Suicides Des Jeunes Amérindiens En Guyane Française
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1 RAPPORT À MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française: 37 propositions pour enrayer ces drames et créer les conditions d'un mieux-être Rapport établi par Madame Aline ARCHIMBAUD et Madame Marie-Anne CHAPDELAINE Sénatrice de Seine-Saint-Denis Députée d’Ille-et-Vilaine Parlementaires en mission auprès de Madame la ministre des Outre-mer Remis le 30 novembre 2015 2 3 LETTRES DE MISSION 4 5 6 7 REMERCIEMENTS Modestie et détermination ont présidé à l'exercice de notre mission: modestie eu égard au temps imparti sur des enjeux majeurs pour notre République; détermination quant à notre volonté d'apporter notre réponse aux phénomènes constatés, hier, aujourd'hui comme demain car nous ne concevons pas notre travail comme un livre fermé et sans suite. Cette volonté et cette détermination ont présidé à l'accomplissement de notre mission, maillée de rencontres riches et de volontés déterminantes, institutionnelles ou non, informelles ou de convenance. Nous tenons donc à remercier vivement: Monsieur Eric Spitz, Préfet de Guyane, Monsieur Fabien Martorana, Sous-préfet aux communes de l'intérieur de Guyane, Monsieur Philippe Lacombe, Recteur de Guyane, et tous les services de l'Etat, Monsieur Jocelyn Thérèse, Président du CCPAB et tous les membres du CCPAB, Madame Chantal Berthelot et Monsieur Gabriel Serville, députés de la Guyane, Monsieur Antoine Karam et Monsieur Georges Patient, sénateurs de la Guyane, Toutes les personnes auditionnées ou venues à notre rencontre, Pour leurs contributions et leur appui à notre mission. Nous remercions également Madame Dominique Voynet, Inspectrice Générale des Affaires Sociales, et Monsieur Patrice Blémont, Inspecteur Général de l'Administration de l’Education nationale et de la Recherche. Que chacun soit remercié de sa contribution. Nous avons été réellement honorées que chacun ait pris de son temps pour nous faire partager ses ambitions pour la Guyane. 8 PRÉFACE A l’heure où nous rédigeons ce rapport, la France a pris le deuil. Elle pleure les victimes des attentats du 13 novembre. La barbarie qui nous a frappés a visé notre civilisation, notre mode de vie, notre sens de la relation aux autres et à la différence. Pour répondre au fanatisme qui nous a agressés, nous avons vis-à-vis des morts et des blessés de cette tragédie d’abord un devoir de réparation pour le sang versé. Mais, parce qu’ils étaient l’avenir de notre pays, nous leur devons aussi l’ardente obligation d’approfondir la fraternité que porte la jeunesse et qui figure au fronton de nos édifices publics. La France, pour dépasser l’épreuve qui la frappe, doit être encore plus attentive au sort de tous, et en particulier au plus faible ou au plus humble de ses enfants, où qu’il se trouve sur le territoire de la République. Or, à 7000 kilomètres de Paris, sur une terre guyanaise qui porte les exploits européens de la conquête spatiale, un drame stupéfiant, récurrent, et indigne d’un pays moderne, se joue dans le silence le plus complet. Des jeunes adolescents, presque des enfants, se donnent la mort de façon parfois atroce, au point que l’on peut parler sans exagération « d’épidémie de suicides ». Notre responsabilité de parlementaires est de dire que cette situation, insupportable, doit cesser. Au gouvernement qui a eu le courage de nous confier cette mission, nous confirmons qu’il est temps et possible de mettre fin à ce scandale. La France s’honorera de le faire, en allant aux causes de ces malheurs, et en agissant dans la durée. * * * Les populations de la forêt et des fleuves, en Guyane française, sont quasiment les dernières en France à être privées la plupart du temps d’eau potable, d’électricité, d’accès au téléphone et à internet. Malgré ses efforts, le Rectorat n’a pas encore les moyens d’assurer à tous les élèves une collation pendant les heures d’école, à certains enfants qui étudient et repartent en pirogue le ventre vide. Plus généralement, des populations rencontrent d’immenses difficultés pour accéder à des droits fondamentaux : santé, formation, accueil administratif, transports. Impuissance, indifférence, résignation : voilà ce à quoi elles sont confrontées. Au-delà, les progrès seront difficiles tant que ne seront pas résolument combattues des représentations dévalorisantes des populations amérindiennes. Nous avons entendu, ici ou là, des propos stigmatisants, choquants. Les acteurs publics et privés, qui s’efforcent 9 d’inventer des solutions, se heurtent à ces représentations, fruit de l’ignorance, des préjugés, du manque de respect de l’histoire et de la culture de ces peuples « premiers ». Dans ce contexte, d’autres facteurs interviennent qui apparaissent comme des causes du nombre préoccupant de suicides, y compris hélas ces dernières semaines. Nous nous sommes efforcées de les recenser et de les analyser dans notre rapport. Ces suicides traduisent le mal-être profond de ces jeunes, une immense désespérance, la souffrance de se sentir obligés de choisir entre deux mondes : celui de leurs parents, de leur village, auxquels ils sont vitalement attachés, ou celui, découvert au collège ou à la ville, d’une modernité qui se présente à eux de façon brutale. Entrer positivement dans la modernité, sans s’arracher à leur communauté, sans renoncer à leur culture ni à leur langue, sans non plus les réduire à un folklore vide de sens, mais en y puisant les forces et les ressources pour progresser, telle est la question qui leur est posée, qui nous est posée. Des solutions existent. Des personnes, des équipes sont là, susceptibles d’être mobilisées pour cet objectif et de s’y engager fortement. ñ Nos premières propositions vont dans le sens d’un renforcement immédiat d’un dispositif de prise en charge, de prévention, de suivi, des familles et des communautés impactées, en s’appuyant sur les forces vives au sein même de la population. Il faut renforcer sans délai la « Cellule pour le mieux être des populations de l’intérieur » mise en place par le Préfet de Guyane il y a quelques mois, et qui manque cruellement de moyens. ñ Au-delà, il est nécessaire d’installer dans la durée un programme d’actions, avec des dispositifs financiers et humains pérennes (les campagnes ponctuelles, sans suite, avec un turn over rapide des équipes, ont sapé la confiance). D’où la proposition 16 de faire un point d’étape systématique, au moins une fois par an, au cours d’une rencontre large avec tous les acteurs. ñ Des changements institutionnels et administratifs sont nécessaires et possibles, pour permettre l’accès aux droits. Nous faisons plusieurs propositions en ce sens et nous ne nous ne sommes pas interdit, sur certains points urgents, de proposer des souplesses dans l’application réglementaire. Ceci implique de renforcer fortement les formations spécifiques, l’accompagnement et l’encouragement à l’innovation, auprès des équipes menant l’action publique : professionnels de santé, administratifs, enseignants, médiateurs, au contact de ces populations. ñ Un point est essentiel. A plusieurs reprises, nous avons entendu cette phrase : « Rien ne peut se faire sans nous », et le regret de ne pas trouver l’interlocuteur pour mettre en œuvre tel ou tel projet. Pour être efficaces, les politiques publiques doivent construire des capacités dans ces populations, leur donner des outils qui leur permettent de traiter elles-mêmes les problèmes et de s’organiser. Il faut poursuivre les efforts pour permettre aux amérindiens d’accéder aux fonctions de médiateurs, de suivre des formations professionnelles, et former des cadres (techniciens, enseignants, personnels sanitaires, administratifs…). Il convient par conséquent aussi de donner une reconnaissance et une visibilité beaucoup plus forte au Conseil Consultatif des Populations Amérindiennes et Bushinengues (CCPAB), avec de vrais moyens d’intervention. 10 ñ Des revendications identitaires fortes ont été exprimées par plusieurs organisations. En cohérence avec la Résolution du 13 septembre 2007 de l’Assemblée Générale de l’ONU sur les « droits des Peuples Autochtones », la France doit poursuivre la réflexion sur la réponse à apporter à deux textes internationaux : la Convention 169 de l’OIT (« relative aux peuples indigènes et tribaux ») et la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. ñ Enfin, nous attirons l’attention du gouvernement (et c’est le sens de notre proposition 14) sur l’enjeu planétaire de la sauvegarde et de la valorisation de la forêt amazonienne, un des biens communs les plus précieux pour tous les Guyanais. Les Amérindiens peuvent apporter dans cet immense effort des savoir-faire et un engagement remarquables. * * * Certaines de nos propositions sont réalisables à très court terme, avec des moyens modestes : elles correspondent à notre souci que soient perceptibles, très vite, des petits changements nécessaires pour redonner confiance, combattre la résignation, créer une dynamique. D’autres, si elles sont mises en œuvre, auront des effets progressifs, et aboutiront à moyen terme (à condition qu’on les engage dès maintenant !). Sur le long terme, il s’agit, pour la société guyanaise riche de sa diversité, de s’unir pour valoriser ses différences. C’est seulement de cette façon qu’elle pourra tirer parti de son propre patrimoine et s’engager sur la voie d’un mode de développement durable. Elle peut ainsi devenir un exemple pour toute la France : la tragédie vécue par les familles et les jeunes aura alors été transformée en une salutaire prise de conscience et une grande force d’espérance. 28 novembre 2015 Marie Anne Chapdelaine Aline Archimbaud Députée d’Ille-et-Vilaine Sénatrice de Seine Saint Denis 11 SYNTHÈSE Depuis le début des années 2000, la Guyane connaît une série dramatique de suicides parmi les jeunes et même très jeunes Amérindiens. Ces jeunes sont issus des 6 peuples autochtones qui vivent sur ce territoire, pour certains depuis le IIIème siècle de notre ère au moins, et qui rassemblent autour de 10 000 personnes.