BEUGNON

Eglise Notre-Dame de l’Annonciation

L’église au début du XXe siècle

L’abbé Auguste Demeuré

Originaire de la Sarthe, il fut le seizième curé de Beugnon où il résida pendant cinquante ans de 1950 à 2000. Il officia au village et dans quatre autres paroisses avant de se retirer à la maison de retraite de Saint-Florentin où il décéda en 2003.

Historique

Rapport effectué en 1855, sous Napoléon III, dans le cadre d’un recensement des édifices nationaux et des œuvres d’art qu’ils renferment :

« L’église de Beugnon est située à l’extrémité nord du village, près d’un petit ruisseau, dans une prairie humide, ombragée de grands massifs d’arbres. On traverse le cimetière pour arriver à un petit porche en charpente dont plusieurs pièces sont décorées de ciselures gothiques. Le clocher offre un aspect très pittoresque, soutenu par de puissants contreforts et surmonté d’un campanile en ardoises qui le fait ressembler à un cartel féodal. »

Au XIIe siècle « Bugnone » n’était pas aussi étendu que de nos jours et les quelques maisons du hameau se situaient à l’intersection des voies reliant Germigny à Neuvy-Sautour et Saint-Florentin à Ervy-le-Châtel. L’érection de cette chapelle à l’écart du village ne semble pas trouver de justification quand on sait qu’à cette époque les habitations se groupaient généralement au plus près de l’édifice religieux.

Peu de temps après la fondation du prieuré de Franchevaux en 1159 les moniales bénédictines éprouvèrent le besoin de créer une léproserie. Ces établissements qu’on appelait alors bordels ou bordeaux* répondaient à des impératifs bien précis. Ils devaient être éloignés du village, proche d’un cours d’eau et hors du vent dominant (pour l’endroit, c’est le vent d’ouest) afin qu’il n’apporte pas les miasmes aux habitants. Ce fut donc cet emplacement correspondant à ces exigences qui fut retenu pour la fondation. Nous en avons la preuve par un document de cette époque citant : « La maladrerie de Bugnone ».

Il fallait également aux malades une chapelle nosocomiale, un lieu de culte approprié. C’est la raison pour laquelle à l’origine, les habitants du hameau n’y avaient pas accès et devaient faire plus d’un kilomètre pour assister aux offices dans l’église matrice de , paroisse de laquelle ils dépendaient.

Toutefois, une autre interrogation vient à l’esprit quand on considère l’imposant édifice appelé chapelle, qui ne semble pas en rapport avec les quelques pensionnaires occupant la maladrerie. Des églises similaires, avec nef unique et puissants contreforts se retrouvent dans l’Aube. C’est sur ce point que le lien avec Franchevaux se resserre car la fondatrice du prieuré, la comtesse de Bar avait déjà fait appel à des bâtisseurs ayant œuvré pour des chapelles templières. Ce style de construction est caractéristique, à la seule exception que nous avons ici un chevet à trois côtés au lieu d’un chevet plat.

*De nombreux lieudits à proximité des villages s’appellent encore : les Bordes ; ils abritaient au Moyen-âge d’anciennes léproseries. Après la désaffectation de la maladrerie certains offices y furent célébrés mais jusqu’au milieu du XVIe siècle les paroissiens n’eurent pas de vicaire et dépendaient de la disponibilité du curé de Soumaintrain. Or, il advint que celui-ci n’ayant pu se déplacer à temps, des enfants décédèrent sans baptême et des personnes moururent sans les derniers sacrements. Ces tragiques évènements furent à l’origine d’une révolte des villageois qui fut suivie pendant plus d’un siècle par de nombreux procès que les habitants intentèrent auprès de l’archevêché de afin que leur chapelle devienne une église dotée d’un prêtre*.

Le 29 avril 1557, une bulle du pape Paul IV donna enfin satisfaction aux habitants en érigeant la chapelle de Beugnon en église succursale de celle de Soumaintrain. Le 19 décembre 1675, elle fut définitivement déclarée église paroissiale du village avec nomination d’un vicaire desservant à demeure. Le premier curé de la paroisse de 1676 à 1683 fut Maître Jean Fouques.

L’église vers 1930

*Pour les détails, voir : Chroniques de Beugnon et de la seigneurie de Sautour. L’édification

La chapelle fut bâtie de la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe dans un style roman tardif qui n’était plus utilisé depuis plus d’un siècle. A l’origine, elle ne comprenait qu’une nef de plan basilical aux murs percés de baies cintrées et chanfreinées.

De l’extérieur on peut constater que les murs ne sont pas verticaux mais élevés en oblique de façon à compenser la poussée de l’énorme poids de la charpente. L’ensemble de l’édifice est renforcé par seize contreforts dont les deux plus imposants soutiennent le chevet. A l’origine, il en existait cinq sur chaque côté de la nef, quatre aux angles de la façade et du chœur. La tour du clocher, construite après la nef et accolée à celle-ci remplaça et fit office de contrefort à l’angle sud de la façade. Cinq de ces contreforts furent supprimés lors de l’ajout des deux chapelles latérales.

La flèche du clocher d’origine dont nous ne possédons malheureusement aucune description fut détruite par la foudre peu de temps avant 1789. Le clocher fut remplacé au début du XIXe siècle par un campanile octogonal en ardoises dans le style de Cluny. Il renferme deux cloches dont la plus grosse pesant 1400 kg a été fondue en 1816 et rachetée à l’église Saint-Eusèbe d’ en 1841. La petite cloche qui pèse 702 kg se nomme Marie- Joseph-Augustine et fut bénite le 13 octobre 1859 par l’abbé Edme Michaut, curé de Beugnon.

L’église nouvellement consacrée n’ayant pas de sacristie, une première chapelle collatérale fut érigée sur le côté nord au XVIIe siècle. Pour sa construction, on dut supprimer trois contreforts, ouvrir la muraille au niveau de la baie et y replacer la verrière du XVIe siècle. Au XVIIIe siècle, une autre chapelle dédiée à la Sainte-Vierge, fut accolée à la nef sur le côté sud, donnant désormais à l’église un semblant de plan en croix latine. Dans ce même siècle un prolongement de la nef doté d’un nouveau portail fut ajouté à l’édifice.

Le porche protégeant la petite entrée sud fut accolé à la chapelle au XIXe siècle. On utilisa pour sa charpente des poutres sculptées provenant du prieuré de Franchevaux qui était entièrement en ruines. C’est à cette même époque qu’une nouvelle fenêtre fut percée sur le côté nord de la nef. La massive charpente de la voûte qui n’est plus apparente est en forme de vaisseau renversé dans le style caractéristique des édifices cisterciens. Seule la partie située au-dessus du chœur est d’origine, du début du XIIIe siècle la partie recouvrant la nef ayant fait l’objet d’une restauration au XVe siècle.

Tout autour de l’église, principalement sur les côtés est et nord se trouvait le cimetière du village.

A l’origine, il était clôturé par une palissade en bois qui fut remplacée dans la deuxième moitié du XVIe siècle par un mur en pierres. Les tombes furent toutes déplacées en 1920 sur le site du cimetière actuel. La croix de fer actuellement placée au chevet de l’église fut bénite en 1786. Elle était alors située à l’entrée du cimetière, entre le porche et l’ancien mur du presbytère.

Plan de la chapelle originelle de la fin du XIIe siècle.

Plan de l’église actuelle avec les ajouts des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.

Visite de l’église

Le narthex

Passé le portail de l’extension ajoutée au XVIIIe siècle, on découvre le portail roman d’origine. L’espace développé entre les deux façades avait pour but de créer le lieu indispensable à toute église qu’on appelle narthex. Il revêtait une grande importance car il permettait aux non-baptisés qui n’étaient alors pas autorisés à pénétrer dans le lieu saint, de participer quand même aux cérémonies de baptême, de mariage ou d’obsèques.

Là sont placés de très beaux fonts baptismaux hexagonaux en pierre datant du XVIe siècle et portant gravés les noms de leurs donateurs :

IEAN GIBIER et IANNE sa FAME

Ils sont ornés de trois têtes d’angelots ailées et de deux écussons représentant les armoiries de Claude des Essarts, seigneur de Sautour et celles de sa femme, Gabrielle de Gouffier, Dame de Sautour, une gerbe de blé flanquée des lettres I et G.

Ces fonts baptismaux (1) ont été inscrits depuis 1986 à l’inventaire des Monuments Historiques.

La nef

La longueur actuelle du vaisseau est de 27,50 mètres et sa largeur de 8 mètres au niveau du chœur. La nef fut entièrement plafonnée au XIXe siècle à une hauteur de 10 mètres puis plâtrée en 1868. Passons rapidement la baie de gauche ouverte au XIXe siècle, ainsi que la statue en plâtre de sainte Thérèse de Lisieux, pour découvrir l’œuvre majeure de cette église.

Le Christ aux Liens (2)

Dans une niche en coquille, trône un Christ aux liens (ou Ecce Homo) en pierre. Polychrome à l’origine, il est caractéristique de l’école champenoise du premier quart du XVIe siècle. On en trouve de nombreux exemplaires dans la région troyenne, comme à Sainte-Savine ou à Saint-Nizier de Troyes et dans beaucoup d’autres églises de la campagne auboise.

L’œuvre ici présente doit son originalité au panneau de dévotion porté par deux angelots sculptés qui l’accompagne. Les vers y sont gravés en français et non en latin comme cela était d’usage à cette époque :

Mon créateur et rédempteur et vrai père Vérité, vie et la voie d’adresse, Ta grant douleur grâce et amor agere Sur ma povre âme vile et pécheresse Fiche en mon cœur la récordation Des blasphèmes, de l’opprobre et injure De ta cruelle et dure passion, Des crachements et double flagellure. Délivre moi de péché et d’ordure Par ton saint sang qu’en si grande abondance Tu épandis en croix et en torture Pour mon méfaict et désobéissance.

C’est le résumé douloureux de la Passion fait pour provoquer la compassion du chrétien en évoquant toutes les souffrances infligées au Christ. Le cœur percé ainsi que les deux pieds et les deux mains rappellent les cinq plaies de Jésus, d’où s’échappe le saint Sang rédempteur.

Piéta (3)

Sous ce Christ aux liens se trouve une petite Vierge de Pitié en pierre polychrome à l’origine. De très belle facture, elle est datée du XVIe siècle et provient des ateliers de sculpteurs champenois. Sur le cartouche sont gravées des sentences morales.

La Chapelle du Sacré-Cœur

C’est en 1663 que cette chapelle qui à l’origine était dédiée à saint Antoine et la sacristie qui lui est accolée furent ajoutées à la nef unique.

Sur le mur de gauche, une plaque commémorative placée en octobre 1930, rappelle le souvenir des habitants de Beugnon tués pendant la guerre de 1914-1918.

En face se trouve la dalle funéraire de l’abbé Germain Binet (5) qui fut curé de la paroisse avant la Révolution, de 1773 à 1790.

HIC MORTEM VIVUS QUI VITAM MORTUUS OPTAT UT OPTAVERAT OLIIT PLENUS DIERUM DI JUNI 29 ANNO DOMNI 1790 ETAPIS SUA VERO 43 GERMANUS BINET REQUESCAT IN PACE

D’autres plaques funéraires rappellent la mémoire d’anciens curés et de personnes ayant œuvré pour la paroisse : Celle de la famille de l’abbé Soudais, sa mère, sa sœur et ses nièces. Celle de l’abbé Labour, curé de Beugnon de 1866 à 1884. Située à l’origine sur la sépulture de l’abbé, elle fut mise dans la chapelle lors du déplacement des tombes au nouveau cimetière. Sur le mur droit de la chapelle, le grand tableau datant de la fin du XIXe siècle dont nous ne connaissons pas l’auteur, est un don de la confrérie du Sacré-Cœur de Jésus.

Un autre tableau est lui aussi d’origine inconnue.

La statue de saint Joseph (6) fut offerte par une personne qui a souhaité garder l’anonymat. Elle fut placée et inaugurée le 15 août 1898.

Le vitrail (4), en partie du XVIe siècle, fut restauré aux deux tiers en 1933 par M. David, maître verrier d’Auxerre. Il représente la dormition de la Vierge et en partie inférieure la venue des apôtres dans la maison de Marie.

Le chœur et l’abside de l’église vers 1960 Le chœur et l’abside

Les vitraux

Dans le chœur, les deux verrières furent posées le 12 août 1942. Le vitrail de gauche (7) représente en bas la dernière rencontre de Jésus avec sa Très Sainte Mère et en partie supérieure, la crucifixion. Celui de droite (8), l’Annonciation et la Visitation.

Dans l’abside, le vitrail central (9) fut posé le 4 mars 1939 lorsque l’abbé Valérien Total décida de faire rouvrir la baie murée en 1806. Il montre l’assomption de la Sainte Vierge. Le vitrail de gauche (10) représente la descente de croix de Jésus et sa mise au tombeau, celui de droite (11) retrace la nativité de Jésus et sa présentation au temple. Ces deux vitraux furent posés le 5 décembre 1941.

Les statues

Sur le mur gauche du chœur, une statue de Jeanne d’Arc (16) et sur le mur opposé, une statue de saint Michel (14), patron de Jeanne. Elles furent toutes les deux offertes par les paroissiens et installées en grande solennité le 10 octobre 1909. Au-dessous, récemment posée, une plaque à la mémoire de l’abbé Demeuré.

Les deux statue en pierre, celle de saint Robert de Molesme (15) et celle de saint François d’Assise (13) sont datées du premier quart du XVIIe siècle et proviennent de l’ancien prieuré de Franchevaux qui était sous la dépendance de l’abbaye de Molesme.

Sous le vitrail central, la statue de Notre Dame de l’Annonciation (12) à laquelle est dédiée l’église. C’est la seule église du diocèse placée sous cette titulature.

Le reliquaire (19) Sur le mur de droite, le reliquaire renferme les reliques de quatre saints : Saint Valentin, martyr romain du IIIe siècle – Saint Clément, quatrième pape martyrisé en l’an 97 – Saint Firmin, évêque d’Amiens, martyrisé au IVe siècle – Saint Edme, archevêque de Cantorbéry, inhumé à , dont la relique est un petit morceau d’os détaché du radius du saint par l’abbé Soudais le 2 septembre 1817.

Le lutrin (17)

Le pupitre en bois sculpté peint représentant un aigle ouvrant ses ailes est daté du dernier quart du XVIIe siècle et provient certainement aussi de Franchevaux. Il fut placé dans l’église en 1788. L’abbé Brûlé, vicaire de l’abbé Soudais, écrivait à son sujet en 1838 : « Que cet aigle enlèverait bien quatre moutons. »

L’antiphonaire romain qui est posé dessus date de 1865.

Les stalles (18)

Les stalles du chœur faisaient également partie du mobilier du Prieuré de Franchevaux. Le prie-Dieu est sculpté de symboles représentant les vertus théologales : la Foi, l’Espérance, La Charité et les vertus cardinales : la Justice, la Force, la Tempérance.

La chapelle de la Vierge

La chapelle sud a été ajoutée au XVIIIe siècle et la nouvelle sacristie du prêtre lui fut accolée.

La statue de saint Antoine de Padoue (21) fut achetée grâce à une souscription des paroissiens. Elle a été placée et bénite le 15 août 1898. Le tableau de la Vierge, œuvre d’un peintre anonyme du XIXe siècle, a été offert par les confréries du Saint-Rosaire et de Notre-Dame des Enfants.

L’armoire (23) à deux portes et colonnes torse du XVIe siècle provient du Prieuré de Franchevaux.

Le vitrail (22) commandé en 1942 par l’abbé Javelot fut posé en septembre 1945 et béni en décembre par son successeur l’abbé Total. Il représente en partie inférieure : Marie secours des chrétiens et en haut : les Noces de Cana.

La pierre tombale (20)

Au centre du transept se trouve la tombe de l’abbé Soudais. Né à en 1753, il succéda à l’abbé Germain Binet et fut curé de la paroisse de 1790 à 1843. Prêtre réfractaire, il a été déporté une première fois de 1793 à 1795 à Rochefort, puis une seconde fois dans l’île de Ré, d’où il s’évada. Il nous a laissé un émouvant récit de sa captivité et de ses souffrances sur les pontons. Il décéda le 4 octobre 1843 à l’âge de 90 ans et fut inhumé au centre de la nef.

Extrait de ses mémoires paru dans Armance & Forêt d’Othe de décembre 1993.

Hommage à l’abbé Auguste Demeuré

Article paru dans le journal l’ Républicaine.

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Isembard de Bunione