À La Mer, En Guerre. Vie Du Corsaire Ripaud De Montaudevert, 1755-1814
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Sur la couverture : François Fidèle Ripaud de Montaudevert de Couëtou à 28 ans. Portrait aimablement confié par Claude Chesnau. Remerciements à tous ceux qui nous ont permis de localiser la majeure partie de la descendance du corsaire, et particulièrement à : Raymonde Chasteau de Balyon, Colette Louvard, Pierre Boquien, Claude Delaunay, Robert Feildel, Yannick Romefort. PRÉFACE Lorsque Jean Feildel entreprit la rédaction de ce livre, qui occupa plus de quinze ans de sa vie, il n'imaginait pas que sa diffusion puisse intéresser plus d'une centaine de personnes parmi ses proches et les descendants du corsaire. Il tenta pourtant de le faire éditer par l'entremise de son cousin et ami René Le Juge de Segrais qui, malgré ses relations dans le milieu de l'édition, se vit opposer par différents éditeurs un refus net au prétexte que l'auteur et le personnage du livre étaient inconnus du grand public, ce qui retirait toute rentabilité à sa diffusion. L'ouvrage demeura donc sous sa forme dactylographiée et fut ainsi diffusé aux membres des familles qui avaient pu être répertoriés à cette époque grâce à René Le Juge de Segrais, qui, en tant que descendant le plus proche du corsaire, avait pu faire des recherches approfondies sur les généalogies des trois filles de Ripaud. Depuis cette première édition, dont a bénéficié une centaine de descendants, trois générations sont nées, et pouvaient donc prétendre à posséder un exemplaire de ce livre qui relatait les exploits de leur illustre aïeul. C'est pourquoi, répondant à la demande d'un nombre croissant de membres de ces nouvelles générations et de leurs parents qui ne possédaient que l'exemplaire dactylographié, j'ai eu l'idée de réaliser cette nouvelle édition, plus élaborée et illustrée, qui bénéficie des moyens modernes d'impression que l'informatique met à notre disposition. J'ai donc lancé avec l'appui de généalogistes issus des trois branches Ripaud, une souscription dans le cadre familial à laquelle les nombreuses réponses n'ont fait que confirmer l'intérêt qu'a suscité cette initiative parmi les membres de la grande famille Ripaud de Montaudevert. Bien que depuis la première édition de ce livre nous ayons eu connaissan- ce de nombreuses informations qui auraient pu enrichir ce texte ou dans certains cas, éclairer d'un nouveau regard les prises de positions de Ripaud, nous avons tenu à le rééditer in extenso pour lui conserver son authenticité Hervé Feildel - Juillet 1999 JEAN FEILDEL À LA MER, EN GUERRE VIE DU CORSAIRE RIPAUD DE MONTAUDEVERT (1755 - 1814) CHEZ L'AUTEUR LA TRINITÉ-SUR-MER (MORBIHAN) 1965 AVANT-PROPOS À Nantes, non loin des quais de la Fosse où s'amarraient alors les trois- mâts revenant des Antilles, se trouvait la demeure de ma grand-mère. Dans un petit appartement à rez-de-chaussée, s'entassaient les meubles, tableaux, châles de l'Inde et vases de Chine, ramenés de l'île de France lorsque la famille dut la quitter pour échapper à la domination anglaise. Des grandes lithographies en couleur représentant le Port-Louis, vu de la rade, ou vu de la Montagne-Longue, ornaient le vestibule ; on y voyait aussi une aquarelle montrant l'Enfoncement des prêtres où furent les cases de Paul et Virginie, vue prise sur les bords de la rivière du Tombeau. Mais ce qui frappait le plus mes regards d'enfant, c'était deux énormes vases de Chine bleu sombre aux ornements d'or, tous deux plus grands que moi. « Là-bas, disait ma grand-mère, ils servaient à mettre le riz ou le sucre à l'abri des insectes ou des rats ». « Là-bas », c'était la colonie avec sa vie facile et douce, les nombreux serviteurs noirs, le hamac balancé à l'ombre des filaos, ou les promenades en palanquin. Dans ces deux syllabes, elle mettait un accent nostalgique comme s'il s'était agi d'un paradis perdu dont on n'osait plus dire le nom. « Là-bas ! Ah ! vous autres... ! », était comme le refrain terminant toutes les histoires des îles. Prononcée languis- samment à la créole, la phrase, restée inachevée, laissait la porte ouverte aux rêves... « Avzote !», était pour moi un mot mystérieux, car je n'ai compris qu'assez tard cette contraction de : « Ah ! vous autres ». Encadré par les vases bleus, il y avait aussi un grand fauteuil rond canné de rotin, avec six pieds de griffon et un vaste dossier circulaire orné de trois médaillons sculptés ; ce siège avait l'aspect d'un trône de prince indien, on l'appelait le fauteuil du corsaire et c'est par lui que je fus introduit dans la légende de Ripaud de Montaudevert. À vrai dire, après trois générations les souvenirs s'estompaient, il ne restait aucun document, aucune lettre, mais seulement un lavis à l'encre de Chine, représentant le combat de L'Iphigénie et du Trinquemalé dans le golfe Persique, et une médaille d'or, médaille de mariage de François Ripaud avec Chounette Bouyer. Quelquefois ma grand-mère sortait cette médaille d'un tiroir qui sentait le vétiver pour me la montrer, et j'avoue qu'elle me semblait bien plus mer- veilleuse que la relique du sang du curé d'Ars voisinant avec elle, ou que le bidon d'eau de Lourdes dont on me donnait une gorgée. Les années passaient et l'idée de reconstituer la biographie du corsaire ne me serait jamais venue, si je n'étais pas tombé par hasard sur un catalogue de bouquiniste, contenant l'indication suivante : « Ripaud de Montaudevert - Scènes de la Révolution française à l'île Bourbon », par L. Brunet. Ce livre acheté aussitôt, et lu hâtivement, j'eus le regret de constater que ce n'était qu'un roman, sans rapport avec la réalité historique ; sauf le titre qui portait le nom du corsaire tout était œuvre d'imagination, mais il fallait essayer de retrouver les bases qui avaient permis d'échafauder ce roman. Rétablir la vérité, reconstituer la vie du corsaire, et lui rendre sa vraie figure, fut le travail de plusieurs années de recherches aux Archives de la Marine et des Colonies, aux Archives Nationales et à la Bibliothèque Nationale. Dans ces recherches, j'ai eu l'heureuse fortune d'être puissamment aidé par un descendant direct de François Ripaud, M. René Le Juge de Segrais, grâce à lui et par l'intermédiaire de M. Ary Le Blond, j'ai été mis en rapport avec M. Lougnon, professeur à Saint-Denis, qui a eu l'extrême amabilité de copier ou de faire copier pour moi tous les renseignements qu'il a pu réunir à la Réunion ou à Maurice sur notre héros ; sans ce concours érudit et bénévole, bien des lacunes subsisteraient dans cette biographie, qu'il en soit ici remercié. Le livre était presque terminé lorsque j'ai obtenu d'un petit neveu du corsaire communication d'une liasse de lettres datées de Bourbon ou de Bayonne. Cela m'a aidé à connaître le personnage, car rien ne permet mieux de saisir la personnalité, d'étudier le caractère et les sentiments. Nous arrivons ainsi peu à peu à connaître l'homme. Ses qualités de marin et de combattant sont confirmées par les témoignages de ses chefs à l'occasion de ses services, elles peuvent se résumer par une simple phrase de l'Amiral Hamelin « homme précieux pour un chef qui a le désir d'entre- prendre des choses difficiles et hardies ». Des choses difficiles et hardies, voilà la trame de cette vie ! Mais en dehors des actes d'audace et de courage, nous trouverons aussi chez Ripaud un côté chevaleresque et généreux à l'égard de l'ennemi vaincu, soit qu'il rende la liberté aux deux Anglais sur- vivants à l'explosion du Trinquemalé, soit qu'il laisse aux prisonniers faits par Le Volcan les effets à leur usage. Un témoin de sa mort glorieuse à Bayonne a écrit : « Il savait se faire aimer de ses marins. Regretté de tout son équipage, comme un père chéri l'est de ses enfants. Cet officier servait avec distinction, il alliait à l'âme d'un "Jean Bart", cette aménité de mœurs que le rude métier de la mer semble exclure ; il pouvait n 'être qu'estimé, il trouva doux de se faire aimer.. » Quand il revient en France, il manifeste dans ses lettres une jeunesse et une bonne humeur que l'âge ni les malheurs ne peuvent entamer, «je suis encore, écrit-il, un jeune homme à vieux visage... un vive la joie. Devant l'ennemi, je n'ai que trente ans !». Cette nature très expansive se reconnaît dans les lettres adressées à ses sœurs, on y retrouve même cet excès de sensibilité qui marque l'époque de Bernardin de Saint-Pierre. Le sentiment familial est chez lui très vif, à la mort de son frère Ripaud de l'Écotais, disparu en mer, il recueille ses enfants comme les siens propres, et il fait envoyer des secours à sa belle-sœur à New York quand il apprend le naufrage de son frère Jacques. Ce corsaire est dans le fond un cœur tendre et un homme d'honneur mais sa générosité l'entraîne à adopter les idées nouvelles avec trop d'enthou- M. Claude Chesnau. siasme, d'où cette réputation de «clubiste» ou de jacobin qui lui nuira certainement. Pour nous, avec le recul de l'histoire, nous ne retiendrons que l'image d'un bon Français, d'un marin courageux et hardi, qui n'ayant cessé de naviguer depuis l'âge de onze ans, finit par mourir en combattant encore à l'âge de soixante ans. Il y a certainement des lacunes dans cette biographie, il aurait fallu pouvoir examiner les papiers de Lord Wellesby au British Museum, ceux du Général Decaen, à Caen, mais j'espère avoir reconstitué à peu près complètement et fidèlement la figure de celui que des historiens mal informés ou des journalistes en mal de copie ont présenté comme un pirate et même comme « un homme de sac et de corde » tant il est vrai qu'une confusion persiste dans l'esprit de bien des gens entre les termes de «pirate» et de « corsaire ».