Francis Dumaurier
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EXPAT NEW YORK Francis Dumaurier © 2013 WRITERS GUILD OF AMERICA, EAST # R30170 NEW YORK © 2013 SOCIÉTÉ DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES # 266464 PARIS Tous droits réservés pour tous pays Livre imprimé à compte d’auteur 1 2 “La vie, c'est ce qui nous arrive pendant que nous pensons à autre chose. “ John Lennon 3 4 Pour Marcelle, ma grand-mère maternelle 5 6 Introduction J’ai fait ma première fugue à l’âge de trois ans. Je m’en rappelle très bien. Tout était tellement beau. * * * Certains grands écrivains de la littérature française influencent nos pensées et le cours de nos vies. Michel de Montaigne est mon compas depuis que je l’ai découvert dans mes classes de français au Lycée Condorcet. Les réflexions et études introspectives qu’il décrit dans ses “Essais” résonnent indubitablement dans ma tête d’adolescent qui les absorbe comme une éponge sèche. Les observations et recommandations qu’il fonde sur ses expériences de voyage sont la base évidente de la direction que prendra ma vie. Il écrit : “Faire des voyages me semble un exercice profitable. L’esprit y a une activité continuelle pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies, opinions et usages.” Les voyages qu’il décrit sont onéreux, risqués et prennent beaucoup de temps – des semaines, voire des mois. Ils lui permettent ainsi de “frotter et limer” son cerveau à celui des gens qu’il rencontre. Un des grands plaisirs de ma vie d’acteur est de l’avoir interprété en 1996 dans le film éducatif “Que sçais-je ?”, produit par la société de production Della Robia pour les départements de Français des universités américaines. Mon ouroboros à moi ... * * * En juin 2010, Charles de Montebello – ingénieur du son et propriétaire du studio qu’il a construit à Manhattan pour l’enregistrement de narrations et voix diverses – me demande de l’aider à la production du livre audio d’un auteur célèbre en France. Marc Lévy est l’auteur français le plus vendu et lu au monde dont le premier roman “Et si c’était vrai ...” a été adapté au cinéma par Steven Spielberg. Le fait est que – dû à un éloignement de la métropole qui remonte à 38 ans – je n’ai jamais entendu parler de lui. Je me renseigne auprès de mes amis français immigrés, et personne ne le connaît non plus à l’exception de Nicole Devilaine, la directrice du bureau de France 2 à New York, qui vient de produire un reportage sur lui à l’occasion de la sortie de son roman “Le Voleur d’Ombres”, ce livre que Marc va lire entièrement pour l’enregistrement de son premier livre audio. Ceci confirme une fois de plus que mes amis français de New York et moi-même avons complètement perdu de vue l’actualité culturelle de la métropole. Je rencontre donc Marc au studio. Il lit son livre et je l’écoute attentivement dans mon casque audio pendant trois sessions consécutives. À l’occasion de quelques moments de repos, nous échangeons des propos courtois dont il sort deux perles que je n’oublierai jamais. La première est que “Chaque vie est un roman” ; la seconde est qu’il ne faut surtout pas hésiter d’essayer de retrouver ceux dont j’ai perdu le contact depuis mon départ de France en septembre 1971. Marc a vécu à Londres pendant une dizaine d’années et il vit à New York depuis plus de deux ans. Son opinion d’expat mérite d’être écoutée. Je me mets à rechercher sur l’internet les contacts de ceux qui m’étaient chers, que j’ai perdus de vue, et à qui j’écris une lettre de réintroduction. La recommandation de Marc s’avère absolument fantastique. Sur les 7 personnes à qui j’écris, 5 me répondent en m’envoyant des emails enthousiastes et – tout comme Marc l’avait prédit – nos conversations reprennent comme si nous n’avions jamais été séparés. Certains se rappellent plus vivement de détails que d’autres, mais nos 7 souvenirs se complètent toujours. J’arrive même à mettre en contact deux de ces amis qui s’étaient eux aussi perdus de vue bien qu’ils aient été voisins sans le savoir, un évènement très beau à voir d’ici. Quatre sont en France et l’un d’eux est un Américain avec qui j’ai travaillé comme guide de safaris en jungle amazonienne colombienne il y a 40 ans, et qui vit maintenant à Chicago où il est professeur d’université. Dans l’émotion de ces retrouvailles, un commentaire semble faire l’unanimité : la vie que je vis depuis mon départ de France est hors du commun. C’est une vie d’aventure. Je comprends cette réaction même si je ne me sens pas l’âme d’un aventurier. Mon aventure – ou plutôt mon amalgame d’aventures – n’a jamais été planifiée. J’ai plus l’impression d’avoir levé l’ancre, détaché l’amarre, et laissé la coque dériver avec le courant. Par ailleurs, je suis récemment allé rendre visite à Giorgio Gomelsky qui se remet d’une intervention chirurgicale importante. Je connais Giorgio depuis plus de 30 ans et, au fil de nos conversations, nous avons parlé de nos aventures – les siennes étant bien plus spectaculaires puisque son nom sera toujours lié à la gloire du rock anglais des années 60 – et il m’a demandé pourquoi je ne consignais pas les souvenirs de mes expériences vécues sur papier, car leur liste est unique pour un Français né et éduqué en France. Je me suis rappelé de l’expression de Marc Lévy et, au cas où chaque vie serait vraiment un roman, j’ai compris que je devais tout écrire afin de mettre ce vécu en perspective – tout d’abord pour moi- même – en suivant les détours de ma vie internationale. Au pire des cas, ceci pourra toujours m’aider à mieux construire mon propre temple spirituel. J’ai donc commencé à écrire en toute franchise et avec passion, et mes souvenirs se sont mis en place rapidement car ils avaient hâte de sortir de la boîte où je les avais confinés. J’espère que ce récit inspirera ceux qui ne veulent pas se retrouver coincés dans la case où nous sommes placés dès notre jeunesse, et dont il devient de plus en difficile de sortir avec le temps qui passe car, avec l’âge, les ambitions se flétrissent devant la peur du risque. Mais s’il est vrai que l’aventure est parsemée d’échecs incessants, la simple pensée de ce que j’aurais perdu si j’étais resté en France à suivre le chemin qui m’était tracé me confirme que j’ai bien fait d’accepter le défi. Je remercie Marc Lévy et Giorgio Gomelsky qui – sans s’en douter – m’ont ouvert les yeux. Manhattan, le 10 Juin 2011 8 Ma mère, Éliane, et moi en Allemagne en août 1949 1947 – 1955 J’arrive dans ce monde le 13 janvier 1947 aux Pavillons-sous-Bois, en banlieue est de Paris, dans une clinique située au bord de la RN3, la route nationale que les Allemands aiment suivre pour envahir la France. La maison du style des pavillons de l’ancienne époque est située au 6, allée Sautereau dans un quartier en pleine évolution. Les terrains vagues font place aux nouvelles maisons. Nos voisins sont généralement pauvres ; certains survivent en ramassant la ferraille dans la rue qu’ils revendent ensuite à des grossistes. Notre maison appartient à ma grand-mère maternelle, Marcelle Desvignes (née Dumas), dont le mari, Marcel, est mort des séquelles des gaz bombardés par les Allemands à Verdun où il avait servi dans l’artillerie durant la Première Guerre Mondiale. Elle a vendu des œufs au marché de Bondy avant la Deuxième Guerre Mondiale, et ma mère, Éliane, a grandi dans cette même maison. Mon père, Jean, est monté d’Afrique du Nord avec la 5ème armée américaine durant la très dure campagne d’Italie. Mes parents se marient assez rapidement et s’installent dans cette maison des Pavillons-sous-Bois à ma naissance. Trèves En 1949, le régiment de mon père est muté à Trèves, la plus vieille ville d’Allemagne située près de la frontière du Luxembourg. Mes deux sœurs, Myriam et Elisabeth, y naissent à un an d’intervalle. Myriam est la première, et sa santé est très délicate. Il lui faut beaucoup de lait et les nourrices allemandes aident à la tâche, mais Myriam restera toujours un peu plus petite qu’Elisabeth et moi. Par contre, la santé d’Elisabeth est excellente – ce qui prouve que les apparences des bébés sont trompeuses à long terme ... Je fais ma première fugue à l’âge de 3 ans en prenant ma trottinette pour aller m’asseoir près d’un petit lac dans un bois derrière la maison. Je découvre ainsi la beauté de la liberté qui inspire ma première prise de conscience existentielle dont je me souviens clairement. Pour ma deuxième fugue, j’essaye de suivre un tramway à pied dans une rue de la ville. À 4 ans, je vis un très beau moment lors d’un arrêt de repos du bataillon de mon père. Les soldats sont assis dans un champ, leurs fusils en faisceau, un énorme méchoui au milieu. J’attrape aussi des vers intestinaux et connais ma première purge. D’après ma mère, mon allemand est meilleur que mon français, mais ça ne m’aidera pas au lycée dix ans plus tard.