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Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey

Floriane PAULIN* & Jean-Louis MAIGROT**

Résumé La mosaïque végétale qui compose la trame de nos paysages à une histoire. Cette histoire est explicative de l’allure, de la disposition, et de la nature des couverts végétaux dans le paysage actuel, ainsi que des groupements remarquables pouvant y être observés. In situ, le naturaliste doit alors s’interroger sur leur genèse. Le cadastre napoléonien constitue un outil privilégié pour y répondre.

Mots-clés : paysage forestier, SIG, cadastre napoléonien, exode rural, boisement.

* Elève-Ingénieur - Agrosup ** UMR ARTeHIS Université de Bourgogne - 4 rue Alfred Marpaux - 21000 DIJON - [email protected]

La disposition, l’allure et la physionomie du paysage forestier actuel résultent de l’activité humaine sur un milieu physique et édaphique. En retour, il participe à la définition même de ce milieu. En Côte-d’Or, comme dans le département voisin de la Haute-Marne, tout deux départements fortement boisés, le paysage a évolué au cours des âges : les grands massifs forestiers actuels n’existaient probablement pas dans leur distribution spatiale et sous leur forme actuelle antérieu- rement au XIXe siècle et encore moins dans l’antiquité comme le montre l’archéologie (PROVOST, 2009 ; PAUTRAT et al., 2010). La croissance forestière aboutissant au paysage actuel est récente, remontant à la fin du XIXe siècle. Le travail présenté ici porte sur une interrogation relative à cette évolution (PAULIN, 2010). Le choix a été fait d’apporter un éclairage sur les modalités et l’intensité des évolutions des formes boisées à partir d’un sondage effectué sur 14 communes du nord de la Côte-d’Or. Ce travail fait en temps limité a été l’occasion de tester la pertinence de l’outil de Système d’Information Géographique (SIG - Environnement ArcGis). Le contexte : mise en perspective Sur un pas de temps séculaire, les densités de population rurale des plateaux calcaires côte- d’orien (et haut marnais) ont toujours été très faibles, oscillant entre 20 et 5 hab/km2 selon les communes et les époques. Même entre 1750 et 1860, lors de l’apogée de la production de fonte et de fer utilisant le charbon de bois, époque où pratiquement toutes les vallées étaient occupées par des établissements métallurgiques, les densités de population sont restées faibles. C’est le cas du Châtillonnais - plateau de Langres, là où précisément va se mettre en place un parc naturel national. Dans cette petite région, ce riche passé métallurgique et archéologique constitue actuellement un élément patrimonial dont il faut tenir compte pour expliquer non seulement Tableau I. Évolution récente des surfaces l’aspect actuel du paysage mais aussi la présence, la position et l’allure des boisées en Côte-d’Or (hectares). groupes biologiques et habitats. Actuellement, cette région est le domaine Dont des grands massifs forestiers : forêts de Châtillon, d’Is-sur-Tille, d’Auberive… Année Superficie Forêts totale domaniales La Côte-d’Or est un grand département forestier : en 2010, toutes espèces confondues, les surfaces boisées couvrent à peu près 33 % de la superficie Début XIXe 252 520 ----- du département avec une surface de 317 970 ha environ, ce qui la situe au 1844 242 520 44 670 5e rang des départements les plus boisés. Plus des ¾ de la superficie boisée 1889 253 900 39 980 sont le domaine des feuillus, majoritairement des chênes et des hêtres. Le 1929 261 010 42 380 reste est aujourd’hui le domaine des résineux. Cette forêt est pour moitié 1960 275 470 45 140 privée, le restant est composé par des forêts publiques appartenant à l’Etat 2000 317 970 46 300 ou à des collectivités territoriales gérées par l’Office National des Forêts.

L’estimation de la superficie totale des Les nombreux travaux menés sur l’histoire de la forêt et de l’agricul- forêts diffère selon les auteurs. La valeur ture montrent que l’importance de l’emprise forestière actuelle est récente ici donnée est un compromis entre ces (tableau I) (FABRE, 1911 ; DEROYE, 1937 ; Collectif, 1961 ; SAFE, 1960 ; diverses estimations BROSSELIN, 1973 ; IFN, 2008 ; CCI Dijon, 2005).

Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 65-74 Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 75 L’étiage forestier de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle est attesté par la littérature. Les mécanismes généraux l’expliquant sont connus et évoquent un contexte de surpopulation rurale et de surexploitation des forêts dû à divers prélèvements dont la pratique du pâturage : « Au début du XIXe siècle la forêt côte-d’orienne se présente comme un taillis réduit parfois à l’état de broussailles…» (BROSSELIN, 1973). Encore dans les années 1920-1930, le pâturage pour les chevaux et aumailles (bêtes à cornes) s’exerçait dans plus de 500 forêts, communales et particulières, pour une superficie de 99 000 hectares. 50 000 bêtes y étaient éligibles annuellement, mais à cette époque seule- ment 15 000 en profitaient (GUICHARD & JANNIN, 1926). De plus, depuis la déclaration royale de 1766, la surexploitation des forêts s’est accompagnée de défrichement d’une ampleur non négligeable. L’exode rural qui intervient à peu près à la moitié du XIXe siècle libère l’espace, la pression démographique sur la forêt s’affaiblit ainsi que sur l’ager, entraînant l’apparition de friche. En 1926, Henri DROUOT en fait alors un résumé pertinent : « Le déboisement on l’a vu fut considérable au XIXe siècle. Sur les plateaux, des Chaumes d’Auvenay aux friches buissonneuses du Châtillonnais, s’ouvrent de larges trouées chauves parsemées d’églantiers, de genévriers…. Le destructeur constant, plus redoutable encore que l’ancienne forge au charbon de bois fut le mouton. … Mais dès 1861, le reboisement a commencé, encouragé par l’état, aidé par les villes, subventionné par le conseil général…. On reboise en pineraies, pins, épicéas, mélèzes. Le pin sylvestre gagne lentement le Châtillonnais, le pin noir d’Autriche dans le canton de Selongey » (DROUHOT, 1926).

Nous avons décidé de descendre à l’échelle communale pour évaluer cette évolution. Le changement (ou transfert) d’échelle en modifiant les perspectives, en passant ici du global (le département, la petite région), au local (la commune), est en géographie un moyen de vérifier la validité des analyses. Le cadre de l’étude 14 communes relevant de 3 cantons et d’autant de petites régions, formant une sorte de transect orienté ouest-est au nord de la Côte-d’Or à la limite de la Haute-Marne, ont fourni le terrain d’étude. Trois zones géographiques et paysagères peuvent être distinguées dans cet ensemble Carte 1. La zone d’étude. de 14 communes regroupant 25 900 hec- tares (figures 1, 2, 3, carte 1 et photogra- phies 1, 2, 3). Cette partition rejoint celle proposée par la DIREN (actuellement DREAL) (DIREN, 1997).

BC Limite de finage

MF Rupture Cuesta CF Aires IF Bâti Couvert boisé Axes Régional BC Communal Vicinal Zone paysagère Zone paysagère Zone paysagère Front 1 2 3 Boisement Figure 1. Schéma : Partition de la zone d’étude.

76 Floriane PAULIN & Jean-Louis MAIGROT Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Zone géographique et paysagère 1

Communes des vallées du plateau du type . (Montagne nord dijonnaise; Unité 42A ; Plateaux forestiers DIREN). Ces communes se situent dans les vallées, et ont un finage qui se déploie perpendiculairement à cette dernière. Elles présentent un plateau domaine des grands massifs forestiers souvent domaniaux (Légende : « MF » figure 1) comportant de vastes clairières domaine des grandes cultures avec parfois une ferme d’écart. Les pentes, au sommet parfois escarpé sont actuellement boisées. Ce boisement est néanmoins récent comme le montre le plan cadastre napoléonien et dont le découpage subsiste encore sous le bois actuel, cette zone échappant fréquemment aux opérations de remembrement. La vallée souvent inondable est occupée par des herbages et quelques cultures. On y observe les traces de l’ancienne Photographie 1. La vallée de la Tille en aval de Cussey-les-Forges. activité métallurgique qui s’est éteinte progressivement à partir Le haut de pente est occupé par des résineux récents. de la seconde moitié du XIXe siècle, biefs, levées, bâtiments. Le réseau viaire suit préférentiellement la vallée principale et les « combes »1 adjacentes pour communiquer avec le plateau.

Zone géographique et paysagère 2

Communes de la côte du type Crecey-sur-Tille (Plaine Dijonnaise ; Unité 72A « plaines, plateaux et dépressions cultivées ») DIREN. Le finage de ces communes est également organisé perpendiculairement à la côte et présente une suc- cession analogue au type 1, plateau forestier avec clairières, pentes qui se boisent (Légende : « CF » figure 1), et à l’est une partie de la plaine dite « de Mirebeau » DIREN), dans laquelle s’observent quelques îlots boisés (Légende : « IF » figure1). Le grand axe interrégional nord-sud de circulation suit le pied de la côte, la communication avec le plateau se fait par les vallées.

Photographie 2. Vue de Crecey-sur-Tille en direction de l’ouest.

Zone géographique et paysagère 3

Communes de la plaine du type Lux (Plaine de Mirebeau ; Unité 73 « plaine à culture, bois et herbages »). L’organisation des finages est circulaire, l’habitat est groupé au centre du finage d’où rayonne un réseau viaire desservant le parcellaire. Celui-ci remembré très tôt est composé de grandes parcelles géométriques configurées pour un matériel de grande culture. On y observe des îlots boisés (Légende : « IF » figure 1), de formes géométriques évoquant d’anciennes parcelles de culture qui se sont boisées. Les massifs plus importants se situent à la périphérie des finages ayant pu faire limite dans le passé.

Photographie 3. Vue d’une partie du finage de Chazeuil comportant 1 Terme local désignant des vallées sèches périglaciaires au versant un îlot boisé. souvent tapissés de colluvions appelé « grouine ».

Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey 77 1

Sol 2

Calcaire 1 3

Calcaire 2 4 Prairies humides Marne Calcaire 3 5 7 Source 6

Nappe Alluvions récentes 1. Sol peu profond, pente forte - Forêt ou pelouse sèche Alluvions 2. Sol profond, pente faible - Cultures 3. Sol moyennement profond, pente moyenne - Prairie 4. Sol peu profond, pente forte - Forêt ou pelouse sèche 5. Début hydromorphie - Tendance asphyxie 6. Réductisol - Pas d’hydromorphie, saturé en eau - Engorgement permanent 7. Rédoxisol - Engorgement périodique

Figure 2. Transect schématique pédo-géologique des vallées (commune de type 1 et 2).

Limon Argile = PROTECTION

Calcaire Argile

Luvisol tronqué Terres à caillou Sol moyennement profond Sol profond Plateau calcaire Argile décarbonatée en profondeur RU++ Argile avec éléments grossiers, Redistribution : Carbonatés décarbonaté, Epaisseur sol faible, sol acide, forte infiltration  Battance

Figure 3. Transect schématique pédo-géologique de la plaine de Mirebeau (commune de type3).

La question Il s’agit de préciser les modalités et l’importance de la croissance forestière intervenue depuis le début du XIXe siècle sur le finage de ces 14 communes. C’est-à-dire quantifier et localiser cette croissance. Données et méthode Il a été procédé sous l’environnement ArcGis au géoréférencement des plans d’as- semblage des cadastres napoléoniens datant tous du début de la première moitié du XIXe siècle. Ce géoréférencement une fois terminé, les plans ont été assemblés (« tuilage ») et l’acquisition des contours forestiers réalisés en mode vecteur. Puis à partir de la carte topographique à 1:25 000 géoréférencée, et vérifiée par les dernières mission IGN sur le sites « Géoportail » et « Google Earth », les contours forestiers actuels ont été acquis.

78 Floriane PAULIN & Jean-Louis MAIGROT Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Ces deux couches thématiques « surfaces boisées présentes au cadastre napoléonien » et « surfaces boisées présentes actuellement » ont été superposées et il en a été extrait des évolutions quantifiées et localisées. Par la suite dans la recherche de facteur explicatif, ces évolutions ont été rapportées à la topographie, l’hydrographie, la géologie-pédologie, autant de couches thématiques traitées sous le SIG en tant que test d’hypothèse. Par contre bien que décisifs, les facteurs humains n’ont pu pour des raisons matérielles et donc de temps être réellement abordés, même si, par exemple, nous savons très bien que les causes d’abandon des pentes s’expliquent principalement par l’évolution socio- économique et démographique locale. Les résultats L’exploitation de la base de données du SIG nous donne, par type de communes, ces premières indications (tableau II et carte 2).

Tableau II. Évolution des surfaces boisées XIXe–XXe siècle.

1 : Superficie boisée au début XIXe siècle (ha) 2 : Nombre d’îlots boisés au début XIXe siècle 3 : Superficie communale (ha) 4 : Taux de boisement au début du XIXe siècle 5 : Superficie boisée actuelle (ha) 6 : Nombre d’îlots boisés actuels 7 : Taux de boisement actuel (%) 8 : Nombre d’îlots disparus depuis le début du XIXe siècle 9 : Superficie boisée disparue depuis le début du XIXe siècle (ha) 10 : Évolution du taux de déboisement entre le début du XIXe et l’actuel 11 : Évolution de la surface boisée entre le début du XIXe et l’actuel (ha)

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Communes de type 1 CUSSEY-LES-FORGES 1462,54 8 2353,13 62,15 1713,91 35 72,84 8 28,68 1,96 251,38 MAREY-SUR-TILLE 1846,35 12 3016,14 61,22 2064,29 54 68,44 12 57,49 3,11 217,95 FONCEGRIVE 462,51 9 1017,17 45,47 797,32 33 78,39 2 4,40 0,95 334,80 VERNOIS-LES- 823,62 9 1153,29 71,41 869,64 22 75,41 8 19,78 2,40 46,02 Ensemble 4595,02 38 7539,74 60,94 5445,17 144 72,22 30 110,35 2,40 850,15

Communes de type 2 VILLEY-SUR-TILLE 739,96 6 1286,95 57,50 989,83 26 76,91 4 5,13 249,87 CRECEY-SUR-TILLE 415,92 3 1088,42 38,21 722,93 22 66,42 3 0,63 0,15 307,01 SELONGEY 901,63 4 4668,10 19,31 2406,53 110 51,55 4 47,45 5,26 1504,90 4,00 7 1249,46 0,32 728,89 46 58,34 4 0,56 13,95 724,89 Ensemble 2061,52 20 8292,93 24,86 4848,18 204 58,46 15 53,77 2,61 2786,67

Communes de type 3 ORVILLE 0,00 0 219,07 0,00 49,46 10 22,58 0 0,00 0,00 49,46 TIL-CHATEL 225,46 3 2624,16 8,59 404,91 91 15,43 3 33,73 14,96 179,45 CHAZEUIL 99,93 12 1861,34 5,37 318,95 76 17,14 11 7,81 7,82 219,03 VERONNES 300,13 6 1933,08 15,53 443,43 56 22,94 7 5,41 1,80 143,31 LUX 633,79 2 2296,53 27,60 631,03 41 27,48 2 105,93 16,71 -2,76 Ensemble 1259,30 23 8934,18 14,10 1847,79 274 20,68 23 152,89 12,14 588,49

Au premier coup d’œil, on s’aperçoit que le plateau forestier se distinguait déjà au début du XIXe siècle par une forte couverture forestière, laquelle allait diminuant vers la plaine. Les défrichements du XIXe siècle sont marginaux. La croissance du couvert boisé reste modérée sur le plateau et sur la côte, à l’exception de Boussenois. Par contre elle est plus affirmée dans la plaine.

Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey 79 Photographie 4. Pelouse succédant à une culture abandonnée et en voie de boisement par nucléation à Cussey-les-Forges.

Forêts attestées au début du XIXe siècle et toujours présentes en 2000 Forêts s’étant développée à partir des massifs forestiers présents au début du XIXe siècle Forêts apparues depuis le début du XIXe siècle

Carte 2. Évolution localisée des surfaces boisées XIXe –XXe siècle.

Figure 4. Extension spatiale des surfaces boisées depuis un noyau initial (RAMEAU, 1993).

80 Floriane PAULIN & Jean-Louis MAIGROT Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 La localisation de ces évolutions Pente 0 à 3 %, forêt en 2000 Pente 0 à 3 %, forêt en 1800 (carte 2) montre deux modalités de Pente 3 à 10 %, forêt en 2000 boisement : Pente 3 à 10 %, forêt en 1800 Pente > 10 %, forêt en 2000 * Un boisement intervenu à partir Pente > 10 %, forêt en 1800 des massifs préexistants. Cette moda- lité concerne essentiellement la zone du plateau (figure 4). L’avancée forestière se fait à partir du massif préexistant consé- cutivement à un abandon et réalisé selon un itinéraire classique d’une cinquantaine d’années dans nos régions, si toutefois rien ne vient per- turber la série dynamique théorique : abandon, pelouse (photographie 4), fruticée, taillis d’accrus, pré-bois, bois. L’extension s’effectue selon différents modes de colonisation, frontale, par nucléation, avec la constitution de noyaux arbustifs, ou par dispersion à partir d’espèces arborées tolérantes à la lumière. Les zones pentues sont les plus souvent concernées par ces évolutions (Carte 3, photographie 5). Le boisement se fait souvent à partir de résineux, ici des pins, sou- lignant ainsi dans le paysage la zone reconquise par la forêt (carte 4 et photographie 5). Les pins peuvent avoir été plantés, en ce cas les contours sont réguliers, ou alors ils sont sub- spontanés et mélangés à des feuillus. Cette propension à l’aban- Carte 3. Les pentes (en pourcentage). don des pentes s’explique par l’évolution démographique locale. L’examen des cadastres napoléonien et actuel montre que ces zones sont le plus souvent le domaine de petites parcelles, propriétés de des- cendants de petits cultivateurs, artisans locaux, journaliers, ayant subi l’exode rural.

Photographie 5. Pente sur colluvion (grouine) reconquise par des pins à Cussey-les-Forges.

Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey 81 L’évolution de la commune de Forêts de feuillus Boussenois illustre très bien cette Forêts de conifères histoire paysagère. La confrontation Forêts mélangées des diverses images et plans en notre Pelouses et pâturages naturels Landes et broussailles disposition (carte 5 ; figures 5 à 7) Forêt et végétation arbustive en mutation montre le processus de boisement Forêt présentes au début du XIXe siècle affectant cette commune (tableau II), laquelle n’était pratiquement pas boi- sée au début du XIXe siècle et qui en 2010 présente un visage de commune forestière. Le cadastre de 1837 nous montre une commune au territoire majoritairement occupé par des terres labourables et des versants occupés par des vignes.

L’examen des données montre que le couvert forestier actuel masque un parcellaire ancien « fossilisé », comme nous pouvons le voir, par exemple à l’ouest du village (figures 6 et 7). Cet aspect est encore plus flagrant sur la pente, occupée par des vignes (figures 5 et 6, section A feuille 3), où l’on voit ce petit parcellaire viticole (figure 5, section E feuille 1 ; V pour vignes) encore présent sous le couvert boisé actuel (figure 7). On remarquera l’existence en 1837 (figure 5, section E feuille 1) d’une ferme sur le plateau dans un milieu complètement ouvert et cultivé (Légende : T pour terres labourables) qui devait constituer son finage. Si le dessin parcellaire actuel en a conservé le figuré (figure 6), Carte 4. Le boisement depuis le XIXe siècle selon les différentes espèces. l’image satellitaire par contre, comme c’est souvent le cas, est parfaitement muette sur ce point. La carte des sols est faiblement explicative de cette évolution (figure 2 et le site http:// www.igcs-stb.org/cartosol2/). La topo- graphie donc l’accessibilité reste une variable moyennement explicative (carte 3), par contre l’évolution socio- démographique est éclairante. En 1856, au maximum de population, Boussenois comptait 532 habitants contre 120 actuellement. Parmi ces 532 habitants, 286 vivaient de la terre, catégorie de population comparable avec l’actuelle catégorie statistique « Population familiale active sur les exploitations professionnelles » qui est en 2000 de 10 personnes. Au sein des 286 personnes vivant de la terre en 1856, il convient de distinguer 175 « journaliers-propriétaires ». Ces Carte 5. Inventaire forestier de la SAFE 1960 (en jaune les divers types de friches) personnes propriétaires de quelques ares, devaient travailler pour les « pro- priétaire-cultivateurs », au nombre

82 Floriane PAULIN & Jean-Louis MAIGROT Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 de 96, pour subvenir à leurs besoins. Or ce sont ces « journaliers-propriétaires », comme nous avons pu l’observer dans des situations similaires qui utilisaient à des fins domestiques ce petit parcellaire (cf. Rapports). L’exode rural les touchant en premier, ce petit parcellaire s’est trouvé délaissé, et s’est alors enfriché puis boisé, souvent en résineux (photographies 4 et 5), soit volontairement par des plantations, soit de façon sub-spontanée. Arlette Brosselin dans sa thèse sur les forêts côte-d’oriennes au XIXe observe systématiquement ce qu’elle appelle « une subordination de la forêt à l’éco- nomie rurale » (BROSSELIN, 1977) entraînant une utilisation intensive des ressources nui- sibles à la régénération forestière. Souvent sous forêt on peut observer les Figure 5. Extrait du plan d’assemblage du cadastre napoléonien (1837) traces de cette ancienne utilisation par la pré- Section E1-2 et A3-1. sence de murées, de terrasses aménagées, de chemins abandonnés, comme sur les pentes situées à l’ouest de Selongey (Côte du tertre, La vigne…). A Boussenois, l’inventaire des friches et des forêts initiées par la Société d’Aménagement des Friches (SAFE) de l’Est au début des années 1960 recense une superficie boisée de 341 hectares dont 257 de résineux. Les friches couvrent alors 378 hec- tares dont 285 classées en pré-bois résineux. En 2000, les surfaces boisées représentent 728 hectares, majoritairement des résineux. En 1837 il n’y avait que 4 hectares boisés. Par ailleurs, à partir des années 1870, on assiste à des regroupements de petites parcelles laissées à l’abandon alors replantées en pin sylvestre ou en pin noir.

En plaine le boisement prend une autre Figure 6. Vue aérienne de la section cadastrale E1-2 et A3-1 allure. Si la même cause, l’exode rural, produit (Géoportail - IGN). le même effet, le délaissement de parcelles, la différence réside dans le fait que la plupart de ces parcelles délaissées ont été reprises et ont participé à l’agrandissement des exploitations agricoles. En plaine les difficultés d’accès au parcellaire sont faibles et l’agrandissement, favorisé de plus par le remembrement, a pro- duit de grandes structures. Les massifs boisés pré-existants, comme la forêt de Fontaines ou la forêt de Velours sont confinées sur les marges et bordent les finages. Ce qui s’ob- serve, ce sont de petits îlots boisés en plaine dont l’allure géométrique évoque d’anciennes parcelles de culture (figure 8). Entre le début du XIXe siècle et la période actuelle, 251 îlots boisés sont apparus, d’une taille moyenne de 2 hectares.

Figure 7. Plan cadastral actuel des sections E1-2 et A3-1 (Géoportail - IGN).

Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey 83 a b

Figure 8. Allure des îlots boisés au nord-est de la commune de Chazeuil (Geoportail et extrait du cadastre napoléonien : http://archivesenligne.cotedor.fr/console/ir_ead_visu.php?PHPSID=02f5361a820716ee58173692636d0640&ir=638&l=1024)&h=73 )

Par exemple, à Chazeuil, en section B2 du cadastre la vue aérienne montre ce semis de petits bois, caractéristiques de ce type de paysage, et correspondant, au sens de l’écologie du paysage à autant d’îlots, qui en l’absence de corridor commu- niquent difficilement entre eux, voire pas du tout pour certaines espèces végétales ou animales. La confrontation des îlots boisés représentés par leurs contours (figure 8b) montre que d’anciennes par- celles de culture ont précédé ces petits bois. Assez fréquemment, en plaine comme sur les pentes de la côte, les îlots boisés ont figé le parcellaire ancien (figure 9), les parcelles ainsi figées pouvant Figure 9. Persistance du parcellaire ancien relever d’un seul propriétaire ou de plusieurs. (http://www.geoportail.fr/visu2D.do?ter=metropole) En conclusion Si on peut penser, eu égard aux conditions technico-économiques régnantes en 2010, que la dynamique de boisement est stabilisée sur le plateau et en plaine (figure 1 ; Zone 1 et 3 ; [MAIGROT, 2003 ; 2004]) il n’en est pas de même pour la côte. Au regard des critères actuels d’utilisation du sol, où dominent l’accessibilité et l’aptitude à la mécanisa- tion, dans un contexte de recherche de la productivité maximale, et donc de l’intensification du facteur travail, la côte présente l’inconvénient précisément d’être une côte. A l’échelle de la petite région, la confrontation de la carte des pentes (carte 3) et de la carte d’évolution des surfaces boisées (carte 4) montre l’importance du facteur pente. Néanmoins, il serait très réducteur, voire erroné, de définir la pente comme un facteur explicatif absolu et premier : ce sont les conditions socio-techniques du moment, Photographie 6. Minuartia rubra du début du XXIe siècle, qui la révèle comme tel. (http://www.tela-botanica.org/eflore/BDNFF/4.02/nn/42665/illustration) En soi la pente ne porte aucun projet ni aucun déterminisme, elle est ce qu’on veut et surtout peut en faire. Mais du fait même de cette évolution, au plan de l’écologie végétale, la côte peut être porteuse d’habitats intéres- sants, à l’instar du proche Mont de Marcilly, où se développe sur d’anciens pâturages une pelouse calcicole remarquable (ZNIEFF 0052 0000) et où s’observent Carlina acaulis, plante du mesobromion erecti, et quelques plantes en limite septentrionale d’aire comme Inula montana, ou Minuartia rubra.

84 Floriane PAULIN & Jean-Louis MAIGROT Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Bibliographie

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Rev. sci. Bourgogne-Nature - 13-2011, 75-85 Évolution des couverts forestiers depuis la fin de l’ancien régime dans la région de Selongey 85