La sécession d’une commune Eric Charmes

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Eric Charmes. La sécession d’une commune : Ou comment Verquigneul a quitté Béthune. Etudes foncières, Compagnie d’édition foncière, 2008, pp.11-16. ￿halshs-00327598￿

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La France des 36.000 communes et des maires cumulant les mandats, constitue en Europe, une curiosité institutionnelle ; le fait qu’une ville, même de taille modeste, puisse être divisée en six ou sept communes n’a pas

d’équivalent. Certaines communes fusionnent parfois, mais basés sur le consentement mutuel, les mariages d’intérêts souvent divergents sont difficiles… et le divorce toujours envisageable. Etude de cas dans le Nord. LOCALES © CHARMES

out le monde admet que les ou leurs chances d’accéder à des gneul est d’autant plus intéressante Lotissement récent à Verquigneul communes sont trop nom- mandats électifs locaux1. Les Fran- qu’elle concerne une petite Tbreuses en France (leur popu- çais paraissent également très atta- commune très résidentielle (Verqui- lation moyenne est de l’ordre de chés à l’identité de leur commune et gneul, 2.000 habitants) et une sous- 1.600 habitants). Ce fractionnement à un lien de proximité avec leur préfecture (Béthune, 26.000 habi- est un frein au développement de maire. tants après défusion). La séparation L’auteur : projets d’urbanisme à des échelles Cet article s’appuie sur une étude de ces communes ne résulte pas Eric Charmes métropolitaines. Les communes- de la récente « défusion » de Béthune d’une simple querelle de clocher, Institut français d’urbanisme, centres se heurtent au malthusia- et de Verquigneul pour éclairer les mais d’une vraie divergence d’inté- Université Paris 8 nisme des communes de leur péri- raisons de cet attachement2. Une rêts. D’un côté une commune qui phérie, notamment les communes séparation de communes implique veut préserver son caractère périurbaines qui souhaitent préser- en effet l’élaboration d’argumen- villageois, de l’autre une ville ver leur cadre de vie verdoyant et taires susceptibles de recevoir l’as- dont le maire souhaite faire une aéré. sentiment de la population locale « métropole ». La solution proposée est la (la séparation est soumise à une coopération intercommunale, voire consultation locale), et aussi celui la fusion entre communes. Mais les de l’Etat (la séparation est soumise à 1 J-Y. Nevers, « Metropolitan government in Tou- fet en poste au moment de la séparation des deux résistances politiques sont fortes autorisation préfectorale). Surtout, louse, France : from fragmentation to federalism », communes (René Bidal), les présidents des deux in Barlow, M. and Silva C., « Metropolitan associations qui ont milité pour ou contre la défu- face à tout projet de réduction du une défusion est l’occasion d’un véri- government in Europe », GeoJournal, 58, sion (Géry Duponchel et René Duhaut). Nous nous nombre de communes ou même de table débat public sur l’opportunité Kluwer Academic Publishers, 2008, pp 33-41. sommes également entretenu avec le maire de Ver- limitation de leurs prérogatives. Les de vivre dans deux communes Téléchargeable en version française sur quigneul qui avait décidé de la fusion, parlementaires sont aussi, pour séparées ou dans une seule ; ce qui http://halshs.archives-ouvertes.fr Victor Lemaire. Enfin, nous remercions les contri- 2. Cette étude prend appui sur une enquête réali- buteurs du forum « Les gens du Béthunois » qui beaucoup, des élus locaux et sont met en évidence les raisons de l’at- sée auprès des habitants de Verquigneul (voir plus ont aimablement répondu à nos questions réticents à l’idée de voter des lois tachement à l’appareil communal. bas) et sur des entretiens avec : un journaliste de (http://gensdubethunois.positifforum.com/). qui diminueraient leurs prérogatives La défusion de Béthune et Verqui- La Voix du Nord (Christian Larivière), le sous-pré-

études foncières — n° 135, septembre-octobre 2008 11 de Verquigneul, Victor Lemaire, La dernière grande vague d’as- d’après le code officiel géogra- socialiste comme lui. Les coopéra- sociation (ou fusion3) de com- phique de l’INSEE, entre le 1er jan- tions entre les deux communes sont munes remonte aux années qui vier 2000 et le 1er janvier 2007, en outre déjà bien avancées. Les ont suivi le vote de la loi Marcellin seules 21 fusions ont été officiali- deux maires décident de fusionner en 1971. Le succès de cette loi a sées tandis que 17 communes leurs communes. Le mariage est été modeste puisque seulement nouvelles apparaissaient. Les cas officialisé fin 1990. Avec cette un millier d’associations ont été de création originale de com- fusion, Béthune gagne 1.600 habi- recensées dans les années 1970 munes sont rares : les communes tants et d’importantes emprises fon- pour 2.000 communes concer- nouvelles sont le plus souvent des cières pour un futur technopôle uni- nées. Depuis, le nombre des com- communes rétablies dans leur versitaire. munes s’est stabilisé, les créations existence antérieure, après une Jacques Mellick rééditera l’opéra- compensant peu ou prou les asso- période plus ou moins longue de tion en 1994 avec la commune de ciations4. Comme les associations, fusion. On parle alors de défusion. , elle aussi voisine de la zone les créations sont peu fréquentes : Futura alors en plein développe- ment. Béthune gagne encore près de 9.000 habitants, de quoi Comme toute étude de cas, les limites et manque d’espaces pour distancer Bruay-la-Buissière. Cette résultats sont difficiles à générali- mener à bien les projets de son seconde fusion, Béthune - Beuvry ser ; cependant quelques éléments maire, notamment pour assurer sa repose là encore sur l’entente entre sont édifiants. Il est ainsi intéressant reconversion, suite à l’effondrement les deux maires, deux personnalités de relever l’importance prise par la de ses activités minières. La ville est d’envergure nationale du parti question fiscale dans les débats. ainsi contrainte de coopérer avec la socialiste. Autre facteur détermi- Adversaire et défenseurs de la défu- commune voisine de Verquigneul nant, la volonté de Beuvry de s’unir sion ont tous mis au centre de leurs pour développer un parc d’activité, à une commune forte pour surmon- argumentaires le poids de la fisca- le « Technoparc Futura ». Elle ter les difficultés nées des ferme- lité locale. Dans la discussion sur les manque également de foncier pour tures des mines de houille. égoïsmes communaux et les effets développer des centres de forma- L’association entre Beuvry et fiscaux de la fragmentation com- tion universitaire afin de faire de ce Béthune n’a pourtant pas duré munale, ce cas apparaît donc parti- nouveau parc un technopôle. puisque Beuvry a été « rétablie » dès culièrement instructif. Parallèlement, Béthune est mena- la fin 1997, trois ans seulement La ville est à cée dans sa prééminence démogra- après la « fusion association ». Cet Les ambitions de Béthune phique au sein de son arrondisse- échec révèle l’écart entre une l’étroit dans et de son maire ment par Bruay-en-Artois. volonté politique de coopération, ses limites et Historiquement, Béthune était le appuyée sur des ententes entre manque d’espaces L’association de Béthune et de centre administratif et politique du élus, et la volonté des habitants. Le pour mener à bien Verquigneul remontait à 1990 et les secteur, mais dans la seconde moi- maire de Beuvry avait, en effet, pris deux communes sont redevenues tié du XIXème siècle, à la faveur du sa décision sans vraiment s’assurer les projets de indépendantes le 1er janvier 2008. développement de mines de de l’appui de la population, laquelle son maire C’est donc après 17 années d’asso- houille, Bruay-en-Artois a vu sa a rapidement manifesté son mécon- ciation qu’elles ont décidé de population augmenter très rapide- tentement. Dès 1995, une première reprendre leur autonomie ; plus pré- ment, et rattraper celle de Béthune. pétition est lancée pour demander cisément, Verquigneul a décidé de Or, dans les années 1980, Bruay-en- la défusion et les élections munici- reprendre son avenir en main en se Artois accomplit une démarche pales qui ont lieu la même année séparant de Béthune qui a tenté de importante pour son développe- désignent pour « maire délégué » un s’y opposer. ment : elle fusionne avec une petite partisan de cette défusion. La Pour comprendre ce qui s’est commune voisine, Labuissière et défense de l’identité communale est passé, il faut revenir à la fusion. Les devient Bruay-la-Buissière. La fusion au centre de cette remise en cause sources disponibles mettent toutes association est officialisée en 1987 de la fusion. Les Beuvrygeois ont en avant les projets de Jacques Mel- et tient toujours. Une grande zone d’autant plus eu le sentiment d’une lick, maire de 1977 à 2008, avec commerciale, baptisée « la Porte perte d’identité que, contrairement une interruption de 5 ans entre Nord », a ainsi été développée sur à Bruay-en-Artois, qui a changé de 1996 et 2002. Au moment de la Labuissière, zone qui est aujour- nom en même temps qu’elle fusion- fusion, il est une étoile montante du d’hui l’une des plus importantes du nait avec Labuissière, Béthune a parti socialiste. De 1988 à 1993, secteur. conservé son nom pendant que sous la présidence de François Mit- La fusion Bruay - Labuissière crée Beuvry perdait son autonomie. terrand, Jacques Mellick devient de l’émulation et suscite une secrétaire d’Etat aux Anciens com- démarche concurrente de la part de Querelle politicienne battants, ministre de la Mer puis Jacques Mellick, qui veut défendre secrétaire d’Etat à la Défense. Il a le statut de capitale de l’Artois de sa Le cas de Verquigneul est plus alors beaucoup d’ambition pour sa ville. Il se lance ainsi dans le déve- intriguant que celui de Beuvry car commune et dispose de relations loppement de ce qui s’apparente à cette commune est restée associée qui lui permettent de voir grand. Or un Grand Béthune. Il a de l’entre- à Béthune beaucoup plus long- Béthune est à l’étroit dans ses gent et s’entend bien avec le maire temps (17 ans). Comme Beuvry, Ver- quigneul s’était engagée dans une démarche d’association en raison 3. Les termes d’association et de fusion sont ici tachée » à Béthune, précision étant faite qu’il d’accointances entre les maires et synonymes. Dans le code officiel géographique s’agit d’une « fusion association ». de l’INSEE, il est indiqué que Béthune a fusionné 4.Voir :http://fr.wikipedia.org/wiki/Commune_a parce qu’à l’époque la situation éco- avec Verquigneul et que Verquigneul a été « rat- ssociee nomique locale était particulière-

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Centre de Béthune en travaux

ment difficile. Dans cette petite Verquigneul afin de provoquer de cas de la défusion : pour cette der- commune au passé minier, s’allier à nouvelles élections et de prendre sa nière l’adhésion du corps électoral a un centre administratif et commer- revanche, une défusion conduisant été nécessaire. La procédure stan- cial, dirigé par un maire énergique à la dissolution du conseil munici- dard implique en premier lieu que et influent pouvait paraître oppor- pal des communes associées et à « le représentant de l’État dans le tun. A l’époque, à la différence des l’organisation d’élections antici- département prescrit une enquête lors- Beuvrygeois, les Verquigneulois pées. Le cas de Beuvry ayant mon- qu’il a été saisi à cet effet soit par le n’ont pas été perturbés outre tré qu’il pouvait suffire de deux conseil municipal soit par le tiers des mesure par la fusion. années entre la première pétition électeurs inscrits de la portion de terri- Pourquoi ont-ils changé d’avis ? demandant la défusion et les élec- toire concerné. »7 En l’occurrence, le L’explication la plus souvent avan- tions, en manœuvrant bien, Ber- conseil municipal de Béthune cée est que Verquigneulois et nard Seux pouvait espérer des élec- s’étant toujours exprimé contre la Béthunois ont été instrumentalisés tions en 2004 ou en 2005. Il défusion, la procédure est initiée par dans une querelle politicienne. Les disposait pour ce faire d’un allié de une pétition signée du tiers des L’explication de difficultés auraient commencé avec poids, en la personne du maire- électeurs inscrits à Verquigneul. l’affaire dite « OM-Valenciennes »5 délégué de Verquigneul, Henri Bou- Cette pétition a été remise au préfet la défusion par où Jacques Mellick, tombe de son let qui avait été deuxième adjoint du Pas-de- en 2003. un conflit de piédestal en étant condamné à de Bernard Seux et qui, avec l’élec- Seconde étape, le préfet, confor- personnes et une deux ans d’inéligibilité. Lors des tion de Jacques Mellick, se trouvait mément aux textes, organise une lutte de pouvoir élections municipales anticipées sur la touche. Les relations entre enquête publique puis une « com- organisées en 1997 suite à la défu- Verquigneul et Béthune se sont si mission syndicale » est élue pour paraît sion entre Béthune et Beuvry, il ne bien tendues que le maire délégué rendre un avis. Deux associations insuffisante peut donc se représenter. Son pre- de Verquigneul et le concurrent de se sont constituées dans cette pers- mier adjoint, Bernard Seux prend sa Jacques Mellick sont parvenus à pective, l’une très engagée en place. Jacques Mellick redeviendra leurs fins, sans toutefois obtenir des faveur de la défusion et l’autre plutôt maire, mais dans des conditions élections anticipées : la procédure opposée (même si elle se présentait particulières. Lorsqu’il se présente ayant été plus longue que dans le comme seulement circonspecte). La pour les élections de 2001 avec l’in- cas de Beuvry, les élections eurent consultation est organisée à Verqui- vestiture du parti socialiste, c’est lieu en même temps que dans le gneul en 2006. La liste présentée Bernard Seux qui est réélu, avec l’in- reste de la France, en mars 2008. par l’association pro-défusion vestiture du Mouvement des L’explication de la défusion par un récolte 63 % des suffrages. citoyens. L’écart n’est toutefois que conflit de personnes et une lutte de Comme en témoigne la lenteur de 60 voix et l’élection est invalidée pouvoir est cependant insuffisante. des démarches engagées, la préfec- à la suite d’un recours de Jacques Le conflit entre les deux principaux ture a été réticente à accorder la Mellick6 : le scrutin aurait été faussé protagonistes a certes joué un rôle défusion. Ces réticences ont été par un tract mettant injustement en important mais, si la fusion a pu confortées par les avis négatifs du cause un des colistiers de Jacques être décidée par les maires et leurs conseil municipal de Béthune et du Mellick dans une agression de col- conseils municipaux, ce n’est pas le conseil général du Pas-de-Calais. leur d’affiches. Les nouvelles élec- tions se tiennent en 2002 et Jacques 5. Faux témoignage en faveur de Bernard Tapie, 6.http://www.maireinfo.com/article.asp?param= Mellick est réélu au premier tour. disculpant celui qui était alors président du club de 2102&PARAM2=PLUS Bernard Seux aurait alors œuvré foot de Marseille d’une tentative de subornation 7.http://carrefourlocal.senat.fr/vie_locale/cas_p pour la défusion de Béthune et de de témoin ratiques/_defusions___de_communes/index.html

études foncières — n° 135, septembre-octobre 2008 13 Mais l’ampleur de la mobilisation en mobilisé les anciens, les habitants n’exprime pas. faveur de la défusion avait été telle du noyau villageois dont certains Chez ces nouveaux arrivants, l’as- qu’il était difficile de bloquer indéfi- vivent à Verquigneul depuis plu- sociation du nom de Verquigneul et niment le processus8. Cette mobili- sieurs générations. Au départ, le d’un cadre résidentiel villageois a sation s’est confirmée aux élections sentiment de perte d’identité a été joué un rôle d’autant plus important de 2008, puisque la liste des arti- atténué car la commune continuait que le maire de Béthume s’était affi- sans de la défusion a été élue dans à élire un maire délégué, à disposer ché comme un maire bâtisseur. son intégralité dès le premier tour. d’une mairie (annexe à celle de Dans sa motivation de la fusion des On peut supposer que les votants Béthune), et car les gens avaient deux communes, Jacques Mellick n’étaient pas seulement motivés conservé le nom de Verquigneul disait clairement qu’il s’agissait de par leur volonté d’apporter leur sou- dans leur adresse. La situation s’est pallier le manque de terrains dispo- tien à Bernard Seux et à Henri Bou- tendue lorsque la préfecture a nibles pour ses projets. Cet argu- let dans leur lutte de pouvoir contre décidé de ne plus reconnaître le ment a été réitéré pour justifier l’op- Jacques Mellick. nom de Verquigneul sur les papiers position du conseil municipal de officiels et notamment sur les cartes Béthune à la défusion. Evidemment, « Préservons l’identité de grises11. Des Verquigneulois se sont accueillir des équipements et des notre village » vus attribuer des cartes indiquant grands projets n’est guère compa- une domiciliation à Béthune et plu- tible avec un cadre villageois et un L’existence d’intérêts personnels sieurs personnes ont évoqué des environnement tranquille. Comme dans la défusion n’a fait que fournir courriers adressés à Verquigneul qui nous l’adéclaré crûment un Verqui- des entrepreneurs désireux de s’étaient perdus. La volonté de gneulois, « sans la défusion, on se prendre en charge l’action collec- Béthune de conserver son nom serait fait bouffer. » tive. Ce n’est pas un élément négli- malgré la fusion, à la différence de Les plus anciens sont moins sen- geable car, à défaut d’une ou plu- Bruay-en-Artois devenue Bruay-la- sibles à cette volonté de préserver sieurs personnes désireuses de Buissière après sa fusion avec le cadre villageois. Ils sont plus s’investir, il est difficile de mener à Labuissière, n’a donc pas facilité les ouverts à l’idée de développer leur bien une action collective. Or une choses. commune, d’en faire un lieu d’em- défusion est une procédure longue plois et de vie. L’idée que le déve- et difficile qui nécessite d’impor- Le nom symbole d’un loppement économique pouvait tants investissements personnels cadre de vie « villageois » être un bienfait pour Verquigneul pour être menée à bien. On peut avait même joué un rôle important d’ailleurs penser que c’est par Les anciens ne sont pas les seuls dans l’acceptation de la fusion avec Une enquête sur manque de leader désireux de s’in- à avoir mal perçu ces problèmes Béthune car, à l’époque, la com- vestir dans l’aventure que Verqui- d’adressage et à avoir vécu la mune était encore très marquée par la motivation gneul est si longtemps restée sage- fusion comme une perte identitaire. son passé minier et beaucoup de des ment associée à Béthune. Le Les nombreux nouveaux arrivants familles avaient une histoire liée sécessionnistes mécontentement existait sans (depuis 1990, la commune est passé aux mines voisines. Mais depuis la doute, mais personne ne lui donnait de 1.600 à 2.200 habitants) n’ont fusion, la population a changé en une expression politique. pas mieux ressenti la situation. augmentant de 40 %. Au fil de ce Quoi qu’il en soit, les leaders poli- Ainsi, le président de « Préservons changement, Verquigneul s’est rap- tiques doivent être capables de sus- l’identité de notre village » n’a emmé- prochée d’un profil de commune citer l’adhésion à leurs projets s’ils nagé à Verquigneul qu’au début des périurbaine résidentielle12, car l’aug- veulent que des personnes se pla- années 2000. L’identité dont il est ici mentation de population s’est faite cent dans leur sillage. Il leur faut question n’est toutefois pas celle à essentiellement à partir de la création convaincre les électeurs. Nous laquelle les anciens sont attachés : de lotissements pavillonnaires sur des avons donc réalisé une enquête elle renvoie moins à la mémoire parcelles souvent confortables13 que pour déterminer les motivations des qu’à une image « villageoise ». sont venus occuper des ménages des Verquigneulois9. Deux éléments Comme nous l’a expliqué une per- classes moyennes. Leur mode de vie principaux sont apparus. Le premier sonne récemment arrivée, elle a n’a plus grand-chose à voir avec celui est la fiscalité (nous y reviendrons) ; choisi Verquigneul pour son cadre des mineurs de la première partie du le second est exprimé par l’intitulé villageois, peu dense et à l’écart des vingtième siècle. Beaucoup n’ont pas même de l’association créée pour grands centres urbains. Avoir de famille à Verquigneul et peu faire campagne en faveur de la Béthune comme adresse ne corres- d’amis. Leurs lieux d’emplois sont de défusion : « Préservons l’identité de pond donc pas au cadre de vie plus en plus éloignés, avec une notre village »10. Le message est clair, qu’elle est venu chercher. En ache- influence croissante de la conurbation la question de l’identité communale tant une maison à « Verquigneul », lilloise située à une quarantaine de a joué un rôle significatif. elle a fait le choix d’un environne- kilomètres. Ce thème a particulièrement ment que le nom de « Béthune » Les nouveaux habitants de la com- mune la valorisent donc avant tout pour son cadre verdoyant et ses 8. Ce qui a été fait par un arrêté pris le 4 juillet mais celui-ci n’est plus accessible au public. espaces de loisir. La proximité immé- 2007, jour de l’indépendance des Etats-Unis Comme indiqué plus haut, nous avons eu un entre- diate d’une zone d’emploi telle que le comme nous l’a dit l’un des militants en faveur de tien avec son président, René Duhaut. la défusion. 11. Nous n’avons pas élucidé les circonstances Technoparc Futura est, pour eux, 9. Outre les personnes publiques mentionnées de ce changement. secondaire, de même que l’associa- plus haut, nous avons construit notre information 12. Pour l’INSEE, la commune fait partie du tion avec un centre urbain, quand en réalisant de brefs entretiens avec une vingtaine « pôle urbain » de Béthune, mais les continuités bien même celui-ci serait-il écono- d’habitants de Verquigneul. Nous leur avons du tissu bâti sont secondaires devant l’impression miquement dynamique et politique- demandé leur position sur la défusion et les rai- d’être entouré d’espaces non bâtis. sons de leur position. 13. Avec, pour plusieurs lotissements, des par- ment influent. 10. Cette association disposait d’un site internet celles de l’ordre de 1.000 à 1.500 m².

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L’enjeu des taxes locales viduelle implantée sur une grande compenser le surplus d’impôts Les néo ruraux sont souvent plus attachés à leur clocher parcelle. De tels logements se pla- locaux lié à la domiciliation dans que les anciens habitants Cependant, les débats se sont cent dans le haut de l’échelle parmi Béthune. Ainsi, aucune des per- Centre de Verquigneul centrés sur la fiscalité locale. Toutes ceux offerts à Béthune. Ainsi, sonnes interrogées n’a pensé qu’il les personnes interrogées qui se en 2007, les propriétaires d’une pouvait y avoir un quelconque sont déclarées favorables à la défu- maison standard sur un terrain de inconvénient à se séparer de sion se sont plaintes d’une fiscalité 1000 m² ont dû verser 2000 € pour Béthune en matière d’accès aux ser- trop lourde. Les opposants à la défu- leur taxe d’habitation et leur taxe vices et aux équipements néces- sion et les sceptiques ont eux- foncière. Un tel montant n’est pas saires à leur vie quotidienne. Pour mêmes dû centrer leurs arguments exceptionnel, mais dans un secteur elles, l’association avec Béthune les sur cette question, en tentant de où de telles maisons sont occupées a conduits à payer des impôts plus démontrer que cette défusion par des enseignants ou des cadres élevés que les habitants des com- n’améliorerait pas les finances de moyens, son poids n’est pas négli- munes voisines sans pour autant Verquigneul et risquait au contraire geable. En outre, et surtout, les taux bénéficier de services et d’équipe- d’alourdir un peu plus la fiscalité. ments supplémentaires. Il est vrai qu’en matière de fisca- Parallèlement, Verquigneul n’a lité locale, la situation de Béthune pas bénéficié d’investissements qui n’est guère enviable. La politique l’auraient distinguée de ses voisines ambitieuse de Jacques Mellick a, Payer des impôts pendant la période de fusion. En selon ses détracteurs, alourdi la plus élevés sans 17 années, on ne relève guère que pression fiscale (ce qui a beaucoup bénéficier de services la construction d’une structure d’ac- contribué à sa courte défaite électo- cueil pour la petite enfance. Le sen- rale en 2008). Béthune est en effet et d’équipements timent s’est donc installé que les l’une des communes dont les taux supplémentaires. Verquigneulois étaient des « vaches sont les plus élevés du Pas-de-Calais à lait » utilisées pour financer les avec, en 2007, 26% pour la taxe projets de Béthune, projets souvent d’habitation et 42% pour la taxe qualifiés de « pharaoniques ». Cer- foncière, alors que les moyennes pratiqués dans les communes tains ont ainsi comparé leurs trot- départementales étaient respective- pavillonnaires voisines étant deux toirs défoncés aux luxueux pavés ment de 12% et de 15%. Même en fois moins élevés, beaucoup d’habi- de la Grand’place de Béthune. comparant la commune à celles tants de Verquigneul se sont sentis L’idée qu’il était avantageux pour dont la population est similaire, les floués. Ils avaient du mal à com- une petite commune de s’adosser à résultats ne sont pas plus flatteurs, prendre (et à accepter) une telle dif- une grande commune s’est alors comme un rapport de la Chambre férence de traitement. Certaines de effondrée. Certains ont certes criti- régionale des comptes le confirme14. ces communes voisines appartien- qué un combat d’arrière-garde, une Il indique qu’après avoir baissé en nent pourtant à la communauté défusion motivée par la défense 1999, la pression fiscale locale a for- d’agglomération de Béthune et d’intérêts de clocher totalement tement augmenté entre 2001 et jouissent de services et d’aménités dépassés à une époque où la vie 2004. Sur cette seule période, les urbaines similaires. Les Béthunois n’est plus communale mais métro- taux ont augmenté de plus de 30 %. bénéficient certes de quelques tarifs politaine. Mais, fiscalement, pour Le poids de la fiscalité locale est préférentiels pour l’accès à certains un ménage à la recherche d’une apparu d’autant plus lourd aux Ver- équipements, dont une média- maison individuelle dans une zone quigneulois que beaucoup de ces thèque, mais pour les Verquigneu- tranquille et verdoyante, il n’était 14. Rapport d’observations définitives – derniers occupent une maison indi- lois, ces avantages sont loin de guère avantageux d’emménager à Commune de Béthune, décembre 2006

études foncières — n° 135, septembre-octobre 2008 15 Verquigneul. Pour beaucoup, teur d’une lourde connotation mode de fonctionnement que compte tenu des taux d’imposition négative, son emploi est justifié Verquigneul a voulu adopter. des communes voisines, la défusion dans la mesure où il s’agit bien Ainsi, en faisant sécession d’avec offrait la perspective d’une écono- d’une séparation d’une partie d’une Béthune, Verquigneul ne s’est pas mie de l’ordre d’un millier d’euros commune pour former une com- mise en marge, elle a plutôt rejoint le par an, sans diminution de leur qua- mune indépendante. lot commun des communes pavillon- lité de vie. Mieux, une commune Cette sécession trouve autant son naires périphériques. L’attitude de autonome, maître de son urba- origine dans des querelles politi- Verquigneul peut donc nourrir les nisme, pourrait préserver plus faci- ciennes que dans les limites de la inquiétudes de ceux qui perçoivent lement son cadre de vie. solidarité que peuvent manifester des tendances sécessionnistes dans Certains ont bien souligné que les habitants d’une commune la société française et qui considèrent Béthune risquait de demander à pavillonnaire de type périurbain que le fractionnement communal Verquigneul de rembourser les avec une commune-centre. En étant menace la solidarité politique et investissements consentis pendant associée à Béthune, Verquigneul sociale17 . Sans remords et de manière la fusion, notamment pour la halte- s’est vue imposer une contribution tout à fait explicite, les habitants de garderie. Le précédent de Beuvry qui a paru anormale. Non sans rai- Verquigneul se sont désolidarisés qui, après seulement trois années son doit-on dire puisque les autres du destin de leurs voisins de d’association, avait dû reverser plus communes de l’Artois qui se trou- Béthune. Plutôt que de s’impliquer de 4 millions d’euros au titre des vaient dans une situation compa- dans la vie politique de Béthune investissements consentis par la rable profitaient de la proximité pour remettre en cause par le vote commune de Béthune, fut évoqué. de Béthune et de son dynamisme une politique fiscale qui ne leur Des estimations ont circulé, chif- sans payer le même prix. Il est convenait pas, ils ont fait sécession. frant la future dette de Verquigneul même possible que, malgré des Pour reprendre la typologie célèbre à 6,5 millions d’euros. Ces argu- impôts locaux plus élevés, Verqui- d’Albert Hirschman, ils ont préféré ments ont sans doute contribué à gneul ait bénéficié d’investisse- la sortie du jeu politique local à la limiter l’ampleur des votes en ments moindres pendant sa fusion prise de parole18. faveur de la défusion. Au demeu- avec Béthune. L’exemple de Verquigneul indique rant, la Chambre régionale des Pour spécifique qu’il puisse être, aussi les limites de tout projet de Des communautés comptes écrit dans son rapport que l’exemple de Verquigneul permet réduction du nombre de communes le calcul de la « dette » de Beuvry donc d’éclairer une question sou- par fusion pure et simple. Le seul de communes s’est fait au détriment de cette der- vent débattue, celle de la solidarité moyen réaliste de compenser cer- défensives nière. La Chambre estime qu’un entre les communes. On le sait, les tains des effets de la fragmentation se constituent montant de 1,5 million d’euros communes pavillonnaires des communale semble être l’intercom- souvent sur aurait été plus réaliste. En outre, marges des agglomérations ne par- munalité. En l’occurrence, son réta- Verquigneul possède sur son terri- ticipent qu’avec réticence au finan- blissement n’empêche pas Verqui- les marges toire une large part du Technoparc cement des services et des équipe- gneul de rester une composante de des communautés Futura et la défusion devrait lui faire ments dont bénéficient leurs la communauté d’agglomération de d’agglomération revenir une partie de la taxe profes- administrés : ceux-ci souhaitent Béthune. sionnelle récoltée dans cette zone, pouvoir se garer dans un parking En matière de solidarité cepen- celle-ci ayant été créée bien avant relais mais ils n’incitent pas leurs dant, les intercommunalités ne sont l’association entre Béthune et Ver- élus à intégrer une autorité organi- pas une panacée. Elles corrigent quigneul. Cette taxe est certes ver- satrice de transports urbains. Sur ce peu les inégalités fiscales, même si sée à la communauté d’aggloméra- plan, les communes tirent partie une taxe professionnelle unique est tion mais, déduction faite de toutes d’une fiscalité locale pensée à l’ori- mise en place, puisque les res- les charges que cette dernière sup- gine pour des citadins qui passaient sources tirées de cette taxe avant la porte pour le compte de Verqui- l’essentiel de leur vie quotidienne à création de l’intercommunalité sont gneul, le solde annuel est vraisem- l’intérieur de leur commune. conservées comme des ressources blablement nettement positif15. De Leurs administrés étant à présent propres par chaque commune. En quoi voir l’avenir avec sérénité si très mobiles, les communes périur- outre, les regroupements affinitaires l’on écoute les partisans de la défu- baines peuvent se contenter de leur sont fréquents : les communes péri- sion. offrir des services minimaux, en leur urbaines ont une tendance mar- laissant le soin de prendre leur voi- quée à ne s’associer qu’entre elles, Une sécession fiscale ? ture pour utiliser les équipements et en créant des communautés de les services offerts par les villes voi- communes. Ainsi, Verquigneul a Dans une certaine mesure, la sines. C’est ce qui explique que, manifesté des velléités de sortir de séparation de Béthune et de Verqui- comme l’a démontré Olivier Morlet, la communauté d’agglomération de gneul peut donc être comprise l’habitat peu dense apparaisse moins Béthune pour entrer dans la com- comme une sécession fiscale. Le coûteux pour les finances commu- munauté de communes voisines de terme « sécession » a beau être por- nales16. Cet habitat est, en effet, « Noeux et environs »19. Or le terri- majoritairement situé dans des com- toire de celle-ci forme une sorte de munes de petite taille, de type périur- banane ceinturant tout le territoire 15. C’est ce qu’a indiqué l’association V2 « Ver- ville se défait » publié par la revue Esprit en 1999 bain (semblables à Verquigneul sud de la ville de Béthune. Les expli- quigneul x Vérités », plutôt circonspecte quant à la (n° 258, novembre, p. 83-189). donc), qui réalisent peu d’investisse- cations politiciennes de cet intérêt défusion. Voir www.verquigneul-verites.info 18. A. Hirschman, Exit, Voice, Loyalty: Responses 16. O. Morlet, « Habitats individuels et coûts col- to Decline in Firms, Organizations and States, ment en dehors des équipements sont de rigueur, mais dans ce projet, lectifs », Etudes foncières, n° 92, 2001. Pour une Cambridge, Harvard University Press, 1970. scolaires et sportifs. Les habitants de on retrouve un phénomène critique, voir dans le même numéro d’Etudes fon- 19. Il y a toutefois peu de chances que la préfec- ces communes prennent leur voiture courant : la constitution de commu- cières V. Fouchier, « Le coût des densités. Pro- ture du Pas de Calais laisse une telle manœuvre lorsqu’ils veulent accéder à un centre nautés de communes défensives blèmes de méthode ». aboutir. 17. Voir les contributions de Jacques Donzelot et 20. Voir. P. Estèbe, Gouverner la ville mobile, ville ou à des équipements dont leur sur les marges des communautés Marie-Christine Jaillet dans le dossier « Quand la Paris, PUF, 2008 commune ne dispose pas. C’est ce d’agglomération20. ■

16 études foncières — n° 135, septembre-octobre 2008