LE DROIT LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE de vivre € Prix de vente : 8 avril 2011 | | n°633

Buttes Célébration Portrait Chaumont : de Durban : libre d’une explosion une injure militante de haine à la lutte contre de la Licra antisémite le racisme page 43 page 28 page 34

Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 3 ÉDITORIAL PAR ALAIN JAKUBOWICZ, président de la Licra

… Dites-le à la rédaction du « Droit de vivre »…

d’ajouter que, dans le numéro daté du comme il l’était avant-guerre. Les réactions 15 novembre 1963, Catherine , grande que nous avons enregistrées après la résistante, s’est déclarée « profondément sortie de nos derniers numéros, au travers indignée qu’une Française, ma nièce notamment du courrier des lecteurs, mon- Françoise Dior, manque tellement de trent que certains articles ne laissent moralité pour unir sa vie avec le chef pas indifférents. Cela a notamment été d’un parti qui a créé tant de souffrances le cas de celui consacré, dans le précédent et de deuils dans …». Mon numéro, à Stéphane Hessel. Nous avons attention a également été attirée par le reçu à ce sujet des lettres de critiques, numéro du « Droit de vivre » daté du voire de réprobations, auxquelles Antoine mois de mai 1933, au lendemain de la Spire répond, dans les pages qui suivent, prise de pouvoir d’Adolf Hitler, dans avec la liberté de ton et d’esprit qui le lequel Pierre Paraf écrivait : « Je voudrais caractérise et qui fait l’honneur de notre aujourd’hui, en ce message qui est moins journal. Dans le numéro du mois de mai un article qu’une conversation de cœur 1933, il était déjà écrit, en dernière page : à cœur, préciser, pour nos amis du « Droit « Si vous êtes contents de ce journal, de vivre », quels sont nos devoirs. Ce dites-le à vos amis. Si vous ne l’êtes devoir, c’est d’assister les errants du pas, dites-le à la rédaction… Merci. » En nouvel exode avec tous les égards qui ma qualité de directeur de la publication, sont dus à des hommes dont brusque- je reprends bien volontiers à mon compte ment le destin s’effondre... Ce n’est point, ces recommandations qui sont plus que malgré que le nombre des arrivants la jamais d’actualité. Que vous soyez rende chaque jour plus lourde, cette d’accord ou que vous ne le soyez pas, tâche qui m’effraie, mais celle qui consiste que vous aimiez ou que vous n’aimiez râce à un jeune stagiaire, j’ai à leur donner du travail… Entre nous, pas, faites-le nous savoir. Tous les points découvert, au siège de la Licra, pas de réticence. Nos lecteurs ne me de vue peuvent et doivent être défendus, Gles numéros du « Droit de vivre » pardonneraient point de ne pas écrire la dès lors qu’ils sont argumentés de bonne depuis sa création. Leur lecture, dans vérité. Le chômage est lourd en France. foi. La force de la Licra réside dans sa laquelle je me suis plongé avec passion Plus que n’en témoignent diversité. et émotion, porte témoignage de l’histoire les statistiques offi- Gageons que le présent du xxe siècle. Je suis ainsi tombé sur les cielles… ». Toute propor- Faire du numéro, consacré à l’inté- articles consacrés, dans les années 60, tion gardée, comment ne gration, suscitera de aux amitiés néo-nazies de Mme Françoise pas être frappé par l’ac- “Droit nouvelles réactions. Il est Dior, qui a récemment défrayé la chro- tualité de ces propos ? de vivre” en effet de bon ton, ces er “ nique. Le numéro du « DDV » du 1 février Disons-le tout net, je suis un magazine derniers temps, d’opposer 1965 rapporte « l’histoire, vraie, datée heureux et fier que la Licra « intégrationnistes » et du 9 janvier dernier, qui a mis aux prises, ait poursuivi le combat de de référence, « assimilationnistes ». Si à Londres, Wolfe Busel, 42 ans, d’origine ces militants de la première comme nous ne devions donner juive, chauffeur de taxi, et Françoise heure. Notre devoir est de il l’était qu’une raison de notre Dior, walkyrie épouse récente du chef faire en sorte que nos choix résolu de l’intégra- national-socialiste britannique, Colin enfants et petits-enfants avant-guerre.” tion, nos lecteurs la trou- Jordan. Hélé par la dame, Busel arrête aient, dans quatre-vingts veraient en page 10, sous sa voiture, se penche, aperçoit, brinque- ans, la même fierté à notre la plume poétique de Loui- ballant au bout d’un collier, une énorme égard. Il n’aura pas échappé à nos lecteurs son qui a bien voulu nous prêter son talent. croix gammée en brillants, et lance : Je que le « Droit de vivre » s’efforce, depuis Privées de racines, les fleurs de l’assimi- ne veux pas de vous. Je suis juif. Vous une année, de moderniser et profession- lation sont éphémères ; celles de l’inté- êtes une sale nazie. —Bon, rétorque la naliser sa ligne éditoriale. Qu’il me soit gration, qui en sont pourvues, sont pé- Fuhrerine, eh bien, si vous êtes juif, permis de remercier Antoine Spire et rennes. C’est sans doute pourquoi Albert pourquoi n’êtes-vous pas resté dans les l’équipe de rédaction qui l’entoure d’avoir Cohen se définissait comme « un arbre chambres à gaz? » Sans commentaire. accepté de relever ce défi. L’objectif de Judée dans la forêt française»… | Le souci de vérité qui préside à la ligne clairement affirmé est de faire du « Droit éditoriale du « Droit de vivre » impose de vivre » un magazine de référence,

Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 5 SOMMAIRE

Le droit de vivre page 3. page 34. Éditorial du Président International • La «célébration de Durban I», une injure à la lutte contre le page 6. racisme Dossier : page 36. Tribune • Lettre ouverte à mon (ex) ami Zemmour, par J.-Ph. Moinet • Affaire Zemmour : les enseignements d’un procès, par Alain Une France plurielle Jakubowicz • L’intégration fonctionne-t-elle encore ? • Vous avez dit intégration ? page 38. • L’immigration : une très longue histoire d’exil et d’espoirs • Assimilation, intégration Sport • Les silences politiques de l’intégration chinoise • L’OL et l’AS Saint-Etienne s’engagent contre le racisme • Abel Gago : la volonté de rendre ce qui m’a été donné • Les discriminations institutionnelles dans le football, le début • Arméniens : dans le moule d’une minorité invisible d’une prise de conscience • Heureux comme un Juif en France • La Maison maternelle dans la Maison de France page 40. • Regards croisés sur les logements sociaux • L’intégration à l’école et la laïcité au cœur des analyses du HCI La parole aux associations • Trois questions à Malka Sorel • Intégration et langue : marquer son identité n’est pas • France terre d’asile : promouvoir une véritable politique refuser sa nationalité d’accueil des réfugiés page 28. page 43. Société Portrait • Chronique d’une explosion brutale de haine antisémite • Portrait libre d’une militante de la Licra depuis 1977 : Cathe- rine N’Loka-Moussi page 30. Tribune page 44. • Le discours de Mme le Pen menace juifs et musulmans Vie des sections (« Le Monde »), par Alain Jakubowicz et Richard Prasquier page 46. page 32. Vie de la Licra Culture • Le Quatrième salon du Livre de la Fédération de Paris de la Licra • Vous saurez, tout, tout sur les Juifs de Lens pendant la Shoah page 47. • René Guitton : « La volonté de silence n’exclut pas le devoir de vérité » Courrier des lecteurs

LICRA | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011

Fondateur : Bernard Lecache Un grand merci à Louison. La régie publicitaire : OPAS Directeur de la publication : LE DROIT Alain Jakubowicz Pour la rubrique “la vie des sections” : Ont collaboré à ce numéro : LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE de vivre Directeur délégué : Roger Benguigui les militants de la Licra. Lylo Arkilovitch, Patricia Fitoussi, Rédacteur en chef : Antoine Spire Arnaud Kenigsberg Comité de rédaction : Maquette et réalisation : Adressez vos Roger Benguigui, Margie Bruna, Sitbon & associés ABONNEMENT chèques au Georges Dupuy, Pierre Fournel, Tous droits de reproduction réservés - Droit de Marie-Pia Garnier, Claire Séréro, ISSN 09992774 Vivre, Antoine Spire, Ariane Vincent Société éditrice : Le Droit de Vivre Nous rappelons que les propos tenus 30€ Coordination Rédaction : 42, rue du Louvre - 75001 Paris dans les tribunes et les interviews ne par an 42 rue Ariane Vincent Tél. : 01 45 08 08 08 sauraient engager la responsabilité du Louvre Correction : Mad Jaegge email: [email protected] du journal. 75001 Paris. Suivi de fabrication : Claire Séréro 6 | DOSSIER

DOSSIER L’intégration fonctionne-t-elle encore ? Poser la question “l’intégration républicaine fonctionne- Ce dossier propose également, à titre d’exemples, les t-elle encore ?” dans les milieux politiques et dans l’opinion itinéraires en France de populations immigrées : publique revient aujourd’hui à enfoncer une porte ouverte : maghrébine, espagnole, arménienne, juive et chinoise. à l’évidence, la machine serait grippée. Pour la Licra, acteur Par ailleurs, la Licra scrutera avec attention le prochain de terrain, d’évidence il n’y a pas. L’ensemble des études rapport commandé par le Premier ministre au Haut Conseil démontre en effet que les populations issues de à I’Intégration (HCI), qui dressera le bilan de vingt ans de l’immigration se considèrent françaises, alors que, dans le politique d’intégration ; avec en toile de fond une autre même temps, une partie des Français pensent le contraire. question qui nourrira sans nul doute la controverse : La Licra ouvre, dans ce nouveau dossier proposé par quels résultats pour deux décennies de politique de la Ville ? le Droit de Vivre, le débat sur ce paradoxe de l’intégration, A la lumière de ce dossier et en réponse aux déclinologues avec en filigrane l’interrogation : « Et si notre modèle de tout poil, la Licra garde pour haute ambition de rendre français n’était pas aussi en panne que certains veulent la République toujours plus crédible. Comment ? En faisant bien le dire ? » que ses valeurs soient vécues par tous et partout, en La rédaction a fait appel à des historiens, des politologues, encourageant la lutte contre les discriminations, en éduquant des sociologues, des linguistes, des représentants nos enfants dans un esprit de responsabilisation et non associatifs et politiques pour croiser leurs regards sur un de victimisation, en valorisant la notion de citoyenneté. questionnement qui hante notre société. Quel rapport L’idée du contrat social de Rousseau implique que la entretient l’individu avec la Nation ? N’est-il pas avant tout République doit être soutenue par la volonté active de question d’une quête de reconnaissance sociale plus que ses citoyens. Ainsi, il faut des citoyens concernés dans une d’une recherche d’identité ethnique ? Comment mesurer République unifiée. A l’aune des élections présidentielles le degré d’intégration des populations immigrées au sein de 2012, cela appelle à un discours de vérité, sans excès, d’une société ? L’école joue-t-elle encore son rôle de et renvoie chacun à ses responsabilités. Pour ne pas faire facilitateur ? Quid de l’intégration linguistique de notre mentir Georges Clemenceau qui écrivait : “La République jeunesse ? Où en est le débat “assimilation” face à n’est rien qu’un instrument d’émancipation.” “intégration” ? Qu’en est-il des notions d’“insertion” Pierre Fournel, directeur général de la Licra et d’“inclusion” ? Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 7

Vous avez dit intégration ? Antoine Spire, rédacteur en chef du Droit de vivre.

u’est-ce qui caractérise une des parents qui viennent d’immigrer : intégration réussie ? Et d’abord, 1,5 à 2 fois supérieur à celui des personnes Qcomment ne pas différencier nées en France. D’après l’OCDE, l’écart l’intégration des primo-arrivants de celle du taux de chômage entre les enfants de leurs enfants qui, nés en France, sont d’immigrés et l’ensemble de ceux qui très souvent français ? Pour ceux qui, sont nés en France était de 10 points en récemment immigrés, sont venus chercher 2008. Cet écart ne traduit-il qu’un han- du travail ou rejoindre leur famille, le dicap économique et social, ou porte-il logement, le travail, l’insertion des enfants pour une part la marque des limites du à l’école sont évidemment des facteurs modèle républicain d’intégration ? Sur d’intégration, mais pour eux la discrimi- cette question, les chercheurs divergent. nation pèse de tout son poids. La xéno- Certains évoquent les ratés de l’école phobie continue à exister dans notre républicaine qui ne garantirait plus l’éga- pays. Evidemment, les épouses, quand lité des chances. Pourtant, repéré dans elles ont pu parvenir en France, ont les années 1990, l’avantage scolaire des beaucoup de mal à s’intégrer, de fortes filles sur les garçons parmi les descen- difficultés à trouver du travail et des dants d’immigrés se confirme. Celles-ci structures pour apprendre le français. sont généralement plus diplômées que En précarisant le séjour des étrangers, leurs homologues masculins et connais- les autorités gouvernementales ne favo- sent de meilleures scolarités. risent pas l’intégration. Le pari de la Le sociologue Christian Baudelot, dans carte de dix ans, voté à l’unanimité en « Allez les filles », avait montré que cette 1984 par l’Assemblée nationale, faisait différence des résultats scolaires par le choix optimiste que la garantie d’un genre touchait toutes les couches de la séjour stable favorisait la réussite de société. On peut penser que les filles l’intégration. Désormais, l’intégration est d’immigrés sont motivées pour s’arracher devenue une condition de l’accès au à la vie de recluse que vivent le plus séjour. Il faut savoir parler français, connaî- souvent leur mère, alors que les garçons tre les valeurs de la République avant constatent trop facilement qu’avec des toute garantie de séjour durable. études importantes, l’origine sociale et Mais qu’en est-il des facteurs d’intégration donc ethnique qui est la leur les condamne de ceux qui sont les enfants de ces primo- à un handicap souvent insurmontable. arrivants ? Nés en France le plus souvent, Combien d’hommes nés de parents im- ils sont français à 18 ans, et peuvent migrés ont accès aux plus hautes res- même anticiper : devenir français par ponsabilités politiques ou économiques ? simple choix de 16 à 18 ans. Leurs parents Combien d’immigrés de la deuxième gé- peuvent aussi devancer cette naturali- nération exercent des responsabilités so- sation dès les 13 ans du jeune. Mais en ciales, civiques, économiques impor- pratiquant à son égard l’injonction à tantes ? Tout se passe comme si un pla- s’intégrer, on risque de rendre visible sa fond de verre les empêchait de sortir différence. Trop souvent, on demande d’une condition certes meilleure que celle aux jeunes quel est leur pays d’origine, de leurs parents, mais jamais égale à leur rappelant du même coup qu’ils par- celle de tous leurs concitoyens d’origine ticipent d’une catégorie bien spéciale de hexagonale. Français différents. Très souvent, ces En voulant lancer son débat sur l’Islam, jeunes issus de la deuxième génération le président de la République ressort le vivent une situation économique et sociale thème du multiculturalisme dont il clame peu enviable. l’échec. Alors que le multiculturalisme Toutes les analyses qu’on lira dans ce n’est pas de tradition française, veut-il numéro prouvent que, quel que soit le nous dire que l’intégration est en panne ? pays d’origine, ce qui freine l’intégration, Tout ce numéro de notre revue prouve c’est l’inégalité des chances provoquée le contraire ! | par les inégalités devant le logement, le Antoine Spire travail ou l’école. Les chiffres les plus parlants concernent le taux de chômage 8 | DOSSIER L’immigration : une très longue histoire d’exil et d’espoirs La France terre d’accueil n’est pas une image d’Epinal. Durant cent cinquante ans, l’insertion des immigrés du monde entier a été rendue possible par l’accès au travail et à l’enseignement de l’école laïque. Mais quand la crise économique frappe, l’ensemble du système se grippe, les crispations prennent le dessus et la culture, défendue autrefois par les hussards de la République, ne fait plus rêver les nouveaux venus au pays de Voltaire et de Hugo.

Le droit de vivre : l’immigration vers la France est-elle un phénomène récent ? Jacqueline Costa-Lascoux : La France est un pays d’immigration depuis le XIXe siècle. La première loi sur le droit du sol date de 1851 ! Depuis un siècle et demi, les vagues migratoires se sont succédé. Les immigrés sont d’abord venus des pays riverains, Belgique, Suisse, Allemagne, Italie, Espagne (notamment après la guerre civile) et, parallèlement, des Arméniens, des Juifs fuyant les per- sécutions ont trouvé refuge en France. D’une immigration de proximité, on est alors passé, progressivement, à une immigration plus lointaine et issue des territoires colonisés. Ainsi, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, toute une palette d’immigrations existait déjà. Le régime de Vichy constituera donc une véritable rupture, honteuse, dans l’histoire de France. Durant les Trente Glorieuses, des Italiens, des Portugais, des Algériens ont grossi la main-d’œuvre nécessaire au bâtiment, à la sidérurgie ou à l’automobile. Les origines des immigrés se sont ensuite diversifiées au gré des conflits sri-lankais et vietnamiens ou de l’instauration de d’immigration alors que les autres pays et la citoyenneté d’une grande majorité régimes dictatoriaux en Amérique latine ont été, pendant des décennies, des pays d’immigrés et de leurs enfants. et dans l’Est européen. Dans le même d’émigration, la France a accueilli des temps, les situations engendrées par le immigrés qui ont acquis majoritairement Quels furent les principaux développement inégal ont suscité l’arrivée la nationalité française. Aujourd’hui, la problèmes rencontrés par des ressortissants de l’Afrique noire. France demeure un des premiers pays les nouveaux arrivants ? Cette pluralité des origines et des trajec- d’immigration en Europe : de 1997 à Certaines populations toires s’est amplifiée ces vingt dernières 2010, c’est près d’un million et demi de ont-elles dû franchir des années, tandis que d’anciens immigrés nouveaux Français qui sont entrés dans obstacles spécifiques ? issus de pays ayant entamé leur la communauté nationale. De fait et de Toutes les populations immigrées ont développement et leur démocratisation droit, l’immigration est une composante connu, de tout temps, des difficultés pour deviendront ressortissants communau- de la société française obtenir un titre de séjour, apprendre la taires. Aujourd’hui, la majorité des langue, rechercher un logement, et ont immigrés vient des pays du Maghreb et, Qu’est-ce qui a permis été en butte à des réactions d’incompré- plus généralement, du continent africain. durant toute ces années hension — voire de racisme. Les freins à aux immigrés de s’adapter ? l’intégration sont multiples. Ils sont Ces flux de populations, Deux facteurs communs ont facilité d’abord socio-économiques et linguis- incessants et variés, ont-ils l’intégration : le travail et l’école. Les tiques : une faible scolarisation et quali- été le lot de tous les pays solidarités ouvrières et la syndicalisation fication professionnelle, surtout chez les européens ? ont été de puissants leviers de la femmes, même si le niveau de formation La France tient une place singulière dans reconnaissance sociale. L’école de la est en progression chez les récents l’histoire migratoire européenne. Pays République a favorisé l’ascension sociale immigrés. Aujour d’hui, le chômage et la Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 9

crise aggravent les difficultés. moins explicite de s’intégrer dans une les origines des personnes. En rendant Mais, au-delà, le décalage se marque de France laïque. le CAI obligatoire en 2006, en restreignant plus en plus entre ceux qui ont l’expé- sans cesse les conditions d’entrée et de rience de la démocratie, des droits Le terme d’intégration séjour en France, l’intégration a perdu fondamentaux de la personne et de la est constamment utilisé. sa signification républicaine : d’un contrat citoyenneté, et ceux qui prônent le Le sens qu’il recouvre a-t-il social auquel on adhère volontairement sexisme, l’homophobie, l’antisémitisme évolué au fil du temps ? et qui oblige les pouvoirs publics à fournir au nom d’une identité culturelle ou L’intégration a remplacé le vocable les prestations auxquelles il s’engage, on religieuse. Les immigrés des années assimilation au début des années 90. est passé à une politique de gestion et Trente, les syndiqués de l’automobile des Alors que l’assimilation supposait de contrôle des populations. années 60-70, les «marcheurs pour l’abandon de spécificités pour se fondre l’égalité» des années 80, les militants dans le corps social, l’intégration est un Le modèle d’intégration pour les sans-papiers agissaient dans processus par lequel des éléments diffé- à la française serait cassé. des mouvements solidaires avec des rents construisent une réalité nouvelle, A-t-il jamais fonctionné ? Français. Actuellement, ce qui pose une dynamique interactive qui opère à Il n’y a pas de modèle, mais une tradition problème, ce n’est plus l’idée de différence, partir d’un protocole ac- républicaine qui tend à mais l’enfermement dans cette différence, cepté par les différentes l’égalité des droits et le repli communautaire. Le dernier rapport parties. Ceci a conduit Ce qui pose des chances, garantie du Haut Conseil à l’Intégration (HCI) le HCI (Haut Commissa- problème, par le service public. sur « Les défis de l’école républicaine » riat à l’Intégration) à pro- ce n’est plus Malheureusement, les est éclairant : on n’exprime plus l’envie poser le Contrat d’accueil “ principes ont été oubliés, d’apprendre à lire Voltaire ou Victor et d’intégration (CAI) l’idée de l’intérêt général et le Hugo ! pour les nouveaux arri- différence mais bien commun dénigrés vants : l’Etat organise l’enfermement Après la chute du mur On pense communément une formation civique et, de Berlin, l’Europe s’est aujourd’hui qu’une identité lorsque cela s’avère né- dans cette précipitée dans le libéra- religieuse forte, musulmane cessaire, un différence, lisme économique. en l’occurrence, peut enseignement linguis- c’est le repli L’échec est aujourd’hui constituer un frein à tique et un suivi social ; patent : ethnicisation de l’intégration. l’immigré respecte les communautaire.” la société française, at- Est-ce que tout a été plus lois de la République. Pa- teintes à la laïcité, ac- facile pour les migrants rallèlement, la politique d’intégration com- croissement des inégalités et des discrimi- catholiques ? prend cinq piliers : une politique com- nations. Des intellectuels, anciens marxistes, Il est absurde de dire que tout s’est pensatoire des inégalités ; des mesures sont devenus des culturalistes naïfs au bien passé avec des migrants catholiques incitatives en direction des personnes point de justifier l’injustifiable, des pratiques dans une France chrétienne. Les mineurs fragilisées ; la lutte contre les discrimi- contraires à la dignité de la personne. polonais, accompagnés de leurs curés, nations ; des mesures de démocratie par- Ils n’ont toujours pas compris qu’en vou- ont été mal compris par les mouvements ticipative en faveur des associations ; lant écouter les dictateurs et les intégristes révolutionnaires et exploités comme l’accès à la citoyenneté pleine et entière. au nom du respect de la diversité, ils ont les autres par les patrons — quand Les deux premières politiques supposent refermé la porte des prisons sur les bien même ceux-ci étaient catholiques. un Etat providence qui fonde ses actions militants des droits de l’homme. Mais En réalité, ce qui semble différent non sur l’origine ethnique, mais sur des des peuples réclament leur liberté, il est depuis deux décennies, c’est la moindre critères objectifs (revenus, niveau de qua- temps d’entendre leur voix. | confiance de familles immigrées dans lification, taille de la famille, conditions Propos recueillis par l’école de la République et une volonté de logement, santé…), quelles que soient Delphine Auffret

Jacqueline Costa-Lascoux Directrice de recherche au CNRS. Elle a été membre du Haut Conseil à l’Intégration et directrice de l’OSII (Observatoire des statistiques de l’immigration et de l’intégration), membre de la Commission Stasi sur la laïcité. Sociologue de l’immigration et de la laïcité, elle est auteur de nombreux articles et ouvrages, dont « Les Hommes » de Renault-Billancourt. « Mémoire ouvrière de l’Ile Seguin » (avec E. Temime, Autrement, 2004), « La Laïcité à l’école ? Un principe, une éthique, une pédagogie » (SCEREN, 2006) et « L’Humiliation. Les Jeunes dans la crise politique » (L’Atelier, 2009). 10 | DOSSIER Assimilation, intégration Assimilation, intégration, vivre ensemble relèvent de politiques publiques qui ne sont pas neutres quand on recherche une meilleure cohésion sociale.

e débat français sur le vivre en- Le terme d’assimilation est défini par le latine dont étaient pétris les fondateurs. semble est depuis longtemps fait de rendre semblable, de fondre des La France a également longtemps adopté L partagé entre une vision inclusive personnes dans un même groupe, de les une politique assimilationniste, tant à d’incorporaton des nouveaux venus, où doter de caractères com- l’égard de la diversité de ceux-ci laissent à la porte les caractéris- muns à ce goupe. Les ses cultures internes, dont tiques de leur appartenance ethnique, Etats-Unis, qui ont mené Le terme les langues ont été souvent religieuse, linguistique, pour se fondre une politique assimilation- d’assimilation prohibées, qu’à l’égard des et disparaître comme tels parmi les niste pour leurs immigrés immigrés qui devaient in- nationaux ; et une vision d’intégration jusqu’aux années 1960, “ est défini dividuellement se fondre plus contractuelle, où les identités sont avant de la muer en une par le fait dans le modèle républicain, négociées et où l’appartenance à la politique de reconnais- de rendre laïc et individualiste. Au- communauté des citoyens laisse place sance des minorités et des cune place n’était initiale- aux identités acceptées par l’Etat d’ac- identités, ont adopté, dès semblable, ment faite aux cultures, aux cueil. Assimilation et intégration sont les pères fondateurs, une de fondre langues, aux religions d’ori- perpétuellement en débat, dans une devise qui figure sur le des personnes gine, qui ne pouvaient être approche qui transcende les orientatons billet d’un dollar : «Ex pratiquées et vécues que politiques droite-gauche et qui oppose pluribus unum», de la dans un même de manière privée. Cette davantage les républicains jacobins, multitude, un seul. Cette groupe.” politique a prévalu jusqu’au tenants d’une assimilation forte, aux expression est issue d’un milieu des années 1970, libéraux (au sens anglo-saxon) qui poème de Virgile («Mo- quand la France a décidé recueillent les tenants d’un pluralisme retum») qui décrit la fabrication d’un fro- de suspendre l’immigration de travail modéré par les contraintes de l’Etat nation mage aux herbes. Tel a été le modèle de salarié et a commencé à être confrontée d’accueil. la société américaine, inspiré de la culture au regroupement familial, aux politiques Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 11

de retour aux pays d’origine, qui suppo- sur l’appartenance (membership). Dans tardivement que la lutte contre les dis- saient le maintien de liens linguistiques la répartition des compétences qui préside criminations a été institutionnalisée, au et culturels. Une prise de conscience s’est à la gestion européenne des migrations, début des années 2000, sous la pression alors faite que les immigrés allaient rester, l’intégration fait partie de la subsidiarité des institutions européennes (traité alors qu’ils revendiquaient des apparte- : elle est décidée à l’échelon national ou d’Amsterdam, article 13). Mais la concep- nances collectives. local. Chaque pays de l’Union a sa poli- tion française de la citoyenneté fondée A l’assimilation, qui a prévalu en France tique du vivre ensemble, avec des philo- sur la proclamation de l’égalité des droits de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’au sophies et des instruments est souvent un obstacle à milieu du vingtième, à l’instar des Etats- différents. la reconnaissance effective Unis et de l’Australie à la même époque, Les outils utilisés divergent L’intégration des discriminations pour a succédé l’insertion, une appartenance : priorité est donnée à la signifie les populations dites “vi- fonctionnelle réservée à une immigration lutte contre les discrimi- l’adaptation sibles”. Le Contrat d’ac- nations au Royaume Uni “ cueil et d’intégration, ex- de passage. Puis l’intégration, terme colonial utilisé d’abord en Algérie et qui (Commission for racial des nouveaux périmenté à partir de 2003, s’est imposé dans les politiques publiques equality, créée en 1976), à éléments est aussi considéré comme en France. L’intégration revêt des défi- la citoyenneté et au contrat pour qu’ils un instrument supplémen- nitions différentes selon les pays d’accueil. social en France, à l’inser- taire pour les nouveaux Elle signifie l’adaptation des nouveaux tion professionnelle en Al- puissent être arrivants. éléments pour qu’ils puissent être consi- lemagne, au droit de vote considérés La fracture essentielle mêle dérés comme semblables, dans un local dans les pays nor- comme visibilité ethnique, pau- assemblage des différentes parties d’un diques (la Suède depuis vreté et appartenance ensemble, de manière à assurer leur 1975, le Danemark depuis semblables.” réelle ou supposée à l’Is- compatibilité. Ce terme fut utilisé pour 1981, les Pays-Bas depuis lam. Alors que toutes les la première fois par Jacques Soustelle 1985). Récemment, la chancellière alle- enquêtes montrent que les populations pour désigner les modes d’appartenance mande Angela Merkel a déclaré que le issues de l’immigration se considèrent des indigènes à l’Algérie française, au Multikulti avait échoué. Mais tous les françaises comme les autres, une partie début des années 1950. Il a ensuite été pays européens s’accordent pour recon- des Français pense au contraire qu’elles transposé à l’immigration par Paul Dijoud, naître que l’immigration est devenue ne le sont pas, et suspectent leur défaut secrétaire d’Etat à l’immigration en 1974, constitutive des pays d’accueil et qu’il d’intégration, un phénomène paradoxal sous la présidence de Valéry Giscard faut donc vivre ensemble, non sans une dans un pays laïque, où le fondement de d’Estaing. certaine européanisation des politiques la citoyenneté repose sur des valeurs Les critères de l’intégration qui permet- d’intégration. communes de liberté, d’égalité et de traient de la mesurer peinent à s’imposer La France, dominée par le modèle jacobin fraternité. C’est au nom de ces valeurs et font l’objet d’affrontements plus de la citoyenneté républicaine et de que des jeunes des banlieues sont de politiques que sociologiques. Aujourd’hui, l’affirmation de l’égalité des droits, s’ap- temps en temps les acteurs d’émeutes on emploie aussi le terme de “vivre puie sur deux instruments : l’ouverture, urbaines, non pas au nom de l’Islam, ni ensemble”, lancé en 1983 par la ministre depuis la fin du dix-neuvième siècle, de de revendicatons communautaires, mais des Affaires sociales Georgina Dufoix, son droit de la nationalité, marqué depuis parce qu’ils considèrent qu’elles ne sont défini par une meilleure cohésion sociale le code civil napoléonien par le droit du pas respectées. | entre les populations en présence. Mais, sang ou droit du sol ; un autre instrument Catherine Wihtol de Wenden à l’échelon européen, on tend à introduire de l’intégration est la politique le terme d’inclusion, assorti de critères de la Ville, mise en œuvre à exploratoires définis de manière consen- partir de 1990, qui mêle préven- suelle (inclusion index), mettant en avant tion et lutte contre les inégalités des expériences originales significatives sociales grâce à une politique (best practices) pour définir le partage, territorialisée de l’intervention l’acceptation et l’appropriation (owner- publique dans les zones ship) d’un espace public commun fondé défavorisées. Ce n’est que

Catherine Wihtol de Wenden Directrice de recherche CNRS au Centre d’études et de recherches internationales de sciences po est consultante pour l’OCDE, la Commission européenne, le HCR le Conseil de l’Europe. Elle enseigne à Sciences Po et à la Sapienza de Rome. Spécialiste de l’immigration, elle vient de publier « La question migratoire au XXIe siècle » (Presses de Sciences Po), « La globalisation humaine » (Puf). « Atlas mondial des migrations » (Autrement). 12 | DOSSIER

Déclinaison culturelle Il nous a paru indispensable d’interroger l’intégration de divers originaires. Nous commençons par les Chinois, dont bien souvent on oublie de parler en termes d’intégration, préférant se focaliser sur les maghrébins musulmans. Nous continuons par le texte de Jean Kéhayan, journaliste d’origine arménienne, qui témoigne des années françaises de ses compatriotes devenus les nôtres. Nous avons interviewé l’une des meilleures sociologues de la diaspora juive française, rencontré un originaire d’Espagne qui confie à Roger Benguigui ce qu’il conserve de sa culture d’origine et donné la parole à l’écrivaine Leïla Sebbar qui traite avec le talent littéraire qu’on lui connaît de ces Maghrébins qui habitent les cités populaires dont on parle trop souvent en termes de caricature. Ainsi va la diversité au riche pays de France ! Antoine Spire

Les silences politiques de l’intégration chinoise

es itinéraires migratoires ainsi que Premier révélateur sociologique de marque d’une forme d’exclusion, appelée les mécanismes d’intégration de la l’intégration : la maîtrise de la langue du à être contrebalancée, et à moyen terme Lcommunauté chinoise en France pays d’accueil, l’adhésion aux paradigmes entraînée, par le succès économique demeurent méconnus. Depuis les années fondateurs de la culture nationale, la de la communauté, ou bien serait-elle 1900, la migration chinoise s’est intensifiée réussite scolaire, l’élévation tendancielle l’indice d’une forme de repliement et s’est diversifiée. Une progressive hié- du niveau de qualification et de formation. identitaire ? rarchisation intra-communautaire et des Or, nul ne peut taire l’extraordinaire Répondre à cette question n’est nullement formes nouvelles de solidarités se sont succès de l’intégration des Français aisé. D’où la nécessité de récolter, instaurées. d’origine chinoise à l’école, creuset de la décortiquer et traiter avec infinie attention A l’aune de la littérature scientifique, il République, ou à l’Université, stimulateur et prudence les données disponibles. A semblerait que les mécanismes d’inté- d’épanouissement professionnel. l’heure actuelle, les deux phénomènes gration de la communauté chinoise dans Deuxième indicateur d’intégration : la semblent à la fois antagonistes et dialec- la mosaïque sociale française soient réussite économique et une insertion tiquement solidaires, si tant est que l’on singuliers. Ils se caractériseraient par la accomplie sur le marché du travail. Malgré reconnaît, à la manière de Georg Simmel, coprésence d’une inclusion forte dans la la relative polarisation des activités l’unité duale du social. vie économique et une sous-implication économiques exercées, les Chinois de Sans être à l’abri de violences intestines, visible dans la vie politique. Comment France affichent une réelle réussite dans sans être immune de tensions commu- apprécier alors le niveau réel d’intégration le monde des affaires. nautaristes, la communauté chinoise des Chinois de France ? Passeurs d’exception, les Français affiche une intégration économique et Il s’avère nécessaire de distinguer diffé- d’origine chinoise constituent, par ailleurs, civique à bien des titres exemplaire, de rentes dimensions de l’intégration, d’excellents intercesseurs d’échange entre par une appropriation accomplie des susceptibles, par recoupement et cumu- une Chine en pleine expansion et une principes républicains, une forte cohésion lation, de juger de l’insertion ou de la France en quête de nouveaux marchés. interne et une régulation sociale endogène marginalisation de cette communauté Troisième traceur d’intégration : l’impli- bien efficace. influente économiquement mais invisible cation civique et associative. Les Chinois Le passé prouve qu’une structuration politiquement. de France brillent par leur implication, communautaire forte n’est pas un frein à discrète mais bien réelle, l’intégration des individus dans le corps dans la vie citoyenne. En social, pour peu que la communauté retour, c’est toute la commu- s’encastre dans la République et que la nauté citadine qui accorde République ne s’arrête jamais aux portes une marque de sympathie, un de la communauté. signe de reconnaissance à Lorsque la puissance ordonnatrice de l’égard de cette communauté l’Etat s’affaisse, la lutte de légitimité, le productive et respectueuse conflit des loyautés et les tensions inter- des valeurs républicaines. communautaires risquent de faire rage. Quatrième descripteur d’in- Si les régulations conjointes (Etats/ tégration : l’investissement communautés) peuvent être bénéfiques, visible dans la vie de la Cité. c’est à condition qu’elles assument un C’est là que le modèle caractère non rival, complémentaire et d’intégration économico- non substitutif. culturelle à la chinoise touche Pour parfaire ce parcours en intégration, ses limites, les ressortissants reste aux Chinois de France à franchir le de cette communauté étant pas d’un investissement actif de l’insti- quasi absents de la sphère tution républicaine, pour devenir des politique et élective. La citoyens politiquement intégrés aussi ! |

Source : http://wang888.skynetblogs.be Source faiblesse de l’investissement Maria Giuseppina Bruna Le quartier chinois de Belleville, à Paris. électoral actif serait-elle la (IRISSO Dauphine / CNRS) Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 13

Abel Gago : la volonté de rendre ce qui m’a été donné

ujourd’hui, Abel Gago est respon- sable du Pôle des formations Asupérieures pour les mandataires judiciaires pour la protection des majeurs à l’association ARFRIPS, et il est aussi particulièrement connu comme adjoint au maire de Lyon dans le 9e arrondissement, délégué à la Culture et à l’Education. Son histoire est celle d’un enfant d’im- migré espagnol : il avait 13 ans quand, en 1964, ses parents ont décidé de venir en France pour se faire une nouvelle vie et sortir de l’exclusion que subissait leur famille. Qu’avait fait ce père prétendument indigne ? Caporal dans l’armée, il avait accepté de «passer l’éponge» et de relâ- cher un gitan qui venait d’être arrêté pour un vol de. L’armée et les «autorités» ne l’ont pas entendu de cette oreille. Il a été exclu et interdit de fonction publique. Il a passé des années à survivre avec sa famille dans la ferme familiale et en donnant des cours (il était l’une des trois personnes, avec le curé et le maire, à savoir lire et écrire). Mais la vie étant trop difficile sur ces 8 hectares de cailloux, lui aussi a jeté l’éponge et a décidé de venir rejoindre des oncles installés au Creusot. Un père ouvrier et une mère femme de ménage, mais une même obsession : pous- ser les enfants à faire des études. Mais il a fallu deux rencontres. Celle d’un instituteur, Raymond Rochette, par ailleurs peintre naturaliste de la vie ouvrière au Creusot. C’est lui qui a proposé de prendre Abel Gago, adjoint au maire du 9e, félicite la mariée et parle avec les mains. en main le jeune Abel pour lui faire rat- traper les retards pendant les vacances : bac et après 68, Abel a pu constater que français ? Ces questions se sont d’abord les journées alternaient entre les leçons cette « tare », son physique, ses origines posées pour Abel Gago en termes de et les travaux à l’atelier de peinture. C’est étrangères, pouvait devenir un avantage, loyauté et de trahison. Abel aurait tant aussi ce directeur d’école, secrétaire à allumer des lumières dans les yeux de aimé voir écrit sur sa carte d’identité : la mairie du Creusot, qui a poussé Abel ses premières amours. nationalité franco-espagnole. Gago à poursuivre les études après le Il a osé revendiquer ses origines et s’est C’est finalement après son mariage avec brevet et à tenter le baccalauréat. mis à la poésie et à la littérature sud- Agnès et avant 1981 que notre ami Abel Il voulait faire instituteur, par fidélité à américaine (transmission de grands- Gago a voulu demander la nationalité ces «parrains» de bonne fortune, mais il parents, qui avaient tenté l’aventure française, sans oublier sa filiation espa- fallait être français pour entrer dans les pendant quelques années, l’un en gnole. Il voulait voter à l’élection prési- Écoles normales. Blessé de ne pas pouvoir Argentine, l’autre à Cuba). dentielle pour la gauche et pour François accomplir ce projet qui lui tenait tant à Nourri par ces ressources nouvelles, Abel Mitterrand. cœur, il tentera le bac technique pour décide qu’il pouvait rendre un peu de ce C’est toujours avec ce souci de servir les être sûr de pouvoir gagner rapidement qu’il avait reçu. Là encore, la rencontre autres qu’il s’est présenté avec Gérard sa vie et soulager ses parents. avec Alain Nesme, à l’Arc en Ciel, à Collomb sur la liste socialiste de son De ce premier parcours, Abel conserve Trévoux, va lui permettre de donner un arrondissement, à Lyon. Depuis 1995, il des souvenirs : l’impossibilité de nom de métier au sens qu’il voulait donner n’a cessé d’être un élu communal, au communiquer dans une nouvelle langue, à sa vie : éducateur spécialisé. Pour ce service des autres. les premières insultes envers les étrangers, métier, on ne lui demandait pas d’être Un prêté pour un rendu ? | la nécessité de cacher sa différence. français. Roger Benguigui La surprise a été grande quand, après le La nationalité française ? Devenir 14 | DOSSIER Arméniens : dans le moule d’une minorité invisible , porte de l’Orient. Dans le quartier de Saint-Loup, un des cent dix villages qui composent la ville, la colline prend racine à l’orée des maisons. Pour les habitants, des Arméniens majoritairement venus d’Anatolie, la ressemblance avec le pays d’origine est frappante. Seuls les moutons manquent dans ce paysage déjà dévoré par le siècle industriel.

e grand choc : le passeport de ces habitants déracinés de leur terre Lnatale par le génocide turc de 1915 porte la mention « Sans retour possible ». Ils viennent de passer du Moyen-âge au XXe siècle, avec pour seule transition les locaux aérés et lumineux des orphelinats américains qui leur ont sauvé la vie et les ont ancrés dans une religion puritaine qu’ils ne quitteront plus. Des protestants charitables leur ont cédé des parcelles de terrain, et le village est né, maison après maison, avec l’entraide et la solidarité propres à tous les groupes d’immigrés. Les premiers enfants, annonciateurs de la résurrection, ont commencé à peupler le village pour bientôt rejoindre l’école primaire, cependant que les pères trouvaient de l’embauche dans les usines de la vallée de l’Huveaune, avides de main d’œuvre. Cette école ! Qui pensait qu’elle serait le creuset d’une intégration que les sociologues qualifie- raient plus tard de parfaite. Il faut dire que les lieux gardaient le souvenir du jeune Marcel Pagnol, bientôt auréolé de la gloire de son père, qui y avait appris à lire et à écrire. Tous les occupants des bancs pouvaient donc être célèbres. Au fronton de l’école, gravé dans le ciment, trois mots. Parents, curés, pasteurs avaient chuchoté presque en secret qu’il ne s’agis- sait pas de simples mots, mais de concepts qui fabriquaient une civilisation, celle dans laquelle nous vivions et dont nous respirerions désormais l’air. Attirés par la simplicité des habitants, des Italiens ayant fui le fascisme s’étaient installés aux abords de la little Armenia. Nos pères partageaient les lopins de jardins ouvriers et s’échangeaient les légumes propres à chaque cuisine. Les mères se retrouvaient le jeudi autour du four du boulanger et comparaient les La cathédrale apostolique arménienne de Paris. vertus de la pizza avec viande et celle avec anchois. Déjà des riches et des pau- pouvaient, à 16 ans, trouver une place Ces instituteurs missionnaires avaient à vres, mais la même aune de travail pour d’apprenti dans l’usine. Il en a fallu des cœur la promotion au mérite de leurs fabriquer la pâte la plus fine possible heures de traductions acharnées pour élèves. Leurs musettes débordaient des afin de nourrir avec peu toute la parentèle. convaincre les parents qu’il fallait aller fameux concepts du fronton de l’école et La richesse des pères passait par une au lycée… Et pourquoi donc ne pas faire de la mairie qui enivraient nos parents, bonne conduite au travail : l’absence des études supérieures, devenir médecin, leur laissant entrevoir que c’en était fini d’engagement politique ou syndical professeur, avocat et même… expert des tourments et des fuites. Est-il utile de donnait la certitude que les grands garçons comptable ! dire que ces piliers de la République étaient Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 15

engagés au Parti communiste, et que leurs Dans ce paisible village, bâti autour de suivant, nos condisciples faisaient admirer leçons par l’exemple rempliraient des vies son église apostolique et de son temple leur stylo à plume et leur première montre. de droiture et de goût du savoir ? protestant, où, de l’épicier au coiffeur, Une montre. Même nos pères n’en pos- Dès 5 heures du soir, au sortir de l’école, tout le monde parlait arménien, se pro- sédaient pas ! Quant aux Italiens, ils les troupes de guerriers se formaient. Les duisit un cataclysme. La vieille dame, avaient la coutume d’arborer un brassard unes s’entendaient hurler : « Arménien, assise dans ses jupes et ses foulards noir lors de décès, signant leur identité. tête de chien, mange ta soupe et dis noirs, vendant des cacahuètes et des Autant de rituels qui nous manquaient plus rien. » Les autres : « Chiens des graines de courge salées, avait la répu- et nous confirmaient que nous n’avions quais, goinfre-toi de macaronis. » En tation de cacher sa fortune sous son pas de passé avouable, pas d’importance, commun dans ces invectives, le chien et matelas. Raison pour laquelle elle se et une histoire trop difficile à raconter. la nourriture. Mais c’est bien plus tard retrouva un matin la gorge tranchée. Dur de forger un homme sur du néant et que l’on analysera, derrière ces phrases La maréchaussée rattrapa vite l’assassin, sur l’impossible à transmettre aux autres enfantines lourdes, des notions de racisme et le fait divers sonna dans les familles ces secrets chuchotés dans le cercle de primaire, alors inconnues chez ces chères comme un couvre-feu. Quoi, un jeune famille. Certes, il y avait le jour sacré du têtes brunes. Le racisme, nous ne savions Arménien qui tue une Arménienne : le 24 avril, qui rappelait le point de départ pas ce que c’était, nous savions seulement crime de sang n’en était que plus horrible du génocide. Mais il était inconnu du qu’il ne fallait aimer ni les Turcs, ni les et servirait de leçon. Un jeudi matin, le plus grand nombre, et le terme lui-même fascistes. Peut-être les premiers rudiments village fut convoqué sur une esplanade n’était pas employé. Nous étions bien d’une transmission qui ne souffrait pas pour la reconstitution. Curé, pasteur, plus étranges qu’étrangers, venus d’un la discussion et qui n’était pas contredite instituteurs et nous tous, les enfants, pays qui n’existait pas, utilisant une par nos maîtres, toujours prompts à assemblés devant ce fourgon de police langue inconnue de tous. Mais le plus expliquer ce qui était bien et mal. Et nous d’où descendit Avédis, le visage barbouillé dur était la négation d’une réalité qui courions dans ces collines en nous de noir. Une terrible leçon d’instruction avait fait de nous des enfants qui n’auront déchirant les genoux tout en forgeant des civique que nous donnèrent en plein air jamais connu le froncement de sourcils camaraderies définitives. En classe, les nos notables, suivis de sermons en chaire d’un grand-père et la douceur d’une chefs de guerre faisaient rarement partie et d’illustrations devant le tableau noir. mère-grand. On comprend alors les tem- des élites. Ils se pliaient aux diktats des A nouveau, le bien et le mal en une leçon pêtes que suscitaient dans nos cerveaux premiers de la classe, qui épelaient les d’évidence. les récits de Delphine et Marinette, les mots et énonçaient les résultats des devoirs La notion de devoir permanent aurait pu rédactions qui demandaient de raconter de maths en arménien et en italien. La nous pousser à nous sentir citoyens de les dernières vacances chez les grands- petite poignée de Français de souche se seconde zone. Ce fut le contraire. L’hu- parents. Bien sûr nous étions jaloux, bien sentait bien seule face à ces garçons à la milité et une forme de pauvreté nous sûr nous nous confortions dans l’idée que solidarité naturelle, dont la seule richesse rendaient plus forts, à la recherche de le seul moyen de sortir de ce piège consis- consistait à parler deux langues. En fran- valeurs de l’esprit, comme le disaient les tait à être intelligents pour deux et surtout çais, il fallait dire à tout bout de champ : lettrés. C’est que nous n’avions pas de irréprochables, comme les instituteurs merci et excusez-moi, se faire invisible, repères. A chaque printemps, les petits nous l’avaient inculqué. Mais que de discret. Se couler dans le moule d’une Français avaient droit à la photo bien travail personnel pour que, finalement, minorité invisible, histoire de nous rappeler beige et dentelée du studio du quartier. nous soyons couronnés de la formule, en permanence que nous n’avions que Cheveux impeccablement coiffés, costume désormais consacrée, de « modèle des devoirs, pour les droits, nous appren- et brassard de communiants venaient d’intégration parfaitement réussi ». | drions bien plus tard. nous rappeler notre étrangeté. Et, le lundi Jean Kéhayan

LE DROIT LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE de vivre ABONNEMENT 30€ par an

Adressez vos chèques au Droit De Vivre, 42 rue du Louvre 75001 Paris 16 | DOSSIER Heureux comme un Juif en France ? « Un pays qui se déchire pour le sort d’un petit capitaine juif est un pays où il faut se dépêcher d’aller », expliquait le père d’Emmanuel Levinas à son fils, après l’affaire Dreyfus. Nombre de Juifs ont suivi ce conseil tout au long du vingtième siècle. Aujourd’hui, après les Etats-Unis, c’est en France que la diaspora juive est la plus nombreuse.

Le Droit de vivre : différences et les prérogatives quelles ont été les des derniers arrivants se font principales vagues jour. migratoires juives en France au cours Dans les années suivant du vingtième siècle ? la décolonisation, Régine Azria : Les principaux Juifs et musulmans afflux de migrants juifs ont arrivent en France commencé à la fin du XIXe siècle. en même temps Interrompus par la Première et en provenance Guerre mondiale, ils reprennent des mêmes pays. à l’entre-deux-guerres avec Les difficultés se sont l’arrivée de populations d’Eu- essentiellement rope de l’Est et d’Europe concentrées sur centrale, mais également des les populations Balkans et de l’ancien empire musulmanes. À quoi Ottoman. Quand la situation cela est-il dû ? politique se dégrade en Alle- A même contexte historique, magne et en Pologne dans les motifs différents. Les Juifs années 30, les Juifs d’Europe ont quitté l’Algérie dans une centrale pensent trouver refuge migration sans retour, alors que en France ; même si, pour les Algériens et ex-colonisés certains, la France constitue formaient une population une simple étape vers le Nou- masculine, de travail, qui ne veau Monde. Les nouvelles vagues pensait pas faire sa vie en France. migratoires surviennent en 1956, avec il était malvenu d’exprimer des sentiments La crise pétrolière des années 70 a para- la crise d’Egypte, la décolonisation du antijuifs. Malgré un antisémitisme latent, doxalement fixé ces travailleurs immigrés Maroc et de la Tunisie, et elles continuent difficile à mesurer puisque latent, il y a sur le territoire. Ils avaient des difficultés de façon massive en 1962, lors de l’indé- tout de même eu une prise de conscience : à trouver du travail en France, mais ils pendance de l’Algérie. ne pas aimer les Juifs, c’est une chose, en auraient eu aussi dans leur pays d’ori- accepter leur anéantissement, c’en est gine : leurs familles les ont alors rejoints Quelles ont été les difficultés une autre. Ainsi, en un siècle, nous dans de fort mauvaises conditions. Les d’intégration des derniers sommes passés en France de l’anti- enfants nés de cette immigration se sont arrivants juifs en France ? judaïsme religieux traditionnel à l’anti- ensuite trouvés dans un blocage d’inté- Classiquement, comme tout immigré, sémitisme racial et économique, puis à gration, confinés dans les périphéries dans un premier temps, le nouvel arrivant un antisionisme qui peut parfois se des grandes villes. Les Juifs, eux, citoyens doit remplir les démarches administratives confondre avec de l’antisémitisme. français avec les droits que cela implique, pour garantir le quotidien, avoir un emploi, ont eu le même destin que les pieds- un logement, scolariser les enfants. L’arrivée des populations noirs, c’est-à-dire une intégration qui Ensuite seulement vient le désir de sépharades dans ce que s’est faite, non sans difficultés, mais qui satisfaire des besoins identitaires. Cela l’on appelait encore la s’est faite. s’est fait à travers des institutions comme “métropole” s’est donc le FSJU (Fond social juif unifié), qui faite sans heurts ? Aujourd’hui, on évoque avaient déjà eu l’occasion de faire leurs Rétrospectivement, on a l’impression qu’il fréquemment la communauté preuves juste après la Deuxième Guerre n’y pas eu de problèmes. Pourtant, les juive. Ce vocable, qui mondiale, en prenant en main ces frictions et conflits ont bien existé quand sous-entend l’existence questions d’intégration et de réinsertion il a fallu que les Juifs ashkénazes, installés d’un groupe isolable de la sociale. en France depuis le début du siècle, majorité de la population, fassent de la place à des Sépharades qui ne masque-t-il pas malgré Les populations juives n’avaient ni la même façon de prier et de tout un déficit d’intégration ? s’installant pendant les vivre, ni les mêmes aspirations qu’eux. Si on mesure les itinéraires d’intégration Trente Glorieuses ont-elles C’est une constante de toutes les vagues des Juifs de France, on voit que leurs condi- rencontré des problèmes migratoires : les anciens accueillent les tions d’insertion ont été plutôt bonnes : les spécifiques liés à leur judéité ? nouveaux venus dans un grand mouve- enfants ont généralement fait de meilleures Après la récente découverte de l’immen- ment de solidarité, mais des difficultés études que leurs parents, ils participent à sité du massacre perpétré par les nazis, surviennent au quotidien quand les la vie du pays à tous les niveaux. Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 17

Le Consistoire, le Crif forment certes une qui est un milieu peu compromettant en l’antisémitisme ? Est-ce le fait d’un atta- communauté institutionnelle, mais elle termes de valeurs (on peut être un chement très fort à une forme d’identité n’est pas représentative de l’ensemble excellent informaticien sans qu’on vous juive collective qui trouve mieux à des Juifs. Un des critères d’intégration demande jamais de prendre position sur s’exprimer en Israël ? Est-ce pour des des Juifs en France, c’est justement la un problème social ou politique). raisons idéologiques plus larges, tenant désaffiliation : la fréquentation de ces Cette ostentation est soit un signe de du sionisme mystique plus que du institutions est devenue dérisoire par dés-intégration, soit un signe de sur- sionisme des premiers pionniers ? Il est rapport au nombre global de Juifs ; surtout intégration. En effet, ils peuvent affirmer difficile de faire un tri dans ces raisons si l’on sait qu’il existe des effets de deux choses par leur visibilité : soit le qui se mélangent dans l’esprit même de redondance : beaucoup sont membres rejet du pays dans lequel ils vivent, se ceux qui partent. Aujourd’hui, certains de plusieurs associations à la fois. regroupant dans certains quartiers où reviennent en France. Finalement, ce fut Jadis, la judéité englobait toutes les autres ils pratiquent l’entre-soi et instrumenta- surtout un événement médiatique. identités : on était juif en famille, au lisent tout ce que la France est capable travail, dans les associations... La judéité d’offrir en termes de prestations sociales, Le rapport à apparaissait par fusion de toutes ces d’équipements ; soit qu’ils se sentent Israël a-t-il pour identités partielles. Aujourd’hui, l’identité suffisamment bien intégrés dans ce pays corollaire un rejet n’est plus monolithique. On peut choisir pour faire valoir leur différence. C’est un de la France ? différentes manières de se présenter aux mode de pensée proche de celui en L’horizon de l’imaginaire juif a toujours autres, et on n’est pas que juif : on est vigueur aux Etats-Unis, qui ont intégré été balisé par cet ailleurs, Israël, à la fois juif par addition. leurs différentes populations en acceptant origine et but ultime, terre promise et le trait d’union : on est américain et on terre du retour. Israël est un lieu central Est-ce que cette intégration vient d’ailleurs, à condition toutefois de qui travaille l’imaginaire. Pourtant, le réussie des Juifs en France reconnaître un socle de valeurs communes réel matériel des Juifs demeure essen- ne s’est pas dégradée ? qui sont celles de l’Amérique. Le fameux tiellement dans l’ici et maintenant, en Que penser de l’attitude modèle d’intégration français s’effrite France, aux Etats-Unis, ou ailleurs. de repli des Juifs ultra- devant ce multiculturalisme naissant. orthodoxes ? On peut donc aujourd’hui Lorsque les Juifs sont arrivés d’Europe Les récentes Aliyah sont-elles affirmer : «heureux comme de l’Est, ils constituaient une minorité également un signe de cet un Juif en France» ? visible. Aujourd’hui, chez certains ultra- effritement ? La question se pose à peine ; nous orthodoxes, nous sommes face à une Hormis les pays où les Juifs ont été pous- sommes dans l’un des pays on l’on vit le visibilité reconstruite. Venus d’un milieu sés dehors par des mesures antisémites, mieux, même et y compris en tant que sécularisé, affirmant une identité par la France est la démocratie occidentale Juif! Par contre, en tant que citoyenne, réaction, ils ont repris des signes visibles où il y a, proportionnellement, eu le plus mon inquiétude va vers les groupes les de judéité pour les afficher ostensiblement. de départs. On estime qu’environ deux plus précarisés : les discriminations Ils sont très identifiables physiquement, mille Juifs, très majoritairement issus raciales, sociales, ne cessent d’augmenter. culturellement, géographiquement, et d’Afrique du Nord, ont gagné Israël C’est impardonnable dans un pays aussi même au niveau de certaines filières pendant la deuxième Intifada. S’agit-il riche que le nôtre. | professionnelles, comme l’informatique d’une réponse à un supposé retour de

Régine Azria Docteur en sociologie, chargée de recherche au Centre d’études interdisciplinaires d es faits religieux au sein de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste du fait diasporique e t des ritualités contemporaines, elle est l’auteur de nombreux articles et a publié, entre autres, « Le Judaïsme » (3e édition, La Découverte 2010) et « Le Dictionnaire des faits religieux » (en collaboration avec Danièle Hervieu- Léger, Puf, 2010) 18 | DOSSIER La Maison maternelle dans la Maison de France Les pères et mères sont venus de l’outre-mer : plateaux, Atlas, désert, montagnes hostiles, villages qui ne nourrissaient plus. Le fils, les fils partaient, «Mohamed suit Mohamed». Ils ne savaient «ni A ni B», malgré les écoles de la République coloniale. Leurs pères avaient fait la guerre, ils défendaient la liberté aux côtés des Africains, des Indochinois, dans l’armée d’Afrique, pour des pensions minuscules.

idonvilles à la périphérie des Avec « l’affaire du foulard », en 1989, la impératifs du « licite » et de « l’illicite » métropoles industrielles, cités de question des « héritières » est posée. Où du code islamique. Une association, Ni Btransit, HLM. On est déjà dans les se situent les filles ? Du côté de l’Islam ? putes Ni soumises, au nom provocateur années quatre-vingt. Les pères et mères Du côté des lumières ? (Les statistiques et efficace, est fondée. Elle travaille sans sont désormais des chibanis et des disent que les filles sont meilleures à relâche à travers toute la France. Quant chibanias, des vieux, grands-pères et l’école, à l’université, que leurs frères.) aux violences sporadiques, on peut sup- grands-mères. Ils seront enterrés dans Cependant, outre-mer, après les émeutes poser qu’elles disent que ces enfants-là les carrés musulmans des cimetières algériennes de 1988, la guerre déclenchée veulent aussi leur place dans ce pays, français. par les islamistes ensanglante l’Algérie. parce qu’ils n’ont pas d’autre pays. Il Et eux, les enfants, nés en France, élevés Ces années quatre-vingt-dix ont des faut les entendre. dans le pays d’accueil, instruits à l’école répercussions inattendues dans les cités Cependant, garçons et filles, avec ou française ? À la maison, la mère gouverne, et les quartiers des banlieues françaises. sans hijeb, prennent conscience qu’être transmet coutumes et traditions, citoyen, c’est être sujet autonome apprend les prières les plus sim- et désirant, un individu à part ples de l’islam, observe les entière qui n’est plus subor- rituels. Les pères et mères res- donné au clan familial et à ses tent invisibles, avec toujours le lois patriarcales. Ils jouissent rêve du pays natal, le retour… de cette liberté de penser, de Mais le retour n’aura jamais lieu. dire, de s’opposer, que récla- Comme les aînés de la guerre ment aujourd’hui leurs cousins d’indépendance, les enfants, cousines de l’autre rive, au prix fils et filles, se réclament des de leur vie. Enfants du Maghreb valeurs de la Révolution fran- et enfants de France, ils sont çaise. C’est la Marche à travers allés à la même école publique la France (une France inconnue), laïque, ils écoutent la même en 1983, pour l’égalité des musique, portent les mêmes droits… Garçons et filles mar- vêtements, consomment de la chent ensemble du sud au nord même façon les mêmes sites du pays jusqu’à l’Élysée, foulant Internet… Ils ont les mêmes jour et nuit la terre de France, aspirations : liberté, bien-être, ils s’approprient le pays de leur travail, loisirs, amours, création. naissance, de leur vie, de leur On les appelle aujourd’hui les mal-vie souvent. Ils sont les ac- « acteurs de la diversité ». Ils teurs de l’histoire de France. sont visibles dans la Maison de Ils s’émancipent, les filles en France, ils occupent la scène particulier, des prescriptions de française, ils l’exotisent ? la Maison maternelle. Les filles Comédiens et comédiennes, sont sur les routes avec les gar- humoristes, chanteuses et çons, libres de crier et de chanter. rappeurs…, ils occupent les À ce moment-là, pas de revendications Des jeunes filles se mettent à porter le écrans, cinéma, télévision, on les entend religieuses. hijeb, de plus en plus nombreuses, elles à la radio. Ils ne sont jamais dans le déni Les « héritiers » mènent un travail de organisent des manifestations dans les des pères et mères. mémoire sur l’histoire des pères et mères rues parisiennes, encadrées par leurs Victor Ségalen parlait de « l’esthétique des deux côtés de la mer : la guerre frères, pour la liberté de porter le foulard. du divers ». | d’indépendance, le 17 octobre 1961, le statut Elles crient : « Nous sommes musulmanes Leïla Sebbar des harkis et de leurs enfants, en France et françaises ! » Certaines apprennent écrivain et en Algérie, leurs ancêtres dans les deux l’arabe pour comprendre le Coran et guerres mondiales… La liberté de pensée l’islam. (Derniers titres publiés : et d’expression dans la Maison de France Cependant, des jeunes filles musulmanes « L’Arabe comme un chant secret » (Bleu permet ce travail critique de recherche, sont agressées par les garçons des cités. autour) ; « Mon Cher Fils » (Elyzad) ; « Une permet aussi des manifestations politiques. Les tenues, les gestes, les paroles de ces femme à sa fenêtre », dessins de Sébastien Jusqu’où peut aller cette liberté ? jeunes musulmanes n’observent pas les Pignon (Al Manar-Alain Gorius.)

20 | DOSSIER Regards croisés sur les logements sociaux Bien évidemment, le logement est un facteur d’insertion essentiel. Deux acteurs de premier plan en région Rhône-Alpes nous livrent leur vision de l’un des services publics les plus problématiques, bien souvent pointé du doigt par ceux qui parlent d’échec de l’intégration. © Habitat. Lyon Grand HLM de la Darnaise, aux Minguettes, à Vénissieux.

ue l’on parle de mixité, de brassage Deschamps, président de Lyon Grand comme Vaulx-en-Velin ou Vénissieux, ou de diversité sociale, la question Habitat (2), « il ne faut pas pour autant comptent plus de 50% de logements Qdu peuplement des logements masquer les réalités et les problèmes sociaux attribués à des populations sociaux fait débat et alimente les polé- derrière son petit doigt. La crise a fait pauvres, précaires, et, il est vrai, souvent miques. En 2009, l’Opac (1) de Saint- exploser le nombre de situations d’ex- d’origine étrangère. (4) » Etienne s’est vu condamné en justice trême urgence, mais aussi les demandes Pour Aïcha Mouhaddab, directrice de pour fichage ethnique et pratiques émanant de familles pour lesquelles le l’Arra (5) Rhônes-Alpes : « En matière de discriminatoires dans l’attribution de privé est devenu beaucoup trop cher. logement social, cette question des logements selon une grille renseignée Actuellement, on évalue regroupements ethniques (Asie, Maghreb, Afrique) qui tentait de à 70% le nombre de n’est pas la question et répartir plus harmonieusement l’occupa- foyers français qui pour- Nous avons une n’intervient jamais au tion territoriale. Pourtant d’après Yvon raient rentrer dans nos responsabilité moment d’une attribu- critères d’attribution. Il y collective sur tion. D’ailleurs, cette a dix ans, nous avions “ affaire de Saint-Etienne 2000 demandes. Nous en ce que nous nous a incités à mener traitons plus de 12000 disons sur les une campagne de sensi- aujourd’hui, et de deux quartiers et bilisation et de formation ans, on est passé à cinq des administrateurs, afin ans d’attente. Inverse- sur l’image de coordonner une poli- ment et pour les mêmes que nous leur tique de répartition raisons, le nombre de renvoyons.” transparente et efficace. partants a diminué, et la De toute façon, choisir, chaîne résidentielle qui c’est toujours un peu permettait à une famille d’évoluer sur discriminer. Nous tentons de le faire sur l’échelle des catégories de logements des critères objectifs, qui reposent sur est rompue. Ainsi, en dépit de nos efforts une connaissance détaillée des dossiers et de nos investissements massifs, la des demandeurs et une analyse objective concentration des plus pauvres ne fait de notre parc constamment renseigné que s’amplifier dans les ensembles où par les intervenants sociaux et adminis- les loyers sont les plus modérés (3). tratifs sur le terrain. L’image des cités a Certaines cités, voire certaines villes beaucoup de mal à évoluer dans les Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 21

esprits, et quand l’une d’entre elle flambe, ce sont des années de travail qui partent en fumée. Nous avons une responsabilité collective sur ce que nous disons et écrivons sur les quartiers et sur l’image que nous leur renvoyons. Toute la complexité réside dans l’équilibre à trouver entre ce que nous savons d’une réalité sociale complexe mais riche, et le respect des garanties de mixité, de tranquillité et de sécurité que, par contrat, nous devons à tous nos bailleurs. Le marché immobilier est plus tendu que jamais et il est capital d’y retrouver une fluidité. Nous gérons environ 420000 lo- gements et avons une production de 12000 à 13000 nouveaux logements agrées par l’État, qui par ailleurs nous incite à trouver de nouvelles solutions de financements. L’accession sociale à la propriété nous permet actuellement de promouvoir un parc mixte où voisinent logements du privé, propriétaires et locataires sociaux. » Sur cette question, Yvon Deschamps est plus réservé : « Je m’interroge sur les conséquences à long terme des endette- ments pour certaines familles nullement à l’abri d’une soudaine précarisation. Leurs enfants devront-ils encore payer trente ans après ? Certains biens seront-ils ra- chetés par des marchands de sommeil aux aguets, qui n’hésiteront pas à y empiler plusieurs familles ? Dans tous les cas, ce qu’il faut vraiment à la politique du loge- ment, c’est qu’en France, nous donnions du travail. Depuis 2009, nous avons triplé nos investissements en empruntant à long terme, en profitant des taux d’intérêts bas parce que l’Etat ne joue plus le jeu du locatif avec nous et diminue ses aides. Construire des HLM, ce n’est pas seule- ment l’espoir de donner un toit à tous,

c’est aussi des grands chantiers, d’énormes © Habitat. Lyon Grand commandes… et des fiches de paye. » | Onze tours réhabilitées, isolation renforcée, panneaux photovoltaïques Marie-Pia Garnier et solaires aux Minguettes.

(1) Opac Saint-Etienne : Office public d’aménagement et de construction actuellement rebaptisée Métropole Habitat. (2) Grand Lyon Habitat : Opac créé en 1920. Soutenez les actions de la Licra Il gère 24047 logements, 6220 garages et parkings, 535 locaux commerciaux et bureaux, 301 jeux d’enfants, 4500 arbres, 150 espaces verts, 240000m2 de pelouse En participant aux actions.. sur une vingtaine de communes.  (3) Il y a trois catégories de HLM correspondant à des revenus. (4) En France, le droit au logement est opposable  En adhérant à la Licra. par la loi. L’Etat est contraint de prélever un contingent lourd de réservations d’urgence qui, indirectement, favorise les En adressant un don à la Licra. regroupements et aggrave la ségrégation. www.licra.org  (5) Arra : Association régionale des organismes [email protected] HLM Rhône-Alpes. Créée en 1975, elle est 01 45 08 08 08 présente dans les 8 départements et regroupe les 84 organismes d’habitat social. 22 | DOSSIER

L’intégration à l’école et la laïcité au cœur des analyses du Haut Conseil à l’Intégration (HCI)

e 28 janvier dernier, le Haut Conseil à Ll’Intégration a été reçu par le Premier minis- tre, pour une remise offi- cielle de son avis intitulé « Relever les défis de l’intégration à l’école ». Depuis sa création, le HCI n’avait jamais été saisi d’un avis sur l’école, et je tenais particulièrement à ce que cet oubli soit corrigé, tant une analyse de l’articula- tion école/intégration est indispensable. L’immigration récente est singulière par l’importance des flux de l’immigration familiale et le principe du droit du sol en termes d’accession à la nationalité française. De ce fait, l’école est un espace fondamental de l’intégration. Par son histoire, son ancrage territorial exceptionnel et ses missions tant éducatives que civiques, immigrés sont les premiers exposés à l’association des parents aux missions l’école républicaine est un espace ces difficultés, ce qui entrave le parcours de l’école, l’importance de l’apprentissage démocratique unique, où les nouvelles d’intégration d’un grand nombre d’entre de la langue française, la transmission générations apprennent à vivre en col- eux. La transmission des fondements de du patrimoine et des valeurs communes, lectivité, s’instruisent ensemble, partagent la culture républicaine, démocratique et un meilleur suivi des actions déployées une langue et une histoire communes. laïque pose problème auprès de certains en périscolaire, la mise en action de Pour qu’ils finissent par «former nation», publics scolaires — élèves comme toutes les forces politiques et citoyennes l’école doit faire adhérer les élèves de parents —, qui ne se reconnaissent pas pour rompre l’enfermement ségrégatif toutes origines sociales ou culturelles, dans certaines valeurs, voire affichent des Zones urbaines sensibles, enfin, la aux valeurs fondamentales de la fièrement leur soutien à des «valeurs» réaffirmation intangible du principe de République : liberté, égalité, fraternité, contraires, au nom d’une croyance laïcité à l’école. laïcité. religieuse. Un exemple précis de recommandation, Les élèves primo-arrivants et les élèves Notre avis ne met à jour aucun phénomène celui concernant les Elco (Enseignement nés de parents immigrés ont des profils nouveau. Je dirai hélas, car cela démontre des langues et cultures d’origine). Créé singuliers, qui obligent à une attention qu’en dépit du constat émis par des té- en 1975 dans le cadre de la politique de particulière quant à leur intégration sociale moignages et études publiées au cours regroupement familial, les Elco concernent et culturelle. L’école publique laïque est de la décennie, rien de décisif n’a été en- aujourd’hui près de 82000 élèves, et les un espace d’intégration sociale singulier : trepris pour soustraire l’école, dans cer- effectifs augmentent, en particulier pour proche de ses «usagers» d’un point de tains quartiers populaires, aux tensions les Elco algérienne et turque (en primaire). vue géographique, profondément démo- ethnoculturelles et au communautarisme. La mission actuelle des Elco est de faire cratique et égalitaire dans l’accueil des Les demandes d’aménagements de dif- découvrir et valoriser une culture d’origine élèves et, enfin, par la transmission des férentes natures pour tenir compte de lointaine à un élève, à la demande de sa savoirs et des valeurs, l’école permet pratiques religieuses ou supposées telles famille. Les enseignants sont des ressor- l’insertion sociale et citoyenne. Or, nous continuent, voire s’aggravent, touchant tissants du pays d’origine, et tout le constatons que ces trois éléments inter- la maternelle. monde s’accorde à reconnaître que les dépendants sont mis en cause. Les autorités politiques en charge de ces contenus et objets d’enseignement ne Notre avis montre que la dimension questions doivent afficher et conduire une sont ni expertisés ni évalués par nos culturelle de l’intégration est interpellée vraie volonté politique pour que l’école autorités académiques comme ils le à l’école dans la mesure où la maîtrise puisse relever les défis migratoire, social devraient pour garantir l’intégration de de la langue, source d’une identité et de et culturel que la mondialisation a induits. ces élèves majoritairement nés en France. valeurs partagées, connaît de grandes Nous avons formulé cinquante recomman- Ainsi, les Elco participent d’un difficultés. Les élèves comme les parents dations sur des points essentiels : renforcement du communautarisme, du Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 23

fait d’objectifs peu clairs et quasiment (chercheurs, journalistes, enseignants, pratiquants intégristes. L’objectif de nos pas contrôlés. C’est pourquoi le HCI a responsables associatifs), pour explorer travaux était clair : conforter le principe proposé la suppression des Elco et collectivement le rapport complexe entre et la pratique de la laïcité dans les espaces l’insertion dans le secondaire de l’ensei- religions et République. publics, afin de pacifier les lieux de vie gnement des langues d’origine comme Depuis la fin des années 1990, la question commune. Parmi les douze recomman- langues vivantes étrangères. de l’expression religieuse dans l’espace dations adressées au Premier ministre, Les recommandations formulées par le public se pose avec gravité. Nombre de plusieurs sont de nature législative. Elles Haut Conseil à l’Intégration constituent commissions ou d’ouvrages ont tenté concernent les services publics, mais un appel à l’action. L’analyse a été faite d’apporter des réponses, parfois parcel- aussi les entreprises privées puisque, et, en certains lieux de la République, le laires. Régulièrement, le débat revient à par exemple, nous élargissons une constat est proche du tragique. La crise la Une et passionne, car la laïcité est une proposition de la Commission Stasi (2003) économique et la paupérisation de valeur fondamentale pour les Français, concernant l’insertion, dans les règlements certaines populations ne viennent que qui y voient un prin- inté rieurs des entre- l’aggraver. Une politique interministérielle cipe et une pratique prises volontaires, de volontaire et lisible doit accompagner de pacification so- Les Elco participent dispositions relatives l’école républicaine pour réussir l’inté- ciale. La contester, la d’un renforcement aux tenues vestimen- gration sociale et culturelle de tous ses bafouer, c’est affirmer taires et aux élèves, et en particulier des élèves immi- son refus de notre tra- “ du communautarisme modalités de la pra- grés ou issus des immigrations récentes, dition démocratique, du fait d’objectifs tique religieuse. Nos sans quoi nous aurons à gérer, d’ici à dix en particulier de la peu clairs et recommandations in- ans, des situations autrement plus graves mixité et de l’égalité sistent enfin sur la que des émeutes de quartier sporadiques. entre les hommes et quasiment pas nécessité d’une véri- En avril 2010, le président de la République les femmes. Le HCI contrôlés. table pédagogie de a donné mission au HCI de réfléchir « de tenait aussi à parti- C’est pourquoi la laïcité, tant auprès façon approfondie » sur la laïcité. J’ai ciper au débat public des agents du service donc chargé Alain Seksig d’animer le pour écarter les le HCI a proposé public que des usa- Comité de réflexion et de propositions extrémistes de tout leur suppression.” gers. sur la laïcité, qui rassemble depuis dé- bord qui savent s’em- Le HCI finalise ac- cembre 2010 des personnalités expertes parer de ce sujet pour tuellement un avis autour de sujets sensibles comme la laïcité exacerber les passions afin que rien ne majeur (qui sera remis dans les prochaines dans l’entreprise et à l’université. La de- change, ni ne s’apaise. semaines au Premier ministre) sur le mande du président de la République fai- A l’issue de plusieurs mois de consultation bilan de la politique d’intégration depuis sait suite à la publication de nos Recom- de son groupe d’experts, le HCI a formulé vingt ans. Par-delà le bilan, notre rapport mandations relatives à l’expression douze recommandations (consultables trace des perspectives pour l’avenir et religieuse dans les espaces publics, sur www.hci.gouv.fr). Devant la gravité formule de nombreuses propositions pour remises en mars 2010. des difficultés, nous avons enjoint les remettre l’intégration au cœur des Au cours de l’année 2009, la focalisation pouvoirs publics de s’emparer avec politiques publiques, tant le processus du débat médiatique et public sur la détermination de la question de l’expres- d’intégration des immigrés s’est dégradé question du voile intégral avait conduit sion religieuse dans les espaces publics. depuis 1989, et ce, en dépit des nouvelles le HCI à s’autosaisir du thème de la sur- Nous avons ainsi distingué espace public politiques instaurées depuis dix ans. | visibilité du religieux dans l’espace public. (services publics) et espace civil (un lieu Nous avions voulu conduire une réflexion partagé sous le regard d’autrui, comme Patrick Gaubert globale prenant de la hauteur sur les le domaine public de circulation ou les Président du HCI, évènements conjonc turels. J’avais donc entreprises privées ouvertes au public), Président d’honneur rassemblé des experts de tous horizons tous deux étant soumis aux pressions de de la Licra

Le Haut Conseil à l’Intégration Le Haut Conseil à l’Intégration a été créé par décret du (par naturalisation ou acquisition). Chaque année, plus de président de la République, à l’initiative du Premier ministre, 180000 étrangers sont autorisés à s’installer durablement M. Michel Rocard, le 19 décembre 1989. Le HCI est une en France. Tranquillement, nombre d’immigrés s’installent instance de conseil placée auprès du Premier ministre, en France, en adoptent le mode vie et les valeurs, en font que j’ai l’honneur de présider depuis novembre 2008. leur patrie tout en gardant dans leur cœur un attachement Par ses rapports et ses avis, le HCI est à l’origine de au pays qui les a vus naître. Ces immigrés méritent que nombreuses mesures prises par les gouvernements l’Etat les aide à faire ce chemin qui n’est pas toujours simple successifs sur les questions liées à l’intégration des pour s’intégrer socialement, économiquement et immigrés et des personnes issues de l’immigration. culturellement dans leur nouveau pays : la France. Il faut L’intégration dans une société est un phénomène progressif. notamment pour cela s’assurer de l’adhésion aux valeurs Elle concerne aujourd’hui, en France, 11 millions de qui fondent le pacte républicain, notamment la laïcité et personnes, dont 8 ont la nationalité française l’égalité h omme-femme. | 24 | DOSSIER 3 questions à Malika Sorel* Essayiste auteur de l’ouvrage « Le Puzzle de l’intégration », paru en 2007, et membre du Haut Conseil à l’Intégration (HCI), Malika Sorel pose un regard sur l’intégration et sur les débats que suscite cette question.

leur processus d’intégration : « La France duquel la Halde traite systématiquement demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie ce sujet : « L’ignorance des codes sociaux dont je ne saurais déraciner mon cœur. et culturels au travail est l’obstacle le J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa plus évident à l’embauche. Au lieu de culture. J’ai fait mien son passé, je ne crier immédiatement au racisme, il serait respire bien que sous son ciel, et je me préférable non pas de raisonner en termes suis efforcé, à mon tour, de la défendre de catégories de populations, mais en de mon mieux. » termes d’analyse de situations. » La lutte L’intégration est une décision purement contre les discriminations, telle qu’elle individuelle, mais elle est soumise à est aujourd’hui conduite par la Halde et l’appréciation de la communauté à laquelle par de nombreuses associations, divise on souhaite être intégré. Tant que le le corps social de notre pays en dressant postulant ne paraît pas, aux yeux du peu- des catégories de personnes les unes ple français, comme porteur de ses valeurs, contre les autres. Cette attitude injecte celles qui constituent son noyau identitaire, haine et ressentiment dans le cœur des il n’est ni reconnu, ni coopté, ni adopté jeunes de l’immigration. Il ne faut pas comme Français par les Français. venir s’étonner ensuite si certains parmi eux retournent leur violence contre les Vous déclariez dans la revue Français de souche européenne. Il y a « Le Débat », en 2008, que urgence dans la prise de conscience sur le problème de l’intégration ce point, dans l’intérêt même du maintien n’est pas économique de la paix dans notre société. Comment vous positionnez- mais d’ordre éducatif, Ériger systématiquement en victimes vous dans le débat culturel et identitaire. potentielles de discriminations les mem- assimilation/intégration ? Les difficultés de l’État à bres des populations d’origine immigrée Pour bien comprendre ce qui se produit résorber les inégalités est d’autre part contre-productif, car cela aujourd’hui, il convient d’ajouter le terme sociales et à lutter contre leur laisse à penser que c’est à la société «insertion». L’insertion dans une société les discriminations ne sont- française de construire l’avenir de leurs répond à l’obligation d’en respecter les elles pas les premiers enfants. Comment espérer alors que ces règles du bien-vivre ensemble. Ces règles facteurs d’une intégration familles établissent une quelconque sont toujours le résultat d’un processus qui serait en panne ? relation entre l’effort qu’exige toute réus- culturel et politique. Leur respect s’impose Oui, je maintiens ce que j’ai dit, et qui se site dans la société française, et leur à chacun, quel que soit son propre héri- vérifie chaque jour davantage. Il suffisait, niveau d’investissement dans le projet tage, le legs ancestral qu’évoquait Ernest pour le comprendre, de se remémorer la éducatif de leurs enfants ? Renan. situation sociale très précaire dans L’intégration à une communauté nationale, laquelle se trouvaient plongés les migrants De par les débats, hier c’est tout autre chose. C’est un choix des précédentes vagues d’immigration. sur l’identité nationale, purement personnel, qui Pourtant, les élites po- aujourd’hui sur l’Islam, consiste à vouloir s’ins- litiques n’ont eu de cesse n’y-a-t-il pas actuellement, crire dans l’arbre généa- L’intégration de tout résumer à cette dans notre société, une logique du peuple est une décision pièce économique, et ont sérieuse crispation autour d’accueil. Cela se traduit purement négligé de transmettre du sujet de l’intégration ? concrètement par la “ les clés et les codes de Ce ne sont pas les débats qui ont engendré transmission, à ses individuelle, la réussite dans la les crispations, mais leur absence. C’est propres descendants, mais elle est société française. Le d’avoir refusé de débattre, et refusé de des fondamentaux qui modèle d’intégration à prendre en compte les alertes qui composent le noyau soumise à la française n’est pas en remontaient continuellement du terrain, identitaire du peuple l’appréciation de panne. Il n’a, le plus qui a conduit à cette crispation. Sur ce d’accueil. L’intégration la communauté souvent, jamais été mis sujet, il y a véritable divorce entre les est un long processus, en œuvre pour l’immi- élites et le peuple. Ce divorce est porteur souvent douloureux, qui à laquelle on gration extra-europé - de très graves dangers pour notre démo- conduit, lorsqu’il réussit, souhaite être enne. cratie elle-même. | à l’assimilation. Dans intégré.” Suite aux travaux qu’elle « L’Etrange Défaite », a menés sur cette ques- * Essayiste, auteur de l’ouvrage « Le l’historien et résistant tion, la sociologue Jac- Puzzle de l’intégration », paru en 2007 Marc Bloch a su merveilleusement résumer queline Costa-Lascoux remet en cause (éditions Mille et une nuits), et membre ce que ressentent ceux qui réussissent le prisme des discriminations au travers du Haut Conseil à l’Intégration (HCI). Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 25

Intégration et langue : marquer son identité n’est pas refuser sa nationalité L’intégration linguistique des jeunes des cités d’origine étrangère fait débat. Quelles en sont les données ? Rappelons en premier lieu qu’il ne s’agit pas de considérer comme des données indépendantes l’appartenance à un groupe social et les comportements langagiers liés à la fonction identitaire du langage. En effet, une telle appartenance est aussi construite à travers les actes de langage, qui sont de véritables actes d’identité ; ils correspondent à un processus comprenant à la fois un mouvement d’identification (appartenance à un groupe) et un autre d’identisation (affirmation d’une spécificité).

es jeunes des cités françaises, mais aussi les moins jeunes, qu’ils soient Lou non issus de l’immigration, construisent leur identité selon un tel processus dynamique double, qui leur permet à la fois de marquer leur apparte- nance à un groupe, en l’occurrence au groupe de pairs, et d’affirmer leur spéci- ficité, leur différence par rapport aux autres, à ceux qui sont extérieurs au monde des cités, et de manière plus générale par rapport à la communauté nationale. Pour pouvoir construire leur identité, les jeunes issus de l’immigration, quant à eux, se positionnent en plus par rapport aux deux pôles identitaires de référence que sont, pour eux, le pays d’origine de leurs parents et la France, le pays d’accueil, ce positionnement variant d’ailleurs selon les individus et leur âge. Lors des événements de novembre 2005, « les jeunes émeutiers, largement issus de l’immigration, sont avant tout venus signifier leur déception et leurs frustra- tions de vivre dans un pays qui leur réseaux de pairs, de moyens de commu- apparaît dès la fin des années 1970 (fin des promet la liberté, l’égalité et la fraternité, nication linguistique qui sont autant de Trente Glorieuses), est la revendication mais qui, de fait, leur laisse subir le marchés francs, « des espaces propres d’une identité spécifique à travers diffé- racisme, les discriminations, l’exclusion aux classes dominées, repaires ou refuges rents vecteurs, tels la musique (rap), la sociale, le chômage mas- des exclus dont les danse (hip-hop), les vêtements, des sif, la ghettoïsation dans dominants sont de fait graphismes «banlieue» (tags, grafs), mais les quartiers de reléga- Dans l’univers exclus, au moins symbo- aussi au travers de pratiques langagières tion » (Wieviorka, 2011, des cités liquement » (Bourdieu, discursives propres, qui font une large p. 132) (1). La déception, cette créativité 1983, 103) (2). Dès lors se utilisation de divers procédés de verlani- “ sation du lexique (Bachmann & Basier, les frustrations des jeunes, met en place une contre- mais aussi des moins lexicale intense légiti mité linguistique, qui 1984 ; Goudaillier, 1997, éd. 2001, p. 24- jeunes, n’ont fait que renforce se manifeste dans un 26) (3), de particularités phonétiques s’amplifier ces cinq l’identité registre de langue inter- spécifiques et d’emprunts aux langues dernières années, plus stitiel et s’affirme dans de l’immigration. Dans l’univers des cités, particulièrement au sein des groupes les limites de ces marchés cette créativité lexicale intense renforce de la population d’origine de pairs et francs, en même temps l’identité des groupes de pairs et en immigrée, ceci malgré le en maintient qu’une culture intersti- maintient la cohésion. Le registre de désir d’intégration — et cielle se développe entre langue interstitiel est devenu, au fil des non d’assimilation — de la cohésion.” tours et barres des cités, années, une véritable interlangue, qui celle-ci. Du fait de la à la périphérie des grandes émerge entre le français véhiculaire violence sociale exercée, entre autres, villes, ou des quartiers au sein même dominant et l’immense variété des sur cette population, et de la violence des villes parmi les jeunes issus de vernaculaires qui compose la mosaïque réactive qu’elle renvoie à son tour, on l’immigration. La principale manifestation linguistique des cités : arabe maghrébin, constate l’émergence, au sein même des de cette culture de l’«interstice», qui berbère, langues africaines et asiatiques, 26 | DOSSIER

Intégration et langue : marquer son identité n’est pas refuser sa nationalité (suite) langues de type tzigane, créoles des Dom- personnes issues de l’immigration / Fran- circulante, socialement légitimée, et un Tom, turc, pour ne citer que ces langues çais “de souche” ; Maghrébins / Africains / certain nombre de parlers non légitimés, ou parlers. Cette interlangue comporte Antillais / Asiatiques, etc. ; strates d’im- entre autres ceux connus des personnes des séries entières de termes et d’ex- migration plus anciennes / plus récentes), issues de l’immigration. Par instillation pressions d’origine étrangère, qui sont mais aussi par rapport à l’extérieur de la dans le système linguistique dominant autant de preuves de l’existence d’un cité, du quartier où l’on réside. Les jeunes (français normé) de traits spécifiques brassage linguistique quotidien. Mais issus de l’immigration, pour grand nombre provenant du niveau identitaire lié à la elle incorpore aussi, ne l’oublions pas, d’entre eux, tiennent ainsi à se distinguer, culture d’origine, se met en place une des formes linguistiques issues des d’un point de vue social, de ceux qui ont diglossie (utilisation dans une société de français régionaux, du français populaire un mode de socialisation lié au travail, deux systèmes linguistiques, dont l’un a et de l’argot traditionnel. Ce registre alors qu’eux-mêmes se sentent exclus un statut supérieur par rapport à l’autre), insterstitiel, que l’on nomme français du monde du travail et marginalisés. Par qui est bien la manifestation langagière contemporain des cités (Goudaillier, ailleurs, la langue d’origine revêt une d’une révolte avant tout sociale (Gou- 1997) (4), permet à la plupart des locuteurs valeur symbolique très importante, même daillier, 2001, 8) et d’un refus de la langue le pratiquant d’affirmer une identité si « … cette représentation “lignagière” des dominants (Goudaillier, 2007, 122) (6). linguistique forte (« le français, c’est une de la langue d’ori gine ne va pas obliga- L’environnement socio-économique im- langue, c’est pas la mienne ») par rapport toirement de pair avec un usage intensif médiat des cités, vécu au quotidien, est au français normé, celui de l’école, elle- de cette langue, ni même sa connais- défavorable et, parallèlement à la fracture même corrélée à leur identité ethnique, sance » (Louise Dabène et Jacqueline sociale, une autre fracture est apparue, en faisant un emploi important de mots Billiez, 1987, 65) (5). Les formes linguis- la fracture linguistique. Cette dernière empruntés aux langues de leurs cultures tiques relevées en français contemporain fracture peut inquiéter, car elle pose la d’origine. Ceci s’opère non seulement de des cités font de celui-ci un niveau de question de l’intégration linguistique des manière intercommunautaire (étrangers, langue interstitiel entre la langue française jeunes des cités d’origine étrangère, donc Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 27

de leur intégration tout court. un registre de la langue française, qui - « Pourquoi vous en avez marre ? » Comme toujours, c’est une question de fonctionne d’un point de vue syntaxique - « Parce que c’est la banlieue, ici... » point de vue. Certes, « ...les jeunes s’iden- et morphologique, comme tout autre (Élève d’origine maghrébine du groupe tifient dans ce mode d’expression... c’est registre régional, sociolectal, etc. Son scolaire Jean Jaurès, Pantin) (Journal un truc bien à eux, ils se retrouvent lexique n’est pas uniquement constitué Télévisé 20 h, TF1, 14 février 1996). dedans », comme le dit Ali Ibrahima, du de termes étrangers, puisqu’il convient groupe de rap B-Vice, lorsqu’il parle de la de rappeler qu’il comporte aussi des formes Marquer son identité, sa différence, n’est langue de La Savine, un quartier situé au linguistiques issues des français régionaux, pas pour autant, dans un tel cas, refuser nord de Marseille) (La Grande Famille, du français populaire et de l’argot tradi- son appartenance, sa nationalité, ce dont Canal+, 24 janvier 1996), et un tel tionnel, voire de l’ancien français : ainsi, témoigne la majeure partie des entretiens témoignage laisse à penser que ceci n’est le mot maille, qui désigne actuellement effectués lors d’enquêtes de terrain. Il y que la manifestation d’un repli commu- l’argent, remonte au XIIe siècle (pièce de est beaucoup plus question d’une identité nautaire, d’un communautarisme tant dé- peu de valeur, d’un demi-denier), et a sociale revendiquée haut et fort, et non crié. On peut aussi s’inquiéter de la pré- remplacé, entre autres, thune (verlan pas de la recherche d’une identité sence d’un nombre important — trop im- neutu). Par ailleurs, le registre du français ethnique, ce qui est la conséquence de portant aux yeux de certains — de mots contemporain des cités est à considérer ce que nos cités et quartiers, au cours d’origine étrangère en français contem- dans le cadre de la diglossie rappelée des trois dernières décennies, sont deve- porain des cités, puisque les jeunes des plus haut, puisqu’il est utilisé dans le nus dans bien des cas de vastes zones cités, qu’ils soient ou non issus de réseau de pairs, la communication en de relégation, car « la crise économique l’immigration, connaissent effectivement dehors de ce réseau s’effectuant avec l’uti- s’avérant durable », les politiques suivies « tous un peu de mots de tout le monde », lisation de divers autres registres : français et les contrats d’agglomérations créés et parlent « en français, avec des mots oral de type populaire, régional, voire n’empêchent pas que « le chômage rebeus, créoles, africains, portugais, ritals normé. Le registre de l’interstice sert avant croissant contribue à faire » de la ou yougoslaves », comme le rappelle Raja tout à exprimer une révolte sociale, comme concentration des immigrés dans des (21 ans), tout en précisant : « Blacks, le montre l’échange verbal suivant entre cités HLM dégradées, « une relégation Gaulois, Chinois et Arabes, on a tous un jeune de cité et un journaliste : à la fois sociale et spatiale » (Patrick vécu ensemble » (Décugis et Zemouri, - « On en a marre de parler français Weil, 2005, p. 56) (8). | 1995, p.104) (7). Certes, mais il s’agit de ne normal… comme les riches… les petits Jean-Pierre Goudaillier pas oublier que le parler intersticiel est bourges... » linguiste

(1)Wieviorka Michel, « Pour la prochaine gauche », Paris, Laffont, 2011, 292 p. (2)Bourdieu Pierre, « Vous avez dit “populaire” », « Actes de la recherche en sciences sociales », Paris, Minuit, 1983, nº46, 98-105. Bourdieu Pierre, « Ce que parler veut dire - L’Economie des échanges linguistiques », Paris, Fayard, 1984 (1re édition 1982),p. 243 (3)Bachmann Christian et Basier Luc, « Le Verlan : argot d’école ou langue des keums ? », in «Mots » n°8, 1984, pp. 169-187. (4)Goudaillier Jean-Pierre, « Comment tu tchatches ! – Dictionnaire du français contemporain des cités », Paris, Maisonneuve et Larose, 2001 (1re éd. : 1997), p. 305. (5)Dabène, Louise et Billiez, Jacqueline (1987) : « Le parler des jeunes issus de l’immigration », in, Vermès, Geneviève et Boutet, Josiane (éds) : « France, pays multilingue ». Paris, L’Harmattan, tome II, p. 62-77. (6)Goudaillier Jean-Pierre, « Les mots de l’immigration en français contemporain des cités (FCC), Dictionnaire de l’immigration », Larousse, 2011 (à paraître). (7)Lire aussi : Bordet Joëlle, « Oui à une société avec les jeunes des cités ! Sortir de la spirale sécuritaire », Les Éditions de l’Atelier, 2007, p. 207. (7)Décugis Jean-Michel et Zemouri Aziz, « Paroles de banlieues », Paris, Plon, 1995. (8)Weil Patrick, « La République et sa diversité », Paris, Éditions du Seuil, et « La République des Idées », 2005, p.112.

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 Partage d’articles simplifié. 28 | SOCIÉTÉ Chronique d’une explosion brutale de haine antisémite… Comment un jeune homme de 20 ans ayant bien des comptes à régler avec sa famille, ses origines juives et avec lui-même, a pu déraper dans une attaque antisémite extrêmement violente : injures racistes primaires proférées contre une famille que rien, pourtant, ne permettait d’identifier ethniquement, salut nazi hurlé à pleins poumons, et arme pointée, sortie d’un holster de poitrine.

« Ça a bien duré 6 ou 7 minutes qui m’ont paru être une éternité.» (M. B., père de la famille victime de l’agression). Le 10 février 2O1O aux environs de 17h, les enfants de M. et Mme B. et leurs cousins jouent au ballon dans le parc des Buttes Chaumont. M. B. voit un couple marcher dans leur direction avec un berger allemand en liberté. Il remarque que le jeune homme a l’air particulière- ment surexcité : invectives aux passants, bris d’une bouteille en verre. Le chien s’approche des enfants et s’empare du ballon. M. B. s’avance pour leur demander de tenir leur chien. S’ensuit un échange qui, soudain, voit le jeune homme éclater en invectives antisémites primaires : « T’es qu’un sale juif ; il fallait tous vous cramer… » M. B., voulant protéger ses enfants qui assistent, tétanisés, à la scène, décide de les écarter au plus vite. Le jeune homme continue alors de hurler à pleins poumons des saluts nazis et autres invectives nauséabondes. Un pas- sant, lui demande de se taire et de se calmer. Le jeune homme perd alors complètement les pédales, fonce sur lui et dégaine un Sig Sauer P99, réplique à l’identique d’un 19mm (en dépit des dénis techniques répétés de son propriétaire, il sera plus tard expertisée par le service balistique de la police comme arme létale à grenailles). Face au pistolet pointé sous son nez, l’homme s’en va. L’agresseur pivote alors sur lui-même, pistolet toujours pointé sur les gens autour de lui, et remarque sa copine en pleurs qui l’implore d’arrêter. S’ensuit une discussion entre le couple, où elle tente de le raisonner et finit par tourner les talons. Le jeune homme se décide enfin à laisser tomber et la suit. Come A. aime tant les chiens et si mal les humains. La police, appelée par M. B., arrive en force. L’agresseur saute alors dans des dit et redit à la police. C’était très peu tout et son contraire : « Je n’en fourrés, s’y débarrasse promptement de effrayant. Un an après, mon plus jeune avais pas, elle était en plastique… » son arme et de son holster, guette un fils reste craintif et n’a pas dormi la Une perquisition au domicile de sa maman groupe, s’y fond et sort des buttes veille du procès, sachant que j’allais être verra celle-ci apprendre brutalement Chaumont sans être pris. face à notre agresseur » raconte M. B. pourquoi elle n’a plus de nouvelles de son Sa petite amie, identifiée grâce à son Ce n’est que 24 heures après que le jeune fils depuis deux jours : « Je n’en revenais chien, se retrouve au commissariat du homme viendra se livrer à la police. pas. J’ai milité aux côtés d’organismes 19 e : « Sans elle, je ne sais pas ce qui se Commence alors pour lui une garde à comme la Licra, je suis d’origine juive, et serait passé. Il était vraiment vue de trois jours, où la crim cherche jamais je ne l’avais entendu tenir de incontrôlable. Elle nous a aidés et je l’ai l’arme et où il y racontera d’abord un propos antisémites, ni même racistes. » Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 29

Ce n’est que trois semaines plus tard semblent presque amputés tant les ongles Quand je regarde en arrière, j’ai envie de que son «gun», comme il l’appelle, refera en sont rongés. Il propose de discuter me casser la gueule à moi-même. Com- surface dans des mains d’enfants qui dans un café, je réponds qu’il faut du ment ai-je pu proférer de telles atrocités, jouaient dans les bosquets. calme, et c’est chez sa mère que nous me retrouver comme un bouffon, comme L’affaire a été jugée quatre mois après nous installons. L’appartement est char- ça. Ce jour là, j’étais dans une rage terri- devant la 24e chambre du tribunal mant, mais il y règne un foutoir d’anthologie ble, il fallait que ça saigne. J’étais seul correctionnel de Paris, le 9 juillet 2010. qui correspond assez bien avec la première avec mon flingue, contre tous. J’ai rien La Licra, par l’intermédiaire de son avocat heure de notre entretien. calculé, rien contrôlé, j’ai Me Pradel, s’y est portée partie civile Les forma tions qu’il a faites, juste tapé au plus bas, au aux côtés de la famille des victimes. « Je qu’il aabandonnées, s’en- Un an après, plus violent. J’ai jamais été connaissais la Licra par l’intermédiaire chainent et donnent le tour- mon plus antisémite. Il faudrait être du président de la section de Colmar, nis : la marine, les maîtres jeune fils très con, quand on regarde dont j’étais très proche. Je les ai contactés chien, 10 ans de piano au “ mes racines et qu’on sait tout naturellement et, au-delà de l’as- conservatoire, l’école des en- reste craintif qu’un de mes arrières est sistance juridique, s’est établi un dialogue fants du spectacle, 3 classes et n’a pas mort à Auschwitz. Par qui nous a beaucoup aidés psychologi- de seconde, 2 de première, dormi la veille contre, je suis à fond anti- quement. J’ai choisi de porter plainte un CAP abandonné, une ten- sioniste. Je ne veux pas surtout pour mes enfants, qui sont tous tative de terminale avortée du procès, qu’on fasse aux autres ce trois adoptés et qui viennent d’Amérique cette année… Les petits sachant qu’on nous a fait. Et puis, latine. Je ne veux pas qu’ils pensent boulots y défilent au même que j’allais il y autre chose aussi : que que ces violences sont normales en rythme, et aussi les inci- se serait-il passé si j’avais France pour des gens de confession dents : détention d’arme, être face injurié une autre commu- judaïque, et qu’elles restent impunies. » possession de cannabis… à notre nauté, dans un autre parc Côme A. a été condamné à 6 mois de Un dossier déjà chargé, mais agresseur.” de Paris ? Je crois que sur- prison avec sursis, 18 mois de mise à pas encore de condam - protéger une population, l’épreuve, 160 heures. de TIG et 3500€ de nation : « Parce que j’étais c’est aussi l’exposer à l’ani- dommages et intérêts, dont une partie un petit, moi, j’ai jamais volé des per- mosité des autres. Ça devrait être la qu’il doit payer aux trois enfants de M. et sonnes. » même sanction pour tout le monde. » Mme Gilles B. Il va devoir vivre désormais L’écouter et encore l’écouter, entre van- Drôle de concep tion tout de même, et avec son casier. tardise et sensibilité à fleur de peau quand comme dit le dicton : « Avec des si, on il parle de guns, des joints qui lui font du peut remettre l’histoire en bouteille. » UN AN APRÈS : RENCONTRE bien, du fight club qu’il a monté avec ses Quant à la question de savoir si la présence AVEC L’AGRESSEUR potes, de sa copine qu’il aime tendrement d’enfants n’avait pas allumé quelque part C’est à Alésia, en face du KFC, que le ren- depuis quatre ans, de son chien qui a été un signal humain d’alarme, il répond : dez-vous est pris. Étonnamment, il a tout martyrisé par ses anciens maîtres, et de « Non, honnêtement, je les ai même pas de suite accepté l’interview : « Pourquoi sa mère psychanalyste. De son père calculés. Les enfants, j’en connais mais pas, ça peut être intéressant. » Le premier presque rien, si ce n’est qu’il est psycha- je vis pas avec. Les miens, bien sûr, ça contact est malaisé : il a le crâne presque nalyste aussi, que ses parents sont séparés sera pas pareil. » Dommage, il y a bien rasé, tient en laisse un bâtard de chien depuis deux ans, et que « c’est la guerre. de la contradiction chez ce jeune homme loup visiblement nerveux, et sa démarche Vous savez, ce sont souvent les enfants si rempli d’enfance blessée, de talents à est juste chaloupée ce qu’il faut pour de cordonniers les plus mal chaussés… exploiter, à aimer tant les chiens et si parler le langage corporel des durs. Et Cette affaire de violence antisémite, pour mal les humains. | puis il y a ses mains, dont les doigts ma mère qui est juive, ça a été horrible. Marie-Pia Garnier

Publicité 30 | TRIBUNE

TRIBUNE DU CRIF DE LA LICRA Le discours de Mme Le Pen

PUBLIÉE DANS LE MONDE DU 18 AOÛT 2011 menace juifs et musulmans

lle a la gouaille et croit en son au mot “camp”, amalgamant de la sorte divers exemples, et dans lequel une partie avenir, les sondages sont pour elle. des situations bien disparates : détention, de la France semble prête à basculer. EMarine Le Pen ne se satisfait pas travail et extermination. Il est bien sûr nécessaire de faire preuve de l’imprécation hargneuse, de l’allusion Point de détail ? Sans spécifier la Shoah, de la plus grande vigilance et de la plus méprisante et de la plaisanterie blessante Marine Le Pen entend ainsi clore une grande fermeté vis-à-vis des islamistes qui étaient la marque de fabrique de son polémique qu’elle renvoie au fond à un radicaux. père. Elle sait que ces saillies à moteur passé sans intérêt. Cette seule déclaration Mais nous savons que stigmatiser la antisémite l’ont cantonné devrait-elle suffire à ab- population musulmane tout entière pour dans un rôle de trublion soudre le FN de son lourd lutter contre les excès, la haine et les provocateur, dont la ca- L’extrême passif ? Certainement pas. violences de groupes spécifiques est non pacité de nuisance ne re- droite n’a été Le parti n’a pas fait le seulement inefficace, mais aussi injuste. couvrait aucune perspec- pourvoyeuse deuil de ses réminiscences Les juifs sont, dans notre pays, une petite tive politique réelle. “ antisémites, groupuscules minorité. Mieux que d’autres, ils savent, Marine Le Pen, elle, que de haine, nationalistes, pétainistes ils devraient savoir, ce que c’est que cherche le pouvoir. Elle de malheur et autres passéistes gra- d’être dénoncés comme les responsables ne s’en cache pas et c’est et de trahison.” vitant encore autour de lui. des maux de la société, et ils doivent son droit. Pour l’obtenir, Enfin, le souvenir encore s’interdire eux-mêmes cette dérive. elle a, entre autres, besoin très frais de Marine Le Plus encore, tant que le discours du FN de respectabilité pour diversifier sa Pen se refusant à condamner l’ignominie reste un discours d’exclusion et de xéno- clientèle électorale et rendre possibles de la conférence négationniste de Téhéran, phobie, inviter Marine Le Pen à s’exprimer des alliances futures. L’entreprise est en 2006, montre que les réflexes les plus sur l’antenne d’une radio juive était une délicate car, pour effacer l’image sulfu- élémentaires de la lutte contre l’antisé- décision irresponsable. En raison de leur reuse qui s’attache à son nom aux yeux mitisme ne sont en rien acquis. histoire et de son histoire, les juifs ne de la majorité des Français, elle ne doit doivent lui fournir ni tribune ni certificat pas pour autant décevoir le noyau dur VIGILANCE ET FERMETÉ d’honorabilité. des militants du Front national, ceux qui C’est pour ces raisons et au regard des Souvenons-nous qu’en quelque lieu et s’amusaient aux déclarations choquantes valeurs universelles que nous défendons en quelque temps qu’elle soit parvenue de Jean-Marie Le Pen, ceux qui ont que nous voulons exprimer notre profonde à prendre le pouvoir, l’extrême droite n’a soutenu Bruno Gollnisch justement parce préoccupation devant le développement été pourvoyeuse que de haine, de malheur que ses positions le rendaient infréquen- actuel d’un populisme dont l’Europe offre et de trahison. | table. La présidente du FN compose avec eux au sein du nouveau comité central du parti dont le patriarche Le Pen demeure président d’honneur. Marine Le Pen sait Le Crif est le Conseil représentatif des institutions juives de France. que l’efficacité électorale de son discours La Licra est la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. tient en grande partie à sa capacité de rencontrer, voire de susciter, les craintes et les fantasmes d’une société où l’inquiétude du déclassement nourrit la recherche du bouc émissaire. Ainsi le musulman a pris la place tenue hier par le juif, l’Arabe ou l’immigré dans la dialectique frontiste. Ne nous y trompons pas : ceux qui parlent de l’islamisation de la France sont guidés par la même obsession xénophobe que ceux qui dénonçaient la judaïsation de notre pays dans les années 1930. L’étran- ger, quel que soit son visage, reste responsable, pour l’extrême droite, des maux de notre société. Alors, parce que Marine Le Pen a qualifié au détour d’une interview, «les camps» de «barbarie suprême», devrait-on lui décerner un certificat d’honorabilité ? Richard Prasquier, Alain Jakubowicz, C’est un peu court... Elle a pris soin, président du Crif. président de la Licra. dans cette communication très préparée, car attendue, de soustraire tout qualificatif

32 | CULTURE

Vous saurez tout, tout sur les juifs de Lens pendant la Shoah

icolas Mariot et Claire La plupart veulent se déclarer Zalc, en publiant « Face comme juifs, rester et poursuivre Nà la persécution. 991 juifs leurs activités. Mais à quel dans la guerre », se sont inté- risque ? Certains veulent vendre ressés à ceux qui, juifs, habitaient leurs fonds, mais c’est difficile. Lens en 1939, qu’ils soient fran- D’autres veulent fuir, mais où çais ou étrangers, hommes ou aller ? Le plus souvent, les femmes, grands-parents, enfants, familles nombreuses répugnent parents, célibataires, travailleurs à partir. Elles souhaitent vaille indépendants, salariés ou sans que vaille tenter de rester à Lens. profession. Tous, ils étaient juifs Ces choix devant lesquels est de Lens, identifiés par l’admi- placé chacun des 991 juifs vivant nistration ou venus d’eux-mêmes dans le bassin houiller lensois à se déclarer aux autorités. Fran- cette époque sont, bien sûr, des çais ou non en 1940, victimes questions de vie ou de mort. Les des politiques antisémites me- notables sans enfants sont les nées par les Allemands et leurs premiers à quitter la ville, mais auxiliaires français, ils ont connu les juifs français, au moins des sorts divers. Mais l’immense pendant les premières années, intérêt de ce travail est de consti- se sentaient protégés par leur tuer une étude longitudinale pour nationalité. Les Polonais fuyaient le moins originale. plus facilement, lorsqu’ils n’avaient En 1945, seuls 528 d’entre eux pas d’enfant, parce qu’ils seront encore en vie, 487 ont été craignaient une répression dont arrêtés, 467 déportés, parmi ils avaient connu la violence en lesquels 18 seulement survivront. Pologne. C’est donc le parcours et les Plus la guerre avance, plus les choix de vie de ces 991 juifs de enfants sont amenés à partir, Lens que nous proposent Claire plus les juifs français se décident Zalc et Nicolas Mariot. Beaucoup eux aussi à partir. On discerne d’entre eux sont des juifs fraî- facilement comment l’isolement chement arrivés d’Europe cen- joue un rôle protecteur. A l’in- trale, et orientale à la suite des verse, la vulnérabilité des réseaux Polonais installés après la Pre- denses de parenté éclate en plein mière Guerre mondiale dans le jour. Compte tenu de ce que la bassin minier du Nord. Ces Po- zone de Lens est rattachée à la lonais juifs parlent évidemment Belgique, un certain nombre de la langue des mineurs, et tissent juifs français considérés comme avec eux «un réseau d’intercon- étrangers périront plus nombreux naissance». Ils comptent bien s’assimiler. A l’automne 1940, le premier statut des que sur le reste du territoire national. L’objectif du livre est d’interroger les juifs impose un recensement en zone 43% des juifs étrangers meurent sur tout choix auxquels ces 991 personnes ont nord, l’internement des «étrangers de le territoire ; ils seront 59% d’entre eux été confrontées. « Faut-il se déclarer ? race juive» et les premières exclusions à mourir à Lens. A Lens comme ailleurs, Quand ? Poursuivre ses activités ? Fuir ? professionnelles. Juin et juillet 1941 la nationalité française protège, mais Comment ? Doit-on rester ensemble ? correspondent au second statut des juifs, moins qu’ailleurs. Se séparer des enfants ? Que faire de à la multiplication des interdictions pro- L’enquête nous permet de suivre les ses biens ? A qui faire confiance ? » fessionnelles et à un nouveau recensement individus depuis Lens jusqu’à un village Autant de questions, jusqu’ici traitées qu’accompagne l’aryanisation des entre- de la zone libre, ou bien jusqu’à la frontière par des romanciers ou des cinéastes, prises. Au printemps-été 1942, c’est le suisse. Bien sûr, cette communauté est dont s’empare pour la première fois une couvre-feu et l’étoile de David imposés un peu particulière. La plupart des juifs histoire sociale rajeunie, qui s’attache à aux juifs, l’encadrement horaire des de Lens sont, en 1930, commerçants, reconstituer le point de vue des victimes courses, la généralisation des rafles, la sédentaires ou ambulants, et ils sont, du génocide plutôt que celui des décideurs livraison des juifs aux Allemands. La pour l’essentiel, des primo-arrivants. 80% et des exécuteurs : « Il ne s’agit pas communauté juive de Lens est frappée de la communauté était née hors de d’apprécier si les choix ont été bons ou de plein fouet. Certains décident de partir France. mauvais, mais d’analyser le plus finement sur les routes de l’exode. D’autres veulent La vie communautaire se caractérise par possible les conditions dans lesquelles revenir à Lens après l’avoir quitté, mais sa ferveur et ses traditions, si bien que les arbitrages ont été pris. » Lens est une zone interdite aux réfugiés. les juifs de Lens sont perçus, par leurs Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 33

coreligionnaires de Paris ou de Lille ou voulant faire œuvre civique, le plus souvent statistiques et de documents, est une de Belgique, comme «des campagnards ils se sont déclarés aux autorités et ont formidable école de compréhension de mal dégrossis». Toutefois, le terme de accepté de se faire recenser. ce que fut l’existence des juifs français communauté ne convient pas tout à fait Le dernier chapitre du livre est excep- et étrangers pendant la guerre. Au terme pour décrire ces 991 juifs. En effet, on tionnel. Il faut savoir que certains de ces de cette lecture, on est convaincu de la découvre à travers ce livre l’itinéraire juifs auront les plus grandes difficultés à complexité, mais aussi de la radicalité passionnant, émouvant, d’individus, de recouvrer leurs biens et leur identité après des options offertes à des hommes et familles d’héritages hétérogènes. Leur la guerre. On leur réclamera parfois des des femmes qui tentaient d’échapper à rapport à la religion est fort mais n’a rien arriérés d’amendes ou d’impôts, jusqu’à une mort qui leur était presque promise. | à voir avec le rapport à la religion des leurs PV, et on leur chipotera honteuse- Antoine Spire Polonais ca tholiques. ment la naturalisation. Leurs lettres d’hum- Ces juifs ont été très mal armés pour bles réclamations à une administration Nicolas Mariot et Claire Zalc, « Face à la résister au piège que l’administration leur égale à elle-même sont incroyables ! persécution. 991 juifs dans la guerre », tendait au nom de la race ou de la religion ; Tout ce livre minutieux, bourré de Odile Jacob, 304 pp., 23,90€.

René Guitton : « La raison d’État ne peut pas nous em^pêcher de savoir » Délégué exécutif de la Licra en charge de l’observatoire Cultes et Laïcité, René Guitton a enquêté pendant plus de quinze ans sur le massacre des moines de Tibhirine. Dans un livre aux révélations chocs, l’auteur sort aujourd’hui le récit de cette investigation : «En quête de vérité». Pour « le Droit de vivre », il revient sur les raisons qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage.

Pourquoi avoir écrit passionnelles, même avant l’in- ce livre ? dépendance. Dans cette affaire, Je connais la vie monastique en Afrique le silence des autorités algériennes, depuis l’enfance, et je me suis donc comme celui des autorités fran- toujours senti très concerné par la vie çaises, est apparu pour tous des trappistes algériens. Des moines comme suspect. De plus, beaucoup qui sont arrivés sur ce continent en ont découvert, par cette histoire, 1840, d’abord pour défricher les plaines la présence de moines en terre du sud d’Alger, et qui font partie de d’Islam. C’est l’ensemble de ces l’histoire du pays, tant de sa conquête facteurs qui a conduit à une telle que de sa libération. J’avais écrit, en médiatisation de ce drame. 2001, un livre en hommage aux sept moines de Tibhirine, un hommage à Que peut-on attendre leurs rapports avec les populations de la publication de locales, à leurs échanges continuels, cette enquête ? et mystiques. Depuis, trop de choses Mon but est d’aller vers la vérité. ont été dites, trop de commentaires J’espère donc que cet ouvrage aura ont été propagés, qui montaient en pour effet de “booster” les autorités épingle des versions absurdes de et la justice française. Ne pas condam- ce drame. Révolté, j’ai décidé de ner les coupables, c’est laisser une compiler mes informations et de opportunité à ceux qui ont commis mener une enquête qui m’a conduit, ces crimes de recommencer. La vo- au-delà de la France et de l’Algérie, lonté de silence n’exclut pas le devoir en Italie, en Suisse et en Hollande… de vérité ! | Propos recueillis par Ariane Vincent Ce massacre cristallise- t-il autant de passion ? « En quête de vérité », Ed. Calmann- Tout ce qui se passe entre l’Algérie Lévy, 21,50€, 345 p. et la France est soumis à une fièvre. Les relations entre les deux pays ont toujours été 34 | INTERNATIONAL

La «célébration de Durban I», une injure à la lutte contre le racisme Le 24 décembre dernier, la Licra a pris note avec consternation de l’adoption, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’une résolution organisant, le 21 septembre prochain à New York, la «célébration» des dix ans de la Conférence de Durban I, théâtre des pires dérives antisémites.

a tristement célèbre Conférence de à la Haut Commissaire des Droits de termes d’«islamophobie» et de «diffa- Durban I fut le point de départ l’homme de veiller au respect de la Charte mation des religions» dans le cadre de Ld’une décennie qui a été marquée, des Nations unies et de la Déclaration la lutte contre le racisme est en effet à l’instar de la manière dont elle avait universelle des droits de l’homme, en un piège sémantique, juridiquement commencé, par une régression inaccep- faisant tout ce qui est en son pouvoir inapproprié et liberticide. table de la lutte internationale contre le pour que ces célébrations soient annulées, La terminologie «islamophobie» induit racisme mise en œuvre par les Nations et, en tout état de cause, en refusant de un amalgame dangereux entre protection unies : utilisation du terme impropre prendre part, de quelle que manière que légitime des croyants et protection que d’«islamophobie», réintroduction du délit ce soit, à la nouvelle mascarade que l’on ne peut accepter du dogme religieux. de blasphème par la criminalisation de constituera, inévitablement, ce Durban (…) Protéger des idées revient, en tout la «diffamation des religions», remise en III. état de cause, à s’opposer à toute forme cause de l’universalité des droits de Cette déclaration a été complétée par de critique, de remise en question ou de l’homme au profit d’un pseudo relativisme une déclaration orale, réalisée devant ce simple doute sur leur validité. Si les per- culturel, hiérarchisation et instrumenta- même Conseil par le président de la Licra, sonnes doivent être protégées, les idées lisation des victimes de racisme… Autant Alain Jakubowicz, le 22 mars 2011, à l’oc- doivent, elles, demeurer libres d’être ex- de dérives inacceptables que la Licra casion du débat général sur le racisme. primées, contestées et critiquées. condamne fermement. L’utilisation du terme «islamophobie» a A l’occasion de la 16e session du Conseil EXTRAIT DE LA conduit à une dérive dramatique dans la des droits de l’homme, qui s’est tenue à DÉCLARATION ÉCRITE lutte contre le racisme, en institutionna- Genève du 28 février au 25 mars 2011, la DE LA LICRA lisant l’idée, absurde, que critiquer une Licra a décidé de faire une nouvelle fois La Licra, attentive depuis sa création à religion constitue un acte de racisme. entendre sa voix, discordante au sein de toute manipulation des concepts visant Cette volonté politique s’est traduite, cette enceinte où la realpolitik est bien à détourner le sens originel de la Déclara- dans le langage onusien, par l’apparition souvent exercée au détriment des vic- tion universelle des droits de l’homme, du concept pernicieux de «diffamation times. regrette que les concepts d’«islamophobie» des religions», ardemment défendu sur Une déclaration écrite a ainsi été soumise et de «diffamation des religions» gagnent la scène internationale par un certain au Conseil, par laquelle la Licra demande toujours plus de terrain. L’utilisation des nombre d’Etats. (…) Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 35

(…) De la Déclaration des droits de consternation de l’adoption par l’Assem- Le Conseil des droits de l’homme, guidé l’homme en Islam aux résolutions de blée générale des Nations unies, le par des coalitions politico-religieuses, l’ONU criminalisant la «diffamation des 23 décembre 2010, d’une résolution entérine des résolutions criminalisant la religions», en passant par la multiplication organisant, le 21 septembre prochain à diffamation des religions, n’a de cesse des organes promouvant le «dialogue New York, la «célébration» de l’anniver- d’instrumentaliser et de hiérarchiser la entre les civilisations», un nouveau saire des dix ans de la Conférence de souffrance des victimes, et instruit, de message semble avoir vu le jour. Un Durban. manière systématique à chacune de ses message qui, sous couvert d’appel à la La tristement célèbre Conférence de sessions, le procès des démocraties tolérance, ressemble plus à un inventaire Durban I, qui s’est tenue en 2001 et dont occidentales. des différences existantes et incite en le Forum des ONG a été le théâtre des La Licra appelle expressément l’ensemble réalité au repli identitaire et culturel. pires dérives antisémites et antiocciden- des Etats membres du Conseil à veiller Or, les droits de l’homme n’ont pas pour tales, a marqué une véritable rupture au respect de la Charte des Nations unies objectif de nier les particularités de dans le combat antiraciste. et de la Déclaration universelle des droits chacun, mais au contraire de reconnaître L’organisation d’une telle commémoration de l’homme, et demande instamment à le lien qui uni les êtres humains malgré est inutile et choquante. Qu’y a-t-il ce que tout soit mis en œuvre pour que leurs différences. aujourd’hui à célébrer, si ce n’est le recul ces «célébrations» soient annulées. En remettant l’universalité des droits de patent de lutte mondiale contre le racisme Il est indispensable, en tout état de cause, l’homme en question, ce sont en réalité depuis 2001 ? que les organisations de la société civile ces droits eux-mêmes que l’ont tente de Au cours de la décennie passée, les refusent de prendre part, de quelque renier. (…) libertés fondamentales de l’individu se manière que ce soit, à la nouvelle sont vues atrophiées par le retour d’un mascarade que constituera ce Durban III. DÉCLARATION ORALE obscurantisme rampant. Au nom du Chaque jour compte pour que, le 21 sep- DE LA LICRA relativisme culturel, l’universalité et tembre 2011, nous ne soyons ni specta- La Licra, association de terrain accom- l’indivisibilité des droits de l’homme sont teurs, ni acteurs de cette «célébration» pagnant, depuis plus de quatre-vingts ans, aujourd’hui remises en cause au sein du pire. | les victimes de racisme, d’antisémitisme même des instances de l’ONU chargées Lylo Arkilovitch et de discrimination, a pris note avec de les protéger.

COMMUNIQUÉS DE PRESSE La Libye au cœur de l’actualité internationale

SUSPENSION DE LA LIBYE… assistait encore il y a quelques semaines nouvel élan aux démocraties pour exiger ENFIN ! dans les instances onusiennes, et qui du Conseil le respect par ses membres Communiqué de presse du 1er mars 2011 avait porté la Libye à la présidence de la de l’ensemble des droits qu’il est supposé Commission (ex-Conseil) des Droits de défendre. ’Assemblée générale des Nations l’homme en 2003. Plus généralement, les révolutions popu- unies a suspendu, mardi, la Libye La Licra souhaite néanmoins voir dans laires qui animent aujourd’hui le monde Ldu Conseil des droits de l’homme, cet acte le premier signe de vie d’un arabe représentent pour la Licra une en raison de la violente répression menée Conseil des droits de l’homme jusqu’alors extraordinaire réplique aux allégations par Mouammar Kadhafi contre le soulè- à l’agonie, sclérosé depuis de longues des représentants illégitimes de ces Etats, vement populaire de ces deux dernières années par des coalitions politico- qui ne voient dans la démocratie qu’une semaines. religieuses. lubie occidentale, alors que l’aspiration à La Licra ne peut qu’être satisfaite de Si les régimes peu respectueux des droits la liberté, à la citoyenneté et à la dignité cette décision adoptée par acclamations, de l’homme restent majoritaires au sein est bien une réalité universelle. | qui ne fait en rien oublier le cautionnement du Conseil, cette suspension crée un honteux du régime de Tripoli auquel on précédent unique, qui doit donner un

KADHAFI ENFIN AU BAN sur proposition de la diplomatie française, La Licra se réjouit du rôle actuellement DES NATIONS une résolution autorisant un recours à la joué par les Nations unies dans la condam- Communiqué de presse du 18 mars 2011 force contre les troupes du colonel li- nation des violations manifestes des droits byen. de l’homme perpétuées en Libye. Elle ouammar Kadhafi massacre La Licra, aux côtés de la résistance espère que cette dynamique donnera un actuellement le peuple libyen. libyenne qui se bat pour l’instauration nouvel élan à une organisation par le MDans la lignée des précédentes d’un régime démocratique, salue cette passé trop souvent guidée par la realpo- décisions du Conseil des droits de l’homme décision qui, même tardive, redonne litik et des coalitions politico-religieuses. | et de l’Assemblée générale, le Conseil l’espoir qu’il soit mis fin à cette répression de sécurité de l’ONU a adopté jeudi soir, sanglante. 36 | TRIBUNE Lettre ouverte à mon (ex) ami Zemmour « Ton obstination à surfer sur les courants xénophobes a atteint son point limite, qui appelle non seulement l’application du droit mais la réprobation active de tous les républicains », lance Jean-Philippe Moinet, directeur de la «Revue Civique» et ancien secrétaire général du Haut Conseil à l’intégration, à Eric Zemmour qui a appelé à supprimer la HALDE et les subventions aux associations antiracistes. Extraits.

Philippe Moinet, Directeur de la Revue Civique, Me Sabrina Goldman et Me Charriere-Bournazel avocats de la Licra.

« Cher Eric. dans les postures qui cherchaient la Et comme tu es féru d’histoire, tu le sais J’ai peine à te reconnaître et ton sort provocation, finalement assez facile très bien. C’est en cela que ton obstina- m’attriste. Je me souviens de nos jeunes contre le principe d’égalité, notamment tion à surfer sur ce type de courants a années et de nos voyages de presse à l’occasion de ton livre d’éloge du atteint son point limite, qui appelle non gaiement partagés, il y a plus d’une «macho». Manifestement, cela te faisait seulement l’application du droit (ce qui quinzaine d’années déjà. Nous étions plaisir : une forme de revanche person- est fait), mais la réprobation active de jeunes journalistes aux plumes vivaces, nelle peut-être, déjà. (…) tous les républicains. (…) aimions rire, nous n’étions pas toujours Les Noirs et les Arabes, as-tu dis en Je sais que cette pédagogie républicaine du même avis, apprécions discuter, mais pleine antenne, c’est bien normal qu’on est nettement moins simple que la beaucoup de choses pouvaient implici- les arrête plus que les autres dans la démagogie xénophobe dont tu sembles tement nous réunir. Tu as rejoins le jour- rue, voyez comme ils sont nombreux apprécier la marge de progression pos- nal où je travaillais alors, la vie, le temps chez les délinquants et dans les prisons ! sible. Continue comme cela, avec tes ont fait que nos chemins se sont écartés. Pathétique Eric, pris au piège à la fois tribunes médiatiques et tes réactions Ces dernières années, ton talent a pris des formules qu’on exige de toi pour irresponsables, et progressera la honte des formes inattendues, notamment au faire rire (moyennant belles rétributions) de la France de voir encore monter l’un contact grisant des plateaux télé, où et des raccourcis les plus faciles, et des mouvements d’extrême droite les l’essentiel est de faire rire en trois abjects, qui font bien sûr le jeu des mou- plus puissants d’Europe. » | secondes. Je t’ai observé, mi-amusé, mi- vements xénophobes qui attendent tous inquiet. J’ai vu ton sens du marketing les moments de crise pour sortir du bois.

Le nouveau site www.licra.org internet de Licra Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 37

Affaire Zemmour : les enseignements d’un procès C’est au nom du peuple français que la justice a condamné, le 18 février 2011, Eric Zemmour pour provocation à la discrimination raciale, considérant qu’il avait « dépassé les limites autorisées de la liberté d’expression ». Par cette condamnation dont le chroniqueur n’a pas fait appel, le tribunal correctionnel de Paris a mis fin à près de douze mois d’une polémique qui a trop souvent consisté à réduire le débat à une diatribe entre pro et anti-Zemmour, adeptes et adversaires du « politiquement correct ». Au-delà du cas de l’intéressé, cette affaire permet de tirer des enseignements sur l’état de notre société, la place des associations, le sort réservé aux décisions de justice, et l’évolution même du projet républicain qui se dessine pour demain.

ENSEIGNEMENT N°1 : de faire de la pédagogie autour de la par ses employeurs suite à sa condam- LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ condamnation d’Eric Zemmour et de la nation. Cela n’a pas de sens. Il n’a jamais CIVILE norme évolutive que constitue la liberté été question pour les associations de « Démocratie et société civile forment d’expression. Il n’est pas inutile de relever « faire taire » Eric Zemmour, mais de un couple indissociable », écrivait Alexis que le tribunal a relaxé le journaliste du demander à la justice de rappeler les de Tocqueville. A leur place, les associa- délit de diffamation pour ses déclarations limites que tout Etat démocratique est tions ont un rôle essentiel de veille et sur les trafiquants tenus sur Canal +, en droit et en devoir de fixer par la loi. d’alerte des institutions et de l’opinion. considérant que si ces propos sont « cho- Dans cette affaire, la Licra a été la première quants », ils ne sont pas « diffamatoires ». ENSEIGNEMENT N°6 : à réagir aux propos racistes tenus par le En revanche, le tribunal a considéré que LE DIFFÉRENTIALISME chroniqueur, le 6 mars 2010, sur les an- les propos en question étaient constitutifs COMME PROJET DE SOCIÉTÉ tennes de Canal + et de France Ô, les du délit d’incitation à la discrimination Est-il si important de savoir combien, considérant, d’une part, comme une légi- tout comme l’étaient ceux tenus sur parmi nos concitoyens qui ont commis timation de la pratique du contrôle au France Ô lorsqu’il a affirmé que la dis- un délit, ne sont ni blancs ni chrétiens ? faciès et, d’autre part, comme une crimination, « c’est la vie ; ils (les em- Cette affaire est symptomatique ; la incitation à la discrimination à l’embauche. ployeurs) ont le droit ». Ainsi en a décidé tendance à la différenciation qui s’opère Si l’opportunité d’une action en justice la justice, qui est, dans toute démocratie, subrepticement au sein de la communauté peut être discutée (rappelons néanmoins seule habilitée à dire le droit et à fixer nationale est dangereuse. L’ethnicisation qu’Eric Zemmour a refusé de débattre les limites de la liberté d’expression. Loin des questions sociales à laquelle on assiste avec la Licra), il n’est pas acceptable que de « bâillonner » cette liberté, elle a risque de transformer la nation en un ce procès ait servi de prétexte à certains réaffirmé par cette décision qu’il n’est espace de juxtaposition de communautés pour remettre en cause le droit que confère pas légal de légitimer une pratique en lieu et place de la République indivisible aux associations la loi Pleven de 1972 discriminatoire. consacrée par la Constitution. d’agir et de se constituer partie civile. ENSEIGNEMENT N° 4 : Au-delà d’une condamnation que l’on ENSEIGNEMENT N°2 : LA CONTESTATION DES espère didactique, ces quelques ensei- LE DROIT D’ESTER EN DÉCISIONS DE JUSTICE gnements démontrent que le procès d’Eric JUSTICE « Les procès finissent toujours par celui Zemmour était nécessaire en ce qu’il a Un membre du gouvernement a cru pouvoir de la justice », commentait avec sarcasme permis d’enrichir le sempiternel débat se déclarer « consterné » de voir que l’on a le résistant et académicien André sur la définition et les limites de la liberté « de plus en plus une police de la pensée Frossard. En vertu de la séparation des d’expression. qui se met en place. », tandis qu’un collectif pouvoirs, nos représentants politiques parlementaire estimait que « ce procès en seraient inspirés de mettre un terme à Au cours de ce procès, Madame le dit long sur la dérive qui conduit à bâillonner cette pratique détestable qui consiste à procureur de la République, s’exprimant la liberté d’expression par les tyranneaux commenter et contester chaque décision au nom de la société, a opportunément de la pensée unique de l’antiracisme ». judiciaire qui leur déplaît. Ils jettent ainsi rappelé que « la République doit unifier Il est curieux de retrouver dans les propos le discrédit sur les jugements rendus, ce et pacifier, surtout dans la période troublée de ces hauts représentants de la République qui non seulement contribue a décrédi- que la France traverse depuis plusieurs les mêmes mots que ceux utilisés par les biliser l’institution auprès de nos conci- mois et au cours de laquelle des propos négationnistes pour contester la loi Gayssot. toyens, mais constitue également un délit. que l’on croyait définitivement tus re- De par leurs fonctions, ils devraient savoir prennent de la vigueur », appelant à la que si la liberté d’expression est un droit, ENSEIGNEMENT N°5 : responsabilisation les hommes politiques celui d’ester en justice l’est tout autant. L’INSTRUMENTALISATION et de médias. Puisse-t-elle être entendue, La question est aujourd’hui de savoir s’il POLITIQUE D’UNE DÉCISION à l’approche d’une campagne électorale est possible d’ester en justice sans être DE JUSTICE au cours de laquelle les vieux démons de taxé de « tyranneaux de la pensée Pendant que certains, sous couvert de la démagogie populiste, dont on connaît unique » ? défendre la liberté d’expression, règlent les ravages, pourraient s’inviter. | leurs comptes avec la magistrature et Alain Jakubowicz ENSEIGNEMENT N° 3 : les associations antiracistes, d’autres, Président de la Licra LA PÉDAGOGIE D’UN PROCÈS oubliant l’adage « non bis in idem », Pierre Fournel Dépassée l’émotion, il est nécessaire appellent au licenciement d’Eric Zemmour Directeur général de la Licra 38 | SPORT

L’Olympique Lyonnais et l’AS Saint-Etienne s’engagent contre le racisme Les présidents des clubs de football de Lyon et Saint-Etienne ont signé, le 12 février dernier, à l’occasion du lancement de la campagne régionale de lutte contre le racisme dans le football, une charte d’engagement contre le racisme. Premiers à signer ce texte, les deux clubs ont été rejoints par onze autres formations*.

Les élus de la Région Rhône-Alpes soutiennent la convention contre le racisme Licra-OL-ASSE.

e derby du Rhône est l’un des dans tous les stades de Premier League. au cocktail offert par le conseil régional, moments les plus intenses de la En sa qualité de commissaire et de chef Jean-Michel Aulas, Roland Romeyer et Lsaison footballistique. Le 101e entre de la division nationale de lutte contre le Bernard Caïazzo, présidents de l’Olym- Saint-Etienne et Lyon était donc une hooliganisme, Antoine Boutonnet a pour pique Lyonnais et de l’AS Saint-Etienne, occasion rêvée pour faire passer un sa part affirmé une « tolérance zéro » à se sont réunis pour signer avec Roger message citoyen aux supporters des deux l’égard des « phénomènes déviants ». Benguigui une charte d’engagement pour clubs. A quelques heures du coup d’envoi Partenaire de la Licra et de l’UCPF et la mise en place de la campagne du match, la Licra Rhône-Alpes et le représentant la LFP, Jean-François Thou- Licra/UCPF/LFP contre le racisme dans conseil régional de Rhône-Alpes ont venot, conseiller du président Frédéric le football. Philippe Diallo, directeur organisé une table ronde sur le thème de Thiriez, a rappelé que le rôle de la Ligue général de l’UCPF, les maires des deux l’engagement contre le racisme. Frédéric de football « est d’alerter les pouvoirs villes, Maurice Vincent et Gérard Collomb, Hamelin, rédacteur en chef du magazine publics ». De son côté, Bernard Barbet, et les membres du conseil régional « Foot Citoyen », a tour à tour fait inter- président de la Ligue Rhône-Alpes de assistaient à cet événement. venir les participants devant un parterre football et de la Ligue de Football amateur, Par cette signature, les clubs se sont de deux cents arbitres, des bénévoles du s’est montré contre le fait de stigmatiser engagés à afficher les supports visuels monde sportif, des membres et sympa- constamment le football. mis en place par la Licra, l’UCPF et la thisants de la Licra et des journalistes. Du côté des clubs, Philippe Sauze, direc- LFP en début de saison, avec le slogan teur général de l’Olympique Lyonnais, a « Le racisme n’est pas une opinion, UNE CAMPAGNE QUI DOIT fait part de l’engagement du club aux c’est un délit » et un numéro d’appel S’INSCRIRE DANS LA DURÉE sept titres de champion de France pour — le 01 45 08 08 08 — pour les victimes Roger Benguigui, trésorier national de la la promotion de la citoyenneté. Et et les témoins d’actes racistes. Après Licra et président de la Licra Rhône- d’affirmer, en clôture de son intervention, une photo officielle, la diffusion du spot Alpes, a salué l’engagement des deux que « L’OL s’engage pour soutenir la de la campagne sur les écrans géants et clubs, en parlant des futurs projets de Licra ». Pour sa part, Stéphane Tessier, un message du speaker de l’AS Saint- coopération. Carine Bloch, vice-présidente membre du directoire de l’ASSE, a rappelé Etienne, le sport à proprement parler a nationale de la Licra en charge du sport, le travail du fond du club stéphanois, repris ses droits et les Verts se sont lour- a rappelé que la campagne contre le notamment au côté du FCO Firminy. dement inclinés contre l’OL (1-4). | racisme lancée conjointement par la Licra, Patrick Kahn et Sarah Guipouy l’UCPF et la LFP, en octobre dernier, n’a LES DEUX CLUBS ONT SIGNÉ été, depuis, utilisée qu’une seule fois UNE CHARTE D’ENGAGEMENT * Au 1er mars, 11 autres clubs ont signé par les clubs professionnels. Elle devrait A l’issue de la table ronde, Jean-Jack la Charte : Brest, Lille, Lorient, se faire sur la durée, en prenant l’exemple Queyranne, président du conseil régional Montpellier, Nice, Paris, Toulouse, de l’Angleterre, où celle mise en place de Rhône-Alpes, a rappelé l’importance Châteauroux, Evian-Thonon-Gaillard, par l’association « Kick it Out » est visible de la lutte contre les discriminations. Suite Nantes et Strasbourg. Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 39

Les discriminations institutionnelles dans le football, le début d’une prise de conscience L’UEFA a organisé, les 18 et 19 janvier dernier, un séminaire contre les discriminations institutionnelles. Ce sujet, qui a longtemps été, volontairement ou non, oublié par les plus hautes instances du football, trouve aujourd’hui une place dans les débats.

ors d’un séminaire dédié aux aucun président de club issu de la diversité A Amsterdam, Steven Bradbury, profes- discriminations institutionnelles, dans le football professionnel en France. seur à l’Université de Loughborough, en Lles 18 et 19 janvier dernier à Ams- Au niveau amateur, la proportion de Angleterre, a présenté ses analyses en terdam, l’UEFA a donné la parole à des joueurs de couleur est sensiblement la généralisant au niveau européen. Si l’accès spécialistes de la question. Carine Bloch, même que chez les professionnels, en à la pratique est sensiblement plus difficile vice-présidente de la Licra en charge du particulier dans les zones urbaines. En dans certains pays, les problématiques sport, y est intervenue pour parler du revanche, le nombre d’entraîneurs et de de recrutement sont similaires au cas cas français, se fondant sur l’étude «Sport dirigeants issus de la diversité augmente français. et discrimination» commanditée en 2009 au fur et à mesure que l’on descend spor- Reconnaître l’impact positif de la diversité par la Licra et réalisée par Patrick Mignon, tivement de niveau. Ils sont plutôt d’origine culturelle et de genre ou la mise en place chercheur à l’Insep. maghrébine, et plus nombreux dans les de quotas sont des solutions à explorer. Les discriminations institutionnelles peu- zones urbaines. En Norvège, le quota d’une femme au vent se situer à plusieurs niveaux, no- Dans les clubs ou les instances, comme minimum présente dans chaque comité tamment joueurs, entraîneurs, arbitres à la Fédération française de football, le central de la Fédération de football, institué et dirigeants. La France peut s’enorgueillir système de recrutement actuel fait qu’il en 1985, a permis à Karen Espelund de d’une mixité sociale chez les joueurs est presque impossible pour une personne devenir la première femme secrétaire gé- masculins au sein des clubs amateurs. issue de la diversité de postuler à une nérale en 1999. Cette solution pourrait, Cela se répercute au plus haut niveau, position importante. Le recrutement se bien sûr, n’être que temporaire, sans puisqu’on retrouve 55% de joueurs d’ori- fait souvent par cooptation, ce qui implique quoi ce système s’avérerait également gine africaine ou antillaise parmi les de faire partie d’un réseau. La barrière discriminatoire. joueurs professionnels. Cette mixité est monétaire joue également un rôle impor- exemplaire en France, car c’est loin d’être tant. VERS UN REGROUPEMENT le cas dans le reste de la société, mais D’autres explications trouvent leur origine DES COMPÉTENCES elle ne concerne pas les femmes. au niveau de la société : les problèmes Le séminaire d’Amsterdam est donc un En parallèle, il n’y a qu’une poignée de économiques et sociaux, le rejet des premier pas vers des solutions d’avenir techniciens d’origine étrangère, et seu- institutions ou la difficulté des nouveaux en matière de discriminations institution- lement deux entraîneurs sur les 44 clubs immigrés à s’insérer réduisent l’accès nelles. La Licra, Fare, Steven Bradbury et dépendant de la LFP. Le même constat au sport. Les stéréotypes, le recrutement Patrick Mignon se réunissent en mars à peut se faire pour les arbitres. Ils ne sont par similitude, qui consiste à sélectionner Paris pour mutualiser leurs moyens et que 3 d’origine maghrébine à officier en des personnes qui ressemblent aux pré- étendre les études au niveau européen. | Ligue 1 et Ligue 2. Depuis le départ de cédentes, et les «codes» que n’ont pas Arnaud Kœnigsberg Pape Diouf de la présidence de l’Olym- forcément certains jeunes créent pour pique de Marseille en 2009, il n’y a plus leur part des barrières au recrutement.

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En participant aux actions. Vous pouvez joindre la section de votre département ou le Siège de la Licra au 01 45 08 08 08.  En adhérant à la Licra. Pour plus Vous pouvez adhérer directement sur notre site internet www.licra.org d’informations ou en demandant l’envoi d’un bulletin d’adhésion au 01 45 08 08 08. www.licra.org [email protected]  En adressant un don à la Licra. 01 45 08 08 08 Votre soutien et votre adhésion sont indispensables à l’action de la Licra. 40 | LA PAROLE AUX ASSOCIATIONS France terre d’asile « Le Droit de vivre » souhaite donner, numéro après numéro, la parole aux associations partenaires de la Licra. Pour ouvrir cette nouvelle rubrique, c’est France terre d’asile qui présente son travail de terrain.

indépendance de Djibouti, répondant aux définitions de «réfugié » coup d’État aux Comores... et « d’apatride » (précisées par les conven- France terre d’asile est offi- tions de Genève du 28 juillet 1951, com- ciellement mandatée par l’Etat plétées par l’article premier du protocole français, en 1975, pour orga- de New York du 31 janvier 1967 et par la niser, aux côtés d’autres struc- convention de New York du 30 août 1961). tures partenaires (la Cimade, En 2008 et 2009, une réforme de la -Rouge française, le présence associative dans les centres de Secours catholique), l’accueil rétention est entreprise à l’initiative du des réfugiés en France, et se ministère de l’Immigration. Cinq asso- voit ainsi renforcée dans son ciations interviennent désormais en centre rôle de coordinateur et sa po- de rétention : l’Assfam, l’ordre de Malte, sition privilégiée de médiateur France terre d’asile, Forum réfugiés et la avec les autorités. C’est pour Cimade. cette raison qu’elle se voit France terre d’asile est dotée d’un budget rance terre d’asile est une associa- confier, alors qu’il est en pleine création annuel de 40 millions d’euros, provenant tion de solidarité française régie et évolution, la gestion du dispositif na- essentiellement de subventions publiques Fpar la loi du 1er juillet 1901, créée tional d’accueil des réfugiés. Elle effectuera nationales et européennes. L’association en 1971 par le pasteur Jacques Baumont, cette tâche jusqu’en 2003, prend en charge, chaque l’abbé Alexandre Glasberg et le docteur date à laquelle la gestion jour, plus de 5 000 per- Gérold de Wangen, afin de promouvoir du dispositif national d’ac- France terre sonnes : demandeurs et de défendre le droit d’asile. Issus de cueil est replacée sous le d’asile milite d’asile, réfugiés statu- milieux intellectuels provenant de la contrôle de l’Etat. taires, mineurs isolés Résistance, mais aussi du réseau Curiel France terre d’asile milite “ pour que la étrangers, régularisés… et d’associations chrétiennes et laïques, pour que la France res- France respecte France terre d’asile gère les fondateurs de France terre d’asile pecte, au travers de sa ses obligations plus de trente centres s’engagent, dès 1971, dans un rôle de politique publique, ses d’accueil pour les deman- médiation avec les pouvoirs publics, et obligations au regard de au regard de sa deurs d’asile (Cada), lieux insufflent à l’association une forte volonté sa propre Constitution, de propre Consti- d’hébergement et d’ac- d’agir sur le terrain en faveur de l’actualité. la Convention de Genève tution, de la compagnement social et L’action de France terre d’asile se met de 1951 relative aux statuts administratif des deman- concrètement en place en septembre des réfugiés, et plus lar- Convention de deurs d’asile, et une 1973, date du coup d’État au Chili. Elle gement au regard de la Genève de 1951 centaine de logements propose à des associations de se regrouper Convention européenne relative aux d’urgence pour réfugiés au sein d’un Comité de coordination pour de sauvegarde des droits statutaires, pour une l’accueil des réfugiés du Chili, qui per- de l’homme de 1950. statuts des capacité totale d’héber- mettra de rassembler plus de vingt-cinq Au milieu des années réfugiés, et au gement de plus de 4 000 associations et groupements pendant 1990, France terre d’asile regard de la places pour demandeurs plus de deux ans. entame une nouvelle mo- d’asile et réfugiés statu- Les principales missions de l’association bilisation pour la protec- Convention taires confondus. L’asso- sont lancées : promouvoir une véritable tion et la défense des mi- européenne ciation entreprend des politique d’accueil des réfugiés, organiser neurs étrangers isolés. En de sauvegarde actions en faveur de l’in- un premier accueil de ces populations, 1999, l’association fonde tégration des réfugiés et préparer et faciliter l’insertion de ces le Caomida Stéphane Hes- des droits de des migrants de droit : personnes en réunissant les premiers sel, l’unique centre d’ac- l’homme de insertion socioprofession- éléments essentiels (langue parlée, travail, cueil pour mineurs isolés 1950..” nelle, hébergement, au- logement...). Ces missions sont effectuées demandeurs d’asile en tonomisation des publics grâce à un lobbying fort auprès du gou- France. Financé par l’État, accueillis... vernement français, et s’enrichissent au il a une capacité d’accueil de trente-trois Enfin, France terre d’asile possède un gré de l’actualité : accueil des boat people, places. centre de formation destiné aux profes- Laïque et indépendante, France terre sionnels du secteur de l’asile et des mi- d’asile est membre de l’Agence des droits grations. | fondamentaux de l’Union européenne, et anime le Conseil européen pour les réfu- Pour retrouver toute l’information giés et les exilés (ECRE). Depuis l’année concernant France terre d’asile, 2007, date de modification de ses statuts, rendez-vous sur le site l’association aide toutes les personnes www.france-terre-asile.org en situation de migration de droit : celles

Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 43 PORTRAIT Portrait libre d’une militante de la Licra depuis 1977 : Catherine N’Loka-Moussi

’est à Douala, capitale économique était des pin-up ! alors florissante du littoral Notre immigration était C camerounais que naît, en 1945, culturelle. On avait grandi Catherine N’Loka. Issue d’une famille et étudié dans les mêmes nombreuse et lettrée, elle garde de cette établissements que les enfance africaine heureuse une ouverture filles dites de bonne sur le monde que cette grande ville famille. C’était aussi portuaire et multiculturelle lui a léguée ; l’époque de la libération le goût des autres, de tous les autres, de la femme et de l’africa- qu’ils soient voisins, cousins ou camarades nisation des postes. Moi, de classe. Au collège de jeunes filles du j’ai librement choisi de res- Saint-Esprit, elle excelle dans ce français ter, d’enseigner et d’élever qui, bien plus qu’une langue, lui semble ma fille ici. Je m’étais être la clé d’un monde où les affinités mariée chez moi, en 1970, se tissent autour de certaines valeurs avec un homme qui avait humaines et culturelles. Catherine est vécu dix-sept ans en bonne élève, et c’est après un combat France. Il comprenait mes toujours difficile quand on est une jeune choix. Nous faisions alors fille qu’on la retrouve, en 1968, étudiante beaucoup de navettes en- boursière à Paris. La première année fut tre le Cameroun et la terrible : « Si je ne suis pas très vite ren- France. Les billets d’avion trée, c’est uniquement par fierté. Non, étaient encore abordables. cette ville grise ne pouvait pas être Paris, Il est vrai aussi qu’au mon Paris. » Elle assiste étrangère, Cameroun, à partir des presque choquée, aux événements de Mai, années1975, les postes vit dans un foyer catholique du 7e arron- intéressants et même le dissement et déjeune, les dimanches, travail tout court ont dans une famille française d’accueil qui commencé à devenir de la prend amicalement sous son aile. plus en plus rares et de Et puis il y a les autres, les Africaines plus en difficiles à obtenir. d’un peu partout, venues comme elle étu- Une vague d’immigration africaine pres- souffrances, mais plus que ça, des gens dier ici. Une solidarité s’installe par delà que de la faim a alors déferlé en France. qui avaient à cœur de les éviter aux les ethnies, les religions et les nationalités. Elle n’était plus du tout la même. Ça a autres. On savait partager, échanger, et Ensemble, elles s’accrochent, étudient, vraiment apeuré les gens ici, et profon- nous avons mené ensemble bien des déménagent dans un nouveau foyer où dément modifié les mentalités à notre combats pour faire reculer le racisme. elles peuvent cantiner, et commencent à égard. » En 1980-82, il y avait une cellule africaine profiter de Paris. Pour la petite histoire, En 1971, un immigré malien est brûlé vif à la Licra. Certains sont malheureusement saviez-vous qu’il n’y avait guère que chez à Aubervilliers. Sur le chemin à rebours décédés, d’autres voulaient y faire de la Fauchon qu’on trouvait, à cette époque, de sa vie en France, c’est une date qui politique. Je ne crois pas qu’il faille en du gingembre et des petits piments frais ? compte. Et puis vient la crise et ce faire tant que ça à la Licra, ni vouloir Chaque semaine, elles se glissement progressif des l’utiliser comme un tremplin. Le combat cotisaient et partaient y La France, mentalités, contre lequel est beau, il doit rester humain. Ce n’est acheter ces petits luxes elle décide de s’engager. que dans l’amour et dans le respect des indispensables à la prépa- c’est comme C’est en 1977 que son ami uns et des autres qu’on peut aller de ration d’un repas africain “ à l’Arc de François Diouf, alors mem- l’avant. Je pense qu’il faudrait que nous digne de ce nom. Elles Triomphe. bre de la Licra, la présente fassions à nouveau plus de terrain, à allaient danser aussi, par- à Jean-Pierre Bloch. Elle Paris notamment, en direction des jeunes, fois, et la Seine commençait On y choisit en parle comme d’une dans les écoles et dans les quartiers. J’at- doucement à couler dans d’abord sa rencontre très importante, tends vraiment d’Alain (Jakubovitch) qu’il leurs veines : elles deve- voie, et on tant cet homme «magni- nous change certaines choses. Comme naient parisiennes. « À la fiquement humain» était on dit chez nous, c’est au pied du mur fin des années 60, c’était y choisit tout entier dédié à qu’on reconnaît le maçon, vous savez. » une ville ouverte. On s’y ensuite ses combattre «ces vilénies Et de partir à nouveau d’un grand rire, sentait accueillies et compagnons que sont le racisme car si Catherine a son franc parler, ce qui protégées. On se mélan- et l’antisémitisme.» Elle étonne chez ce professeur aujourd’hui à geait assez facilement aux de route.” décide d’adhérer et n’est la retraite, c’est la fraîcheur toujours intacte Français, à part, bien sûr jamais revenue sur cette de son engagement. Chez elle, l’espoir est quelques pin-up qui nous snobaient à décision : « À la Licra, j’ai alors rencontré bien toujours ce qu’il était. | l’école… Mais après tout, nous aussi, on des gens qui avaient connu les pires Marie-Pia Garnier 44 | VIE DES SECTIONS

AVIGNON LYON FESTIVAL D’AVIGNON 2011 INTERDICTION DE Certains nous ont parlé d’atteinte à la La section Vaucluse souhaite organiser L’INTERVENTION DE liberté d ’expression. un point de rencontre Licra à l’occasion REPRÉSENTANTS DU HAMAS Pour la Licra, il ne saurait y avoir de liberté du festival d’Avignon, une action qu’elle ET DU HEZBOLLAH À LYON d’expression, dans notre République, pour entend pérenniser et qu’elle prépare en des représentants d’organisations terro- collaboration avec Martine Benayoun, Communiqué du 12/02/2011 ristes, et antisémites de surcroît. vice-présidente nationale en charge de Comment la République réagirait-elle si la Culture et de la Prospective. Depuis plusieurs jours, la Licra a interpellé des mouvements terroristes basque ou M. le préfet du Rhône et le maire de Lyon corse pouvaient intervenir librement, en STAGE DE “PRÉPARATION à propos du meeting annoncé salle Ra- toute impunité, dans une salle publique CITOYENNE À LA SORTIE” meau, le 12 février prochain. en France ? La Licra Avignon est intervenue pour la pre- L’organisation Résistance Palestine, sous Que des organisations puissent soutenir mière fois au Centre de détention de Tarascon, l’intitulé «Gaza, deux ans après» annon- la cause palestinienne en toute tranquillité dans le cadre d’un stage de «Préparation çait la participation de représentants du n’est pas mis en cause par la Licra (ce qui citoyenne à la sortie» destiné à un groupe Hamas et du Hezbollah. explique notre absence d’intervention de onze détenus. Mme Anne Chicard, Nous avons trop connu d’actes antisémites l’année dernière, concernant un meeting référente des stages citoyenneté à Tarascon, en 2009, résultant de l’instrumentalisation sur ce thème, mais sans la présence de pour l’Association pour la formation et du conflit israélo-palestinien, pour ne pas ces mouvements terroristes). l’insertion gardoise missionnée par le mi- redouter les conséquences de cette Nous venons d’apprendre que la Mairie nistère de la Justice, a été notre interlocutrice. légitimation d’organisations terroristes de Lyon vient de refuser la location de la Cette intervention a été appréciée par et antisémites. salle Rameau pour ce meeting. Madame Chicard, qui a souhaité une nouvelle Aussi, nous avons demandé au maire de Il s’agit d’une décision sage et prudente, visite au cours du second semestre. | Lyon, aux partis politiques républicains dont nous ne pouvons que nous féliciter. siégeant au conseil municipal de Lyon et Mais nous restons vigilants pour que ce au préfet de Région, d’interdire cette meeting, empêché salle Rameau, ne se manifestation. relève pas ailleurs. | DUNKERQUE e 18 février, à la demande de l’équipe éducative du collège Anne-Frank de NÎMES PÉRIGUEUX LGrande-Synthe, trois membres de la section sont intervenus conjointement avec e 21 février 2011, à l’occasion de son la demande du service du la conseillère principale d’éducation dans 5e anniversaire, la Licra Nîmes or- patrimoine de Périgueux, Betty et quatre classes de 5e. L’intervention avait Lganisait son premier dîner de gala. AMarcel Wieder sont intervenus, pour thème le respect des différences, la Invité de marque : Jean-François Kahn, les 10 et 11 février, devant soixante élèves tolérance, l’égalité, l’engagement. Elle a écrivain, journaliste, homme politique. du CFA de Boulazac. La présidente et le permis notamment de présenter la Licra, Près de quatre-vingt dix, adhérents, sym- secrétaire général de la section ont fait de sensibiliser les élèves à l’importance de pathisants, amis de la Licra, mais aussi visiter à ces jeunes, qui préparent le la vigilance contre toutes les formes de de très nombreuses personnalités avaient Concours de la Résistance et de la discrimination et de racisme pouvant exister répondu à notre invitation. Parmi elles, Déportation 2011, les lieux de mémoire au quotidien en milieu scolaire et à l’exté- des élus de la Ville, du Département et ayant trait à la déportation des juifs de rieur, et aussi de souligner concrètement de la Région, bien sûr, mais aussi de Périgueux, souvent réfugiés de Strasbourg. la possibilité de complémentarité et d’en- nombreuses personnalités du monde de Très attentifs à toutes les explications, richissement mutuel entre les actions l’éducation et du monde judiciaire, les jeunes ont posé de nombreuses d’enseignement et celles de la Licra. | magistrats, avocats, représentants des questions. églises... bref, une grande diversité. Ils ont par ailleurs exprimé le souhait de La soirée fut rythmée par le mot d’accueil travailler avec Betty Wieder sur la vie et du président, rappelant les actions menées l’arrestation de son père, exterminé à LILLE par la section depuis sa création et traçant Majdanek en 1943. La Licra Périgueux les lignes de ses engagements à venir, tient à remercier Mme Martine Balout, Lille, deux classes d’une école élé- puis par l’intervention de Jean-François chargée du Patrimoine à la municipalité mentaire classée ZEP participent à Kahn sur le thème «Une autre société est- de Périgueux, pour tout le travail qu’elle Ades ateliers d’écriture sur le racisme. elle possible ?». Le débat avec les invités a accompli afin que ces deux matinées Les élèves sont encouragés et guidés par se prolongea jusqu’à la fin de la soirée. soient programmées et réussies, ainsi l’auteure de jeunesse Elisabeth Brami. Ces Aux dires de chacun, c’est une belle ini- que les professeurs de l’établissement. | ateliers ont été mis en place par la Licra tiative à renouveler. | Lille Métropole et sont pilotés par Laure Michel, vice-présidente de la section. Avant de se lancer dans l’écriture, les élèves sont nourris d’ouvrages leur permettant de s’ap- proprier le sujet et d’échanger. Le projet Le nouveau site s’étend sur six mois et le résultat final sera présenté à d’autres enfants lillois au cours www.licra.org internet de Licra de lectures publiques. | Licra | Le droit de vivre | n°633 | avril 2011 | 45

TOULOUSE MIDI-PYRÉNÉES TOURAINE omme nous l’avions déjà annoncé, émarré en septembre 2010, le Strohl, présidente départementale de la dans le cadre du partenariat entre partenariat Licra Touraine/Urban’s Licra Touraine, a permis de guider la Cle ministère de la Justice et la DFoot s’est poursuivi, le 23 février créativité des équipes féminines parti- Licra, un site Internet contre les discri- 2011, avec un tournoi de futsal exclusi - culièrement motivées pour la réalisation minations a été inauguré à Toulouse ,le vement consacré à des équipes féminines. d’une carte postale prônant la tolérance, 21 mars 2011, en présence du maire de la Les objectifs de cette manifestation visent l’égalité et le respect dans le sport et en ville, de M. le procureur du tribunal de essentiellement l’accès au football pour dehors du sport. grande instance, de M. le procureur de les adolescentes des territoires dits sen- Emilie Dos Santos, ex-internationale, la république, et des représentants des sibles, ainsi que leur implication dans responsable de pôle, est intervenue sur principales organisations antiracistes, un projet qui les amène à sortir du la place du football féminin, encourageant dont notre association. cloisonnement géographique, à combattre ce jeune public à de nombreux échanges Ce site aura pour url : l’esprit de rivalité et à trouver une place très pertinents. www.nondiscrimination.toulouse.fr dans la sphère publique. Au-delà de cette sensibilisation à la Il propose : Les centres sociaux y sont largement citoyenneté, le tournoi de futsal, composé • De présenter les institutions et les acteurs associés. de neuf équipes, a battu son plein dans de la prévention contre les discrimina- Par le biais du futsal et des ateliers la bonne humeur, arbitré par des joueuses tions. citoyens s’y rattachant, ces jeunes filles du Tours Football Club et une arbitre • D’orienter les victimes et de les aider. ont ainsi le loisir d’allier sport et réflexions féminine. • De mettre à disposition des éléments contre toutes les formes d’exclusion. Dans un proche avenir, des rencontres documentaires, ainsi qu’une liste de A l’occasion de cette journée, Frédéric ciblées au sein des centres sociaux référents associatifs et institutionnels. Hamelin, rédacteur en chef de «Foot s’imposent afin de prendre le temps • D’exposer les événements et actions. citoyen» et invité de la Licra touraine, a du dialogue intergénérationnel nécessaire Il permettra aux associations engagées dans animé au côté de Thierry Lize, chargé à la transmission des références la lutte contre les discriminations de mieux du foot diversifié, l’atelier «Interview”, éducatives, histoire de les rendre plus actualiser leur savoir, de mieux le connaitre, suscitant un réel intérêt auprès des jeunes. audibles. | et d’échanger sur leur mode de travail. L’atelier Dessin/Slogan» supervisé par Ce site sera naturellement ouvert au public, Carine Bloch, présidente de la commission la Mairie de Toulouse aura la charge de Sport de la Licra nationale, et Martine recueillir les informations reçues. |

VANVES e 21 janvier, M. Didier Morvan, prin- projecteurs et musique pour les accom- Un film réalisé par la section d’Antony cipal du collège Notre-Dame de pagner à la chambre à gaz… Le pire pendant des témoignages en milieu sco- LFrance à Malakoff, les professeurs souvenir… Il parle de ses compagnons laire a été projeté. Mme Primard profes- d’histoire et soixante-quinze élèves de d’infortune morts en le suppliant de seur d’histoire, et la présidente de la troisième recevaient la Licra Vanves pour raconter… plus tard… section, Monique Abécassis, assuraient un après midi consacré au travail de Les collégiens écoutent attentivement, le débat qui a suivi la projection. | mémoire. et l’un d’eux demande : « Comment fait- Après une plongée dans l’Histoire avec on pour vivre après le camp de concen- le documentaire sur la montée du nazisme tration ? Avez-vous encore de la haine ? » en Europe, «Hitler 1933 - 1945», Charles Réponse : « Je n’ai surtout pas de haine Baron, rescapé des camps, très attendu envers la jeunesse allemande, elle n’a de tous, témoignait de ce que fut sa vie rien à se faire pardonner, mais contre depuis son arrestation par un gendarme ceux qui ont fait ça, oui, j’ai de la haine… français à l’âge de 16 ans. Il évoque avec Jamais personne ne m’a demandé peine la souffrance et les humiliations pardon… et le pardon, ça ne se distribue qui avaient débuté bien avant, quand il pas comme ça… » Un hommage aux devait signaler qu’il était juif : plus de Justes de France termine l’entretien : théâtre, plus de gymnase, plus de square « Ils sont l’honneur de notre pays… ». et obligation de prendre le dernier wagon Tout le monde se lève et Charles reprend : dans le métro… Il se souvient du «voyage» « Merci de vous souvenir de ces évène- LE DROIT sans destination, de la faim et de la soif ments et d’en parler autour de vous ». LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE de vivre dans la puanteur des excréments… Les 21 janvier et 3 février ont eu lieu les Pendant les trente-deux mois de sa rencontres annuelles avec une centaine Adressez vos captivité, à Auschwitz, puis à Dachau, il d’élèves des classes de troisième du ABONNEMENT chèques au travaille dur, dans des conditions extrê- collège Saint Exupéry à Vanves sur le Droit de mement pénibles… thème de la déportation et des camps 30€ Vivre, Il se souvient des événements cruels nazis. Nos deux témoins, Charles Baron par an 42 rue auxquels il a assisté, comme ce massacre et Yvonne Broder, victimes d’une santé du Louvre d’enfants juifs lithuaniens, en août 1944, désormais précaire, ont dû renoncer à 75001 Paris. une monstrueuse mise en scène avec l’habituel rendez-vous. 46 | VIE DE LA LICRA

Le quatrième salon du Livre de la fédération de Paris de la Licra

e salon se tiendra, comme les Caroline Fourest, Marek Halter, ainsi que à des personnalités connues pour leur précédents, à la mairie du 6e ar- des personnalités nouvelles telles que engagement dans nos combats le prix Crondissement, le dimanche 22 mai Dominique Schnapper, Shmuel Trigano, Licra. Il a été décerné, il y a deux ans, à 2011, de 14 h à 19 h . Patrice Duhamel, etc. l’auteur algérien Boualem Sansal pour Centré sur les thèmes de l’antiracisme Des tables rondes viennent ponctuer son livre «Le Village de l’Allemand», et de la diversité, notre salon regroupe l’après-midi ; elles sont souvent animées tandis que l’an dernier, les récipiendaires chaque année 40 à 45 auteurs de premier par des journalistes de premier plan, tels furent Caroline Fourest et Elie Barnavi. plan et attire plus de 1200 visiteurs. que Laurent Joffrin ou Eric Fottorino. Les Quels seront les auteurs de cette année ? Après avoir accueilli, les années précé- débats portent sur des sujets concernant Vous le saurez en venant nous rejoindre, dentes, des personnalités comme Simone la lutte contre le racisme et les discrimi- le 22 mai, dans la salle des fêtes de la Veil, Danièle Mitterrand, Lionel Jospin, nations, avec des personnalités telles que mairie du 6e. | Jean-Noël Jeanneney, Gonzague Saint Jacques Julliard, Alain-Gérard Slama, Gérard Unger Bris, etc., nous accueillons cette année Michèle Cotta ou Benoite Groult. des auteurs fidèles comme Elie Barnavi, Durant cette manifestation, la Licra remet

Carnet

NAISSANCE La Licra a le plaisir de vous annoncer la naissance le 22 février 2011 de Joshua. Toutes nos félicitations aux heureux parents Nessim et Susy Fitoussi et à sa grand-mère, notre collaboratrice, Patricia Fitoussi.

DÉCÈS Alain Jakubowicz, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), les membres du bureau exécutif et les militants de l’association ont appris avec émotion et tristesse le décès de Maurice Weinberg, ancien secrétaire général et vice- président national de Licra.

Leurs premières pensées vont à sa famille et à ses proches, à qui ils expriment leurs condoléances les plus vives.

La Licra tient à saluer la mémoire d’un homme généreux et engagé, qui a consacré sa vie à combattre toutes les formes de racisme et qui, au côté du président Jean Pierre-Bloch, a largement contribué à son histoire.

Maurice Weinberg restera pour les militants de la Licra l’infatigable défenseur des droits de l’homme et de la démocratie.

Avec sa disparition, la Licra perd une part de sa mémoire. Licra | Le droit de vivre | n°630 | juillet 2010 | 47

Courrier des lecteurs

 Bernice DuboisI les phrases sur Israël et la Palestine. la question de la légitimité de l’État is- Stéphane Hessel est né protestant et s’en Mais en ce qui concerne la France, le raélien ne se pose pas. Spire fait semblant est réclamé tout au long de sa vie. Il a fond me paraît juste. Il aurait fallu d’ignorer que les Palestiniens n’ont pas élevé ses enfants comme tels. Dans un davantage nuancer, à mon avis. Jmi | encore d’État comme si Palestiniens et seul texte récent, il s’est subitement dit Israéliens faisaient partie d’une même juif. Je ne sais pas pourquoi et cela  Éric GerbeI entité, Israël… m’indiffère. Vieil homme indigne ! à qui le tour ? Même méthode, un extrait relatif au Quant à ses prétentions, toutes aussi ré- Le «Droit de Vivre», dans le numéro dé- Hamas et aux actes terroristes « …alors centes, à une contribution quelconque à cembre 2010, vient-il de désigner Stéphane on peut dire que le terrorisme est une la Déclaration universelle, le seul texte Hessel comme la première victime d’une forme d’exaspération », puis le commen- officiel, rédigé par lui et déposé sur le nouvelle rubrique des pages culture «Ceux taire de Antoine Spire « En une phrase, site de l’ONU, dit le contraire. qui dérapent» tenue par A. Spire ? Stéphane Hessel tente ainsi d’excuser Cela est logique, car les rédacteurs étaient Cet article est bâti comme une fable le terrorisme ». Pourquoi Antoine Spire tous des personnalités reconnues de pays édifiante. (…) Cet article est une attaque ne cite-t-il pas les deux paragraphes aussi divers que l’Inde et la Chine (et ad hominem… dans leur totalité ? On y trouve : « je non seulement la France, le Canada et Stéphane Hessel s’insurge contre «la des- pense bien évidemment que le terrorisme les Etats-Unis). truction progressive du peuple palesti- est inacceptable… » Lui était un jeune débutant qui était là nien». Des territoires de plus en plus ré- Parvenu à la fin de la lecture de l’article pour apprendre et nullement pour y trécis, une désorganisation politique gran- d’Antoine Spire, nous comprenons qu’il participer. Il serait trop facile que chaque dissante, une dépendance économique ne s’agit pas d’une fable édifiante sur la secrétaire d’une personnalité illustre se toujours accrue de l’État israélien et des vieillesse, mais d’un réquisitoire sur le réclame d’avoir contribué aux textes de aides internationales, tout cela ne consti- schéma des procès de Moscou. C’est son maître. tuerait pas des éléments objectifs de triste d’en arriver à penser une chose J’avoue ma perplexité devant tant de cette destruction ? pareille, mais tout y pousse : une gens qui semblent ne pas oser confronter Qui dérape le plus entre Stéphane Hessel biographie tronquée pour induire des le sieur Hessel à ses propres contradic- qui écrit : «Israël reste un État sans doutes dans l’esprit du lecteur sur tions. Que craint-on, à la fin ? | légitimité avec un peuplement scindé l’intégrité du personnage : il semblait comportant des Juifs, maîtres, et des des nôtres, mais comment «bien que  JmiI Palestiniens voués à un régime de non- juif» a-t-il bien pu se sortir de situations J’ai trouvé le titre de l’article, dans le droit » ou Antoine Spire qui commente : dont tant d’autres n’ont échappé que par «Droit de Vivre», sur Stéphane Hessel, « Les Juifs seraient-ils les maîtres et les la mort ? | un peu déplacé. J’avais bien sûr remarqué Palestiniens les esclaves ? », Pour Hessel,

 RéponseI la désorganisation politique des Palesti- laquelle, pour ma part (ce point de vue L’article écrit sur la brochure de Stéphane niens, leur dépendance économique ne est personnel !), je continue à penser que Hessel a déclenché un courrier abondant. font pas une destruction ! l’interdiction faite aux partisans de Hessel Certains contestent à l’ancien résistant Les mots ont un sens. Dire qu’Israël est de débattre à l’Ecole normale supérieure son appartenance au monde juif ou sa «sans légitimité» est grave. L’ONU a fut contreproductive. Evidemment, ceux participation à la rédaction de la Décla- reconnu l’État hébreu, qui est légitime qui ne pensent pas comme lui n’étaient ration universelle des droits de l’homme. et démocratique. Même si, dans la pra- pas conviés (drôle de conception du dé- Nous ne trancherons pas entre ces points tique, les droits des citoyens arabes ne bat !), la réunion était organisée par le de vue, qui ont été, selon les moments, sont pas toujours respectés, ils ont des collectif Paix Justice Palestine, qui appelle ceux de Stéphane Hessel lui-même. droits politiques qu’on aimerait bien voir au boycott des universitaires israéliens, Tout un chacun a conscience que si son reconnaître aux minorités juives et mais cela ne justifiait pas qu’on annule opuscule connut un immense succès, chrétiennes dans de nombreux pays une rencontre que son interdiction a c’est du fait du rôle qu’il a joué par le arabo-musulmans . transformée en censure ! passé, sur lequel il nous paraît indigne Ma critique du texte d’Hessel, que je Antoine Spire de mégoter. Hessel a contribué à faire vi- maintiens, n’est pas un procès de Moscou. Rédacteur en chef du « Droit de vivre » vre, dès son retour de déportation, les On entend régulièrement cet auteur dans idéaux de la Résistance. Mais cela ne les médias, et ses critiques ont plutôt nous enlève pas le droit de discuter et de moins de place que lui. Les débats engagés contester le sens de son texte écrit en dans «Le Droit de vivre» sont prometteurs. 2010. La diversité des points de vue de ceux De mon point de vue, il n’est pas accep- qui y contribuent sont dignes d’intérêt. table de parler de «destruction progres- Dans un pays démocratique, la liberté sive du peuple palestinien». L’étroitesse d’expression n’est limitée que par les du territoire (Israël est lui-même plus lois condamnant le racisme (loi de 1972) www.licra.org petit que deux départements français !), ou la diffamation. C’est la raison pour