MANOIRS ABANDONNÉS A la mémoire de mon arrière-grand-père René, Marquis de Bouillé, qui restaura le vieux manoir familial.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 20 EXEMPLAIRES SUR PAPIER TEINTÉ SPÉCIAL NUMÉROTÉS A LA PRESSE DE 1 A 20

ANTOINE DE BOUILLÉ

MANOIRS ABANDONNES ÉTUDE D'HISTOIRE LOCALE

ILLUSTREE DE DESSINS AU LAVIS DE PHILIPPE KAEPPELIN

PARIS M C M L

BESQUES

E 1 8 juin 1767, dans une battue dirigée par le Marquis d'Apchier, la bête du Gévaudan fut tuée d'un coup de fusil chargé de trois balles. En l'ouvrant on trouva l'os et l'épaule d'une jeune fille qu'elle avait dévorés vingt-quatre heures auparavant. Elle fut portée dans le château voisin de Besques, de M. d'Apchier, sur les confins du Gévaudan et de l'Auvergne où une foule de curieux allèrent la voir. Elle fut ensuite expédiée à Paris par les soins du marquis d'Apchier et montrée au roi. M. de Buffon chargé de l'examiner reconnut que c'était un loup mais d'une taille extraordinaire, lisons-nous dans une chronique (1). Aujourd'hui, plus personne ne connaît Besques. Cepen- dant la carte d'état-major indique une construction de ce nom au carrefour de deux sentiers de montagne, dans cette curieuse région qui s'élève au-dessus de l'Allier, à l'Ouest de Prades : région sans routes et presque inhabitée, striée de profonds ravins qui s'en vont rejoindre les gorges de la rivière, au milieu des rochers et des bois. Partout des bois... Çà et là un pâturage, de maigres champs aux abords d'une ferme ou d'un hameau isolé, avec ses maisons en gros cubes de granit bâties, dirait-on, pour défier l'éternité. Le voyageur partant de suivra la route de sur six kilomètres environ, jusqu'au lieudit la Muda où il s'engagera sur une piste qui descend toute droite à travers bois. Au bout d'une demi-heure de marche apparaît au creux d'un vallon verdoyant, une construction quadrangulaire : c'est Chambelève, l'ancienne ferme du château de Besques. Juché sur un sommet rocheux à une demi-lieue de distance, le village de se détache dans le ciel clair : à sa droite c'est la trouée de l'Allier avec, à l'arrière-plan, les monts du Velay. A côté de nous, bor- dant un ruisseau descendu de et s'appelant précisément le « Besque », une digue en énormes blocs rocheux ; non loin, les restes d'un moulin. Sur cette digue, éboulée en son milieu, le chemin obliquait naguère vers la droite, montant jusqu'au manoir... Le fermier du lieu nous expliqua qu'autrefois il y avait ici une grande pièce d'eau qui s'étalait au pied du château ; mais que de celui-ci, il ne restait plus rien. Il serait même difficile, je crois, de trouver un manoir, encore debout il y a cent ans et ayant laissé de nos jours (1) A. André. La Bête du Gévaudan, page 203. aussi peu de traces que Besques : il ne reste plus un pan de mur, plus une pierre — seul le cadastre de 1813 consulté à la mairie de Charraix nous a permis de retrouver, au milieu des champs, l'emplacement de ce manoir. A en juger d'après ce plan cadastral, la construction dut être assez importante : elle occupait toute la parcelle 813. Là, au centre d'un pré rectangulaire coïncidant avec le tracé de l'habitation, on distingue encore les restes d'un puits. Autrefois deux larges avenues, dont on reconnaît parfaitement les vestiges, se croisaient à angle droit devant le château : l'une arrivant par-dessus la digue ; la seconde, bordée d'un côté par la pièce d'eau, de l'autre par la belle forêt de hêtres qu'on peut toujours admirer; un troisième chemin s'en allant presque rectiligne, en direction de Charraix. Le site est vraiment imposant.

Essayons maintenant de reconstituer l'histoire de cette demeure disparue. C'est en 13 51 que le nom « Mansus de Besque » est cité pour la première fois (Archives du Château du Thiolent). Un manuscrit de 1461 se trouvant à la Bibliothèque Nationale mentionne, de son côté, un « moulin » de Besques : « Molendinum de Besque ». Dès le XVI siècle, la terre et le château étaient possédés par la famille de . Originaire des environs de Langeac, cette famille pos- sédait des terres fort considérables s'étendant entre Pébrac et . Depuis 1421, leurs armoiries étaient d'azur au chef d'argent. Dès 1540 nous voyons Balthazar de TAILHAC rendre hommage au Sire de Mercœur des terres de Charraix, Margeride et Clavières (1). Pendant (1) Bouillet, Nobiliaire d'Auvergne. les guerres de religion, les Tailhac embrassèrent la cause du protestantisme. Voici, à ce sujet, ce que nous lisons dans L'Histoire des guerres religieuses en Auvergne par Imberdis. En 15 86... à la demande des Catholiques du Velay, Henri III s'étant mis encore une fois à la tête de la ligue, désigna l'Amiral de Joyeuse pour guerroyer en Auvergne. Brave et cruel, ce dernier avait promis au roi de raser tous les châteaux occupés par les Religionnaires et d'exterminer tout ce qui tomberait sous ses mains. Il se prépara à entrer au mois d'août dans le Gévaudan. Mais le seul bruit de son départ de Paris avait déjà occasionné des enga- gements meurtriers. Un combat à outrance fut livré à Vissac. Tristan de Tailhac, baron de la Margeride, joignit avec une poignée de Religionnaires Jean II d'Apchier Seigneur de Sereix et le chargea. La victoire était restée à Tristan; il venait de percer d'Apchier d'un coup d'épée, lorsque celui-ci, renversé et baigné dans son sang, par un mouvement de rage et de désespoir, se releva tout à coup, s'élança sur son ennemi avec une effroyable force et parvint à lui plonger son poignard dans le coeur : ils tombèrent tous deux. Ce Tristan de Tailhac, marié à Louise de Chalencon- Rochebaron, baron de Margeride, seigneur de Besques, Charraix, etc., co-seigneur de Vissac, laissait une fille unique : Dauphine de Tailhac. Le 1 décembre 1598, elle épousa Jacques d'Apchier (1), seigneur de , la Garde, Montaleyrac, fils précisément de ce Jean II qui avait livré le combat de Vissac.

(1) De la branche des Châteauneuf-Randon. Leur ancêtre Guillaume d'Apchier accompagna St Louis outremer en 1248; il fut grand maître de l'ordres de St-Jean de Jérusalem. Guérin VI, baron d'Apchier, de Sereys, de St-Chély, etc..., battit les Anglais sous les murs de St-Chély en 1362. Son fils Guérin VII commanda l'armée du Pape Grégoire XI, dont il était le beau-frère. Armoiries : D'or au château servi de trois tours de gueules, maçonnées de sable, à deux guidons en pal aussi de gueules, mis aux deux côtés de la tour du milieu. Cri : D'Apchier! Notre-Dame!