ANNÉE 2016
THÈSE / UNIVERSITÉ DE RENNES 1 sous le sceau de l'Université Bretagne Loire
pour le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1 Mention : Biologie / écologie Ecole doctorale Vie-Agro-Santé
présentée par Yoann Navasse
Préparée à l’unité de recherche UMR IGEPP 1349 Institut de génétique, environnement et protection des plantes
Thèse soutenue à Agrocampus Spécialisation Ouest le 7 décembre2016 parasitaire chez les devant le jury composé de : Flavie VANLERBERGHE Aphidiinae : existe-t-il Directrice de recherche, INRA, CBGP / rapporteur Jean-Pierre SARTHOU des parasitoïdes de Maître de conférences, INRA, ENSAT / rapporteur Marlène GOUBAULT pucerons Maître de conférences, IRBI, Université François Rabelais / examinatrice généralistes ? Anne-Marie CORTESERO Professeure, Université de Rennes 1 / examinatrice Nicolas RIS Ingénieur de recherche, INRA/ examinateur Anne LE RALEC Professeure, Agrocampus Ouest / directrice de thèse Manuel PLANTEGENEST Professeur, Agrocampus Ouest / co-directeur de thèse 2 Sommaire
Introduction générale ...... 5
I. Le caractère généraliste ...... 5 I. . Qu’est- e u’u e espèce généraliste ? ...... 5 I. . L’e iste e du a a t e g aliste, u sujet o t ove s ...... 6 I.3. La spécialisation écologique ...... 8 I. . I po ta e et ôle du a a t e g aliste/sp ialiste da s l’effi a it du se vi e écosystémique de régulation ...... 11 I.4.1. Le service écosystémique de régulation ...... 11 I. . . I po ta e du a a t e g aliste e vue d’u e lutte iologi ue pa o se vatio ...... 12 I. . . D fi i le a a t e g aliste ou sp ialiste d’u p dateu ou pa asitoïde ...... 14 II. Mod les d’ tude ...... 16 II.1. Les pucerons ...... 16 II.2. Les parasitoïdes Aphidiinae ...... 21 II.3. Spécialisation parasitaire chez les Aphidiinae ...... 24 II.4. Ve s la ise e pla e d’u e lutte iologi ue pa o se vatio , tats des o aissa es des communautés hôte-parasitoïde ...... 26
Objectifs de la thèse et méthodes utilisées ...... 30
I. P o l ati ue et a es d’ tudes ...... 30 II. M thodes ises e œuv e ...... 32 II.1 Analyse des interactions pucerons-parasitoïdes dans les agrosystèmes et recherche de structuration génétique ...... 32 II.1.1 Échantillonnage de terrain ...... 32 II. . . M thode d’ ha tillo age ...... 34 II.1.3. Les méthodes de détection du parasitisme ...... 35 II.1.4. Analyse de la structuration génétique par barcoding moléculaire : approche multilocus . 40 II.2 Expérimentations au laboratoire...... 41
Chapitre 1 : Les espèces de parasitoïdes généralistes à l'échelle d'un agroécosystème ...... 43
Objectifs ...... 43 A) Les espèces Aphidiinae et leurs traits généralistes ou spécialistes dans les agroécosystèmes ... 45
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B) Co pa aiso de deu thodes d’esti atio du pa asitis e et tude de la d a i ue d’e ploitatio te po elle des h tes de esp es g alistes ...... 82 Conclusion et perspective ...... 97
Chapitre 2 : Analyse du caractère généraliste, spécialisation et spéciation écologiques chez Diaeretiella rapae...... 101
Synthèse des connaissances sur Diaeretiella rapae et ses interactions avec les pucerons ...... 101 Objectifs ...... 103 A) D a i ue d’e ploitatio te po elle des h tes pa u e esp e supposée généraliste : Diaeretiella rapae ...... 105 B) Spécialisation écologique des Diaeretiella rapae en lien avec le caractère cultivés ou sauvages des plantes hébergeant les hôtes ...... 128 Conclusion et perspective ...... 149
Discussion générale et perspectives ...... 153
I. Avantages et inconvénients des deux méthodes utilisées pour la détection du parasitisme et pour l’esti atio des spe t es d’h tes des Aphidii ae ...... 153 II. Les espèces généralistes chez les Aphidiinae ...... 155 III. Comment se répartissent les espèces généralistes et spécialistes dans les agroécosystèmes et comment agissent les facteurs de spécialisation sur le caractère généraliste et spécialiste des Aphidiinae ? ...... 160 III.1. Répartition et distribution des espèces généralistes et spécialistes dans les différents habitats des agrosystèmes au cours du temps...... 162 III.2. Les facteurs de spécialisation écologique chez les Aphidiinae ...... 163 III.3. Le maintien du caractère généraliste chez les Aphidiinae ...... 166 IV. Conséquences agronomiques de la spécialisation parasitaire des Aphidiinae ...... 167
Références bibliographiques hors articles ...... 170 Annexe ...... 188
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Introduction générale
Cette thèse est consacrée à la sp ialisatio pa asitai e au sei d’u groupe d’i se tes parasitoïdes les Aphidiinae (Hymenoptera : Braconidae). La uestio de l’e iste e et du aintien du caractère généraliste dans les populations naturelles, présentes dans les agroécosystèmes, va être abordée dans ce travail. Nous avons cherché à observer, en conditions naturelles et à une échelle locale, les modes d’e ploitatio s des ressources par les Aphidiinae, ressources constituées par les différentes espèces de pucerons hôtes. Des pistes de recherche sur les facteurs de spécialisation écologique chez les parasitoïdes seront explorées, ainsi que leurs conséquences sur le service écosystémique rendu par ces organismes.
I. Le caractère généraliste
I.1. Qu’est- e u’u e esp e g aliste ?
La notion d’esp e g aliste et spécialiste est fortement utilisée dans les études portant sur la o p he sio des a is es d’ volutio des esp es, notamment à travers les mécanismes de spécialisation. Ce concept de spécialisation est e t al da s le do ai e de l’écologie évolutive, de l'écologie comportementale et de l'écologie des communautés (Rieseberg, 2001 ; Kassen, 2002 ; Coyne et Orr, 2004 ; Bolnick et al., 2007 ; Loxdale et al., 2011). Central car les caractéristiques écologiques des espèces généralistes et spécialistes sont à la base de la répartition des espèces dans l’espa e et de l’o ga isatio des seau t ophi ues (Devictor et al., 2008, 2010). En effet, la sélection naturelle induit des stratégies plus ou moins spécialisées chez les espèces, selon un compromis évolutif e t e la apa it d’u e esp e à e ploite u g adie t de essou e et la performance sur cette ressource (Levins, 1968). Les stratégies spécialistes devraient bénéficier d'environnements qui sont relativement homogènes dans l'espace et / ou le temps, alors que les stratégies généralistes devraient bénéficier d'environnements hétérogènes dans l'espace et / ou le temps (Kassen, 2002 ; Marvier et al., 2004 ; Ostergard et Ehrlen, 2005). Le fait est que la dégradation de l'habitat doit affecter négativement les spécialistes est prédit par la théorie de l'évolution de niche (qui sera développé ultérieurement). La manipulation de ce concept dans des études d'écologie nécessite de d fi i p is e t e u’est une espèce généraliste. U e a i e d’a o de e o ept est d'établir les différences fonctionnelles entre une espèce généraliste et une espèce spécialiste. Les spécialistes auront une niche écologique étroite, tandis que les généralistes seront adaptées à un plus grand nombre de conditions et de
5 ressources environnementales. Les espèces spécialistes vont répondre de manière plus forte aux perturbations de leur environnement que les généralistes, et seront davantage sujettes à l'extinction (Evans et al., 2005 ; Wilson et al., 2008). De nombreuse études suggèrent que les espèces spécialistes sont en déclin dans le monde entier et ce dans différents groupes taxonomiques (papillons, Warren et al., 2001 ; carabes, Kotze et O'Hara, 2003 ; plantes, Rooney et al., 2004 ; bourdons, Goulson et al., 2005). Ceci est appuyé par la reconnaissance croissante que les espèces ne sont pas égales face au is ue d’e ti tio lié aux changements globaux (Olden, 2006). La deuxième caractéristique fonctionnelle des spécialistes, comparées aux généralistes, est la performance da s l’utilisatio de l'habitat ou des ressources alimentaires, qui est généralement plus élevée chez les spécialistes dans les conditions correspondant à leur niche écologique (Fox et Morrow, 1981 ; Futuyma, 2001 ; Devictor et al., 2010). Autrement dit, dans des conditions environnementales idéales, les espèces spécialistes présentent un avantage sur les espèces généralistes, alors que les stratégies généralistes sont avantageuses en cas de faible disponibilité des ressources ou dans un environnement instable (Pyke, 1977 ; Devictor et al., 2010). Certaines études laissent penser que la perte et la fragmentation des habitats, combinées aux changements globaux, entraîneront des bouleversements dans les communautés biologiques, notamment par une réduction du nombre d'espèces, et une domination des espèces généralistes (McKinney et Lockwood 1999, Warren et al., 2001). Le caractère généraliste des espèces semble donc être un avantage face aux perturbations environnementales, pour autant l'existence même de tels généralistes est sujette à discussion au sein de la communauté scientifique.
I.2. L’e iste e du caractère généraliste, un sujet controversé
Dans leur article paru en 2011, Loxdale et collaborateurs, d fe de t l’id e de l’i p o a ilit évolutive du caractère généraliste. Ces auteurs défendent l'idée ue l’ volutio conduit nécessairement à la sélection du caractère spécialiste au sein des populations, possiblement induit par la spécialisation écologique (Schluter, 2001). Pour ces auteurs, les espèces apparemment généralistes occupent finalement des niches écologiques distinctes en développant des adaptations permettant leur occupation. Ce point de vue est contesté, en particulier par Dennis et al. (2011) qui soutiennent que les espèces généralistes existent réellement dans la nature. Ils ajoutent que le a a t e g aliste o stitue u e assu a e o t e les is ues d’e ti tion des espèces, risques auxquels les spécialistes sont plus exposés. De plus, la limite, la distinction entre espèces généraliste et spécialiste constituent une réelle p o l ati ue. La i he ologi ue d’u e esp e ta t o pos e de nombreuses dimensions (Hutchinson, 1957), une espèce peut par exemple être généraliste pour sa ressource alimentaire
6 mais spécialiste du point de vue de son habitat. Finalement, on peut avoir autant de traits généralistes que de dimensions de la niche écologique. La limite entre ces deux "états" est d’auta t plus complexe à fixer que cette notion est relative, une espèce étant toujours plus ou moins généraliste relativement à une autre. En conditions naturelles, on observe plutôt des gradients de spécialisation, allant pour un m e g oupe d’esp es d’u a a t e h pe spécialisé à un fort degré de « généralisme », avec de nombreux états intermédiaires (Lapchin, 2002). Par exemple, McPeek disti gue t ois t pes d’esp es g alistes. Le p e ie t pe eg oupe des espèces que l’o peut qualifier de « super-généralistes » capables d’ t e pe fo a tes da s l’e se le des compartiments de la niche écologique occupée pa l’esp e et d’ t e o p titif ave des esp es spécialistes. Le deuxième type fait appel à des espèces polymorphiques dans lesquelles se regroupent une diversité de populations ou d’i dividus sp ialis s dans une dimension particulière de la i he ologi ue o up pa l’esp e, o ept fo ul pa ‘ougha de et d fe du pa Bolnick (2003). Le troisième type, intermédiaire entre les deux premiers regroupe des individus performants dans la plupart des compartiments de la niche, mais en général moins compétitifs avec des espèces spécialistes. Une espèce à la base considérée comme généraliste peut voir la taille sa niche écologique se réduire par un évènement de spécialisation. Ce processus évolutif peut avoir lieu chez certaines populations en réponse aux caractéristiques de la communauté da s la uelle ils s’i s ive t, à une zone géographique donnée ou aux changements globaux (Fox et Morrow, 1981 ; Thompson, 1994). La spécialisation peut être définie comme le o p o is volutif e t e la apa it d’u e esp e à exploiter un gradient de ressource et la performance sur cette même ressource (Fox et Morrow, 1981 ; Barbault 2008). Malgré des études qui considèrent la spécialisation comme une impasse évolutive (Moran, 1988 ; Futuyma, 2001 , d’aut es tudes o t o t ue la sp ialisatio ’ tait pas un état définitif et que toutes les trajectoires évolutives étaient possibles : généralistes - généralistes, généralistes - spécialistes, spécialistes - généralistes ou encore spécialistes - spécialistes (Thompson, 1994 ; Nosil, 2002).
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I.3. La spécialisation écologique
Définition et concept La spécialisation écologique sulte d’u e divergence écologique (Schluter, 2001 ; Rundel et Nosil, 2005). Elle fait écho à la théorie des niches qui est défini par Hutchinson (1957) comme un hyper- volume à « n » dimensions dont les axes sont constitués par les variables ou les ressources environnementales (Begon et al., 2006). La théorie de la niche écologique fait la synthèse de toutes les interactions entre une espèce et de son environnement (Hutchinson, 1957; Chesson, 2000). Par conséquent, ce concept combine les exigences écologiques de l'espèce et son rôle fonctionnel dans la communauté. La i he ologi ue d’u e espèce définit une capacité potentielle d’utilisation des ressources et de tolérance aux conditions environnementales, qui constitue sa « niche fondamentale », ’est-à-dire la place théorique qu'elle peut occuper da s l’e vi o e e t. Celle-ci est rarement totalement occupée puis u’à e iveau interviennent les interactions interspécifiques o p titio , p datio , pa asitis e, … . On définit alors pour chaque espèce une niche dite « réalisée » (Hutchinson, 1957 ; Begon et al., 2006 ; Keet, 2006). Cette distinction entre les deux échelles de niche découle du principe d’e lusio o p titive de Gause (1934), qui dit que deux espèces ne peuvent pas dans un écosystème se développer en exploitant parfaitement la même niche écologique (Futuyma, 2001). Le partitionnement de la ressource permet la séparation des niches écologiques et la diminution de la compétition entre les espèces (Chesson, 2000). Les espèces d'une même guilde doivent soit utiliser différentes formes de la ressource (Futuyma et Moreno, 1988 ; Ferry-Graham et al., 2002 ; Hardy et Otto, 2014), soit l'utiliser différemment dans le temps et dans l'espace pour survivre (Clavel, 2007) (Fig. 1).
Figure 1. Deux espèces avec exactement la même niche écologique e peuve t oe iste . L’ volution mène soit à un déplacement de niche soit à une variation de largeur de niche conduisant à deux stratégies différentes : les espèces spécialistes et généralistes (Clavel ,2007).
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En théorie, l’évolution tend à sélectionner les organismes qui présentent la meilleure fitness autrement dit la largeur de la niche d’une espèce devrait évoluer de façon à optimiser sa survie et son bilan énergétique entre acquisition et dépenses pour l’e ploitatio d’u e essou e. Dans ce cas, la spécialisation écologique devrait intervenir quand elle permet une augmentation de la fitness des organismes (Futuyma, 2001). Ce i est illust pa la th o ie de l’opti al fo agi g ui d fi it en fonction de la richesse énergétique, du temps de recherche et du temps de manipulation des ressources, l’évolution du régime alimentaire optimal d’un organisme (Pyke et al., 1977 ; Stephens et Krebs, 1986). Ce gain énergétique est primordial dans la compréhension des relations proie- prédateur et hôte-parasitoïde.
Les facteurs de spécialisation écologique Les conditions identifiées dans la majorité des modèles comme favorables à une spécialisation portent principalement sur les caractéristiques des ressources trophiques disponibles (Futuyma et Moreno, 1988 ; Thompson, 1994) et sur la nature des interactions qui existent au sein de la communauté biologique (; Hardy et Otto, 2014). Une ressource est un facteur de spécialisation notamment de par son abondance, sa fréquence au cours du temps, sa plus ou moins grande mobilité et les adaptations morphologiques et/ou physiologiques nécessaires à sa capture, sa consommation ou sa digestion (Thompson, 1994 ; Begon et al., 2006). Cette spécialisation écologique par la ressource a été très étudiée chez les insectes phytophages. Les compromis alimentaires sont au centre de la spéciation écologique chez les différents biotypes observés chez le puceron du pois Acyrthosiphon pisum (Peccoud et al., 2009), tout comme dans l’appa ition de races d’hôtes chez la mouche de la pomme Rhagoletis pomonella (Feder et al., 1988 ; Filchak et al., 2000) ou encore chez la mouche Eurosta solidaginis (Craig et al., 1993) avec l’a uisitio d’u ouvel hôte. Les interactions interspécifiques, plus particulièrement la compétition et la prédation jouent également un rôle important dans la spécialisation, de manière directe ou indirecte (Nosil et Crespi, 2006). Les compétiteurs te de t à fai e flu tue les iveau de essou e et ai si di i ue l’a s à la ressource. Les prédateurs augmentent le risque encouru lors de la recherche ou l’acquisition d’u e ressource. Il semble donc profitable pour une espèce soi de se spécialiser davantage sur une ressource pour augmenter son efficacité soi de déplacer ses exigences sur une autre ressource libre de compétiteurs ou limitant la prédation (Stephens et Krebs, 1986 ; Futuyma et Moreno, 1988 ; Ferry-Graham et al., 2002). De plus, la variation de l'environnement joue u ôle i po ta t da s l’évolution de la niche. La spécialisation est pensée comme une réponse évolutive à un environnement qui est stable dans l'espace et le temps, alors que les stratégies généralistes sont plus susceptibles d'être favorisées par
9 des environnements hétérogènes et perturbés (Kassen 2002). En d'autres termes, la probabilité de spécialisation est plus grande dans un environnement relativement stable que dans un environnement soumis à des changements (Scheiner, 2002). Les agroécosystèmes tels qu'ils existent dans l'agriculture des pays tempérés, en particulier française, sont principalement composés de deux types d’ha itats, les habitats cultivés et les habitats semi-naturels, en proportions variables selon les contextes de production. Le milieu cultivé subissant de fortes perturbations due à l’alte a e des cultures et aux pratiques culturales, comme le travail du sol ou l'usage de pesticides, (Rodriguez et Hawkins, 2000 ; Gurr et al., 2003) pourrait être propice au maintien du caractère généraliste chez les espèces qui y exploitent des ressources. Schématiquement, dans un tel environnement, le chevauchement des niches écologiques et la concurrence génèrent une force de sélection vers la spécialisation des espèces, mais l'instabilité de l'environnement et les variations dans la disponibilité des ressources permettent de promouvoir des stratégies généralistes.
De la spécialisation à la spéciation Pa le ph o e de l’ volutio , la sp ialisatio ologi ue d’u e esp e ou d’u e populatio peut conduire à une spéciation écologique (Schluter, 2001 ; Rundel et Nosil, 2005), qui peut avoir lieu dans tous les arrangements géographiques, allopatrie, parapatrie ou sympatrie (Matsubayashi et al., 2010). La spéciation est un processus évolutif qui induit les isolements reproductifs entre des individus appartenant à la base à la même espèce et ainsi entraî e l’appa itio d’u e ouvelle espèce (Ravigné, 2010). La spéciation écologique repose sur une divergence écologique initiale au sei de l’esp e a est ale - ’est-à-dire une adaptation à des environnements différents ou un ha ge e t da s l’utilisatio des essou es ou des ha itats - qui entraîne l’ ta lisse e t de barrières aux flux des gènes entres les individus présentant des écologies contrastées et induit la fo atio d’u e ouvelle espèce (Rundel et Nosil, 2005). La spéciation ne conduit pas obligatoirement et rapidement à des différences morphologiques entre les espèces. L’a se e de différences morphologiques constitue des espèces qualifiées de cryptiques : morphologiquement semblables mais g ti ue e t diff e tes Ma , . O peut l’e pli ue pa u e dive ge e trop récente entre les espèces pour que des différences morphologiques aient pu se mettre en place (Bickford et al., 2007) ou il peut exister une pression de sélection stabilisante pour maintenir certaines caractéristiques morphologiques dans des environnements spécifiques (Wake et al., 1983).
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I.4. Importance et rôle du caractère généraliste/spécialiste dans l’effi a it du service écosystémique de régulation
I.4.1. Le service écosystémique de régulation
Dans l'agriculture Européenne et particulièrement Française, l’ag o ologie est actuellement en plein développement. Cette science (Wezel et al., 2009) vient en appui du contexte réglementaire qui vise à li ite l’utilisation des produits phytosanitaires, en France particulièrement via le plan Ecophyto i itiale e t la e suite au G e elle de l’E vi o e e t du tio de % de l’usage des produits phytosanitaires, piloté par Mi ist e de l’ag i ultu e, de l’ag oali entaire et de la forêt) et constituant le plan national de la France dans le cadre de la directive Européenne 2009/128/CE. Pour ai te i le iveau des e de e ts e di i ua t l’utilisatio des pesti ides, l’ag o ologie ise su la mobilisation des processus naturels pour réguler les bioagresseurs des cultures, dont les insectes ravageurs et les plantes adventices présents dans les parcelles cultivées (Tassin, 2011). Dans cette thèse, nous allons nous s’i t esse plus pa ti uli e e t au se vi e os st ique de régulation des populatio s d’i se tes avageu s, mobilisant les ennemis naturels de ces ravageurs (Power, 2010). Cette notion de service écosystémique a été définie par Daily (1997) et reprise lors du Millenium Ecosystem Assessment (2005). Les services écosystémiques ont été classés suivant quatre catégories : de support, d’app ovisio e e t, de gulatio et culturels. Les services de régulation concernent les bénéfices issus des processus écosystémiques régulant le cycle de l’eau, le climat ou le niveau des populations d'êtres vivants. Le contrôle biologique des ravageurs assuré par leurs ennemis naturels est un de ces services écosystémiques de régulation. L'objectif général est de renforcer ce contrôle biologique en mobilisant les différents types d'ennemis naturels. Cet objectif rejoint ceux de ce qu'on appelle plus classiquement la lutte biologique. On distingue trois stratégies de lutte biologique (Van Driesch et Reardon, R, 2004): - la lutte biologique par acclimatation qui consiste à introduire u au iliai e d’o igi e e oti ue da s u ilieu olo is pa u avageu , da s le ut u’il s’ ta lisse de a i e pe a e te et u’il assu e u e gulatio du a le des populatio s du avageu . Celle-ci est le plus souvent utilisée quand le ravageur est lui-même non autochtone. Dans ce cas, l’au iliai e i t oduit p ovie t e g al de la e ai e d’o igi e ue l’esp e uisi le. Les i t odu tio s d’e to ophages e F a e depuis le d ut du e siècle ont été très nombreuses avec des résultats plus ou moins probants (Malausa et al., 2008). Pour limiter les risques d'effets non intentionnels de telles introductions, la réglementation récente mise en place en France (Décret n° 2012-140 du 31 janvier 2012).
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- la lutte biologique inondative repose sur le principe de réaliser des lâchers massifs et p t s d’au iliai es viva ts atodes, a a ie s, i se tes da s la ultu e ou da s le sol afin de limiter les populations de ravageurs par prédation ou par parasitisme. Cela suppose l’e iste e d’ levages ou de productions de masse de ces organismes. Un des exemples les plus connus est l'utilisation des trichogrammes, Trichogramma brassicae, parasitoïdes oophages, pour lutter contre la pyrale du maïs Ostrinia nubilalis (Dicky et Byers, 1994 ; Smith, 1996 ; Wright et al., 2002). Dans cet exemple, la capacité du trichogramme à exploiter plusieurs espèces hôtes différentes est utilisée pour permettre une production économiquement viable, grâce à un hôte de substitution permettant l'élevage en masse de l'auxiliaire, différent de l'hôte cible. - la lutte biologique par conservation o siste e la a ipulatio de l’e vi o e e t dans le ut de favo ise l’a tio de gulatio des e e is atu els p se ts da s les ag os st es. Cette thode peut o siste e l’opti isatio des ha itats favo isa t l’i stallatio des ennemis naturels en leur fournissant des ressources alimentaires ou des refuges qui se doivent d'être adaptés à ces espèces (Gurr et al., 2004 ; Heimpel et Jervis, 2005). Qu'en est-il du rôle de la spécialisation des ennemis naturels pour la lutte biologique par conservation ?
I.4.2. Importance du caractère généraliste en vue d’u e lutte iologi ue pa conservation
Dans ce contexte, le a a t e g aliste ou sp ialiste d’u ennemi naturel va grandement conditionner efficacité du service écosystémique rendu. L’effi a it de la lutte biologique par conservation repose sur deux paramètres, la capacité de l’ennemi naturel à réguler efficacement les populations de ravageurs et la capacité des populations des ennemis naturels à se maintenir dans l’e vi o e e t local (Thomas et al., 1992 ; Barbosa, 1998). Ces deux paramètres sont fortement i flue s pa le deg de sp ialisatio de l’ennemi naturel. Plus celui-ci sera spécialisé sur le ravageur, plus il devrait être efficace (Straub et al., 2011). Cependant un niveau trop élevé de spécialisation peut être une contrainte forte, notamment par rapport au deuxième paramètre. En absence du ravageur cible (absence de la culture), l’e e i atu el sans ressource ne peut se maintenir localement et la colonisation de la culture lors de l'apparition du ravageur au printemps suivant peut être ralentie et ainsi réduire l'efficacité de cet ennemi naturel malgré son fort degré de spécialisation (Holt et Lawton, 1993). Les ennemis naturels plus généralistes, qui pourront survivre e l’a se e du avageu i le e e ploita t d’aut es essou es p se tes da s l’e vi o e e t semblent être des cibles privilégiées pour développer des méthodes de lutte biologique par conservation (Devictor et al., 2010 ; Straub et al., 2011). Une autre façon pour ces espèces de se
12 maintenir en absence de ressource et notamment durant la période hivernale est de développer des st at gies d’hive atio comme la diapause ou la migration, qui peuvent dans certains cas coexister au sei d’u e e esp e La pe t et al., 2010 ; Raymond et al., 2013). Les conditions de température hivernales représentent une contrainte environnementale forte notamment pour les organismes ectothermes comme les insectes et les organismes au sommet des chaînes trophiques doivent répondre à une baisse de la densité de ressources alimentaires (Danks, 2007 ; Bale et Hayward, 2010). Le passage de l’hive est u p o essus d’u e i po ta e u iale da s le le écologique des organismes et potentiellement structurant pour les populations (Lampert et al., 2010). Le climat océanique qui se caractérise par un hiver doux, accentué par le réchauffement climatique contribue à limiter les phases de diapause chez les insectes, pouvant structurer les espèces. Par exemple, les conditions hivernales vont influencer chez les pucerons le mode de reproduction durant cette période (Simon et al., 1999 ; Delmotte et al., 2001 ; 2003). L'anholocyclie (voir ci-dessous) observée chez beaucoup d'espèces en climat océanique conduit au maintien d'une population active, susceptible d'être exploitée par des ennemis naturels. Fi ale e t, l’e e i atu el "idéal" devrait être spécialisé sur le ravageur cible, tout en gardant un « degré de généralisme » pe etta t so ai tie da s l’e vi o e e t lo al, à proximité des parcelles agricoles à protéger. Plusieurs pistes peuvent être mobilisées pour mettre en place une lutte biologique par conservation reposant sur de tels ennemis naturels : - Instaurer de la compétition apparente, qui se définit comme une interaction indirecte entre deu esp es pa l’i te diai e d’u e emi naturel commun (Holt, 1977), c’est-à-dire que la p se e d’u e esp e donnée, par exemple un insecte phytophage, conduit à augmenter les iveau de populatio s d’u e e i o u à deux espèces, ce qui entraîne une diminution des niveaux de population de la deuxième espèce (Holt et Lawton, 1994 ; Van Veen et al., 2006). Il existe quelques exemples connus de compétition apparente, notamment chez les parasitoïdes (Bonsall et Hassell, 1997 ; Morris et al., 2004, Van Veen et al., 2006) ; il y a moins d'exemples documentés dans les relations proies-prédateurs, malgré un fort potentiel, puisque les prédateurs étant moins spécialisés, ils seront potentiellement capables de consommer un plus large éventail de proies (Van Veen et al., 2008). - Améliorer les conditio s d’hive ation, puisque celles-ci peuvent conditionner grandement l’effi a it du contrôle biologique, notamment pour la coïncidence temporelle de la ep ise d’a tivit des ravageurs et de leurs ennemis naturels. Les activités hivernales des parasitoïdes ont une grande importance dans la suppression des populations printanières de pucerons (Plantegenest et al., 2001). L’i t t du modèle hôte-parasitoïde est que la diapause de ce dernier peut avoir lieu avec son hôte. Le calage parfait des cycles biologiques peu avoir comme conséquence de réduire de décalage dans la ep ise d’a tivit . Ceci est surtout théorique, car les systèmes pucerons-parasitoïdes en hiver ont
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