Raucourt

Loivre Courcy La Neuvillette

Les Islettes Châlons-en-Champagne

Pargny-sur-Saulx Vitry-le-François Saint-Dizier Bayard-sur- Osne-le-Val Épothémont Soulaines-Dhuys

Vandœuvre-sur-Barse Bayel

Giey-sur-Aujon Les Auges (Langres)

Rouelles Aprey LA FLAMME INCERTAINE DES ARTS DU FEU

Les activités nées des ressources du sol (tuiles, briques, sainterie, fours à chaux) ou introduites par les sociétés policées du XVIIIe siècle (la faïencerie, la verrerie), ou nées de l’imagination et du savoir-faire des hommes, comme les fontes d’art, sont aujourd’hui menacées d’oubli. ATLASde Champagne-Ardenne 96 À partir de la fin du XVIIe siècle, les arts de la table quittent la demeure des aristocrates pour garnir celle des bourgeois. Dès que les terres s’y prêtent, les manufactures de faïences se multiplient, comme dans la frange sud-orientale de la région. Les atouts d’une région : La famille Bernard l’Argonne François (1739-1801), véritable L’Argonne, dans les vallées bai- créateur de la faïencerie, gnées par les rivières de la Biesme développe le décor de petit feu, et de l’Aire, offre tous les éléments reconnaissable à la variété et à nécessaires aux industries cérami- la fi nesse de sa couleur rose. ques : le bois en abondance, l’eau, À sa mort, en 1801, son les affleurements de gaize (pierre épouse lui succède avec leur réfractaire pour les fours et étuis fi ls Jacques-Henri (1765-1823) de cuisson) et les filons d’argile. accompagné de son épouse C’est une région où la tradition de Marie Parpaite (1765-1836). la céramique est ancienne : une Marie Parpaite, la célèbre Madame Bernard, servit de fabrication de poterie sigillée est modèle à de nombreux décors attestée dès la période antique. de la production. Elle dirigea Les origines en véritable maîtresse femme du Bois d’Épense la faïencerie de 1823 jusqu’à sa mort en 1836. Au XVIIIe siècle, le contexte est Son fils Joseph-Désiré tente de favorable au développement des maintenir l’activité. Rachetée faïenceries dont les productions en 1840 par les frères Godéchal vont progressivement pénétrer de Vignory (Haute-Marne), la toutes les couches de la société et faïencerie ferme définitivement remplacer l’orfèvrerie culinaire. En en 1848. Argonne, entre les XVIIIe et XIXe Une paire de plats ronds représentait François Bernard siècles, s’implantent onze faïence- et Barbe Aubry, fondateurs de ries dont les plus importantes sont : la faïencerie. Ils ont été dérobés Waly, Clermont-en-Argonne, Raré- et ne sont plus connus qu’à court, Froidos, Lavoye et Salvange. Vue actuelle du site de la faïencerie (cliché S. Druet) travers des reproductions. Le Bois d’Épense-les Islettes est la plus importante fabrique de cette ^ N Faïence des Islettes nébuleuse régionale. On connaît Bois La Neuville-au-Pont d’Épense C’est une appellation célèbre pour peu la première faïencerie du bois La Grange- Les Islettes d’Épense : fondée par Henri-Louis Clermont-en-Argonne les collectionneurs, qui pourtant Braux- aux-Bois Auzéville n’est pas tout à fait juste : la Leclerc en 1735 , elle ferme ses por- Ste-Cohière FORET tes en 1742. Après la fermeture de D’ARGONNE faïence des Islettes est connue Sainte-Menehould Rarécourt Champigneulles en 1758, François Salvange sous ce nom par sa localisation Montgarny Froidos à proximité du village meusien Bernard s’installe avec ses frères Lavoye des Islettes, où résidaient la plu- Jacques et Joseph à Clermont-en- Autrecourt part des ouvriers. Mais en fait, la Argonne (duché de Lorraine). Le Villers-en-Argonne Waly faïencerie se trouvait sur la rive 3 juillet 1764, sur arrêté du Conseil Braux- Brizeaux gauche de la Biesme, sur le finage du Roi, il obtient l’autorisation de 5 km St-Rémy Éclaires Faucaucourt Nubécourt de Sainte-Menehould, au lieu-dit transférer sa faïencerie au lieu-dit le le Bois d’Épense. La faïencerie Bois d’Épense, constituant le début Localisation de la faïencerie. Le rectangle vert en indique l’emplacement des Islettes est l’écho marnais de d’une histoire de famille qui rendit Vue actuelle des logements ouvriers de (auteur S. Druet) la faïencerie meusienne. célèbre l’endroit. la faïencerie (cliché S. Druet) La faïence du bois d’Épense 97

Pour développer son entreprise, il À partir de 1804, on trouve les débauche et attire des peintres de décors de l’Empire : les plus ori- grands centres faïenciers de l’Est ginaux sont ces scènes militaires, de la , comme Nicolas Du- images d’Épinal de faïence : Na- pré et Gabriel Michel. Le nombre poléon à Iéna en 1806, à Erfurt en d’ouvriers croît rapidement : de 30 1808, à Ratisbonne en 1809, etc. à sa création, ils sont au nombre de En 1814, les aigles et Napoléon 200 à la fin du XVIIIe siècle. Passée disparaissent au profit des fleurs aux mains des frères Godéchal, la de lys, de la couronne royale entre faïencerie est finalement rachetée en Madame Bernard à l’ombrelle, vers 1848 par les époux Champion-Mau- 1810 (musée lorrain de Nancy) jean qui rasent les bâtiments indus- triels : comme beaucoup d’autres, elle n’a pas résisté à la concurrence, à la crise économique de 1847-1848 et à l’émergence d’un nouvel âge Bouquetière au Chinois à la hache, fin XVIIIe industriel. (collection du bois d’Épense) On doit aussi aux fameux peintres rubans sous la Restauration. Parmi La richesse des décors Dupré, père et fils, des scènes ces dames, on peut reconnaître des galantes voire grivoises, avec de célébrités comme Joséphine de Les décors, authentiques œuvres beaux militaires et des femmes fort Beauharnais, mais aussi Madame Perruche et arbre à plumes d’art, mais aussi indications in- peu vêtues... Bernard, maîtresse du lieu, etc. (collection du bois d’Épense) dispensables pour l’identification La faïencerie a également produit Les événements politiques, repré- des pièces, constituent un véritable de nombreuses statuettes, avec des sentés à partir de la Révolution, livre d’images qui fait la joie des personnages de la vie quotidienne, constituent des pièces rares : la collectionneurs et des historiens. souvent reconnaissables à leurs Liberté, représentée sous la forme Groupe du général Bélisaire, e La nature végétale et animale, la gros yeux. d’un oiseau sortant d’une cage, ou début XIX (collection du bois d’Épense) vie quotidienne, la mode et les La mode peut être suivie sur les encore le coq avec bonnet phrygien événements politiques animent ces assiettes grâce aux réalisations de tenant une pique. Au moment où deux tiges de laurier ou de houx, faïences. Dupré, comme la « Merveilleuse », les souverains étrangers menacent nouées d’un ruban. À partir de la La nature est, en effet, une précieuse portant robe blanche, ombrelle et la France, on trouve des drapeaux monarchie de Juillet, c’est le décor source d’inspiration : les animaux, bonnet rayé, accompagnée d’un tricolores, ou un cœur enflammé patriotique qui revient, avec no- locaux ou exotiques (coqs, fauvet- « Incroyable » d’époque Directoire. avec l’inscription VOM (Vaincre tamment le coq, accompagné d’un Paysage (collection tes, perroquets…), les fleurs (roses, Ce bonnet devient chapeau garni de ou mourir). drapeau tricolore. du bois d’Épense) œillets, pivoines…), ou encore les paysages quotidiens (un village, des pêcheurs…). Les motifs au Chinois témoignent de l’engouement pour l’Extrême- Orient. Les plus belles réalisations représentent des Chinois dans des scènes de vie argonnaise : pêcheurs, forestiers, joueurs de tambour... Les « Chinois au gros doigt », qui comme leur nom l’indique ont un Girafe et cornac, Colombes soutenant l’écu de Jeune femme à la fleur, Aigle couronné sur foudre, Trois fleurs de lys couronnées, époque doigt un peu démesuré, sont une vers 1830 France, fin XVIIIe vers 1815 vers 1800 Charles X (collection particulière) particularité des Islettes. (collection du bois d’Épense) (collection du bois d’Épense) (collection du bois d’Épense) (collection particulière) ATLASde Champagne-Ardenne 98 À proximité de Langres, trois faïencerie et une porcelainerie se signalent par leur structure mi-artisanale, mi-industrielle, et par une production soignée, décorée par des artistes peintres de talent. Elles périclitent lentement dans la seconde moitié du XIXe siècle. couleur et l’intérêt que lui portaient bourgeois et nobles, locaux ou d’ailleurs, font que l’essor de cet établissement se poursuit au long du XVIIIe siècle, sans que la Révo- lution ne perturbe véritablement la marche de l’usine. Aprey continue de recevoir des subsides versés par les États de Bourgogne, se hisse au niveau de Rouen, Sceau et Strasbourg en uti- Faïence d’Aprey : plat aux oiseaux, lisant leurs meilleurs procédés céra- XVIIIe siècle (musée d’Art et d’Histoire miques et s’attache le concours de de Langres, cliché P. Huberdaux) 80 ouvriers, dont quelques grands XVIIIe siècle, ne reprenne de 1840 peintres, tels Mège, Jarry, Protais- aux années 1890. Mises en vente Pidoux, les pères des célèbres dé- en 1895, ses installations sont dé- cors aux oiseaux et aux Chinois. molies petit à petit, et l’un de ses Jusqu’en 1833, la fabrique reste dans bâtiments est transformé en maison la propriété de la famille Ollivier, bourgeoise. dont l’un de ses membres, François, Quant à la seconde manufacture, s’était associé à Joseph Lallemant située face à l’église, elle n’atteint en 1774. Puis elle passe de mains pas la notoriété de son aînée. Créée en mains, avant que la production en 1801, elle devient une tuilerie en de faïences, copies de celles du 1859. Plan général de la faïencerie d’Aprey (Archives départementales de la Haute-Marne)

^ N Les faïenceries d’Aprey Deux faïenceries ont marqué le riche passé industriel d’Aprey, village de la montagne langroise à quelques kilomètres de la cité de Diderot. La première d’entre elles, édifiée au lieu-dit Verrerie par Jacques Lallemant, connaît son envol en 1742 grâce à l’installation de fours à réverbères, lui permettant de prati- quer la cuisson dite de « petit feu ». Une façon de cuire que Joseph, frère Giey-sur-Aujon de Jacques, avait acquise auprès de Les Auges e e porcelainiers de Meissen et qu’il im- (Langres) XVIII -XIX siècle e posa à Aprey dès son retour de Saxe, Aprey XIX siècle où il avait été retenu en captivité. Sans abandonner le grand feu, Aprey devient alors un centre de production par ce nouveau procédé Faïenceries et porcelainerie haut-marnaises XVIIIe - XIXe siècles haut de gamme. La garantie d’une Faïence d’Aprey : bouquetière du XVIIIe siècle (auteur F. Michelot) meilleure qualité d’émail et de (musée d’Art et d’Histoire de Langres, cliché P. Huberdaux) Aprey, les Auges, Giey s/Aujon 99

qualité ». Vingt ans plus tard, l’éta- existence à l’initiative de François blissement placé sous l’autorité de Guignet, riche marchand et fournis- Nicolas Arnout, « l’aîné », emploie seur de bois de marine pour l’État. deux tourneurs, deux peintres, deux C’est en 1809 qu’il acquiert les bâ- mouleurs, un enfourneur et deux timents d’une manufacture de toiles calcineurs. d’indiennes, créée en 1768 sous la Au XIXe siècle, l’histoire de cet protection du duc de Penthièvre ; il établissement se résume à une suc- en poursuit la production pendant cession de ventes, même s’il connaît quelque temps, avant de la transfor- une période de prospérité vers les mer en une fabrique de porcelaine années 1820-1830 (faïences à grand en 1811. feu à décor polychrome et faïences Profitant des ressources forestières brunes), avec la construction d’un proches, d’une main-d’œuvre lo- nouveau four à tirage vertical. En cale et de l’arrivée de spécialistes 1875, il est acquis par Charles lorrains, l’entreprise atteint son Marcout. Celui-ci transforme la apogée entre 1820 et 1830, date à faïencerie et ses bâtiments annexes laquelle plus de 100 ouvriers y tra- Porcelaine de Giey-sur-Aujon : en une exploitation agricole, sans vaillent. Ses productions de qualité sucrier du XIXe siècle bouleverser profondément la dispo- (belle porcelaine blanche ou poly- (musée d’Art et d’Histoire de Langres, sition des bâtiments d’origine. De ce chromée) aux dorures renommées cliché P. Huberdaux) fait, la faïencerie des Auges présente concurrençant celles de Sèvres, en particulier le kaolin. Celui-ci de- un ensemble cohérent, toujours en se vendaient sur les marchés pari- vait être acheminé par des rouliers place. Cave à terre, tourneries, salle siens, les foires de Beaucaire et à depuis la région de Limoges. Cette des peintres, ainsi qu’un grand four l’étranger. raison d’abord, puis des faillites ré- classé sont encore reconnaissables Cependant, elle souffre de l’éloi- pétées expliquent la liquidation de dans le bâtiment du XVIIIe siècle. gnement des matières premières, cette entreprise en 1844. À l’extérieur, des fouilles archéo- logiques ont permis d’exhumer des fosses d’extraction et de décantation, tout un réseau de canalisation et un stock d’environ 350 moules. La porcelainerie de Giey e Porcelaine de Giey-sur-Aujon : verseuse du XIX siècle Située au centre du village, dispo- (musée d’Art et d’Histoire de Langres, cliché P. Huberdaux) sée autour d’un parc et ceinte de Deux peintres remarquables, Jarry et murs, la manufacture de porce- Décors, couleurs, laine de Giey-sur-Aujon doit son peintres à Aprey Protais-Pidoux n’ont cessé de décli- ner cette palette de couleurs toujours Si les pièces « aux Chinois » et « aux plus élargie. oiseaux » sont les plus recherchées par les collectionneurs, ce sont plu- La faïencerie des Auges tôt les décors végétaux, fleurs ou fruits, qui jalonnent l’histoire ico- C’est en 1758 que Jean-Baptiste nographique de la faïencerie. Parmi Arnout fonde une faïencerie dans le les couleurs, se rencontrent surtout faubourg des Auges à Langres, sur le rouge, le vert pâle, le bleu foncé, un terrain appartenant à sa belle-fa- le pourpre et le jaune clair. D’abord mille. Dès 1759, cette manufacture vives, elles deviennent plus pâles compte seize ouvriers, occupés à la ou plus acides, à partir de 1858, on production de « différentes espèces tente d’imiter la prestigieuse pro- de faïences en blancs, en couleurs et Faïence des Auges : assiette aux deux Giey-sur-Aujon : bâtiments de la porcelainerie, état actuel duction du XVIIIe siècle. en terre brune, le tout d’assez bonne coqs (collection particulière) (cliché F. Michelot) ATLASde Champagne-Ardenne 100 La Champagne-Ardenne a connu une grande tradition verrière, que les destructions de la Première Guerre mondiale ont mis à mal. Il en subsiste quelques rares mais éclatants exemples, dont la verrerie Charbonneaux, devenue BSN. Des verreries en Champagne Avec l’industrialisation, les ver- reries quittent les forêts pour se placer sur les bassins houillers ou près des voies de communication. C’est le cas de la verrerie cham- penoise, dont la création suit les progrès de l’industrie du champa- gne et son besoin croissant en bou- teilles. C’est ainsi que prolifèrent les verreries dans Reims et autour de Reims. D’autres verreries ré- pondent au besoin croissant de la consommation en emballages et gobeleterie. Les unes et les autres marquent profondément le paysage urbain et la mémoire citadine. La verrerie Charbonneaux Très liée au monde du vignoble, la famille Charbonneaux s’oriente vers la production de bouteilles après 1870, alors que la demande est forte chez les producteurs de vin de champagne. Le site de la verrerie est bien choisi, à proximi- té du canal de l’Aisne à la Marne. À la veille de la Première Guerre mondiale, la partie industrielle oc- cupait 50 000 m2, alors que la cité ouvrière et ses jardins totalisaient 70 000 m2. La verrerie s’est régulièrement dis- tinguée par ses progrès technologi- ques. À côté de la fabrication des bouteilles champenoises, elle se lance en 1906 dans la production d’isolateurs en verre. Elle est l’une des premières usines au monde à fabriquer ce genre de matériel. Plus tard, à partir de 1947, ce sera le succès des verres trempés, dont la production sera entièrement automatisée en 1958. Enfin, en Plan de la verrerie rémoise vers 1934 (Archives départementales de la Marne) 1963 elle inaugure le four le plus grand d’Europe. Verrerie rémoise 101

Parmi les fondateurs, à côté de deux Parisiens, notons la présence de Charles de Chanlaire, de Wassy, et de Charles de Klopfstein, de Sou- langes. Dans les années 1930, l’en- treprise se signale par sa production de bouteilles, mais aussi et surtout par celle des célèbres bocaux Le Meilleur, Familia Vis, Le Parfait, bien connus des ménagères. La deuxième moitié du XXe siècle est prospère, avec, signe des temps, la production de bouteilles pour le lait, les pots à yaourt et pour les aliments de bébés. Aujourd’hui, l’entreprise, entrée dans le groupe Danone de BSN, est forte de ses 400 employés. Les deux fours en Vue actuelle de la verrerie (cliché D. Henry) service traitent 110 000 tonnes de verre par an, dont une partie en Les bâtiments, détruits lors de la l’Église pour encadrer cette popu- verre blanc recyclé. Première Guerre mondiale, ont été lation sensible. Peu de choses sub- reconstruits, mais ne correspondent sistent aujourd’hui, les cités ayant Une longue nuit d’oubli plus à la verrerie initiale. Malgré tout, elle a conservé longtemps son Les verreries ont été actives dans la périphérie de la Champagne- caractère, du fait de son travail très La verrerie (en rouge), près du canal, sur un plan des années 1930 spécifique et de la politique pater- Ardenne, là où les nombreuses forêts (Archives départementales de la Marne) naliste, attachée à fixer une main- offraient le combustible nécessaire. Les nombreux sites de la vallée de la d’œuvre très particulière sur son Art du verre, verres d’art La lanterne de la bibliothèque Carnegie, lieu de travail. Aussi, le sentiment Biesme, en Argonne périclitent avec conçue par Jacques Simon, en 1921 d’appartenance était-il puissant l’industrialisation. Seule, la verrerie Aux lendemains de la Première (bibliothèque Carnegie) chez les ouvriers verriers qui, dans des Islettes perdure jusqu’en 1937. Guerre mondiale, on a vu une Sur le fronton de l’école, les initiales Rien ne nous rappelle ce passé, demande accrue d’œuvres d’art leur cité, disposaient d’équipements de la verrerie (cliché D. Henry) diversifiés. La dureté de leur travail hormis quelques objets de musée accompagner l’effort de recons- les rendait enclins à la contestation. été en grande partie démolies pour et le château de Maison Rouge, truction de la ville de Reims, dé- D’ailleurs, les grèves de 1936 fu- faire place à des logements sociaux. au Chesne, dans les Ardennes, truite à plus de 85 %. La tradition rent mémorables, malgré l’effort de La verrerie n’est plus une entre- unique demeure de maître verrier artistique n’était pas éteinte, et les prise familiale. Elle a fait partie du argonnais qui soit parvenue jusqu’à œuvres qui ont été réalisées alors groupe BSN, puis d’Owens. nous. Les nombreuses verreries comptent parmi les plus belles de du Sedanais ne se relèvent pas des la première moitié du XXe siècle. VMC, les Verreries troubles de la Révolution, alors que En témoignent les vitraux contem- mécaniques champenoises celle de Monthermé, dans la vallée, porains de la cathédrale et les lumi- Une première société est dissoute prospère. Mais, là non plus, le naires de la bibliothèque Carnegie. en 1908. Elle avait pour vocation la patrimoine verrier, des lieux et des En outre, l’atelier Simon, que dirige fabrication de gobelets de pharma- hommes, n’est pas protégé. Comme Benoit Marcq, s’est spécialisé dans cie. Reformée trois ans plus tard, la on le verra plus loin, la situation la restauration de vitraux, comme Vue actuelle de l’école, édifiée par la production doit s’orienter vers les n’est pas meilleure dans le sud de celle, magnifiquement réalisée, du verrerie rémoise (cliché D. Henry) conserves et pots pour confiseurs. notre région. chevet de la cathédrale de Laon. ATLASde Champagne-Ardenne 102 Dans la seconde moitié du XIXe siècle, prenant la succession de celles de l’Argonne, apparaissent dans la région de Reims des verreries dont l’importance dans la vie sociale et économique de l’époque est loin d’être négligeable.

Plan de la verrerie de (Archives départementales de la Marne)

tallent au nord de Reims, dans les villages de la Neuvillette, Loivre et La verrerie de Loivre Courcy, toutes trois le long du canal Elle est créée en 1854, rachetée et L’entrée de la verrerie de Courcy avant 1914 (collection Société des amis du vieux Reims - musée Le Vergeur) de l’Aisne à la Marne. modernisée en 1870. L’autorisa- C’est en effet par voie d’eau, la plus tion officielle de fonctionnement économique, que s’effectue l’es- est accordée à Gabriel Alfred de

^ N Entre canal et voie ferrée sentiel des transports, notamment Granrut et Eugène de Granrut, le pour l’approvisionnement en sable 16 juillet 1878. Eugène de Granrut Routes nationales Spécialisées dans la fabrication de servant à la fabrication du verre était précédemment responsable de Réseau routier secondaire bouteilles champenoises, situées et surtout en combustible arrivant la verrerie des Islettes en Argonne, Voies ferrées à proximité des centres viticoles du Nord-Pas-de-Calais et de la qu’il cède vers 1900 à Louis de Canaux et les verreries répondent à la Lorraine. Courcy et Loivre bénéfi- Granrut. La verrerie des Islettes est demande d’un marché en pleine cient également de la voie ferrée de par ailleurs la seule de cette région expansion. Les principales s’ins- Reims à Laon. à survivre jusqu’en 1936.

Loivre

Villers-Franqueux Thill Courcy Pouillon 2 km Chenay St-Thierry La Neuvillette

Plan de localisation des verreries de Loivre, Courcy et La Neuvillette Verrerie de Courcy en 1920 La cité ouvrière de Courcy dans les années 1980, vue sur l’arrière (auteur F. Landureau) (collection musée Le Vergeur, Reims) (clichés L. Bastin) Verreries autour de Reims 103

Comme à Courcy, l’usine de Loivre fut construite le long du canal et de la voie de chemin de fer et entourée également d’une cité ouvrière. La verrerie de Courcy La verrerie de Courcy a été cons- truite à l’emplacement de l’ancien cimetière de Rocquincourt (ancien village, réuni à Courcy), c’est- à-dire à l’est de la route Courcy- Brimont, sur le terrain occupé aujourd’hui par l’école maternelle et la chapelle. L’entrée se situe entre les logements 19 et 20 de la cité ouvrière qui existe encore actuellement. Elle a été construite en même temps que la verrerie. L’usine est bâtie sur La cité ouvrière de La Neuvillette (collection O. Rigaud) Revers d’enveloppe illustré d’une représentation de la verrerie un terrain légèrement en pente, en de La Neuvillette (collection musée Le Vergeur, Reims ) direction du canal. À l’angle sud, Givelet et enfin, en l929, cogérée le 17 avril 1897, la société est de quatre hectares sur lequel le tout La guerre fatale aux verreries un raccordement de la voie ferrée par Pierre et Jacques Givelet. Rasée dissoute. Le 5 mai 1897, une nou- est édifié ; une petite parcelle ser- permet d’expédier les bouteilles en 1914, elle est reconstruite en velle société, la Société anonyme vant de jardins ouvriers, séparée de La guerre de 1914 est fatale de Reims à Épernay par wagons 1920 sur un autre terrain, de l’autre des verreries de La Neuvillette est la verrerie par le canal attenant à aux verreries de Loivre et de La plateformés. De l’autre côté de côté de la route Courcy-Brimont, créée, dont la direction est confiée la route de Reims à Laon ; une sa- Neuvillette, entièrement détruites. la voie de chemin de fer, le canal entre la voie ferrée et le canal. à M. de Tassigny. Celle-ci reprend blière, sise à Chenay, attenant à la Courcy parvient à surmonter cette permet quant à lui d’approvisionner les biens transmis par les liqui- sablière de la verrerie de Courcy ; épreuve malgré d’importants la verrerie en charbon et en sable. La verrerie de La Neuvillette dateurs de la société Petitjean, à une sablière tuf sise sur le terroir dégâts, rachetant même les Ce dernier provient alors d’une sa- savoir l’établissement industriel, de Thil, ainsi que diverses pièces dommages de guerre de la verrerie blière située aux confins des com- Bien que construite en 1861, c’est comprenant quatre halls à fours de terre labourable ; les outils et de Loivre. munes de Trigny et de Chenay. à partir de 1890 que fonctionne la dits « fours à creusets », les habita- objets mobiliers servant à la mar- Mais, malgré de considérables Créée par M. de Sachs, la verrerie verrerie de La Neuvillette, gérée tions et les logements d’ouvriers ; che de l’établissement, ainsi que efforts pour se moderniser, elle ne de Courcy est d’abord dirigée par alors par M. Petitjean, pour une les magasins, hangars, autres bâti- la clientèle et l’achalandage de la résistera pas à la crise et fermera M. Denys, puis en 1898 par Pierre durée prévue de quinze ans. Mais ments et dépendances et le terrain verrerie. ses portes en 1933.

1 2 3 La rue de la cité ouvrière L’école et la chapelle sur l’emplacement de Courcy dans les années 1980 La verrerie de Courcy après 1920 entre le canal et la voie ferrée de l’ancienne verrerie de Courcy, (clichés 1 et 2 L. Bastin, cliché 3 DRAC Champagne-Ardenne) (cliché L. Bastin) 1870-1914 (cliché L. Bastin) ATLASde Champagne-Ardenne 104 Il reste peu de choses de la grande tradition verrière qui est à l’origine des vitraux des églises du Moyen Âge et de la Renaissance en Champagne-Ardenne. Les sites des Rouelles et de Bayel sont néanmoins d’importants jalons.

Service de verre et carafe (office de tourisme de Bayel)

connaît une réelle expansion grâce ouvriers, les Marquot se signalent au développement d’une nouvelle par leur bienfaisance et par leurs production, la gobeleterie, et au initiatives généreuses. raccordement de l’entreprise, en Cela n’empêche pas certains 1860, à la ligne du chemin de fer ouvriers de refuser, et ce n’est pas reliant Paris à Mulhouse. un acte isolé, la coopérative que Son fils Gustave lui succède puis, à leur propose leur patron. Devenue Vue actuelle sur la cristallerie de Bayel (office de tourisme de Bayel) sa mort, son épouse. Ils poursuivent la production du verre blanc que les classes moyennes en formation ré- La famille Marquot à Bayel clament : ustensiles de table, acces- soires pour la maison, équipement On fabriquait du verre depuis le des cabaretiers et des hôteliers. Moyen Âge, en mettant à profit le Jusqu’en 1987, ce sont les descen- bois, le sable et la chaux présents dants d’Alexis Marquot qui gèrent dans les terres champenoises. Au les destinées de l’entreprise. XVIIe siècle, des privilèges royaux sont accordés et des verriers italiens Un village de verriers sont invités à pratiquer leur art à Bar-sur-Aube. Au départ, il s’agit d’un petit village Malgré les aléas dus à la période agricole. Sa physionomie est modi- révolutionnaire qui change le statut fiée par la venue de verriers qu’il des maîtres verriers, la verrerie de faut loger. Par la suite, la construc- Bayel fonctionne jusqu’en 1852. tion de quartiers ouvriers transfor- Elle est reprise deux ans plus tard me le village en cité ouvrière où le par Alexis Marquot, un ancien patron exerce une autorité absolue, Vue de la verrerie depuis la voie ferrée, entre 1900 et 1920 maître verrier et ancien directeur de renforcée par l’isolement. Madame veuve Marquot (écomusée de Bayel - musée du Cristal) verrerie. Sous son impulsion, Bayel Comme dans tous les villages (écomusée de Bayel - musée du Cristal) Bayel et Rouelles 105 veuve, Madame Gustave Marquot poursuit la politique de son mari, Verreries haut-marnaises en lui donnant une tonalité plus Si la présence de verreries en chaleureuse. Son impact est incon- Haute-Marne est attestée dès le testable. XVIe siècle, la plupart d’entre elles apparaissent surtout au XVIIe et au Du verre au cristal taillé XVIIIe siècles. Dans les années 1930, la couleur Plus que les conditions naturelles, est introduite dans la fabrication ce sont les raisons politiques et les du verre. Après la Deuxième disponibilités financières des fon- Guerre mondiale, une autre étape dateurs qui expliquent leur origine, est franchie : Bayel s’oriente vers de même que l’engouement d’une la cristallerie et la production de noblesse toujours avide de revenus luxe. et éprise de progrès. La verrerie fait partie de la Com- Quelques rares éléments encore pagnie française du cristal et d’un visibles et entretenus évoquent cette activité disparue depuis le groupement d’industries du luxe. e Elle perpétue son savoir-faire an- premier tiers du XIX siècle. cestral, malgré un contexte diffi- La manufacture cile et expose son histoire dans un de Rouelles (1759-1835) écomusée, proche des ateliers. Elle Située à proximité d’Auberive, reste la seule de sa catégorie en ac- elle est née des initiatives conju- tivité en Champagne-Ardenne. guées de deux hommes, le baron Le musée du Cristal de Marivetz (1729-1784), sei- gneur de Rouelles et Bosc d’Antic Installé dans l’ancien économat de- (1725-1784), docteur en médecine venu coopérative ouvrière, le musée et fondateur de la verrerie d’Aprey du Cristal donne sa dimension histo- dont il ne reste plus rien. Rouelles : bâtiments de l’ancienne verrerie, corps de logis et halles (cliché F. Michelot) rique au site et à sa production. Attenante au château dont elle était séparée par la cour, la manu- tres, ainsi que du verre blanc de ^ N facture produisait des glaces et se gobeleterie. Elle cessa son activité composait, suivant un document principale en 1810, mais continua XVIe siècle d’époque, d’un grand bâtiment à à produire des bouteilles pour la XVIIe siècle doucir les glaces, d’un petit pa- Bourgogne proche jusqu’en 1835. XVIIIe siècle villon attenant à un hallier, d’une Dans l’Encyclopédie de Diderot, grande halle, d’un cellier avec dix à l’article « verrerie », plusieurs fours à cuire les glaces, d’un corps pages dues à Allut fils expliquent de bâtiment en ruine au midi et la fabrication des glaces coulées, d’un bâtiment à friper les matières l’outillage et les gestes qu’elle avec deux fours. requiert. Le XVIIIe siècle finissant, cet éta- Ces explications sont accompa- blissement fut transformé en sim- gnées de planches dont les scènes, ple verrerie équipée de deux fours dessinées par Goussier, s’inspirent de huit creusets chacun, chauffés directement du travail au sein de au bois. Cinquante ouvriers y la manufacture. « On peut comp- Implantation des verreries haut- fabriquèrent chaque année deux ter sur leur exactitude », selon Planche de l’Encyclopédie montrant la fabrication d’une feuille de verre marnaises (auteur F. Michelot) cent mille feuilles de verre à vi- l’auteur de cet article. à vitres (collection particulière) ATLASde Champagne-Ardenne 106 Des entrées de métro Guimard à la fontaine de Neptune à Santiago du Chili, la fonte d’art haut-marnaise a reproduit les œuvres des plus grands sculpteurs et s’est exportée partout dans le monde. À la découverte de ce patrimoine d’une richesse exceptionnelle...

Balcon Guimard, à Saint-Dizier (cliché E. Thiry)

les célèbres entrées du « Métropo- Guimard et Saint-Dizier litain » parisien. Hector Guimard est reconnu com- Coulées dès 1903 par la Société me l’un des meilleurs représen- des fonderies de Bayard et Saint- tants du Modern Style, véritable Dizier, elles marquent le début mouvement qui s’est développé en d’une collaboration exception- Europe entre 1885 et 1914. Il est nelle entre Guimard et l’usine Plaque Guimard réalisée pour les passé à la postérité pour avoir créé locale, puisque tous les immeu- Fonderies de Bayard et Saint-Dizier (cliché E. Thiry) bles qu’il édifiera comporteront des éléments d’architecture ou de décoration d’intérieur issus de Saint-Dizier. Architecte de génie, Hector Guimard assumait la totalité de ses constructions, des plans de la maison jusqu’aux appuis de fenêtres, rampes, balcons, grilles de portes et vasques qu’il dessinait lui-même et dont il confiait la Appui de fenêtre Guimard, à Saint-Dizier (cliché E. Thiry) réalisation aux Fonderies de Bayard La Naissance de Vénus conçue par Mathurin Moreau pour le Val d’Osne et Saint-Dizier. (collection GHM) La fonte d’art 107

Une diffusion internationale Avec les chevaux ailés du pont Alexandre III, les statues du parvis du musée d’Orsay, les entrées de métro Guimard et les fontaines Wallace, Paris est la vitrine de la Haute-Marne. Ce département, berceau de la fonte d’art, a produit entre 1835 et 1930 l’essentiel des fontes décoratives qui ornent les communes de France. Emblème académique du goût français, ces objets s’exportèrent dans le monde entier. Les 200 statues, fontaines et vases en fonte de fer de la ville de Rio de Janeiro illustrent la reconnaissance d’un patrimoine répertorié dans une soixantaine de pays. Les acteurs de cette révolution artistique, issue des grands bouleversements urbanistiques de Louis Philippe et Napoléon III, sont, en Haute-Marne, les fonderies d’art du Val d’Osne à Osne-le-Val, de Durenne à Sommevoire et de Capitain-Gény à Bussy-Vecqueville. Plus de trois cents sculpteurs, dont Carrier-Belleuse, Rouillard, Mathurin Moreau, Bartholdi et Guimard, ont participé à cette aventure de l’art industriel et de la reproduction multiple. Guimard qui en est l’illustration la plus inventive, Le pont Alexandre III à Paris réalisa avec le Val d’Osne ses entrées (cliché E. Thiry) de métro Art nouveau. Cette collaboration a même dé- Tombée en désuétude, la fonte d’art bouché en 1907 sur l’édition d’un entre à présent dans les musées et catalogue spécial consacré aux fait l’objet de restauration, telle celle productions « Guimard », dont de des fontaines de la place de la Con- nombreux modèles sont encore vi- corde. Les grands designers contem- sibles dans la ville de Saint-Dizier. porains se tournent à nouveau vers Le musée possède quelques pièces ce matériau pour créer un mobilier et l’office de tourisme a édité « un urbain aux lignes épurées, perpé- circuit Guimard » qui rappelle les tuant ainsi une vocation artistique et adresses des plus belles fontes industrielle entrée dans le troisième La fontaine de Neptune du cerro Santa Lucia à Santiago du Chili, conçue par Dubray, Guimard de la ville. millénaire. pour le Val d’Osne (collection particulière) ATLASde Champagne-Ardenne 108 Matériaux de construction traditionnels, produits de la terre, les tuiles et les briques connaissent une croissance exceptionnelle au cours du XIXe siècle avant d’être concurrencées par le béton. L’arc deux tuileries-briqueteries : celle de de la Champagne humide Gaston Simonnet et celle de Hugue- not Frères, qui ont investi dans une Au pied du plateau crayeux de la machine à vapeur – entraînant les Champagne sèche, une longue dé- broyeurs et malaxeurs nécessaires à pression périphérique argileuse for- la production d’une pâte molle pou- me un arc de cercle, du Pays d’Othe vant être moulée mécaniquement au Vouzinois et à la Thiérache arden- – et dans un four Hoffmann pour naise, en passant par le Der, la vallée une cuisson continue. de la Saulx et l’Argonne. C’est là l’emplacement de prédilection des La belle époque tuileries-briqueteries, qui exploitent du premier XXe siècle les sols plastiques depuis la plus Pendant les deux premiers tiers du e haute Antiquité. Au XVIII siècle, XXe siècle, ces trois usines sont très la carte de Cassini témoigne de actives et emploient plusieurs cen- leur présence en nombre. Leur pro- taines d’ouvriers. Une vue aérienne duction est activée par la demande des établissements Gilardoni, vers croissante de la société industrielle. 1950, montre bien les installations industrielles, proches de leurs car- Pargny, la ville tuilière rières et de leurs cités ouvrières. À Pargny-sur-Saulx, c’est toute la À part des bureaux, la chapelle et des ville qui vit au rythme de la tuilerie- habitations ouvrières ou patronales, briqueterie. Lorsqu’en 1873, l’entre- il reste peu de vestiges de cette pé- prise Gilardoni Frères s’installe au riode d’intense activité car, à chaque bois du Roi, à Pargny, on compte modernisation des usines, les unités plus de vingt petites unités qui fa- précédentes ont été démontées : plus briquent des briques et des tuiles de traces des fours Hoffmann, des Vue aérienne des tuileries Gilardoni, dans les années 1950 (collection particulière) de manière artisanale et saisonnière. longues cheminées qui rythmaient La concurrence des tuiles à emboî- le paysage, de la station d’essai tement, produites mécaniquement du four tunnel qui attirait en 1953,

^ N toute l’année par Gilardoni entraîne chez Gilardoni, des industriels de la la disparition de ces petites unités. France entière. Charleville-Mézières Au début du XXe siècle, ne restent En 1975, l’usine Simonnet ferme ; à côté de l’usine du bois du Roi que elle sera démolie dans les années Vouziers

Reims

Pargny-sur-Saulx

Soulaines Troyes Chaumont

Champagne verte Champagne crayeuse

Localisation de la Champagne Maison Gilardoni à Pargny-sur-Saulx (cliché F. Picot) En-tête à l’effigie de l’entreprise Huguenot Frères, à Pargny-sur-Saulx humide (auteur F. Picot) (collection particulière) Tuileries et briqueteries 109

La tuilerie d’Épothémont, carte postale du début du XXe siècle (collection particulière) Vue actuelle de la tuilerie de la Croix Callée (cliché A. Sauer) 1990. En 1986, Huguenot, qui s’était associé avec Fénal et était entré dans La tuilerie de la Croix Callée le groupe Imétal, reprend les tuile- Des trois qui fonctionnaient à ries Gilardoni. Le groupe Imétal, Soulaines au XIXe siècle, elle devenu aujourd’hui Iméris Toiture seule subsiste. Cinq générations produit toujours des tuiles à Pargny de tuiliers s’y sont succédé. Elle et emploie deux cents personnes. doit sa survie à sa petite taille, Soulaines, un pays d’argile qui lui a permis de s’adapter cons- tamment à la demande : briques Plusieurs communes du canton de creuses après la dernière guerre la zone argileuse de Champagne hu- mondiale, puis briques pleines et mide possédaient une ou plusieurs carreaux de sol, tuiles plates enfin, tuileries. Celles d’Éclance, Crespy, dont le caractère artisanal est très La Giberie ou Épothémont disparu- recherché pour la restauration des rent au profit de plus grosses unités, monuments historiques. qui se mécanisèrent les premières. Le four est toujours alimenté au La dernière citée était située sur la bois avec l’apport de très peu de route de Maizières-lès-Brienne. Les charbon pour atteindre les mille tours sous « cages » surmontant la degrés de fin de cuisson. On voit, toiture indiquent qu’elle comprenait sur la carte postale ci-contre, deux fours. Les murs à claire-voie Madame Royer, la maîtresse de pouvaient être ouverts pour accé- maison, s’apprêtant à sonner la lérer le séchage avant la cuisson ou pose de midi pour le repas qui ras- au contraire doublés par des bâches La tuilerie de la Croix Callée, carte postale du début du XXe siècle (collection particulière) semblait ouvriers et patron autour pour le ralentir lors de forts vents. de la même table. de Champagne-Ardenne et Vitry-le-François (auteur J.-M. Pinchedez) (auteur J.-M. Vitry-le-François et Les fours à chaux de Soulanges (cliché J.-M. Pinchedez) J.-M. (cliché de Soulanges à chaux Les fours Les principaux sites encore visibles entre Châlons-en-Champagne Châlons-en-Champagne entre visibles Les principaux sites encore

^N ATLAS Un produit essentiel Un produit C’est dans la Marne que la tradi- tion s’est transformée en industrie de pointe. En 1880, la production de chaux hydrique de Soulanges est qualifiée de prospère. L’acti- vité, particulièrement est exercée par malsaine, une main-d’œuvre immigrée. C’est au village de fabricationla 1911, en commence, que du ciment : la société des Ciments français de installe deux fours, suivis de deux Boulogne-sur-Mer dans la Marne, canal de la Marne au Rhin. en On re- bordure de près vestiges du d’autres aussi lève dans l’Aube et Ville-sous-la-Ferté, Ardennes. à Raucourt, dans les geantes geantes au gré des saisons et des Sous assolements. ces jaunes, ces verts aux multiples nuances, sous les vignes et les villes, une roche, la craie, que trahissent affleurements quelques restés stériles. Cette craie a été exploitée pendant des siècles : on comptait plus de 300 carrières et 65 fours à chaux pour le seul département de la Marne vers 1850, chiffre écrasant au re- gard des Ardennes qui comptaient une trentaine de sites à la même époque ou par rapport au départe- ment de l’Aube, qui n’en compte que quelques-uns. Les fours n’ont guère laissé de traces, mis à part quelques vestiges à Soulanges, Une grande partie du sous-sol de la Champagne-Ardenne s’est constituée pendant le crétacé, à aptitudes l’ère particulières qui ont été secondaire. mises en De valeur diversement, là, des craie. de la comme l’exploitation Un paysage muet ? muet Un paysage La plaine crayeuse de Saint-Germain-la-Ville (collection J.-M. Pinchedez) (collection J.-M. de Saint-Germain-la-Ville La plaine crayeuse 110 Paysages Paysages faussement plats, crou- pes, monts qui culminent à 150- 170 mètres, longs linéaments des rythmées vertes coulées en rivières par des villages, lambeaux fores- tiers, immenses parcelles drées de chemins blancs, colonnes enca- de vapeur des usines de déshydra- tation forment les caractéristiques de la région. De loin en loin, des silos parfois immenses et colorés, comme le sont aussi certains châ- teaux d’eau, en forme de bouchon pour les plus anciens ou de flûte pour les plus modernes : telle se présente la plaine des de environs vaste Châlons-en-Champagne, es- pace monotone chan- aux couleurs Les fours à chaux 111

Les débuts d’une grande entreprise, Lorsqu’en 1900, l’usine Plüss- Staufer quitte Châlons pour s’ins- taller à Omey, elle applique un autre procédé, dit de brossage : après une période de séchage de deux à quatre mois, la craie brute est réduite en poudre par passage entre des tambours garnis de car- des en acier, ce qui ne nécessite pas d’eau. La production d’une craie d’une grande pureté se pour- suit, facilitée par une exploitation commode. Si Omyacolor de Saint-Germain- e Les fours à chaux de Raucourt au début du XXe siècle (collection particulière) Raucourt : le transport de la chaux jusqu’à la gare, au début du XX siècle la-Ville est une marque bien con- (collection particulière) autres, en 1924 et peu avant 1960. société Plüss-Staufer, qui extrait de nue des enseignants pour ses craies expression de valeurs religieuses, été le siège. Les établissements n’ont moulées, la firme Omya de Omey En 1974, s’ouvre une nouvelle la craie de la côte de Troyes, là où sociales et civiques. Par contre, la pas laissé de trace dans les villages, avaient creusé leurs caves Périer et produit aussi de la pâte à modeler, usine qui appartient depuis 1992 craie n’a pas suscité un patrimoine il ne reste rien dans l’usine d’Omey au groupe italien Italcimenti. Des d’autres négociants en vin, en par- des peintures à l’eau et des goua- qui lui soit propre. Réaménagées, les qui évoque son passé. La mémoire anciennes installations, subsistent ticulier Jacquesson, qui y exploita ches. Les productions, exportées carrières restent cependant des lieux de l’outillage, des techniques et des divers éléments dont le logement un temps des fours à chaux. Fabri- vers la Suisse, l’Allemagne, l’Ita- à interpréter tant pour leur origine savoir-faire, la vie de ces carriers mi- patronal, une cité ouvrière et des quant du mastic, cette entreprise lie, les Pays-Bas, la Belgique, en- que pour les activités dont elles ont paysans, mi-ouvriers, a été perdue. bâtiments de parpaings au toit ar- trouvait là une matière première trent dans des fabrications aussi di- rondi en béton armé. qui lui faisait défaut dans son lieu verses que les peintures, les caout- d’origine, la Suisse. La craie pro- choucs, les matières plastiques, Le blanc d’Espagne vient des communes proches de les mousses, les câbles, les colles, , Cheppes-la-Prairie et Saint- les confiseries, les médicaments, La production de craie, jusqu’alors Germain-la-Ville. Après broyage, l’industrie papetière restant encore utilisée dans l’industrie textile la poudre de craie est diluée dans (mais pour combien de temps ?) le pour le dégraissage des tissus, par des bacs sous forme de pâte. Au débouché majeur. les peintres et les vitriers pour le bout d’une quinzaine de jours, cette blanchiment des murs et la fixa- pâte est moulée en pains et mise Un patrimoine qui s’efface tion des vitres (mastic), change à sécher dans des casiers de bois. et disparaît aussi de dimension, passant de C’est le procédé du blanc lavé, une l’artisanat à l’exploitation indus- activité qui nécessite une force mo- La craie champenoise souffre de trielle. Ce processus est favorisé trice hydraulique relayée par des trop de modestie : son utilisation par la mise en service du canal manèges à chevaux, des machines est mondiale, son omniprésence de la Marne au Rhin. Sous le nom à vapeur, des moteurs à gaz ou à pé- dans notre consommation, discrète. de « blanc d’Espagne », la craie, trole. Elle nécessite aussi du temps Instrument d’écriture banal, quel réduite en fine poudre puis recons- car le processus de séchage est plus rôle extraordinaire joue-t-elle pour- tituée en boules ou en pain, sert ou moins rapide et s’interrompt tant dans la transmission de tous au nettoyage des objets de cuivre l’hiver, ainsi qu’une main-d’œuvre les savoirs ! Elle est en particulier la composante essentielle d’un ou d’argent. C’est à Châlons que qui partage son temps entre agri- Les vestiges actuels des fours à chaux de Raucourt (cliché A. Renard) s’installe entre 1891 et 1900 la culture et fabrique. patrimoine architectural, lui-même ATLASde Champagne-Ardenne 112 L’industrie céramique a été autrefois très active, particulièrement entre la Seine et l’Aube. Les tuileries et les briqueteries ont été fort nombreuses au XIXe siècle. Le sol du département de l’Aube possèdait de multiples couches d’argile.

Atelier de peintures et décorations (Archives départementales de l’Aube)

Au XIXe siècle, une application originale de l’industrie céramique se développe avec la fabrication de statues pour les églises. Cette activité témoigne d’un regain de ferveur religieuse qui accompagne la Restauration. Les sainteries té- moignent du goût d’une époque. La Sainterie La Sainterie de Vendeuvre a fourni jusqu’en 1961, tout particulièrement dans l’Aube, de nombreuses églises qui sont de véritables musées. Elles rappellent qu’avant 1914, environ 500 000 moulages ont quitté la Sainterie, à destination de l’étranger Saint Ferdinand (Ferdinand III de Castille) Maison d’habitation (Archives départementales de l’Aube) pour 25 à 40 % d’entre elles, selon les années. (Archives départementales de l’Aube) La fabrique des saints 113

« le Paradis », regroupent plus de Angleterre, Suisse, Canada... Tous ^ N mille statues en une exposition les objets religieux fabriqués sont Mailly-le-Camp Poivres permanente. Les statues sont ven- vendus aussi dans des magasins Trouans dues dans le monde entier à partir d’art religieux aux alentours de de la fin du XIXe siècle : Australie, l’église Saint-Sulpice de Paris. St-Léger- sous-Margerie Arremblécourt Vaucogne Bailly-le-Franc Romaines Jasseines Lentilles Montsuzain Lassicourt Mézières-lès-Brienne Mergey Brienne-la-Vieille Morvilliers Soulaines-Dhuis Le Pavillon-Ste-Julie Brévonnes Villeloup Ville-sur-Terre Thil Dierrey-St-Pierre TROYES Lévigny Fresnay La Loge- Amance Thors Colombé-la-Fosse Dierrey-St-Julien aux-Chèvres Saulcy Lusigny- Magny- Vauchonvilliers Colombé-le-Sec sur-Barse Fouchard Argençon Vendeuvre- Nuisement Rouvres-les-Vignes Verrières Couvignon sur-Barse Puits- et- Meurville Marolles-lès-Bailly Nuisement Arconville Bertignolles Chacenay Villemorien Lantages Polisot Polisy Buxeuil Pargues Page une du catalogue de la Sainterie (Archives départementales de l’Aube) Les Riceys Plaines-St-Lange 10 km et pousse l’entreprise à fermer ses Le déclin et la fin de la portes en 1961. L’usine est démolie Sainterie en 1982. Les bâtiments sont rasés et Diffusion des œuvres de la Sainterie dans le département de l’Aube Avec la Seconde Guerre mondiale, les statues partiellement dispersées. les établissements Nicot recher- Cependant, à l’heure actuelle, 400 chent d’autres idées d’œuvres et statues du « Paradis » sont entre- En 1890, Honoré Nicot reprend La fabrication d’autres débouchés. Malheureuse- posées dans un local appartenant Son histoire l’affaire et poursuit le travail de ment, le déclin survient petit à petit au Conseil général de l’Aube. En 1842, Léon Moynet, maître Léon Moynet. L’argile est broyée, lavée, puis on potier, crée la Sainterie de Ven- La Sainterie est représentée à en garnit les moules d’environ deuvre, manufacture d’art chrétien l’exposition universelle de 1900. deux centimètres d’épaisseur dans fabriquant des statues et des hauts- Elle emploie alors plus de cent l’atelier d’estampage. reliefs (chemins de croix), vendus ouvriers. Henri Nicot succède à Les pièces les plus importantes d’abord dans toute la France, puis son père mais connaît au début sont cuites pendant deux jours à dans le monde entier. la crise consécutive à la loi de 1 400 degrés. Les statues et hauts- À la fin du XIXe siècle, l’usine séparation de l’Église et de l’État. reliefs passent ensuite dans des occupe quatre hectares et emploie La prospérité revient, mais la Pre- ateliers de décoration et reçoivent 80 personnes. Léon Moynet mière Guerre mondiale éclate et leurs couleurs définitives et leurs s’associe avec une douzaine de paralyse l’activité commerciale. accessoires. sculpteurs, tels Auguste Suchetel, Henri Nicot est tué à la guerre. Sa Paul Aube, Ernest Legrand, Désiré femme et son fils René poursui- La clientèle Briden, Florentin Meffroy et vent le travail ; la Sainterie crée Le catalogue propose plus de 5 000 Ernest Toussaint, pour proposer alors des monuments aux morts et sujets différents et les galeries su- En-tête de la page une du catalogue ci-dessus plus de 5 000 sujets différents. des plaques commémoratives. périeures de l’usine, surnommées (Archives départementales de l’Aube)