<<

LA TRINITÉ MAUDITE VALADON - UTRILLO - - UTTER

Portrait de famille : André UTTER, Suzanne VALADON, , la Grand'mère (1912) Suzanne VALADON ROBERT BEACHBOARD Docteur de V Université de Paris Professeur adjoint à V Université de Californie

LA TRINITÉ MAUDITE

AMIOT-DUMONT PARIS IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE : CENT EXEMPLAIRES DONT TRENTE-CINQ EXEMPLAIRES SUR VELIN MADAGASCAR, NUMÉROTAS DE I A XXXV ET SOIXANTE-CINQ EXEMPLAIRES SUR VELIN PUR FIL LAFUMA NUMÉROTÉS DE 36 A 100

Copyright by Robert BEACHBOARD 1952 CHAPITRE PREMIER

UNE TRINITE MECONNUE

La trinité maudite — Valadon, Utter, Utrillo — appar- tient encore à notre monde contemporain. Si Suzanne Valadon est morte en 1938 et son mari, André Utter, dix années plus tard, son fils Utrillo est toujours vivant. Pendant plus de vingt ans, la tribu Valadon a vécu sur la Butte « dans une ambiance de roman russe ». Exubérante, elle s'y est fait connaître par des explosions passionnelles qui ont souvent ébranlé la vieille rue Cortot jusqu'en pleine nuit. Et ce n'est pas le fils, Utrillo, qui pouvait mettre de la sérénité dans le ménage : il allait au contraire porter le scandale dans la rue, pourchassant les passants, brisant les avertisseurs d'incendie, vociférant ou s'écroulant dans une crise. Un tel vacarme serait aujourd'hui difficilement toléré. Mais rue Cortot, en ce temps-là, c'était naturel, nous assure M. Galanis, maintenant membre de l'Institut, qui, des années durant, fut aux premières loges pour voir et entendre le trio. En dépit de ces déchaînements, des distractions brutales qu'ils lui apportaient, Suzanne Valadon a pu créer des chefs- d'œuvre et s'est imposée à l'attention des connaisseurs. D'expo- sition en exposition, elle a affirmé son nom. En 1932, sa rétros- pective de la galerie Georges Petit recevait la visite des officiels et M. Edouard Herriot, alors Président du Conseil, serrait le peintre dans ses bras. Pour mieux lui dire son admiration, il retardait d'une demi-heure le départ pour Londres de son train spécial. André Utter, bien que moins célèbre, a participé à des expo- sitions faites au Japon, aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne, en Tchécoslovaquie. Sa toile la plus fameuse figure au Musée d'Art Moderne de Paris. Maurice Utrillo, autant par ses excentricités que par son génie, est le plus célèbre des trois. « Qui n'a pas son Utrillo ? » disait-on dès le début du siècle. Très vite, l'ascension du peintre s'était doublée d'une réussite de caractère commercial. La cote sans cesse croissante de ses œuvres devait répandre son nom bien au-delà de la Butte et de Paris. En 1950, à une vente de l'Hôtel Drouot, son « Manoir de Gabrielle d'Estrée » atteint le prix de 800.000 francs, alors qu'à la même vente « Le Parlement de Westminster » de Monet ne dépasse pas 580.000 francs et qu'un portrait dû au pinceau de Degas ne monte qu'à 600.000. Actuellement, à New-York, quelques-unes des meilleures toiles de la « période blanche » sont cotées jusqu'à 2.800.000 francs. Ainsi, chacun des membres de la trinité a passé la rampe, et la famille a connu en même temps la fortune et la vogue. Ses ateliers de la Butte, son château de Saint-Bernard, près de Lyon, ont reçu la visite de personnalités telles que Mac Orlan, Max Jacob, Robert Rey, Edouard Herriot, Gustave Coquiot, Francis Carco, Roland Dorgelès. Et, presque quotidiennement, elle a accueilli dans son intimité le peintre tchèque Georges Kars et le sculpteur Leonardi. Connu par le témoignage de ses voisins, par ses relations avec des écrivains dont certains sont des observateurs fort pers- picaces, reconnu par la critique la plus autorisée, le trio Vala- don-Utter-Utrillo reste cependant mal connu sous son aspect le plus pittoresque : celui d'une association familiale dont la vie intime toujours mouvementée, parfois même exaspérée, serait digne de tenter la plume d'un romancier. Quand on a la curiosité de lire tout ce qui a été écrit sur les trois artistes, on est étonné de trouver une matière aussi mince. Les articles de journaux, ondes, revues, les livres même pénètrent peu profondément dans la vie de Valadon et de son mari. Et, s'ils accordent plus de place à celle d'Utrillo, encore est-ce bien souvent à coup de redites. Si, poussant plus loin l'étude, on compare ces divers textes, on est frappé par le nombre de contradictions qui s'y étalent. Les dates, les événe- ments eux-mêmes ne coïncident pas toujours. Tous les biogra- phes se heurtent à ce genre d'écueils qui, ici, sont d'autant plus nombreux que l'existence de la trinité est proche de la nôtre. Les critiques d'art eux-mêmes n'ont pas encore décanté leurs conclusions. Plus encore que le recul indispensable à une étude histo- rique raisonnée, c'est la couleur des témoignages qui importe ici. Dirigé en éventail, l'éclairage donne à la scène des reliefs divers. C'est ce qui s'est passé dans le cas de Valadon et d'Utrillo. Presque tous les commentateurs ont eu la bonne for- tune de connaître les deux peintres. Il leur est même arrivé d'être acteurs dans la communauté, de participer aux mêmes événements, de vivre les mêmes anecdotes. Les faits, qu'ils ont rapportés, n'offrent cependant pas au biographe une matière suffisante. Ces chroniqueurs qui affectent un ton détaché et désinvolte ne se croient pas tenus à la précision des dates. « On se souvient que, vers telle époque... », etc. La vivacité du récit commande le vague. Et d'ailleurs la mémoire n'est pas néces- sairement chronologique. Le biographe doit donc avoir recours à d'autres textes, d'aspect plus vigoureux. Dans le cas pré- sent, il se tourne inévitablement vers l ''Utrillo de Tabarant, l'étude de beaucoup la plus complète et la plus authentique sur la vie des trois peintres jusqu'en 1926. Ce n'est pas qu'elle soit sans erreurs et sans reproches : aussi scrupuleux soit-il, le bio- graphe est à la merci de sa sensibilité lorsqu'il est l'ami de son personnage. Il a eu l'avantage énorme de recevoir des confi- dences, mais cette situation n'est pas sans dangers, car il court le risque de se laisser influencer. Mais en face de la trinité Valadon-Utter-Utrillo, le rôle d'observateur glacé était difficile à soutenir. Les passions étaient fortes dans le trio et aussi parmi les satellites qui entouraient comme d'un réseau les ate- liers de la Butte ou le château de Saint-Bernard. Liaisons pas- sagères, aventuriers, curieux, pique-assiette, profitaient à l'envi de la générosité de Valadon. Des intrigues se nouaient ; des jalousies alimentaient les commérages. L'observateur qui avait du mal à trouver un fil cohérent, cherchait un renseigne- ment de première main et s'adressait directement à Suzanne Valadon, le membre le plus agissant et le plus loquace du trio. Dans quel imbroglio s'enfonçait-il ! Nous verrons par ailleurs que, malgré sa spontanéité, cette source d'information était hasardeuse. De tous côtés, l'observateur se heurtait sans même s'en rendre compte à la passion, à l'intérêt, au parti-pris. Faire appel aux documents autographes ? Encore faudrait- il trouver des textes. Les écrivains laissent derrière eux des traces précises, des œuvres datées, et l'on peut souvent puiser dans leur correspondance. Les hommes politiques laissent dans la presse et dans les annales parlementaires des traces encore plus nombreuses, et les événements auxquels ils ont été mêlés appartiennent à l'histoire. Mais les peintres, généralement, ne laissent pas de textes. Aussi leurs biographes se trouvent-ils les mains vides. C'est tout spécialement vrai lorsqu'ils s'inté- ressent à la trinité de la rue Cortot. Valadon n'écrivait pas. Il ne reste d'elle aucune lettre sus- ceptible de donner une indication biographique utile. Quelques petits billets rédigés à la hâte sur un coin de papier déchiré, sur l'envers d'une enveloppe, voilà ce qu'a gardé d'elle sa meil- leure amie, Mme Georges Kars. « Ma chère Nora, je viens de rentrer avec Utter. Tu pourras nous retrouver en haut. » Bien peu de choses sinon la trace, dans cette calligraphie d'écolière à l'orthographe hésitante, d'une main qui s'était obstinée à des- siner, mais qui avait peu appris à écrire. D'Utrillo, Mme Georges Kars a conservé une trentaine de sonnets. D'autres ont été publiés dans des revues, confiés à des journaux par leurs dédicataires. Le lyrisme d'Utrillo-poète a inspiré un chapitre à Tabarant. Même si l'enthousiasme de celui-ci peut n'être pas partagé, l'importance de ces poèmes imprimés, souvent datés, n'est pas négligeable. Ils constituent un document psychologique de premier ordre. Par ailleurs, on sait que le peintre, dans sa jeunesse, avait commencé à rédiger ses mémoires. Précisons tout de suite qu'ils ne sont pas acces- sibles, que leur contenu réel nous échappe. Utter, lui, aurait voulu écrire. Il a beaucoup parlé d'une étude d'esthétique qu'il désirait entreprendre, d'une « philoso- phie de la peinture » dont il montrait l'ébauche à André Salmon dans « un méchant petit carnet de quatre sous ». Ne devait-il pas l'éditer à Lausanne ? Projets de velléitaire, han- tise de la publication si fréquente dans la jeune bohème de la Butte où fourmillaient les rapins en mal « d'un grand machin » toujours sur le chantier ? Nous ne pouvons le savoir. De l'étude philosophique d'Utter, il reste des notes, mais elles sont inacces- sibles au public. Dans la bibliographie d'un ouvrage aussi sérieux que l'Histoire de l'Art de Germain Bazin, on peut relever la mention d'une Automonographie d'André Utter, « Paris-Montparnasse », Ed. Henri Broca. Mais elle est, elle aussi, introuvable. Et l'on se demande s'il ne s'agirait pas tout bonnement d'une de ces menues plaquettes qui servent d'intro- duction aux expositions de peinture. André Utter est mort en 1948. A cette occasion, André Warnod, déplorant la disparition du peintre, écrivait : « ... Utter a emporté dans sa tombe bien des secrets. Il les aurait peut-être révélés, s'il s'était décidé à écrire ses souvenirs, projet qu'il remettait toujours au lende- main. » Nous n'en saurons pas davantage. Le biographe devra donc se contenter de témoignages oraux. Cette pénurie est évidemment regrettable, car un témoi- gnage imprimé semble avoir plus d'autorité qu'un témoignage oral. De nos jours, c'est un fait, le mot imprimé présente plus de chances d'exactitude. Gare aux procès ! La menace est permanente, et c'est un frein sérieux aux fantaisies de la plume. Et, quand il s'agit d'Utrillo, tout le monde sait que les exemples de procès ne manquent pas. Citons, entre autres, l'action intentée par le peintre à la Tate Gallery de Londres. En 1936, cette institution avait fait imprimer un nouveau catalogue de peintures françaises modernes qu'elle exposait. Sous le nom de chaque peintre figurait une notice biographique succincte et mesurée. Aussi pouvait-on lire : Maurice Utrillo, 1883, défunt ; d'origine espagnole, peintre des rues parisiennes. Huit jours plus tard d'ailleurs, le catalogue avait été retiré de la circulation et l'erreur rectifiée. Mais, la correction n'étant pas considérée comme une réparation suffi- sante, la famille du peintre ne baissait pas pavillon, jugeant l'artiste diffamé puisqu'il n'était ni mort, ni espagnol : elle « l'encourageait » à porter plainte. Le procès a duré trois ans et demi et d'éminents avocats des deux pays s'y sont escrimés. Il est vrai que le caractère diffamatoire de certaines alléga- tions (telles que la mort prématurée provoquée par l'alcoo- lisme) avait pu être évoqué au cours du procès, à propos des nombreux commentaires auxquels il avait donné lieu. Mais si l'on évite de toucher à des points aussi sensibles, on peut, même par écrit, altérer sans risques certains faits d'importance peu apparente. Ainsi on écrira qu'Utrillo a été décoré de la Légion d'honneur en 1930, au lieu de 1928 ; ou qu'il a fait sa première expositiontomne. au Salon des Indépendants et non au Salon d'Au- Toutes ces sources passées en revue et comparées, une remarque en ce qui concerne Utrillo : tous ses biographes ont commis des erreurs à répétition. C'est peut-être pourquoi, reproduisant avec obstination des faits inexacts, ils ont con- couru à fabriquer la légende — le folklore, pourrait-on dire — d'un homme toujours bien vivant. L'histoire de la trinité Valadon-Utter-Utrillo ne peut être séparée de son cadre, qui est le de 1900. C'est dire qu'elle participe d'une des périodes les plus pittoresques et les plus turbulentes de la vie parisienne. La colonisation de la Butte par des artistes et des écrivains d'avant-garde a été l'un des faits les plus marquants de ce qu'on appelle « la Belle Epoque ». A la fin du siècle dernier et au début du nôtre, des jeunes gens possédés par le désir de faire éclater les gonds de la pensée traditionnelle se sont isolés du Paris bourgeois pour essayer de vivre pleinement leurs propres expériences. Ils se sont réfugiés sur la colline du Sacré-Cœur. Condamnant les préjugés et les routines, ils ont formé une sorte de famille spiri- tuelle unie par le goût de l'aventure totale. Dans leur fringale de recherches, leur attente anxieuse de créations boulever- santes, ils ont fait de Montmartre le dernier retranchement de la bohème. En fait, alors qu'ils rejetaient le romantisme avec mépris, ils en faisaient une manière de vivre. Tous les témoins actifs de cette époque ont subi le choc des idées et des passions qui s'agitaient sur la grande montagne de Paris. Parmi ceux qui vivent encore, un grand nombre d'écri- vains ont publié leurs souvenirs. C'est à leurs textes qu'il nous faut nous référer. Nous ne sommes pas surpris d'y relever une multitude de contradictions, signes avertisseurs des erreurs de vision ou de jugement. Les actuels chroniqueurs de Montmartre manquent de recul. Souvenons-nous qu'il n'a pas fallu moins de 300 ans pour que soit mise au point l'histoire de l'ère de Cortez dans La Con- quête du Mexique de l'Américain Prescott ; que la vie et les amours de Tahiti n'ont été que romancés jusqu'à la parution en Angleterre des deux volumes : Peoples and Problems of the South Pacific. Mais constatons en même temps que certains sujets attirent d'eux-mêmes une interprétation subjective. Dans le cas du Montmartre 1900, une déduction s'impose : il y a dans toute période romantique un romanesque qui s'ajuste mal aux cadres historiques. Jusqu'en 1870, l'histoire de Montmartre — jamais banale, pourtant, et truffée d'invraisemblances — a pu être écrite avec un accent de véracité unanime. Tous les spé- cialistes qui l'ont fouillée ont respecté les faits, même les plus incroyables, qu'il s'agisse des frasques d'Henri IV à l'ombre de l'Abbaye, des truculentes anecdotes de Gabrielle d'Estrée ou de l'écartèlement du fils d'un meunier aux ailes d'un moulin. Jusqu'en 1870, cette histoire se déroule sans contradictions flagrantes. Mais, à partir de la Belle Epoque, on sent que les chroniqueurs perdent pied, qu'ils ne sont plus libres de leurs émotions. On dirait que la Butte romantique, la Butte des Impressionnistes, la Butte des. artistes de la fin du siècle les a hypnotisés. Ils n'en parlent pas de sang-froid : ils voilent ou idéalisent. C'est à l'historien (ou au biographe) qu'il appartient de faire la discrimination entre le vrai et l'imaginaire. Dans le cas présent, sa tâche est d'autant plus complexe que l'abon- dance des récits l'invite même à se demander si le genre n'est pas devenu une sorte de spécialité littéraire. Un étranger assez audacieux pour entreprendre une étude sérieuse sur la Butte se trouve un peu dans la position d'André Siegfried lorsqu'il écrit Les Etats-Unis d'aujourd'hui. Il pos- sède au moins un avantage : le regard objectif d'un observa- teur extérieur à l'action. Il peut examiner sans passion tous les aspects de la même aventure. Il n'a ni plus ni moins d'incli- nation ou de respect pour telle ou telle information, d'où qu'elle vienne. Il n'est pas considéré comme appartenant à l'une ou à l'autre des factions toujours en guerre. On l'accueille de part et d'autre avec la même libéralité. En cherchant la trace de la trinité Valadon-Utter-Utrillo, il se trouve fatalement plongé dans l'histoire de la vie montmartroise : suite d'anecdotes qui, si elles n'ont pas toutes été vécues, sont dites avec l'accent de la Butte et implantent l'idée d'un milieu excentrique, parfois bouffon, parfois tragique, où souvent les extrêmes se touchent. Il poursuit l'étonnante étude de mœurs d'un monde coloré où se côtoient artistes, apaches, ivrognes, poètes, délinquants juvé- niles, chansonniers et pèlerins en route vers le Sacré-Cœur. Mais il conserve l'œil froid et reste sur ses gardes. Essayant de replacer trois peintres dans le Montmartre de « leurs » vingt ans, il fait la part de la légende. CHAPITRE II

LE LAPIN AGILE

Jean Giraudoux, évoquant un délicieux village de la Vienne où il avait vécu enfant, a écrit Le Mirage de Bessines. Et c'est peut-être bien cela, près de l'étang de Sagnat « à fond de sable... couleur de ciel ». Aujourd'hui, dans cet excellent pays de chasse, il arrive parfois à l'automobiliste, le soir, d'apercevoir un lapin s'agitant sous la lumière de ses phares. S'il a l'esprit sportif, le chauffeur essaie de toucher l'animal. Mais, il entend un son mat, il s'arrête. Et jamais il ne trouvera son gibier. C'est bien « le mirage de Bessines ». S'il était du pays, l'automobi- liste saurait que son lapin a sauté sous une branche, par- dessus le remblai, où le gibier empaillé est venu échouer au bout d'une ficelle tirée par des petits paysans de Bessines. Là- bas, on a toujours été farceur ; on a toujours aimé les tours, quand ils ne nuisent à personne. Des exemples de ce goût de la mystification ont été radio- diffusés sur les ondes francaises à l'émission Dimanche au Vil- lage qui a pour but d'évoquer l'ambiance et les pittoresques coutumes des villages les plus typiques de . Un dimanche de l'été 1950, les sans-filistes ont pu écouter un programme émis justement de Bessines-sur-Gartempe. M. le Maire a présenté la rubrique historique ; l'hôtelier, la rubrique gastronomique ; Me Delabrosse, la vie sportive ; M. Beyly, « la chasse » ; un autre, « la pêche » ; M. le Curé a assuré la chronique « Petite Eglise » ; M. le Dr Mazataud a conté quelques histoires du vil- lage. Il y a eu la rubrique « Donnez-nous votre opinion » et on a raconté certaines légendes et coutumes de la région. Et bien entendu, on a signalé la présence d'uranium dans le sous-sol. Les villageois qui participaient à cette émission avaient mis

CLICHÉ VIZZAVONA, PARIS.

LA NATTE (1885)

RENOIR, posé par Suzanne VALADON MUSÉE NATIONAL D'ART MODERNE, PARIS. Maurice UTRILLO d'après une peinture par André UTTER tant d'élan et de verve à raconter leurs chasses fantaisistes et leurs pêches originales qu'il ne restait plus de temps pour radiodiffuser la rubrique « Vedette du terroir », soigneusement préparée par M. Lajoie, agent d'assurances. Si on lui avait accordé quelques minutes, M. Lajoie aurait expliqué que, l'an- née passée, Utrillo et d'autres célébrités étaient venus à Bes- sines pour assister à l'apposition d'une plaque commémorative sur la maison Guimbaud où était née Suzanne Valadon. La rubrique se serait terminée sur un sonnet précédemment com- posé et récité à l'occasion d'une autre grande cérémonie : « Suzanne et la Fée. » Avant d'aborder les points litigieux de la vie de Suzanne Valadon, il convient de préciser certains faits, certaines dates et certains noms qui, bien que d'une authenticité incontestable, rassemblent autour d'eux le plus grand nombre de contradic- tions. Mais nous ne croyons pas essentiel, ni même utile, de signaler la totalité des points en litige, car nous ne présentons pas ici une thèse de doctorat. Nous nous excusons donc d'offrir maintenant une brève biographie qui présentera des lacunes. La mère de Valadon, Magdeleine Célina Valadon, était née elle aussi à Bessines, le 9 décembre 1830. Elle avait été mariée à un nommé Coulaud — dont elle avait eu plusieurs enfants. Vers 1851, ce Coulaud avait été envoyé au bagne pour des rai- sons politiques et il avait dû y mourir. Restée seule, Magdeleine avait été engagée comme lingère dans l'élégante et bourgeoise maison Guimbaud. L'acte de naissance de Marie-Clémentine, dite Suzanne Valadon, indique qu'elle est née « en 1865, le 23 septembre... à 6 heures du matin, en la maison de Mme veuve Guimbaud, sise au présent bourg, de Madeleine Valadon, lingère, âgée de 34 ans, et de père inconnu, demeurant au bourg de Bessines... » On suppose que « le père inconnu demeurant au bourg de Bes- sines » était un ingénieur de passage construisant un pont au village, mais il n'existe aucune précision là-dessus. Le lendemain de sa naissance, Marie-Clémentine fut bap- tisée. Elle avait pour parrains Matthieu Masbeix et Marie Céline Coulaud qui n'ont pas su signer. A Bessines, il ne reste plus de souvenirs de l'enfance de Marie-Clémentine, si ce n'est que sa mère Madeleine l'avait emmenée à Paris avant la guerre de 1870. Mise à part la documentation fantaisiste, on ne trouve aucune trace d'e la vie de Suzanne Valadon pendant ses pre- mières années. On la voit pourtant, à l'âge de huit ans, dans une grande bâtisse ouvrière du boulevard Rochechouart. Made- leine, qui travaillait comme femme de ménage, avait du mal à tenir sa fille qui devenait de plus en plus indisciplinée malgré l'éducation stricte qu'elle recevait à Montmartre dans une école tenue par des Sœurs. A onze ans, on plaçait l'enfant en apprentissage dans un atelier de couture, où elle garnissait des chapeaux, brodait des coiffes, enfilait des perles et ficelait des plumeaux. Par la suite, elle promenait des petits de riches aux Tuileries, elle était ser- veuse dans un restaurant à bas prix et vendait des légumes, croit-on, aux Halles des Batignolles. A quinze ans, sur les conseils d'une camarade figurante, elle devenait acrobate au Cirque Molier, installé sur la fête foraine du boulevard Rochechouart. L'ambiance de la piste l'at- tirait, et elle s'adonnait avec passion à ce travail exténuant, étonnant les forains par sa souplesse et sa résistance. Six mois plus tard, au cours de ses exercices de trapèze, elle s'écroulait sur la piste. « On ramassa un pauvre petit corps brisé ». Elle s'était blessée au dos et ne pouvait continuer sa carrière « d'ar- tiste ». Après sa convalescence, alors qu'elle se demandait ce qu'elle allait entreprendre, une jeune Italienne — un modèle — l'invitait à monter sur la Butte. A cette époque, Madeleine travaillait le soir ; elle n'avait ni les moyens ni la force de surveiller son enfant. Suzanne prit goût à la vie de bohème de « là-haut » et, bientôt elle devint une habituée du cabaret le Lapin Agile — qui, notons-le en passant, n'avait aucune parenté avec le lapin agile de Bessines, si ce n'est que les deux étaient maniés par des farceurs. André Gill qui, en 1880, venait d'accrocher sa fameuse enseigne à la façade de l'auberge — elle représentait un lapin s'évadant prestement d'une casserole — était atteint de la folie des grandeurs. Il par- lait de ses millions, de son coupé, de ses gens. Suzanne était attirée par cette atmosphère de mystification. C'est au Lapin qu'elle rencontra un chanteur, Boissy. A la même époque, elle faisait la connaissance d'un Espa- gnol, Miguel Utrillo, de deux ans plus âgé qu'elle. Il vivait à Montmartre en vrai Montmartrois, au point même d'avoir sa chambre dans la ferme du Moulin de la Galette. Ce noctambule avait pour compagnon , qui deviendra plus tard l'amant de Suzanne. Les deux jeunes gens se rencontraient au Chat-Noir. En 1883, Suzanne mettait au monde un garçon, Maurice, et ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 20 SEPTEMBRE MIL NEUF CENT CINQUANTE DEUX SUR LES PRESSES DE L'IMPRI- MERIE DU BOURDON-BLANC, — —— A ORLÉANS — —

, 1 S,Vlliii'CUI ne -., , -, .,. " % _,, .: ' , ��i . - 1 , , .. � - Il � - .�,18

Dépôt légal : 3e trimestre 1952. — N° d'impression : 1.350

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.