bout de ce qu’il voulait faire : Chevènement, un gaulliste de gauche. président de la République. Il n’en a pas pris les moyens. Chevènement lui-même a toujours été attentif à ce que s gr isi n e ll i p Vous auriez aimé qu’il aille jusqu’au bout ? disaient les gaullistes de gauche. Il leur a toujours été a uc

Oui, j’aurais souhaité qu’il devienne chef de l’État. favorable. Son dernier livre, 1914 - 2014, l’Europe sortie © l

135 136 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Nicolas Dupont-Aignan a réussi ce que d’autres dirigeants gaullistes ne sont jamais parvenus à faire : intervenir dans le débat politique en tant que groupe constitué et être candidat – ce qui est désormais un exploit – à l’élection présidentielle. »

de l’Histoire ?, montre bien qu’il s’inscrit dans une problé- à l’élection présidentielle. Je suis d’accord avec lui sur française et deux autres sur les relations avec l’Europe de symbolique important. matique gaulliste. Il part d’une réflexion sur « la guerre l’essentiel, et notamment sur la question de l’Europe l’Est. J’avais en effet demandé à être dans la section des Siméon, c’est une autre démarche, celle d’un homme qui de trente ans », expression du général de Gaulle dans un qui est pour nous décisive. Il a mené une campagne très relations extérieures. Le premier portait sur les relations est revenu avec un réveil très important du sentiment discours de 1947, et sa conclusion porte sur la nécessité solide et il est très bien entouré. culturelles et le second sur les relations économiques. royaliste. Il a été reçu comme le roi de Bulgarie, alors qu’il d’une Europe confédérale sur le plan continental. Telle a Les porte-paroles de la Manif pour tous se Ces deux études, je les ai rendues après la chute du mur était en exil depuis 1946. Il a alors engagé une démarche toujours été la vision du général après la guerre : « Nous décrivent comme représentants du « pays réel » face de Berlin. Nous avons vu la possibilité de constituer une électorale qui est, sans doute, allée beaucoup plus loin avons à organiser notre continent », dit-il à Moscou, alors au « pays légal ». Qu’en pense le lecteur de Maurras Grande Europe, ce que Mitterrand appelait une « confédé- que ce qu’il n’avait imaginé. que c’est encore l’Union soviétique. De Gaulle voyait très que vous êtes ? ration européenne » avant que cela n’échoue. Il n’y avait Même le poste de Premier ministre, au lendemain de sa loin, Chevènement a repris ce projet, un projet conforme Je n’ai jamais accepté cette distinction. Que cela veut-il pas d’enthousiasme et nous étions les seuls à y croire. victoire qui a surpris tout le monde, il ne le souhaitait pas, à la tradition historique de la France. bien dire ? Cette opposition traîne un peu partout mais J’ai même fait deux fois le tour de l’Europe de l’Est en mais il n’y avait que lui. La tâche a été compliquée : son En 2007, Dupont-Aignan n’obtient pas ses 500 n’a aucun sens. Ces groupes sont des fractions de la cette période de transition. Le premier rapport sur les mouvement était fait de bric et broc, tout tournait autour signatures. Vous appelez à voter blanc encore une société qui se mobilisent, ça fait partie du jeu classique relations culturelles a été très bien accueilli tandis que de sa personnalité, et il a eu beaucoup de courage contre fois. des rapports de force, mais dire qu’ils sont la France toute le second sur les relations économiques a été violem- la classe politique, la presse et des mafias locales et avec Oui, l’oligarchie l’avait déjà emporté à ce moment-là. entière, ce n’est pas vrai. ment combattu par François Perigot, le président du une politique économique imposée par le FMI. Réformer Avant le second tour de la présidentielle, nous avons Il y a quarante ans, dans votre déclaration de can- CNPF (aujourd’hui Medef). Il ne voulait pas que j’inclue en 800 jours, ce n’était pas possible. Il y a eu déception, et publié un texte où nous étions plus sévères avec Sarkozy didature, vous compariez l’Union européenne à « une la Russie dans mon raisonnement. J’avais un profond la Bulgarie est retournée à sa vie politique très chaotique. qu’avec Royal, mais sans réellement trancher entre idée folle dans laquelle on cherche à réduire la France mépris pour le personnage. Bref, dans ce milieu très L’avez-vous rencontré ? les deux. Avant le premier tour, nous avions soutenu et son destin. » C’est toujours votre conception de la consensuel, j’avais créé une rupture de ton et je ne disais Oui, je l’ai vu deux fois à Sofia quand il était Premier Dupont-Aignan, car il y a toujours eu entre la NAR et les chose au lendemain des élections européennes ? jamais « mon cher collègue » sauf pour me moquer. Je ministre, mais je ne l’ai pas revu depuis. Juste avant vrais gaullistes des proximités politiques approfondies. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’à l’époque ! En 1974, restais militant : je dénonçais les thérapies de choc et je les élections législatives de 2001, il nous a donné une Notre ami Grendel avec son journal Notre république et il n’était ni question de monnaie unique, ni de marché n’avais pas leur vision libérale de l’Europe. J’ai défendu interview. J’avais connu Sofia dans les années 80 : c’était Germain-Thomas avec son titre L’Appel comme point de unique, ni de Banque centrale... La situation géostraté- mes idées, et malgré les pressions et les manœuvres, cela l’immeuble du Comité central du Parti, on n’y entrait pas, rencontre de l’Union des jeunes pour le progrès représen- gique était bien différente avec une Allemagne divisée et demeurera une expérience intéressante. il n’y avait pas de voitures autour, il y avait rien, et là, il taient bien cette tradition. Déjà, en 1982, j’avais dîné avec un rideau de fer. Toujours à propos de l’Europe de l’Est, vous avait son bureau au premier étage. Je n’aurais pas imaginé Chevènement et tous les représentants gaullistes. Mais Vous avez siégé au Conseil économique et social évoquez, sur votre blog, Siméon II de Bulgarie, devenu que Siméon puisse revenir alors que la Bulgarie avait tous ont choisi des carrières personnelles. Quelques-uns de 1984 à 1994. Quels souvenirs en gardez-vous ? Premier ministre de 2001 à 2005, un libéral de gauche eu cette histoire. Il a essayé de jouer son rôle dans une ont rejoint Chevènement pendant la campagne de 2002, J’en garde un très bon souvenir, car j’ai pu rencontrer et vous y écrivez qu’il incarnait vos idées. conjoncture qui était la sienne. Même s’il nous recevait, mais ils sont partis très vite. et observer les forces vives de la nation : syndicats, La démarche de Siméon était très intéressante à suivre il n’aurait pas accepté nos conseils. Il a voulu et obtenu En 2012, Dupont-Aignan obtient ses paraphes. patronat, FNSEA, etc. Pendant les séances de com- dans un pays qui avait eu à subir une dictature commu- l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, alors que Incarne-t-il la « divine surprise » dont vous rêvez ? missions, il était intéressant de voir leurs réactions, ce niste assez rude. On pouvait penser que le sentiment nous, on était déjà très sceptiques sur les possibilités de Nicolas Dupont-Aignan a réussi ce que d’autres diri- qu’ils pensaient, leurs systèmes de référence... Souvent royaliste avait été éradiqué. l’Union européenne. La chance que représentait la chute geants gaullistes ne sont jamais parvenus à faire : inter- inexistants d’ailleurs ! J’ai beaucoup travaillé, ça m’a À ma grande surprise, j’ai aussi vu les rushs du retour du Mur de Berlin a été complètement manquée. — venir dans le débat politique en tant que groupe constitué passionné et j’ai rendu trois rapports en deux mandats : du roi et de la reine de Roumanie à Bucarest chez eux en et être candidat – ce qui est désormais un exploit – l’un sur l’utilité économique et commerciale de la langue Suisse en 1993. C’était intéressant. Ils ont repris un rôle

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