Bulletin Du Centre De Recherche Du Château De Versailles
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Les appartements de l’impératrice Eugénie aux Tuileries : le XVIIIe siècle retrouvé ? https://crcv.revues.org/13316 Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles Sociétés de cour en Europe, XVIe-XIXe siècle - European Court Societies, 16th to 19th Centuries Nouveaux regards sur le mobilier français du XVIIIe siècle Les appartements de l'impératrice Eugénie aux Tuileries : le XVIIIe siècle retrouvé ? Empress Eugénie’s apartments at the Tuileries Palace: a return to the 18th Century? MATHIEU CARON Résumés Français Le goût de l’impératrice Eugénie pour le mobilier Louis XVI est bien connu, mais relativement peu étudié dans le détail. Cet article consacré aux appartements de l’impératrice au palais des Tuileries entend s’attacher aux choix esthétiques opérés par la souveraine pour la décoration et l’ameublement de ses appartements. Dans un premier temps, elle s’installa dans une enfilade de pièces au premier étage du palais, donnant sur le jardin, où elle rassembla un ensemble important de mobilier, bronzes d’ameublement et objets d’art du XVIIIe siècle. Ses choix se portèrent vers les productions artistiques du règne de Louis XVI, qui évoquaient pour elle le souvenir de Marie-Antoinette. Mais bientôt furent substitués à cet appartement de tout nouveaux salons qui, sous la direction de l’architecte du Louvre Hector-Martin Lefuel, donnèrent naissance au style Louis XVI-Impératrice. Loué par la critique comme l’œuvre décorative la plus originale et la plus importante du Second Empire, cet appartement fut un manifeste du néo-XVIIIe siècle. Dans un écrin moderne, l’impératrice fit disposer des créations contemporaines inspirées de la fin du XVIIIe siècle voisinant avec des pièces historiques comptant parmi les plus importantes des collections françaises, achevant de léguer à la postérité un goût personnel et impérial intégrant généreusement les productions prestigieuses de la fin de l’Ancien Régime. 1/19 Les appartements de l’impératrice Eugénie aux Tuileries : le XVIIIe siècle retrouvé ? https://crcv.revues.org/13316 English Empress Eugénie’s taste for Louis XVI works of art and fascination for Marie-Antoinette is well-known, but very few publications focuse on the reality of it—except Alison McQueen’s Empress Eugénie and the Art. The Empress’ apartment at the Tuileries Palace is one of the most significative location where many works of art and pieces of furniture from Louis XVI time were gathered in a decorative point of view. First, Empress Eugénie picked out many 18th Century pieces from former apartements to keep them in her rooms, like in a "sanctuary". But a few years later, she asked her architect, Hector-Martin Lefuel, to build and decorate a very new apartment, which was representative of the Empress’ taste: the so-called Louis XVI- Impératrice style was born. Inspired by the late 18th Century decoration, this conception rely on displaying contemporary works alongside with authentic royal furniture from the Garde- Meuble collection. Entrées d’index Mots-clés : Impératrice Eugénie, palais des Tuileries, remploi, décor intérieur, mobilier, Hector-Martin Lefuel, Second Empire, Historicisme Keywords : Empress Eugénie, Tuileries Palace, reuse and integration, interior Design, furniture, Hector-Martin Lefuel, Second Empire, historicism Texte intégral Célébrés par les contemporains comme la réalisation décorative la plus aboutie du Second Empire, les nouveaux appartements de l’impératrice au palais des Tuileries s’inscrivent dans un contexte de renouveau esthétique et décoratif qui érige le style Louis XVI – plutôt devrions-nous écrire « style Marie-Antoinette » – en modèle absolu. Ce sont en réalité deux appartements que l’impératrice Eugénie occupa successivement au premier étage du palais donnant sur le jardin. Le premier reprenait sans modification l’implantation de l’appartement de Louis-Philippe et son décor ; l’apport de l’impératrice fut donc essentiellement de nature mobilière, choisissant çà et là meubles et objets d’art anciens destinés à former son ameublement. La focale se déplace radicalement lorsque, en 1858, profitant des travaux de la réunion du Louvre et des Tuileries, l’impératrice charge l’architecte Hector-Martin Lefuel (1810-1880) de modeler entièrement un nouvel appartement selon ses goûts, dans le style le plus moderne. Donnant l’impulsion esthétique du règne, cette réalisation majeure du Second Empire renoue avec le style du XVIIIe siècle, alliant éléments authentiques et productions contemporaines. Néanmoins, l’absence de vues d’intérieur connues et l’imprécision des inventaires du palais restreignent considérablement les études dédiées à ces appartements. Le premier d’entre eux – occupé de 1853 à 1859 – n’est documenté que par les registres du Garde-Meuble et les inventaires conservés du palais des Tuileries, établis à partir de 1855. Le second appartement est, quant à lui, mieux connu grâce à la publication en 1867, au moment de l’Exposition universelle à Paris et des expositions rétrospectives du Petit Trianon et de Malmaison, d’un recueil de planches reproduisant les élévations des trois salons publics de l’appartement1. Les inventaires du mobilier ainsi que les mémoires des contemporains2 ou encore les photographies des modèles en plâtre du décor conservées aux Archives nationales complètent les sources dont nous disposons. Organisée de manière chronologique, pour souligner la cohérence et l’évolution du phénomène envisagé, cette étude s’attache donc à comprendre l’esthétique du remploi et l’inspiration qui ont présidé à l’ameublement et à la décoration des appartements de l’impératrice Eugénie au palais des Tuileries. 1/19 Les appartements de l’impératrice Eugénie aux Tuileries : le XVIIIe siècle retrouvé ? https://crcv.revues.org/13316 L'appartement de l'impératrice aux Tuileries (1853-1859) : une esthétique du remploi Après son mariage civil avec l’empereur aux Tuileries, le 29 janvier 1853, Eugénie installa ses appartements dans une enfilade de pièces au premier étage donnant sur le jardin (fig. 1). Elle doublait pour ainsi dire le grand appartement sur cour composé de la galerie de Diane, du salon Louis XIV, de la salle du trône, du salon d’Apollon et du Salon blanc. La distribution, tout à fait traditionnelle, voyait se succéder, depuis l’escalier attenant au pavillon de Flore, l’antichambre des Huissiers, le Salon bleu des chambellans, le salon des Tapisseries, le Petit Salon vert, le cabinet de travail et enfin la chambre à coucher de l’impératrice. L’ensemble fut meublé dans le courant des années 1853 et 1854, ce que l’inventaire dressé en 1855 décrit assez précisément. C’est dans ce premier appartement que l’Impératrice avait fait rassembler nombre de meubles et objets d’art du XVIIIe siècle – pour la plupart Louis XVI. Fig. 1 : Anonyme, plan de l'appartement de l’impératrice Eugénie au premier étage sur jardin du palais des Tuileries (détail). Paris, Archives nationales, 64 AJ 463bis / 47. © Paris, Archives nationales / Mathieu Caron Le goût de l'impératrice Eugénie Dès après son accession au trône, Eugénie a montré une inclination particulière pour Marie-Antoinette et les objets qui lui étaient associés de près ou de loin. Si la provenance des objets rassemblés par Eugénie n’était que rarement authentifiée, ceux-ci constituent néanmoins un élément essentiel du goût de l’impératrice, révélant des choix esthétiques singuliers. En exceptant l’antichambre des Huissiers, qui ne recèle pas de mobilier historique, on trouve, en 1855, dans le premier salon, dit des Chambellans, de riches porcelaines montées. Les fortes montures en bronze doré, rocaille et Louis XVI, ajoutent à la préciosité de la porcelaine : une paire d’aiguières à anse en forme de dragon3, une paire de vases en porcelaine craquelée à riche monture rocaille feuillagée4 et une paire de vases insérés dans une monture Louis XVI à anses en forme de sirènes5. Si ces porcelaines montées ne présentent pas d’unité stylistique, elles s’accordent toutefois par leur coloris : un fond gris-bleuté rehaussé par l’or de la monture, répondant parfaitement aux textiles du salon. La cohérence esthétique de l’ameublement par le coloris sera le leitmotiv des ensembles décoratifs de l’impératrice Eugénie, bien plus que l’unité stylistique ou l’authenticité des objets réunis. La même logique a présidé à l’ameublement du salon des Tapisseries – faisant office de salon de réception – regroupant donc naturellement les ensembles les plus abondamment dorés et sculptés dans un décor textile de tapisserie. Le meuble disposé dans ce salon est d’ailleurs en bois doré de style néo-Louis XV et recouvert en tapisserie de Beauvais à « fond blanc, dessin à fleurs et ornements », livré en 1847 par Michel-Victor Cruchet pour le salon d’audience du duc de Nemours au palais des Tuileries6. À nouveau, l’unité stylistique n’est pas l’idée clef de l’ameublement : au contraire, l’esthétique – entendons ici leur impact visuel – et 2/19 Les appartements de l’impératrice Eugénie aux Tuileries : le XVIIIe siècle retrouvé ? https://crcv.revues.org/13316 la richesse des objets réunis expliquent le voisinage de cet ensemble de sièges avec une paire de bas d’armoire Empire de Jacob-Desmalter7 et une petite table en mosaïque de Florence de Martin Carlin8 (fig. 2). Ces meubles d’ébénisterie – aux formes singulièrement différentes – s’accordent en une harmonie colorée, le bois d’ébène jouant avec de riches bronzes dorés. Une paire de piédestaux en marqueterie Boulle renforçaient ces tonalités et ajoutaient encore à la préciosité des matériaux. Fig. 2 : Martin Carlin, Table en mosaïque de pierre dures de Florence, 1774, ébène et bronze doré, 76 × 78,5 × 59 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Vmb 13753. Photo : © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin Fig. 3 : Jean-Baptiste Tilliard, Canapé dit « du roi de Suède », 1777-1778, noyer, gros de Tours broché fond satin, 103 × 203 × 86 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, OA 9359.