DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA

Des Contextes, des Programmes et des Personnes De la Théorie à la Pratique Des Origines à l’Avenir

Par

Dr Pierre-Régis MARTIN Directeur des Programmes de SEAD Sharing Experience for Adapted Development

2010

[email protected]

DEDICACES

A ma famille, qui est toujours avec moi malgré l’espace et le temps et sans qui rien ne serait. Hommage et Reconnaissance. Michel, mon adorable Père Danielle, ma bien-aimée Mère Nicolas, mon inestimable Frère Borini, ma gracieuse Sœur

A ma sublime femme, qui m’a apporté son Cœur et la moitié du Monde qui me manquait Amour, Amour. Akiko Togo

A mes enfants, qui m’enseignent à chaque instant la beauté des Mondes et de ses Etres Merci, Merci. Rémy-Kay,

Yumé-Maël,

Sans oublier : Bori, Frédéric, Régine, Jean-Marc, Joran, Liliane, Manu, Julia, Françoise, Jean-Pierre, Bernard, Sylvie, Sophie, Roland, Martine.

A mes ascendants, Jean Auberlet dit "Palou" (mon grand-père), Emile Auberlet dit "Papa-mimi" (mon arrière grand-père) et à George Andrieux (beau-frère de mon grand-père) qui ont participé à la reconstitution du temple d'Angkor pour l'exposition coloniale de 1931 à Vincennes en tant que respectivement : décorateur- staffeur, responsable des relations publiques et directeur technique. Et à Malou, Pajean et Malène.

A l’initiateur, qui a été Coordinateur de MDM Cambodge de 1990 à 1998, qui m’a accompagné de sa force, de son cœur et de ses leçons de vie. J’ai ainsi nommé : Jean-Claude Prandy,

A Médecins du Monde Paris qui, tout en me permettant d’aider les indigents de ce merveilleux pays, m’a aussi donné la possibilité de réaliser ce travail. En particulier : Dr Frédéric Lauwers, Dr Philippe Micheau, Zohra Clet, Dr Eric Peterman (RM Paris) et Valérie Pardessus (Desk Paris).

A mes collègues du Cambodge, avec qui je partage la même aventure humaine. Amitié indéfectible.

Au Dr Philippe Guyant, confrère et homme d'esprit. Evolution A Arnaud Roux, journaliste, partenaire d’aventures et de découvertes. Evasion A Michel Marty, un exemple de courage et de volonté. Respect A Michel Ghigo, frère de sève et de visions. Partage A Joël Durand, homme de patience et de tolérance. Ecoute Au Dr Jean-Philippe Dousset, contemplation et compétence. Sagesse A Lim Bun Hok, homme affable et talentueux. Joie. Vive notre Président !

Aux Mékong Pirates

Arnaud, Ali, Dominique, Eric, Gildas, Julien, Marion, Michel, Mom, Nicolas, Olivier, Philippe, Volker

Aux amis du Cambodge qui sont maintenant ici ou ailleurs,

Dr. Christian Rathat André Calabro Dr. Christophe Iborra Frédéric Amat Dr. Claude Dumurgier Jean Claude Dhuez Dr. Denis Cahour Callarec Jean Paul Chan Dr. Emmanuel Baut, Kim Gjemmestad Pr. Jean-Yves Follézou Philippe Escabasse Dr. Natalia Bodarenko Sacha Andriyanov Dr. Pascal Crépin Serge Corrieras Dr. Patrick Mornet Stanley Harper Dr. Pierre Souteyrand Xavier Lafut

Aux équipes cambodgiennes d’avant et de maintenant

Pr Teng Soeun, Pr. Pichith, Dr Pagnaroat, Dr. Chakravuth, Dr. Mao, Dr. Srun, Dr. Vathanak, Dr. Chea, Dr. Norathik, Nan, Achhara, Kakakda, Lao, Kannitha, Lidet, Nissai, Sothea, Dara, Mégn, Seng Tha, Vat, Vanna, …et les dizaines d’autres.

EPIGRAPHES

La vie est brève, L’art est long, L’opportunité fugitive, L’expérience dangereuse, Le jugement difficile

Hippocrate, Premier aphorisme (Vita brevis, ars longa, occasio praeceps, experimentum pericolosum, judicium difficile)

Dans les chemins que nul n’a foulés, risque tes pas Dans les pensées que nul n’a pensées, risque ta tête

Anonyme – Ecrit sur les murs du théâtre de l’Odéon, Paris, mai 1968

Vis comme si tu devais mourir demain, Apprends comme si tu devais vivre toujours.

Vivre simplement pour que simplement d’autres puissent vivre.

La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence.

Gandhi Mohandas Karamchand Mahâtmâ

TABLE DES MATIERES

GLOSSAIRE DES ACRONYMES ...... 13

PREFACE ...... 15

INTRODUCTION ...... 17

MATERIEL ET METHODE ...... 21 MATERIEL : RECENSEMENT DES DONNEES ...... 21 QUESTIONS DE METHODE ...... 21

PROLOGUE (1968-1979) ...... 29

PREMIERE ACTE : CONTEXTES & SITUATIONS (1980 – 1994) ...... 31 I.A. SPHERE VIRO-IMMUNOLOGIQUE ...... 31 I.A.1. Les débuts de l’épidémie ...... 33 I.A.2. A la recherche des origines ...... 41 I.A.3. Le virus et les anti-virus ...... 47 I.A.3.a Les Antirétroviraux (ARV) ...... 47 I.A.3.b L’espoir vaccinal ...... 49 I.B. SPHERE INTERNATIONALE ...... 52 I.B.1. Statistiques mondiales et organismes internationaux (1981-1994) ...... 53 I.B.2. Les programmes internationaux – les initiatives ...... 56 I.B.2.a Transmission - Prévention ...... 57 I.B.2.b Infections Sexuellement Transmissibles (IST) et VIH ...... 64 I.B.2.c Les ARV sont chers et inaccessibles...... 67 I.B.3. Impact des épidémies ...... 68 I.C. SPHERE NATIONALE (PAYS, GOUVERNEMENT, POPULATION) ...... 71 I.C.1. Le pays ...... 71 I.C.1.a Présentation géographique ...... 71 I.C.1.b Une histoire tourmentée ...... 72 I.C.1.c La situation économique et sociale ...... 75 I.C.1.d Système sanitaire et état de santé de la population...... 76 I.C.2. Les débuts du VIH – les premiers cas ...... 80 I.C.3. La réponse gouvernementale ...... 84 I.C.3.a Les premières structures ...... 84 I.C.3.b Les premières stratégies...... 85 I.C.3.c Les premières enquêtes ...... 85 I.D. SPHERE ONG ...... 87 I.D.1. L’arrivée des ONG ...... 88 I.D.2. L’arrivée de Médecins du Monde ...... 89 I.E. SPHERE INDIVIDUELLE ...... 91 I.E.1. Chapitre premier : 1980-1990...... 91 I.E.2. Chapitre second : 1991-1994 ...... 93

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DEUXIÈME ACTE : PROGRAMMES & RÉSULTATS (1995-2008) ...... 95 II.A. La Prévention et le dépistage (1995-2008) ...... 96 II.A.1. Actualités 1995-1996 ...... 96 II.A.2. Stratégie nationale ...... 99 II.A.3. Actions et résultats ...... 100 II.A.4. Mme Sophea (1995-1996) ...... 116 II.B. La prostitution et les IST (1997-2007) ...... 120 II.B.1. Actualités 1997 ...... 120 II.B.2. La prostitution : une vieille mécanique bien huilée ...... 120 II.B.3. Les comportements sexuels ...... 123 II.B.4. Les Infections Sexuellement Transmissibles (IST) ...... 129 II.B.5. Mme Sophea (1997) ...... 133 II.C. Le Home Based Care (1998-2007/8) ...... 135 II.C.1. Actualités 1998-1999 ...... 135 II.C.2. Le concept et la création du HBC ...... 136 II.C.3. Les actions, les résultats ...... 137 II.C.4. Mme Sophea (1998-1999) ...... 140 II.D. « Continuum of Care », « Comprehensive Care » et ARV (2000-2008) ...... 141 II.D.1. Du concept à la pratique ...... 141 II.D.2. Mme Sophea (2000 – 2008) ...... 148 II.E. Les programmes de Médecins du Monde (1990-2008) ...... 151 II.E.1. Activités hors IST/Sida ...... 152 II.E.2. Hospitalisation et consultations externes à l’hôpital Calmette (1993-2002) ...... 157 II.E.3. Traitement des IST et dépistage du VIH (1998-2002) ...... 168 II.E.3.a Centres de traitement des IST ...... 168 II.E.3.b Les Centres de Dépistage ...... 172 II.E.4. Hospitalisation et consultations externes, hôpital Preah Kossamak (2003-2008) ...... 176 II.F. La situation en 2007 ...... 199 II.F.1. Au Cambodge ...... 199 II.F.2. Ailleurs dans le monde ...... 206

TROISIÈME ACTE : FACTEURS & VECTEURS ...... 211 III.A. Les « entités agissantes » ...... 214 III.A.1. Le Virus, l’Immunité et les Traitements ...... 214 III.A.2. La Communauté Internationale ...... 226 III.A.3. Le Gouvernement et le Système de santé ...... 232 III.A.4. Le Secteur Privé, moderne et traditionnel ...... 240 III.A.5. Les ONG ...... 242 III.A.6. Les individus ...... 245 III.A.7. Sphère agissante ...... 249 III.B. L’environnement culturel et matériel ...... 250 III.B.1. L’Histoire et la Géographie ...... 250 III.B.2. Les Croyances et la Magie ...... 251 III.B.3. Les bonzes ...... 254 III.B.4. L’éducation ...... 257 III.B.5. Economies et Pauvretés ...... 260 III.B.6. Sphère environnementale ...... 296

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QUATRIÈME ACTE : DISCUSSIONS & PERSPECTIVES ...... 298 IV.A. Virus, Traitements, Vaccins et Epidémie ...... 298 IV.B. L’International en action ? ...... 301 IV.B.1. Les actions de prévention ont besoin d’une réaction ...... 301 IV.B.2. L’avenir incertain des stratégies ...... 307 IV.B.3. L’état des finances internationales ...... 314 IV.B.4. Quelques bémols de plus ...... 317 IV.C. Le Cambodge ...... 319 IV.C.1. La population ...... 320 IV.C.2. Les stratégies ...... 321 IV.C.3. L’épidémie du VIH ...... 322 IV.C.4. Quelques bémols de plus ...... 334 IV.D. Les ONG, MDM et SEAD : désengagements et passations ...... 338 IV.E. Les personnes ...... 340 IV.F. La pauvreté, une vision de l’esprit ? ...... 349 IV.G. Les théories divergentes ...... 358 IV.G.1. Un autre point de vue sur l’épidémie mondiale ...... 358 IV.G.2. Les mythes et les vérités sur les épidémies ...... 361 IV.H. Les autres enjeux ...... 365 IV.H.1. Exploitation, Surexploitation et Syndrome de Pâques ...... 365 IV.H.2. Environnements ...... 368

CONCLUSION ...... 381

LISTE DES FIGURES et GRAPHIQUES ...... 387

LISTE DES TABLEAUX ...... 392

ANNEXES ...... 393 A. Publications auxquelles nous avons participé directement ou indirectement ...... 393 B. Cahier photographique ...... 411

SUMMARY ...... 421

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GLOSSAIRE DES ACRONYMES

AEM Asian Epidemic Model ANRS Agence National de Recherche sur le Sida APRONUC Autorité Provisoire de l’ONU pour le Cambodge ARV Antiretroviral BM Banque Mondiale (WB : World Bank) BSS Behavior Surveillance Survey CDAG Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit CDC Center for Disease Control CDHS Cambodian Demographic Health Survey CoC Continuum of care CPN+ Cambodian People Living with HIV/Aids) CRF Croix Rouge Française DfID United Kingdom Department for International Development DSF Douleur Sans Frontières DHS Demographic and Health Surveys FAO Food and Agriculture Organisation FDA Food & Drug Administration FHI Family Health International FMI Fond Monétaire International GFATM Fonds Mondial pour la lutte contre le Sida la Tuberculose et la Malaria HACC HIV/Aids Coordinating Committee HBC Home based Care HDI Human Development Index HSS HIV Surveillance Survey IO Infection Opportuniste IST Infection Sexuellement Transmissible KHANA Khmer HIV/Aids NGO Alliance MdlS Ministère de la Santé (MoH : Ministry of Health) MDM Médecins du Monde MSF Médecins sans Frontières MSM Men having Sex with Men NAA National Aids Authority NCHADS National Center for Hiv AIDS and STI ODM Objectifs de Développement pour le Millénaire OMC Organisation Mondiale du Commerce OMS Organisation Mondiale de la Santé ONG Organisation Non gouvernementale ONUSIDA Programme Commun des Nations-unies sur le VIH/SIDA

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PNLS Programme National de Lutte contre le Sida PNUD Programme des Nations-unies pour le développement PTME Prévention de la Transmission Mère-Enfant PVVS Personne Vivant avec le VIH Sida SIDA Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise TB Tuberculose UDI Utilisateur de Drogue Injectable UNAIDS United Nations Joint Programme on HIV/AIDS UNDP United Nations Development Programme UNHCR Office of the United Nations High Commissioner for Refugees UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization UNFPA United Nations Joint Programme on HIV/AIDS UNICEF United Nations Children's Fund UNTAC United Nation Transition Authority VIH Virus de l’Immunodéficience Humaine VIS Virus de l’Immunodéficience Simienne WFP World Food Programme WHO World Health Organisation

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PREFACE

Encore un document sur le Sida ! Pourquoi ? Que pouvons-nous ajouter aux centaines de millions de pages retrouvées sur internet concernant ce sujet ?

En réalité, rien, car toutes les informations y sont déjà présentes. Pourtant, nous avons quand même voulu ajouter notre point de vue en personnalisant ce vaste sujet et en redonnant à chaque intervenant la place qui lui convenait. En effet, le constat que nous avons fait depuis des années était que la multiplicité et l’imbrication des systèmes avait tendance à éloigner les acteurs les uns des autres et à diluer la qualité des actes; aussi, il nous a semblé important de recréer le lien entre les personnes et les mots.

Notre approche a été de retracer de façon chronologique et thématique, et sur la base de notre expérience de terrain, les découvertes, les évènements et les étonnements qui ont jalonné l’histoire de cette épidémie tout en la replaçant dans un contexte mondial tourmenté. Nous avons voulu mettre en exergue la nécessité d’une vision plus dynamique, plus globale du phénomène épidémique tout en remettant les personnes au centre de la problématique.

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INTRODUCTION

« Grandeur et Destruction » Ainsi pourrait se résumer l’histoire du Cambodge à travers son dernier millénaire. Après que la grandeur du Royaume d’Angkor ait été gravée dans la mémoire des pierres, après des siècles de stagnation et d’oubli, après les invasions siamoises du XIXème siècle, après la colonisation française puis l’indépendance, après l’implosion génocidaire de Pol Pot puis l'occupation vietnamienne, alors que le pays entamait sa lente et laborieuse reconstruction, une nouvelle épreuve se dessinait : le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH).

Des dizaines de milliers de familles cambodgiennes vivent la pandémie du VIH dans une réalité quotidienne bien éloignée de celle ressentie par les acteurs internationaux. La majorité d’entre eux meure encore à domicile, dans la souffrance et la déchéance, après avoir contaminé et ruiné la famille.

Mme Sophea 1, 36 ans, se sait séropositive depuis 1995. Son mari est mort du Sida en 1999. Ses 2 enfants ont été heureusement épargnés. Depuis, elle lutte.

Tandis que l’épidémie s’est insidieusement répandue dans les Pays en développement, le riche Occident mobilisait son système de santé et sa recherche pour lui-même.

Les stratégies de prévention puis de soins se sont succédées. Les antirétroviraux ont émergé avec leurs bénéfices et leurs limites, mais leur accès a subit des obstacles politico-économiques sur lesquels nous reviendront ultérieurement.

Il est vrai que la majorité des pays ne pouvait prétendre pouvoir mettre en place un réseau de soins capable de répondre à l’épidémie, ce d’autant que dans les pays les plus touchés le système sanitaire, parfois squelettique, était affaibli par la disparition de son personnel de santé. La pauvreté de ces pays était souvent la cause et la conséquence de l’expansion rapide du VIH. Cependant la pauvreté touche aussi bien les pays riches que les pays pauvres car elle n’est pas seulement financière mais aussi intellectuelle, morale, informationnelle.

1 Le prénom a été modifié.

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Depuis 8 ans l’occident tente de mettre à disposition ses moyens pour les plus démunis. Mais à cette intention se mêlent les guerres, les drogues, les politiques, les religions, les comportements, les intérêts commerciaux et les particularités de chaque pays, compromettant la mise en application des stratégies. De plus le virus, qui par sa maligne simplicité défie la complexité des technologies, utilise des voies de transmission qui le rendent par principe humainement difficile à contrôler.

Les gouvernements des pays pauvres, même s’ils avaient souvent d’autres priorités sanitaires, ont tous été obligés d’entrer dans le combat. Par vagues successives les recommandations et les financements ont plu de l’Occident « modèle » mais les applications sur le terrain sont restées lentes et laborieuses. Car même si les moyens ne font plus toujours défaut, c’est l’adaptation des sociétés qui n’est pas aisée. La mentalité, la culture, la tradition, la pression financière, les différences de pensée Nord-Sud, les préoccupations immédiates de la population, pèsent sur le réalisme et donc sur l’efficacité des interventions.

Le Cambodge n’échappe pas à cette complexité et son histoire l’a rendu particulièrement vulnérable à l’épidémie, actuellement une des plus graves d’Asie du Sud-Est.

La guerre et la mort ont été les compagnons de ce « pays du sourire » depuis le début des années 70, ravageant la société et les infrastructures. Au sortir de son isolement en 1989, le Cambodge a vu arriver une aide internationale massive avec des moyens humains, matériels et financiers considérables. L’objectif initial d’aide d’urgence s’est vite transformé en un travail de reconstruction et de développement, perturbé par un contexte politique et économique instable qui a favorisé, entre autres, le trafic d’êtres humains et a limité l’accès aux soins et à la prévention. Cependant le gouvernement, malgré ses problèmes internes, a fait montre d’une volonté politique importante dans la lutte contre le SIDA.

Médecins du Monde (MDM) est arrivé au Cambodge dès 1989 et a mené des actions sanitaires dans tout le pays (soins de santé primaire, soins aux réfugiés, aux prisonniers, aux minorités, aux pauvres, aux blessés de guerre…).

Depuis 1995, face à la montée du nombre de cas de séropositivité nous avons participé, avec les autorités politiques et sanitaires cambodgiennes, à la mise en place d’une consultation VIH/Sida, de centres de traitement des infections sexuellement transmissibles et de centres de dépistage du VIH, et nous avons débuté la prescription de traitements antirétroviraux dès l’an 2000. Le programme de MDM au Cambodge s’est progressivement concentré sur cette thématique Sida permettant maintenant de disposer d’une expérience, de moyens financiers et humains.

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Sur une période de 14 années nous avons pu constater que des progrès et des erreurs avaient été faits, que l’efficacité des interventions sanitaires et médicales n’était pas seulement fonction de la validité des standards internationaux guidant les actions de santé publique, qu’il existait un asynchronisme patent entre la création de concepts innovants internationaux et leur applicabilité locale, avec un impact individuel.

Il est évident que le Sida n’est pas la seule plaie de ce pays (la mortalité périnatale, la tuberculose, la malaria, la dengue hémorragique, les parasitoses faisant aussi partie des calamités chroniques) et que l’énergie dépensée dans la lutte contre le Sida semble disproportionnée face au peu d’intérêt suscité par ces autres pathologies liées à la pauvreté. Mais par ailleurs, cette lutte peut avoir, par voie de conséquence, un effet positif sur la restructuration sanitaire du pays (en terme d’infrastructure, de formation, de matériel, de communication et d’organisation).

C’est donc à travers une perspective temporelle s’étalant depuis le début de l’épidémie, et à travers l’histoire de l’une de ses victimes, que nous allons approcher l’épopée médico-sociale de l’épidémie mondiale et cambodgienne. Nous essayerons de décrire la spécificité et l’évolutivité du virus, d’évoquer la chronologie et la nature des efforts entrepris, de rechercher et de dégager des facteurs intervenant dans la dynamique épidémique avec un regard particulier sur l’influence de la pauvreté et des comportements, d’identifier les impacts et les limites des programmes nationaux et internationaux, de situer le rôle des Organisations non gouvernementales et en particulier de Médecins du Monde dans la prise en charge de cette maladie au Cambodge, et pourquoi pas, d’envisager l’avenir de cette nouvelle maladie qui perturbe les consciences.

Nous espérons ainsi obtenir une vision dynamique et globale de l’épidémie du Sida au Cambodge dans un contexte international, national et individuel aux influences multifactorielles.

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MATERIEL ET METHODE

MATERIEL : RECENSEMENT DES DONNEES

Les données ont été recueillies sur une période de 14 ans, par différentes méthodes:

. A travers les échanges et les discussions réalisés avec les acteurs de la lutte contre le SIDA au Cambodge (MdlS, NCHADS, NAA, ONG, OMS, UNAIDS, FHI, Institut Pasteur, ESTHER, patients, personnel de santé...).

. Par le recueil régulier de toutes les publications (scientifiques ou non) faites sur le sujet (revues, articles sur Internet, livres, rapports ...).

. Via Internet en utilisant différents moteurs de recherche et une liste de mots clés qui ont été croisés jusqu’à redondance des informations (Sida/Aids, VIH/HIV, pauvreté/poverty, Cambodge/Cambodia, PVVS/PLHA, OMS/WHO, Global Fund, ONUSIDA/UNAIDS, PNUD/UNDP, UNFPA, Banque Mondiale/World Bank, Cambodge/Cambodia, santé/health, histoire/history, NCHADS, épidémie/epidemic, HBC, IST/STI, prostitution/sex workers, UNTAC ...).

. Grâce à l’analyse des données recueillies au sein de l’organisation de Médecins Du Monde au Cambodge dans laquelle nous avons travaillé pendant 13 ans.

QUESTIONS DE METHODE

1. Les périodes de l’épidémie

La mobilité des hommes n’a cessé d’augmenter durant le XXème siècle et le virus de l’immunodéficience humaine, au gré des transports, des contextes et des échanges, s’est étendu de par le monde en utilisant l’être humain comme véhicule. Au milieu de ce mouvement incessant, l’histoire de l’épidémie Cambodgienne forme une continuité avec les autres pays, un maillon dans la réaction en chaîne. Nous avons voulu concrétiser cette continuité dans notre travail en l’inscrivant dans une dimension spatio-temporelle:

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1. D’abord, il y a la naissance et l’enfance de l’épidémie. C’est le contexte mondial et national, c’est le premier acte (CONTEXTES et SITUATIONS). Cette période s’étale de 1980 à 1994, depuis les premiers patients SIDA reconnus jusqu’à la veille des trithérapies par antirétroviraux. C’est pendant cette période que la recherche se mobilise et cherche à comprendre, que le virus se répand et commence à tuer, que l’on assiste aux balbutiements d’une mobilisation internationale et que le Cambodge, tout juste sorti de son cauchemar, entre dans un nouveau cycle. Cette première partie permet de situer l’épidémie cambodgienne dans un cadre plus large et évolutif.

2. Vient ensuite l’adolescence de l’épidémie. C’est la période de 1995 à 2007, avec le développement des premières armes, les espoirs réalisés ou déçus, les grandes décisions, les déclarations, les programmes de grande envergure, une mobilisation et des résultats. Le Cambodge est soudainement devenu l’un des pays d’Asie du Sud Est les plus touchés mais il a réagi, profitant de l’énorme présence occidentale. Médecins du Monde débute alors sa prise charge des patients VIH/SIDA. Cette période se divisera en 2 parties : le deuxième acte (PROGRAMMES et RESULTATS) dans lequel nous verrons d’abord les initiatives entreprises dans le monde, les programmes réalisés au Cambodge et leurs résultats, les actions de Médecins du Monde, puis le troisième acte (FACTEURS et VECTEURS) dans lequel nous étudierons les facteurs et les vecteurs qui perturbent leur efficience et qui influencent l’épidémie.

3. Enfin, la perspective qui représente l’entrée dans l’âge adulte de la pandémie. Ce quatrième acte (DISCUSSIONS et PERSPECTIVES) concernera tout ce qui est du domaine du potentiel pour les années futures. Beaucoup de scénarios ont été envisagés. Les liens entre le microcosme et le macrocosme, le passé et le présent, vont définir l’avenir. La prise de conscience devra être à la hauteur de l’enjeu.

2. Propositions de « systèmes interactifs » pour une approche plus globale

Le VIH est devenu l’un des nouveaux micro-organismes les plus étudiés au monde. En l’espace de quelques années, toutes les sciences humaines et fondamentales se sont mobilisées pour tenter un décryptage et une analyse exhaustive du virus et de ses conséquences pour l’espèce humaine. Les spécialités concernées sont nombreuses et toutes, de leur point de vue, décrivent des ensembles de phases évolutives et de relations qui sont mises en jeu par l’infection.

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Comme nous le verrons, ces ensembles, composés de systèmes microscopiques et macroscopiques, sont le lieu d’interactions complexes dues autant à la nature du virus qu’à l’hétérogénéité de la société humaine. La multiplicité des disciplines concernées par l’étude du virus ne rend pas aisée la création de modèles souhaitant apporter une vision globale de l’épidémie. Cependant, nous pouvons proposer un regroupement de systèmes et de sous systèmes, biologiques et humains, qui apparemment composent un milieu propice pour l’extension du virus.

Ces systèmes sont d’abord, classiquement, définissables selon une échelle de grandeur : le virus, l’individu, la société nationale, la communauté internationale. C’est un moyen de représentation de type « poupée Russe » qui a l’avantage de souligner l’appartenance physique d’un système à un autre en suivant une logique de taille (figure 1)

COMMUNAUTE INTERNATIONALE

SOCIETE NATIONALE

INDIVIDU

VIRUS

Figure 1 : Représentation de type « poupée Russe » de l’intrication des systèmes biologiques et humains concernés par l’épidémie du VIH.

Cependant cela ne représente pas correctement, en terme d’interaction, l’existence des « entités agissantes» parmi les groupes d’individus.

Qui de la société nationale ou de la communauté internationale est potentiellement impliquée dans la lutte contre le VIH ou est concernée par l’épidémie ?

23 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Ainsi nous devons mieux identifier les systèmes, de façon individuelle, indépendamment de leur appartenance physique réciproque, à partir des relations qu’ils peuvent posséder entre eux. Pour atteindre cet objectif nous allons remplacer la société nationale par le gouvernement du pays et la société civile (même s’ils font toujours partie de la même sphère nationale) et nous devrons individualiser les organisations internationales qui travaillent dans le pays concerné (figure 2). Ultérieurement nous nous poserons la question de savoir si d’autres groupes peuvent prendre part, par voie de conséquence, à la dynamique épidémique, même s’ils n’ont pas été initialement identifiés comme tel.

Communauté internationale

Organisations Gouvernement internationales

Société civile Virus

Individu

Figure 2 : Représentation par un diagramme de type Venn des « entités agissantes ».

Après avoir proposé des entités représentant principalement des groupes d’individus, le problème reste à identifier leur interactivité dans le contexte.

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Par quel moyen ces entités peuvent-elles s’influencer réciproquement et entraîner des états favorables ou défavorables à l’expansion de l’épidémie ? Quelles sont les conditions et les circonstances des variations de la transmission ? Quelles relations d’équilibre ou de déséquilibre sont créées au sein de ces systèmes ? Quels facteurs contextuels peuvent jouer un rôle dans les actions de prévention et de soins ? Comment envisager que la maladie puisse elle-même influer sur les modalités de sa prise en charge, à tous les niveaux ?

Pour répondre à ces questions nous devons envisager que des liens se sont tissés entre ces entités par l’intermédiaire de supports. Ces derniers pourront être des concepts, des actions ou encore des mécanismes ayant une influence sur l’épidémie en terme d’articulation. Les articulations font partie du système « maladie/soins ». Ce sont par exemple l’accès aux soins, les traitements, l’immunité, la prévention, la transmission, le comportement qui joueront ce rôle. Elles sont influencées par la société et le contexte et elles interagissent entre elles.

Quant à l’environnement social et matériel (la tradition, la religion, l’histoire, la géographie, l’économie...) même si son influence semble en apparence plus passive, il représente une composante majeure du système. Ces influences font la particularité de chaque pays, tant sur le mode et la vitesse de l’expansion de l’épidémie que sur les facilités et les obstacles rencontrés lors de la lutte.

Nous allons représenter cette organisation par un organigramme simplifié qui dans un premier temps représentera les liens entre les systèmes (figure 3). Cette représentation servira de base à notre travail et elle nous permettra d’en aborder les différentes parties tout en y détaillant les articulations et les facteurs et aussi la nature des liens qui les unissent. En effet, les liens sont dynamiques et mouvants, leur interactivité est souvent à double sens et créé des relations perpétuelles de cause à effet. Malheureusement l’intensité de ces liens reste encore difficile à mesurer, ce d’autant qu’elle varie sans cesse dans l’espace et dans le temps.

25 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Communauté internationale Gouvernement

Système Histoire de santé Géographie Organisations Tradition internationales Religion Economie

Comportement Prévention Accès aux soins

Traitement

Immunité Virus

Transmission Secteur PVVS privé

Société civile

Figure 3 : Représentation par un organigramme simplifié des systèmes, avec les articulations et les influences contextuelles.

Pour des raisons pratiques nous avons regroupé en « sphères » les principaux systèmes que nous allons décrire. Ainsi nous parlerons de la sphère viro-immunologique (qui regroupera les connaissances sur le virus, ses conséquences immunologiques et les traitements), de la sphère internationale (qui formera le contexte mondial de l’épidémie et des stratégies de lutte), de la sphère nationale (qui comprendra le gouvernement Cambodgien et la société civile), de la sphère organisations internationales dont fera partie Médecins du Monde et enfin une sphère individuelle qui sera entre autre représentée par le témoignage d’une patiente.

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Cette dernière partie nous a paru nécessaire car elle illustre la réalité quotidienne et humaine de l’épidémie. Cette organisation en sphères sera utilisée pour situer le contexte 1980-1994 de l’épidémie (premier Acte) et les perspectives après 2007 (quatrième Acte) Le deuxième Acte traitera des actions réalisées dans le monde et par voie de conséquence au Cambodge, et il sera structuré dans l’ordre chronologique de leur implantation. La troisième partie décrira les facteurs et les obstacles environnementaux qui pèsent sur les articulations de l’épidémie.

Cet essai d’organisation par systèmes interactifs pour une vision globale des phénomènes est retrouvé dans le travail du Dr Philippe Guyant qui l’a appliqué à la malaria 2.

La pauvreté comme une trame de fond

Tout au long de ce travail nous ferons ressortir un élément particulier qui apparaît être un des facteurs qui intervient de façon fondamentale dans l’épidémie: la pauvreté.

En effet, actuellement 3 milliards de personnes dans le monde vivent avec moins de 2,5 USD par jour, et l’impact de cette pauvreté sur leur santé ainsi que le rôle de la maladie sur la pauvreté sont maintenant mieux reconnus.

Cette pauvreté, qui n’est pas toujours financière, est le moteur des comportements à risque, sources de nouvelles contaminations. Là où elle est montrée du doigt, d’une manière ou d’une autre, le VIH prospère et par un effet rebond, aggrave cette même pauvreté. Même si son rôle est reconnu et semble même terriblement évident, elle n’a pas souvent été intégrée, de façon massive et globale, dans les programmes internationaux. Les raisons qui sont à l’origine de cette apparente négligence sont multiples, aussi multiples que les tentatives de définition de la pauvreté.

Qu’est ce que la pauvreté ? Quels types de pauvreté sont identifiables ? Comment est elle influencée par l’épidémie et comment influence-t-elle l’épidémie ? De quelle façon forme-t-elle un obstacle à la lutte contre le VIH ? Quelles actions sont envisageables pour la réduire ?

2 GUYANT Philippe. Le paludisme dans la province de Mondolkiri (Cambodge) : essai d’approche globale. Thèse d’exercice : Médecine : Montpellier : 1998.

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PROLOGUE (1968-1979)

Je m’appelle Sophea. Je suis née le 15 mars 1968 dans le village de Ta Ngaeuv, dans la périphérie Est de ; j’ai 36 ans mais je ne fête jamais mon anniversaire. Nous étions cinq filles et un garçon, et nous vivions avec nos parents. J’étais le cinquième enfant. Mes souvenirs sont parfois un peu confus aujourd’hui, surtout les plus anciens. Mon père, qui travaillait pour le régime du prince Sihanouk pendant les années 60 (le Sangkum Reastr Niyum), était devenu paysan après le coup d’Etat du maréchal Lon Nol en mars 1970. Je suis entrée à

29 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir l’école primaire Prâchumvong de Chba Ampeuv en 1974. Une année plus tard, en 1975, j’étais déjà contrainte de la quitter. C’était la guerre. J’avais sept ans. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges de Pol Pot sont entrés dans Phnom Penh et ont évacué la ville. Nous avons été déportés avec ma famille à Kien Svay, à une douzaine de kilomètres de là. Nous y sommes restés environ six mois. Avant la chute de Phnom Penh, mon grand frère n’a pas saisi l’occasion d’aller poursuivre ses études en ; cela l’aurait sauvé. Il a été tué en 1976 par les Khmers rouges, alors que l’on nous avait fait partir à Tœuk Chha, dans la province de Kompong Cham. Ils l’avaient accusé d’être un soldat de Lon Nol, car il faisait du théâtre avant la guerre et jouait souvent des rôles de militaire. Les Polpotistes l’ont pendu en faisant croire à un suicide. Au début du régime, ma famille pouvait rester ensemble, mais nous avons été séparés en 1977. Nous avons travaillé dans une coopérative à récolter le riz, puis on m’a placé dans un groupe d’enfants. Nous travaillions à la rizière, du matin au soir. Le riz manquait, et nous étions obligés d’ajouter des liserons d’eau ou des plantes sauvages à notre alimentation pour ne pas avoir trop faim. Une de mes sœurs est tombée gravement malade. Lorsque nous étions à Kompong Cham, le chef de notre village était très cruel : c’était un « nearadey », un homme de Ta Mok. Une nuit, il a trouvé quelques « kampong » (boîtes en fer blanc) de riz cachées dans notre maison par notre mère, et a voulu la tuer. Ce n’était qu’un peu de riz qu’elle avait patiemment réussi à mettre discrètement de côté « au cas où ». Ils lui ont mis un couteau sur la gorge, et ont voulu l’emmener dans la forêt voisine pour l’exécuter ; ils ont même emprunté la houe de mon père pour cela. Miraculeusement, elle n’a pas été tuée, mais punie à préparer de l’engrais avec des déchets infects pendant une semaine, avec seulement ses mains pour tout outil. Après quelques jours, mon père a décidé d’aller voir les responsables de l’Angkar (« l’organisation » des Khmers rouges) pour demander son retour à la maison. Il était persuadé qu’il se ferait tuer en allant demander cela, mais il ne s’est rien passé. Je me rappelle encore qu’au mois d’avril, les Khmers rouges célébraient la « libération » du pays, et qu’à cette occasion, nous devions faire notre autocritique. Un jour, en décembre 1979, le bruit a couru que les soldats Vietnamiens arrivaient. « Les Youn (mot péjoratif pour Vietnamiens) arrivent ! », criait-on. Mais on ne voyait rien ; nous entendions seulement au loin des coups de feu, des bruits d’armes. Tout le monde fuyait dans la direction opposée. J’ai rempli mes deux poches de sel, et je suis partie comme tout le monde, sans rien d’autre. Dans ma famille, « seul » mon frère aîné est mort pendant le régime de Pol Pot. Cela a été une période de grand malheur.

En 1979, à la sortie du régime des Khmers Rouges, qui avait fait plus de 2 millions de morts, le Cambodge était exsangue. L’industrie, les infrastructures et les intellectuels avaient disparu, la population était affamée et le pays était désorganisé. 350 000 Cambodgiens restèrent pendant 14 ans dans des camps de réfugiés, derrière la frontière Thaïlandaise.

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PREMIERE ACTE : CONTEXTES & SITUATIONS (1980 – 1994)

Une bombe à retardement pour une explosion mondiale.

L’histoire du VIH, en tant qu’épidémie, a maintenant 28 ans - une génération - et sa présence est devenue indissociable de la vie humaine présente et future. Différente des autres épidémies du passé, elle illustre de façon étonnante comment une maladie « nouvelle » peut s’étendre dramatiquement sans que l’on ait encore trouvé les moyens de l’éradiquer, malgré les progrès technologiques.

Dans ce premier acte, nous aborderons tour à tour les différentes sphères qui composent cette épidémie, en commençant par une présentation de l’histoire de ce virus qui nous permettra de mieux cerner la dimension des défis qui se sont présentés au monde.

III.A. SPHERE VIRO-IMMUNOLOGIQUE

"La génération spontanée est une chimère" Louis Pasteur

Pour les Hommes, trouver une origine, un phénomène causal à un mal n’est pas une préoccupation récente. Ce besoin d’explications est général et permanent. Pendant longtemps ce furent le jeu des dieux, les offenses aux divinités et les péchés des hommes qui étaient rendus responsables de la naissance des maladies. Puis, à cela s’ajoutèrent la notion hippocratique de « miasmes », le concept de maladie contagieuse de Fracastor et aussi la théorie de la génération spontanée 3.

Mais c’est en 1680 qu’Anton van Leeuwenhoek, précurseur de la microscopie, donna la possibilité à la médecine d’expliquer des phénomènes inconnus. En effet il décrivit pour la première fois des bactéries présentes dans la levure de bière et le tartre des dents 4 . Ensuite, l’Abbé Lazzaro

3 CALLEBAT L, BARRAS V, FAURE O et al. Histoire du Médecin. Paris : Flammarion ; 1999, 319 p. 4 DARMON P. L’homme et ses microbes. Paris : Fayard ; 1999. (Collection Nouvelles études historiques).

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Spallanzani (1729-1799), initiateur de la microbiologie, réfuta la théorie de génération spontanée tenue pour acquise à cette époque, en montrant la multiplication des germes par division cellulaire. Cependant le lien entre microbe, contagion et maladie ne fut établi qu’en 1850 par Davaine lorsqu’il identifia la bactéridie charbonneuse chez un patient 5. Louis Pasteur, travaillant sur la fermentation, la microbiologie et la biologie confirma et développa les théories qui établissaient un lien entre des germes et des maladies. C’est en particulier après 1877 qu’il mit ses connaissances au service de la médecine en découvrant les microorganismes responsables de certaines pathologies (le staphylocoque des furoncles, le streptocoque de l’infection puerpérale, le pneumocoque de la pneumopathie aiguë) 6. Ainsi le lien de causalité entre un malade présentant certaines manifestations cliniques et son infection par un germe n’a été que progressivement évoqué puis reconnu. Le développement technologique a été un facteur déterminant mais c’est surtout la modification des concepts médicaux qui a été nécessaire.

Partant de cela, la prise de conscience de la présence d’une nouvelle maladie à laquelle un germe est possiblement associé est devenue un raisonnement qui nous semble maintenant tout naturel. Comme nous le verrons, dans le cas du Sida, c’est à la suite d’observations de manifestations cliniques particulières et rares qu’une alerte a été donnée. La recherche puis la découverte de l’agent causal, le VIH, a ensuite pu être réalisé rapidement.

Cependant de nombreuses questions se sont alors posées à propos de ce nouvel agent infectieux: . Comment fonctionne-t-il exactement ? . Depuis quand existe-il ? . Quand s’est déclenchée l’épidémie ? . Pourquoi une telle expansion a-t-elle été possible ? . Quels traitements sont envisageables ?

5 RUFFIE Jacques, SOURNIA Jean-Charles. Les épidémies dans l’histoire de l’Homme. Paris : Flammarion ; 1995, 300p. 6 Institut Pasteur. L’œuvre de Louis Pasteur [Consulté le 18/12/2005]. Disponible à partir de l’URL : http://www.pasteur.fr/pasteur/histoire/Pasteur.html.

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I.A.1. Les débuts de l’épidémie

En 1980 à Los Angeles, le docteur Joel Weisman constate parmi ses patients homosexuels un accroissement de syndromes mononucléosiques (fièvre, amaigrissement et tuméfactions lymphatiques). En février 1981, lorsque qu’ils eurent des difficultés respiratoires, le docteur Michaël Gottlieb leur retrouva une étrange chute des lymphocytes T et la présence de Pneumoncystis carinii dans leur brossage bronchique 7. Le cytomégalovirus était alors considéré comme le responsable probable mais le tableau était atypique. Pendant la même période d’autres cas de pneumocystose mais aussi de toxoplasmose cérébrale et de sarcome de Kaposi apparurent à New York. Toutes ces pathologies étaient rares et se sont présentées chez des personnes qui n’en étaient habituellement pas victimes. Le Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta fit alors mention de ces faits dans le Mortality and Morbidity Weekly Report (MMWR) du 5 juin 1981 8 . La conclusion du rapport donnait une première « définition » de la maladie : «Toutes ces observations suggèrent la possibilité d’une dysfonction de 1’immunité cellulaire liée à une exposition commune qui prédispose les individus aux infections opportunistes, telles que la pneumocystose et la candidose».

Notons ici que c’est l’existence d’un centre de surveillance épidémiologique et la réactivité de certains scientifiques qui ont permis de détecter une série anormale de malades présentant des pathologies inhabituelles.

C’est le 27 septembre 1982 que le « Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise » (SIDA) est défini par le CDC 9: “CDC defines a case of AIDS as a disease, at least moderately predictive of a defect in cellmediated immunity, occurring in a person with no known cause for diminished resistance to that disease. Such diseases include Kaposi's sarcoma, Pneumocystis carinii pneumonia, and serious other opportunistic infections (…)”.

Au cours des années, avec l’expérience et les découvertes, les définitions ont été régulièrement modifiées (1985, 1987, 1989, 1991, 1993) 10,11,12,13,14.

7 GRMEK Mirko. Histoire du Sida. Paris: Payot ; 1995, 491 p. 8 Centers for Disease Control. Pneumocystis Pneumonia - Los Angeles. MMWR 1981 ; 30 (21) : 250-2. 9 Centers for Disease Control. Update on acquired immune deficiency syndrome (AIDS)-United States. MMWR 1982 ; 31 (37) : 507-508. 10 Centers for Disease Control. Revision of the case definition of acquired immunodeficiency syndrome for national reporting- United States. MMWR 1985 ; 34 (25) : 373-375. 11 Centers for Disease Control. Update: Acquired immunodeficiency syndrome-United States. MMWR 1989 ; 38 : 229- 236.

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Ces adaptations successives montrent à quel point il a été difficile de cerner tous les aspects d’une maladie qui ne provoquait pas de symptômes spécifiques par son action directe. Mirko Grmek note d’ailleurs dans son livre 15 que le SIDA "n'est pas une maladie dans le vieux sens du mot, puisque le virus est immunopathogéne, qu'il affecte le système immunitaire et produit des symptômes seulement par l’intermédiaire de l'infection opportuniste. (…) Ses manifestations pathologiques ne pourraient pas même avoir été comprises comme maladie avant l'arrivée de nouveaux concepts résultant des développements récents en sciences de la vie. »

En 1983 une équipe de l’Institut Pasteur de Paris (Montagnier L, Barré-Sinoussi F) identifia le virus à partir d’un prélèvement ganglionnaire réalisé par le professeur Marc Gentilini sur un malade polyadénopathique; ce dernier était homosexuel et avait séjourné à New-York en 1979 16. C’est en raison du lieu où le virus fut retrouvé (ganglion) que ce dernier fut initialement appelé LAV (Lymphadenopathy Associated Virus). De son coté l’équipe du professeur Robert Gallo lui avait donné le nom d’HTLV-III. Il n’a été baptisé VIH et classé dans la famille des Retroviridae, genre des Lentivirus qu’en 1986 par le comité international de taxonomie virale 17. C’est un rétrovirus, c'est-à-dire que fonctionnellement parlant, le matériel génétique du VIH est de type ARN et doit être « traduit » en ADN par une enzyme spécifique (la transcriptase inverse), fournie par le virus lui-même. C’est sous cette forme qu’il devient incorporable dans les gênes de la cellule hôte. C’est par la détection de cette enzyme que le virus put facilement être retrouvé dans les cultures lymphocytaires. La découverte de la transcriptase inverse avait été faite en 1970 par Howard Temin, de 1’Université de Wisconsin, et David Baltimore, du Massachusetts Institute of Technology 18. Le VIH a été classé dans les lentivirus du fait de sa lenteur d’évolution 19.

12 Centers for Disease Control. Revision of the CDC surveillance case definition for acquired immunodeficiency syndrome. MMWR 1987, 36 (Suppl lS). 13 Centers for Disease Control. Extension of public comment period for revision of HIV infection classification system and exe pension of AIDS surveillance case definition. MMWR 1991 ; 40 : 891. 14 Centers for Disease Control. 1993 Revised Classification System for HIV Infection and Expanded Surveillance Case Definition for AIDS Among Adolescents and Adults. MMWR 1992 ; 41 (RR-17). 15 GRMEK Mirko. Histoire du Sida. Paris: Payot ; 1995, 491 p. 16 BARRE-SINOUSSI F, CHERMANN J, REY F et al. Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Science 1983 ; 220 : 868-871. 17 COFFIN J, HAASE A, LEVY JA, MONTAGNIER L et al. What to call the AIDS virus? Nature 1986 ; 321 (6065) : 10. 18 BALTIMORE D. Viral RNA-dependant DNA polymerase in virions of RNA tumour viruses. Nature 1970 ; 226 : 1209-1211. 19 Cette notion d’infection virale lente date de 1954 et est due à Bjorn Sigurdsonn qui travailla sur le « visna » du mouton.

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Les débuts de la compréhension de la structure et du mécanisme biologique de la reproduction du VIH datent de la période 1984-1986. Et au cours des années suivantes (1987-1994) les scientifiques commencèrent à percevoir la complexité de son fonctionnement, de son cycle viral, de sa régulation et des effets qu’il engendrait:

. Sa détection peut se faire indirectement par la recherche de la transcriptase inverse ou d’anti- corps anti-VIH 20 et plus directement par le Western Blot qui va identifier la présence des antigènes de surface du virus (1985), et la polymerase chain reaction (PCR) qui va détecter la présence d’ARN viral 21. . Les modes de transmission reposent principalement sur : la transmission sexuelle, sanguine et verticale (de la mère à l’enfant). Nous verrons ultérieurement que la transmission sexuelle est la voie la plus fréquente et que les risques de transmission vont dépendre de la concentration virale dans le sperme ou le liquide vaginal, de la présence de lésions cutanées ou muqueuses favorisant l’entrée du virus, du sexe (la femme est plus « réceptive ») et du mode de relation sexuel (anal ou vaginal). Le virus est soit libre dans les sécrétions, soit intégré à des cellules immunitaires, soit encore accolé à l’extérieur des spermatozoïdes. . Il possède un tropisme pour les cellules porteuses de la molécule CD4+ (qui a été découverte entre 1984 et 1985), en particulier les lymphocytes T4 plus communément appelés « CD4 ». Ces derniers sont impliqués dans la coordination de l’immunité cellulaire et humorale. Le virus va aussi envahir les monocytes, macrophages, la microglie du système nerveux central, les cellules folliculaires dendritiques des ganglions, les cellules de Langerhans de la peau et des muqueuses. L’envahissement de ces cellules est massif et précoce dès le début de l’infection, et va continuer pendant la période de latence clinique par la persistance d’une réplication active 22. Le virus a été retrouvé dans la salive 23, les larmes, le sperme, le vagin, le lait maternel et le liquide céphalorachidien 24.

20 Le 5 décembre 1983 l’Institut Pasteur a déposé une demande de brevet auprès du patent office américain pour le premier test de dépistage par ELISA (Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay). Le test ne sera commercialisé qu’en 1985. 21 OU CY, KWOK S, MITCHELL SW, MACK DH et al. DNA amplification for direct detection of HIV-1 in DNA of peripheral blood mononuclear cells. Science 1988 Jan 15 ; 239 (4837) : 295-297. 22 PANTALEO G, GRAZIOSI C, JAMES F, DEMAREST JF et al. HIV infection is active and progressive in lymphoid tissue during the clinically latent stage of disease. Nature 1993 ; 362 : 355-358. 23 GROOPMAN JE, SALAHUDDIN SZ, SARNGADHARAN MG et al. HTLV-III in Saliva of People with AIDS- Related Complex and Healthy Homosexual Men at Risk for AIDS. Science 1984 ; 226 (4673) : 447-449. 24 LEVY JA, SHIMABUKURO J, HOLLANDER H, MILLS J, KAMINSKY L et al. Isolation of AIDS-associated retroviruses from cerebrospinal fluid and brain of patients with neurological symptoms. Lancet. 1985 ; 2 (8455) : 586- 588.

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. Il infecte les cellules cibles en s’accolant à leur paroi et en introduisant l’ARN. Celui-ci est transformé en ADN par la transcriptase inverse. L’ADN peut alors incorporer le noyau et s’intégrer au chromosome. Sous cette forme de proviral il peut rester quiescent des années et il est inaccessible aux actions chimiques. Au moment de l’activation de sa réplication, la cellule hôte est tuée et les virions sont relâchés (voir figure 4). C’est cette connaissance plus intime des cycles de reproduction qui a permis d’envisager la recherche de molécules pouvant perturber voir arrêter la multiplication virale (voir I.A.3.a.).

Figure 4 : Structure du virus et cycle de réplication virale

. C’est par la destruction lente des Lymphocytes T4 que les infections opportunistes peuvent apparaître, le seuil critique moyen étant de 200 cel/mm3 pour une normale à 1000 cel/mm3 (voir figure 5). La durée de latence avant le passage au stade Sida est en moyenne de 9 ans mais elle semblerait plus courte dans les pays tropicaux. Ceci pourrait être expliqué par une hyperstimulation immune liée aux nombreuses infections en zone tropicale favorisant la réplication virale, mais aussi par les conditions socio-sanitaires difficiles que l’on retrouve dans ces pays.

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Figure 5 : Graphe montrant l’évolution naturelle des taux de CD4 et de l’ARN viral au cours d’une infection non traitée. (Adapté du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID)).

. Il acquiert une grande variabilité génétique par un taux de mutation élevé lors de ses cycles de réplication (ce qui représente un obstacle majeur au développement d’un vaccin). La population virale du VIH s’est diversifiée et a même acquise des spécificités géographiques. Une illustration est donnée par l’existence d’une grande variété de sous-types dispersés de par le monde, avec des particularités continentales. En 1986 une nouvelle espèce est découverte : le VIH-2 (le virus précédemment décrit devient le VIH-1) chez des patients originaires d’Afrique de l’Ouest 25. Cette nouvelle espèce, très localisée géographiquement, ne présentait pas une grande variété de sous-types ; en revanche, pour le VIH-1 la classification a été difficile et il a fallu attendre 1992 pour commencer à en faire la synthèse : un grand groupe (M pour Main 26) contenait tous les sous-types classés de A à J et des groupes plus divergents ont été nommés O (Outlier) et N (Non-O/Non-M). Le groupe N n’a été identifié qu’en 1998 27 (voir figure 6).

25 CLAVEL F, GUETARD D, BRUN-VEZINET F et al. Isolation of a new human retrovirus from West African patients with AIDS. Science 1986 ; 233 (4761) : 343-346. 26 “Main” signifie “principal” en français. 27 SIMON F, MAUCLERE P, ROQUES P et al. Identification of a new human immunodeficiency virus type 1 distinct from group M and group O. Nat Med 1998 ; 4 : 1032-1037.

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Figure 6 : Arbre phylogénétique du VIH et du VIS Source: Theoretical Biology and Biophysics Group, Los Alamos National Laboratory

La répartition mondiale des sous-types a ensuite été établie (voir figure 7 et tableau 1). Alors que l’Afrique possédait tous les sous-types, le sous-type B était majoritaire dans les pays industrialisés (Amérique du Nord, Europe, Australie) et les sous-types C et E étaient prédominants en Asie.

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Figure 7 : Carte représentant la prévalence mondiale des sous-types du VIH-1. Plus le « camembert » est grand plus la prévalence de l’infection par le VIH-1 dans la zone est importante.

A B C D A/E Autres

Amérique N ++

Amérique S ++ + +

Europe + ++ + + +

Afrique ++ + ++ ++ + +

Asie + ++ ++

Tableau 1 Répartition des sous-types du VIH-1 par continent Source : Stebbing J., Moyle G. The clades of HIV: their origins and clinical significance. AIDS 2003;5:205-13.

La répartition spatiale de ces sous-types et leur affiliation génétique a permis de constater leur corrélation avec certains modes de transmission et de mieux tracer les mouvements épidémiques (figure 8). Par exemple, le sous-type B primitivement retrouvé en Thaïlande dérive de celui décrit en Amérique du Nord parmi les homosexuels et les utilisateurs de drogues injectables. Son expansion en Thaïlande est probablement la conséquence du développement de ces groupes à risque durant la période 1984-1988.

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Il a ensuite été supplanté par le sous-type E (qui est un virus recombinant en partie composé du sous-type A (d’origine africaine) lors du passage à la phase de transmission hétérosexuelle de l’épidémie 28. Comme nous le verrons plus loin, c’est ce même sous-type E qui s’est ensuite étendu au Cambodge. Il a été aussi noté que le sous-type E présentait une plus grande facilité de transmission par la voie hétérosexuelle que le sous-type B 29, ce qui a pu être un facteur important dans la vitesse de croissance de l’épidémie asiatique.

Figure 8 : Répartition par pays des sous-types du VIH. Hypothèses sur les voies d’introduction et d’extension en Asie-Pacifique.

D’après la version modifiée par B. G. Weniger et al., de « The molecular Epidemiology of HIV in Asia », Aids in Asia and the Pacific. AIDS 1994 ; 8 (suppl 2) : s13-s28.

28 Expert Group of the Joint Union Programme on HIV/AIDS. Implications of the Human Immunodeficiency Virus variability for transmission: Scientific and Policy issues. 1996. UNAIDS Archives. 29 LASKY M, PERRET JL, PEETERS M, BIBOLLET-RUCHE F, LIEGEOIS F, PATREL D et al. Presence of multiple non-B subtypes and divergent subtype B strains of HIV-l in individuals infected after overseas deployment. AIDS 1997 ; 11 : 43-51.

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I.A.2. A la recherche des origines

En 1493, les caravelles de Christophe Colomb revinrent du Nouveau Monde. Hélas, elles rapportèrent dans leurs soutes un mal inconnu, la syphilis, qui devait se propager rapidement dans toute l’Europe. Cette soudaine et très grave épidémie fut un sujet de stupeur et de terreur, comparable à la peste noire. A l'époque la férocité de ce mal inconnu était extraordinaire. En Allemagne, des populations entières fuirent leur village et à Paris la peine de mort était décidée pour les malades qui ne quitteraient pas la capitale. La maladie frappa les esprits et les réactions sociales furent violentes. La transmission vénérienne fut reconnue mais l’origine de l’épidémie resta longtemps ignorée. On notera que la rapidité d’expansion de cette maladie révélait une activité sexuelle intense dans la société de cette époque.

Tout naturellement, devant une nouvelle maladie, la question des origines se pose, comme si la réponse à cette question allait tout éclairer et apporter la cure. Et concernant le VIH, de la même façon, la question se posa. L’origine du VIH est elle ancienne ou récente ?

Si le VIH est ancien, pour quelle raison ne s’est-il pas étendu plus tôt ? Si le VIH est récent, quels ont été les facteurs ayant conduit à son émergence explosive ?

En bref : quand le VIH est arrivé dans l’espèce humaine, comment cela s’est-il produit, où a-t-il voyagé?

 QUAND ?

Dans son traité de 1546 sur la syphilis, De Contagione, Girolamo Fracastoro prédit : "Cette maladie disparaîtra puis renaîtra pour être vue par nos descendants, et au cours du temps viendront encore d'autres maux peu communs".

Afin de remonter aux racines des émergences parmi nos ascendants, d’aucuns ont recherché les plus anciennes descriptions de pathologies pouvant ressembler à des infections opportunistes dues au VIH et ont testé des prélèvements sanguins ou tissulaires bien conservés.

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Les cas les plus souvent évoqués sont : • Le décès en 1959 d’un marin anglais ayant présenté une maladie évocatrice du Sida 30 . Cependant ce cas n’a pas été confirmé. • L’analyse d’anciens prélèvements sanguins humains venant d’Afrique et datant de 1959 a retrouvé un VIH qui pourrait être la source des sous groupes B et D 31. Ainsi, les premières traces du VIH groupe M dateraient de 1959, 1961-2 pour le groupe O et 1965-66 pour le VIH- 232. • Le décès en 1976 d’un marin Norvégien, de sa femme et de sa fille de 9 ans. Le marin aurait présenté ses premiers symptômes dès 1966, 4 ans après avoir voyagé le long de la côte Ouest de l’Afrique (figure 9). Des analyses tissulaires du marin et de sa femme ont été faite en 1988 et ont retrouvé un VIH-1 sous groupe O principalement retrouvé en Afrique de l’Ouest33.

Figure 9 : Trajet suivi par le marin Norvégien d’août 1961 à mai 1962 Source: Hooper E. Sailors and star-bursts, and the arrival of HIV

Les 22 ans écoulés, entre les plus anciennes traces du VIH (1959) et la reconnaissance des premiers cas de Sida en 1981, semblent étonnamment longs et calmes pour un virus qui, dans les 28 années suivantes, s’est étendu au monde entier et a fait des millions de mort. Une des raisons évoquées pour expliquer cette latence initiale est la récente introduction du virus parmi l’espèce humaine et donc la possibilité d’une transmissibilité interhumaine peu efficace. D’autre part, compte tenu des capacités techniques et des connaissances de l’époque, l’apparition sporadique des cas de Sida pouvait facilement passer inaperçue. Tout spécialement pour un lentivirus pour lequel un long intervalle de temps existe entre son introduction dans l’espèce humaine et sa reconnaissance comme une cause de maladie. Ne pourrait-il pas y avoir en ce moment de nouveaux VIH en circulation qui ne seraient pas encore détectés ?

30 ZHU T, HO DD. Was HIV present in 1959 ? Nature 1995 ; 374 : 503-504. 31 ZHU T, KORBER B, NAHMIAS A et al. An african HIV-1 sequence from 1959 and implications for the origin of the epidemic. Nature 1998 ; 391 : 594-597. 32 LE GUENNO B. HIV1 and HIV2: two ancient viruses for a new disease? Trans R Soc Trop Med Hyg 1989 ; 83 (6) : 847. 33 HOOPER E. Sailors and star-bursts, and the arrival of HIV. BMJ 1997 ; 315 : 1689-1691.

42 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Des datations du VIH-1 ont été réalisées en prenant des séquences virales complètes et en leur appliquant un certain rythme évolutif. Ainsi, de façon rétrograde, deux équipes américaines ont estimé que l’introduction du VIH-1 dans l’espèce humaine devait remonter à 1931 (1915-41) 34 pour une équipe et à 1920 (1890-1940)35 pour l’autre équipe. La divergence des sous-types B/D daterait de 1949-54. Concernant le VIH-2 des dates similaires ont été retrouvées : 1940 ± 16 pour le sous-type A et 1945 ± 14 pour le sous-type B36. Une autre étude conclue que la transmission zoonotique a du intervenir avant les années 30 et que la séparation des lignées HIV-1/VIS daterait de 300 ans et aurait engendré le groupe M37. Récemment, une équipe de chercheurs essaya de nouveau d’estimer la date d’apparition du VIH en comparant le taux de mutations apparus entre les plus anciens VIH retrouvés (1959 et 1960 au Congo) et le VIH contemporain. Cette comparaison permit de calibrer l’horloge moléculaire et ensuite de remonter dans le temps à partir de ces anciens VIH. D’après cette méthode l’origine VIH daterait de 1908 (1884-1924)38.

 COMMENT ?

Une première hypothèse parle d’une infection ancienne parmi un groupe d’individus isolé et adapté au virus suite à un long processus de sélection darwinienne. L’apparition de mutations, avant ou après le passage du virus dans des groupes non infectés, aurait conduit à une virulence nouvelle engendrant un effet pathogénique39.

Il y a bien sûr la thèse de la fabrication ou de la manipulation du virus par l’homme afin d’en faire une arme biologique pour contrôler l’expansion de certaines populations,40.

34 KORBER B, MULDOON M, THEILER J et al. Timing the ancestor of the HIV-1 pandemic strains. Science 2000 ; 288 (5472) : 1789-1796 35 LEMEY P, PYBUS O.G, RAMBAUT A et al. The Molecular Population Genetics of HIV-1 Group O. Genetics 2004 ; 167 : 1059-1068 36 LEMEY P, PYBUS OG, WANG B et al. Tracing the origin and history of the HIV-2 epidemic. PNAS 2003 ; 100 (11) : 6588-6592. 37 SALEMI M, STRIMMER K, HALL W et al. Dating the common ancestor of SIVcpz and HIV-1 group M and the origin of HIV-1 subtypes using a new method to uncover clock-like molecular evolution. The FASEB Journal 2001 ; 15 : 276-278. 38 WOROBEY M, GEMMEL M, TEUWEN DE et al. Direct evidence of extensive diversity of HIV-1 in Kinshasa by 1960. Nature 2008 ; 455 (7213) : 661-664. 39 RUFFIE Jacques, SOURNIA Jean-Charles. Les épidémies dans l’histoire de l’Homme. Paris : Flammarion ; 1995, 300 p. 40 SCOTT DW, SCOTT WLC. AIDS made in America. Journal of Degenerative diseases 2004, special edition ; 5 (3) : 3-31.

43 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Une autre hypothèse fait état de l’apparition du virus dans l’espèce humaine suite à l’utilisation de cellules rénales simiennes pour la fabrication du vaccin contre la poliomyélite à la fin des années 50 et qui sont supposées avoir été contaminées par le Virus de l’Immunodéficience Simienne (VIS). Ce vaccin de l’Institut Salk a été massivement utilisé au Zaïre à cette période. Mais pour que cette hypothèse soit probable il aurait fallu que les sous-types de virus du groupe M se soient diversifiés chez le chimpanzé avant d'être transmis à l'homme, or cela n’a pas été le cas. L'homme était porteur de cette souche virale bien avant cette date41. Nous noterons tout de même qu’en 1960 il fut découvert par un scientifique du National Institute of Health que ce vaccin, donné à 100 millions d’enfants américains entre 1955 et 1963, comportait un virus provenant du singe, le SV40, qui s’est révélé cancérigène sur l’animal42. Enfin, une autre hypothèse a été développée, plus orientée vers l’apparition récente du VIH suite à une transmission et à l’adaptation à l’homme d’un virus simien. En effet, à la vue de l’arbre phylogénétique du VIH on ne peut que constater son extraordinaire proximité avec le VIS. Cela est particulièrement frappant pour le VIH-2 qui, de plus, se superpose géographiquement avec le VIS (Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale).

Est-ce que le VIS est à l’origine du VIH ?

Le VIS est retrouvé dans une trentaine d’espèces de singes africains sans pour autant produire des maladies détectables. Cette absence de pathogénicité serait le fruit d’une longue et ancienne cohabitation débouchant sur un équilibre évolutif stable43. Le VIS présente de nombreuses variations génétiques, chacune étant particulièrement associée à certaines espèces de singes. Cependant des transmissions inter-espèces ont été observées chez des macaques et se sont traduites par l’apparition d’un Sida similaire à l’espèce humaine. Partant de ces observations, l’hypothèse d’un passage du singe à l’homme du VIS est devenue la plus communément admise44. Le Sida serait une zoonose tout comme la rage, la toxoplasmose, la Larva migrans, la brucellose, la leptospirose, la tularémie, la peste, le H5N1 influenza et la maladie de Creutzfeldt–Jakob. Pour certaines de ces zoonoses, suite à une adaptation, l’homme serait devenu un hôte non occasionnel capable de transmettre la maladie.

41 PEETERS M. Origine du VIH 1 : Une étude épidémiologique en Afrique centrale offre un nouvel éclairage. IRD Fiche scientifique 134 - Avril 2001 [Consulté le 06/12/2005]. Disponible à partir de l’URL : http://www.ird.fr/fr/actualites/fiches/2001/fiche134.htm 42 FISHER DE BARBARA Loe. Présentation Orale. 10 Septembre 2003. (Consulté le 25/07/06). Disponible à partir de l’URL : http://sfc.forumactif.com/ftopic912.Le-Virus-SV40-A-corrompu-le-vaccin-de-poliomyelite-l.htm 43 COURGNAUD V, MÜLLER-TRUTWIN M, SONIGO P. Evolution et virulence des lentivirus de primates. Science 2004 ; 20 : 448-452. 44 HAHN B, SHAW G, COCK K et al. AIDS as a zoonosis: Scientific and Public Health Implications. Science 2000 ; 287 : 607-614.

44 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Concernant le VIH, la transmission animal-homme aurait été récente et accidentelle entraînant des mutations nouvelles et finalement une pathogénicité chez un hôte non préparé. Les circonstances de la transmission ne sont pas encore entièrement élucidées mais il est très probable que cela se passe à la suite d’un contact avec du sang ou d’autres fluides provenant d’un chimpanzé infecté. En Afrique de l’ouest et centrale, la chasse au singe et la consommation de leur viande ont toujours été très répandues. Cependant l’exploitation intensive des ressources naturelles, le développement commercial, l’accroissement de la population, la construction des routes, ont poussé les chasseurs à aller de plus en plus loin dans les forêts pour alimenter les marché des villes45. Ainsi la potentialité d’un contact avec des lentivirus de primates a augmenté, tout comme les conditions nécessaires à l’émergence de nouvelles zoonoses46, 47, 48.

De nombreux sous-types du VIS existent, et la recherche de l’ancêtre du VIH, qui se fait principalement par une comparaison des génomes, a été difficile. Le primate non humain souvent identifié comme étant à l’origine du VIH-1 (sous-types M, N, O) est un chimpanzé (Pan troglodyte troglodyte) porteur du SIVcpz 49,50. Quant au VIH-2 il viendrait du Sooty mangabey (Cercocebus atys) porteur du SIVsm51.

Pourtant, même s’il est accepté que le VIS est à l’origine du VIH, l’hypothèse que le Sida soit une zoonose est contestée par certains 52. Les arguments avancés sont : . La rareté des transmissions inter-espèces du VIS pouvant générer une transmission interhumaine significative à l’origine des sous-types du VIH. Le SIV est transmis mais pas la maladie. Le VIS semble mal adapté pour entraîner une épidémie de grande envergure.

45 ROBINSON JG, REDFORD KH, BENNET EL. Wildlife harvest in the logged tropical forests. Science 1999 ; 284 : 595-596. 46 Center for Disease Control and Prevention. Preventing emerging infectious diseases: a strategy for the 21st century [Consulté le 07/07/2006]. Disponible à partir de l’URL : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=PubMed&list_uids=9751113&dopt=Abstract 47 WOLFE ND, HENEINE W, CARR JK et al. Emergence of unique primate T-lymphotropic viruses among central African bushmeat hunters. PNAS 2005 ; 102 (22) : 7994-7999. 48 YANG C, DASH BC, SIMON F et al. Detection of diverse variants of Human Immunodeficiency Virus-1 Groups M, N, O and Simian Immunodeficiency Virus from Chimpanzees by using generic pol and env Primer Pairs. Journal of Infectious Diseases 2000 ; 181 : 1791-1795. 49 YANG C, DASH BC, SIMON F et al. Detection of diverse variant of Human Immunodeficiency Virus-1 Groups M, N, O and Simian Immunodeficiency Virus from Chimpanzees by using generic pol and env Primer Pairs. Journal of Infectious Diseases 2000 ; 181 : 1791-1795. 50 GAO F, BAILES E, ROBERTSON D et al. Origin of HIV-1 in the chimpanzee Pan troglodyte troglodyte. Nature 1999 ; 397 : 436-441. 51 LEMEY P, PYBUS O, WANG B et al. Tracing the origin and history of HIV-2 epidemic. PNAS 2003 ; 100 : 6588- 6592. 52 MARX A, APETREI C, DRUCKER E. AIDS as a zoonosis ? Confusion over the origin of the virus and the origin of epidemics. Journal of Medical Primatology 2004 ; 33 : 220.

45 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

. L’exposition humaine au VIS date de plusieurs milliers d’années mais le Sida n’a émergé qu’au 20ème siècle. Si le VIH était une zoonose qui se transmettrait aux humains, l’épidémie américaine aurait dû débuter avec le commerce des esclaves.

Les auteurs ont conclu que la transmission du VIS n’est pas la condition principale pour générer une épidémie du Sida. Plus de recherches sont nécessaires pour comprendre comment un virus animal peut donner une transmission interhumaine efficace. L’émergence des nouveaux virus est bien connue mais l’émergence des maladies virales et des épidémies l’est beaucoup moins.

En bref, tout comme l’origine de l’homme, l’origine du virus reste encore mystérieuse et toutes les hypothèses restent envisageables.

 OU ?

De ce que nous avons pu voir précédemment nous pouvons retenir que l’Afrique équatoriale semble avoir été l’épicentre de l’épidémie. Le VIH, d’abord localisé a pu bénéficier d’un certain contexte pour passer au stade épidémique au milieu du XXème siècle. L’expansion démographique, l’augmentation de la mobilité, les guerres civiles, l’utilisation d’aiguilles souillées, l’insécurité transfusionnelle, le développement des drogues injectables sont des facteurs potentiels ayant concouru à « l’explosion » épidémique mondiale du début des années 70. D’ailleurs, la date d’entrée du virus en Amérique a été estimée à 196853. La façon dont le virus s’est étendu hors de l’Afrique reste un mystère. L’épidémie s’est possiblement développée dans différents pays avant même que le premier cas de Sida soit reconnu, rendant virtuellement impossible la recherche d’une origine unique.

53 ROBBINS KE, LEMEY P, PYBUS OG et al. U.S. Human Immunodeficiency Virus Type 1 Epidemic: Date of Origin, Population History, and Characterization of Early Strains. Journal of Virology 2003 ; 77 (11) : 6359-6366.

46 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

I.A.3. Le virus et les anti-virus

« Si j'essayais de décrire ce virus, je dirais qu'il est incroyablement rusé. Il est fait pour survivre. Il est comme un démon immortel. Je n’aime pas dire les choses de cette façon, mais il en a toutes les caractéristiques. Il peut changer son visage; il peut changer son apparence. Pour esquiver un traitement, il entre dans l'ADN d'une cellule et il s’y cache; il peut tranquillement se reposer là de sorte que les drogues que nous employons ne l'atteignent pas, et si on stimule cette cellule pour n'importe quelle raison, il se réveillera; et si on enlève le traitement il hurlera encore plus fort, pour poursuivre l’infection. » Dr. Margaret Fischl Co-réalisateur de la première étude sur l’AZT en 1987

I.A.3.a Les Antirétroviraux (ARV)

Après un certain nombre de tentatives avec différentes molécules (interleukine, interféron, HPA 23, ribavirine...) entre 1983 et 1984, la recherche s’est orientée vers l’identification des agents qui pourraient agir efficacement sur la transcriptase inverse.

L’AZT (zidovudine, azidothymidine) est un analogue nucléosidique de la thymidine initialement développé en 1964 pour lutter contre le cancer. Connaissant sa structure, il a été envisagé qu’il pourrait inhiber la transcriptase inverse et donc perturber la réplication virale, ce qu’il fit fortement in vitro 54,55. Après un premier test encourageant sur 33 malades, une première étude clinique (versus placebo) a été débutée par le National Institutes of Health américain 56 (NIH) en 1986 57. Après 6 mois de suivi, devant les résultats cliniques spectaculaires, l’étude est arrêtée et un enregistrement rapide par la FDA (Food and Drug Administration) a été réalisé (le 19 mars 1987). Son coût était alors de 10.000 dollars par an. La rapidité du processus global entre les premiers tests

54 MITSUYA H, WEINHOLD KJ, FURMAN PA et al. 3'-Azido-3'-deoxythymidine (BW A509U): an antiviral agent that inhibits the infectivity and cytopathic effect of human T-lymphotropic virus type III/lymphadenopathy-associated virus in vitro. Proc Natl Acad Sci USA. 1985 Oct ; 82 (20) : 7096-7100. 55 MITSUYA H, BRODER S. Inhibition of the in vitro infectivity and cytopathic effect of human T-lymphotrophic virus type III/lymphadenopathy-associated virus (HTLV-III/LAV) by 2',3'-dideoxynucleosides. Proc Natl Acad Sci USA. 1986 ; 83 (6) :1911-1915. 56 En 1986, le NIH a créé l’AIDS Clinical Trials Groups (ACTG, on notera la correspondance entre cet acronyme et les initiales des bases de l’ADN) qui était chargé de coordonner les études cliniques évaluant l’efficacité d’un certain nombre de molécules. 57 FISCHL MA, RICHMAN DD, GRIECO MH et al. The efficacy of azidothymidine (AZT) in the treatment of patients with AIDS and AIDS-related complex: a double-blind, placebo-controlled trial. N Engl J Med 1987 ; 317 : 185-191.

47 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir scientifiques et la commercialisation laissait alors penser que la découverte d’un traitement curatif était imminente.

En 1991, la didanosine (ddI), un analogue de l’adénosine, est enregistrée par la FDA. Puis c’est le tour de la zalcitabine (ddC) en 1992. Cette même année une première étude portant sur des associations de molécules est débutée. En 1993 Les personnes atteintes du Sida commencent à montrer des signes de résistance à l’AZT. Une étude européenne de trois ans a montré qu’il n’y avait pas de preuve que l'AZT retardait l’apparition du Sida au long terme58. Ce résultat 59 est tombé au milieu d’un vif débat entre la communauté des patients et le secteur médical. Les protocoles qui servaient de cadre aux tests étaient critiqués tant pour leurs modalités (sélection, processus, interprétation) que pour leur éthique60,61. En 1994 la stavudine, d4t (analogue nucléosidique de la thymidine) est enregistrée et une nouvelle étude du NIH démontra que l’AZT pouvait réduire le risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant 62. A ce moment le panel de molécules était réduit et les résultats bien que présents étaient encore limités. Les traitements en monothérapie étaient décevants mais les bithérapies semblaient apporter une meilleure efficacité (virologique, immunologique et clinique) sur une plus longue durée. Néanmoins les meilleures associations et les dosages optimaux n’étaient pas encore définis, et on ne connaissait pas encore le meilleur moment pour commencer, ni combien de temps il allait falloir traiter 63. Enfin, le problème des résistances devenait évident et le coût de leur séquençage rendait le suivi impossible à réaliser en routine. L’arrivée des ARV a apporté une trêve dans le désespoir des malades, mais ils se sont révélés insuffisants pour arrêter la maladie et l’épidémie.

58 Concorde Coordinating Committee. Concorde: MRC/ANRS randomised double-blind controlled trial of immediate and deferred zidovudine in symptom-free HIV infection. Lancet 1994 ; 343 (8902) : 871-881. 59 La conclusion finale était que l’utilisation de l’AZT seule à un stade peu évolué de l’infection a un effet limité dans le temps (1 à 2 ans). 60 KOLATA G. After 5 years of use, doubt still clouds leading AIDS drug. New York Times. June 2, 1992 : C3. [Consulté le 27/05/07]. Disponible à partir de l’URL : www.nytimes.com/1992/06/02/health/after-5-years-of-use-doubt- still-clouds-leading-aids-drug.html?pagewanted=all 61 SEPKOVITZ KA. AIDS – The first 20 years. New England Journal of Medecine 2001 ; 23 (344) : 1764-1772. 62 CONNOR EM, SPERLING RS, GELBER R et al. Reduction of materrnal infant Transmission of human immunodeficiency virus type l with zidovudine treatment. N Engl J Med 1994 ; 331 : 1175-1180. 63 COOPER EC. Treatment of HIV disease: Problems, Progress, and Potential. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 159-164.

48 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

I.A.3.b L’espoir vaccinal

En 1977, le Chirurgien Général des Etats-Unis déclarait, peu après l’éradication de la variole grâce à un vaccin vivant, que les maladies infectieuses avaient été conquises64. De fait, lorsque que la nouvelle épidémie virale fit son apparition, il paraissait techniquement envisageable de concevoir un vaccin contre cet intrus et de l’éradiquer. Dès la fin des années 80 la recherche s’est lancée dans des études. Dans un premier temps, en 1986, il a été montré, in vitro, que des anticorps dirigés contre les protéines de l’enveloppe virale neutralisaient le virus 65 . Plus tard, il a été aussi décrit que l’administration passive d’anticorps au chimpanzé protégeait ce dernier de l’infection par le VIH66. L’étape suivante fut de faire un prototype de vaccin et d’immuniser des chimpanzés. Ces derniers se sont révélés être protégés contre le VIH vivant qu’il leur a été inoculé 67 , 68 . Ces succès de laboratoire ont encouragé des compagnies à se lancer dans des essais cliniques sur l’homme, avec une première orientation sur un vaccin préventif. Les premiers candidats vaccins ont été développés aux Etats Unis, en France et en Autriche. En 1988 le Dr Jonas Salk69, avait rapporté qu’une préparation à base de VIH inactivé apparaissait efficace pour ralentir la progression du Sida pour ceux qui étaient déjà infectés. En novembre 1992 il déposa un brevet pour l’invention d’un vaccin utilisant des protéines d’enveloppe (gp120) et qui pouvait être utilisé soit pour la prévention des personnes non infectées soit pour ralentir l’évolution de la maladie70.

64 WEISS R.A. HIV and AIDS in relation to other pandemics. EMBO reports 4 2003 ; Supp1 : S10–S14 [Consulté le 21/02/07]. Disponible à partir de l’URL : www.nature.com/embor/journal/v4/n6s/full/embor857.html. 65 LASKY LA, GROOPMAN JE, FENNIE CW et al. Neutralization of AIDS retrovirus by antibodies to a recombinant envelope glycoprotein. Science 1986 ; 233 : 209-212. 66 PRINCE AM, REESINK H, PASCUAL D et al. Prevention of HIV infection by passive immunization with HIV immunoglobulin. AIDS research and human retroviruses 1991 ; 7 : 971-973. 67 BERMAN PW, GREGORY TJ, RIDDLE L et al. Protection of chimpanzees from infection by HIV-1 after vaccination with glycoprotein gp120 but not gp160. Nature 1990 ; 345 : 622-625. 68 GIRARD M, KIENY MP, PINTER A, BARRE-SINOUSSI F et al. Immunization of chimpanzees confers protection against challenge with human immunodeficiency virus. Proceeding of the National Academy of Science USA 1991 ; 88 : 542-546. 69 Jonas SALK, décédé en 1995, était le patron de l'Institut SALK aux Etats Unis. Il a été à l’origine du développement du vaccin controversé de la poliomyélite. 70 SALK J, CARLOS DJ. Retroviral antigens. US PTO Patent October 26, 1993 [Consulté le 26/07/06]. Disponible à partir de l’URL : http://patft.uspto.gov/netacgi/nph-Parser?Sect2=PTO1&Sect2=HITOFF&p=1&u=%2Fnetahtml%2Fsearch- bool.html&r=1&f=G&l=50&d=PALL&RefSrch=yes&Query=PN%2F5256767.

49 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Malgré le besoin urgent d’un vaccin, en juin 1994, le AIDS Research Advisory Committee du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) américain recommandait que les essais de phase III sur un vaccin préventif ne devrait pas être conduits « en ce moment et dans ce pays ». Deux raisons ont été avancées par le Dr Fauci, directeur du NIAID : (1) l’inefficacité actuelle des vaccins à neutraliser le virus et (2) le risque que les tests aggravent la situation immunitaire des personnes vaccinées. En dépit de ce constat et malgré la règle de l’OMS qui demande que le vaccin soit d’abord complètement testé dans le pays d’origine avant son utilisation à l’étranger, un comité consultatif de l’OMS a recommandé que les essais de phases III devraient se passer dans les pays en voie de développement71. Un réseau de sites pouvant recevoir les futures études a été établi par l’OMS et le NIH (HIVNET). Ce réseau de 9 pays comprenait la Thaïlande et le Brésil, ces derniers ayant commencé les premières études en 1995. Ironiquement il est à noter que les essais portaient principalement sur le sous-type B qui était prédominant en Amérique du Nord et en Europe. En Asie, la première étude de phase I a eu lieu en Thaïlande entre 1994 et 1995 avec un MN synthetic V32 peptide.

Cependant les résultats initialement prometteurs furent de moins en moins optimistes à mesure que les vaccins étaient testés 72. Leur mise au point s’est heurtée à des problèmes inhabituels 73: . L’hypervariabilité du virus rend la création d’un vaccin polyvalent difficile . Les séquences invariantes du virus n’induisent qu’une faible quantité d’anticorps . Le virus intègre l’ADN de la cellule hôte et se cachent dans des sanctuaires cellulaires à l’abri de la réponse immunitaire . Le virus perturbe ou détruit l’immunité cellulaire impliquée dans la réponse vaccinale . La difficulté de mesurer le degré de protection que confère la réaction immunitaire engendré par le vaccin . La dangerosité et la difficulté d’utiliser des vaccins vivants . Le manque de connaissances sur les zones immunogènes du virus . L’absence de groupes de patients ayant spontanément guéri de leur infection grâce à une réaction immunitaire qui aurait pu être identifiée

71 VELJKOVIC V, JOHNSON E, METLAS R. Molecular bases of possible harmful effects of AIDS vaccine candidates based on HIV-1 gp120/160, that are prepared for Phase III clinical trials in developing countries, have been considered. 1996. [Consulté le 26/07/2006]. Disponible à partir de l’URL : www.newstrolls.com/news/dev/CJ/vaccine/studies.htm 72 HOTH DF, BOLOGNESI DP, COREY L et al. HIV Vaccine Development: A Progress Report. Ann Intern Med 1994 ; 121 (8) : 603-611. 73 KOFF W, HOTH DF. Development and testing of AIDS vaccines. Science 1988 ; 241 (4864) : 426-432.

50 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. La limitation des expériences animales aux seuls chimpanzés . Le vaccin doit provoquer une réponse immunitaire qui dépasse celle qui est naturellement produite. Il s’agit donc de faire mieux que la nature. . Les protections obtenues chez le chimpanzé sont de courte durée . Les études sur un vaccin préventif ou sur un vaccin thérapeutique (versus placebo) peuvent se heurter à des problèmes éthiques

De plus, d’autres obstacles, plus macroscopiques, retardèrent le développement d’un vaccin. Le premier de ces obstacles était l’intérêt financier des entreprises pharmaceutiques. En effet l’investissement nécessaire pour la recherche d’un vaccin était très important, et la récompense finale devait en valoir la peine. Or il était clair qu’un tel vaccin devrait être fabriqué en grandes quantités et à bas prix pour les pays pauvres, ce qui allait à l’encontre du principe de profit des industries qui préféraient vendre de plus petits volumes de traitements avec de plus gros bénéfices (comme avec les ARV). Un autre obstacle évoqué était le manque d’activisme poussant au développement d’un vaccin accessible pour tous. Ce silence faisait partie d’un désintérêt de la population pour la prévention en général, qui elle-même dépendait d’un grand nombre de problèmes sociaux complexes74.

La communauté scientifique a donc reconsidéré le réalisme du développement à court terme d’un vaccin préventif ou thérapeutique 100% efficace75. Le Pr Jean-Paul Lévy, Directeur de l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida, souligna dans son article sur l’avenir thérapeutique et vaccinal du Sida76, que la question première était « saurons-nous faire un vaccin ? » et non pas « quand aurons-nous un vaccin ? ». Il conclu que cela prendrait encore des décennies avant que nous puissions contrôler la maladie.

74 FRANCIS D.P. HIV vaccine development – progress and problems. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 186-192. 75 HAYNES BF. Scientific and social issues of human immunodeficiency virus vaccine development. Science 1993 ; 5112 (260) : 1279-1286. 76 LEVY J-P. Sida : l’avenir thérapeutique et vaccinal. Médecine thérapeutique 1996 ; vol 2, hors série : 148-155.

51 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

I.B. SPHERE INTERNATIONALE

"The dominant feature of this first period was silence, the human immunodeficiency virus (HIV) was unknown and transmission was not accompanied by signs or symptoms salient enough to be noticed. While rare, sporadic case reports of AIDS and sero-archaeological studies have documented human infections with HIV prior to 1970, available data suggest that the current pandemic started in the mid- to late 1970s. By 1980, HIV had spread to at least five continents (North America, South America, Europe, Africa and Australia). During this period of silence, spread was unchecked by awareness or any preventive action and approximately 100,000-300,000 persons may have been infected."

Jonathan Mann, 1989 77

En termes Darwiniens, la récente apparition du VIH est un succès. Le virus a exploité toutes les niches comportementales et biologiques que notre mode de vie pouvait lui offrir pour assurer son expansion. L’épidémie, étant donné les caractéristiques du virus et en particulier sa longue période de latence, possède un caractère particulier. Pour tenter de la décrire, différents modèles, composés de plusieurs phases, ont été proposés:

1 - Celui de l’ONUSIDA et de l’OMS78 : . Épidémie à transmission lente : le taux de prévalence du VIH demeure inférieur à 5 % au sein de tous les groupes supposés avoir des comportements à haut risque. . Épidémie concentrée : le taux de prévalence du VIH dépasse 5 % dans au moins un des groupes à haut risque, mais reste inférieur à 1 % dans les groupes sentinelles comme les femmes enceintes. . Épidémie généralisée : le VIH s'est largement propagé en dehors des groupes à haut risque fortement infectés et le taux de prévalence du virus dépasse 1 % dans les groupes sentinelles.

2 – Celui de Jonathan Mann, ancien directeur du programme Sida à l'OMS, qui a déclaré, lors de l'Assemblée Générale de l'ONU en 1987, que chaque communauté exposée à l'épidémie passait par trois phases79:

77 KANABUS A, FREDRIKSSON J. History of AIDS up to 1986 [Consulté le 12/12/2005]. Disponible à partir de l’URL : www.avert.org/his81_86.htm 78 Directives pour la surveillance de deuxième génération du VIH. Genève: Organisation mondiale de la Santé et Programme commun des Nations-unies sur le VIH/SIDA; 2000. 79 RAIZADA N, SOMASUNDARAM C, MEHTA J.P, PANDYA V.P. Effectiveness of various IEC in improving awareness and reducing stigma. Indian Journal of Community Medicine 2004 ; 29 (1).

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. La première, celle de la contamination, est silencieuse. Le VIH se propage d'autant mieux dans la population que la contagion s'effectue sans signe clinique patent. C’est l’épidémie du VIH. . La deuxième, celle du Sida, débute avec l'apparition des malades dont l'occurrence des cas va tendre à suivre une courbe exponentielle. . La troisième est celle des réactions sociales, culturelles, économiques et politiques au Sida, c’est l’épidémie du stigma, de la discrimination et du rejet. Elle est « aussi centrale dans le défi mondial que représente le Sida, que la maladie elle-même ». Un an plus tard, en 1988, à la conférence de Stockholm, reprenant le même modèle, il divisait l’épidémie en 3 périodes: la période silencieuse (1970-1981), la période de la découverte (1981- 1985) et la mobilisation mondiale (1985-1988).

I.B.1. Statistiques mondiales et organismes internationaux (1981-1994)

En 1981, alors même que les premiers cas de Sida étaient décrits aux USA, l’épidémie s’étendait silencieusement dans le reste du monde. Les premiers groupes de population touchés étaient principalement les bisexuels et homosexuels masculins aux USA, en Europe de l’Ouest, en Australie et en Nouvelle Zélande, tandis que ce fut les hommes avec multiples partenaires en Afrique de l’Est et Centrale. Puis, l’extension de l’épidémie se fit rapidement en dehors de ces groupes à risque pour s’étendre dans la population générale. Pour répondre à l’étonnante explosion de ce nouveau mal, les pays développés ont progressivement mis en place des structures sanitaires et politiques pour guider les interventions.

Bref rappel chronologique des éléments relatifs à l’extension de l’épidémie et de la réaction internationales 80, 81 :

1981 . 159 cas de Sida sont répertoriés aux USA 1982 . Premiers cas parmi 34 haïtiens et premiers cas parmi les hémophiles aux USA. . Reconnaissance de la transmission hétérosexuelle et de la transmission par transfusion. . Création du « projet SIDA » au Congo par le CDC (US Centers for Disease Control and Prevention), le NIH (US National Institute of Allergy and Infectious Diseases) et l’Institut de Médecine Tropicale Belge. Ce projet a été à la source de 120 publications et 1000 abstracts, apportant, dès le début de l’épidémie, des informations cruciales concernant l’épidémiologie du VIH dans le pays, les modes de transmission, le rôle des IST, les premiers éléments de PTME. Ce projet a été arrêté en 1991suite à la situation politique instable82.

80 SEPKOVITZ KA. AIDS - The first 20 years. New England Journal of Medecine 2001 ; 23 (344) : 1764-1772. 81 MANN J, TARANTOLA D. AIDS in the World II. New York : Oxford University Press ; 1996. 82 COHEN J. The Rise and Fall of Projet SIDA. Science, 1997 Nov 28 ; 278 (5343) : 1565-1568.

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1983 . Premiers cas parmi 16 prisonniers. . Premiers cas décrits en Afrique Centrale 1984 . Premiers cas en Asie83 1985 . Des cas de Sida ont été rapportés dans 51 pays et sur tous les continents, exceptés en Antarctique . Aux USA un total de 15 527 cas de Sida ont déjà été déclarés. . La première conférence Internationale sur le Sida prend place à Atlanta, USA 1986 . Création de l’ACTG par le NIH américain pour permettre la réalisation des études cliniques et thérapeutiques. . Conférence internationale de Paris 1987 . La AIDS Coalition to Unleash Power (ACT UP) est créé à New York. . L’Organisation Mondiale de la Santé, agence des Nations-unies, lance son programme spécial de lutte contre le VIH (Global Programme on AIDS). . La FDA enregistre le premier antirétroviral : l’AZT. Utilisation en monothérapie. . Conférence internationale de Washington 1988 . Le 1er décembre est désigné comme la journée internationale du Sida par l’OMS au cours du Sommet Mondial des Ministres de la santé sur la prévention du Sida. Cette journée mondiale, organisée par l’UNAIDS, est dédiée à augmenter la prise de conscience de la maladie par la population. Le thème de cette première journée porte sur la « communication ». . Conférence internationale de Stockholm 1989 . Thème de la 2ème journée internationale du Sida (1er décembre) : « la jeunesse ». . Conférence internationale de Montréal 1990 . A cette date il y a eu deux fois plus de morts dus au Sida aux USA que pendant la guerre du . . Le CDC rapporte 1 million d’américains infectés par le VIH 84. . Thème de la 3ème journée internationale du Sida (1er décembre) : "Women and AIDS" (les femmes et le Sida), en effet l’OMS fait mention que un tiers des personnes séropositives sont des femmes85. . Conférence internationale de San Francisco 1991 . L’écharpe rouge devient le symbole de l’espoir et de la compassion face au Sida. . Thème de la 4ème journée internationale du Sida (1er décembre) : "Sharing the Challenge" (partager le défi), pour insister sur l’importance des partenariats dans le contrôle de la maladie86.

83 PHANUPHAK P, LOCHARERNKUL C, PANMOUNG W, WILDE H. A report of three cases of AIDS in . Asian Pac J Allergy Immunol 1985 ; 3 (2) : 195-99. 84 CDC. MMWR 1990 ; 39 (7) : 110-112,117-119. 85 CDC. World AIDS Day 1990. MMWR 1990 / 39 (47) : 845. 86 CDC. World AIDS Day 1991. MMWR 1991 / 40 (46) : 789.

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1992 . La Global AIDS Policy Coalition du Centre International du Sida de Harvard déclare: « la pandémie est bruyante, volatile et instable … Une explosion de VIH a récemment eu lieu en Asie du Sud Est » (Mann and the Global AIDS Policy Coalition, 1992). . 71% des nouvelles infections sont d’origine hétérosexuelle . L’OMS estime que 10 millions de personnes sont infectées dans le monde87. . Thème de la 5ème journée internationale du Sida (1er décembre) : "AIDS: A Community Commitment" (le Sida : un engagement communautaire)88 afin d’insister sur le rôle joué par la communauté dans le contrôle du Sida.

1993 . Thème de la 6ème journée internationale du Sida (1er décembre) : « Time to Act » (le moment pour agir). L’OMS annonce 12 millions de personnes infectées avec 5000 nouvelles infections journalières89. Ce thème veut attirer l’attention sur le besoin d’actions contre la pandémie.

1994 . Aux Etats Unis plus de 944 000 cas de Sida et 520 000 morts ont été rapportés par le CDC90. . Thème de la 7ème journée internationale du Sida (1er décembre) : « AIDS and the Family » (le Sida et la famille). Ce thème souhaite marquer le rôle des familles dans la réponse contre la pandémie91. . Il est estimé que 20 millions de personnes ont été infectées par le VIH depuis le début de l’épidémie, 67% se trouvant en Afrique et 13% en Asie du Sud Est92. . Les projections estimèrent qu’il pourrait y avoir 63 millions (38-109) d’infections cumulées pour l’année 2001 dont 90% se trouvant dans les pays en développement93. . Une résolution du Conseil Economique et Social des Nations-unies créer l’ONUSIDA pour coordonner la réponse mondiale face à l’épidémie. Son bureau comporte des représentants de gouvernements, d’ONG, de bailleurs. L’ONUSIDA ne deviendra opérationnel qu’en 1996. . Déclaration du sommet de Paris sur le Sida (42 chefs de gouvernement présents) : Constat: - La pandémie du Sida est une menace pour l’humanité toute entière - Sa progression affecte toutes les sociétés, entrave développement social et économique, accroît les disparités - La pauvreté et la discrimination contribuent à la propagation de la pandémie - Le Sida cause des dommages irréversibles sur le plan individuel et sert souvent à justifier de graves atteintes aux droits de la personne - Les stratégies de prévention et de soin sont indissociables

87 World Health Organization. Implementation of the Global Strategy for the Prevention and Control of AIDS. Genève 1992. Document A45 / 30 : 4. 88 CDC. World AIDS Day 1992. MMWR 1992 / 41 (46) : 865. 89 CDC. World AIDS Day 1993. MMWR 1993 / 42 (45) : 869. 90 Centers for Disease Control and Prevention. HIV/AIDS surveillance report 2004 ; 16 : 12,16,22,38. 91 CDC. World AIDS Day -- December 1, 1994. MMWR 1994 ; 43 (45) : 825. 92 Global overview: a powerful HIV/AIDS Pandemic. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 5-40. 93 Global overview: a powerful HIV/AIDS Pandemic. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 5-40.

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Engagements: - Eriger la lutte contre le Sida comme une priorité - Lutter contre la pauvreté, l’exclusion et la discrimination des personnes infectées - Mobiliser l’ensemble de la société - Appuyer l’ensemble des partenaires, en particulier tous les mouvements associatifs - Développer la coordination

En 1992 Mann constatait déjà que l’épidémie était dynamique, instable et volatile, qu’elle touchait tous les pays et que son impact maximal restait encore à venir. L’approche stratégique communautaire, nationale et internationale devait prendre en compte les conditions spécifiques du monde moderne, dont les interdépendances en matière de santé94. En 1993, la Commission Nationale sur le Sida aux Etats-Unis, concluait qu’après 4 ans d’efforts le travail n’était pas terminé et que la plupart des recommandations devaient être encore appliquées. Elle ajouta que de considérer le VIH/Sida comme un problème marginal allait être une menace pour l’avenir de la nation, qu’il fallait des dirigeants impliqués, un plan d’action et un pays résolu à l’appliquer95. En 1994, il était devenu clair que le fardeau des nouvelles infections était, de façon de plus en plus importante, porté par les pays en voie de développement. L’extension à la population générale ne faisait plus de doute et la croissance épidémique n’a été stoppée dans aucun pays. Face à ce défi, la réponse des Organismes Internationaux créés pour coordonner la lutte contre le Sida, fut lente à se mettre en place, et de fait, n’a pas pu modifier immédiatement le cours des événements épidémiologiques. Cependant l’effort mondial pour atteindre des consensus et établir des programmes de prévention mérite d’être souligné. Restait ensuite toute la difficulté de les rendre applicables à tous les pays pour qu’ils soient réellement efficaces.

I.B.2. Les programmes internationaux – les initiatives

Pour établir un programme de lutte contre l’expansion du VIH il faut certes connaître les modalités de transmission, mais aussi les facteurs qui peuvent les influencer. Or ces facteurs, variables au sein des différentes populations et des zones géographiques, étaient encore mal compris. De façon générale on connaissait le rôle des cultures et des croyances, de la mobilité, des autres infections sexuellement transmissibles et des contextes économiques et politiques.

94 MANN JM. AIDS-the second decade: a global perspective. J Infect Dis 1992 ; 165 : 245-250. 95 JAMES JS. Commission report: 'AIDS: an expanding tragedy'. AIDS Treatment News 1993; 178. [Consulté le 15/08/2006]. Disponible à partir de l’URL : www.aegis.com/pubs/atn/1993/ATN17806.html

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Quant aux soins, en dehors du traitement des IST, la prise en charge des infections opportunistes n’a pas été mise en avant. Les programmes de soins furent jugés trop compliqués à mettre en place et surtout plus chers, sans compter qu’aucun traitement ne pouvait guérir le Sida et que les ARV étaient encore hors de portée. Il semblait alors acceptable de jouer la carte de la prévention en attendant un hypothétique vaccin.

I.B.2.a Transmission - Prévention

 DES FAITS ET DES LIMITES

Beaucoup d’éléments liés au VIH qui paraissent absolument évidents à l’heure actuelle, ne l’étaient pas au début de l’épidémie. Concernant la transmission, toutes ses modalités ont du être étudiées et démontrées. Le constat d’une transmission sexuelle entre les homosexuels, d’une transmission sanguine chez les utilisateurs de drogues injectables et d’une transmission de la mère à l’enfant (mais à ce moment personne ne pouvait encore dire à quelle période de la grossesse la contamination avait lieu) date de 198296. Parce que le Sida a longtemps été considéré comme la « gay plague»97, voire un châtiment divin, c’est seulement à la fin 1982 - début 1983 que l’on a montré et accepté qu’une transmission (de l’homme vers la femme) était possible entre hétérosexuels98,99,100. La transmission de la femme vers l’homme était encore source de polémiques et a nécessité d’être établi par d’autres études101. Ce n’est qu’en 1984, alors que l’épidémie explosait en Afrique équatoriale, que l’on a pris conscience du rôle de la prostitution féminine dans la transmission du virus vers la population masculine102.

96 CDC. Unexplained immunodeficiency and opportunistic infections in infants - New York, New Jersey, California. MMWR 1982 ; 31 : 665-667. 97 La « peste des homosexuels ». 98 MASUR H, MICHELIS MA, WORMSER GP et al. Opportunistic infection in previously healthy women: initial manifestations of a community-acquired cellular immunodeficiency. Ann Intern Med 1982 ; 97 (4) : 533-539. 99 CDC. Immunodeficiency among female sexual partners of males with acquired immune deficiency syndrome (AIDS)--New York. MMWR 1983 ; 31: 697-698. 100 REDFIELD RR, MARKHAM PD, SALAHUDDIN SZ et al. Frequent transmission of HTLV-III among spouses of patients with AIDS-related complex and AIDS. JAMA 1985 ; 253 (11) : 1571-1573. 101 REDFIELD RR, MARKHAM PD, SALAHUDDIN SZ et al. Heterosexually acquired HTLV-III/LAV disease (AIDS-related complex and AIDS). Epidemiologic evidence for female-to-male transmission. JAMA 1985 ; 254 : 2094- 2096. 102 VAN DE PERRE P, CLUMECK N, CARAEL M et al. Female prostitutes: a risk group for infection with human T- cell lymphotrophic virus type III. Lancet 1985 ; 2 (8454) : 524-527.

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Le virus est plus infectant dans le sens de l’homme vers la femme (2 à 5 fois plus) mais le degré d’infectiosité varie beaucoup en fonction des lésions génitales et aussi du stade de la maladie (la primo infection et le stade terminal étant les périodes les plus contagieuses)103. L’existence d’autres voies de transmissions (le contact cutané, le baiser, le partage communautaire de toilettes ou de vaisselle) n’avait pas été prouvée. De plus il a été retrouvé dans la salive un facteur protégeant les cellules buccales de l’entrée du VIH : le SLPI (Secretory Leucocyte Protease Inhibitor)104,105.

Devant l’extension alarmante du virus, la stratégie de prévention fut au premier rang des préoccupations internationales. En premier lieu, elle préconisa la politique de « l’évitement », c'est- à-dire qu’il fallait, comme le recommandait le CDC en 1983, « éviter les relations sexuelles avec des personnes à risque »...106. Evidemment l’évaluation du risque était une chose difficile à faire au quotidien par la population, surtout dans un contexte où l’émancipation sexuelle était en plein essor.

Dès la fin des années 80, devant l’apparente inefficacité des recommandations sur l’évolution de l’épidémie, de grandes enquêtes sur le comportement sexuel des groupes à risque furent réalisées (il a fallu attendre le début des années 1990 pour que la population générale soit concernée). Ces enquêtes ont concerné des pays de tous les continents et ont évalué les connaissances autant que les comportements. Le résultat attendu était de comprendre les mécanismes qui permettaient la propagation du virus dans des groupes de population, pour guider les futures interventions. Il en est ressorti que l’information sur l’existence de la maladie avait été faite dans de nombreux pays, mais que la persistance de nombreuses croyances inappropriées quant aux modes de transmissions et aux moyens de protection posait un problème pour la prévention. De plus il était remarqué que malgré la connaissance des risques, le vagabondage sexuel était toujours aussi fréquent et que l’utilisation du préservatif était rare. Les conseils concernant les comportements protégés (abstinence, fidélité, utilisation de préservatifs, diminution du nombre de partenaires) étaient entendus mais rarement appliqués.

103 European Study Group on Heterosexual Transmission of HIV. Comparison of female to male and male to female transmission of HIV in 563 stable couples. BMJ. 1992 ; 304 (6830) : 809-813. 104 ALTMAN L.K. Protein in Saliva Found to Block AIDS Virus in Test Tube Study. The New York times 7 fev 1995 [Consulté le 17/08/2006]. Disponible à partir de l’URL : http://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=990CE7DE153CF934A35751C0A963958260&sec=health&pagewante d=print 105 Mc NEELY TB, SHUGARS DC, ROSENDAHL M et al. Inhibition of Human Immunodeficiency Virus Type 1 Infectivity by Secretory Leukocyte Protease Inhibitor Occurs Prior to Viral Reverse Transcription. Blood 1997 ; 90 (3) : 1141-1149. 106 CDC. Current Trends Prevention of Acquired Immune Deficiency Syndrome (AIDS): Report of Inter-Agency Recommendations. MMWR March 04, 1983 ; 32 (8) ; 101-103.

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Ainsi, devant la multiplicité et la labilité des comportements sexuels, l’existence de contextes et de groupes sociaux complexes et aussi l’inextricable attachement du plaisir au sexe, il est apparu qu’au lieu de pousser la population à avoir un comportement prédéfini, à suivre des modèles, il était préférable de s’appuyer sur le vécu culturel de la sexualité pour y inclure des comportements moins risqués107. Un élargissement de la vision et de la portée des programmes de prévention était nécessaire pour espérer augmenter leurs impacts108. Une illustration de la complexité des interventions est donnée par le préservatif. Ce dernier, déjà utilisé pour prévenir les IST depuis le début du siècle109, fut la première arme de la prévention contre le VIH. Mais dès le début, l’impopularité de cette méthode limita son impact 110. Les obstacles gênant son utilisation étaient nombreux et dépendaient de l’âge, de l’origine sociale et du contexte entourant la relation. Une enquête réalisée en 1991 sur plusieurs milliers d’hommes américains a montré que seulement 27% d’entre eux avait utilisé un préservatif dans les 4 semaines passées111. Son utilisation était assujettie à la gêne d’en acheter, au message involontaire qui l’accompagnait (j’ai/tu as le Sida), à la réduction du plaisir, à l’attention qu’il faut y porter pendant tout l’acte sexuel pour ne pas le déchirer et qu’un retrait rapide était recommandé après l’acte sexuel. Bien entendu il y avait aussi le problème de la régularité de son utilisation au long cours.

Le préservatif n’était donc pas utilisé régulièrement et il ne semblait pas protéger complètement de la transmission du VIH (notamment en raison du risque de rupture qui était entre 1% et 5% en fonction de la qualité du préservatif, de l’expérience de l’utilisateur et du mode de pénétration). Le taux d’échec du préservatif comme contraceptif (entre 3 à 14 % sur 1 an en fonction de la régularité de son utilisation) a été mis en avant pour pondérer son efficacité. Cependant, il faut noter que le risque de grossesse en l’absence de moyen contraceptif (30% sur 1 an) est bien supérieur au risque de transmission du VIH (5% sur 1 an pour le même groupe de femmes)112.

107 GILLIES P. Contribution of social and behavioural science to HIV/AIDS prevention. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 131-158. 108 ROTHERAM-BORUS MJ, KOOPMAN C, HAIGNERE C, DAVIES M. Reducing HIV sexual risk behaviors among runaway adolescents. JAMA 1991 ; 266 : 1237-1241. 109 Il est à noter que les préservatifs, initialement en vessie de porc ou en boyaux d'animaux, furent d’abord utilisés à partir du XVIIème siècle comme contraceptifs mécaniques. Cependant, même après l'introduction du latex, suite à la découverte de la vulcanisation du caoutchouc en 1843 par Goodyear, l’utilisation de cette contraception resta modérée et peu populaire. 110 EHRHARDT AA. Sexual behaviour among heterosexuals. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 259-263. 111 TANFER K, GRADY WR, KLEPINGER DH, BILLY JOG. Condom Use Among U.S. Men, 1991. Family Planning Perspectives 1993 ; 25 (2): 61-66. Cité par: EHRHARDT AA. Sexual behaviour among heterosexuals. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 260. 112 BRUNET J-B, DE VINCENZI I. Epidémiologie et prévention. Médecine thérapeutique 1996 ; HS vol.2 : 19-24.

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De plus des études méta-analytiques ont retrouvé que son utilisation réduisait de 85%-95% 113,114 le risque de transmission du VIH (de l’homme vers la femme) à chaque rapport sexuel. Les études faites sur les couples sérodiscordants permirent d’obtenir des informations plus précises. Une étude Européenne a suivi 304 couples sur 20 mois115. Parmi les 245 couples qui ont continué à avoir des relations sexuelles au moins 3 mois après le début de l’étude, 124 ont utilisé le préservatif régulièrement et aucun partenaire sérodiscordant est devenu infecté (malgré 10 000 rapports sexuels comptés sur la période). Par contre, parmi les 121 couples dont l’utilisation était plus irrégulière, 12 sont devenus infectés (10%). Une autre étude116 porta sur 343 couples avec un suivi de 24 mois (toutes les femmes étaient séronégatives). Parmi les 305 femmes qui ont continué à avoir des relations sexuelles avec leur partenaire séropositif, 2% sont devenues infectées malgré l’utilisation régulière de préservatif, et 15% parmi celles qui ne l’utilisaient pas ou prou. Un autre problème concernant le préservatif a probablement été la façon dont il a été introduit dans la vie quotidienne de la population. Comme le mentionne Deschamps dans son article117, « le préservatif est considéré comme un produit prescrit [...], comme si l’intrusion d’une prescription hygiénique dans l’intimité des couples ne devait poser aucun problème d’acceptation, [...] de confiance et [...] de plaisir ». Au total, le préservatif était une méthode de protection moyennement efficace et moyennement utilisée mais il représentait une meilleure barrière à la diffusion du virus qu’une méthode à 100% efficace, comme l’abstinence, mais pas mise en pratique. Ainsi, « les messages de prévention se donnant pour objectif d’atteindre un risque nul devraient être évités car ils ne correspondent à aucune réalité ni psychologique, ni sociale, ni épidémiologique »118.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’efficacité de la prévention de la transmission mère-enfant par l’AZT a été montrée. Cependant l’accessibilité de cette molécule, étant donné son coût, est restée très limitée. L’allaitement maternel, potentiellement infectant, a pu être remplacé par du lait artificiel dans les pays développés.

113 WELLER SC. A meta-analysis of condom effectiveness in reducing sexually transmitted HIV. Soc Sci Med. 1993 ; 36 (12) : 1635-1644. 114 PINKERTON SD, ABRAMSON PR. Effectiveness of condoms in preventing HIV transmission. Soc Sci Med 1997 ; 44 (9) : 1303-1312. 115 DE VICENZI I. A longitudinal study of human immunodeficiency virus transmission by heterosexual partners. European Study Group on Heterosexual Transmission of HIV. N Engl J Med. 1994 Aug 11 ; 331 (6) : 341-6. 116 SARACCO A, MUSICCO M, NICOLOSI A et al. Man-to-woman sexual transmission of HIV: longitudinal study of 343 steady partners of infected men. J Acquir Immune Defic Syndr 1993 ; 6 (5) : 497-502. 117 DESCHAMPS J-P. Les sciences humaines victimes de la trithérapie. Santé publique 2001 ; 13 (3) : 295-299. 118 BRUNET J-B, De VINCENZI I. Epidémiologie et prévention. Médecine thérapeutique 1996 ; HS vol.2 : 19-24.

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Dans les autres pays, où ce lait est inaccessible, il a été trouvé qu’il valait mieux conserver l’allaitement maternel, malgré le risque de transmission, pour éviter un risque de mortalité périnatal très élevé119. Concernant la sécurité transfusionnelle et l’hygiène hospitalière, le manque de ressources des pays en développement n’a pas permis de faire disparaître le risque de transmission du VIH vers la population générale. En conclusion, aucune méthode à elle seule n’était efficace pour stopper la diffusion du virus. Les stratégies, tant individuelles que générales devaient encore se diversifier pour s’adapter aux différentes situations à risque et à la variété des comportements.

 LA SITUATION DES FEMMES

Avec le temps, devant l’accroissement du nombre de femmes contaminées, une vulnérabilité spécifique vis-à-vis de la transmission a été évoquée. Des enquêtes portant sur le vécu de leur sexualité, ont apporté des données comportementales et contextuelles alors mal connues à cette époque et pouvant jouer un rôle dans l’épidémie. En dehors de l’aspect biologique et anatomique, leur vulnérabilité tient surtout au type de relation qu’elles ont avec les hommes, à leur dépendance économique et au manque d’éducation en santé reproductive.

Beaucoup de femmes, dans le système social et culturel où elles vivent, ne peuvent pas refuser des conduites sexuelles risquées si elles pensent que cela ferait plaisir à leur partenaire. Parfois certains agents extérieurs (plantes, racines) sont insérés dans le vagin pour le rendre plus sec, dans l’espoir que l’augmentation de la friction serait une source supplémentaire de plaisir pour l’homme. Ces agents, parfois très irritants, sont aussi utilisés pour cacher des écoulements vaginaux physiologiques qui peuvent être interprétés comme une IST, secondaire à des infidélités. Il est rapporté qu’en Amérique du Sud les jeunes femmes, afin de rester vierges pour des raisons de conventions sociales, pratiquent la pénétration anale et se retrouvent alors exposées à un risque qu’elles ne perçoivent pas comme tel. De plus les jeunes femmes ne peuvent pas chercher des informations sur le sexe ou consulter un gynécologue car leur virginité serait alors mise en doute. Dans beaucoup de cultures les symptômes des IST sont considérés comme faisant part de la féminité et les infections ne sont donc pas traitées. La méconnaissance ou l’ignorance de leur anatomie conduisent certaines femmes à des raisonnements erronés : des études réalisées en Inde, Brésil, Jamaïque rapportent que des femmes ne veulent pas utiliser de préservatifs de peur qu’ils ne tombent dans leur vagin et aillent se coincer dans la gorge. Enfin dans de nombreux pays, accepter des relations sexuelles à risque avec un homme est une source épisodique ou régulière de revenus qui permet de sortir de la misère120.

119 HU DJ, HEYWARD WL, BYERS RH et al. HIV infection and breast-feeding: policy implications through a decision analysis model. AIDS 1992 ; 6 (12) : 1505-1513. 120 GUPTA GR, WEISS E, WHELAN D. HIV/AIDS among women – building a new HIV prevention strategy. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 215-228.

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Ainsi, comme pour le préservatif, la variété des comportements et la pression des contextes culturels ne pouvaient que perturber la réussite des programmes de prévention et nécessitaient une adaptation des messages.

La recherche, de son côté, s’est orientée vers le développement de produits à usage local (spermicides, microbicides) limitant la transmission du virus et permettant à la femme de contrôler sa protection121. Dès 1989 l’utilisation du Nonoxynol-9 pour la prévention de la transmission du VIH était évoquée, et les résultats, bien que contradictoires122,123,124, ont entraîné un débat sur son efficacité qui n’est pas encore terminé, ce d’autant que les études ont surtout mis en avant l’aspect irritant et ulcérant du produit125,126. Le préservatif féminin et le diaphragme étaient deux autres alternatives mécaniques de protection apparues au début des années 1990, mais leur usage, pour des raisons financières et techniques, est resté limité aux pays développés.

 DES IDEES MAIS PEU D’ACTIONS

Au début des années 1990 le Sida quitta le cadre des droits de l’homme pour passer dans celui de la sociologie et de l’économie à mesure que la pauvreté était perçue comme le moteur de l’épidémie. L’OMS réorienta ses programmes vers du développement communautaire avec une forte implication des ONG. Cependant, dans un contexte financier international tourmenté par la reconstruction du bloc de l’Est, les financements internationaux n’étaient pas assez importants. Les programmes de prévention (la réduction du partage des aiguilles, la sécurité sanguine, la distribution de préservatifs bon marché, le traitement des IST et la prévention de la transmission de la mère à l’enfant), basés sur des données scientifiques, n’ont pas été immédiatement mis en application à large échelle.

121 STEIN ZA. HIV prevention: the need for methods women can use. Am J Public Health 1990 ; 80 : 460-462. 122 KREISS J, NGUGI E, HOLMES K, NDINYA-ACHOLA J, WAIYAKI P, ROBERTS PL et al. Efficacy of nonoxynol 9 contraceptive sponge use in preventing heterosexual acquisition of HIV in Nairobi prostitutes. JAMA 1992 ; 268 (4) : 477-482. 123 ZEKENG L, FELDBLUM PJ, OLIVER RM, KAPTUE L. Barrier contraceptive use and HIV infection among high- risk women in Cameroon. AIDS 1993 ; 7 (5) : 725-731. 124 ELIAS CJ, HEISE L. The development of microbicides: a new method of HIV prevention for women. Programs Division Working Paper No. 6. New York: Population Council; 1993. Cité par : Global Campain for microbicides [Consulté le 15/08/06]. Disponible à partir de l’URL : www.global-campaign.org/timeline.htm 125 NIRUTHISARD S, RODDY RE, CHUTIVONGSE S. The effects of frequent nonoxynol-9 use on the vaginal and cervical mucosa. Sex Transm Dis 1991 ; 18 (3) : 176-179. 126 RODDY RE, CORDERO M, CORDERO C et al. A dosing study of nonoxynol-9 and genital irritation. Int J STD AIDS 1993 May-Jun ; 4 (3) : 165-170.

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Une évaluation de leur coût en vue d’une généralisation à tous les pays en voie de développement avait été réalisée par l’OMS et la London School of hygiene and Tropical Medecine en 1990127. Les besoins annuels avaient été estimés à 1 milliard de dollars US pour les soins IST et à la même somme pour la distribution des préservatifs. 15% de ces sommes étaient destinés à l’Afrique et 50% à l’Asie. 2 ans plus tard un bilan des dépenses réalisées en 1992 dans ces mêmes pays a montré que seulement 120 millions de dollars US avaient été alloués à la prévention. En 1993 leurs dépenses ont augmenté jusqu’à 350 millions mais ne représentaient que 14% des dépenses mondiales. Les auteurs ajoutèrent qu’une évaluation coût-efficacité des mesures préventives devait devenir une priorité pour les recherches futures. Ainsi nous constatons que les mesures préventives étaient non seulement mal évaluées, impopulaires et mal adaptées, mais aussi et surtout, inaccessibles là où elles auraient dû l’être, plus de 10 ans après le premier cas de Sida.

Concernant les dépenses de soins liées au VIH/Sida, en 1993, elles ont été de 11,6 milliards de dollars dans le monde, dont 6% seulement dans les pays en développement, alors qu’à ce moment ces pays totalisaient déjà plus de 90% des patients. Cette lacune financière était significative car elle montrait combien les stratégies de santé publique sous-estimaient les conséquences que pouvait entraîner la négligence des personnes infectées, tant sur l’impact social et économique des sociétés que sur la propagation de l’épidémie. Dans le même esprit l’accès au dépistage n’a pas non plus été développé, probablement parce qu’il n’y avait pas de soins disponibles en aval et que le statut de séropositivité était perçu comme une situation irrémédiablement fatale.

En 1995, Médecins du Monde ouvrit sa consultation médicale VIH/Sida au Cambodge. Il nous semblait inconcevable de ne pas s’occuper de ces personnes, d’abord pour des raisons humaines mais aussi parce que leur comportement sexuel pouvait contribuer à l’inefficacité des mesures de prévention. Or, lorsque nous recherchions des soutiens financiers, n’avons-nous pas entendu dire lors d’une entrevue avec un responsable d’un grand organisme international : « pourquoi perdre votre temps à vouloir les soigner alors qu’ils vont mourir ? Utilisez l’argent pour la prévention, vous devez protéger ceux qui ne sont pas encore infectés »...

127 BROOMBERG J, SCHOPPER D. The cost of HIV prevention (box 37-1) - Global spending on HIV/AIDS Prevention, Care and Research. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 414-416.

63 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

I.B.2.b Infections Sexuellement Transmissibles (IST) et VIH

« Plusieurs études ont maintenant validé le rôle important que jouent les IST dans la transmission du VIH mais aussi l’impact du traitement des IST sur la prévention. Je crois que les leçons que nous avons apprises doivent être appliquées globalement. Différents types d’interventions préventives basées sur les comportements doivent être largement étendues (...). Beaucoup de connaissances ont été accumulées dans les domaines du traitement et de la prévention, mais le succès des actions est limité, plus par un problème d’accès aux services que par un manque de compréhension scientifique. »

Peter Piot, Directeur de l’ONUSIDA, 1995

La prise en charge des IST n’est pas une affaire nouvelle. Il était clair depuis longtemps que ces infections avaient un poids considérable sur la santé reproductive et la mortalité infantile périnatale. Les antibiotiques ont été déterminants pour limiter les conséquences des IST mais ces dernières n’ont pas pour autant disparu et elles se sont même étendues dans les pays en développement128. Les liens entre les IST et la transmission du VIH étaient déjà pressentis depuis la fin des années 80. Le virus était non seulement retrouvé dans les liquides génitaux des hommes et des femmes, sous forme libre ou associé à des cellules, mais il a aussi été isolé dans les exsudats des ulcérations génitales 129 , qui devenaient ainsi la porte de sortie supplémentaire du virus. Les premières recommandations pour intégrer les programmes de traitement des ulcères génitaux à ceux de la prévention du VIH, furent alors émises.

En 1992, une revue de 163 études portant sur la relation entre le VIH et les autres IST a conclu que ces dernières augmentaient le risque de transmission du VIH par un facteur 3 à 5130. Les ulcérations et les inflammations131 étaient des portes d’entrée toutes désignées pour le virus, tant pour les hommes132 que pour les femmes.

128 DALLABETTA G, FIELD ML, LAGA M et al. STDs: Global burden and challenges for control. In: AIDSCAP/ FHI. Control of sexually transmitted diseases 1996. 129 KREISS JK, COOMBS R, PLUMMER F et al. Isolation of human immunodeficiency virus from genital ulcers in Nairobi prostitutes. J Infect Dis 1989 ; 160 (3) : 380-384. 130 WASSERHEIT JN. Epidemiological synergy: Inter-relationship between HIV infection and other STDs. In : AIDS and Women’s Reproductive Health. CHEN L, AMAR JS, SEGAL SJ eds. New York : Plenum ; 1991 : 47-72. 131 LAGA M, MANOKA A, KIVUVU M et al. Non-ulcerative sexually transmitted diseases as risk factors for HIV-1 transmission in women: results from a cohort study. AIDS 1993 ; 7 (1) : 95-102 132 TELZAK E, CHIASSON MA, BEVIER PJ et al. HIV-1 Seroconversion in Patients with and without Genital Ulcer Disease: A Prospective Study. Ann Intern Med 1993 ; 119 (12) : 1181-1186.

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Pourtant, malgré ces nouvelles connaissances, peu d’efforts ont été fait pour passer de la théorie à la pratique, c'est-à-dire de traiter les IST pour limiter la transmission. Une des raisons retrouvées était le manque de collaboration et de compréhension entre les chercheurs et les décideurs. De plus, comme nous l’avons vu plus haut avec les préservatifs, l’accessibilité aux traitements appropriés s’est heurtée à un problème de volonté politique et de coût. C’est à partir de 1994, avec les premières études randomisées ayant apporté une preuve de l’impact du traitement des IST sur l’incidence du VIH133,134 (en particulier celle de Mwanza en Tanzanie conduite entre 1991 et 1995) que cet état d’inertie a été modifié135. Les résultats significatifs de la recherche ont été exposés de façon large et compréhensible, permettant de déboucher sur des décisions politiques et stratégiques internationales. Il en résulta que le contrôle des IST devint à part entière un programme de prévention, avec l’éducation et la promotion des préservatifs. Les gouvernements, les ONG et les bailleurs ont alors financé et mis en place de façon vaste et consensuelle des projets pour le traitement des IST via une approche syndromique. Comme nous le verrons plus loin le Cambodge fut un des pays à bénéficier de cet élan alors que son épidémie était en pleine explosion, permettant ainsi de limiter son impact.

133 LAGA M, ALARY M, NZILA N et al. Condom promotion, sexually transmitted diseases treatment, and declining incidence of HIV-1 infection in female Zairian sex workers. Lancet, 1994, 344 : 246-248. 134 GROSSKURTH H, MOSHA F, TODD J et al. Impact of improved treatment of sexually transmitted diseases on HIV infection in rural Tanzania; Randomised control trial. Lancet 1995 ; 346 : 530-536. 135 PHILPOTT A, MAHER D, GROSSKURTH H. Translating HIV/AIDS research into policy: lessons from a case study of the “Mwanza trial”. Health policy and planning 2002 ; 17 (2) : 196-201.

65 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Quelques rares pays, comme la Thaïlande, n’ont pas attendu ce moment pour développer par eux-mêmes une politique nationale d’envergure ayant permis de limiter leur épidémie de façon importante136. La Thaïlande a d’abord identifié ses premiers cas parmi des homosexuels dès 1984137 avec une extension rapide vers les toxicomanes (1988), les prostituées (1989)138 et la population générale (1990) via la prostitution139. La proportion des femmes non toxicomanes et non prostituées était alors devenue majoritaire avec pour conséquence une augmentation de la transmission mère-enfant. Comme cela a été le cas dans nombreux pays, le Sida a d’abord été considéré comme une maladie des étrangers et le gouvernement Thaïlandais nia l’épidémie (afin de protéger son industrie touristique). En 1988 le budget alloué à la prévention ne dépassa pas 188 000 dollars US et il fallu attendre 1989 pour que les premières actions soient débutées. Tous les médias furent fortement impliqués dans l’information, quelques 140 cliniques IST furent ouvertes, les préservatifs furent distribués de façon massive et des mesures cœrcitives furent prises à l’encontre des prostituées qui continuaient à ne pas les utiliser. En 1993, le budget de la prévention passa à 44 millions de dollars US. Enfin, en 1994, alors que l’utilisation du préservatif dans les bordels avait déjà augmenté de 14% à 94% entre 1989 et 1993 permettant une diminution de 23% par an des cas de chancre mou140, le programme « 100% condom » 141 a été débuté.

136 World Bank. Thailand's Response to AIDS: Building on Success, Confronting the Future. Thailand social Monitor V (2000) : 1. 137 PHANUPHAK P, LOCHARERNKUL C, PANMUONG W, WILDE H. A report of three cases of AIDS in Thailand. Asian Pac J Allergy Immunol 1985 ; 3 : 195-199. 138 WEINGER BG, LIMPAKARNJANARAT K, UNGCHUSOK K et al. The epidemiology of HIV infection and AIDS in Thailand. AIDS 1991 ; 5 (Suppl 2) : S71-S85. 139 CRIPS. Dossier sur la 3ème conférence internationale sur le Sida en Asie et dans le Pacifique, septembre 1995, Chiang Maï, Thaïlande. SIDALERTE 1995 ; 46,47. 140 HANENBERG RS, ROJANAPITHAYAKORN W, KUNASOL P, SOKAL DC. Impact of Thailand HIV-control programme as indicated by the decline of sexually transmitted diseases. Lancet 1994 ; 344 : 243-245. 141 Ce programme servait à renforcer l’utilisation du préservatif dans les bordels et les salons de massages. La distribution était gratuite et tout le monde devait les utiliser. Si l’établissement n’appliquait pas ces consignes, il était fermé.

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I.B.2.c Les ARV sont chers et inaccessibles.

Jusqu’en 1994, seules quelques molécules étaient disponibles. Leur action était nette mais limitée, en raison des résistances qui apparaissaient rapidement. Des études combinant plusieurs ARV ont montré une meilleure efficacité dans l’inhibition de la réplication du virus.

Le problème crucial de l’accès aux traitements a d’abord débuté aux Etats-Unis au début des années 80 par la naissance du AIDS movement 142. Ce dernier a d’abord été constitué par des groupes sociaux affectés de façon disproportionnée par la maladie (homosexuels, drogués) et à mesure que d’autres groupes ont été touchés, d’autres liens se sont formés et le mouvement s’est étendu. Le gouvernement du Président Reagan, conservateur, essaya de faire dérailler ce mouvement, mais finalement il ne fit que le renforcer. En janvier 1982, la première organisation qui apportait un soutien aux malades a été créée à New York par les homosexuels (Gay Men’s Health Crisis). Puis lorsque l’extension de l’épidémie se fit au sein de la population par la voie hétérosexuelle, le premier mouvement de femmes, initié par ACT UP (créé en 1987), se forma en Janvier 1988. Il a fallu attendre 1990, et l’intervention du Ryan White 143 Comprehensive AIDS ressource Emergency act, pour que le gouvernement américain débute son soutien aux organisations civiles. L’activisme visant à accélérer l’accès aux médicaments débuta le 24 mars 1987 par une marche de protestation dans Wall Street contre le profit réalisé par les groupes pharmaceutiques sur les ARV. Ce furent les actions militantes et de marches de protestation qui motivèrent les laboratoires à établir des programmes compassionnels, qui forcèrent la FDA à accélérer le processus d’enregistrement des médicaments et surtout qui donnèrent une voix aux patients.

Cependant, l’accès à ces thérapies, par ailleurs très chères, resta principalement limité aux études réalisées dans les pays industrialisés. Les pays en développement ne faisaient pas encore partie des bénéficiaires. Comme pour expliquer cette situation, Cooper Ellen C. 144 constatait qu’à la différence des pays industrialisés, « les pays en développement faisaient face à de grands besoins pour développer leur système de santé où l’accès à de simples traitements préventifs restait un problème. Pour rendre les ARV accessibles aux patients il faudrait un développement majeur des

142 BRAHM E. Movement Evolution. Annual Meeting of the International Studies Association. Canada. March 17-20, 2004. 143 Ryan White était un enfant hémophile de 13 ans qui a été infecté lors d’une transfusion. Alors qu’il avait été expulsé puis réintégré dans son école en 1985, il devint un symbole de la lutte contre la discrimination et fit comprendre au grand public que le VIH ne touchait pas que des groupes « immoraux ». Il mourut en 1990. 144 COOPER EC. Treatment of HIV disease: Problems, Progress, and Potential. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 159-164.

67 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir systèmes de santé et des décisions financières et politiques spéciales. (…) L’existence de ces besoins devait faire reconsidérer la répartition et l’utilisation des ressources dans les secteurs économiques et sociaux ».

Heureusement, quelques pays en développement purent acheter des ARV. Ce fut le cas de la Thaïlande, qui en 1992, commença à fournir de l’AZT à sa population, d’abord en monothérapie puis en association145. Cependant, malgré une baisse des prix, le poids financier était trop lourd et limita la distribution. Les problèmes de prix et d’accès aux ARV, donnèrent une importance toute particulière à la découverte de médicaments qui prévenaient l’apparition d’infections opportunistes146 (la PCP en particulier)147 et qui permettaient ainsi d’améliorer la qualité de vie des patients. Ce furent les seules armes à disposition pendant des années au Cambodge pour améliorer la qualité de vie des patients.

I.B.3. Impact des épidémies

A la fin 1994, 1 million de cas de Sida avait été déclarés à l’OMS, mais en réalité le nombre estimé était de 4,5 millions. Il était aussi estimé que 18 millions d’adultes et 1,5 millions d’enfants étaient séropositifs148. Donc, 4,5 millions de personnes étaient en train de mourir, sans compter ceux qui étaient déjà morts, et des millions allaient être malades, le tout en une dizaine d’années ; cela ressemblait fort à une épidémie majeure. Bien que de plus petite envergure, elle commençait à ressembler à la « grande peste » qui, de 1345 à 1352, a été responsable de 25 millions de mort, réduisant d’un tiers la population de l’Europe et de 7% la population du monde connu. La société moyenâgeuse fut désorganisée et son économie fut complètement bouleversée149. Mais même si le nombre de malades pouvait être équivalent, la population mondiale du XIVe siècle était 15 fois moins importante, ce qui rendit l’impact encore plus grand. Un autre exemple d’une épidémie importante qui a eu un impact majeur fut la « grippe espagnole » de 1918. Née en Chine, elle traversa les Etats-Unis en une semaine puis elle s’étendit au monde entier en quelques mois.

145PHANUPHAK P. Fourth International Congress on AIDS in Asia and the Pacific. J Int Assoc Physicians AIDS Care 1998 ; 4 (2) : 22-25. 146 GALLANT JE, MOORE RD, CHAISSON RE. Prophylaxis for Opportunistic Infections in Patients with HIV Infection: a review. Ann Intern Med 1994 ; 120 (11) : 932-944. 147 SHAFER RW, SEITZMAN PA, TAPPER ML. Successful prophylaxis of Pneumocystis carinii pneumonia with trimethoprim-sulfamethoxazole in AIDS patients with previous allergic reactions. J Acquir Immune Defic Syndr 1989 ; 2 : 389-393. 148 WHO. WHO global AIDS statistics. AIDS CARE 1995 ; 7 (2) : 245-248. 149 HALIOUA Bruno. Histoire de la médecine, la grande peste ou peste noire. Paris : Abrégés Masson ; 2004 , 272 p.

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C’était une grippe de souche H1N1 particulièrement virulente qui serait passée de l’animal à l’homme. A travers les 3 vagues qui s’étalèrent sur une année, la moitié de la population mondiale fut infectée (1 milliard de personnes) et il y eût entre 40 et 80 millions de morts, soit 4 à 10 fois plus que la première guerre mondiale150. Le taux de mortalité était particulièrement élevé : 3% contre 1‰ pour les grippes habituelles. La sortie de la guerre et l’absence d’antibiotiques contre les surinfections pulmonaires aggravaient la fatalité de la maladie. Le fonctionnement des sociétés fut rapidement très perturbé, tout le monde étant touché. L’impact économique est difficile à chiffrer mais il dût être énorme.

Pour pouvoir apprécier cet impact il ne faut pas simplement considérer le nombre de morts, mais aussi la taille de la population mondiale à cette époque : . En 1345-1352 il y aurait eu 25 millions de morts dus à la peste, soit 7% de la population mondiale. . En 1918 il y aurait possiblement eu 60 millions de morts dus à la grippe espagnole, soit 3% de la population mondiale. . En 1957 il y aurait eu 3 millions de morts des suites de la grippe asiatique, soit 1% de la population mondiale. . En 1994 il y avait potentiellement 25 millions de personnes mortes ou en train de mourir du VIH/Sida, soit 0,5% de la population mondiale.

Notre idée n’est pas de dire que l’épidémie du VIH était insignifiante. Simplement les autres épidémies firent des hécatombes en peu de temps, sans grande distinction de sexe et de classe sociale, faisant table rase de pans entiers de populations, alors que le VIH, peu contagieux, utilisant des voies de transmissions plus spécifiques et évoluant vers la mort plus lentement, s’est étendu plus insidieusement, s’immisçant plus particulièrement dans certains groupes de population et perturbant en profondeur les comportements et les structures sociales. C’est une épidémie qui évolue sur le long terme, par vagues, difficiles à cerner et contenir, dont l’impact est diffus, imprévisible et interminable. De façon infortunée le VIH s’est associé à une autre épidémie du même type, qui elle aussi tue sournoisement et ce, depuis des centaines d’années : la tuberculose. Actuellement celle-ci tue entre 2 et 3 millions de personnes par an. Les chiffres cumulés de mortalité sont énormes.

150 Histoire du Monde. Grippe espagnole de 1918 [Consulté le 09/07/08]. Disponible à partir de l’URL : www.histoiredumonde/article.php3?id_article=1863.

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L’impact économique de l’épidémie du Sida a commencé à être perçu dès que la mortalité est devenue importante, ce d’autant qu’elle touchait des personnes jeunes et actives. Progressivement, de nombreux enfants et personnes âgées se sont retrouvés sans soutien et sans ressources.

En 1994, Peter Godwin, lors d’une présentation à l’UNESCO151, a rappelé que la prise de conscience du lien entre l’épidémie du VIH et ses conséquences socio-économiques était un phénomène récent et que cela n’avait encore été pris en compte dans les programmes de développement. Les gouvernements n’avaient souvent pas les budgets nécessaires pour mettre en place des programmes de prévention coûteux et la communauté internationale n’était pas encore mobilisée. L’épidémie entrainait des dépenses, comme les coûts directs liés aux soins, mais elle générait aussi et surtout un manque à gagner pour les « survivants » qui n’avaient plus de sources de revenu, ni de main d’œuvre. La pauvreté, la marginalisation, les inégalités sociales, aggravées par l’épidémie, devenaient le carburant pour son expansion152.

151 GODWIN P. The socio-economic effect of HIV/AIDS. In: UNDP Regional Project on HIV and Development. Socio-economic implications of the epidemic. Dir. Peter Godwin. New Delhi ; 1997: 9-49. 152 UNHCR/WHO. Guidelines for early HIV interventions in emergency settings. 1995.

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I.C. SPHERE NATIONALE (PAYS, GOUVERNEMENT, POPULATION)

I.C.1. Le pays

I.C.1.a Présentation géographique

Figure 10 : Carte du Cambodge en Asie du Sud-est

Le Cambodge a une superficie de 181 040km² soit le tiers de la France. Le pays mesure 550 kilomètres d’Est en Ouest et 450 kilomètres du Nord au Sud. Il est limité à l’Ouest par la Thaïlande, au Nord par la Thaïlande et le Laos, à l’Est et au Sud-ouest par le Vietnam et au Sud par le golfe de Thaïlande.

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Le relief se répartit en deux zones. La première est faite de plaines et est localisée au centre, au sud et au nord-ouest du pays. Dans ces régions inondables la culture du riz est majoritaire (seulement 20% du territoire). C’est aussi là que la dengue hémorragique (Flavivirus) transmise par le moustique (genre Aedes) est endémique, avec des recrudescences annuelles. La deuxième zone est composée de hauts plateaux et de forêts tropicales couvrant les parties Sud-Ouest et Nord-Est du pays. C’est là que la transmission du paludisme (Plasmodium vivax et P. falciparum) par le moustique (genre Anophele) est prépondérante. Le plus haut sommet culmine à 1810m. Le Mékong, un fleuve de 5 500 km prenant sa source dans le plateau du Tibet, traverse le pays du Nord au Sud et passe devant la capitale administrative du pays : Phnom Penh. Il y a deux saisons principales au Cambodge, la saison des pluies (mousson) de juin à novembre et la saison sèche du mois de décembre à mai. La température moyenne de l’année varie de 25 à 35 °Celsius.

I.C.1.b Une histoire tourmentée

La préhistoire du Cambodge est mal connue. A l'origine, le pays fut d'abord occupé par des peuplades de type australoïde qui furent remplacées par des peuplades de type indonésien, à leur tour chassées des plaines et remplacées par de nouveaux arrivants d'un groupe ethnolinguistique différent, les Môns. Les tribus Môns s'établirent dans le delta du Mékong. D'après Coedès 153 , le pays Môn aurait été le premier de la péninsule indochinoise à être en contact avec la culture indienne. Selon la tradition, c'est dès le IIIe siècle avant l'ère chrétienne, que l'empereur Ashoka aurait eu des contacts avec les Môns.

Carte du Fou-nan et du Champa autour du 3ème siècle après J.C.

153 COEDES G. Les peuples de la Péninsule indochinoise, histoire-civilisations. Paris : Dunod ; 1962.

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Ce sont probablement des marins ou des commerçants indiens issus de hautes castes qui ont apporté aux populations locales une écriture dérivée du sanscrit et des éléments de la culture hindouiste qui donna son empreinte au royaume de Fou-nan, dominé par les Môns, qui occupent à peu près l'emplacement du Cambodge moderne et de la Cochinchine. L'existence de ce royaume est notamment attestée par des explorateurs et historiens chinois qui évoquent des habitants « noirs avec des cheveux frisés ». Le khmer est une langue appartenant au groupe des langues môn-khmères de la famille des langues austroasiatiques.

Entre le Ier et le VIIIe siècle, c’était l’époque préangkorienne, celle des dynasties du Fou-Nan puis du Chen-La. Le pays était prospère et était sous influence hindouiste; il s’étendait jusqu’en Thaïlande, au Laos et en Malaisie. Mais les luttes féodales divisèrent le pays et les Khmers durent accepter la suzeraineté de Java. Le Prince Jayavarman II libéra le pays du joug Indonésien et réforma le royaume pour donner naissance au IXe siècle à la période angkorienne. Ce fut une période faite d’une succession de règnes, de guerres mais aussi de constructions. La capitale était installée à Angkor et son épanouissement architectural produisit un grand nombre de merveilleux temples (dont Angkor Vat) édifiés par les différents rois. Jayavarman VII (XIIe siècle) abolit l’Hindouisme et introduisit le Bouddhisme, il fit aussi construire de nombreux hôpitaux et étendit les travaux hydrauliques. C’est à cette époque que la capitale entra dans la légende. Mais les guerres intestines et la pression territoriale des voisins entraînèrent le déclin du Royaume et ce fut alors une période de 4 siècles de stagnation qui débuta pour le peuple Khmer. Les Siamois occupèrent l’Ouest du pays (y compris Angkor qui avait été abandonné en 1432) et les Vietnamiens l’Est. De peur que le Cambodge ne soit définitivement partagé entre les 2 voisins, juste avant sa mort, en 1853, le Roi Ang Duong, fit appel aux Français (Napoléon III) mais les Siamois firent échouer le traité d’alliance. C’est son fils, le Roi Norodom 1er, qui accepta en 1863 de transformer son pays en protectorat français pour défendre le pays et éviter sa disparition. La France récupéra les territoires occupés par les Thaïlandais et arrêta l’expansion vietnamienne. En 1946 le protectorat fut remplacé par un régime d’autonomie administrative et en 1953 l’indépendance fut accordée par la France. Arriva alors une phase de prospérité et de modernisation pour le Royaume (le Sangkum Reastr Niyum) dont le Roi Norodom Sihanouk est le symbole.

73 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Mais en 1966, les élections propulsèrent la droite au pouvoir et Lon Nol devint Premier Ministre. Le Roi Sihanouk forma une opposition. En 1967 la révolte paysanne de Samlaut fut réprimée violemment attisant la colère de la population rurale. La gauche cambodgienne, stimulée par la révolution culturelle chinoise, donna naissance aux Khmers Rouges. Ceux-ci gagnèrent le maquis et formèrent une rébellion anti-gouvernementale. Avec la guerre du Vietnam qui avait débuté et le rapprochement des Khmers Rouges avec les vietnamiens, les américains bombardèrent les bases vietminh situées au Cambodge. En 1970, profitant du départ du Roi pour Paris, Lon Nol avec l’aide des Etats Unis fit un coup d’état et se proclama Maréchal puis Président. Les vietnamiens de Phnom Penh furent massacrés. En 1973 la guerre du Vietnam était terminée mais le Cambodge resta sous les bombes. En 1974 la guérilla occupait les deux tiers du pays et l’armée de Lon Nol était prête à tomber. Le 17 avril 1975 les Khmers Rouges, dirigés par Pol Pot, prirent Phnom Penh et en expulsèrent tous les habitants en 48 heures. Ce qui avait été initialement vécu comme une libération devint 3 ans de terreur. Les intellectuels et les anciens militaires étaient exécutés, la religion fut bannie, le travail était forcé, la nourriture était rationnée, l’accès aux médicaments était interdit, les minorités et les bonzes étaient persécutés, les biens étaient confisqués, le commerce et l’argent étaient abolis, les écoles étaient fermées, les familles étaient dispersées et les mariages étaient arrangés. Toute personne qui ne suivait pas les règles ou qui critiquait le régime était immédiatement tuée. La population mourait de faim et les maladies faisaient des ravages. Les Khmers Rouges attaquèrent alors les Vietnamiens qui réagirent en envahissant le Cambodge. Phnom Penh fut libéré le 7 janvier 1979 et les derniers Khmers Rouges se retranchèrent dans le Nord-Ouest. Au total, pendant ce régime prônant le retour à un système agraire, ce furent plus de 2 millions de personnes qui trouvèrent la mort dans les tristement célèbres « rizières de la mort » (à noter que parmi ces 2 millions de personnes plusieurs centaines de milliers sont mortes de faim et de maladie après la libération). A la fin du régime génocidaire, ce que d’aucuns appellent l’ « année zéro » 154, les survivants étaient « hagards, hébétés, épuisés, terrorisés, dispersés, égarés. Un cortège hallucinant de rescapés faméliques, en haillons, erra des semaines, sinon des mois pour retrouver les leurs, pour retrouver un toit. La quasi-totalité des cadres étaient morts, des professions entières n’avaient plus de praticiens. Le pays était totalement détruit, privé des équipements de base, privé des infrastructures essentielles. (…) Les rescapés étaient des paysans, y compris ceux qui allèrent

154 PONCHAUD F. Cambodge année zéro. Paris : Kailash ; 1998.

74 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 repeupler les villes » 155. Les effets psychologiques de ce traumatisme sont encore perceptibles de nos jours parmi une certaine tranche de la population. En 1989, avec l’effondrement du bloc soviétique et le rapprochement des gouvernements de Hanoi et de Pékin, les vietnamiens se retirèrent du Cambodge après 10 ans d’occupation mais aussi de reconstruction. Les accords de Paris furent signés en octobre 1991 et une force internationale, l’APRONUC 156, arriva au Cambodge en 1992 pour assurer la paix en attendant la fin des élections. Celles-ci eurent lieu en mai 1993 et donnèrent lieu à un gouvernement de coalition entre le FUNCINPEC et le PPC 157. La cohabitation était turbulente et les incessantes tensions entre les deux partis occasionnèrent de nombreux remaniements. Le bicéphalisme ralentissait toutes les activités gouvernementales, le développement du pays et la restauration de la paix. Ainsi, après 25 ans de guerres civiles le Cambodge restait dans une situation politique et économique précaire, menaçant d’enliser les efforts de la reconstruction.

I.C.1.c La situation économique et sociale

Jusqu’à la fin 1989, c'est-à-dire pendant l’occupation vietnamienne, l’URSS (l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques) et les pays du bloc de l’Est (Bulgarie, Allemagne) ont été les principaux donateurs du Cambodge et de nombreux cambodgiens y sont partis en stage de formation professionnelle accélérée. Mais en 1990 la situation politique de ces pays a changé et ils ont modifié leur stratégie de soutien.

En 1992, alors même que le Cambodge se relevait doucement de son holocauste, sa capacité de production était restée bien en dessous de celle atteinte dans les années 60. L’industrie et la production de matières premières étaient presque inexistantes et la majorité des ressources financières du pays provenaient des aides extérieures. La perte en capital humain pendant la guerre a été un frein au développement par manque de personnel qualifié. Dans le même temps l’immigration vietnamienne et chinoise avait repris et ils s’occupèrent principalement des secteurs du commerce, de la pêche et de la construction. Le secteur agricole ne s’était pas développé et le revenu des paysans était très bas.

155 JENNAR RM. Cambodge : progrès, freins et espérances. Conférence décembre 1998 : Phnom Penh. 156 Autorité Provisoire de l’ONU pour le Cambodge. En anglais: UNTAC (United Nation Transition Authority Cambodia). 157 FUNCINPEC: Front Uni National pour un Cambodge Indépendant Neutre Pacifique et Coopératif, dirigé par le Prince (fils du Roi) qui devient le premier Premier Ministre après les élections de 1993. PPC : Parti du Peuple Cambodgien, dirigé par qui devient le second Premier Ministre.

75 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

L’UNICEF avait estimé que le GNP était à 160$ par habitant classant le Cambodge au 195ème rang parmi 203 pays. Les salaires moyens du personnel gouvernemental étaient de 10 à 20$ par mois et l’inflation était de 120% à 140% par an, obligeant la majorité d’entre eux à trouver des sources de revenus complémentaires 158. Le Cambodge était alors l’un des pays les plus pauvres au monde.

Une enquête socio-économique réalisée en 1993-94 révélait que les dépenses de santé représentaient le deuxième budget des foyers, après la nourriture. En moyenne un foyer dépensait annuellement 100 dollars US pour les soins, ce qui équivalait à 19 dollars US par an et par personne, soit 10 fois ce que procurait le budget national de la santé. Or les données internationales indiquaient que pour les pays les moins développés, le budget public annuel pour la santé devrait être de 12 dollars US159. L’aide internationale, qui commença à se développer après les élections, apportait le double du budget national mais cela restait insuffisant.

Concernant l’éducation :

Pendant les années 1975-1979 la majorité des structures éducatives ont été systématiquement détruites par les khmers Rouges et les professeurs eux-mêmes ont été aux trois quart décimés (entre 1000 et 5000 survivants suivant les sources). Il était estimé que 25% de la population était illettrée, avec un taux atteignant 65% chez les femmes. Des campagnes d'alphabétisation s’étalant de 1980 à 1986 ont amélioré ces chiffres. Cependant en 1992 seulement 40% des enfants avaient achevé leurs études primaires (5 années) et la plupart des filles s’étaient arrêtées avant la fin. Un quart des enfants étaient présents à l’école en raison d’un manque d’infrastructures et de professeurs.

I.C.1.d Système sanitaire et état de santé de la population

Quand l’armée vietnamienne a libéré le Cambodge, son gouvernement s’est trouvé devant un énorme travail de reconstruction. Les activités administratives, économiques, universitaires et sanitaires reprirent progressivement, avec le soutien des « pays frères du bloc de l’Est ».

158 National AIDS Committee, Ministry of Health of Cambodia. Comprehensive National plan for AIDS prevention and control, in Cambodia 1993-1998. Phnom Penh, Cambodia 1993. 159 Ministry of Health of Cambodia. Health Policy and Strategies 1996-2000. 1996.

76 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 LE SYSTEME SANITAIRE

En 1979 le bilan établi par le Ministère de la Santé était le suivant 160 : . Destruction des infrastructures et du matériel . Disparition des cadres administratifs et professionnels de santé . Absence de programmes nationaux et de systèmes d’information . Très hauts taux de mortalité et de morbidité . Traumatisme physique, mental et psychologique des survivants . Nombreux accidents occasionnés par les mines anti-personnelles. . Distorsion de la pyramide des âges Entre 1975 et 1979 le système de santé avait été annihilé, seule la médecine traditionnelle avait été permise. Sa reconstruction a été la première tache du Ministère de la Santé. En 1980, la faculté de Médecine fut une des premières structures de formation à être réhabilitée par le gouvernement. Elle reçut un soutien de la France dès 1990 grâce à des accords inter universitaires et le soutien direct de la Coopération Française161,162. Le système de santé était organisé selon un modèle socialiste, financé par l’Etat. Son architecture était géographique avec des centres communaux, des hôpitaux de district et de province et une direction très décentralisée. Les programmes de santé étaient verticaux (tuberculose, malaria, dengue, diarrhée, nutrition …). Avant 1989 presque aucune aide internationale (en dehors d’UNICEF et de quelques autres organisations) ne pouvait pénétrer dans le pays en raison d’un embargo contre le régime vietnamien. Avec l’ouverture du pays, la manne internationale commença à affluer. Une restructuration des autorités sanitaires et de la législation s’est progressivement opérée. Auparavant la répartition des capacités de soins se faisait selon une logique administrative, sans tenir compte de la concentration de la population. Ainsi, alors que la moyenne nationale du nombre d’habitants par lits hospitaliers était de 1000, le ratio variait entre 380 et 2300 en fonction des régions. La réforme (« le Plan National de Santé 1994-1996 ») entendait redistribuer les services et les structures de soins en fonction de la répartition de la population pour optimiser l’allocation des ressources et augmenter l’accès aux structures de santé dans les zones rurales. La

160 Ministry of Health of Cambodia. Health Sector Strategic plan 2003-2007. 2002. 161 FOLLEZOU J-Y, BARRE-SINOUSSI F. La coopération Française en Asie du Sud-est dans le domaine de la recherche et de l’enseignement sur l’infection par le VIH et le Sida. ANRS Janvier 2000. 162 En 2002, une délégation de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) était en visite au Cambodge. Elle était composée des Professeurs Gilbert Béréziat et Jean-Yves Follézou, qui avaient, dès 1979, participé activement au mouvement de solidarité avec la population cambodgienne. Ils furent notamment les organisateurs de la première initiative d’aide occidentale au Cambodge : le premier accord de coopération universitaire entre la France et le Cambodge fut signé en août 1979 entre le CHU de la Salpêtrière (Université Paris 6) et la Faculté de Médecine de Phnom Penh, alors que les relations diplomatiques officielles n’étaient pas encore renouées entre les deux pays. Le Pr. Follézou déclara : « C’est vrai que la ténacité tranquille de collègues cambodgiens comme les professeurs My Samedy et Vu Kim Por, et français, tels Jean-Jacques Santini, Claude Dumurgier, ou encore les trois directeurs qui se sont succédés à l’Institut Pasteur du Cambodge ne peut que nous encourager à poursuivre cette coopération ».

77 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir mauvaise situation politique et sécuritaire gêna les efforts de réorganisation jusqu’à la fin des élections de 1993. Après cette date, le Ministère de la Santé, avec l’aide de l’OMS et l’UNICEF s’est attaché à mettre en application ce système qui est encore en place aujourd’hui.

 RESSOURCES HUMAINES

Il est communément admis que parmi les 1000 médecins qui exerçaient dans le pays avant 1975, moins de 50 ont survécu au régime de Pol Pot et la moitié d’entre eux partit à l’étranger163,164. En 1979 il a été nécessaire de former en peu de temps un grand nombre de personnel sanitaire (médecins, médecins assistants infirmiers, dentistes, laborantins, sages femmes) pour reconstituer les ressources humaines perdues. Certaines de ces formations se sont passées dans les pays de l’Est et au Vietnam. En 1991 le personnel de santé avait atteint 15 884 personnes, et plus de 20 000 en 1994. Cependant la mauvaise qualité de ces formations « express » a longtemps altéré la qualité des soins du secteur public165. Le manque de budget de l’Etat ne permettait pas de payer les fonctionnaires plus de 10 à 15$ US par mois. Pour augmenter ses revenus le personnel gouvernemental s’est donc retourné vers le secteur privé qui s’est surdéveloppé. La population, ayant peu confiance dans le secteur publique et cherchant la discrétion, se retourna vers le privé, payant parfois cher des soins de mauvaise qualité.

 LA POPULATION

En 1992 la population était estimée à 8,64 millions d’habitants avec environ 1 million (11,9%) de personnes vivant à Phnom Penh et 350 000 réfugiés à la frontière thaïlandaise (lesquels furent rapatriés en 1993 vers le lieu de vie initial). 95% de la population était d’origine khmère, les 5% restant étant constitués d’une trentaine de minorités ethniques et de Vietnamiens. En 1992 les indicateurs de santé étaient les suivants : 166 . Taux de natalité : 40/1000. Taux de fertilité : 6 enfants par femme (3,2 en Asie) . Taux de mortalité infantile: 123/1000 naissances vivantes . 60% de la population et 30% des chefs de famille étaient des femmes . Taux brut de mortalité: 16/1000 (moyenne en Asie : 8,6/1000)

163 Ministry of Health of Cambodia. Health Sector Strategic plan 2003-2007. 2002. 164 MERAT S. Le système sanitaire au Cambodge. Thèse 3ème cycle : Médecine : Troyes : Université Claude Bernard - Lyon I : 1984. 165 Ministry of Health of Cambodia. Health Policy and Strategies 1996-2000. 1996. 166 GRANT C. Transition to What? Cambodia, UNTAC and the Peace Process. In: Between Hope and Insecurity: The Social Consequences of the Cambodian Peace Process. UNRISD 1993, Genève [Consulté le 05/12/06]. Disponible à partir de l’URL : www.unrisd.org/engindex/publ/list/mono/between/beet-08.htm

78 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. 50% de la population avait moins de 15 ans et 20% moins de 4 ans. . Espérance de vie: 49,7 années, une des plus basses du monde . 500 000 cas annuel d’accès palustres à P. falciparum entraînant 10 000 décès . 20 000 nouveaux cas de tuberculose par an, avec une prévalence estimée à 550/100.000, une des plus élevée d’Asie . 12% de la population rurale avait accès à l’eau potable. En zone urbaine, seulement 20% de la population avait accès à l’eau de la ville en raison de l’état déplorable des canalisations qui ont été laissées à l’abandon. . Malnutrition infantile estimée à 22% à Phnom Penh et 32% dans les provinces . Il était estimé qu’il y avait 35 000 amputés dans le pays. 6000 amputations avaient lieu tous les ans. 4 millions de mines étaient encore présentes dans les rizières, sur des routes et dans les forêts. Cet ensemble d’indicateurs illustre les conditions de vie difficiles engendrées par la guerre, la pauvreté, le manque de soins et d’hygiène.

A tous ces problèmes il faudrait aussi ajouter l’augmentation de la corruption (qui a été particulièrement aggravée par les millions de dollars qui ont accompagné l’arrivée de l’APRONUC), le banditisme, l’absence de maintien de la loi, la difficile réintégration des populations déplacées et bien sûr la prostitution avec son cortège de trafic humain.

Enfin, sur la pyramide des âges, nous voyons clairement l’impact de la guerre sur la population. La tranche d’âge 25-29 ans est celle de ceux qui sont nés pendant le génocide de Polpot. Elle est deux fois moins importante que ceux qui sont nés juste après. Ainsi, avec un taux de fertilité très élevé dès la sortie de la guerre, le Cambodge avait en 1984 5,2 millions d’enfants de moins de 15 ans, soit 47% de la population167.

Une génération après les évènements, la force vive a été renouvelée. Cela sera-t-il un avantage ou un inconvénient pour ce pays qui a un grand besoin de personnes actives pour son développement mais qui n’a pas la capacité de subvenir à ses besoins (marché du travail, pouvoir d’achat, nutrition, santé)?

167 National Institute of Statistics. Cambodia Socio-Economic Survey, 2004 [Consulté le 08/07/08]. Disponible à partir de l’URL : www.nis.gov.kh.

79 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 11 : Pyramide des âges, Cambodge 2005 Source : organisation des Nations-unies (World Population Prospects : The 2004 Revision)

I.C.2. Les débuts du VIH – les premiers cas

Alors qu’au début des années 1990 le pays débutait péniblement sa reconstruction, un nouveau défi se présenta: l’épidémie du Sida. Comparativement aux pays voisins l’épidémie cambodgienne a débuté tardivement, probablement bloquée par le long isolement du pays.

Le premier cas d’infection par le VIH a été identifié en 1991168 à la banque du sang (CNTS), dès l’installation des premiers tests de dépistage par la Croix Rouge Internationale 169. Le tableau suivant résume l’évolution des dépistages réalisés sur les donneurs de sang et le nombre de cas de séropositivité déclarés au Programme National de Lutte contre le Sida (PNLS), de 1991 à 1994170,171:

168 KRUY SL, L’HER P, GUERIN B, ROUVILLOIS A, TEA P et al. Evaluation of the epidemic caused by human immunodeficiency virus in Cambodia. Rev Med Int. 1993 ; 14 (10) : 997. 169 Les tests pour le VIH ont été commercialisés dès 1985 (FDA). De 1987 à 1991 les tests étaient disponibles à l’Institut Pasteur mais ils n’étaient utilisés pour . 170 MACCARY A, PHALLA T. Programme de lutte contre le Sida. Ambassade de France au Cambodge. Service Culturel et de Coopération – janvier 1995. 171 Ministry of Health of Cambodia. National health statistics report 1995. 1996.

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Nombre de donneurs Nombre de tests Nombre de cas VIH+ Année Pourcentage de sang testés positifs déclarés au PNLS 1991 3972 3 0,075 3 1992 6745 30 0,44 91 1993 8161 183 2,24 204 1994 13340 401 3,01 646

Tableau 1 : Evolution des dépistages réalisés sur les donneurs de sang et le nombre de cas de séropositivité déclarés au Programme National de Lutte contre le Sida (PNLS), de 1991 à 1994. Source : Ministère de la Santé du Cambodge. National health statistics report 1995. 1996.

Ce tableau souligne la rapide augmentation du pourcentage de tests positifs sur la période. Bien sûr de nombreux biais existent, dont le recrutement des donneurs. En effet, au Cambodge, il est difficile de faire donner du sang par la famille même si cela est vital. Beaucoup imaginent que le sang prélevé ne se régénèrera jamais. Ainsi la famille recrute et paye un donneur (souvent un chauffeur de moto-taxi ou de cyclo). Cette population de donneurs est souvent à risque car elle forme la majorité de la clientèle des prostituées, avec les militaires et les policiers, et n’a le plus souvent jamais reçu d’information sur la prévention.

Le premier cas avéré de Sida a été découvert en 1993 dans le département de médecine générale « pour les pauvres » de l’hôpital Calmette de Phnom Penh, alors soutenu par l’ONG Médecins du Monde. Comme nous le verrons plus loin, le nombre de patients Sida hospitalisés dans ce service augmenta progressivement au cours des années. De façon concomitante à l’expansion de l’épidémie, au début de l’année 1992 arriva une force d’interposition internationale des Nations Unies : l’APRONUC, chargée d’assurer la réalisation des élections. Pendant 18 mois, 16 000 soldats, 3 500 employés civils (venant de 34 pays différents) et 60 000 Cambodgiens ont participé à cette action. Etant données la masse d’argent soudainement apportée dans le pays (2 milliards de dollars), la pauvreté omniprésente, la présence d’un grand nombre de soldats désœuvrés gagnant un salaire disproportionné par rapport au coût de la vie au Cambodge et la proximité de la Thaïlande, il n’est pas étonnant d’avoir vu la prostitution, traditionnellement présente, augmenter. En 1993 il était estimé qu’il y avait à Phnom Penh 15 000 prostituées directes (bordels) et 20 000 prostituées indirectes (massages, night clubs, bars ...). A la fin 1993, 8% des patients visitant les cliniques IST et 14% des prostituées qui ont été testés étaient séropositifs. Il était estimé qu’au moins 2 000 cambodgiens étaient contaminés172.

172 BRUCE G, BERKLEY W, BERKLEY S. The Evolving HIV/AIDS Pandemic. In: AIDS in the World II. Dir. MANN J, TARANTOLA D. New York : Oxford University Press ; 1996 : 57-70.

81 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

A leur retour certains contingents de l’APRONUC ont été dépistés pour le VIH. Une étude réalisée sur des soldats indonésiens retrouva sept séroconversions. Ces 7 soldats contaminés étaient de sous- type E comme celui retrouvé en Thaïlande et non de sous-type B qui est majoritaire en Indonésie173. Deux autres études réalisées chez 5 soldats uruguayens174 et chez 5 soldats français arrivent à la même conclusion175. Cela suggère que l’extension de l’épidémie s’est faite régionalement et qu’elle n’a pas été apportée directement par l’APRONUC176,177,178. Pourtant, ce qui est resté dans l’esprit collectif est un mélange confus de responsabilité directe et indirecte de l’APRONUC sur l’évolution de l’épidémie, comme le montre les extraits d’articles de presse suivants :

« Le virus est entré au Cambodge avec les casques bleus de l’Apronuc. Imaginez 15,000 soldats n’ayant reçu aucun message de prévention, arrivant dans un pays où les prostituées font partie de la vie de tous les jours » 179.

« Le VIH a probablement été introduit dans le pays par les prostituées thaïlandaises attirées par l’argent drainé par la présence des casques bleus de l’ONU » 180.

« Le boom de l’industrie du sexe remonterait aux débuts des années 1990, avec l’arrivée des « casques bleus » (...) qui devaient mettre fin à une longue guerre civile. Pour beaucoup de personnes ici, ce sont ces jeunes soldats qui ont largement contribué à propager l’épidémie qui aujourd’hui ravage le pays. Mais beaucoup d’autres facteurs ont fortement favorisé l’épidémie. Par exemple, la mobilité de la population (...), l’implantation des clubs de karaoké, des salons de massage, des bars à bière, des discothèques est à l’origine d’un nombre très important de jeunes prostituées. » 181.

173 SOEPRAPTO W, ERTONO S, HUDOYO H, MASCOLA J, et al. HIV and peacekeeping operations in Cambodia. Lancet 1995 ; 346 (8985) : 1304-1305. 174 ARTENSTEIN AW, BROWN AE, VANCOTT TC et al. Multiple introductions of HIV-1 subtype E into the western hemisphere. Lancet. 1995 ; 346 (8984) : 1197-1198. 175 LASKY M, PERRET JL, PEETERS M, BIBOLLET-RUCHE F, LIEGEOIS F et al. Presence of multiple non-B subtypes and divergent subtype B strains of HIV-l in individuals infected after overseas deployment. AIDS 1997 ; 11 (1) : 43-51. 176 RYAN CA, VATHINY OV et al. Explosive spread of HIV-1 and sexually transmitted diseases in Cambodia. Lancet, 1998 ; 351 (9110) : 1175. 177 KUSAGAWA S, SATO H, KATO K. et al. HIV type 1 env Subtype E in Cambodia. Aids Research and Human Retrovirus 1999 ; 15 (1) : 91-94. 178 PHALLA T, LENG HB, MILLS S et al. HIV and STD epidemiology, risk behaviours, and prevention and care response in Cambodia. AIDS 1998 ; 12(Suppl. B) : s11-s18. 179 COUMAU C. Avec les « filles » de Phnom Penh. Coulisses, 1er décembre 1998. 180 LAURANT S. Au Cambodge, le Sida devient la dixième plaie du pays. La Croix, 1er décembre 1998. 181 BELOT MN. Le Cambodge face à un nouveau génocide, le Sida. Le Médecin Généraliste, 27 novembre1998.

82 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

L’entrée du virus au Cambodge a donc probablement débuté en 1990 avec l’ouverture des frontières et par le truchement de la prostitution thaïlandaise 182 . En effet, à cette période de grands mouvements de population ont eu lieu à travers la frontière Thaïlandaise, alors que ce même pays faisait face à une épidémie inquiétante. Cette dernière s’était déjà propagée dans la population générale (8% des femmes enceintes) et la proportion de prostituées contaminées était très élevée. Une étude rétrospective Américano-thaïlandaise a examiné de 1989 à 1993 l’incidence du VIH parmi une population de 553 prostituées thaïlandaises travaillant dans le nord, près de la frontière Cambodgienne. Les résultats ont montré une séropositivité qui est passée de 29% à 63% durant la période de l’étude 183. De plus, la présence au Cambodge du VIH de sous-type E, le même qu’en Thaïlande, confirmerait cette origine de l’épidémie cambodgienne184,185,186,187. La libéralisation économique, l’afflux de commerçants étrangers, la présence de plus de 350.000 réfugiés le long de la frontière thaïlandaise, le développent de la prostitution et la présence des forces de l’APRONUC 188, ont été le moteur de l’expansion de l’épidémie au Cambodge et ont contribué au brassage du virus. On notera aussi qu’à ce moment le Vietnam faisait face à une épidémie parmi les utilisateurs de drogue injectable : 2% en 1992 puis 30% en 1993, cependant les échanges avec cette population étaient assez limités. Le jour des élections, en 1998, lorsque le Premier Ministre Hun Sen fut interrogé sur l’héritage laissé par les UNTAC, il répondit : « SIDA » 189…

182 NARAIN J. Status and trends of HIV/AIDS epidemic in the South East Asia region. Symposium on Status and Trends of HIV/AIDS in Asia and the Pacific. Manila, Philippines, October 21-23,1997. 183 GRAV JA, DORE GJ, Li Y, SUOAWITKUL S, EFFLER P, KALDOR JM. HIV-1 infection among female commercial sex workers in rural Thailand. AIDS 1996 ; 11 (01) : 89-94. 184 WENIGER B.G, TAKEBE Y, Ou C.Y, Yamazaki S. The molecular epidemiology of HIV in Asia. AIDS 1994 ; 8 (suppl 2) : S13-S28. 185 KUSAGAWA S, SATO H, KATO K, NOHTOMI K, SHIINO T, SAMRITH C et al. HIV type 1 env subtype E in Cambodia. AIDS Research and Human Retrovirus, 1999 ; 15 (1) : 91-94. 186 MASTRO TD, ZHANG K-L, PANDA S, NELSON KE. HIV Infection and AIDS in Asia In: Pediatric AIDS: The Challenge of HIV Infection in Infants, Children, and Adolescents. PIZZO PA, WILFERT CM, 3rd edition. Baltimore : Williams & Wilkins 1998 : 47-63. 187 MENU E, REYNES JM, MULLER-TRUTWIN MC, GUILLEMOT L, VERSMISSE P et al. Predominance of CCR5 dependent HIV-1 subtype E isolates in Cambodia. J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol 1999 ; 20 (5) : 481-487. 188 L’Ambassadeur Richard C. Holbrooke, Représentant permanent des Etats Unis aux Nations-unies fit la déclaration suivante au Conseil de Sécurité sur le VIH/Sida et les Opérations Internationales de maintien de la paix (USUN Press Release. 17 Juillet 2000;92(00)) : “(…) il est un fait que sans formation et éducation appropriées sur la prévention, les casques bleus peuvent disséminer le Sida par inadvertance. Lors de ma visite au Cambodge en 1992 (...) j’ai été perturbé par le fait que les forces des Nations-unies étaient déjà en train de répandre le Sida ». 189 RICHBURG KB. Spreading HIV Threatens Cambodia Government Hard Pressed to Respond. Washington Post Foreign Service 1998.

83 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

I.C.3. La réponse gouvernementale

I.C.3.a Les premières structures

La première entité gouvernementale cambodgienne créée pour lutter contre l’épidémie du Sida a été le National Aids Committee (NAC) 190, soutenu par le National Aids Secretariat (NAS). Il a été créé en mai 1991 mais il n’a été opérationnel qu’en 1993. Il était chargé de créer un réseau entre les Ministères, les gouverneurs des provinces, les organisations étrangères et les bailleurs. Il devait aussi assurer la réactualisation régulière de la situation de l’épidémie et définir les stratégies nationales. Dans le même temps un plan à court terme de 1 an (Short-Term Plan, STP) et un programme de lutte contre le Sida (Cambodia Aids Program, CAP) ont été élaborés avec l’aide de l’OMS, tandis qu’un groupe de travail a été constitué (Technical Working Group, TWG). Cette première étape devait principalement faire un état des lieux de l’épidémie au Cambodge et servir de base au développement des priorités et des objectifs d’un plan national plus global. Le groupe de travail créé en 1991 pour mettre en application le Programme National (CAP) est devenu en 1993 le National Aids Program office, (NAP)191. Il était supervisé par le NAC et devait s’assurer de l’exécution des activités prévues par le nouveau Programme National de Prévention et de Contrôle du Sida 1993-1998 (Comprehensive National Plan, CNP)192.

STRUCTURES STRATEGIES / PROGRAMMES

1991 NAC+NAS (création) TWG STP + CAP (91-92)

1992

1993 NAC+NAS NAP CNP (93-98) (opérationnel)

National STD Centre

1998 NCHADS NSP, National Strategic Plan 1999 NAA (98-00)

Figure 12 : Historique de la création des structures nationales et des programmes de lutte contre le Sida, 1991-1999.

190 Le National Aids Committee (NAC), formé du dynamique Dr Tia Phalla, deviendra le National Aids Authority (NAA) en 1999. Le Dr Phalla en sera le Secrétaire Général. 191 Le National Aids Program (NAP) deviendra le National Center for Hiv AIDS and STI (NCHADS) en 1998. 192 National AIDS Committee, Ministry of Health. (1993). Comprehensive National plan for AIDS prevention and control, in Cambodia 1993-1998. Phnom Penh, Cambodia.

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I.C.3.b Les premières stratégies

Le premier Programme développé par le NAP a été le: « 1993-1998 Comprehensive National Plan for AIDS Prevention and Control in Cambodia ». Ce programme considérait le Sida principalement comme une maladie transmissible et un problème de santé publique, et ses principaux objectifs étaient de réduire la transmission et de réduire la morbidité et la mortalité associées à l’infection par le VIH 193 . Les interventions étaient stratégiquement centrées sur l’éducation, l’information, la promotion des préservatifs, la sécurité sanguine et la surveillance194. En pratique les activités n’ont pas été aussi intenses que prévu car il y a eu un cruel manque de budget : sur la période de 1993 à 1997 celui-ci n’a été que d’un million de dollars dont la majorité venait de bailleurs internationaux (ONG, USAID, DFID, Coopération Française, Union Européenne, BM, GTZ en particulier). D’autres aspects de la lutte contre le VIH étaient évoqués dans ce programme mais ils sont restés à l’état de projet (PTME, l’étude de l’impact socioéconomique et des comportements...). En effet le gouvernement, vu l’état de ses finances mais aussi de ses ressources humaines, s’était donné des priorités. Il est d’ailleurs écrit dans ce programme que « les soins (physiques, psychologiques et sociaux) pour les personnes infectées devront être dépensés avec attention pour ne pas vider les ressources économiques du pays. L’achat de médicaments trop chers est donc hors de question ». Nous nous retrouvons là dans une situation malheureusement classique : le pays est pauvre et il dépend de l’aide extérieure. Les bailleurs extérieurs déterminent avec circonspection les champs d’interventions et limitent les financements car ils doutent de la transparence de la gestion des fonds et de la qualité des activités réalisées. Ainsi la prévention reste la pierre angulaire de la lutte (pas chère et facile) et les soins sont impensables (trop chers et difficiles). Pourtant à ce moment là, étaient déjà connus les impacts à long terme d’une mortalité élevée dans un pays ayant une épidémie du VIH importante (comme en Afrique). Quel était donc le meilleur choix stratégique ?

I.C.3.c Les premières enquêtes

La première enquête nationale couvrant les différents groupes à risque a été effectuée sous la supervision de l’O.M.S. en juin 1992. Elle a surtout porté sur les prostituées, les tuberculeux, les militaires, les policiers, les femmes enceintes et les patients atteints d’IST (Infections Sexuellement

193 National AIDS Committee, Ministry of Health. (1993). Comprehensive National plan for AIDS prevention and control, in Cambodia 1993-1998. Phnom Penh, Cambodia. 194 UNAIDS. Country profile : “The HIV/AIDS/STD situation and the national response in the Kingdom of Cambodia”. 1999.

85 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Transmissibles). 1017 tests ont été réalisés et 22 (2,16%) ont été retrouvés positifs (19/207 prostituées et 3/72 porteurs d’une maladie sexuellement transmissible). Le tableau ci-dessous résume les principaux résultats des différentes enquêtes réalisées par le CNTS et l’Institut Pasteur du Cambodge. Nous en retiendrons surtout la flambée des pourcentages parmi les prostituées et les donneurs de sang :

Groupes de population / Date 1991 1992 1993 1994 Prostituées 9,17% (19/207) 39,4% Policiers 0% (0/240) Soldats 0% (0/200) Patients avec MST 4,16% (3/72) 9,1% Donneurs de sang 0,075% (3/3965) 0,44% (30/6745) 2,24% 3,01% Tuberculeux 0% (0/103) 8,61% Femmes enceintes 0% (0/195) TOTAL 22/1017=2,16%

Tableau 2 : Principaux résultats des différentes enquêtes réalisées par le CNTS et l’Institut Pasteur du Cambodge entre 1991 et 1994. Sources : ONUSIDA, OMS, MOH, Banque du Sang.

D’autres études ont été réalisées de façon disparate : . Une étude réalisée par Pharmaciens Sans Frontières en mai 1992, montrait un taux de séropositivité de 10% parmi 55 prostituées. . Une autre étude effectuée de juin à décembre 1992 dans le cadre du "Cambodian AIDS Program", concernant 733 porteurs d’IST a retrouvé un taux de séropositivité de 4,5%. . Une étude menée en août 1993 sur 65 détenus d’une prison de la périphérie de Phnom-Penh, a rapporté une séroprévalence de 3,1%.

Toutes ces enquêtes ont été réalisées sur de petits échantillons de certaines populations et dans quelques sites ; par conséquent elles ne pouvaient pas être représentatives de la population générale. Pour pallier ce problème, en 1994, avec le soutien de l’OMS, est créé le HSS (HIV Sentinel serological Surveillance system) 195 qui devait réaliser des études de séroprévalence parmi des groupes à risque de la population dans plusieurs provinces, afin d’effectuer une surveillance active de l’épidémie. Mais par manque de fonds et de coordination le premier HSS n’a été réalisé qu’en 1996. Nous noterons aussi l’absence de Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit (CDAG) au sens strict. Le premier ne fut mis en place qu’en 1995 par l’Institut Pasteur.

195 UNAIDS. Country profile : “The HIV/AIDS/STD situation and the national response in the Kingdom of Cambodia”. 1999.

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I.D. SPHERE ONG

L’histoire des ONG remonte à la création de la Croix Rouge par Henri Dunant en 1863, hybride de charité chrétienne et d’humanisme. Des associations anglo-saxonnes virent ensuite le jour, principalement pour venir en aide aux soldats blessés. Avec la deuxième guerre mondiale naissent des Organisations plus grosses comme International Rescue Committee (IRC), Catholic Relief Service (CRS), Cooperative for American Remittancies Everywhere (CARE), et Oxford Committee for Famine Relief (OXFAM). L’ONU est créée en 1945 dans le but de maintenir la paix et de faire respecter les Conventions de Genève. De cette grande institution découlèrent diverses organisations internationales spécialisées (UNHCR, UNICEF, UNESCO, FAO etc.). La guerre du Biafra au Nigeria en 1969 engendra la création des « French Doctors » par Bernard Kouchner. Pour la première fois il fut alors possible de dénoncer les atrocités commises. En 1971, suite à leur action et en pleine période post-Mai- 68, les « French Doctors » fondèrent Médecins Sans Frontières (MSF). L’esprit était d’aider les plus déshérités, de façon indépendante et humaine196. Parallèlement, en réaction à trois maux inextricablement liés: la pauvreté, la surpopulation et la dégradation de l’environnement, se développèrent d’autres organisations et associations spécialisées dans l’agriculture, l’éducation, la défense des droits de l’Homme, de l’écologie, de l’enfant et de la femme, ou encore dans la lutte contre le racisme. Le volontariat était le moteur des actions, il symbolisait l’engagement désintéressé d’individus au service de causes d’intérêt général.

En 1979, à l’occasion de la tragédie des boat-people vietnamiens, l’opération « un bateau 197 pour le Vietnam » divisa MSF. Bernard Kouchner voulait médiatiser l’action pour pouvoir témoigner des violations des droits de l’Homme mais d’autres dirigeants s’y opposèrent. Bernard Kouchner et une quinzaine de responsables fondèrent alors Médecins du Monde (MDM) en 1980. Cette scission marqua le début de l’action humanitaire de MDM en Afghanistan, au Salvador, au Liban, en Ethiopie, en Somalie, en Afrique du Sud, au Libéria ...

Progressivement certaines ONG se spécialisèrent dans l’urgence, d’autres dans le développement et enfin plus récemment dans le témoignage en dénonçant les agissements de multinationales et d’Etats.

196 « Au nom des hommes, tu en sauveras un, même si tu ne peux les sauver tous » dit Bernard Kouchner. 197 Le bateau était nommé « Ile de Lumière ».

87 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

A la fin des années 80 le conflit Khmer Rouge était déjà terminé. L’opinion internationale n’avait pas été informée et les Etats étaient restés muets et passifs. Ce n’est qu’à la fin de la présence vietnamienne au Cambodge que les ONG prirent conscience de la situation et furent autorisées à intervenir.

I.D.1. L’arrivée des ONG

En 1990 une quarantaine d’ONG Internationales (ONGI) étaient présentes au Cambodge 198. La plupart venait tout juste d’arriver. Les activités de ces ONG étaient principalement centrées sur une aide directe et urgente à la population. Tout était à faire et à apporter. L’Etat n’avait aucun moyen et il accueillit ces ONG sans limitation. Les volontaires des ONG devaient faire face à des besoins très divers, qui étaient un mélange de médecine de catastrophe, de médecine tropicale, d’hygiène, de nutrition et de formation. Les ONG elles mêmes agissaient parfois aux frontières de leurs compétences, saupoudrant des actions dans le pays mais n’ayant pas les moyens d’agir à l’échelle nationale. De plus les actions des ONG se heurtaient à certaines difficultés, comme l’insécurité, les voies de communications impraticables, la communication, la fuite des cadres médicaux formés vers le secteur privé et la corruption 199. Après 1993, l’arrivée des donateurs internationaux s’impliquant dans de larges programmes d’assistance, a permis aux ONG de se recentrer sur leur champ d’action habituel, généralement dirigé vers le développement communautaire. Le gouvernement essaya d’harmoniser l’ensemble des initiatives en créant le Comité de Coordination Médicale en 1990 (COCOM). Ce Comité devait orienter les interventions dans des directions mieux définies, comme la coordination avec les programmes nationaux, la formation et le soutien de certaines structures sanitaires particulièrement isolées.

En 1994, après les élections et le départ des forces de l’APRONUC le Cambodge était encore dans une situation précaire. L’économie était bouleversée, la sécurité était encore incertaine, l’état de santé de la population avait peu progressé, l’épidémie du Sida s’était installée et le gouvernement restait instable et peu fonctionnel.

198 BARTON Michael. Empowering a New Civil Society. PACT’s Cambodia Community Outreach Project. Phnom Penh: PACT Cambodia, 2001. 199 Gaëtan Thiéry. Actions médicales d’organisations non gouvernementales au Cambodge (1975-1993). Thèse 3ème cycle : Médecine : Claude Bernard - Lyon I : 1994 ; 176.

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Quant aux ONG locales, les deux premières, Khemara et ADHOC, ont été créées en 1991.

200 180 ONG I 160 180 ONG L 140 Total 120 100 80 60 68 40 20 40 0 1990 1992 1994

Figure 13 : Evolution du nombre d’ONG Locales et Internationales de 1990 à 1994. Source: NGO Forum, 2002

I.D.2. L’arrivée de Médecins du Monde

Nous ne pouvons pas retracer l’histoire du Cambodge et du VIH sans passer par celle de Médecins du Monde (MDM). D’abord parce que MDM, depuis 25 ans, a vécu toute la reconstruction du pays à travers ses activités, ensuite parce que cela donnera un tableau vivant des conditions de travail de cette époque sous un angle spécifique, et enfin parce qu’elle représente une partie de notre vie cambodgienne que nous aimerions retranscrire.

La vie de Médecins du Monde au Cambodge commence avec l’arrivée de M. Jean-Claude Prandi (JCP) en janvier 1990. Il a été le coordinateur de la mission de janvier 1990 à mai 1998.

Voici son témoignage retraçant les débuts de la mission:

My Samedy, Doyen de la Faculté de Médecine, est envoyé à Paris vers la mi-1989 pour demander une aide médicale de MDM. A partir de cette rencontre, Alain Deloche, Eric Peterman et François Foussadier décident de se rendre immédiatement au Cambodge, via le Viêt Nam, pour évaluer la situation. Arrivés à Phnom Penh (PP), ils se rendent à l’hôpital Calmette, où le Dr Heng Tay Kry, alors 2e vice-directeur de « l’hôpital de la révolution » (ex-Calmette), que tout le monde appelle « hôpital français », prend tout en charge. « Kry a tout arrangé, tout manigancé, dans le bon sens

89 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir du terme. Il nous a convaincu de rénover cet hôpital, symbole du passé colonial français au Cambodge, et d’en faire un hôpital de référence ». De retour à Paris, lors d’une réunion à MDM, le Pr Alain Deloche déclare « On va au Cambodge ! ». Se pose alors le besoin de recruter un coordinateur permanent pour le Cambodge. A l’époque, JCP, biologiste de formation, est volontaire à MDM et a déjà effectué plusieurs missions au Burkina Faso, au Mali et au Bengladesh, où il a participé à la création d’une importante ONG locale, qui regroupait quelque 40,000 personnes sur un campus. En septembre 1989, il se rend à MDM et rencontre Michel Brugières. « Si tu as quelque chose pour moi avec MDM, fais-moi signe », lui dit-il. Deux mois après, en novembre, le téléphone sonne. C’est Michel Brugière : « Si tu veux, je te propose le Cambodge, pour deux ans. Je te laisse quelques semaines pour réfléchir ». « C’est tout réfléchi, je prends. Je pars de suite». Il part et le 7 Janvier 1990 il rejoint Phnom Penh avec l’Antonov 24 hebdomadaire qui fait la liaison Ho Chi Minh-Phnom Penh. A PP, il y a 17 expatriés internationaux, plus 2500 Russes, tous parqués dans des immeubles le long de la route de l’aéroport. Les communications se font par morse et par télégramme. JCP loge à l’hôtel Sokhalaï. C’est le bureau de MDM. A l’hôtel, pas d’électricité, juste un groupe électrogène qui fonctionne 2-3 heures par jour. Dans les rues, des cyclos, des vélos et des mobylettes, plus quelques voitures officielles. JCP achète une jeep, immatriculée PP007, c’est la 7e voiture particulière a être immatriculée dans la capitale.

MDM doit d’abord s’occuper de la rénovation de l’hôpital de Battambang. En avril 1990, 2 blocs opératoires et la réanimation sont remis en état, et la formation est mise en place. En dépit des combats qui font rage dans la province, MDM rénove aussi les dispensaires de Bavel et de Banan.

Le Dr Philippe Micheau arrive en juin 1990 et met en place la chirurgie générale et plastique à Calmette. Avec Patrick Mornet et François Foussadier débute l’Opération Sourire. Appel à la radio, lendemain 200 malades à Calmette, une vingtaine d’opérés. En 1991, l’ex-Calmette redevient Calmette. L’hôpital est dans un état de délabrement avancé et il faut le réhabiliter. MDM commence par les urgences, les blocs opératoires et la radiologie. Comme personnel étranger il y a deux ou trois médecins bulgares, ainsi que quelques infirmières, qui s’occupent de la médecine A. Ils n’ont aucun moyen et ne pensent qu’à rentrer chez eux, ils sont peu motivés. Le mur de Berlin vient juste de tomber. Il y a des restes de l’aide matérielle soviétique : « on a retrouvé à Calmette de nombreuses caisses russes de matériel ophtalmologique, tout ce qui fallait pour fabriquer des lunettes, ainsi que du matériel chirurgical ».

Le 1er janvier 1991 le Dr Eric Peterman devient Responsable de la Mission Cambodge en France. Les missions de Battambang, Banan et Bavel vont durer trois ans. La 1ère mission exploratoire à Mondolkiri 200 lieu le 7 février 1992.

Après sa visite au Cambodge en 1992, du Président François Mitterrand, le champ de la Coopération Française s’élargit à l’Asie. Avant 1993, il n’y avait aucune représentation diplomatique française ; le premier ambassadeur français, Coste, est arrivé en 1993. Le premier délégué culturel français, Xavier Rose, est arrivé au milieu des années 1990 pour monter l’Alliance française.

200 Province du Nord-est coupée du monde et seulement accessible par petit avion, elle est située sur un plateau et est composée de forêts primaires encore peuplées de tigres. Les ¾ de la population sont des minorités ethniques.

90 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Communications : « On communiquait grâce à la radio Senlis, en principe destinée aux bateaux. On passait des nuits à essayer d’avoir la communication, ça coupait sans arrêt, puis on nous mettait en liste d’attente : ‘Donnez votre position, latitude et longitude svp’, ‘Euh, non, ici MDM Phnom Penh’, ‘MDM vous êtes en position 7…’ Tout le monde pouvait entendre ces communications.

Il y a eu beaucoup de problèmes avec les expatriés: « Il y en a eu qui ne supportaient plus le pays, ou les Cambodgiens, ou la nourriture. D’autres ont eu des problèmes psychiatriques. Bref, des expatriés, j’en ai rapatrié 17 en tout, je les ai comptés ».

Nous détaillerons dans le deuxième acte (II.G) l’historique des activités réalisées par MDM entre 1990 et 2008.

I.E. SPHERE INDIVIDUELLE

I.E.1. Chapitre premier : 1980-1990

Lorsque nous sommes revenus dans notre village de Ta Ngaeuv, à Chba Ampeuv, en janvier 1980, nous avons trouvé notre maison détruite par la guerre. Des soldats vietnamiens occupaient notre terre. Ils ne nous ont pas permis de nous y installer. Nous avons patienté pendant deux mois avant qu'ils nous autorisent à revenir chez nous. Pendant cette période, nous avons vécu dans une habitation de fortune que nous avions aménagée sur une dalle en béton. Les soldats vietnamiens nous ont finalement donné un peu de métal pour que nous fassions un toit. Ils nous ont donnés aussi un peu de riz. Pour pouvoir manger, nous allions chercher dans un village des restes de gerbes de riz tombées après la récolte du paddy. Mon père, lui, allait pêcher. Et ma grande sœur travaillait avec les soldats vietnamiens, elle gardait un entrepôt. Je suis retournée à l'école, en 1980, en classe de troisième. Mon père plantait des fleurs et des légumes. Moi et mes sœurs nous l’aidions autant que nous pouvions en dehors de nos activités respectives. Et aussi, dès que nous le pouvions, nous allions chercher des liserons d’eau pour manger. En 1985 je suis sortie de l’école et j’ai appris la pédagogie à l’école d’O’ Baek Khorn, en banlieue de Phnom Penh car je voulais devenir enseignante dans le primaire. En réalité, mon rêve aurait été de travailler comme hôtesse de l’air, dans les avions. Mais ce n’était pas possible car je n’avais pas assez d’éducation. Cela m’a déçue, mais je ne pouvais rien y faire.

En 1986, j’ai commencé à enseigner aux classes de 5ème et de 6ème au collège « Cuba ». Le proviseur de l’école m’a alors proposé d’apprendre le métier d’infirmière, parce qu’il savait que j’étais sérieuse dans mon

91 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir travail et qu’il voulait m’aider. Il avait besoin d’une infirmière pour l’école. Il avait confiance en moi : j’étais membre de l’association des enseignants, et il connaissait ma nature à aider les autres. Il disait que j’étais intelligente. Le proviseur de l’école a beaucoup compté pour moi. Je lui demandais souvent conseil. C’était un professeur qui avait été promu à ce poste pendant le régime communiste (République Populaire du Kampuchéa). Il était strict, mais aimable et savait aider les autres. Il n'était pas corrompu. A l’époque, il avait une quarantaine d’année. Maintenant, il a une soixantaine d’années et est toujours proviseur de cette école.

En 1987, j’ai donc appris pendant un an les soins de base d’infirmerie au centre de la mère et de l’enfant de la municipalité (de Phnom Penh) : santé générale, soins primaires, pharmacologie traditionnelle et moderne, injections, etc. Une fois diplômée infirmière, j’ai été affectée à l’école Cuba, en 1987. J’y ai travaillé dix ans. Mon diplôme en poche, j’aurais voulu poursuivre mon apprentissage par de vraies études de médecine, malheureusement ce n’était pas possible, je n’avais pas d’argent. Et puis, de toute façon, j’aurais risqué la prison à m’acharner à vouloir étudier alors que l’état m’avait déjà placé comme infirmière à l’école. Le régime communiste ne plaisantait pas.

En 1988, j'ai suivi un stage d'urgences médicales d'un mois à la faculté de médecine, donné par la Croix-Rouge cambodgienne. Au collège Cuba, en tant qu'infirmière scolaire, mon travail consistait à faire des soins primaires aux élèves, des pansements, etc. Mon salaire n'était pas élevé, mais à l'époque, cela suffisait. Les marchandises n'étaient pas aussi chères qu'aujourd'hui, et aussi, l'Etat fournissait aux fonctionnaires comme moi du riz, de l'huile et du savon. Lorsque nous étions malades, ma famille et moi, de maladies courantes, pas graves, nous allions au centre de santé communal de la Croix-Rouge, à Chba Ampeuv. Un jour, en 1984, je me suis mise à saigner du nez, et malgré des applications de citronnelle, ça ne s'arrêtait pas. On m'a emmené à l'hôpital, on m'a donné des médicaments, j'avais une veine qui avait explosé dans le front. Cela m'est arrivé aussi plusieurs fois, peut- être une fois par an en moyenne, d'avoir des fièvres élevées et de m'évanouir. Là aussi, on me soignait gratuitement à l'hôpital. Je ne sais pas ce que c'était. Je ne me rappelle plus des maladies les plus courantes à cette époque, au milieu des années 80, mais il y avait beaucoup de diarrhées, de vomissements, de conjonctivites, etc. Ce qui est sûr, c'est que personne n'a entendu parler du Sida à cette période, en tout cas pas moi et ni mon milieu proche. Quant aux guérisseurs khmers traditionnels, les kru khmer, je ne suis jamais allé les voir, je ne crois pas à leur efficacité, comme le reste de ma famille en général. Mais je me souviens qu'un de mes petits neveux en a vu un quand il a eu la fièvre dengue. Le kru khmer lui a prescrit du lait de coco, certaines feuilles et du lait maternel, mais je ne ma rappelle plus du résultat, et j'en doute de toute façon. Cependant, ma mère m'a déjà

92 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 envoyé chez des kru khmer pour m'obtenir une ceinture magique, faite de fils de coton sur lesquels des feuilles de plomb bénits sont enroulées, qui se porte aux hanches et qui est censée protéger du malheur. Cela se pratiquait souvent pendant le régime de Pol Pot, les Khmers rouges autorisaient la pratique des kru khmer. En 1977, je me plaignais souvent de faire des cauchemars et de voir des fantômes. Ma mère m'a donc envoyée chez un kru khmer pour avoir une ceinture et me faire arroser d'eau lustrale (sraoch teuk). Au niveau familial, nous habitions toujours au même endroit. Mes trois sœurs se sont mariées, et moi, je restais seule et désireuse de le rester, pour l'instant en tout cas. Je ne connaissais pas encore mon futur mari.

Pour ce qui est de la religion, je suis bouddhiste, tout comme mes parents. C'est la tradition dans la famille, et au Cambodge. Je ne crois pas aux autres religions. La religion est importante pour aider à devenir une bonne personne. Je crois au karma, à la réincarnation. Mais je ne crois pas les diseurs de bonne aventure, et ne crois pas non plus aux fantômes. Je vais au wat, à la pagode, à chaque jour saint brûler de l'encens et prier le Bouddha. Je donne de la nourriture aux bonzes lorsqu'ils quêtent le matin, en file indienne, dans la rue. Je donne aussi un peu d'argent quand je rencontre un mendiant, un handicapé. Selon le bouddhisme, faire du bien rapportera des bénéfices, et inversement. J'y crois. Malgré cela, la religion n'est pas une priorité pour moi, j'ai bien d'autres choses à penser, mais j'y pense quand même.

I.E.2. Chapitre second : 1991-1994

En mars 1991, j'ai rencontré mon futur mari. Son oncle nous louait de la terre où il avait installé un petit commerce de recharges de batteries de voiture pour les villageois. Il nous a proposé de marier son neveu avec moi. Au début, j'ai refusé. Je n'avais pas envie de me marier, d’abord parce que les hommes qui me faisaient des propositions de mariage étaient toujours plus jeunes que moi, ce qui est difficile à accepter pour une femme au Cambodge, et aussi parce que je voyais l’exemple d’un de mes beaux-frères marié à une de mes sœurs : il buvait, jouait, la frappait, et bien qu’ayant deux enfants, il ne pouvait jamais subvenir aux besoins de la famille. Un autre de mes beaux-frères, conducteur de moto-remorque, était un peu pareil au début, mais lui, il s’est amélioré, il a cessé de jouer et de boire. Je n’étais donc vraiment pas enthousiaste à cette idée. A cette époque, j’avais 23 ans, et lui, 25 ans. Il était militaire et travaillait à la prison militaire de Phnom Penh, où sont maintenant incarcérés les responsables khmers rouges Duch et Ta Mok.

93 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Nous nous sommes mariés trois mois seulement après notre rencontre, en juin. Même avant notre mariage, il me menaçait déjà : « Si tu refuses de te marier avec moi, je te kidnapperai », me disait-il. J’ai donc accepté. Après le mariage, lorsque nous avons eu des enfants, il menaçait aussi de partir avec les enfants si jamais je décidais de le quitter. Il m’a déçue tout de suite. Il n’était jamais à la maison. Il ne faisait que sortir avec ses collègues, le soir. Ils allaient boire, et je suppose qu’ils allaient aussi chercher des filles dans les bordels. C’est ce que font habituellement les hommes. Il ne me cherchait pas tellement d’histoires, mais rentrait à la maison en pleine nuit, quelque fois à l’aube. C’était une situation très difficile pour moi, d’autant que je ne pouvais pas divorcer.

Le 1er mars 1992, notre première fille est née.

A la fin 1993-début 1994, nous nous sommes violemment disputés à propos de ses sorties nocturnes. Cela a débouché sur une séparation qui a duré trois mois. Moi et le reste de ma famille continuions toujours à habiter le village de Ta Ngaeuv, dans notre maison. Mais mon mari n’habitait plus chez nous, il couchait à la prison militaire… ou ailleurs. Finalement, mes beaux-parents ont plaidé pour un règlement à l’amiable, ils voulaient que les choses rentrent dans l’ordre. J’ai donc fait jurer à mon mari de ne plus sortir. Il a juré, et est revenu à la maison. Et c’est vrai qu’il s’est complètement calmé à partir de là, il n’est plus sorti. Mais je reste persuadée que c’est pendant cette période de séparation qu’il a été infecté. Ou peut-être même avant. En tout cas, notre deuxième fille est née le 17 août 1994. Malgré tout, un semblant de bonheur est revenu à la maison après que mon mari eu juré de ne plus sortir. Je n’étais toujours pas satisfaite de lui, je pensais toujours que ce n’était pas un bon mari, mais je devais bien admettre qu’il y avait quelques progrès : il faisait la cuisine à la maison, s’occupait davantage des enfants, etc.

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DEUXIÈME ACTE : PROGRAMMES & RÉSULTATS (1995-2008)

Nous avons décrit cette nouvelle maladie, nous avons vu comment elle s’est répandue de part le monde et nous pouvons maintenant mieux comprendre de quelle façon elle s’est installée au Cambodge. Chaque pays possède une épidémie particulière liée à son histoire et à son contexte. Le Cambodge, qui n’a pas été épargné, a réagi à sa manière. Son histoire l’a rendu vulnérable en préparant un terrain favorable à l’expansion du virus mais l’a aussi rendu plus à même de le combattre par la présence de nombreux intervenants étrangers. En effet la qualité et la force de ce combat ont dépendu non seulement de la volonté politique du pays mais aussi de l’intervention financière et stratégique de l’extérieur. Reste que ces interventions sont arrivées avec un certain décalage et qu’elles n’ont pas toujours été aisément adaptées au contexte local. La Thaïlande a été en cela d’une aide non négligeable étant donné leur antériorité épidémique, leur expérience dans la lutte et leur proximité culturelle.

Nous allons donc décrire la réaction cambodgienne en la replaçant dans la dynamique internationale, laquelle a évolué par « modes » successives en fonction des évolutions de la recherche mais aussi des expériences pilotes, des changements politiques et des réactions des organisations civiles luttant contre les inégalités nord-sud.

Il est possible de retrouver plusieurs grandes périodes dans l’historique de ces actions : D’abord et tout naturellement la phase de la prévention : suite à la meilleure connaissance des modalités de transmission, des campagnes d’informations, d’éducation et de « condomisation » ont vu le jour. Puis vint la période de la prise en charge des IST parmi les populations à risque, le soutien des patients à leur domicile par le « Home Based Care » (HBC) et enfin le « Continuum of Care » (CoC), lequel devait apporter, au niveau d’une structure de santé, toutes les aides dont un patient séropositif pouvait avoir besoin.

95 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.A. La Prévention et le dépistage (1995-2008)

II.A.1. Actualités 1995-1996

 DANS LE MONDE (1995-1996)

En décembre 1995 il était estimé que 201: - 20,1 millions d’adultes vivaient avec le VIH ou le Sida. - La prévalence était toujours la plus importante en Afrique du Sud, de l’Est et Centrale - L’épidémie était en train de s’étendre vers les régions rurales et aussi vers l’Inde et l’Asie du Sud-est. - 90% des nouvelles infections ont lieu dans les pays en développement

La figure 13 nous illustre l’irrésistible progression du virus et de ses conséquences létales durant cette période. Aux USA, entre 1982 et 1995, la mortalité due au Sida a dépassé toutes les autres causes et sa stagnation constatée en 1995 est surtout due à l’arrivée des ARV. En Afrique Sub- saharienne les proportions étaient bien supérieures au reste du monde et l’évolution de la mortalité était exponentielle.

Figure 14 : Evolution du nombre annuel de Décès du au Sida en Afrique sub-saharienne (population 640 millions) et aux USA (population 273 millions) entre 1980 et 1995. Distribution des causes de mortalités aux USA de 1982 à 1995 parmi une population âgée de 25 à 44 ans. Source: ONUSIDA et US Centers for Disease Control and Prevention

201 MERTENS TE, LOW-BEER D. HIV and AIDS: where is the epidemic going? Bull World Health Organ. 1996 ; 74 (2) : 121-129.

96 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 1995, alors que l’AZT, la ddI, la ddC, la d4t ont déjà été découverts, c’est la lamivudine (3TC), un analogue de la cytosine, qui est enregistré, permettant de tester de nouvelles associations entre les inhibiteurs de la transcriptase inverse. Il a fallu attendre la fin 1995 pour assister à l’arrivée décisive des premiers inhibiteurs de la protéase agissant sur l’assemblage final des protéines virale et 1996 pour voir naître la classe des inhibiteurs non-nucléosidiques de la transcriptase inverse. Dès ce moment les combinaisons entre ces 3 classes permirent de ralentir significativement le développement viral en agissant sur des sites clé de la machinerie biologique. Alors que les CD4 remontaient plus rapidement, plus haut et plus durablement, les conséquences cliniques étaient aussi visibles avec une diminution de l’apparition des infections opportunistes (et donc du Sida) et des décès. C’est ce qu’il fut constaté dans les pays développés où l’accès aux thérapies était possible. Pourtant les stratégies thérapeutiques ont du évoluer. En effet, il fut vite clair que l’éradication n’était pas encore possible (en raison de réservoirs de virus quiescents dans les organes) et qu’il fallait trouver le moment le plus propice pour démarrer le traitement, en tenant compte des bénéfices pour l’immunité et des effets secondaires. La durée de la thérapie était devenue illimitée, ce qui était une bonne nouvelle pour les compagnies pharmaceutiques mais pas pour les patients ou les acteurs de santé.

En 1996, dans les pays développés l’incidence était en diminution grâce à une plus grande sensibilisation et une utilisation plus systématique du préservatif dans les milieux homosexuels et hétérosexuels. Dans les pays en développement la transmission sexuelle représentait 70-80% des cas et la prévention se basait principalement sur des campagnes massives d’information, sur l’apport de services spécialisés pour des groupes spécifiques, et sur la modification des comportements sexuels. Cependant, cette dernière action n’avait pas souvent les effets escomptés car les programmes cherchaient à influencer les comportements des personnes sans prendre en compte les facteurs contextuels qui pouvaient en limiter l’acceptation202.

L’ONUSIDA est créé.

202 CRUZ-GROTE D. Prevention of HIV infection in developing countries. Lancet 1996 ; 348 (9034) : 1071-1074.

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 ETAT DES STATISTIQUES ET ENQUETES NATIONALES

ENQUETES AUPRES DES POPULATIONS A RISQUE

En 1995, le PNLS a établi le système de surveillance des tendances de l’infection à VIH par réseau sentinelle à grand échelon (HIV Sentinel Surveillance: HSS). Le protocole pour cette surveillance a été élaboré par le PNLS et les experts de l’OMS d’après la recommandation de l’OMS/GPA (Organisation mondiale de la Santé/Global Program on AIDS). Les objectifs étaient de : . déterminer la distribution géographique de l’infection à VIH . suivre les tendances de l’infection à VIH en fonction du temps et du lieu . fournir les informations pour établir l’estimation des cas de l’infection à VIH et les projections des cas de SIDA à l’horizon 2000 . renforcer l’engagement des responsables politiques, des bailleurs de fonds . évaluer l’impact des activités de prévention et de lutte,

Pour cette surveillance, le PNLS a sélectionné huit groupes de population selon des critères « aisés à identifier et facilement accessibles pour les enquêtes » : prostituées, danseuses, policiers, soldats, gendarmes, démineurs, tuberculeux et les femmes enceintes. 8 provinces les plus à risque et les plus peuplées ont été sélectionnées comme site de surveillance. Le PNLS a pris comme taille de l’échantillon de 100 à 250 pour les groupes de populations par site.

A partir de ces données et les autres données disponibles (banques de sang, organisation internationale de migration...) le PNLS, aidé par les experts de l’OMS/GPA, a estimé que le nombre de personnes infectées par le VIH se situait entre 50 000 et 90 000.

En 1996, le PNLS dans le but de suivre les tendances, déterminer la distribution géographique de l’infection à VIH, a réduit les groupes de population à 5 groupes et a élargi à 18 les sites de surveillance. Il y était aussi inclus un relevé épidémiologique des IST. Dans cette surveillance, le PNLS a gardé les mêmes tailles des échantillons. Basé sur ces données, le PNLS estima qu’il y avait entre 70 000 à 120 000 personnes infectées. Le tableau de la page suivante illustre

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Groupes de population 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1998 Prostituées 9,5% 39,4% 37,9% 40,9% 42,6% Lanceuses 25% 19,1% Policiers 8,1% 5,5% 6,2% Soldats 8,1% 5,9% Gendarmes 8,2% Démineurs 9,9% Patients atteints d'IST 4,5% 9,1% Donneurs de sang 0,08% 0,44% 2,24% 3,01% 4,5% 5,6% Tuberculeux 8,61% 2,5% 3,9% Femmes enceintes 2,6% 1,7%

Tableau 3 : Séroprévalence parmi les groupes à risque de 1991 à 1998 Sources : National Aids Control Program/Ministère de la Santé, 1996. Report on Sentinel Surveillance in Cambodia, 1998

DECLARATIONS AU PNLS DES CAS VIH ET SIDA :

Jusqu’à une époque récente les hôpitaux du pays n’avaient pas les moyens de dépister l’infection à VIH et de diagnostiquer la maladie, rendant incomplètes leurs informations déclarées au PNLS. Cependant un accroissement est tout de même constaté.

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Total AIDS 0 0 0 1 14 91 300 406 HIV 0 3 91 205 660 2611 4541 8111

Tableau 4 : Déclarations au PNLS des cas VIH et Sida Source : STI/HIV/AIDS Surveillance report, Special Edition, n°14, Octobre 1999, p8.

II.A.2. Stratégie nationale

Le « National Strategic Plan on AIDS 1998-2000 » conçu en 1997, donnait la priorité à la prévention et aux soins avec une focalisation particulière sur certaines provinces et certains groupes de population (prostituées et leurs clients, populations migrantes, les partenaires sexuels de ces populations, les personnes vivant avec le VIH). Pour la première fois les soins et le soutien aux PVVS faisaient partie du programme national. Cependant, en 1997, l’ONUSIDA au Cambodge estimait que pour mettre en application la totalité du « National Strategic Plan on AIDS », 4 millions de dollars supplémentaires devaient être apportés tous les ans 203.

203 PIOT Peter. Presentation to the first national conference on HIV/AIDS in Cambodia. 1999.

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La création en 1999 de la « National AIDS Authority » (NAA) devait permettre le développement des stratégies, la coordination interministérielle des activités, la mobilisation des ressources et la supervision des programmes. Cependant le NAA rencontra de gros problèmes de financement et de coordination avec les partenaires 204.

II.A.3. Actions et résultats

En dehors des campagnes d’information, de l’éducation donnée aux populations à risque, des programmes plus spécifiques destinés à diminuer la transmission du virus directement ou indirectement, ont été mis en place. Il s’agit de la sécurité transfusionnelle des centres de dépistage, du programme « 100% condom » et de la prévention de la transmission materno-fœtale. L’OMS conseillait aux pays de dépenser 1 dollar par habitant et par an pour la prévention. En 1995, alors que la Thaïlande dépensait 80 millions de dollars pour 60 millions d’habitants, le Cambodge n’avait à disposition que 200 000 dollars pour 10 millions de personnes.

 SECURITE TRANSFUSIONNELLE

Le Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS) a été créé en 1991 par la croix Rouge Internationale et Cambodgienne. Une vingtaine de centres provinciaux furent ensuite créés. Un dépistage systématique du VIH, des hépatites B et C, de la syphilis et du paludisme (pour les zones endémiques) était effectué. Le dépistage du VIH suivait le protocole de l’OMS (1 test par agglutination partielle et 1 test Elisa). Malgré la grande sensibilité de ce protocole, 1% des donations de sang pouvaient encore être contaminants (soit 200-300 par an). Le risque provenait surtout des donneurs professionnels qui, pour 40 à 60$, donnaient leur sang à la demande de familles. Cette population, qui représentait 70 à 80% des donneurs, étaient principalement des ouvriers, des chauffeurs de « moto-taxi », appartenant à des groupes à risque. En 1999, le sang provenant de ces donneurs était positif pour 5% d’entre eux, contre 0,5 à 0,9% pour les autres groupes de donneurs. En moyenne le pourcentage de séropositivité était de 4,1% (0,5% en Thaïlande). Il est à noter que jusqu’en 1998 des campagnes de « donations volontaires » ont été réalisées parmi les militaires, qui étaient une population à très grand risque. Ainsi, le pourcentage de séropositivité parmi les volontaires est passé de 4,2% en 1998 à 0,5% en 1999.

204 POLLIE B, CHAN K, HEAN S. Care and Support for people living with HIV/AIDS. Center for Advanced Study. Mars 2000.

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 CENTRES DE DEPISTAGE ANONYMES ET GRATUITS (CDAG)

Les centres de dépistage jouent un rôle essentiel comme porte d’entrée vers les services de soins et de soutien, et ils peuvent permettre d’informer les bénéficiaires sur les voies de transmission, la prévention et les comportements à risque.

C’est à partir de 1987 que les tests pour le VIH ont été disponibles à l’Institut pasteur du Cambodge. Mais ils étaient surtout destinés à effectuer des enquêtes de surveillance et à tester le sang des donneurs 205. La première politique nationale concernant le dépistage et le conseil a été développée en 1995. C’est cette même année que le premier Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit du Cambodge a été installé par l’Institut Pasteur, grâce à un financement de la Coopération Française. L’objectif de ce centre n’était pas seulement de faire des tests mais aussi et surtout de participer à la prise de conscience de la population. Ce centre était le centre de référence qualité. A posteriori ce retard dans le développement d’un réseau de centres de dépistage semble compréhensible. Cela représentait un coût, une organisation et des ressources humaines qui n’étaient pas disponibles et les stratégies nationales peinaient à entrer en action par manque de ressources financières. De plus la population n’était pas prête. Non seulement elle n’était pas encore suffisamment informée sur le Sida mais même quand elle l’était, elle n’y croyait pas. A cela nous devons ajouter que les priorités de la survie quotidienne dominaient l’hypothétique risque de mourir dans 10 ans et que l’absence de traitement enlevait tout intérêt au fait de connaître son statut sérologique.

Par la suite, en 1996, 5 centres furent établis avec le soutien de la Coopération Française : Centre National de Dermatologie et des IST, hôpital Preah Bat Norodom Sihanouk, hôpitaux provinciaux de Battambang, Siem reap et Kompong Cham. En 1997 un autre CDAG a été ouvert à l’hôpital Calmette.

Durant les premières années la fréquentation de ces centres était basse, excepté pour le centre de l’Institut pasteur qui à lui seul effectuait plus de tests que tous les autres centres combinés.

205 National AIDS Committee, Ministry of Health. Comprehensive National plan for AIDS prevention and control, in Cambodia 1993-1998. Phnom Penh, Cambodia 1993.

101 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Ce n’est qu’au début des années 2000, avec l’augmentation du nombre de sites offrant un dépistage gratuit que la fréquentation de ces centres a augmenté passant de 12 en 2000 à 212 en décembre 2008 (figure 15).

Figure 15 : Evolution du nombre de CDAG de 1995 à décembre 2008 Source: NCHADS. 4th Quarterly Comprehensive Report. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme. 2008.

La conséquence a été une augmentation parallèle du nombre de tests effectués. Ainsi ce nombre est passé de 1 766 durant 1997 à 299 368 en 2008 (figure 16).

Cette augmentation du nombre de tests était due à un meilleur accès au dépistage, à une intensification de l’information, à une augmentation de l’accessibilité aux ARV 206 , 207 et à l’accroissement du nombre de décès dus au Sida dans la population. Cette vague de mortalité devint le vecteur d’une prise de conscience de la réalité de la maladie mais aussi d’une extension de la peur et de la discrimination.

Le conseil et l’information apportés autour du dépistage, essentiels pour le patient, sa famille et la continuité des soins, étaient souvent incomplets, en raison d’un manque de formation spécifique. En effet, dans la majorité des cas, un infirmier de l’hôpital, ayant reçu une formation en éducation thérapeutique fera aussi fonction de travailleur social et de psychologue.

206 Des constatations similaires ont été faites dans tous les pays où les ARV sont devenus accessibles. Par exemple à Khayelitsha en Afrique du Sud où MSF Belgique a noté que le nombre de dépistage annuel est passé de 500 à 14 000 suite à l’introduction des ARV. 207 MSF. HIV/AIDS treatment in South Africa proves success in the poorest conditions. [Consulté le 16/12/2006]. Disponible à partir de l’URL : www.msf.org/.

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Figure 16 : Evolution du nombre de tests réalisés par les CDAG nationaux de 1997 à 2008 Source: NCHADS. 4th Quarterly Comprehensive Report. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

Sur les quatre dernières années (2005-2008) nous remarquons (figure 17) que la prévalence pour le VIH parmi les personnes testées dans les CDAG était en nette diminution. Il est difficile de relier ce phénomène à une seule raison car la population est hétérogène, non représentative et à risque (pourcentage de séropositivité supérieur à la prévalence nationale). Cependant, la taille de l’échantillon étant importante et la baisse étant stable, cette courbe pourrait refléter une réelle tendance à la baisse du taux de séropositivité parmi la population générale. Durant l’année 2008, 11 680 tests étaient positifs, soit 3,9%.

Figure 17 : Evolution du taux de séropositivité parmi les tests sanguins réalisés au sein des CDAG (2005 - 2008) Source: NCHADS. 4th Quarterly Comprehensive Report. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

103 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 100% CONDOM

La première expérience du programme « 100% Condom » a été réalisée avec succès en Thaïlande dès 1989. Le principe était simple : rendre obligatoire l’utilisation du préservatif dans les bordels sous peine de fermeture de l’établissement. Ainsi les propriétaires de ces lieux devenaient les ardents promoteurs de l’initiative. Ceci permettait aussi d’éviter la fermeture aveugle (et vaine) des bordels qui ne faisait que forcer les prostituées à travailler dans des lieux de plus en plus illégaux, limitant l’accès à l’information et la prévention. Ce programme a montré un très bon rapport coût/efficacité avec une chute notable de la transmission des IST. Au Cambodge, en 1996, le taux d’utilisation du préservatif était encore bas parmi les groupes à risque et la séroprévalence parmi les prostituées s’accroissait (figures 18, 19).

Figure 18 : Evolution du pourcentage d’hommes et de femmes de groupes spécifiques utilisant toujours le préservatif entre 1996 et 1998 Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

Figure 19 : Séroprévalence parmi les prostituées directes Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

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Devant cette évolution et en se basant sur le modèle thaïlandais, le Cambodge a lancé un programme pilote en octobre 1998 dans la ville portuaire de Sihanoukville . Les objectifs étaient de 208: . Réduire la transmission du VIH . Augmenter l’utilisation des préservatifs à plus de 90% dans les bordels . Contrôler et surveiller le commerce du sexe plutôt que fermer les bordels . Donner aux prostituées un accès à des programmes d’assistance . Prendre en charge les IST parmi les prostituées

Le programme nécessitait une étroite collaboration entre les bénéficiaires, les propriétaires des bordels, les structures de santé, la police et les autorités locales.

Les études de surveillance montrèrent une plus grande utilisation des préservatifs (figure 20) et l’impact sur la transmission des IST a été vite significatif (par exemple la syphilis a chuté de 9% en 1998 à 1,8% en 2000 209) indiquant indirectement que le taux de transmission du VIH pouvait avoir diminué. La chute de la prévalence parmi les prostituées sembla le confirmer (figure 21).

Figure 20: Evolution du pourcentage d’hommes et de femmes de groupes spécifiques utilisant toujours le préservatif entre 1997 et 1999 Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

208 WHO, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001. 209 SENG S. The impact of the 100% condom use campaign combined with systematic STI treatment for sex workers in Sihanoukville, Cambodia.

105 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 21 : Evolution de la prévalence du VIH parmi des groupes sentinelles à Sihanoukville entre 1998 et 2000 Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

Parallèlement, logiquement et heureusement la vente et la distribution des préservatifs augmentèrent (figures 22, 23). Une ONG Australienne (PSI : Population Service International) commercialisait à bas prix des préservatifs (1$ pour 100 préservatifs) dans tous les lieux où ils pourraient être nécessaire. Le tarif proposé était plus attrayant que les préservatifs « de luxe » dont le prix pouvait équivalent à la moitié du prix payé pour le rapport sexuel. 160 millions de préservatifs auraient été vendus entre 1995 et 2006. Actuellement PSI en vend 20 millions par an.

Figure 22 : Evolution des ventes de préservatifs entre 1995 et 2001 Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

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Figure 23 : Evolution de la distribution gratuite de préservatifs entre 1991 et 2001 Source: OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

A la fin 1999, devant les résultats préliminaires de Sihanoukville, il a été décidé d’étendre ce programme à un niveau national :

Sihanoukville

Figure 24 : Expansion géographique des sites 100% condom au Cambodge Source : OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

Cette stratégie possédait cependant quelques lacunes : elle ne comportait pas d’information sur le consentement, ni sur l’aspect volontaire ou obligatoire des consultations IST, ni encore d’allusion au dépistage du VIH et à la confidentialité 210. Tous ces aspects laissent place à des interprétations

210 LOWE D. Perceptions of the Cambodian 100% Condom Use Program: Documenting the Experiences of Sex Workers. Draft report to the Policy project. January 2003.

107 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir locales, avec différents types de pressions exercées sur les propriétaires de bordels et sur les prostituées. Des révisions du programme ont eu lieu au cours des années, mais sa mise en place a régulièrement rencontré des obstacles. Le contexte cambodgien en a été un, comme nous pouvons le voir par une comparaison au programme thaïlandais :

. La police Thaïlandaise procurait les préservatifs gratuitement aux prostituées alors que ce n’était pas réalisé uniformément au Cambodge. . La Thaïlande avait un réseau de cliniques IST déjà bien fonctionnel avant même la mise en place du programme 100% condom, ce qui n’était pas le cas au Cambodge. . La Thaïlande se basait sur l’examen des hommes pour vérifier l’utilisation des préservatifs dans les bordels, alors qu’au Cambodge la vérification se faisait au niveau des prostituées en raison de la trop faible fréquentation des cliniques IST par les hommes. . La Thaïlande a soutenu son programme par une campagne médiatique intensive.

De façon anecdotique nous noterons une remarque faite par le Dr Tia Phalla, Secrétaire Général du National Aids Authority en mars 2000 211 : comme nous pouvons le voir sur le tableau ci- dessous (tableau 5), si nous prenons une population fictive de 1000 prostituées, les calculs des risques de contamination du VIH parmi les hommes sont les mêmes entre 1992 et 1999 malgré une augmentation de l’utilisation des préservatifs. Cela tient à l’augmentation rapide de l’épidémie au milieu des années 1990, avant le démarrage de ce programme « 100% Condom ». Ces quelques années de différences ont pénalisé, non pas le succès de la mise en place du programme, mais son impact sur l’épidémie. Cependant, il parait fort probable que la situation aurait pu être pire : en extrapolant, si en 1999 le taux d’utilisation du préservatif était resté à 10% mais avec une prévalence à 57%, le nombre d’hommes exposés aurai été de 1 539 par jour.

1992 1999 A Nombre de prostituées 1 000 1 000 B Taux de séropositivité 9% 57% C Taux d'utilisation du préservatif 10% 85% D Nombre moyen de clients par jour 3 3 E Nombre d'hommes exposés au VIH* 243 257 *AxBx(1-C)xD

Tableau 5 : Evolution du taux d’exposition au VIH des hommes entre 1992 et 1999 en fonction du taux de séropositivité des prostituées et du taux d’utilisation du préservatif. Source: Phalla T. Why Cambodia is adopting 100% condom use policy. 2000.

211 PHALLA T. Why Cambodia is adopting 100% condom use policy. Revue des praticiens du Cambodge, Phnom Penh ; 4 (1) : 131-135.

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Enfin, il nota que malgré les conseils donnés sur la fidélité et sur la protection par un préservatif, tous les jours 20 000 hommes utilisaient l’industrie du sexe et 100 hommes étaient contaminés par le VIH et la prévalence semblait stagner. Il constatait que « l’action combinée des institutions gouvernementales pour l’information, éducation et la communication, ainsi que la promotion pour un changement de comportement paraît incapable de réduire la propagation du VIH. […] Devant la gravité d’une telle situation, il est inutile de dépenser autant de temps et d’argent à répéter les erreurs passées car le résultat est la mort à brève échéance. C’est pourquoi la politique d’une utilisation systématique, à 100% des préservatifs doit être impérative pour pouvoir vaincre le VIH/Sida au Cambodge ». Pourtant, alors que ce programme faisait toujours partie intégrante du "Health’s Strategic Plan for HIV/AIDS and STI Prevention and Care », les financements ont manqué pendant plusieurs années, entrainant l’arrêt du programme dans plusieurs provinces. En 2008 le NCHADS, grâce au Fonds Mondial, a relancé la campagne dans 8 provinces 212.

 TRANSMISSION MATERNO-FŒTALE

La transmission de la mère à l’enfant a été montrée dès 1982 sans que l’on sache alors clairement à quel moment cela pouvait intervenir. Il a fallu attendre quelques années avant de pouvoir mesurer les risques de transmission de la mère vers l’enfant. Les premières estimations donnaient des taux à : 15-20% en Europe, 16-30% aux USA, 25-40% en Afrique et 13-48% en Asie 213. En 2000, les pourcentages ont été affinés en ajoutant l’allaitement comme variable supplémentaire qui possède un risque non négligeable, pouvant aller jusqu’à 20% en fonction de sa durée et d’autres facteurs de risques liés à l’état du sein :

Taux de transmission (%) Moment de survenue de la Pas d'allaitement Allaitement au sein Allaitement au sein transmission au sein 6 mois 18-24 mois Au cours de la grossesse 5-10 5-10 5-10 Au cours du travail 10-20 10-20 10-20 Au cours de l'allaitement Précocement (<2 mois) 5-10 5-10 Tardivement (> 2 mois) 1-5 5-10 Total 15-30 25-35 30-45

212 NCHADS. Final Report on Launching of 100% Condom Use and Condom Promotion Campaigns. 2008 [Consulté le 25/04//2006]. Disponible à partir de l’URL : www.nchads.org 213 DABIS F, MSELLATI P, DUNN D et al. Estimating the rate of mother-to-child transmission of HIV. Report of a workshop on methodological issues Ghent (Belgium), 17-20 February 1992. The Working Group on Mother-to-Child Transmission of HIV. AIDS 1993 ; 7 (8) : 1139-48.

109 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Tableau 6 : Risque estimé et moment de survenue de la transmission du VIH de la mère à l’enfant Source : De Cock KM, Fowler MG, Mercier E, et al. Prevention of mother-to-child HIV transmission in resource-poor countries: translating research into policy and practice. JAMA 2000 ; 283 (9) : 1175-1182.

Dans le monde, il était estimé que 300 000 enfants étaient nés avec le VIH en 1998 214, et 420 000 en 2007 215.

L’allaitement

Concernant la transmission par le lait maternel, différentes approches successives ont été préconisées. Initialement le recours au lait artificiel a été recommandé, cependant dans certains pays où ce lait était peu accessible et où le risque de mortalité infantile était élevé (plus élevé que le risque de transmission), il était préférable de conserver l’allaitement maternel. Ce d’autant que ce lait par sa composition en certaines immunoglobulines, semblait prévenir les infections digestives. L’OMS recommanda l’allaitement au sein exclusif, l’allaitement artificiel ne devant être utilisé que si c’était une solution praticable, financièrement acceptable et sûre.

Cette stratégie a été confirmée par une étude 216 qui a montré l’intérêt supérieur de conserver une alimentation maternelle plutôt que mixte (artificiel + maternel). La muqueuse intestinale serait mieux préservée et donc limiterait le passage du VIH, la mère ferait moins d’abcès mammaires responsables d’un risque accentué de passage du VIH. Parmi les 1 132 enfants nourris exclusivement au sein, 19,5% ont été infectés par le VIH avant l’âge de 6 mois. Le risque de transmission via l’allaitement était estimé à 4%. Le risque d’infection par le VIH était le double en cas d’alimentation mixte et jusqu’à onze fois plus élevé en cas d’association avec des aliments solides. Enfin, 6% des enfants nourris exclusivement au sein sont morts avant l’âge de 3 mois, contre 15% des bébés alimentés autrement. Les experts de l’OMS ont donc recommandé une alimentation au sein exclusive durant les 6 premiers mois de vie du bébé sauf si une alimentation de remplacement de bonne qualité sanitaire était accessible.

Les ARV pour la prévention de la transmission mère-enfant (PTME)

214 UNAIDS, WHO. Report on the global HIV/AIDS Epidemic. June 1998. 215 ONUSIDA. Le point sur l'épidémie de Sida : rapport spécial sur la prévention du VIH : décembre 2007. ONUSIDA /07.27F / JC1322F. 216 COOVADIA HM, ROLLINS NC, BLAND RM et al. Mother to child transmission of HIV infection during exclusive breastfeeding in the first 6 months of life : an intervention cohort study. Lancet 2007 ; 9567 (369) : 1107- 1116.

110 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En février 1994 un essai en double insu (PACTG 076 217 - ANRS 024) montra l’effet bénéfique de l’utilisation de l’AZT dans la réduction de la transmission : l’administration d’AZT à partir de la quatorzième semaine de grossesse jusqu’au travail ainsi qu’au nouveau né, avait pour effet de diminuer de 25% à 8% la transmission en l’absence d’allaitement au sein218. Cela a permis une diminution spectaculaire des infections pédiatriques dans les pays industrialisés. En 1996, une étude Thaïlandaise, AZT contre placebo en protocole « court » (AZT 300mgx2/jour dès la 36ème semaine d’aménorrhée jusqu’à la délivrance, utilisation d’un lait artificiel et pas de traitement de l’enfant) montra que, parmi un groupe de 1700 femmes, le taux de transmission chutait de 18,6% à 9,2% si l’AZT était utilisé 219,220. Les auteurs estimèrent que 80% de l’efficacité était due à la chute de la charge virale pendant l’accouchement. Par la suite d’autres essais cliniques apportèrent des modifications dans les schémas antirétroviraux et la durée de leur prescription 221. Un tournant important concernant cette prévention a été l’étude de l’administration de la névirapine à la mère au moment de la délivrance et à l’enfant juste après la naissance dès 1997 (PACTG 316222 et HIVNET 012 223). Cette technique permettait de diminuer le risque de transmission jusqu’à 3%224. Le problème concernait la transmission intra-utérine du virus sur laquelle la névirapine ne pouvait avoir d’effet. De fait, des essais ont été réalisés en associant la Zidovudine et la Névirapine montrant un bénéfice supplémentaire pour cette association 225. Ultérieurement il a été aussi montré que cette dose unique comportait un risque de développement d’une résistance à la névirapine, principalement chez la mère 226. Les résistances chez les enfants (mutation Y181C) étaient différentes de celles des mères (mutations K103N), confirmant

217 Protocole 76 du Pediatric Aids Clinical Trial Group 218 CONNOR EM, SPERLING RS, GELBER R et al. Reduction of maternal-infant transmission of human immunodeficiency virus type 1 with zidovudine treatment. N Engl J Med 1994 ; 331 (18) : 1173-1180. 219 CDC. Administration of Zidovudine during late pregnancy and delivery to prevent perinatal HIV transmission- Thailand, 1996-1998. MMWR 1998 ; 47 : 115-154. 220 SHAFFER N, CHUACHOOWONG R, MOCK PA et al. Short-course zidovudine for perinatal HIV-1 transmission in Bangkok,Thailand : a randomised controlled trial. Lancet 1999 ; 353 : 773-780. 221 GRAY G. Early and late efficacy of three short ZDV/3TC combination regimens to prevent mother-to-child transmission of HIV-1, Abstract LbOr5, 13th International AIDS Conference, Durban, South Africa, 9-14 July 2000. 222 DORENBAUM A. Report on results of PACTG 316: an international phase III trial of the standard antiretroviral prophylaxis plus névirapine for prevention of perinatal HIV transmission. Abstract LB7. 8th Conference on Retrovirus and Opportunistic Infections, February 2001; Chicago. 223 GUAY LA, MUSOKE P, FLEMING T, et al. Intrapartum and neonatal single-dose nevirapine compared with zidovudine for prevention of mother-to-child transmission of HIV-1 in Kampala, Uganda: HIVNET 012 randomised trial. Lancet 1999 ; 354 : 795-802. 224 FIORE S, NEWELL ML. Preventing perinatal transmission of HIV-1 infection, Symposium on Virology. Hospital Medicine 2000 ; 61 (5) : 315-317. 225 LALLEMANT M, JOURDAIN G, LE COEUR S et al. Single dose perinatal nevirapine plus standard zidovudine to prevent mother-to-child transmission if HIV-1 in Thailand. N Engl J Med 2004 ; 351 (3) : 217-228. 226 HEARD I. La névirapine dans la prévention de la transmission materno-foetale du VIH - Essai de traitement court randomisé, mutation de résistance. Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites mars/avril 2001 ; 91.

111 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir l’apparition des résistances au moment de la prise de NVP par l’enfant et non in utero via un transfert de résistance par la mère. Cependant, en 1997 on soulevait déjà des problèmes financiers conditionnant la mise en application de la PTME 227. Même si le protocole était « coût-efficace », le budget pour le mettre en place dans les pays en développement était trop élevé, non pas en raison des médicaments, mais surtout pour les ressources humaines et la logistique. De plus les protocoles AZT demandaient une visite précoce et régulière dans les maternités, ce qui n’était pas souvent le cas, les accouchements étant traditionnellement faits à la maison dans de nombreux pays. Il était donc recommandé d’utiliser un allaitement artificiel. Il fallut attendre le début des années 2000 pour assister à un accès élargi à la névirapine.

En 2000 est enfin née la notion, pourtant évidente, du « PTME-Plus ». Il était prévu, avec l’idée que le Sida était une maladie familiale, de prévenir la transmission mère enfant pour avoir un enfant en bonne santé, mais aussi de traiter la mère pour qu’elle puisse l’élever. Ce programme a commencé à prendre forme à partir de 2002, grâce à son intégration dans le « 3 by 5 » de l’OMS.

Modes d’accouchement

Les modes d’accouchement et leur rôle dans la transmission ont aussi été étudiés. Ainsi, d’après une étude datant de 1998, les femmes bénéficiant d’une césarienne préventive sans AZT avaient un taux de transmission de 10,4%, contre 19% par voie basse. Si l’AZT était utilisé, la césarienne faisait baisser ce taux de 7,3% à 2%228,229. Cependant la césarienne n’est pas un geste anodin car il augmentait la mortalité maternelle par un facteur 5, et les complications postopératoires apparaissaient 3 fois plus souvent chez les femmes séropositives 230.

227 CHAOUAT G. Le VIH, la mère et l’enfant. SIDALERTE février 1997 ; 61 : 19-22. 228 KIND C, RUDIN C, SIEGRIST CA et al. Prevention of vertical HIV transmission: additive protective effect of elective Cesarean section and zidovudine prophylaxis. Swiss Neonatal HIV Study Group. AIDS 1998 ; 12 (2) : 205- 210. 229 MANDELBROT L, LE CHENADEC J, BERREBI A et al. Perinatal HIV-1 transmission: interaction between zidovudine prophylaxis and mode of delivery in the French Perinatal Cohort. JAMA 1998 ; 280 (1) : 55-60 230 HEARD I. Progrès dans la prévention de la transmission materno-fœtale. XIIe conférence internationale sur le Sida, Genève. Numéro spécial ANRS-le journal du Sida-Transcriptase, automne 1998.

112 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Au Cambodge

Au Cambodge, en 2000, il était estimé que 15 637 enfants étaient séropositifs et que ce chiffre pourrait atteindre les 25 000 en 2005231.

En juin 2000 le Gouvernement finalisa sa politique nationale concernant la prévention de la transmission mère-enfant. En juillet le projet PERIKAM débuta à l'hôpital Calmette en collaboration avec l’Institut Pasteur du Cambodge et l’ANRS. Sur 1 an, ce projet de Réduction de Transmission materno-fœtale du VIH a reçu 2079 femmes à la clinique anténatale. 82% des femmes ont accepté le test et parmi elles 3,6% (61 femmes) ont été retrouvées HIV positives. 46 femmes et 55 nouveaux nés ont reçu un traitement. Protocole utilisé : dose unique 200 mg névirapine pour les femmes en travail avec un counseling en pré et post test, dose unique pour le nouveau né : 0,6ml de névirapine. Une visite trois mois après l’accouchement pour les femmes ayant été découvertes séropositives et traitées. Test PCR de l’enfant au cours de la visite de la mère au troisième mois, afin de déterminer son statut vis à vis du VIH. Ce projet s'est terminé en 2002 et a été repris par l'hôpital grâce à un financement de l'UNICEF. Deux autres centres ont aussi été développés par le Gouvernement : l’hôpital de référence de Battambang et le centre national pour la santé de la Mère et de l’Enfant. Cependant dans ces centres le taux d’acceptation du dépistage n’était que de 15%, probablement suite au manque d’encadrement par une équipe spécialisée dans ce type de conseil 232. Enfin, la connaissance de ce type de programme dans la population séropositive était presque nulle. Les recommandations concernant la grossesse se limitaient souvent à « ne tombez pas enceintes !». Dans le HSS 2006, les statistiques concernant les femmes enceintes dépistées dans les cliniques lors du suivi prénatal, montrèrent une tendance à la diminution du taux de séropositivité. Ce groupe de population reflète la fréquence du passage du virus des hommes vers les femmes de la population générale (figure 25). La tendance à la baisse semble coïncider avec l’amélioration d’autres paramètres comme la baisse de la prévalence dans la population générale, l’augmentation de l’utilisation des préservatifs et la diminution des IST dans les groupes sentinelles.

231 NCHADS, Consensus Workshop on HIV/AIDS in Cambodia, MOH/NCHADS, Phnom Penh, March 1999. 232 KHANA. Scaling Up Access to Anti-Retroviral Treatment in Cambodia. Report 2003.

113 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

En 2006 il était estimé que 1% des femmes enceintes étaient séropositives, soit 4 509 femmes pour 442 000 naissances vivantes. Sans intervention, environ 1 700 enfants pourraient être infectés par leur mère.

Figure 25 : Evolution de la prévalence du VIH parmi les femmes enceintes âgées de 15 à 49 ans, de 1995 à 2006 Source: NCHADS, HSS 2006

En décembre 2007 le Cambodge avait 99 sites dans 24 provinces proposant un service de PTME, dont 62 dans des hôpitaux de référence 233. De janvier à décembre 2008, parmi les 342 756 femmes enceintes, 97 796 (28,5%) ont eu des consultations prénatales, 67 973 ont été testées pour HIV et 63655 résultats ont été rendus. Malgré les efforts du gouvernement en 2008 pour augmenter le nombre de services PTME dans le pays, seulement 18,6% (63 655) des femmes enceintes cambodgiennes ont été testées pour le VIH et ont reçu leur résultat (figure 26). Ceci étant dit il y a un progrès par rapport à 2007 où elles n’étaient que 11,4% à avoir été testées.

233 NCHADS. Annual Report, 2007. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

114 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 26 : Activité des centres PTME en 2008 Source: NCHADS. Annual Report, 2008. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

Parmi ces 67 973 femmes enceintes testées, 383 (0.6%) étaient séropositives. De plus, 363 femmes enceintes et HIV positives connues ont été référées par des centres de soins, ce qui donnait un total de 746 femmes ayant été adressées aux services de PTME pendant l’année 2008, mais seulement 633 (84,8%) se sont rendues à la maternité et 614 (82,3%) ont reçu des ARV (figure 27). Parmi les 635 enfants nés à travers les services PTME, 622 (98%) reçurent des ARV (3 NVP seul, 519 NVP+AZT). Parmi 600 enfants testés à 18 mois, 32 (5,3%) étaient infectés par le VIH.

Figure 27 : Résultat des tests VIH effectuées sur les femmes enceintes et traitement des nouveaux nés en 2008 au niveau des maternités avec PTME Source: NCHADS, Annual Report 2008. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

115 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Cependant, il faut aussi ajouter les femmes testées et traitées dans les cliniques de la RHAC (Reproductive Health Association of Cambodia) et l’hôpital Jayavaraman 7. Nous obtenons alors, au niveau national, un total de 103 768 femmes testées (30,3% des femmes enceintes) et de 777 femmes ayant reçu des ARV. Il a été donc estimé que parmi les 2879 femmes enceintes séropositives au Cambodge en 2008 (0,84%234 x 342 756), seulement 27% (777) d’entre-elles ont été traitées. C’est un résultat proche de celui que s’était fixé le gouvernement (30%), mais cela reste encore bas.

En addition le NCHADS a noté quelques difficultés qui ont perturbé la réussite du programme PTME en 2008235 : - Le nombre d’accouchement dans les structures médicalisées est bas et le lait artificiel n’y est pas disponible - Les liens entre la PTME et les HBC sont trop limités - Les médicaments ne sont pas approvisionnés régulièrement et les dates d’expirations sont trop courtes

II.A.4. Mme Sophea (1995-1996)

1995

En février, mon mari, qui se plaignait de zonas et de démangeaisons depuis quelque temps, a décidé d’aller faire un test de sang à l’ancien Institut Pasteur de Phnom Penh. Il est allé chercher son résultat une semaine plus tard, mais ne m’a rien dit. Moi, je n’ai rien osé lui demander. Plus tard, j’ai su qu’il avait dit à des amis qu’il ne croyait pas aux tests du Sida, et que parler du VIH/Sida ne servait qu’à vendre des préservatifs. Le fait est qu’après être allé chercher son test, il a utilisé des préservatifs avec moi pendant quelques semaines. J’étais étonnée, je soupçonnais qu’il était peut-être contaminé par le virus, mais je n’ai rien dit. A partir de ce moment, il est devenu étonnamment calme, il a commencé à acheter des friandises aux enfants, à les promener, etc.

234 Prévalence estimée par le NCHADS en 2008 parmi les femmes enceintes 235 NCHADS. Expanding HIV/AIDS Program Activities of the Ministry of Health of the Kingdom. Annual report to CDC. Janvier 2009 [Consulté le 22/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.nchads.org

116 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 1995, mon mari a quitté l’armée et est devenu membre de la « police de protection », dont le quartier général est situé à côté du ministère de l’Intérieur. Il faisait partie de l’équipe chargée de surveiller le ministère de l’Economie et des Finances, de jour et de nuit. C’est en décembre 1995 que j’ai su que j’étais séropositive. J’ai été malade pendant trois mois, on pensait que j’avais la fièvre typhoïde ainsi que le paludisme. J’avais perdu beaucoup de poids, j’étais passée de 48 kg à 37 kg (aujourd’hui, je pèse 46 kg). On m’a emmenée à l’hôpital de la municipalité de Phnom Penh, où j’ai été hospitalisée une semaine. On m’a fait une prise de sang. Après mon hospitalisation, je suis revenue pour le résultat. C’est une jeune femme, une ancienne camarade de classe, qui me l’a donné. Elle m’a dit que j’étais séropositive, mais sans me donner aucun document officiel de l’hôpital. J’avais eu connaissance de l’existence de cette maladie à travers mes formations. Elle pleurait, moi aussi. Elle m’a serrée dans ses bras, tellement j’étais bouleversée. J’ai eu peur également pour une amie, en repensant à un incident qui s’était produit quelques mois plus tôt. En effet, en juin, j’avais passé quinze jours dans une école de la province de Kandal pour surveiller des examens. A l’époque, mes seins étaient encore gonflés de lait maternel, et cela me faisait souffrir. Comme on fait au Cambodge dans ces cas-là entre femmes, je lui ai demandé de téter mes seins pendant une dizaine de minutes pour me soulager. En y repensant, j’ai eu peur qu'elle ait été contaminée à cause de moi. Mais je ne sais pas puisque je ne l'ai jamais revue. Ce jour-là, après avoir eu connaissance de ma séropositivité, je suis rentrée à la maison, dans un état de choc. Il n'y avait personne, à part une de mes sœurs et mon mari. Tout le reste de ma famille s'était rendu à l'incinération d'un ami de mon père, décédé quelques jours plus tôt. Cela rajoutait encore un côté morbide aux idées noires que j'avais déjà en tête. Quand j'ai annoncé le résultat à mon mari, qui ne semblait pas en être étonné, son seul commentaire a été: "Les médecins sont fous!". Moi, fâchée, je lui ai rétorqué: "Non, ils ne le sont pas!". C'est au retour de mes parents et de mes autres sœurs à la maison que j'ai éclaté en larmes, en leur disant que j'avais le Sida. Ma grande sœur a essuyé mes larmes, en me disant doucement: "Ne pleure pas!". Ce jour-là, je me sentais perdue, toute seule dans mon malheur, et j'avais peur que mes parents et mes sœurs me rejettent. Mais ça n'a pas été le cas du tout, au contraire de mes beaux-parents, qui, je l'ai bien vu plus tard, ont rejeté la faute sur moi en pensant que si j'étais séropositive, je ne devais m'en prendre qu'à moi- même... Mes parents et mes sœurs m'ont consolé, ils pleuraient aussi et m'ont pris dans leurs bras. Ils me rassuraient et me demandaient de rester tranquille, de ne pas penser n'importe quoi. Sans doute avaient-ils deviné mes sentiments, car à ce moment-là, je voulais vraiment mourir. L'idée du suicide était en permanence dans mon esprit. Ils ont essayé de m'apaiser, en me disant: « même si tu as cette maladie, tu restes toujours notre fille. Tu dois penser à tes enfants, à leur avenir, à leur santé. Tu dois t'efforcer de vivre pour eux! ». Lorsque ma grande sœur a essuyé mes larmes, j'ai réalisé que ma vie, c'était mes filles. Heureusement

117 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir j’ai appris plus tard qu’aucune de mes filles n’était infectée par le Sida. La deuxième aurait pourtant eu le plus de risques de l’être : elle a été allaitée trois mois au lait maternel, avant de passer au lait en poudre et au potage de riz. Je me suis calmée, mais continuait à pleurer seule. Et malgré toutes ces paroles gentilles, je pensais encore et toujours au suicide. Trois jours plus tard, j'ai acheté en cachette du poison anti-rat, et j'ai également ramené une seringue à la maison. Je pensais me l'injecter plutôt que le boire, je pensais que ce serait plus efficace, plus rapide. Je me suis enfermée dans ma chambre à l'étage, en poussant le verrou. Pendant ce temps-là, ma famille était sous la maison, au rez-de-chaussée, entre les pilotis. Ils étaient inquiets pour moi, et ont pensé que je pourrais faire une bêtise. Ils m'ont appelée, ont essayé d'ouvrir la porte, et moi je ne répondais pas. Mon mari, qui était là, est donc monté sur le toit, puis il est rentré dans la chambre en enlevant quelques tuiles du toit et en se glissant par l'ouverture. Je ne m'étais pas encore injecté le poison. Sans un mot, il a commencé à chercher partout dans la chambre, puis il a découvert le poison que j'avais caché sous l'oreiller du lit. Il a alors essayé de me calmer, tout comme mes sœurs, qui m'ont encore dit de penser à mes enfants, de ne pas faire quelque chose d'aussi stupide. Je me suis mise à pleurer. L'idée du suicide était encore présente, puis elle a progressivement disparue. Ma santé s'est alors rapidement dégradée. J’étais maigre, et donc affaiblie. Je ne pouvais plus manger normalement, seulement du potage de riz. Je dormais également mal, car j’avais la respiration courte, haletante. Cela a duré deux mois. Je suis allée plusieurs fois dans une clinique privée dans mon quartier de Chba Ampeuv, où on m’a donné des médicaments. Le médecin était un vieux professeur de l’université de médecine. Je crois vraiment à l’efficacité des médecins et de la médecine; d’ailleurs, si je n’y avais pas cru, je serais sans doute déjà morte. Quand j’ai commencé à aller mieux, je suis allée plusieurs fois rendre visite à mon école et en particulier à mon proviseur, quand j’avais du temps. C’était en février 1996. Tout le monde était très gentil avec moi, on me serrait dans les bras, etc. Il n’y avait pas encore de problème de discrimination, surtout à partir du moment où j’ai commencé à me sentir mieux. Mais il y a eu cependant un incident, lors d’une de mes visites. J’ai rencontré un professeur, et il m’a fait la remarque suivante : « En matière de Sida, c’est la femme qui est responsable de la contamination du mari. Car c’est lorsqu’elle ne veut plus se plier aux exigences sexuelles de l’époux que celui-ci est obligé d’aller se satisfaire avec d’autres filles, et c’est comme cela qu’il attrape le Sida!». J’étais choquée, fâchée et je me suis disputée avec lui. Je le détestais, d’autant plus qu’on disait de lui qu’il avait trois femmes! Alors je lui ai rétorqué : « Tu crois que tout est de la faute des femmes, parce qu’elles ne savent pas y faire avec leurs maris… Et si c’était l’inverse ? Peut-être est-ce la faute des maris qui ne savent pas s’y prendre avec leurs femmes. S’ils ne savent pas honorer leurs femmes correctement, après ce sont elles qui n’ont plus envie de coucher avec eux et c’est comme cela qu’ils partent voir d’autres filles ! ».

118 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

A part cela, il n’y en avait pas de problèmes avec mes voisins, dans mon village. Ils me parlaient normalement, et me complimentaient même sur ma belle peau. Je pense que l’amélioration de mon état s’expliquait par les médicaments d’une part, mais aussi le soutien émotionnel que je recevais des autres, ainsi que des exercices physiques auxquels je m’astreignais. Pour ce qui est des relations familiales, elles étaient très bonnes. Mes parents et mes sœurs faisaient très attention à moi, ils me réservaient les meilleurs morceaux de nourriture par exemple. Par contre, nous étions séparés de fait avec mon mari, même si nous vivions sous le même toit, avec nos enfants. C’était de l’indifférence partagée, nous pensions en fait surtout aux enfants. Ce n’était pas le même type de relation, nous ne nous parlions pratiquement plus. Nous avions encore quelques rares relations sexuelles, mais ce n’est pas moi qui le voulais. Et je demandais à mon mari d’utiliser systématiquement des préservatifs. Même si l’atmosphère était devenue plus calme je n’étais pas satisfaite de mes conditions de vie, j’en voulais toujours à mon mari. Ma famille ne disait rien, elle ne critiquait pas mon attitude. C’est l’habitude des parents de ne pas interférer, de laisser leurs enfants régler eux-mêmes leurs problèmes avec leurs conjoints.

1996

Au niveau économique, en 1996, mon salaire d’infirmière scolaire était plus élevé que celui de mon mari. Mais nos deux salaires réunis n’étaient pas suffisants pour subvenir à nos besoins et surtout à ceux de nos enfants, en particulier en cas des problèmes de santé courants. Nous avons alors loué une parcelle de notre terre, dans notre village de Ta Ngaeuv, à un mécanicien qui voulait y installer son atelier. Malgré cela, notre situation était encore difficile. La situation dans les années 1980 était plus simple.

En vivant avec le Sida, bien que gardant un tempérament calme, j’évitais néanmoins les autres. Je me sentais différente, anormale, avec cette maladie « bizarre ». J’avais honte, j’avais l’impression de venir d’une autre planète. Alors que mon état de santé s’améliorait, celui de mon mari, en revanche, se dégradait. Il était constamment fatigué, il avait la diarrhée en permanence. Pour tenter de se soigner, il achetait des médicaments à la pharmacie, sans prescription médicale. Il croyait aussi aux guérisseurs traditionnels khmers parce que ses propres parents y croyaient.

119 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.B. La prostitution et les IST (1997-2007)

II.B.1. Actualités 1997

 DANS LE MONDE

. Il y avait 23 millions de personnes vivant avec le VIH (40% de femmes) dont 1 million d’enfants de moins de 15 ans. . World Aids Day: “Children living in a world with Aids” (Enfants vivant dans un monde avec le Sida).

 AU CAMBODGE

. La population était estimée à 10 millions, avec une espérance de vie à la naissance de 54 ans et un taux de mortalité infantile à 102 236. 572 cas de Sida et 4674 cas de séropositivité ont été déclarés au PNLS. . Cette année a été un tournant politique qui a eu des répercussions importantes sur la vie des Cambodgiens. Deux partis politiques se sont opposés ; ils se sont battus dans les rues de Phnom Penh, le vainqueur a édicté ses lois et une stabilité fragile a été retrouvée. La population avait certes retrouvé la possibilité de se déplacer sur les routes du territoire sans craindre des attaques mais la prospérité n’était pas encore au rendez-vous, le pays se trouvant toujours dans une impasse juridique et commerciale.

II.B.2. La prostitution : une vieille mécanique bien huilée

La prostitution au Cambodge, qui existait comme partout ailleurs, a été mise hors la loi de 1975 à 1979, puis elle a réapparu dans les années 1980 lors de l’occupation vietnamienne, pour atteindre un pic en 1993 lors de la présence des UNTAC.

La prostitution sous-entend des hommes et des femmes qui ont des relations sexuelles avec l’objectif de recevoir une compensation en échange. Au Cambodge, cette activité peut être occasionnelle (prostitution indirecte dans les massages, les restaurants, les bars, les karaokés) ou régulière (prostitution directe dans les bordels), l’assimilant alors à un travail.

236 OMS. Rapport sur la santé dans le monde. 1997.

120 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Les raisons poussant des individus à se prostituer sont multiples mais elles ont toutes pour points communs une situation nationale favorable (disparités économiques d’un pays en reconstruction, trafic humain, absence de lois et de moyens de contrôle) et une situation individuelle précaire (rupture sociale et familiale, pauvreté). La pauvreté endémique des campagnes a poussé des milliers de jeunes filles à migrer vers les villes à la recherche d’un travail qui permettrait de les nourrir, elles et leur famille. Finalement, volontairement ou non, une partie d’entre elles finissaient par entrer dans le circuit de la prostitution. Leur manque d’éducation les rendait encore plus vulnérables au trafic humain, qui, avec le bois, les pierres précieuses et les armes était devenu une source de revenu importante pour de nombreuses personnes. Pour illustrer nos propos nous reprendrons une enquête réalisée en 2000 sur un programme de clinique mobile pour les prostituées (démarré en 1997 par Pharmaciens sans Frontières) qui analysa certaines caractéristiques de la population bénéficiaire237 (tableau 7). Deux groupes étaient présentés : des vendeuses d’oranges (commerce de façade pour attirer des clients= prostitution indirecte) et des prostituées basées dans des bordels (prostitution directe). D’après cette étude nous constatons que les vendeuses d’oranges étaient un peu plus âgées, qu’elles étaient à 100% cambodgiennes (les prostituées directes étaient à 31% vietnamiennes), qu’elles étaient en majorité entrées volontairement dans la prostitution (alors que 42% des prostituées directes ont été victimes d’un trafic humain) et qu’elles n’avaient pas de dettes. Pour ces 2 groupes nous notons aussi que leur taux d’analphabétisme était élevé et que la qualité des connaissances qu’elles avaient sur le VIH était basse, 2 facteurs de vulnérabilité.

Vendeuses Prostituées Valeur de p d’orange (n=418) (n=1133) Age médian 28 21 - Nationalité cambodgienne (%) 100 69 <0,001

Entrée volontaire dans la prostitution (%) 91 58 <0,001

Possède une dette (%) 0 17 <0,001

Taux d’analphabétisme (%) 58 64 <0,03 Connaissances correctes sur la 36 34 Non significatif transmission du VIH (%)

Tableau 7 : Analyse des caractéristiques d’une population de prostituées directes et indirectes dans un programme de clinique mobile de PSF. Source : Revue des praticiens du Cambodge, mars 2000.

237 EL KOUBI S, CHOW LW,THOS K. Evaluation d’un programme de prevention de l’infection VIH en direction des prostituées à Phnom Penh. Cambodge. Revue des praticiens du Cambodge, mars 2000 ; 4 (1) : 101-109.

121 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les conditions de travail dans les bordels ont longtemps été mauvaises. L’atmosphère de peur était omniprésente. Les femmes qui y étaient vendues perdaient leurs droits et le contrôle de leur corps. Elles étaient parfois battues, attachées et torturées. Le fait que les propriétaires des bordels et que les clients étaient en majorité des policiers et des militaires renforçaient leur faiblesse. Les clients étaient souvent ivres et violents et l’utilisation du préservatif était anecdotique. La captivité ne permettait pas de négocier les termes de la transaction et la conscience qu’elles avaient du risque de contamination augmentait la peur. La situation s’est améliorée avec les projets « 100% condom » mais il était encore fréquent de trouver des hommes payant plus cher pour ne pas en mettre. A une époque il était même vendu des « kits» de prévention des IST, composés d’antibiotiques et qui étaient pris avant le rapport sexuel, pour ceux qui ne projetaient pas de mettre de préservatifs. Dans les bordels, les filles devaient accepter tous les clients, même si elles étaient malades, et le tenancier ne leur permettait pas toujours d’aller se soigner. Le prix des « passes » était très bas : 1,5$ en moyenne, rendant difficile et long, le remboursement de leur dette (celle qui correspond au prix d’achat de la fille). En mai 1996 le Gouvernement a voté une loi contre le trafic humain, le kidnapping et l’exploitation mais sa mise en application a été confrontée à des problèmes financiers et humains 238. Le Gouvernement a aussi essayé de cacher cette prostitution trop visible qui risquait de nuire à l’image du pays alors que le tourisme était en expansion. La fermeture des bordels fut progressive et elle n’a jamais pu être réalisée à 100% car ils appartenaient le plus souvent à des personnes puissantes. Depuis le départ des UNTAC le nombre de prostituées à Phnom Penh a diminué : en 1996 on les estimait à 17 000 dans un millier de bordels, sans compter les bars, les night club, les boîtes de karaoké et les massages 239. Dans le même temps le pourcentage de prostituées ayant moins de 18 ans est passé de 25 à 35% 240. A la fin 2001, du jour au lendemain, pour apaiser la communauté internationale, le Premier Ministre Hun Sen fit fermer tous ces lieux de distraction. Certaines filles restèrent travailler dans le restaurant qui avait ouvert à la place, les autres, sans ressources, durent continuer leur travail en secret, loin de tous les programmes de soins et de sensibilisation. Actuellement, suite à une modification du contexte de vie et du comportement sexuel, la prostitution continue de changer. Elle s’est modernisée avec les téléphones mobiles et internet, et elle n’est plus localisée dans des lieux précis, devenant cachée et non contrôlable.

238 Cambodian National Council for Children. Five years plan against trafficking and sexual exploitation of children 2000-2004. 2000. 239 Rapport de l’UNICEF. cité par Bobak L. For Sale : The Innocence of Cambodia. Ottawa Sun, octobre 1996. 240 SEAMAN T. LICADHO. Sexual Exploitation: Cambodia. Child Workers in Asia Newsletter 1996 ; 1-2 (12).

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II.B.3. Les comportements sexuels

Les comportements sexuels concernent tous les comportements mis en jeu pour atteindre l’objectif de la relation sexuelle. Ils dépendent de nombreux facteurs, en particulier du sexe, de l’âge, des préférences personnelles, du statut social, de l’éducation, de la culture et des risques estimés.

 BEHAVIORAL SURVEILLANCE SURVEY (BSS)

Le BSS est un système de surveillance explorant les comportements à risque des populations sentinelles (policiers, militaires, prostituées directes et indirectes, les chauffeurs de moto-taxi, homosexuels) dans les capitales de 5 provinces. Des enquêtes sont réalisées régulièrement (1995, 1997, 1998, 1999, 2001, 2003, 2005, 2007) par le NCHADS permettant ainsi d’estimer l’impact des campagnes et des programmes, de mieux comprendre les évolutions comportementales et de s’y adapter. De nombreux biais sont présents dans ce type d’étude : échantillonnage faible (300-500 personnes par groupe à risque), non représentation de certaines régions, taux de refus des populations parfois très élevé.

 FREQUENTATION DES PROSTITUEES ET UTILISATION DU PRESERVATIF

Dans la plupart des sociétés, les hommes ont plus de pouvoir que les femmes. Lorsque les femmes dépendent des hommes avec lesquels elles ont des rapports sexuels, elles courent des risques particuliers. En 2005, il était noté que 67% des travailleuses du sexe interrogées déclarait avoir été forcées au moins une fois à ne pas mettre de préservatifs lors de la semaine précédente 241. En général ces clients payent plus cher et elles sont donc obligées à accepter par le tenancier. Les préservatifs masculins ont prouvé leur efficacité dans la prévention de la transmission du VIH, mais ils ne sont pas suffisants dans les pays où la pauvreté et les inégalités sexuelles rendent les femmes particulièrement vulnérables à l’infection pas le VIH 242.

241 NCHADS. Cambodia STI prevalence survey, 2001. 242 US National Institutes of Health and the Centers for Disease Control and Prevention. Workshop summary: scientific evidence on condom effectiveness for sexually transmitted disease (STD) prevention, 20 July 2001 [Consulté le 25/09/2003]. Disponible à partir de l’URL: www.niaid.nih.gov/dmid/stds/condomreport.pdf.

123 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les officiers de police et les militaires représentent les groupes ayant des activités sexuelles à haut risque. Ils travaillent souvent loin de leur femme et de leur famille et ont l’opportunité d’aller voir les prostituées (figure 28)). Les dernières enquêtes montrent une diminution des pourcentages qui restent cependant élevés. De plus, la consommation souvent excessive d’alcool est un facteur supplémentaire de conduite à risque et de violence.

Figure 28 : Pourcentage des hommes de groupes à risque, déclarant avoir eu une relation sexuelle avec une prostituée au cours du mois précédant, de 1997 à 1999. Source: NCHADS, Cambodia STI prevalence survey, 2001

Les figures 29 et 30 nous montrent une fois de plus que l’utilisation des préservatifs n’était pas constante, alimentant la dispersion du VIH vers les hommes, les prostituées occasionnelles, les épouses et leurs enfants. Cependant lors des BSS 2003, 2005 et 2007 il a été constaté une nette amélioration de ce paramètre, suite aux campagnes d’information et au programme « 100% condom ».

124 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 29 : Evolution du taux d’utilisation systématique du préservatif par les prostituées avec des clients de 1997 à 2007 Source : NCHADS, BSS 2007

Figure 30 : Pourcentage des hommes de groupes à risque, déclarant toujours utiliser un préservatif lors d’une relation sexuelle avec une prostituée au cours du trimestre précédant, de 1997 à 2005. Source: NCHADS, Cambodia STI prevalence survey, 2001 - BSS 2003 – BSS 2007

Nous noterons aussi que les préservatifs ne sont pas toujours disponibles à proximité du lieu de travail des prostituées indirectes (dans 40-50% des cas à Phnom Penh). Enfin il n’est pas rare que des préservatifs se déchirent lors des rapports (8-37% des prostituées lors du dernier trimestre).

125 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 LES “SWEETHEART” (LES PETIT(E)S AMI(E)S)

Lorsque les prostituées travaillant dans les bordels ont été identifiées comme étant à haut risque, les hommes ont commencé à utiliser plus souvent les préservatifs avec elles. Mais les hommes se sont aussi reportés sur une autre population de partenaires : les « petites amies ». Celles- ci, travaillant le plus souvent dans des restaurants, des bars et des lieux de divertissement, n’étaient pas considérées (et elles ne se considéraient pas) comme des prostituées. Elles étaient perçues comme étant facilement accessibles et comme « propres et saines ». L’échange d’argent n’était pas systématique car une relation sentimentale pouvait être nouée. A partir de ce moment il devenait difficile de mettre des préservatifs car cela allait contre d’idée d’une confiance réciproque. Pourtant il n’était pas rare que ces hommes et ces femmes aient d’autres petit(e)s ami(e)s en même temps, représentant ainsi une population à haut risque de contamination. De plus les hommes changent fréquemment de petite amie. Certaines prostituées ont aussi des petits amis et les risques sont là aussi très élevés pour le partenaire, ce d’autant que l’utilisation des préservatifs est aussi très basse. Ceci s’illustre très bien avec deux résultats du BSS de 2005 : 88,3% des policiers déclarent avoir toujours utilisé le préservatif avec des prostituées directes, contre 38,9% avec les petites amies (figure 31). De façon toute aussi dangereuse, les travailleuses du sexe déclarent des chiffres similaires (figure 32).

Figure 31 : Pourcentage de policiers déclarant avoir toujours mis un préservatif durant les 3 derniers mois, par type de partenaire Source: NCHADS, Cambodia STI prevalence survey (SSS), 2005

126 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 32 : Pourcentage de prostituées déclarant avoir toujours mis un préservatif*, par type de partenaire (*durant la dernière semaine avec les clients et durant le dernier mois pour le petit ami) Source : NCHADS, Cambodia STI prevalence survey (SSS), 2005

Cette modification du type de partenaire est un changement de comportement qui a contrecarré les efforts de prévention. Cela s’est répercuté sur l’origine des nouvelles infections : comme nous pouvons le voir sur la figure ci-dessous (figure 33), en 1994 les hommes étaient le plus souvent contaminés par les prostituées alors qu’en 2002 c’était surtout par les petites amies, devenues partenaires à haut risque.

Figure 33: Répartition des nouvelles infections masculines par type de partenaire, 1994-2002 Source : Pisani E, Garnett GP, Grassly NC et al. Back to basics in HIV prevention: focus on exposure. BMJ 2003 ; 326 : 1384-1387.

Enfin, la jeunesse n’est épargnée par cette tendance, brisant les tabous et les coutumes en multipliant les petit(e)s ami(e)s et en ayant des relations sexuelles avant le mariage, s’exposant au virus dès le plus jeune âge.

127 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 LES HOMOSEXUELS MASCULINS (MSM: MEN HAVING SEX WITH MEN)

Il n’y a pas de statistiques claires concernant cette population. En réalité ces hommes ont des rapports souvent bisexuels (avec des prostituées, des partenaires occasionnel(le)s, des petits amis), l’homosexualité, en plus d’être un comportement sexuel, est créateur de nouvelles sources de revenu. En 2005 le National STI survey retrouva que la séroprévalence pour le VIH au sein de cette population était de 8,7% à Phnom Penh et 0,7% en province. L’IST la plus fréquente est l’infection rectale à chlamydia. Ils étaient souvent écartés du système de soins (discrimination) et ils étaient peu informés sur les risques de contamination. Les MSM utilisaient moins fréquemment les préservatifs que les prostituées ou les policiers (figure 34), ce qui était une source de risque pour eux (comme le montre leur séroprévalence), mais aussi et surtout pour leurs partenaires.

Figure 34 : Prise de risque des MSM avec partenaire masculin lors du dernier mois Source : NCHADS, BSS 2007

128 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

II.B.4. Les Infections Sexuellement Transmissibles (IST)

En 1996, une étude menée par l’Université de Washington permit de dégager les premiers chiffres concernant sur la prévalence des IST 243 (figure 35) et la sensibilité des souches microbiennes au Cambodge.

Figure 35 : Prévalence des IST parmi 3 groupes de population en 1996 (n=1073) Source : NCHADS, Cambodia STI prevalence survey, 2001

Ainsi 96 souches de gonocoques furent testées et 47% d’entre elles furent retrouvées résistantes aux quinolones, conduisant les auteurs à suggérer une modification des protocoles thérapeutiques pour le Cambodge244. L’utilisation anarchique des antibiotiques et l’automédication (à l’instar des « kits » précédemment mentionnés) était probablement responsable de cette situation. En 1998, un article du Lancet, reprenant cette étude, titrait : « Propagation explosive du VIH et des IST au Cambodge » 245. A la vue de ces prévalences élevées des IST et du VIH parmi les populations sentinelles, les auteurs recommandaient une action urgente de prévention, en particulier dans l’industrie du sexe.

243 NCHADS. Cambodia STI prevalence survey, 2001. 244 WHO. STD Prevalence in three countries in Western pacific region. STD/HIV/AIDS Surveillance report, October 1997 ; 10 : 25-26. 245 RYAN CA, VATHINY OV, GORBACH PM et al. Explosive spread of HIV-1 and sexually transmitted diseases in Cambodia. Lancet 1998 Apr 18 ; 351 (9110) : 1175-1176.

129 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Proposer de traiter les IST parmi les populations à risque était un moyen de diminuer la transmission du VIH mais aussi de créer l’opportunité d’informer ces mêmes personnes qui bien souvent connaissaient peu sur le VIH. L’information et l’éducation délivrées en même temps que le traitement pouvaient faire espérer un changement d’attitude parmi ces populations (surtout pour la population masculine). Les traitements avaient aussi l’objectif de soulager toutes les femmes accumulant des infections génitales, souffrant tous les jours lors des rapports sexuels et risquant d’avoir leur fertilité compromise.

Le National Plan 1993-1998 mentionnait déjà la nécessité d’établir des centres de traitement des IST 246 et de promouvoir l’utilisation du préservatif mais des actions d’envergure n’étaient pas encore présentes. Il aura fallu attendre 1997, avec la rédaction d’un nouveau « National Strategic Plan 1998-2000 » par le NCHADS, et une plus forte implication des ONG (MDM, MSF, PSF, PSI, FHI, RACHA, RHAC) 247 et des Agences Internationales (Nations-unies, OMS) pour constater un accroissement des programmes engagés vers la prise en charge des IST au Cambodge. En 1998, le Ministère de la Santé établi un protocole national de traitement des IST d’après les recommandations de l’OMS Le contrôle de la prostitution étant limité, il a fallu associer le programme « 100% condom » (dont nous avons déjà parlé) et l’accroissement des centres de prise en charge des IST pour espérer avoir un impact sur leur prévalence.

Ainsi, si nous regardons l’évolution des IST parmi les prostituées travaillant dans des bordels, de 1996 à 2005, nous notons une diminution de la prévalence de presque toutes les infections mais qui reste plus discrète à la fin de la période (figure 36).

246 National AIDS Committee, Ministry of Health. (1993). Comprehensive National plan for AIDS prevention and control, in Cambodia 1993-1998. Phnom Penh, Cambodia. 247 NCHADS. Cambodia STI Prevalence Survey 2001.

130 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 36 : Evolution de la prévalence des IST parmi les prostituées directes, de 1996 à 2005 Source : NCHADS. STI Prevalence Survey 1996/2001/2005

De façon parallèle, si nous observons l’évolution du taux de séropositivité parmi la même population de 1996 à 2003, nous constatons qu’il a chuté de 41,1% à 16,8% (figure 37). Pour information nous avons aussi affiché le même type d’étude mais réalisée 3 ans plus tard (2006). Les chiffres obtenus (à partir des mêmes mesures initiales) sont assez différents malgré une méthode d’analyse statistique apparemment similaire. Il est difficile de tirer des conclusions mais cela permet de mettre en évidence la prudence avec laquelle de simples chiffres doivent être interprétés.

Figure 37 : Evolution du taux de séropositivité parmi les prostituées directes, de 1996 à 2006 Source: NCHADS. 2003 & 2006 HIV Sentinel Surveillance

131 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

La corrélation entre ces tendances et celle de l’augmentation de l’utilisation des préservatifs semblent être le signe d’une efficacité significative des programmes. La persistance des IST montre une utilisation insuffisante des préservatifs et donc un risque de transmission du VIH. En décembre 2008, il y avait 222 centres de santé, dans 74 districts qui proposaient des traitements des IST ainsi que 51 cliniques spécialisées (32 gouvernementales et 19 ONG). Des dizaines de milliers de consultations y ont été données aux femmes et aux hommes, à risque ou non (tableau 8).

Centres de santé Nombre de Total Ulcération Verrues personnes Urétrite visites génitale génitales avec IST Hommes 4 846 3 849 92,9% 5,5% 1,6% 79% Nombre de Syndrome Total Vaginite + Ulcères ano- personnes Vaginite inflammatoire visites cervicite génitaux avec IST pelvien Femmes 26 526 24 215 48,2% 45,4% 5,9% 0,5% 91% Cliniques spécialisées Nombre de Verrues Total Ecoulement Ulcères ano- Abcès personnes Urétrite ano- visites anal génitaux inguinal avec IST génitales Hommes 19 397 12 645 90,9% 0,7% 5,1% 3,0% 0,3% MSM 3 399 812 44,8% 10,5% 37,2% 22 796 13 457 59%

Nombre de Syndrome Ulcères Verrues Total Vaginite + personnes Vaginite inflammatoire ano- ano- visites cervicite avec IST pelvien génitaux génitales Femmes 142 903 109 877 77,8% 20,6% 0,5% 0,8% 0,4% 77%

Total Première Nombre de personnes Vaginite + Non Suivi visites visite avec IST cervicite précisé 4 724 2 943 29,8% 70,2% Prostituées directes 13 921 9 197 3 177 19,4% 80,6% 10 066 6 289 34,1% 65,9% Prostituées indirectes 25 373 15 307 3 726 11,10% 88,9% 39 294 16 135 41%

Tableau 8: Description des IST rencontrées dans les centres de santé et cliniques spécialisées en 2008 Source: NCHADS, Annual Report, 2008. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme.

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II.B.5. Mme Sophea (1997)

Un jour d’avril 1997, à quelques jours des festivités du Nouvel an khmer, ma grande sœur a entendu parler d’un bonze qui affirmait avoir mis au point un médicament traditionnel qui pouvait guérir du Sida. Elle s’est donc rendue dans cette pagode et y a rencontré ce bonze qui lui a vendu trois bouteilles de ce « médicament miracle » pour la somme de 500 dollars US ! Et elle a offert ce remède à mon mari. Moi, je n’en voulais pas. De plus, moi et mes parents avons été choqués par cette histoire, et déçus de voir qu’un bonze pouvait se livrer à ce genre de commerce douteux. A partir de ce jour, bien que croyant toujours au karma et me rendant encore à la pagode à certaines occasions, ma foi dans la religion a commencé à décliner. En plus, je ne croyais pas à l’efficacité de ce traitement qui avait coûté une fortune à ma sœur. Je ne pense pas que les traitements traditionnels puissent guérir le Sida. Je pense même que cela peut produire l’effet inverse. Ceci dit, je crois que c’est la même chose avec les médicaments modernes à partir du moment où ils sont mal utilisés, et quand les médecins ne sont pas compétents. Moi, je crois aux bons médecins. Mon mari a donc bu les trois bouteilles, sans aucune amélioration. Au contraire, il a commencé à avoir des furoncles, à avoir encore plus de démangeaisons. Lorsqu’il a compris que ce remède n’apporterait rien de bon, il a recommencé à acheter des antibiotiques à la pharmacie, toujours sans aucun avis médical. Et toujours sans aucun résultat.

Plus tard, quelqu’un m’a conseillé d’aller refaire un test de séropositivité à l’Institut Pasteur. S’il était positif, me disait-il, l’Institut Pasteur m’orienterait vers une structure médicale appropriée et on me donnerait un traitement. C’est ce qui s’est passé. Le test était bien positif et on m’a conseillé de me rendre à la consultation spécialisée VIH/Sida de Médecins du Monde, tout près de l’Institut Pasteur, dans l’enceinte de l’hôpital Calmette. J’y suis donc allée. Au début, j’avais honte, à la fois par rapport aux médecins, mais également aux autres patients. Mais après quelques visites, j’ai repris confiance. J’avais l’impression que si j’étais différente de mes parents et de mes sœurs à cause du Sida, j’étais en revanche sur un pied d’égalité avec les autres patients. Et cela me donnait de l’espoir. Je suis donc allée régulièrement à la consultation de MDM – les docteurs me donnaient une fois par mois des médicaments pour les maladies opportunistes - puis je suis rentrée en contact avec l’organisation Care, où l’on m’a proposé de devenir volontaire du groupe des séropositifs. Je l’ai été pendant deux ans. Nous avions une réunion par semaine, chaque samedi, avec d’autres séropositifs. C’était des séances d’éducation et d’encouragement adressées aux personnes contaminées et aux malades. On me donnait dix dollars par mois pour le dédommagement, ce qui me servait notamment à acheter des fruits. Pendant ce temps, mon mari refusait toujours d’aller faire le test. C’était difficile de lui parler. Finalement, il a accepté d’aller passer le test de dépistage au Centre national de dermatologie avec l’ONG Maryknoll.

133 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Nous y sommes allés ensemble. Il a été suivi pendant deux mois à MDM, on lui donnait des médicaments. Puis il a arrêté d’y aller et il est retourné à l’automédication. Il mangeait peu, souffrait de démangeaisons, et avait des zonas. Pendant tout ce temps, je continuais à travailler à l’école où je gagnais 80,000 riels par mois (20$), et nous vivions toujours au même endroit, dans le même village. Mon mari se rendait de temps en temps à son travail, quand il le pouvait.

134 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

II.C. Le Home Based Care (1998-2007/8)

II.C.1. Actualités 1998-1999

 LES ACTUALITES MONDIALES

1998

. Les médecins constataient une augmentation des cas de lipodystrophie. . L’espoir de voir les ARV représenter un traitement curatif s’envolait. . Thème de la journée mondiale contre le Sida : « Force for Change, Young People » (force du changement, les jeunes).

1999

. Dans 27 pays, le taux d’infection avait doublé depuis 1996. 95% des personnes infectées vivaient dans les pays en développement. . Le T20 était une nouvelle classe thérapeutique d’ARV appelée « inhibiteurs de fusion » faisait l’objet d’essais cliniques. La recherche se concentrait aussi sur toutes les molécules pouvant agir sur le corécepteur CCR5. . Thème de la journée mondiale contre le Sida : « Listen, learn, live ! » (écoute, apprends, vis !).

 AU CAMBODGE

1998

. Création du NCHADS (National Center for HIV/Aids, Dermatology and STI) par la fusion du centre national des IST et le NAP (National Aids Plan) afin de superviser la mise en place des stratégies du Ministère de la Santé et de fournir un appui technique aux agences gouvernementales et aux partenaires locaux. . Ecriture d’un programme stratégique national pour le contrôle des IST et du Sida (1998-2000) par le Ministère de la Santé. Ce programme insistait principalement sur la surveillance, l’information et l’utilisation des préservatifs. . Le premier recensement national depuis la guerre - Population : 11 426 223 (15,7% en zone urbaine) - Croissance annuelle de la population : 2,44% . L’enquête nationale sur la santé

135 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

- Mortalité infantile : 89/1000 naissances vivantes - Mortalité maternelle : 473/100 000 naissances vivantes . L’Institut National des Statistiques - Le taux d’alphabétisation de la population générale est de 78% pour les hommes et 52% pour les femmes. - Espérance de vie : 50,3 ans pour les hommes et 58,6 ans pour les femmes. . Index de Développement Humain de l’UNDP : 140.

1999

. Première conférence nationale sur le VIH/Sida. . En Janvier 1999 l’Autorité Nationale contre le Sida (National Aids Authority, NAA) a été créé, remplaçant ainsi l’ancien Comité National du Sida (NAC) et le Secrétariat National du Sida (NAS). Ses fonctions étaient d’améliorer la coordination entre les partenaires, de développer des stratégies, de mobiliser les ressources nécessaires, de contrôler et d’évaluer l’exécution des activités, laquelle exécution était à la charge du NCHADS. Le NAA était un organe interministériel (12 Ministères) composé des Secrétaires d’Etats de chaque Ministère et des gouverneurs provinciaux. Cependant le NAA, comme le NCHADS, a fait face à des problèmes de financement, de coordination et de coopération. Ses activités ont mis du temps à être opérationnelles et ses liens avec le NCHADS sont restés longtemps mal définis.

II.C.2. Le concept et la création du HBC

Au début 1997, l’OMS, à travers le HIV/AIDS Coordinating Committee (HACC), envisageait de débuter un programme « Home-Based Care » (HBC), c'est-à-dire de soins à domicile pour les patients atteints du Sida à Phnom Penh, sur la base d’expériences réalisées dans d’autres pays en voie de développement (Ouganda, Zambie, Inde et Thaïlande 248).

Les réunions préliminaires entre tous les partenaires potentiels (Organisations locales et internationales, et Gouvernement) soulignèrent des limitations financières et pratiques: . L’épidémie du VIH en était encore à un stade précoce et les soins n’étaient pas encore dans les priorités nationales. . Les financements allaient majoritairement sur la prévention

248 MoH Zambia/WHO. Cost and impact of home based care for PLHA in Zambia. 1994.

136 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. Il y avait très peu de services hospitaliers d’assistance auxquels les activités de soins à domicile pourraient être rattachées . La quantité de CDAG disponibles était limitée . Le personnel hospitalier n’était pas très motivé pour faire parti du continuum of care . Le « National Aids Program » n’était pas assez financé.

Cependant, en février 1998, avec le soutien de l’OMS et DFID, le NCHADS et certaines ONG démarrèrent un projet pilote de Home Based Care (HBC) 249 . L’objectif était multiple: atteindre et suivre directement les patients qui ne pouvaient se déplacer (état de santé altéré ou impossibilité de payer le transport), éviter l’engorgement du système hospitalier qui n’avait pas assez de lits disponibles, faire de l’éducation et de l’information aux accompagnants et apporter des soins de base. Les patients préféraient souvent mourir à la maison, en compagnie de la famille et après une cérémonie bouddhique. Cependant ils pouvaient être référés sur un hôpital s’ils en avaient le besoin et le désir. De plus, l’élargissement des bénéficiaires à tous ceux qui souffraient de maladies chroniques et/ou grave (cancer, VIH/Sida, diabète, insuffisance rénale...) permettait normalement d’éviter que les équipes du HBC soient identifiées comme des « équipes Sida », ce qui aurait pu favoriser une discrimination supplémentaire des patients et de leurs familles. Au Cambodge, le programme HBC devait s’intégrer au système de santé national en s’appuyant sur les centres de santé. Les 8 premières équipes étaient composées de membres de certaines ONG et de personnel gouvernemental. Tous reçurent une formation mixte touchant les maladies (opportunistes) et les soins mais aussi l’éducation (transmission, prévention, hygiène, nutrition) et le soutien psychologique (patient et famille). L’identification des personnes ayant ce type de besoins se faisait par les responsables locaux, les pagodes, les centres de santé et par des connaissances.

II.C.3. Les actions, les résultats

249 WILKINSON D. An evaluation of the MoH/NGO Home Care Programme for People with HIV/AIDS in Cambodia. June 2000.

137 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

La phase pilote se termina fin 1998 et fut évaluée. Les équipes avaient visité et suivi 700 familles dont 60% étaient connues pour avoir au moins un membre séropositif. Les résultats de l’évaluation ont montré qu’il n’y avait pas eu de problèmes de discrimination, qu’il y avait eu des effets positifs sur l’état psychologique des patients et de leur famille, que cela avait permis de réduire les frais normalement dépensés dans la santé et que beaucoup avaient apprécié de pouvoir avoir un soutien nutritionnel et des soins médicaux. Il y avait aussi eu un effet sur l’éducation et l’information de la communauté. Cependant ce principe était certainement plus facile à mettre en œuvre en zone urbaine que dans les régions reculées où le déplacement des équipes restait difficile et coûteux, et où les structures sanitaires correctement équipées étaient encore rares, nécessitant en retour un déplacement important des patients pour recevoir des soins. Cette contrainte n’était pas surprenante et elle avait déjà été décrite dans de précédents programmes réalisés en Afrique. Ainsi au Zimbabwe, en 1994, le coût des visites variait entre 16 et 23 dollars en zone urbaine contre 38-42 dollars en zone rurale, 75% des dépenses couvrant les transports 250.

Il a donc été décidé de poursuivre le programme à condition d’en évaluer le rapport coût-efficacité et d’améliorer les compétences médicales des équipes ainsi que le suivi et la surveillance. Le programme continua, coordonnée par l’AIDS Care Unit du NCHADS et le soutien technique et financier de KHANA 251, avec 10 équipes dont 6 étaient organisées par des ONG locales et les 4 restantes par des ONG internationales. Le nombre de patients suivis par chaque équipe variait de 50 à 80, et le pourcentage de séropositifs était de 60-80%. Le coût de fonctionnement annuel d’une équipe était de 10.000 $US. Les demandes de soutien des familles concernaient principalement la nourriture, le transport et les funérailles. Une première estimation de l’impact de ces soins parmi 100 familles bénéficiaires fut réalisée. Les questionnaires évaluèrent les changements intervenus dans les revenus et le temps libre. De façon quasi unanime les bénéficiaires notèrent une diminution de leurs dépenses de santé (de 0,8-1,3 dollars par semaine pour les soins modernes et de 5,3-10,5 dollars pour les soins traditionnels). Dans le même temps ils déclarèrent économiser 3 à 4 jours de temps libre par mois.

Devant l’absence d’une prise en charge nationale de l’épidémie avec notamment un accès limité aux médicaments essentiels, le mandat des HBC risquait de glisser subrepticement vers des soins médicalisés à domicile. Il était évident que les familles exerçaient une pression sur les équipes pour

250 HANSEN K et al. The cost of home-based care for HIV/AIDS patients in Zimbabwe. AIDS Care 1998 ; 10 (6). 251 Khmer Hiv/Aids NGO Alliance, créé en 1996 à partir d’un projet de l’International HIV/AIDS Alliance situé en Angleterre.

138 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 avoir des médicaments en plus des autres aides matérielles. La question concernait principalement l’accès au cotrimoxazol qui était alors l’arme la plus économique et la plus efficace pour la prévention et le traitement de certaines maladies opportunistes. Il a fallu attendre encore 5 ans avant que cette molécule bien connue et bon marché soit finalement rendue plus accessible !

KHANA, établit des partenariats avec des ONG locales et des ONG internationales à travers tout le pays. Le champ des programmes connut une extension en 2003 grâce au Fonds Mondial. Avec une collaboration limitée à 3 ONG en 1998, KHANA apporta en 2005 une aide financière et/ou technique à 70 ONG et 12 Community-Based Organisations, couvrant 121 projets. Les projets ne concernaient plus seulement le Home-Based Care, mais aussi la prévention et la constitution de réseaux d’aide et de patients, pour un budget annuel de 4,45 millions de dollars.

Avec le temps les ONG locales partenaires acquirent plus d’indépendance avec une plus grande possibilité de rechercher des fonds par eux-mêmes. Cela a été principalement vrai avec le développement des ONG de séropositifs qui, pendant longtemps, restèrent dans l’ombre de KHANA (une « ONG de séronégatifs »). CPN+ (Cambodian People living with HIV/AIDS Network) en fut le principal bénéficiaire et entreprit de chapeauter techniquement ces ONG naissantes mais aussi de créer un véritable réseau de patients. CPN+ est alors devenu un partenaire important du programme national et de toutes les ONG impliquées dans la lutte contre le Sida.

La naissance d’une « société civile positive » a été laborieuse en raison d’un manque de formation, de moyens et de coordination et même d’une certaine réticence initiale de la part des structures de séronégatifs. La donne a changé lorsque cette société civile réussi à s’impliquer plus avant dans les programmes et à se les approprier.

A l’heure actuelle, suite à la mise à disposition de façon plus large des antirétroviraux, le HBC est venu soutenir cette nouvelle offre de soins en apportant en particulier une aide au transport, à l’alimentation et à l’observance. Mais son impact reste compromis par des coûts de transport et de nourriture de plus en plus élevés et par la limitation géographique des actions.

139 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

En 2008, il y avait 343 équipes de Home Based Care touchant 27 280 patients. Ces équipes travaillaient en liaison avec 675 centres de santé. Les activités de ces équipes, financées par des ONG, était encore insuffisantes pour couvrir tous les besoins 252.

II.C.4. Mme Sophea (1998-1999)

1998 C’était l’année des élections. La santé de mon mari continuait à décliner. Malgré cela, il est allé voter, ce qui m’a vraiment surprise. J’y suis allée aussi. Pour tenter de se soigner, mon mari achetait des antibiotiques à la pharmacie. Il avait des problèmes dermatologiques, notamment des furoncles sur la tête qui lui faisaient mal. Il n’arrivait pas à se reposer, il dormait mal. J’essayais de l’aider, mais cela ne servait à rien. Il ne voulait pas que les enfants s’approchent de lui, il les chassait. Quant à moi, ma santé était normale, il n’y avait rien à signaler. A la fin de l’année 1998, grâce à l’argent de la terre de mes parents que nous louions au garage – ce qui rapportait 150$ par mois, il a acheté une grande télévision. Il a tenu à installer lui-même l’antenne, et a même failli tomber du toit.

1999 Mon mari est mort le 28 janvier 1999. Il n’a rien dit avant de mourir, ni recommandations, ni remords. Mais il savait qu’il allait mourir, et malgré sa faiblesse, il essayait de sortir un peu de la maison avec les enfants pour leur faire plaisir. Peu de temps avant sa mort, ma sœur avait dit à une de ses amies que j’étais séropositive. Cette amie avait une petite sœur qui venait de mourir dans un accident de la circulation. Malgré cette douleur, elle a eu pitié de moi et a donné 5 dollars à ma sœur à mon attention. Ce geste m’a beaucoup émue, et je me suis retrouvée à pleurer avec ce billet de 5 dollars dans la main. Je m’en suis ouverte à mon mari, mais lui a rétorqué qu’il ne fallait pas y penser, qu’il fallait faire abstraction, que le plus important était de ne pas tomber malade car il fallait quelqu’un pour s’occuper des enfants. Après sa mort, je suis restée trois mois complètement désespérée à la maison. Ce furent trois mois très difficiles. Je ressassais sans cesse des idées noires et n'avais aucune envie de sortir. Heureusement, deux amies me soutenaient dans cette épreuve, dont une de l'organisation Care. Elles m'emmenaient me promener, pour essayer de me remonter le moral, même si je n'en avais pas envie.

252 NCHADS, Annual Report, 2008. HIV/AIDS & STI Prevention and Care programme. [Consulté le 10/04/2009]. Disponible à partir de l’URL : www.nchads.org .

140 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

II.D. « Continuum of Care », « Comprehensive Care » et ARV (2000-2008)

Thèmes de la journée mondiale contre le Sida de 2000 à 2008 : . 2000 : AIDS : Men Make a Difference » (Sida : les hommes font la différence) . 2001 : « I care, do you ? » (je m’en préoccupe, et vous ? / je soigne, et vous ?)) . 2002 et 2003 : « live and let live » (vivre et laisser vivre). Stigmatisation et discrimination. . 2004 : « have you heard me today? Women, girls, HIV and Aids” (m’avez vous entendu aujourd’hui ? Femmes, filles, VIH et Sida) . 2005 : « Stop AIDS. Keep the promise » (Arrêter le Sida. Garder la promesse) . 2006 : « Stop AIDS. Keep the promise – Accountability » (Responsabilité) . 2007 : « Stop AIDS. Keep the promise – Leadership » (Les Dirigeants) . 2008 : « Stop AIDS. Keep the promise

II.D.1. Du concept à la pratique

Tout au long de l’infection, les personnes vivant avec le VIH vont rencontrer un grand nombre de problèmes, qu’ils soient physiques (maladies opportunistes, mort prématurée), mentaux (détresse psychologique, dépression, stress), économiques (incapacité au travail, dépenses de santé conduisant à la pauvreté) ou encore légaux et sociaux (discrimination, stigma, violation des droits de l’homme). De fait, pour leur venir en aide, l’offre de soins doit être globale, nécessitant un panel de services large ne se limitant plus seulement au soutien médical. Cela rend les actions plus complexes, demandant plus de finances, de coordination, de planification, de personnel et d’outils de surveillance. Cela demande aussi une implication plus large de la communauté, du gouvernement et des organisations. En 2000, pour répondre à cette demande, alors que les ARV n’étaient pas encore accessibles, l’ONUSIDA et l’OMS définirent les éléments clés devant figurer dans les programmes VIH/Sida. Ces éléments formaient le « Continuum of Care » 253 (CoC). C’était un cadre stratégique où l’accent était mis sur le cheminement de la prise en charge des personnes séropositives à travers un ensemble de services médicaux et sociaux, depuis le dépistage volontaire jusqu’aux soins palliatifs, en passant par les soins de santé primaire, les soins médicalisés et psycho-sociaux, la prise en charge au niveau communautaire et le soutien des associations de personnes séropositives (figure 38). Ce continuum devait aussi créer de nouveaux liens entre les organisations et entre les patients.

253 « Continuité des soins »

141 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

The HIV/AIDS continuum of care

Primary health care Health posts Secondary Dispensaries health care Traditional District hospitals healers HIV clinics Orphan care Social/legal support Hospices Community care Voluntary NGOs Churches counselling Youth and testing groups Volunteers

Specialists and specialized care PLWHA Palliative facilities emotional and The entry point spiritual support Peer support Self-Care Tertiary health care Home care

Source: WHO/UNAIDS (2000) Key Elements in HIV/AIDS Care and Support. Draft working document

Figure 38 : La stratégie « HIV/Aids Continuum of Care » de l’OMS/ONUSIDA. 2000.

De fait, initialement, le Continuum of Care a d’abord été développé comme un outil destiné aux programmes de prévention et de soins. Cet outil a ensuite été réadapté pour prendre en compte l’arrivée des ARV. Les principes de coordination et de continuité entre les services médicaux et sociaux étaient identiques mais la trajectoire proposée aux patients s’articulait autour du traitement et de son vécu. Cette notion de soins holistiques est apparue dans la stratégie nationale à cette même période254, mais c’est en 2003 que le NCHADS, se basant sur ce continuum amélioré incluant les ARV, posa réellement les bases d’une politique nationale pour augmenter les capacités de soins et de soutien du pays. En en faisant sa stratégie d’intervention principale 255, toutes les organisations travaillant sur le Sida durent s’y intégrer progressivement (Operational Framework).

254 En 2000 Le MoH/NCHADS ont développé le premier brouillon du "Strategic Plan for HIV/AIDS and STI Prevention and Care 2001-2005". Dans ce plan l'extension des soins sociaux était une des 8 composantes. 255 The Operational Framework for the Continuum of Care for People Living with HIV/AIDS, core component of the Health Sector Strategic Plan for HIV/AIDS and Sexually Transmitted Infections for 2004–2007.

142 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Sur le terrain ce processus ne fut pas aisé à mettre en place car les moyens mis en jeu pour mener à bien les activités étaient disparates. Pourtant, avec l’arrivée du Fonds Mondial, cette nécessaire homogénéisation des actions a permis d’obtenir des résultats significatifs. Pour insister sur l’aspect holistique de la prise en charge des patients, l’expression « comprehensive care » 256 est souvent employée. Au Cambodge, on parle donc de « comprehensive continuum of care » ou bien de « comprehensive HIV/Aids care across a continuum ». Cette approche dite « compréhensive et globale » des soins s’articule autour de plusieurs espaces (l’hôpital, les centres de santé et la communauté) et propose une variété de services aux malades (figure 39).

Figure 39 : La stratégie “Comprehensive Continuum of Care » au Cambodge. 2006. Source : NCHADS, WHO. The Continuum of Care for People Living with HIV/AIDS in Cambodia: Linkages and Strengthening in the Public Health System. 2006.

 LES SERVICES DU « COMPREHENSIVE CONTINUUM OF CARE »

256 « Soins complets »

143 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Ce panel de services (voir encadré ci-dessous) qui composent le « Comprehensive Continuum of Care », devaient être apportés à différents moments de l’itinéraire du patient, entre la maison et l’hôpital, à travers différents niveaux de soins : institutionnels, communautaires (CBO) et à domicile (HBC). L’accès à ces services était amélioré par le dépistage dans les CDAG, les maternités, les banques du sang et les cliniques IST qui représentaient des points d’entrée dans le « Continuum of Care ». En théorie, d’après une loi votée en 2002 257, les soins de bases pour les PVVS (qui comprennent les tests biologiques, les médicaments des IO et les ARV) devraient être gratuits… mais qui peut s’assurer que la loi est respectée ?

Liste des services du continuum: 258 . Soins médicaux - Dépistage de l’infection à VIH (CDAG) - Prophylaxie des infections opportunistes - Traitement des infections opportunistes (en particulier la tuberculose) - Soins palliatifs et symptomatiques - Traitements antirétroviraux - Précautions universelles et prophylaxie post exposition - Prévention de la transmission verticale - Examens de laboratoire et imagerie

. Soutiens - Psychosociaux - Financiers - Nutritionnels - Aux accompagnants - Réduction de la discrimination - Home Based Care - Groupes de patients et MMM

. Education et information - Concernant la maladie et les offres de soins - Prévention de futures transmissions - Planning familial

Malgré les intentions et les stratégies « modèles », la mise à disposition au niveau local et en particulier dans les provinces de ce continuum a longtemps été très limitée. Les centres de

257 (Law On The Prevention And Control Of HIV/Aid). Les décrets d’application n’ont été émis qu’en 2005. 258 NCHADS. Continuum of care for People Living with HIV/Aids, operational framework, 2003.

144 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 dépistages n’existaient pas encore de façon homogène sur le territoire, le HBC était encore balbutiant et limité en taille, les soins institutionnels n’étaient encore apportés que par les organisations internationales (MSF, MDM, Center of Hope, Esther) en majorité sur la capitale et les financements, une fois de plus, étaient insuffisants.

En 2003, afin d’améliorer le volet social, et devant l’exemple réussi de MSF en Thaïlande, le NCHADS et les ONG, ont créé des MMM (Mondol Mœt tchouy Mœt = Centre des Amis qui aident les Amis) au niveau des hôpitaux de district. Ce type de projet social ne peut avoir de sens et être efficace que si la population concernée est impliquée. Ainsi, en pratique, le centre est géré par les patients au sein de la structure hospitalière et permet d’héberger et d’animer des réunions de patients. Les activités du centre, qui impliquent une multitude d’acteurs, ont pour objectif de réintégrer les patients dans la société, de lutter contre la discrimination, de créer un espace de rencontre, de socialisation, de discussion et de débat. A ce jour, le MMM a réussi à créer une dynamique entre les malades et les intervenants, renforçant les liens et les échanges, de façon bien plus efficace que des brochures ou de long discours. Cette mobilisation a été fortement dynamisée par l’ONG locale CPN+ qui a réellement tissé un réseau de personnes et d’ONG même si les limitations financières n’ont pas encore permis son extension à tout le territoire. Actuellement ces mêmes limitations n’ont pas permis de proposer de nouvelles activités, de nouvelles perspectives pour les patients et mis à part le fait de pouvoir se retrouver pour un échange d’expérience le MMM ne répond plus aux attentes de beaucoup.

En addition, au niveau de la structure hospitalière, quelques infirmières et psychologues/travailleurs sociaux reçoivent les patients suite à leur visite médicale, les orientant si besoin, et afin d’apporter des solutions à leurs problèmes quotidiens. Mais les limitations matérielles et les bas salaires d’un personnel qui doit faire face à une demande croissante des patients, pèsent fortement sur la motivation et sur la qualité des résultats.

En 2007, 723 groupes de soutien étaient déjà en activité dans 13 provinces, touchant 36 133 personnes. En 2008 il y avait 912 groupes dans 15 provinces pour 36 588 personnes.

 LES TRAITEMENTS ARV 2000-2008

145 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Le traitement ARV, clé de voute du système, a été le catalyseur des initiatives sociales. Ils donnaient enfin une perspective et une qualité de vie aux malades, les aidant à rester actifs et les motivant pour s’impliquer dans des activités communautaires.

Si Médecins du Monde et Médecins sans Frontières ont débuté les premiers programmes ARV respectivement en 2000 et 2001, les projets nationaux ont été mis en place en 2003 dans les hôpitaux de référence des provinces de Battambang (projet pilote de Mong Russey soutenu par FHI) et de Kampot (projet pilote soutenu par la CRF) avec tout le panel d’activités évoqués dans le protocole du Continuum of Care. Les ONG, par leurs projets pilotes et leur soutien technique et financier, ont permis d’initier ce type de prise en charge au Cambodge de façon précoce, d’en montrer la faisabilité et de transmettre leur expérience. Le programme national, pour arriver à faire de même dû d’abord attendre des financements suffisants (Fonds Mondial par exemple), puis revoir ses infrastructures, développer des laboratoires, acheter du matériel et des médicaments, et surtout former du personnel. La difficulté se trouvait surtout au niveau de ce dernier point. La première étape fut de sélectionner les médecins les plus expérimentés (la plupart travaillaient déjà avec des ONG) pour en faire des formateurs. Ensuite, des formations courtes se sont succédées afin de fournir un nombre suffisants de médecins capables de travailler sur les sites devant être ouverts. Ces formations devront être ensuite approfondies pour tenir compte de l’évolution des traitements et des effets secondaires. Les médecins formés participent aussi à des réunions médicales nationales leur permettant de partager leur expérience. Certains médecins sont particulièrement remarquables et commencent à jouer un rôle déterminant dans la création d’une élite scientifique sur le VIH/Sida. Sous notre initiative et celle de MSF, un Diplôme Universitaire sur VIH/Sida a été créé en 2005, permettant de créer les spécialistes de demain. La connaissance scientifique n’est pas la seule compétence que doit avoir un médecin. Il doit aussi se sentir concerné par ses patients. Au Cambodge, la pauvreté rend le malade inintéressant, car il annule d’office toute possibilité de rétribution pour le médecin. La corruption à l’intérieur du service public, conséquence des bas salaires, est connue mais est inavouable officiellement. Dans les projets, l’achat de « passe droits » pour recevoir des ARV était fréquent, mais la situation s’est améliorée dès qu’il a été plus facile d’y accéder.

Ceci étant dit, grâce à la collaboration entre ONG et Gouvernement, en 6 ans le nombre de bénéficiaires des ARV a été multiplié par 80, passant de 392 en 2002 à 31999 en 2008 (figure

146 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

40)259. Cette croissance très rapide est exemplaire et elle a d’ailleurs propulsé le Cambodge dans la catégorie des pays à succès.

Figure 40 : Evolution du nombre de site apportant des soins OI/ART et du nombre de patients sous ART de 2001 à 2008 Source : NCHADS. 4th Quarterly Comprehensive Report, 2008. HIV/AIDS & STI Prevention and Care Programme.

259 Le graphique ne reprend pas exactement l’historique de tous les patients suivis par les ONG avant 2003. En effet, en 2001 MDM avait déjà une cohorte de 160 patients.

147 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.D.2. Mme Sophea (2000 – 2008)

2000 Après la mort de mon mari, au début 2000, j’ai arrêté Care et j’ai été transférée comme volontaire à travers le réseau Khana à Vithey Chivit ("la route de la vie"), une petite ONG locale qui venait d'être créée par une trentaine de personnes. Avec les mêmes activités qu’à Care, je gagnais 80$ par mois ainsi que 20$ pour l’essence. J'y suis restée jusqu'en août 2003. J'accompagnais les personnes séropositives à l'hôpital pour y passer le test, leur donnais des conseils, les aidais de mon mieux pour qu’'ils aillent moralement mieux. A l'époque, les ARV n'étaient disponibles qu'à Médecins du Monde (hôpital Calmette) ou à "l'hôpital russe" (hôpital Sihanouk, dont le bâtiment des maladies infectieuses est géré par Médecins sans Frontières France). Ou alors, il fallait les acheter à l'extérieur, dans les pharmacies, mais avec deux inconvénients de taille: c'était d'abord très cher, de l'ordre de 300 USD par mois, et aussi dangereux de suivre ce traitement sans suivi médical. A la fin de l'année 2000, je suis devenue volontaire à mi-temps à MDM. Le matin, je travaillais à Vithey Chivit, tandis que l'après-midi, j'allais à la consultation VIH/Sida de MDM à Calmette où je poursuivais la même activité: éduquer les patients.

Début 2001, j'ai commencé à suivre un traitement ARV à MDM, ce qui m’a permis de ne pas mourir.

2003 Depuis août 2003, je suis conseillère Sida à plein temps à MDM, à l'hôpital Calmette, et reçois un salaire mensuel de 170 USD. Mon travail consiste à poser des questions aux malades sur leurs problèmes vécus au quotidien, sur leurs problèmes psychologiques etc. J’essaye de comprendre leurs difficultés et de les aider.

2004 Nous avons déménagé à l'hôpital Preah Kossamak en août 2004 dans notre nouveau centre pour les personnes vivant avec le VIH/Sida, et le bâtiment a été inauguré le 12 novembre 2004 en présence du Premier ministre Hun Sen et de nombreux invités étrangers et cambodgiens. Les trois premiers mois qui ont suivi le déménagement ont été assez difficiles, car il y avait de nombreux nouveaux patients, et je recevais une trentaine de personnes par jour dans mon bureau, contre une dizaine actuellement. Il y avait tellement de travail qu'il fallait que j'emmène des dossiers à la maison pour travailler chez moi le soir!

148 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

2005 Santé. Quand j'ai commencé mon traitement ARV, mes CD4 étaient bas. Je suis à présent à 539. En décembre 2000, au début de mon traitement, je pesais seulement 38-39 kg. J'étais alors malade, avec mal au ventre, diarrhée, etc. Seulement deux mois après, la santé revenait et je pesais 46-47 kg. Maintenant ma santé n'est pas mauvaise, quoiqu'un peu faible. Quelque fois, peut-être deux ou trois fois par mois, je me sens affaiblie, je n'ai pas faim, je dors difficilement. Je crois que cela est dû à des effets secondaires du traitement. Dans ces cas-là, je me nourris de potage de riz. Egalement, mes bras sont tout petits, je n'ai pas de muscles. Physiquement, même si j'ai repris un poids quasi normal, j'ai un visage plus maigre qu'avant. Autrefois, j'avais un visage tout rond. Au niveau alimentaire, je mange très peu de viande, je préfère les légumes. Je n'arrive pas à manger 100 grammes de viande. En ce qui concerne mon traitement, j'en ai changé au mois d'avril 2005. Je ne m'intéresse pas à la médecine traditionnelle khmère en matière de Sida, je n'y crois pas pour cela, bien que je pense qu'elle peut être efficace dans certains cas, pour d'autres problèmes de santé plus légers. De toute façon, il n'y a pas de médecin traditionnel dans mon village.

Religion. Bien que bouddhiste, je ne suis pas excessivement croyante, je suis comme tout le monde. Je me rends à la pagode lors des fêtes nationales. Avant, quand mon mari est mort, je me faisais beaucoup de soucis, je pensais beaucoup. Maintenant, comme je suis occupée avec mon travail, je ne pense plus tellement. Et comme ma santé est assez bonne, je crois que le moment de penser n'est pas encore arrivé...

Vie quotidienne. Week-ends: je reste à la maison, je me repose et je lave aussi le linge avec ma soeur. Mais je vais également le samedi à l'école de Chba Ampeuv m'occuper de la bibliothèque. Semaine: Je me couche à 10h00 et me lève à 5h00. Chaque matin, je cours d'abord 30 minutes pour faire de l'exercice sur la longueur des 30 ou 40 mètres qu'il nous reste de notre terre. Je crois que c'est bon pour ma santé. Je fais ma toilette puis prends mes médicaments (ARV) à 7h00, toujours à la même heure. Mes enfants partent à l'école, puis je pars travailler en moto-taxi, ce qui me coûte environ 20 USD par mois. Vers 8h00, je prends mon petit déjeuner à l'extérieur de l'hôpital, puis prends mon travail à 8h30. Je fais la pause déjeuner de 12h00 à 13h30, et continue à travailler jusqu'à 17h00. Enfin, je rentre à la maison et je me repose un peu car je suis fatiguée.

149 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Enfants. Mes deux filles vivent une vie normale. Elles ont aujourd'hui (en 2005) 13 et 12 ans, respectivement en classe de 9ème (collège) et primaire. Elles ne m'ont jamais demandé pourquoi leur père est mort. Quand je pleurais, elles me disaient "ne pleure pas". Une fois par mois, ma grande sœur les emmène se promener devant le Palais royal de Phnom Penh, manger des petits en-cas, etc. Eles aiment bien lire des livres, regarder la télévision, jouer au badminton...

Depuis 3 ans, elles suivent des leçons privées d'anglais en plus du cursus scolaire, ce qui me coûte une douzaine de dollars par mois. Elles voudraient également apprendre le japonais et l'informatique. Je crois que c'est bien pour leur avenir. Moi même, dans le cadre de mon travail, j'ai appris les logiciels informatiques "Word" et "Excel", et j'en suis contente. J'aimerais bien aussi apprendre le français, je l'avais appris un peu lorsque j'étais petite.

Loisirs. Je n'aime pas beaucoup me promener dans mon environnement quotidien, que ce soit à Phnom Penh ou au village. En revanche, j'adore partir loin: je suis déjà allée à de nombreuses reprises à Sihanoukville, sur les bords de la mer, et suis également allée deux fois visiter les temples d'Angkor, à côté de la ville de Siem Reap.

Travail. J'aime beaucoup mon travail. J'aime parler aux gens qui vivent avec le virus du Sida pour leur expliquer ce que je sais de cette maladie, et pour qu'ils ne soient pas désespérés de leur sort comme je l'ai été auparavant.

Relations avec les autres et discrimination. Chez moi, je connais surtout mes voisins directs, parce que je n'ai pas l'habitude d'aller me promener plus loin dans le village. Je n'ai jamais eu de problèmes avec personne, malgré mon statut de séropositive, et n'ai jamais eu à souffrir de la discrimination. Mes voisins sont absolument adorables avec moi. Quand ils me voient, ils m'invitent souvent à venir manger quelque chose avec eux, mais je n'ose pas, car si je sais bien que manger avec les autres n'est pas un mode de contamination, je ne veux pas les mettre mal à l'aise. Les gens qui vivent à côté de chez moi sont gentils, ils connaissent le Sida par la télévision, la radio, la presse. Même avant, quand ils connaissaient moins bien le Sida, ils n'ont jamais été méchants avec nous. Ils ne parlent jamais de la mort de mon mari. Ils m'encouragent souvent, ils sont affectueux. Ils me disent: "Tu es courageuse, tu vivras longtemps". J'ai également d'excellentes relations avec une jeune pharmacienne de mon village. Quand je vais

150 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 moins bien, elle me propose de me faire gratuitement une injection de sérum, mais je refuse toujours. Je préfère le faire moi-même, car j'ai peur que cela ne la répugne. En fait, je constate que je me sous-estimais au début, lorsque je suis devenue séropositive. Je pensais que je n'aurais plus jamais d'amis, je me trompais. Avant quand j'étais malade et que j'allais travailler à l'école Cuba, je marchais comme un automate, j'avais l'impression que mon corps était une coquille. Un jour, le directeur m'a vu ainsi et m'a appelée. Il m'a rassurée, m'a expliqué que le Sida ne signifiait pas pour autant une mort rapide et m'a conseillé de rester à la maison si ça n'allait pas. Les professeurs aussi étaient gentils, ils disaient regretter de me voir comme cela, ils disaient que j'étais gentille... et ils pleuraient sur mon sort! C'est étonnant, mais j'ai l'impression que les gens m'aiment davantage depuis que j'ai été contaminée par le VIH. Ma soeur, notamment, m'aide beaucoup. C'est elle qui me force à manger quand ma santé va moins bien. Et encore maintenant elle me réserve toujours les meilleurs morceaux. Je sais que j’ai de la chance car des patients me racontent des histoires terribles où leur famille leur a demandé de partir.

2008 Je continue à travailler à Médecin du Monde. Ma santé va bien. Je me sens en sécurité parce que je travaille dans un projet qui s’occupe spécialement de la maladie que j’ai. J’aide les malades comme je peux même si parfois c’est un peu dur de les voir souffrir ainsi. Ca me fait un peu peur. Peut-être que je serai à leur place plus tard. Mais je sens que c’est important de partager mon expérience. En attendant la vie continue et mes enfants ont besoin de moi, alors j’essaye d’oublier pour leur donner tout ce que je peux. Ce n’est pas de leur faute si la vie est difficile comme ça. Je veux absolument survivre assez longtemps pour qu’ils puissent se débrouiller seuls. Je ne me fais pas d’illusions sur l’avenir même si j’espère qu’un jour on pourra trouver un traitement curatif. J’ai pu rester en vie jusqu’à maintenant et c’est déjà bien.

II.E. Les programmes de Médecins du Monde (1990-2008)

151 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Voici une liste non exhaustive des différentes activités qui ont été menées par MDM au Cambodge. Nous avons participé à la plupart d’entre elles.

II.E.1. Activités hors IST/Sida

. Chaîne de l’Espoir (1990-2001)

Créé en 1990 par le Pr. Deloche avec le nom de Chirurgiens du Monde, le programme pris le nom de Chaîne de l’Espoir en 1993. En 1994, le projet était financièrement autonome mais fonctionnait en collaboration avec MDM jusqu’en 2001. Depuis 1990 et jusqu’en 2001, 15 à 20 enfants étaient envoyés chaque année en France pour y être opérés. Un total de 400 enfants a ainsi été suivi. Depuis 2001, la Chaîne de L’Espoir est installée dans l’hôpital de cardiologie de Phnom Penh (« l’hôpital du cœur »), et a réalisé plus de 1000 interventions. Environ 30 000 patients y ont déjà été suivis.

. Opérations sourire (1990-2008)

Depuis 1989, des chirurgiens plasticiens bénévoles opèrent régulièrement malformations (dont les fentes labiales et palatines, ou « becs de lièvre »), tumeurs et brûlures, tout en assurant un volet de formation pour les praticiens cambodgiens. Depuis 1997, l’activité s’est encore davantage développée avec 3 équipes de MDM (une française, une franco-allemande et une franco-japonaise) qui opèrent chacune 2 fois par an. Chaque mission assure 50 opérations et 200 consultations, à Phnom Penh et en province. Au total, plus de 4000 malades ont déjà été opérés.

. Visites dans les prisons (1993-1996)

Après les accords définis en 1993 entre MDM, la LICAHDO (Ligue Cambodgienne des Droits de l’Homme) et le Centre des Droits de l’Homme pour les Nations-unies, l’équipe médicale de MDM a débuté des visites régulières dans 3 prisons de Phnom-Penh : T3, PJ et Takmao. Les conditions d’incarcération étaient difficiles avec plus de 1000 prisonniers dans un espace pour 500, des cellules de 15 m2 pour 3 prisonniers, l’entretien était inexistant, l’eau distribuée aux prisonniers de Takmao venait directement du fleuve. Il y avait de nombreux cas de maltraitance et surtout des grossesses en prison 260 . Nous faisions environ 500 consultations par mois. Les pathologies rencontrées étaient souvent classiques (infection cutanée, infection pulmonaire, diarrhée, parasitose) avec quelques cas de Béri-béri secs et de lèpre.

260 C’est d’ailleurs ce qui a motivé MDM en 1996 à construire une prison pour femmes (principalement celles ayant de longues peines ou vivant avec un enfant) avec l’aide de l’Ambassade de France et après l’intervention de Xavier Emmanuelli (secrétaire d’Etat à l’action humanitaire) qui était passé au Cambodge.

152 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Ces visites ont non seulement permis d’améliorer l’état médical des prisonniers mais aussi la qualité de leur incarcération (santé mais aussi réhabilitation, sanitation...). Il était cependant difficile de s’assurer que les prisonniers pouvaient garder leurs médicaments à l’abri de l’eau et du vol, sans compter les échanges et le troc. Des informations sur le Sida ont été effectuées par les infirmières de MDM avec distribution de préservatifs. Comme pour la population générale, la compréhension de cette maladie était difficile. Nous n’aborderons pas ici le problème du système juridique fantomatique.

. Réfugiés (1993-1996)

Serey Sophon, Nord-Ouest (1993-1994) : En 1993 l’UNHCR sollicita MDM pour s’occuper de la couverture médicale des réfugiés Cambodgiens qui devaient être rapatriés du Site 2 situé à proximité de la frontière Thaïlandaise. MDM avait aussi pour tâche de réhabiliter l’hôpital de Serey Sophon et le dispensaire de Poïpet, assurer la formation médicale du personnel local, fournir les médicaments et le matériel, et construire un dispensaire, une école et un marché pour le site n°8, à Nimit. Toutes ces activités se passaient dans des zones contrôlées par les Khmers Rouges.

« Les KR étaient à côté des gouvernementaux; ils leur tiraient dessus tous les jours. Un jour, l’armée gouvernementale riposta et abîma toutes les constructions de MDM. C’était la période de l’UNTAC, et cette zone était dans le « territoire » des marines hollandais. Sur les routes il fallait faire très attention, et même baisser la tête ! Parfois des coups de feu étaient échangés de part et d’autre de la route au moment de notre passage », se rappelle JCP.

En décembre 94 une mission MDM est financée par l’UNHCR (le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-unies) pour apporter un soutien médical aux vietnamiens nés au Cambodge, expulsés du lac Tonlé Sap par les Khmers Rouges en 93 ou ayant fui lors des élections de cette même année de peur des représailles. Environ 400 familles s’étaient réfugiées à la frontière khmèro- vietnamienne, sur le Tonlé Bassac, près de la « ville » de Chrey Thom. D’autres bateaux étaient stationnés plus en amont, à Chnok Trou et à Kompong Cham. Un bateau a été acheté et aménagé pour transporter les équipes médicales, stocker du matériel et réaliser des consultations et des vaccinations. Toutes les 3 semaines ce bateau descendait ou remontait le fleuve à la rencontre de cette population (2 jours de voyage aller, 2 jours au retour) avec une escorte armée. En 1995 débuta le rapatriement des familles vers leur lieu antérieur de vie. Celui-ci s’effectuait par groupes de 50 familles environ. . Kompong Som (1990-1996)

153 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Avril 1990. Dr Heng Tay Kry demande à JCP d’aller à K.Som avec le Dr Patrick David. La route, souvent attaquée par les Khmer rouges, est ouverte par l’armée: deux automitrailleuses devant, autant derrière. Pour se loger, ils firent rouvrir avec Kry les bungalows sur la plage de Sokha. Ils étaient restés fermés depuis 1975. « Ça sentait le moisi, avec un parfum d’avant-guerre » se souvient JCP. Prenant la relève des médecins coopérants soviétiques, MDM commença par rénover l’hôpital de la ville, en assurer un fonctionnement minimal et effectuer des visites dans les villages avoisinant. Ce soutien devait durer jusqu’en 1996. Début 1991, Le Dr Eric Peterman remplaça le Pr Alain Deloche comme responsable de mission Cambodge à Paris. Un bateau MDM est inauguré en 1994 pour effectuer des visites médicales dans les îles.

. Mondolkiri (1993-2002) 261

Lao PDR Thailand La province de Mondolkiri (MDK), située au Nord-est du Pays, deuxième en superficie mais dernière en densité de population, est située sur un plateau au Lac Tonle Sap Mondol Kiri Province # Vietnam milieu de forêts. En 1993, l’espérance de vie était de 45 ans et 1 enfant sur 2 Phnom Penh # arrivait à l’âge adulte.

Le paludisme était le fléau le plus important. L’accès à cette province était très difficile (2-3 jours de voyage en 4x4) et des tronçons de la route étaient encore contrôlés par les Khmers Rouges. Mondolkiri a une capitale (Sen Monorom) alors peuplée de 5000 habitants (cambodgiens). Le reste de la province était habitée à 80% par des minorités ethniques (en majorité les Phnongs) qui représentaient une population de 20 000 à 30 000 habitants.

MDM s’attacha en premier à restaurer et faire fonctionner le fantomatique hôpital provincial. Par la suite, grâce à des formations itératives, une chaine de soins se construisit, partant de postes de santé sous la responsabilité de Phnongs jusqu’à l’hôpital en passant par des dispensaires. La qualité des accouchements fut largement améliorée par la formation des sages-femmes traditionnelles

261 D’après le rapport d’activité du Dr Philippe Guyant, Coordinateur médical. Février 2002.

154 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

(Véronique Pain). Le Dr Philippe Guyant, coordinateur médical, fut le principal artisan des actions menées dans cette province, notamment grâce aux liens qu’il tissa entre les Phnongs et les Khmers. Une certaine discrimination et des conflits territoriaux étaient et sont toujours un obstacle à une collaboration efficace. En effet, les Phnongs revendiquent, avec raison, le fait qu’ils habitent ces montagnes depuis des siècles (ils font partie du groupe Mong qui occupe depuis très longtemps la chaine montagneuse qui part du Laos vers le Vietnam) mais les Cambodgiens ne les voient pas comme de véritables Khmers et les différences culturelles sont utilisés contre eux (« indigènes sous développés ») lorsqu’il existe des conflits fonciers. Dans les 2 pays voisins ils subissent des pressions territoriales et discriminatives identiques. Les évacuations sanitaires, dues à l’absence de bloc opératoire, se faisaient sur le Vietnam ou par avion (MDM restaura la piste d’atterrissage). Il nous fallait parfois, lors de la saison des pluies, 12 heures pour faire 40 km. Nous avons même mis 3 jours pour faire les 400 km qui séparent Phnom Penh de la capitale provinciale.

1er voyage à MDK raconté par JCP: « Je suis monté avec Laurent Gross et nous avons voyagé une semaine. Après Snoul, nous ne savions plus où aller à travers la forêt. Le soir, dans la forêt, on avait peur des bêtes, alors on avait des enceintes et on mettait de la musique classique à fond pour les effrayer. Nous avions une spécialité culinaire pendant ce voyage épique: le corned beef finement grillé sur son lit d’herbes de provence. Nous sommes finalement arrivé de nuit à Sen Monorom, les gens s’enfuyaient à notre vue car nous étions les premiers « Baraings » 262 qu’ils voyaient depuis 1975. Au retour, le vice- gouverneur a voulu rentrer à Phnom Penh avec nous. Pas de problèmes nous lui avons répondu. Seulement, au retour, du côté de Gatil, nous avons été attrapés par des Khmers rouges. Leur chef, qui parlait un peu français, voulait séparer les Khmers des Occidentaux. Laurent a refusé : « On reste tous ensemble ». Puis pour les calmer, nous avons offert au chef la pile de T-shirts de MDM que nous avions, ainsi que notre vin rouge. « Le vin rouge, c’est excellent pour les Khmers rouges ! » a dit Laurent au chef… et nous avons pu partir...

. Consultation générale pour indigents (1992-2002)

Une consultation ouverte à tous les indigents a été créée en 1992. Elle recevait entre 400 et 800 consultants par mois dont deux tiers venaient des provinces. Environ 10 à 15 patients étaient hospitalisés par semaine. Cette consultation était une des seules de ce type au Cambodge et permettait à de nombreuses personnes de recevoir des soins essentiels gratuits. Grâce à des traitements simples des pathologies qui étaient devenues handicapantes, voire létales, pouvaient être guéries.

. Consultation de diabétologie (1993-2002)

262 « Baraing » signifiait « Français » pendant la période coloniale. Ce terme est toujours employé mais il sert maintenant à désigner les occidentaux de manière générale.

155 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Elle a été créée en 1993 pour traiter les patients revenant des camps de réfugiés thaïlandais (UNHCR). Les consultations ont été assurées par Mlle Ven Virakanha, médecin assistant, puis par le Dr Mao Heng. En 1994, 61 personnes (25 DID, 27 DNID, 19 suivis simples) bénéficiaient de ces soins salvateurs. Les traitements étaient donnés pour une durée variable en fonction de la compréhension de la maladie et le lieu d’habitation. L’insuline était particulièrement difficile à trouver et chère. Les nouveaux patients étaient hospitalisés afin d’être stabilisés et éduqués. Cette activité était unique au Cambodge, mais c’était aussi une lourde responsabilité étant donné la nature du traitement. Heureusement en 2002 de nouveaux centres ont ouvert et nous avons pu référer les patients (150 au total).

. Urgences médico-chirurgicales de Calmettes (1996-1997)

Pendant 16 mois nous avons travaillé dans le service d’urgence du principal hôpital de la capitale. Nous avions à charge de continuer, développer et élargir le travail démarré par notre prédécesseur à ce poste : Emmanuel Baut. Ces urgences, sous la dépendance de la Coopération Française, recevaient quotidiennement des dizaines de patients dans 2 pièces de 25m². Une pièce servait de service porte et une autre de déchocage et petite chirurgie. Les problèmes à régler étaient bien sûr nombreux : il fallu attendre longtemps avant de pouvoir avoir une armoire à pharmacie aux urgences même. Habituellement les familles des patients devaient chercher les médicaments, les compresses, les aiguilles … à la pharmacie d’en face. L’oxygène s’achetait bouteille par bouteille à une usine située à quelques kilomètres et on devait la faire livrer en cyclo. Pour le déchocage on avait un vieux respirateur russe d’un mètre cube et quelques sondes d’intubations. Les médecins collaboraient peu entre eux et les avis chirurgicaux étaient difficiles à obtenir (aucun médecins ne voulant perdre la face à aller demander un avis à un confrère). Les dossiers n’étaient pas bien transmis. Les patients pauvres étaient peu examinés et envoyés rapidement en médecine B (ils ne généraient pas assez de prime pour le personnel). Nous recevions souvent des blessures par balle ou arme blanche et le sang n’était pas toujours disponible. Malgré tout cela il y avait toujours une bonne humeur, une certaine sérénité, un certain recul qui changeaient fondamentalement de celles des CHU. En juillet 1997, lors du coup d’Etat, nous étions restés seuls aux urgences avec le médecin général Claude Dumurgier, chirurgien de la Coopération française, un chef de salle et quelques étudiants. Nous avons reçu les blessés civils et traité ceux qui étaient traitables. Quelques RPG sont tombés dans l’hôpital et l’Ambassade de France juste à coté. Expérience importante.

156 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

II.E.2. Hospitalisation et consultations externes à l’hôpital Calmette (1993- 2002)

 L’HISTOIRE

Construit en 1958 et ouvert en 1960 par une équipe médicale française, l’hôpital prend le nom de « Fondation Calmette ». Il restera la référence nationale jusqu’à la chute de Phnom Penh, le 17 avril 1975. Durant le régime de Pol Pot, l’hôpital est d’abord utilisé comme hôpital pédiatrique, ensuite comme crèche, puis abandonné par les Khmers rouges. A la libération, le 7 janvier 1980, l’hôpital est réorganisé et rénové par le personnel médical cambodgien et reprend une activité officielle le 24 avril 1980. Il se trouve sur le boulevard « Son Ngoc Minh », au nord de la ville, à quelque 60 mètres de l’ambassade de France (à l’époque détruite depuis la guerre et abandonnée). « L’hôpital de la Révolution » fonctionne grâce à l’aide d’experts et de personnel vietnamiens et bulgares. L’aide vietnamienne, composée de 25 personnes au départ, diminue chaque année et cesse en 1985. Le 13 novembre 1990, le Conseil des Ministres de l’Etat du Cambodge décide que cet hôpital reprendra désormais son nom initial de « Calmette », et que le boulevard sera rebaptisé « Monivong ».

A l’arrivée de Médecins du Monde, l’hôpital Calmette est dans un état de délabrement avancé. MDM, avec la collaboration du vice-directeur, le Dr Heng Tay Kry, s’engage à réhabiliter l’hôpital (350 lits). En 1990, MDM, en association avec des techniciens biomédicaux détachés par l’Assistance Publique de Paris et des ouvriers mis à disposition par le gouvernement cambodgien, a procédé à la réhabilitation des trois blocs opératoires, de la réanimation, de la salle de réveil, du bâtiment d’hospitalisation chirurgical et de la maternité. MDM a aussi apporté tout le plateau technique (radiologie, laboratoire, échographie, endoscopie) et commencé à former les équipes médicales et chirurgicales en place.

En 1992 la Coopération Française mit en place un projet de coopération médicale franco- cambodgien avec pour objectif de réaliser un complexe hospitalo-universitaire regroupant l’hôpital Calmette, la faculté de médecine et l’Institut Pasteur. Cette coopération prévoyait notamment une extension de la rénovation de l’hôpital, une supervision médicale par les médecins français et une activité de formation du personnel médical et paramédical cambodgien.

157 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Suite à l’arrivée de la Coopération Française MDM ouvrit une consultation externe et un service hospitalier de médecine générale pour les indigents (le service de médecine « B »), comprenant 55 lits. Les patients bénéficiaient de la gratuité des soins médicaux, des médicaments, des examens complémentaires et de repas. Une présence de médecins et d’infirmières français était constamment assurée à travers MDM pour assurer la formation et la coordination des actions médicale. Les professeurs Pierre Souteyrand et Patrick Mornet en étaient les fers de lance. Pour les indigents, ce service est longtemps resté un des rares lieux au Cambodge prodiguant des traitements gratuits évitant à de nombreux patients de souffrir ou de mourir de maladies curables. C’est dans ce même service que fut hospitalisé en 1993 le premier cas avéré de Sida au Cambodge.

 LES ACTIVITES D’HOSPITALISATION (1993-2002)

Nous sommes arrivés au Cambodge en 1995 sous l’égide de Médecins du Monde, prenant la suite de Christophe Iborra à la médecine B. Notre rôle était l’équivalent d’un chef de clinique faisant les visites avec les médecins, animant des réunions médicales, ajustant la collaboration entre les services, mais aussi celui d’un coordinateur médical devant assurer la gestion du personnel, l’approvisionnement en médicaments et la communication avec les partenaires techniques, le tout en liaison avec le bureau administratif et financier de MDM. Le Pr Khuong Pichith était le chef de service et le collaborateur de MDM. Les conditions de soins étaient très éloignées de celles que nous venions de quitter. Les maladies exotiques se mêlaient aux pathologies évoluées que l’on ne voyait plus en France. Il y avait d’énormes limitations au niveau paraclinique, thérapeutique mais aussi financier. Il fallait se concentrer sur les pathologies curables. Les ponctions péricardiques des tamponnades tuberculeuses se ponctionnaient à l’aveugle avec un trocard, une tubulure et une bouteille en plastique, les très impressionnants cas de rage étaient pris en charge au valium en attendant la mort, et ainsi de suite. Il y avait peu d’acharnement thérapeutique. C’étaient de grandes leçons d’humilité. Nous allons d’abord exposer la situation de la médecine B en 1995, date de notre arrivée. Pour cela nous proposerons en premier quelques extraits du rapport que nous avions écrit fin 1995 (en italique). Cela donnera en même temps un aperçu de la vision du Sida que nous pouvions avoir à ce moment alors que nous assistions au début de l’épidémie. Puis nous procurerons quelques données d’ensemble sur les activités dans lesquelles nous avons été impliqués jusqu’en 2002. Après cette date nous avons reçu le financement du Fonds Mondial et nous avons déménagé notre programme dans un autre hôpital, modifiant les types de services apportés.

158 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 1995 Le nombre mensuel d’hospitalisés variait entre 127 et 160. De façon générale les pathologies étaient distribuées de la façon suivante :

- 25-30 % de maladies infectieuses (Sida, rages, tétanos, tuberculoses, typhoïdes, amibiases tissulaires, encéphalites, dengue hémorragique…) - 15-20 % d’hépato-gastro-entérologie (ulcères, gastrites, cirrhoses, intoxications alimentaires, pancréatites...). - 10 % de neurologie (épilepsies, névrites, AVC…) - 10 % de cardiologie (valvulopathies, insuffisances cardiaques, péricardites, HTA ...) - 10 % d’endocrinologie (hyperthyroïdies et diabètes) - 5 % d’hématologie (pancytopénies, leucémies...). - 5 % de néphrologie (Syndromes néphrotiques, insuffisances rénales...) - 1% de cancers solides (sein, foie, poumon, estomac)

Les patients Sida hospitalisés en B sont les indigents déjà suivis présentant une complication grave et les cas découverts lors des bilans effectués dans le service. Ils se présentent de manière générale avec un syndrome cachectique et une diarrhée chronique. […] D’après l’interrogatoire il semblerait que l’évolution vers le stade Sida soit plus rapide qu’en occident : environ 7 ans 263. De plus, suite à ce que nous avons pu constater, lorsque les patients sont hospitalisés pour la première fois avec une infection opportuniste sévère, leur durée de survie après leur sortie est de moins d’un an. […] Nous sommes confrontés à un autre type de problème : les patients Sida au stade terminal n’ont souvent pas de famille et ils ont souvent une diarrhée chronique. Dans ces conditions, des problèmes d’hygiène se posent rapidement par manque de structures et de personnel. Il a été difficile de trouver des personnes qui pouvaient jouer le rôle d’aide soignante. […] Parfois un malade est « kidnappé » par sa famille lorsque son état est grave. Les parents ou enfants se dépêchent de le ramener à la maison s’ils le croient mourant pour avoir le temps d’appeler les bonzes. Cette action est compréhensible et peut parfois nous soulager lorsque nous sentons que le patient est hors thérapeutique, l’attention familiale étant la meilleure solution. Mais certains patients partent alors que nous sommes en train de démarrer le traitement. Il n’existe pas de réelle solution. Toute sortie contre avis médical doit être discutée longuement entre la famille et le médecin si ce dernier pense qu’il existe un réel espoir. […] En une année nous avons dénombré 50 cas de Sida dans le service, avec un accroissement net durant les derniers mois. Ceci est probablement le reflet d’une augmentation de la prévalence de la séropositivité dans la population générale depuis déjà quelques années. […] Au CDAG de Pasteur le pourcentage de séropositivité est à 7,8% et un chiffre équivalent est retrouvé à la banque du sang parmi les donneurs. Ces chiffres, même s’il existe des biais dus aux types de populations testées, nous prouvent que l’épidémie s’est rapidement étendue, et touche actuellement la population, principalement par l’intermédiaire des prostituées dispersées sur tout le territoire, et des militaires qui eux aussi

263 Ce fait a aussi été retrouvé par une étude Thaïlandaise : Kitayapom D, Tansuphaswadikul S, Lohsomboon P et al. Survival of AIDS patients in the emerging epidemic in Bangkok, Thailand. J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol 1996 ; 11 : 77-82.

159 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir vagabondent (sexuellement) dans tout le pays. Le commerce sexuel, attisé par l’actuelle expansion économique et la corruption galopante, est le facteur de propagation numéro un. Pour affronter cette situation le gouvernement (stimulé par les organismes internationaux) a décidé de créer un programme national intégrant tous les organismes et structures gouvernementales ou étrangères afin de « contrôler » l’épidémie. Les moyens de lutte qui y sont décrits sont multiples: - Prévention par campagnes d’information auprès du public, démarchage au sein des populations à risque, information systématique dans tous les établissements sanitaires, incitation au dépistage et à l’utilisation des préservatifs, distribution de brochures et de préservatifs ..... - Formation du personnel médical pour les soins ou l’information. C’est ce que nous avons fait en Médecine B. Reste à l’étendre aux autres établissements. Tache longue, ardue et nécessitant beaucoup d’argent pour donner des « per-diem » motivants aux participants khmers. - Installation de laboratoires pour le dépistage (but atteint avec l’IPC, mais d’autres sont à envisager) - Création de dispensaires spécialisés dans les MST mais aussi le SIDA. Ceci a déjà été fait mais l’efficacité était faible car le circuit de recrutement était mauvais. - Prise en charge médicale des séropositifs. C’est un point essentiel de la lutte qui n’a pas encore été pris au sérieux. Actuellement les sujets séropositifs dépistés de façon systématique, obligatoire, volontaire ou sur présomption sont la plupart du temps « relâchés dans la nature » sans information ni suivi (sauf à l’IPC où ils reçoivent une information et en médecine B où ils sont suivis en consultation externe), alors qu’ils sont des agents actifs de la propagation du VIH! […] Il est certain que si la campagne d’information et de prévention doit être active, prolongée et massive, il ne faut pas oublier ces personnes séropositives potentiellement contaminantes qui doivent être suivies et traitées dans des unités médicales spécialisées. Ainsi Médecins Du Monde a ouvert une consultation pilote dans ses locaux (consultation externe), où les patients séropositifs peuvent être vus, examinés, suivis et éventuellement traités si une infection opportuniste apparait. Il est certain que nous ne pourrons pas leur offrir de traitement spécifique dans un premier temps, mais cette consultation aura l’intérêt de les sensibiliser et de leur faire admettre qu’ils peuvent être aidés, qu’il faut être suivi, mais aussi qu’il ne faut pas transmettre la maladie. […] Discussion : elle concerne le futur, car la situation actuelle du Cambodge laisse présager un avenir difficile. 1/ le système politique actuel, qui propose un gouvernement à 2 têtes, ne semble pas avoir répondu à toutes les attentes. 2/ Et le Sida dans tout ça ? Lui, au contraire, va pouvoir se développer activement dans ce « climat ». Pourquoi ? - Un commerce du sexe en pleine expansion, que tout le monde dit vouloir combattre mais qui profite encore à beaucoup. - Le contexte khmer : • Il est difficile de parler du Sida et de ses risques évolutifs, des modes de transmissions et du comportement sexuel. • Beaucoup ne se sentent pas concernés par une maladie qui pourrait les tuer dans quelques années alors qu’ils ne sont pas sûrs de trouver à manger pour le jour même. • La mort est souvent vécue comme une fatalité.

160 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

• Le rejet par leurs proches de certains patients séropositifs montre que l’ignorance peut aboutir à des comportements détruisant l’unité familiale, une des bases de la culture et donc de la société. • Certains considèrent que le Sida est une maladie de « blancs » qui ne les concerne pas. • D’autres ne croient pas à l’existence de cette maladie. • Enfin, beaucoup de médecins ne sont pas formés mais exploitent la privatisation du Sida en l’absence d’un programme gouvernemental.

Les campagnes d’information et de prévention se heurtent à cette incompréhension et cette insouciance. Il faudra observer avec acuité les comportements des individus face à cette maladie et ces campagnes pour mettre au point une méthodologie de sensibilisation et de prise en charge efficace. Ceci permettra aussi de mieux comprendre les effets de la culture sur la propagation du virus. […] Au total: toutes les conditions sont réunies pour que le Sida se répande très vite dans un pays absolument pas préparé, que ce soit politiquement, économiquement mais aussi et surtout médicalement, et qu’une nouvelle « année zéro » se prépare alors que les anciennes blessures saignent toujours...

Après 1995 le nombre de patients VIH/Sida hospitalisés continua à augmenter régulièrement, confirmant l’installation de l’épidémie (figures 41, 42).

Figure 41 : Evolution du nombre de cas VIH/Sida en Médecine B de 1994 à 2002 Source : MDM /Médecine B

161 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 42 : Nombre patients hospitalisés ayant le VIH/Sida et pourcentage des patients Sida parmi tous les hospitalisés entre janvier 1998 et décembre 2002 Source : MDM/Médecine B

Une étude descriptive et rétrospective d’une population de 307 patients adultes séropositifs reçus à Calmette entre novembre 1994 et novembre 1996 avait permis de dégager certaines caractéristiques 264: 74% des patients étaient des hommes, le niveau d’éducation scolaire était bas et plus de la moitié d’entre eux étaient soit paysan soit sans profession. D’après les pathologies retrouvées parmi ces patients et la classification CDC 1993, 54% d’entre eux étaient au stade Sida. Les diagnostics retrouvés le plus fréquemment étaient : la cachexie (86,8%), les candidoses orales (57,5%), les tuberculoses pulmonaires et extra pulmonaires (47,9%), les infections méningées par le Cryptococcus neoformans (13,2%), les pneumopathies par Pneumocystis carinii (7,2%). Le taux de mortalité pendant l’hospitalisation était de 17% et concernait surtout les patients ayant une méningite à cryptocoque (31%), une cachexie (24,1%) ou encore une tuberculose (20,7%).

Au sein de ces chiffres nous décelons la présence déjà importante de la tuberculose. Cette dernière, déjà pandémique au Cambodge était « boostée » par le VIH, et devenait la principale

264 KHUON P, HAK CR, ONG C, PAL B, MARTIN PR, BONDARENKO N, SOUTEYRAND P. Aspect of epidemiological and clinical manifestations of adult HIV/AIDS patients at Calmette hospital in Cambodia. Report July 1997.

162 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 pathologie opportuniste. Cette tendance est illustrée par le graphique ci-dessous (figure 43) qui montre sa nette augmentation parmi les diagnostics de sortie d’hospitalisation des patients au stade Sida entre 2000 et 2002.

Figure 43 : Distribution des principales pathologies des patients au stade Sida. Mai 2000 - décembre 2002. Source : MDM/Médecine B

Le traitement de la tuberculose après la sortie d’hospitalisation devait être repris par le programme national. Malheureusement, en province, il était quasi inexistant et certainement pas gratuit, alors, dans la mesure du possible, nous essayions de continuer le traitement nous-mêmes si le patient n’habitait pas trop loin ou s’il avait les moyens de revenir régulièrement.

De manière générale pour la Médecine B:

De 1992 à 2002, le service a totalisé environ 16 000 hospitalisations.

7 151 patients ont été hospitalisés entre janvier 1998 et décembre 2002 dont 34% (n=2 458) de cas de Sida en moyenne. Il y a eu 650 décès (9%), 73% étant dus au Sida.

Cette augmentation de la proportion des cas de Sida hospitalisés, correspondait au début de la vague de malades Sida qui ont été probablement contaminés dans les années 1993-1997. Cette situation ressemblait à celle de la France avant la généralisation des trithérapies (1995), lorsque les services de maladies infectieuses étaient de plus en plus occupés par des patients présentant des maladies opportunistes.

163 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 LES ACTIVITES DE CONSULTATION EXTERNE (1996-2002)

Avec l’ouverture en 1995 d’un Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit (CDAG) à l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC), MDM a été parmi les premiers à s’intéresser aux soins médicaux pour les séropositifs. Mais soigner les malades du Sida était encore considéré comme une cause perdue. Beaucoup d’ONG préféraient travailler dans la prévention qui était plus « coût/efficace ». Cependant le mandat de MDM était clair, les malades du Sida devaient avoir un accès aux soins. Dès la fin 1995 le projet de consultation externe spécialisée est lancé dans l’enceinte de l’hôpital Calmette, face au bâtiment de médecine « B », et en 1998, un financement de l’Union Européenne a permis jusqu’en 2002 d’augmenter les capacités d’accueil des consultations externes pour les patients séropositifs. Après un passage en fonds propres, le relai financier a été assuré par le Fonds Mondial à partir de septembre 2003. La consultation VIH/Sida permettait de traiter et de prévenir les maladies opportunistes. Tous les médecins cambodgiens de médecine « B » y participaient. La consultation était ouverte à tous les patients HIV positifs désirant bénéficier d'un suivi médical et à tous les malades sortant de l’hospitalisation. Le recrutement se faisait le plus souvent par l’intermédiaire d’autres organisations et par l’IPC qui venait d’ouvrir un CDAG. Il était conseillé aux sujets séropositifs dépistés de se faire suivre par la consultation spécialisée de MDM, et ceci d’une façon anonyme et gratuite.

L’activité du centre a rapidement augmenté, comme l’illustre la figure 44, probablement suite à l’expansion de l’épidémie et à l’augmentation du nombre de dépistages effectués à l’IPC. De façon parallèle le nombre de consultations a bien sûr augmenté, nous conduisant à réaménager le centre et à former plus de médecins.

Figure 44 : Evolution du nombre de nouveaux patients venant consulter au centre VIH/Sida de MDM (1996- 2001) Source : MDM

164 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

La répartition homme/femme des nouveaux patients a aussi évolué au cours du temps (figure 45), passant de 31,6 % de femmes à 42,2 %, signe d’un passage de plus en plus important du VIH dans la population générale. Cette tendance est d’ailleurs confirmée par l’évolution au niveau national (figure 46).

Figure 45 : Evolution de la répartition Homme/Femme des nouveaux patients séropositifs reçus à la consultation MDM (1996-2001) Source : MDM

Figure 46 : Distribution par sexe des personnes infectées par le VIH au Cambodge – 1996 - 2003 Source : NCHADS, HSS report 2003

165 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Au niveau thérapeutique, pour des raisons financières, les soins ont longtemps été limités à la prévention et au traitement des diarrhées et de la PCP par le cotrimoxazol, le traitement de la tuberculose et des infections fongiques digestives. De plus, la limitation des tests paracliniques disponibles ne permettait pas d’identifier d’autres maladies infectieuses traitables. La prévention de la méningite à cryptocoque n’a été démarrée que plus tard, quand les financements ont permis d’acheter le fluconazol et de faire des CD4 de façon plus systématique. Fin 1995 nous avions écrit un projet de prévention de PTME par AZT mais il a été refusé par le siège de MDM. Trop tôt …

L’analyse succincte de cette population de 2727 nouveaux patients (1996-2001) montrait que :

. La moyenne d’âge était de 34 ans. . Le niveau d’étude était bas (67,3% n’ont pas dépassé le primaire). . 40,8% déclarèrent avoir un partenaire séropositif et 47,2% ne connaissent pas le statut de leur partenaire (il était nécessaire de favoriser le dépistage du conjoint et des enfants). . De 1996 à 1998 50% des nouveaux consultants étaient symptomatiques lors de leur consultation, puis de 1999 à 2001 le pourcentage a augmenté à 85-90%, illustrant le besoin de plus en plus pressant d’accéder à des ARV. . En moyenne le stade CDC C représentait 37% des patients et les stades OMS 3/4 représentaient 66%.

En 1999 MDM a établi un premier système d'information et de soutien aux patients grâce au recrutement d'un travailleur social sensibilisé au VIH et ayant des relations avec des groupes issus de la vie associative, avec KHANA (Khmer HIV/AIDS NGO Alliance) et avec des associations de personnes vivant avec le Sida, permettant ainsi de mieux référer les malades en post hospitalisation vers un réseau "Home Base Care" (HBC) à Phnom Penh ainsi qu'en province. Par la suite le réseau d'aide s'est étendu, au fur et à mesure de la création de nouvelles organisations, permettant de poursuivre les activités de soins tout en s'appuyant sur cette d'aide pour tous les besoins complémentaires. MDM collaborait avec 32 organisations. Ces organisations possédaient des activités propres (de façon générale leurs activités étaient basées sur une aide sociale, médicale et psychologique) et les patients étaient référés vers elles en fonction de leurs besoins. Elles apportaient aussi aux malades une aide à la réinsertion sociale et professionnelle, des conseils de vie et d'hygiène. Dès 2000 MDM s’est concentré sur la facilitation de l’accès aux soins et aux antirétroviraux des personnes vivant avec le VIH/SIDA, afin d’améliorer la qualité et de prolonger la durée de leur vie.

166 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Les premiers traitements ARV ont été initiés grâce à un réseau de médecins français qui envoyaient les boites retournées par leurs patients puis un relai a pu être mis en place suite à l’arrivée des premiers génériques thaïlandais et indiens. Fin 2001 150 patients étaient déjà suivis.

A cette période, MDM a aussi augmenté le nombre de travailleurs sociaux impliqués dans l’information et l’aide données aux patients en hospitalisation et en consultation externe (compléments nutritionnels, informations sur la maladie, sur les conseils de vie et sur les services donnés par d'autres organisations). Lors des consultations sociales de nombreuses problématiques non médicales devaient être prises en compte pour améliorer les conditions de vie des patients :

. L'avortement : aucune structure ne prenait en charge gratuitement cet acte. Les patientes étaient dirigées vers l'hôpital de protection materno-infantile "japonais" ou vers l'hôpital municipal avec un soutien financier. Les avortements bon marché réalisés à domicile étaient source d’un grand nombre de complications. . Les préservatifs. Une utilisation plus systématique des préservatifs commençait à apparaître, cependant elle restait rare lors des relations identifiées comme sentimentales, mais qui étaient à risque en raison du multi-partenariat des 2 partenaires. Ce type de situation se présentait souvent. Pour ces patients on insistait particulièrement sur la nécessité d'utiliser des préservatifs afin de ne pas mettre la vie des autres en danger. . La contraception des femmes ayant des relations non protégées avec leur partenaire habituel. Une information est donnée sur les différents moyens existants: (préservatif, pilule oestro- progestative, dispositif intra-utérin). Concernant ce dernier procédé les patientes étaient référées vers la RHAC (Reproductive Health Association of Cambodia). . Les femmes enceintes et séropositives étaient adressées à l'Hôpital Calmette où existait un programme de prévention de transmission verticale (PERIKAM). . La recherche d'emploi, problème crucial affectant les PLHAs car le revenu qui en découlait était une condition indispensable au maintien de la qualité de vie. En raison de l'évolution de la maladie ou de la discrimination il fallait parfois réaménager le poste de travail, éviter un licenciement ou aider à (re)trouver un nouvel emploi. Certaines organisations essayaient d'agir en ce sens mais le marché du travail était souvent saturé. . Les problèmes psychologiques. Aides à domicile, groupes de soutien, prescriptions de psychotropes, consultations psychiatriques à l'hôpital Preah Bat Norodom Sihanouk faisaient parties des actions visant à améliorer le bien être psychologique des malades. . Les limitations financières. Certaines organisations apportaient une aide alimentaire ou financière pour soutenir la famille et l'éducation des enfants.

167 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.E.3. Traitement des IST et dépistage du VIH (1998-2002)

II.E.3.a Centres de traitement des IST

Dans la continuité des initiatives internationales, et de façon complémentaire au reste des activités, trois centres de traitement des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) ont été ouverts parmi des populations sensibles : un à l’hôpital de la police (hôpital Preah Monivong), un à l’hôpital militaire (hôpital Preah Ket Mealea) et un destiné aux prostituées. Dans ces centres, le diagnostic et le traitement des IST étaient réalisés par approche syndromique à partir des algorithmes décisionnels de l’OMS (adaptés au profil de résistance des germes). Cette stratégie, en dehors du fait reconnu que le traitement des IST diminuaient les risques de transmission du VIH, permettait aussi d’identifier les personnes à risque et de leur délivrer une information visant à modifier leur comportement sexuel et à leur proposer un test de dépistage. Nous résumerons ci-dessous les activités réalisées pendant 4 années (15 mars 1998 au 30 mars 2002) dans ces 3 centres, qui comptabilisèrent plus de 46 000 consultations.

 CENTRE IST DE L’HOPITAL DE LA POLICE

Ce centre se situait dans l’enceinte de l’hôpital de police (hôpital Monivong), avec l’accord des services de santé du Ministère de l’Intérieur et en collaboration avec les consultations générales de cet hôpital. Il ne s’adressait qu’aux hommes (voir photographies, annexe 2).

Quelques chiffres : - Au total, en 4 ans, il y a eu 3737 consultations dont 1989 (50,9 %) de nouveaux cas. - D’après l’interrogatoire, nous avons constaté que les hommes consultant pour des IST fréquentaient certains types de partenaires à risque : principalement des prostituées directes (n=1737), indirectes comme les lanceuses 265 (n=1494), les hôtesses des Night clubs (n=1128), les hôtesses des karaokés (n=918). Les autres catégories (masseuses, serveuses) étant peu représentées. - Les antécédents d’IST étaient retrouvés dans 37,2 % des cas chez les hommes.

265 Les lanceuses, sont de jeunes femmes qui font la promotion, dans les restaurants, de marques de bières, de cognacs, de cigarettes ou encore de parfums (il existe à Phnom-Penh une vingtaine d’entreprises distribuant des boissons alcoolisées). Elles sont plusieurs milliers à Phnom-Penh, avec un "turn-over" rapide (entre 5 et 20 % de renouvellement tous les mois). Elles sont payées environ 30 à 40$ par la compagnie, à condition qu'elles remplissent leur quota de vente. Ce sont des jeunes femmes qui se prostituent occasionnellement après leur travail (avec les clients des restaurants) pour compléter un salaire insuffisant. Cette population en expansion (par l'exode rural des jeunes à la recherche de travail), difficile à toucher, très changeante, n’a pas encore trouvé à travers les programmes médicaux existants une réponse à leurs problèmes de santé spécifiques.

168 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

- Le vagabondage sexuel de ces hommes était très net : sur 1985, 1706 (86 %) ont eu 1 à 4 partenaires différentes dans les 6 derniers mois, 244 de 5 à 10, 4 plus de 10 … et 31 sont restés fidèles / abstinents … - L'utilisation des préservatifs n’était pas systématique : sur 1980 hommes, 33 ne l'utilisaient jamais, 280 parfois, 1661 (84 %) souvent et 6 toujours ... Les programmes 100% condom se mettaient progressivement en place au Cambodge mais les mentalités étaient lentes à changer. - Au niveau des pathologies : l'urétrite était le principal motif de consultation. La syphilis, le chancre mou, l'herpès et la gale étaient aussi fréquemment retrouvés.

Au total, cette consultation n'a jamais pu remplir de façon optimale le rôle défini au départ, à savoir de toucher un grand nombre de policiers. Le nombre de consultations mensuelles n’a jamais été très élevé. Il a toujours été très difficile de motiver les autorités responsables de l’hôpital de police et du Ministère de l’Intérieur. De nombreuses séances d’information ont été réalisées dans les commissariats, au Ministère de l'Intérieur, à la télévision, dans les journaux et à la radio sans succès. De plus, la population policière était plus difficile à toucher que les militaires car elle possédait des revenus complémentaires plus importants, elle se faisait plus souvent soigner dans des cliniques privées, pour des raisons d’anonymat.

 CENTRE IST DE L’HOPITAL MILITAIRE

Ce centre travaillait en collaboration avec les consultations générales de l’hôpital militaire de Preah Ket Mealea et se situait dans l’enceinte du bâtiment des consultations de cet hôpital.

Des séances d’informations axées sur la sensibilisation aux IST et SIDA étaient dispensées régulièrement dans les casernes situées autour de Phnom Penh (voir photographies, annexe 2).

Quelques chiffres : - Au total, en 4 ans, il y a eu 18 402 consultations dont (70 %) de nouveaux cas. - Les hommes (n=5 552) représentaient 30,2 % des consultants et les femmes (n=12 850) représentaient 69,8 %. L'importance de cette population féminine était due à plusieurs raisons: l’infection génitale systématique et chronique des femmes par manque d'hygiène mais aussi par vagabondage des époux, une plus grande responsabilisation de la population féminine vis-à-vis de leur santé et une volonté de mettre fin à la gêne permanente qu'occasionne ce type d'infection génitale chez la femme.

169 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

- Après interrogatoire, nous avons constaté que les hommes (n=5552) fréquentaient certains types de partenaires à risque : principalement des prostituées directes (n=2679), mais aussi des lanceuses (n=1929). Les autres catégories sont peu représentées (masseuses : 137, karaoké : 231, serveuses : 100). - Les antécédents d’IST étaient retrouvés dans 28,3% (n=1139) des cas chez les hommes. - Le vagabondage sexuel de ces hommes étaient très net : sur 4018, 2375 ont eu 1 à 4 partenaires différentes dans les 6 derniers mois, 1260 de 5 à 10, 141 plus de 10 … et 242 étaient restés fidèles / abstinents… - L'utilisation des préservatifs n’était pas encore systématique : sur 4016 hommes, 489 ne l'utilisent jamais, 1516 parfois, 1787 souvent et 224 toujours (5,6%).

L'observance et le suivi des traitements étaient satisfaisants car les patients ayant un traitement prolongé revenaient quasiment toujours. Quant à l'efficacité, elle semblait aussi correcte car les patients revenaient essentiellement pour leur suivi et non à la suite d'un échec thérapeutique.

Au total, cette consultation, qui visait à informer et traiter les IST des soldats et de leurs épouses, a vu passer un nombre important de consultants qui ont trouvé là ce qui n’existait pas ailleurs. Les soldats, ayant tout particulièrement des conduites à risque lors de leurs déplacements à travers le pays, présentaient fréquemment des IST classiques (syphilis, chancre mou, gonorrhée). Ils étaient de ce fait des vecteurs potentiellement importants de la dispersion du VIH à un niveau national et familial. De plus, leur situation socio-économique difficile ne leur laissait aucune possibilité de réinsertion dans leur milieu agricole d’origine (plus de terres ni de maison) ni d’accès à des structures de soins adaptées. Leur comportement à risque s'est légèrement modifié au cours des années, suite à leur appauvrissement progressif (raréfaction des économies parallèles) : une consommation moins chronique d'alcool à permis de réduire l'habituel enchaînement : alcool-jeu- sexe. Cependant l'omniprésence de l'industrie du sexe à bon marché rendait difficile une modification des habitudes à cours terme. Fin mars 2002, après plusieurs mois de discussion avec les autorités de l’hôpital et les autorités militaires nous avons laissé la gestion de ce centre sous la responsabilité de l’hôpital, avec une donation de médicaments et de tout le matériel. Enfin, une aide complémentaire a vu le jour suite à l’élaboration d’un « Strategic Action Plan » par l’UNAIDS « Strategic Meeting on HIV/AIDS and National Security » à Copenhague le 4-5 avril 2002. L’UNAIDS Humanitarian Unit travailla au Cambodge en accord avec ce programme et le programme du Ministère de la Défense pour 2002- 2006.

170 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 CENTRE IST DE PSAR THMEY (PROSTITUEES)

Ce centre se situait à Phnom Penh dans le centre ville près du marché central.

Il s’agissait d’un centre privé qui ne dépendait pas du plan de couverture sanitaire général du district opérationnel de Phnom Penh, mais qui fonctionnait avec l'autorisation du Ministère de la Santé et du NCHADS. Médecins du Monde travaillait aussi avec une association médicale Cambodgienne, la MEC (Médecine de l’Espoir Cambodge), afin de servir d’interface avec les propriétaires de bordels, salons de massage, karaoke et les prostituées… Elle permettait de les mettre en confiance en assurant le transport aller-retour sans extraction. Elle assurait aussi une information au niveau des sites de prostitution et dans le centre de consultation. Le centre était néanmoins ouvert à toutes les femmes à risque.

Le nombre de filles qui travaillaient dans ces établissements était en permanence de 2000 à 3000, mais ces chiffres étaient évidemment difficilement vérifiables. Le grand turnover de cette population en raison de leur mobilité (volontaire ou non) nous demandait de faire des visites d’information en permanence et rendait difficile le suivi médical.

Quelques chiffres : - Du 25 mai 1998 au 31 mars 2002, 24 194 patientes ont été examinées et traitées, 61 % d’entre elles étaient des nouveaux cas. - Moyenne d'âge : 21,7 ans (85,3 % avaient moins de 26 ans) - Niveau d’étude : il était très bas. 53,8% ont un niveau d’étude inférieur au primaire et 45,9% ont un niveau primaire. - Utilisation de préservatif assez irrégulière : 1,2 % n’utilisaient jamais de préservatifs, 97,6 % les utilisaient parfois et 1,2% toujours. - Les avortements provoqués étaient assez fréquents, puisque 40,8 % des prostituées y ont eu recourt (n=6 259). Ceci était la conséquence d’une utilisation non systématique des préservatifs, en particulier avec les partenaires habituels, pointant indirectement du doigt leur grande vulnérabilité au VIH.

171 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Au total, cette consultation, grâce au travail de la MEC, a globalement réussi à rester centrée sur la population cible et a permis de créer des liens de confiance avec les sites de prostitution, facilitant un accès à l'Information et aux Soins des prostituées. Les patientes étaient satisfaites de l'accueil et de la consultation médicale. Il était cependant difficile de persuader les filles de se protéger lors des rapports avec le partenaire habituel (relation sentimentale) alors qu'ils étaient tous les deux à risque.

Au début de l'année 2002, nous avons pu contacter une autre ONG « Pharmaciens sans Frontières » (PSF) qui était désireuse d’avoir une activité similaire. Ils se sont donc engagés à reprendre l’activité du centre en finançant l’ONG locale MEC via l’USAID et FHI/Impact. Nous avons donné tout le matériel du centre à l’ONG locale MEC afin qu’elle puisse continuer à travailler. Actuellement le centre est toujours en activité, géré par la MEC.

II.E.3.b Les Centres de Dépistage

Les centres de dépistage ont été mis en place en accord avec les recommandations du MOH (Ministry of Health) et du NCHADS (National Center for Hiv/Aids, Dermatology and Stds) : « to strengthen and expand testing and counselling services in both government and private sector ». L'objectif était de faciliter l’accès à la connaissance du statut sérologique VIH des patients fréquentant les centres IST afin d’obtenir une modification des comportements à risque. Nous avons, en accord avec le service de santé du Ministère de la Défense et la direction de l’hôpital Preah Ket Maelea, mis en place un CDAG secondaire au sein de cet hôpital. Un deuxième CDAG a été installé à la clinique Psar Thmey. Le personnel de ces centres a été formé à la fois au niveau de l'Institut Pasteur du Cambodge (IPC) et au niveau du Centre National de Lutte contre le Sida (NCHADS). Les prélèvements étaient effectués sur site puis envoyés anonymement à l'IPC pour analyse. Les patientes devaient revenir chercher les résultats après une semaine.

Ces CDAG étaient issu du besoin d'élargir l'accès au dépistage parmi les populations à risque, et il se situait au milieu d'un réseau de prise en charge qui en garantissait la pertinence. Ainsi un patient découvert séropositif était, après l'IEC pré et post test, orienté vers les structures appropriées à son état et ses impératifs géographiques.

172 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 CDAG DE L’HOPITAL MILITAIRE

Le centre était situé non loin de la consultation IST et était ouvert à tout le monde. Ce centre a permis d’apporter aux patients un service exécuté en toute discrétion. Et il permit aussi de soulager le CDAG de l'IPC, et de remplacer celui qui existait de façon informelle, sans IEC, au sein de la consultation externe de l'hôpital militaire.

Quelques chiffres :

- Depuis l'ouverture il y a eu au total, 1572 tests de dépistage. - Le motif du dépistage était majoritairement le contrôle sérologique après une prise de risque (28,3 %). Il y avait aussi le doute lorsqu'un patient se sentait malade (23,5 %), le doute sur le partenaire (12,4 %), l'envie de connaître son statut après des années de prise de risque (11%) et la vérification de son statut alors que le partenaire était séropositif (8,8 %). - L’âge moyen des personnes testées était de 29,6 ans avec une répartition par sexe de 2/3 hommes (n=968 / 61,6 %), 1/3 femmes (n=604 / 38,4 %). - 25,6 % des hommes déclarèrent avoir eu un rapport avec au moins une prostituée depuis les 3 derniers mois. - 91 % des consultants sont revenus chercher leur résultat à une semaine. - L'utilisation du préservatif : de façon générale pour les séronégatifs comme pour les séropositifs, 18 % n'en ont jamais mis au cours des 3 derniers mois lors de leurs rapports avec des partenaires occasionnels et 87 % ne mettaient jamais de préservatifs avec leur partenaire régulier. - Le nombre de séropositifs dépistés a été de 473, soit 30,1 % des consultants. 277 hommes (58,6 %) et 196 femmes (41,4 %). - Les militaires séropositifs (n=141) représentaient 29,8 % des séropositifs et 32,3 % des militaires testés. - Il y a eu 13 femmes enceintes dans la séropositivité a été découverte dans le centre. Elles ont été orientées vers le programme de prévention de la transmission verticale de Calmette (projet PERIKAM).

Au total, cette activité a permis de dépister une population à risque et indigente dont le taux de séropositivité est important (30%). Le changement de comportement consécutif au dépistage et à l'IEC était évidemment difficile à évaluer mais il n’était certainement pas nul.

173 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 CDAG DU CENTRE PSAR THMEY (PROSTITUEES)

Le centre était situé non loin de la consultation MST et était ouvert à toutes les consultantes. Depuis le 13 mars 2001, nous avons, sur les recommandations du conseiller de l’UE et afin de mieux répondre aux contraintes des populations de prostituées ayant fait la démarche du dépistage VIH, mis en place un système de test rapide (Determine Abbott HIV1/2) en complément du test réalisé à l'IPC. Cette méthode permettait d'éviter de perdre de vue des patientes en attendant le résultat de l'IPC.

Quelques chiffres :

- En 4 ans il y a eu 1017 tests de dépistage. - Le motif du dépistage: contrôle sérologique après un rapport à risque (67,5%), doute sur le partenaire (14,4%), pour connaître son statut (8,1%), doute lorsqu'un patient se sentait malade (4,9%), doute parce que le partenaire était séropositif (1,8%). - L’âge moyen des femmes testées (n=1017) était de 24,3 ans. - Le nombre de partenaires des prostituées au cours de 3 derniers mois : en moyenne elles ont eu 83 partenaires différents avec une majorité ayant eu plus de 100 partenaires (346/554). - L'utilisation du préservatif : seulement 1,7% des patientes n'ont pas mis de préservatif lors de leur dernier rapport avec un partenaire occasionnel, ce qui était assez positif. Mais l’utilisation n’était pas encore systématique : 72,4 % l’ont toujours utilisé au cours des 3 derniers mois lors de leurs rapports avec des partenaires occasionnels. Le problème se situait surtout au niveau des partenaires réguliers car la liaison était considérée comme sentimentale et donc le préservatif n’était pas utilisé. - 105 femmes déclarèrent avoir eu des relations homo/bisexuelles (10,4%). - 95,4 % des patientes qui ont eu une prise de sang sont venues chercher leur résultat dans un délai d’une semaine. Les autres, suite à des changements du lieu de travail, n'ont souvent pas eu la possibilité de revenir au centre. - Pourcentage de séropositivité : . 22,1 % (225/1017) de l’ensemble des femmes testées . 17,2 % (36/209) de la population non prostituée . 26,5 % (147/554) de la population des prostituées directes . 16,6 % (42/253) de la population des prostituées indirectes - 9 patientes séropositives étaient enceintes. Elles ont été orientées vers le projet PERIKAM.

174 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Au total, ce centre a permis de donner accès au dépistage du VIH à une population vulnérable qui, normalement, n'aurait pas pu y accéder. Ceci a été possible grâce à la MEC qui a tissé un réseau d'aide et de confiance essentiel pour cette population se situant souvent à l'écart de la société. Le dépistage à des conséquences importantes sur la prise de conscience du risque et des comportements associés. La séropositivité était un drame pour ces jeunes femmes, victimes de l'environnement socio-économique du pays et des trafics humains qui en découlaient. Idéalement, la connaissance du statut sérologique devait conduire à une démarche de soins appropriée (suivi en consultation spécialisée) or l'existence à un niveau national de ce type de services faisait cruellement défaut, surtout pour cette population marginalisée. Certaines d’entre elles, si elles le pouvaient, décidaient de repartir vivre dans leur village avant d’être malade …

 SCHEMATISATION DU RESEAU DE PRISE EN CHARGE DE MDM DE 1998 A 2002

Figure 47 : Réseau de dépistage et de prise en charge médicale (VIH & IST) de MDM au Cambodge 1998- 2002

Ce réseau (figure 47), instauré avec l’aide de partenaires, permettait à la fois de faire de la prévention grâce au traitement des IST parmi les populations à risque, proposer un dépistage de proximité pour ces populations et ensuite donner accès à eux comme à ceux qui étaient dépistés dans un autre CDAG, à des services de consultation et d’hospitalisation. La prise en charge se voulait holistique, il ne manquait plus qu’un plus gros accès aux ARV.

175 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.E.4. Hospitalisation et consultations externes, hôpital Preah Kossamak (2003-2008)

Les années 2002-2003 ont amené un changement important dans les programmes de Médecins du Monde. Le soutien de l’Union Européenne se terminant à la fin 2002 il fallu organiser la passation de la majorité des activités et entreprendre des recherches de financement pour poursuivre les activités liées au VIH, car le gouvernement ne pouvait pas encore subvenir aux besoins de tous les patients.. Les programmes de traitement des IST ont été transférés aux hôpitaux concernés (police et armée) et à Pharmaciens Sans Frontières (PSF) (clinique pour les prostituées). La consultation générale pour les indigents fut à notre grand regret progressivement arrêtée. Les patients diabétiques furent réorientés vers d’autres ONG ayant démarré un programme similaire. Les activités liées aux prisons ont été passées à une ONG australienne et nous nous sommes désengagés de la province de Mondolkiri en faveur d’une autre ONG.

Dès l’année 2002, pour des raisons stratégiques, nous avons envisagé de déménager nos activités VIH/Sida. En effet le programme ESTHER du gouvernement français était venu s’installé dans le même hôpital, posant des problèmes de superposition de services médicaux sur un même site, avec des patients qui parfois allaient chercher des soins auprès des 2 programmes. D’autre part nous désirions augmenter notre capacité d’accueil en consultation externe et élargir l’accès aux ARV, ce qui n’était pas possible dans les locaux que nous avions à ce moment.

En 2003, l’hôpital Preah Kossamak, fut retenu pour accueillir une nouvelle consultation externe VIH/Sida. En octobre de la même année, une demande de financement a été acceptée par l’Ambassade du Japon à Phnom Penh, et 160 000 dollars furent attribués à la construction de ce bâtiment de plus de 1000 m². La construction se termina en août 2004. Le fonctionnement était assuré grâce à MDM, une fondation privée et surtout au Fonds Mondial (nous en reparlerons plus loin). Avec une demande déposée en avril 2002 et acceptée en novembre 2002, le Fonds Mondial commença à soutenir les activités de MDM dès octobre 2003266. L’objectif principal du projet était de traiter avec des ARV le maximum de patients séropositifs ambulatoires avant que leur état clinique soit trop altéré. Les ARV permettaient la diminution de la morbidité et de la mortalité, apportant une meilleure qualité de vie aux patients, les aidant ainsi à mener une vie sociale active plus longue et à lutter contre l’exclusion. Cela permettait aussi de limiter l’engorgement du système

266 L’année de délai est due au temps nécessaire pour la mise en place du Principal Recipient par le Ministère de la Santé.

176 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 sanitaire et de diminuer l’impact socio-économique de la maladie au niveau familial et communautaire. Un service d’hospitalisation de 18 lits fut également construit grâce au financement du Fonds Mondial. Cette hospitalisation était réservée en priorité aux patients suivis en consultation. Un partenariat avec PSF a été établi dès 2005 afin d’augmenter la cohorte de patients recevant des ARV, PSF ayant aussi reçu un financement du Fonds Mondial. Ceci nous a permis de sortir d’une situation difficile : au préalable nous ne pouvions espérer donner des ARV à tous les patients suivis dans la consultation. Cela rendait compliquées les modalités de sélection (choisir certains et de laisser mourir les autres ?) et la communication médecin-malade, sans compter les risques de corruption. De plus le temps d’attente était moins long : le délai entre la date d’éligibilité et la mise sous ARV est passée de 267jours en moyenne en 2005 à 79 jours en 2007.

Ainsi, si le but final est la qualité de vie des patients, nos objectifs intermédiaires sont : . Augmenter le nombre de patients sous ARV et améliorer l’observance au traitement : formation des médecins, des conseillers et des éducateurs thérapeutiques, accès à l’information pour les patients. . Renforcer l’approche « compréhensive » des soins, donner les traitements contre les maladies opportunistes et les ARV, assurer un service d’hospitalisation, mettre en place un département de suivi psychosocial et de soutien socio-économique, renforcer le service de PTME, faciliter l’accès aux soins par différents procédés d’informations et à organiser des réunions hebdomadaires pour le personnel. . Améliorer la « continuité des soins » par la mise en place de groupes de paroles, en développant un réseau de soins à domicile et avec des partenaires associatifs, en améliorant la communication patients/soignants et, en mettant en place un centre de jour à l’extérieur de l’hôpital, sur le principe du MMM. Ce centre fait le lien avec les autres ONG, développe des activités sources de revenus pour les patients, héberge les réunions de patients et crée un espace de formation professionnelle.

Les 60 membres du personnel local (70 en janvier 2009) sont répartis entre plusieurs départements : hospitalisation, consultations OI et ARV, salle de prélèvements, réception, conseil, support social, soutien psychologique, pharmacie, finance, administration, logistique, hygiène et sécurité.

177 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les services apportés à travers ces départements :

Soins : . Prévention et traitements des infections opportunistes (IO) et Traitements symptomatiques . Traitements par antirétroviraux . Hospitalisation . Accès à des services de PTME . Tests biologiques et imagerie . Transfert vers des consultations spécialisées (cardiologiques, ophtalmologiques…)

Soutien et éducation . Consultations psychologiques . Conseils à la famille et aux accompagnants . Soutien social . Education à l’utilisation des médicaments (Drug Educator) . Jardin d’enfants (enfants des consultants) . Cafétéria . Centre de jour (ou d’accueil) pour les patients (PLHA Center) . Microcrédits

Figure 48 : Organisation du système de soins de MDM à l’hôpital Preah Kossamak pour les patients vivant avec le VIH/Sida Source : MDM

178 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Concernant le personnel local nous ne reviendrons pas sur le département administratif qui est certes crucial mais qui n’a pas une grande spécificité. Avoir des comptables, des financiers et des administrateurs compétents est un mélange de chance et de formation. La complexité des exercices budgétaires est variable en fonction des bailleurs mais cela requiert une rigueur et un esprit d’analyse qui ne sont pas enseignés tels quels dans les écoles. Du côté des médecins, la tâche n’est pas beaucoup plus simple. La formation médicale au Cambodge, soutenue par la France, s’est nettement améliorée depuis quelques années. Cependant, parler la langue française est nécessaire pour certaines matières et cela limite nettement la compréhension. De plus les étudiants ne sont pas très présents, les stages sont souvent trop courts et mal encadrés. Les examens sont peu sélectifs et nous avons pu constater que les réponses circulaient parfois avant les questions… La communication avec le patient (poser des questions, écouter, expliquer) est souvent pauvre dans le monde médical, elle est souvent vécue comme accessoire par nombre de médecins. Le bénéfice pour le diagnostic, le traitement et le vécu du malade n’est pas enseigné ni même envisagé. Le statut social du médecin est assez haut et il n’est pas naturellement enclin à « s’abaisser » vers les plus pauvres. Cette attitude, très liée à la culture, peut être améliorée par une formation ciblée, du temps, de la discussion et surtout un salaire suffisant qui permet d’éviter de penser à un rendement de type privé. Toutefois de bons médecins existent et nous en avons trouvé. « Bon » médecin ne veut pas dire qu’il sait tout et qu’il a une grande expérience mais plutôt qu’il est motivé pour apprendre et qu’il a de l’initiative. Ensuite, tout se passe au quotidien, petit à petit, par accompagnement. Les travailleurs sociaux répartissent leur travail entre le bureau, les domiciles des patients et les ONG partenaires. Ils réalisent des évaluations socio-économiques chez les patients qui sont éligibles pour recevoir des antirétroviraux. Cette évaluation nous permet de mieux comprendre l’environnement dans lequel vit le patient et de détecter ses problèmes quotidiens Ils effectuent aussi des visites, à la demande des médecins, pour connaître les motifs d’absence des patients à leur consultation ARV, pour vérifier leur adresse et pour transmettre des messages importants, et, dans des cas exceptionnels, pour apporter des médicaments. Les facilitateurs forment un groupe de personnes qui accompagnent les malades dans leur circuit thérapeutique au sein de notre structure et de l’hôpital. Ils discutent avec eux dans la salle d’attente, essayent de percevoir ce qu’ils n’osent pas dire au reste du personnel de santé, apportent des réponses à des questions, expliquent le fonctionnement du centre, favorise la communication avec le personnel médical, donnent la liste des aides disponibles, leur distribuent des prospectus éducatifs (IEC), les accompagnent vers la radiologie etc. Nous avons créé ce poste de travail pour générer une

179 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir atmosphère de partage, d’échange et de convivialité. Le patient se sent pris en charge, considéré et écouté. La conception architecturale du centre a aussi été conçue pour accentuer ce sentiment (voir photographies, annexe 2).). Nous avons même créé une cafétéria, gérée par une patiente. Nous achetons les boissons et les repas qu’elle revend à la moitié du prix du marché. Les patients peuvent y prendre une collation, se reposer, regarder la télévision sans dépenser beaucoup d’argent. Les psychologues doivent soutenir les patients, évaluer leur motivation et identifier des facteurs de non adhérence. Ils n’ont pas tous la formation académique équivalente mais ils ont été formés dans notre centre pour avoir les connaissances adéquates sur des sujets particuliers (la maladie, les médicaments, l’adhérence…) et pour savoir comment se comporter avec le patient pour lui venir en aide. La tâche n’est pas toujours aisée, ce d’autant que certains psychologues sont eux-mêmes séropositifs et que si leur expérience peut être très utile pour les patients, côtoyer tous les jours des malades (ce qu’ils pourraient devenir) est en soi un stress qu’il faut pouvoir dépasser (ce qu’ils font). Les réceptionnistes s’occupent de l’enregistrement des malades à leur arrivée : ils conservent leur carte anonyme et personnalisée (comportant le numéro IO et éventuellement le numéro ARV) et leur donnent une « feuille de route » sur laquelle sont marqués les rendez-vous du jour. Sur cette feuille, à chaque fois qu’une consultation a été donnée (médicale, psychologique, sociale), à chaque fois que le patient passe à la pharmacie ou au prélèvement sanguin, le personnel de santé appose son tampon et éventuellement redonne un rendez-vous qui sera marqué sur la feuille et prescrit un acte (aller à la pharmacie, à la salle de prélèvement, à une consultation sociale ou psychologique). Entre chaque consultation le patient retourne vers un accueil (réception centrale) qui s’occupe de vérifier où il en est dans son itinéraire et de l’orienter vers ses autres rendez-vous en fonction de la disponibilité des praticiens. Cette régulation évite l’encombrement et l’attente trop longue, tout en vérifiant que le patient a bien été partout où il le devait. A sa sortie la feuille de route est récupérée, la carte est redonnée et un carton avec les nouveaux rendez-vous est fourni. Les éducateurs thérapeutiques (drug educator) s’occupent d’expliquer aux patients les traitements et leurs effets, les précautions à prendre, les posologies, ils calculent le taux d’adhérence (nous aborderons ce sujet plus loin) et recherchent des facteurs qui la perturbent. Ils ont aussi pour responsabilité d’identifier les patients ayant besoin d’un soutien pour leurs frais de transport et de leur remettre de l’argent si cela a été approuvé antérieurement.

180 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Nous exposerons ci-après quelques points marquants concernant ce programme de soins.

 LES COHORTES IO ET ARV

Le suivi d’une cohorte de plusieurs milliers de patients nécessite de mettre en place, en même temps, un nombre important de processus : avoir des locaux adaptés au travail du personnel, à la circulation et au confort des patients, avoir du personnel motivé, avoir les fournitures et le matériel médical, avoir des outils pour la collecte des données, avoir des financements pour toutes les dépenses liées aux activités (médicaments, examens paracliniques, salaires, maintenances, assurances, soutiens aux patients…), avoir tissé des relations avec les partenaires et les autorités, et avoir du temps devant soi … La préparation et la mise en place, se sont étalées sur plusieurs années, avec bien sûr, sur le chemin, un certain nombre d’obstacles. Les résultats ont été quantitativement et qualitativement améliorés dès que le contexte et les moyens l’ont permis. La qualité a un coût, certes, mais elle amène avec elle des effets positifs qui se répercutent à tous les niveaux de la délivrance des soins. Les autres ONG délivrant des ARV (MSF, CRF, DSF, Center of Hope) ont été confrontés aux mêmes embûches avec certaines variantes. Les différences tenaient surtout au contexte dans lequel s’inscrivait le projet, en particulier cela dépendait du type de partenariat avec le gouvernement. Les critères d’inclusion eux aussi étaient variables : Les critères médicaux étaient similaires sauf pour le taux de CD4. En effet, les recommandations internationales sont une chose mais en pratique l’éligibilité peut être progressivement adaptée aux capacités thérapeutiques du centre. Par exemple il peut être décidé de rendre éligible en priorité les patients ayant moins de 200 CD4 pour pouvoir les traiter en urgence, puis cette barre peut être remontée pour élargir l’accès à d’autres patients moins graves. Les médecins devaient faire une liste de patients médicalement incluables, discuter avec le psychologue et le travailleur social pour avoir leurs avis et, si ce tryptique de présélection y était favorable, le dossier était présenté au comité de sélection pour validation. Si les places sont limitées les médecins subissent une grande pression de la part des patients et ils ont du mal à expliquer les délais ou les refus. Les critères non médicaux étaient très hétérogènes car qualitatifs. Certaines ONG préféraient favoriser les veuves, les chefs de familles, les jeunes, les plus pauvres … d’autres utilisaient la loterie 267 pour départager tous les patients éligibles.

267 Nous avons évalué cette technique : le bilan était contrasté. Les médecins y étaient favorables car cela les délestait du poids de la sélection (la pression des malades) mais les patients qui attendaient les ARV depuis longtemps ne voulaient pas se faire passer devant pas les nouveaux arrivés….

181 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Le problème revenait toujours à « comment être le plus fair dans la sélection ?». Il n’y a pas de réponse universelle mais plutôt une réponse contextuelle. Pour MDM, la collaboration avec PSF a permis de ne plus avoir à trouver des méthodes de choix douloureux car nous pouvions traiter tous ceux qui en avaient besoin. Si nous illustrons par une courbe l’évolution des cohortes IO et ARV nous voyons très clairement le passage des patients de l’une vers autre (figure 49). Cependant le passage n’est pas intégral en raison de la persistance et même de l’augmentation du nombre de nouveaux patients reçus au centre (60 en moyenne par mois). La cohorte totale augmente progressivement mais le centre n’a pas encore atteint le point de saturation. La seule limite sera le nombre de traitements ARV disponibles.

Au 31 décembre 2008 la cohorte totale était de 2 641 patients avec 708 patients OI (433 femmes) et 1 933 (988 femmes) patients recevant des ARV :

2004 2005 2006 2007 2008 Cohorte IO 1 366 1 080 672 596 708 % de femmes 58% 64% 67% 68% 65% Nombre de nouveaux patients IO 1 396 831 553 515 674 Nombre de patients sortis de la 442 727 421 172 121 cohorte IO (perdus de vue, décès) Nombre de consultations IO 7 421 12 173 6 127 4 636 4997

Cohorte ARV 350 582 1 125 1 510 1 933 % de femmes 41% 45% 50% 50% 51% Nombre de nouveaux patients ARV 223 264 610 451 490 Nombre de consultations ARV 2 913 5 351 8 195 12 083 13176 Pourcentage de patients adhérents 96% 94% 93% 93% au démarrage des ARV Nombre de consultations psychologiques pour les patients 1 033 1 405 1 449 1 881 2292 ARV

Cohorte totale 1 716 1 662 1 797 2 106 2 641

IO : Infections Opportunistes. Cohorte ARV : tous les patients recevant des ARV (ces patients peuvent aussi recevoir de façon concomitante des traitements préventifs et/ou curatifs contre les infections opportunistes).

Tableau 9 : Description des cohortes ARV et IO de MDM de 2004 à 2008 Source : MDM/SEAD

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Figure 49 : Evolution des cohortes de patients « IO » et « ARV » de MDM, 2004-2008 et projection de la cohorte ARV en 2010 Source : MDM/SEAD

Quelques remarques supplémentaires :

 Fin 2010, avant la passation du projet au gouvernement, il est prévu que la cohorte ARV de SEAD augmente jusqu’à 3200 patients. Il est difficile de prévoir l’évolution de la cohorte IO car elle dépendra de nombreux facteurs (nombre de patients se présentant au centre, capacité d’accueil, financements …).  Pour mémoire notons que la mise sous traitement ARV et le suivi s’est basé pendant de longues années sur les CD4 et la clinique. Les charges virales n’ont été réellement disponibles que depuis 2008 (20$ à l’Institut Pasteur alors qu’auparavant il fallait envoyer le sang à Bangkok et cela coutait 160$ par test). Ceci-dit il n’est toujours pas possible, pour des raisons financières de réaliser des charges virales de façon systématique. Depuis peu elles sont faites une fois à six mois de traitement ARV pour vérifier son efficacité, et ensuite si on suspect l’apparition d’une résistance, d’un échec.  Les régimes ARV. Tout à fait initialement le choix des molécules reposait sur des critères pragmatiques : le prix, la disponibilité, la facilité de conservation (problème du ritonavir). Ensuite il y a aussi le problème des patients non naïfs en échec (ARV pris irrégulièrement dans le privé) pour lesquels nous avons dû apporter des lignes alternatives et des secondes lignes. Enfin, nous avons choisi de nous orienter vers des régimes qui prenaient en compte d’autres facteurs. Ainsi, malgré un coût plus élevé nous avons privilégié l’EFV en raison de l’endémie de tuberculose afin d’éviter les changements de traitement en cas d’IRIS. De plus 10% des patients qui démarraient les ARV étaient déjà en cours de traitement pour la TB. Nous avons aussi privilégié l’AZT en première

183 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir intention pour les femmes en raison des lipodystrophies plus fréquentes rencontrées avec la D4T 268. Pour les hommes nous envisagions souvent un changement D4T ► AZT après 1 an ou 2 ans de traitement, dès qu’il existait le moindre signe d’une toxicité mitochondriale. Ces orientations ressortent nettement dans le tableau ci-dessous (tableau 10) lorsque l’on compare le programme de SEAD et le programme national (qui comprend aussi celui de SEAD). Dans ce tableau on peut aussi noter plus de premières lignes alternatives (souvent à base de TDF) et de secondes lignes, en raison de l’existence de nombreux patients plus anciens que la cohorte nationale. NATIONAL MDM/SEAD

D4T+3TC+NVP 12 81444,2% 339 17,6% D4T+3TC+EFV 3 86213,3% 267 13,9% AZT+3TC+NVP 7 32625,3% 570 29,7% AZT+3TC+EFV 2 4868,6% 345 18,0% PI-based régimes 928 3,2% 145 7,5% Autres régimes 1 564 5,4% 256 13,3% 28 980 100,0% 1 922 100,0% AZT based 33,9% 47,6% D4T based 57,5% 31,5% EFV based 21,9% 38,2% NVP based 69,5% 54,2%

Tableau 10 : Distribution des régimes ARV au niveau national et au sein du programme de MDM/SEAD (décembre 2008) Source : NCHADS & MDM/SEAD

 D’après une analyse rétrospective réalisée par le Dr Mao Heng269 sur 1045 patients de la cohorte ARV (2005-2007) il est possible de dégager quelques tendances : - L’âge médian est de 35 ans. - Distribution des stades OMS à l’inclusion: I&II (11%), III (60%), IV (29%) - La médiane des CD4 à l’inclusion est de 82/mm3 - Sur la période le taux de mortalité est de 3,8% et les perdus de vue représentent 1,2%. - A 6 mois le gain moyen des CD4 est de 100/mm3 - 7,5% des patients ont fait un IRIS (TB 77%, CNM 13%, MAC 5%, CMV 4%, PCP 1%) - 8,4% ont eu des effets secondaires nécessitant un changement de traitement (7% de rash cutané, 1% d’hépatotoxicité et 0,4% d’anémie) - 260 hospitalisations ont eu lieu dont 23,5% dues à la TB

268 VAN DER VALK M, CASULA M, WEVERLINGZ GJ, VAN KUIJK K, VAN ECK-SMIT B et al. Prevalence of lipoatrophy and mitochondrial DNA content of blood and subcutaneous fat in HIV-1-infected patients randomly allocated to zidovudine- or stavudine - based therapy. Antivir Ther 2004 Jun ; 9 (3) : 385-393. 269 Travail réalisé par un médecin travaillant à SEAD en prévision de la réaction d’une thèse de médecine.

184 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Tous ces chiffres sont similaires aux publications faites sur d’autres cohortes cambodgiennes. Le taux de perdu de vue est particulièrement bas en raison du suivi social rapproché.  On notera aussi la rareté de la toxoplasmose cérébrale et du Sarcome de Kaposi parmi les Infections opportunistes. Par contre des penicillioses et des histoplasmoses avec atteinte cutanée sont plus souvent rencontrées. D’autre part les traitements par amphotéricine B sont très bien supportés, ne nécessitant aucune précaution particulière.  L’évaluation du taux de survie de la cohorte montre qu’elle est de 96% à 1 an, 92,5% à 2 ans, 84,6% à 3 ans. Les taux minimum et maximum sont quasiment les mêmes car le nombre de perdus de vue est très faible.

 ADHERENCE AUX ARV

L’adhérence ou l’observance sont des termes utilisés pour indiquer si le patient a suivi correctement ou non les prescriptions médicales. Actuellement le premier terme est préféré car il ne sous-entend pas une certaine passivité du patient qui suit les ordres du médecin. Le traitement devrait faire partie d’une alliance thérapeutique entre le patient et le médecin. Cette notion d’adhérence est importante car pour que les traitements soient efficaces, ils doivent être utilisés à des horaires de prises particulières et avec des posologies précises. Dans les pays développés il est estimé que 50% des patients souffrant de maladies chroniques sont non observants 270. Les raisons ayant entraîné une non-adhérence peuvent être nombreuses. Pour les ARV, qui nécessitent d’être pris correctement pour avoir un effet antiviral optimal, l’adhérence est cruciale. En deçà du seuil de 95% de bonnes prises des médicaments sur un mois 271, ils risquent de laisser la place pour l’apparition de mutations qui conduiront le traitement vers l’échec 272,273. A partir de quand peut-on dire qu’un patient n’est pas observant ? Le calcul de l’observance est en théorie facile, « il suffit » de compter les comprimés qui restent et demander au patient s’il a raté des prises. Ensuite on calcule le pourcentage des comprimés réellement pris par rapport à ceux qui auraient dû être pris. Le plus facile est de faire cette

270 SABATE, E. Adherence to Long term Therapies: Evidence for Action. World Health Organization. Geneva, 2003. 271 Cela dépend des molécules utilisées. En particulier pour les traitements avec des IP « boostés », l’adhérence peut être moindre sans avoir de conséquences sur la réplication virale. 272 BOUHNIK AD. Impact de l’adhérence sur la réponse CD4. Transcriptase 2004 ; 115 : 16-18. 273 PATERSON DL, SWINDELLS S, MOHR J, BRESTER M, VERGIS EN, SQUIRE C, WAGNER MM, SINGH N. Adherence to protease inhibitor therapy and outcomes in patients with HIV infection. Ann Intern Med 2000 ; 133 (1) : 21-30.

185 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir comptabilité sur la durée de l’ordonnance qui est en général d’un mois. Si le résultat est inférieur à 95%, le patient est non adhérent. Et après ? Doit-on considérer comme non observant un patient qui a eu un seul épisode au-dessous de 95% en une année ? Le patient sera-t-il alors étiqueté non adhérent pendant des années ou durant la durée le l’étude ? Cela a-t-il un sens ? De même, faire la moyenne de l’observance sur l’année ne donne pas de bons résultats. La littérature est riche sur le sujet mais en y regardant de plus près il y est très rarement décrit comment le calcul de l’adhérence est précisément réalisé. Chaque étude utilise des questionnaires différents, mélangeant du qualitatif avec du quantitatif, et disserte sur l’adhérence alors que le calcul de celle-ci n’est pas standardisé. Il est dès lors difficile de comparer des résultats entre eux.

Suite à la publication d’un article du groupe d’étude APROCO 274, qui concluait que l’optimisation de l’adhérence pendant les premiers mois du traitement ARV était cruciale pour obtenir une haute adhérence à long terme des patients, nous avons décidé de nous concentrer sur le premier trimestre de traitement. Les patients étaient particulièrement encadrés pendant cette période par des psychologues et des éducateurs thérapeutiques. Ces derniers avaient plusieurs tâches à accomplir:

. L’éducation du patient sur les modalités de la prise médicamenteuse, les effets secondaires à surveiller, la conduite à tenir en cas d’oubli… . La mesure de l’observance par le comptage des comprimés restant et l’auto déclaration . Proposer des solutions pour améliorer l’adhérence (si besoin et si possible) . Donner un soutien financier pour le transport si besoin, en particulier au démarrage du traitement ARV

Les mesures d’adhérence ont donc été réalisées par le Drug Educator pendant le premier trimestre de traitement. Etait déclaré non adhérent tout patient qui, au cours de cette période, aura présenté au moins un épisode de non adhérence (<95%) sur un mois. Sur les 3 dernières années, 93,7% des patients évalués ont été adhérents pendant les 3 premiers mois du traitement (sur 648 patients ayant terminé le trimestre, 607 n’ont présenté aucun épisode de non adhérence). Les raisons principales de la non-adhérence étaient : « juste un oubli » (40%), « trop malade pour prendre les médicaments » (30%), « pour éviter les effets secondaires » (20%). Le reste était un mélange de peur de la discrimination, de contraintes logistiques et de lassitude du

274 CARRIERI MP, RAFFI F, LEWDEN C et al. Impact of early versus late adherence to highly active antiretroviral therapy on immuno-virological response: a 3-year follow up study. Inserm U379. Antivir Ther 2003 Dec ; 8 (6) : 585- 94.

186 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 traitement. Le nombre de prises, la forme, le goût, le nombre de comprimés n’ont jamais été mis en avant. La prise régulière de médicaments entraîne une répétition monotone de gestes et de comportements qui favorise les oublis. Le poids du temps sur la régularité des prises de médicaments est bien illustré par une étude réalisée en Côte d’Ivoire en 2002 : sur le graphique ci-dessous (figure 50) nous voyons clairement que les problèmes d’adhérence sont arrivés avec le temps. Un soutien régulier et continu doit donc être fourni par tous les acteurs de santé avec qui est en contact le patient pour diminuer les risques. Chacun, à son niveau doit déceler les problèmes pouvant conduire à des problèmes d’adhérence et apporter des conseils. La relation entre les malades et le personnel est primordial, ce qui est un défi au Cambodge, en particulier avec les médecins qui maintiennent toujours une certaine distance et qui ne sont pas souvent prolixes en matière de conseil. De plus le patient est souvent intimidé et n’ose pas se confier de peur que cela ait un impact sur la qualité des soins que lui prodiguera son médecin traitant.

Figure 50 : Répartition des patients selon leur niveau d’observance en fonction du temps Source : Tanon 2006 275

 HOSPITALISATION

Avec notre déménagement vers l’hôpital Preah Kossamak qui réduisit notre nombre de lits d’hospitalisation de 55 à 18, le nombre de patients hospitalisés à diminué. Mais il s’est avéré que ce nombre de lits était tout à fait suffisant pour suivre une cohorte 100 fois plus nombreuse, à condition de réserver ces lits pour les patients de la consultation.

Depuis 3 ans le nombre d’hospitalisations est stable : entre 36 et 38 par mois, alors même que la cohorte totale continue à augmenter. D’un côté les patients sous ARV sont moins malades, mais

275 TANON A, POLNEAU S, ABA T, OUATTARA I et al. L’observance au traitement antirétroviral chez les patients adultes VIH positifs à Abidjan de mars à septembre 2002. Rev. Int. Sc. Méd 2006 ; 8 (2) : 53-58.

187 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir d’un autre côté une part non négligeable des nouveaux patients arrive encore à un stade évolué de la maladie. La durée d’hospitalisation est de 10 jours en moyenne et la mortalité varie de 3 à 10%. Les pathologies qui y sont rencontrées sont globalement les mêmes qu’en 1995-2000, à ceci près que la pneumopathie à Pneumocystis carinii et la méningite à cryptocoque ont nettement diminué (respectivement 3% et 2%), et que certains patients sont maintenant hospitalisés en raison des effets secondaires des ARV (8%). La tuberculose est toujours la première cause d’hospitalisation et de décès. Une analyse faite sur 818 hospitalisations a retrouvé 187 cas de tuberculoses (23%) dont 13% de TPM+, 35% de TPM- et 52% de TEP. Ces tuberculoses ont été à l’origine de 36% des décès.

 LA TUBERCULOSE (TB)

Nelson Mandela déclara en 2005 : « Nous ne pouvons combattre le Sida à moins que nous fassions plus pour combattre la TB, et il est urgent de passer des mots à l’action ».

La tuberculose, maladie endémique dans la majorité des pays en développement, est stimulée par l’épidémie du VIH, devenant la première maladie opportuniste et la première cause de mortalité. Les 2 épidémies se superposent pour des millions de personnes, formant un « couple mortel ». Estimations de l’OMS

Rappelons quelques faits concernant cette maladie 276,277,278,279,280:

. La tuberculose est une maladie de la pauvreté, elle touche les adultes jeunes pendant leur période de leur vie la plus active. . Une personne infectée par la tuberculose, si elle n’est pas correctement traitée, peut contaminer 10 à 15 personnes par an.

276 World TB day 2007. WHO fact sheet [Consulté le 22/09/09]. Disponible à partir de l’URL : www.borderhealth.org/files/res_803.pdf 277 WHO Fact sheet n°104, Revised March 2007. 278 HIV Medecine Association (Hivma), Infectious Diseases Society of America (IDSA), The Forum for Collaborative HIV Research. HIV/TB Coinfection: Basic Facts October 2007 279 WHO. The « 3 by 5 » Target. Newsletter, February-July 2005. [Consulté le 26/09/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.who.int/3by5/ 280 WHO report 2008. Global tuberculosis control. [Consulté le 01/07/2008]. Disponible à partir de l’URL : www.who.int/tb/publications/global_report/2008/pdf/key_points_fr.pdf

188 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. 2 milliards de personnes dans le monde (un tiers de la population) sont infectés par le bacille de la tuberculose et une personne est nouvellement infectée toutes les secondes. . 5 à 10% des personnes infectées par le bacille développeront la maladie au cours de leur vie. . La majorité des morts dues à la tuberculose prennent place dans les pays en développement, et la moitié d’entre eux sont en Asie. . 1,7 millions de personnes sont mortes de la tuberculose en 2006 (soit 4 650 morts par jour) dont 0,2 millions de VIH positifs. . La prévalence mondiale de la tuberculose en 2006 a été estimée à 14,4 millions de cas. . Il y a eu 9,2 millions de nouveaux cas de tuberculose en 2006 (139 pour 100 000) dont 4,1 millions de nouveaux cas à frottis positif (44 %) et 0,7 million de VIH-positifs (8%). . Même si l’incidence de la tuberculose semble se stabiliser, le nombre total de cas est en augmentation. . Alors que l’Afrique a la plus grande prévalence des cas de tuberculose, la moitié des nouveaux cas ont lieu dans 6 pays : Bengladesh, Chine, Inde, Indonésie, Pakistan, Philippines). . Le nombre de cas de tuberculose à bacilles multirésistants aux traitements classiques (MDR- TB) est en expansion. Il est estimé que 500 000 nouveaux cas de MDR-TB apparaissent tous les ans.

Incidence Prévalence Mortalité Toutes formes Crachat+

Nombre (en Pour Nombre Pour Nombre Pour Nombre Pour Régions OMS milliers) 100 000 (en 100 000 (en 100 000 (en 100 000 personnes milliers) personnes milliers) personnes milliers) personnes (% du total)

Afrique 2 529 (29) 343 1 088 147 3 773 511 544 74

Amériques 352 (4) 39 157 18 448 50 49 5.5

Est méditerranée 565 (6) 104 253 47 881 163 112 21

Europe 445 (5) 50199 23 525 60 667.4

Asie du Sud-est 2 993 (34) 181 1 339 81 4 809 290 512 31

Pacific 1 927 (22) 110 866 49 3 616 206 295 17

Global 8 811 (100) 136 3 902 60 14 052 217 1 577 24

Tableau 11 : Estimation de l'incidence, de la prévalence et de la mortalité de la tuberculose dans le monde en 2005. Source : WHO Fact sheet n°104, Revised March 2007

189 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Etre infecté par le VIH est un facteur de risque de développer la tuberculose et donne à cette dernière une gravité particulière :

. L’épidémie du VIH stimule celle de la tuberculose : depuis 1990 l’incidence de la TB a triplé dans les pays les plus touchés par le VIH. Cela est particulièrement visible en Afrique et en Asie :

Figure 51 : Prévalence du VIH parmi les cas de TB dans le monde en 2003 Source : OMS 2004

. 8% des nouveaux cas de tuberculose dans le monde apparaissent chez des personnes séropositives mais cela peut atteindre 80% dans certains pays. . Un tiers des séropositifs dans le monde est infectés par le bacille de la tuberculose (45% en Asie Pacific soit 3 millions de personnes). . 200 000 séropositifs meurent de la tuberculose chaque année, la majorité d’entre eux réSidant en Afrique. . Sans traitement, 90% des PVVS meurent dans les mois qui suivent la déclaration de la tuberculose. . Les PVVS ont 50 fois plus de risque de développer une tuberculose dans leur vie que les séronégatifs (plus de 50% d’entre eux développeront une TB active) et la tuberculose accélère la progression vers le stade Sida. . La mortalité due à la tuberculose est 4 à 5 fois plus élevée parmi les séropositifs (20-35%). . Plus le Sida est évolué plus il est difficile de retrouver des Bacilles dans les crachats (>70% sont négatifs), rendant difficile le diagnostic, le suivi et la recherche de résistances.

190 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. La radiographie pulmonaire est souvent atypique mais anormale dans 80% des cas. . Le traitement est plus difficile pour les patients Sida en raison des interactions avec les ARV et des résistances plus fréquentes. . Les tuberculeux sont rarement testés pour le VIH (3% en 2003). . Les manifestations cliniques de la tuberculose dépendent du niveau de l’immunité :

Figure 52 : Corrélation entre le degré d’immunosuppression et les manifestations clinique de la TB Source : De Cock KM, et al. Tuberculosis and HIV infection in sub-Saharan Africa. J Am Med Assoc 1992;268:1581-7.

Le Cambodge : . Il figure à la 22ème place des pays ayant la plus grande endémie. . L’OMS estimait en 2007 que l’incidence de la TB, toutes formes confondues, était 495/100000, et que la prévalence était de 664/100000 en 2005281. . Etant donné la situation du VIH et que 64% des cambodgiens sont infectés par M. tuberculosis282, la superposition des 2 épidémies est inévitable. La prévalence du VIH parmi les tuberculeux est passée 2,5% en 1995 283 à 10% en 2005 284,285, puis une chute à 7,8% en 2007.

281 WHO report 2009. Global tuberculosis control. [Consulté le 25/04/2009]. Disponible à partir de l’URL : www.who.int/tb/publications/global_report/2009/pdf/full_report.pdf 282 Ministry of Health of Cambodia. National health strategic plan for TB control, 2001-2005. Phnom Penh 2001. 283 HIV sentinel surveillance (HSS) in Cambodia, 2000. Phnom Penh: National Center for HIV/AIDS, Dermatology and STD, Cambodian Ministry of Health; 2000. 284 National Center for Tuberculosis and Leprosy Control, Cambodian Ministry of Health. National HIV seroprevalence surveillance amongst TB patients in Cambodia. Phnom Penh 2003. 285 National Center for Tuberculosis and Leprosy Control. National HIV seroprevalence surveillance amongst TB patients in Cambodia, January 2005. Phnom Penh 2005.

191 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Face à ce couple mortel, le mariage des programmes nationaux de lutte contre la tuberculose et le Sida a été laborieux. Le Ministère de la Santé Cambodgien a établi un sous comité sur le VIH/TB en 1999, et 2 cadres stratégiques nationaux en 2002 (CoC et TB/VIH286). En 2003, 4 sites pilotes ont été désignés pour mettre en place et évaluer ces stratégies. Ce n’est que le 1er mars 2005 suite à la publication d’un rapport commun que la collaboration entre les 2 programmes nationaux a été formalisée via la rédaction de procédures standards opérationnelles (SOP : Standard Operational Procedure) axées principalement sur le dépistage TB/VIH (figure 53). Concernant ce dernier point, il est à remarquer que si dépister le VIH parmi les tuberculeux était souvent réalisable (70-100% dans les sites évalués), le dépistage de la tuberculose parmi les patients séropositifs était plus problématique et donc plus rares (14-83%) 287. Cela n’était pas sans conséquence pour la survie des malades. Lorsque la TB était activement recherchée, 9 à 26% des malades Sida se révélaient avoir une infection active. A l’heure actuelle, plus de 15 districts opérationnels ont intégrés les stratégies de dépistage et de soins, mais les obstacles sont encore nombreux 288.

Figure 53 : Intégration des 2 systèmes de prise en charge (TB et VIH) Source : Laureillard D. Tuberculose chez le patient infecté par le VIH. Séminaire Tuberculose, IFMT mai 2007. Les protocoles thérapeutiques, eux, se sont longtemps ignorés l’un l’autre et la question de la prévention primaire chez les séropositifs, longtemps discutée, n’a pas été mise en place à un niveau national par crainte d’augmenter la fréquence des résistances déjà très présentes. Seuls quelques sites pilotes tentent d’évaluer les bénéfices d’une prévention secondaire après un traitement anti TB

286 Ministry of Health of cambodia. Framework for TB/HIV. August 2002. Phnom Penh 2002. 287 TAN EANG M, OKADA K, JAYAVANTH P. CENAT annual tuberculosis report, 2005. Phnom Penh: National Center for Tuberculosis and Leprosy Control; 2005. 288 EANG MT, CHHENG P, NATPRATAN C, KIMERLING ME. Lessons from TB/HIV integration in Cambodia. Bulletin de l’OMS mai 2007 ; 85 (5) : 325-420.

192 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 de 9 mois 289. Jusqu’à maintenant, malgré l’avis favorable de l’OMS, les experts TB ne sont pas convaincus que la prévention soit une stratégie souhaitable dans les pays à haute endémie.

Après avoir abordé le problème de la co-infection tuberculose/VIH dans le monde et au Cambodge nous allons ici présenter des extraits d’une étude rétrospective effectuée en 2005 sur une population de tuberculeux (n=137) venus consulter dans notre centre entre avril 2004 et mars 2005.

Description des patients . 128 nouveaux cas, 9 rechutes . Poids variant de 24 à 67 kg avec une médiane à 44 kg [39-49]. 33% avaient un poids < 40kg . La majorité des patients (59%) avait des CD4 inférieurs à 50. La distribution des CD4 variait de 1 à 487 avec une médiane à 42 [12-94]. Symptômes, diagnostic et mise sous traitement Le succès d’un traitement antituberculeux est lié à la rapidité avec laquelle il est démarré. Pour cela il faut que le diagnostic soit fait. Dans notre centre, connaissant la haute prévalence de la TB, nous avions adapté le protocole national pour permettre un dépistage systématique et rapide de tous les patients à la recherche de certains signes cliniques évocateurs. Les signes cliniques les plus fréquemment retrouvés étaient la fièvre, la perte de poids, la toux, la douleur (figure 54). Parmi les patients qui présentaient 3 de ces signes, 94% avaient une radiographie de thorax ou une échographie abdominale suggérant une tuberculose. Grâce à la recherche systématique de ces signes nous pouvions découvrir la plus grande partie des tuberculoses actives.

120% 96% 100% 85% 80% 68% 61% 55% 51% 50% 60% 41% 40% 20% 0%

Figure 54 : Fréquence des symptômes cliniques retrouvés au moment du diagnostic

289 CHHENG P, TAMHANE A, EANG C, MAK S, KEM A, Tan V et al. Outcomes of isoniazid preventive therapy among HIV-positive persons, Battambang Province, Cambodia. Int J Tuberc Lung Dis 2006 ; 10 : S227-228.

193 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Ainsi, nous pouvons voir dans la figure ci-dessous (figure 55) que le diagnostic était majoritairement fait au stade précoce de l’infection : 81% des traitements étaient démarrés moins de 2 mois après le début des premiers symptômes.

6 M 5 M 1% 1% 4 M <1 M 69% 3 M 3% 4% 2 M M=Mois 10% 1 M 12%

Figure 55 : Temps écoulé entre les premiers symptômes et le début du traitement Source : MDM

Description des tuberculoses . Les tuberculoses étaient en majorité extra pulmonaires (55%). . Les tuberculoses pulmonaires avec des crachats négatifs étaient fréquentes (27%), mais heureusement la radiographie pulmonaire était alors anormale dans 84% des cas. Nous notons que parmi les 22 résultats de culture qui sont revenus positifs, 74% d’entre eux étaient des tuberculoses à Mycobacterium tuberculosis et 26% étaient des MAC 290 (Tuberculose à mycobactérie atypique).

Traitements TB et ARV, SRI 80% des patients ont mené le traitement à terme et 17% ont décédé avant la fin. Parmi ces 80%, après la fin du traitement, 79% ont été améliorés, 2% sont morts, 5% se sont révélés être des MAC, 6% ont fait une rechute et 8% ne se sont pas améliorés sans cause retrouvée. Du côté de la thérapeutique, en plus des contraintes habituelles imposées par le traitement antituberculeux long, astreignant et toxique, la situation des patients vivant avec le VIH en rend encore plus aléatoire le succès en raison de l’altération de leur état général, de leurs fonctions biologiques souvent altérées et de leur pauvreté qui limite la nutrition et l’accessibilité des soins. Bien entendu la situation s’est ensuite compliquée avec l’arrivée des ARV, en raison des interactions, des effets secondaires communs, du poids surajouté des comprimés à prendre et du Syndrome de Restauration Immunitaire.

290 MAC : Mycobacterium Avium Complex. C’est une infection opportuniste due à des espèces de Mycobactéries qui normalement ne provoquent pas de maladie chez l’homme. Elle apparaît principalement quand les CD4 sont au-dessous de 50/mm3. Les manifestations cliniques sont aspécifiques. La prophylaxie et le traitement, qui nécessitent des molécules particulières, sont possibles mais chers.

194 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Le démarrage d’un traitement par antirétroviraux est tributaire de la présence ou non d’une tuberculose et du taux de CD4 (les charges virales ne pouvant être faites systématiquement). Les molécules doivent être attentivement choisies pour éviter les interactions. Malheureusement l’efavirenz, qui est une molécule de choix pour cette raison, est restée longtemps très chère et difficilement accessible. L’arrivée des génériques a permis de faire descendre les prix et de faciliter de traitement des malades co-infectés.

La tuberculose est la maladie opportuniste qu’il faut traquer systématiquement car c’est elle qui engage la survie des patients. Le traitement ARV doit être instauré au plus tôt, en fonction du taux de CD4. Ceci dit les ARV ne protègent pas contre l’infection tuberculeuse, voire ils peuvent la « réveiller » (suite au Syndrome de Restauration Immunitaire 291) et entraîner la mort. Cependant, les ARV, en augmentant les CD4, réduisent la mortalité due à la tuberculose. Concernant le SRI, une revue de cas sur une année nous a révélé que la tuberculose était la principale pathologie concernée (l’autre étant la cryptococcose neuroméningée) et que dans les trois quarts des cas elle était extra pulmonaire. Le SRI apparaissait dans la moitié des cas pendant les 3 premiers mois de traitement ARV avec un maximum à 18 mois.

CAMELIA et CAPRI-NK

CAMELIA (CAMbodia Early vs. Late Introduction of Antiretrovirals), est une étude international prospective à 2 bras sans placebo, cofinancée par l’ANRS et l’US National Institut of Health. Au Cambodge 660 patients doivent être recrutés à travers 6 sites (dont celui de MDM/SEAD à l’Hôpital Preah Kossamak). Son objectif principal est de déterminer le moment optimal pour démarrer les ARV chez un patient manifestant une tuberculose active et ayant des CD4<200/mm3. L’hypothèse est que débuter un traitement ARV 2 semaines après le début du traitement anti tuberculeux apporte un gain en terme de mortalité par rapport à un traitement ARV tardif (2 mois) comme cela est traditionnellement

291 Ce syndrome a été décrit pour la première fois en 1998 pour des infections à Mycobacterium avium. C’est une réaction paradoxale alliant une détérioration clinique malgré une restauration immune. Il s’agit d’une réponse inflammatoire contre des antigènes. Il en existe 2 types : - La révélation d’une infection opportuniste, précipitée par la restauration immune induite par les ARV. - Une majoration de la réponse de l’hôte vis-à-vis d’antigènes présents en faible quantité dans les tissus, survenant tardivement après l’initiation des ARV alors que l’infection est contrôlée par un traitement. Les agents infectieux concernés sont : les mycobactéries, les champignons (Cryptococcus neoformans, Pneumocystis jirovecii) et les virus (Herpès, CMV, VZV, HBV, HCV …). Les facteurs de risque sont : le sexe masculin, le jeune âge, ARV naïf, un taux de CD4 bas et une charge virale élevée à l’initiation des ARV, une chute plus rapide de la charge virale et une remontée plus rapide des CD4.

195 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir proposé (en raison des possibles interactions médicamenteuses et de l’état souvent altéré des patients). Cette étude, démarrée en 2006, terminera en 2010.

Figure 56 : Schéma de l’étude CAMELIA

Une autre étude liée à CAMELIA et s’appelant CAPRI-NK permettra peut-être de découvrir un facteur prédictif de l’IRIS TB pour les patients devant être traité par antituberculeux puis par ARV. Dans ce cas si le test de dégranulation des cellules NK est négatif on donne le traitement précoce, s’il est positif (il y a un risque d’IRIS) il faudra privilégier le traitement tardif. Cela requerra juste que ce test soit accessible et bon marché dans tout le pays…

 LES PROBLEMES SOCIAUX

Si l’accès aux ARV a été vital pour les patients séropositifs que nous suivons, nous ne devons pas pour autant oublier que leur survie tient aussi à d’autres facteurs. En effet, l’épidémie du VIH, en dehors de la pression qu’il exerce sur le système sanitaire, a aussi des conséquences sur la production agricole. Plus la population rurale perd sa capacité à travailler et à produire, plus elle se paupérise et perd sa capacité à subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Le temps qui est normalement dévolu au travail agricole est remplacé par les soins prodigués aux malades de la famille.

196 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

La majorité de nos malades sont indigents gagnant juste assez d’argent pour une journée. Le transport jusqu’à notre centre leur coûte souvent leur revenu quotidien. Ce facteur est un des plus importants parmi ceux qui conditionnent le succès de la prise en charge. Comment assurer une bonne adhérence et un bon suivi si le patient ne peut pas venir ? C’est souvent le dilemme de l’accès aux soins : les soins sont présents mais leur accès est limité… ainsi une bonne stratégie peut échouer pour des obstacles dont on a sous-estimé l’importance. Le problème de la nutrition est tout aussi sérieux. La qualité de l’alimentation des pauvres est évidemment mauvaise et le Sida, par la cachexie et les infections qu’il peut entraîner rend encore plus aigües les carences. L’omniprésence de la tuberculose est un facteur de plus conduisant à la malnutrition. Hors, la nutrition fait partie intégrante des traitements, améliorant leurs effets. De plus, une nutrition correcte améliore le sentiment de bien être général des patients et accroît leur motivation d’être traités. Depuis 1993, MDM fournit une alimentation gratuite à tous les patients hospitalisés.

A partir de 2002 nous nous sommes basés sur des guides internationaux concernant la nutrition pour les personnes vivant avec le VIH/Sida 292,293,294 pour définir les régimes alimentaires. Nous les avons par la suite modifiés en 2004. De façon générale l’OMS recommande une base de 2070 calories + 850 pour les hommes ayant une activité physique (330 calories pour les femmes) + 15% pour les PVVS. Les besoins en protéines sont de 57g/jour pour les hommes (48g pour les femmes) + 50 à 100% pour les PVVS. Nous utilisons les ressources et les recettes locales pour composer des menus qui soient à la fois équilibrés et appétissants. Depuis 2005, après notre déménagement à l’hôpital Preah Kossamak, nous avons installé une cuisine dans le centre de jour, fonctionnant avec 3 cuisinières 7 jours sur 7, pour délivrer 3 repas par jour aux patients hospitalisés. Notre soutien s’étend aux patients suivis en consultation, tout particulièrement pour les plus vulnérables et ceux qui démarrent des traitements ARV ou anti TB. Nous noterons que le poids des ARV sur les budgets tend à faire disparaitre les soutiens à la nutrition et au transport. C’est en particulier vrai pour les derniers rounds du Fonds Mondial où le NCHADS refusa systématiquement les budgets comportant ce type d’aide, demandant aux ONG de trouver d’autres sources de financement.

292 WHO/FAO. Living well with HIV/AIDS. A manual on nutrition care and support for PLWHA. 2002. 293 FANTA Nutrition Technical Assistance Project. HIV/AIDS: a guide for nutrition, care and support. 2001. 294 UNAIDS. Nutrition and HIV/AIDS. 2001.

197 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 « CENTRE PLHA », GROUPES DE PATIENTS ET AUTRES ACTIVITES

Depuis 2004 nous avons loué une maison à proximité de l’hôpital (nous l’appelons centre de jour ou centre PLHA) dans laquelle nous souhaitions héberger des activités extra médicales.

Ces dernières comprennent: . Une cuisine pour les patients hospitalisés. . Une salle pour accueillir les réunions de patients (4 par mois avec 40-60 participants à chaque fois) et des interventions d’autres organisations. . Un abri pour la nuit pour les patients habitant en province . Des formations variées (anglais, informatique …) . Le soutien à une ONG locale formée par des femmes séropositives : Positive Women Hope Club. Cette organisation, que nous hébergeons, fabrique des sacs en paille de riz et nous les aidons à les commercialiser. . L’hébergement d’un bureau social de l’ONG internationale « Enfant et Développement ». Ce bureau, formé de 2 travailleurs sociaux expérimentés, collabore avec nos équipes pour étendre notre réseau d’assistance. . L’attribution de microcrédits. Ces derniers ont déjà montré leur efficacité dans de nombreux pays. Un prêt gratuit d’une somme modeste est suffisant pour donner un pécule de démarrage et sortir les personnes de leur endettement récurrent. L’évaluation des candidats (et de la pertinence de leur commerce) et leur sélection est réalisée au sein même des groupes de patients. Ainsi les emprunteurs sont responsables de leurs remboursements devant leurs pairs et non devant MDM/SEAD. Nous prêtons 100$ sur 10 mois. Cette activité a débuté en août 2007 et fonctionne correctement : au 31 décembre 2008 il y avait 65 bénéficiaires et tous ont démarré ou agrandi une activité commerciale avec succès, leur permettant de rembourser régulièrement leur emprunt et de subvenir de façon plus convenable aux besoins de leur famille. Il y a eu un seul perdu de vu depuis le début de cette activité. Le groupe de patients a acquit de l’expérience, développé ses méthodes d’évaluation et de suivi. De l’avis de tous les bénéficiaires ces microcrédits ont complètement changé leur vie en leur donnant la possibilité d’avoir un commerce lucratif sans avoir de dettes à payer. De façon parallèle, depuis septembre 2007, nous contribuons directement à la rédaction d’une revue trimestrielle nationale destinée au PVVS et leur famille (« Rubrumknea » qui veut dire « ensemble »). Cette revue, toute en couleur, écrite en khmer et imprimée à 30 000 exemplaires, vise à donner des informations pertinentes aux malades afin d’améliorer leurs connaissances et leur qualité de vie. Elle est distribuée à travers les réseaux du NCHADS et des ONG.

198 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

II.F. La situation en 2007

II.F.1. Au Cambodge

 LE BILAN DE L’EPIDEMIE

En 1998, en terme de prévalence, l’épidémie Cambodgienne avait, en 7 ans, dépassé le niveau que la Thaïlande avait mis 14 ans à atteindre. C’était le pic de l’épidémie (2% de la population des 15-49 ans). Après cette période, comme l’illustre la figure ci-dessous (figure 57), la prévalence a chuté régulièrement pour arriver à 0,9% en 2006. Ainsi il semble qu’après 10 années d’efforts, les actions de prévention entreprises par le gouvernement et la communauté internationale ont eu un impact sur la prévalence.

Figure 57 : Evolution de la séroprévalence au Cambodge de 1995 à 2006 parmi les adultes âgés de 15 à 49 ans – HSS 2006 Source: NCHADS, Consensus Workshop on HIV estimation for Cambodia, 28 juin 2007.

Néanmoins, derrière ces chiffres encourageants se cachent des mécanismes qui s’articulent sur d’autres facteurs, comme l’incidence et la mortalité. En effet, de façon très pragmatique, pour que la prévalence diminue il faut que le nombre de morts excède le nombre de nouveaux cas ... C’est une histoire simple et terrible de vases communicants. Ainsi, est ce que les efforts de prévention n’ont pas simplement permis de passer ce cap en diminuant le nombre de nouveaux cas alors que la mortalité était restée très importante pendant les débuts de l’épidémie quand les

199 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir traitements ARV n’étaient pas encore présents? D’où « l’efficacité » rapide de la prévention sur la prévalence. De plus si le nombre de morts a été très important auparavant, celui-ci va décroitre avec l’arrivée massive des ARV. Nous assisterons peut-être à une stagnation, voire à une nouvelle ascension de la prévalence suite au succès des programmes de soins. Qu’en penser alors?

Nous souhaitons apporter un bémol à ce beau tableau. En effet, d’après le rapport de l’ONUSIDA de 1999 295 la prévalence était de 3,75% parmi la même population. De même, les estimations précédentes réalisées par le NCHADS en 2003 (HSS 2003) ne donnaient pas les mêmes valeurs : le pic était plus haut et la descente moins rapide (figure 58). Apparemment les techniques d’analyses ont été modifiées depuis lors conduisant à des modifications rétrospectives. Peut-on donc penser que l’on a actuellement une vision réelle de l’épidémie ou qu’une révision ultérieure des méthodologies d’analyse nous donnera encore d’autres résultats ? Est-ce-que l’épidémie n’a jamais été réellement importante ou bien sommes nous trop optimistes ? Nous en reparlerons à l’acte IV.

Figure 58 : Evolution de la séroprévalence au Cambodge de 1996 à 2003 parmi les adultes âgés de 15 à 49 ans – HSS 2003 Source : NCHADS HSS 2003 - EPP smoothed data

Conjointement avec la baisse de la prévalence, le nombre de personnes infectées diminuent. Après un pic à presque 160 000 vers les années 1997-1998, il était de 123 100 en 2003. En 2007 il était estimé à 61 400.

295 UNAIDS. Country profile “The HIV/AIDS/STD situation and the national response in the Kingdom of Cambodia”. 1999.

200 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Ce que nous pouvons constater sur la courbe ci-dessous (figure 59) c’est un plafonnement du nombre de femmes vivant avec le VIH depuis 1997 et une chute du nombre d’hommes, les 2 courbes ayant tendance à se rejoindre.

Figure 59 : Estimation du nombre d’adultes âgés de 15 à 49 ans vivant avec le VIH, 1990 – 2003 Source : NCHADS, HSS 2003

Ce phénomène est surement lié à une diminution des nouvelles infections parmi les hommes (utilisation du préservatif) mais aussi à une grande mortalité avant l’arrivée des ARV. Le plafonnement du nombre de femmes infectées est la conséquence de cette augmentation de la proportion des hommes utilisant le préservatif. Cette tendance est confirmée par le graphique ci-dessous (figure 60) qui montre une nette diminution des nouvelles infections pour les deux sexes depuis 1996.

201 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 60 : Nombre de nouvelles infections réparties par voie de transmission Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

 LES TRAITEMENTS IO/ARV

Comme nous l’avons vu, les traitements ARV sont arrivés au Cambodge progressivement : d’abord clandestinement puis via quelques compagnies pharmaceutiques comme BMS puis à travers les ONG au début des années 2000 et il fallu attendre 2004 avant que leur accès soit plus largement étendu (grâce au Fonds Mondial notamment).

En décembre 2007 296: . Il y avait 49 structures de santé qui proposaient des traitements ARV / IO (22 structures offraient aussi des traitements pédiatriques) dans 20 provinces grâce à une collaboration entre les ONG et le Gouvernement (figure 61). . 26 664 personnes étaient sous traitement ARV dont 24 123 adultes et 2 541 enfants. . Les femmes représentaient 48,8% des adultes traités. . Il était estimé que 82,6% des adultes nécessitant des ARV en recevaient effectivement, ce qui donnait un total de 32 280 personnes vivant avec le Sida (100%).

296 NCHADS. Annual Report, 2007. HIV/AIDS & STI Prevention and Care program.

202 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 61 : Distribution géographique des 49 sites proposant des services OI/ARV Les points bleus et croix rouges représentent les sites. Il existe plusieurs sites à Phnom Penh. Les cercles rouges montrent les sites proposant un comptage des CD4. Source : NCHADS. Annual Report, 2007. HIV/AIDS & STI Prevention and Care program.

. Il y avait 8 843 adultes et 1 616 enfants qui n’étaient pas encore éligibles pour les ARV. 64% de ces adultes étaient des femmes, représentant principalement les épouses de patients qui ont démarré leur suivi IO/ARV depuis plusieurs années. . Un total de 245 médecins et de 249 infirmières-éducatrice thérapeutiques ont été formés par le gouvernement. . Le NCHADS a acheté pour 7,4 millions de dollars d’ARV en 2007 via plusieurs sources de financement : le Fonds Mondial, l’Union Européenne, la Banque Mondiale, la banque Asiatique de développement, la Fondation Clinton et le Gouvernement. A cette somme il faut aussi ajouter les molécules achetées par les ONG, soit sur fonds propres soit par des financements. Le budget national annuel pour les ARV peut donc être estimé à plus de 10 millions de dollars. Pourtant le NAA estime qu’il faudrait 32 millions de dollars pour avoir un impact plus significatif.

203 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Le graphique ci-dessous (figure 62) illustre les résultats des efforts menés pour augmenter l’accès aux ARV : depuis 2002 la mortalité a chuté de façon notable. Cette tendance devrait continuer si les traitements ARV continuent à être accessibles à la population.

Figure 62 : Estimations du nombre de morts dues au Sida de 1990 à 2007 Source: OMS, ONUSIDA, UNICEF. Epidemiological fact Sheet on HIV and AIDS, Cambodia. 2008

Enfin, derrière ce bilan chiffré assez positif il y a aussi les impondérables. Dans son rapport de 2008 le NCHADS faisait mention de problèmes rencontrés par lors de l’exécution de ses activités : . Augmentation des demandes venant des patients: pas seulement des soins mais aussi plus de support social en raison de leur pauvreté . Les patients sont pauvres et habitent loin, ce qui entraine des problèmes de déplacement pour venir à la consultation . Limitation de la qualité des services et des laboratoires . Trop de travail et pas assez de ressources humaines . Impact de la loi contre le traffic humain sur le programme 100% condom : les prostituées quittent les bordels pour aller travailler dans les lieux de loisir (karaoke, massage, beer garden), limitant leur accès aux services médicaux (cliniques IST). . Problèmes d’approvisionnement en médicaments et réactifs des structures . Programme PTME sous utilisé, sous équipé

Ces difficultés ne sont pas étonnantes. Comme nous le verrons, elles sont le fruit de la mise en place de programmes de grande envergure en peu de temps, au sein d’un système de santé encore faible et pour une population pauvre.

204 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 SPHERES DES SERVICES

Si nous voulons résumer succinctement via un graphique la situation des actions et des services consacré à la lutte contre le VIH il serait le suivant (figure 63) : Une partie prévention chargée de diminuer les risques de transmission du virus, soit directement par l’utilisation de préservatifs, l’administration ARV à la femme enceinte ou le traitement des IST, soit indirectement en essayant de modifier les comportements à risque (source de transmissions) par l’apport d’une information et d’une éducation spécifique (au moment du dépistage ou par les médias). Une partie médico-sociale qui comprend une aide aux soins (consultations et hospitalisation) et un soutien matériel et psychologique (dans les centres ou via le HBC). Cette aide est apportée par le gouvernement, les ONG internationales et locales (formées de séropositifs ou non).

PTME IEC 100% condom CDAG Programmes IST

Prévention - Population Comportement à risque - + Transmission

PVVS

ONG PVVS

Soins et soutien

Home-Based Care Hospitalisation

Consultations

ONGs Gouvernement

Figure 63 : Représentation des services disponibles à l’échelle nationale pour la lutte contre le VIH/Sida

205 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

II.F.2. Ailleurs dans le monde

Figure 64 : « Répartition mondiale de l’infection par le VIH en 2007 – 33 [30-36] millions de personnes vivant avec le VIH » Source : UNAIDS/OMS

En décembre 2007 la situation mondiale semblait s’être stabilisée, avec une prévalence qui était restée la même (0,8%) depuis 2001 297. Mais ce constat peut cacher des chiffres moins positifs. En effet, si la prévalence est constante, le nombre total de personnes infectées est lui toujours en augmentation, passant de 29 [26,9-32,4] millions en 2001 à 33,2 [30,6-36,1] millions en 2007, dont les deux tiers se trouvaient en Afrique (figures 65, 66).

297 ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007 [Consulté le 12/04/2008]. Disponible à partir de l’URL : http://data.unaids.org/pub/EPISlides/2007/2007_epiupdate_fr.pdf

206 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 65 : Estimation du nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde, 1990-2007 Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

Figure 66 : Estimation du nombre d’adultes et d’enfants vivant avec le VIH en 2007 par région. Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

D’autre part, comme nous l’avons vu pour le Cambodge, pour apprécier la dynamique de l’épidémie il faut aussi regarder l’évolution des nouveaux cas et des décès. Concernant le nombre de nouvelles infections, nous pouvons constater qu’il a atteint un pic en 1998 et que depuis, il ne cesse de décroitre (figure 67). Cette décroissance est probablement due à l’efficacité de la prévention, intensifiée en 1995, 14 ans après le début de l’épidémie.

Figure 67 : Estimation du nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH dans le monde, 1990- 2007 Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

207 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

En 2007 il y a eu 2,5 millions nouvelles infections, dont les deux tiers eurent lieu en Afrique (1,7 millions) (figure 68).

Figure 68 : Nombre estimatif d'adultes et d'enfants nouvellement infectés par le VIH en 2007 par région. Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

Concernant les décès, leur nombre, après une longue augmentation, vient de changer de tendance, après un pic en 2005 (figure 69). Il faut ici voir les effets probables des efforts faits pour l’amélioration de l’accès aux soins et l’accroissement des programmes donnant des ARV, via les nouveaux financements internationaux.

Figure 69 : Estimation du nombre de décès d'adultes et d'enfants dus au Sida dans le monde, 1990-2007 Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

208 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 2007 le nombre total de décès atteignait encore les 2,1 millions dont les trois quarts en Afrique (1,6 millions) (figure 70).

Figure 70 : Nombre estimatif de décès par Sida chez l'adulte et l'enfant en 2007 par région. Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

Sur la base de ces données nous pouvons constater 3 faits :

. Le nombre de nouveaux cas est toujours resté supérieur à celui des décès mais tous deux décroissent et tendent à se rapprocher (chaque jour il y a 6800 nouvelles infections et 5700 personnes meurent du Sida).

. Subséquemment le nombre total de personnes infectées par le VIH continue à augmenter et il n’a jamais été aussi élevé, annonçant encore de nombreux défis à relever.

. L’Afrique illustre parfaitement l’évolution de l’épidémie actuelle : le nombre de personnes vivant avec le VIH passer de 20,9 à 22,5 millions entre 2001 et 2007 ; L’épidémie croit en nombre absolu mais les prévalences ont tendance à chuter (figure 71) à mesure que les nouveaux cas diminuent et que les décès restent plus nombreux. Ultérieurement, si les nouveaux cas persistent à survenir, l’expansion de l’accès aux ARV en Afrique pourrait entraîner une nouvelle augmentation de la prévalence.

209 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 71 : Estimation de la prévalence du VIH chez les adultes (15-49 ans) vivant avec le VIH dans le monde et en Afrique subsaharienne, 1990-2007 Source : ONUSIDA/OMS, le point sur l’épidémie de Sida 2007

Concernant l’accès aux ARV le bilan fait par les Nations-unies à la fin 2007 est globalement positif298 : 3 millions de personnes recevaient ARV, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2006. Nous pouvons noter que ce nombre est à peine plus élevé que le nombre de nouvelles infections ayant eu lieu en une seule année.

Bien que des améliorations significatives aient pu être obtenues grâce à la multiplication par 7 de l’assistance étrangère aux pays en développement durant la dernière décennie (atteignant 10 milliards de dollars en 2007), il semble que dans cette course à la survie l’accès aux traitements ait toujours un temps de retard sur l’épidémie.

Les auteurs du rapport des Nations-unies conclurent que « l’étendue et la sévérité de l’épidémie reste inégalée par n’importe quelle autre maladie infectieuse des temps modernes ».

298 LYNCH C. AIDS Drugs Reaching More People in Developing World. Washington Post 10 juin 2008, page A15.

210 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

TROISIÈME ACTE : FACTEURS & VECTEURS

« Nous voici venu au temps où le concept de maladie n’est plus dissociable de la représentation du malade, de la civilisation de son pays et son temps. Le concept même de maladie date du XIXe siècle et constitue une abstraction qui rassemble des symptômes observés chez tous les malades « attaqués » par un même germe. […] Ce que nous appelons maladie n’a d’existence que par rapport au patient et à sa culture.»

(Ruffié, Sournia. Les épidémies dans l’histoire de l’homme, 1995)

Au cours des deux actes précédents nous avons décrit le contexte dans lequel s’est installé l’épidémie cambodgienne puis les réactions de la communauté internationale, du gouvernement et de la société civile pour lutter contre son expansion et limiter son impact sur la population. Nous avons pu constater que les programmes mis en place n’ont pas toujours pu produire les résultats escomptés, les politiques d’intervention, les protocoles et les lois étant à la merci d’un environnement complexe et fluctuant, qui dans le cas présent est celui d’un pays en voie de développement.

L’histoire de Mme Sophea, tout à faite réelle, était l’illustration d’un chemin suivi par une personne infectée par le VIH. Les épreuves qu’elle a traversées étaient malheureusement classiques et sa vie aurait pu, comme beaucoup d’autres, se terminer plus dramatiquement si elle n’avait pas eu accès à un traitement par ARV.

Ce traitement a apporté un nouvel espoir aux malades mais son succès à long terme ne dépend pas seulement de son efficacité sur le VIH. La vie au Cambodge, pour la majorité des patients, est une lutte permanente pour la survie. Les contraintes quotidiennes sont multiples et elles ont souvent comme dénominateur commun la pauvreté. Dans ce troisième acte nous allons nous attacher à faire ressortir les différents facteurs, limitatifs ou mobilisateurs, qui font partie du contexte mondial et cambodgien et qui ont un effet sur la course de l’épidémie.

211 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Si nous reprenons notre schéma de départ représentant des systèmes avec des articulations et des influences contextuelles nous pouvons à présent y distinguer deux grands groupes de facteurs influant : les « entités agissantes » et l’« environnement culturel et matériel » (figure 72):

1. Le groupe des « entités agissantes » est composé par les sphères du premier acte (le VIH, les individus, les ONG, la société civile, le gouvernement, la communauté internationale). Ce sont les acteurs de la pièce dramatique qui se joue. Ils sont à la fois les victimes et les coupables. Ils représentent la société. Nous reparlerons de ces entités dans notre développement ultérieur.

2. L’ « environnement culturel » qui donne une spécificité locale à la société (par exemple l’histoire, la géographie, les traditions, la religion) et l’ « environnement matériel » qui va influencer la qualité de vie et le comportement de cette société (par exemple l’économie).

Les articulations font parties du système « maladie/soins » et elles sont les courroies de transmission entre les entités. Elles interagissent entre elles en cascade à travers un système complexe de rouages et elles sont influencées directement ou indirectement par la société et son environnement.

Ce système n’est absolument pas stable, il est en perpétuel mouvement, changeant sans cesse. Le virus mute et survie, les personnes apprennent ou s’aveuglent, les organisations agissent et se déplacent, le monde se parle ou se rejette, et au milieu de tout cela l’environnement change encore plus vite. Entre les variations capricieuses de l’économie et l’impermanence des comportements dans un contexte de mondialisation, l’Homme génère lui-même un monde dont il ne peut être le Maître.

Dans une course à l’adaptation n’est-ce-pas souvent le plus petit organisme qui gagne ?

212 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Communauté internationale Gouvernement

Système de santé Histoire Organisations Géographie internationales Tradition Religion

Economie

Prévention Accès aux soins

Comportement

Traitement

Virus Immunité Secteur privé PVVS Transmission

Société civile

Environnement culturel Entités Articulations et matériel agissantes

Figure 72 : Représentation des liens entre les « entités agissantes » et de l’ « environnement culturel et matériel »

213 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

III.A. Les « entités agissantes »

III.A.1. Le Virus, l’Immunité et les Traitements

Le Virus est évidemment l’entité agissante principale du système. Ses interlocuteurs sont, à son niveau, l’immunité de l’hôte et les molécules thérapeutiques. Ils représentent des ponts entre le corps et le monde. L’immunité joue un rôle dans les risques de contamination, le mode évolutif de l’infection et dans le contrôle des germes opportunistes. Elle est directement influencée par l’effet des traitements sur la réplication virale. Ces traitements doivent être pris de façon appropriée pour être efficaces et améliorer l’immunité. Cette efficacité est sous la dépendance de certains facteurs, comme l’accès aux bons médicaments et leur prise régulière.

Pour contrôler l’expansion de l’épidémie du VIH, il faut d’abord contrôler l’incidence de la transmission. Malgré les mesures de prévention mises en place dans le monde, environ 7000 nouvelles infections ont lieu tous les jours. L’épidémie continue de s’étendre, augmentant son impact sur la santé des populations, sur les sociétés et sur les économies. Même si la poursuite et l’intensification des campagnes de prévention sont nécessaires et obligatoires pour ralentir la propagation du virus, le développement d’un vaccin préventif est une des alternatives qui permettrait de contrôler efficacement l’épidémie, tandis qu’un vaccin thérapeutique serait le moyen le plus aisé de traiter ou contrôler la maladie dans les pays en développement.

 VIRUS ET VACCIN

Les recherches sur un vaccin datent de la découverte du virus, et comme nous l’avons vu les premiers obstacles ont été vite rencontrés. Devant la taille du défi et afin de mobiliser le maximum de ressources, l’Initiative Internationale pour un Vaccin contre le Sida (IAVI) a été constitué en 1996 et en 1997 le président Clinton fonda le HIV Vaccine Trial Network, donnant 10 ans aux scientifiques pour trouver le vaccin…

Jusqu’à présent différents candidats ont été développés et proposés, allant de particules de virus tué à des protéines virales recombinantes, ainsi que des vaccins à base d’ADN et des vecteurs exprimant le virus.

214 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

D’un coté il était constaté que le passage de la théorie à la pratique n’était pas chose si aisée car aucun des candidats n’a encore réussi à stimuler la production d’anticorps neutralisant suffisamment efficaces299. L’extraordinaire variabilité génétique et antigénique du VIH est maintenant reconnue 300 et des conséquences notables de cette variabilité sur la pathogénicité ont été constatées. Son enveloppe peut différer jusqu’à 30% dans son contenu en acides aminés et il n’est pas certain que l’on puisse trouver une partie suffisamment stable et immunogène dans les 70% qui restent. Par comparaison le virus de l’influenza est souvent considéré comme très variable, cependant le VIH présent chez un individu peut, après 6 ans, présenter une variation aussi grande qu’une variation d’influenza lors d’une épidémie 301. La diversité rencontrée lors des essais de création d’un vaccin contre le VIH est plus grande que la diversité rencontrée pour le vaccin contre l’influenza. Si cette évolution continue, la mise en place d’un vaccin efficace contre les diverses souches du virus deviendra de plus en plus difficile 302. La rapide évolution du virus est liée à la combinaison du manque de fidélité lors de la transcription par la transcriptase inverse et le haut taux de réplication virale in vivo. Les anticorps évoluent plus lentement que le virus cependant l’exposition prolongée aux antigènes pourrait entraîner la sélection, chez certains individus, d’anticorps capables de reconnaitre différents isolats viraux. Néanmoins dans cette bataille de titans le virus est le plus souvent vainqueur par la sélection de variants qui sont résistants contre ces anticorps au spectre d’action élargi. Pourtant il est imaginable que si les anticorps sont présents avant l’infection (via une vaccination par exemple) et donc avant la diversification du virus, ces anticorps pourraient être plus performants303. Les autres problèmes concernent surtout la mise en place des essais cliniques dans les pays en développement (voir dans l’encadré l’exemple de l’essai utilisant le Tenofovir en prévention), et la durée demandée pour tous les stades de validation des candidats vaccin avant qu’ils ne puissent être produits et commercialisés.

299 WHO. The World Health Report 2004: Changing History (2004) [Consulté le 25/02/2008]. Disponible à partir de l’URL : www.who.int/whr/2004/en/report04_en.pdf 300 BUONAGURO L, TORNESELLO ML, BUONAGURO FM. Human immunodeficiency virus type 1 subtype distribution in worldwide epidemic: pathogenetic and therapeutic implications. Journal of Virology, October 2007 ; 81 (19) : 10209-10219. 301 GASCHEN B, TAYLOR J,YUSIM K et al. Diversity Considerations in HIV-1 Vaccine Selection. Science 28 June 2002 ; 5577 (296) : 2354-2360. 302 KORBER B, GASHEN B, YUSIM K et al. Evolutionary and immunological implications of contemporary HIV-1 variation. Br. Med. Bull 2001 ; 58 : 19-42. 303 BURTON DR, STANFIELD RL, WILSON IA. Antibody vs. HIV in a clash of evolutionary titans. PNAS October 2005 ; 102 (42) : 14943-14948.

215 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

PREVENTION DE LA TRANSMISSION DU VIH PAR LE TENOFOVIR (TDF)

Dans le prolongement de la prévention de la transmission du VIH par l’administration d’ARV, nous évoquerons un projet visant à prévenir la transmission du virus aux prostituées (prophylaxie pré- exposition sexuelle) par la prise de Tenofovir, une molécule approuvée par la FDA en 2001. C’est une molécule qui pourrait permettre d’empêcher le virus d’envahir les cellules, avec une seule prise journalière et peu d’effets secondaires.

En 2004, il fut projeté de tester l’efficacité du Tenofovir parmi les prostituées cambodgiennes. Women’s Network for Unity, regroupant 5 000 membres, a vigoureusement protesté au Cambodge et à la conférence de Bangkok, avec le soutien d’ACT UP Paris. Malgré l’objectif louable de donner la possibilité aux femmes exposées au VIH de contrôler elles-mêmes leur protection, le projet d’étude a été rejeté par toutes les prostituées, qui y voyaient plus un test sur des cobayes qu’une étude avec des effets à long terme potentiellement important pour la prévention dans le monde 304,305. Même le Premier Ministre a dit : « ne testez pas des médicaments sur les Cambodgiens » 306 . Une atmosphère de confusion a entouré ce projet, conduisant à son annulation. Certes les études, même si elles ont une importance cruciale pour l’humanité, doivent se passer dans des conditions éthiques strictes, ce qui est particulièrement difficile et complexe quand cela concerne des personnes vulnérables dans un pays en développement. Qu’à cela ne tienne, en 2005 l’étude est réalisée par FHI et financée par la fondation de Bill et Melinda Gates. Elle testa l’efficacité de la prise régulière de TDF parmi 936 femmes à risque au Cameroun pendant 1 an. Seulement 8 femmes furent contaminées (2 dans le groupe TDF et 6 dans le groupe placebo), rendant impossible toute analyse concluante 307…

304 CHASE M, NAIK G. Key AIDS Study in Cambodia Now in Jeopardy, WALL ST. J., Aug. 12, 2004. 305 JAMES JS. Cambodia Stops Important Tenofovir Prevention Trial. AIDS TREATMENT NEWS, July 23, 2004. 306 PURTILL C, SAMEAN Y. Hun Sen: Don’t Test Drugs on Cambodians. Cambodia Daily, Aug. 4, 2004. 307 Peterson L, Taylor D, Clarke EEK et al. Findings from a double-blind, randomized, placebo-controlled trial of tenofovir disoproxil fumarate (TDF) for prevention of infection in women [abstract No. ThLB0103]. International Conference on AIDS (16 : 2006 : Toronto, Canada). August 12, 2006.

216 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Certains auteurs sont plus optimistes, convaincus que la technologie avec ses outils moléculaires, que les découvertes récentes sur les clés utilisées par le virus et sur la pathogénicité pourront permettre de découvrir un vaccin préventif efficace. Les arguments avancés sont les suivants308: 1. La transmission du VIH est relativement inefficace 2. La majorité des infections sont probablement initiées par une petite quantité de virions 3. Un impact relativement petit sur l’efficacité de la transmission du VIH entre individus peut avoir une influence majeure sur l’épidémie au sein d’une population 4. L’existence de personnes exposées au virus mais non infectées suggère qu’il est possible à l’immunité naturelle de se débarrasser de l’infection virale 5. Il existe des exemples de vaccins contre les infections à lentivirus chez des primates 6. Il existe des preuves que l’infection par le VIH2 confère une protection partielle contre le VIH1 7. Les nouvelles approches de vaccin promettent d'améliorer l'immunogénicité des antigènes vaccinaux et leur accès à des compartiments immunologiques plus appropriés 8. Les réponses immunitaires provoquées par des vaccins peuvent avoir une activité contre de multiples souches de HIV-1. D’autres auteurs pensent que la vitesse à laquelle mute le virus pourrait être un avantage: si l’hétérogénéité séquentielle du VIH représente un peu plus que les effets accumulés lors d’une sélection immunitaire de millions de personnes VIH – années, cela laisse l’espoir que l’analyse de l’histoire des mutations d’un virus puisse aider à comprendre les relations entre réponses immunitaires et l’évolution virale. Cela pourrait ainsi aider à fabriquer des vaccins contrôlant un virus non seulement sous sa forme actuelle mais aussi sous les formes qu’il devrait adopter 309.

D’un autre côté trouver un vaccin thérapeutique est devenu une alternative de plus en plus étudiée. Ce vaccin serait un adjuvant agissant de façon synergique avec les traitements ARV afin de réduire les doses de ces derniers et possiblement la durée de leur utilisation. Cependant, à l’heure actuelle il est encore impossible de dire si cette approche apporte un réel bénéfice 310.

Alors que des centaines de millions de dollars ont déjà été investis dans la recherche d’un vaccin, Bill Gates, en juillet 2006 donnait 287 millions de dollars à 11 consortiums regroupant 165

308 GRAHAM BS. Clinical Trials of HIV Vaccines Operated by the Los Alamos National Security. 2000 [Consulté le 26/07/2006]. Disponible à partir de l’URL : http://hiv-web.lanl.gov/content/hiv- db/REVIEWS/GRAHAM2000/Graham.html 309 O’CONNOR DH, BURTON DR. Immune responses and HIV: a little order from the chaos. JEM 2006 ; 3 (203) : 501-503. 310 WEISS RA. Special Anniversary Review: Twenty-five years of human immunodeficiency virus research: successes and challenges. British Society for Immunology, Clinical and Experimental Immunology 2008 ; 152 : 201-210.

217 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir chercheurs de 19 pays. Le partage des données et des résultats était une obligation à la remise du financement. Les résultats devaient être le fruit de la synergie et non de la compétition (motivée par les enjeux financiers). A toutes les conférences des intervenants présentaient le vaccin comme un objectif accessible à moyen terme, et ce depuis des années. Le professeur Jean-François Delfraissy, directeur général de l’ANRS disait lui-même « qu’il y avait eu trop d’effets d’annonce et de dates avancées dans le but de susciter des financements »311. Il est à espérer que tous ces efforts déboucheront sur la découverte de vaccins qui pourront diminuer la charge virale, ralentir l’évolution de la maladie, voire limiter la transmission.

La persévérance sera peut-être la clé du succès : « toujours essayer, toujours échouer, qu’importe, essayer encore, échouer encore, échouer mieux » (Samuel Beckett).

 ACCES AUX ARV

L’accès aux ARV a complètement bouleversé notre capacité de soins et de soutien, par leur puissance et par l’espoir qui en découlait. Cet accès fut longtemps refusé par les bailleurs internationaux qui prétextaient le prix élevé des traitements pour justifier leur refus de s’engager dans la prise en charge médicale des malades du Sida dans les pays pauvres : si de l’argent était mobilisé, les traitements auraient absorbé tout le financement et n’auraient bénéficié qu’à un nombre limité de personnes. Ainsi les pays pauvres durent attendre et les malades durent longtemps se débrouiller tout seul. En 1997, lors de la dixième Conférence sur le Sida qui se tint à Abidjan, le président français Jacques Chirac plaida pour un accès aux ARV dans les pays en développement et créa le Fond de Solidarité Thérapeutique International (FSTI). Ce projet fut considéré par beaucoup comme une utopie. Il survécu pourtant, et se transforma en 2001 en programme ESTHER312. Les premiers ARV arrivés officiellement au Cambodge ont été le Zérit (stavudine) et le Videx (didanosine) de BMS en 1999. Le prix de vente de cette bithérapie était de 180 à 220 $US en fonction du dosage de la stavudine. Quelques médecins, activement stimulés par la compagnie se sont lancés dans la prescription de ces traitements. Même si ce traitement n’était pas optimal (mais il y avait-il un autre choix ?) cela pouvait permettre de gagner du temps en attendant l’arrivée

311 BENKIMOUN P. Bill Gates donne 230 millions d’euros à la recherche d’un vaccin anti-VIH. Le Monde. 20 juillet 2006. 312 Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique Hospitalière En Réseau

218 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 d’autres molécules. Cependant le désespoir de certains patients allié à une opportunité financière pour les médecins conduisait souvent à une prise irrégulière et/ou incomplète des traitements. Les traitements étaient achetés quand les patients en avaient la possibilité, au hasard des ventes de leurs biens, dans l’indifférence des praticiens, des compagnies pharmaceutiques et du gouvernement. Ainsi beaucoup sont morts en laissant derrière eux une famille ruinée. Fin 1999, nous avions commencé, avec l’aide du Dr Cahour, à mettre en place des traitements ARV pour quelques patients grâce à des donations par un groupe de médecins français. Au début, ces patients voulaient prendre des ARV pour survivre encore 2-3 ans afin que leurs enfants puissent grandir et se prendre en charge, et plus tard ils voulurent prendre des ARV pour voir leurs enfants faire des petits-enfants… En 2000, au niveau international, la Conférence de Durban (Afrique du Sud) décide de « rompre le silence » sur la question de l’accès aux soins dans les pays du Sud. L’ONUSIDA et d’autres agences annoncèrent une initiative conjointe avec 5 grands groupes pharmaceutiques pour réduire le prix des ARV dans les pays en développement. Pourtant rien ne se passa. On notera tout de même la production de génériques 313 réalisée par le Brésil 314, l’Inde et la Thaïlande. Cela permit aux ONG d’accélérer leur militantisme en faveur de l’accès équitable aux traitements. D’autres laboratoires indiens se lancèrent ensuite dans la mêlée, permettant d’avoir à disposition de la didanosine (100mg) de la stavudine, de la zidovudine, de la névirapine à des prix de 2 à 20 fois moins cher que ceux proposés par les multinationales ! (figure 73). Par exemple le traitement de première intention par D4T+3TC+NVP était proposé à 10 439 USD par an en janvier 2000 (par la compagnie possédant le brevet), il est descendu 2 767 USD en avril (générique brésilien), à 350 USD un an après soit 96,6% de réduction par rapport au prix de départ (générique indien), et il est maintenant à 99 USD (99% de réduction).

313 Selon l’OMS, un médicament générique est un produit pharmaceutique fait pour être interchangeable avec le produit de marque, et qui est fabriqué sans licence de la compagnie détentrice du brevet. 314 Voir encadré plus loin.

219 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 73 : Evolution des prix des antirétroviraux brevetés et génériques de mai 2000 à juin 2007 Les prix indiqué correspondent au prix d’un traitement par D4T+3TC+NVP pendant 1 an (USD). Source : MSF, « démêler l’écheveau des réductions des prix » juin 2007. www.accessmed-msf.org

220 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Ainsi la compétition avec les génériques s’est révélée être la méthode la plus efficace pour faire baisser le prix des traitements. Cela prouvait que les médicaments pouvaient être vendus à des prix largement inférieurs à ce que l’industrie pharmaceutique occidentale a toujours prétendu. L’industrie justifiait ces prix élevés pour rembourser l’investissement fait dans la recherche. Ceci est partiellement vrai. Il faut certes beaucoup de millions de dollars pour mener la recherche à terme, mais il aurait été tout à fait possible aussi de continuer à pratiquer des prix hauts dans les pays riches et proposer des bas prix dans les pays pauvres. Mais bien sûr cela fut hors de question. De plus, les dépenses de ces compagnies pharmaceutiques sont majoritairement orientées vers le marketing et non vers la recherche.

En 2001 le Fonds Mondial est créé par les Nations Unies (sur la demande du Secrétaire général Kofi Annan) pour lutter contre la tuberculose, la malaria et le Sida, avec l’engagement de collecter 10 milliards de dollars, mais après un an seulement 2 milliards ont été promis et 616 millions réellement engagés… De façon parallèle, l’Afrique du Sud remporta une grande victoire qui redonna espoir pour des millions de séropositifs dans le monde : 39 compagnies pharmaceutiques abandonnèrent leurs poursuites juridiques visant à empêcher la fabrication et l’importation de génériques dans ce pays. La pression exercée par la communauté mondiale avait été trop forte. Enfin, en novembre la déclaration de Doha était adoptée : « protéger la santé publique et promouvoir l’accès aux médicaments pour tous ». Elle stipulait que « les pays pauvres doivent avoir accès aux médicaments à des prix conformes à leur pouvoir d’achat ». C’était une avancée majeure car cela permettait aux Etats de s’exonérer, pour des raisons de santé publique ou d’urgence sanitaire, de l’accord ADPIC315 de l’OMC (signé en 1994 par 125 gouvernements) et donc d’être autorisés à produire des génériques. Cependant, en théorie, ces pays ne pouvaient pas encore exporter leurs génériques, en théorie seulement, fort heureusement pour nous.

En 2002, à la Conférence de Barcelone 316, les statistiques étaient toujours très mauvaises avec seulement 4% des personnes vivant dans les pays en développement ayant accès aux ARV. La stratégie du « tout prévention » pour ces pays était enfin abandonnée. L’accès aux médicaments était devenu le sujet dominant.

315 Accord ADPIC: Accord sur les Aspects de Propriété Intellectuelle lies au Commerce. Cet accord fixe un minimum standard en matière de protection intellectuelle au sein de l’OMC. En anglais : TRIPS, Trade Related aspects of Intellectual Property Rights. 316 BOURDILLON F. Accès aux traitements : de Durban à Barcelone, un bilan très contrasté. Transcriptase 2002. 104.

221 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

MSF et GAP (Global Access Project) intensifièrent leur campagne pour l’accès aux médicaments essentiels et souhaitèrent étendre la déclaration de Doha pour permettre aux pays producteurs de génériques de pouvoir exporter. De plus, MSF, désirant démontrer la faisabilité de programmes de traitement dans des pays en développement, avait déjà mis 1000 personnes sous ARV. Les premières analyses de données de cette cohorte montraient que 95% des patients suivaient encore leur traitement à 6 mois et que la probabilité de survie à 6 mois était de 93% 317. Ces résultats, plus que satisfaisants, allaient contre les arguments avancés par les compagnies pharmaceutiques affirmant que la situation du système sanitaire de ces pays ainsi que le manque d’éducation des patients entraineraient l’apparition de nombreuses résistances par la mauvaise utilisation de ces molécules. Ils prenaient aussi comme exemple l’échec du traitement de la tuberculose qui pourtant nécessitait un traitement de seulement 6 mois. Alors comment obtenir des résultats positifs avec un traitement à vie ? Bien entendu c’était l’époque de la bataille des prix initiée par l’arrivée des génériques et les laboratoires cherchaient à gagner du temps.

En 2003, le 30 août pour être exact, l’OMC, malgré la forte résistance des Etats-Unis, valida un accord permettant aux pays producteurs de génériques d’exporter, et aux pays nécessiteux, d’importer. Cependant, les pays du Nord s’arrangèrent pour ajouter à cet accord des mécanismes administratifs, légaux, économiques et politiques particulièrement lourds et contraignants visant à décourager les pays pauvres à se lancer dans la procédure.

Dans les années qui suivirent, malgré les obstacles, de plus en plus de génériques furent produits et exportés, rendant possible l’extension de leur accès. Dans le même temps, certains pays hésitèrent longtemps avant d’importer ou d’exporter, persuadés (par les laboratoires) qu’ils n’en avaient pas le droit et par crainte des représailles politico-économiques (principalement de la part des Etats-Unis).

Ainsi, de grands progrès ont été faits mais l’avenir pourrait redevenir conflictuel, et ceci pour 2 raisons:

1. Le motif essentiel pour lequel la concurrence a été rendue possible pour les ARV les plus anciens, est qu'il n'y avait pas de brevet dans les pays en développement ayant la capacité de produire des produits pharmaceutiques comme le Brésil, l'Inde ou la Thaïlande. Ce n'est maintenant plus le cas. Bien que les pays les moins avancés (PMA) ne soient pas obligés, selon les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), garanties par la déclaration de Doha

317 TASSIÉ JM. Access to HAART in MSF programmes. From pilots projects to scaling up. Epicentre. 2002.

222 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

en 2001, d'accorder les brevets de produits pharmaceutiques au moins jusqu'en 2016 (comme pour le Cambodge) 318, d'autres pays en développement ont vu cette période de transition se terminer en janvier 2005. Ceci comprend les pays ayant une importante capacité de production comme l'Inde, une source majeure d'ARV génériques pré qualifiés par l'OMS, qui ont dû introduire une nouvelle législation en matière de brevets pharmaceutiques, afin de se conformer aux règles de l'OMC. Il est essentiel de noter que les changements des législations relatives aux brevets dans les pays ayant une capacité de production touchent également les pays qui en dépendent pour leurs importations. Heureusement des dispositions légales, que nous ne détaillerons pas, permettent de contourner les brevets (licences obligatoires, exception de l’article 30 de l’ADPIC, importations parallèles, l’exception Bolar) et malgré les difficultés rencontrées pour les mettre en œuvre, elles donnent l’espoir que la compétition des prix entre les produits de marques et les copies pourra continuer.

2. D’autre part, le protocole amélioré de première intention (TDF+FTC+EFV) actuellement recommandé par l'OMS comprend des médicaments plus récents, qui sont plus onéreux, car il existe peu de concurrents génériques. Il existe donc un risque important de voir ressurgir la crise des prix observée il y a peu, avec des ARV permettant de sauver des vies à un prix hors de portée de ceux qui en ont besoin. Ainsi, l’évolution vers des traitements de première intention améliorés pourrait avoir des conséquences dramatiques en termes de prix qui seront à prendre en compte.

« Rien n’est jamais gagné dans la lutte contre le Sida. Les victoires remportées pour les premières lignes nous ont permis de faire un pas considérable dans le traitement des personnes vivant au sud. Tout est à construire pour les secondes lignes et l’apport de la recherche en économie de la santé est, de ce point de vue, primordial ». Jean-François Delfraissy, Directeur de l’ANRS.

Le Cambodge, membre de l’OMC, devra donc se préparer pour l’après 2016 … De cette relation conflictuelle Nord-Sud de domination, une conclusion s’impose : nous assistons à la mise en place de limitations dans l’accès aux médicaments là où les malades en ont le plus besoin. Ce problème devient alors très sensible quand cet accès est considéré comme faisant partie

318 Toutes les nouvelles molécules sont protégées par un brevet pendant 20 ans avant qu’elles ne rentrent dans le domaine public. Tous les pays membres de l’OMC doivent appliquer l’Accord ADPIC concernant la protection de ces brevets mais beaucoup de pays en développement ne l’ont pas encore fait. Ces derniers bénéficient d’un délai pour mettre leur législation nationale en conformité, 2016 étant la date butoir.

223 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir d’un ensemble plus vaste qui est le droit à la santé. Finalement, aller trop loin dans l’affirmation du droit des brevets c’est aussi empiéter sur le droit des patients. Il est clair que les antirétroviraux s’intègrent dans un espace politique et économique essentiellement maîtrisé par les grandes puissances internationales. Les médicaments représentent un enjeu majeur qui semble dépasser la dimension sociale et humanitaire.

L’exemple d’un pays précurseur, le Brésil : L’histoire des ARV génériques commença en 1991 lorsque le Brésil fabriqua son propre AZT. Ignorant les obstacles (dont une action engagée par les Etats Unis devant l’OMC et finalement abandonnée en juin 2001), il continua à produire d’autres génériques pour finalement avoir plus de 15 molécules antirétrovirales à la disposition des médecins. Nous soulignerons ici le côté avant- gardiste du Brésil qui avait tout de suite considéré les ARV comme de la prévention à un niveau de santé publique mais aussi comme une mesure économique. Ainsi, suite à la négociation des prix et à une production de génériques, de 1997 à 2001 le Brésil a multiplié par 2,5 le nombre de patients traités avec un budget équivalent (tableau 12 ci-dessous). Ces traitements auraient permis d’éviter 358 000 hospitalisations pendant ces 5 années, engendrant 1 milliard de dollars d’économie (pour 1,4 milliards de dollars d’ARV). Le Brésil avait compris que les économies ne s’arrêteraient pas là. En effet ces traitements permettaient aussi de garder en activité une partie cruciale de la force active. Le gouvernement et les sociétés gardaient leur personnel qualifié tout en payant les soins. C’était cette innovation qui aurait du être mondialisée : acheter des ARV faisait économiser de l’argent …!

1997 1998 1999 2000 2001 Total Coût en millions de dollars 224 305 336 303 232 1400 Nombre de patients traités 35 900 55 000 73 000 85 000 105 000 Coût mensuel ($) du 520 462 384 297 184 traitement par patient % du budget du ministère 1,18 1,82 3,18 2,84 1,6 de la santé

Tableau 12 : Coût d’achat des antirétroviraux au Brésil sur la période 1997-2001 Source : Transcriptase n°104

En 2004 le Brésil procurait des ARV à 125 000 patients, soit presque le tiers des personnes traitées dans le monde …

224 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 LES MOLECULES

Chaque année de nouveaux traitements sont testés. Certains agissent sur de nouvelles cibles, d’autres sur d’anciennes cibles mais de façon différentes. Comme nous pouvons le constater dans le tableau ci-dessous (tableau 13) la liste des molécules déjà commercialisées est longue. Nous avons indiqué les principales molécules en cours d’essais cliniques (en italique).

Grâce à cette diversité de molécules, pour les patients qui y ont accès, la survie a été prolongée de façon très significative. Evidemment toutes les nouvelles molécules (colonne de droite, tableau 14) sont encore beaucoup trop chères pour être utilisées dans les pays en développement…

Inhibiteurs de la transcriptase inverse Inhibiteurs de la protéase Inhibiteurs nucléosidiques (INTI) amprenavir (Agenerase, APV) zidovudine (Retrovir, ZDV, AZT) tipranavir (Aptivus, TPV) lamivudine (Epivir, 3TC) indinavir (Crixivan, IDV) emtricitabine (Emtriva, FTC) saquinavir (Invirase, SQV) didanosine (Videx, ddI) fosamprenavir (Telzir, Lexiva, FPV) stavudine (Zerit, d4T) ritonavir (Norvir, RTV) abacavir (Ziagen, ABC) darunavir (Prezista, DRV) racivir atazanavir (Reyataz, ATZ) amdoxovir nelfinavir (Viracept, NFV) apricitabine lopinavir + ritonavir (Kaletra, Aluvia LPV/r) elvucitabine Inhibiteurs de l'intégrase Analogues nucléotidiques raltegravir (Isentress, RGV) tenofovir (Viread, TDF) elvitegravir (EVG/r) fosalvudine MK-2048 Formes combinées : Inhibiteurs de fusion et d'entrée zidovudine + lamivudine (Combivir) Inhibiteurs de la fusion abacavir + lamivudine (Kivexa, Epzicom) enfuvirtide (Fuzeon, T-20, ENF) tenofovir + emtricitabine (Truvada) Inhitibiteurs d'entrée (CCR5) abacavir + zidovudine + lamivudine (Trizivir) maraviroc (Celsentri, Selzentry) Abacavir + Lamivudine (Epzicom) vicriviroc efavirenz + tenofovir + emtricitabine (Atripla) TNX-355 Inhibiteurs non nucléosidiques (INNTI) Inhibiteurs de maturation efavirenz (Sustiva, Stocrin, EFV) bevirimat (BVM) nevirapine (Viramune, NVP) L’effet antiviral de ces molécules agit sur une étape étravirine tardive de la formation du virus dans les cellules delavirdine (Rescriptor, DLV) infectées. Elles agissent en fait sur la formation des rilpivirine protéines qui forment l’enveloppe interne du génome viral, le core, en empêchant leur constitution correcte.

Tableau 13 : Liste des ARV en 2007

225 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Alors que le nombre de patients traités par ARV est en pleine explosion, les inquiétudes concernant la transmission des résistances a de nouveau émergé. Une étude récente de l’ANRS a recherché des résistances aux ARV parmi des patients naïfs dans 4 pays africains et 3 pays d’Asie du Sud-est (incluant le Cambodge). Les résultats étaient encourageants car la prévalence des résistances parmi les nouveaux infectés était très basse. Au Cambodge un seul patient sur 58 avait des résistances319.

III.A.2. La Communauté Internationale

 QUI, QUOI ?

La communauté internationale est l’entité agissante qui va essayer d’agir sur la politique des pays, d’harmoniser les partenariats et d’apporter une partie de l’aide financière. Cependant elle est composée d’un agrégat de pays, de populations, de gouvernements et d’institutions qui ne sont pas tous certains de vouloir et de pouvoir aller dans la même direction. Leurs impératifs sont très hétérogènes et prennent souvent le pas sur des recommandations internationales. Les différences sont nombreuses et sont même parfois en opposition. Richesses, religions, cultures, politiques, économies sont autant de facteurs qui rendent improbable toute harmonisation des points de vue. La mondialisation existe mais elle est incontrôlable. Pourtant elle représente un tournant dans l’histoire car l’humanité n’a jamais été aussi importante et n’a jamais eu autant besoin de ressources et d’espace. Actuellement les denrées alimentaires, les ressources naturelles, les biens de consommation traversent le monde en tous sens et toutes les économies sont reliées entre elles, pour le meilleur et pour le pire.

Le choix des directions à prendre doit être fait mais par qui ? Comment être sûr que telle ou telle direction est la bonne ? La médecine occidentale, persuadée de détenir une vérité scientifique raisonnable, a souhaité en étendre ses bienfaits à travers le monde de façon uniforme et non ségrégative. Dans cette optique elle a pris la forme de l’OMS, qui, avec son cortège d’évaluations et de planifications, identifie des besoins et formule des recommandations. L’OMS serait donc théoriquement le leader naturel d’une réponse à un problème de santé tel que le VIH. Pourtant, son rôle n’a pas été aussi clair. Finalement,

319 NOUHIN J, TUN S, SREYMOM K, NGIN S, MARTIN P-R, MARCY O et al. HIV drug resistance mutations in untreated, recently infected patients from Cambodia, and from Burkina Faso, Cameroon, Ivory Coast, Senegal, Thailand and Vietnam: The ANRS 12134 study. 2008. Non encore publiée.

226 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 même si elle a réussi à mettre en avant des multitudes d’initiatives à travers le monde, pour en faire partager l’expérience, ses propres projets n’ont pas été des succès complets. La prévention a certainement été l’exemple le plus flagrant et son projet phare « 3 by 5 », comme nous allons le voir, n’aura été qu’une semi-réussite. La situation n’est pas meilleure pour l’ONUSIDA, qui avait pourtant le mandat de coordonner la lutte contre le Sida depuis sa création en 1996, et qui n’a pas pu prendre le leadership international de la réponse

La lutte contre le Sida dans les pays en développement a entrainé une prolifération des acteurs, chacun a créé ses programmes, ses stratégies et a multiplié les ressources financières mais le manque de coordination et de convergence des intérêts a dispersé la réponse et retardé son impact. Etre convaincu qu’il est nécessaire d’investir dans des stratégies ne veut pas toujours dire que les moyens pour les mettre en application seront mis à disposition au bon moment et en quantité suffisante.

 LE POINT SUR DEUX FINANCEMENTS INTERNATIONAUX

 « 3 BY 5 INITIATIVE»

Devant l’Assemblée générale des Nations-unies, en 2002, le Dr J. W. Lee, directeur général de l’OMS et Kofi Annan, secrétaire général des Nations-unies lancèrent l’Initiative « 3 by 5 ». Cette initiative, approuvée par les 192 membres de l’OMS, dont le Cambodge, était une stratégie destinée à promouvoir l’accès universel de tous les traitements contre le VIH pour tous ceux qui en avaient besoin. En l’occurrence l’objectif était d’assurer un traitement ARV à 3 millions de personnes d’ici 2005, soit la moitié des besoins mondiaux estimés. Cette stratégie se basait sur la mobilisation de ressources financières internationales, l’implication de tous les acteurs, la promotion des droits de l’Homme, la création de réseaux, l’engagement des gouvernements, le partage des expériences, l’instauration de partenariats public/privé, l’apport de soutiens techniques et surtout l’accès à des ARV à faible coût. Cette approche ressemblait beaucoup à celle du Continuum of Care mais elle était moins directive. Elle proposait une assistance technique aux pays pour élaborer une stratégie personnalisée d’accès aux traitements, les laissant trouver seuls une solution adaptée à un problème difficile à résoudre localement… Cette position de

227 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir soutien passif participait à une nouvelle façon de penser le développement et les soins dans leur globalité. Cette nouvelle approche était liée à un plus grand pragmatisme face aux vieilles habitudes coloniales de « copier-coller » des programmes qui avaient marché ailleurs. Avec cette optique, dans l’éditorial du Bulletin de l’OMS sur les systèmes de santé il était écrit que « nous devons abandonner les grands principes idéalistes des années 70 au profit de l’élaboration et l’évaluation de politiques basées sur les réalités diverses auxquelles doivent aujourd’hui faire face les pays compte tenu de l’état réel - et non virtuel, tel qu’ils le souhaiteraient- de leur système de santé ». 320 Les objectifs de l’initiative n’ont pas été atteints par tous les pays mais ils furent encourageants321 permettant d’envisager de poursuivre les efforts et de préparer le terrain pour un monde plus dans le continuum :

. Le nombre de personnes recevant des traitements antirétroviraux dans les pays en développement s’accrût rapidement : il doubla entre décembre 2003 et juin 2005, passant de 400000 à environ 1 million. . En juin 2005, 14 pays à revenu faible et moyen avaient atteint l’objectif des « 3 millions d’ici 2005 » en dispensant des ARV au moins à la moitié des personnes qui en avaient besoin. . En Asie, deuxième région par ordre de prévalence, le nombre de personnes ayant accès aux ARV tripla entre juin 2004 et juin 2005 pour atteindre environ 155 000. . Au Cambodge l’objectif de mettre sous antirétroviraux 10 000 personnes avant la fin 2005 fut atteint.

320 FEACHEM RGA. Systèmes de santé : des données nouvelles alimentent le débat. Bulletin de l’OMS, recueil d’articles 2000 ; 3 [Consulté le 20/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.whqlibdoc.who.int/recueil_articles/2000/RA_2000_3_150-151_fre.pdf 321 WHO. The « 3 by 5 » Target. Newsletter, February-July 2005. [Consulté le 26/09/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.who.int/3by5/

228 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 74 : Représentation géographique mondiale du pourcentage de personnes recevant des ARV parmi ceux qui en ont besoin, juin 2005. Source : OMS

En juin 2005, la couverture mondiale en ARV était meilleure mais elle était encore très inégale. Le graphique précédent (figure 74) le montre clairement : Les États-Unis, l’Europe, le Brésil, l’Australie, le Japon couvraient plus de 75% des patients qui en avaient besoin, alors que la majorité de l’Afrique et de l’Asie, aussi que la Russie se trouvaient entre 0 et 25%. Le nombre n’était pas atteint, et l’inégalité pas assez réduite.

Depuis juin 2005, il n’y a aucun rapport disponible sur le site internet de l’OMS 322 concernant cette initiative…

322 www.who.int/3by5/en/

229 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 LE FONDS MONDIAL

En janvier 2002 le Fonds Mondial est créé par les Nations Unies (sur la demande du Secrétaire général Kofi Annan) pour lutter contre la tuberculose, la malaria et le Sida, trois maladies causant chaque année la mort de plus de 6 millions de personnes dans le monde. Ses objectifs sont : améliorer l’accès aux traitements, optimiser l’utilisation des ressources, concentrer l’initiative des bailleurs, promouvoir une forte participation de la société civile à la structure de gestion du Fonds et faciliter le processus d’autonomisation des pays du Sud. Après 8 rounds, le Fonds Mondial a déjà approuvé de financer des projets pour 15,11 milliards de dollars et parmi lesquels 7,28 milliards ont déjà été déboursés. 61% de ces sommes iront pour lutter contre le VIH/Sida. Sur le terrain l’efficacité de ce fond est inégale, devant se superposer à des structures sanitaires existantes, à d’autres financements, à une privatisation agressive des systèmes de santé, à une forte corruption et à un manque d’engagement politique fort des pays323,324. Le Cambodge depuis l’appel à projet de mars 2002, a bénéficié de 5 rounds du Fonds Mondial pour lutter contre le VIH/Sida: le 1, 2, 4, 5, 7. Ce dernier n’a démarré qu’en 2009. Le gouvernement a montré une grande ferveur pour développer une structure compétente et de nombreux acteurs locaux et étrangers ont pu bénéficier de ce Fonds : on peut dénombrer plus d’une dizaine de bénéficiaires rien que dans le secteur du VIH/Sida (dont de nombreuses ONG). Les sommes versées ont été conséquentes (tableau 14), atteignant un total de presque 150 millions de dollars sur 8 ans. Une grosse partie de ces budgets sont destinés à l’achat de médicaments. Pour le moment les financements sont sécurisés jusqu’en juin 2011 et il est difficile de prédire ce qui se passera ensuite cependant le round 9 (100 millions de $) devrait être prochainement accepté. L’approche du Fonds Mondial est cependant trop quantitative. Les méthodes de suivi et d’évaluation sont focalisées sur les chiffres. Les programmes peuvent étendre l’accès aux traitements sans pour autant justifier de leur capacité à donner les traitements dans de bonnes conditions. De plus, contrairement aux intentions de départ, les procédures de gestion de ce Fonds deviennent de plus en plus complexes voire hiéroglyphiques et de moins en moins flexibles. La présence du Local Fund Agent sensé vérifier la bonne utilisation des fonds ajoute une lourdeur supplémentaire qui retarde les versements d’argent, nous laissant parfois à la limite de la fermeture des activités.

323 RAGUIN G. Le Fonds global à l’épreuve du terrain. Transcriptase juillet/août 2004 ; 117. 324 RAGUIN G. Corruption et financement de la lutte contre le VIH. Transcriptase avril/mai 2006 ; 127.

230 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Enfin le Country Coordinating Mechanism qui regroupe des représentants du gouvernement et d’Institutions ne fonctionne pas et il doit être remanié cette année. Il devra être réduit et regrouper plus de représentants de la société civile, plus de participants qui participent vraiment. Les effets bénéfiques (il y en a), en dehors d’apporter des soins, ont été de renforcer la communication entre tous les partenaires et de développer les compétences du Ministère de la Santé.

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Totaux Rounds 1 $11 242 538 $4 472 092 $15 714 630

2 $5 370 564 $9 395 061 $14 765 625

4 $8 794 982 $27 751 152 $36 546 134

5 $16 292 779 $18 670 875 $34 963 654

7 $23 857 767 $22 836 212 $46 693 979

$148 684 022

Tableau 14 : Financements par le Fonds Mondial de la lutte contre le VIH/Sida au Cambodge, montants et périodes Source : Fonds Mondial Cambodge (www.moh.gov.kh/gfatm)

Médecins du Monde a bénéficié des rounds 1, 4 et 5. L’engagement de ces financements s’étend de septembre 2003 à août 2010, assurant la continuité et l’extension des activités en cours. Cependant, comme nous le verrons plus loin, MDM a entamé un processus de désengagement au profit d’une ONG locale (SEAD 325) qui a pris effet en octobre 2008. Les financements, les structures, les activités, le personnel n’ont pas changé car cette ONG a été créée par le personnel de MDM. D’autre part PSF a transféré une partie de leur financement et de leurs activités à SEAD depuis janvier 2009. Enfin SEAD a déposé avec succès un projet pour le round 7 qui finira en décembre 2010. 50% des ressources sont destinées à l’achat des médicaments.

325 Sharing Experience for Adapted Development

231 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les montants des subventions pour le projet géré par MDM puis SEAD se répartissent comme suit : 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Totaux Rounds 1 773 126 $ 582 761 $ 1 355 887 $

4 333 431 $ 2 093 012 $ 2 426 442 $

5 601 902 $ 345 542 $ 947 444 $

7 244 705 $ 244 705 $

4 974 479 $ Tableau 15 : Financements par le Fonds Mondial du projet MDM/SEAD, montants et périodes

III.A.3. Le Gouvernement et le Système de santé

Novembre 2008, lors d’une réunion officielle ouvrant le dialogue entre le gouvernement et les ONG, le sujet de la santé a été largement abordé. MEDiCAM, un organisme regroupant les ONG agissant dans le domaine de la santé, a présenté son bilan annuel 326. Concernant le système de santé public, en particulier au niveau périphérique, MEDiCAM a mis en avant certains problèmes et difficultés altérant la qualité des soins apportés à la population:

. Bas salaires du personnel soignant . Paiement informel par les malades . Personnel insuffisamment formé et peu accueillant . Mauvaise répartition territoriale des compétences . Peu d’intérêt de la part des nouvelles générations pour aller dans les régions éloignées . Manque de gestion et supervision irrégulière . Absence d’éthique . Pas de participation communautaire . Mélange des activités privées et publiques . Manque de rigueur . Accès non équitable . Versement tardif et incomplet du budget national . Médicaments essentiels posant des problèmes de disponibilité et de qualité. . Médicaments pas toujours adaptés aux besoins . Corruption

326 MEDiCAM. National Dialogue on Cambodia’s Development 2007-2008. Health and Education. Présentation à l’occasion du NGO statement to the 2008 Cambodia Development Cooperation Forum. Phnom Penh Novembre 2008.

232 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Cette liste n’est pas surprenante car elle n’est pas nouvelle. Elle est celle de tous les pays en développement. Les soins ne peuvent être apportés que si un minimum de conditions sont remplies : présence d’un personnel compétent et suffisamment payé, présence de matériels et d’infrastructures appropriés et de bonne qualité, présence d’un bon système de communication et d’une sécurité minimale, tout ceci grâce à la présence d’un budget national (et international) cohérent et bien utilisé. Au Cambodge, après plus de 15 ans d’une présence étrangère massive et d’une perfusion financière conséquente, des progrès ont été notés : diminution de la prévalence du VIH, diminution de la morbidité et de la mortalité de la malaria et de la tuberculose, couverture vaccinale étendue, amélioration de la nutrition infantile, décroissance de la mortalité infantile, meilleure distribution du sel iodé…

Pourtant certains sujets de santé publique restent très préoccupants: - Mortalité maternelle qui n’a pas changé depuis 2000 (472/100 000 naissances vivantes) - Apparition de pathologies d’une société en évolution, telles le diabète (5% en milieu rural, 10% en milieu urbain) et l’hypertension (12% en milieu rural, 25% en milieu urbain) - Contamination bactérienne et à l’arsenic des eaux souterraines - Augmentation de la résistance du Plasmodium aux médicaments contre la malaria - Augmentation des accidents de circulation …

Sans aborder tous les sujets problématiques, nous parlerons de ceux qui nous semblent avoir un impact direct sur l’accès aux soins: la répartition des médecins et des structures de santé sur le territoire, le budget de la santé et la corruption. Il faut noter que cette notion d’accès aux soins implique que les soins soient disponibles (présence de médecins, de structures et d’un budget de fonctionnement) mais aussi qu’ils soient accessibles (répartition géographique, état des routes, sécurité, prix des déplacements).

 UN SYSTEME DE SANTE FAIBLE ET HETEROGENE

9 hôpitaux nationaux, 68 hôpitaux de référence, 987 centres de santé et 107 postes de santé sont recensés dans le pays 327. Ces structures de santé publique regroupent au total moins de 10 000 lits d’hospitalisation, ce qui représente une couverture d’1 lit pour 1000 habitants (sans compter que la qualité des services de santé associés à ces lits est assez inégale). En addition, la distribution

327 Ministère de la Santé. Communication orale directe.

233 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir géographique des structures de santé est très hétérogène, concentrée sur les grands axes et les grandes villes (figure 75). Ceci est évidemment logique car cela suit la distribution de la majorité de la population (figure 76), pourtant le nombre et la répartition des médecins sur le territoire reste limitée avec le plus souvent un médecin pour 10 000 habitants (figure 77).

Figure 75 : Distribution géographique des structures de santé Source : The Atlas of Cambodia – National Poverty and Environment Maps – 2006

Figure 76 : Répartition géographique de la densité de population au Cambodge Source : The Atlas of Cambodia – National Poverty and Environment Maps - 2006

234 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 77 : Représentation graphique du nombre d’habitants par médecins Source : The Atlas of Cambodia – National Poverty and Environment Maps - 2006

Nous remarquons que, de façon grossière, les régions avec la plus faible densité de médecins se superposent aux régions ayant la plus forte densité de population. En conclusion, là où il y a le plus de structures de santé et de population, c’est là où il manque des médecins. Ailleurs la densité de médecins est correcte par rapport à la population mais ils sont trop éloignés.

 LES DEPENSES DE SANTE

En 2005, les dépenses de santé par habitant étaient estimées à 37 $ par an 328 dont 25 $ (68%) étaient supportées par les ménages (5% de leur revenu annuel), 8 $ (22%) par l’aide internationale et 4$ (10%) par le gouvernement. Ceci étant dit, les frais pouvaient varier énormément en fonction du service visité. Ainsi, ils peuvent être de 103$ si le malade a été seulement dans le privé, 32$ s’il a été à la fois dans le public et le privé et 8$ dans le public seul 329. Toujours était-il que ces dépenses dépassaient souvent le budget annuel pour la nourriture et l’éducation et que pour combler les besoins le malade devait souvent utiliser ses économies, vendre des biens ou encore emprunter, le faisant entrer, s’il n’y était pas déjà, dans le cercle vicieux de la pauvreté. Ce cercle est caractérisé par des bas revenus, un faible pouvoir d’achat, une vente de terres, de biens et de bétail, un statut nutritionnel pauvre, un accès limité aux services publiques, un cursus scolaire trop court, un manque d’opportunités commerciales, une vulnérabilité aux variations du contexte extérieur, et de façon générale, une exclusion des activités économiques, sociales et politiques.

328 World Bank. Cambodia – Poverty Assessment 2006. WHO, UNICEF Data. CDHS, 2005. 329 DAMME W V, LEEMPUT L V, POR I et al. Out-of-pocket health expenditure and debt in poor households: evidence from Cambodia. Tropical Medecine and International Health, 2004 ; 9 (2) : 273-280.

235 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Pourtant, la santé a joui d’un niveau élevé d’aide internationale. Entre 1992 et 2005, sans compter l’apport des ONG, plus de 585 millions de dollars US ont été déboursés, dont 56,5 millions de dollars US par la Banque Asiatique de Développement (BAD) et 132,3 millions de dollars US par la Banque Mondiale (BM). Selon le Programme Public d’Investissement, environ 353 millions d’US$ d’investissements ont été fait dans le domaine de la santé pour la période 2006-2008. Ce montant a été financé à hauteur de 64 % par les bailleurs tels que la BM, la BAD, l’OMS, l’UNICEF ou le DFID et les 36 % restant par le gouvernement cambodgien. Malgré le volume de ces aides, le secteur de la santé manque chroniquement d’argent.

Pour pallier à l’insuffisance de budget pour les hôpitaux et afin de générer des revenus pour le personnel (et incidemment, réduire les paiements illicites demandés aux patients), une politique de recouvrement de coût a été instaurée en 1996 lors du processus de réforme du secteur de la santé organisé par l’OMS. 60% des recettes étaient redistribuées au personnel, 39% allaient au fonctionnement de l’hôpital et 1% à l’Etat 330. Les effets escomptés de cette politique se sont révélés décevants. Les revenus ne furent pas souvent utilisés pour améliorer la qualité des soins, conduisant à une sous utilisation des services et à une esquive du personnel de santé vers des structures privées. En effet, les pauvres, en l’absence d’amélioration des services considéraient ce système de paiement comme une charge financière supplémentaire et se tournaient vers d’autres sources de soins. Finalement ils étaient exclus, victimes du mauvais fonctionnement d’un service public qui pourtant leur était principalement destiné. Pour leur venir en aide le système d’ « equity funds »331 a été établi vers les années 1999-2000 par le gouvernement et des ONG. Ces dernières devaient identifier les pauvres et payer les soins à leur place. Cela permettait d’élargir l’accès aux soins aux plus démunis tout en compensant les pertes financières de l’hôpital lorsque des pauvres recevaient des soins mais qu’ils étaient exemptés de payer. Cependant il n’était pas aisé de déterminer qui était assez pauvre pour en bénéficier. Face à ce problème la Croix Rouge Suisse a eu l’initiative de faire participer les pagodes dans la gestion de ces fonds et la sélection des bénéficiaires. Les résultats ont été positifs, suggérant l’idée que la communauté pouvait s’approprier le programme332. Même si ce système d’equity funds a obtenu certains succès (augmentation de l’utilisation des services publiques et des revenus du personnel de

330 WHO. Health Care Financing in Cambodia. [Consulté le 25/06/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.wpro.who.int/countries/cam/national_heath_priorities.htm 331 “Fonds pour l’équité” 332 JACOBS B, PRICE N. Improving access for the poorest to public sector health services: insights from Kirivong Operational Health District in Cambodia. Health Policy Plan, jan 2006;21(1):27-39.

236 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 santé, diminution de la corruption et de la dépense de soins des familles), son implantation nationale était encore très limitée et son coût était plus important que le système de soins standard. De plus son fonctionnement a été récemment très perturbé par le manque de financements et par le retrait de la participation des ONG. Dans la même idée un système de contrat entre l’Etat et les ONG a été développé. Les résultats ont été équivalents mais malgré une implication motivée du Ministère de la Santé au niveau central, sa participation au niveau provincial a été plus timide 333.

Le financement massif par le Fonds Mondial a eu pour effet d’harmoniser les programmes et les partenariats tout en forçant le Ministère de la Santé de développer des nouvelles compétences. Cependant, actuellement les effets bénéfiques de l’arrivée de cette manne ne se sont pas réellement étendus au-delà des 3 maladies concernées et d’aucuns reprochent que des pans entiers de la santé ont été relégués au second plan alors que la mortalité et la morbidité étaient encore élevées (santé materno-infantile par exemple). Les aides internationales ont donc été importantes depuis 25 ans mais les résultats sont lents à venir. Le système de santé reste sous financé, sous optimal, sous utilisé. Les tentatives d’amélioration de la qualité des soins via le recouvrement et l’equity funds ne sont pas suffisant à eux seuls pour briser le cercle vicieux qui est en place. Dans le domaine du VIH/Sida le gouvernement a bien réagi en mettant rapidement la lutte contre le VIH dans son agenda, mais la mise en place des stratégies a été longtemps mal coordonnée. Dans le futur, le gouvernement devra augmenter son implication dans l’amélioration des services de soins et leur accessibilité par les pauvres, il devra aussi faciliter sa collaboration avec les ONG et avec le secteur privé. Des projets pilotes ont montré leur faisabilité mais de nouveaux modèles économiques devraient être mis au point pour optimiser le rapport coût / efficacité des interventions334.

 LA « CORRUPTION »

Il convient maintenant de parler d’un sujet banal mais politiquement incorrect : la corruption. Sujet délicat à bien des égards car elle est difficile à définir, à évaluer, à percevoir et même à juger. Tous les pays du monde la connaissent et elle a de multiples formes. Elle est une cause et une

333 SOETERS R, GRIFFITHS F. Improving government health services through contract management: a case from Cambodia.The Health Care manager – health Policy and Planning, mars 2003 ; 18 (1) : 74-83. 334 HONG R, BETANCOURT JA. Economic Institut of Cambodia. The provision of Health Care in Cambodia at a Glance. July-September 2004 : 12-15.

237 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir conséquence des perturbations économiques d’un pays, elle est liée au contexte et aux comportements, et elle est terriblement humaine. Rien que dans le domaine de la santé elle représenterait des centaines de milliards de dollars par an dans le monde. Au Cambodge, pays considéré comme un des plus corrompu au monde, elle concernerait 5% du budget de la santé au Cambodge avant qu’il ne sorte du gouvernement335. La corruption qui nous intéressera ici est celle qui existe à un certain point de l’accès aux soins, lors de la relation entre patient et personnel de santé. La définition du dictionnaire nous dit que la corruption représente « les moyens employés pour détourner quelqu’un de son devoir ». De façon très prosaïque nous pouvons dire que la corruption est l’acte de payer de façon non officielle (quelle qu’en soit la forme) pour obtenir un service qui normalement ne devrait pas être accessible ou qui devrait être plus cher. La corruption de l’Etat est évidemment la première chose qui vient à l’esprit. Etre fonctionnaire c’est potentiellement avoir un pouvoir de décision tout en étant mal payé. L’équation est simple, le pouvoir de dire « oui » ou « non » devient monnayable et le tarif dépend du niveau de pouvoir. L’argent gagné permet ensuite d’acquérir de nouveaux pouvoirs et donc d’établir des tarifs plus élevés. C’est la situation la plus fréquente dans les pays en développement et elle est accentuée quand il existe des ressources naturelles lucratives et des investissements étrangers importants.

La corruption a toujours existé au Cambodge et elle n’a pas disparu malgré tous les évènements. Nous pourrions même dire qu’elle s’est aggravée. D’abord lors de l’arrivée des UNTAC au Cambodge, payant 18 mois à l’avance, à des prix exagérés, la location de maisons appartenant à des fonctionnaires. Des millions de dollars ont envahi l’économie alors qu’il n’y en avait pas le besoin. Tout cet argent en circulation a attiré de nouveaux types de besoins et de commerces. Puis l’aide internationale a contribué à ce fait en amenant encore plus d’argent dans le pays. Enfin, depuis quelques années, avec la spéculation immobilière, l’ouverture économique du pays et des nouveaux besoins de consommation, la corruption s’institutionnalise devenant une source alternative de revenu dont les montants varient avec l’inflation. La corruption est souvent profitable pour un nombre réduit d’individus qui utilise leur position socioprofessionnelle pour demander de l’argent. La population générale est le plus souvent victime de la situation, devant choisir entre attendre très longtemps pour un service ou payer plus cher pour avoir plus vite ce qu’ils auraient dû avoir. Les pauvres sont les plus vulnérables, en particulier dans le domaine de la santé, n’ayant pas les moyens d’offrir des pots-de-vin ni d’aller chercher des alternatives de soin.

335 ROBISON M. Corruption and Health : Global Corruption Report, 2006. Transparency International 2006.

238 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Le médecin est bien placé pour demander de l’argent. En fonction de son éthique, il peut décider de profiter de la faiblesse, du désespoir et de l’ignorance de la population pour réclamer des honoraires abusifs. Il n’y a pas de réglementations ni de contrôles pour empêcher cette pratique. Le patient doit ensuite choisir entre faire ce qu’il peut pour payer ou aller ailleurs. Le choix se fait sur la réputation du médecin. Pour les ARV le potentiel financier est encore plus fort car c’est un choix de vie ou de mort. Pas d’argent, pas de soins. C’est choquant mais n’y a-t-il pas des pays développés qui fonctionnent de la façon similaire? Pas d’assurance, pas de soins ! Finalement, si le médecin a le droit de faire payer pour ses services, il faudrait juste que cela reste raisonnable et approprié. A notre arrivée au Cambodge nous avions l’impression que la corruption était un signe de succès social et qu’elle devait donc s’afficher. Qu’il y a t-il de surprenant à ce qu’un fonctionnaire ou un général gagnant quelques dizaines de dollars par mois possède une voiture de luxe coûtant 1000 fois plus ? Afficher sa richesse, c’est montrer sa puissance, c’est se faire respecter.

Le fonctionnement est soit horizontal (tout se fait à haut niveau, entre les « Grands »), soit il est pyramidal (les plus grands bénéficient de l’activité des plus petits). Au bas de la pyramide il peut y avoir par exemple un policier. Celui-ci gagne 20 $ par mois et doit nourrir sa famille. Est-il condamnable de demander quelques milliers de riels pour laisser passer un véhicule qui ne devrait pas passer par là ? Difficile à juger. Le problème n’est pas cette petite corruption individuelle liée à une situation de pauvreté, mais sa répétition à tous les niveaux du pouvoir aboutissant à des sommes importantes.

A ce niveau nous aimerions citer une interview donnée par le président de l’association ADHOC spécialisée dans la défense des droits de l’homme 336 : « (…) Dans notre pays, depuis toujours, les hauts fonctionnaires cherchent à rentabiliser leurs charges, qu’ils ont, pour beaucoup achetées. (…) Leur fortune provient de l’utilisation de leur poste non pas au profit de l’intérêt général, mais à la recherche de leur enrichissement personnel, celui de leur famille et de leur clan. (…) La valeur d’un être humain se compte au nombre de dollars qu’il possède, à la taille de sa voiture et à celle de sa villa. La richesse est synonyme de pouvoir et donc de respect. Le peuple craint l’homme riche car il a du pouvoir. (…) Un honnête homme, sage et éduqué n’a aucune chance de parvenir à un quelconque niveau social s’il est pauvre… ».

Personnellement nous ne reviendrons pas sur les détails de ce que nous avons constaté, mais nous pouvons relater un fait qui peut faire réfléchir : alors que nous évoquions avec un expatrié d’une Agence des Nations-unies la récurrente absence de livraison du dernier trimestre de médicaments pour l’hôpital provincial où nous travaillions, celui-ci nous répondit que « 75% de médicaments qui arrivent à bon port c’est mieux que rien du tout, ce qui serait le cas si nous n’aidions pas ». C’est logique mais si tout le monde est au courant de ce raisonnement, il est très probable que personne

336 PEN Bona. Ces serviteurs de l’état qui se servent. Cambodge Soir hebdo. 30 octobre au 5 novembre 2008. 56 :7.

239 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir ne changera de comportement. Les 25% se sont perdus dans les étages du pouvoir, comme un salaire complémentaire. A la conférence annuelle des donateurs pour le Cambodge, la lutte contre la corruption a souvent été un sujet de débat mais elle n’a jamais conditionné les financements. Quel donateur voudrait se voir être accusé d’avoir lésé une population en voulant lutter contre la corruption ? Le CDC (Council for the Development of Cambodia), qui est un organe gouvernemental, publie sur son site internet une page concernant cette problématique 337. Il note que « tout le monde est d’accord sur le fait que les bas salaires et le manque de compétences contribuent à favoriser les comportements immoraux et les mauvaises performances dans le secteur public. (…) Le Health Sector Strategic Plan 2003 - 2007 n’a pas identifié les bas salaires comme une priorité. (…) Le gouvernement Cambodgien a publiquement reconnu que la corruption dans le secteur public était un obstacle majeur au développement durable mais que peu de progrès ont été fait ». Le gouvernement Cambodgien a certainement fait des efforts dans la lutte contre la corruption en mettant en place des initiatives et des stratégies, en s’intégrant à des groupes régionaux ou encore en adoptant des réformes mais aucune action concrète ni aucune loi respectant des critères internationaux n’ont été mises en place. Est-ce si étonnant ? Qui au sein du gouvernement ou de la société civile serait assez fort pour se positionner ouvertement contre tous les autres alors qu’aucun jugement impartial ne peut être espéré? Qui pourrait prétendre être au-dessus de tous et contrôler des personnes influentes ? Pourquoi ne pas plutôt faire comme tout le monde pendant que cela est possible ? Alors que, impunément, les représentants de l’ordre, de l’armée et de la justice ne montrent pas le meilleur exemple, la population, qui ne tend pas à reprendre confiance dans son gouvernement, essaye de les imiter 338.

III.A.4. Le Secteur Privé, moderne et traditionnel

D’après les statistiques nationales, deux tiers des personnes qui sont malades vont aller chercher un traitement 339… mais où ? L’itinéraire thérapeutique des malades est un facteur capital qui conditionne les succès et les échecs de la politique de soins.

Les Cambodgiens les plus pauvres, lorsqu’ils sont souffrants, pour des raisons d’habitude et de proximité, se tournent tout d’abord vers les services de soins informels. Ils iront voir les

337 CDC. Civil Service Reform and Anti-corruption Measures. [Consulté le 26/11/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.cdc-crdb.gov.kh/cdc/ngo_statement/civil_service_reform.htm 338 MAC LEAN L. National Integrity Systems, Country Study Report, Cambodia 2006. Transparency International 2006. 339 Cambodian Socio-economic Survey (CSES) 2004.

240 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 médecins traditionnels, les sorciers, les bonzes et les pharmaciens ambulants. Les frais engagés sont parfois importants mais victimes de l’environnement villageois, de leur crédulité et de leur manque d’information, les patients ne peuvent y échapper. Si cela peut se révéler sans trop de gravité pour certaines pathologies, dans le cas du Sida les échecs sont systématiques. Cependant, la compétence du praticien est rarement remise en cause par le patient qui va plutôt invoquer la malchance, les mauvais esprits ou le karma pour expliquer cet échec. En fonction des ressources qui lui restent, le malade va ensuite se tourner vers d’autres pharmaciens, puis vers les structures publiques et privées. La vente de médicaments sans ordonnance par les pharmacies est chose commune. Les médicaments viennent de sources référencées mais il existe aussi des copies. Il n’est pas rare de trouver en vente des ARV qui normalement devraient être dans le stock d’une ONG ou du gouvernement. La plupart du temps il n’y a pas de réels pharmaciens mais des personnes qui ont acquis certaines connaissances empiriquement (la pharmacie est appelée dépôt de pharmacie). C’est illégal, c’est bien connu, mais leur fermeture n’est pas chose facile. En général le patient viendra y chercher des traitements qu’il souhaitera nombreux mais de courte durée. Tous les comprimés sont mélangés dans un sachet et aucun nom n’est visible. Après des essais infructueux, il se dirigera vers le secteur public, qui bien que peu performant et potentiellement corrompu reste moins cher que le secteur privé. Il y a quelques années, aucune offre spécifique de soins n’y était présente et le patient n’était pas souvent amélioré par les traitements disponibles. Le médecin informait alors le patient de la pauvreté du secteur public et de la possibilité de trouver les bons médicaments chez lui, à son cabinet. Les familles, soucieuses de prendre soin de leur parent se lançaient dans une série de traitements couteux, incluant des perfusions et des injections (mélanges de vitamines et d’antibiotiques). Cela pouvait revenir à plusieurs centaines voire plusieurs milliers de dollars. Tout à la fin, si le malade n’était pas encore mort, à force d’errance, il pouvait peut-être entrer dans un programme ARV d’une ONG. Cependant les places étaient limitées. Heureusement la situation a changé depuis 2004, avec des ARV plus accessibles dans les provinces via le secteur public, permettant aux pauvres d’être traités à peu de frais (mais des frais, il y en a toujours). Pour la population plus aisée, c’est le problème de la confidentialité qui va jouer sur son itinéraire thérapeutique. Elle n’a pas envie de se mélanger avec les pauvres et surtout elle ne veut pas être reconnue par une connaissance, la honte serait trop grande. Le secteur privé est alors le lieu idéal de traitement, ce d’autant que payer plus cher donne toujours l’impression d’avoir des soins de meilleur qualité. Le système privé s’est installé confortablement dans le grand espace du secteur de la santé, laissé presque vide par le gouvernement pendant des années, « récupérant la plus grosse part du marché ». Selon le Ministère de la Santé, il y aurait actuellement plusieurs milliers de

241 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir prestataires privés (cliniques médicales et dentaires, laboratoires, pharmacies, chirurgiens esthétiques etc.) dont les deux tiers opèrent sans licence. Le gouvernement voudrait fermer toutes les structures illégales, mais celles-ci bénéficient souvent d’une protection haut placée. De plus le Ministère de la Santé n’a pas de bras armé pour faire appliquer ses décisions. Il doit passer par le Ministère de l’Intérieur, qui ne souhaite pas toujours réagir. Le Sida a été une aubaine pour le secteur privé qui y a vu un moyen de marchander de façon profitable la survie des patients. C’était l’époque de la « privatisation du Sida ». De nombreux traitements miraculeux étaient vendus, même par des bonzes peu scrupuleux. Cela pouvait être du sirop, des injections, des comprimés mais aussi du savon 340 et des traitements traditionnels. Des médecins passaient même des publicités dans des journaux à propos de leur traitement, pour attirer la clientèle. Au tout début de l’arrivée des ARV, en l’absence de génériques, les prix ne permettaient pas un traitement très long. Les malades se traitaient 2 mois, arrêtaient, puis reprenaient à l’occasion de la vente d’un bien. S’ils n’avaient plus d’argent ils n’osaient même plus se représenter devant les médecins… De plus, ces derniers, en général peu qualifiés dans le domaine, ne respectaient pas les protocoles de traitement et de suivi, et les malades, en général peu riches, n’avaient, de toutes les façons, pas les moyens de s’y conformer…

III.A.5. Les ONG

Après la signature des accords de Paris en 1991, puis l’intégration des ONG dans la constitution, le Cambodge est devenu un terrain internationalisé par la présence d’organisations en tous genres (ONG locales et internationales, agences bilatérales et multilatérales). On parle du Cambodge comme de l’un des pays du monde comptant le plus d’ONG 341. Le Cambodge est devenu un de ces pays en marge du développement tributaire de l'aide internationale (qui représente 40 % du budget national). Les ONG à elles seules apportent environ deux cents millions de dollars tous les ans. Le Gouvernement les a intégrées dans ses programmes de développement à la fois comme donateurs, partenaires, coordinateurs, experts, chercheurs, sources d’information, formateurs, collaborateurs et bien sûr soutien pour faire face aux urgences humanitaires.

Pour donner une idée de l’aide apportée par les ONG, nous avons synthétisé sous la forme d’un tableau (tableau 16) le rapport réalisé par le CDC (Council for the Development of Cambodia)

340 Un savon, tout noir et appelé « Pasteur » pour lui donner plus de crédibilité était sensé soigner toutes les pathologies de peau dues au Sida. 341 AFP. 1100 ONG ont été recensées – Dépêche ; 19 avril 2005.

242 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 concernant les ONG qui y étaient inscrites entre 2002 et 2006 (toutes les ONG n’y sont pas représentées).

Au sujet de ce tableau nous pouvons faire quelques remarques : - Le nombre d’ONG internationales a augmenté de 37% reflétant un intérêt persistant de la communauté internationale d’apporter de l’aide. - Les dépenses ont doublé en 5 ans de façon relativement uniforme pour tous les secteurs d’activité. Les dépenses de santé ont ainsi augmenté de 124%. - La proportion des dépenses indirectes (liées aux dépenses du siège des ONG) sont restées stables à 20%. Certaines personnes du gouvernement ont suggéré que cela était un peu élevé. Cependant nous pouvons penser que ce n’est surement pas plus que le coût de fonctionnement du gouvernement …

2002 2003 2004 2005 2006 Total ONG 142 179 181 185 194 ONG Internationales (ONG I) 112 140 144 158 162 ONG Cambodgiennes (ONG C) 30 39 37 27 32

Total Projets 293 337 332 326 329 Projets ONG I 253 292 289 292 294 Projets ONG C 40 45 43 34 35

Total Personnel 8 547 11 507 11 656 12 397 13 134 Expatriés 619 820 779 769 812 Cambodgiens 7 928 10 687 10 877 11 628 12 322

Total dépenses annuelles $87 604 053 $108 476 559 $123 840 969 $148 570 309 $162 473 988 Dépenses directes (projet) $70 765 819 $90 021 248 $101 150 491 $120 896 154 $129 951 183 Dépenses indirectes (siège) $16 838 234 $18 455 311 $22 690 478 $27 674 155 $32 522 805

Secteurs d'activité principaux Santé 35% 40% 45% 41% 42% $30 784 000 $43 605 000 $56 100 000 $61 400 000 $68 900 000 Développement administratif 22% 18% 18% 18% 20% Développement social 21% 21% 16% 20% 19% Formation 16% 14% 14% 14% 13% Agriculture, forêts, pêche 5% 4% 4% 4% 2% Environnement 1% 2% 2% 2% 3%

Tableau 16 : Description des ONG enregistrées au CDC entre 2002 et 2006 Source : CDC. Summary Information of NGO’s Contribution Fund for Project Development in Cambodia 2002-2006. Phnom Penh 2007.

3 ONG ont un rôle particulièrement important : MEDiCAM, créé en 1989, qui met en réseau les ONG travaillant dans le secteur de la santé, HACC (HIV/Aids Coordinating Committee) créé en

243 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

1993, qui relie les ONG s’occupant du VIH/Sida et CPN+ (Cambodian People Living with HIV/Aids) qui couvre toutes les ONG locales formées de séropositifs. Dans le domaine du VIH/Sida, plus d’une centaine d’organisations sont répertoriées. Début 2008, au sein du HACC, 110 ONG étaient inscrites dont 78 ONG locales. Leurs budgets (plus de 30 millions de dollars pour l’année) sont principalement répartis sur la prévention (38%) et les soins (38%) 342.

Les ONG ont toutes des objectifs, des sources de financement et des capacités différentes. Elles viennent au Cambodge pour aider, travailler, mais aussi exister. La « richesse » des ONG est leur taille et leur adaptabilité, leur permettant d’apporter des aides rapidement, là où le gouvernement et les grandes institutions commencent frileusement à planifier. Elles peuvent se focaliser sur des thématiques en fonction de leur expertise et démarrer les projets sur le terrain avant tout le monde, d’essuyer les plâtres, de former, d’équiper, de construire, et finalement de montrer que telle ou telle stratégie peut être efficace. Une autre richesse des ONG est justement le fait d’être non gouvernemental et donc de prétendre à une certaine indépendance pour permettre de témoigner. Mais est ce toujours possible alors que la plupart des actions, pour qu’elles puissent s’inscrire dans la durée, doivent se faire avec l’implication du gouvernement ? Est-il possible de parler des pratiques illicites de certains fonctionnaires tout en conservant la possibilité de travailler ensemble ? Cette situation touche particulièrement les ONG locales qui, pourtant, ont un grand rôle à jouer, surtout dans la défense des droits de l’homme. La société civile, qu’elles représentent, a du mal à trouver sa place, à oser se montrer, à prendre la parole car en pratique le droit de grève n’existe pas343, l’information est surveillée et il est très facile d’être accusé de diffamation. La « pauvreté » de ces ONG est leur vulnérabilité, leur manque de reconnaissance et d’autonomie. Les ONG internationales quant à elles, bien qu’elles aient du mal à le faire, devraient être plus critiques envers elles-mêmes. Leur « pauvreté » provient de leur hétérogénéité et de leur manque de communication entre elles et avec le gouvernement. Chacune revendique, au risque de ne pas respecter correctement la planification nationale, un territoire d’action voire même un territoire géographique et elles ne souhaitent pas toujours partager leurs activités de peur de voir diminuer les résultats qu’elles avaient promis aux bailleurs.

342 HACC. Cambodia NGO Directory 2008-2009. 343 A la veille du premier mai 2009 les syndicats n’avaient toujours pas reçu l’autorisation de défiler pour la fête du travail. Les salaires et les conditions de travail sont de plus en plus contestés, conduisant à une tension sociale qui ne convient pas à tout le monde.

244 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

D’un autre côté, la pauvreté financière de beaucoup de ces ONG les rend dépendantes des fonds internationaux et les oblige à suivre les stratégies « à la mode »344. Comme nous l’avons vu, à travers les années nous sommes passés de la prévention seule, à la prise en charge des IST puis au traitement ARV et les ONG soucieuses d’agir pour le bien de l’Homme (mais aussi le leur), s’alignaient sur les recommandations internationales et sur la disponibilité des financements. Ainsi, leur existence est parfois trop éphémère, dépendant des aléas financiers liés aux stratégies internationales ou bien, à l’inverse, trop longue, coincées entre la culpabilité de partir en laissant des personnes dans le besoin et le gouvernement qui, revendiquant sans cesse sa pauvreté pour obtenir plus d’aide, incite les ONG à rester. Cette situation, maintenant bien rodée, pousse les ONG à se croire irremplaçables alors que l’engagement à long terme doit être la responsabilité du gouvernement. Or ce dernier n’a pas toujours eu la volonté d’imposer quoi que ce soit, ni aux ONG ni à lui-même, ne pouvant pas faire autrement que de profiter de l’aubaine. Il semblerait pourtant qu’un changement soit en train de s’opérer, notamment grâce à la centralisation des financements comme le Fonds Mondial via le Ministère de la santé qui a entraîné une nécessité d’harmonisation permettant une synergie des actions engagées. Depuis peu, le gouvernement manifeste de plus en plus son besoin d’implication et de contrôle, ce qui est potentiellement un bien, à condition que cela puisse se passer en toute transparence, sans pression et avec la collaboration de tout le monde. Or, différentes propositions de loi sont à l’étude afin de donner un cadre légal (et assez contraignant) au contrôle des activités et des financements des ONG. Des vagues successives de protestation venant des ONG ont reporté les validations par le conseil des Ministres mais une loi sera inévitablement votée. A ce moment là, il est probable que les ONG ne pourront plus s’exprimer de façon indépendante sur la situation du pays et ni agir librement. Ce sera peut-être un nouvel appauvrissement du rôle des ONG sans qu’il soit facile d’en évaluer le bénéfice pour les actions gouvernementales.

III.A.6. Les individus

Les individus sont des êtres humains. Tout est là. Ce sont des esprits et des corps qui traversent de façon ininterrompue une succession d’instants présents. Leur vie et leur libre arbitre sont influencés par leur personnalité, l’environnement matériel et culturel, et par l’environnement social évolutif (mondialisation, information, consommation, modes, comportements, alcool,

344 PERSSON K. The role of NGOs in HIV/AIDS work in Cambodia. Study for Lund University, Department of Political Science 2003.

245 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir drogues…). Leur quotidien est composé d’activités diverses dont l’objectif principal est d’assurer l’alimentation, le logement et l’habillement. Au-delà de cela, d’autres besoins existent, directement liés à leur vie sociale et familiale : déplacements, éducation, cérémonies, soins, divertissements… Ils souhaitent aussi et tout naturellement augmenter leurs biens, leur confort et leur sécurité. Hélas, parfois ces quêtes peuvent prendre des directions différentes de celles espérées si le contexte est défavorable ou bien si l’esprit s’attache à en satisfaire certaines à outrance. C’est souvent la recherche de plus en plus active de la satisfaction des désirs qui perturbe l’équilibre. L’ouverture du pays a modifié les comportements et les envies. Les personnes veulent plus de luxe, plus de plaisirs. Les drogues circulent plus, l’abus d’alcool perturbe les relations humaines, le pouvoir devient une quête, l’argent est devenu roi altérant les liens familiaux, l’entraide et permettant tous les abus, la prostitution mute et se développe. L’impunité, l’exploitation, la manipulation et la corruption sont devenues plus que jamais les moyens de la réussite. L’individualisme, au milieu d’une situation mondiale particulièrement tourmentée est devenu justifié, comme une défense contre le déchainement des éléments, un mode de survie. Beaucoup d’ « anciens » le déplorent.

 SEXUALITE

L’activité sexuelle, inhérente à la reproduction et au plaisir, persiste et même se développe alors que le brassage des populations nationales et internationales devient de plus en plus facile, que la technologie facilite le rapprochement des personnes, et que l’apparence physique, la séduction devient un culte des temps modernes.

Dans la société cambodgienne il n’est pas admis que les jeunes aient des relations sexuelles en dehors des cadres conventionnels autorisés. Ainsi, ils ont le choix entre l’abstinence et le mariage. Pour les hommes, le mariage n’est en général possible qu’après 25 ans, quand ils auront accumulé assez d’argent. Cependant lorsqu’on est jeune, exprimer sa libido est un besoin, un signe de force, et sous l’effet de l’alcool la fréquentation de night club, de massages et de bordels devient un rituel socialement accepté de passage du statut d’adolescent à celui d’homme345.

La fidélité des époux est de règle dans la campagne, due à la pression sociale. En ville elle l'est moins. La monogamie est habituelle, la polygamie (aller voir d'autres femmes) n'étant pas interdite par la loi mais limitée par l'état de fortune. Une étude réalisée par CARE en 1994 intitulée « les

345 FHI. Impact on HIV. Décembre 2000 ; 2 (2).

246 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 hommes sont de l’or, les femmes sont du tissu », avait trouvé que la croyance commune parmi les femmes disait que « les hommes ont des besoins incontrôlables et qu’ils ne peuvent pas être satisfaits par leur épouse ». Une étude similaire réalisée en 1999 parmi des femmes éduquées avait aussi retrouvé : qu’il était normal que les hommes qui se trouvaient loin de leur maison aillent voir des prostituées, que la prostitution était tolérée car cela évitait des relations longues avec des maitresses et qu’elle permettait aux épouses de contrôler l’argent du ménage, que le mariage devait être maintenu à tout prix malgré l’humiliation et la souffrance346.

Dans les fautes d'ordre sexuel, la culpabilité réside plus dans la violation de la justice (ne pas donner son dû à une prostituée, aimer la femme d'autrui, avoir des relations avec une jeune fille qui appartient encore à ses parents) que dans le manque de respect de la personne (considérer l'autre comme objet de plaisir). Dans un tel contexte, alors que l’argent devient tout puissant et que par la même une grande partie de la population se retrouve exclue de l’accès au minimum, la sexualité est devenu un bien de consommation qui autorise l’utilisation de la précarité pour faciliter son acquisition. Bien entendu, de part le fonctionnement actuel de la société, les femmes sont les premières à pâtir de ce commerce. La société khmère est assez conservatrice sur le plan socioculturel. Les traditions obligent souvent les femmes à rester au foyer, et limitent ainsi leur accès à l’éducation et à l’emploi. Les jeunes femmes doivent conserver leur virginité avant leur mariage (par reconnaissance pour leurs parents) pour éviter d’être rejetées par la société. Une femme correcte ne doit pas exprimer ses désirs sexuels quand elle est encore jeune fille ou même après le mariage (l’inexpérience de la femme justifie alors la fréquentation des prostituées). Cette gène de la part des femmes cambodgiennes de s’exprimer sur leurs problèmes sexuels est la principale difficulté rencontrée au cours des consultations IST et joue un rôle déterminant dans le manque de dialogue entre les partenaires. La question d’avoir une relation sexuelle harmonieuse ne se pose jamais, ce n’est jamais un sujet de discussion ni d’exploration. Dans un couple, si l’un ou l’autre a une IST, il (ou elle) en garde souvent le secret. Les stigmatisations sociales vis à vis des femmes qui sont considérées comme à l’origine de la transmission des IST, forcent souvent celles-ci à dissimuler ces infections et les rendent hésitantes à se présenter à une structure de soins.

346 GUILLOU A.Y.Promotion de la femme et sexualité conjugale en temps de SIDA.2000 [Consulté le 02/05/2009]. Disponible à partir de l’URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/14/08/36/PDF/Harmattan_Femmes_Sida.pdf

247 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Traditionnellement, au sein du mariage (souvent arrangé), la relation sexuelle est destinée à la reproduction (la naissance du premier enfant doit avoir lieu dans la première année de mariage). Les hommes, s’ils ne trouvent pas assez de plaisirs dans le mariage (et cela commence dès la première grossesse), se retournent vers les prostituées.

 LA SITUATION DES FEMMES DU CAMBODGE

Au niveau social, un autre fait marquant est le statut des femmes. Ainsi, même si elles représentent 51% de la force active et 25,7% des chefs de familles 347, leur implication dans les mécanismes de décision au niveau national est très faible. De plus elles font face à des conditions de vie particulièrement inéquitables : . Discrimination sur le marché du travail : elles ont souvent des emplois peu qualifiés, mal rémunérés (30 à 40% de moins de que les hommes) et elles sont plus facilement victimes d’exploitation, . 400 000 jeunes femmes travaillent actuellement dans l’industrie de la confection, avec un salaire très bas (40$/mois), avec des conditions de travail très mauvaises (12 heures par jour, pas de service de santé, nuisance sonore …) et un risque d’être obligées de se prostituer, . Accès limité à des services de soins spécialisés en santé reproductive, . Vulnérabilité au trafic humain, à l’exploitation et à la violence sexuelle, . Grand nombre de femmes, qui, pour des raisons économiques sont entraînées dans le circuit de la prostitution avec les conséquences sur la santé que l’on connaît.

347 UNDP. Human Development Report 2007/2008 – Cambodia [Consulté le 18/06/2008]. Disponible à partir de l’URL: http://hdrstats.undp.org/countries/country_fact_sheets/cty_fs_KHM.html.

248 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

III.A.7. Sphère agissante

Communauté internationale Gouvernement

Système de santé Histoire Organisations Géographie Tradition internationales Religion

Prévention Accès aux soins

Comportement

Mondialisation Modes Alcool Drogues

Traitement

Virus Immunité Secteur privé PVVS Transmission

Environnement culturel Entités Articulations et matériel agissantes

Figure 78 : Sphère agissante

249 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

III.B. L’environnement culturel et matériel

III.B.1. L’Histoire et la Géographie

L’histoire du Cambodge est un fait. Elle n’a pas été créée autour du VIH, elle est le témoin des évènements générés par les humains. Concernant l’épidémie du VIH, cette histoire, que nous avons déjà évoquée, a créé un contexte d’appauvrissement propice à son expansion. La destruction des infrastructures du pays, la difficulté de répondre aux besoins essentiels de la population, le manque d’information et d’éducation, l’insuffisance du système sanitaire, l’instabilité politique, l’insécurité, le trafic humain et l’arrivée de l’UNTAC ont donné à l’épidémie le temps nécessaire pour s’installer sans qu’il fut possible de l’en empêcher.

A cela il faut ajouter un contexte géographique crucial : la proximité de la Thaïlande. En effet, faisant elle-même face à une épidémie importante, elle a été une porte d’entrée déterminante, et sans elle, le contexte historique n’aurait peut-être pas eu les mêmes conséquences. Quand la réponse nationale, avec l’aide d’organisations internationales, pût enfin prendre consistance, les contraintes géographiques restèrent présentes : le relief, l’état des routes, la mousson, la répartition hétérogène des structures de santé, ont été autant de barrières au développement efficace des stratégies de prévention et de soins. En effet, l’accessibilité aux structures de soins est restée difficile pour beaucoup de personnes, non seulement en termes de distance mais aussi en termes de temps, surtout en période de saison des pluies. Dans l’illustration ci-dessous (figure 79) nous pouvons clairement constater que dans la plupart des régions la population doit parcourir plus de 5 kilomètres pour arriver à la structure de santé la plus proche. Or 5 kilomètres, pour ceux qui doivent payer un moyen de transport privé, peut représenter une somme importante, surtout si l’état des routes est mauvais.

Il est évident que dans ces circonstances la mise en place de traitements de pathologies chroniques est problématique. Les difficultés rencontrées, depuis toutes ces années, dans la lutte contre la tuberculose, maladie pourtant curable, en est d’ailleurs le meilleur exemple.

Le soutien social assurant une aide au transport pour les plus démunis est un facteur essentiel de réussite pour les programmes ARV et le Home Based Care, d’une portée géographique limitée, ne peut correctement s’y substituer.

250 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 79 : Distance moyenne entre la population et les structures de santé Source : The Atlas of Cambodia – national Poverty and Environment Maps – 2006

III.B.2. Les Croyances et la Magie

Quand nous sommes arrivés au Cambodge, la tête pleine d’une pratique médicale réalisée dans des hôpitaux suréquipés où l’argent dépensé ne se voyait pas et où les problèmes sociaux pouvaient se régler grâce un arsenal de services gouvernementaux proposant des soutiens… nous ne faisions que voir le côté prometteur de l’aventure : une aide humanitaire en exerçant la médecine directement vers les plus nécessiteux. Certes cela a été vrai, mais au cours de notre exercice au Cambodge nous avons aussi constaté que ces actions devaient s’accompagner d’une perspective culturelle. Cela peut paraitre évident alors qu’une armée d’ethnologues, d’anthropologues et de psychologues s’acharnent à le répéter, mais seule l’expérience pratique peut donner la mesure de ce que cela représente au quotidien. N’avons-nous pas été étonnés lorsqu’un patient refusa de se faire plâtrer le poignet après une fracture car « cela allait le gêner pour travailler » ?! N’avons-nous pas été perturbés lorsqu’une famille refusa de payer l’opération de leur enfant atteint d’une péritonite appendiculaire car « cela allait leur coûter plus cher que la cérémonie pour son enterrement » ?!

251 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

De la même manière l’épidémie du VIH nous apporta son lot de surprises et il nous a fallu élargir notre vision du monde pour arriver à apporter une aide adaptée aussi sereinement que possible dans une culture que nous découvrions. Le Cambodge possède des siècles de traditions dans tous les domaines et la santé y tient un rôle important. La prévention des maladies et leurs traitements utilisent un large éventail de techniques qui mêlent la pratique religieuse, l’intervention des esprits et l’utilisation de plantes.

 LES MEDECINS TRADITIONNELS OU « KROU » KHMERS.

Comme le mot « traditionnel » l’indique, ces médecins sont présents dans le paysage Cambodgien depuis longtemps, utilisant les ressources naturelles locales pour préparer des remèdes. Alors que l’accès aux structures de santé modernes reste problématique, ces « krou » khmer (mot dérivé du sanscrit « gourou » = le maître), présents dans tous les villages, représentent souvent le premier recours thérapeutique pour la population en quête de soins. Selon leur spécialisation, ils emploient: des remèdes naturels anciens à base d’herbes et éventuellement de morceaux d’animaux, différentes pratiques thérapeutiques (massages, fumigations, scarifications, ventouses), des rites à caractère religieux ou magiques. La maladie est perçue comme une manifestation du magique et la thérapie traditionnelle répond à la question de la signification et de l'origine du mal. Elle agit par le rétablissement d’harmonies internes grâce à des actes et des paroles symboliques. L'action du thérapeute est psychologique, sociale et corporelle. Le malade trouve alors des explications à sa maladie grâce à des actes thérapeutiques qui correspondent à ses croyances. Le soulagement de la souffrance survient après l’expulsion des forces mauvaises.

 LES LIMITES DE LA PRATIQUE

Les krou khmers possèdent un large arsenal thérapeutique pour un large éventail de symptômes. Le Centre National de Médecine Traditionnelle de Phnom Penh est actuellement en train d’inventorier les plantes à dispositions et de synthétiser leurs utilisations thérapeutiques. L’objectif secondaire de cette action est la rationalisation des pratiques afin de favoriser leur reconnaissance et le dialogue avec les personnels de santé de la médecine moderne. Il est à noter

252 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 qu’un petit nombre d’entre eux ont reçu du gouvernement une formation et un diplôme dans les années 80 et qu’ils ont créés des marques pour commercialiser leurs produits348. De nombreux médecins traditionnels, bien informés, reconnaissent leur incapacité à guérir les patients présentant un Sida. Les patients viennent souvent les trouver pour soulager les symptômes généraux qui sont liés à une ou plusieurs infections opportunistes. Ainsi, concernant la tuberculose, les patients iront surtout voir le médecin traditionnel lorsque les traitements modernes auront induit trop d’effets secondaires ou pour lutter contre la fièvre (les traitements traditionnels sont dits « froids »)349.

Malgré cela, le Ministère de la santé s’est inquiété de la prise en charge de ces patients par les Krou khmers. Sans avoir la capacité d’interdire directement les mauvaises pratiques, il a obtenu du Ministère de l’Intérieur la possibilité d’informer les autorités locales concernant les abus de certains d’entre eux. En effet, certains tradipraticiens, tout comme dans le secteur privé, utilisent leur position pour en tirer profit. Les personnes atteintes du Sida font aussi partie des malades, qui à la recherche d’alternatives, ont été abusés par des praticiens prétendant être capables de les guérir. Toutes sortes de remèdes omnipotents ont ainsi été vendues à des prix prohibitifs. Un praticien a même vanté dans un journal local les bienfaits de sa thérapeutique (voir dans l’encadré ci-dessous la traduction d’une annonce). Toute personne désespérée peut être convaincue. Nous noterons ici que les médias ont eu leur rôle dans la publication d’informations erronées ou mensongères potentiellement dangereuses pour les malades alors que parallèlement ils ne s’investissaient que faiblement dans le soutien des campagnes de prévention officielles.

« Conditions de traitement du SIDA »

Le patient doit avoir un certificat médical certifiant qu’il est séropositif Le patient doit respecter les conseils du médecin sans être honteux, c’est une question vitale, il faut avoir du courage, prendre les médicaments régulièrement. S’il y a des changements, il faut prévenir le médecin immédiatement. Trois jours après le traitement, le patient commencera à se sentir mieux et il faudra continuer le traitement pendant 3 mois jusqu’à guérison complète, sans récidive.

Résultat après 3 mois de traitement : Le patient peut recouvrir le nombre initial global de globule rouge et blanc, un bon poids, une belle teinte.

Les conditions à respecter avant et après le traitement : Ne pas avoir de rapports sexuels, ni boire de l’alcool, ni manger les choses acides, les cacahuètes, la viande des animaux sauvages, les produits de mer, la viande de canard, de poulet, de bœuf, de buffle, les poissons sans écailles, les poissons « kragn », le prahoc, le riz gluant, le jus de soja et les condiments piquants.

348 KHANA. An exploration of the role of traditional healers in HIV/AIDS care and prevention in Cambodia. Septembre 2001. 349 FHI. Traditional healers and tuberculosis care in Phnom Penh, Cambodia. Report. 2001.

253 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Prière de payer les frais du traitement au début de chaque mois. Pour les trois premiers jours de traitement, si le patient ne se sent pas mieux, il sera remboursé de ses frais du traitement par le médecin traitant. Mais le médecin a déjà guéri beaucoup de patients.

La médecine traditionnelle s’est investie dans le domaine du Sida de façon presque officielle, ayant même sa place dans certaines expositions concernant la santé.

Figure 80 : Vente de traitements traditionnels via des organisations ayant des lettres de soutien bien affichées. Le traitement pour retarder l’apparition du Sida, côtoie celui pour soigner les hémorroïdes ou encore pour traiter les vaches. 2002. Photo : PRM

L’espoir serait pourtant de mieux définir leur place dans la prise en charge de cette pathologie afin d’y avoir un rôle productif et concerté. Certaines ONG se sont ainsi rapprochées du secteur traditionnel afin d’étudier la manière dont leur collaboration pourrait améliorer les services donnés aux patients.

III.B.3. Les bonzes

La religion du Cambodge, si nous pouvons parler ici de religion, est le Bouddhisme du petit véhicule. Le bouddhisme est né en Inde avec Gautama Siddharta (543 avant notre ère). Celui-ci expliqua que la vie sur la terre était souffrance, et que celle-ci était issue du désir et de l’ignorance, l’ego étant le moteur de cet engrenage. Le karma, héritage des vies antérieures, est omniprésent, faisant peser son poids sur la vie présente. Dans le bouddhisme du petit véhicule l’illumination ne peut être atteinte que par les bonzes. La population, par ses offrandes et sa participation aux rituels acquiert des mérites pour la vie future. Le bonze est un guide spirituel qui montre l’exemple à travers sa propre réalisation. Ceux qui animent la vie religieuse sont les achars. Ceux-ci sont issus

254 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 de la population et ils organisent les cérémonies et les fêtes. Ils sont aussi chargés de déterminer les dates les plus favorables, de faire les horoscopes, d’enseigner les chants, d’officier lors des rituels et de décider des offrandes. Certains bonzes possèdent des activités thérapeutiques bien connues et ils s’inscrivent complètement dans le cheminement de la recherche de soins. Ils ne récitent pas seulement des prières, ils interviennent aussi sur la souffrance quotidienne de la population (physique, psychologique et religieuse) de bien des façons. Au quotidien, le bouddhisme se mêle à l’animisme, aux univers magiques et aux croyances anciennes. Les bonzes sont aidés dans la démarche d’aide et de soutien par les médecins traditionnels et les médiums qui font eux aussi partie du premier recourt thérapeutique. Nous résumerons leur rôle à travers une communication de Didier BERTRAND, Docteur en psychologie interculturelle, ethnopsychologue:

« Leur outil premier, ce sont les écritures sacrées en pâli, qui, incomprises de la majorité de la population, sont investies d'un pouvoir incomparable. Les bains d'eau lustrale, les bénédictions collectives, le souffle sont toujours accompagnés des paroles sacrées que certains bonzes inscrivent sur la peau des malades à l'aide de baguettes d'encens ou de dents d'animaux sauvages. De même, ces signes sont encore écrits sur les talismans, pièces de tissus aux inscriptions magiques, ou sur des plaquettes de métal portées roulées sur un cordon autour de la taille, ou sur les feuilles de banian, ficus reliogiosa, qui trempent dans l'eau que l'on donnera à boire aux malades. Nombre de maladies naissent d'un déséquilibre entre les éléments fondamentaux ou le chaud et le froid, et appellent donc à des traitements par la riche médecine traditionnelle (d'origine ayurvédique) consignée dans de rares recueils en feuilles de palmier; certains bonzes sont de véritables experts en matière de pharmacopée traditionnelle. Mais, toutes les maladies ne sont pas dues à un dérèglement de l'organisme, on distingue en outre: celles dues à des fautes commises envers les ancêtres ou envers les génies locaux, celles dues aux esprits ou aux sorciers, qui appellent à d'autres traitements censés chasser les fantômes, délivrer des dangers et de mauvais sorts, élever l'énergie vitale. Certains bonzes s'arment d'une tige ligneuse de palmier pour frapper ces mauvais esprits et les obliger à quitter le corps du malade, ou "les brûlent" avec des baguettes d'encens ou des bougies, d'autres se refusent à employer toute violence et préfèrent négocier avec des offrandes transmises aux êtres de l'au-delà pour les amadouer. Par ailleurs, les bonzes fournissent une écoute, un support psychologique qui permet de parler. Ils reconnaissent et reformulent les problèmes avec un diagnostic précis qui a une signification pour le malade. Amenés à traiter toutes sortes de situations ou de conflits (conjugaux, héritages, terres, voisinage, jalousie amoureuse), le plus souvent en relation immédiate avec les symptômes psychosomatiques avancés, ils proposent au malade une possibilité de vivre et de maîtriser son problème ainsi qu'une amélioration des relations avec son environnement. Des communautés de malades peuvent se tisser et se reconstituer autour de certaines pagodes, permettant à l'individu de retrouver sens et repères. » 350

350 BERTRAND D. Les bonzes thérapeutes au Cambodge. [Consulté le 12/12/2000]. Disponible à partir de l’URL: www.kh.refer.org/cbodg_ct/kh/etudes/b_bonze.htm

255 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Traditionnellement, la pagode peut être une source de soins, de réconfort et d’évolution pour les individus démunis et désespérés à la recherche d’un refuge. Avant la guerre civile elle était aussi un lieu d’enseignement pour les enfants de familles pauvres.

 LES BONZES GUERISSEURS DANS LE SYSTEME DE SOINS

Les bonzes, ayant les fonctions de guides spirituels, d'éducateurs et de conseillers, peuvent exercer une grande influence sur leurs fidèles. Tout comme les médecins traditionnels mais à leur manière, les bonzes proposent une théorie causale des souffrances. Les pratiques des bonzes répondent aux attentes des fidèles et aux lacunes du système de santé national.

L’implication des bonzes dans la prévention du VIH et les soins a débuté il y a plus de 10 ans en Thaïlande sous le nom du projet Sangha Metta. Les résultats ont été rapidement prometteurs. Prenant comme base les enseignements de Bouddha, ils ont identifié l’ignorance comme étant le cœur de la problématique VIH. Reprenant leur rôle traditionnel d’enseignant, ils ont commencé par former à la réalité de l’épidémie des bonzes et des novices au sein des universités bouddhiques puis ils leur ont donné les moyens d’initier des approches participatives au sein de la société afin de prévenir de nouvelles infections mais aussi de diminuer la souffrance des malades et de leur famille. Progressivement ils ont aidé les malades à créer des groupes de discussion et des ateliers d’artisanat, ils ont débuté les visites à domicile et ont pris soin des orphelins. Ils ont aussi développé des fermes de plantes médicinales afin de les distribuer en collaboration avec les hôpitaux locaux. La clé du succès de cette approche a été le développement d’une confiance entre les bonzes et la population par leur implication dans tous les niveaux de la vie sociale. Dès les premiers succès de ce projet, le concept s’est répandu comme une trainée de poudre dans les pays avoisinants (Laos, Birmanie, Chine, Vietnam, Mongolie et Cambodge). Ainsi, l’association SCC (Salvation Center Cambodia) déjà impliqué dans le VIH/Sida à Phnom Penh depuis 1994, a entamé en 1997 un projet nommé « Monks and HIV ». Ce projet a débuté par un voyage « initiatique » d’une dizaine de moines en Thaïlande pour y partager l’expérience.

Après ce séjour, SCC a commencé à mobiliser des bonzes pour qu’ils s’investissent dans la campagne d’information et d’éducation sur le VIH/Sida. Le but, de façon similaire à l’initiative thaïlandaise, était de donner aux bonzes la possibilité de rencontrer la population, d’instaurer un climat de confiance et ainsi d’établir une communication. Ils ont aussi enregistré des messages basés sur les enseignements bouddhiques afin de les diffuser sur les ondes radiophoniques.

256 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Maintenant SCC a réussi à former un groupe conséquent de bonzes qui se déplacent régulièrement au domicile des patients et dans les hôpitaux. Les moines sont considérés comme respectables et dignes de confiance, permettant une bonne écoute de la population qui va plus facilement respecter et suivre les conseils. Les moines fournissent un soutien moral et spirituel aux malades. Ils expliquent aux patients comment accepter l’idée de la mort et appliquer les préceptes bouddhistes pour ne pas souffrir. Ils essayent de les réconforter, de leur donner des conseils d’ordre général. D’autre part, au cours des séances d’éducation communautaires, ils discutent du problème de la discrimination. En effet, beaucoup de familles rejettent un de leur membre s’il est séropositif. L’objectif des bonzes, en expliquant aux familles comment s’occuper d’eux, est que les malades puissent rester dans leur famille. Ils essayent d’induire une attitude plus compatissante de la part de la communauté envers les personnes atteintes par le virus. De par leur rôle social, éducatif et sanitaire, les bonzes, peuvent contribuer au développement de la personne dans la communauté et en ce sens au développement du pays.

Pourtant, même si l’engagement des moines représente un potentiel fort pour l’aide aux patients, beaucoup ne veulent pas encore coopérer. L’engagement social des bonzes est encore un phénomène récent et peu d’entre eux sont réellement désireux d’aborder personnellement cette problématique.

Au sein de MDM nous avons exploré la possibilité de travailler plus étroitement avec eux dans les provinces mais leurs capacités logistiques étaient trop limitées. Ils ne pouvaient pas proposer un hébergement pour les malades en stade terminal. Le poids financier aurait été trop lourd, pour eux comme pour nous. Alors, nous avons établi des liens avec SCC afin de fourni un « Dharma counseling » à nos patients. En pratique nous organisons des rencontres régulières entre un bonze et des patients pendant les réunions de soutien. Le bonze aborde autant la maladie que des sujets de tous les jours et aide les patients à aborder leurs difficultés et leurs angoisses avec une perspective spirituelle.

III.B.4. L’éducation

L’éducation est classiquement le domaine dans lequel doit investir une nation pour assurer son développement à long terme. De nouvelles générations de jeunes cambodgiens correctement formés ont un rôle capital pour aider le pays à s’intégrer dans la scène internationale (à condition que le marché du travail soit suffisant) mais aussi et surtout pour dynamiser le secteur agricole qui

257 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir représente la majeure source de revenus pour la population. Il a ainsi été noté que l’éducation augmente significativement la rentabilité d’une ferme ainsi que la consommation des ménages. Toute année supplémentaire d’éducation du chef de famille accroît la productivité de 10$ par hectare351. Pour atteindre ces objectifs il faut d’abord assurer une éducation de base pour tout le monde. Cette éducation est autant l’affaire de la famille que des professeurs :

A la maison sont appris certains devoirs traditionnels. Les garçons apprennent à la pagode, à l’école et auprès de leur père les versets du Code de Civilité et ceux de la Morale des Hommes. A la maison les campagnardes reçoivent de la mère un enseignement oral tiré de la Morale des Filles, code attribué au Roi Ang Duong (moitié du XIXème siècle). Nourris dès leur tendre enfance par ces formules, ils trouvent alors les règles de conduites s’appliquant aux diverses circonstances de la vie traditionnelle. Puis plus tard, en grandissant, l’éducation devient une affaire d’environnement social et de formation professionnelle.

L’éducation scolaire est un service public qui a beaucoup de mal à être mis à la disposition de toute la population même si de nombreuses améliorations ont été notées (une augmentation de 12% du nombre de professeurs entre 1999 et 2003 et une réduction par 2 du nombre de districts n’ayant pas d’écoles secondaires entre 1998 et 2004, un salaire mensuel qui est passé de 30$ à 43$ en 2005, un accroissement de 20% du nombre d’inscriptions à l’école primaire entre 1997 et 2004). Ainsi la moyenne nationale du nombre d’années d’étude effectuées n’est que de 3,7 et 32% des adultes de plus de 25 ans ne sont pas du tout allés à l’école. De plus, d’un point de vue régional, le pourcentage d’adultes de plus de 25 ans ayant terminé le cycle primaire (11 ans) n’est que de 30% au Cambodge (2004), alors qu’il atteint 65% en Indonésie (2002), 70% au Vietnam (2002) et 75% aux Philippines (1998) 352 . Les raisons de ce retard sont multiples : difficultés de transport, infrastructures encore trop peu nombreuses et enseignants insuffisamment payés. Ce dernier facteur a le malheureux effet secondaire d’entrainer des frais informels qui représentent une charge supplémentaire pour les plus pauvres. Sans surprise, ce dernier groupe de population est celui qui montre le plus d’échecs scolaires, réduisant les possibilités pour la famille d’échapper à la misère. Seulement 52,2% des enfants entrés à l’école y sont toujours à la fin du primaire353. Seules les populations les plus riches pourront avoir accès aux structures privées, nettement plus performantes

351 World Bank. Cambodia – Halving poverty by 2015 – Poverty Assessment 2006. 352 World Bank. Cambodia – Halving poverty by 2015 – Poverty Assessment 2006. 353 MEDiCAM. National Dialogue on Cambodia’s Development 2007-2008. Health and Education. Présentation à l’occasion du NGO statement to the 2008 Cambodia Development Cooperation Forum. Phnom Penh Novembre 2008.

258 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 en raison de la qualité des infrastructures, du matériel plus récent, de professeurs mieux payés et surtout d’une absence de corruption (celle qui permet de réussir tous les examens sans travailler)354. D’autre part, les filles sont plus rarement envoyées à l’école que les garçons car dès leur enfance elles sont occupées à aider la mère dans les travaux ménagers et à s’occuper des cadets (50% de moins d’inscription à l’école que les garçons à l’âge de 15 ans, taux d’alphabétisation 40% plus bas que les hommes)355.

L’éducation sexuelle est particulièrement absente de tous les types d’enseignements, familiaux et scolaires. Il n’est donc pas étonnant que les efforts de prévention puissent rencontrer des obstacles. Les filles sont trop souvent ignorantes pour tout ce qui touche à la santé reproductive. La contraception, le préservatif, les IST et le VIH sont trop mal connus par manque de sources d’information, par la honte qui est associée à cette recherche d’information. Depuis quelques années les règles morales ont tendance à être bousculées par la vie moderne, en particulier dans les villes. Les jeunes filles et jeunes femmes essayent de sortir du rôle auquel on les cantonne normalement : se vêtir d'une jupe qui tombe jusqu'aux chevilles et d'une chemise aux manches longues; rester sagement chez elle pour apprendre à cuisiner et à tenir une maison en attendant le prétendant que lui choisira sa famille. La tenue vestimentaire à la mode est copiée sur la Thaïlande et les Khmères y voient un moyen de se libérer de la pression sociale. Il est maintenant visible, même si cela est mal accepté, que de nombreux jeunes ont des relations sexuelles avant le mariage. L’éducation sexuelle, qui pourrait être déterminante pour cette jeune population particulièrement vulnérable, est encore considérée comme une incitation à la débauche. Ainsi, lors de la journée mondiale contre le VIH/Sida qui a eu lieu à Phnom Penh le 1er Décembre 2008356, l’épouse du Premier Ministre, présidente de la Croix Rouge Cambodgienne, notait que le comportement des individus était la clé de la lutte contre le VIH et que distribuer des préservatifs risquait de « stimuler leur appétit sexuel ». Elle ajouta qu’en accord avec la morale traditionnelle, elle recommandait l’abstinence pour tous avant le mariage357. Souhaiter l’abstinence de la population jeune est louable mais est-ce réalisable ? Alors que l’emprise de la tradition s’effrite et que les moyens de communication se diversifient, la libido des adolescents s’émancipe et il sera certainement difficile de la contenir si un message plus adapté ne

354 IM N. Public-privé: la lutte des classes à l’école. Cambodge soir Hebdo n°67, 22-28 janvier 2008. 355 UNDP. Human Development Report 2007/2008 – Cambodia. [Consulté le 18/06/2008]. Disponible à partir de l’URL: http://hdrstats.undp.org/countries/country_fact_sheets/cty_fs_KHM.html. 356 Nous avons personnellement assisté et participé à cet évènement. Nous avons remarqué avec regret que cette journée fut limitée à quelques discours, à un défilé de quelques dizaines de personnes recrutées pour l’occasion et à 8 kiosques représentant des ONG locales. 357 KHOUN L. Bun Rany recommends abstinence. Phnom Penh Post 4 décembre 2008 ; 18 (84).

259 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir leur est pas adressé. L’expérience n’a-t-elle pas montré que réprimer ou cacher la sexualité ne l’empêchera pas de s’exprimer ? Comme pour illustrer cette évolution des mœurs, à l’approche de la Saint-Valentin (14 février 2009) les professeurs et les autorités se sont inquiétés. Les étudiants s’absentent particulièrement à cette date là, profitant de cette journée pour avoir des relations sexuelles rarement protégées358. Pour le Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports, cette fête occidentale va à l’encontre de la morale cambodgienne359.

III.B.5. Economies et Pauvretés

A travers les différents chapitres, de façon récurrente, des problèmes de coût, de budget, d’économie, de corruption, de pauvreté ont été évoqués. Au niveau de la situation sanitaire mondiale il existe une relation financière étroite entre les états, les compagnies privées, les chercheurs, les organisations, les bailleurs, les populations et les personnels de santé. Toute action, toute stratégie, tout soin possède un coût et la question qui revient souvent est : « qui va payer ? ». Si le succès des interventions est conditionné par de nombreux facteurs, celui de la pauvreté semble particulièrement déterminant alors que d’un côté 95% des patients se trouvent dans des pays en développement et que de l’autre côté les pays développés doivent s’engager à mettre à disposition des financements importants sur une longue période. L’équilibre est précaire.

Nous verrons que la pauvreté a plusieurs visages et qu’elle agit à de multiples endroits en modifiant la quantité et la qualité des actions entreprises et en exacerbant la vulnérabilité des individus.

Sous un bon gouvernement la pauvreté est une honte, Sous un mauvais gouvernement la richesse est aussi une honte. [Confucius] Livre des sentences

Il faut éclairer l’ignorance qui ne connaît pas, Et éclairer la pauvreté qui n’a pas les moyens de connaître [Henri Grégoire]

358 Dans une enquête effectuée auprès de 458 jeunes âgés de 15 à 24 ans, 12,4% d’entre eux envisagent de profiter de cette fête pour avoir leur première relation sexuelle. 359 SOPHAL N, LE GAL A. Levée de boucliers contre la Saint-Valentin. Cambodge Soir hebdo. 12-18 février 2009. n°70.

260 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Le bœuf traîne la charrue et le paysan la suit, Tu mets l’ignorance à la place du bœuf et derrière tu retrouves la pauvreté [Driss Chraïbi] Une enquête au pays

Nous n’avons pas besoin d’un programme contre la pauvreté Mais nous avons besoin d’un programme contre les riches. [Anonyme]

 LA PAUVRETE ? QU’EST-CE-QUE C’EST ?

En effet, qu’est ce que la pauvreté ? Une construction de l’esprit, un concept, un mot, une illusion ? Un mode de vie, la manifestation d’un manque, une forme de souffrance ? Est-elle une loi, un seuil arbitraire défini par des experts ? Il y a-t-il une définition unique, précise, complète et universelle de la pauvreté ?

Le dictionnaire Larousse la définit comme « l’état d’une personne qui manque d’argent, de ressources… », le PNUD la considère comme « la négation des opportunités et des possibilités de choix les plus essentielles du développement humain », La Banque Mondiale décrit la pauvreté comme un manque (absence de toit, de travail, d’argent pour aller voir le médecin, de scolarisation, de liberté, de pouvoir …), d’autres la perçoivent comme «la négation de notre essence commune d’êtres humains », « l’exclusion ou la non-participation à la vie politique et sociale », etc. La liste est longue.

Même si la pauvreté semble suivre l’humanité depuis ses premiers pas, le substantif « pauvre ou pauvreté » est une invention récente, faisant suite à une évolution économique particulière du Xème – VIIème siècle av. J.C. Auparavant, nous dit Majid Rahnema 360, seul l’adjectif « pauvre » existait et servait à qualifier un nom (sol, santé, relation) sans que la personne concernée soit considérée comme un pauvre en soi. Par la suite les langues se sont enrichies de termes (jusqu’à 80 en persan),

360 RAHNEMA M. Quand la misère chasse la pauvreté. Arles : Fayard / Acte sud, 2003, 459 p

261 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir servant surtout à mieux désigner les différents maux qui pouvaient être à l’origine de cette pauvreté. Le terme « pauvre » n’était pas l’opposé de « riche ».

Ainsi la pauvreté n’est pas seulement économique et les tentatives de définitions qui tentent de rendre compte de ses variantes abondent. Une accumulation de termes à été proposée (pauvreté absolu et relative, pauvreté traditionnelle, grande pauvreté, pauvreté morale...) pour essayer de traduire des perceptions différentes361. La notion de pauvreté est complexe parce que variable d’une société à l’autre, et au sein d’une même société elle est variable d’un individu à l’autre. Il est clair que l’utilisation d’un seul terme ne peut nommer tous les pauvres du monde, mais peut seulement ouvrir la voie à des modes d’analyse et d’intervention arbitraires. Pourtant, afin de l’identifier, de la mesurer et de la comparer une nouvelle classification (occidentale) est apparue introduisant une distinction entre pauvreté relative et pauvreté absolue. Il nous a apparu nécessaire de les rappeler ici car de ces définitions découlent des programmes qui concernent la planète entière. La pauvreté absolue et relative

C'est d'abord à travers des études empiriques que l'opposition entre les approches absolues et relatives de la pauvreté est apparue. L'approche "absolue" fait référence aux premiers travaux menés sur la pauvreté au Royaume-Uni à la fin du siècle dernier par Charles Booth et Seebohm Rowntree 362 : la pauvreté était évaluée à travers un seuil de subsistance minimale dont la mesure concrète était fournie par la valeur d'un panier de biens et de services. Etait considérée comme pauvre « toute personne qui ne parvient pas à satisfaire un certain nombre de besoins jugés fondamentaux (alimentation, habillement, logement, santé...) ».

Pour Amartya Sen 363 la pauvreté est un concept absolu au sens où elle traduit l'incapacité de satisfaire un certain nombre de besoins essentiels et non des différences dans le degré de satisfaction de ces besoins, ce qui relèverait plutôt d'une approche en termes d'inégalité.

361 MILANO S. La pauvreté dans les pays riches. Du constat à l’analyse. Nathan, Paris, 1992 (cité par MAZEL O, L’exclusion. Le Monde [Consulté le 12/06/2005]. Disponible à partir de l’URL: http://www.crdp- montpellier.fr/ressources/dda/exclusion/dda3_111_1.html ) 362 ROWNTREE S. Poverty A study of Town Life, MacMillan, London, 1903. (cité par Cahiers Français n°286 [Consulté le 12/06/2005]. Disponible à partir de l’URL: http://www.crdp- montpellier.fr/ressources/dda/exclusion/dda3_111_2.html ) 363 SEN A. Poor, relatively speaking. Oxford Economic Papers, published by: Oxford University Press, 1983; 5(2): 153- 169 (cité par Cahiers Français n°286 [Consulté le 12/06/2005]. Disponible à partir de l’URL: http://www.crdp- montpellier.fr/ressources/dda/exclusion/dda3_111_2.html )

262 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Déjà, nous pouvons voir naître dans cette dernière appréciation un certain degré de variabilité potentielle. Ainsi, quels sont les facteurs qui peuvent faire varier dans le temps ce concept absolu de la pauvreté ? Un changement du coût de la vie ? Des besoins et des offres qui se modifient ? Des mentalités qui évoluent ? Si un environnement change, comment pouvons-nous être sûrs que les moyens ayant permis l’identification de la limite de pauvreté restent encore valides ?

La satisfaction d'un même besoin nécessite des ressources dont la composition et le volume changent selon les lieux et les époques. Une bonne illustration est fournie par les travaux de Marshall Sahlins qui ont montré que les premières sociétés humaines de l'âge de pierre pouvaient être considérées comme des sociétés d'abondance 364.

Mamadou Matar Gueye dans une présentation365 fait référence à un article intitulé « Subjective Economic Welfare», de Martin Ravaillon et Michael Lokshin (1999) mettant l’accent sur ce qu’ils qualifient de paradoxe entre la théorie économique et la pratique. D’après eux, les économistes ne s’en tiennent qu’à la mesure du pouvoir d’achat pour déterminer si les individus sont riches ou pauvres. En fait il s’avère que même en utilisant un plus large éventail de variables quantitatives conventionnelles, les économistes ne peuvent pas apprécier correctement la perception subjective que les individus ont de leur bien-être.

Ainsi, cette vision d’une pauvreté absolue, souvent éloignée de la réalité quotidienne des personnes, ne rend pas bien compte de toutes les dimensions qui la composent. On peut donc admettre qu’une compréhension approfondie de la pauvreté, dans ses manifestations comme dans ses conséquences, nécessite d’établir un lien entre l’approche monétaire (objective) et l’approche subjective basée sur les différentes perceptions que les individus ont de leurs conditions de vie. C’est cette nécessité qui a donné naissance à la notion de pauvreté « relative ».

364 SAHLINS M. Age de pierre, âge d’abondance. Paris, Gallimard, traduction française, 1976 (cité par Cahiers Français n°286 [Consulté le 12/06/2005]. Disponible à partir de l’URL: http://www.crdp- montpellier.fr/ressources/dda/exclusion/dda3_111_2.html ) 365 GUEYE M.M. Mesure de la pauvreté: une tentative d’intégration des approches objective et subjective pour une connaissance approfondie. In : Workshop on Poverty Statistics in the Region of the Economic Community of West African States, 26-30 July 2004, Abuja (Nigeria). Sénégal, Ministère de l’économie et des finances et Nations-unies (Département des affaires économiques et sociales), 2004.

263 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

La définition d'un seuil relatif de pauvreté part de l'idée que les personnes pauvres sont celles qui sont exclues des modes de vie minimaux d'une société. C'est cette conception qui a été retenue par la CEE dans ses programmes de lutte contre la pauvreté: « Sont pauvres, les individus, les familles, les groupes de personnes dont les ressources (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu'ils sont exclus des modes de vie minimaux acceptables dans l'État membre dans lequel ils vivent ».

Cette conception est retrouvée dans la définition officielle du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité français 366 : «État d'une personne, d'une famille ou d'un groupe qui dispose de faibles ressources. Toutefois elle n'est pas réductible au seul indicateur de type monétaire mais concerne également d'autres aspects du quotidien comme le logement, la santé, la formation, le travail, la vie familiale. La notion de pauvreté est relative et le seuil de pauvreté est apprécié de façon variable selon l'histoire, les cultures, le niveau de vie moyen du groupe. »

Christian Mazarri367 nous propose lui aussi une forme mixte : Il définit la pauvreté comme une « exclusion insoutenable ». Pour qu'il y ait pauvreté, il faut une quantité de ressources matérielles excessivement inférieure à la moyenne (c’est une inégalité), et une absence de partage des formes de vie communes au sein de la société analysée. Mais, l'exclusion sociale ainsi définie devient insoutenable seulement lorsqu'elle comporte aussi une crise des conditions physiques, psychiques et morales d'une personne ou d'un groupe de population.

Toutes ces définitions, même si elles abordent plus ou moins des dimensions psychologiques et sociales, sont toujours liées à la notion de richesse matérielle. L’individu, vivant de plus en plus dans des sociétés économiques, devient dépendant des ressources financières qu’il lui faut acquérir pour avoir une situation sociale qu’il veut convenable et confortable afin d’éviter toute souffrance. Cette richesse, qui pourrait être un moyen pour atteindre d’autres objectifs, est devenue une finalité, l’unique protection contre les surprises de la vie dans un contexte où toutes les autres formes de richesses ont été vidées de leur sens, laissant la place à de nouveaux types de pauvretés (d’information, d’esprit, de cœur, intellectuelle, morale, conviviale). Ces nouvelles pauvretés, bien difficiles à évaluer, forment pourtant le substrat de cette nouvelle vie sociale, du développement

366 Les mots du social. Définition des mots les plus courants du domaine social selon la Commission générale de terminologie et de néologie, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, France. [Consulté le 08/12/2005]. Disponible à partir de l’URL: http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Pauvrete 367 MAZARRI C. Dictionnaire suisse de politique sociale [Consulté le 25/02/2005]. Disponible à partir de l’URL: www.socialinfo.ch

264 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 personnel et des relations interhumaines. La volonté irrépressible d’accumuler de l’argent existe depuis longtemps dans les sociétés développées et elle s’étend maintenant dans les pays en développement, devenant le moteur d’une plus grande individualisation et de la perte des richesses ancestrales.

 SITUATION MONDIALE

En préambule nous souhaiterions donner une liste rébarbative mais édifiante de chiffres concernant les conditions de vie de la moitié de la planète 368. Tout d’abord un graphique (figure 81) qui nous montre la répartition mondiale des taux de pauvreté (sur lesquels nous reviendrons). Par exemple nous pouvons voir que 50% de la population gagne moins de 2,5$ par jour.

Figure 81 : Pourcentage et nombre de personnes dans le monde vivant à différents niveau de pauvreté, 2005 Source: World Bank Development Indicators 2008

368 ANUP Shah. Poverty Facts and Stats [Consulté le 02/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.globalissues.org/article/26/poverty-facts-and-stats#src1

265 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

. 40% de la population représente 5% des revenus mondiaux (2007) . 27% des enfants des pays en développement sont malnutris, en particulier en Asie et en Afrique (2007) . Parmi les 1,9 milliard d’enfants qui vivent dans les pays en développement (2005), o 640 millions n’ont pas de logement adéquat o 400 millions n’ont pas d’accès à une eau propre o 270 millions n’ont pas accès à des services de santé . Les Objectifs de Développement du Millenium rateront la cible de 30 millions d’enfants . En 1999 presque 1 milliard de personnes ne pouvaient pas écrire leur nom ou lire. . 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès a une eau propre et 2,6 milliards n’ont pas d’installations sanitaires (2006) . Les pays en développement consomment en moyenne 20 litres d’eau par jour contre 150 litres en Angleterre et 600 litres aux Etats-Unis (2006) . En 2003 le manque d’accès à une eau saine coutait à l’Afrique Sub-saharienne 28,4 milliards par an en soins et en perte de productivité (5% du PIB) . 1 milliard des habitants vivant dans les villes vivent dans de mauvaises conditions (2007) . Les 4/5 des personnes vivant sous le seuil des 1$ par jour vivent dans les zones rurales (2007) . 2,5 milliards de personnes dépendent de l’utilisation de la biomasse (excréments d’animaux, bois, charbon de bois) pour leurs besoins énergétiques, en particulier en Inde et en Chine (2007) . En 2005 les 20% les plus développés de la planète utilisaient 76,6% de l’énergie mondiale . 1,6 milliard de personnes vivent sans électricité . En 2006, 1 milliard de personnes (15% de la population mondiale) représentait 76% du PIB mondial et les milliardaires (497 personnes) représentaient 7%

Seuil et taux de pauvreté

La Banque Mondiale, dans le souci de pouvoir mesurer et comparer, a cherché à définir et à standardiser des mesures de la pauvreté basées sur la consommation des personnes. Ainsi un seuil international de pauvreté de « 1$ par personne par jour, 1990 Purchasing Power Parity », a été fondé sur le pouvoir d’achat des USA en 1990. Subséquemment, elle a estimé qu’en 1981 il y avait dans le monde 1,5 milliard de personnes vivant avec moins de 1$ par jour, 1,1 milliard en 2001 et 0,985 milliard en 2004369.

369 World Bank. Poverty topic. [Consulté le 05/07/2008]. Disponible à partir de l’URL:www.worldbank.org

266 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 2005 un nouveau seuil de pauvreté international a été défini par la Banque Mondiale : il a été fixé à 1,25 $ par jour afin de mieux correspondre au seuil de pauvreté national moyen des 20 pays les plus déshérités de la planète. La modification de ce seuil a évidemment entrainé la révision des résultats antérieurs: ainsi en 1981 il y avait 1,9 milliard de personnes vivant sous ce seuil (42% de la population mondiale) et en 2005 1,4 milliard (22% de la population mondiale)370,371. Nous pouvons constater que, quel que soit le seuil, et malgré une croissance de 44% de la population mondiale qui est passée de 4,5 milliards à 6,5 milliards en 24 ans372, le nombre de pauvres a diminué de 500 millions. De fait, le taux de pauvreté a chuté de moitié, au rythme de 1% par an (figure 82). Ceci est remarquable car la croissance de la population est particulièrement importante dans les pays en développement et on aurait pu s’attendre à ce que le nombre de pauvres et le taux de pauvreté augmentent de façon conjointe. Même si cela laisse imaginer qu’il sera possible d’atteindre le premier des 8 Objectifs de Développement pour le Millénaire (ODM) qui consiste à réduire de moitié l’extrême pauvreté en 2015, à cette date 1 milliard de personnes seront encore sous le seuil de pauvreté de 1,25$. Ceci étant le plus optimiste des scenarii, alors que s’accroissent sans cesse les difficultés pour accéder à l’eau, à la nourriture et à l’énergie, et que les soubresauts de l’économie mondiale ont des répercussions immédiates, massives et désastreuses sur les plus vulnérables.

Figure 82 : Evolution de la population mondiale et du nombre de personnes sous le seuil de pauvreté international (2005), entre 1981 et 2005.

370 SHAOHUA C, RAVAILLON M. The developing world is poorer we thought, but no less successful in the fight against poverty. August 2008. [Consulté le 10/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://econ.worldbank.org 371 Justin Lin, économiste en chef de la Banque Mondiale notait que cette révision avait mis en lumière une pauvreté plus répandue qu’ils ne le pensaient, et Martin Maraillon, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque Mondiale remarquait que la modification des chiffres relatifs à la pauvreté était surtout due à un coût de la vie plus élevé qu’ils ne le pensaient. 372 US Census Bureau. Total Midyear Population for the world: 1950-2050. [Consulté le 10/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.census.gov/ipc/www/idb/worldpop.html

267 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les ressources financières mondiales contre le VIH

Tout au long de notre exposé nous avons remarqué que des constats étaient faits, que des stratégies étaient établies et que des besoins étaient alors identifiés. L’étape suivante, qui consiste à mettre effectivement à disposition les sommes d’argent requises, est la plus cruciale et aussi la plus difficile. C’est donc souvent à ce moment que, si les financements ne sont pas présents, les objectifs ne sont pas atteints et que l’épidémie progresse. C’est cette lacune financière qui représente la « pauvreté internationale ».

Ainsi, alors que dès 1990 l’OMS avait chiffré les besoins de la prévention dans les pays en développement (2 milliards de dollars par an) pour avoir un impact suffisant sur la course de l’épidémie, seulement 10% de cette somme avait été rendue disponible et ce, pendant des années. Pour les soins le constat était similaire: en 1993 seulement 6% des dépenses mondiales ont été effectuées dans les pays en développement, alors que ces pays totalisaient déjà plus de 90% des patients. Cette situation de « pauvreté des aides internationales » est restée identique pendant des années. En 2002, alors que l’on prévoyait qu’il pourrait y avoir 45 millions de nouvelles infections durant les 8 prochaines années, on estimait aussi que 63 % de ces infections pourraient être évitées si les stratégies de prévention étaient intensifiées, élargies et plus adaptées373. Ceci montre qu’après toutes ces années, la problématique restait identique et que même si de nombreuses actions étaient efficaces, un plus gros effort devait être fourni pour ralentir l’expansion de l’épidémie.

Pour expliquer l’échec passé des initiatives un certain nombre d’obstacles ont été invoqués: - Le manque de ressources : 95% des nouvelles infections apparaissaient dans les pays en développement où les ressources étaient les plus limitées. Il était estimé que 4,8 milliards de dollars par an étaient nécessaires pour avoir une action de prévention efficace et que seulement 1,2 milliard étaient effectivement dépensés tous les ans. En 1993 l’OMS avaient anticipé que si un budget de 1,5 à 2,3 milliards de dollars était alloué tous les ans à la prévention, la moitié des nouvelles infections pourraient être évitées d’ici l’an 2000 et que 90 milliards de dollars pourraient ainsi être économisés.

373 Global HIV Prevention Working group report. Global mobilization for HIV prevention: a blueprint for action. July2002.

268 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

- La discrimination - Le manque de volonté des gouvernements à intervenir - Le manque de personnel compétent - Le manque de nouvelles technologies de prévention (vaccins, microbicides …) - La limitation d’accès aux traitements. - La difficulté de distribuer les ARV de façon équitable à tous les malades.

Finalement et heureusement, suite à l’arrivée des ARV génériques, à un mouvement social mondial et à la décision politique de débloquer des financements plus massifs, nous pouvons constater que l’année 2001 a représenté une période charnière dans la prise en charge de l’épidémie grâce au lancement échelonné de diverses initiatives : « les Objectifs de Développement du Millénaire » et l’ « Accès Universel » des Nations-unies, le « Fonds Mondial pour la lutte contre le Sida la Tuberculose et la Malaria (GFATM) », le programme « 3 by 5 » de l’OMS, le «Multi Country HIV/AIDS Programme (MAP) » de la Banque Mondiale et le « President's Emergency Plan For AIDS Relief (PEPFAR) » américain, la « Bill & Melinda Gates Foundation, l’ « Accelerating Access Initiative », la « William J. Clinton Presidential Foundation ». Nous verrons plus loin que c’est réellement à partir de cette date, des années après une croissance presque exponentielle de la maladie, que l’épidémie va montrer des signes de faiblesse. Le graphique ci- dessous (figure 83) montre nettement l’augmentation des ressources attribuées aux pays en développement à travers différentes initiatives et organisations (les fonds débloqués ont été multipliés par 7 en 7 ans).

Est-ce la fin de la pauvreté internationale ? Est-ce la fin de l’épidémie ?

269 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 83 : Distribution dans le temps (1986 – 2008) des ressources annuelles disponibles pour le VIH/Sida. Adaptation de: 2008 Report On The Global Aids Epidemic. ONUSIDA.

 LA SITUATION ECONOMIQUE DU CAMBODGE

Seuil et taux de pauvreté

Afin de calculer le seuil de pauvreté au Cambodge, la Banque Mondiale s’est basée sur la consommation des ménages pour les besoins courants (nourriture, logement, habillement…)374. Toutes les personnes qui dépensent quotidiennement au-dessous de ce seuil sont considérés comme pauvres. D’après les données issues du Cambodia Socio-Economic Survey (CSES) 2004, il a été calculé que le seuil national de pauvreté au Cambodge était de 1 826 riels (0,45$) par jour et par personne375. Cependant ce seuil n’est plus le même si on se base sur le seuil international de pauvreté de « 1$ par personne par jour, 1990 Purchasing Power Parity »; en effet le seuil Cambodgien est alors de 1 382 riels (0,34$). Cette différence de seuil ce retrouve pour tous les pays. Le taux de pauvreté, qui représente le pourcentage de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté, a été estimé pour le Cambodge à 35% en 2004 alors qu’il était d’environ 47% en 1993,

374 CONWAY T. How the Poverty line and Poverty Rate are calculated. The World Bank. Newletter December 2005 ; 3(12). 375 On notera que le seuil national est plus bas dans les pays avoisinants (0, 35$ au Vietnam en 1998 et 0,26$ au Laos en 2002/2003).

270 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 soit une diminution annuelle moyenne de 1,1%376. Cependant, suite à une révision des méthodes d’évaluation pour ne prendre en compte que les zones géographiques comparables, le pourcentage révisé est passé de 39% en 1993 à 28% en 2004. Sur la base d’un seuil de pauvreté international, le taux de pauvreté révisé est passé de 29% en 1990 à 19% en 2004377. Dans tous les cas la diminution a été d’au moins 10% en 10 ans. Le point faible de ce taux est qu’il ne donne aucune idée de l’intensité de la pauvreté et il ne donne aucune information sur la répartition de la population sous le seuil de pauvreté. De plus la notion de seuil donne la fausse impression qu’il existe un saut qualitatif important entre ceux qui sont juste au-dessus et ceux qui sont juste au-dessous alors que ce n’est pas exact. Le seuil est une moyenne qui ne correspond à rien de tangible en réalité.

Comme nous le voyons les calculs de seuil et de taux ont une valeur toute relative, tout comme la définition de la pauvreté. Les chiffres doivent être manipulés avec précaution, avec des intentions bien définies : le seuil international est utilisé pour évaluer l’évolution mondiale de la pauvreté alors que le seuil national permet d’avoir une cartographie (partielle) de la pauvreté au niveau d’une population spécifique et de la relier (si possible) à des stratégies nationales.

Indice de développement Humain (HDI)

Ayant hérité d’un lourd passé, le Cambodge possède tout naturellement l’une des plus basses performances de la région en terme de développement humain. Le dernier rapport de l’UNDP nous donne une image du pays sur la base de quelques indicateurs 378 : le Human Development Index (HDI) qui est évalué annuellement pour la plupart des pays du monde est un des principaux indices de développement utilisé. Le calcul de cet index repose sur 3 composantes : la qualité de vie (l’espérance de vie), l’éducation (le taux d'alphabétisation) et le niveau de vie (pauvreté, revenus). Les pays sont classés selon cet index et le Cambodge se situe en 136ème position sur 179 pays (0,575). Le premier étant l’Islande (0,968) et le dernier la Sierra Leone (0,329).

376 On notera que cette moyenne est particulièrement basse comparativement à de nombreux autres pays (1,3% au Laos, 2,5% au Mozambique, 2,6% en Ouganda, 3,2% au Vietnam, 4,5% au Tajikistan). 377 On notera que le taux de pauvreté est aussi différent pour les pays avoisinants en fonction du seuil utilisé (par exemple 16,4% au Vietnam en 1998 avec un seuil « International » contre un taux à 37% en utilisant un seuil « national ») 378 UNDP. Human Development Report 2007/2008 – Cambodia [Consulté le 18/06/2008]. Disponible à partir de l’URL: http://hdrstats.undp.org/2008/countries/country_fact_sheets/cty_fs_KHM.html

271 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Dans le tableau ci-dessous (tableau 17) sont donnés les détails des données ayant servi au calcul du HDI :

Espérance de vie à la Taux d'alphabétisation Le taux d'inscription à PIB per capita HDI valeurs naissance des adultes l'école (US$)* (années) (% des plus de 15 ans) (%)

1 - Luxembourg 1. Islande 1 - Japon (82,4) 1 - Géorgie (100,0) 1 - Australie (114,2) (77,089)379 136. Cambodge 142. Cambodge (58,6) 101. Cambodge (75,6) 141. Cambodge (58,7) 131. Cambodge (1,619)

179. Sierra Leone 179. Swaziland (40,2) 147. Mali (22,9) 172. Djibouti (25,5) 178. Congo (281)

Tableau 17 : Index de Développement Humain du Cambodge 2006 Source: PNUD. Human Development Report 2008 *Ce PIB a été ajusté au pouvoir d’achat international (Purchasing Power Parity).

Probabilité de ne pas Taux d’illettrisme Personnes n’ayant pas Enfants en sous Index de pauvreté être vivant chez l’adulte accès à l’eau poids pour l’âge (HPI-1)* après 40 ans (% des + de 15 ans) (%) (% des 0-5 ans) [2006] (%) [2006] [2006] [2006] [2005]

1. Rép Tchèque (1,7) 1. (1,8) 1. Cuba (0,2) 1. Bosnie Herzegovine (1) 1. Croatie

88. Cambodge (28,9) 97. Cambodge (24,1) 79. Cambodia (24,4) 94. Cambodia (35) 119. Cambodia (36)

135. Afghanistan (60,2) 135. Zimbabwe (57,4) 127. Mali (77,1) 123. Afghanistan (78) 135. Bangladesh (48)

Tableau 18 : Indicateurs pour la mesure de la pauvreté au Cambodge (HPI-1) Source: PNUD. Human Development Report 2008 *L’HPI-1 ne concerne que les pays en développement et mesure les privations.

Historiquement, nous constatons dans le graphique ci-dessous (figure 84) que l’HDI a progressivement augmenté pour tous les pays du monde depuis 1975 avec une accélération des progrès pour l’Asie du Sud-est depuis 1990. Pour l’Afrique les progrès ont été plus modestes, probablement en raison de situations économiques et politiques perturbées et de l’impact de l’épidémie du VIH sur l’espérance de vie, l’éducation et le PIB.

379 Est-ce étonnant pour un paradis fiscal ?

272 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 84 : Evolution des HDI dans le monde de 1975 à 2005 Source: PNUD. Human Development Report 2007/2008

L’économie cambodgienne

Selon l'évaluation 2006 réalisée par la banque mondiale pendant la période 1994-2004, la croissance économique du Cambodge a été en moyenne de 7,1 % par an380. Les moteurs principaux de la croissance étaient la fabrication de vêtements et le tourisme. Alors que le rôle de l’agriculture dans l’économie est passé de 46% à 31% pendant cette même période (tout en conservant une croissance annuelle moyenne de 3,3%), ce secteur d’activité restait la première source de revenu pour 71% de la force active en 2004. La part du secteur industriel, elle, avait doublé, atteignant 29%, mais elle restait dépendante de la fabrication de quelques produits : ainsi en 2005 l’industrie de la confection représentait 80,4% de la valeur de toutes les exportations. Comme nous pouvons le voir sur l’image ci-dessous (figure 85) la répartition des activités économiques est assez limitée en nombre et elle est concentrée autour du lac et des rivières.

380 World Bank. Cambodia – Halving poverty by 2015 – poverty assessment 2006.

273 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 85 : Répartition géographique des activités économiques Source : The Atlas of Cambodia – National Poverty and Environment Maps - 2006

En fin de compte, alors que presque les trois quarts de la population vit encore en milieu rural et que la majorité d’entre eux n’a accès ni à l’eau potable ni à l’électricité, les plus pauvres n’ont pas vraiment bénéficié de la croissance économique du Cambodge. En effet, ils ont toujours beaucoup de difficultés à se nourrir convenablement (20% vivent au-dessous du seuil de pauvreté alimentaire, 55% des enfants de moins de 5 ans ont un poids trop bas pour leur âge381), à accéder aux services de santé et à l’éducation. Les inégalités sont surtout flagrantes entre les régions rurales et urbaines, ces dernières ayant récemment bénéficié d’une flambée de spéculation immobilière. Il est aussi possible de constater dans la figure ci-dessous (figure 86) qu’une cartographie de la pauvreté réalisée en 1998 montrait une plus grande concentration de celle-ci dans les zones les plus peuplées, les plus concernées par le développement. Ceci est particulièrement frappant au nord du lac Tonle Sap où se trouve les temples d’Angkor. L’industrie touristique qui était en pleine expansion n’avait de retentissement économique que sur la population de la capitale provinciale et sur les organismes travaillant dans le tourisme alors que les villages situés aux alentours n’en bénéficiaient pas. Cette situation n’a que très peu changé, soulignant le cloisonnement de la répartition des profits au niveau même des provinces. Manque de volonté ? Manque de lois ?

381 Par comparaison ce taux est de 35% pour le Laos et 30% pour le Vietnam (BM 2006).

274 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 86 : Répartition géographique du taux de pauvreté au Cambodge (évaluation 1998) Source: The Atlas of Cambodia – National Poverty and Environment Maps – 2006

Récemment la situation mondiale risque de perturber les prévisions les plus optimistes. Pour atteindre son 1er Objectif de Développement pour le Millénaire (réduction par deux du taux de pauvreté) le Cambodge devra encore améliorer sa croissance. Cette croissance ne devra pas passer pas le secteur industriel (seulement 8% de la population est concernée), mais par l’optimisation de l’agriculture. En effet, le problème actuel de cette agriculture principalement basée sur la riziculture est sa faible rentabilité (2 150 kg par hectare contre 3 316 kg pour le Laos, 3 849 kg pour la Chine, 4 634 kg pour le Vietnam). Un autre problème, plus récent, vient des concessions de dizaines de milliers d’hectares accordées par le gouvernement à des compagnies agricoles étrangères pour produire du Jatropha (biocarburant) ou bien des légumes destinés à être exportés. Ces exploitations, très mécanisées, embauchent peu de personnes et utilisent beaucoup d’engrais chimiques. Dans 10 ans, les compagnies partiront, sans avoir enrichi les paysans mais après avoir consumé la terre. Pas de croissance de ce côté-là.

Dans le graphique ci-dessous (figure 87) nous pouvons constater que le Cambodge ne pourra atteindre l’Objectif de Développement pour le Millénaire qu’en conservant une croissance à 7,1% et en augmentant sa croissance du secteur agricole à 4% (contre 3,3% en moyenne actuellement).

275 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 87 : Projections du taux de pauvreté au Cambodge entre 1993 et 2015 en fonction de l’évolution de la croissance du secteur agricole. Ce graphique est basé sur un taux national de pauvreté non révisé. Après révision, comme nous l’avons vu, le taux était de 39% en 1993, 28% en 2004 et l’objectif 2015 est passé de 24% à 19,5%. Source: World Bank. Cambodia – Halving poverty by 2015 – Poverty Assessment 2006

Le défi pour le pays va donc être de diminuer la pauvreté par le développement du secteur agricole, dans un contexte d’inflation (le taux d’inflation a été de 18,12% entre octobre 2007 et octobre 2008) et de crise économique mondiale382. Le pari risque d’être difficile à tenir alors que le Fond Monétaire International rapportait début 2009 que la croissance allait être inférieure à 4,8%383… Ce ralentissement aurait déjà coûté 280 millions de dollars au pays en 2008, et en coutera 680 millions de plus en 2009. Les exportations baisseront de 2,5%, les investissements étrangers n’augmenteront que de 1% et la progression du nombre de touristes ne sera que de 5,5%. Les conséquences en terme de chômage seront surtout ressenties dans les secteurs de la construction (36 500 licenciements en 2008, 25 600 en 2009) et du textile (27 000 licenciements en 2008, 19 000 en 2009). D’après le gouvernement plus de 1 million de personnes seront touchées en 2009 alors que 470 000 l’avaient déjà été en 2008. Le chômage risque de favoriser le développement d’une économie informelle, l’augmentation de la violence et une migration de la population384.

Du côté de la sécurité alimentaire le constat n’est pas plus brillant, avec, d’après le Programme Alimentaire Mondial (PAM), une augmentation entre 2007 et 2008 de 64% du nombre de personnes (1,7 millions à 2,8 millions) qui ont des réserves alimentaires trop basses. La crise

382 CHUN S, NGUON S. Inflationary Pressure Easing. Phnom Penh Post, 18 novembre 2008 ; 18 (72). 383 MCLEOD G. IMF Predicts Hard Landing. Phnom Penh Post 12 February 2009 ; 19 (30). 384 SOKLIM K. Un million de personnes touches par la crise en 2009. Cambodge Soir Hebdo, 19-25 février 2009, n°71.

276 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

économique mondiale pourrait aggraver cette situation malgré des récoltes satisfaisantes et une promesse d’aide du gouvernement et du PAM, et aussi aggraver la pauvreté par l’augmentation des emprunts liés à la précarité alimentaire385.

Les financements de la lutte contre le VIH/Sida au Cambodge

Comme nous l’avons vu précédemment, les premières Organisations qui ont apporté une aide financière ont été les ONG, l’OMS et les Nations-unies. Progressivement, dès que la réponse gouvernementale s’est un peu structurée, des gouvernements ont apporté leur aide (Etats-Unis, Angleterre, France, Allemagne) ainsi que la Banque Mondiale (figure 88). La source la plus importante de l’aide a longtemps été les Etats-Unis (support institutionnel) sauf en 1997 en raison de la situation politique instable, puis le Fonds Mondial (support opérationnel) (figure 89).

La figure 90 nous montre la complexité et l’intrication des relations entre bailleurs et opérateurs. Il n’est pas étonnant que des problèmes de communication apparaissent et conduisent à une hétérogénéité dans la méthodologie des actions.

Figure 88 : Répartition dans le temps (1991-2005) des Investissements internationaux pour la lutte contre le VIH/Sida Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

385 VRIEZE P. Recession May Cause Millions To Go hungry. The Cambodia daily. April 10 2009 ; 42 (10).

277 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

USAID: coopération gouvernementale Américaine DfID: coopération gouvernementale Anglaise ADB : Asian Development Bank GTZ: coopération gouvernementale Allemande AusAid : coopération gouvernementale Australienne JICA : coopération gouvernementale Japonaise CIDA : coopération gouvernementale Canadienne

Figure 89 : Distribution des ressources financières pour le VIH au Cambodge, par source Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

278 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 90 : Mode d’attribution des sources de financement aux opérateurs de la lutte contre le VIH Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

Figure 91 : Proportion des financements destinés à la lutte contre le VIH/Sida par rapport à l’aide étrangère totale (Overseas Development Assistance (ODA)). Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

279 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Sur le graphique précédent (figure 91) nous voyons que la proportion de financements destinés à la lutte contre le VIH/Sida par rapport à l’aide étrangère totale est passée de 0,2% en 1993 à 12,8% en 2005. Après une longue période de « pauvreté », l’augmentation notable de ces ressources n’a réellement eu lieu qu’à partir de 2001, soit plusieurs années après le pic de l’épidémie (1997) alors que celle-ci déclinait déjà (figure 92). Il est possible que les faibles montants disponibles à ce moment aient eu une action significative sur l’évolution de l’épidémie. D’autre part 1998 a aussi coïncidé avec la période post-élections, celle-ci ayant entrainé une réduction notable du pouvoir et de la richesse de l’armée, diminuant du même coup leur vagabondage sexuel. Cela a peut-être pesé dans la balance. Nous voyons sur le graphique que la diminution du nombre de cas de Sida est intervenue avant l’arrivée massive des ARV, ce qui est difficile à expliquer. Il est probable que l’importante mortalité existant à cette époque ait pu jouer un rôle.

Figure 92 : Evolution dans le temps (1990-2005) de l’épidémie et des investissements Source : ONUSIDA. Turning the Tide. Cambodian response to HIV&AIDS 1991-2005. August 2006.

280 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 2006 les dépenses étaient principalement affectées à la prévention (45%, 19 millions de dollars), aux traitements (21,7%, 9,2 millions) et à la gestion des programmes (20%, 8,5 millions).

Depuis, les financements ont continué à affluer, principalement via l’USAID et le GFATM avec une plus grande orientation vers les traitements, permettant une couverture de 65% à 90% des besoins estimés d’ici 2010 (tableau 19), ce qui est pas toujours possible dans tous les pays du monde386. Ces besoins devront probablement être réévalués à la hausse pour pouvoir atteindre les objectifs de l’Accès Universel et de Développement du Millénaire.

Pour 2009 et 2010 certaines promesses de financements seront peut-être révisées à la baisse en raison du contexte international. Ce pourrait être, comme pour d’autres pays, une nouvelle période de « pauvreté » conduisant à un ralentissement des efforts et à une évolution imprévisible de l’épidémie. 2006 2007 2008 2009 2010 NCHADS 950 000 950 000 950 000 950 000 950 000 NAA 400 000 400 000 400 000 400 000 400 000

Banque Mondiale 400 000 400 000 400 000 DFID 4 711 165 3 513 863 185 803 UE 1 500 000 CDC GAP Grant 1 400 000 1 400 000 1 400 000 USAID 13 800 000 13 800 000 13 800 000 13 800 000 13 800 000 NGO 4 500 000 4 500 000 4 500 000 4 500 000 4 500 000 UNICEF 1 880 000 1 880 000 1 880 000 1 880 000 1 880 000 ILO 143 333 CIDA 450 000 450 000 GFATM (1,2,4,5,7) 12 104 230 18 042 151 19 511 212 29 506 981 23 376 499

Total 42 238 728 45 336 014 43 027 015 51 036 981 44 906 499

Besoins estimés 47 116 771 53 415 304 60 662 695 65 450 263 69 876 920

% de couverture 89,6% 84,9% 70,9% 78,0% 64,3%

Tableau 19 : Distribution des financements reçus, prévus et des nécessaires de 2006 à 2010 Sources : NAA (Cambodia Country Profile on AIDS 2006-2007), GFATM

386 Policy Project Cambodia, USAID, OGAC, NAA. Estimating the Resource requirements for the national Strategic Plan for a Comprehensive and Multisectorial Response to HIV/AIDS. 2006.

281 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 PAUVRETE ET SIDA …… SIDA ET PAUVRETE

Là où la pauvreté est montrée du doigt, d’une manière ou d’une autre, le VIH prospère.

En 2002, l’OMS déclara : « les taux de pauvreté absolue (…) sont étroitement corrélés aux taux de prévalence du VIH (…). Les données existantes nous montrent que le lien entre la pauvreté et le VIH devient progressivement de plus en plus fort »387.

Le Sida pèse lourdement sur la vie quotidienne des personnes au point de les ruiner en diminuant leurs revenus, en augmentant leurs dépenses et leurs dettes. La pauvreté est souvent identifiée comme un facteur qui conduit à un état de vulnérabilité rendant la contamination par le VIH plus probable de se produire. En effet, la pauvreté, en raison du manque d’éducation et de la précarité financière qu’elle implique, conduit souvent les individus, sans en avoir conscience, à avoir des comportements à risque, sources de contamination. Le rôle de la pauvreté est très large, car au-delà des comportements, elle influence aussi tout un ensemble de conditions nutritionnelles, médicales et biologiques qui prédisposent à l’infection par le VIH.

Nous avons aussi remarqué que la pauvreté réduisait l’accès aux soins. Ainsi, si l’on est pauvre et que l’on devient malade, il y a de fortes chances pour qu’il soit particulièrement difficile d’obtenir des soins de qualité à peu de frais. La maladie devient un poids supplémentaire, qui diminue les possibilités physiques de conserver ou de trouver un travail et qui génère un endettement alimenté par la longue quête des soins.

Les engrenages

Pour les personnes pauvres, la perspective de potentiellement être atteint d’une maladie qui pourrait les tuer des années plus tard n’est pas considéré comme une source prioritaire de préoccupation. Les exigences de la survie journalière pour eux et leur famille consomment toute leur énergie. La vision du « ici et maintenant » efface les possibles conséquences d’un comportement sexuel qu’ils ne perçoivent pas comme risqué.

387 WHO. Health, Economic Growth, and Poverty Reduction: the Report of Working Group 1 of the Commission on Macroeconomics and Health. [Consulté le 20/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://whqlibdoc.who.int/publications/9241590092.pdf

282 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Pour les hommes, l’appauvrissement, quelle qu’en soit la cause, provoque souvent une migration à la recherche d’un travail. Ils se retrouvent alors dans des conditions de vie difficiles, confinés dans des logements collectifs à proximité du lieu où ils sont exploités (plantation, mine). A cet endroit se développent de nombreux commerces, dont celui du sexe. Ces hommes n’ont pas nécessairement beaucoup de relations sexuelles avec les prostituées mais au moment de la paie, il n’est pas rare que la même femme ait une dizaine de rapports dans la même journée. Ultérieurement, de retour au village, le migrant ramène les infections qu’il a indirectement partagées avec les autres hommes. Les femmes sont particulièrement touchées par la pauvreté. Beaucoup d’entre elles, afin de trouver l’argent qui manque à la famille, partent chercher « fortune » à la ville où en réalité elles n’ont pas de réelles alternatives pour trouver un emploi correctement rémunérateur. Par la force des choses ces femmes s’exposent à l’exploitation sexuelle qui devient alors une source de travail. Leur condition les pousse souvent à accepter des clients qui refusent d’utiliser un préservatif. D’autres femmes acceptent occasionnellement des relations sexuelles en échange d’argent ou de biens lorsqu’elles se trouvent dans une situation de détresse aiguë. Le schéma ci-dessous (figure 93) résume succinctement les mécanismes cycliques qui entretiennent le lien entre la pauvreté et la contamination par le VIH.

Figure 93 : Mécanismes alimentant l’expansion de l’épidémie. Source : OMS, NCHADS. Controlling STI and HIV in Cambodia, the Success of Condom Promotion. 2001.

283 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

La pauvreté augmente le risque de contamination en réduisant l’accès à l’éducation et aux connaissances, et en influençant les comportements. Ainsi, au Cambodge, une étude réalisée en 2001 388 montra que les femmes les plus pauvres : - avaient moins accès aux sources d’information (TV, radio et presse). - avaient des connaissances erronées sur la transmission du VIH389 - étaient moins bien informées sur l’utilisation du préservatif dans la prévention du VIH - avaient des expériences sexuelles plus jeunes - étaient plus mobiles et donc plus exposées - avaient moins l’opportunité de discuter du VIH avec leur mari. - Avaient plus de probabilité de devenir une travailleuse du sexe pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Impact humain, appauvrissement des communautés

L’impact de la maladie ne concerne pas seulement le malade. La famille devient aussi une victime, entrainée dans une spirale de diminution de ressources, d’augmentation de dépenses (soins, funérailles), de vente de biens et d’endettement qui conduit souvent à son appauvrissement puis à une aggravation de ses conditions de vie (logement, nutrition)390. En addition, la mort d’un ou des parents projette les enfants dans une situation de solitude, de précarité et de vulnérabilité qui génère un isolement social, médical, nutritionnel et éducatif. Ces enfants sont alors dans une position de dépendance qui favorise leur exploitation. Toutes ces situations, où il existe un accroissement de la pauvreté, peuvent conduire à un plus grand risque de contamination par le VIH (figure 97). L’impact de l’épidémie sur les communautés se fait ensuite ressentir par la multiplication des familles touchées, entraînant une diminution du nombre des personnes actives, une baisse massive des revenus, une migration des personnes et un accroissement des charges sociales reportées sur les autres membres du groupe (les voisins, les amis mais aussi les plus jeunes et les plus âgés).

Une autre répercussion de l’épidémie est, pour beaucoup de pays, la diminution du personnel de santé et des enseignants. On imagine alors aisément le dilemme : comment améliorer le système de santé et prendre soin de malades de plus en plus nombreux avec moins de personnel qualifié ?

388 BLOOM DE, SEVILLA J, River Path Associates. Health, Wealth, AIDS and Poverty – the case of Cambodia. September 2001 [Consulté le 20/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.adb.org/Documents/Reports/HW_Cambodia/HWCAM.pdf. 389 En 2005 une étude similaire retrouva, que parmi les femmes vivant dans des régions rurales éloignées du Nord-ouest, 67% d’entre elles pensaient que le VIH pouvait être transmis par les piqûres de moustiques, et 56% croyaient qu’il pouvait être transmis par des moyens supernaturels. 390 ALKENBRACK BATTEH SE, FORSYTHE S, MARTIN G, CHETTRA T. Confirming the impact of HIV/AIDS epidemics on household vulnerability in Asia: the case of Cambodia. AIDS. 2008 Jul;22 Suppl 1:S103-11.

284 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Comment assurer le développement du pays si un enseignement minimal n’est pas assuré aux générations futures ? Concernant l’éducation l’impact de l’épidémie est multiple : le nombre d’enseignants diminue (ceux qui avaient de l’expérience) et les remplaçants sont moins bien formés, moins motivés. A cela s’ajoute la fermeture des écoles par manque d’élèves et/ou de professeurs, l’arrêt des études par les enfants qui ont peur de la discrimination, qui n’ont pas de ressources, qui doivent s’occuper de leurs parents malades ou encore qui sont devenus orphelins. Enfin, avec la disparition précoce des parents c’est toute une éducation informelle qui disparait, altérant la transmission d’un savoir traditionnel qui permet de maintenir la cohésion des sociétés et de donner une identité aux individus vivant en leur sein391,392.

L’épidémie affecte aussi la production agricole et la nutrition. Les personnes malades ne peuvent pas travailler aussi activement qu’auparavant et les familles doivent trouver des solutions pour compenser : choisir une culture qui demande moins de travail, cultiver une surface plus petite, passer moins de temps sur les champs, louer, hypothéquer ou vendre des terres, faire travailler les enfants. En addition, le statut nutritionnel de la famille s’appauvrit à mesure que les revenus décroissent et que les dépenses sont réorientées vers les soins médicaux. Au niveau démographique le Sida augmente la mortalité et donc ralentit la croissance de la population. En fonction des pays le retentissement est plus ou moins important. Nous pouvons remarquer dans la figure 94 que pour certains pays d’Afrique ayant une haute prévalence, la population risque de ne plus croître pendant au moins 15 ans, voire même de décroitre.

Figure 94 : Hypothèses d’évolution de la population de 4 pays du sud de l’Afrique avec et sans l’épidémie du Sida, 1990-2015. Source : UNFPA. The Impact of HIV/AIDS: a population and development perspective, 2003.

391 UNESCO. Impact of HIV/AIDS on Children and Young People. Décembre 2002. [Consulté le 22/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www2.unescobkk.org/elib/publications/073/Impact_of_HIV.pdf 392 World Bank. Economic Costs of AIDS, Long term economic impact of HIV/AIDS more damaging than previously thought. July 23, 2003 [Consulté le 12/06/2008]. Disponible à partir de l’URL:http://web.worldbank.org

285 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Suite à cette forte mortalité qui touche principalement la population de moins de 50 ans, l’espérance de vie à la naissance va aussi chuter. Au Cambodge, en 2010, il est estimé qu’elle sera de 60,3 années au lieu de 64,9 années. Cet impact est relativement minime comparé à certains pays d’Afrique (figure 95) et surtout au Botswana où elle pourrait passer de 74,4 années à 26,7 années !393

Figure 95 : Courbes d’espérance de vie 4 pays du sud de l’Afrique entre 1990 et 2015. Source : UNFPA. The Impact of HIV/AIDS: a population and development perspective, 2003. Cette mortalité touche de façon hétérogène les tranches d’âge de la population. Une pyramide des âges réalisée sur 5 pays du sud de l’Afrique394 en 2015 montre sans surprise que ce seront les enfants de moins de 18 ans, soit à la suite de l’infection soit en raison des mauvaises conditions de vie, et les adultes de 30 à 55 ans contaminés 10 ans plus tôt qui auront été les plus touchés (figure 96).

393 LAMPTEY P, WIGLEY M, CARR D, CLAYMORE. Face à la Pandémie du VIH/SIDA. Population Bulletin, Population Reference Bureau, September 2002 ; 57 (3) [Consulté le 25/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://www.prb.org/ 394 Botswana, Lesotho, Namibie, Afrique du Sud, Swaziland.

286 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 96 : Pyramide des âges de 5 pays du sud de l’Afrique, avec et sans Sida, 2015. Source : UNFPA. The Impact of HIV/AIDS: a population and development perspective, 2003.

Ces conséquences humaines et sociétales de l’épidémie sont des facteurs qui vont diminuer les capacités futures des pays touchés à réagir et à se reconstruire. On imagine aisément que pour le Botswana des générations seront nécessaires avant de retrouver la situation « d’avant l’épidémie ».

Les orphelins

La figure 97 nous montre clairement les répercussions du Sida sur les enfants : non seulement ils deviennent orphelins d’un ou de deux parents mais en plus ils subissent un stress psychologique et physique en raison des conditions dans lesquelles ils sont projetés. L’impact se fait donc sur les enfants, puis indirectement sur la communauté qui doit leur venir en aide, si elle le peut. A plus longue échéance c’est le développement des pays qui souffrira, par la présence d’une jeunesse non instruite, non éduquée, déstabilisée, pauvre et potentiellement violente. Cet impact, non quantifiable, sera surement un défit de taille pour le monde alors qu’en 2000 l’ONUSIDA en recensait déjà 13 millions dans le monde395 et qu’il projetait que ce chiffre atteindrait 24,3 millions en 2010 et 40 millions en 2020396.

395 Enfants de moins de 15 ans ayant perdu leur mère ou leurs deux parents. 396 PHIRI S, WEBB D. The Impact of Orphans and Programme and Policy Response. In : AIDS, Public Policy and Child Well-Being. Edité par Giovanni Andrea Cornia. 2002

287 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Infection par le VIH Aggravation de l’état de santé Mort d’un ou des parents

Stress psychosocial Dépenses de santé Perte des revenus

Orphelins Appauvrissement de la famille Conditions de vie Réversible • Perte d’héritage • Perte de propriété • Migration temporaire pour le travail • Perte du logement • Discrimination • Perte de la sécurité alimentaire • Perte des économies • Perte d’identité • Vente de matériel • Echange travail contre nourriture • Recherche d’aide auprès de la famille et de la communauté Santé • Emprunt • Diminution de la consommation • Malnutrition • Diminution des dépenses pour la santé et l’éducation • Moins d’accès aux soins • Moins de vaccinations • Plus de maladies Irréversible • Plus de mortalité

• Vente de biens, de terre, du logement Education • Emprunt à des taux exagérés • Plus grande réduction de la consommation et des dépenses • Réduction de la terre cultivée et des semences produites • Arrêt de scolarisation • Absentéisme • Moins d’opportunités de formation Misère • Moins de transmission du savoir traditionnel • Migration forcée • Dépendant de la charité Atteintes non matérielles • Explosion de la famille • Exploitation sexuelle / Prostitution • Perte d’affection, de soutien • Mauvais traitements • Travail forcé / exploitation • Discrimination / isolement • Mariage forcé • Abus sexuels et prostitution • Abandon / Institutionnalisation • Dépression Plus grande vulnérabilité à • Activités antisociales / violence l’infection par le VIH • Migration

Figure 97 : Conséquences du VIH/Sida sur les enfants et la famille Adaptation de: Richter L, Manegold J, Pather R. Family and Community for Children Affected by AIDS. 2004. Accessible à l’URL: www.hsrcpress.ac.za. Accédé le 12/02/09.

288 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En 2002, un groupe de recherche Sud Africain s’est particulièrement penché sur le sujet, pressentant que la situation de beaucoup de pays africains allait devenir la leur, mettant en péril le développement et la stabilité future du pays397. Ils ont modélisé l’épidémie en différentes vagues : les nouvelles infections (pic d’incidence en 1998), le nombre de PVVS (pic de prévalence en 2006), les morts (pic de la mortalité en 2010) puis les orphelins (pic de leur nombre en 2015). Ils ont noté que les orphelins séropositifs ne représentaient qu’une faible proportion des orphelins du Sida étant donné qu’ils ne survivaient pas assez longtemps pour être assez nombreux (les trois quart décèdent avant 5 ans). De plus, comme le Sida tue les parents plusieurs années après l’infection, les enfants non séropositifs ont le temps de devenir adolescents avant d’être orphelins. De fait, la proportion d’orphelins augmente avec l’âge et les adolescents en représenteraient la moitié, ce qui ne va pas sans poser de problèmes d’éducation notamment (figure 98)398.

Figure 98 : Prévalence des orphelins par groupe d’âge au sein de pays ayant des prévalences significatives. Source : FHI. Adolescents: Orphaned and Vulnerable in the time of HIV/AIDS, 2005.

Ils ont aussi fait 3 remarques: 1. Si un programme de prévention de la transmission mère-enfant (PTME) du VIH est mis en place, en évitant aux enfants de devenir infecté, il augmente leurs chances de survie. Ainsi la proportion d’orphelins augmentera de 10% d’ici 2015 (+ 200 000). Le nombre n’est pas négligeable et il doit être anticipé pour adapter les programmes. 2. Alors que les programmes de prévention, de distribution de préservatifs, de changements de comportements ne changeront rien à court terme et peu à long terme concernant le nombre

397 BRADSHAW D, JOHNSON L, SCHNEIDER H, BOURNE D, DORRINGTON R. Orphans of the HIV/AIDS epidemic, the time to act is now. May 2002, MRG Policy Brief n°2 [Consulté le 23/03/2009]. Disponible à partir de l’URL:www.assa.org.za 398 FHI. Adolescents : Orphaned and Vulnerable in the time of HIV/AIDS. Youth Issues paper 6. 2005 [Consulté le 23/03/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.fhi.org/youthnet

289 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

d’orphelins, l’accès aux ARV, en prolongeant la vie des parents pourrait diviser par deux leur nombre en 2015 (1,15 millions au lieu de 2 millions). 3. Si aucune intervention n’est débutée, en 2015, un tiers des enfants de moins de 18 ans auront un ou deux parents morts du Sida…

Figure 99 : Evolution modélisée du nombre d’orphelins en Afrique du Sud en fonction des interventions sanitaires (PTME ou ARV) de 1990 à 2026. Source adaptée de: Bradshaw D. Orphans of the HIV/AIDS Epidemic. South Africa, 2002.

Cette étude est intéressante car elle modélise ce qui se produit déjà, avec des variations et des adaptations, pour de nombreux pays. Au Cambodge, même si la situation n’est pas bien connue elle n’est surement pas aussi dramatique qu’en Afrique du Sud où le nombre d’orphelins serait proportionnellement 5 fois plus important. Cependant les problèmes engendrés sont semblables. En 2002 il était estimé qu’il y avait 60 000 orphelins du Sida et que ce chiffre pourrait augmenter jusqu’à 97 000 en 2006 et 109 000 en 2011399 en l’absence d’ARV. Comme nous le verrons, ces chiffres doivent être considérés avec précaution en raison des diverses méthodes employées pour leur calcul. Néanmoins on peut considérer qu’ils sont grossièrement probables si on regarde la mortalité cumulée (environ 150 000) depuis le début de l’épidémie cambodgienne (1990-2007), même en présence d’ARV400.

399 United Nations Country Team in Cambodia. Developmental implications of HIV/AIDS (Phnom Penh, July 2002) 400 WHO, UNAIDS, UNICEF. Epidemiologic Fact Sheet on HIV and AIDS. Cambodia, 2008 update [Consulté le 14/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.who.int/globalatlas/predefinedReports/EFS2008/full/EFS2008_KH.pdf

290 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

L’impact économique

L’impact économique, générateur de pauvreté, est réparti de façon hétérogène dans le monde en raison de la grande diversité des systèmes sociaux et économiques, et des épidémies. Cependant, dans les pays en développement, il est possible de dire que la morbidité et la mortalité dues au Sida diminuent l’épargne des familles (perte de revenus, augmentation des dépenses), affectent le secteur de l’emploi (perte de personnels qualifiés, diminution de la population active) et provoquent une diminution de la productivité surtout dans le secteur privé (absentéisme, personnel moins qualifié ou affaibli, augmentation des dépenses sociales et des dépenses de santé) (figure 100)401.

Figure 100 : Répercussions du VIH/Sida sur une entreprise Source : Population Reference Bureau. www.prb.org

L’Etat, quant à lui, doit augmenter ses crédits budgétaires pour le développement social, l’amélioration du système de santé et la lutte contre la pauvreté dans un contexte de ralentissement de la croissance. Tous les pays ne peuvent pas produire cet effort alors que les économies, drainées par le remboursement de la dette, sont déjà fragilisées et que les besoins de base ne sont pas toujours assurés.

401 SHANE Tar, Business Development Manager. The Developmental Costs of the HIV/AIDS Epidemic in Transitional Societies such as Cambodia: A Private Sector Perspective. Olan Agricultural Development Co Ltd, Phnom Penh. Cambodia.

291 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Une étude macroéconomique réalisée en 1991 sur la Thaïlande montra que les coûts des soins médicaux (coûts directs) absorberaient entre 30% et 50% du revenu des ménages. Les coûts indirects pourraient être encore plus lourds, se situant pour la période 1991 à 2000 entre 7,3 milliards et 8,7 milliards de dollars soit 16 à 18 fois le PIB annuel par habitant. Ainsi les coûts de la perte de production sont beaucoup plus élevés que les coûts directs de la mortalité due au Sida402.

De façon similaire, en 1999 un abstract publié lors de la première conférence Cambodgienne sur le VIH/Sida403 a évalué les coûts indirects et directs de l’épidémie au Cambodge. Ces derniers ont été estimés à au moins 10 fois les dépenses de santé moyennes des cambodgiens. L’étude suggérait que le poids de la mortalité et de la morbidité allait peser fortement sur l’économie des familles. Cet impact serait d’autant plus grand que la personne touchée est jeune, en raison des pertes directes liées aux dépenses de soins mais aussi aux pertes indirectes par la baisse de rendement. Le coût de l’épidémie pourrait atteindre 2 milliards de dollars sur 7 ans. Malgré la relativement faible prévalence de la région asiatique, l’épidémie a causé de sérieux dégâts à l’économie: déjà en 2001 la Banque Asiatique de Développement estimait qu’elle coûtait 7,3 milliards de dollars par an aux économies. La grande majorité des coûts occasionnés par la maladie étaient supportés par les familles pauvres, et chaque année l’épidémie poussait des millions de familles encore plus loin dans la pauvreté.

Afin d’éviter l’aggravation de la situation il a été de nouveau répété que deux stratégies devaient être intensifiées conjointement: la prévention et l’accès aux ARV. Dans le graphique ci-dessous (figure 101), nous pouvons constater qu’en plus de sauver des vies et d’éviter de nouvelles contaminations, une intensification de la prévention et de l’accès aux ARV pourrait faire économiser des milliards de dollars en diminuant les dépenses médicales, en préservant la productivité et en réduisant les dépenses des familles. L’ONUSIDA et la Banque Asiatique de Développement ont estimé que, si les actions de prévention et de soins sont poursuivies telles qu’elles sont actuellement réalisées, le poids de l’épidémie sur l’économie Asiatique sera de 18,7 milliards par an en 2010 et 26,9 milliards en 2015. Par contre si l’accès aux ARV et la prévention sont intensifiés, 10 milliards de dollars pourraient être économisés en 2015404.

402 COHEN D. L’impact économique de l’épidémie d’infections par le VIH. PNUD 1994. 403 BUNNA S, MYERS CN. Estimated Economic Impact of AIDS in Cambodia. National conference on HIV/Aids, 1999. Abstract 16. 404 UNAIDS. A scaled-up response to AIDS in Asia and the Pacific, 2005.

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Figure 101 : Impact financier de l’épidémie du VIH en Asie en fonction des stratégies mises en place. Source: ONUSIDA. A scaled-up response to AIDS in Asia and the Pacific, 2005.

Nous remarquons que l’augmentation de l’accès aux ARV seul (en jaune) pourrait entraîner un surcoût, probablement en raison du prix des traitements mais aussi du nombre croissant de personnes qu’il faudrait à terme mettre sous traitement si la prévention était insuffisante.

A ce propos, nous souhaiterions aborder la question de la « rentabilité » du traitement ARV qui a déjà été débattue de nombreuses fois. De leur côté les économistes se sont demandés si donner accès aux ARV à grande échelle était économiquement raisonnable pour les pays en développement. D’un point de vue moral la question ne se pose pas vraiment, mais pour les économistes ce n’est pas aussi évident : ils vont se demander si le pays a les moyens de les acheter, si la mise en place du système de dispensation pourra être réalisée avec les moyens existants sans trop de frais additionnels et si le coût par année de vie sauvée se situe à un niveau satisfaisant par rapport au PIB par habitant. A travers ces questions importantes mais froides et techniques, il semble qu’il soit peu réaliste de pouvoir évaluer la vraie valeur d’une année de vie humaine ! Comment justifier ou non l’extension des ARV en utilisant des critères qui ne prennent pas en considération les réalités psychologiques, culturelles et comportementales des sociétés ? 405

405 MOATTI, J-P, BARNETT T, SOUTEYRAND Y, FLORI Y-A, DUMOULIN J, CORIAT B. (2003). Financing Efficient HIV Care and Antiretroviral Treatment to Mitigate the Impact of the AIDS Epidemic on Economic and

293 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Du côté de l’économiste de la santé, le point de vue est similaire. Depuis le début de l’épidémie la priorité à été donnée à la prévention pour les pays en développement, avec une extension vers la prise en charge des infections opportunistes parce que c’était facile et pas cher. Une étude de 2002 avait estimé que ces actions étaient 28 fois plus coût-efficace que les ARV et que pour chaque année gagnée grâce aux ARV, 28 années auraient pu être gagnées par la prévention. Pour les auteurs, les financements devraient être prioritairement alloués à la prévention et aux traitements non ARV. L’accès aux ARV devrait être réduit à des projets pilotes avant d’envisager leur extension dans des zones déjà couvertes largement par les activités de prévention406. Cependant, il est un fait que la prévention n’a pas donné les résultats escomptés, et une des raisons de ce revers est qu’elle ne peut fonctionner correctement de façon isolée. La synergie prévention/traitement ARV qui passe par une amélioration de la qualité de vie, une diminution de la transmission et un changement dans la perception de la maladie donne des résultats plus tangibles et plus durables. D’ailleurs, la Thaïlande et le Brésil, qui ont débuté les programmes ARV précocement, sont des pays qui ont les meilleurs résultats en terme de contrôle de l’épidémie407.

Pour conclure, nous citerons quelques chiffres présentés en 2008 par la commission de l’ONUSIDA. Ceux-ci peuvent peut-être donner une meilleure idée du poids de l’épidémie Asiatique408:

- Le Sida causera une perte totale de 180 millions de personne-années en termes de vie saine et productive entre 2002 et 2020. Une étude de l’OMS réalisée en 2006 sur le poids des maladies en Asie, a montré que le Sida sera la première cause de décès des adultes de 15 à 44 ans durant les deux prochaines décennies. De cette mortalité a été calculé le nombre « d’années de vie perdues » par an suite au décès précoce ou au handicap des personnes atteints du Sida.

Human Development. In Economics of AIDS and Access to HIV/AIDS Care in Developing Countries. Issues and Challenges, edited by J-P. MOATTI. Paris: Agence Nationale de Recherches sur le Sida, 247-265. 406 MARSEILLE E, HOFMANN PB, KAHN GK. HIV prevention before HAART in sub-Saharan Africa. Lancet 2002 ; 359 : 1851-1856. 407 COOVADIA HM, HADINGHAM J. HIV/AIDS: global trends, global funds and delivery bottlenecks. Global Health. 2005 ; 1 : 13. [Consulté le 20/04/2009]. Disponible à partir de l’URL:http://www.pubmedcentral.nih.gov/articlerender.fcgi?artid=1199613 408 UNAIDS. Redefining AIDS in Asia - Crafting an Effective Response - Report of the Commission on AIDS in Asia. 2008.

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- L’unité est le DALYs409 : un DALYs équivaut à une année de vie saine perdue. En Asie, avec 350 000 décès dus au Sida tous les ans, il a été calculé que cela correspondait à 10 millions d’années de vie saines perdues (figure 102), soit 180 millions en 18 ans. En 2030 le Sida représentera la première place en nombre de DALYs (12,1%) dans le monde devant toutes les autres pathologies410.

- Figure 102 : Projection du nombre d’années de vie perdues en Asie en raison de différentes pathologies, parmi la population des 15-44 ans, entre 2002 et 2020. Source : UNAIDS. Redefining AIDS in Asia, 2008.

- Chaque décès du au Sida représente une perte de revenus de 5 000 dollars en moyenne, soit 14 ans de travail pour les personnes gagnant 1 dollar par jour. - 6 millions de familles pourraient tomber sous le seuil de pauvreté avant 2015 - Une action globale contre le Sida en Asie couterait 6,4 milliards de dollars par an. Avec un investissement de 3,1 milliard par an il serait possible d’arrêter la croissance de l’épidémie dans la région. Actuellement, seulement 1,2 milliards sont disponibles tous les ans. Dans les autres pays en développement, l’impact est similaire voire plus important et il peut se chiffrer à des centaines de milliards de dollars de pertes et à des millions de morts depuis le début de l’épidémie.

Et si nous n’étions qu’au tout début de l’histoire du VIH, quelles perspectives pouvons-nous imaginer pour le monde ?

409 Disability-Adjusted Life Years (DALYs) 410 MATHERS C.D, LONCAR D. Global Mortality and Burden of Disease Projections 2002–2030. PLoS Medicine 2006 ; 3 (11) : 2012-30.

295 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

III.B.6. Sphère environnementale

Communauté internationale Pauvreté Gouvernement Pauvreté Système de santé Histoire Organisations Géographie Tradition internationales Religion

Prévention Accès aux soins Pauvreté

Comportement Orphelins Pauvreté Mondialisation Economie Modes Alcool Drogues Traitement Maladie Virus Immunité Secteur privé PVVS Transmission

Discrimination Perte d’activité Pauvreté Dépenses de soins

Environnement culturel Entités Articulations et matériel agissantes

Figure 103 : Sphère environnementale

296 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Reprenant notre précédant graphique nous pouvons y ajouter une composante environnementale mondiale qui intervient sur le comportement des personnes et potentiellement sur une prise de risque. La pauvreté, comme nous l’avons précédemment détaillé touche toutes les entités agissantes. La communauté internationale n’a pas investi assez d’argent dans la lutte, les ONG dépendent trop de financement sporadiques et changeants, les gouvernements n’ont pas assez de moyens pour développer leur système sanitaire, le secteur privé, parce que les sources de revenus sont rares, exploite « le filon du Sida», enfin, les PVVS, vivant principalement dans les pays en développement et dans des zones rurales n’ont pas les capacités de faire face aux dépenses de soins, ce d’autant que la maladie diminue leurs chances d’avoir ou de conserver une activité rémunératrice. La pauvreté des populations qui subissent les effets de l’épidémie ou bien d’un contexte politico-économique défavorable, sont parfois précipités dans un engrenage qui les conduira à des comportements sexuels à risque.

297 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

QUATRIÈME ACTE : DISCUSSIONS & PERSPECTIVES

A propos de la syphilis, Jean Fernel écrivait en 1550: "Ce mal, à moins qu'un Dieu tout puissant, dans sa clémence, ne l'extirpe lui-même, ou que la luxure effrénée des hommes diminue, je crois qu'il sera toujours le compagnon du genre humain".

Nous sommes au XXIème siècle, nous avons un traitement curatif, mais la syphilis court toujours …

Cette allusion à la syphilis n’est pas anodine car elle fait ressortir un fait important: la lutte contre une maladie qui se transmet sexuellement semble particulièrement difficile à endiguer, même si un traitement est à disposition, car la modification durable des comportements sexuels se heurte à des obstacles singulièrement humains. Le fait que, tout comme la syphilis, la gonococcie, la chlamydiose, le chancre mou, la papillomatose, l’herpès, la trichomonose, continuent à faire partie des pathologies résistantes aux initiatives visant leur éradication, peut faire craindre que la lutte contre l’épidémie du VIH n’en soit qu’à son commencement. Dans ce chapitre nous allons donc faire le point sur ce que le passé nous a appris et nous allons tenter d’envisager le futur dans un contexte mondial en plein bouleversement.

IV.A. Virus, Traitements, Vaccins et Epidémie

D’aucuns suggèrent que les cadres évolutifs des virus sont déjà déterminés et que l’émergence de nouveaux virus ne pourra se faire qu’à l’intérieur de ces cadres411. L’information, si elle est vraie, n’est pas forcément rassurante. Il est possible que d’autres virus, proches ou non du VIH, soient déjà présents dans la nature, non détectés, attendant patiemment un accident génétique pour venir à se manifester sous la forme d’une nouvelle épidémie qui pourrait être pire. Le VIH ne serait alors que le sommet d’un iceberg viral potentiellement létal pour l’espèce humaine.

411 TOLOU H, NICOLI J, CHASTEL C. Viral Evolution and Emerging Viral Infections: What Future for the Viruses? A Theoretical Evaluation Based on Informational Spaces and Quasispecies. Virus Genes 2002 ; 24 (3) : 267-274

298 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

En attendant, le VIH semble déjà être un adversaire de taille à lui tout seul. Depuis les quelques décades que l’Homme le fréquente, un lien indéfectible et fatal s’est irrémédiablement tissé entre eux. Le virus, utilisant les failles biologiques et comportementales de la niche écologique humaine, s’est assuré une propagation perpétuelle à travers son hôte. Malgré une transmission peu performante il a réussi son expansion grâce à sa longue période de latence et à son implacable capacité d’adaptation. Il a subtilement déjoué l’armement immunitaire de l’être humain tout en se mettant à l’abri de la plupart des armes actuellement disponibles. Ainsi les traitements, qui ne peuvent agir qu’à certains niveaux intimes de l’ingénierie cellulaire, en sont réduits à chercher un équilibre précaire entre une action de facto limitée et une toxicité inévitable. Du côté de l’être humain, il est possible que, face à ce virus qui ne semble pas accroitre sa virulence, une certaine résistance naturelle puisse se développer, mais cela risquerait de prendre au moins quelques centaines d’années412 et il ne paraît pas raisonnable d’attendre. Alors que pouvons-nous espérer comme résultats à plus court terme avec les moyens qui sont en notre possession ? Par des méthodes mathématiques certaines modélisations ont essayé de conjecturer les probabilités évolutives de l’épidémie face à des interventions humaines actives (sans prendre en compte les aspects financiers)413,414: La première modélisation a porté sur l’impact des ARV sur la santé publique si leur utilisation était accrue. Ces molécules ont déjà montré un bénéfice thérapeutique en réduisant le taux de mortalité mais ils ont aussi présenté une certaine efficacité dans le domaine de la prévention : réduction de la transmission mère-enfant, augmentation de la fréquentation des centres de dépistage et aussi diminution du taux de transmission par la réduction de la charge virale 415,416,417. Ainsi, un accès élargi aux ARV, couplé avec une réduction des conduites à risque, pourrait éradiquer l’épidémie en quelques décennies, même dans les pays à haute prévalence

412 LEVIN BR, BULL JJ, STEWART FM. Epidemiology, Evolution, and Future of the HIV/AIDS Pandemic. Presentation from the 2000 Emerging Infectious Diseases Conference in Atlanta, Georgia. Supplement June 2001 ; 7 (3). 413 BLOWER B, SCHWARTZ EJ, MILLS J. Forecasting the Future of HIV Epidemics: the Impact of Antiretroviral Therapies & Imperfect Vaccines. AIDS Rev. 2003 ; 5 : 113-125. 414 BLOWER S, FARMER P. Predicting the public health impact of antiretrovirals: preventing HIV in developing countries. AIDScience 2003 ; 3 (11) : [9] p. 415 Il a été calculé que sur 10 ans, là où les ARV avaient été utilisés largement (50 à 90% de couverture à San Francisco), la mortalité avait diminué de 18-33% et 40% de nouvelles infections avaient été évitées. Les ARV possèdent donc une activité de prévention non conventionnelle car ils sont donnés à des personnes infectées pour protéger les personnes non infectées. 416 QUINN TC, WAWER MJ, SEWANKAMBO N, SERWANDDA D, LI C, WABWIRE-MANGEN F et al. Viral load and heretosexual transmission of human immunodeficiency virus type 1. Rakai project Study group. N Engl J Med. 2000 ; 342 (13) : 921-929. 417 PORCO TC, MARTIN JN, KIMBERLY A et al. Decline in HIV infectivity following the introduction of highly active antiretroviral therapy. AIDS 2004 January 2 ; 18 (1) : 81–88.

299 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

(30%)418. Cependant, il a été aussi calculé que si ces conduites augmentaient ne serait-ce que de 10%, l’incidence augmenterait malgré la diminution du taux de transmission. Quant aux résistances, elles seraient bien sûr susceptibles d’apparaitre en plus grand nombre comme cela a déjà été modélisé (figure 104). Il a été calculé que si 30% des personnes infectées recevaient des ARV, après 10 ans la prévalence de la résistance ne serait que de 9%, la majorité des infections restant sensibles aux ARV (les résistances étant principalement acquises et non transmises). Cette évolution peut être vraie à condition que les programmes de soins se concentrent autant sur l’accès aux ARV que sur leur bon usage.

Figure 104 : Modélisation de l’apparition de résistances dans un pays en développement où 30% des personnes infectées reçoivent des ARV. Source: Blower S. Predicting the public health impact of antiretrovirals: preventing HIV in developing countries.

Une autre modélisation a concerné les vaccins. Comme nous l’avons déjà constaté le VIH possède une extraordinaire capacité d’éviter sa neutralisation par les anticorps et les cellules immunitaires. Les vaccins prophylactiques actuels ne peuvent pas encore éviter l’infection mais ils permettent de ralentir la réplication virale et donc retarder l’apparition de la maladie. Cependant au long terme les CD4 finissent toujours par chuter. La modélisation de l’impact épidémiologique potentiel des vaccins, au-delà de leur efficacité, doit prendre en compte la difficulté de les rendre massivement accessibles à la population mondiale et l’exacerbation possible des conduites à risque suite à leur existence même. Ainsi si 40 à 50% de la population était vaccinée, une augmentation de 25% des conduites à risque aggraverait l’épidémie. Mais si la couverture était de 80%-100% il faudrait une augmentation des risques de 400% pour aggraver l’épidémie. Quant aux vaccins thérapeutiques, aucun n’a encore eu d’effet suffisant sur les CD4 et sur la charge virale, cependant

418 VELASCO-HERNÁNDEZ J, GERSHENGORN H, BLOWER S. Could widespread usage of combination antiretroviral therapy eradicate HIV epidemics? Lancet Infect Dis. 2002 ; 2 (8) : 487-493.

300 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 ils pourraient diminuer le risque de transmission. Enfin, les vaccins ne pourront avoir d’impact que s’ils entraînent des immunités croisées entre les différents sous types. Il est même possible que si les vaccinations n’étaient pas utilisées avec prudence, elles pourraient favoriser l’apparition de nouvelles souches ou créer de nouvelles niches écologiques. Bref, les vaccins efficaces et sûrs ne sont pas pour demain.

Un point important à retenir de ces modélisations est que si nous voulons étendre l’accès aux traitements il faudra impérativement intensifier les actions visant à réduire les comportements sexuels à risque sinon les programmes de santé publique pourraient favoriser l’expansion de l’épidémie au lieu de la réduire.

IV.B. L’International en action ?

IV.B.1. Les actions de prévention ont besoin d’une réaction

Après un quart de siècle d’expansion, force est de constater que même si l’épidémie s’est étendue à la population générale, elle demeure concentrée parmi les prostitué(e)s et leurs clients.

Les mesures de prévention instaurées visant principalement ces populations, comme le préservatif, le CDAG et le traitement des IST, ont montré leurs limites 419: - L’utilisation du préservatif, même si elle a permis de limiter d’expansion de l’épidémie dans certaines régions, son rôle est resté limité. La raison principale est que son utilisation systématique n’a pas atteint un niveau suffisant pour produire un ralentissement significatif des nouvelles infections, notamment en Afrique sous Saharienne. - Les comportements sexuels à risque, en particulier le multi partenariat, sont restés les facteurs de contamination principaux. - L’abstinence est globalement impossible à obtenir pour la population jeune. - Le dépistage n’a pas apporté de changement de comportement, spécialement pour ceux qui ont été testé négatifs. Les études n’ont pas montré d’impact substantiel dans la course de l’épidémie. - Le traitement des IST, montré comme ayant un rôle majeur dans la diminution de la transmission du virus depuis l’étude de Mwanza, Tanzanie, s’est révélé très décevant lors des

419 POTTS M, HALPERIN D T, KIRBY D et al. Reassessing HIV Prevention. Science May 2008 ; 320 (5877) : 749- 750.

301 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

études qui ont suivi. A tel point qu’au niveau de la population générale, dans les épidémies généralisées, il n’a pas été montré que cela avait un impact significatif sur la transmission du VIH, en particulier à cause de la poursuite des comportements à risque420. De plus l’accès à ces traitements reste difficile pour la plupart des programmes de santé. - Les microbicides se sont révélés peu efficaces et rarement utilisés systématiquement. - Les dépistages parmi les dons du sang et la prévention de la transmission mère-enfant sont des stratégies efficaces mais qui ne concernent qu’une petite partie des transmissions. - Enfin la circoncision pourrait être efficace pour prévenir la transmission de la femme à l’homme421 mais elle se heurte à des contextes culturels et des contraintes techniques.

Ainsi, à partir de ce constat peu encourageant et à la vue de la situation épidémiologique de 2007, il raisonnable de penser que l’épidémie mondiale n’a pas encore culminé. Il est estimé que pendant les 20 prochaines années environ 70 millions de personnes mourront du Sida dont 55 millions en Afrique subsaharienne. Les conséquences principales seront la stagnation ou la régression du développement de nombreux pays, annulant des décennies de progrès. En Asie, les dernières projections confirment la tendance422: en 2007, 5 millions de personnes étaient infectées incluant 440 000 nouvelles infections dans l’année ainsi que 300 000 morts. Les trois quarts des personnes infectées sont des hommes même si la proportion de femmes augmente régulièrement. 70% des transmissions se font par voie hétérosexuelle. Les utilisateurs de drogues injectables sont particulièrement exposés dans certains pays (Indonésie, Vietnam, Chine, Myanmar) avec des taux de séropositivité allant de 24% à 50%. Ils ont constitué le moteur initial des contaminations avant qu’elles ne s’étendent aux clients des prostituées puis à la population générale (figure 105).

420 KAMALI A, QUIGLEY M, NAKIYINGI J, KINSMAN J, KENGEYA-KAYONDO J, GOPAL R et al. Syndromic management of sexually-transmitted infections and behaviour change interventions on transmission of HIV-1 in rural Uganda: a community randomised trial. Lancet 2003 ; 361 (9358) : 645-652. 421 QUINN TC, WAWER MJ, SEWANKAMBO N, SERWANDDA D, LI C, WABWIRE-MANGEN F et al. Viral load and heretosexual transmission of human immunodeficiency virus type 1. Rakai project Study group. N Engl J Med. 2000 ; 342 (13) : 921-929. 422 UNAIDS. Redefining AIDS in Asia Crafting and Effective Response. Report of the Commission on AIDS in Asia, March 2008 [Consulté le 12/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://data.unaids.org/pub/Report/2008/20080326_report_commission_aids_en.pdf

302 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 105 : Projection de la répartition des nouvelles infections au sein de certains groupes de population dans les pays asiatiques dont l’épidémie a débuté à travers les utilisateurs de drogues injectables (Asian Epidemic Model) Source : UNAIDS. Redefining AIDS in Asia Crafting and Effective Response. 2008.

Ailleurs c’est la prostitution qui génère le plus de nouvelles infections et elle est sous la directe dépendance de la proportion d’hommes fréquentant les prostituées et du nombre de clients que celles-ci reçoivent (figure 106).

Figure 106 : Estimation de la prévalence du VIH parmi les clients des prostituées en fonction de la fréquence de leur fréquentation en Asie Concernant les 3 courbes, le % représente la proportion des hommes de la population générale fréquentant les prostituées et le nombre par nuit représente le nombre de clients par nuit par prostituée. Source : UNAIDS. Redefining AIDS in Asia Crafting and Effective Response. 2008.

303 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

D’après l’ONUSIDA, en raison de l’intensification de certaines activités de prévention (100% condom) dans les années 1990, un ralentissement du nombre annuel de nouvelles contaminations a pu être constaté. Cependant, suite à une trop mauvaise couverture des populations à risque par les mesures de prévention (2% des utilisateurs de drogues injectables, 5% des homosexuels, 34% des prostituées, épouses d’hommes ayant des conduites à risque), il est très possible de voir apparaître une nouvelle vague de contaminations à travers ces populations dans le futur (figure 107).

Figure 107 : Estimation de la répartition des nouvelles infections au sein de certains groupes de population en Asie (1975-2020) Source : UNAIDS. Redefining AIDS in Asia Crafting and Effective Response. 2008.

Ce dernier graphique fait ressortir l’augmentation prépondérante de nouvelles infections parmi les homosexuels (HSH 423). En réalité cette tendance a déjà commencé mais elle est encore souvent ignorée. Sur tous les continents les HSH sont particulièrement touchés par le VIH (jusqu’à dix fois plus que la population générale), pourtant ils représentent une population qui se retrouve systématiquement en dehors des systèmes de surveillance et des programmes de prévention et de soins. Les budgets de prévention qui leur sont dédiés sont, une fois de plus, insuffisants. La discrimination, masque l’épidémie, limite les actions et les études, alors que 86 pays dans le monde criminalisent encore les rapports homosexuels424.

423 Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes 424 LARMARANGE J. Homosexuels masculins et sida : une épidémie sous-estimée. Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites Automne 08. n°138

304 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Cette prise de conscience est récente (2006) et la communauté scientifique commence à s’apercevoir que nous savons peu sur le sujet. Suite à une initiative de l’ONUSIDA, un recensement des informations a été fait. Il en est ressorti que la majorité des études concernant les HSH ont été réalisées en Amérique Latine et que seulement un tiers d’entre elles ont mesuré la prévalence du VIH. Concernant l’Afrique la situation était pire car il y avait seulement 8 études, sans données sur le VIH. Nous savons maintenant que l’homosexualité est multiple, que le « paradigme LGBT (Lesbienne Gay Bi Trans), issu d’une construction culturelle occidentale n’est pas adapté » à toutes les cultures, que le terme « HSH » se focalise trop sur le comportement sans tenir compte du contexte des sociétés qui donne un sens à ces pratiques, que la bisexualité est très fréquente avec une vulnérabilité particulière pour la femme425.

La crainte est d’avoir sous estimé le rôle de cette population dans l’épidémie, peut-être en considérant que ce groupe était limité, homogène avec des conduites à risque prévisibles. Or l’homosexualité est bien plus présente que le monde veut bien l’admettre ; elle est cachée car elle est considérée comme une déviance qui ne mérite pas que l’on s’en occupe.

« Vingt-cinq ans après le début de l’épidémie, les HSH restent particulièrement touchés et vulnérables face au VIH. En Occident, l’épidémie continue de progresser, interrogeant une prévention qui s’essouffle. Dans d’autres pays, notamment en Afrique, on commence à peine à se rendre compte de la situation. Si les activistes et les associations commencent à s’organiser, la recherche, elle, peine à suivre. » Joseph Larmarange Docteur en démographie, chargé de recherche à l’IRD, rattaché au CEPED

Une fois de plus il apparait que le comportement sexuel à risque est la variable majeure de la dynamique de la transmission et il peut dramatiquement modifier celle de l’épidémie. Ainsi, si les mesures de prévention ne sont pas élargies et intensifiées vers de nouveaux groupes, la prévalence pourrait monter jusqu’à 10 millions en 2020 (figure 108). Il a aussi été estimé qu’il faudrait atteindre 50% des populations à risque par des mesures de prévention (efficaces) pour stabiliser l’épidémie et 80% pour inverser la tendance.

425 LARMARANGE J. Hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes (HSH) : une épidémie toujours active. Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites Automne 06. n°129.

305 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 108 : Projection de l’évolution de l’épidémie en Asie en l’absence d’intensification des mesures de prévention Source : ONUSIDA

Nous réalisons ici à quel point l’évolution de l’épidémie du VIH est faite de longues vagues et de rebondissements potentiels : au début, alors que l’on constate les premiers cas de Sida, nous savons qu’en fait il y en a beaucoup plus qui sont infectés et en bonne santé. Le VIH s’est déjà amplement répandu en suivant les lignes de fractures qui préexistaient au sein des sociétés (comme les inégalités de classes et de sexe, l’absence de services sociaux, le chômage…). La longue période d’incubation, à la fois individuelle et sociale, donne une fausse sensation de sécurité et la basse prévalence est un mauvais indicateur de l’impact futur. De fait, les programmes de lutte contre le Sida ont systématiquement plusieurs années de retard sur la réalité de l’épidémie et sont rapidement dépassés par son inertie lorsque les chiffres de prévalence s’aggravent426. Même si la situation épidémiologique semble se stabiliser, le VIH reste ancré dans la société, aux aguets, prêt à exploser si la situation change et devient plus favorable (guerre, famine, crise politique ou économique …). Les surprises viennent souvent d’une mauvaise analyse des conditions politiques, économiques et sociales qui préexistent dans le pays et de la mauvaise identification des premiers signes révélant un impact sur les structures socio-économiques à mesure que l’épidémie croit.

Il n’est donc pas étonnant d’entendre le Pr Michel Kazatchkine, directeur de l’ANRS, nous dire que l’épidémie est encore jeune et que le pic pourrait n’être atteint qu’en 2040427 !

426 Sur une décade, pendant les années 1990, l’Afrique du Sud est partie d’une prévalence rassurante de 1% à un 20% catastrophique. En Thaïlande, à Chiang Mai, la prévalence parmi les femmes enceintes est passée de 1% à 8% entre 1989 et 1995. 427 Sida: un vaccin pour soigner? [Consulté le 20/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.levif.be/articles/index.jsp?articleID=500§ionID=11&siteID=38

306 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Cependant, si nous suivons le raisonnement des modélisations qui ont été précédemment exposées, il existe l’espoir qu’avec une intensification conjointe des actions de prévention et de l’accès aux ARV, la situation puisse être changée de façon plus précoce et durable. Il est évident qu’au-delà de la théorie il faudra une plus grande implication politique de la communauté internationale pour que les ressources financières nécessaires à la mise en application de cette intensification soient mises à disposition.

IV.B.2. L’avenir incertain des stratégies

Comme l’illustre la figure 110, alors même que l’épidémie semblait croître inexorablement de façon arithmétique, en 2001 elle courbe l’échine. Certains y voient principalement l’effet de la mortalité due au Sida dans les pays n’ayant pas eu d’ARV. C’est en effet très probable étant donné que l’extension du VIH a eu lieu de façon massive moins de 10 ans auparavant, et que le nombre de cas de Sida était en train d’exploser. C’est d’ailleurs cette mortalité omniprésente qui a commencé à tarauder les consciences. Les messages de prévention ou d’alertes ne sont réellement pris au sérieux que quand « les morts parlent par leur présence». Beaucoup de retards ont été notés, beaucoup de promesses n’ont été que partiellement tenues et trop de cris d’alarmes n’ont pas été entendus. Pendant longtemps c’est le : « ce que nous avons est mieux que rien » qui a prévalu. Cela ne dénotait-il pas un manque de détermination voire d’honnêteté ? Finalement la communauté internationale s’est mobilisée en lançant, depuis le début du millénaire, diverses initiatives qui ont permis une multiplication par 7 des fonds débloqués. Certaines de ces initiatives, afin d’obtenir un engagement sur le long terme, ont essayé de définir des objectifs à atteindre, non seulement dans le domaine de la santé mais aussi de l’éducation, de la pauvreté et des partenariats Nord-Sud. Concernant le VIH cela a, jusqu’à maintenant, produit des résultats mitigés dans le domaine de la prévention et un peu plus substantiels dans celui des traitements qui ont commencé à apparaitre dans les pays en développement, grâce à la concurrence des génériques. Alors que les années passent, les objectifs devant être atteints par ces programmes semblent de moins en moins réalisables dans la période de temps prévue. L’évolution attendue de la situation épidémique mondiale exige encore plus d’argent pour poursuivre et amplifier les actions engagées, et cela au moment même où le monde s’en trouve privé.

307 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Nous aborderons ici 2 initiatives internationales organisées par les Nations-unies: « les Objectifs de Développement du Millénaire » et l’ « Accès Universel » afin de donner la mesure des enjeux qui vont se présenter dans un bref futur.

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) « Nous, chefs d’État et de gouvernement, nous sommes rassemblés au Siège de l’Organisation des Nations-unies à New York, du 6 au 8 septembre 2000, à l’aube d’un nouveau millénaire, pour réaffirmer notre foi dans l’Organisation et dans sa Charte, fondements indispensables d’un monde plus pacifique, plus prospère et plus juste ». [ONU A/Res/55/L2, 2000]

C’est par cette phrase que débuta la Déclaration du Millénaire, adoptée par 189 nations et signées par 147 chefs d’Etat. De cette déclaration découlèrent les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui devront être atteints avant 2015 afin de répondre aux plus importants défis du monde actuel dans les domaines de la santé et du développement. Les pays pauvres se sont alors engagés à mieux gouverner et à investir dans leurs populations par le biais de la santé et de l'éducation, les pays riches à les appuyer en utilisant les outils suivants: aide, allégement de la dette et commerce plus juste.

Huit objectifs ont été définis: . Objectif 1: Réduction de l'extrême pauvreté et de la faim . Objectif 2: Assurer l'éducation primaire pour tous . Objectif 3: Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes . Objectif 4: Réduire la mortalité infantile . Objectif 5: Améliorer la santé maternelle . Objectif 6: Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d'autres maladies . Objectif 7: Assurer un environnement durable . Objectif 8: Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Ces objectifs ont été divisés en cibles quantifiables mesurées selon des indicateurs. Chaque pays a la possibilité d’adapter ces cibles et ces indicateurs. 2 objectifs retiendront plus particulièrement notre attention dans le contexte de notre travail:

308 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

. Premier objectif : Réduction de l'extrême pauvreté et de la faim428,429,430 - La première cible vise à réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de la population qui vit avec moins d’un dollar par jour. En 2008 1,4 milliard de personnes étaient dans cette situation. D’après le rapport 2008 du PNUD, il semblerait que cet objectif soit atteignable par l’Asie mais pas par l’Afrique subsaharienne qui n’a pas fait de progrès depuis 2001. En utilisant le nouveau seuil de la Banque Mondiale le taux de pauvreté de l’Asie de l’Est serait passé de 80% à 20% en 25 ans alors que pour l’Afrique il se serait maintenu à 50%. - La seconde cible vise à fournir un emploi décent et productif à tous. Plus de 1 milliard de personnes ont un revenu inférieur à 1 dollar par jour. L’Asie, de par sa croissance importante a réussi à se rapprocher de cet objectif, par contre l’Afrique subsaharienne possède toujours 50% de travailleurs avec moins de 1 dollar par jour ce qui ne leur permet pas d’échapper à la pauvreté. - La troisième cible vise à réduire de moitié la part des individus souffrant de la faim. La FAO estimait que 840 millions de personnes souffrait encore de sous-alimentation. Changer cette situation devient particulièrement difficile dans un contexte de forte démographie, de pénurie alimentaire, de la hausse des prix des denrées alimentaires, de subventions agricoles dans les pays développés et d’utilisation de parcelles pour la production de biocarburants. Ce sont bien sûr les pauvres qui en sont les premières victimes. L’Asie est particulièrement touchée par la malnutrition infantile (50% des enfants de moins de 5 ans).

. Sixième objectif : Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d'autres maladies431 - La première cible vise à endiguer voire faire reculer la pandémie. Comme nous l’avons déjà constaté cette cible risque fort de ne pas être atteinte si de nouvelles mesures ne sont pas prises.

Les luttes contre la pauvreté et contre le VIH/Sida sont connectées. Si les actions ne sont pas intensifiées contre le VIH, les efforts pour atteindre les objectifs de la pauvreté d’ici 2015 (figure 109) sont voués à l’échec432.

428 PNUD. Extraits du Rapport sur les Objectifs du Millénaire pour le développement 2008 [Consulté le 23/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.undp.org/french/mdg/basics_ontrack.shtml 429 UNESCO. Les objectifs du millénaire pour le développement et l'eau [Consulté le 23/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.unesco.org/water/wwap/facts_figures/mdgs_fr.shtml 430 Nations-unies. OBJECTIF 1 : Réduire l'extrême pauvreté et la faim [Consulté le 23/04/2009]. Disponible à partir de l’URL:www.un.org/french/millenniumgoals/poverty.shtml 431 Nations-unies. OBJECTIF 6 : Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d'autres maladies [Consulté le 23/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://www.un.org/french/millenniumgoals/aids.shtml 432 ONUSIDA. A Scaled-up Response to Aids in Asia. 2005 [Consulté le 20/02/2009]. Disponible à partir de l’URL:http://data.unaids.org/UNA-docs/REPORT_ICAAP_01July05_en.pdf

309 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 109 : Impact du Sida sur la pauvreté : érosion de l’Objectif de Développement du Millénaire Source: ONUSIDA

L’Accès Universel pour 2010 L’Accès Universel pour la prévention, le traitement et le soutien en 2010 fait suite à une déclaration politique sur le VIH faite lors de l’Assemblée Générale des Nations-unies en juin 2006. Cette déclaration faite par les Etats membres était considérée comme essentielle afin de pouvoir atteindre l’objectif 6 / cible 1 de l’OMD :

“We commit ourselves to setting, in 2006, through inclusive, transparent processes, ambitious national targets, including interim targets for 2008 in accordance with the core indicators recommended by the Joint United Nations Programme on HIV/AIDS, that reflect the commitment of the present Declaration and the urgent need to scale up significantly towards the goal of Universal access to comprehensive prevention programmes, treatment, care and support by 2010.

We recognize that the Joint United Nations Programme on HIV/AIDS has estimated that 20 to 23 billion United States dollars per annum is needed by 2010 to support rapidly scaled- up AIDS responses in low- and middle-income countries, and therefore commit ourselves to taking measures to ensure that new and additional resources are made available from donor countries and also from national budgets and other national sources;”

310 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Concernant les traitements il était prévu de rendre accessible à tous les traitements contre le VIH/Sida433. En 2007 l’accès aux ARV est passé de 2,1 millions à 3 millions, principalement grâce au Fonds Mondial, mais cela ne représentait encore que 30% des besoins réels estimés (9,7 millions). En 2008 l’OMS reconnaissait que « la plupart des pays n’atteindront pas l’Accès Universel en 2010 »434. En février 2009, l’ONUSIDA, considérant qu’il serait difficile de pouvoir atteindre les objectifs de 2010 si les actions et les financements étaient maintenus en l’état 435, lança un appel international à contribution436. Il a été estimé que, de façon globale, 25 milliards [18,9-30,5] 437 seront nécessaires, soit le double de ce qui a été déjà mis à disposition pour cette initiative (13,7 milliards). 11,6 milliards seront destinés à la prévention et 7 milliards aux traitements. D’après l’ONUSIDA cette somme permettra d’éviter 2,6 millions de nouvelles infections et 1,3 millions de morts entre 2009 et 2010. Elle permettra aussi d’avoir 6,7 millions de personnes sous ARV en 2010 et de donner un traitement préventif de la transmission mère-enfant à 70 millions de femmes enceintes. 11,3 milliards doivent donc être trouvés...

Dans le même ordre d’idée une étude de 2006 438 réalisée par une équipe internationale a estimé qu’une mobilisation mondiale forte avec une focalisation sur la prévention de la transmission sexuelle et par les drogues injectables, et un investissement de 122 milliards de dollars US entre 2005 et 2015, pourrait prévenir 28 millions de nouvelles infections 439. Ce montant rejoint celui estimé par la déclaration de 2006 mais nous sommes loin de disposer de cette somme.

433 En réalité il s’agit d’atteindre 80% des personnes qui en ont besoin, en moyenne. Les objectifs de couverture varient de 15% à 100% parmi les 83 pays en développement qui ont prévu d’étendre leur accès aux ARV. Ces 80% pourraient représenter 6,7 millions de personnes, cela ne représente donc pas l’ensemble des besoins mondiaux. 434 WHO. Towards Universal Access : scaling up priority HIV/AIDS interventions in the health sector : progress report 2008 [Consulté le 28/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.who.int/hiv/pub/towards_universal_access_report_2008.pdf 435 Lors de la déclaration politique de 2006 il était déjà clairement mentionné que 20 à 23 milliards seraient nécessaires tous les ans, mais les engagements pris n’ont pas été tenus. 436 UNAIDS. What countries need. Investments needed for 2010 targets. Février 2009 [Consulté le 15/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.unaids.org 437 On notera l’imprécision importante de l’estimation. 438 STOVER J, BERTOZZI S, GUTIERREZ J-P, WALKER N, STANECKI K A, GREENER R et al. The Global Impact of Scaling Up HIV/AIDS Prevention Programs in Low and middle Income Countries. Science 2006 ; 311 (5766) : 1474-1476. 439 Il a même été estimé que chaque nouvelle infection évitée couterait 3900$ mais qu’elle permettrait une économie de 4700$ au long terme en traitements et soins.

311 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

De ces deux exemples nous retiendrons que : - Les objectifs qui touchent au développement humain sont particulièrement difficiles à être atteints et ils ne s’attaquent pas assez directement aux origines de la pauvreté. - A l’heure actuelle il y a peu de chances que les objectifs 2010 et 2015 soient remplis en raison du retard pris par de nombreux pays. - Il est nécessaire d’augmenter les financements de façon « importante » pour espérer rattraper les retards. Beaucoup de promesses n’ont jamais été tenues, est-ce-que les prochaines le seront ?

Cela ne veut pas pour autant dire qu’il ne faut pas avoir d’objectifs, bien au contraire ; une coordination internationale convergeant vers des destinations concrètes et adaptées aux pays est un moyen de provoquer des réactions et actions, même si, sans surprise, ces dernières ne sont pas aussi importantes qu’on aurait pu l’espérer.

312 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 110 : Répartition dans le temps des évènements, des initiatives et des financements Sources : ONUSIDA, OMS, Fonds Mondial, Banque Mondiale

313 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

IV.B.3. L’état des finances internationales

Nous parlions précédemment d’un contexte mondial peu favorable. Il nous parait indispensable de rappeler certains faits marquants qui contribuent à cette situation : la crise financière internationale et le coût des conflits armés. Ces faits ne sont ni des excuses ni des explications mais ils illustrent de quelle façon les ressources du monde actuel sont malheureusement absorbées par des enjeux qui n’ont rien à voir avec la santé de sa population.

La crise internationale

A la suite de trop faibles taux d’intérêts pratiqués par la banque fédérale américaine à partir de 2003, de nombreux investisseurs pratiquèrent de façon massive le prêt à risque auprès de personnes insolvables. Suite à la hausse du taux directeur de 1% à 5,25% entre 2004 et 2006 l’affaire de ces « subprimes » américaines explosa car les emprunteurs ne pouvaient plus rembourser les prêts immobiliers. La crise devint mondiale en été 2007 et des banques font faillite. 500 milliards de dollars furent ainsi perdus. Le plan de sauvetage coûta au monde plus de 2000 milliards. Les banques manquèrent de liquidités et les crédits devinrent rares et chers. Le 14 septembre 2008 plusieurs banques américaines entrèrent en cessation de paiement. Les conséquences deviennent immédiatement mondiales touchant aussi bien les banques que les marchés boursiers et le marché des devises. Le nouveau plan de sauvetage est encore plus cher : 800 milliards rien que pour les Etats-Unis, plus de 2 000 milliards pour le reste du monde, et ce n’est probablement pas terminé. En janvier 2009 le Fond Monétaire International a annoncé que la croissance mondiale allait chuter de 5,2% en 2007 à 0,5% en 2009. De nombreux pays sont entrés en récession. Par un « effet de dominos » dont les conséquences sont encore à venir, les pays en développement sont eux aussi victimes du ralentissement mondial suite à la diminution des exportations, des aides internationales, des prêts et du prix des matières premières. La fluctuation des taux de change aggrave la situation pour ceux qui ont emprunté en monnaie étrangère. Ces pays, endettés, voyant leurs ressources financières diminuer, auront moins les capacités à maintenir leurs activités sociales et leurs dépenses pour la lutte contre le VIH (52% des dépenses sont internes aux pays)440 et contre la pauvreté. Au niveau des individus la première conséquence est le chômage puis l’appauvrissement des familles. 46 millions de personnes pourraient ainsi rejoindre les 150 millions qui sont passés sous le seuil de pauvreté en 2008 en raison de l’augmentation des prix de la

440 UNAIDS. What countries need. Investments needed for 2010 targets. Février 2009 [Consulté le 15/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.unaids.org

314 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 nourriture et du carburant. Sur les 107 pays en développement, 40% seront particulièrement touchés par la crise. Dans le graphique ci-dessous (figure 111) nous voyons que les pays associant une décroissance économique (decelerating growth) avec un taux de pauvreté (high poverty) préexistant élevé seront particulièrement exposés à une aggravation de leur situation (high exposure). Le Cambodge fait partie de ces pays.

Figure 111 : Pays exposés à une augmentation de leur pauvreté suite à la crise financière mondiale Source : Banque Mondiale. The Global Economic Crisis: Assessing Vulnerability with a Poverty Lens. 2009441

Les aides bilatérales sont aussi affectées par l’impact économique de la crise sur les pays développés, ces derniers souhaitant diminuer l’envoi de leurs capitaux à l’étranger. Le Fonds Mondial a aussi été touché car de nombreux pays ont eu de la peine à payer leur contribution et il a dû prendre de nouvelles mesures pour faire des économies (couper de 10% les budgets non encore signés, se donner la possibilité de récupérer l’argent non dépensé en temps et en heure…). Il est probable que ce phénomène va s’étendre à d’autres institutions. Si la crise persiste les Objectifs de Développement du Millénaire ne pourront pas être atteints.

441 World Bank. The Global Economic Crisis: Assessing Vulnerability with a Poverty Lens. Policy note 2009 [Consulté le 19/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http ://web.worldbank.org

315 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les guerres

Et l’argent investi dans les guerres ? En face des montants qui y sont investis, la santé est un parent pauvre. La guerre fait recette, elle a plus de succès, elle est plus rentable … mais pour qui ? Que sont quelques milliards de dollars dont le Fonds Mondial a besoin devant les 30 milliards mensuels nécessaires pour maintenir une armée en Iraq. N’y a-t-il pas une trop grande disproportion ? Au-delà de la dimension politique, il est révoltant de constater cette dilapidation. Les coulisses des économies sont des zones secrètes et réservées à des privilégiés. Sans entrer dans une discussion sur la justification de la guerre, n’est-il pas incroyable que les Etats-Unis, endettés (50 000 milliards), ne souhaitant pas donner au Fonds Mondial, ne souhaitant pas réformer son industrie, se jette dans de nombreuses actions belliqueuses et dispendieuses. La somme d’argent qu’elle a investi dans la seule guerre d’Iraq aurait permis de financer le Fonds Mondial pendant 50 ans. Au début de cette guerre, il était prévu par l’administration américaine que 50 milliards de dollars seraient nécessaires pour « restaurer l’ordre et installer un nouveau gouvernement ». En mars 2008, après 5 années, il était estimé par le Congrès que 1000 à 2000 milliards avaient déjà été dépensés442. On notera que l’imprécision de la somme est incroyable. En 2004 le budget annuel des armées dans le monde était d’environ 1 100 milliards de dollars dont 623 milliards pour les Etats-Unis443. En 2008 le budget de ces derniers a augmenté à 700 milliards, représentant 65% du budget discrétionnaire444. Ce montant représente 120 fois ce qui est dépensé pour lutter contre le réchauffement planétaire. De plus, cette dépense, non seulement ampute les programmes nationaux américains de lutte contre la pauvreté mais aussi les aides étrangères. De nombreux programmes humanitaires dépendant directement de cette source de financement ont déjà dû s’arrêter ou de réduire leurs activités.

Le double langage des pays riches

A côté des efforts de certains pour aider le tiers monde à sortir de sa pauvreté et de son endettement, en marge des paroles caritatives et humanitaires, il y a la réalité commerciale et mercantile des autres.

442 HERSZENHORN D. Estimates of Iraq war cost were not close to Ballpark. NewYork Times 19 March 2008 [Consulté le 15/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.nytimes.com/2008/03/19/washington/19cost.html 443 World Wide Military Expenditure [Consulté le 15/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.globalsecurity.org/military/world/spending.htm 444 U.S. Military Budget 2008 [Consulté le 15/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://useconomy.about.com/od/fiscalpolicy/p/2008_defense.htm

316 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

C’est donc sans état d’âme que certaines sociétés, principalement américaines, rachètent les dettes de pays en développement à un prix très réduit, puis se rapprochent des débiteurs pour leur proposer de meilleures conditions de remboursements, faute de quoi elles leurs intentent un procès, qui en général a lieu en Occident, afin de récupérer la dette entière, au prix fort, avec des intérêts (qui peut atteindre 10 fois le prix d’achat initial). C’est ce qu’on appelle des « fonds-vautours ». Les pays pauvres se retrouvent alors dans une situation pire qu’auparavant445. Dans un autre registre mais avec des effets similaires, les Etats-Unis et l’Europe subventionnent massivement leurs propres produits agricoles (plus de 350 milliards de dollars par an), limitant les possibilités d’exportation des pays pauvres, affaiblissant encore plus leurs économies et aggravant les conditions des vies de millions d’agriculteurs. Les Etats-Unis ont même fait voter, lors d’une réunion de l’OMC, une « clause de paix » qui leur permet d’avoir une immunité juridique en cas de subvention abusive, empêchant ainsi tout pays lésé d’avoir un recours légal446,447.

Dans ces circonstances, nous pouvons nous demander si tout cela a un sens. D’un côté le Fonds Mondial et les Nations-unies mendient quelques milliards pour tenter de changer l’état désastreux de la condition humaine dans le monde, et de l’autre côté les mêmes pays qui donnent les « quelques pièces » demandées, investissent lourdement dans des opérations qui s’opposent directement aux efforts entrepris…

IV.B.4. Quelques bémols de plus

De façon générale l’aide au développement rencontre toujours de nombreux obstacles dès qu’il faut la mettre en pratique. Elle est tributaire de l’état des finances nationales et internationales, de la volonté politique des pays et de la pertinence des projets. Nous pouvons parfois constater, avec effroi mais sans surprise, que les effets constatés de ces aides ne sont pas toujours ceux qui étaient escomptés :

445 MEIRION Jones. Broadcast 14/02/07 BBC – Newsnight. Vulture fund threat to third world. How Corporations Continue to Rape The Worlds Poor [Consulté le 17/03/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.informationclearinghouse.info/article17070.htm 446 Oxfam International. Signing Away The Future. How trade and investment agreements between rich and poor countries undermine development. March 2007 [Consulté le 17/03/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.oxfam.org/en/policy/bp101_regional_trade_agreements_0703 447 Oxfam International. US seeks “get-out clause” for illegal farm payments. 29 June 2006 [Consulté le 17/03/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.oxfam.org/en/news/pressreleases2006/pr060629_wto_geneva

317 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les aides ne touchent pas suffisamment les bonnes populations :

Nous avons régulièrement remarqué que les actions sanitaires destinées aux pauvres étaient dépendantes d’une « chaine commerciale » : des individus, des fondations, des mécènes, des entreprises et des gouvernements donnent de l’argent pour financer des actions en vertu d’une certaine morale, ensuite des agences, des organisations et des gouvernements se proposent d’utiliser cet argent pour le transformer en services, et enfin les compagnies privées fournissent le matériel nécessaire pour concrétiser ces actions (médicaments, consommables, équipement). Au bout de cette chaine, lorsque tous ceux que nous venons de citer ont pris leur dîme, que reste-t-il au bénéficiaire pour vivre ? Pourtant, en 2005 un rapport de la Banque Mondiale mettait en garde la communauté internationale et les pays en développement au regard « des intentions affichées par les programmes visant à aider les pauvres et les résultats effectivement recensés », car ces programmes profitaient le plus souvent aux groupes de personnes plus aisées448. La raison vient souvent du fait que les projets qui ont été définis sont trop médicalisés et trop orientés sur les régions urbaines, ils ne couvrent pas assez les zones géographiques pauvres et ils s’appuient trop sur un réseau institutionnel sans aller au devant des bénéficiaires. Autrement dit, par facilité, les financements sont orientés vers des zones où il existe déjà des infrastructures plutôt que vers le développement de nouvelles activités plus difficiles à mettre en œuvre.

Les aides produisent des effets inverses

Une étude a examiné de quelle façon les prêts accordés à 21 pays d’Europe de l’Est par le Fond Monétaire International y avaient influencé l’endémie de tuberculose. Il a été retrouvé que pour chaque année où un pays bénéficiait de ce prêt, le taux de mortalité due à la tuberculose augmentait de 4,1%, alors que dans les pays qui n’y avaient pas eu accès, elle reculait de 7,6%. Le constat état analogue pour l’incidence et la prévalence. Ceci était dû à ce que les gouvernements qui empruntaient réduisaient leurs dépenses générales, y compris celles destinées aux programmes de santé prenant en charge la tuberculose449.

Les exemples comme ceux-ci sont nombreux.

448 HAY P, JACKSON S. Good intentions are not enough: too few health programs reach poor people. World Bank report 7 December 2005 [Consulté le 14/12/2005]. Disponible à partir de l’URL: www.web.worldbank.org 449 STUCKLER D, BASU S, KING L. International Monetary Fund programs and tuberculosis outcomes in post- communist countries. Public Library of Science Medicine 2008; 5(7): e143 [Consulté le 01/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://people.pwf.cam.ac.uk/ds450/details/plme-05-07-stuckler

318 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

La santé est toujours le secteur qui est amputé en priorité lorsqu’un pays doit faire des économies pour rembourser sa dette. Les dettes de longues durées des pays en développement se montaient à 2150 milliards en 2005 (1100 milliards en 1990) alors que le montant de l’aide donnée aux mêmes pays durant l’année 2007 était de 105 milliards450. Alors que les dettes augmentent et que les aides n’en représentent que 5%, on imagine que ces dettes puissent peser sur les économies. Il faudra trouver une méthode particulièrement efficace pour que les aides contre balance l’effet des prêts.

A qui et comment profite le prêt ? Si des programmes ont pour but l'élimination de la pauvreté, nous sommes bien forcés d'admettre cette conclusion paradoxale que l'une des causes de la pauvreté réside parfois dans ses efforts pour la réduire. Il est donc nécessaire que chaque intervention soit non seulement harmonisée avec les autres actions en cours au niveau de chaque pays (afin de renforcer son efficacité sans perturber celle des autres), mais aussi qu’elle soit correctement accompagnée, avec une vision d’ensemble, afin de s’assurer que le postulat de départ (cette aide est destinée aux pauvres et elle va les atteindre) se vérifie réellement. Bien sûr cela exige un soupçon d’honnêteté intellectuelle avec une pincée d’ouverture d’esprit.

IV.C. Le Cambodge

Le Cambodge, malgré une bonne croissance économique ces dernières années, reste un pays fortement subventionné (40%) qui dépend étroitement de l’état de santé de l’économie mondiale. 2009 sera donc une année difficile, alors que déjà les sociétés ferment, le chômage s’étend, la violence progresse, les dettes s’amoncèlent, les inégalités reviennent et les progrès pourraient reculer.

Dans ce contexte les prévisions sont bien difficiles à faire, mais nous essayerons tout de même de dégager des tendances. Nous allons décrire la population du futur, parler des stratégies, prophétiser sur l’épidémie du VIH et bien sûr apporter les bémols nécessaires à la modération et à la pondération.

450 World Bank. Data and Statistics. Data by topic [Consulté le 04/05/2009]. Disponible à partir de l’URL:http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/DATASTATISTICS/0,,contentMDK:20415471~menuPK:119 2714~pagePK:64133150~piPK:64133175~theSitePK:239419,00.html.

319 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

IV.C.1. La population

En 2008, lors du dernier recensement, la population était de 13 554 628 (dont 6 620 849 hommes, soit 48,85%). Il est attendu que la population passera au dessus des 15 millions après 2010. Cependant il a été estimé que la population pourrait être plus basse que prévu et que l’espérance de vie pourrait être diminuée de quelques années d’ici 2015 en raison de l’épidémie du Sida. Cela dépendra de l’évolution de la prévalence et de la disponibilité des traitements.

Figure 112 : Evolution de la population cambodgienne de 1962 à 2008. Source : recensement 2008

Figure 113 : Estimations et Projections de l’espérance de vie au Cambodge, 1998-2011 Source: National Institute of Statistics of Cambodia

320 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

IV.C.2. Les stratégies

Le Cambodge a développé des stratégies nationales depuis le début de l’épidémie. La dernière en date concerne la période 2006-2010. Les 3 objectifs principaux sont : réduire le nombre de nouvelles infections, fournir des soins et du soutien aux personnes vivant avec ou étant affectées par le VIH, soulager l’impact humain et socioéconomique de l’épidémie451. Après le sommet du millénaire de 2000, le Cambodge définit en 2003 ses propres cibles pour les ODM en y ajoutant même un neuvième objectif : le déminage. La Rectangular Strategy de 2004 puis surtout le National Strategic Developpement Plan (NSDP) de 2006-2010 (combinant l’ancien Socio-Economic Development Plan et le National Poverty Reduction Strategy) qui prévoit des réformes par secteur pour une période de 5 ans, incorpore pour la première fois les indicateurs des ODM.

Nous allons ici donner quelques extraits des premiers ODM cambodgiens :

. Objectif 1: Réduction de l'extrême pauvreté et de la faim - Diminuer la proportion de personnes qui vivent sous le seuil national de pauvreté de 39% en 1993 (seuil de 1$) à 19,5% en 2015. - Diminuer la proportion de personnes qui vivent sous le seuil national de pauvreté alimentaire de 20% en 1993 à 10% en 2015.

. Objectif 6: Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d'autres maladies - Diminuer la prévalence du VIH parmi les adultes âgés de 15 à 49 ans, de 2,6% en 2002 à 2,3% en 2005, 2% en 2010, 1,8% en 2015 : - Diminuer la prévalence du VIH parmi les femmes enceintes âgées de 15 à 24 ans, de 2,7% en 2002 à 1,5% en 2015. - Augmenter le pourcentage de femmes enceintes séropositives recevant un traitement prophylactique par ARV afin de réduire la transmission mère-enfant du VIH, de 2,7% à 50%. - Augmenter le pourcentage de personnes vivant avec le Sida recevant une combinaison d’ARV, de 3% à 85%.

451 NAA. National Strategic Plan for a Comprehensive and Multisectoral Response to HIV/AIDS 2006-2010.

321 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

En 2005, malgré le manque d’argent (le NSDP nécessite un budget global de 3 500 millions de dollars US) 24 des 89 cibles étaient en bonne voie d’être atteintes, en particulier celles concernant le VIH, la vaccination, l’accès à l’eau propre, ce qui n’était pas le cas de la lutte contre la pauvreté en particulier dans les régions rurales, de l’éducation, de la violence domestique, de la santé maternelle, de la protection de l’environnement et du déminage452. Cependant, comme nous le verrons un peu plus loin, les bons résultats de la lutte contre le VIH mérite d’être pondérés par les circonstances qui ont entouré le calcul des cibles.

IV.C.3. L’épidémie du VIH

 LES ESTIMATIONS ET LES PREVISIONS OFFICIELLES

Les résultats du Cambodian Demographic Health Survey (CDHS) de 2005, qui incluait une évaluation du statut VIH au niveau des familles, a été rendu public en avril 2007 par le National Institute of Statistics. La séroprévalence pour le VIH au niveau national pour les 15-49 ans était estimée à 0,6%. Ce résultat était nettement différent de celui retrouvé par le NCHADS en 2003 à travers le HSS. En effet, ce dernier avait estimé la prévalence nationale (1,9%) à partir d’une extrapolation du taux de séropositivité retrouvé parmi les femmes enceintes (2,2%). Un autre HSS a été réalisé en 2006, constatant une chute de cette prévalence parmi les femmes enceintes (0,9%). Une conférence de consensus a donc été organisée pour revoir les données et les méthodologies afin d’aboutir à une estimation raisonnable de la prévalence nationale453.

Il a été convenu que le CDHS 2005 ne contenait pas assez d’informations sur la population à risque (migrants, MSM, prostituées, militaires, policiers, utilisateurs de drogues injectables), entrainant une sous estimation de la prévalence nationale. Cette population devait donc être additionnée avec le taux de séropositivité précédemment retrouvé à travers d’autres évaluations. D’autre part il a aussi été convenu que les HSS réalisés depuis 1996 avaient suffisamment de cohérence dans le temps pour servir de base à l’estimation de la prévalence au sein de la population générale (15-49 ans). Cette estimation étant principalement réalisée en appliquant le facteur 0,75 à la prévalence parmi les femmes enceintes. Des corrections supplémentaires ont ensuite été réalisées

452 How does Cambodia mesure up now ? [Consulté le 07/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.un.org.kh/undp/CMDGs 453 NCHADS, MOH. Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; 25- 29 June 2007.

322 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 au niveau de la répartition urbaine et rurale des résultats ainsi que du sexe ratio. Il en a résulté que la prévalence de 2003 est passée de 1,9% à 1,2% (81 900 personnes âgées de 15 à 49 ans), et que la prévalence de 2006 a été estimée à 0,9% pour les personnes âgées de 15 à 49 ans (65 000) et 0,7% pour les personnes âgées de plus de 15 ans (67 200).

En utilisant l’Asian Epidemic Model (AEM), en 2006 il était estimé qu’il y avait 67 200 personnes (de plus de 15 ans) infectées (35 000 femmes et 32 200 hommes) et qu’il y en aurait 51 200 en 2012 (26 800 femmes et 24 400 hommes) (figure 114). La proportion de femmes séropositives est en augmentation et dépasse même celle des hommes, suite à la généralisation de l’épidémie à toute la population et au grand nombre de décès chez les hommes qui ont été massivement infectés au début de l’épidémie et qui n’ont pas eu accès aux ARV454.

Figure 114 : Estimation du nombre de PVVS au Cambodge de 1990 à 2012 Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007. Les prévisions de la prévalence pour les années futures et basées sur le calcul de 2006, montrent une lente décroissance de 0,9% à 0,6%. Ces estimations prennent en compte une grande accessibilité aux ARV (figure 115).

454 NCHADS. Annual Report, 2007. HIV/AIDS & STI Prevention and Care program

323 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

0.9

Figure 115 : Estimation de la prévalence parmi la population générale de 15 à 49 ans, de 2006 à 2012 avec des ARV disponibles. Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

Une projection similaire a été faite pour la population âgée de plus de 15 ans. La survie induite par la présence d’ARV ralentie la décroissance de la prévalence (figure 116). Utilisant le même modèle il a été estimé le nombre de nouvelles infections qui allaient apparaitre dans les années futures ainsi que le nombre d’adultes qui auraient besoin d’ARV (figures 117, 118).

Figure 116 : projection de la prévalence de 2006 à 2012 parmi la population âgée de plus de 15 ans, en fonction de la disponibilité des ARV Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

324 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 117 : Projection du nombre annuel de nouvelles infections parmi les adultes de 2006 à 2012 Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

Figure 118 : Estimation du nombre de personnes âgées de plus de 15 ans ayant besoins d’ARV, 2006-2012 Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

325 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

De même, une estimation a été faite concernant les décès. Il est prévu qu’ils diminuent, même en l’absence d’ARV, probablement parce que la prévalence est en diminution (figure 119). Enfin, concernant les enfants, les nouvelles infections et la prévalence devrait aussi chuter (figure 120).

Figure 119 : Estimation du nombre de décès dus au Sida parmi la population âgée de plus de 15 ans de avec et sans ARV disponibles, 2006-2012 Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

Figure 120 : Estimation du nombre d’enfants vivants avec le VIH et nouvellement infectés sans ARV disponibles, 2006-2012 Source: Report on Consensus Workshop on HIV Estimates and Projections for Cambodia 2006-2010; NCHADS 2007.

De façon générale la tendance affichée par ces projections est très optimiste. Moins de nouvelles infections, moins de malades, moins de morts. Si les actions de prévention et de traitement sont poursuivies il semble que le Sida deviendra une maladie sous contrôle. Il faut évidemment que les financements extérieurs continuent à affluer et que l’épidémie garde le même profil, sans nouvelle vague épidémique. Enfin, il est important de noter que jusqu’à maintenant aucune analyse de la cohorte nationale n’est disponible. Il semblerait que la base de données ne soit pas réellement exploitable. Ceci est une carence importante dans le programme national car personne ne sait ce qui se cache exactement derrière les chiffres. Où est l’évaluation qualitative des soins qui sont apportés ?

326 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 LA VALEUR DES CHIFFRES

Dans ce chapitre nous voudrions nous interroger sur la valse des chiffres relatifs à la prévalence du VIH au Cambodge qui a eu lieu depuis les 10 dernières années. Il est certain, à la lecture des documents officiels qui sont à l’origine des estimations, que les méthodologies ont légèrement changées au cours du temps, ce qui a induit les variations constatées. Cependant ces variations n’ont pas toujours été minimes comme peuvent l’illustrer les 2 graphiques ci-dessous (figures 121, 122). Par exemple l’enquête nationale de 1999 montrait des chiffres particulièrement alarmants avec un pic de la prévalence à 4,55% en 1997. En 2003 tous les pourcentages ont été revus à la baisse après un réajustement statistique (tenant compte des faux positifs), et la prévalence de 1997 a été ré-estimée à 3% ; enfin, en 2007 un nouveau réajustement rétrospectif a été effectué (réajustement de la répartition rurale/urbaine de la population, correction du ratio homme/femme, utilisation du plus bas taux de séropositivité parmi les femmes enceintes) rabaissant de nouveau les chiffres, la prévalence de 1997 n’étant plus que de 1,9% (- 42% par rapport à l’estimation de 1999). Nous pouvons constater que les erreurs ont sûrement eu pour conséquence d’avoir été alarmistes (ce qui était peut être une bonne chose) mais aussi d’avoir entraîné la création de cibles erronées pour les OMD455. Ainsi les cibles de 2005 (2,3%) 2010 (2%) et 2015 (1,8%) ont été officiellement (et artificiellement) atteintes dès 2003, lors de la révision de la prévalence de 2002 (qui est passée de 2,6% à 2,1%).

455 COUREY-BOULET R. New obstacles threaten to reverse MDG health gains, say experts. Phnom Penh Post 27 February 2009.

327 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 121 : Estimations de la prévalence du VIH au Cambodge à travers les enquêtes nationales successives Sources: NCHADS (HSS1999, HSS2002, HSS2003, HSS2006Consensus Workshop 2007)

Figure 122 : Estimations du nombre de PVVS (15-49 ans) au Cambodge à travers les enquêtes nationales successives Sources: NCHADS (HSS1999, HSS2000, HSS2002, HSS2003, Consensus Workshop 2007)

De la même façon les estimations du nombre de PVVS ont été régulièrement révisées, presque toujours à la baisse. La révision du nombre de PVVS en 2003 lors du consensus de 2007 est

328 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 particulièrement importante et même étonnante. Ainsi, nous sommes passés de 123 100 séropositifs à 81 900 soit une diminution de 41 200 personnes (-33%) ! Cette nouvelle révision de 2007, associée à la nouvelle estimation des besoins en ARV donne un résultat heureux : à la fin 2008 il a été estimé que 58 700 adultes étaient séropositifs et que parmi eux 30 500 avaient besoin d’ARV, or à cette date 32 000 personnes, dont 28 932 adultes, recevaient des ARV. A partir de ce constat il a été déclaré que le Cambodge couvrait les besoins en ARV pour les adultes à hauteur de 92% 456 (≈28932/30500). L’image est belle, à ceci près qu’il semble étonnant que les besoins en ARV représentent 52% (30500/58700) des personnes séropositives au niveau national (les besoins en ARV sont classiquement estimés à 20 - 25% des PVVS 457). Est-ce dû à la combinaison de la diminution des nouvelles contaminations et de la grande mortalité qui a précédé cet accès aux ARV, entrainant une augmentation de la proportion de personnes ayant des CD4 bas ? Ceci pourrait correspondre à notre expérience actuelle alors que nous nous étonnons de recevoir à notre centre toujours autant de nouveaux patients (60 par mois depuis début 2009) dont 80% ont moins de 200 CD4/mm3 et que beaucoup ont du être hospitalisés. Bien que la couverture en ARV semble dépasser les 90% des besoins estimés, nous continuons à recevoir des personnes se trouvant à un stade clinique critique. Nous avions plutôt planifié une décroissance de ces besoins en anticipant l’arrivée d’une population séropositive avec des CD4 élevés devant les résultats encourageants des programmes d’information, de prévention et de traitement. Cela nous amène à poser de nouvelles questions : n’existe-t-il toujours pas une partie de la population séropositive qui se trouve à l’écart d’un système de soins qui devrait pourtant couvrir tous les besoins ? Sont-ce des problèmes d’information ou de discrimination qui gênent les malades dans leur quête de soins ? Y a t-il une sous-estimation des besoins ? Il est vraisemblable que de nombreux séropositifs vivent dans des zones trop reculées ou dans des conditions de pauvreté trop extrêmes pour avoir eu connaissance des méthodes de prévention, des centres de dépistage ou de soins existants. D’autres attendent le dernier moment, lorsque leur état ne leur permet plus de travailler.

456 Drug Access – Cambodia reports Increase in Antiretroviral Treatment Access. 28/01/09. [Consulté le 28/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.theglobalfund.org/programs/newssummary 457 Expert Meeting. Declaration for a framework for action: improving access to HIV/AIDS care in developing countries. 1st December 2001, Paris [Consulté le 12/12/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.healthgap.org/press_releases/01/120101_PARIS_DECL_FOND.html

329 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Enfin, le nombre prévu de nouvelles infections semble aussi un peu étonnant. Ainsi, si nous reprenons le nombre de tests réalisés au niveau national en 2008 (287 943), le nombre de tests positifs était de 10 619, ce qui était 10 fois la valeur estimée par l’AEM (tableau 20). Les personnes testées viennent d’elles-mêmes ou sont adressés par des maternités, par des centres antituberculeux, par des cliniques IST, par des Home Based Care, par des services de médecine générale. Même s’il est concevable que certaines personnes particulièrement à risque (ce que semble indiquer le taux de prévalence à 3,69%), se sont faites testées (positives) plusieurs fois dans l’année, la différence entre les prévisions et la réalité pose un problème.

Nombre d’adultes Taux de Nombre d’adultes Nombre de nouvelles infections Année testés séropositivité moyen séropositifs estimées par l'AEM 2008 287 943 3,69 % 10 619 900

Tableau 20 : Comparaison du nombre de personnes retrouvées séropositives au sein des VCCT en 2008 et l’estimation du nombre de nouvelles infections par l’Asian Epidemic Model Source : NCHADS Rapport annuel 2008, NCHADS Consensus 2007

Il est possible que cette différence vienne de la méthode de calcul utilisée par l’AEM qui se base notamment, pour ses projections, sur les comportements sexuels, la prévalence estimée des groupes à risque et sur le taux d’utilisation du préservatif. Mais si ces données n’évoluaient pas aussi favorablement que prévu ? De plus, comme nous le verrons plus loin, l’expansion de la drogue injectable et le semi échec du programme 100% condom pourrait bien changer les prévisions. Les estimations ne sont que des approximations basées sur des groupes réduits de la population qui ne sont pas forcément représentatifs et les extrapolations ont leurs limites. Il est impossible de savoir dans quelle mesure ces chiffres sont réalistes. Par exemple la prévalence parmi les femmes de la population générale est issue du taux ajusté de la séropositivité parmi les femmes enceintes auquel a été appliqué un facteur correctif (0,75) ; mais il est bien connu que le nombre de femmes qui accouchent dans des structures médicalisées est bas (<25%) et ne touche principalement que la population urbaine. Un autre ajustement est donc nécessaire. Ensuite, le calcul du sexe ratio de la population séropositive est effectué grâce aux données récupérées dans les centres antituberculeux, et a été appliqué à la population féminine pour déterminer la prévalence de la population masculine… beaucoup d’étapes et de suppositions, beaucoup de sources potentielles d’erreurs en cascade. A l’arrivée, une variation de seulement 0,1% parmi une population de 7 millions de personnes (15-49 ans) représente une modification de 7 000 personnes dans les estimations, soit 10% du nombre de PVVS estimé…

330 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Nous ne contestons pas la qualité des personnes et des institutions à l’origine de ces modifications itératives, mais nous souhaitons de nouveau attirer l’attention sur le danger que les chiffres représentent lorsqu’ils sont utilisés pour valider des financements, pour justifier des actions, pour congratuler des acteurs à la vue des résultats alors que, finalement, nous nous apercevons que la situation avait été mal appréciée, et que tout doit être révisé. Ceci se passe sans le moindre émoi, étant affiché sous le signe du succès plutôt que de l’erreur, permettant au Gouvernement de se sortir, avec les honneurs, d’une situation qui aurait pu être embarrassante. Ce fait n’est pas limité au Cambodge et certaines personnes, dont l’ancien directeur de l’OMS, ont déjà dénoncé cette manipulation des chiffres à des niveaux bien plus larges. Nous lui donnerons la parole un peu plus loin.

 LE BILAN EST TOUT DE MEME POSITIF

Malgré les ondulations chiffrées, malgré les errances et les écueils, malgré des problèmes de communication et d’harmonisation, malgré les finances souvent insuffisantes, le Cambodge a montré une grande volonté d’action contre l’épidémie. Cela est d’autant plus remarquable que le Sida n’était pas le seul mal à combattre après la reconstruction. Le schéma suivant (figure 123) le montre clairement : le Cambodge faisait déjà partie des pays moteurs dès 1996, prenant exemple sur la Thaïlande et désirant faire des progrès. En 10 ans il est resté dans le peloton de tête, progressant plus vite que l’Inde et les Philippines.

Cette évaluation a été effectuée par une commission qui a réalisé une moyenne des avancées en tenant compte des politiques, des stratégies, des programmes et des réalisations. La phase de peur représente la période de lutte avec des lois et des mesures répressives. La phase ad hoc est la période de début des interventions, mais elles ne sont pas évaluées ni correctement suivies. La phase informée montre que la réponse est consistante et correctement surveillée, bien qu’il reste des problèmes de couvertures. La phase de maturité indique que le gouvernement a réuni les moyens humains, financiers et institutionnels pour apporter une réponse plus globale et pérenne.

331 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 123 : Evolution du degré de réponse nationale dans 14 pays d’Asie entre 1996 et 2006 Source: UNAIDS. Redefining AIDS in Asia. 2008.

Dans le graphique suivant (figure 124) nous avons représenté une synthèse de la chronologie des évènements liés à la lutte contre le Sida qui compare les dates de début des programmes internationaux et des programmes cambodgiens. Bien entendu ces dates ne sont en général que le début d’une prise de conscience à travers des projets pilotes ou des résultats de recherche, et le développement des activités qui y sont liées s’est ensuite étalé sur les années qui ont suivi. L’épidémie cambodgienne est arrivée tardivement (1991 contre 1981 aux Etats-Unis et 1984 en Thaïlande) et cela a permis, dès que le contexte national a été favorable, de « profiter » de l’expérience internationale, avec un décalage de 3 à 8 ans. Alors que la majorité des initiatives cambodgiennes ont démarré entre 1995 et 2000, l’épidémie a inversé son cours en 1998. Le lien de cause à effet n’est pas entièrement direct car à cette époque les financements étaient encore trop limités pour permettre des actions d’envergure, mais il est très probable que l’information qui a alors été générée autour du VIH/Sida a modifié des paramètres de l’épidémie.

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En relief sont symbolisés les programmes effectués au Cambodge

Figure 124 : Chronologie de mise en place des programmes de prévention et de traitement, au niveau international et cambodgien, 1981-2009 Du monde au Cambodge : concernant le dépistage, il y a eu le premier test commercialisé en 1985 puis en 1995 a été installé le premier CDAG au Cambodge. Le programme 100% condom a été débuté en 1989 en Thaïlande et en 1998 au Cambodge. Alors que la PTME été reconnue efficace en 1994, le premier programme de PTME cambodgien a débuté en 2000. L’étude Tanzanienne montrant la réduction de la transmission par le traitement des IST en 1994, a permis une mise en pratique similaire au Cambodge en 1997. Les programmes HBC avait déjà montré des bénéfices pour les patients dans plusieurs pays dès 1994, entrainant un premier programme pilote en 1998 au Cambodge. Enfin, alors que la trithérapie (HAART) était disponible dans les pays développés à partir de 1995, elle n’est arrivée au Cambodge qu’à partir de 2000 via les ONG, avec une large extension de leur accès grâce à l’intervention du gouvernement dès 2003.

 ET PLUS TARD ?

Alors que la majeure partie de la manne financière pour le VIH vient du Fonds Mondial, il est impératif d’en assurer la continuation. Le round 7 ne permettra de financer les traitements que jusqu’à la mi-2011. Mi 2009 le Cambodge a déposé un nouveau projet de 100 millions de dollars pour le Round 9 du Fonds Mondial afin de prendre la relève. L’enjeu est de taille car s’il était refusé (comme cela fut le cas pour le round 8) des dizaines de milliers de patients séropositifs se retrouveraient sans soins ou presque. Cependant il est très certain que celui-ci sera accepté. Il est un fait que la présence de ce fond au Cambodge a eu pour effet de « décourager » certains autres bailleurs à s’investir dans le traitement des mêmes pathologies. Nous avons parfois entendu certaines personnes dire que les gouvernements qui donnaient déjà au Fonds Mondial ne

333 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir voulaient pas payer 2 fois. Ce n’est pas tout à fait vrai mais nous avons tout de même constaté que les appels à projets évitent soigneusement de se cumuler au Fonds Mondial, à tel point que « tous les œufs risquent de se retrouver dans le même panier ». On pourrait reprocher à ces bailleurs, comme cela a été le cas pour les opérateurs, de ne pas communiquer entre eux, lançant régulièrement de nouvelles initiatives, de nouvelles modes sans assez de concertation. La situation est particulièrement flagrante pour la malaria qui fait face à d’autres contraintes, dont celle de la résistance aux traitements. Nous avons souvent entendu se plaindre les opérateurs qui doivent changer régulièrement de protocoles et de stratégies au gré des différents bailleurs.

IV.C.4. Quelques bémols de plus

 L’ARRIVEE DE LA DROGUE INJECTABLE

La drogue utilisée par voie injectable est connue pour avoir démarré et stimulé nombre d’épidémies dans les pays environnants. Alors que le Cambodge a longtemps été protégé de ce fléau celui-ci vient d’y faire son entrée. La dernière étude du NCHADS réalisée auprès de 528 drogués en 2007 et rendue publique en novembre 2008, faisait état d’une prévalence de 24,4% parmi les utilisateurs de drogues injectables (UDI) contre 1,1% pour les utilisateurs de drogues non injectables. Il était aussi noté concernant les UDI qu’ils préfèrent l’héroïne, que leur moyenne d’âge était de 23 ans, que 68% d’entre eux vivaient dans la rue, que la grande majorité réutilisaient la même seringue et aiguilles sans les avoir correctement stérilisé, que deux tiers n’utilisaient pas de préservatifs avec leur partenaire régulier et un tiers avec les prostituées, que 23% ne savaient pas que l’utilisation de seringues et aiguilles déjà utilisées pouvaient transmettre le VIH, et que 50% seulement avait déjà passé un test de dépistage458. Un programme d’échange de seringues a débuté en 2004 avec un certain succès et un programme de distribution de drogues de substitution devrait commencer en 2009. Le risque à l’avenir est de voir les utilisateurs de psychotropes (méthamphétamines cristallisées) se mettre à utiliser des drogues injectables et de donner une nouvelle bouffée à l’épidémie à travers les échanges de seringues mais aussi l’activité sexuelle non protégée.

458 NCHADS. HIV Prevalence among Drug Users 2007 in Cambodia. 14 novembre 2008. [Consulté le 26/11/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.nchads.org

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 CE QUI FONCTIONNAIT BIEN, NE FONCTIONNE PLUS AUSSI BIEN

Un récent article a réévalué le programme 100% condom qui a donné tant d’espoir : il semblerait que cette stratégie n’a pas amélioré le taux d’IST parmi les prostituées du Cambodge. En effet, le taux est resté constant entre 2001 et 2005 malgré l’extension du programme. Cette situation d’échec pourrait être expliquée par le fait que 50% des prostituées ne travaillent pas dans des bordels et ne sont donc pas couvertes par le programmes, que si l’utilisation systématique du préservatif avec les clients atteint les 80%, elle ne serait que de 25% avec les petits amis, que les nouvelles prostituées issues du taux rapide de rotation sont moins informées et plus à risque et enfin que la qualité des soins apportés dans les cliniques IST est questionnable. Les auteurs recommandent une réévaluation du programme surtout en termes de couverture et de qualité459. L’Autorité Nationale contre le Sida quant à elle explique cette situation par l’intervention trop musclée et désordonnée des forces de police qui appliquent une loi récente contre le trafic humain, obligeant les prostituées à se déplacer trop fréquemment, échappant aux programmes de soins et de prévention460. Ainsi, après quelques années, cette stratégie si prometteuse n’aura pas résisté aux assauts de la réalité quotidienne.

 CE QUI NE FONCTIONNAIT PAS, NE FONCTIONNE TOUJOURS PAS

Alors que les programmes de lutte contre la tuberculose, le paludisme et le Sida bénéficient d’une attention particulière et de financements conséquents, d’autres causes de mortalité et de morbidité restent trop présentes. Certains se sont d’ailleurs demandés si cette masse d’argent collectée pour ces trois maladies, n’allait pas diminuer le potentiel de financement pour des secteurs de la santé essentiels qui n’avaient pas encore suffisamment progressés, comme par exemple la santé reproductive. Difficile à dire. Il est vrai que malgré de nombreuses années d’efforts de la part du gouvernement et de ses partenaires la mortalité maternelle est toujours l’une des plus élevée d’Asie (437 pour 100 000 naissances vivantes en 2000, 472-540 en 2005, 956 en 2006 dans certaines provinces)461,462,463,464. Est-ce dû à un échec des programmes ? A moitié. En réalité il y a

459 SOPHEAB H, MORINEAU G, NEAL JJ, SAPHONN V, FYLKESNES K. Sustained high prevalence of sexually transmitted infections among female sex workers in Cambodia: high turnover seriously challenges the 100% condom use programme. BMC Infectious Diseases 2008 ; 8 : 167. 460 AFP. Cambodia faces new HIV threat as 'condom campaign at risk'. PHNOM PENH Sep 10, 2008 [Consulté le 03/01/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://afp.google.com/article/ALeqM5hHMqQVoMzQRk84kIcdIH8dlx4jZw 461 UNFPA. Mortalité maternelle : mise à jour 2006. [Consulté le 14/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.unfpa.org

335 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir un grand manque de sages-femmes, le privé est très présent dans ce secteur et les services publiques ne fonctionnement pas correctement. Ces derniers sont délaissés par 78%465 des femmes enceintes qui préfèrent, pour des raisons de transport et d’argent, accoucher à domicile, dans des conditions d’hygiène précaires, sans surveillance spécialisée. Il est vrai qu’elles n’ont pas souvent les moyens de rester hospitalisées en attendant la date de la délivrance et que l’état des routes ne leur permet pas de faire 10 ou 20 kilomètres dès les premières douleurs. Le programme était écrit, les centres de soins ont été mis à disposition, alors pourquoi cette situation ? Parce que les financements ne sont pas suffisamment présents (par exemple en 2007, alors que 22% du budget de la santé était alloué aux maladies infectieuses, seulement 3,4% était destiné à la santé maternelle et infantile466). Parce que la problématique de l’accès aux soins n’est pas aussi simple. Parce qu’il faudra peut-être mieux faire coïncider les soins avec leur accès. Il faudra aussi peut être revoir l’approche en prenant en compte le facteur pauvreté. De fait, les programmes de prévention de la transmission mère-enfant, n’ont pas encore réussi à atteindre les objectifs fixés. En 2008, seulement 27% des femmes enceintes ont été testées et ont reçu un traitement prophylactique.

 LE CAMBODGE N’EST PAS SI PAUVRE

Bien que l’épidémie s’étende plus volontiers parmi les plus pauvres, nous pouvons aussi noter que la richesse est aussi un facteur de risque et qu’elle joue un rôle dans la transmission. Ce sont par exemple les « sugar daddy » d’Afrique. Avoir de l’argent permet d’utiliser la vulnérabilité des femmes mais aussi de prendre plus de risques. Au Cambodge une étude a montré que ce sont les hommes les plus riches qui fréquentent le plus fréquemment les prostituées (12,7% des plus riches contre 1,3% pour les plus pauvres ont été voir une prostituée dans l’année précédente 467).

462 MOH. Country Report on Caring and promoting Health for Mother and Child toward Healthy Next generation in Cambodia 25 July 2008, Phnom Penh Cambodia. 463 WHO, UNAIDS UNICEF. Epidemiologic Fact Sheet on HIV and AIDS. Cambodia, 2008 update [Consulté le 14/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.who.int/globalatlas/predefinedReports/EFS2008/full/EFS2008_KH.pdf 464 KALAICHANDRAN A, ZAKUS D. The Obsetric Pathology of Poverty: maternal Mortality in Kep province, Cambodia. World Health & population 2007; 9(2). 465 90% en 2000. 466 CDC, MOH. Ministry of health statement. First Cambodia development Cooperation Forum, 19-20 juin 2007 [Consulté le 15/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.cdc-crdb.gov.kh/cdc/first_cdcf/session1/statement_moh.htm 467 UNAIDS. Redefining AIDS in Asia - Crafting an Effective Response - Report of the Commission on AIDS in Asia. 2008.

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D’après le Dr Tea Phalla, Directeur adjoint du NAA, une étude réalisée en 2008 à trouvé que les Cambodgiens dépensaient 100 000 dollars par nuit pour avoir des relations sexuelles, soit environ 20 000 à 30 000 relations sexuelles par nuit468. ! Et si cette somme était utilisée autrement ? Cette information nous montre que le rôle de la pauvreté dans l’épidémie n’est pas aussi simple. Réduire la pauvreté réduira peut-être l’offre mais peut-être pas la demande, mais cela pourrait être le début d’un désamorçage du cercle vicieux. Les hommes, en étant les clients des prostituées, forment un groupe à risque non marginalisé mélangé à la population générale, quel que soit leur degré de richesse matérielle. Ce sont eux qui ont formé le plus gros groupe de PVVS et un changement de leur comportement est indispensable pour espérer modifier la situation.

 LES DROITS DES PVVS

Le respect des droits de l’Homme, en particulier pour les séropositifs, est long à venir. Malgré une charte pour les PVVS écrite en 1999, une loi sur le Sida passée en 2002 et la politique développée par le NCHADS, aucun droit ne leur est accordé au quotidien. L’exemple le plus parlant est celui de « Borei Keila » : il y a deux ans, suite à une opération immobilière juteuse, les habitants de la zone (à Phnom Penh) ont été « relogés » 20 km plus loin, loin de tout. Après de longs processus administratifs, certains habitants ont réussi à revenir dans les nouveaux appartements mais cela a été impossible pour les 32 familles qui sont touchées par le VIH, sous prétexte que justement leur maladie ne l’autorisait pas, et ce malgré certains engagements passés en 2007. Cette décision est évidemment contraire à la loi sur le Sida qui stipule qu’aucune discrimination de ce type ne peut être faite. Ces familles sont donc toujours logées dans des baraques minuscules, loin de toute possibilité de travail et de soins. Heureusement les ONG font pression sur les autorités depuis 2 ans et il semblerait que la situation puisse changer. 2 ans de bataille pour 32 familles (et il en existe beaucoup d’autres) alors que le pays a été applaudi pour ses résultats dans la lutte contre le Sida, celle-ci étant supposée prendre en compte, de façon globale, non seulement les problèmes médicaux, mais aussi psychosociaux, légaux et économiques. Nous arrivons ici au carrefour de ce qui est dit et de ce qui est fait. Une image internationale confortable qui se repose sur des chiffres favorables et des stratégies impeccables peut aussi cacher une réalité plus terre à terre. Est-ce que ce qui est écrit est mis en pratique ? Est ce que le droit est le même pour tous ? Est-ce que la recherche

468 Cambodians spent $100,000 daily for sex outside of their home. 16 Février 2009 [Consulté le 25/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://ki-media.blogspot.com/2009/02/cambodia-is-not-poor-country-at-all.html

337 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir de la richesse ne conduit pas à trahir ce qui a été promis, à appauvrir le cœur de la communauté ? Est-ce que la qualité n’a pas été oubliée au profit de la quantité ?

IV.D. Les ONG, MDM et SEAD : désengagements et passations

Les ONG ont fleuri au Cambodge car les besoins étaient importants et parce que le gouvernement n’était pas en mesure d’apporter les services minimum pour la population. A travers leurs programmes et leurs actions les ONG ont guidé le gouvernement mais aussi et surtout augmenté sa capacité à exécuter ses tâches d'une manière compétente. Avec le temps, cette compétence est acquise et permet au gouvernement de s’approprier les programmes et d’en devenir responsable. Ensuite, c’est le temps du désengagement des ONG internationales, laissant la place aux structures gouvernementales et non gouvernementales locales. Si ce dernier processus signe un certain succès pour certains, cela est aussi une source d’inquiétude pour d’autres. Dans le domaine du Sida nous pouvons penser que l’effet des ONG a été déterminant pour accélérer la mise en place des services de soins et de soutien aux patients. Alors qu’elles traitaient presque 100% des patients jusqu’en 2003, elles ne représentait plus que 20% de l’aide à la fin 2008. Ce chiffre devrait encore chuter en 2009 avec le désengagement massif d’ONG (MSF, Croix Rouge Française …) à la demande implicite du NCHADS. Ce retrait des ONG internationales dénote la volonté du gouvernement de récupérer les projets pour en gérer les financements et les actions. Bien. Cependant les modalités de passation ne sont pas très claires. Les ONG, devant cette situation, ont surtout manifesté des inquiétudes sur 2 sujets : la continuité du soutien psychologique et social, et l’éthique médicale (incluant la bonne pratique). Ce qui fait la qualité des programmes conduits par les ONG internationales c’est leur capacité technique et financière d’apporter des aides globales aux patients. C’est cela qui permet d’optimiser les programmes ARV. Donner une aide pour le transport et la nutrition est fondamental pour que les patients puissent continuer à vivre et à venir chercher leurs traitements. Dans ce domaine l’aide gouvernementale est parcellaire et il est possible qu’à l’avenir les patients éprouvent des difficultés à venir aux consultations. Le NCHADS a clairement répondu sur cette question en indiquant que sa priorité était, à juste titre, la continuité des traitements, et que si les ONG se sentaient concernées par le reste, elles pouvaient apporter leur soutien en amenant leurs propres financements, indépendamment du Fonds Mondial.

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D’autre part, au quotidien, l’éthique médicale, le secret professionnel, la déontologie, la probité, l’altruisme, l’écoute sont simplement des notions qui ne sont pas mises en pratique, et les patients le ressentent très fortement. Ces derniers sont nombreux à refuser d’être transférés dans un centre gouvernemental ou à en revenir car ils y étaient mal reçus. Ce n’est pas forcément la compétence du médecin qui est mis en cause mais sa distance, sa froideur, son mutisme. Nous avons maintes fois remarqué cette attitude devant un malade pauvre, et c’était encore pire s’il était séropositif. La relation médecin-malade n’est pas une problématique propre au Cambodge, mais cela reste une problématique. Elle a déjà fait l’objet de discussions et de conférences mais sans que cela apporte de résultats car le médecin se positionne à un niveau social tel qu’il ne se sent pas obligé de se remettre en cause ni de se justifier. Bien entendu, à sa décharge, son maigre salaire ne peut pas être une source de motivation. Ce problème de communication est aussi présent en interne, entre les différents membres des équipes de soins, perturbant de façon parfois dramatique la qualité du travail, le patient en payant toujours le prix. Du côté de MDM, pressentant que le temps allait venir de se désengager, nous avons décidé d’anticiper cette étape pour que cela se passe au mieux. Ainsi une ONG locale du nom de SEAD (Sharing Experience for Adapted Development) a été créée en Septembre 2005 par le personnel local de MDM, afin qu’au moment de la passation, la structure administrative précédemment établie puisse reprendre la direction du projet. Le transfert a été réalisé avec succès au 1er octobre 2008. En janvier 2009 PSF a aussi transféré à SEAD les financements correspondant à ses activités VIH/Sida de l’hôpital Preah Kossamak. La création de cette organisation locale devait permettre, dans un second temps, de préparer la passation du projet au gouvernement. Cependant, nous constatons d’ores et déjà qu’il n’a pas été possible de participer à la rédaction du projet pour le Fonds Mondial Round 9 (car nous n’avions pas de fonds propres). Une fondation (AHF) a été sollicitée par le NCHADS pour les aider à financer certains centres (en ressources humaines principalement). Malgré nos tentatives répétées de discussions avec cette fondation les indicateurs et les cibles n’ont pu être harmonisés avec les nôtres pour faciliter la reprise du projet actuel (ainsi le nombre de patients recevant des ARV devra être divisé par 2 en 2011 (pour atteindre 1340 patients) puis suivra une augmentation de 20 patients par an !), sans parler du problème des ressources humaines qui seront divisées par 4. De plus il existera des lacunes financières car le financement GF4 qui couvre 90% des dépenses terminera fin septembre 2010 et le GF7 terminera fin novembre 2010. Comme il est prévu que le FG9 débute en janvier 2011 il est évident qu’il sera difficile de travailler pendant les 4 derniers mois de l’année 2010. Nous avons dû attirer l’attention du Fonds Mondial sur ce sujet, mais pour le moment aucune solution satisfaisant nous a été proposée. Cette situation n’est pas isolée, les lacunes pouvant même durer 1 an dans le cas d’autres passations.

339 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

IV.E. Les personnes

 LES PATIENTS

 Au-delà des mots des personnes souffrent. L’exemple de Madame Sophea et de bien d’autres patients nous a montré combien la vie devient difficile quand le VIH est entré dans la famille. L’équilibre économique précaire est rompu et pour ceux qui doivent faire face à la maladie, la recherche de soins est une quête périlleuse semée d’embûches. Les traditions sont perturbées, les mentalités cherchent de nouveaux repères. La peur et la honte liées à cette maladie sexuelle létale ont créé des comportements de rejet, de discrimination et de désocialisation. Pourtant il n’est pas rare de trouver des familles qui restent unies et solidaires, de voir des femmes séropositives pardonner à leur mari et s’en occuper. La société est parfois impitoyable lorsqu’elle n’a pas encore compris et accepté la situation mais l’effort tenace des groupes de patients, des ONG et du gouvernement est parvenu à montrer une nouvelle image du VIH. L’enjeu n’est plus une histoire de « femmes mauvaises » qui se prostituent et qui donnent le virus mais celle d’une maladie qui est entrée dans toutes les strates sociales, quelque soient la notoriété et la réputation. Les hommes doivent maintenant réaliser le rôle qu’ils jouent dans l’entretien de l’épidémie mais aussi celui qu’ils doivent avoir dans la lutte. Cependant, faire changer certains comportements est un travail de longue haleine et nous avons parfois l’impression que ce n’est que quand la situation est devenue particulièrement inextricable que les prises de conscience ne peuvent se faire. Et de ce côté-là, il faudra que tout le monde se sente concerné.  Nous sommes toujours été étonnés par le courage et la résistance que montrent les malades devant la souffrance. Dans des conditions d’hospitalisation difficiles, alors que les traitements antalgiques sont quasi inexistants, alors qu’ils viennent souvent dans des stades très avancés après des mois de douleur supportés à leur domicile, alors qu’ils sont affectés par des pathologies particulièrement agressives, ils ne se plaignent jamais. Nous pourrions y voir un attentisme résigné devant une fatalité méritée mais il y a autre chose. Il y a un esprit qui a vécu d’autres souffrances, qui a eu un quotidien semé de difficultés et qui a un mode de vie empli d’une philosophie, d’une sagesse et d’une grandeur qui n’est pas accessible à tous. Beaucoup de moments émouvants et plein de joie sont partagés lors des réunions et des voyages réalisés par les patients. Certains d’entre eux, avec beaucoup de volonté, ont décidé d’avoir un rôle plus actif en transformant leur expérience en enseignement et en soutien. Des psychologues occidentaux se sont montrés sceptiques devant l’implication de patients dans le soutien en raison du stress que cela devait leur apporter au quotidien. Oui, ce stress existe, mais ces personnes ont toujours souhaité continuer leur activité. De leur côté, les patients, souvent effrayés par la blouse blanche ou par la possibilité d’être méprisé par

340 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 un personnel de santé, sont particulièrement heureux s’ils peuvent espérer être acceptés et compris par des personnes qui vivent la même épreuve. Alors on nous a dit qu’il ne fallait pas forcément avoir eu un cancer pour être psychologue ou travailleur social auprès des cancéreux. C’est vrai. Mais qui pourra nier que d’une certaine manière on aura une plus grande tendance à se confier à une personne si on sait qu’elle partage le même point commun, la même histoire ? En extrapolant, n’est pas sur ce principe que fonctionnent les thérapies de groupe comme les « alcooliques anonymes » ? Dans un pays où les aides matérielles, sociales et psychologiques sont rares et inadéquates, ces détails ont une importance toute particulière.  Il y a quelques années de cela, alors que nous commencions le programme ARV, nous avons été étonnés et émus par la réponse des patients lorsque nous leur demandions ce qu’ils attendaient de ce traitement. Question absurde ? Pas tant que cela. En effet, leur première préoccupation, bien différente de beaucoup d’occidentaux, était non pas de vivre la durée « normale » de leur vie mais de « survivre assez longtemps en attendant que leurs enfants grandissent et deviennent autonomes ». La maladie était là, la mort était inéluctable et leur responsabilité était de permettre à leurs enfants de vivre sans qu’ils aient à subir les conséquences d’un comportement né de l’ignorance…

 LES ORPHELINS

Nous avons déjà évoqué l’impact de l’épidémie sur les enfants. Des millions d’entre eux sont contaminés et meurent avant leur cinquième anniversaire, et des millions d’autres sont victimes du décès de leurs parents. Pour les premiers le défi est l’accès au traitement alors que leurs parents, souvent déjà malades n’y ont eux-mêmes pas accès, et pour les seconds il est de survivre seuls dans une société pas toujours bien préparée pour les accueillir. Les estimations faites en 2004 sont catastrophiques : d’ici 2010 dans la seule Afrique Subsaharienne il y aura 50 millions d’orphelins et plus d’un tiers d’entre eux auront perdus un ou deux parents en raison du Sida. Entre 2001 et 2003 le nombre d’orphelins du Sida dans le monde est passé de 11,5 à 15 millions. En 2003, rien qu’en Afrique, le nombre de ces orphelins représentait 28% des enfants. En Asie, même si les prévalences sont comparativement plus basses le nombre absolu d’orphelins pourrait être plus élevé car il y a 4 fois plus d’enfants (en raison des gros pays comme la Chine, l’Inde et l’Indonésie)469. Avec 60% de la population mondiale l’Asie pourrait bientôt faire face à une grave crise470.

469 En 2003 le nombre d’orphelins en Asie (toutes causes confondues) était de 87,6 millions pour 43,4 millions en Afrique.

341 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Etant donné qu’il y a un décalage temporel entre l’épidémie chez les adultes et l’apparition d’orphelins, il faut s’attendre à ce que leur nombre augmente au moins jusqu’à 2010 tout en sachant que leur proportion restera très élevée jusqu’en 2020 ou 2030471. Les familles et les communautés sont doublement affaiblies par le Sida : en raison des manques créés par les morts et du poids généré par les survivants. Une fois de plus des sommes d’argent gigantesques devront être apportées aux pays en sus de celles demandées pour les soins. Alors que déjà les fonds manquent pour les traitements, peut-on espérer mieux pour les orphelins ? Nous noterons qu’ici encore il faut faire attention aux chiffres. D’abord, en raison de la méthode de calcul qui est très approximative car elle nécessite de connaitre des données difficiles à recueillir dans beaucoup de pays (figure 125). Ensuite, en raison des multiples définitions des orphelins qui coexistent au sein des différentes institutions : du Sida ou de toutes causes confondues, du père, de la mère ou des 2 parents, et il y a même plusieurs âges : avant 15 ans ou avant 18 ans. Au-delà des définitions les situations sociales des enfants ne sont pas toujours claires et souvent, en pratique, ils sont orphelins avant la mort des parents alors que ces derniers sont souffrants ou absents. La frontière entre les différents types d’orphelins est difficile à déterminer. Si la définition de l’ONUSIDA était élargie en intégrant d’autres catégories comme les orphelins du père, les enfants partageant la maison avec des orphelins du Sida, les enfants avec des parents malades, le nombre d’enfants affectés par le Sida pourrait être beaucoup plus important. Les prévisions mondiales devraient alors être revues à la hausse, avec les conséquences sociales, économiques et sanitaires dramatiques qui en découleraient. Pourtant ne serait-ce pas plus proche de la réalité ?

Figure 125 : Exemple d’une méthode du calcul du nombre d’orphelins du Sida Source : Children on the Brink 2002

470 UNAIDS, UNICEF, USAID. Children on the Brink 2004 - Global orphan numbers would be falling without AIDS [Consulté le 13/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.unicef.org/media/media_22247.html 471 UNAIDS, UNICEF, USAID. Children on the Brink 2002: A Joint Report on Orphan Estimates and Program Strategies [Consulté le 13/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.usaid.gov/pubs/hiv_aids/childrenreport.pdf

342 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 LA SEXUALITE TOUTE PUISSANTE

Comme nous l’avons vu, la grande majorité des infections ont lieu par voie sexuelle. L’exemple des patients suivis à la consultation externe et de Mme Sophea est récurrent : l’homme se contamine en fréquentant des femmes à partenaires multiples, sans se protéger, et retransmet le virus à ses multiples partenaires et à sa femme. Cette situation est presque trop classique.

Etre à risque ou ne pas être à risque, telle est la question

La polémique qui a eu lieu autour des propos du pape Benoît XVI servira de départ à notre discussion. Le 19 mars 2009, avant son arrivée sur le sol camerounais, il déclara : « je dirais qu’on ne peut pas surmonter ce problème du Sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si on n’y met pas l’âme, si les Africains ne s’entraident pas, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs, au contraire, le risque est d’augmenter le problème »472. Les médias se sont focalisés sur les paroles relatives aux préservatifs et le monde s’est insurgé, dénonçant cette position en rappelant que c’est grâce au préservatif que l’épidémie a été ralentie, que c’est « l’un des moyens les plus efficaces de prévention connus à ce jour » et que de tenir de tels propos « condamnait des millions de gens ». Nous sommes clairement en face d’une confrontation de points de vue basée sur des malentendus. Toujours cette fameuse guerre entre les techniciens pro-préservatifs et les pro-abstinence. Personne, ni même le pape d’ailleurs, ne remet en cause la capacité technique et physique du préservatif à arrêter la majorité de la transmission des germes contenus dans les fluides sexuels ; et personne ne peut aussi remettre en cause le fait qu’augmenter le nombre de partenaires entraine un accroissement du risque de contamination. Ce dernier fait a été justement analysé récemment par une étude 473 qui, en reprenant une cinquantaine d’autres études, propose de revoir le rôle du comportement sexuel dans l’épidémie africaine. Ainsi, cette étude note que les diminutions de prévalence constatées dans certains pays de ce continent ont été liées à une réduction du nombre de partenaires alors que les autres mesures de prévention (comme le préservatif) n’ont pas permis d’obtenir le même résultat. L’exemple de l’Ouganda est particulièrement éloquent : en l’espace de 15 ans la prévalence a chuté de 70% grâce

472 Le pape a aussi rappelé que « le langage sexuel honnête exige un engagement à la fidélité qui dure toute la vie » et que l'abstinence est la seule solution contre le Sida car « l'acte conjugal signifie non seulement l'amour, mais aussi sa fécondité potentielle... L'acte conjugal qui serait privé de sa vérité parce que privé artificiellement de sa capacité de procréation cesserait aussi d'être un acte d'amour ». 473 GREEN E C, MAH T L, RUARK A, HEARST N. A Framework of Sexual Partnerships: Risks and Implications for HIV Prevention in Africa. Studies in Family Planning 26 Feb 2009. 40 (1) : 63-70 [Consulté le 13/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www3.interscience.wiley.com/cgi-bin/fulltext/122220955/PDFSTART

343 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

à une réduction de 60% des relations sexuels occasionnelles. L’effet obtenu est équivalent à une vaccination efficace à 80%474,475. A l’inverse, dans les pays où l’épidémie a augmenté de façon dramatique, il est constaté qu’elle est sortie des groupes à risque vers la population générale en raison de l’existence de larges réseaux de « compagnonnages sexuels simultanés ». Ces réseaux sont classiquement formés de personnes ayant un conjoint et qui ont par ailleurs des relations suivies avec d’autres personnes. Ces dernières ont de la même façon un conjoint et d’autres relations… L’entrée du virus dans ces réseaux sociaux peut se faire à travers la fréquentation épisodique d’une population à risque. C’est la simultanéité des relations suivies qui a cet effet particulier sur l’épidémie, plus que le nombre de partenaires différents sur une période donnée. Les auteurs de cette étude invoquent la virulence particulière du VIH dans les semaines qui suivent la contamination pour expliquer que les relations régulières concomitantes augmentent la probabilité que le virus se répande de personne en personne avant d’avoir perdu une partie de son caractère infectieux. Ces relations régulières multiples accroissent donc la vitesse de propagation de l’épidémie, surtout si ce type de comportement est courant dans une société.

L’utilisation correcte et systématique du préservatif réduit de 80% à 90% le risque individuel d’une infection par le HIV, cependant l’efficacité du préservatif pour prévenir la contamination à l’échelle d’une population a été limitée dans les épidémies généralisées. Cette inefficacité est due à l’usage incorrect du préservatif, à son utilisation rare dans les relations suivies qui sont souvent considérées comme sentimentales et probablement aussi, comme pour donner raison au pape, à l’augmentation de comportements à risque engendrée par l’impression accrue de sécurité et d’impunité donnée par cette protection. C’est le phénomène de la « compensation du risque », c’est à dire que si quelqu'un utilise une technique de protection comme le préservatif, il en perd souvent le bénéfice en prenant plus de risques que s'il n'avait pas utilisé cette technique. Une étude réalisée en Ouganda a ainsi constaté que la promotion de l’utilisation du préservatif a entrainé une augmentation significative du nombre de partenaires sexuels476. Il en est de même aux Etats-Unis (San Francisco) où il a été constaté un lien entre une plus grande disponibilité des préservatifs et un taux d'infection au VIH plus élevé.

474 STONEBURNER RL, LOW-BEER D. Population-Level HIV Declines and Behavioral Risk Avoidance in Uganda. Science 30 April 2004 ; 304 (5671) : 714-718. 475 KIRBY D. Changes in sexual behaviour leading to the decline in the prevalence of HIV in Uganda: confirmation from multiple sources of evidence. Sexually Transmitted Infections 2008 ; 84 (Suppl 2) : ii35-ii41. 476 PHOEBE K, KAMYA MR, KAMYA S, CHEN S, Mc-FARLAND W, HEARST N. Increasing condom use without reducing HIV risk: Results of a controlled community trial in Uganda. Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes 2005 ; 40 (1) : 77-82.

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Ainsi les programmes de traitements des IST, de dépistage et du « tout préservatif » n’ont qu’une efficacité relative sur les épidémies généralisées. Les politiques de prévention doivent s’orienter de façon plus concrète sur le problème des relations sexuelles multiples en apportant des aides et des messages mieux ciblés.

Cependant là encore, la modification des attitudes est une nécessité théorique qui n’est pas simple à résoudre.

Etre conscient ou ne pas être conscient, telle est la réponse

A la suite de son allusion au préservatif le pape ajouta qu’« on ne peut trouver la solution que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c’est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui implique une nouvelle façon de se comporter l’un envers l’autre, et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux qui souffrent, la disponibilité à être avec les malades, au prix aussi de sacrifices et de renoncements personnels ». N’est ce pas un moyen de dire qu’en matière de sexualité il faut s’adresser aux personnes dans leur intégralité mais aussi que chaque personne doit se sentir concerné par le bien être des autres?

Pour tout un chacun, il est acceptable d’envisager une aggravation de l’épidémie mondiale suite à une mutation soudaine du VIH qui le rendrait hautement infectieux ou agressif, et il est aussi envisageable, même si c’est choquant, que les finances mondiales ne soient pas suffisamment mises à disposition pour faire avancer la recherche ou améliorer les soins. Ce serait la manifestation d’un obstacle, d’un évènement indépendant de la volonté des personnes, de quelque chose de compliqué, d’incontrôlable, et tout le monde s’y soumettrait. Par contre, pour chaque individu, envisager que par l’intermédiaire d’une discipline personnelle, quotidienne et soutenue il serait possible de changer son attitude et donc le cours de l’épidémie, est purement inimaginable. Cette discipline qui impose le respect de soi et des autres n’est pas souvent en vigueur car elle va à l’encontre des habitudes humaines. Il semble que la problématique du comportement soit LA variable, LE facteur qui peut anéantir tous les efforts entrepris. Mais est-ce si étonnant ? Tout ce qui touche à la sexualité est, dans beaucoup de parties du monde, un sujet tabou dont on ne parle pas facilement. Les structures sociales, les éducations, les religions, les coutumes interviennent, non seulement sur la compréhension de cette sexualité, mais aussi sur la façon dont elle est vécue. La relation sexuelle se place à des niveaux très variables dans le champ des relations humaines. Elle peut autant faire part de la tourmente hormonale de la jeunesse et de l’amour, que de la drogue, de l’alcool, de la

345 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir violence et de la peur. Dans ces contextes les conduites à risques sont fréquentes et non nécessairement contrôlables. Ce sont souvent dans ces situations que le préservatif n’est pas utilisé.

Est-il raisonnable de croire qu’en l’espace d’une ou deux générations un changement de comportement spectaculaire puisse se produire ? Que faudrait-il espérer ? Que tout le monde soit abstinent jusqu’au mariage puis ensuite soit toujours fidèle comme le suggère le pape et la maison blanche ? Que tout le monde utilise le préservatif de façon systématique et réflexe quelques soient les circonstances comme le suggère les techniciens de la prévention ? Nous sommes tous d’accord qu’une telle attitude générale porterait ses fruits, mais une fois de plus, est-ce imaginable ? Outre le fait que l’abstinence soit difficile à obtenir pour les plus jeunes477, on notera que dans l’état actuel des choses, le préservatif n’est pas une vraie forme de prévention mais plutôt une protection qui réduit de façon importante les risques de transmissions lorsque les comportements à risque demeurent478. Dans la formule du "", ce n'est pas le préservatif qui vient au premier plan, mais la prudence dans le choix des partenaires sexuels, la limitation du nombre des contacts. Or nous voyons maintenant ressurgir les prises de risque volontaires de certains groupes de population qui ne peuvent et ne veulent plus continuer à faire attention, et qui trouvent même du piquant dans le risque lui-même. Combien de « générations condom », une fois sorties de leur contexte social, sont allées se jeter à bras ouverts dans des situations résultant par une séropositivité. Combien de fois la mobilité croissante des Hommes a permis au virus de dépasser les barrières sociales et de se créer des opportunités de transmission dans de nouvelles niches écologiques? Quelle biochimie interne arrive à créer un univers psychologique annihilant la peur abstraite de la mort et à faire oublier les plus basiques et maintes fois répétées précautions ?

Les messages de prévention et le préservatif ont une efficacité, ils sont essentiels, mais ils n’ont seulement réussi qu’à ralentir l’épidémie. Comment ces messages pourraient modifier, remodeler un comportement qui est inscrit dans la perpétuation de l’humanité ? Que peuvent des millions de dollars contre un quotidien tout puissant qui manipule les agissements de chacun à chaque instant présent ? Comment s’y prendre ? Réduire la pauvreté et l’ignorance ? Ce sont des voies efficaces mais dans combien de temps ?

477 Ce qui est bien malheureux lorsque nous savons qu’en 2007, 45% des nouvelles contaminations ont touché la population âgée de 15 et 24 ans, la plus sexuellement active. 478 Prévention : « Ensemble de mesures destinées à prévenir certains risques » (Dictionnaire Hachette). La vraie prévention est l’évitement des conduites à risque.

346 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Pour le moment personne n’a de réelle solution à proposer et le monde se retranche sur des méthodes « palliatives » parce qu’il sait que c’est le choix le plus facile.

Pourtant il y a un équilibre à trouver, à condition qu’on soit déterminé à ne pas fermer les yeux sur la tant redoutée sexualité. Les individus doivent être conscients que la relation sexuelle est à la fois une manifestation de sentiments, une source de plaisir et un moyen de procréation. La compréhension de cette trinité permettra d’adapter les comportements aux circonstances.

La pression exercée par le corps depuis l’adolescence ne pas être ignorée ni contenue, elle doit être orientée. Essayer de taire le volcan de la jeunesse par l’apposition de concepts, sans discussion ni partage, est le meilleur moyen de rendre la sexualité incontrôlable, mal vécue, cachée et risquée. La découverte et l’expérimentation sont inévitables et ce sont des processus qui doivent être accompagnés. Il est aussi impensable de demander à tout le monde d’être fidèle ou abstinent que de demander de toujours utiliser des préservatifs. C’est plutôt un compromis qu’il faut trouver, celui qui sera issu, au niveau de chaque individu, d’une prise de conscience de la valeur de la sexualité humaine mais aussi de la vie humaine. Il faut réfléchir ensemble et montrer qu’il y a une meilleure façon de vivre, respectueuse des uns et des autres. C’est un message de bon sens qu’il faut adresser aux populations, comme au Ghana, où la campagne de prévention s'appelle ABC: Abstain, Be faithful to one partner, or use a Condom479. Là-bas des personnalités populaires ayant de jeunes audiences délivrent des messages expliquant qu’il est possible de faire un choix entre: « comment dire non », « c’est OK d’attendre », et « si vous allez avoir une relation sexuelle, utilisez un préservatif ». De nombreuses approches participatives mettent en avant et de façon positive des situations qui aident les jeunes à acquérir une plus grande confiance en soi et à développer la capacité d’avoir un comportement approprié lorsqu’ils sont confrontés à des avances ou qu’ils ressentent des désirs sexuels480. C’est l’ensemble des modes de vie des jeunes qui doit être pris en compte et abordé. Ailleurs, dans un pays développé, en Australie, une méthode comparable de prévention a déjà porté ses fruits 481 . D’après Bill Bowtell, ancien président de l’Australian Federation of AIDS Organisations, le succès Australien dans le contrôle de l’épidémie tient à ce que dès le début il y a

479 S’abstenir, être fidèle à un partenaire, utiliser un préservatif 480 Center for Communication Programs. HIV/AIDS Communication Strategies. Africa [Consulté le 25/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.jhuccp.org/topics/hiv/4GhanaSuccessStory.pdf 481 BOWTELL Bill. HIV 'Supervirus' is a warning to All: Australia must continue to shun a US-led holy war against AIDS. Sydney Morning Herald. February 17, 2005 [Consulté le 15/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.smh.com.au/news/Opinion/HIV-supervirus-is-a-warning-to-all/2005/02/16/1108500157385.html

347 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir eu une décision politique rapide et honnête d’agir avant qu’il ne soit trop tard, en apportant une éducation franche, en promouvant les préservatifs, en distribuant largement les seringues et en donnant un accès universel au dépistage. Pour lui les résultats sont clairs : aux Etats-Unis, alors que la maladie a été criminalisée et stigmatisée au moyen de lois basées sur la peur et l’ignorance, la prévence de 2003 était de 6‰, soit 10 fois plus qu’en Australie.

Les programmes mais surtout les autorités des pays doivent comprendre que parler de sexualité n’est pas une incitation à la débauche mais une incitation à une longue vie. L’avenir des personnes se construit maintenant et la réflexion doit se porter sur une prise de conscience des responsabilités individuelles et générales pour assurer le futur. La responsabilité sexuelle devrait être une affaire de maturité, celle d’une humanité qui se souhaite évoluée et concernée par son devenir… Une utopie ?

Est-ce que la réponse est une solution ?

Peut-être, mais cette prise de conscience risque de ne pas être bien réalisée par toutes les populations du monde dans l’immédiat. L’exemple de la Papouasie Indonésienne est en l’occurrence typique et montre à quel point le contexte peut s’opposer fortement aux moyens de prévention. Dans ce pays l’épidémie touche à la fois les zones urbaines et les régions les plus reculées où prédominent les indigènes Papous. Ces indigènes ne sont absolument pas informés sur l’existence du VIH et alors que l’industrie sexuelle est en pleine extension dans des zones en développement (mines et plantations), ils se contaminent et ramènent le virus au village. Culturellement le préservatif n’est pas accepté et les traditions n'interdisent pas aux Papous de multiplier les partenaires sexuels. En plus, l’épidémie baigne dans un environnement politique tourmenté, les Papous accusant les autorités de profiter du Sida pour les affaiblir dans un contexte de revendications indépendantistes.

Voilà, pour les Papous l’équation est posée : éloignement géographique ( difficulté d’informer les populations) + pression économique nouvelle ( création d’une pauvreté) + mobilité pour lutter contre la pauvreté ( rencontre avec des populations à risques) + manque d’information

( prise de risques, absence de protection et contamination) + traditions ( transmissions aux partenaires) + éparpillement géographique ( difficulté de soigner les populations) + contexte national conflictuel ( programmes nationaux limités, non appropriés, inefficaces) = réaction en chaine idéale pour entrainer une épidémie importante.

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N’y a-t-il pas une sensation de déjà vu ? Quelle leçons apprises ailleurs pourraient être appliquées ici ? A l’heure actuelle il semble que les acteurs de santé nationaux et internationaux ne soient pas en mesure d’apporter un message cohérent et des actions efficaces. Alors, devant cette situation sanitaire qui se dégrade, des parlementaires indonésiens sont allés jusqu'à proposer d’équiper les séropositifs d’une puce électronique sous cutanée qui permettra de les suivre et de surveiller leur comportement afin de prévenir de nouvelles contaminations482. Un arsenal juridique permettrait aussi de condamner ceux qui auraient contaminé autrui intentionnellement.

Cette mesure, née de la peur, de l’ignorance et de l’échec, ne peut nous empêcher de penser à une dérive technologique au service du pouvoir et de la discrimination. Encore une impression de déjà vu ? Science fiction ou préscience ?

IV.F. La pauvreté, une vision de l’esprit ?

"Paradoxalement peut-être, les véritables obstacles à la résolution des problèmes les plus aigus du monde sont moins les traditions culturelles d'un grand nombre de peuples, que nos croyances tenaces qu'un progrès sans limite, produit de la technique et du marché, peut nous libérer de la nature et de la société." Gerard Berthoud, "Market" The Development Dictionary.

La pauvreté, depuis quelques décennies, est devenue le territoire des économistes. Pour ces derniers la pauvreté est un fait chiffré : elle représente l’état de personnes qui ont été privées d’un accès à des ressources productives. Ce sont des personnes qui ne possèdent pas le « minimum standard » et qui ne peuvent pas dépenser suffisamment. Le seul moyen proposé pour améliorer leur situation est de leur donner accès à un marché économique pour qu’ils puissent acheter et avoir ce qui leur faut.

482 AFP. En Papouasie indonésienne, le Sida progresse au plus profond de la forêt. 29 nov. 2008 [Consulté le 31/01/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h5VT8nzSz9iqnRDcJh528ZYRew_g

349 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Lorsque le problème est abordé sous cet angle on ne se propose pas vraiment d’analyser les causes de la pauvreté ni de trouver une solution adaptée. Cette définition internationale de la pauvreté est réductrice. Elle se base sur la capacité de consommation, sur le PIB et elle ne tient pas assez en compte de la diversité culturelle des notions de pauvreté. Alors on en vient à se poser la question suivante: est ce que cette pauvreté correspond à une réalité, et pour qui ? Des enquêtes réalisées en Afrique visant à mieux connaitre les déterminants du « mal-être » ont montré que les critères étaient plus larges que ceux utilisés couramment. Ainsi on retrouvera l’handicap, le veuvage, le manque de terre et d’équipement, l’impossibilité d’enterrer correctement les morts, ne pas pouvoir envoyer les enfants à l’école et devoir les employer sur les champs, un mauvais logement, être parent célibataire, avoir des vices (alcoolisme), avoir une intégration sociale pauvre, ne pas avoir de soutien social, devoir accepter un travail dégradant, avoir une sécurité alimentaire de quelques mois par an seulement... C’est grâce à ce type d’étude que l’on peut retrouver que le paiement des frais de scolarité tombe au plus mauvais moment de l’année (manque de nourriture, période de travail intense dans les champs, période de fêtes, plus grande incidence de maladies, endettement), que les programmes « travail contre nourriture » sont très appréciés durant les périodes difficiles, que les manguiers sont très importants car ils produisent de la nourriture durant les mauvaises saisons et que les routes « tous temps » sont primordiales pour l’accès aux structures de santé483. Ces informations, lorsque l’on s’est donné la peine de les recueillir, peuvent permettre d’adapter des stratégies de lutte contre pauvreté de façon simple et pragmatique sans avoir besoin de passer par la production agricole intensive, la création d’entreprises et l’exportation. La pauvreté est une réalité multiple dont la définition ne peut être donnée que par celui qui la vit.

Au Cambodge, quelles sont les solutions qui sont proposées pour réduire la pauvreté ? Les recommandations internationales parlent d’augmenter la croissance du secteur agricole en changeant la qualité du riz (par l’introduction d’une nouvelle variété) et en s’ouvrant au marché international. Et depuis des années nous avons assisté à un grand manège d’experts et de projets en tous genres, mais pour le moment, rien n’a changé pour les agriculteurs. Alors, n’y avait-il pas d’autres solutions plus pragmatiques ? Les programmes de lutte contre la pauvreté s’orientent trop souvent sur l’exportation de semences au lieu d’aider les pays à être autosuffisants. Ceux-ci deviennent trop dépendants de marchés

483 CHAMBERS R. Poverty and Livelihoods: whose reality counts? Environment and Urbanization. 1995 ; 7 (1) ; 173- 204 [Consulté le 27/02/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://eau.sagepub.com

350 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 extérieurs manipulés par des multinationales, qui enlèvent toute capacité au pays de définir les structures et organisations qui lui conviennent. Au lieu d’aider les pays à développer des approches locales et personnalisées pour aborder les problèmes du bien être, de réduction de la pauvreté, de la création de richesses, de stabilité sociale, les banques poussent leurs « clients » les plus pauvres à intégrer des marchés mondiaux qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ne peuvent contrôler, sans leur donner, en premier lieu, la possibilité politique et économique de soutenir leurs propres ressources nationales484. En fin de compte, le pauvre n’est plus le bénéficiaire des restructurations qui passent à côté de ses contingences quotidiennes et qui dépassent ses capacités d’adaptation. Comment expliquer l’accroissement du nombre d’hommes et de femmes traqués par la misère et l’aggravation de leur condition, alors même que ne cessent de se multiplier les grands projets d’aide aux pauvres ? De façon générale ces programmes internationaux sont trop focalisés sur la croissance, comme si cela représentait la panacée pour tous les pays, comme si une croissance nationale allait forcément être uniformément et également répartie parmi toute la population. La croissance, si elle est massivement basée sur la production et si elle n’est pas accompagnée par des actions sociales, peut au contraire accentuer les inégalités, pousser plus de personnes dans la pauvreté et entrainer des tensions. La croissance est trop souvent confondue avec le développement. Celui-ci possède une dimension plus large. Il regroupe l’accès aux besoins essentiels, l’existence d’une stabilité politique, économique et sociale, les notions de droit et de liberté, la possibilité de participer aux évolutions du pays et de choisir un futur. Le développement doit être plus vu comme une extension de la liberté individuelle que de la croissance du produit national ou des revenus485. Mettre au point des programmes pour atténuer la souffrance d’autrui est moralement irréprochable et il n’est pas de notre intention de critiquer de telles initiatives, bien au contraire. La préoccupation récente des pays développés d’apporter leur « savoir faire » aux pays en développement pour soulager la pauvreté et à améliorer la santé dans le monde est respectable. Pourtant, en pratique, elle pose le problème de l’équité : Premièrement, pouvons-nous raisonnablement espérer aider des milliards de personnes de façon équitable à grands coups d’exportation de projets massifs et normalisés alors que les pays développés modèles n’ont pas résolu le problème au sein de leur propre population ? Comment peuvent-ils croitre qu’ils possèdent les solutions pour les autres pays ? Comment s’étonner que ces solutions soient des échecs lorsqu’elles sont proposées par ceux-là mêmes qui définissent leur

484 CHAVEZ MALALUAN JJ, GUTTAL S. Structural Adjustment in the Name of the Poor: the PRSP experience in the Lao PDR, Cambodia and Vietnam. January 2002 Bangkok. 485 RUGER JP. Combating HIV/AIDS in developing countries: requires empowering people to act on their own terms. BMJ 2004 ; 329 : 121-122.

351 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir vision de la pauvreté ? De nombreuses interventions ne touchent pas les plus désavantagés et ces écarts dans les impacts sont souvent masqués par des statistiques s’exprimant sous forme de seuils, de taux et de moyennes qui laissent de côté les extrêmes. Les organisateurs, les donateurs et certains acteurs sont alors satisfaits de la moyenne de leurs bonnes actions. Deuxièmement, nous retrouvons la problématique de la mauvaise répartition des richesses et des ressources. Les inégalités dans leur accès et leur utilisation sont l’illustration de l’égoïsme des pays développés qui se les attribuent sans vraie contrepartie, afin de conserver leur propre standard de vie. Si réellement le désir était le partage par tous et pour tous, il serait nécessaire d’en revoir la gestion. Mais est-ce-que cela est envisagé ? Quel pays riche est prêt à négocier son niveau de vie au nom du partage ? N’est-il pas plus simple de clamer sa générosité pour mieux cacher sa peur de perdre ? Finalement, est-ce-que les pays développés ne devraient pas se redévelopper différemment ? D’ailleurs, comment obtenir un équilibre planétaire si le monde prend modèle sur eux ? Le développement des pays comme l’Inde et la Chine, en imitant celui des occidentaux, pose maintenant de nouveaux problèmes écologiques et humains qui remettent en question la solution du « tout croissance ». Depuis toujours, toutes les sociétés évoluent, mais depuis les 50 dernières années, la modernité qui accompagne le développement de ces sociétés a des effets à double tranchant qu’il convient de connaître et de reconnaitre. C’est en voulant donner à tous la même abondance que l’on génère de nouveaux besoins et par la même de nouveaux manques. Ces manques, plus modernes, viennent souvent se rajouter aux anciens, donnant une nouvelle forme de misère. Et ce sont ces miséreux qui n’ont pas les moyens de sortir de leur condition. La phrase bien connue « les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent » est d’une cruelle actualité. En réalité, lorsque nous appelons certaines personnes des « pauvres », nous oublions que, le plus souvent, ils le sont devenus et qu’ils le sont restés. Dans la majorité des cas il serait plus juste de les appeler des « appauvris ». Ils ont été appauvris par les nouvelles inégalités sociales et économiques qui se sont progressivement installées au niveau du foyer, de la communauté, du pays et du monde, et qui ont détruit les richesses locales. Les contextes internationaux ont modifié les notions de richesse et de pauvreté, ils ont redéfini les priorités du développement humain, ils ont schématisé, uniformisé et standardisé le comportement des Hommes pour en faire des consommateurs. L’économie est une machine qui se nourrit de la production et de la consommation, et son extension la rend de plus en plus gourmande. Comme elle ne favorise que ceux qui ont suffisamment de carburant pour l’alimenter, la masse des pauvres est utilisée pour faire fructifier l’argent des riches, ceux-là mêmes qui incitent les pauvres à entrer dans les systèmes économiques.

352 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Le Cambodge en est une illustration. Nous avons souvent entendu les « anciens » se plaindre du changement des mentalités parmi la population, regrettant le passé où les individus s’entraidaient non pour la richesse matérielle mais en raison de leur richesse conviviale. Avec sa récente ouverture sur le monde, la société cambodgienne a soudainement découvert l’argent et son pouvoir, celui qui donne accès à des biens que les pays voisins ont déjà, celui qui permet d’afficher une supériorité matérielle, celui qui permet de dominer, celui qui accentue l’individualisme, celui qui rend dépendant de l’économie, de la consommation et de l’accumulation. Le Cambodge est un des pays les plus pauvres de la région mais c’est aussi le pays où l’on trouve la plus grande densité de voitures de luxe ; il faut avoir une grosse maison, il faut montrer une aisance matérielle, même si pour cela on doit trahir ou abuser quelques personnes. Les biens n’ont alors plus aucun lien avec les besoins. Pendant ce temps les paysans, appauvris par les inégalités, vendent leurs terres à de riches spéculateurs, pour une poignée de riz. Dans ce contexte les mentalités traditionnelles s’effritent et les richesses culturelles s’érodent, nivelées par le désir de possession.

Et le VIH ? Nous avons constaté que la pauvreté, telle qu’elle a été définie par la communauté internationale, touche la majorité de la population mondiale ; et nous avons aussi constaté qu’il y a un lien dynamique et géographique entre cette pauvreté et l’épidémie du VIH, l’une favorisant l’autre. Ces constatations semblent pouvoir expliquer la diffusion mondiale de l’épidémie. L’ignorance, la violence, la migration, la drogue et l’exploitation, toutes stimulées par la pauvreté économique, seraient les facteurs favorisant les contaminations. Si nous regardons en amont de ce mécanisme nous en retrouvons un autre: celui de la mondialisation. Dans les années 1980, suite à la conjoncture économique mondiale, le FMI et la BM ont débuté la mise en place de « Programmes de Rajustement Structurels » dans les pays en développement afin d’accélérer l’intégration de ces pays dans un marché global. A la fin des années 1980 les trois quarts des pays africains faisaient partie de ces programmes. En pratique cela a conduit à une chute délétère des prix des matières premières, à une dévaluation des monnaies, à une plus grande insécurité de l’emploi, à une réduction des dépenses de santé et d’éducation par les gouvernements, à une orientation extrême vers une politique d’exportation pour le bénéfice de quelques uns. Les effets sur la société ont été ceux qui sont retrouvés à l’origine de l’expansion de

353 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir l’épidémie : chômage, migration urbaine, manque de structures sanitaires, disparition des petits emplois qui permettaient aux femmes d’avoir des revenus, les conduisant vers la prostitution.486 D’un autre côté il ne faut pas croire que l’argent et l’éducation soient une protection contre le VIH. Les comportements qui conduisent à prendre des risques sont aussi parfois issus de la richesse matérielle car celle-ci permet et facilite la multiplication des rapports sexuels.

La réalité des conduites à risque fait partie d’un ensemble qui dépasse le seul individu. La condition matérielle alliée aux conditions culturelle, sociale, psychologique et morale, forment le contexte qui influencera le comportement des personnes. Ainsi, lutter contre le VIH ne passe pas par la seule lutte contre la pauvreté matérielle, mais aussi par la lutte contre la pauvreté des consciences.

Alors, quel avenir pour la pauvreté?

La solution ne se trouve plus dans la seule politique car celle-ci utilise de grands mots dénués de sens qui ont usé la confiance, ni dans l’économie mondiale car celle-ci utilise des moyens qui n’ont pas le même sens pour tous et qui n’orientent pas tout le monde dans le même sens. Il faut suivre une voie intermédiaire basée sur le respect du droit fondamental à la survie, sur l’engagement moral de chaque société civile et de chaque individu, et sur des motivations partagées par tous. Il faut que chacun puisse s’exprimer, promouvoir ses intérêts, s’entraider, façonner sa destinée pour avoir la possibilité de choisir des conditions de vie plus sûres. Le changement doit pouvoir être choisi et réalisé par les personnes concernées, à leur façon. Un véritable changement ne peut venir que si un nombre de plus en plus important d’acteurs sociaux portent un regard nouveau sur leurs propres pauvretés et richesses. Depuis 1990, de façon très prometteuse, le PNUD a commencé à reconnaître la nécessité d'un modèle alternatif du développement : celui du développement humain. Cette nouvelle orientation était issue de plusieurs constats : 1/ l’accroissement des données infirmant la croyance généralement partagée que les forces du marché avaient le pouvoir de répandre par le haut les avantages économiques et de mettre ainsi fin à la pauvreté, 2/ l’expansion des maux sociaux (criminalité,

486 SHAHMANESH M, SHAHMANESH M, MILLER R. AIDS and globalization. Sex. Transm. Inf. 2000 ; 76 : 154- 155.

354 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 délitement du tissu social, VIH/Sida, pollution, etc.) dans les pays ayant une croissance économique forte et régulière. 487

« Le développement humain est un paradigme du développement qui valorise beaucoup plus que la simple hausse ou la baisse des revenus nationaux. Il repose sur la création d’un environnement au sein duquel les gens peuvent développer pleinement leur potentiel et mener des vies productives et créatives en accord avec leurs besoins et leurs intérêts. Les gens sont la vraie richesse des nations. Le développement vise donc à élargir les choix qui s’offrent aux personnes pour leur permettre de mener des vies qui leur sont précieuses. Il s’agit donc de bien plus qu’une croissance économique, qui n’est qu’un moyen – certes très important – d’élargir les choix qui s’offrent aux populations. (...) Le développement humain s'inscrit dans une vision commune à celle des droits de l'homme. Le but est la liberté humaine. Dans la poursuite des capacités et dans la concrétisation des droits, cette liberté est d'importance cruciale. Les personnes doivent être libres d'exercer leurs choix et de participer à la prise de décisions qui affecte leurs vies ».

Ces paroles sont sensées et elles sonnent juste, mais elles sont aussi particulièrement difficiles à concrétiser. Pour le moment les actions du PNUD se limitent à écrire un rapport annuel, qui, s’il ne pointe pas directement les mécanismes économiques mondiaux dont il dépend indirectement, a au moins le mérite d’ouvrir les yeux d’une partie du monde sur la situation.

De notre côté nous pensons que l’exemple de Mohammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006, est capital. Pendant trente années il a défendu le droit à un pays de développer son propre programme d’aide aux pauvres sans dépendre du soutien de la Banque Mondiale, sans entrer dans le jeu du prêt et de la dette, montrant que les plus démunis pouvaient œuvrer pour leur propre développement. Son institution, la Grameen Bank, offre des microcrédits aux exclus du système bancaire, permettant le désendettement et la réinsertion sociale de millions de personnes 488 . Yunus, le « prêteur d’espoir », espérait que ce système pourrait se généraliser dans le monde afin de juguler la pauvreté. En 2007 cette banque avait 2481 branches, 7,4 millions de membres, dont une majorité de femmes (97%), et avait prêté pour 5,2 milliards de dollars depuis son lancement489. L’avantage du microcrédit est qu’il va directement à la personne sans aller se perdre dans les strates et les méandres du pouvoir. Les individus utilisent l’argent pour des activités à leur mesure, dont ils

487 PNUD. Le concept du développement humain [Consulté le 12/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://hdr.undp.org/fr/devhumain/ 488 YUNUS Muhammad. Vers un monde sans pauvreté. Jean-Claude Lattès Editions, Livre de poche, Paris 2007, 407 p. 489 Grameen Bank. [Consulté le 12/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.grameen-info.org

355 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir connaissent et gèrent tous les tenants et aboutissants. La prépondérance de femmes qui demandent des microcrédits pour des petits commerces montre à quel point la pauvreté les touche particulièrement, à quel point il est primordial qu’elles soient aidées en priorité pour éviter leur vulnérabilisation et celle de leur famille, à quel point leur rôle est majeur pour le développement de l’économie informelle du pays, une économie qui échappe aux mesures quantitatives du PIB, mais dont le bénéfice n’échappe pas aux individus. La multiplication des bénéficiaires entraine un impact national qui ne se limite pas à une mesure économique car il s’étend aussi au bien-être des personnes, valeur qualitative et subjective, qui n’est correctement appréciée que par ceux qui le vivent. Ce bien-être ouvre des portes sur de nouvelles richesses, celles dont nous n’avons pas beaucoup parlé car elles demanderaient la rédaction d’un ouvrage additionnel, mais qui étaient suggérées entre les lignes. Celles-ci sont impalpables et ont une grande valeur car elles ne s’achètent pas. Nous parlons ainsi de la richesse intellectuelle, morale, culturelle, conviviale et surtout de celle du cœur. Ces notions ne sont jamais exprimées et elles prêtent à sourire, et pourtant c’est dans le vécu honnête des choses simples que le meilleur des contentements est atteint.

Enfin, pour rester dans la même tonalité et comme pour apporter une note de sagesse et d’humilité dans cette profusion de dollars et de pouvoirs, nous voudrions vous donner un aperçu de ce que la pauvreté représente pour le bouddhisme. Bien entendu toutes les paroles de Bouddha ne sont pas forcément mises en pratique par tous les Cambodgiens, mais nous avons noté que dans leur quotidien ces idées ont une résonnance qui n’est pas si vaporeuse ni éloignée du réel. Bien au contraire, ce sont des paroles qui sont inscrites dans leur présent et qui leur offrent un certain futur. Les Cambodgiens y sont sensibles mais ils ne sont pas toujours en mesure d’avoir la qualité de vie qui leur permettrait d’en avoir une conscience permanente. Pour cela nous allons citer l’extrait d’un texte écrit par un penseur bouddhiste, David Loy, dont les travaux portent notamment sur la philosophie et la religion comparées, et plus particulièrement sur les rapports entre le bouddhisme et la pensée occidentale.490

« Le bouddhisme valorise le non-attachement aux biens matériels et prône la vertu d'avoir moins de désirs, sans que cela ne se confonde avec un encouragement à la pauvreté. Le bouddhisme ancien comprend habituellement la pauvreté comme ne pas pouvoir satisfaire ses besoins matériels fondamentaux pour mener une vie décente, à l'abri de la faim, des intempéries et de la maladie. (…)

490 David R. Loy. Bouddhisme et pauvreté [Consulté le 12/05/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.zen- occidental.net/articles1/loy11.html

356 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Les quatre nécessités d'un renonçant bouddhiste sont : de la nourriture en quantité suffisante pour soulager la faim et rester en bonne santé, assez de vêtements pour être décent en société et protéger le corps, un abri convenable pour pratiquer sérieusement l'exercice mental et assez de médications pour soigner et prévenir les maladies. Le bouddhisme considère que ceux qui renoncent volontairement aux possessions et aux plaisirs mondains en faveur de ce mode de vie dépouillé appartiennent à la communauté des "nobles". (…) Bouddha parle des quatre sortes de bonheur auxquels parviennent les maîtres de maison : ils possèdent des ressources matérielles suffisantes, ils en jouissent, ils peuvent les partager avec leur famille et leurs amis et ils n'ont pas de dettes. Plus important encore, souligne-t-il, est le bonheur de vivre une existence pure. (…) Il dit qu'il existe sept sortes de biens nobles : La foi, la conduite morale, la honte et la crainte de commettre une action répréhensible, le développement de sa personnalité, le sacrifice de ses biens au bénéfice d'autrui et la connaissance des trois caractéristiques de l'existence (souffrance, impermanence et non-soi). Le Bouddha déclare que dans la discipline des nobles qui suivent le chemin bouddhiste, l'absence de ces sept biens peut être appelée la vraie pauvreté, une pauvreté encore plus misérable que celle qui résulte du manque de ressources matérielles. En qualifiant ces qualités morales de "biens nobles", le bouddhisme attire l'attention sur le fait qu'une poursuite exclusive des biens matériels ne rend pas les êtres humains heureux ni même riches. (…) Lorsque quelqu'un éprouve l'intense désir de s'approprier un objet, celui-ci devient une cause de souffrance. (…) De tels objets engendrent beaucoup d'anxiété mais très peu de satisfaction. (…) Le bouddhisme considère une telle multiplication de désirs comme la cause fondamentale du "mal-être" humain. La source du mal n'est pas l'argent, mais l'amour de l'argent. Cela signifie que la pauvreté ne peut jamais être vaincue par la multiplication d'un nombre toujours plus grand de désirs qui doivent être satisfaits par la consommation d'un nombre toujours plus important de biens et de services. (…) En bref, il y a une pauvreté fondamentale et inévitable inhérente à la société de consommation.

(…) Tout cela est encore mieux exprimé dans une métaphore commune du bouddhisme tibétain. Le monde est plein d'épines et de pierres acérées (et maintenant de verre brisé également). Que faut-il faire ? Une solution consiste à paver la terre entière, une autre à porter des chaussures. "Paver toute la planète" est une bonne métaphore pour décrire comment notre projet collectif économique et technologique tente de faire notre bonheur. Il ne sera pas achevé même si toutes les ressources de la terre étaient transformées en biens de consommation. Une autre solution consiste à apprendre à nos esprits comment fabriquer et porter des chaussures, de façon à ce que nos buts collectifs soient en accord avec les moyens renouvelables procurés par la biosphère. »

357 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

IV.G. Les théories divergentes

Pourquoi ce chapitre ? Parce que la vérité n’est ni unique ni fixe et qu’elle n’appartient à personne. Parce que jusqu’à présent nous n’avons qu’un aperçu assez tangible de ce que le Sida donne sur le terrain mais qu’au-delà, il faut seulement se fier à une multitude d’estimations. Sur la base de ces estimations nous avons constaté que l’épidémie faisait rage, mais il se peut aussi que ce ne soit pas une tendance tout à fait exacte. Alors, en gardant l’esprit ouvert, voyons brièvement ce que les théories qui sortent du courant consensuel ont à nous proposer, peut-être y trouverons nous alors une voie du milieu.

IV.G.1. Un autre point de vue sur l’épidémie mondiale

Il est un homme qui propose un avis personnel dont le contenu, peu « politiquement correct », mérite d’être observé. Pourquoi ? Parce que le Professeur James Chin, qui possède une biographie d’épidémiologiste d’un niveau international 491 a travaillé au sein de l’OMS de 1987 à 1992 comme directeur de programme mondial sur le Sida 492 et qu’il a continué à suivre l’épidémie de près depuis cette date. Sa version des faits, qu’il expose dans son livre écrit en 2007 493, contient plusieurs points principaux :

- Les estimations proposées par l’ONUSIDA sont largement surestimées (jusqu’à 50% en Afrique sub-saharienne). Pour l’auteur ces « erreurs » ont deux origines : l’aveugle validation par la communauté scientifique d’une imprécision statistique pour des pays où il n’y a pas de système fiable de recueil de données et la volonté politique de conserver des chiffres hauts afin de garder une pression sur la population pour éviter un relâchement des mesures de prévention mais aussi pour continuer à alimenter les financements vers des organismes qui vont en profiter. - Contrairement aux prévisions de l’ONUSIDA l’explosion de l’épidémie au sein de la population générale hétérosexuelle ne peut se faire que dans un contexte où les risques sont particulièrement importants (multi partenariat concomitant et grande densité de prostitution). Or bien souvent, ces situations n’existent pas de façon suffisamment marquée pour engendrer une épidémie sexuelle importante et stable. La situation africaine est particulière en raison des réseaux sexuels multiples et concomitants qui existent.

491 Clinical Professor of Epidemiology, School of Public Health, University of California, Berkeley 492 Chief of the Surveillance, Forecasting, and Impact Assessment (SFI) unit of the Global Programme on AIDS (GPA), of the World Health Organization (WHO), Geneva, Switzerland, 1987-1992. 493 James Chin. The Aids Pandemic: the collision of epidemiology with political correctness. Oxford: Radcliffe Publishing, 2007, 248 p.

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- L’épidémie mondiale est constituée de sous épidémies qui n’ont pas beaucoup de liens entre elles (MSM, UDI, hétérosexuelle). - L’épidémie mondiale aurait déjà atteint son pic depuis la fin du siècle dernier (ce qui va à l’encontre de l’ODM qui espère son inversion pour 2015). Pour le Cambodge, d’après ce que nous avons pu voir, c’est effectivement le cas. - Les droits de l’Homme, les inégalités, la pauvreté, la discrimination, le manque d’accès aux soins, ne sont pas les facteurs les plus importants stimulant l’épidémie, au contraire des comportements sexuels. - Le vaccin ne doit pas être présenté comme l’ultime et magique arme de la prévention car elle sera au mieux efficace à 60-70%. - Il est nécessaire de réorganiser l’attribution des fonds internationaux en tenant compte de ces facteurs afin d’éviter leur vaine superposition ou leur focalisation sur les mauvaises populations.

Les révisions rétrospectives des statistiques n’existent pas seulement au Cambodge : en 2007 l’ONUSIDA aurait corrigé le taux de prévalence de 2001 de façon importante comme indiqué par l’auteur dans le tableau ci-dessous :

Tableau 21 : La surestimation des prévalences pour le VIH dans certains pays d’Afrique et d’Asie d’après James CHIN. Source : James Chin. www.theaidspandemic.com/updates.htm

359 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

L’auteur indique que pour les pays cités ces réajustements sont le fruit de la mise en place de méthodes plus précises et plus fiables (Demographic and Health Surveys, DHS) pour l’estimation des prévalences nationales. Les surestimations seraient la conséquence de l’utilisation des chiffres obtenus dans les cliniques anténatales urbaines (avec une prévalence élevée) pour une extrapolation nationale. Sur les seuls 15 pays cités la surestimation est évaluée à 10 millions de personnes, les prévalences étant diminuées par un facteur allant de 2 à 3,8 ! La baisse la plus importante concerne l’Inde qui, d’après un article du Lancet494, est passée de 5,7 millions [3,4-9,4] à 2,5 millions [2-3,1] en raison d’une modification de la méthodologie qui était utilisée jusqu’à maintenant. L’auteur note que de nombreux pays n’ont pas encore mis en place le DHS et qu’il est donc possible que la surestimation mondiale soit encore plus importante. Enfin il note encore que jusqu’à présent il n’a jamais été trouvé de prévalence sous-estimée. M. James Chin est donc relativement plus optimiste que le scénario officiel, même s’il reconnait que la prévalence et l’impact du VIH restera important pendant des dizaines d’années dans des pays et des groupes de populations qui ont été particulièrement touchés.

Nous avons pu vérifier sur internet que, concernant les théories de M. James Chin, les avis étaient partagés, mais que certains noms connus s’aventuraient à reconnaitre la qualité de son travail et à soutenir son courage d’exposer une vérité bien différente de celle communément admise par l’ensemble des autoproclamés experts qui ont imposé leur vision de l’épidémie pour des raisons qui sont loin d’être altruistes.

Bien entendu nous ne pouvons pas nous prononcer sur tous ces commentaires, mais une fois de plus cela souligne la difficulté d’estimer correctement des nombres de personnes infectées par une maladie qui est la plupart du temps invisible, dans des pays où les moyens pour le faire ne sont pas présents. De plus, cela peut éclairer notre vision de l’épidémie cambodgienne, confirmant qu’elle ne serait pas aussi généralisée et importante que l’on pourrait le supposer.

Enfin, nous rejoignons l’auteur sur le rôle prédominant du comportement à risque dans la propagation du virus, mais sans oublier que ce comportement est aussi à la convergence d’une multitude d’autres paramètres, dont les contextes physiques et sociaux.

494 DANDONA L, DANDONA R. Drop of HIV estimates for India to less than half. Lancet 2007 ; 370 (9602) : 1811- 1813.

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IV.G.2. Les mythes et les vérités sur les épidémies

De façon assez similaire au chapitre précédant, d’autres auteurs ont présenté une autre vision de l’épidémie et de ce qui l’entoure, une vision qui souvent s’oppose à celle qui est officiellement proposée par les agences internationales. Nous n’en présenterons que deux à travers 2 articles: une sur l’épidémie asiatique et une concernant les épidémies généralisées.

495  5 MYTHES A PROPOS DE L’EPIDEMIE ASIATIQUE

Dans le premier article, les auteurs 496 ont désiré clarifier certains mythes qui sont véhiculés autour de cette épidémie, autant par la population que par les professionnels, et qui peuvent altérer la mise en place de programmes adaptés et cohérents. ? Nous allons essayer de résumer leurs dires :

1. « Il y a un risque majeur pour que l’épidémie asiatique ait un impact sur le développement similaire à l’Afrique, voire pire ». Les épidémies sont différentes car en Asie, elle est concentrée au niveau de 2 groupes bien particuliers, les prostituées et les UDI, et des interventions focalisées peuvent contrôler son expansion. La généralisation de l’épidémie par la voie hétérosexuelle est peu probable car le comportement sexuel des femmes asiatiques est entravé par le contexte culturel et social. L’âge des premiers rapports sexuel, du mariage sont plus tardifs et le nombre de partenaires cumulés est bien inférieur, limitant les risques pour les femmes (et les hommes). De plus les épidémies qui sévissent dans les 2 groupes ne coïncident pas. Ces épidémies, ne s’étendant que peu à la population, n’auront pas d’impact important sur le développement. Par contre, au sein de ces populations marginalisées, parce qu’elles sont pauvres, victimes de discriminations, d’un manque de législations et d’accès aux soins, l’impact humain sera particulièrement sévère. 2. « Les ‘Three Ones’, représentent un cadre de travail essentiel pour une réponse étendue et forte ». Ce concept, attractif et simple, présenté par l’ONUSIDA, consistant à allier une autorité nationale à une stratégie et à un système d’évaluation et de contrôle, n’est pas pertinent pour l’Asie. La Banque Mondiale et l’Angleterre (DfID), principaux donateurs pour cette initiative, ont récemment exprimé des réserves en raison de la superposition paralysante des instances gouvernementales coordinatrices, du manque d’expertise du personnel travaillant dans les autorités, et de la manipulation politique dont elles font l’objet. Une planification sectorielle par ministère serait plus efficace qu’un plan national, qui doit de toute façon, être composé de programmes sectoriels. L’important pour les pays concerné est l’appropriation des stratégies avec une volonté politique forte et le développement de compétences, afin d’optimiser la participation des multiples acteurs.

495 GODWIN P, O’FARRELL N, FYLKESNES K, MISRA S. Five myths about the HIV epidemic in Asia. PLoS Medecine 2006 ; (10) : e426. 496 Un des auteurs de cet article publié dans PLoS Medecine travaille au NCHADS, au Cambodge.

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3. « La majorité des progrès réalisés dans le contrôle de l’épidémie en Asie est le fait des ONG, la participation gouvernementale ayant été limitée, maladroite et hésitante ». Les ONG ont indéniablement eu un rôle majeur dans le développement d’initiatives innovatrices mais l’atteinte étendue des populations (à risque ou non) ne peut être faite que par le gouvernement, qui peut assoir ses actions sur un cortège de lois (contre la prostitution, le trafic de drogue, l’immigration). Le gouvernement s’il choisit de reconnaitre l’existence des problèmes existants et s’il choisit de travailler ouvertement en collaboration avec des ONG auprès de populations particulières dans le cadre d’un programme national, peut atteindre plus efficacement les objectifs prévus. La difficulté rencontrée par le gouvernement sera de poursuivre des actions souvent coûteuses qui ont été engagées dans un contexte de système sanitaire sous financé et de secteur privé non réglementé. Alors que les ONG peuvent servir efficacement d’innovateurs, d’observateurs pour le respect des Droits de l’Homme et de stimulateurs pour l’évolution des politiques, seul les gouvernements ont la responsabilité, la capacité et l’autorité pour permettre d’apporter les services de soins à toute la population. 4. « Le Fonds mondial a contribué de façon très significative au contrôle de l’épidémie en mettant à disposition de grandes quantités d’argent ». Le Fonds Mondial, qui se voulait être un fonds « propre, sans agenda et facile à utiliser », n’a pas atteint ce but. Ce Fonds surajoute des mécanismes supplémentaires qui ne s’intègrent pas bien à ceux existants. Il pousse les pays à développer des programmes verticaux qui vont à l’encontre du développement de systèmes de gestion et de stratégies globaux. Cela conduit à une duplication de la planification, de la coordination et du système de recueil de données mais aussi à de potentielles mauvaises gouvernances. Les pays n’ont pas toujours la capacité d’absorber la masse d’argent et de le transformer en action rapidement efficace (le FM pousse à avoir des résultats immédiats démontrables). Cela peut même conduire à un désengagement des autres donateurs. Pour atteindre des objectifs à court terme ce fonds est peut-être approprié, mais si la tâche est de construire des systèmes pour améliorer la santé et le social au long court afin d’atteindre un accès universel, l’approche est peut-être naïve. 5. « Une réponse multisectorielle étendue, au-delà du secteur de la santé, est nécessaire pour contrôler efficacement l’épidémie en Asie ». Les Agences des Nations-unies, au nom d’une réponse multisectorielle étendue, continuent à semer la confusion, la duplication, la compétition et le gâchis. L’hypothèse d’une dévastation socio-économique multisectorielle est improbable et ne justifie pas le poids de la mise en place d’une telle réponse. Il est plus adéquat de se concentrer sur des réponses pour les populations à risques et marginalisées qui se sont déjà montrées coût-efficaces (STI, préservatifs, échanges de seringues et programmes méthadone, éducation par les pairs).

Il est possible que le plus grand problème soit le manque de capacités institutionnelles et organisationnelles pour apporter efficacement des services de prévention et de soins, à un niveau de base. Il faut donc analyser clairement les situations des pays, développer des programmes qui ont déjà fait leurs preuves et, avec franchise et ouverture d’esprit, clarifier les motivations et les processus.

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497  10 MYTHES ET 1 VERITE A PROPOS DES EPIDEMIES GENERALISEES

Dans le second article, publié dans The Lancet, James D. Shelton, qui constate un échec de la prévention et une extension des épidémies généralisées en Afrique, explore 10 idées fausses et 1 priorité. Nous vous en proposons un résumé :

1. « Le VIH se répand comme un feu de paille ». En réalité non. Le VIH n’est réellement contagieux que pendant les premières semaines. Cette période initiale n’est particulièrement dangereuse que lorsque les individus ont plusieurs partenaires de façon concomitante. C’est dans ce type de réseaux sexuels que l’épidémie peut se répandre rapidement. 2. « La prostitution est le problème ». Dans les épidémies généralisées de l’Est et du Sud de l’Afrique, seulement 2% des hommes disent avoir été voir une prostituée durant l’année passée, alors que 29% d’entre eux déclarent avoir eu plusieurs partenaires durant la même période. La focalisation des actions de prévention sur la prostitution a donc des effets limités. 3. « Les hommes sont le problème ». Le comportement sexuel des hommes contribue de façon substantielle au développement d’épidémies généralisées à base hétérosexuelle, cependant les statistiques montrent aussi que dans ces d’épidémies, les femmes ont un rôle important en ayant souvent plusieurs partenaires et que dans les couples discordants ce sont surtout les femmes qui sont séropositives, et non leur partenaire. 4. « Les adolescents sont le problème ». L’épidémie touche toutes les tranches d’âge de la population sexuellement active, donc les interventions spécifiques sur les adolescents, bien qu’importantes, auront une efficacité limitée. 5. « La pauvreté et la discrimination sont le problème ». Ces facteurs peuvent bien sûr conduire à plus de prises de risques mais il existe aussi des cas où l’épidémie peut décroitre sans qu’il y ait eu une amélioration des conditions de vie (Zimbabwe) et à l’inverse l’épidémie peut s’accroître lorsque les conditions s’améliorent, peut être parce que cela favorise la mobilité et l’existence de partenaires sexuels concomitants. 6. « Les préservatifs sont la réponse ». Ils sont cruciaux pour contenir l’épidémie dans les groupes de population particulièrement exposés comme les prostituées, mais ils ont moins d’impact dans les épidémies généralisées. Ils ne sont pas appréciés, surtout dans les relations régulières, leur protection est imparfaite, leur utilisation est irrégulière, et leur promotion semble accentuer les comportements à risques. 7. « Le dépistage du VIH est la réponse ». Croire que la connaissance du statut sérologique va modifier le comportement à risque est intuitif. Les observations ont d’ailleurs confirmé que les résultats étaient décourageants, surtout pour la grande majorité des personnes séronégatives. De plus les possibles changements de comportements induits par cette connaissance doivent pouvoir être poursuivis sur une longue durée. Enfin, les nouvelles personnes infectées, particulièrement contagieuses, ne sont jamais dépistées ou bien leur test est négatif.

497 Shelton JD. Ten Myths and One Truth About Generalised HIV Epidemics. Lancet, 1 December 2007 ; 370 (9602) : 1809-1811.

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8. « Le traitement est la réponse ». En théorie les traitements peuvent contribuer aux actions de prévention par la diminution de la charge virale et par un changement de comportement grâce à une meilleure compréhension et acceptation de la maladie. En réalité ces effets pourraient être dépassés par des effets négatifs, comme la reprise des activités sexuelles lors de l’amélioration de l’état général et par la prise de risques supplémentaires lorsque le VIH n’est plus vu comme une condamnation à mort. 9. « Les nouvelles technologies sont la réponse ». Beaucoup d’argent et d’énergie sont dépensés pour les vaccins, les microbicides et les ARV prophylactiques, malheureusement il ne semble pas que les résultats soient pour bientôt. De plus, de telles innovations seront surtout réservées aux groupes à haut risque auront besoin de compliance et risqueront de désinhiber les comportements sexuels. De façon similaire, les traitements des IST pour prévenir la transmission ont été décevants. 10. « Les comportement sexuels ne changeront pas ». Les comportements peuvent changer, surtout devant la peur de la mort.

La vérité est que la priorité se trouve dans la réduction du facteur principal alimentant les épidémies généralisées : le multi partenariat concomitant. La compréhension du rôle important de ce facteur a été retardée par les guerres ancestrales entre les partisans du préservatif et de l’abstinence, et entre les différents programmes de prévention, en raison de l’interférence des morales, et parce que le changement massif des comportements est une notion étrangère aux professionnels de la santé. La réduction du nombre de partenaires doit passer par des messages clairs, adaptés aux cultures, qui doivent accroître la notion de risque personnel.

Il est étonnant de voir la diversité des visions qu’il est possible de rencontrer lorsque nous parlons du VIH. Chacun, s’appuyant sur des études et sur des expériences personnelles commente ce qui est dit et fait, de sorte que, de manière générale, et de leur point de vue, toutes les visions sont exactes même si elles ne sont pas identiques. De notre côté, parmi les divergences, nous observons des convergences pertinentes qui rejoignent nos observations: . L’épidémie n’est peut être pas aussi importante que prévue mais elle reste préoccupante . La prévention est une arme majeure de la lutte et elle doit être intensifiée, en particulier parmi les populations à risque qui sont les victimes principales . Les grandes structures internationales ont l’habitude de parachuter des stratégies et des mécanismes qui ne sont pas adaptés aux différents pays, ce qui entraine confusion, perte d’argent et faible efficacité . La généralisation des épidémies ne peut se faire que dans certaines conditions, en particulier s’il existe des réseaux de personnes ayant de multiples relations sexuelles concomitantes, ce qui n’est pas le cas en Asie . Les comportements sexuels sont la clé de voute de l’épidémie, tant qu’ils ne changeront pas, elle subsistera.

364 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

IV.H. Les autres enjeux

IV.H.1. Exploitation, Surexploitation et Syndrome de Pâques

L’île de Pâques fut explorée pour la première fois par le Hollandais Jakob Roggeveen le dimanche de Pâques 1722. Alors que l’on ne sait pas exactement de quand date la colonisation de cette île (entre l’an 400 et 1200), il est estimé que son pic démographique aurait été atteint au XVIIe siècle avec 15 000 habitants, ce qui représentait une densité très importante. C’est à ce moment que la surpopulation et la déforestation (liée à la construction intensive de statues) désagrégèrent la civilisation pascuane. Il y aurait eu une pénurie de bois et de cordes (moins de pêche, pas d’émigration possible), une sous alimentation, des conflits internes et enfin du cannibalisme, aboutissant à une chute démographique importante. Des mesures drastiques de gestion des ressources ne suffirent pas, il était trop tard. Alors qu’ils n’étaient plus que 3 000 à l’arrivée des occidentaux, les nouvelles maladies et l’esclavage aggravèrent encore la tendance au point qu’en 1877 la population était tombée à 111 habitants.

Un modèle mathématique a établi que leur population n'aurait pas dû dépasser 2 000 habitants pour qu'ils puissent durablement survivre sur l'île sans épuiser une ressource qui leur était indispensable : le palmier 498. Pour cela il aurait fallu pouvoir anticiper, avoir une vision globale, mettre tous les clans d’accord sur une meilleure gestion des ressources communes et convaincre la population que la construction traditionnelle des statues allait dégrader l’environnement … mais à cette époque l’île était le centre du monde pour ce groupe de personnes isolées.

La corrélation ne semble-t-elle pas évidente avec la situation du monde actuel ? Alors que nous sommes en train de détruire ou d’épuiser nos ressources, que nous nous entretuons pour conserver des morceaux de pouvoir, que nous luttons pour garder des habitudes qui se révèlent pourtant nocives, nous oublions que le monde est petit, que nous sommes tous installés dessus et que la colonisation d’autres planètes n’est pas possible.

498 Bologna Mauro, Université de Tarapacá, Brésil, cité par Science et Vie, avril 2008.

365 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Un jour, des visiteurs d’outre espace pourront reconstituer la catastrophe humaine à partir de prélèvements et de modèles mathématiques : « ils avaient atteints leur pic démographique il y a 500 ans, ils auraient pu dépasser 7 milliards d’habitants s’ils avaient utilisé différemment leurs ressources. Il est probable qu’après la crise énergétique et la surexploitation des réserves piscicoles et forestières il y eut des guerres entre les clans, des famines et des épidémies qui réduisirent de 90% leur population. Par la suite, les maladies que nous avons apportées ont aggravé la tendance au point que… ». Cette fiction n’en est peut-être pas une.

La taille de la population a des répercussions macroscopiques mesurables au niveau de la planète mais aussi microscopiques. En 2015 il y aura 23 mégapoles de plus de 10 millions d’habitants dont 14 en Asie. A l’instar de la lèpre, de la tuberculose ou encore de la peste, il existe une corrélation entre l’émergence et la propagation de germes et les concentrations humaines. Les mauvaises situations sanitaires, nutritionnelles sont des facteurs prédisposants. Actuellement 3 nouvelles espèces d’agents pathogènes pour l’homme sont découvertes tous les 2 ans. Il y en a eu 38 durant les 25 dernières années et ce sont en majorité des virus499. Le VIH ne déroge pas à cette règle, il a été stimulé par la croissance humaine, il tend à se disséminer dans toutes les métropoles, sur tous les continents, là où les contacts humains sont les plus denses et les plus fréquents. C’est particulièrement le cas pour les grandes villes d’Asie et d’Afrique qui sont en pleine expansion démographique, et qui, du fait de leur situation économique, possèdent de nombreux groupes à risque. Alimentée par la danse fatale du sexe et de la drogue, l’épidémie progresse irrésistiblement et elle est rapidement devenue le principal fléau des pays pauvres et des communautés les plus déshéritées. Le rôle de la mobilité est devenu primordial. L’évènement récent de la grippe à influenza A (H1N1)500 l’a bien montré. Partant du Mexique, en l’espace de quelques semaines, elle s’est étendue à 33 pays et 7520 personnes ont été contaminées. Le foyer initial s’est disséminé dans le monde grâce à l’avion. En mai 2009, alors que l’on observait des transmissions interhumaines, l’OMS a indiqué s’attendre à voir apparaitre des foyers autonomes avec des extensions régionales. C’était une pandémie. Alors que les Etats-Unis accumulaient des millions de doses d’oseltamivir, les pays en développement devaient s’attendre au pire si une pandémie globale venait à éclater. Se basant sur

499 BARNETT T. HIV/Aids: lessons from the last 30 years and implications for the future. London school of economics [Consulté le 12/03/2009]. Disponible à partir de l’URL: www.lse.ac.uk/collections/LSEAIDS/pdfs/BARNETT%20BOOK%20LAUNCH%2024%20MAY.pdf 500 Virus hybride entre les virus influenza aviaire, porcin et humain.

366 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 les données de la grippe espagnole de 1918, il a été estimé qu’elle tuerait 62 millions de personnes, 96% des morts se trouvant dans les pays en développement 501 (une fois de plus).

Une nouvelle souche de virus, un hybride, né de l’agrégation des humains et des élevages intensifs, qui agirait comme le VIH mais qui se transmettrait aussi facilement qu’une grippe, poserait des problèmes bien plus importants. Un tel virus pourrait se répandre au monde entier avant qu’il n’entraine des maladies qui signaleraient son existence. Bien sûr, ce n’est pour le moment que de la fiction, mais en réalité, que savons nous du danger potentiel que représentent les virus ?

Pour illustrer notre méconnaissance du monde viral nous allons citer un article de Sciences et Avenir 502 dans lequel des chercheurs Français relatent la récente découverte de virus géants (microbe mimicking virus, mamavirus) débusqués dans des conduits de canalisation (comme la légionnelle). Ce sont des virus dont on ne connait pas le mode de fonctionnement et dont on s’aperçoit qu’ils sont très répandus. Ils existent déjà dans notre environnement, en zone urbaine mais heureusement, pour le moment, ils ne semblent pas s’intéresser au genre humain. Une goutte d’eau de mer contient entre un million et un milliard de virus et la plupart nous sont inconnus. A ce propos Didier Raoult, un des chercheurs, nous raconte que « des études métagénomiques de grande ampleur menée par Graig Venter nous ont révélé que 70% des séquences génétiques prélevées dans l’océan ne se retrouvent chez aucune espèce vivante connue. La moitié doit appartenir à des virus. Pour cette raison, j’estime qu’il n’est pas raisonnable de construire des hypothèses sur 30% des acquis. Quand on a une telle méconnaissance du monde, il convient de rester modeste... ».

501 Editorial. Swine influenza : how much of a global threat ? Lancet 2009 ; 373 : 1495. 502 RATEL Hervé. Les virus sont nos meilleurs ennemis. Sciences et Avenir, mai 2009 ; 747 : 75-79.

367 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

IV.H.2. Environnements

Pourquoi parler d’environnements dans ce travail et de quels environnements devons nous parler ? L’environnement possède de nombreuses définitions modernes qui sont assez similaires. Cependant le sens qu’on lui donne actuellement est relativement récent : il a d’abord intégré la notion de « conditions dans lesquelles une personne ou une chose vivent » au début du 19ème siècle, puis au début du 20ème siècle lui a été ajouté un aspect psychologique et dans les années 1970 il s’est enrichi d’une composante écologique.

Nous ne prendrons ici que deux exemples de définition :

L'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), nous dit, avec son angle de vue, que 503:

Il n'existe pas de définition unique du terme «environnement». (...) Il paraît plus opérationnel de retenir (...) trois composantes essentielles:

. L’environnement naturel: préservation des écosystèmes, qui fournissent des éléments essentiels à la vie (tels que l'air, l'eau, les sols, la forêt, la flore, la faune) ou recèlent certaines valeurs scientifiques, voire esthétiques; . L’environnement mis en valeur: utilisation des ressources naturelles par l'agriculture, la sylviculture, l'élevage, l'aquaculture, le tourisme; . L’environnement construit: transformation de l'environnement naturel par les infrastructures (aménagements hydrauliques, transports, etc.), l'habitat ou l'urbanisation, les usines, les activités extractives, le traitement des déchets ou des pollutions.

Il existe souvent un faisceau de relations reliant ces trois niveaux.

L’encyclopédie Larousse, de façon moins opérationnelle, la définit comme 504:

. L’ensemble des éléments (biotiques ou abiotiques) qui entourent un individu ou une espèce et dont certains contribuent directement à subvenir à ses besoins. . L’ensemble des éléments objectifs (qualité de l'air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté d'un paysage, qualité d'un site, etc.) constituant le cadre de vie d'un individu. . L’atmosphère, ambiance, climat dans lequel on se trouve ; contexte psychologique, social : Un environnement politique particulièrement hostile.

503 Archive de documents de la FAO. Lexique. [Consulté le 16/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://www.fao.org/docrep/X5643F/x5643f08.htm 504 Encyclopédie contributive Larousse en ligne. Environnement [Consulté le 16/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://www.larousse.fr/ref/NOM-COMMUN-NOM/environnement_48488.htm

368 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

L’environnement est donc un concept large et nous devrons nous restreindre à n’aborder que son lien avec la santé humaine.

Puisque l’environnement est « ce qui est autour de nous », il est concevable d’imaginer que des relations existent entre les 2 systèmes : « nous » et « autour de nous ». La biologie et la physiologie nous en donne l’exemple : notre corps absorbe et intègre en permanence des éléments extérieurs, et dans le même temps, il y rejette d’autres éléments, ce qu’il a produit et ce qu’il n’a pas gardé. Dès lors nous concevons très bien qu’il existe une interdépendance entre les systèmes et que, schématiquement, sans environnement le corps humain ne peut subsister.

Le mot « environnement » trouve ses racines dans le grec, le latin et même le gaulois, avec au centre les concepts de « mouvement » (tourner, tournoyer, faire le tour) et de « forme » (entour, contours, anneau, cercle, rond). Ceci nous fait évidemment penser à la notion de cycle dynamique, celui qui met en relation des éléments qui dépendent les uns des autres et qui interagissent les uns avec les autres. Nous avons retrouvé cette dynamique au niveau des sphères interactives que nous avons illustré par nos schémas. Cette dynamique, qui se passe dans un univers à trois dimensions implique aussi, ne l’oublions pas, la notion de temps.

La santé est un état d’équilibre que le corps humain essaye de maintenir afin que ses fonctions soient optimales pour assurer la continuité de la vie. Le déséquilibre peut être provoqué par l’intrusion de vecteurs extérieurs comme les microorganismes et les produits toxiques, mais aussi par une modification du cadre de vie qui perturbe les espaces psychologiques et nutritionnels.

Nous avons vu que l’espèce humaine, par son nombre et sa densité, pouvait favoriser l’apparition d’organismes pathogènes qui potentiellement, profitant de la grande mobilité des êtres humains, pouvaient se répandre au monde entier dans un temps très court. C’est le cas de la grippe mais aussi du VIH. A un autre niveau, l’humanité provoque des changements plus macroscopiques qui peuvent se révéler tout aussi dangereux, non seulement en raison de leurs effets propres, mais aussi par les répercussions indirectes qu’ils entrainent sur les relations que nous entretenons avec le monde microscopique.

369 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

C’est pour ces raisons que nous allons parler des environnements. En effet, la dynamique de l’épidémie du VIH sous entend des liens complexes entre les humains mais aussi entre les humains et la terre, et c’est cette grande sphère interactive qui manquait à notre tableau. Nous prendrons comme exemple le réchauffement climatique qui préoccupe tant la communauté internationale. Nous utiliserons pour cela des informations spécifiques collectées par la Banque Mondiale, le PNUD, le Lancet et lors des conférences internationales sur le réchauffement climatique organisées par le Heartland Institute (2008, 2009). 505,506,507,508

 RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE : ETAT DES LIEUX

Il semble que l’existence d’un réchauffement climatique soit confirmée par la majorité des scientifiques (en fonction des équipes de recherche l’augmentation de la température serait de 1,1 à 6°C d’ici 2100) mais son évolution et son impact restent difficiles à prévoir. Cependant c’est son origine qui ne fait plus l’unanimité. De façon intéressante nous nous trouvons de nouveau devant une version officielle des Nations Unies, et une opposition à cette version, formée par un collectif de scientifiques. Avant d’aborder ce problème passons en revue ces 2 visions :

1 – Le réchauffement climatique est dû au CO2 produit par l’activité humaine.

Les partisans de cette théorie sont les Nations Unies et plus en particulier le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2007. Le PNUD nous dit dans l’avant-propos de son rapport mondial du développement humain : « La portion des changements due aux émissions de gaz à effet de serre est irréversible à court terme. Les gaz emmagasineurs de chaleur que nous envoyons dans l’atmosphère en 2008 y seront encore jusqu’en 2108 et au-delà. Les choix que nous faisons aujourd’hui influenceront non seulement nos propres vies, mais également celles de nos enfants et de nos petits-enfants. Les changements climatiques n’en sont que plus difficiles à gérer au niveau politique. »

505 World Bank. Energy and a changing climate. 2009 World Development Indicators. 506 PNUD. Rapport mondial sur le développement humain 2007/2008, la lutte contre le changement climatique : un impératif de solidarité humaine dans un monde divisé [Consulté le 12/04/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://hdr.undp.org/en/media/HDR_20072008_FR_Overview8.pdf 507 The Lancet Commissions. Managing the health effects of climate change. Lancet 2009; 373 : 1693-1733. 508 Heartland Institute [Consulté le 16/05/2009]. Disponible à partir de l’URL: http://www.heartland.org

370 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Pour le GIEC la cause principale semble être la production de gaz à effet de serre dont le CO2 compte pour 61-65%. L’émission de CO2 est principalement liée à la production d’énergie, celle-ci ayant doublé depuis 1971 (figure 126) et cette production est fortement liée au développement des pays (figure 127). Parmi les 6 premiers producteurs se trouvent les Etats Unis, le Russie, l’Allemagne, le Japon, la Chine et l’Inde. Il est anticipé que durant les années à venir la demande énergétique utilisant des sources fossiles sera toujours plus importante (figure 128), faisant craindre les pires scénarii si une réaction n’est pas décidée.

Figure 126 : Evolution de la consommation énergétique mondiale entre 1971 et 2006 Source: BM. World Development Indicators 2009

Figure 127 : Représentation du lien entre la consommation énergétique et le développement des pays Source: BM. World Development Indicators 2009

371 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 128 : Evolution de la demande énergétique par source entre 2006 et 2030 Source: BM. World Development Indicators 2009

En dehors de cette explication industrielle de l’origine du CO2 le GIEC s’appuie aussi sur les prélèvements faits dans la glace. Une carotte glaciaire de 3 085 mètres prélevée en Antarctique a révélé que la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère n’a jamais été aussi haute depuis les 650 000 dernières années. Etant donnée la tendance, et en envisageant différentes scénarii de réactions mondiales, ils ont estimés qu’il n’y a pas une seule solution parfaite pour réduire l’émission du CO2 de 50% mais qu’il faudra en combiner plusieurs pour espérer limiter la croissance de la température à 2°C: réduction de croissance pour certains pays, diminution de la mondialisation, efficacité supérieure de l’utilisation des ressources, solutions localisées, alternatives technologiques pour la production d’énergies renouvelables (figure 129).

372 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 129 : Scénarii du GIEC pour permettre la réduction de l’émission du CO2 dans le monde Source: PNUD. Rapport Mondial Développement Humain 2007/2008 2009 2 – Le réchauffement a des origines multiples et les activités humaines n’en sont pas la cause principale

Lors des conférences des centaines de présentations ont été faites, et la majorité d’entre elles ne sont pas en faveur de la version du GIEC.

Leurs conclusions étaient les suivantes : . La terre est actuellement en conformité avec la variabilité normale du climat. Les variations sont principalement engendrées par la nature et l’activité solaire. . Presque toutes les craintes liées au climat sont générées par des modèles informatiques de prévision non prouvées . Les études validées scientifiquement sont de plus en plus nombreuses à démonter les arguments

sur lesquels se développent les peurs liées au CO2

373 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

. La notion de « consensus » a été forgée à des fins politiques et non scientifiques

Cette notion d’origine non humaine du réchauffement a fait l’objet d’une pétition signée par 34 000 scientifiques de tous horizons. Pourquoi une telle pétition ? Parce que les scientifiques qui se réclament apolitique et seulement à la recherche de la vérité désapprouvent l’opportunisme actuel, parce que ceux qui essayent de publier des articles qui ne sont pas dans le sens du consensus font l’objet de pressions, parce qu’ils leur semblent inadmissible qu’un organisme impose une seul vision conformiste et dogmatique sans accepter de contestations, parce que les opinions ou théories de certains sont devenues des preuves, parce qu’ils s’opposent au dangereux phénomène sociopolitique qui est en train de se mettre en place, parce qu’ils veulent pas que la population fasse seulement confiance à des politiciens et à des journalistes qui n’ont aucun savoir en la matière.

Le dimanche 8 mars 2009, lors de la deuxième conférence sur le réchauffement climatique, le président de l'Union Européenne, le président tchèque Vaclav Klaus, a prononcé un discours dont voici un extrait :

A propos des alarmistes du réchauffement climatique : "Ils ne sont intéressés ni par la température, le CO2, les hypothèses scientifiques concurrentes et leur expérience, ni par la liberté ou les marchés. Ils sont intéressés par leurs affaires et leurs profits -- réalisés avec l'aide des politiciens. (…) Il est évident que les environnementalistes ne veulent pas changer le climat. Ils veulent changer notre comportement... pour nous contrôler et nous manipuler."

Ceci est inquiétant, car au-delà du problème du réchauffement, c’est la communauté scientifique en général qui est en crise devant la perte de son indépendance de pensée et d’action. Nous posons donc la question : à qui profitera le scénario catastrophe ? Il est probable que grâce à ce scénario les organismes gouvernementaux obtiendront plus de recettes fiscales en imposant des taxes couteuses, que les Nations Unies s’assureront un flux de revenus, que les compagnies d’assurances collecteront des primes plus élevées, que les avocats déclencheront plus de procès, que les places financières internationales profiteront de nouveaux marchés, que les ONG, activistes, universitaires, politiciens et consultants recevront plus de subventions et auront une plus grande influence. Pendant ce temps là, la population payera plus cher son accès à l’énergie, à l’eau et à la terre.

374 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

 CONSEQUENCES

Mis à part le conflit d’opinion actuel, si le réchauffement se confirme, il semble que les effets seront importants et répartis de façon hétérogène selon des régions du monde. Comme nous allons le voir les conséquences possibles pour la population sont loin d’être anodines et parmi celles-ci nous retrouvons certains de facteurs qui ont été identifiés comme aggravant l’épidémie du VIH.

Agriculture et nutrition La situation actuelle n’est pas très stable Les bases fragiles de la croissance économique des pays en développement sont vulnérables aux tremblements exogènes provenant de la mondialisation, du prix des énergies et de la récente répétition systématique des calamités naturelles. En 2008, la situation alimentaire mondiale s’est déjà dégradée en raison de la spéculation des pays riches sur les biocarburants. L'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM) peinèrent à trouver les ressources nécessaires pour soutenir les pays les plus touchés par la famine. Des dizaines de millions d’euros devaient être trouvés pour satisfaire les besoins. En juillet 2008 ces 3 agences demandèrent au G8 d’aider le monde à se nourrir en contribuant à une « nouvelle révolution verte » 509:

« Il faut donner aux pays pauvres la possibilité de se nourrir de nouveau par leurs propres moyens. (...) Cette révolution agricole doit tenir compte des exigences d'ordre social et économique et de la protection de l'environnement. Elle doit permettre de produire davantage, mais dans le respect de l'environnement et de manière durable. L'agriculture de demain doit également contribuer à adapter les systèmes agricoles locaux aux contraintes du changement climatique tout en aidant les communautés à en atténuer les effets ».

La flambée des prix en particulier ceux de la nourriture a été une onde de choc mondiale, menaçant les économies individuelles. Les grands programmes d’aide à l’alimentation avaient des budgets trop restreints et ils durent faire des choix : apporter autant à moins de personnes ou apporter moins à autant de personnes ?

La situation future risque de ne pas être meilleure. Le réchauffement provoquera une modification de la pluviosité et réduira l’irrigation pour les productions agricoles, et il accroitra la surface des

509 AFP. La FAO, le PAM et le FIDA demandent au G8 d’aider le monde à se nourrir. 8 juillet 2008 [Consulté le 13/07/2008]. Disponible à partir de l’URL: www.romadie.com/infos/news2/080708111912.zar7brif.asp

375 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir zones arides, appauvrissant les pays en développement. Le nombre de personnes malnutries pourrait augmenter de 600 millions d’ici à 2080. Comme le montre le graphique ci-dessous (figure 130) l’impact touchera principalement les pays en développement, avec une prédominance pour l’Afrique.

Figure 130 : Changement du potentiel de production agricole (2080 en % du potentiel de 2000) Source: PNUD. Rapport Mondial Développement Humain 2007/2008 2009

Réduction de l’accès à l’eau Les changements de circulation d’eau et la fonte des glaciers diminueront la disponibilité en eau pour les cultures et les hommes. Cette raréfaction pourrait toucher 1,8 milliard de personnes supplémentaires d’ici 2080.

Montée des eaux et désastres Avec une hausse de 5 à 6°C la fonte des glaciers et des banquises pourrait provoquer une hausse de 13 mètres du niveau des océans d’ici le milieu du siècle prochain. 1 milliard de personnes vivent dans des zones inondables le long des fleuves, un tiers de la population le la planète vit à moins de 60 km des côtes, 20 mégapoles sont situées sur des côtes. Toutes ces personnes risquent d’être progressivement déplacées. Des centaines de millions de personnes seront exposées aux intensités croissantes des cyclones tropicaux et des tempêtes aux conséquences dévastatrices.

376 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Biodiversité En sus de la pollution, de la déforestation et de l’érosion des sols, la destruction des massifs coralliens due au réchauffement des océans, l’atteinte du plancton par l’acidification des océans, la fonte des glaciers, les modifications de températures perturbant la reproduction des plantes et animaux, menacent les écosystèmes. Un accroissement de 3°C menacerait 20 à 30% des espèces terrestres, alors que déjà elle a diminué d’un tiers depuis 35 ans. Cette diminution de la biodiversité réduit le capital de molécules disponibles pour la pharmacopée mais aussi provoque des déséquilibres additionnels au sein des écosystèmes dont les conséquences ne sont pas mesurables.

Migration En fonction des modifications des conditions de vie liées au logement, à l’agriculture, à l’accès à l’eau et aux désastres, les populations se déplaceront, risquant d’aggraver leur précarité, les conflits et leur santé. En addition, la population mondiale pourrait croître jusqu’à 9 milliards d’habitants d’ici 2050, et ce, principalement dans les pays en développement, alourdissant la compétition territoriale et les difficultés de l’accès aux ressources.

La santé Les conséquences du réchauffement planétaire sur la santé des hommes sont de 2 ordres : 1. Perturbation de la sphère biologique dans lequel ils évoluent, entrainant une augmentation de la transmission et de la dispersion des maladies (et de leurs vecteurs). Le paludisme va s’étendre à de nouvelles zones géographiques et donc toucher des centaines de millions de personnes en plus. En 2080 ce seront des milliards de personnes supplémentaires qui seront susceptibles d’être atteints par la dengue hémorragique. La schistosomiase, l’echinococcose, la leishmaniose, la borréliose, les infections à hantavirus seront aussi des pathologies qui vont augmenter. Certaines infections animales évolueront de la même façon. 2. Perturbation des capacités de soins liées à un appauvrissement des populations et des gouvernements, à la migration des personnes et à une demande croissante face à l’extension ou l’apparition de maladies. Le graphique ci-dessous (figure 131) nous montre la disproportion qu’il existe entre les pays qui

émettent le CO2 et ceux qui en subissent les conséquences (malaria, malnutrition, diarrhée). Une fois de plus les pays en développement seront les principales victimes de ce déséquilibre.

377 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 131 : Comparaison entre la production cumulée de CO2 par pays entre 1950 et 2000 et les conséquences sanitaires liées au changement de climat Source : The Lancet Commissions 2009

Sur le graphique de la page suivante (figure 132) nous retrouvons une information similaire à travers le calcul du DALY (Disability Adjusted Life Year), comme celui utilisé pour le Sida. Ici est donc représentée la combinaison du nombre d’années de vie avec un handicap avec le nombre d’années de vie perdues, en raison du réchauffement en 2000. Sans étonnement nous retrouvons l’Afrique et l’Asie du Sud-est dans les régions les plus touchées (4466 DALYs, 81%), alors que les pays développés le sont à peine (8 DALYs, 0,15%).

« Les riches trouveront leur monde plus coûteux, plus inconfortable et perturbé (…). Les pauvres mourront ». 510

510 SMITH K. Symposium on climate change and health. Mitigating, adapting, and suffering: how much of each? Annu Rev Public Health April 2008 ; 29 : 11-25.

378 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 132 : Estimation des effets du changement de climat en 2000, par région (en DALY) Source: The Lancet Commissions 2009

 MOYENS DE LUTTE

Si les pays développés sont à l’origine de la situation présente, tel que cela est présenté officiellement, ils doivent en assumer la responsabilité et se donner les moyens pour la corriger. Or, jusqu’à maintenant les promesses d’actions et de financements sont ridicules. En 2008 l’argent débloqué pour lutter contre le réchauffement et ses effets était de 26 millions de dollars seulement! La mise en place d’initiatives qui pourraient diminuer l’émission de gaz coûterait 1-2% du PIB mondial par an. Par contre, si rien n’est fait, l’impact économique futur pourrait s’élever à 5-20% du PIB annuel mondial, pénalisant plus encore le monde et limitant les possibilités de réaction. Alors pourquoi faire si peu ? Parce que cela ne touchera en majorité que les pays en développement ? Parce ce que les dates sont encore trop éloignées pour que les politiques se sentent concernés et mettent en péril leur réélection ? Parce que les catastrophes ne sont pas encore assez importantes ?

D’autre part d’aucuns contestent le plan de la lutte, le trouvant trop cher et mal orienté. Pourquoi vouloir enfouir 30 milliards de tonnes de CO2 par an, solutionnant temporairement et superficiellement le problème, alors que la somme nécessaire pour le faire pourrait financer des aménagements plus adaptés ?

379 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

 EFFETS SUR L’EPIDEMIE DU VIH

Nous avons constaté que les liens entre la terre, l’eau et l’air sont intimes, qu’il existe une interdépendance à tous les niveaux et que les êtres humains se trouvent au milieu. Les cycles, petits et grands, existent sans que nous puissions en imaginer leur nombre et leur complexité.

Les facteurs que nous avions identifiés comme facilitant l’extension de l’épidémie du VIH, sont susceptibles d’aggraver leur influence au moindre déséquilibre mondial. Lorsque c’est le cas, la pauvreté, la malnutrition, la migration, les manques d’accès aux soins et à l’eau, la violence, la précarité interagissent avec des processus sociaux, économiques et écologiques plus larges, et infligent des chocs systémiques violents au développement humain. L’épidémie du VIH est alors de moins en moins contrôlable et elle échappe à tous les moyens de surveillance.

Depuis la crise économique de 2008, les glorieux modèles économiques ont été largement remis en cause, ne semblant ni adaptés, ni exacts, ni fiables, laissant à des individus la possibilité de manipuler des masses énormes d’argent virtuel et de tout déstabiliser. D’après ce que nous avons vu, nous pourrions étendre cette remise en cause à tous les modèles mathématiques, autant ceux qui estiment l’importance du réchauffement planétaire que l’importance de l’épidémie du VIH. Un problème de compétence ? Un problème d’honnêteté ? Un manque de vision globale ?

Pour lutter contre le réchauffement ou contre le VIH, il est nécessaire d’avoir le même degré de volonté, d’implication et de coopération au sein de la communauté mondiale, sans arrières pensées. Rien de solide et de durable ne se passera sinon. 2012 marquera la fin des accords de Kyoto et ce sera un moment décisif pour l’orientation politique mondiale. Nous verrons alors si l’humanité est prête pour faire les bons choix.

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CONCLUSION

L’HEURE DU BILAN

Après 28 années d’épidémie, le Sida a atteint toutes les sociétés, dans toutes leurs dimensions. Dès les premières années elle s’est étendue sans grand frein dans les pays en développement tandis que les pays développés, touchés précocement, ont mobilisé leur système de santé et leurs politiques pour la contenir.

Pendant ce dernier quart de siècle des efforts colossaux ont été faits, bien plus importants que ceux réalisés pour d’autres maladies plus anciennes (paludisme et tuberculose). L’énergie investie dans la compréhension et la prise en charge de la maladie a permis d’obtenir une multitude de résultats significatifs: des avancées thérapeutiques, techniques, scientifiques, la mobilisation d’un grand nombre de personnes, d’organismes et de gouvernements, la mise en place de stratégies mondiales de prévention et de soins, une meilleure compréhension de certains faits sociaux et comportementaux. C’est la première maladie qui a été autant appréhendée dans sa globalité, avec l’implication d’une grande variété de disciplines : médicales, paramédicales, psycho- sociales, ethnologiques .... Un autre résultat est, d’après les chiffres officiels récents, le constat d’un fléchissement de la prévalence mondiale avec une diminution des nouvelles contaminations.

Cependant, l’épidémie semble maintenant confortablement installée et on ne peut s’empêcher de penser que le déploiement de toute cette énergie aurait dû produire des effets bien plus importants. Actuellement, les experts, malgré les résultats actuels, ne sont pas très optimistes, ils redoutent même une résurgence de l’épidémie au sein de certaines populations (homosexuels, bisexuels, UDI, hétérosexuels à partenaires concomitants). Les pays en développement seront bien sûr les plus exposés car leurs réponses à l’épidémie sont encore partielles, fragiles et dépendantes.

POURQUOI CE SUCCES PARTIEL ?

Il n’y a pas une seule raison ni un seul coupable. Il est toujours très facile, a posteriori, de faire des commentaires sur ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire. Cependant, dans le cas présent nous avons quand même, à de nombreuses reprises, identifié des facteurs qui peuvent nous fournir des explications :

381 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

. Tout d’abord il y eut un retard dans la réaction financière mondiale. L’Afrique a, très tôt, montré que l’impact de l’épidémie était une réalité et que des actions étaient rapidement nécessaires pour endiguer son extension. Des solutions ont été envisagées, des stratégies ont été élaborées et budgétisées, mais la réponse internationale a été lente et incomplète. La prévention et les traitements n’ont été étendus que lorsqu’il a été montré qu’ils étaient coût-efficaces. Quant à l’accès aux ARV, il n’a été possible qu’à la suite d’une mobilisation active de la société civile. Pendant 20 ans l’aide financière est arrivée au compte gouttes, ventilée dans des programmes disparates qui n’étaient pas assez opérationnels en raison de leur manque d’adaptation aux contingences locales et individuelles. . Les contextes nationaux ont fortement influencé la possibilité de conduire des actions efficaces. Les guerres, les dictatures, le manque de volonté, les systèmes sanitaires squelettiques, les structures sociales, le manque de ressources financières et humaines sont autant de facteurs qui n’ont pas permis d’obtenir des résultats probants, prompts et pérennes dans beaucoup de pays. . La pauvreté n’est pas une notion universelle. Elle est différente pour chaque peuple, pour chaque individu, autant au niveau de sa définition que de son vécu. Les tentatives internationales de l’uniformiser à travers des calculs qui ne représentent pas correctement les conditions de vie des personnes, ont conduits à des actions qui étaient mal orientées et qui parfois produisaient des effets inverses. La pauvreté, celle qui est générée par la mondialisation et par l’obsession des pays riches de créer une croissance économique via la production et la consommation, a appauvri des pays et des personnes, les rendant encore plus dépendants d’une aide extérieure. En s’aggravant, la pauvreté conduit les individus à chercher des solutions de plus en plus extrêmes pour survivre. Celles-ci sont potentiellement à l’origine de conduites risquées qui favorisent la transmission du VIH. De son côté le Sida, par son impact sur la santé, génère des dépenses et des pertes de revenus qui sont dommageables pour la qualité de vie des familles. Ces dernières n’ont plus la possibilité de se sortir du cercle vicieux de l’appauvrissement et s’enfoncent de plus en plus profondément dans la misère. . La compréhension et la modification des comportements, en particulier sexuels, sont devenues l’enjeu primordial de la lutte contre le VIH. Il est devenu évident que certains types de comportements sont particulièrement risqués et sont à l’origine d’épidémies dans certains groupes de personnes. L’extension au sein de la population générale est lente et relativement limitée mais elle continue à progresser. Elle durera tant que les comportements n’évolueront pas car ils mettent constamment en échec les stratégies classiques de prévention. En effet, chaque personne définit ses priorités en fonction de ses conditions de vie et pour la majorité de la population celles-ci ne sont pas favorables à une prise de conscience des risques. Les activités de prévention visant à réduire ces risques devront mieux tenir compte du mode et du contexte de vie des personnes avant d’espérer provoquer des changements de comportement durables.

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L’EXEMPLE DU CAMBODGE

La particularité du Cambodge en Asie est l’explosion récente de son épidémie à travers un mode purement sexuel. L’un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-est est devenu l’un des plus lourdement touché. L’épidémie du VIH, qui a profité de l’histoire et du contexte national pour s’étendre, affecte profondément la société cambodgienne en touchant directement la population active et en endettant les familles. Pour les Cambodgiens le Sida ne représente qu’une menace de plus, un fléau parmi tant d’autres. Malgré la pacification et une certaine croissance économique, les conditions de vie sont restées difficiles. Pourquoi avoir peur d’un ennemi que l’on n’a jamais vu et qui tue à retardement, alors que la faim, l’absence d’un accès aux soins de bases, la tuberculose, la malaria, les mines, les parasitoses, bien plus quotidiennes, font oublier le danger potentiel que le Sida représente.

A la suite d’une implication précoce et innovatrice des ONG et de la volonté de plus en plus forte du gouvernement de renforcer sa lutte contre l’épidémie, l’aide internationale a progressivement augmenté, amenant séquentiellement de nouvelles initiatives qui ont permis une régression de l’épidémie et un accroissement de l’accès aux ARV.

Pourtant, au-delà de ces résultats, certaines incertitudes persistent : Combien de temps les financeurs pourront continuer à aider le pays ? Comment garantir l’avenir économique du pays alors qu’il est tributaire d’une corruption endémique ? Comment améliorer la prise en charge des patients alors que le système de santé stagne et reste pauvre ? Qui pourra prendre en charge les conséquences socio économiques du VIH ? Alors que le gouvernement est en train de reprendre tous les programmes démarrés par les ONG, pourra-t-il apporter une aide globale aux patients ? Comment sera-t-il possible de poursuivre des programmes ARV de qualité si les patients pauvres ne reçoivent pas un soutien social suffisant ? Comment pourront-nous traiter les TB multirésistantes dont le nombre va aller en augmentant ? Comment sera abordée la prise en charge des effets secondaires des ARV qui commencent à apparaître ? Comment sera gérée la problématique des secondes lignes tant au niveau de la prise de décision et du suivi que de l’approvisionnement en médicaments coûteux ? Que se passera-t-il dans quelques années lorsque les accords de l’OMC limiteront l’importation des génériques ? Est-ce qu’un relâchement de la prévention n’est pas à craindre alors que les programmes de traitement des IST et 100% condom ont montré leurs limites ? Que se passera-t-il si l’utilisation de drogues injectables continue de s’étendre ? Comment les individus pourront changer leur comportement si la situation économique et la pauvreté continuent à s’aggraver ?

383 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Ces nombreuses questions sont autant valables pour le Cambodge que pour beaucoup d’autres pays. Nul doute que le chemin vers un vrai développement humain demandera de l’argent, de la volonté, de la transparence, de la patience, de la tolérance et du temps. La lutte contre la pauvreté, le manque d’éducation, les inégalités sociales, la faiblesse du système sanitaire et le Sida sera un défi majeur pour les difficiles prochaines années que devront traverser les pays en développement.

MDM ET MME SOPHEA

L’expérience de Médecins du Monde au Cambodge a montré qu’il était possible de mettre en place un programme de prise en charge globale du patient et d’obtenir des résultats quantitatifs et qualitatifs très satisfaisants. Mme Sophea, suivie depuis 1997, a pu continuer à mener une vie normale et à soutenir ses enfants. Elle a eu de la chance. En effet, actuellement nous nous étonnons de recevoir quotidiennement des jeunes femmes et des jeunes hommes dans des états cliniques très détériorés, ne pesant plus que 28 kilogrammes, ayant attendu le dernier moment pour consulter. Ces personnes sont le plus souvent seules et sans ressources. Cette souffrance est désolante et choquante. Cela nous montre que la partie n’est pas encore gagnée et qu’il faudra accentuer l’éducation, l’information et la lutte contre la discrimination pour parvenir à atteindre toutes les personnes qui ont besoin de soins mais aussi d’un soutien psycho-social capital.

La passation du programme à une ONG locale a été une réussite, principalement parce que cela a été correctement anticipé et que des financements sont toujours disponibles. L’étape suivante, qui consiste à transférer ce projet au NCHADS, sera particulièrement délicate car elle va nécessiter une « gouvernementalisation » des activités, entrainant une réduction des ressources humaines et des activités de soutien psycho-social. Ce transfert soulève de nombreuses inquiétudes tant pour les acteurs du projet que pour les patients et leurs proches.

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LE FUTUR DE L’HOMME : L’HEURE DU CHOIX

L’épidémie du VIH peut être considérée comme le produit de l’évolution et du mode de vie de l’écosystème humain. Elle a bénéficié de l’explosion des moyens de transport et elle s’est étendue en exploitant les failles qui préexistaient au sein des sociétés. Son impact sur les populations est important, entrainant : accroissement de la mortalité, appauvrissement, aggravation des conditions de vie et ruptures sociales.

Faute de pouvoir trouver des traitements curatifs ou un vaccin, le monde est obligé de se rabattre sur des mesures de prévention dont l’efficacité est variable, car sujette à nombreux facteurs. Pourtant la prévention est plus que jamais essentielle et doit être intensifiée de façon appropriée et adaptée, en parallèle des traitements par ARV. La lutte contre le virus est une nécessité et elle exige des progrès et des innovations pertinents qui devront être médicaux et techniques mais aussi et surtout politiques, sociaux, moraux, psychologiques et philosophiques.

La transmission sexuelle est la clé de voûte de l’épidémie car elle est liée à des comportements qui sont ancestraux et difficiles à modifier. Cela fait intervenir des processus relationnels complexes qui sont autant liés à l’individu qu’à son environnement. Un changement significatif de ces comportements ne pourra s’opérer que si le contexte mondial change aussi. C’est la loi de l’interaction permanente de tous les systèmes et de tous les cycles qui sont reliés entre eux. Rares sont les êtres humains qui sont exemplaires, très rares sont les groupes qui le sont, et encore plus rares leurs représentants. Or, seule une attitude honnête et responsable des personnes et des dirigeants peut provoquer ce changement. Malheureusement les perturbations écologiques et environnementales actuelles, fruit d’un désir effréné de développement et de progrès, mettent en lumière des volontés politiques protectionnistes qui n’ont pas réellement l’envie de modifier l’état des choses. Là aussi les financements sont en retard, là aussi les experts se déchirent en oubliant que les victimes sont des personnes. Alors que des exemples similaires abondent, nous pouvons nous demander si les pays développés ne sont pas eux-mêmes malades, atteints d’un aveuglement et d’une déréalisation liés à la peur de perdre leurs acquis, leur sécurité et leur pouvoir. L’hypocrisie des uns, la cupidité des autres, utilisant des mécanismes financiers obscurs, ont entrainé l’exploitation de pays entiers, plongeant ces derniers dans une nouvelle détresse. Les individus sont transformés en consommateurs pour alimenter une économie qui est devenu le credo du monde moderne. Ils sont devenus des chiffres pour nourrir les statistiques alors même que ces dernières perdent de leur crédibilité.

385 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Si nous devions résumer la situation d’un point de vue qui dépasse la seule épidémie du VIH, nous dirions qu’il existe une autre maladie qu’il faudra traiter : celle de l’ignorance. Cette ignorance est la vraie pauvreté de l’être humain, car elle le plonge dans la peur du lendemain, la peur de perdre, la peur des autres et le conduit à adopter des attitudes délétères pour lui et son entourage.

Le seul moyen pour harmoniser, équilibrer et améliorer les conditions de vie de l’humanité et pour assurer son futur, est que chacun, quel qu’il soit, choisisse de réaliser une prise de conscience, profonde et honnête, de sa responsabilité dans la création d’un monde dont les générations futures hériteront.

Nous devons être le changement que nous souhaitons voir dans le monde.

Gandhi Mohandas Karamchand Mahâtmâ

Finalement, pour illustrer l’humilité qui doit accompagner notre incompréhension du présent et notre méconnaissance de nous-mêmes et de tout ce qui nous entoure, nous citerons Isaac Newton, qui vers la fin de sa vie, et malgré tout ce qu’il avait découvert, constata la chose suivante:

« J’ai l’impression de n’avoir été qu’un petit garçon qui joue au bord de la mer, s’amusant à trouver de temps en temps un petit caillou lisse ou un coquillage plus beau que les autres, tandis que pendant ce temps là, l’océan de la Vérité s’étendait inexploré devant moi ».

Memoirs of the Life, Writings, and Discoveries of Sir Isaac Newton (1855) par Sir David Brewster (Volume II. Ch. 27).

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LISTE DES FIGURES et GRAPHIQUES

Figure 1 : Représentation de type « poupée Russe » de l’intrication des systèmes biologiques et humains concernés par l’épidémie du VIH...... 23 Figure 2 : Représentation par un diagramme de type Venn des « entités agissantes »...... 24 Figure 3 : Représentation par un organigramme simplifié des systèmes, avec les articulations et les influences contextuelles...... 26 Figure 4 : Structure du virus et cycle de réplication virale ...... 36 Figure 5 : Graphe montrant l’évolution naturelle des taux de CD4 et de l’ARN viral au cours d’une infection non traitée...... 37 Figure 6 : Arbre phylogénétique du VIH et du VIS...... 38 Figure 7 : Carte représentant la prévalence mondiale des sous-types du VIH-1...... 39 Figure 8 : Répartition par pays des sous-types du VIH. Hypothèses sur les voies d’introduction et d’extension en Asie-Pacifique...... 40 Figure 9 : Trajet suivi par le marin Norvégien d’août 1961 à mai 1962 ...... 42 Figure 10 : Carte du Cambodge en Asie du Sud-est ...... 71 Figure 11 : Pyramide des âges, Cambodge 2005 ...... 80 Figure 12 : Historique de la création des structures nationales et des programmes de lutte contre le Sida, 1991-1999...... 84 Figure 13 : Evolution du nombre d’ONG Locales et Internationales de 1990 à 1994...... 89 Figure 14 : Evolution du nombre annuel de Décès du au Sida en Afrique sub-saharienne (population 640 millions) et aux USA (population 273 millions) entre 1980 et 1995. Distribution des causes de mortalités aux USA de 1982 à 1995 parmi une population âgée de 25 à 44 ans. .... 96 Figure 15 : Evolution du nombre de CDAG de 1995 à décembre 2008 ...... 102 Figure 16 : Evolution du nombre de tests réalisés par les CDAG nationaux de 1997 à 2008 ...... 103 Figure 17 : Evolution du taux de séropositivité parmi les tests sanguins réalisés au sein des CDAG (2005 - 2008) ...... 103 Figure 18 : Evolution du pourcentage d’hommes et de femmes de groupes spécifiques utilisant toujours le préservatif entre 1996 et 1998 ...... 104 Figure 19 : Séroprévalence parmi les prostituées directes ...... 104 Figure 20: Evolution du pourcentage d’hommes et de femmes de groupes spécifiques utilisant toujours le préservatif entre 1997 et 1999 ...... 105 Figure 21 : Evolution de la prévalence du VIH parmi des groupes sentinelles à Sihanoukville entre 1998 et 2000 ...... 106 Figure 22 : Evolution des ventes de préservatifs entre 1995 et 2001 ...... 106 Figure 23 : Evolution de la distribution gratuite de préservatifs entre 1991 et 2001 ...... 107 Figure 24 : Expansion géographique des sites 100% condom au Cambodge ...... 107 Figure 25 : Evolution de la prévalence du VIH parmi les femmes enceintes âgées de 15 à 49 ans, de 1995 à 2006 ...... 114 Figure 26 : Activité des centres PTME en 2008 ...... 115 Figure 27 : Résultat des tests VIH effectuées sur les femmes enceintes et traitement des nouveaux nés en 2008 au niveau des maternités avec PTME ...... 115

387 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 28 : Pourcentage des hommes de groupes à risque, déclarant avoir eu une relation sexuelle avec une prostituée au cours du mois précédant, de 1997 à 1999...... 124 Figure 29 : Evolution du taux d’utilisation systématique du préservatif par les prostituées avec des clients de 1997 à 2007 ...... 125 Figure 30 : Pourcentage des hommes de groupes à risque, déclarant toujours utiliser un préservatif lors d’une relation sexuelle avec une prostituée au cours du trimestre précédant, de 1997 à 2005...... 125 Figure 31 : Pourcentage de policiers déclarant avoir toujours mis un préservatif durant les 3 derniers mois, par type de partenaire ...... 126 Figure 32 : Pourcentage de prostituées déclarant avoir toujours mis un préservatif*, par type de partenaire ...... 127 Figure 33: Répartition des nouvelles infections masculines par type de partenaire, 1994-2002 ...... 127 Figure 34 : Prise de risque des MSM avec partenaire masculin lors du dernier mois ...... 128 Figure 35 : Prévalence des IST parmi 3 groupes de population en 1996 (n=1073) ...... 129 Figure 36 : Evolution de la prévalence des IST parmi les prostituées directes, de 1996 à 2005...... 131 Figure 37 : Evolution du taux de séropositivité parmi les prostituées directes, de 1996 à 2006 ...... 131 Figure 38 : La stratégie « HIV/Aids Continuum of Care » de l’OMS/ONUSIDA. 2000...... 142 Figure 39 : La stratégie “Comprehensive Continuum of Care » au Cambodge. 2006...... 143 Figure 40 : Evolution du nombre de site apportant des soins OI/ART et du nombre de patients sous ART de 2001 à 2008 ...... 147 Figure 41 : Evolution du nombre de cas VIH/Sida en Médecine B de 1994 à 2002 ...... 161 Figure 42 : Nombre patients hospitalisés ayant le VIH/Sida et pourcentage des patients Sida parmi tous les hospitalisés entre janvier 1998 et décembre 2002 ...... 162 Figure 43 : Distribution des principales pathologies des patients au stade Sida. Mai 2000 - décembre 2002...... 163 Figure 44 : Evolution du nombre de nouveaux patients venant consulter au centre VIH/Sida de MDM (1996-2001) ...... 164 Figure 45 : Evolution de la répartition Homme/Femme des nouveaux patients séropositifs reçus à la consultation MDM (1996-2001) ...... 165 Figure 46 : Distribution par sexe des personnes infectées par le VIH au Cambodge – 1996 - 2003 ...... 165 Figure 47 : Réseau de dépistage et de prise en charge médicale (VIH & IST) de MDM au Cambodge 1998-2002 ...... 175 Figure 48 : Organisation du système de soins de MDM à l’hôpital Preah Kossamak pour les patients vivant avec le VIH/Sida ...... 178 Figure 49 : Evolution des cohortes de patients « IO » et « ARV » de MDM, 2004-2008 et projection de la cohorte ARV en 2010 ...... 183 Figure 50 : Répartition des patients selon leur niveau d’observance en fonction du temps ...... 187 Figure 51 : Prévalence du VIH parmi les cas de TB dans le monde en 2003 ...... 190 Figure 52 : Corrélation entre le degré d’immunosuppression et les manifestations clinique de la TB ..... 191 Figure 53 : Intégration des 2 systèmes de prise en charge (TB et VIH) ...... 192 Figure 54 : Fréquence des symptômes cliniques retrouvés au moment du diagnostic ...... 193 Figure 55 : Temps écoulé entre les premiers symptômes et le début du traitement ...... 194 Figure 56 : Schéma de l’étude CAMELIA ...... 196 Figure 57 : Evolution de la séroprévalence au Cambodge de 1995 à 2006 parmi les adultes âgés de 15 à 49 ans – HSS 2006 ...... 199 Figure 58 : Evolution de la séroprévalence au Cambodge de 1996 à 2003 parmi les adultes âgés de 15 à 49 ans – HSS 2003 ...... 200

388 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 59 : Estimation du nombre d’adultes âgés de 15 à 49 ans vivant avec le VIH, 1990 – 2003 ...... 201 Figure 60 : Nombre de nouvelles infections réparties par voie de transmission ...... 202 Figure 61 : Distribution géographique des 49 sites proposant des services OI/ARV ...... 203 Figure 62 : Estimations du nombre de morts dues au Sida de 1990 à 2007 ...... 204 Figure 63 : Représentation des services disponibles à l’échelle nationale pour la lutte contre le VIH/Sida ...... 205 Figure 64 : « Répartition mondiale de l’infection par le VIH en 2007 – 33 [30-36] millions de personnes vivant avec le VIH » ...... 206 Figure 65 : Estimation du nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde, 1990-2007 ...... 207 Figure 66 : Estimation du nombre d’adultes et d’enfants vivant avec le VIH en 2007 par région...... 207 Figure 67 : Estimation du nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH dans le monde, 1990-2007 ...... 207 Figure 68 : Nombre estimatif d'adultes et d'enfants nouvellement infectés par le VIH en 2007 par région...... 208 Figure 69 : Estimation du nombre de décès d'adultes et d'enfants dus au Sida dans le monde, 1990- 2007 ...... 208 Figure 70 : Nombre estimatif de décès par Sida chez l'adulte et l'enfant en 2007 par région...... 209 Figure 71 : Estimation de la prévalence du VIH chez les adultes (15-49 ans) vivant avec le VIH dans le monde et en Afrique subsaharienne, 1990-2007 ...... 210 Figure 72 : Représentation des liens entre les « entités agissantes » et de l’ « environnement culturel et matériel » ...... 213 Figure 73 : Evolution des prix des antirétroviraux brevetés et génériques de mai 2000 à juin 2007 ...... 220 Figure 74 : Représentation géographique mondiale du pourcentage de personnes recevant des ARV parmi ceux qui en ont besoin, juin 2005...... 229 Figure 75 : Distribution géographique des structures de santé ...... 234 Figure 76 : Répartition géographique de la densité de population au Cambodge ...... 234 Figure 77 : Représentation graphique du nombre d’habitants par médecins ...... 235 Figure 78 : Sphère agissante ...... 249 Figure 79 : Distance moyenne entre la population et les structures de santé ...... 251 Figure 80 : Vente de traitements traditionnels via des organisations ayant des lettres de soutien bien affichées...... 254 Figure 81 : Pourcentage et nombre de personnes dans le monde vivant à différents niveau de pauvreté, 2005 ...... 265 Figure 82 : Evolution de la population mondiale et du nombre de personnes sous le seuil de pauvreté international (2005), entre 1981 et 2005...... 267 Figure 83 : Distribution dans le temps (1986 – 2008) des ressources annuelles disponibles pour le VIH/Sida...... 270 Figure 84 : Evolution des HDI dans le monde de 1975 à 2005 ...... 273 Figure 85 : Répartition géographique des activités économiques ...... 274 Figure 86 : Répartition géographique du taux de pauvreté au Cambodge (évaluation 1998) ...... 275 Figure 87 : Projections du taux de pauvreté au Cambodge entre 1993 et 2015 en fonction de l’évolution de la croissance du secteur agricole...... 276 Figure 88 : Répartition dans le temps (1991-2005) des Investissements internationaux pour la lutte contre le VIH/Sida ...... 277 Figure 89 : Distribution des ressources financières pour le VIH au Cambodge, par source...... 278 Figure 90 : Mode d’attribution des sources de financement aux opérateurs de la lutte contre le VIH .... 279

389 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Figure 91 : Proportion des financements destinés à la lutte contre le VIH/Sida par rapport à l’aide étrangère totale (Overseas Development Assistance (ODA))...... 279 Figure 92 : Evolution dans le temps (1990-2005) de l’épidémie et des investissements ...... 280 Figure 93 : Mécanismes alimentant l’expansion de l’épidémie...... 283 Figure 94 : Hypothèses d’évolution de la population de 4 pays du sud de l’Afrique avec et sans l’épidémie du Sida, 1990-2015...... 285 Figure 95 : Courbes d’espérance de vie 4 pays du sud de l’Afrique entre 1990 et 2015...... 286 Figure 96 : Pyramide des âges de 5 pays du sud de l’Afrique, avec et sans Sida, 2015...... 287 Figure 97 : Conséquences du VIH/Sida sur les enfants et la famille ...... 288 Figure 98 : Prévalence des orphelins par groupe d’âge au sein de pays ayant des prévalences significatives...... 289 Figure 99 : Evolution modélisée du nombre d’orphelins en Afrique du Sud en fonction des interventions sanitaires (PTME ou ARV) de 1990 à 2026...... 290 Figure 100 : Répercussions du VIH/Sida sur une entreprise ...... 291 Figure 101 : Impact financier de l’épidémie du VIH en Asie en fonction des stratégies mises en place. .. 293 Figure 102 : Projection du nombre d’années de vie perdues en Asie en raison de différentes pathologies, parmi la population des 15-44 ans, entre 2002 et 2020...... 295 Figure 103 : Sphère environnementale ...... 296 Figure 104 : Modélisation de l’apparition de résistances dans un pays en développement où 30% des personnes infectées reçoivent des ARV...... 300 Figure 105 : Projection de la répartition des nouvelles infections au sein de certains groupes de population dans les pays asiatiques dont l’épidémie a débuté à travers les utilisateurs de drogues injectables (Asian Epidemic Model) ...... 303 Figure 106 : Estimation de la prévalence du VIH parmi les clients des prostituées en fonction de la fréquence de leur fréquentation en Asie ...... 303 Figure 107 : Estimation de la répartition des nouvelles infections au sein de certains groupes de population en Asie (1975-2020) ...... 304 Figure 108 : Projection de l’évolution de l’épidémie en Asie en l’absence d’intensification des mesures de prévention ...... 306 Figure 109 : Impact du Sida sur la pauvreté : érosion de l’Objectif de Développement du Millénaire .... 310 Figure 110 : Répartition dans le temps des évènements, des initiatives et des financements ...... 313 Figure 111 : Pays exposés à une augmentation de leur pauvreté suite à la crise financière mondiale .... 315 Figure 112 : Evolution de la population cambodgienne de 1962 à 2008...... 320 Figure 113 : Estimations et Projections de l’espérance de vie au Cambodge, 1998-2011 ...... 320 Figure 114 : Estimation du nombre de PVVS au Cambodge de 1990 à 2012...... 323 Figure 115 : Estimation de la prévalence parmi la population générale de 15 à 49 ans, de 2006 à 2012 avec des ARV disponibles...... 324 Figure 116 : projection de la prévalence de 2006 à 2012 parmi la population âgée de plus de 15 ans, en fonction de la disponibilité des ARV ...... 324 Figure 117 : Projection du nombre annuel de nouvelles infections parmi les adultes de 2006 à 2012 ..... 325 Figure 118 : Estimation du nombre de personnes âgées de plus de 15 ans ayant besoins d’ARV, 2006- 2012 ...... 325 Figure 119 : Estimation du nombre de décès dus au Sida parmi la population âgée de plus de 15 ans de avec et sans ARV disponibles, 2006-2012 ...... 326 Figure 120 : Estimation du nombre d’enfants vivants avec le VIH et nouvellement infectés sans ARV disponibles, 2006-2012 ...... 326

390 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Figure 121 : Estimations de la prévalence du VIH au Cambodge à travers les enquêtes nationales successives ...... 328 Figure 122 : Estimations du nombre de PVVS (15-49 ans) au Cambodge à travers les enquêtes nationales successives ...... 328 Figure 123 : Evolution du degré de réponse nationale dans 14 pays d’Asie entre 1996 et 2006 ...... 332 Figure 124 : Chronologie de mise en place des programmes de prévention et de traitement, au niveau international et cambodgien, 1981-2009 ...... 333 Figure 125 : Exemple d’une méthode du calcul du nombre d’orphelins du Sida ...... 342 Figure 126 : Evolution de la consommation énergétique mondiale entre 1971 et 2006 ...... 371 Figure 127 : Représentation du lien entre la consommation énergétique et le développement des pays . 371 Figure 128 : Evolution de la demande énergétique par source entre 2006 et 2030 ...... 372

Figure 129 : Scénarii du GIEC pour permettre la réduction de l’émission du CO2 dans le monde ...... 373 Figure 130 : Changement du potentiel de production agricole (2080 en % du potentiel de 2000) ...... 376 Figure 131 : Comparaison entre la production cumulée de CO2 par pays entre 1950 et 2000 et les conséquences sanitaires liées au changement de climat ...... 378 Figure 132 : Estimation des effets du changement de climat en 2000, par région (en DALY) ...... 379

391 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Evolution des dépistages réalisés sur les donneurs de sang et le nombre de cas de séropositivité déclarés au Programme National de Lutte contre le Sida (PNLS), de 1991 à 1994...... 81 Tableau 2 : Principaux résultats des différentes enquêtes réalisées par le CNTS et l’Institut Pasteur du Cambodge entre 1991 et 1994...... 86 Tableau 3 : Séroprévalence parmi les groupes à risque de 1991 à 1998 ...... 99 Tableau 4 : Déclarations au PNLS des cas VIH et Sida ...... 99 Tableau 5 : Evolution du taux d’exposition au VIH des hommes entre 1992 et 1999 en fonction du taux de séropositivité des prostituées et du taux d’utilisation du préservatif...... 108 Tableau 6 : Risque estimé et moment de survenue de la transmission du VIH de la mère à l’enfant ...... 110 Tableau 7 : Analyse des caractéristiques d’une population de prostituées directes et indirectes dans un programme de clinique mobile de PSF...... 121 Tableau 8: Description des IST rencontrées dans les centres de santé et cliniques spécialisées en 2008 . 132 Tableau 9 : Description des cohortes ARV et IO de MDM de 2004 à 2008 ...... 182 Tableau 10 : Distribution des régimes ARV au niveau national et au sein du programme de MDM/SEAD (décembre 2008) ...... 184 Tableau 11 : Estimation de l'incidence, de la prévalence et de la mortalité de la tuberculose dans le monde en 2005...... 189 Tableau 12 : Coût d’achat des antirétroviraux au Brésil sur la période 1997-2001 ...... 224 Tableau 13 : Liste des ARV en 2007 ...... 225 Tableau 14 : Financements par le Fonds Mondial de la lutte contre le VIH/Sida au Cambodge, montants et périodes ...... 231 Tableau 15 : Financements par le Fonds Mondial du projet MDM/SEAD, montants et périodes ...... 232 Tableau 16 : Description des ONG enregistrées au CDC entre 2002 et 2006 ...... 243 Tableau 17 : Index de Développement Humain du Cambodge 2006 ...... 272 Tableau 18 : Indicateurs pour la mesure de la pauvreté au Cambodge (HPI-1) ...... 272 Tableau 19 : Distribution des financements reçus, prévus et des nécessaires de 2006 à 2010 ...... 281 Tableau 20 : Comparaison du nombre de personnes retrouvées séropositives au sein des VCCT en 2008 et l’estimation du nombre de nouvelles infections par l’Asian Epidemic Model ...... 330 Tableau 21 : La surestimation des prévalences pour le VIH dans certains pays d’Afrique et d’Asie d’après James CHIN...... 359

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ANNEXES

A. Publications auxquelles nous avons participé directement ou indirectement

Cambodge. Un état des lieux de la prise en charge (janvier 2001)

Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites

N°6 - hiver 2001 - Numéro spécial

Pascal Crépin Médecin du monde (Phnom Penh) Pierre-Régis Martin Médecin du monde (Phnom Penh)

Le Cambodge est à l'origine un pays pauvre en ressources qui se remet à peine de longues années d'instabilité politique et sociale. Il est l'un des pays les plus pauvres au monde avec un système de santé en état de délabrement avancé.

Le Cambodge, axe commercial entre la Thaïlande (pays qui a possédé très tôt un taux d'infection parmi les plus élevé du monde) et le Vietnam, a allié situation politique instable, sous- développement économique, taux d'analphabétisation élevé et insuffisance des structures sanitaires et sociales. Puis la libéralisation de l'économie avec le développement des échanges commerciaux et du tourisme, ont entraîné une expansion exceptionnellement élevée de la transmission du virus dès 1991. L'arrivée des Nations-unies en 1993 a accéléré le brassage du virus et sa dispersion au sein des groupes à risque. Cette transmission, très majoritairement hétérosexuelle, est entretenue par l'abondance particulière en prostituées professionnelles et occasionnelles. Les pays en développement représentent un réservoir potentiel important du virus. C'est là que les personnes meurent en un temps record dans des conditions déplorables, que les enfants sont orphelins trop jeunes, que les économies vont s'appauvrir et finalement entretenir le processus d'expansion de la maladie. Concernant principalement les populations à risque, les enquêtes de dépistage du VIH au sein de la population cambodgienne n'ont débuté qu'en 1991 à travers différents organismes. - Les premiers séropositifs ont été identifiés parmi les donneurs de sang en 1991 (au Centre national de transfusion sanguine) avec un taux de positivité de 0,08 %. Ce taux a rapidement augmenté pour atteindre 4,5 % en 1995, puis est redescendu à 3,1 % en 1999 après une politique plus stricte de sélection des donneurs. - L'hôpital Calmette, et notamment le pavillon des indigents de Médecins du monde (« médecine B ») qui a reçu et identifié les premiers cas de Sida dès 1993, hospitalise actuellement environ 75 patients sidéens par mois.

393 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Les consultations externes MDM spécialisées VIH démarrées dès 1996, reçoivent à présent 500 consultants par mois. L'estimation du NCHADS (National center for HIV/AIDS dermatology and sexual transmitted diseases) concernant la prévalence nationale pour l'année 2000 parmi les populations à risque (15- 49 ans) est de 4,04 % (soit environ 210 000 personnes). D'avril 1995 à fin décembre 1999, 45 070 tests ont été effectués dans l'ensemble du réseau CDAG (centres de dépistage anonyme et gratuit) au Cambodge. Le CDAG de L'Institut Pasteur Cambodge (IPC) réalise à lui seul 72 % de cette activité de dépistage. La part des cinq CDAG du NCHADS est donc faible en comparaison de celle du CDAG de l'IPC, mais elle est en régulière et forte augmentation d'une année sur l'autre. Parmi les CDAG du NCHADS, le seul CDAG du CNDV représente à lui seul près de 55 % des tests.

Situation épidémiologique Les données du recensement de 1998 : 11 437 656 personnes (7e place dans les pays de l'Asean) Croissance annuelle 2,49 % PIB réel par habitant 1110 $ PNB par habitant 270 $ Espérance de vie 53,4 ans (50 ans pour les hommes, 59 ans pour les femmes) Mortalité infantile 103/1000 Mortalité maternelle 9/1000 Population urbaine 15,7 % Indice de fécondité 5,2 personnes Femmes chefs de famille 25,7 % Tranches d'âge 0-14 ans 2,8 % 15-64 ans 53,7 % >64 ans 3,5 % Analphabétisme 37,2 % (population générale), 22,7 % (>15 ans) 83 % des adultes non illettrés n'ont pas franchi le primaire. Scolarisation des 7-14 ans 64 % Population active (55,5 %) primaire 77,5 %, secondaire 4,3 %, tertiaire 18,2 % Eau potable 29 % des foyers (60,3 % en ville, 23,7 % à la campagne) Electricité 15,1 % des foyers (53,6 % en ville, 8,6 % à la campagne) Toilettes 14,5 % des foyers (49 % en ville, 8,6 % à la campagne)

Les réponses aux besoins Les efforts consentis envers ce pays par la communauté internationale, qui se sont traduits en millions de dollars d'investissement et d'aide, ont longtemps été amenuisés, voire anéantis, par les aléas de la politique cambodgienne. Depuis 2 ans cependant, au vu de la normalisation qui gagne petit à petit toutes les sphères de la société cambodgienne, les bailleurs de fonds ont repris leurs programmes d'aide au Cambodge. Mais selon les chiffres du ministère de la santé, en 1998, seuls 3 % des 5,5 millions de dollars alloués au Cambodge pour des programmes liés au VIH/Sida ont été consacrés aux soins... Le NCHADS, cette nouvelle cellule du ministère de la Santé, à la différence des programmes

394 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010 nationaux qui ont existé depuis mai 1991, possède une plus grande autonomie et une plus grande capacité de recherche financière pour développer des programmes de prévention, de traitement et des études sur les populations à risque. De nombreuses organisations sont maintenant engagées dans la lutte contre la transmission du virus. Mais si les initiatives (gouvernementales, civiles et internationales) se multiplient dans ce domaine, rares sont ceux qui s'intéressent à la prise en charge médicale des patients infectés et aux spécificités locales de la maladie.

Les problèmes Le conseil et l'information au patient est sans doute ce qui fait le plus défaut aujourd'hui en matière de VIH/Sida. Ceci est particulièrement vrai dans les zones rurales puisque, par exemple, le conseil et le test du Sida ne sont pratiqués que dans 6 des 22 provinces que compte le pays. - L'accueil dans le système de soins : selon les estimations, en l'an 2000, 25 000 personnes nécessitaient des soins. Or, la capacité totale des hôpitaux cambodgiens n'est pour l'instant que de 8 500 lits. - L'impact économique et social de l'épidémie : dans les dix prochaines années, les maladies et décès qui vont affecter les familles vont provoquer une baisse de l'espérance de vie, une hausse de la mortalité infantile, une diminution de la scolarisation, une vente des biens, un endettement croissant, une surcharge de travail pour les sujets âgés, davantage de malnutrition chez les jeunes, et, bien sûr, l'augmentation du nombre de veuves et d'orphelins sans ressources. Le niveau d'épargne va être amputé avec une baisse des investissements, les forces productives vont être sévèrement diminuées et les revenus des ménages vont chuter, entraînant un affaiblissement du PIB. Un récent exercice organisé par le Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD) qui devait démontrer l'impact économique de l'épidémie sur le Cambodge pour les années 1997- 2006 a mis en évidence que les pertes pourraient s'élever de 1,97 milliard de dollars (si le pic de l'épidémie avait été en 1997) à 2,82 milliards de dollars (si le pic avait lieu en 1999). Ces chiffres reflètent seulement les coûts indirects engendrés par le Sida, à savoir les pertes en force de travail et autres subies par la société en raison de la prématurité avec laquelle les personnes infectées par le virus meurent. Si les coûts directs (de prévention, traitement, soins…) sont ajoutés au calcul, les chiffres susmentionnés sont, bien sûr, beaucoup plus élevés…

Les prévalences parmi les groupes sentinelles Prostituées directes 33,2 % Prostituées indirectes 19,8 % Policiers 4,7 % Patients tuberculeux 7,9 % Femmes enceintes 2,6 % Donneurs de sang 3,1 % Femmes au foyer 1,2 % Adultes 210 000 séropositifs Enfants 5 400 séropositifs Nombre d'orphelins vivants (<15 ans), en 1999 11 649 Adultes et enfants décédés du Sidaen 1999 14 000

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L'accès aux thérapeutiques antirétrovirales En Amérique latine, plusieurs pays offrent maintenant un traitement antirétroviral aux personnes infectées par le VIH. Le Brésil, par exemple, a dépensé environ 300 millions de dollars en 1999, pour dispenser ces médicaments à près de 75 000 personnes. De toute évidence, le traitement est coûteux, mais les responsables de la santé estiment que les coûts des médicaments qui ralentissent l'évolution du VIH/Sida sont en partie justifiés par les économies réalisées sur les frais d'hospitalisation et de soins médicaux pour ces malades. Les économies sur les coûts indirects de la maladie sont aussi considérables. Sans thérapie antirétrovirale, un nombre beaucoup plus élevé de personnes vivant avec le VIH contracteraient les infections opportunistes liées à la dégradation du système immunitaire. On estime que sur une période d'un an entre 1997 et 1998, le Brésil a économisé environ 136 millions de dollars uniquement en coûts hospitaliers et thérapeutiques pour des personnes infectées par le VIH. Tout en continuant en parallèle le travail de prévention, les projets doivent aider le développement des soins à domicile et favoriser la prise en charge médicale spécifique de ceux qui sont déjà infectés. Cette prise en charge des patients infectés est une nécessité qui a mis du temps à être acceptée par les organisations sanitaires pour des raisons de stratégie de santé publique qui, à la vue des résultats obtenus, peuvent être rediscutées. Les Cambodgiens infectés nécessitent d'être correctement informés et suivis car ils jouent un rôle de " contaminant " au moins aussi actif dans l'épidémie que les personnes qui se feront contaminer. Ce sont eux qui doivent aussi être sensibilisés à la prévention, et qui doivent être aidés médicalement pour qu'ils conservent une santé leur permettant de prendre en charge la famille le plus longtemps possible.

Les solutions envisageables Le Cambodge n'a actuellement pas la possibilité de faire face à une pression des Etats-Unis en produisant des génériques. Le coût excessif des multithérapies occidentales, principalement indiquées à un niveau évolué de la maladie, ne doit pas pour autant entraîner une non-assistance aux autres personnes infectées. Il apparaît plus réaliste de développer des structures de traitements et de suivi qui prendront en charge de façon préférentielle les séropositifs à un stade précoce. Les études actuelles, en effet, tendent à montrer que cette stratégie permet une consolidation de l'immunité naturelle spécifique qui, à long terme, aboutit, non à une illusoire éradication du virus, mais à une infection chronique contrôlée. Dans cet objectif, l'utilisation - dans le cadre de programmes nationaux - de thérapies reconnues efficaces et de coût modéré (achat de génériques produits en Asie) mais avec une qualité contrôle correcte, accessibles à une population plus importante, aura donc un impact mesurable au niveau de la santé publique. La politique de dépistage précoce devient alors une vraie nécessité car elle permettra de lutter contre l'idée très répandue qui consiste à dire : " je ne fais pas le test car si j'étais positif je me ferais plus de souci et je n'aurais pas de traitement ". Cette attitude de " l'autruche " qui favorise évidemment la transmission parmi les populations à risque. Le but étant d'apporter une meilleure qualité de vie aux patients en retardant l'apparition des complications, de leur permettre une vie sociale active plus longue, de limiter l'engorgement du système sanitaire qui n'est pas encore prêt à recevoir tous ces patients, et de diminuer l'impact économique de la maladie.

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Ce type de projet s'insèrerait dans les activités déjà existantes de Médecins du monde au Cambodge, à savoir : - Les trois centres de consultations spécialisés pour le traitement syndromique des MST et l'information sur le Sida (hôpital militaire, hôpital de la police, dispensaire situé à Psar Thmei destiné à la prise en charge des prostituées). - Les centres de dépistage anonymes et gratuits (Hôpital militaire et centre Psar Thmei). - Programme de prise en charge des patients infectés par le VIH : consultation spécialisée, hospitalisation. - Programme de formation spécifique du personnel médical et paramédical local. - Programme de sensibilisation de la population aux MST et au VIH.

Les CDAG au Cambodge L'Institut Pasteur du Cambodge possède une activité de dépistage du VIH qui nous permet d'observer une prévalence du virus dans des groupes de population différents. Ainsi, en 1999 : CDAG 15,5 % (1684/10838) PE* 27,9 % (578/2072) Nominatifs 7,5 % (258/3445) Migrants 0,6 % (7/1243) (IOM) Total 14,4 % (2527/17598) * PE : Prélèvements extérieurs (effectués dans des hôpitaux...) IOM : International Office of Migration

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Aspects cliniques du Sida à l’hôpital Calmette de Phnom Penh, Royaume du Cambodge, à propos de 356 malades hospitalisés au service de médecine «B» de l’hôpital Calmette

Cahiers Santé 1999 ; 9 :377-82 & Cahiers d'études et de recherches francophones / Santé . Janvier - Février 2001 ; 11 (1) : 17-23

Cet article fait suite au premier rapport qui avait été réalisé en 1997 : Aspect of epidemiological and clinical manifestations of adult HIV/AIDS patients at Calmette hospital in Cambodia. Report, July 1997. Khuon P, Hak CR, Ong C, Pal B, Martin PR, Bondarenko N, Souteyrand P.

Auteur(s) : K. Pichith, H. Chanroeun, P. Bunna, N. Nyvanny, S. Thavary, S. Kosal, P. Crépin, Vice-directeur de l’hôpital Calmette, chef de service de Médecine « B », Phnom Penh, Cambodge, Assistants, médecins du service de Médicine « B », Hôpital Calmette, Phnom Penh, Cambodge, Médecins du Monde, Phnom Penh, Cambodge..

Résumé : Il s’agit de l’étude des sujets atteints de Sida menée à l’hôpital Calmette de Phnom Penh du 1er janvier 1997 au 30 décembre 1998. L’objectif de cette étude est de décrire les manifestations cliniques les plus fréquentes ainsi que les affections opportunistes selon la classification CDC 1993 (classification uniquement clinique). Trois cent cinquante-six patients atteints de Sida hospitalisés en médecine B sont inclus dans notre étude. Pour chaque sujet, un dossier complet est établi précisant sa situation sociale et familiale, sa profession, ses habitudes sexuelles et ses antécédents. L’état clinique est précisé et les examens paracliniques sont notés. L’âge moyen est de 35 ans avec 250 hommes et 106 femmes soit un sexe ratio H/F de 2,4. La majorité des contaminations masculines est le fait de rapports sexuels avec des partenaires multiples (82 %) ; la plupart de celles des femmes se font avec un seul partenaire (78 %). L’utilisation du préservatif est de 60 % (contre 40 % occasionnelle), l’importance de la toxicomanie est de 1,12 % (4 cas). Les antécédents de MST sont retrouvés dans 56 % des cas. Les signes d’appel les plus fréquemment rencontrés sont l’asthénie, l’anorexie, la fièvre et l’amaigrissement. Par ordre décroissant, les manifestations cliniques, souvent associées, sont : perte du poids > 10 % ou un état cachectique : 58,70 % (209/356), de la fièvre > 38 °C > 1 mois : 53 % (189/356), des diarrhées (> un mois) : 41,60 % (148/356). Les infections opportunistes les plus fréquentes sont : la candidose orale : 51,40 % (183/356) et 40 % sont oro-œsophagienne (candidose orale + dysphagie ou odynophagie), les tuberculoses (TB) pulmonaires et extrapulmonaires : 43,50 % (155/356) (TB pulmonaire dans 65,16 %, TB ganglionnaire 23,22 % et TB milliaire et TB méningées 11,61 %), la méningite à cryptocoque : 11,80 % (42/356) et la pneumocystose : 6,50 % (23/356), les rétinites dues au CMV : 1,12 % (4/356). Les autres manifestations opportunistes comme la toxoplasmose, le sarcome de Kaposi sont beaucoup plus rarement rencontrées en raison des difficultés de diagnostic paraclinique. La mortalité dans le service a été de 17,40 % (62/356). En conclusion, la tuberculose est la plus fréquente parmi les infections opportunistes au Cambodge et la méningite à cryptocoque est au 3e rang des infections opportunistes. C’est le premier diagnostic à évoquer au cours d’un syndrome méningé.

398 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

La télécytopathologie au service du dépistage du cancer du col utérin au Cambodge: Un concept devenu réalité

Revue Française des Laboratoires Novembre 2004 ; 2004 (367) : 69-73

Patrick Roignota, Francesca Piccionib, Pierre-Régis Martinc, Olivier Perretb, Didier Monchyd, Daniel Kriefb, Bruno Bouvetc, Pascal Crépinc, Pierre Dusserrea, Étienne Martine, Jacques-Henri Max-Cohenb and Michel Pluote aLEDA (Liaison, Éducation, Diagnostic et Assistance) 33, rue Nicolas-Bornier 21000 Dijon, France bLEDA Institut Pasteur 25-28, rue du Docteur-Roux 75724 Paris cedex 15, France cLEDA (Médecins du Monde) 62, rue Marcadet 75018 Paris, France dLEDA Institut Pasteur B.P. 983, Phnom Penh Cambodge eLEDA (Pathologie Cytologie Développement (PCD) CHU de Reims 51092 Reims cedex, France

Received 23 April 2004; Accepted 7 September 2004.

Résumé

LEDA est une organisation non gouvernementale virtuelle destinée à assurer gratuitement des services de Liaison, d'Éducation, d'aide au Diagnostic et d'Assistance aux professionnels de la santé, locaux ou expatriés, travaillant dans des pays médicalement émergents. Son site, LEDAMED, est le produit d'un groupement d'intérêt scientifique soutenu par le ministère de la Recherche et associant différents organismes: Centre national d'études spatiales et sa filiale médicale MEDES, Centre de pathologie de Dijon, Formation permanente développement et Santé, Institut de médecine et de physiologie spatiale, Institut Pasteur, Médecins du Monde, Santé Partenaire et Pathologie Cytologie Développement.

Son principe repose sur la mise en place: - d'un réseau de cyto- et/ou d'histodiagnostics assistés à distance par des médecins spécialistes anatomo-cyto-pathologistes assurant la formation progressive des personnels locaux sans se substituer à leur autonomie. - d'un centre de télétransmission médicale ouvert à tous permettant le fonctionnement de ce réseau. L'ensemble s'intègre dans une logique de soins au sein des structures de santé existantes de façon à assurer la thérapeutique adaptée en aval.

Une première application du concept LEDA a été la mise en place de la télécytopathogie au Cambodge pour assurer le dépistage des lésions précancéreuses et cancéreuses du col utérin. Chaque année, 3 500 prélèvements ont été réalisés dans les structures de soin locales et analysés.

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Prevalence, Risk Factors, and Impact on Outcome of CMV Replication in Serum of Cambodian HIV-infected Patients (2004-2007)

JAIDS (Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes) 5 May 2009.

Romain Micol, MD, MPH, (1,2), Philippe Buchy, MD, MSc (3), Gilles Guerrier, MD, MPH, (1), Veasna Duong, MD, MSc (3), Laurent Ferradini, MD, PhD, (4), Jean-Philippe Dousset, MD, (5), Philippe J. Guerin, MD, MPH, PhD, (6), Suna Balkan, MD, (7), Julie Galimand (2), Hak Chanroeun, MD, (8), Olivier Lortholary, MD, PhD, (9), Christine Rouzioux, PharmD, (2), Arnaud Fontanet, MD, Dr PH, (1), Marianne Leruez-Ville, MD, PhD, (2)

(1) Unité d’Epidémiologie des Maladies Emergentes, Institut Pasteur, Paris, France; (2) Laboratoire de Virologie, Université René-Descartes EA 36-20, Hôpital Necker- Enfants Malades, Paris, France; (3) Unité de virologie, Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia; (4) Médecins Sans Frontières, Hôpital Préa Bath Norodom Sihanouk, Phnom Penh, Cambodia; (5) Médecins Du Monde, Hôpital Kossamak, Phnom Penh, Cambodia; (6) Epicentre, Paris, France; (7) Médecins Sans Frontières, Paris, France; (8) Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Hôpital Calmette, Phnom Penh, Cambodia; (9) Université René-Descartes, Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Centre d'Infectiologie Necker-Pasteur, Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris, France.

Abstract

Background In developing countries, the study of cytomegalovirus (CMV) co-infection in HIV-infected patients remains neglected. Quantitative CMV PCR is the gold standard diagnostic tool for analyzing serum CMV replication and for predicting CMV disease. We estimated the prevalence of replicating CMV in sera of newly diagnosed HIV-infected Cambodian patients and examined its impact on mortality.

Methods This cohort study was based on two HAART treatment programs in Cambodia between 2004 and 2007. Quantitative CMV PCR was performed on baseline serum samples of 377 HIV infected patients.

Results The prevalence of serum CMV DNA was 55.2% (150/272) in patients with CD4+ count <100/mm3. In multivariate analysis, haemoglobin < 9g/dl, CD4+ count <100/mm3 and Karnofsky index <50 were independently associated with positive serum CMV DNA at baseline. During a three-year follow-up period, CMV viral load ≥3.1 log10 copies/ml was significantly associated with death independently of CD4+ count, other opportunistic infections and HAART.

Conclusions As in industrialized countries, serum CMV replication is highly prevalent among HIV infected Cambodian patients and is associated with increased mortality. This underscores the importance of diagnostic CMV infection by PCR in sera of HIV-infected patients with CD4+ count < 100/mm3, and treating this opportunistic infection to reduce its associated mortality.

400 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

Intérêt de la mesure de l’antigénémie cryptococcique dans le diagnostic de la cryptococcose chez les patients infectés par le VIH au Cambodge en 2004.

Poster N° 470 - Journées Nationales d’Infectiologies, Nice 2005

R. Micol1, O. Lortholary1, F. Dromer1, D. Laureillard2, J.-P. Dousset3, P.-R. Martin3, H. Chanroeun4, C. Leng1, B. Sar1, A. Fontanet1

1Institut Pasteur; 2MSF France; 3MDM Mission Cambodge; 4Hôpital Calmette, Cambodge

Introduction: Afin d'améliorer la prise en charge des patients infectés par le VIH au Cambodge, nous avons évalué l'intérêt du dépistage de l'antigénémie cryptococcique chez les patients vus en consultation et hospitalisation à Phnom Penh, Cambodge.

Méthodes: Tous les patients infectés par le VIH et avec un taux de lymphocytes T CD4+ < 200/mm3 vus pour la première fois en consultation/hospitalisation ont répondu à un questionnaire, ont été examinés et ont donné un échantillon de sang pour détection de l'antigène cryptococcique. Suite au bilan d'extension, les patients étaient classés en cryptococcose neuro-méningée (CNM), pulmonaire (CP) ou antigénémie cryptococcique positive isolée (ACPI).

Résultats: - 332 patients, naïfs de traitement antirétroviral, ont été inclus dans l’étude. Parmi eux, 49% ont été vus en hospitalisation. - 54,3% des patients vivaient à Phnom Penh, le reste habitait en province. - L’âge médian à l’inclusion était de 35 ans (Q1-Q3: 31-40). - La médiane de la numération des lymphocytes T CD4+ était de 24/mm3 (Q1-Q3: 8-65). - Les prévalences de l’ACPI et de la CNM étaient de 3,0% (IC95%: 1,2-4,8) et 12,3% (IC95%: 8,8-15,8) respectivement. - Les patients présentant une antigénémie cryptococcique positive avaient une médiane de CD4 plus basse que les patients avec antigénémie négative (médiane: 14,5 avec IQR:6-32, médiane 27 avec IQR:8-78 respectivement, p=0,002) - En l’absence de la détection de l’antigénémie cryptococcique, 17 des 59 (28,8%) infections cryptococciques n’auraient pas été diagnostiquées (4 CNM asymptomatiques, 3 CNM avec examen direct du LCR et culture négatifs, 10 ACPI). - 47,4% des CNM présentaient des hémocultures positives à C. neoformans à l’inclusion. - 67,9% (19/28) des patients gardaient des cultures positives dans le LCR à la fin du traitement d’induction par Amphotéricine B. - Toutes les souches de Cryptococcus neoformans étaient de sérotype A.

401 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Discussion: Intérêt diagnostique: - Possibilité de cibler le dépistage de l’antigénémie cryptococcique chez les patients avec moins de 100 CD4/mm3 - Mise en évidence d’infection cryptococcique à un stade moins évolué de la maladie grâce au test utilisé lors de la première visite du patient. Intérêt microbiologique: Recommander l’utilisation du test d’agglutination pour faire le diagnostic de CNM si culture non réalisable. Intérêt thérapeutique: Possibilité de traitement per os à domicile par fluconazole en cas d’antigénémie cryptococcique positive et d’index de Karnofsky ≥ 70 du fait de l’absence d’HTIC dans ce groupe de patient. Analyse coût-efficacité: Évaluation médico-économique indispensable dans les pays pauvres afin de comparer la stratégie dépistage systématique de l’antigénémie cryptococcique pour traitement des positifs versus prophylaxie primaire systématique chez tous les patients avec CD4 < 100/mm3.

Conclusion: Au vu de ces résultats, il semble pertinent de proposer le dépistage systématique de l'antigène cryptococcique aux patients avec des lymphocytes T CD4+ < 100/mm3. Ce dépistage permet de diagnostiquer des infections cryptococciques à un stade précoce. Une analyse coût-efficacité devra valider le bénéfice en santé publique d'une telle stratégie comparée à l'absence de dépistage et à la prophylaxie primaire.

402 DU MONDE AU CAMBODGE, LE SIDA ©PRM2010

HIV-Specific Antibodies But Not T-Cell Responses Are Associated With Protection in Seronegative Partners of HIV-1-Infected Individuals in Cambodia

JAIDS (Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes) 1 August 2006 ; 42 (4) : 412-419

Nguyen, Marie PhD*; Pean, Polidy MD*; Lopalco, Lucia PhD†; Nouhin, Janin Eng*; Phoung, Viseth MD*; Ly, Nary*; Vermisse, Pierre‡; Henin, Yvette PhD*; Barré-Sinoussi, Françoise PhD‡; Burastero, Samuele E. MD†; Reynes, Jean-Marc DVM*; Carcelain, Guislaine MD§; Pancino, Gianfranco MD, PhD‡ From the *Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia; †Institut Pasteur, Paris, France; ‡San Raffaele Scientific Institute, Milan, Italy; and §INSERM Unit 543, Centre Hospitalier Universitaire Pitié- Salpêtrière, Paris, France.

Abstract

To study biological factors related to protection against HIV-1 infection in Cambodia, we recruited 48 partners of HIV-1-infected patients who remained uninfected (exposed uninfected individuals, EUs) despite unprotected sexual intercourse for more than 1 year and 49 unexposed controls (UCs). HIV-1-specific antibodies (IgA anti-gp41 and IgG anti-CD4-gp120 complex), T-cell responses, and cellular factors that may be involved in protection (peripheral blood mononuclear cell [PBMC] resistance to HIV-1 infection and β-chemokine production) were evaluated. Anti-HIV-1 antibodies were higher in EUs than those in UCs (P = 0.01 and P = 0.04 for anti-gp41 and anti-CD4-gp120, respectively). We observed a decreased susceptibility to a primary Cambodian isolate, HIV-1KH019, in EU PBMCs as compared with UC PBMCs (P = 0.03). A weak T-cell response to one pool of HIV-1 Gag peptides was found by ELISpot in 1 of 19 EUs. Whereas T-cell specific immunity was not associated to protection, our results suggest that HIV-specific humoral immunity and reduced cell susceptibility to infection may contribute to protection against HIV-1 infection in Cambodian EUs. Some people repeatedly exposed to the human immunodeficiency virus (HIV), such as commercial sex workers, intravenous drug users, or partners of HIV-infected individuals, remain free of any detectable sign of infection and seem to be protected against HIV infection (exposed uninfected individuals [EUs]; reviewed by Kulkarni et al). Previous studies associated resistance to HIV-1 infection to genetic factors, such as the CCR5-Δ32 mutation in white populations, or particular HLA haplotypes. Humoral and/or cellular immune responses were also suggested to contribute to protection in EU populations (reviewed by Rowland- Jones et al and Clerici and Shearer). Indeed, both HIV-1-specific antibodies and/or antibodies directed to HIV-1 cellular receptors have been detected in vaginal secretions and/or sera of EU people. Anti-HIV-1 cytotoxic T CD8+ lymphocyte (CTL) responses have also been reported in a significant number of EU people. Other studies have suggested that innate mechanisms of restriction of viral infection, such as HIV inhibitory secreted factors, natural killer cell-enhanced activity, or decreased susceptibility of T CD4+ cells to infection, may also explain resistance in EU populations. Studies of resistance mechanisms usually addressed a single potential mechanism of protection at a time. Therefore, it remains unclear whether there is a specific mechanism that is more relevant than others to protection among EU populations. As multiple factors that may vary depending on environmental or genetic conditions seem to contribute to protection against HIV-1, comprehensive

403 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir analyses would be more appropriate to study the mechanisms of protection against HIV-1 infection in EU people. Most studies on EU people have, so far, been carried out on African or white populations (reviewed by Kulkarni et al). Studies on Asian EU populations have only been carried out in Thailand and Vietnam. Further understanding of the mechanisms of EU protection should be possible by determining similarities and differences between EU populations. Cambodia has the highest HIV-1 seroprevalence in Southeast Asia and has a predominant heterosexual transmission (2.6% in 2003). In the context of a larger study on factors of resistance to HIV-1 infection in EU people in Southeast Asia, we simultaneously examined several parameters that have been suggested to contribute to protection against HIV-1 infection in an EU population recruited among serodiscordant couples in Cambodia. These parameters include antibody responses, T-cell responses, in vitro cellular susceptibility to HIV-1 infection, and β-chemokine production.

Acknowledgments to: The authors are grateful to P. Glaziou, C. Rekacewicz, and L. Chartier for advice and help in epidemiological aspects and statistics and to P. Recordon-Pinson and H. Fleury for viral isolate sequencing. The authors thank the teams of "Médecins du Monde," Hospital Calmette and "Médecins sans Frontières," Hospital P.B.N Sihanouk in Phnom Penh, and in particular P.R. Martin and D. Laureillard for their medical expertise. The authors also thank A. David, R. Ing, R. Micol, M. Vray for technical help. The ANRS Working Group for Viral Quantification and in particular C. Seels and E. Nerrienet are acknowledged for establishing the in-house real-time RT- PCR. This work was performed within the frame of the official cooperation between ANRS in France and the Ministry of Health in Cambodia.

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Immunological outcomes and survival rate among a naïve patient cohort on ART in one Cambodian MDM project.

4th IAS conference on Pathogenesis, Treatment and Prevention, Sydney, Australia, 22-25 July, 2007.

Dousset JP, Martin PR, Lav S, Mao H, Hoy S.

Objectives : The Round 1 GFATM has enabled the Medecins du Monde HIV/AIDS Project in Phnom Penh, Cambodia, to provide comprehensive care to PLWHAs in need of ART, following WHO recommendations . All services are free of charge. We present data of this GF1 patient cohort.

Methods : Retrospective descriptive analysis of patient cohort having started ART between February 2004 and October 2006. Data were routinely collected through a computerized monitoring system.

Results : Among 526 adults (51% women) starting ART, 427 (81%) were naïve, median age 36 years old [IQR: 32-40], 50% were coming from provinces, 320 (61%) had an HIV positive partner, 446 (85%) had children (mean number of children: 2) and 48 (11%) had HIV positive children. At ART initiation, 96% of the 427 naïve patients were WHO stage III or IV, median CD4 cell count was 35/mm ³[IQR: 8-105], 57% had less than 50 CD4/mm ³ and 73% less than 100 CD4/mm ³. 294 (97%) patients received D4T/AZT+3TC+ NVP/EFV as first line regimen. The median time of follow-up was 15 months [IQR: 8-24]. Among naïve patients in October 2006, 375 (88%) were still under follow-up, 35 (8%) had died, 7 (2%) were lost to follow-up and 10(2%) were referred. The median of CD4 gain was 154 [IQR: 91- 217] at 1 year and 219 [134-33] at 2 years. 13% (12 months) and 7% (24 months) of the patients had less than 100 CD4 /mm ³. The cumulative rate of survival from ART initiation was 91% at 12 months and 90% at 24 months using death and LTF as endpoints.

Conclusions: Despite its high proportion of severely immune-compromised patients, cohort outcomes are favorable as similar projects in resource limited countries.

405 Des Contextes, des Programmes et des Personnes - De la Théorie à la Pratique - Des Origines à l’Avenir

Prevalence, Determinants of Positivity, and Clinical Utility of Cryptococcal Antigenemia in Cambodian HIV-Infected Patients

JAIDS (Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes) 15 August 2007; 45 (5) : 555-559

Micol, Romain MD, MPH*; Lortholary, Olivier MD, PhD†‡; Sar, Borann MD, PhD§; Laureillard, Didier MD∥; Ngeth, ChanChhaya MD¶; Dousset, Jean-Philippe MD#; Chanroeun, Hak MD**; Ferradini, Laurent MD, PhD††; Guerin, Philippe Jean MD, MPH, PhD††; Dromer, Françoise MD, PhD†; Fontanet, Arnaud MD, Dr PH*

From the *Unité d'Epidémiologie des Maladies Emergentes, Institut Pasteur, Paris, France; †Centre National de Référence Mycologie et Antifongiques, Unité de Mycologie Moléculaire, CNRS URA3012, Institut Pasteur, Paris, France; ‡Université Paris V, Hôpital Necker-Enfants Malades, Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Paris, France; §Département de Microbiologie, Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia; ∥Médecins Sans Frontières, Phnom Penh, Cambodia; ¶Service des Maladies Infectieuses, Hôpital Preah Bath Norodom Sihanouk, Phnom Penh, Cambodia; #Médecins du Monde, Hôpital Calmette, Phnom Penh, Cambodia; **Service des Maladies Infectieuses et Tropicales, Hôpital Calmette, Phnom Penh, Cambodia; and ††Epicentre, Paris, France. Findings presented in part at the 45th Interscience Conference on Antimicrobial Agents and Chemotherapy, Washington, DC, December 16-19, 2005 [abstract H-1499]. Funded by SIDACTION-ENSEMBLE CONTRE LE SIDA. Pfizer Laboratory financially supported field missions to Cambodia and participation in the 2004 XVth International AIDS Conference, Bangkok, Thailand, July 11-16, 2004.

Abstract Objectives: To determine the prevalence, determinants of positivity, and clinical utility of serum cryptococcal polysaccharide (CPS) antigen testing among HIV-infected patients in 2004 in Cambodia, an area highly endemic for cryptococcosis.

Methods: All HIV-infected patients with a CD4+ count <200 cells/mm3 attending 1 of 2 Phnom Penh hospitals for the first time were systematically screened for serum CPS. Patients with positive test results were further investigated to identify those with cryptococcal meningitis (CM), pulmonary cryptococcosis, or isolated positive cryptococcal antigenemia (IPCA).

Results: The median (interquartile range [IQR]) CD4+ count of 327 enrolled patients was 24 (IQR: 8 to 65) cells/mm3. The prevalence of cryptococcal infection was 59 (18.0%) of 327 cases, of which 41 were CM and 10 were IPCA. In the absence of serum CPS detection, 17 (28.8%) of 59 cryptococcal infections would have been missed on the day of consultation. In patients with no specific symptoms of meningoencephalitis, the prevalence of positive serum CPS detection was 32 (10.8%) of 295 cases. Countryside residence (adjusted odds ratio [AOR] = 3.6), headache (AOR = 3.2), body mass index <15.4 kg/m2 (AOR = 3.4), CD4+ count <50 cells/mm3 (AOR = 4.0), and male gender (marginally, AOR = 2.1) were all independently associated with a positive test result.

Conclusion: Serum CPS screening among AIDS patients with a CD4+ count <100 cells/mm3 is useful in areas highly endemic for cryptococcosis, allowing early diagnosis and treatment of this opportunistic infection.

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Low Prevalence of Drug Resistance Transmitted virus in HIV-1 infected ARV-Naïve Patients in Cambodia

AIDS Research and Human Retroviruses 2009 May ; 25 (5) : 543-545.

NOUHIN Janin1, NGIN Sopheak1, MARTIN P. Régis2, MARCY Olivier3, KRUY L.Sim4, ARIEY Frédéric5, PEETERS Martine6, CHAIX Marie-Laure7, AYOUBA Ahidjo6, AND NERRIENET Eric1

1 HIV/Hepatitis Laboratory, Pasteur Institute of Cambodia, Phnom Penh, Cambodia 2 Médecins du monde, Phnom Penh, Cambodia 3 French Red Cross, Phnom Penh, Cambodia 4 Calmette Hospital, Maternity Ward, Phnom Penh, Cambodia 5 Molecular Epidemiology Unit, Pasteur Institute of Cambodia, Phnom Penh, Cambodia 6 UMR145, IRD and University of Montpellier 1, Montpellier, France 7 Université Paris-Descartes, EA 3620, AP-HP, Virologie, CHU Necker-Enfants Malades, Paris, France

ABSTRACT

Between November 2006 and June 2007, HIV-1 reverse transcriptase (RT) and protease (PR) genes of 67 ARV-naïve Cambodian patients were amplified and sequenced. At inclusion, the median age and duration of HIV infection were 28 and 1.1 years respectively. The median CD4 and HIV-1 RNA were 611 cells/ml [IQR: 525-759] and 4.0 log10 copies/ml [IQR: 3.4- 4.6]. Among 67 HIV-1 strains, 95.5% were CRF 01_AE viruses (n=64) whereas 3 clustered with subtype B. RT analysis indicated that only 1 patient out of 67, presenting K103N and M184V mutations, was resistant to NVP/EFV and 3TC/FTC. No primary resistance to protease inhibitors was detected in fifty-nine amplified protease genes. The 1.49% (IC95%: 0.04%–8.04%) prevalence of transmitted drug resistant strains in drug-naive patients was low in our study. Surveys of drug-resistant transmitted viruses should be regularly performed regarding the increasing access to HAART in Cambodia.

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No association between human herpesvirus 6 reactivation and cryptococcosis in human immunodeficiency virus-infected patients

J. Med. Microbiol. February 1, 2009 ; 58 (2) : 276 - 277.

R. Micol, P. Buchy, J. Galimand, D. Veasna, L. Ferradini, S. Balkan, P. J. Guerin, P.-R. Martin, A. Fontanet, O. Lortholary, et al.

Human Herpes Virus 6 (HHV-6) belongs to the Betaherpes virus family. Cermelli et al. suggested that HHV-6 may dysregulate monocyte-mediated anticryptococcal defences with an overall pro- cryptococcus result. In Cambodia cryptococcal infection is a major cause of opportunistic infection during AIDS in HIV-patients. The prevalence of cryptococcal infection among HIV-infected patients with CD4+ count < 200/mm3 was 59 (18.0%) of 327 cases in a recent Cambodian study. The HHV-6 seroprevalence is up to 90 % in children before 2 years. No data are available concerning the HHV- 6 seroprevalence in Cambodian people but in Thailand, the seroprevalence of HHV-6 IgG antibodies was 88.10% (185/210) in children aged between 0 to 12 years (mean +/- standard deviation = 3.35+/-3.33). Cases of HHV6 reactivation has been described in HIV infected individuals. We compared here the prevalence of HHV-6 reactivation demonstrated by a positive PCR in blood plasma, among 159 HIV-infected patients of which 55 had cryptococcal infection. Thus we have 55 cases of cryptococcal infection and 104 controls. Serums samples stored at -20°C were analysed for HHV-6 DNA by quantitative real time PCR. The median (interquartile range) age of patients was 34 years (31-37). The median of CD4+ count was 14/mm3 (6-32). The two groups according to the presence or absence of cryptococcal infection presented no difference for age (median 35 vs. 33.5 ; p=0.4), sexe male (proportion : 35/55 vs. 63/104; p=0.7) and CD4+ count median/mm3 (14 (6-24) vs.14 (6-36); p=0.4). The prevalence of a positive HHV6 PCR was 2/159 (1.3%). The two patients with HHV6 positive PCR presented a cryptococcal infection. The viral loads on the two serums were 5.4 and 6.0 log copies/ml suggesting a possible replication of the HHV-6. There was non significant statistical association founded between HHV-6 and cryptococcal infection since the proportions of HHV6 positive PCR among the patients with cryptococcal infection or without cryptococcal infection were 2/55 (3.6%) and 0/104 respectively (Fisher exact test: p=0.1).

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Estimation of the prevalence of depression among Patients Living with HIV/AIDS not yet receiving Haart in Cambodia.

Présentation à International Workshop on Impact of HIV/AIDS and its Treatment in South-East Asia, Chiang Mai, Thailand, February 2009.

Sok Chanthy, Jean-Philippe Dousset.

Background: Since 2004, MDM/SEAD delivers comprehensive care to patients living with HIV/AIDS at Preah Kossamak Hospital, Phnom Penh, Cambodia. Among the 2 700 patients registered at the end of December 2008, 2 000 are under Haart. It is known that PLHAs have a higher risk of developing depressive disorders that could alter adherence to antiretroviral therapy. Interventions on mental health problems have demonstrated efficacy on ART adherence and quality of life. Yet, depression, as well as the whole socio-psychological part of the comprehensive care to PLHAs, is poorly considered and there is no data available in Cambodia among the HIV population. Objective: To estimate the prevalence of depression among HIV positive patients before receiving Haart in the SEAD HIV/AIDS Centre. Method: All new HIV patients during the year 2008 have answered the Cambodian version of the Hopkins Symptom Checklist-25 (HSCL-25), already validated in Cambodia, plus some questions about their environmental support. Patients’ interviews were performed by 3 trained counselors, respecting the patient’s privacy, before they got selected to receive Haart. Data were collected and analyzed on SPSS 11.5. Results: 213 new patients have been registered, 51% were women, the median age was 36 years old, and the median of the CD4 counts was 99 IQ [30-170], with 85% having less than 200 CD4. The internal consistency of the 15 items of the HSCL-25 was satisfying (alpha: 0.89). 21,6% of the patients having a depression score superior to 1,75 were suffering of symptomatic depression. The median of the score was 1,33 IQ [1,13-1,66], ranging from 1 to 2,93. 93% reported to be supported by their family, 16% by neighbors, 16% by friends and only 2% got no support. 96% felt satisfied of the support they got. No association was found between depression score and age, level of CD4 count, and any kind of support. However, women were significantly associated with an increased risk of having depression (Odd Ratio [OD] = 2.36, confidence interval (CI) 1,19-4,69). Conclusion: Around one of five PLHAs suffers from depression. Among them, HIV positive women are more at risk probably due to family and socio-economic factors that need to be investigated. The majority of PLHAs (98%) receive support mainly from their family and are satisfied with it. Despite no association has been found between depressive disorders and environmental support, further investigation are needed, particularly to understand why the women are more affected and to measure the impact of mental health interventions on ART adherence and quality of life in this kind of resource limited setting . We can recommend that depression screening has to be part of the comprehensive care to PLHAs.

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Early vs Late Introduction of Antiretroviral Therapy in Naive HIV-Infected Patients With Tuberculosis in Cambodia (ANRS 1295 CAMELIA)

Recrutement des patients terminé le 30 mai 2009.

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B. Cahier photographique

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SUMMARY

FROM THE WORLD TO CAMBODIA, AIDS Contexts, Programs and People From Theory to Practice From Origins to Future

AIDS, as an epidemic, is now 28 years old. While HIV was spreading insidiously in the developing countries through prostitution and injectable drugs, its expansion was promptly contained in Occident. Years later, developed countries deployed and parachuted a succession of priorities, strategies and programs which were designed to share knowledge and to help. However, political intentions and promises of financial contributions which accompanied these resolutions were too tardily and partially held and of innumerable obstacles weighed on the realism of strategies and thus on the effectiveness of interventions. Cambodia, having currently one of the most serious epidemics of Southeast Asia, did not escape from this complexity. While working in this country during 14 years with Médecins du Monde, we could note encouraging successes but also failures related to the gap between the creation of international innovating concepts and their local applicability, with a positive impact on individuals. It is through a spatiotemporal outlook since the origins and through the history of one of its victims that we approached the medico-social epic of the world and Cambodian epidemics. We tried to describe the specificity and the evolution of the virus, to evoke the chronology and the nature of efforts implemented, to seek the factors intervening in epidemic dynamics with a particular glance on the influence of poverty and behaviors, to identify impacts and limits of nationals and international programs and to locate the role of the Non Governmental Organizations in the management of this disease in Cambodia. Currently, although the world epidemic curves the spine and that many successes were noted, the world is only at the beginning of the fight. Indeed, the HIV still remains elusive, the financial world is deeply disturbed, environment crisis is aggravating life conditions, epidemic continues to progress within a multiple poverty which it generates and of which it is nourished, sexual behaviors which fuel contaminations are changing too slowly and the growing number of children who become orphans will form a population which will face colossal challenges to rebuild the lost years of progress. The epidemic, thus, promises to last and one will need a strong, honest, general and durable implication of the world, allowing individuals to be in the center of initiatives, to expect to change the trend.

KEYWORDS : AIDS Cambodia HIV Developing country Epidemic Antiretroviral Therapy, Highly Active Behavior Poverty Non Governmental Organization

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