RENÉ MAYER

Etudes, témoignages,

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RÉUNIS ET PRÉSENTÉS PAR DENISE MAYER

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RENÉ MAYER

Etudes, témoignages, documents

RENÉ MAYER Etudes, témoignages, documents

RÉUNIS ET PRÉSENTÉS PAR DENISE MAYER

PRESSES UNIVERSITAIRES DE ISBN 2 13 037907 9

Dépôt légal — 1 édition : 1983, février @ Presses Universitaires de France, 1983 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

AVANT-PROPOS

René Mayer, au soir de sa vie, souhaitait, sinon écrire ses mémoires ou rédiger ses souvenirs, du moins indiquer pour lui-même, ou peut- être pour la postérité, les grandes lignes d'une carrière vouée principa- lement au service de l'Etat ou de grands organismes d'intérêt public. Pour ce faire, il avait eu recours à ses agendas, conservés précieusement depuis l'année 1912. Simples carnets de rendez-vous, longtemps grif- fonnés au crayon, et souvent en abrégé, la lecture en est difficile. Déjà très souffrant lorsqu'il avait entrepris ce travail, il sentait peu à peu ses forces décliner et il dut bientôt renoncer à un déchiffrage épuisant. Ses « Notes biographiques », commencées en 1919, se trouvent ainsi arrêtées à l'automne de 1939. Elles nous ont guidée et nous les avons citées textuellement lorsqu'elles dépassaient la simple indication chronologique. Pour les années suivantes, nous avons dû reprendre la suite des agendas, nous aidant parfois de notes éparses laissées par lui et, pour les deux seules années de 1944-1945 et de 1957, du« Journal » qu'il s'était alors imposé de tenir

1. Carnets et « Journal » sont aujourd'hui déposés aux Archives nationales. Dans le plan qu'en avait dressé René Mayer, son autobiographie devait comprendre quatre parties : 1919-1939, 1939-1946, 1946-1955, 1955-1958, étant groupées sous un seul titre : 40 ans de travail, 1919- 1959, une dernière partie n'en devant être que l'épilogue. La première partie : 1919-1939, avait été également divisée par lui en deux chapitres : 1° le Conseil d'Etat ; 2° les Chemins de fer. Nous les avons conservés tels quels et, pour la suite, nous avons repris les grandes divisions qu'il avait indiquées : La deuxième partie : 1939-1946, qui est la période de guerre, comportera cinq chapitres : 1° La Mission française du ministère de l'Armement à Londres (1939- 1940) ; 2° Le régime de Vichy (1940-1942) ; 3° Le Comité d'Alger (1943-1944) ; 4° Le Gouvernement provisoire avec le ministère des Travaux publics, des Transports et de la Marine marchande (1944-1945); 5° Le Commissariat général aux Affaires allemandes et autrichiennes (1945-1946). La troisième partie : 1946-1955, dépeindra : — le député de Constantine ; — le membre du Gouvernement, successivement : ministre des Finances, garde des Sceaux, ministre des Finances et des Affaires économiques, Président du Conseil. La quatrième partie : 1955-1958, le montrera président de la Haute Autorité de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier. La cinquième partie (1958-1972) indiquera brièvement comment, revenu au calme de la vie privée et sa situation matérielle et morale assurée par la place éminente qui lui avait été faite dans le monde des affaires, René Mayer a pu consacrer une large part de son temps à des activités bénévoles à caractère d'intérêt général. Ces grandes lignes d'une existence pour exceptionnelle qu'elle ait pu être n'auraient été qu'une froide énumération de faits et de dates sans les contributions des contemporains de René Mayer au Conseil d'Etat, aux Chemins de fer, au Parlement, à la CECA, montrant ainsi leur attache- ment admiratif et leur affectueuse fidélité à l'ami disparu ; ils ont permis la rédaction d'un ouvrage qui, privé de leur généreuse collaboration, n'aurait pas sa raison d'être : que tous veuillent bien accepter l'expression de notre profonde reconnaissance. Grâce à eux, ceux qui ont connu René Mayer et qui ont travaillé avec lui pourront retrouver dans ces pages un peu de l'atmosphère de chaleureuse collaboration et de l'esprit d'équipe qu'il avait su créer. Ceux qui ne l'ont pas connu apercevront, peut-être, que René Mayer, d'une certaine manière, a marqué l'histoire économique de son pays durant les dix années qui ont précédé la guerre et les dix années qui l'ont suivie. Placé exactement à la charnière de deux époques, homme d'action et réalisateur impatient, ce « conservateur libéral » était de ceux qui prêtent le flanc aux critiques immédiates, mais auxquels la postérité rend parfois plus de justice. Il voyait la « montée des périls » totalitaires avec anxiété, car il avait conserve les idéaux du libéralisme du siècle précédent et il aurait volontiers écrit, avec Tocqueville : « Que voulez-vous, nous sommes de vieux entêtés qui avons donné dans la liberté humaine... et qui ne saurions du tout en revenir »

René Mayer est né à Paris, le 4 mai 1895. Il y est mort le 13 décem- bre 1972. Si l'on en excepte les deux périodes de guerre, 1914-1918 et 1939-1945, il est demeuré toute sa vie un Parisien de Paris, sans attache avec l'une quelconque des provinces françaises, si ce n'est la lointaine origine de son grand-père paternel en Lorraine « annexée », dans le village de Dieuze, et celle de ses arrière-grands-parents mater-

1. A. de TOCQUEVILLE, lettre à Gobineau. nels, Alsaciens de Saverne. Ses propres parents étaient Parisiens. Néanmoins il tenait à se réclamer de ses ancêtres des « Marches de l'Est », tout comme il conservait, sans être à proprement parler prati- quant, certaines traditions religieuses des familles israélites dont il

était issu et desquelles il avait hérité un profond sentiment d'appar- tenance à la race du « peuple élu ». Son grand-père, Michel Mayer, rabbin à Paris, officiait à la syna- gogue de la rue des Tournelles. Il avait eu plusieurs enfants. Son second fils, Justin Mayer, le père de René, devait mourir prématurément, en 1897, laissant une jeune veuve avec un garçonnet de deux ans et une petite fille à naître quelques mois plus tard. Elevé par sa mère et sa grand-mère maternelle, René Mayer avait fait, au lycée Carnot, d'excellentes études secondaires. En 1913, il achevait sa licence ès lettres (philosophie) et sa licence de droit, tout en suivant les cours de l'Ecole libre des Sciences politiques. La guerre de 1914-1918 le mobilise avec la classe 15, en décem- bre 1914, et il fera toute la guerre au front, comme sous-lieutenant d'artillerie. Blessé au printemps de 1918 et cité deux fois, il termine la guerre comme officier instructeur. Après l'armistice, mais toujours sous les drapeaux, il se fera détacher au cabinet du ministre du Com- merce, Clémentel, auprès d'Henri Hauser, professeur d'histoire à la Sorbonne et ami de sa famille, ce qui lui permettra, pendant les heures de loisir, de préparer le concours d'entrée au Conseil d'Etat. PREMIÈRE PARTIE

1919-1939

CHAPITRE PREMIER

Le Conseil d'Etat

1919-1928

L'ENTRÉE AU CONSEIL D'ETAT

Démobilisé en septembre 1919 comme lieutenant de réserve, René Mayer a deux mois pour préparer le concours du Conseil d'Etat qui a lieu en décembre. Reçu second de sa promotion et nommé auditeur de deuxième classe, il est affecté à la section du contentieux. La qualité de ses « rapports », son ardeur au travail et la maturité de son jugement vont le mettre très vite en tête du peloton des jeunes auditeurs. Voici l'impression qu'avait laissée le nouveau venu à l'un de ses « anciens », l'ambassadeur Léon Noël, alors maître des requêtes : A l'époque où René Mayer a été reçu au Conseil d'Etat, j'étais commis- saire adjoint du Gouvernement à la section spéciale chargée du contentieux fiscal et du contentieux électoral. En cette qualité, j'ai eu entre les mains les tout premiers dossiers étudiés par lui, avec les projets de décisions qu'il avait rédigés, cela quelques semaines seulement après son succès au concours. Je n'ai jamais oublié mon impression : ainsi que l'annonçait, d'ailleurs, cette petite écriture ferme et nette, si caractéristique de sa personnalité et qui devait être toujours la sienne, ses rédactions dénotaient une intelligence, une précision, une sûreté de jugement, en un mot une maturité d'esprit tout à fait exceptionnelle et que, d'ordinaire, les hommes les mieux doués ne parviennent à acquérir qu'avec les années et l'expérience. J'eus tout de suite la conviction que René Mayer était destiné à une grande carrière

Très rapidement, il passera de l'auditorat de deuxième classe à celui de première classe et, dès 1923, il sera nommé commissaire adjoint, puis commissaire du Gouvernement auprès du Conseil d'Etat statuant au contentieux. A l'extérieur, il sera bientôt désigné comme repré- sentant de l'Etat chargé du rapport général dans différentes commis- sions « créées pour régler des problèmes particuliers nés des conséquences de la guerre »

Les conclusions du commissaire adjoint, devenu l'année suivante commissaire du Gouvernement, ont porté sur quelques points d'impor- tance et ont même donné lieu à jurisprudence. M. Jacques Marchegay, président du Comité central des Armateurs de France, avait assisté à une séance d'assemblée générale, entendu conclure le jeune commissaire du Gouvernement et noté :

Camarade de promotion de René Mayer à l'Ecole des Sciences politiques, j'ai eu en deux circonstances l'occasion de voir confirmer ce qui m'avait frappé dès nos premiers contacts rue Saint-Guillaume. Je veux parler de la très grande supériorité de son intelligence qui approfondissait avec une rapidité exceptionnelle les questions qui lui étaient soumises et en tirait non moins rapidement des conclusions que tout autre aurait dû longuement méditer. Quelques années après notre sortie de l'Ecole, il était entré au Conseil d'Etat. Il n'avait pas tardé à être nommé commissaire du Gouvernement. J'étais allé l'écouter un jour où il développait ses conclusions dans un pourvoi formé par le Comité des Armateurs — où j'ai commencé et fini ma carrière — contre un décret appliquant la journée de huit heures au personnel navigant

1. Léon Noël, ambassadeur de France, ancien président du Conseil constitutionnel, membre de l'Institut. Lettre adressée à Mme René Mayer (1974). 2. Voir le témoignage d'André Moreau-Néret : René Mayer et le Conseil d'Etat, plus loin, p. 26. de la Marine marchande. Je ne saurais dire à quel point j'avais été frappé par l'autorité qu'il avait acquise en peu d'années dans ce grand Corps de l'Etat. Ce dossier n'était pour lui qu'un dossier parmi beaucoup d'autres. Je dois avouer qu'il connaissait la question aussi bien que moi qui l'avais suivie jour par jour pendant des semaines. Je veux évoquer un dernier souvenir qui est précieux pour moi. A son retour d'Alger, René Mayer était ministre des Travaux publics chargé de la Marine marchande. Il m'avait convoqué pour me dire qu'il était prêt à reconstituer le Comité central des Armateurs de France ; celui-ci avait été dissous par le Gouvernement de Vichy (qui lui avait substitué la Corporation de la Marine marchande coiffant deux syndicats régionaux) ; mais il craignait que le nom du groupement patronal des armateurs ne fût rapproché de ceux du Comité des Forges et du Comité des Houillères dissous avant la guerre. Je me suis efforcé de lui exposer les raisons pour lesquelles le Comité central des Armateurs de France n'avait jamais fait de politique avant la guerre et que les deux syndicats régionaux de la Corporation de la Marine marchande que j'avais animés n'avaient jamais eu le moindre rapport avec les Allemands, notre flotte étant réquisitionnée. René Mayer comprenait à demi-mot. Au cours de mon exposé, il m'inter- rompit avant la fin des phrases pour me dire : « compris ». C'est ainsi qu'il a pris la responsabilité — courageuse à l'époque — de reconstituer le Comité des Armateurs sous son nom d'avant-guerre

L' « ECURIE » DU CONSEIL D'ETAT

Dès l'année 1921, René Mayer avait été chargé, aux Sciences politiques, de la conférence de préparation au concours d'entrée au Conseil d'Etat dite l' « Ecurie » du Conseil. L'un de ses « poulains », M. Maurice Lagrange, conseiller d'Etat honoraire, en a conservé fidèlement la mémoire :

J'ai conservé très vivant le souvenir de ce « préparateur » hors série qui menait son« Ecurie » (tel était le terme consacré) tambour battant, réussissant

1. Jacques Marchegay, vice-président d'honneur du Comité central des Armateurs de France. Lettre adressée à Mme René Mayer (1976). à revoir en deux mois, et à fond, l'immense programme qu'était alors celui des concours de l'auditorat, c'est-à-dire rien de moins que l'ensemble du droit administratif français poussé jusqu'en ses moindres détails. Sans doute les épreuves faisaient-elles appel en partie à la culture générale, mais elles com- portaient une redoutable épreuve, celle du « dernier oral », où, pendant quarante-cinq minutes exactement, les cinq membres du jury, trois conseillers et deux maîtres des requêtes, installés en demi-cercle à la place des membres du Tribunal des Conflits et disposant de neuf minutes chacun, faisaient pleuvoir sur le malheureux candidat, assis en contrebas au centre du demi- cercle, une avalanche de questions extraites de leurs spécialités respectives et toutes d'une redoutable précision : il n'était permis d'ignorer ni la durée d'un délai de procédure, ni le nombre et la qualité des membres d'un conseil supérieur ou d'une commission administrative. Embrasser un tel programme en deux mois, le rendre vivant et même, dans une large mesure, attrayant, sans en sacrifier les détails, tel était le tour de force auquel parvenait René Mayer. Lorsque les réponses à ses interrogations sur un sujet déterminé ne lui paraissaient pas au point, il s'arrêtait brusquement et, après avoir déclaré : « il faut prendre le taureau par les cornes », résumait le problème en quelques minutes avec une clarté et une autorité telles que plus n'était besoin d'y revenir. René Mayer était fier de ce rôle de préparateur qu'il avait si remarquable- ment tenu. J'en eus la preuve lorsque, bien des années plus tard, je le retrouvai à où il était appelé à succéder à Jean Monnet comme président de la Haute Autorité de la CECA. Dès sa nomination, il tint à rendre visite au président de la Cour de Justice, M. Pilotti, un vieux magistrat italien qu'il avait jadis connu à la Société des Nations. Etant moi-même, à cette époque, avocat général à la Cour de Justice, j'avais naturellement rappelé à M. Pilotti les liens corporatifs qui m'unissaient à René Mayer. Et celui-ci de me dire, après la rencontre : « Vous avez dit au président Pilotti que vous aviez été mon collègue, mais ne lui avez-vous pas dit que vous aviez été mon élève ? » Voilà donc un souvenir qui lui tenait à cœur

1. Maurice Lagrange, conseiller d'Etat honoraire, ancien avocat général à la Cour de Justice des Communautés européennes. LES CABINETS MINISTÉRIELS

En 1924, déjà commissaire du Gouvernement à la Commission supérieure des dommages de guerre et rapporteur à la Commission supérieure des bénéfices de guerre, René Mayer devient rapporteur à la Commission des économies présidée par Louis Marin. Dans le rapport : ... J'établis notamment la partie des propositions remplaçant les conseils de préfecture par les tribunaux administratifs régionaux qui seront adoptés dans les« Réformes de Poincaré »... Le métier absorbant de commissaire du Gouvernement, le « Rôle » hebdomadaire qui suppose, chaque semaine, l'étude approfondie de nombreux dossiers, ne suffit pas à ce bourreau de travail. Il recherche une « sortie », c'est-à-dire une mission dans un cabinet de ministre. ... En novembre, je« sors » du Conseil, écrit-il, pour devenir chef adjoint du cabinet du ministre des Pensions Bovier-Lapierre (radical- socialiste). Je suis le seul membre du cabinet qui ne soit pas A la fin de l'année, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur. De 1924 à 1926, René Mayer appartiendra à trois cabinets minis- tériels successifs. Charles Pomaret, l'un de ses « poulains », reçu premier au Conseil d'Etat, plus tard parlementaire et ministre, avait suivi de près les « sorties » de René Mayer; il s'en souvient ainsi :

René Mayer, collaborateur de ministres

Je suis entré au Conseil d'Etat dans la deuxième promotion qui a suivi celle de René Mayer. Je ne sortais pas des Sciences po, mais je fus autorisé

1. C'est-à-dire rôle temporaire, porte-parole ou représentant du Gouvernement, à ne pas confondre avec la fonction permanente de commissaire du Gouvernement à la section du Contentieux au Conseil d'Etat. 2. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. 3. : franc-maçon. à suivre, pendant quelques semaines, en fin 1920, l' « Ecurie » de prépa- ration au concours. Il fut là mon maître sévère, juste, sans indulgence. De sa chaire à mon banc, la distance m'apparaissait immense... En fait, c'est en dehors du Conseil que notre amitié a pris son essor, quand il était collaborateur de ministres successifs, moi-même étant, dans les mêmes périodes, soit membre du brain-trust de la commission sénatoriale des finances, soit aussi chef de cabinet de divers ministres. C'est cette petite tranche, liminaire et peu connue, de sa vie publique que j'évoque ici. Notre premier contact dans ces communes activités doit remonter à 1924. Dans les services de la commission des finances, j'ai à renseigner de mon mieux René Mayer qui est alors membre d'une commission des écono- mies présidée par Louis Marin. Ensuite, René Mayer inaugure sa carrière de chef de cabinet en le devenant d'abord de Bovier-Lapierre, ministre des Pensions. L'application de la loi fondamentale du 14 avril 1924 sur les pensions civiles et militaires nous rapprocha souvent. Mais le Gouvernement du moment est renversé; René Mayer devient chef adjoint du cabinet de , ministre des Travaux publics. Les deux hommes ne s'étaient jamais rencontrés. C'est Léon Blum et , nos anciens du Conseil d'Etat, qui indiquèrent le nom de René Mayer à Pierre Laval, mal préparé au recrutement de collaborateurs tech- niques éprouvés. Ce cabinet ne dure pas longtemps. Dans un cabinet qui lui succède, Aimé Berthod, solide jurassien, devient sous-secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil, spécialement chargé des affaires d'-Lorraine. René Mayer devient son chef de cabinet, choix particulièrement heureux : René, que ses origines familiales liaient à l'Alsace, était déjà administrateur du Port auto- nome de . Dans le cabinet Briand, qui succède en 1926 au cabinet Painlevé, Pierre Laval, bien qu'il ait déjà été ministre, accepte d'être sous-secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil. Constituant son équipe de collaborateurs, Pierre Laval garde le chef de cabinet de son prédécesseur Berthod qu'il a déjà eu auprès de lui aux Travaux publics. Mais assez vite une sorte de mésentente semble s'établir entre René Mayer et un préfet que Pierre Laval avait pris comme directeur de cabinet. René Mayer ne veut pas que le moindre conflit altère la vie du cabinet. Il quitte discrètement ses fonc- tions et rentre au Conseil d'Etat. Sa brève carrière de chef de cabinet est terminée. Tout ceci est peu de chose comparé à la vie publique longue et presti- gieuse de René Mayer. Du moins, dans ses fonctions de collaborateur de plusieurs ministres, le juriste précis, le commissaire du Gouvernement, le professeur des Sciences po prend-il une mesure exacte de la vie administra- tive du pays, de ses aspects pratiques et humains, de ses stérilités, de ses imperfections et de ses possibilités. C'est là, j'en suis sûr, qu'il a pris le goût de la vie publique, politique, parlementaire. Il n'a été un élu du peuple que plus tard, près de vingt ans après. Au début, les circonstances s'y prêtaient mal. Je l'ai vu souvent, dans sa jeunesse, enrager de n'avoir pas d'assise provinciale suffisante pour s'enraciner quelque part, grâce au suffrage uni- versel. Il devait se rattraper plus tard... Quand il était simplement chef de cabinet de ministres, il sentait confu- sément qu'il avait en lui, avec ses dons exceptionnels, tout ce qu'il fallait pour être l'excellent ministre, l'homme d'Etat qu'il fut plus tard, dur à la tâche, exigeant pour lui et pour les autres, efficace, réaliste, fidèle avec intran- sigeance à quelques principes essentiels, bon et généreux, très près des hommes et de leur cœur

LA SOCIÉTÉ DES NATIONS

La Société des Nations s'était donné pour tâche la réorganisation de l'économie des anciens empires centraux; à cette fin, elle avait recruté dans les divers pays alliés de jeunes juristes et de jeunes finan- ciers d'avenir, tels Roger Auboin, auditeur au Conseil d'Etat, chargé de rétablir les finances de l'Etat de Roumanie, ou Pierre Quesnay, inspecteur des Finances, camarade aux Sciences politiques et grand ami de René Mayer (également disciple d'Henri Hauser), auquel incomba le rétablissement des finances autrichiennes. Dans le même esprit, la SDN va s'efforcer de régler le contentieux qui s'est élevé entre différents pays autrefois sous la loi autrichienne et devenus indépen- dants, en particulier dans le domaine ferroviaire. Un parent de René Mayer est alors secrétaire général de l'Organisation des communi-

1. Charles Pomaret, ancien ministre de la III République. cations et du transit à la SDN à Genève, comme le rappelle René Mayer : ... Robert Haas, qui a préparé l'agrégation de philosophie à la Sorbonne lorsque j'y étais étudiant aux mêmes enseignements, me fait nommer membre français du comité juridique de l'Organisation des communications et du transit à la SDN. Je le demeurerai jus- qu'en 1940. A ce titre je serai l'un des trois membres des divers tribunaux arbitraux nommés par le Conseil de la SDN pour régler le sort des réseaux de chemin de fer austro-hongrois démembrés par le Traité de Trianon. J'y aurai comme collègues Guerrero (du San Salvador), futur président de la Cour internationale de Justice de La Haye, et Kriff, directeur général des Chemins de fer néerlan- dais, remplacé après sa mort par Athanase Politis, ancien directeur général des Chemins de fer helléniques. La première affaire soumise à l'arbitrage sera, en 1928, l'affaire du Chemin de fer de Sopron- Koszeg, où je fais prévaloir en droit public international la théorie française de l' « imprévision » dans les contrats de concession. René Mayer attachait un grand prix à ses premiers travaux dans le domaine du droit public international. Il avait conservé avec un soin jaloux ses dossiers personnels concernant l'arbitrage du Chemin de fer de Sopron-Koszeg et d'autres analogues dont il avait eu à connattre par la suite

L'ENSEIGNEMENT DU DROIT PUBLIC

Le commissaire du Gouvernement, expert à la SDN, ne se désinté- resse pas pour autant du droit public français ni de ses élèves : ... En 1927, je succède aux Sciences politiques à Jacques Tardieu et deviens professeur titulaire du cours « Organisation administrative départementale et communale » (une année) et « Théorie générale

1. René MAYER, André Moreau-Néret a fait allusion à cette théorie de l' « imprévision » dans son étude sur la SNCF donnée plus loin. 2. Ces dossiers sont à présent déposés aux Archives de la SDN à Genève. du service public » (un semestre). J'enseignerai jusqu'en 1932,année où je serai remplacé par Hervé Detton. Parmi mes élèves notables : Couve de Murville, Michel Debré, Bernard Chenot, etc.

Maurice Couve de Murville, ancien Premier Ministre, étant le seul de ses élèves auxquels René Mayer (et il le rappelait volontiers) eût jamais donné la note 20 à l'occasion d'un examen, c'est à lui qu'il appartenait d'évoquer le caractère particulier de son enseignement :

René Mayer, professeur à l'Ecole des Sciences politiques

La forte personnalité de René Mayer a jalonné ma carrière profession- nelle et politique. A chaque étape je l'ai retrouvé, toujours aussi ouvert et chaleureux, aussi perspicace et percutant, aussi fidèle à ses convictions et à son amitié. Je dis son amitié, car je crois en avoir bénéficié tout au long, une amitié pareille à lui-même, c'est-à-dire essentiellement humaine, assortie des conseils, des avis, des jugements d'une intelligence exceptionnellement lucide servie par une connaissance étonnante des hommes et des problèmes. Tout avait commencé à ce qui était alors encore l'Ecole libre des Sciences politiques. René Mayer y était chargé d'un cours de droit administratif. J'y préparais moi-même le diplôme dans la perspective du concours de l'Inspection générale des Finances. C'était l'année universitaire 1927-1928. Même dans l'école d'alors, où le nombre des étudiants restait limité, les rapports entre maître et élèves étaient relativement lointains. Mais suivre assidûment un enseignement permet au fil des mois de connaître... et de juger le professeur. Et puis il y avait l'examen, qui n'est pas seulement une épreuve, car il permet — enfin — le contact direct. Et j'oserai dire, avec une certaine fierté rétrospective, que celui-ci fut bon et ne devait pas être oublié par la suite. Il a marqué vraiment ce qu'avec reconnaissance je me permettrai d'appeler le commencement d'une longue intimité. En 1927, René Mayer n'était pas un débutant rue Saint-Guillaume. Pendant trois années déjà il avait assumé, avec André Moreau-Néret, la conférence de préparation au Conseil d'Etat. Mais c'était la première fois qu'il avait la charge d'un cours magistral, charge qu'il allait conserver jusqu'en 1932, c'est-à-dire pendant sept ans.

1. 1932, époque où René Mayer devient président du Comité d'administration géné- rale de la Compagnie internationale des Wagons-Lits. Une lourde charge pour un jeune homme de trente-deux ans. Mais n'était-il pas l'un des plus brillants sujets de sa génération, l'un de ceux justement que la vieille Ecole des Sciences politiques aimait alors à recruter pour renouveler son personnel ? Jeune maître des requêtes au Conseil d'Etat, René Mayer venait de se voir confier, après Léon Blum et tant d'autres illustres, des fonctions particulièrement difficiles et de ce fait honorées, celles de commissaire du Gouvernement au Contentieux, le saint des saints de l'institution. L'année suivante il quittait l'administration pour prendre de fait la direction de la Compagnie des Chemins de fer du : une sortie éclatante. C'est dire le prestige dont, de plain-pied, il bénéficiait auprès de ses élèves. Mais le prestige ne suffit pas pour nourrir réputation et popularité. Nul souci à cet égard. L'enseignement du professeur était là pour y faire face. La matière cependant ne pouvait être plus aride : l'administration locale de la France, celle des départements, des communes, des colonies. Autrement dit la compétence de ces collectivités, leur mode de gestion, les rapports entre elles et les pouvoirs publics, le contentieux y afférant et ainsi de suite. L'année suivante, puis ensuite par alternance, il devait traiter des services publics et de la fonction publique, c'est-à-dire les conditions de création, d'organisation et de fonctionnement des services de l'Etat, puis le statut, les droits et obligations et les responsabilités des fonctionnaires. On voit que la qualification d'aridité n'est pas excessive, s'agissant de ce que le droit administratif recèle peut-être de plus ingrat. Eh bien! ce diable de professeur réussissait le tour de force de traiter son sujet de la façon la plus complète et de ne jamais lasser, pour ne pas dire ennuyer. Il savait tout et le disait. En même temps il rendait tout vivant et intéressant, si bien que jamais l'attention ne se lassait. De la façon la plus naturelle du monde, car il ne s'essayait ni au genre littéraire, ni aux philosophies prétentieuses. Mais René Mayer avait, nées sans doute de son intelligence, de sa mémoire et d'une compétence qui rendait tout facile, une telle clarté et une telle vie dans l'exposé que l'on ne sentait même pas passer le temps. Tel est le souvenir que, bien longtemps après, je conserve de ce jeune et brillant professeur, qui fut mon maître avant de devenir mon ami. Un sou- venir dont je ne doute pas qu'il est partagé par beaucoup, c'est-à-dire par tous ceux qui, à cette époque, ont eu le privilège de ses leçons. René Mayer avait marqué là, comme partout où le porta son prestigieux destin

1. Maurice Couve de Murville, ancien Premier Ministre. DERNIÈRES ANNÉES AU CONSEIL D'ETAT

L'intérêt passionné que René Mayer portait aux questions ferro- viaires l'avait fait nommer successivement :

— en 1924, membre de la Commission de vérification des comptes des compagnies de chemins de fer ; — en 1925, rapporteur de la Commission chargée d'étudier la réorga- nisation du réseau de l'Etat (ancien réseau de l'Ouest); — en 1926, secrétaire général du Conseil supérieur des Chemins de fer.

D'autre part, il avait été nommé au contrôle de l'Office des Houillères sinistrées (OHS), et, en 1924, administrateur (représentant de l'Etat) au conseil du Port autonome de Strasbourg; d'où son entrée, en 1927, au conseil de la Compagnie générale pour la Navigation du Rhin (CGNR). Voici comment lui-même a résumé ses activités :

... En 1928, ma vie professionnelle se partage ainsi : je conclus au Contentieux, enseigne rue Saint-Guillaume, continue de contrôler l'OHS, siège à Strasbourg et parfois à Genève, dirige le secrétariat général du Conseil supérieur des Chemins de fer.

La vocation ferroviaire de René Mayer n'a fait que se préciser. Secrétaire général du Conseil supérieur des Chemins de fer, il s'efforce de donner une vive impulsion à cet organisme : ... Le Conseil supérieur entreprend une réforme tarifaire dont je suis le rapporteur général. On établit un arsenal de caractère commercial contre la concurrence automobile : prix fermes, prix de gare à gare, porte à porte, abonnement... Je propose en vain de réduire à deux les classes des voyageurs, ce qui ne sera réalisé que trente ans plus tard. Edouard de Rothschild me fait alors proposer d'entrer à la Compagnie du Chemin de fer du Nord. J'accepte et vais donner ma

1. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. démission du Conseil d'Etat le 1 mai. Poincaré veut me refuser l'honorariat. Je suis défendu par , garde des Sceaux, et quitte le Conseil comme maître des requêtes honoraire.

Pour clore ce chapitre, nous ne pouvions souhaiter mieux que le témoignage d'André Moreau-Néret, le camarade, le collègue et l'ami de toujours de René Mayer :

René Mayer et le Conseil d'Etat

Dès que la guerre fut finie, dans l'enthousiasme de la victoire, René Mayer se prépara au Conseil d'Etat. Il avait déjà donné la preuve de son énergie au front durant trente mois : blessé, sa vaillance lui avait valu la croix de guerre. Il lui fallait, en 1919, étant encore sous l'uniforme, compléter ses connaissances administratives, bien que licencié ès lettres et en droit. Il entra brillamment au Conseil le 15 décembre 1919, quelques mois après sa démobilisation. Il a profondément aimé cette maison, car la formation qu'il y reçut correspondait à ses aspirations et à son caractère. Aussi, très vite, y eut-il un rôle de premier plan. Ceux qui accueillaient nos promotions de 1920 ne cachaient d'ailleurs pas leur étonnement devant la maturité de cette nouvelle génération, restée pourtant longtemps éloignée des études juridiques, mais dont presque tous avaient connu au front les responsabilités qu'implique le commandement d'une unité même modeste, en des heures parfois difficiles. René Mayer nous surclassait tous par la clarté de son raisonnement et l'autorité de son jugement. Affecté à la section du Contentieux, il avait le don de résumer les arguments dominants d'un dossier, de faire la synthèse des motifs invoqués, de peser les arguments des parties et d'en déduire des conclusions précises. Il ne prenait position qu'après avoir mûrement réfléchi; écartant les solutions de facilité et les complications de procédure, il cherchait surtout l'orientation qu'il convenait de donner à la jurisprudence, car, s'il aimait les questions de droit, il tenait toujours à examiner les conséquences économiques et pratiques de la décision projetée.

1. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. Une des caractéristiques de notre vie d'auditeurs était l'atmosphère de camaraderie qui régnait entre nous, en dehors de toute question d'intérêt personnel, et cette ambiance de gaieté et de confiance a été la base d'amitiés qui sont restées profondes à travers les vicissitudes de la vie. Nous avons d'ailleurs eu la chance d'être orientés par des présidents remarquables : au Contentieux, les présidents Romieu et Pichat; au sein du Conseil, les présidents Colson et Tissier. Tous tenaient à ce que, bien qu'auditeurs de seconde classe, nous émettions nos opinions en toute indé- pendance, estimant que le rapporteur qui avait étudié un dossier en avait une connaissance dont il convenait de tenir compte. Je ne saurais mieux marquer cette attitude qu'en rappelant un souvenir personnel. J'avais un jour rapporté une affaire devant la Commission supérieure des bénéfices de guerre, à laquelle était également attaché René Mayer. Les avis étaient par- tagés à égalité. Alors le président Colson, dont l'opinion était contraire aux conclusions que je venais de présenter, me rappela qu'en tant que rapporteur j'avais droit de vote. Ce fut donc la solution que j'avais proposée qui devait être adoptée. A la fin de la réunion, j'allai avec un peu de confusion m'excuser auprès du président Colson d'avoir ainsi voté contre son opinion. Alors, avec son regard un peu bigle mais plein de bienveillance, il me dit : « Voyez- vous, je suis content de ce qui vient de se passer, vous avez vu aujourd'hui ce qui fait la force de notre maison : c'est le droit et le devoir pour chacun de donner en toute indépendance son opinion. » Le président Romieu agissait de même avec René Mayer; il aimait son indépendance, la clarté et la précision de ses exposés; aussi tint-il, ainsi que le président Pichat, à ce que René Mayer devienne commissaire du Gouverne- ment au grand Contentieux, alors que l'on ne faisait normalement appel qu'à des membres du Conseil d'une beaucoup plus grande ancienneté. René Mayer fut un commissaire du Gouvernement remarquable. Il aimait les termes concis et le raisonnement solide qui se termine par les mots : Décide... Article I... Article II... C'était l'opposé de la conception de certains corps où l'on cherchait surtout à faire des « premiers jours » aux conclusions soigneu- sement balancées. « Si l'on cherche à dégager le rôle que René Mayer a eu sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, on constate qu'il voulait éviter les complications de pro- cédure et juger au fond les affaires, sentant que l'on pouvait adapter l'appli- cation d'une législation souvent ancienne aux nécessités du temps présent. La lecture de ses principales conclusions, qui sont encore citées aujourd'hui par les commentateurs et les auteurs, met en lumière un processus de raison- nement qui conduit avec maîtrise vers des solutions souvent nouvelles, mais toujours réalistes : l'analyse des positions de la doctrine et de la juris- prudence, une étude critique de celles-ci qui, pour être sereine, n'en souligne pas moins, le cas échéant, les aspects théoriques, trop absolus ou périmés, la présentation d'une thèse fondée sur une logique concrète, enfin l'examen approfondi des effets pratiques de la solution proposée » Il était fortement attaché au respect des libertés individuelles et religieuses, comme le marquent ses conclusions dans certaines décisions du Conseil d'Etat. Les principes déjà posés par la jurisprudence en matière de responsa- bilité de l'Etat l'intéressaient particulièrement et l'amenèrent à faire préciser les modalités de réparation des fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions par des officiers ou agents de l'Etat. Mais ce qui le frappait le plus était la nécessité d'assurer la continuité des services publics, alors que les contrats d'avant-guerre qui les régissaient ne correspondaient plus aux conditions économiques présentes. La juridiction judiciaire maintenait cependant la notion d'une monnaie censée n'avoir point varié et conservait une valeur absolue aux termes mêmes des contrats ; le Conseil d'Etat, par contre, avait déjà bâti la notion de l'imprévision. René Mayer eut à suivre et à compléter cette jurisprudence : en matière de services publics il sentait la nécessité d'aménager ces contrats anciens, comportant des tarifs et des obligations devenus inapplicables du fait même des circonstances de fait; mais il fallait cependant respecter l'idée de contrat et chercher à ce que les deux parties trouvent une solution acceptable. Cette notion fondamentale de la continuité du service public dans un cadre contrac- tuel, mais adapté aux nécessités économiques, il la fera prévaloir plus tard, au moment de la réorganisation des réseaux de chemins de fer, et elle sera, en fait, à l'origine de la création de la SNCF. « Dès cette période, en effet, René Mayer, l'esprit et le cœur attachés à concilier les libertés individuelles et les nécessités du service public, mesura l'ampleur du domaine économique où allait s'engager de plus en plus l'action de l'Etat — les transports, les communications, l'énergie; il sut discerner les formes nouvelles que prendrait cette action et les problèmes qui en découle- raient pour les collectivités publiques et pour les citoyens. Au travers de plusieurs de ses conclusions apparaissent les contours des « grandes entre- prises publiques » qui appartiennent simultanément à deux mondes : celui de

1. Nous remercions M. Pierre Laurent, président de section au Conseil d'Etat, d'avoir bien voulu rédiger cet alinéa qui éclaire le texte d'A. Moreau-Néret. l'industrie et des échanges, celui du service public avec ses sujétions, ses exigences, sa morale. Le grand commis amassait déjà des éléments de réflexion dans lesquels le chef d'industrie, puis l'homme de gouvernement puiseront par la suite avec bonheur » A côté de la vie interne du Conseil d'Etat, il devait participer à de nom- breuses commissions créées pour régler des problèmes particuliers dus aux conséquences de la guerre. René Mayer fut ainsi commissaire du Gouverne- ment à la Commission supérieure des bénéfices de guerre, ainsi qu'aux com- missions chargées des marchés de liquidation des stocks de guerre ou de l'attribution de subventions aux communes atteintes par la guerre. Il était normal qu'il soit appelé à faire partie de cabinets ministériels, comme chef de cabinet du ministre des Pensions en 1924, puis comme chef adjoint du cabinet du ministre des Travaux publics en 1925. Le rôle des cabinets était alors fort différent de ce qu'il est aujourd'hui. Le cabinet d'un ministre ne comprenait qu'un nombre infime de collaborateurs, travaillant en étroite liaison avec le ministre et les directions. Le passage de René Mayer aux Travaux publics le fit remarquer de tous. Aussi fut-il nommé adminis- trateur du Port autonome de Strasbourg, puis, comme les problèmes de transport le passionnaient, rapporteur de la Commission chargée d'étudier la réorganisation du réseau de l'Etat, enfin, en 1926, secrétaire général du Conseil supérieur des Chemins de fer, poste qu'il devait conserver jusqu'au moment où il quitta la fonction publique. On ne peut dissocier le rôle que René Mayer a eu au Conseil d'Etat de celui qu'il a eu à l'Ecole des Sciences politiques, car la direction de l'Ecole tenait alors à ce que ceux qui devaient préparer les candidats au concours de l'auditorat soient pris parmi les membres du Conseil, et à ce que les grands cours concernant le droit et les problèmes administratifs soient faits par des membres de la maison. René Mayer a eu ainsi, de 1922 à 1932, comme maître de conférence et comme professeur, un rôle considérable dans la formation de générations plus jeunes. Nombreux sont ceux qui sont venus lui demander conseil sur leur orientation à venir; ceux qui furent ses élèves, comme Alexandre Parodi, Chaban-Delmas, Couve de Murville, Michel Debré ou André Ségalat, n'en oublient pas le souvenir. René Mayer devait quitter le Conseil d'Etat en 1928 pour entrer à la Compagnie du Nord, dont la puissance et le rayonnement étaient considé- rables. Il devint vice-président du Nord et entra dans de nombreuses affaires

1. Cet alinéa est également dû à M. Pierre Laurent. du groupe Rothschild. Mais il devait rester fidèlement attaché à la vieille maison du Palais-Royal où son départ fut considéré comme une perte grave, car beaucoup estimaient qu'il était désigné pour accéder aux plus hauts postes. Il garda cependant un lien avec le Conseil en acceptant d'être président du Bureau d'assistance judiciaire, aussi longtemps que le lui permirent les nombreuses fonctions dont il se trouva progressivement chargé. Le Conseil d'Etat devait le retrouver comme président lorsqu'il fut nommé garde des Sceaux, et ce ne fut pas sans émotion pour tous qu'il y prononça, en 1950, à l'assemblée générale, un discours où il marquait tout ce qu'il devait à cette grande maison et tout ce qu'il en espérait, en faisant adopter les principes de la réforme de 1951. Aussi était-il normal que les membres du Conseil d'Etat aient tenu à l'élire président de l'Association des membres du Conseil, en raison de son attachement à la maison ; et pendant toute la durée de son mandat il s'adonna de tout son cœur à cette fonction. Pour lui, le Conseil d'Etat resta toute sa vie la maison mère

1. André Moreau-Néret, maître des requêtes honoraire au Conseil d'Etat. CHAPITRE II

Les Chemins de fer

1928-1939

L'ENTRÉE A LA COMPAGNIE DU CHEMIN DE FER DU NORD

En mai 1928, René Mayer, nommé administrateur de la Compagnie du Chemin de fer du Nord, entre au comité de direction de cette compagnie que préside le baron Edouard de Rothschild. Guy de Rothschild, fils du président et lui-même jeune membre du comité de direction, a défini ainsi son rôle :

René Mayer à la Compagnie du Chemin de fer du Nord

René Mayer fut nommé administrateur de la Compagnie du Chemin de fer du Nord en 1928. Le président Edouard de Rothschild recherchait, en effet, une personnalité capable de jouer un rôle actif dans la direction de cette compagnie. Les services avaient encore à leur tête Paul-Emile Javary, qui avait montré des qualités exceptionnelles au cours de la guerre 1914-1918, mais ses méthodes de « management » n'avaient guère évolué alors que le transport par fer subissait une vive attaque concurrentielle de la part des transports routiers. Par ailleurs, le déficit financier permanent des chemins de fer entretenait une épine irritante au niveau politique, et il convenait d'élargir les liaisons et d'améliorer les contacts avec les milieux qui, au Parle- ment et dans l'administration, avaient périodiquement à traiter ce problème. Etant auditeur au Conseil d'Etat, René Mayer, comme représentant de l'Etat, avait siégé depuis plusieurs années dans les diverses commissions inter-réseaux : Commission de vérification des comptes, Conseil supérieur des chemins de fer, Comité de coordination des grands réseaux. C'est là que le président de Rothschild avait pu remarquer ses qualités d'esprit et sa précoce autorité. Seul, parmi les compagnies de chemin de fer, le Nord n'avait pas désigné de directeur général, et les pouvoirs que celui-ci aurait détenus étaient confiés à un comité de direction très actif qui se réunissait le mardi et le vendredi et dont les membres travaillaient à plein temps. C'est tout natu- rellement au sein de ce comité de direction que René Mayer fut appelé et il ne tarda pas à y prendre l'autorité que méritait son talent, si bien qu'en fait il joua le rôle d'un véritable administrateur-délégué avec le titre de vice- président qui lui fut attribué en 1932. Son action se développa dans les deux directions principales prévues dès son entrée à la Compagnie. D'abord la mise en place d'une équipe qui pût succéder à Paul-Emile Javary. Cette équipe avait à sa tête Robert Le Besnerais, assisté notamment de Jean Goursat en charge de l'exploitation. Il est frappant d'observer que Le Besnerais devint le premier directeur général de la SNCF et que son successeur à ce poste éminent fut Jean Goursat. Tradi- tionnellement le Nord était une pépinière d'hommes à carrière brillante ultérieure et, outre ceux qui viennent d'être cités — et sans omettre René Mayer lui-même —, on peut rappeler Gaston Griolet, vice-président du Nord, qui fut président de la Banque de Paris jusqu'en 1930, et Raoul Dautry, ingénieur en chef de la voie, au Nord, devenu président du réseau de l'Ouest- Etat, puis ministre. René Mayer prit une part active à tous les développements du réseau du Nord, coordination rail-route, usage des autorails, etc., dont peut-être le plus spectaculaire fut le ferry-boat Dunkerque-Douvres, permettant une liaison ferroviaire Paris-Londres grandement améliorée, à laquelle René Mayer apporta beaucoup de lui-même et qui fut son enfant chéri. La liaison avec le Gouvernement, qui constituait l'autre aspect des respon- sabilités de René Mayer, lui valut progressivement le premier rôle au sein des compagnies elles-mêmes en tant que leur porte-parole, et dans les milieux politiques il fut accepté comme l'interlocuteur principal en matière de che- mins de fer. Rien d'étonnant donc qu'un an après l'arrivée au pouvoir du Front populaire la nationalisation des chemins de fer, qui constituait un élément majeur de son programme, fût accomplie, en 1937, après une négo- ciation approfondie et serrée, René Mayer étant devenu le négociateur en chef pour les compagnies. Cette nationalisation marqua l'aboutissement des efforts de René Mayer dans le domaine des chemins de fer; la guerre désormais proche allait l'appeler à d'autres destinées

Le conseil d'administration de la Compagnie du Chemin de fer du Nord comprenait parmi ses membres plusieurs octogénaires ; le plus ancien était son vice-président, Gaston Griolet. René Mayer devait peu à peu le remplacer dans ses diverses fonctions :

... En 1931, j'ai remplacé, d'abord épisodiquement, puis définiti- vement, M. Griolet au comité de direction des grands réseaux, et participé régulièrement à la réunion des présidents et directeurs des compagnies de chemins de fer, connue sous le nom de« Petit Local », du nom de la salle où, au P-L-M, rue Saint-Lazare, elle se réunit presque chaque semaine,

A ce moment, René Mayer est promu officier de la Légion d'honneur.

Sa situation aux chemins de fer vaut à René Mayer d'entrer dans les grandes affaires d'électricité faisant partie du groupe d'Albert Petsche et d'Ernest Mercier, affaires de production de courant (Nord- Lumière, Union d'Electricité), ou de distribution (Electricité de l'Ouest

et Union financière pour l'Industrie électrique) ; un peu plus tard, il entre à la Compagnie des Eaux de la banlieue de Paris, puis au conseil de la CPDE (Compagnie parisienne de Distribution d'Electricité). Sa vie ferroviaire ne modifie en rien les préoccupations de René Mayer en ce qui concerne les grandes questions d'intérêt national, et, à la demande directe ou indirecte du Gouvernement, nous le voyons aborder et résoudre successivement, en dehors de ses charges ordi- naires, trois problèmes touchant aux intérêts de l'Etat : la Convention d'Essen (1930), la création d'Air France (1933), la fondation de la SNCF

(1937) auxquels s'ajoute la remise à flot de la Compagnie internationale des Wagons-Lits (1932).

1. Guy de Rothschild. Témoignage adressé à Mme René Mayer. 2. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. LA CONVENTION D'ESSEN (1930)

Les qualités de négociateur qu'avait déployées René Mayer, de 1924 à 1928, comme administrateur du Port autonome de Strasbourg et de la CGNR, l'avaient fait désigner par les Strasbourgeois au ministre Tardieu comme seul capable de mener à bien la difficile négociation engagée avec les Allemands concernant les livraisons de charbon au titre des réparations en nature. La négociation, qui dura plusieurs semaines, aboutit à un brillant succès au cours de l'été 1930 et fut bientôt connue et désignée sous le nom de« Convention d'Essen ». Voici le récit que lui-même nous en a laissé :

Les dix années de livraison gratuite de charbon de la Ruhr à la France expirent cette année (1930). Les « prestations en nature » doivent lui succéder. Une négociation est en cours entre l'OHS, mandataire de l'Etat, et le Rheinisch-Westphalisches Kohlen-Syndikat. Le négociateur, Le Normand, a échoué. En juin, pendant que je fais passer les examens rue Saint-Guil- laume, André Tardieu, ministre des Travaux publics, me fait chercher, à la demande des Strasbourgeois, et me charge de la négociation. Je pars pour Essen avec deux experts : Kornmann (pour les char- bonniers) et Peyrecave (pour la navigation du Rhin). Après diverses péripéties et la signature d'un premier texte que l'assemblée générale du Kohlen-Syndikat repousse, la « Conven- tion d'Essen » est finalement signée en septembre. Elle assure « l'ali- ment » nécessaire à la remontée jusqu'à Strasbourg et la prime de 1,20 mk à la tonne de charbon transportée. Elle restera en vigueur jusqu'à la guerre. Elle permettra le rapatriement en France de plus d'un milliard de « marks bloqués ». Son « annexe navigation » sera le seul statut garantissant le pavillon français sur le Rhin lorsque Hitler dénoncera les clauses « navigation » du Traité de Versailles.

1. La rue Saint-Guillaume : l'Ecole des Sciences politiques. A la fin de l'année est fondée la SICAP (Société pour l'Impor- tation du Charbon et Autres Produits), chargée de la gestion de la Convention. Je deviens président du conseil de surveillance de cette société à participation d'Etat.

René Mayer avait conservé de cette négociation un souvenir très vif et une légitime fierté; il y avait acquis, auprès des Allemands, une réputation d'adversaire équitable, ferme et compréhensif, dont il retrouvera l'écho plus tard, en 1946, au Commissariat aux Affaires alle- mandes et autrichiennes, et, en 1955, à la Haute Autorité de la CECA

LA COMPAGNIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS (1932)

La grande réussite, en 1930, de la négociation de la « Convention d'Essen » avait valu à René Mayer une réputation flatteuse dans les milieux politico-économiques. Le ministre André Tardieu, devenu président du Conseil, eut de nouveau recours à ses compétences, deux ans plus tard, lorsque l'Etat français se vit confronté avec les graves difficultés financières auxquelles se heurtait la Compagnie internationale des Wagons-Lits : En 1932 (écrit René Mayer), l'Etat français est devenu, à la suite d'une augmentation de capital, souscrite par la Caisse des Dépôts et Consignations, le principal actionnaire de la Compagnie internationale des Wagons-Lits. L'affaire a été négociée par la banque Dreyfus. Raoul Dautry, directeur général des Chemins de fer de l'Etat (et ancien ingénieur en chef à la Compagnie du Nord), et moi-même représentons l'Etat au conseil d'administration.

1. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. — M. Etienne Moëneclaey, ins- pecteur général des Finances, ancien administrateur, lui aussi, du Port autonome de Strasbourg et de la SICAP, a bien voulu relire ces lignes et en confirmer l'exactitude. 2. Le président en exercice du Port autonome de Strasbourg, M. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg, ancien président du Conseil, a fait établir, à notre demande, une note historique à ce sujet; on la trouvera en annexe, p. 381. 3. Il s'agit du seul réseau de l'Ouest, racheté par l'Etat en 1912. André Tardieu, président du Conseil, et Tannery, directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, ont, non sans peine, obtenu le consentement du baron Edouard de Rothschild à ce que je devienne président du Comité d'administration générale de la Compagnie internationale des Wagons-Lits. L'affaire est réglée au début de l'été. Mais je m'aperçois que la situation de la Compagnie est telle qu'elle ne pourra sans doute pas payer, fin décembre, le coupon des obligations. Je refuse de toucher tout traitement avant d'avoir arrangé les choses.

René Mayer sait qu'elles ne pourront s'arranger qu'au niveau gouvernemental. Il se rend à Lausanne où se tient la Conférence des Réparations allemandes; sont présents les ministres des Affaires étrangères et ceux des Finances des pays en cause. Je négocie (poursuit René Mayer) avec Germain Martin, ministre des Finances français, un prêt de la Caisse des Dépôts et Consigna- tions qui permet le remboursement de dettes en livres sterling et qui remet à flot les finances de la Compagnie internationale des Wagons- Lits.

Peu de temps avant de disparaître à son tour, et déjà très souffrant, René Margot-Noblemaire, directeur général de la Compagnie inter- nationale des Wagons-Lits, puis président, avait tenu à nous adresser les pages qui suivent où se reflètent l'admiration et l'affectueuse recon- naissance que la direction de la Compagnie des Wagons-Lits avait conservées à celui qui en avait assuré le rétablissement et l'expansion :

René Mayer et la Compagnie internationale des Wagons-Lits

A l'automne de 1931, le Gouvernement français désigna René Mayer pour représenter au sein du conseil d'administration de la Compagnie

1. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. 2. René MAYER, Notes biographiques, 1919-1939. internationale des Wagons-Lits, en même temps que Raoul Dautry, direc- teur général des Chemins de fer de l'Etat, les actions récemment acquises par la Caisse des Dépôts et Consignations, à l'occasion d'une augmentation de capital. En avril 1932, à la suite d'un accord conclu entre le groupe Italie, dirigé par le comte Volpi di Misurata, et le directeur de la Caisse des Dépôts, René Mayer fut nommé président du Comité d'administration générale, et c'est à partir de ce moment qu'il joua un rôle éminent dans la gestion des affaires de la Compagnie. Celle-ci subissait, à l'époque, une grave crise de trafic, causée par les répercussions de la dépression économique et mondiale ; de nombreux ser- vices durent être supprimés, et toutes les compressions possibles de dépenses furent recherchées dans l'ensemble des pays où s'exerçait son activité; en même temps, des négociations se déroulaient avec les principales adminis- trations de chemins de fer pour obtenir un allégement de ses charges contractuelles.

Au cours de cette période, difficile, le concours de René Mayer, avec toute sa lucidité et son énergie, fut précieux pour la direction générale dont il suivait les efforts presque jour par jour en vue d'assurer un meilleur équilibre entre les recettes et les dépenses. Il s'intéressait tout particulièrement au rayonnement de la Compagnie sur le plan international et au maintien des grands trains assurant les liaisons entre les divers pays de l'Europe continentale ; il prit aussi une part importante dans les pourparlers qui aboutirent à la création, en octobre 1936, des ser- vices du ferry-boat entre Dunkerque et Douvres, lesquels permettaient d'assurer pour la première fois une liaison directe par wagon-lit entre Paris et Londres.

Son activité s'étendait en outre à tous les aspects de la situation financière; le doublement du capital, réalisé en 1931, avait permis un certain nombre de remboursements d'emprunts ; cette politique fut poursuivie sous son impul- sion et permit de ramener assez rapidement le montant des dettes à long et à moyen terme au niveau des fonds propres de la Compagnie; par la suite, une nouvelle augmentation de capital permit de procéder, en 1937, à une nouvelle étape du redressement de la situation financière, laquelle resta satisfaisante jusqu'au début de la seconde guerre mondiale. Quelques épisodes particuliers méritent d'être signalés en raison de leur incidence sur les destinées de la Compagnie pendant la même période. En premier lieu, nous n'oublierons pas la présence de René Mayer dans les pourparlers qui se sont déroulés après les grèves de 1936, en vue de l'éta- blissement des contrats collectifs; il présida plusieurs réunions de travail avec les représentants des syndicats, et sa connaissance des problèmes juridiques en même temps que son sens de l'humain furent particulièrement utiles pour l'établissement de textes qui constituaient, à l'époque, une nova- tion et n'ont pas été modifiés depuis lors dans leurs données essentielles. Au cours de ces mêmes années, marquées par l'ascension du régime nazi en Allemagne, la Compagnie avait à faire face à une concurrence accrue de la Mitropa. Cette société, qui avait été formée en 1920 avec une partie du matériel resté en Europe centrale, était une filiale des chemins de fer allemands qui reprenait à son compte les ambitions de l'époque Guillaume II. Un contrat avait été conclu avec elle en 1925 pour lui attribuer quelques services avec les pays limitrophes de l'Allemagne, mais la répartition qui en résultait dans les liaisons internationales parut insuffisante aux nouveaux dirigeants du ministère des Communications qui rêvaient à nouveau du Drang nach Osten. Les difficultés s'accentuèrent au moment de l'Anschluss en Autriche, puis à l'occasion de l'occupation de Prague; de nombreuses réunions, très orageuses, eurent lieu avec les représentants du gouvernement allemand; en même temps, des contacts étroits étaient maintenus avec le Quai d'Orsay, et l'appui de René Mayer fut très utile pour soutenir les positions de résis- tance adoptées par le président et le directeur général, efficacement secondés par le directeur de la Compagnie en Allemagne. Enfin, il est important de rappeler l'activité qu'exerça René Mayer dans le domaine des relations avec Thos. Cook and son; le capital de cette société avait été acheté en totalité par la Compagnie en 1928, mais de nombreux problèmes restaient à régler en tenant compte d'une certaine résistance passive de ses dirigeants à l'égard d'une entreprise étrangère. Entré dans le conseil d'administration de Cook dès son arrivée à la Com- pagnie, René Mayer joua un rôle important dans les négociations qui abou- tirent à une meilleure répartition des zones d'influence et à une harmoni- sation plus efficace des méthodes de travail des quatre cents agences réparties à travers le monde. A l'automne 1939, désigné par le Gouvernement pour diriger la Mission française de l'armement en Grande-Bretagne, il demanda à être déchargé de ses fonctions de président du Comité d'administration générale de la Compagnie. Après l'armistice de 1940, il se retira dans le midi de la France, mais resta administrateur de la Compagnie jusqu'à ce qu'il fût amené à donner sa secrétaire aux Communications; il devient ensuite, dans le Comité fran-

çais de la Libération nationale que préside le général de Gaulle, commis- saire aux Communications et à la

Marine marchande (CMM) : Louis Joxe et Robert Bordaz montreront, l'un et l'autre, quelle fut son action au sein du CFLN à Alger puis au ministère des Travaux publics à Paris, dans le Gouvernement provisoire. Elu député de Constanrine en 1946, René Mayer, à partir de 1947, sera presque constamment membre du Gouvernement.

L'importance de sa présidence de la Haute Autorité de la CECA confirme l'influence de son action.

Le Journal de René Mayer (1944-45), qui achève ce livre de témoignage où se côtoient les signatures de René Pleven, Maurice Couve de Murville, Edouard

Bonnefous..., peint en pied son auteur, et, dans la sécheresse de ses notations rapides, le lecteur saisira la clarté de ses vues, l'équité de ses jugements, la profondeur de son humanité. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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