Guts Of Darkness

Le webzine des musiques sombres et expérimentales : rock, jazz, progressif, metal, electro, hardcore...

février 2009

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© 2000 - 2009

Un sommaire de ce document est disponible à la fin. Page 2/208 Les chroniques

Page 3/208 D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Gold Und Liebe

Chronique réalisée par Raven

Il n’a pas aussi bonne presse que Alles Ist Gut celui-ci. On peut légitimement se demander pourquoi : sorti la même année, formule identique. Il est même plus puissant que le premier. Un peu plus kitsch, sans doute, plus putassier (écoutez moi ce "Ich Will"), mais il y’a une agressivité et un côté sulfureux encore plus prononcés ici, peut être accentués par les rythmes de Robert, plus rapides, plus appuyés, plus variés (tribaux, militaires, disco), meilleurs que sur le premier - j’en veux pour preuve ce "Verschwende Deine Jugend" tuméfiant et technoïde (on se demande si ce truc est vraiment sorti en 81), ou ce "Sex Unter Wasser» bien vulgaire avec ses synthés ronflants, et "El Que", cette espèce de batucada EBM avec une voix d’hôtesse, extra, vraiment. Pour le reste comme je le disais la formule est rigoureusement la même : Gabi fait toujours sa chaudasse, et nous envoie aux esgourdes des jumeaux tubesques de "Der Mussolini" ("Liebe Auf Den Ersten Blick", "Greif Nach Den Sternen"), et la petite ballade neuneu et kitschounette ("Goldenes Spielzeug") qui prend le relai de "Der Rauber Und Der Prinz". Bref je m’étendrai pas plus : Gold Und Liebe est aussi indispensable que Alles Ist Gut, son seul défaut est d’être sorti après, mais quelques mois après hein, pour moi c’est comme un double en fait, l’un ne va pas sans l’autre (comme les deux premiers Nitzer Ebb, ou Bud Spencer et Terence Hill), et puis il contient quand même quelques-uns des meilleurs hits de DAF, alors bon, hein, bon, ça serait bête de faire comme si il existait pas... Mangez-en.

Note : 5/6

Page 4/208 D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Für Immer

Chronique réalisée par Raven

Il est très moche ce dernier DAF. Enfin, dernier… paraîtrait qu’ils en ont sorti un dans le nouveau millénaire, mais ce retour était inutile. Gabi l’avait lui-même résumé très justement : "on avait déjà tout dit, pas la peine d'en rajouter". C’est vrai. T'aurais même pu t’arrêter à Gold Und Liebe ma Gabrielle – mais tu as quand même préféré sortir Für Immer, peut être parce que tu avais toi aussi succombé au sirop, comme tous les autres. Tout aurait pu s'arrêter ave Gold Und Liebe, et pourtant ce troisième n'est pas une redite, il est différent des deux autres: plus chochotte, plus… gay, oui, même si on a encore un peu droit à de la grosse body music qui fait plaisir aux mollets (goûtez-moi ce "Ein Bisschen Krieg" massif et tribal, mmmmh), ici c’est beaucoup plus… kitsch, déjà, mais kitsch à mort, kitsch comme du Kano sur une bonne moitié des titres, ou n’importe quelle autre daube italodisco de seconde zone, avec des sonorités de synthés paradoxalement plus datées que celles des deux précédents, pour vous donner une idée de ce vulgaire purulent imaginez le thème de Rocky – ce côté très pouet-pouet cacahuète est assez gênant (par exemple sur "Verehrt Euren Haarschnitt"). Pour le reste la production est très inégale, c’est soit glacial comme les anciens, avec un titre surprenant au son très crade et indus ("Die Lippe") soit parfaitement guimauve, une espèce de DAF qui essaierait de faire du Soft Cell, mollement et pathétiquement, en s’enfonçant dans des sucreries kitschouilles que même un fan de Invisible Touch comme moi ne peut entendre sans sourire ("Verlieb Dich In Mich", horrible, ou "Geheimnis", digne des B.O. de Bilitis et La Boum réunies). Mais Gabi et Robert savent quand même composer des ballades neuneus succulentes, talent pour la ballade allemande à la naïveté brute et faussement niaise qu’aura plus tard , et, tout comme "Der Rauber Und Der Prinz" ou "Goldenes Spielzeug" avant elle, "Prinzessin" est terrible dans ce style ich bin eineu grosseu neuneu, peut être même leur meilleure comptine, le charme ambigu et rustaud opère à merveille, c’est délicieux. Pour ce qui est du reste, j’avoue que j’aime bien "Kebabtraüme" (rien que le titre déjà), mais rien qui soit du niveau des deux anciens. Trop ramollo, bizarroïde oui, mais trop moche – la laideur peut être une arme, ici c’est un peu un handicap. Für Immer a bien mal vieilli comparé à Alles Ist Gut et Gold Und Liebe, leur album le plus synth pop sans doute, mais (quitte à sortir une connerie, je suis pas à ça près) ça vaut pas Frankie Goes To Hollywood.

Note : 3/6

Page 5/208 COMPILATIONS - BANDES ORIGINALES DE FILMS : Shallow Grave - Music From The Motion Picture

Chronique réalisée par Raven

"I'm not ashamed. I've known love. I've known rejection. I'm not ashamed to declare my feelings. Take trust for instance, or friendship. These are the important things in life. These are the things that matter, that help you on your way. If you can't trust your friends, well, what then... What then ?... This could have been any city. They're all the same."... Le générique de début de Petits Meurtres entre Amis est un des plus terribles qu’on puisse imaginer. Qui n’a jamais senti un frisson parcourir son échine passé ce premier panneau rouge placardé comme une lourde menace plein écran, passés ces échos de cornemuses malsains, cette sourde montée en puissance, lorsque le morceau implacable de Leftflield enfle, approche, lentement, sournoisement, vicieusement, implacablement, tandis que là-dessus une espèce de comptable morne nous fixe dans les yeux d’un regard vide en monologuant d’une voix on ne peut plus glaciale et désincarnée ? D’un coup d’un seul – au moment où la caméra s’arrête de tourner - boum boum boum – l’accélération, le sentiment de frisson, d’exaltation qu’on peut ressentir à cet instant, sont incomparables. Ce morceau de pure nineties est une tuerie, point, et avec ou sans les images il bute. Pour le reste on a droit à un autre morceau plus dub, sympa, et la B.O. composée par Simon Boswell, qui réutilise sur deux trois titres des extraits de dialogues du film, ou les éclats de rires sombres et expérimentaux d’Ewan McGregor ("Laugh Riot"), compose un morceau jazz par-ci, du Carpenter coupé au Tangerine Dream par-là (le thème principal avec sa mélodie de piano, superbe, ou le glauque "Hugo’s Last Trip"). J’aurais aussi pu vous parler de Nina Simone, des accordéons de bal des vieux ou du tube de ce vieux crooner ringard, là, mais enfin bon, sur ce disque passé Leftfield, on est dans une B.O. routinière, sympathique, mais qui a le défaut – ou la qualité – de nous donner envie de revoir le film avant de l’avoir achevée. Une B.O. plutôt cool avec une boucherie en guise d’intro. Comment ça, vous ne me faites pas confiance ? Allons, allons… si on ne peut pas compter sur ses amis, où va-t-on ? Où va-t-on…

Note : 4/6

Page 6/208 SAINT VITUS : Born too late

Chronique réalisée par dariev stands

“Every time I'm on the street / People laugh and point at me / They talk about my length of hair / And the out of date clothes I wear”. Si toi aussi lecteur, tu te reconnais dans cette phrase qui ouvre le présent disque, alors, lis attentivement ce qui suit, tu as peut-être un Doomster qui sommeille en toi (le mien est resté en hibernation pendant pas mal d’années, c’est que ça pionce un doomster). Born Too Late, 3ème album de Saint Vitus mais bel et bien premier avec le légendaire Wino (The Obsessed… ) au chant, n’est autre que les tables de la loi doom, le disque fondateur du genre, auquel se mesureront tous les autres, et ce malgré que pentagram, candlemass, trouble, voire pagan altar soient passés avant. Tout y est : tempo lent mais souple (le mot exact est : chaloupé), guitares vrrrrrrrrrrrrrrrrombissantes, et surtout, textes gravitant autour des 3 mamelles du genre que sont l’alcool, la dépression et la peur de la guerre – War Pigs de Black Sabbath, ça vous interpelle ? Commençons par l’inquiétude la plus fréquente chez ceux qui ne connaissent pas encore le monstre : le son est-il bon ? Et la réponse est OUI. D’accord, la batterie est en plastique, ça, je vous l’accorde, mais putain on s’en branle, la guitare ravage tout, elle, et puis ce disque à une âme, je dirai même, il EST l’âme du Doom. Quand Wino chante “They say my songs are much too slow / But they don't know the things I know”, c’est la profession de foi de tout un style, le porte étendard de toute une génération née trop tard, et qui ne souhaite pas « être un punk rocker avec des fleurs dans les cheveux » mais tout simplement trouver le chemin vers le prochain whiskey bar. Les 3 premiers morceaux sont les meilleurs du disque, sans hésitation. Born Too Late, la chanson, est un hymne au retour vers le VRAI hard rock à une époque où les couillons peroxydés côtoient les techniciens-bouchers du thrash metal, genre noble mais qui perd en humanité ce qu’il gagne en patate. Car n’oublions pas que Saint Vitus pouvait aussi être vu simplement comme une bande de revivalistes de Black Sabbath, certes plus talentueux que ce que les originaux étaient devenus depuis 10 ans. La 2eme tuerie, Clear Windowpane, est une ode à la culture des lava lamp et des gadgets heroïc fantasy, qui apporte direct l’autre élément indispensable à un album de Doom Traditionnel : l’humour, pince-sans-rire et souvent isolé au milieu d’aveux mélodramatiques et souvent sincères dans leur désespoir. Car de désespoir il est bien question dans Dying Inside, véritable spirale d’introspection languide d’un alcoolique parfaitement conscient de sa déchéance. Tout simplement étourdissant ; quant au solo, il remet à leur place tous ceux qui trouvaient que le groupe jouait trop lentement : après quelques mesures, on croirait entendre ce fou à lier de Dr Know des Bad Brains ! Avec le sublime The Lost Feeling, la dépression est décrite comme jamais auparavant, personnifiée dans la voix du chanteur. L’autre aspect intéressant de ce disque, c’est qu’il débarquait à une époque où tous les sous-genres très en vogue aujourd’hui n’existaient pas, ce qui autorisait ce pavé de Doom trad pur et dur à signer sur SST, label hardcore tenu par un Black Flag, dont St Vitus reprend ici – surprise ! - le Thirsty and miserable sur un mode doom poisseux irrésistible… Avant de retrouver le tempo originel avec un break de malade, peut-être simple hommage à l’origine et qui deviendra un gimmick indispensable du genre… De toutes façons cet album était le nécessaire retour aux sources d’une époque qui ne voyait le métal que dur, rapide et froid - un cri dans la nuit pour dire que oui, cette musique peut-être chaleureuse, groovy et accessible tout en restant intense. Rien que la pochette était osée (violet, couleur de tarlouzes, c’est bien connu). Ne perdons quand même pas de vue que l’ennemi, c’était et ça reste la médiocrité et la bassesse du monde « réèl » : « I was born too late / And I'll never be like you », constat d’inadéquation, mais le plus important suit : « And I don't

Page 7/208 want to be like you ».

Note : 5/6

Page 8/208 FLIPPER : Generic

Chronique réalisée par dariev stands

Passablement en avance sur son temps, Flipper n’aura, de son vivant, reçu que navets, poireaux et autres rutabagas jetés à la figure… Aujourd’hui le groupe, considéré comme culte (souvent sur la seule foi de cet album), se reforme avec Krist Novoselic à la basse... Plutôt que de faire un commentaire sarcastique sur cette reconversion magique du croate chauve (qui avait soi disant raccroché pour faire de la politique, à l’inverse de Jesse Hugues des Eagles of death metal), je me contenterai de vous inciter à écouter la reprise du Scentless Apprentice de Nirvana par Flipper, bien poutrale… En attendant, voilà l’album culte par excellence, cité à tire larigot non pas à cause de sa qualité musicale, mais surtout parce qu’un certain Kurt Cobain - dénicheur infatigable de tueries méconnues avant d’être rockstar - s’obstinait à se balader avec son désormais célèbre T-Shirt Flipper fait main, représentant uniquement le logo du groupe, un requin (vous saisissez la blague ?). Du coup, Flipper n’est pas tout à fait tombé dans l’oubli, en dépit d’une musique ultra primaire et anti-sociale et de 2 overdoses survenues dans le line-up du groupe… Il faut dire qu’ils auront toujours pour eux le fait d’avoir été les premiers à ralentir le hardcore pour en faire cette bouillie midtempo menaçante et franchement provocante pour 82. On imagine le scandale pour l’époque : pas de pogo possible ! Un son bâtard, trop dans les basses pour être punk mais encore trop garage pour être affilié au Stoner où au Doom, qui n’étaient pas encore dans les couilles de leurs pères. Greg Ginn de Black Flag, qui conchiait la nomenclature du genre, s’en inspirera pour "My War" deux ans après. Car Generic est peut-être bien le premier disque à se rapprocher du Sludge, involontairement. Ce brouhaha permanent, ces paroles crues et plus suicidaires que vraiment agressives… On a même droit à des dérapages incontrôlés dans le tempo, comme ce problème de rythme à la fin de Life Is Cheap, tout droit sorti du premier Eyehategod ! Sauf qu’après écoute au casque (le son est vraiment à la ramasse), on se rend compte que c’est truffé de roulements de batterie de la mort gutturale, façon Black Metal ! "Right, everybody starts at the same time, ready ?", lance Will Shatter au début de Nothing. Un parolier exceptionnel que ce Shatter, salement tourmenté, comme le prouve ce (I Saw You) Shine infect qui préfigure tous les Rollins et tous les Today is the day du monde… C’est malheureusement le seul moment où Shatter parviendra à faire réellement vivre son désespoir, le reste du disque n’étant que platitude (volontaire ?), absence totale de dynamique et sentences lancées avec l’ardeur d’un cadavre, c'est-à-dire mollement… Si pour l’époque, la rupture stylistique était, je le répète, absolue et complètement suicidaire, aujourd’hui, difficile de trouver ici des qualités qui ne sont pas mieux développées ailleurs. Injuste, vous dites ? Carrément. En guise de final emprunté au chaos catharsique de la High Energy, Sex Bomb vient parachever le mol massacre. Et sauver un peu l’album du pétard mouillé. Mouillé, oui, parce que c’est vraiment le feeling que dégage ce disque. Un gros pétard plein de haine qui n’aurait pas pu exploser convenablement, faute d’oxygène dans la pièce, faute de public pour ça à l’époque où l’album est sorti (Born too soon, qu’il aurait pu s’appeler, tiens), faute d’un chanteur avec une personnalité vocale plus marquée… Même si sur cet hymne des 80’s qu’est Sex Bomb (Tom Jones ne s’en est jamais remis), il est parfait dans sa fureur débridée, nous rappelant qu’à l’époque, quand ça criait, c’était pas le fruit d’une technique vocale rôdée à coup de Valdas mais bien de l’arrachage de cordes vocales à vif. L’idée du saxo invité surprise est bien évidemment dans la noble lignée du free rock qui part de Fun House des Stooges en passant par X-Ray Spex… On peut d’ailleurs penser à No Fun en entendant les clappements de mains de Ever, contrastant avec un texte encore plus nihiliste que celui d’Iggy Pop, se

Page 9/208 rapprochant plus du Theme de Public Image, groupe avec lequel Flipper entretiendra une relation conflictuelle (visez un peu la pochette… le père Lydon n’a jamais eu de rate, c’est bien connu)… “Ever feeled/that you’ve been had”, tiens tiens, ça ne vous rappelle pas les dernières paroles de Johnny Rotten à son public honni, ça ?

Note : 3/6

Page 10/208 BECK : Loser

Chronique réalisée par dariev stands

Il danse très mal. Il va sur ses 40 ans mais en parait toujours 19 avec ses grands yeux rêveurs et son joli petit minois blond. Il change de style à chaque album, comme Bowie, mais en alternant perpétuellement entre deux modes : Beck slacker et Beck raffiné. Il joue de tous les instruments, comme Prince, mais très mal (il a aussi en commun avec ce dernier un prénom assez bizarre pour en faire son nom de scène). Son grand père était un des fondateurs du mouvement Fluxus. Ses parents sont scientologues, tout comme lui. Il brûlait sa guitare à ses débuts, mais c’était une gratte sèche (ça coûte moins cher en inflammable). Il ne laissera pas une trace impérissable dans le monde de la musique… Je parle bien sûr de Beck Hansen, le « petit prodige » à qui on promettait un avenir radieux à l’époque de ce Mellow Gold, et qui finira par nous faire comprendre, au fil des années, qu’il n’était décidemment pas celui que l’on voulait qu’il soit. Non, Beck ne sauvera rien du tout. Non, ce n’est pas non plus un immonde usurpateur, imposteur, faux-artiste qui mange le pain des vrais musiciens comme certains se plaisent à le croire… Beck est tout simplement un gros malin, un fan de bonne musique, armé seulement de son excellente culture musicale et de sa gueule d’angelot faussement ingénu, et qui aura réussi à se faire un nom et du blé sans se stresser une seule seconde, ni se compromettre, en écrivant peu ou prou toujours la même chanson. Beck, c’est le mec à qui on colle une étiquette de héros et qui se contente de dire « euh… », sans l’accepter ni la réfuter, et en profite au maximum, l’air de rien. Ok, il va de soi que sans Midnite Vultures, le personnage serait beaucoup moins défendable, beaucoup plus chiant… Mais après tout n’est-il pas un pur produit du système ? A force de vouloir coller l’étiquette « artiste » sur le premier clanpin venu, il faut bien que ça tombe sur un jour sur des mecs comme Beck, où plus récemment Jay Reatard, qui se trimballent à la scène comme à la ville sans but dans la vie, simplement en faisant du boucan avec ce qui leur tombe sous la main. Mais je glose, je glose, et j’en oublie de vous parler de ce « hit singaule » comme dirait Pascal Nigger, dont l’utilité pour ceux qui possèdent déjà Mellow Gold est proche du zéro. Voire du moins un. Mais c’était pour parler un peu de l’animal en personne, et en spéciale dédicace aux râleurs qui se reconnaîtront (bouh les singles, pas bien ça). Et puis, avant de continuer la disco Beckienne avec Odelay où un des albums « indépendants », je voulais vous retoucher un mot de ce Steal My Body Home ultime, du Lee Hazlewood sous anabolisants pour mammouth, un genre de réalité déformée dans un Los Angeles vu au ralenti et à travers un miroir fisheye. Ça sent fort la dépression post-tchernobyl, avant que les neurones ne crament pour de bon avec ce break Sitar/Kazoo outrageant. A noter que Loser, que tout le monde connaît très bien, est basée sur un sample de « I Walk On Guinded Splinters » du Dr John, le gugusse à qui on doit sûrement les breloques vaudou de l’univers du Beck de l’époque. Que son absence (provisoire) sur guts ne vous empêche pas de le découvrir (Gumbo !).

Note : 4/6

Page 11/208 NEON : Oscillator

Chronique réalisée par Twilight

Hiver 1979, Banana Moon (club florentin et haut-lieu de l'émergence de la nouvelle vague italienne), un groupe qui deviendra l'un des plus cultes de la new wave italienne donne son premier concert. Il s'agit de Neon encore à des années-lumières musicales de la suite de leur carrière. En effet, c'est un show très expérimental qui nous est ici livré et les influences du duo se nomment alors Cabaret Voltaire, Throbbing Gristles et Kraftwerk. La musique se décline selon un travail sur les fréquences, les loops qui tournent de manière froide et hypnotique, quelques bruissements à coup d'effets, et se veut un élément d'un tout, la performance étant accompagnée de projections, d'effets de lumière; peu agressive, elle développe plutôt un côté ambient et froid, légèrement grinçant par moments, quelque chose de rituel proche de la transe. Au jour d'aujourd'hui, ce genre de spectacle peut faire sourire car il est devenu monnaie courante. En 1979, les choses étaient bien différentes et ce show a plutôt déstabilisé, fasciné la jeunesse alternative d'alors; qui plus est, et je parle d'un point de vue personnel, le travail sur les synthés analogiques dégagent des ambiance et des sonorités qu'on ne retrouve plus à l'heure du digital. Evidemment, le fait de n'avoir que la musique d'un show multimédia empêche de plonger totalement dans le concept du concert et les compositions peuvent sonner un brin linéaires. Il n'empêche qu'en tant que travail ambient, ainsi que comme document d'archive, ce premier concert valait la peine d'être réédité en cd. Ce même soir derrière la table de mixage se trouvaient Maurizio Fasolo et Massimo Michelotti qui peu après cette perfo s'en iront créer Pankow...Rien n'arrive par hasard. 3,5/6

Note : 3/6

Page 12/208 : 13 Songs

Chronique réalisée par Raven

“ Promises are shit, we speak the way we breathe. Present air will have to do, rearrange and see it through. Stupid fucking words, they tangle us in our desires. ” 13 Songs, les deux premiers EP’s de Fugazi sur un seul disque. Les deux poings d’un même homme, remplis de verre pilé, et serrés jusqu’à ce que le sang ruisselle le long de ses bras, qu’un rictus déchire son visage, que ses yeux, fixes, expriment la douleur la plus âpre qui soit. A peine né, c’est déjà autre chose que Minor Threat. Plus loin. De Fugazi, on a retenu "Waiting Room" comme leur grand tube. Rien de bien étonnant : la ligne de basse sautillante, et puis le rythme qui tangue avec fougue, et surtout les mythiques premières lignes que scande McKaye ("I am a patient boy, and I Wait I Wait I wait"), tout était fait pour rester ancré dans les mémoires. Mais le reste est aussi grand, jusqu’à l’ultime pièce, "Promises" : une ballade en apparence, mais quelque chose de violent à l’intérieur, qui rampe pernicieusement et vrille les nerfs. Après l’épisode Minor Threat, on reprend le même discours, mais en choisissant ses mots avec soin. Minor Threat était un opinel rouillé. Fugazi est un rasoir flambant neuf. Tranchant, redoutable. Sur 13 Songs, le groupe est encore jeune mais maîtrise déjà tous ses éléments, à savoir une fougue et une énergie grisantes, offertes avec une technique de fou furieux à l’auditeur émerveillé, qui finit par ne plus compter les coups de latte qu’il se prend dans la tronche à force d’en encaisser d’une piste à l’autre, et souvent au sein d’un même titre. Structures alambiquées, ciselées, jeux de guitares fourbes entre McKaye et Picciotto, riffs aiguisés, terriblement mélodieux, basse reptile et percussions méthodiques. Le groupe garde quelques solides restes de punk en lui, qu’il façonnera de plus en plus jusqu’à l’aboutissement Red Medicine. Mais la rigueur est déjà adulte ici, on a mûri, on contrôle le geste, on exécute avec fermeté, doigté, on contrôle le débit, les flammes, les étincelles, les copeaux de métal, on façonne ses armes et on les manipule avec la rigueur des maîtres. Fugazi est samouraï. Fugazi est sculpteur. Fugazi est architecte. Fugazi est le Kubrick du post-hardcore. La perfection, maladive. La puissance, nue. Rarement les claques n’ont été données avec autant de passion. Fugazi est passion. Plus direct ici qu’il le sera par la suite, le groupe a pourtant déjà dit l’essentiel ici, à travers des moments de force incroyables, tout en tension et contrôle, à l’image des morceaux de choix que sont "Burning" et "Give Me The Cure". Les dissonances et larsens commencent déjà à pointer leur sale gueule, ça commence à siffler, à dérailler ("Glue Man", "And The Same"). Une claque magnifique.

Note : 5/6

Page 13/208 FUGAZI : Repeater + 3 Songs

Chronique réalisée par Raven

"I break the surface so I can breathe, I close my eyes so I can see." Putain. Tout commence, pourtant, par quelques soupirs. Puis la tension monte, les émotions, crues, fusent, les mélodies, pures comme le cristal, limpides, percent, au cœur. Aïe. Ouille. Alternatif ? Oui. Fugazi n’est qu’alternance. Un cardiogramme tout en pics et chutes. Des moments d’accalmie et de délicieuses décharges électriques. Post hardcore ? Fugazi en est la définition, ne cherchez pas plus loin. Sur Repeater comme sur 13 Songs, le groupe est encore le cul coincé entre hardcore punk et emo, ce terme souvent galvaudé qui résume tout, dans la voix de McKaye ou les riffs : la fermeté et le souci du détail, l’art d’éclater les tibias avec minutie, et finesse, de se taper la tête contre un mur et d’en faire quelque chose d’esthétique. Des pièces courtes et rapides en forme d’hymnes, et d’autres plus nuancées. Le premier titre, "Turnover", pourrait en être le meilleur exemple : un doux gémissement électrique qui leurre et aguiche, puis tout part en vrille, mais toujours sous contrôle total, avec une précision chirurgicale extrêmement… précise. Oui. Fugazi gagne en force, en fermeté. Les éclaircies se font plus belles, et les nuages, plus sombres. L’atmosphère se charge. La température baisse, mais la sueur abonde. Les mains tricotent le métal, les yeux restent rivés sur la moindre parcelle de tôle brodée, maladivement, exercent des pressions du pouce plus ou moins fortes sur la plaie, toujours calculées. Le chant du lascar se fait plus rugueux, plus mature, ne tenant plus tellement de la voix de l’adolescent énervé mais plutôt celle d’un adulte froidement déterminé à se faire entendre, l’émotion a fleur de gosier – emo comme emocore. Fugazi est colère froide, entrecoupée d’éclats de rires nerveux, de regards alarmés. McKaye est insolent, arrogant, ce qu’il ressent il le dit, sans fard – un cri. Touchant sur "Shut The Door" (qui parle d’amour, pour de vrai), ou d’un aplomb impressionnant sur "Blue Print", qui est sans doute le moment le plus fort de l’album, une ballade magnifique qui s’achève en slogan martelé en chœur par les membres du groupe - sublime. Que ce soit les jeux de guitare, de basse ou de batterie, tout force le respect sur cet album, ce qui s’appelle porter la technique à son sommet sans qu’à un seul moment ça n’ait l’air d’un faire valoir. La quasi-totalité des autres groupes qu’on encense pour leur technique paluchent dans le vide à un moment ou un autre. Fugazi a le mérite de nous faire aimer parler de technique, alors qu’il n’y a en temps normal rien de plus chiant. Chez Fugazi, elle est le vecteur d’émotions puissantes – et c’est là toute la différence avec tous ces groupes sans âme. Sur ce Repeater, leur autre disque-étalon, rien n’est gratuit. Rien n’est superflu. Les coups sont décochés parce qu’ils doivent l’être. Le sang coule parce qu’on a coupé. Le type gueule parce qu’on lui a marché sur les pieds. Pas de superflu, pas de facilité, pas d’esbroufe. No branlette no démonstration. Seulement le mouvement du poing, et la beauté aveuglante qu’un geste aussi simple peut dégager. Avec Repeater, Fugazi peaufine 13 Songs, sur les bases de la préhistoire Minor Threat. Le groupe fait un autre pas en avant vers le suprême, gagne en rigueur, en force et en intelligence, peaufine sa personnalité, et mérite déjà de n’être comparé à aucun autre – parce qu’il est unique. Il n’est pas seul dans sa discipline, mais les autres ne seront jamais que disciples, ou élèves.

Note : 5/6

Page 14/208 FUGAZI : Steady Diet Of Nothing

Chronique réalisée par Raven

"These are our demands: we want control of our bodies. Decisions will now be ours. You can carry out your noble actions, we will carry our noble scars." Peut-être le plus emo avec le suivant. Pas aussi intense, non, peut être un peu plus sage que le précédent aussi, d’ailleurs j’avais l’intention de lui coller un bon gros 4/6 pour bien marquer la différence avec Repeater que je préfère, mais… merde, quoi ! Sage ? SAGE ? Y’a quand même "Reclamation", "Runaway Return", "Nice New Outfit" et "Stacks" sur ce disque ! Et le reste… enfin, merde ! Sage ? Pas un seul morceau faible, pas une seule baisse de régime ! Le contrôle absolu et l’émotion à fleur de peau, prête à bondir au moindre sursaut métallique, dans 36 minutes toutes en tension et frustration habilement contrôlées, moi, je dis banco. Cet album a moins bonne presse que les deux suivants mais révèle le problème – si c’en est un, celui de tous les génies finalement – de Fugazi : jusqu’à End Hits on serait bien en dèche de trouver un défaut à n’importe lequel de leurs albums, et In On The Kill Taker sera tellement puissant qu’on en viendrait presque à trouver celui-ci moyen. Non. Redescendons sur Terre deux minutes et regardons un peu ce qu’on a là, si vous le voulez bien. 1 : toujours ce jeu exceptionnel à quatre niveaux, et des envolées de guitares magnifiques – les rythmes plus lents nous font languir puis lorsqu’ils lâchent les brides c’est le bonheur. 2 : un feeling moins punk que par le passé, jusqu’à Repeater Fugazi était encore bien hardcore punk même si ça commençait à se peaufiner, mais ici c’est encore plus ambigu, c’est un peu à partir de ce disque que le groupe à réellement viré post-hardcore à mon goût – plans plus retors, traits plus fins, passages noisy (l’instru "Steady Diet") puis faussement calmes ("Polish"). 3 : des instants de grâce furtifs mais cinglants, écoutez par exemple la dernière partie de "Reclamation", moi ça me fout sur le cul à chaque fois, l’émotion jailli pure comme neige des guitares en feu, l’extase, tout simplement. Un album racé, subtil, varié… un excellent album, voilà, celui de quatre types qui savent où ils vont et jamais ne se laissent aller à la facilité, qui toujours savent varier le tempo, l’amplitude et les breaks sensoriels pour mieux atteindre les oreilles… et le cœur, sur un album essentiel, fait de guitares scintillantes et de rage sourde. Et c’est tout ce que je vous dirais à son sujet. Au revoir.

Note : 5/6

Page 15/208 FUGAZI : In On The Kill Taker

Chronique réalisée par Raven

"The point has been recorded. The malice has been revealed.” L’explosion était imminente. Avoir les couilles pleines, une boule dans la gorge grosse comme le poing et être parfaitement lucide devant sa condition… merdique, devant la file des pleureuses qui creusent leur tombe sans lever les yeux. Voir toute cette bande de moutons attendre d’aller à l’abattoir en réclamant sa pilule, docilement, et serrer les dents, s’efforcer à garder la tête hors de l’eau pour ne pas sombrer avec le reste de la meute, concentrer toute son énergie, toute sa fureur, en bloc, pour survivre, parce qu’on est vivant, et que la vie c’est le sang, et qu’il bat dans ses tempes, et qu’il gicle sur ses amplis, de ces mains qui frappent les cordes avec violence parce qu’elles ont d’abord appris à les caresser, avec tendresse. Oui, ça devait exploser – ça devait sortir, jaillir, de cette gorge, de ces instruments, respectés… maltraités. In On The Kill Taker est le disque absolu de Fugazi. Le plus beau, le plus fort. Un diamant brut. Alors à quoi bon dégoiser sur chaque titre de cet album et faire le malin ? Ce serait indécent, aussi ne parlerai-je pas en détails de chaque piste pour vous convaincre d’y jeter une oreille, je serais bien incapable de faire de l’esbroufe en parlant d’un tel album – le genre d’album qui rend les petits branleurs dans mon genre humbles. J’ai découvert Fugazi avec cet opus – la première fois je n’ai pas aimé, ça m’a laissé complètement tiède. Je ne voyais pas où était l’émotion dont on me parlait tant là-dedans, je n’entendais que du punk. J’étais juste aveuglé par l’émotion racoleuse, qui m’empêchait de voir celle, sans fard, qui transpire de partout ici. L’émotion est partout oui, seulement ce n’est pas l’émotion qu’on m’avait appris à voir, qui n’est autre qu’un habile maquillage. Aucun maquillage ici : l’émotion est nue. Sèche. Âpre. Directe. Et elle s’écrase pleine face contre toi, en s’offrant toute entière, puis disparaît, puis revient, encore plus dure, avant de s’effacer et de revenir encore, à la charge. C’est pas pour rien que le terme emocore a été inventé pour ça. Fugazi joue avec le son autant qu’avec les silences, pour mieux frapper au cœur. Métronomique. Orfèvre. La batterie tabasse, la basse est serpent, les deux guitares jouent au chat et à la souris avant de s’unir dans un même torrent métallique, de leurs cordes jaillissent des riffs sinueux, brutaux, déglingués, déchirés, lumineux ou vaporeux, le génie frappe à ta porte chaque seconde... et toi tu ferais mine de ne pas l’entendre ? Impossible. Les structures des morceaux te trimballent d’un extrême à l’autre, souvent au sein d’un même morceau la puissance est retorse, j’en veux pour preuve ce "Returning The Screw", qui n’est pas mon titre préféré de Fugazi pour rien : lancinant, tout en violence contenue et agressivité latente, fatal. McKaye est toujours épidermique au micro, le mec balance tout ce qu’il a dans le bide en duo avec Picciotto, et ce jusqu’à l’ultime "Last Chance For A Slow Dance". La tension est permanente tout comme cette rage froide qui coule dans les veines, s’insinue dans les nerfs et jaillit au gré des dissonances, larsens, coupures, étincelles, copeaux de riffs, lambeaux de métal qui strient ces 42 minutes implacables, magnifiques. Un album qui ne ment pas, qui ne triche pas. Une véritable leçon – une punition - un disque à s’écouter pour se sortir la tête du cul, quand on se sent blasé de tout, lessivé. Un disque pur. Un disque précieux. A fleur de peau.

Note : 6/6

Page 16/208 FUGAZI : Red Medicine

Chronique réalisée par Raven

"It's cold outside and my hands are dry. Skin is cracked and I realize that I hate the sound of guitars.” Red Medicine est un disque étrange – après leur chef d’oeuvre (ce mot que j’essayais en vain de ne pas employer) Fugazi change la donne, encore, ne jamais faire deux fois la même chose sans perdre de vue le même objectif : mettre des mots et des sons sur cette colère, ce désenchantement, cette prise de position. Red Medicine est un terrain de jeu plus qu’un entonnoir comme le précédent, un terrain de jeu où on fait ce qu’on veut sans jamais branler du vide – un album difficile à appréhender, qui charme avec le temps et les écoutes répétées. Un album où le groupe fait tout ce qu’il sait faire d’une façon inédite, à savoir de l’emocore/post-hardcore, appelez ça comme vous voulez, je dirai simplement du rock alternatif puisque tout est alternance : on alterne entre hxc punk comme au bon vieux temps ("Back To Base") et des moments à la beauté difforme, étrange, ambiguë. Comme Sonic Youth, Fugazi s’amuse à casser les structures et joue avec des influences nouvelles : free jazz, indus, voire dub ("Version") ou musique répétitive, pour donner corps à son rock unique et le résultat est fascinant, passé un premier contact qui peut laisser sceptique on se laisse peu à peu gagner par la beauté – ce mot et pas un autre – de cet album, l’émotion n’a pas disparue non, elle est juste plus sournoise qu’avant, elle se trame, vipère, dans des compos à différents visages, et ne manque pas de te prendre à la gorge dès que l’occasion se fait trop belle ("Birthday Pony"). Red Medicine demande plus de temps pour être cerné que les autres, mais une fois qu’on est séduit il livre tous ses trésors, habilement dissimulés : de cette ballade louche ("Forensic Scene") à ces intros qu’on pourraient qualifier d’incongrues (par exemple les premières secondes du disque qui sonnent très Shellac, avant de virer sur un délire punk à la Devo). Il y’a cent idées par morceau, et ce qui nous donne d’abord l’impression d’être un album décousu est en fait parfaitement calculé, insolite mais superbe, et très fluide, même lorsque tout se noie dans le bruit des larsens ("By You"), Fugazi est gracieux, élégant, toujours stupéfiant. Cent idées par morceau et autant de génie dans chacune de ces petites perles, des arabesques, des breaks étranges, des averses de riffs, et des solos terribles ("Bed For The Scraping", aaargh), et une fin en forme de désolation. Plus aventureux, plus fou, plus décalé, plus trouble que jamais – le plus expérimental des Fugazi et le meilleur avec le précédent. Unique, tout simplement. In On The Kill Taker et Red

Medicine : l’Alpha et l’Omega.

Note : 5/6

Page 17/208 FUGAZI : End Hits

Chronique réalisée par Raven

" I wonder if I pierce it, will my body stop lying to me ?". End Hits, un Red Medicine numéro 2 ? Non. La première chose que le modeste journaliste que je suis dira à son sujet sera la suivante : il y’a du Pere Ubu dans ce Fugazi. Cette même étrangeté, bizarrerie, cette même sensation de mystère, écoutez "Recap Modotti", "Break" ou "Floating Boy" si vous en doutez. Un peu comme Red Medicine, End Hits est un Fugazi louche, trouble, et même s’il n’est pas aussi beau tous les morceaux de cet album ont quelque chose de magique, un charme bien à eux. Fugazi n’a jamais sorti deux fois le même disque et ils le prouvent encore, et c’est un peu rageant, déjà parce que mon quota de 5/6 est en train de grimper à une allure affolante, ensuite parce que je vais passer pour une groupie – pourtant je n’écoute presque jamais Fugazi. Très rarement. Je sais à chaque fois pourquoi je mettrai un de leurs albums : m’aérer la tête, écouter quelque chose de… pur, encore que cet adjectif ne soit pas très exact, avant de me remettre à des trucs de bœufs joués par des boeufs. Fugazi, c’est comme une thalassothérapie, une remise en forme, c’est peut être le summum de la maîtrise technique mais bon sang, s’il n’y avait pas là-dedans autant de sensations, de délicieux moments, ce n’est pourtant que du rock – incroyable quand même, ce qu’on peut faire avec deux guitares une basse et une batterie. End Hits est tout aussi indiqué que Red Medicine, cet album a une charme bien à lui, quelque chose d’inexplicable, de très subtil, qui nous fait ressentir un plaisir inexprimable à chaque écoute, une fois qu’on l’a bien cerné, et même s’il peut sembler ennuyeux les premières fois. Prenez par exemple ce "No Surprise", pour peu on croirait écouter du grunge, prenez ce "F/D", plus emo que nature, un régal pour les esgourdes. Les coquins se font Sonic Youth, voire Pixies – en mieux s’il fallait le préciser – le chant de McKaye est toujours sur le fil du rasoir, plaintif ou rageur, taquin ou in your face, les riffs fusent, noisy ou chaloupés, les guitares sont plus vicieuses que jamais, elles tressent, elles tissent, elles dessinent des lignes, fluides, malignes, canailles, tandis que les structures sont éclatées, morcelées, les instruments sont mis sur la table d’échec et les pions déplacés intelligemment (on me souffle que cette métaphore n’était pas nécessaire), la beauté apparaît par clignotements, comme la lumière d’un phare (celle là non plus), insolite ou insolente (popopop), et quand elle est là, comme sur ce "Pink Frosty", ballade brumeuse et presque étouffée, le plaisir est total. End Hits est aussi énigmatique et difficile à apprivoiser que Red Medicine, mais une fois qu’on l’a bien cerné on en tombe amoureux. Un album espiègle et fascinant.

Note : 5/6

Page 18/208 FUGAZI : The Argument

Chronique réalisée par Raven

“ Take me over and blow out my mind ”. Le voilà, mon Fugazi à 4/6, qui aurait pu aussi être la B.O. de Instrument mais je la laisse volontiers à quelqu’un d’autre. C’est vrai que je l’aime pas beaucoup, ce dernier album, même si tout reste très contrôlé, maîtrisé et tout-ce-que-tu-veux - on parle de Fugazi après tout - je le trouve un peu froid, il lui manque quelque chose qu’avaient les anciens, peut être tout simplement cette chaleur, qui quoi qu’on en dise était bien présente dans End Hits. The Argument est un Fugazi aéré, presque aérien, desséché, avec quelques moments puissants, très noise rock ("Nightshop", ou l’excellent "Epic Problem", certainement un de leurs plus beaux titres). Il manque de caractère, et ce jusque dans les ballades, même si la petite ritournelle limite Red Hot au début nous leurre. Les quatre zicos ne sont pas encore prêts à faire du easy-listening et un Fugazi n’est jamais gagné dès les premières écoutes, mais j’ai beau y retourner, je le trouve un peu tiède, ça joue net et précis, toujours inventif et alerte, sournois, mais c’est un peu fade. Il y’a assurément quelque chose de désabusé dans cet album, quelque chose d’épuisé, de fatigué, une impression de dernier sursaut avant la mort, et c’est aussi ce qui fait sa qualité. Pour le chant, McKaye est toujours surprenant : le lascar nous fait même son David Yow sur "Full Disclosure", mais sur la longueur il donne plus dans le chant pop, adoucit quand il ne gueule pas - on dirait qu’il a un flingue pointé sur la tempe, comme si une partie de son âme l’avait quitté, malgré deux ou trois sursauts pour rassurer, la colère est plus adulte que jamais mais des signes d’épuisement se font ressentir, ou alors c’est ce qu’il essaient de nous faire croire, parce qu’il y’a tout de même quelques moments où on retrouve le Fugazi de Red Medicine, mais en même temps... mfff… En fait, ce que je s’essaie de dire maladroitement c’est que cet album est très bien fichu mais un peu chiant, voilà, même si on peu se laisser bercer et que la maîtrise sur tous les niveaux est au top, qu’il y’a encore des mélodies qui font mouches (l’étrange ballade "Life And Limb" ou ce "Strangelight" qui donne des frissons dans le dos), on atteint pas le niveaux des anciens, il y’a quelque chose de froidement exécuté qui empêche cet album d’être vraiment attachant, même passées quelques écoutes forcées. Un Fugazi moyen reste bien sûr meilleur que ¾ des daubes post-rock actuelles, mais ce chant du cygne (si c’en est bien un) est un petit peu décevant, voilà. Une fin un peu amère… comme toutes les fins, si on y réfléchit bien.

Note : 4/6

Page 19/208 QUICKSAND : Slip

Chronique réalisée par Raven

Aucun artifice. Pas de maquillage… ça n’est pas une question de production, le génie, c’est de faire de l’or avec des choses simples. Quicksand comme Fugazi, c’est le genre de groupe qui met bien dans l’embarras le chroniqueur avide de belles phrases chiadées, riches en métaphores et en racolage. Que dire ? Que c’est beau, déjà ; une beauté pure, brute, celle du début des années 90, toute l’énergie qu’on pouvait déployer à huit bras. Avant que le mot emocore ne soit perverti par toute une flopée de branleurs qui n’ont d’emo que la mèche, et qui on fait confondre l’emocore originel avec les musiques de générique pour teen movie qu’on entend aujourd’hui, il y’avait au moins deux formations pour jouer aussi fougueusement, et sincèrement. Quicksand sonne un peu plus grunge que Fugazi (je ne sais pas si c’est le chant ou le son plus chaleureux des guitares qui me font dire ça), mais tout y est clair, limpide. Tout va droit au cœur. Une tonne d’idées par morceaux, des changements de rythme, de mélodies, au fur et à mesure, sans perdre une once de fluidité, sans qu’une seule seconde cela sonne le moins du monde progressif, des structures géniales, jouissives, surprenantes, où tout se joue à l’instinct, au feeling. Pour sûr, cet album aurait de quoi en remontrer à Tool. Mais il y’a des nerfs ici – tout est dans les nerfs, la voix, les pupilles, tout se joue à l’impulsion, au break fatal, vas-y que je te balance un riff mortel Helmet, vas-y que je t’envoie du groovy Rollins – hop, que je dérive sur un bon gros solo des familles à la Soundgarden – et hop ! que je t’envoie un autre riff qui tue, et tout ça en moins de 3 minutes chrono. Tout est dans le regard, le geste, tout se joue au coup de main, nul besoin d'étoffe, de rajout, ces quatre petits gars travaillent avec ce qu’ils ont – et tout est naturellement scotchant. Doigté, précision, élégance, simplicité dans la complexité (ça ne veut rien dire comme ça, mais c’est ça), fougue, eheh, les mots ne manquent pas finalement, mais un seul me vient à l’esprit pour résumer ces 40 minutes de bonheur : efficacité. Une efficacité au service de la beauté, pas cette beauté fardée du post rock qui nous a détourné le regard du vrai post-truc, le post-hardcore, voilà le terme que je cherchais : la beauté nue, sincère, comme pour Fugazi – celle qui, limpidement, nous coule jusqu’aux oreilles et nous fait remercier le Seigneur pour ce merveilleux instrument que sont les cervicales. Merci mon Dieu.

Note : 5/6

Page 20/208 FUGAZI : In On The Kill Taker

Chronique réalisée par dariev stands

Le Washington Monument baigné dans une lumière jaune apocalyptique… et cet étrange morceau de calepin à droite… Un calepin que le groupe aurait trouvé dans la rue, et d’où le nom du skeud est donc tiré. Tout comme la lettre d’enfant effrayante qu’on peut lire en ouvrant le livret, ces tranches de vies anonymes sont symboliques du désordre qui fait sens, transcendé par le bruit… In on the kill taker, à la base, était enregistré par Steve Albini. Et comme Fugazi ne fait rien comme tout le monde, il se trouve qu’ils sont l’un des seuls groupes à ne pas avoir apprécié le résultat de sessions avec le binoclard de . Du coup, c’est la version ré-enregistrée avec Ted Niceley, leur producteur habituel (ainsi que celui de Girls against boys et de … Noir dez) que nous connaissons. De tous leurs albums, Kill taker est celui qui recèle les guitares les plus tuantes, les plus inventives, et avec si peu d’effets – écoutez le "solo" qui décape à la fin de Great cop ! Ce que Fugazi a réussi à prouver, tout au long de sa carrière aujourd’hui acclamée de partout et avec un chouïa de bigoterie superflue, c’est que le voyage était plus important que la destination, le mouvement plus important que le résultat. Et ce n’est pas seulement valable pour leur parcours artistique irréprochable, de l’hymne introductif "Waiting room" à "The Argument", la chanson-titre de l’album du même nom ; c’est aussi valable pour leurs chansons. Ici, l’important ce n’est pas tant que Returning the Screw commence doucement pour finir en raclée post/emo/spazz /quoi-que ce-soit core, c’est le cheminement entre les deux. Pareil pour l’épique et mystérieux 23 beats off, où la tension pousse progressivement telle une plante grimpante autour des murs de guitares, avant d’ouvrir la porte sur l’instrumental décharné Sweet and Low. L’album est parsemé d’allusions pas forcément évidentes, rejoignant un peu la poésie labyrinthique de Zack de la Rocha… Ainsi, on y trouve des références au cinéma américain, comme sur ce Walken’s Syndrome (qui finit sur le début de Where is my mind… si si), clin d’œil au personnage joué par Christopher Walken dans Annie Hall de Woody Allen, qui rêve d’avoir un accident de voiture, ou l’énorme Cassavetes, au titre assez évident. Et puis il y a ce Smallpox Champion qui traumatise encore plus quand on en apprend le sens… Est évoqué ici l’un des moyens les plus infâmes employés par les colons américains pour se débarrasser des très problématiques indiens : leur distribuer des couvertures infectées par le virus de la petite vérole, avec l’air de dire "tenez, c’est pour qu’vous ayez pas froid". Inutile de dire que l’amertume du groupe est perceptible… Tel un liquide acide qui ronge la peau si l’on s’y expose trop, et que Fugazi désinfecte à grands coups de lance-flammes, comme lors de la fin de ce même morceau, envolée déchirante aux harmonies salvatrices. Alors évidemment, comme sur chaque opus de Fugazi, il y a LE tube. Ici, c’est Cassavetes, merveille d’énergie canalisée, digne d’un moine shaolin pratiquant le kung-fu le plus spectaculaire, avec cette batterie quasiment drum’n’bass qui laisse estomaqué, sur le carreau. Tout cela est cool comme du Beastie Boys, et n’a pourtant rien à envier au tabassage rigoureux de Minor Threat… Tout est équilibre dans Fugazi. Piciotto c’est le mec cool, à la voix jeune et insolente, qui a trop la classe avec ses poses de Joey Ramone branché sur 12.000 volts sur scène ; et McKaye, c’est le mec pas cool, le nerd en charge du business qui se révèle être un écorché vif. Le mélange des deux, appuyé sur un batteur génial d’inventivité et un bassiste immobile qui fournit une assise imparable (comme Entwistle chez les

Who, auxquels ils ressemblent), ben c’est Fugazi.

Page 21/208 Note : 5/6

Page 22/208 FUGAZI : Red Medicine

Chronique réalisée par dariev stands

Voici un album qui ne supporte pas vraiment une écoute distraite. L’un des moins accessibles de Fugazi ; il n’en est pas moins riche, si l’on se penche sur les paroles, ainsi que sur le travail de production, qui ira en s’amplifiant avec les années pour le groupe, retournant parfois au Hardcore le plus pur (itain ?) des débuts, sur un morceau direct et bien lattant comme ce Back to base. Globalement, ils font quand même un pas vers l’inconnu avec ce disque. Do you like me est une ouverture éruptive digne des Who, que le groupe a toujours évoqué : frustration adolescente, interruption par un couplet qui n’a rien à voir, puis retour à cette question finalement à jamais sans réponse, qu’on ne posera pas pour cause d’apathie, en remettant "à demain", en français dans le texte. Que dire, si ce n’est que des phrases comme "tu devrais payer un loyer dans mon cerveau" ou "end of the lesson time for one question" résument à elles seules plusieurs années de nos vies mieux que n’importe quelle étude sociologique. Si c’est ça l’emo, alors ok. Fugazi envisageait l’emocore comme un sport, et non pas comme un réceptacle à cyprine et larmes faciles comme on peut l’entendre aujourd’hui avec des choses comme Boulet for my valentine, qui n’ont de cesse d’attrister les gens pourvus d’oreilles… La preuve sur l’émouvant Long Distance Runner, où MacKaye semble se perdre en introspections à la Joy Division (dont le fantôme plane sur tout le disque), comparant sa quête de vérité à une course de fond, à un combat "contre la gravité" : "The farther I go the less I know/One foot goes in front of the other". Et si le jeu de guitares jumelles de McKaye et Piciotto – qu’on a souvent comparé à Tom Verlaine et Richard Lloyd de Television, c’est dire – est aussi athlétique que leur jeu de jambes sur scène, ce n’est pas un hasard. Après tout, quelle conséquence plus logique pour le Straight Edge, après l’ascétisme imposé par la restriction de tout, que de s’imposer une technique rigoureuse ? Et voilà le math rock qui commençait à naître, quelque part. Car sur ce Red Medicine (titre énigmatique s’il en est), les deux six-cordes complémentaires des deux leaders du groupe s’entrelacent vraiment à merveille, brouillant les notions désormais caduques de guitares lead et rythmique, et figeant leurs nombreuses contradictions (musicales ou non) dans ces effluves de grattes presque métalliques, inconfortables, exprimant la rancœur de la scène indé ricaine, en bien piteux état en cette année 95. L’humeur n’était pas à la fête, après un "Kill taker" bien swinguant et plein de vigueur… Et ce ne sont pas les paroles de ce Red medicine qui vont me contredire. Target et By You sont clairement des appels aux kids, des incitations à former des groupes et à ne pas se laisser marketer, mais ce sont avant tout des constats d’une situation bien peu reluisante : la victoire de l’establishement, qui, après 15 ans, a fini par récupérer l’underground, pour mieux le laisser tomber aussi sec, et ouvrir, en quelque sorte, le "marché" à une foule de copieurs plus ou moins intéressés. Target, en particulier, est un tube à la hauteur de "Waiting Room", à la ligne de basse évocatrice, et surtout aux paroles absolument imparables : tu n’es qu’une cible, gamin, la proie d’une armada de consuméristes qui ont acheté le mot "génération" pour en faire une manne. Le quasiment funky (les Red Hot trouveront matière à se réinventer en écoutant cet album, voire aussi "Forensic Scene") Birthday Pony dresse quant à lui un tableau sordide d’une famille fondée sans amour, situation qui ne peut que virer à la violence… tout comme le morceau. A moins que ce soit une illustration de la schizophrénie du rythme de vie tournées/vie de famille ? Qui sait ? Fugazi a gardé du straight edge cette propension à ne pas trop gamberger, et à laisser le champ libre toutes les interprétations. Le titre de l’album peut mettre sur la voie vers des thèmes pharmaceutiques - récurrents au cours du disque - comme sur le clinique et blafard Fell, Destroyed où le chant

Page 23/208 plaintif de Piciotto invoque le souvenir de Tenor Saw, chanteur de mort dans des circonstances troubles, ou encore Latest Disgrace, qui fait allusion à un procédé de l’industrie pharmaceutique auquel il ne veut mieux pas trop penser : celui de produire des médicaments qui rendent malade, histoire de multiplier les ventes. Red Medicine , au final, reste un album plein d’aigreur, visionnaire dans le sens où il évoquait son époque avec une acuité et une immédiateté que seul le hardcore peut permettre, mais qui n’a pas forcément bien vieilli ( si l’on omet les inébranlables Target et Do you like me)… coincé entre un Kill Taker difficilement surpassable dans son genre et les deux derniers efforts du groupe, qui creuseront plus loin le filon dub/post-rock à la slint/expérimentations… Pas un album facile, ça c’est sur.

Note : 4/6

Page 24/208 : No Comment (1984-1985)

Chronique réalisée par Raven

Electronic Body Music ? Alors c’est de là que viendrait ce terme ? Ce qu’on considère communément comme "la base" avec DAF. Officiellement l’EP No Comment – et non Geography - est considéré comme le commencement : il s’agit bel et bien du manifeste EBM (terme inventé par De Meyer), mais officieusement c’est une autre histoire… ce qui est cocasse (ou pas) c’est de constater à quel point Alles Ist Gut de DAF a mieux vieilli que ce 242 alors que ces morceaux qui datent à la base de 83-84 si on excepte "Body To Body" sont sorti 3 ans après. F 242 par rapport à DAF ne faisaient pas une EBM seulement minimale et martiale, les belges considérant leur groupe comme une sorte de laboratoire où toute forme de lien avec le rock est proscrite, cette bande de pisse-froids dégoûtés par le disco voulaient danser sur du carré, ils fignolaient des morceaux basés sur un rythme glacial et abrutissant, délesté de toute chaleur, un beat synthétique calqué et recalqué méthodiquement, et brodaient des sonorités robotiques, technoïdes, droïdes avec les nouvelles technologies autour de ce squelette rythmique implacable, travaillaient les boucles pour en faire ressortir un maximum de froideur, de menace. Ils font partie des tous premiers à avoir eu recours à des samples, effets, changements de rythmes, les structures des morceaux étaient plus complexes, avec des beats tour à tour funky ("Commando Mix") ou massifs ("No Shuffle"), tout ça avec un seul et même but : froide lobotomie + mouvement du corps sur un rythme pas plus sympathique, orné de sons flippés, échos de guerre froide et chaos contrôlé. C’était un son nouveau, une nouvelle façon de penser l’indus et la dance music combinés avec des sonorités plus riches et variées que chez DAF (regardez par exemple ce "Deceit", qui sonne très Japan) – un processus que personnellement je trouve assez proche de celui qu’on a sur les premiers Yello, le côté festif en moins bien entendu, couplé à la dureté des vieux Neubauten. Echantillonnage méticuleux, conception du rythme parfait, mélodie bannie, etc, etc, ces mecs se considéraient comme scientifiques plus que comme musiciens et si c’est ce qui fait leur qualité pour les fans j’avoue que c’est aussi ce qui m’empêche un peu de prendre mon pied. Ce processus allait comme on le sait contribuer à changer la donne, et inspirer toute une scène à venir, au Canada par exemple. Ce No Comment est clairement l’ancêtre des Skinny Puppy et FLA, la même recette avec dix ans d’avance et moins de caractère, la voix de Jean-Luc étant tellement froide et constipée qu’on a bien du mal à s’y attacher, c’est aussi le but évidemment : 242 est militaire et raide comme la justice, presque totalement déshumanisé comme Kraftwerk, une Body Music pour gros coincés qui tripent sur les treillis… et pourtant ! Quand la recette se fait presque cold wave comme sur Lovely Day ou No Shuffle, on esquisse un sourire béat. Merde, Jean-Luc, cette espèce de Ian Curtis raté, aurait bien pu faire un sacré chanteur goth, s’il n’avait préféré s’engager dans l’infanterie ! “It was a lovely day, the daaay you walked away…..” Il ne se gênera pas plus tard pour se remettre à ce genre de chant plus prononcé, avec Cyber-Tec. Pour ce qui est du reste de cette réédition de l’EP culte, je suis moins amateur, "Special Forces" (avec ses samples d'Apocalyspe Now) ou "SF.R Nomenklatura", bof bof, quand aux deux live de fin ainsi que la démo, ils sont parfaitement superflus. En fait, on gardera surtout de cette réédition "Body To Body", le morceau-phare de l’EBM au même titre que "Der Mussolini", et le plus gros tube de 242, plus encore que "Headhunter", avec ses samples pornos jouissifs et son rythme stressant, galvaniseur… un des meilleurs (si ce n’est le meilleur) morceaux d’EBM de cette époque révolue.

Page 25/208 Note : 4/6

Page 26/208 COMPILATIONS - DIVERS : Not Alone

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Excellente initiative de Marc Logan (Jnana records) que la sortie de cette énorme compilation visant à lever des fonds pour Médecins Sans Frontières. Afin de réunir tout ce beau monde dans un laps de temps plutôt bref, il a contacté David Michael Tibet, au carnet d’adresse plus que rempli, qui a salué la démarche et s’est employé à rassembler des musiciens de tous styles. On trouve de tout dans ce coffret, inédits ou non, que je vais tâcher de résumer plutôt que de faire piste par piste (aussi rébarbatif pour vous que pour moi) : de l’indie folk plutôt classique (Damon & Naomi, Devendra Banhart, Isobell Campbell (Belle & Sebastian) mais évidemment beaucoup de dark-folk avec et tout le petit monde qui s’y rattache (on constatera que Tibet a contacté tout ce qui a pu mettre les pieds sur son propre label, Durtro : John Contreras et Simon Finn, musiciens habituels du groupe, mais aussi Pantaleimon, Shirley Collins, Bill Fay, , Antony (& the Johnsons), Shirley Collins, Clodagh Simmons (de Fovea Hex)) ; parmi les grands de la scène underground on retrouvera sans surprise les ex-Swans Jarboe (en solo) et Michael Gira (sous le nom Angels of light) ou encore Edward Ka-Spel (des Legendary Pink Dots). Mais la folk mélancolique n’est pas seule matière musicale, c’est sans compter sur les infatigables illuminés : Nurse With Wound, mais aussi Coil, Aube, Hafler Trio, Keiji Haino, Charlemagne Palestine ou, surprise, la noise de Thurston Moore et un spoken-word de Thee Majesty. Musicalement même si la variété stylistique est de mise tout est plutôt calme, voire cotonneux et malgré quelques bizarreries de ce que j’aime à nommer ‘freaks à guitare’ (c’est assez compréhensible non ?) la cohérence du projet est remarquable et chacun met un peu de ses gimmicks de côté pour ne former qu’une voix solidaire. Boyd Rice n’est pas de la fête (tu m’étonnes) mais on a même le droit à ce vieux fou d’Allen Ginsberg qui nous lit du William Blake ! Alors c’est sûr qu’il ne s’agit nullement de leurs œuvres les plus audacieuses, peut-être même qu’il s’agit de la sortie la plus accessible, tout public de Jnana - mais c’est tout à fait pensé dans cette intention : faites d’une pierre deux coups, offrez le coffret (qui n’est pas si cher soit dit en passant, il se déniche autour de 25 euro) à un enrhumé musical pour lui offrir de nouveaux horizons, et faites votre BA du jour par la même occasion – aux dernières nouvelles l’opération a permis de reverser plus de

20000£ à MSF. On salue le geste, le travail et la qualité du contenu.

Note : 5/6

Page 27/208 FUGAZI : The Argument

Chronique réalisée par dariev stands

Le voyage. Voilà ce qu’exprime The Argument. Rarement disque aussi désabusé n’aura suscité un enthousiasme critique aussi fervent. L’Emocore dans l’age adulte, m’sieux dames ! Fugazi dans les Inrocks ! Le style arrivait ici à son aboutissement, et Fugazi au bout de son discours critique et poétique. Tout comme At the drive-in à la même époque – qui aurait bien fait d’apprendre à maîtriser l’épure et l’émotion pour ne pas se trouver largué à des années lumières quand ce disque est sorti – Fugazi allait se séparer au seuil de la reconnaissance internationale. Un bail que cette affaire durait… Ceux qui parlent de maturité feraient bien de se rappeler que celle-ci à déjà été durement acquise avec un certain Minor Threat… Alors nous y voilà, premiers coups de batterie, toujours aussi swinguante, premiers accords de guitare, toujours aussi fiévreux, première lignes de chant, toujours aussi soulful… « On the morning of the first eviction »... L’émotion est palpable d’entrée de jeu, on veut savoir de quoi ça parle, on se délecte de la limpidité chromatique de cet album, de ses accents mélodiques et accessibles mais jamais pop (c’est pourtant le disque le + facile de Fugazi pour la découverte, et de loin). Cashout : expulsions et déménagements forcés, meubles dans la rue, propriétaires véreux… On croirait une chanson sur la crise des subprimes, pourtant tout cela a bien été enregistré début 2001, un peu avant le 11 Septembre, en pleine overdose de confiance outre-atlantique. Le violoncelle vient déjà appuyer l’émotion du morceau sur ce premier titre, il reviendra procéder à sa sombre besogne sur le pénétrant Strangelight. En attendant, Full Disclosure se commence sur les harangues irritantes de Picciotto et se termine sur des harmonies vocales presque angéliques. Même schéma pour Epic Problem, dont la dualité « hardcore / tube en puissance » apporte une profondeur diabolique à la chanson. L’introspection commence sérieusement avec Life and Limb, où 4 hommes larguent les amarres pour une contrée imaginaire connue d’eux seuls, où les problèmes semblent enfin loin, comme lors de ce solo presque psyché doublé de claps incongrus, où de l’encore plus étrange The Kill qui suit, à l’ambiance de lumières lointaines et de salle d’attente… Mais ce n’est plus la salle d’attente de Waiting Room, c’est un paysage de désolation pré-apocalyptique aux multiples sons qui vous transpercent de leur cruauté comme les rayons de soleil d’un matin sur la ville… C’est Joe Lally qui chante, brisant ainsi la routine d’alternance McKaye/Picciotto. Strangelight poursuit dans le doux-amer, avec ces accords bizarres mais pourtant confortables, avant que Oh ne vienne remettre un peu de vinaigre dans tout ça, avec un Picciotto très remonté contre la culture néo-libéraliste (« Je pisse sur vos modems », hum, nous voilà bien). Ex-Spectator fait l’effet d’une bombe dans le déroulement de l’album… Putain de tube, aussi fort que Waiting Room ou Target, réunissant une fois de plus expérimentations, riffs affûtés comme les crocs d’un jeune loup et lyrics qui font réfléchir… Avec ici en prime les effets de studio propres à The Argument, évoquant la pochette de l’album précédent et rappelant presque certains Radiohead. Ce tour de force s’achève avec la chanson-titre, le plus beau morceau du groupe, sans hésitation. Le thème est incertain, encore et toujours, mais la montée, irrésistible. McKaye pose des questions dont on aura jamais la réponse (« how did a difference become a disease ? ») et règle ses comptes avec le moralisme du punk, qu’il a laissé tombé après Minor Threat… Son groupe atteint ici des sommets de grâce et d’émotion, entre ultime profession de foi (« I’m on a mission to never agree ») et rédemption par la musique, sans le moindre effet de manche, juste un crescendo à faire pâlir tous les amateurs de réquisitoires sur 20 minutes du post-rock. The Argument est un disque qui s’apprécie au fil des années, au gré des multiples secrets qu’il recèle, tels ces passages électroacoustiques,

Page 28/208 presque progressifs, à la fin de Nightshop, alternés à un plan à la Dinosaur JR. et à des saillies presque Noise, quand la dynamique ne verse pas dans du RATM, autre groupe qui doit beaucoup à Fugazi et à Minor Threat. Le groupe de Piciotto et McKaye atteint là une synthèse et un équilibre mystérieux entre mélodie et corrosion, entre grattes râpeuses et arrangements subtilement surréalistes. Leur meilleur album, pour ma part.

Note : 5/6

Page 29/208 GUAPO : Elixirs

Chronique réalisée par dariev stands

Une fois n’est pas coutume, proggy avait eu le nez creux quand il avait prédit que le prochain disque de Guapo sortirait sur Neurot. Le groupe, en réalité, avait signé sur Cuneïform alors même que le label de Von Till et celui de Mike Patton, Ipecac, le courtisaient. Une situation qui a de quoi faire des envieux chez bien des musiciens… Alors, pour honorer ces 3 beaux prétendants, la formation en constante mutation de Daniel O’Sullivan avait décidé de publier un disque sur chacun de ces labels, l’un après l’autre. Sauf que cette décision n’a été connue que récemment, alors que le groupe s’expliquait sur cet étrange ballet de labels. Proggy avait eu donc raison. Et c’est donc moi qui me colle à la chronique du dernier opus. Brisons le suspens – si suspens il y a, car avec Guapo, on commence à savoir à quoi s’en tenir – ce n’est pas avec Elixirs que Guapo va devenir un groupe indispensable. Tout comme Grails, ils ont choisi la variété et l’instabilité comme arme contre la routine et l’enlisement dans le pathos facile des musiques "à crescendo" (post ou pas post). Ce six Elixirs sont de vrais labyrinthes de chausses-trappes, enclaves et miroirs aux multiples recoins, rythmiquement très complexes, toujours aidés par une production ciselée qui confine au mysticisme. Le premier contact est excellent : le livret est somptueux, tout en vitraux en noir et blanc d’une originalité rare et très surprenante, et les titres semblent chacun receler leur petite allusion littéraire ou occulte. Jeweled Turtle fait référence à l’animal dont Des Esseintes serti la carapace de joyaux pour son propre plaisir esthétique dans le mythique livre "A Rebours" de Joris Karl Huysmans. Arthur, Elsie and Frances évoque Arthur Conan Doyle, Elsie Wright et Frances Griffiths, etc… Si ces deux premiers titres naviguent dans une Zeuhl instrumentale et presque ambient où résonnent violons dissonnants et percussions ésotériques (la clé de voûte de l’ambiance de cet album), laissant subodorer que Guapo a tout autant été traumatisé que nous par le festival Rock In Opposition de 2005, le diptyque Twisted Stems se veut le reflet de l’opposition "solaire/lunaire" et "harmonie/dissonance". Les voix s’y invitent avec une discrétion minutieuse qui s’apprécie (un peu de nuance, ça fait du bien), Alexander Tucker sur Heliotrope et la très sépulcrale Jarboe sur Selenotrope. Guapo cherche, et ça, c’est bien. Trouve-t-il ? Là est la question. On a beau retourner l’album dans tous les sens, on y trouvera pas d’autre utilité qu’un très agréable fond sonore qui ne lassera pas pour vos soirées "ésotériques"… La composition, et ce n’est pas une nouvelle, n’est pas le fort de Guapo. Les ambiances, si.

Note : 4/6

Page 30/208 THERAPY? : Caucasian Pyschosis

Chronique réalisée par Raven

C’est encore jeune, c’est encore balbutiant – mais bon sang, qu’est-ce ce c’est bon ! Si cet album avait eu la prod d’un , on en aurait beaucoup plus parlé croyez-moi, seulement comme pour le premier EP de Jesus Lizard il est communément admis que le Therapy? des débuts était encore trop jeune, trop foutraque… par tous ceux qui n’aiment pas vraiment Therapy? pour ce qu’ils sont, en fait, ce groupe a toujours eu à voir avec l’adolescence, même si le chant d’Andy est bien adulte, lui. Je ne suis pas groupie, ou peut-être que si, parce que j’y trouve mon bonheur sur ces EP’s. Oui le son est moisi, oui tout ça a été enregistré dans un gobelet, à la sauvage, à l’arraché, oui, Therapy? ne maîtrise pas encore tout et tout est encore bien brouillon, mais cette fougue, cette hargne… cette façon de sonner singulièrement, déjà, alors qu’on a tout juste décroché son baccalauréat et perdu son pucelage, sont bien la marque des plus grands. Franchement, des groupes qui sonnent comme Therapy?, vous en connaissez beaucoup ? Des qui ont le même feeling, le même charisme, cette même façon de faire rimer Husker Dü avec Killing Joke, Big Black avec Joy Div’, Scratch Acid avec Offsping, les Stranglers avec Metallica, sans que jamais on ne pense vraiment à l’un ou l’autre, qu’on se dise juste "c’est unique". Causasian Pyschosis n’est pas vraiment un album mais la compilation des deux premiers EP’s du groupe (Babyteeth et Pleasure Death), et si on écoute bien, tout est déjà là, absolument tout, sauf les ballades (encore que), et sans la production méritée pour de telles compos. Ce jeu/son de batterie reconnaissable entre mille, ce chant charismatique, ces riffs sournois décochés à la sauvage, cette fusion tout simplement, pas la fusion comme "fusion" (terme barbare inventé pour qualifier les vilains jazzeux/rappeurs afro-américains qui – ô stupeur – savent jouer du rock !) mais fusion, comme mélange, un mélange qui sonne naturel, instinctif. Métal alternatif ? On ne pourrait être plus euphémique : Therapy? est métal oui, autant que punk, autant que hardcore punk, autant que noise rock, autant que pop, que gothique même (ça dérange quelqu'un ?) autant qu’Elvis Presley. Therapy? aurait pu être un groupe de grunge, Therapy? aurait pu devenir un groupe de post hardcore, mais Therapy? est devenu Therapy?, un groupe de rock avec un son et une personnalité uniques, et sur cette compile c’est la genèse d’une carrière en marge qu’on a, et de sérieuses pépites à la clé : rock déchiré sur "Animal Bones", délires Butthole de-ci de-là, riffing assassin sur "Innocent X" ou "Potato Junkie" (moi il m’éclate toujours autant la tête ce titre, pas vous ?), ou grunge dissonant sur "Loser Cop", voir grunge tout court ("Skyward"), et j’en oublie encore, et on s’en fout puisque tout est bon. Ah, oui, vraiment… si tout ça avait été fait avec l’habillage cousu main de Troublegum ou , on y ferait plus attention.

Note : 4/6

Page 31/208 THERAPY? : Born In A Crash

Chronique réalisée par Raven

Maintenant la question pour une championne avec à la clé 3 magnifiques encyclopédies retraçant l’histoire napoléonienne dans un magnifique coffret édition limitée reliure imitation or pour nos finalistes Yvonne et Josette. Yvette, Josonne, êtes vous prêtes ? TOP ! Je-suis un-EP-de Therapy-sorti-entre-Nurse-et-Troublegum, ayant-la-particularité-de-contenir trois-inédits-dont le-tube-qui-tue "Opal-Mantra"et-le-King-dans-ta-face-en-moins-de-deux"Bloody-Blue"qui-du-haut-de-ses-une-minute-et-quelqu es-envoie-du-bois-je-suis-également-fier-d’avoir-en-mon-sein-deux-des-meilleurs-titres-de-chacun-des-albums- sortis-avant-et-après-moi-à-savoir"Turn"et"Neck-Freak"mais,ô-déception-la-version-de"Neck-Freak"présente-ic i-est-honteusement-raccourcie-et-les-beuglements-à-la fin-sont-salement-castrés-par-rapport-à-l’originale,je-suis-assez-peu-à-mon-avantage-concernant-les-live-qui-à- part-"InnocentX"et-quelques-frissons-inévitables-ne-valent-en-rien-les-versions-studio,je-suis-purement-coincé -entre-deux-tueries,je-sers-de-complément-nutritif-à-Nurse-et-je-sers-de-mise-en-bouche-à-Troublegum,je-sers- d'entracte-eheheheheh, ahahahahAHAHAHAH OHOHOHOHOH, et et et et et eeeeet, je suis, je suis, je suiiiis, JE

SUIIIIS… Born In A Crash ! Effectivement Josette, ça n’était pas une question.

Note : 4/6

Page 32/208 COIL : Windowpane

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Ah ‘Windowpane’, LE titre le plus « Mature Audience » de Coil. Je ne dis pas que le sexe n’ait jamais été abordé par nos amis, loin s’en faut ; mais il le fut souvent de façon soit homoérotique soit franchement explicite – ‘The Anal Staircase’, ‘Penetralia’, pour ne citer qu’eux – et pour la première fois on a plus envie de laisser ses doigts glisser le long de peaux diaphanes que de se faire brutalement, hum, par des cinglés mystiques… sur une rythmique downtempo et une basse enveloppante, des chants qui ressemblent à de longs gémissements se promènent en fond, entourés de glitches tandis que John nous récite ses mantras dans une voix profondément sensuelle – Gold is the sky / In concentrate / Power in its purest state / Power will rise / Power will fly / Through the window and / Through your eye… un titre sur lequel la planète entière devrait faire l’amour, je vous le dis. La face B, ‘Astral Paddington mix’ est un instrumental qui remplace la voix de John par encore plus de gazouillis électroniques. Agréable mais dispensable. Alors, comme pour ‘The Snow’, je ne peux pas mettre plus en sachant que ces Eps n’apportent rien de transcendant aux originaux, tous deux sur le même album – mais les avoir mis à disposition du tout venant signifiait bien que Coil était conscient de leurs potentiels respectifs. A noter qu’il existe une réédition des deux singles dans un seul CD mais comme à chaque fois avec ce groupe, c’est une rareté et il sera bien plus facile de se les procurer séparément...

Note : 3/6

Page 33/208 COIL : The Snow EP

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Seule véritable incursion de Coil dans le monde de la techno, ‘The Snow’ est LE titre a fait débat à l’époque sur ‘Love’s Secret Domain’ tant la formation était éloignée du dancefloor avant celui-ci. Mais Coil n’a jamais caché son amour de l’électronique et on leur pardonnera facilement cette dérive tant elle est assumée avec brio ! Les remixes les plus technoïdes sont assurés par Jack Dangers (Meat Beat Manifesto) sous le nom ‘Answers Come in Dreams’ (I & II) ; le premier étant très répétitif et l’autre, plus réussi, dans un virage acid house très profond et immersif, sans doute la meilleure variation avec ‘As ‘Pure As ?’ et son émouvant final. ‘Out in the Cold’ ressemble un peu trop à l’original et malgré quelques incrustations identiques à l’intro ‘Driftmix’ rien à signaler. On notera la présence du titre original en dernière piste pour ceux qui n’auraient pas ‘Love’s Secret Domain’ (les malheureux). Bon, même si tout cela n’est pas très sombre ni expérimental et sert plutôt à s’envoyer de temps à autres ou à caser dans un mix tous publics, ça reste de la bonne qualité et un ajout intéressant à qui s’intéresse à l’histoire du groupe.

Note : 3/6

Page 34/208 AGNELLO (Francesco) : Hang 1

Chronique réalisée par Sheer-khan

Ce disque, merveilleusement lunaire et accessible, n'en démeure pas moins un des disques les plus expérimentaux parmi ceux que l'on peut trouver dans notre vénérée bibliothèque. La raison en est fort simple : contrairement à ce que son nom, son apparence de bol tibétain géant et ses premières sonorités peuvent laisser penser, le Hang est un instrument entièrement nouveau, inventé il y a quelques années à peine par deux suisses, qui ne cessent depuis lors de le perfectionner. A ma connaîssance ils en sont aujourd'hui à la cinquième génération; sur ce disque, l'instrument d'Agnello est une version trois. Fabriqués à l'unité, il en existe forcément très peu sur la planète, mais il existe encore moins de Francesco Agnello, capable de se l'approprier avec autant d'évidence, mais aussi de dextérité. La prouesse que représente ce disque est triple : l'instrument lui-même, tout d'abord, totalement monobloc et monomatériau comme seules peuvent l'être quelques percussions primitives, dont le son n'a même pas besoin du bois d'une baguette puisqu'il se joue à mains nues, et qui malgré cela s'impose comme aussi mélodique que percussif, à la croisée des mondes. La prouesse technique d'Agnello, ensuite, qui semble virtuose absolu, maître des moindres possibilités, capable de toutes les nuances possibles, d'un instrument qui vient pourtant de naître. La prouesse d'Agnello compositeur, enfin, car le premier attribut de cette musique n'est ni la nouveauté, ni la surprise, ni la technicité, mais tout simplement la beauté. Expérimental au plus haut point comme l'instrument est nouveau né, mais parce qu'il est aussi entièrement seul, 50 minutes de musique qui ne reposent donc que sur les seules capacités de l'instrument, monobloc encore une fois, et qui ne peut ainsi se prévaloir du spectre mélodique d'une guitare aux 6 cordes ou d'un piano aux 88 touches. Pour bien connaître maintenant ce disque et ce que Agnello y déploie, je dirais que le Hang possède à peine plus d'une octave dans les aigus, avec lequel il faut ourdir ses mélodies, et que les notes basses dont Agnello fait ses battements de coeur et par lesquelles il impose donc ses fondamentales, doivent être au nombre de une ou deux. Ensuite, tout ne sera que toucher, micronuance, rythme et imagination. Le son du Hang évoque bien sûr quelques xylo ou metalophone, une touche orientale asiatique en plus, mais aussi fortement la harpe, et la manière dont on le frappe le rend à même d'exprimer d'infinies variations, qui évoqueront aussi bien le piano que la mandoline, la guitare, voire le djembé. C'est un son étoilé, dont l'attaque est adoucie par la main nue, à la résonnance courte mais profonde. Mais comme je vous l'ai dit, avant d'être une expérience, ce disque est surtout un merveilleux moment de musique. Mélancoliques, nocturnes, aussi mélodieuses que le hang le permet, les compositions d'Agnello sont délicieusement atmosphériques, riches, équilibrées... une promenade sous la lune, une veillée magicienne, aussi intimiste et suspendue par endroits, que dansante ou même incantatoire dans ses élans de transes. Limité par l'instrument, Agnello se montre extrêmement talentueux dans le registre de la mélodie répétitive; son imagination rythmique, son sens de l'accent et des angles lui permettant d'échapper totalement à la monotonie; de nombreuses pièces sont notamment tenues par un véritable groove, parfois tribal, aussi onirique que dansant. A force d'écouter ce disque qui nous appelle d'abord par sa seule beauté acoustique, on finit par identifier chaque pièce, on distingue les différents caractères mélodiques, on réalise qu'il ne s'agit pas de 50 minutes de Hang, mais bel et bien de 12 compositions, distinctes, variées, pour Hang seul. En gouttelettes, en rythmes effrénés, en ritournelles, Agnello place ses notes avec virtuosité et délicatesse, et nous plonge dans un univers bienveillant, de solitude, de lueurs et d'échos. A travers cette chronique, ce n'est donc pas vraiment

Page 35/208 au hang que je souhaite vous sensibiliser, ni remplir une mission d'enrichir toujours plus notre site en bizzarerie; c'est bien plus simplement vous faire partager un vrai bonheur musical.

Note : 5/6

Page 36/208 TIAMAT : Wildhoney

Chronique réalisée par Raven

Aujourd’hui Raven est très Candy, il a décidé d’inaugurer sa nouvelle émission gutsienne "Moi et mes meilleurs disques Glucose". Premier volet. Il s’adresse à toi sur un plateau 100% romance, la caméra le suit jusqu'au sofa (d’un somptueux fuschia), lentement, voluptueusement… *générique rose bo208on, fondu enchaîné, lumières tamisées, musique douce, regard ténébreux* D’abord, très chères spectatrices, un peu de contexte si vous le voulez bien. Tout comme Paradise Lost a One Second, ou Samael a Passage, Tiamat a Wildhoney. Carrière entamée sous de sombres auspices, puis virage glucose à grand renfort de claviers sans perdre une once du charme ténébreux, au moment où ça devenait un peu vain de jouer les vilains alors qu’on se sent une marguerite pousser dans la poitrine. Astral Sleep puis Clouds furent la libération encore timide de cet amour bridé, dégoulinant, pour d'autres horizons. Wildhoney en est le climax. Peut-être le plus beau disque Tiamat, et bien que le suivant plus porté sur le côté atmo soit encore plus chochotte que celui-ci, pour ne pas dire gay comme un pinson, il n’a pas le savant mélange qu’on a ici : ce sont les mêmes étoiles, mais sans la nuit qui va avec. Wildhoney puise encore dans l’ambiance occulte des précédents, pour équilibrer le trop plein de sucre. Leur album séraphique, mélancolique, romantique, fleur bleue, eau de rose, rosée du matin, tout ça. Un album qui, lorsque les riffs doom/death/heavy la mettent en veilleuse, donne envie de s’allonger dans un parterre de jonquilles en se faisant besogner par une amazone tandis que les mésanges bleues aux exquises intentions nous apportent à la bouche de leurs becs délicats grappes de myrtilles, cerises et autres griottes, et que les coccinelles d’un œil attentif prennent soin de nous décorer les orteils en s’amassant dessus. Mmmmh. Aaaaaaah. Et pourtant, le ciel est orageux, au-dessus... et des serpents se frayent un chemin entre les hautes herbes. C’est vrai, que ce disque est immodérément doucereux, too much, exalté, des mélodies jusqu’aux paroles, mais comment résister à cette amourette qui dégouline de passion ? Moi j’peux pas. Eh ! Je suis romantique, aussi. Comme moi, le chanteur de Tiamat est un corbeau, mais pas de ceux qui jouent les vautours (enfin ça, c’était avant Clouds, non ?) – un corbeau naïf, bien que parfaitement capable de distiller une ambiance malsaine, et sombre comme un cachot, j’en veux pour preuve ce titre d’ouverture bien menaçant, avec cette voix bien crevarde dans le couplet qui part soudain dans un beuglement death complètement rétamé (faut l’entendre beugler "HONEYMOOON", le gars). Un naïf, avec des paroles qui peuvent être… naïves à mort, gnan-gnan, neuneu, même quand ça te parle infusion de psilocybes ou trip sous datura, naïves, mais toujours très émotionnelles ("I hold you in my arms, dimmed by scarlet morning red, I whisper in your ear : "Do you dream of me ?", brrrr). Ce mec, c’est Michel Berger, prisonnier dans le corps d’un doomeux. Terrible challenge, donc, que de faire sortir le romantisme le plus sincère de cette gorge de brute écorchée. La naïveté, bébé, la pure, la vraie, celle qui jamais ne lâche la main de la noirceur, la bonne noirceur qui met du baume au coeur, celle des goths, celle qui fait son nid dans le saule pleureur du désespoir (c’est un rire que j’entends, là ?). Les paroles sont parfois naïves comme pas possible oui, mais le gars il te les déclame avec une telle conviction, oserai-je dire foi, presque mystique, qu’on se garderait bien de ricaner, d’ailleurs on ricane pas, t-t-t-t-t ! Hé, oh ! Tâte moi ta joue, et ose me dire qu’une larme grosse comme le poing n’y fait pas son lit, toi, hôte de ces lieux sombres et expérimentaux avide de malsain, d’horreurs en tout genre, de génocide, de haine. La haine c’est pour les faibles, seul l’amour triomphera, tu le sais. Parce que Wildhoney c’est beau, parce que ça fait chialer, comme un bon mélo de Clint Eastwood, ou le passage dans le Cercle des Poètes Disparus quand le mec se

Page 37/208 suicide (tu remets l’ambiance ?). Aucune résistance devant ça, devant ce chant plein d'ivresse et de ferveur, devant ces riffs prodigieux. Parce que même quand ça se vautre dans des envolées sympho-chose comme sur "The Ar" avec des chœurs en cellophane, c’est tuant, parce que ça vire martelage indus l’air de pas y toucher. Parce que c’est tuant, tous ces sons fourmillants, toutes ces petites touches subtiles, la richesse et la clarté de la prod pour parler scientifiquement, font aussi pour beaucoup de cette beauté, même les passages Microcosmos / Ushuaia, oui, même Vangelis, voire Era. Que ça laisse béat, ce gros côté onirique prononcé qui s’éveille de l’ombre, avec ces berceuses nocturnes sublimes, ces arabesques de guitares latines qui t’envoûtent et de laissent dans un rêve moite comme du Midnight Summer Dream, on se croirait à Barcelone au milieu d’une forêt Scandinave, des cigales au pays du Neutrogena. Ou plutôt dans une clairière sous les étoiles, nu dans un parterre de muguet laissé vierge par les chevreuils, où l’on a alors tout le loisir de se perdre dans ses rêves. C’est beau. Et quand ça part dans le mauvais goût total, ça l’est peut être encore plus ! Ecoutez-moi ce "Gaia" et osez me dire que ça fout fait pas tout plein de frissons partout. Kitsch ouais, mais tout ça sans perdre une once de grâce (bien au contraire), à grands renforts de coulis de synthés 100% Air Wick brise fraîcheur printanière pour un envol Goth très… comment dire… extatique ? Non, mieux que ça : titanique... Jack !... Jack !... Je vole Jack ! Je vole !!!... Et vas-y que je te balance un solo FM 100% Yngwie Malmsteen par-dessus, embraye plus loin sur une espagnolade puis termine sa course avec du Pink Floyd bien grenadine. Certains ont Katatonia, d’autres ont Anathema, d’autres (plus rares, et heureusement) ont Him. Moi j’ai Wildhoney. Oui, je l’avoue. J’ai tutoyé les anges avec ce disque… Oui, je me suis surpris à dire "j’aimerai mon prochain, et je t’aimerai, toi, ma douce, jusqu’à ce que l’amour nous sépare." Oui, j’ai bandé pour une fleur, un fruit, enivré par le soupir langoureux des chérubins – et appris à entrevoir la beauté dans cette mirabelle, appris à goûter le miel sauvage de Tiamat. Je savais déjà que grâce et kitsch ne sont pas deux choses inconciliables, mais j’ai appris une chose importante à l'issue de cette idylle : le kitsch peut ne pas être vulgaire, et n’être que grâce. Cet album n’a rien de vulgaire, même s’il est très porté sur le sirupeux, à un point indécent. Il est juste beau, comme une nuit d’amour à la lueur des bougies, comme une déclaration d’amour sur des draps encore mouillés par la sueur alors que l’aube se lève, dont le souvenir résonne dans ta tête comme une caresse rassurante les jours où le gris est couleur dominante. J’ai appris autre chose grâce à cet album, aussi, quelque chose que je subodorais déjà, en romantique éperdu, mais que mon amour pour les démons avait fait vaciller… Ce n’est pas du sang, qui coule en moi. Il y’en a qui ont du miel dans les oreilles… Moi, il n’y en a que dans mes veines.

Note : 6/6

Page 38/208 APHRODITE'S CHILD : 666

Chronique réalisée par dariev stands

Aphrodite’s Child sur guts ? Et comment ! 666, de Aphrodite’s Child, s’il vous plaît. J’ai pas pu me retenir jusqu’au premier Avril, ça aurait sûrement fait croire à une farce. Ce disque, jusqu’à ce que je rassemble mon courage pour l’écouter, m’avait considérablement effrayé, non pas par son concept diabolique (L’apocalypse de Jean chantée par Demis Roussos, et ce n’est pas une blague du Kamoulox), mais bien par le déluge de guimauve et de claviers ronflants que je m’apprêtais à recevoir, sûr de mon équation « Rain and Tears + concept fumeux = au feu les pompiers ». Je craignais le désastre, l’album ambitieux et totalement dépourvu des arguments choc des progueux anglais où même italiens de la même époque. J’en oubliais la réputation de qualité du label Vertigo à ses débuts… Les seuls qui autorisèrent la propagation à grande échelle de l’imagerie satanique de Black Sabbath à l’époque… Il était donc logique qu’ils soutiennent ce projet un peu cinglé. Et ils ont eu raison. Car Aphrodite’s Child avait une sensibilité bien trop pop pour se lancer dans de grandes envolées techniques que le groupe n’aurait de toutes façons pas pu assumer (sauf son leader, Vangelis). Résultat, on tient là un double album concept bien plus proche des Who de la même époque que du genre progressif… Ecoutez l’ouverture coup de poing, Babylon, pour vous en convaincre. Ça ne vous rappelle pas Pi208all Wizard ? Cette gratte sèche surexcitée, cette dynamique… Pourtant, dans les structures, on est aussi loin du progressif que du rock classique… On est quelque part dans un espace interlope, tout à fait singulier, qui doit beaucoup aux arrangements de Vangelis, qui montre ici un talent incomparable pour les atmosphères inquiétantes et évoquant la religion. Le groupe fait mouche systématiquement pour l’installation d’ambiances dès les premières secondes de chaque morceau : orientalisme hippie (The Seventh Seal), lente expiation ambient au purgatoire (Aegian Sea, vénéneux et fascinant) ou encore paysage de désert métaphysique à la Dali avec The Four Horsemen, une tuerie en règle où Demis Roussos chante comme un dieu un texte malsain, avant de partir dans des « Pa pa pa, papa padalala » qui désamorcent parfaitement la grandiloquence de l’ensemble… Si tout l’album semble évoquer en filigrane un sujet grave (Altamont, la stupidité du genre humain et surtout la puissance terrifiante de la foule), il y a toujours une once de dérision qui traîne quelque part, comme sur ce Hic et Nunc tout droit sorti de Hair, la comédie musicale – en guise d’hommage à la maxime flower power : Be Here Now. Cela dit, l’atmosphère s’épaissit et devient bestiale dès The Marching Beast, qui annonce le début des hostilités instrumentales… à partir de là, chaque instrumental est annoncé par une voix mécanique, sans pause dans la musique, et l’effet est saisissant : tout s’enchaîne avec brutalité et déferlement de batterie aux sabots plombés (Do It). Silver Koulouris, le gratteux, n’est pas en reste, la preuve sur les nombreux solos brûlants qui parsèment ce disque (Aegian Sea, ce son !), où le déluge d’accords psychés en diable de titres comme The Lamb. Le seul reproche qu’on pourrait faire à cet album, finalement, c’est de ne pas nous faire entendre plus souvent le chant de Demis Roussos, qui, croyez-le ou pas, est juste d’une efficacité et d’une beauté hallucinante… Une voix presque féminine, au timbre étrange, asiatique, qui joue ici le rôle de l’oracle annonçant la grande tribulation, période de tourments intense précédent le jugement dernier. Il joue les muezzins messianiques sur Lament, mais incarne surtout le pendant efféminé de Roger Daltrey sur les énormissimes Babylon et The Four Horsemen, et c’est bien connu, le diable est androgyne. Le reste des voix du disque est malheureusement assuré par des spoken words comme Hawkwind le fera plus tard… Il s’agit de la bible, après tout. Mais si vous voulez mon avis, cela est plus à mettre sur le compte du partage en couille de l’album au fur

Page 39/208 et à mesure qu’on y avance… 666 est un album progressif… Progressif dans la défonce. Ça commence concis, soft, et plein de bonnes intentions (Le très hippie Loud, Loud, Loud), et petit à petit, ça dérape, dès le milieu de la deuxième face avec Tribulation (mais qu’est ce que c’est que ça ??) et un The Beast complètement débilos chanté par le Ringo Starr du groupe en mode délire potache. La peinture de la pochette intérieure, étrangement troublante, illustre tout à fait la dégénérescence entendue ici. Le deuxième disque a sûrement été entièrement réalisé sous acide. Les salauds y ont placé un morceau interminable judicieusement baptisé du signe de l’infini sur lequel Irene Papas vient nous jouer un numéro de possédée par le démon assez éprouvant, oscillant entre l’orgasme débridé, la folie et l’accouchement… Sans compter que le groupe s’écarte un peu des écrits pour évoquer Altamont, ce qu’ils étaient peut-être bien les premiers à faire depuis la tragédie… La dernière face frise presque le foutage de gueule puisque les musiciens, sans doute trop usés par les orgies pour continuer, ont foutu un espèce de medley de tout l’album sur All the Seats Were Occupied (ce titre est LOUCHE), façon montage de bandes… Ca prend les 3 quarts de la face (posé sur une jam visiblement écartée du disque, à l’origine), et ça a déjà été fait de manière plus concise et efficace par les United States of America. Ils n’ont même pas pris la peine de composer du remplissage (sans doute facile pour Vangelis), mais nous laissent tout de même sur une pop song en hommage à leur style des années 60, ainsi qu’un adieu du groupe. Ainsi ce termine ce projet gargantuesque, élaboré pendant 3 ans par Vangelis tandis que le groupe écumait les salles avec un remplaçant à l’orgue, enregistré « sous l’influence du Sahlep » (une boisson turque à base de lait), et censuré dans de nombreux pays (entre la bible, les cris obscènes d’Irène Papas et le Sahlep, que tout le monde avait pris pour une nouvelle drogue super dangereuse, il y avait l’embarras du choix !). Résultat : gouffre financier ! Bref, un album aux ambiances mystiques tuantes et pas boursouflé une seule seconde, farci de tubes sur le premier disque, indispensable pour qui n’est pas allergique au son de ces années-là.

Note : 5/6

Page 40/208 COIL : The Angelic Conversation

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Première collaboration de Coil avec le cinéaste Derek Jarman pour son film ‘The Angelic Conversation’ (1985) dont je me rappelle avoir vu des fragments en cours de cinéma il y a de cela quelques années. Cela consistait en une série de séquences non-narratives autour de l’amour entre deux hommes, sur fond ambient avec des récitations de sonnets de Shakespeare par une certaine Dame Judi Dench. Les amateurs apprécieront le romantisme profond et sensuel du film tandis que les détracteurs parlent d’une publicité de parfum version homo qui n’en finirait pas. Pas assez de souvenir pour juger en ce qui me concerne ; en revanche j’aurai peine à recommander cette bande-son tant elle est linéaire et ennuyeuse. Les trois premiers titres ont pour fond une version épurée de ‘How To Destroy Angels’ qui se marie plutôt bien au texte mais pour ce qui est du reste, rien n’y fait ; c’est bien trop plat et malgré une récitation plutôt délicate impossible d’écouter le disque d’une traite, fût-ce en dormant. On est très loin de la qualité de ‘Blue’ (chant du cygne du même Derek Jarman), qui lui a été expressément écrit sans image, si ce n’est ce fond bleu, symbole d’éternité. Ici tout n’est que vague évocation : quelques insectes, quelques cloches, quelques cordes et autres instruments rituels. ‘Montecute’ clôt joliment le tout mais il ne s’agit que d’une épure de ‘At The Heart of it All’ de Scatology. Qui aime bien châtie bien, ça devrait donc être le seul coup de gueule de ma part pour un groupe qui fait pourtant partie de ma Trinité musicale.

Note : 3/6

Page 41/208 MITCHELL (Joni) : Song to a seagull

Chronique réalisée par dariev stands

Lorsqu’on parle de folk Canadien, la première figure qui vient instantanément à l’esprit est incontestablement Neil Young. Au point d’en oublier parfois Joni Mitchell, tout aussi indémodable et appréciée de toutes les générations que le loner, et dont la carrière n’a rien à envier à celle de son ami, ni en longévité ni en abondance. Un an avant le premier éponyme de ce dernier, elle se lançait dans l’aventure avec cet étonnamment abouti premier disque, dont elle a elle-même conçue la pochette, psychédélique au premier regard, puis se révélant extrêmement personnelle si l’on s’attarde sur les détails (le genre de trucs impossible sur la version cd), reflétant tout à fait le contenu de ses paroles et, par là même, de sa vie. Car Song to a Seagull est un véritable journal intime gravé sur sillon. Une impression renforcée par le chant susurré de la demoiselle, qui décolle parfois dans des aigus un peu exagérés, ce qui me permet d’évoquer le seul gros défaut de l’ensemble : la production approximative de David Crosby (« en gros, j’ai juste appuyé sur record »), avec ses hausses de volume précipitées sur les refrains, probablement dû à un procédé un peu spécial : Joni chantait à côté d’un piano ouvert pour capter les vibrations des cordes entraînées par sa voix. Sauf qu’on devine qu’elles ne vibrent qu’à un certain volume, donc sur les refrains. Encore que cela peut accentuer le côté un peu naïf et humble de ce disque : il ne s’agit après tout que de Joni, assise sur des coussins en face de nous, où à quelques mètres dans un salon de thé minuscule et aux murs en bois, seule avec sa guitare et sa voix si particulière (on aime où on déteste). Le dépouillement lui va si bien. S’il fallait donner un exemple de poésie hippie débarrassée de tous les effets et idéaux irréalistes de l’époque, ce serait Song to a Seagull… Et puis il y a ce jeu de guitare, sa marque de fabrique, à la complexité en rupture totale avec l’absence d’arrangements, qui atteint son paroxysme sur la face B (l’ovni The Pirate of Penance, où les voix s’entrelacent de la plus étrange manière). Ou devrais-je dire : sur « Out of the city and down to the seaside ». Car Joni Mitchell a choisi de donner un nom à chaque face : la première racontant sa fuite d’un bien étrange château (I Had A King), celui de son premier mari Chuck Mitchell, pour rejoindre les lumières dansantes de la ville (Night in the City, indispensable interlude pop sur un disque 100% acoustique), avant de s’enfuir à nouveau vers le bord de mer en taxi (le sombre Nathan La Franeer). Il est question de toute une galerie de personnages croisés sur le chemin, qu’on devine bien peu fictionnels, et auxquels Joni semble rendre hommage l’un après l’autre sur Cactus Tree, le morceau final. En fait, l’univers de Joni Mitchell est si riche et, encore une fois, si profondément intime, qu’il en devient impossible à décrire. A peine la musique se termine qu’on croit avoir rêvé… Il faut dire que le vocabulaire très ciselé employé ici n’aide guère pour résumer le tout. Disons que vous vous retrouvez, le temps de 10 chansons, dans une chambre de fille, remplie d’objets fragiles et étranges que l’on ose toucher, voire regarder, et qui réveillent des images d’étoffes, d’algues, de voiliers et du meurtre d’un certain pirate… Peut-être même qu’un de ces protagonistes vous rappellera quelqu’un. Il n’y a pas 36000 scénarios possibles : soit tout cela vous semblera terriblement banal, soit vous vous sentirez flattés qu’elle ait choisi votre oreille pour y murmurer ses histoires de départ et d’amourettes volées… Et il y a quand même un petit chef d’œuvre, il s’appelle Michael from Mountains, et dévoile un talent pour les mélodies brodées encore trop méconnu. Plus féminin, à fleur de peau et rêveur que ça, ça va être difficile de trouver. Parfaitement intemporel.

Page 42/208 Note : 5/6

Page 43/208 EXPULSION : Overflow

Chronique réalisée par Sheer-khan

Fonds de tiroir : première! *clap* Après "summerian..." ou "Clouds", quand Tiamat sort "Wildhoney" en 1994, on y perçoit assez aisément ce qui a pu faire partir Lagergren et Holmberg, et pourquoi ils ont préféré aller réveiller leur vieil Expulsion, formation pionnière du doom/death suédois née en 1988, au côté du Treblinka de leur copain Johann. Et en écoutant "Overflow", on comprend aussi pourquoi l'un a fait une carrière et acquis une véritable stature, et pas les autres. Expulsion, donc, c'est du vieux doom death suédois, sombre et taciturne, atmosphérique et cru. Sobre, mid tempo, ténébreux et très retenu, disciple de black sabbath mais tristement froid, "Overflow" est un disque ennuyeux. Ca ne manque pas de charme pourtant : le chant guttural de Thörnqvist, sans effets ni violence, juste obscur, l'atmosphère sombre et froide qui se dégage des mélodies mornes, l'authenticité de ce vieux son noir... mais il manque cette dimension particulière indispensable au doom basique, faite de groove, de trance. Même si on sent une patte, même si on perçoit sans ambiguïté vers quelles régions mélodiques et harmoniques, séduisantes mais ardues, le groupe souhaite aller, il n'y parvient jamais vraiment. Difficile à traiter, cet art de la mélodie patibulaire, ce penchant pour le non séduisant, le maniement hasardeux de l'austérité. Et Expulsion n'y arrive pas. Trop morne, trop gris, sans doute trop simple, trop mou... je ne l'avais pas ressorti depuis 15 ans, je l'ai retrouvé intact à mon souvenir, immobile, plat, et maintenant que cette chronique est faite, je ne vois pas ce qui pourra le faire jamais revenir, même dans 15 ans, de la poussière.

Note : 2/6

Page 44/208 SAD WHISPERINGS : Sensitive to autumn

Chronique réalisée par Sheer-khan

Fond de tiroir : deuxième! *clap* Celui-là c'est l'effet inverse de Expulsion : au moment de le ressortir en vue d'une chronique, je me prépare à un 1/6 à coup de "plus plat que ça t'atteinds la monodimension"... et en fait non. J'avoue : je le redécouvre. Pas de chef-d'oeuvre soudainement révélé après 15 ans de placard, non, mais un disque doté d'un charme indéniable. Du vieux doom/death mélancolique, atmosphérique et romantique, aux nombreuses fragrances communes avec le Septic Flesh de "Mystic..." et "Esoptron", rien que ça. Moins étouffant et violent que le premier album des grecs, doté d'un son plus propre, moins extrême et plutôt Candlemassien, "Sensitive to Autumn" est aussi moins prenant. Outre l'excellence, la différence avec les monuments helléniques vient d'une filiation Sabbathienne plus directe, d'une proximité avec les racines plus littérale : un album largement heavy, là où Spiros et Sotiris étaient eux entièrement ensevelis dans la nuit. Le groupe hollandais, lui, enchaîne les moments mélodiques inspirés et les riffs plus plombés et arides, dépouillés. C'est cet équilibre difficile qui donne au groupe sa particularité, mais aussi l'empêche d'atteindre les sommets. Malgré une assez bonne tenue générale, groove correct, ces riffs typiquement metalliques ne sont pas aussi convainquants dans leur style que ne le sont les délicatesses romantiques, qui sont elles particulièrement remarquables. Doubles guitares, clavier sobre et parfaitement pondéré, comme un voile léger d'harmonie et d'atmosphère, un peu de guitare claire, et de fréquents soli et leads heavy mélodiques du meilleur effet, car tout aussi inspirés et beaux que fondamentalement sobres. Malheureusement l'inégalité de ce recueil se loge au coeur même des morceaux. Pas un seul n'arrive à totalement convaincre sur sa durée; pour goûter au meilleur de Sad Whisperings, même le temps d'un morceau, on est obligé de passer par du "mouaif...". "Timeless grief" alterne ainsi de vraies qualités mélodiques avec des accélérations death plutôt poussives, du heavy double grattes franchement bien fichu, des breaks doom plats, un solo simple mais transportant. Sans doute, ces passages réguliers par le bofbofbof ont pour effet de mieux faire ressortir le talent romantique des moments de mélodies, mais leur première et très préjudiciable conséquence reste tout de même de condamner ce disque à n'être globalement que "pas mal". Dommage, vraiment... car des groupes capables de cette magie triste, délicate et onirique (et il y en a ici sur chacune des 10 pistes) sont particulièrement rares. Même si le groupe hollandais peut se montrer honnête dans le basique , qu'il soit heavy, doom ou death, il n'est jamais plus que cela, et parfois moins. 3/6 c'est mentir sur le charme puissant de ce disque, 4/6 sur sa capacité à nous pousser à le sortir de sa boîte pour l'écouter. 3,5 alors? ça ne veut rien dire non plus.

Note : 3/6

Page 45/208 VENI DOMINE : Fall babylon fall

Chronique réalisée par Sheer-khan

Fond de tiroir : troisième! *clap!* ... suède... janvier 92... une pochette apocalyptique, un nom en latin : héhé, ça pue Satan à trois kilomètres! Et c'est justement ce qui terrifie les frères Weinesjö et ses acolytes du groupe de white Metal Veni Domine. "Fall Babylon, fall!" clament-ils à l'attention de la civilisation décadente et corrompue par le péché, extraits de la bible à la clef. Mais je ne me serais pas permis de polluer guts avec un groupe qui n'aurait de ténébreux que sa pochette et sa situation chrono-géographique : Veni Domine chante la grandeur de Dieu, et surtout la décadence du reste, mais s'il ne fait pas dans le metal extrême, il fait bel et bien dans le sombre. "Fall Babylon Fall" est un album de heavy metal lourd et progressif, largement sabbatthien, triste et noir, servi par une production assez authentique plutôt rare pour le(s) style(s) : prog comme white metal aiment en général la propreté. Ici la caisse claire est très brute, proche de ce son vieillot d'Ole Ohman sur "somberlain" mais en plus sèche, et les guitares, sans être déchirantes, ont un côté charbonneux presque raw. Pour finir sur la description "sonore" de la bête, précisons que Fredrik Ohlson est exactement le sosie vocal le plus saisissant qui soit de Geoff Tate, et que, moins impérial que le frontman de Queensrÿche, il peut marquer quelques vibratos de fatigue dans les aigus ou quand le souffle lui manque, de manière totalement Dickinsonienne. Alors bon, on parle de deux monstres du genre donc précisons-le : cela a pour effet d'accentuer le maniérisme qui peux agacer chez le grand Geoff, tout cela sans le coffre et la force du gorille Bruce, qui lui fait tout passer. On peut le dire néanmoins : chez Veni Domine, y a du chanteur. Enfin, avec une grande sobriété, le groupe fait parfois intervenir le clavier, jamais en avant, toujours en nappes simples en soutenance des accords de guitares, histoire de donner un peu plus d'ampleur dramatique aux nombreux passages pesants et down tempo, aux harmonies à vocation grandiloquente. Lourd, parce que le tempo est majoritairement pesant, les riffs monumentaux et ténébreux; progressif, parce que les pièces ne s'étirent pas en timing uniquement pas leur côté doom. "The chronicle of the seven seals" ne fait pas que 21 minutes, elle est aussi construite en 3 parties plus un prologue. J'évoque Black Sabbath bien sûr, mais il n'y a ni le génie (évidemment), ni ce souffre, profond, maléfique, de la bande à Iommi. Ici on ne cherche pas à seulement s'enfoncer : les riffs pessimistes s'enchaînent, jusqu'au moment où, sans accélérer, voire en marquant encore plus le coup, les accords s'accomplissent en grandiose terrifié, du genre "et là les flots se déchainèrement et le ciel s'ouvrit". Jamais trop technique ni complexe, jamais trop richement arrangée, la musique de Veni Domine ne prend du progressif que son aspect évolutif, narratif. Seule la pièce montée va réellement se parer de passages acoustiques, de mélodies de claviers et d'ambiances renforcées. Heavy sombre et progressif, difficile d'égaler sur leurs terrains les premières oeuvres des grands Fates Warning, mais sans atteindre la beauté dérangeante et fascinante d'un "Awaken the guardian", "Fall babylon fall" demeure un bon album dont une des qualités est notamment cette équilibre entre 6 premières pièces plus sobres et doomisantes, et une composition finale épique et plus arrangée, alternant metal et acoustique étrange, lourdeurs et accalmies. A cela s'ajoute un son qui pour certains déservira le propos, mais qui pour moi ne lui donne que plus de personnalité.

Note : 4/6

Page 46/208 AUS DECLINE : Retrospettiva 1981-84

Chronique réalisée par Twilight

Pour parler de cold wave, la facilité est généralement de dire que le groupe a écouté Joy Division, ce qui, dans le cas de Aus Decline, est très certainement vrai (en plus, ils ont enregistrés dans les studios Factory de Milan). Comme bien des formations du genre, le quatuor n'exprime pourtant pas une tension aussi forte, plutôt quelque chose qui sonne à la fois rythmé et mélancolique. Très en avant au mixage, la rythmique domine de manière répétitive et obsédante tandis que la mélodie se décline tantôt entre des accords de guitares froids tantôt des touches électroniques. Je n'ai pourtant pas l'impression que les Italiens ont souhaité axer la démarche sur une production glacée, l'influence post punk reste marquée, avec même selon moi des tentations minimal wave, notamment l'excellente fausse bossa nova triste de 'Earth isn't room enough'. Aus Decline en trébuche presque sur un titre, 'She gave me algedy', qui évoque furieusement New Order période 'Low life' mais globalement les arrangements restent équilibrés. Le combo n'est pas de ceux dont les chansons ont révolutionné le monde de la musique, il est par contre évident qu'ils étaient doués mélodiquement, 'Goin' on jot', 'Five years life' ou 'Fluxion' en attestent largement et il eût été dommage que ces titres demeurent ignorés. La rétrospective propose huit enregistrements studio à la qualité impeccable accompagnés de cinq live au son très correct dévoilant un Aus Decline plus proche de ses influences Joy Division. Trois ans de carrière, plusieurs concerts à travers l'Italie, et puis plus rien...Juste ces quelques chansons indispensables pour tout fan de bonne cold wave.

Note : 5/6

Page 47/208 REDSHIFT : Turning Towards Us

Chronique réalisée par Phaedream

Le dernier album studio de Redshift remonte à 2004 avec Oblivion. Last, enregistré lors du Hampshire Jam 5 (2006) était la dernière parution du groupe Anglais. Le titre portait légèrement à la confusion; était-ce le dernier opus de Redshift? C’était plutôt un changement de cap. Tel un gros serpent, Redshift change de peau, mais garde toujours son appétit pour les gros rythmes puissants, lents, lourds. Le martèlement sourd qui faisait frissonner nos âmes est toujours présent. Il l’est en ouverture de The Love of Nature qui pulse dans un maelstrom d’effets sonores toujours aussi bigarré. Une nouvelle approche? Pas vraiment. On ne sort pas Redshift de Redshift. Donc The Love of Nature hésite sur de lourds bourdonnements aux effets sonores toujours Redshiftiens. Une ombre menaçante survol le morceau, comme une chaîne traîne sur les flancs de trottoirs. Pulsations lourdes, échotiques. L’ambiance est plus noire que jamais. Les cymbales s’amènent et bang! Grosse batterie sur un rythme pesant avec un synthé et ses solos en guise de guitare. Du rock électronique lourd et sombre qui se terre dans une finale flottante, lugubre comme Redshift nous y a habitués. The Last Thing we See, tout comme Happy Hour, propose un contexte éthéré et drôlement serein pour du Redshift. Un passage flûté un peu comme du TD mellotronné des années 70. Clan est lourd, mais d’une lourdeur assommante à la King Crimson, avec de superbes solos qui déchirent une masse sonore dense et ténébreuse. Une structure qui altère ses rythmes sur des passages tantôt innocents, tantôt sans pitié pour les oreilles. Le sombre qui embrasse le candide. Il y a de superbes passages où une guitare crache des riffs infernaux sur un synthé violent et des séquences en cascade. Les oreilles parviennent difficilement à cerner tout ce bouillon sonore qui éparpille ses lourdeurs aux travers de brefs passages plus doux. Un gros titre pesant comme Turning Toward Us qui démarre dans la plus pure tradition Redshiftienne. Vent lourd et menaçant qui hurle comme du métal en douleur. Des chœurs sombres et angéliques survolent une dévastation qui colle à l’esprit. Le monde de Redshift est sordide et nuance ses couleurs et ses émotions à l’aide de ses séquences et synthés. D’ailleurs une fine séquence émerge candidement de cette noirceur. Une comptine à la Friday the 13th, mais maquillé machiavéliquement de la pureté du malin. La séquence ourle d’un minimalisme intriguant, l’écho multipliant le tempo. Une nouvelle tangente se dessine, approchant la névrose hypnotique dans une brumeuse sombre qui oscille sur un mellotron moulant. Plus sombre qu’intense, Turning Toward Us progresse dans un univers pulsatif et bourdonnant avec un merveilleux paradoxe oriental qui se déguste à fond les oreilles. Un superbe titre exploité avec finesse qui étonne par son évolution et qui atteint une forme de sérénité, toujours aussi sombre, dans une finale aussi lugubre que son intro. Redshift ouvre un nouveau chemin à la MÉ. Une MÉ lourde et musicale avec une bonne touche de progressif. Un virage audacieux, Turning Toward Us est le plus sombre et le plus endiablé des opus du groupe de Mark Shreeve, tout en possédant une approche plus musicale que les œuvres antérieures de Redshift. Donnant une MÉ sombre et progressive qui s’apparente à la période noir de King Crimson, mais avec un niveau musical plus

élevé. Du grand Redshit, le meilleur à date. Excellent...Il vous le faut.

Note : 5/6

Page 48/208 BLAKULLA : S/t

Chronique réalisée par Hellman

Obscure formation suédoise des années soixante-dix redécouverte sur le tard, Blakulla pourrait se résumer en une seule sentence, aussi lourde de sens qu'à assumer : le Genesis de "Nursery Cryme". Entendez le seul Genesis progressif qui osait afficher un côté résolument hargneux. "The Musical Box" ou "The Return of The Giant Hogweed" sont toujours là pour l'attester, près de quarante ans plus tard ! "Frigivningen" ouvre bien l'album sur des airs de ballade folk pour guitare douze cordes, mais il ne s'agit là que d'une mise en bouche d'une minute trente à peine. L'orgue tonitruant, la guitare électrique puis le charley qui s'emballe sur "Sirenernas Sång" confirment bel et bien que, à la manière des Trettioåriga Kriget, les Blakulla ont finalement plus d'atomes crochus avec la scène hard qu'avec la scène progressive ("Maskinsång", "I Solnedgången"). En même temps, ne vous attendez pas à du Black Sabbath première période ! Blakulla présente l'avantage peu commun d'avoir fait d'un de ses défauts une de ses qualités : la production relativement sommaire de l'époque donne au disque ce petit cachet passéiste si particulier qui lui confère tout son charme, avec un son cru, direct, en phase avec cet aspect rock'n'roll assez brut dont pas mal de formations aux accointances progressives s'étaient peu à peu détachées. Autre élément important de la formule Blakulla : le chant pleinement assumé en suédois, qui en rajoute une solide couche en terme d'étrangeté. Aucune agressivité particulière à signaler de ce côté là non plus, et le décalage qui existe entre le chant de Dennis Lindegren, plutôt mélodieux, et la musique contribue aussi à en faire un moment sympathique et plaisant. Le seul album de Blakulla est plus qu'un simple album ; ils signent un beau compromis entre deux grammaires musicales auxquelles nous devons tellement.

Note : 4/6

Page 49/208 MAGUIRE (Alex) : Brewed in Belgium

Chronique réalisée par Hellman

Cet enregistrement en concert débute sur une note des plus graves : une composition du claviériste Alex Maguire qui donne le ton d’une rencontre qui en quelque sorte s’est bâtie sur l’absence. Maguire jouait pour Pip Pyle, et Michel Delville, guitariste de The Wrong Object avec Elton Dean (dont le "Seven for Lee" est repris ici). Les deux sont aujourd’hui orphelins suite à la disparition, au cours de l’été 2006, de ces sommités de l’école jazz anglaise qui jusqu’alors les employaient. La rencontre a lieu en Belgique, et nos compères d’ainsi rapidement allier leur force pour conduire un sextet qui représentera pour moitié le répertoire du claviériste anglais. La plupart des titres ont une coloration électrique qui a tout pour plaire, mais à ce petit jeu-là, c’est encore "Saturn", ambitieuse pièce du jeune prodige de la trompette Jean-Paul Estiévenart, qui remporte tous les suffrages. Brumeux, mystérieux, abstrait mais toujours lyrique, à l’image de ce "Theresa’s Dress" crédité au guitariste, plutôt discret dans ses interventions tout au long de leur prestation, préférant de toute évidence démultiplier le spectre des couleurs de ces compositions en propageant des ambiances qui flirtent avec les rivages d’une musique qui n’a décidemment pas peur de se dévêtir.

Note : 4/6

Page 50/208 MARTYN (John) : Solid Air

Chronique réalisée par Hellman

Que les choses soient claires : on n'a pas réquisitionné mes services pour alimenter la rubrique nécrologique de ce site. Mais il est des événements sur lesquels nous n'avons aucune incidence, donc autant leur donner la priorité, même si ceux-ci me forcent, un tout petit peu plus à chaque fois, à remettre à plus tard les objectifs que je m'étais initialement fixés... Ce 29 janvier 2009 disparaissait John Martyn. Ce britannique appartient à l'école folk qui nous a donné Richard Thompson et Nick Drake. Mais son parcours, semé d'embûches lui aussi, n'a rien de commun avec les deux artistes précités. Il n'a pas la respectabilité du premier et qui participe tout de même au présent disque, ni l'aura noire du second qu'il connaissait pourtant bien et à qui il dédie d'ailleurs sa plage titulaire. L'oeuvre tout à fait personnelle de John Martyn, aussi modeste soit-elle, mérite d'être honorée comme il se doit, touchante dans sa simplicité, jusque dans ses orientations pas toujours pertinemment négociées. Il a donné ses lettres de noblesse à l'expression consacrée qui veut que pour bien parler l'anglais, il faut le pratiquer avec une pomme de terre en bouche. John Martyn a une façon bien a lui d'articuler. Il aspire les syllabes au point de transformer ses mots en onomatopées qu'il est finalement bien le seul à pouvoir prononcer. Un peu à la Van Morrison mais avec un timbre beaucoup plus feutré. C'est au gré de ses parutions successives qu'il peaufinera ce style, cette marque de fabrique si vous voulez, mais certainement pas un but en soi ni un travers qu'il cultivera pour se forger une identité. "Solid Air", son album de 1973, est sans doute parmi une de ses plus belles réalisations. Une de ses plus authentiques aussi. Sobre, mais pétrie d'une évidence désarmante. Simple, charmant, émotionnellement chargé d'une mélancolie qui reluit sur des plages comme "I Don't Want to Know", "Go Down Easy" ou "May You Never" avec pour seuls guides dans cette nuit étrange sa voix et sa guitare. Sa fascination pour le jazz, notamment électrique, l'amène tout naturellement à utiliser un piano électrique au son si connoté et des passages rythmiquement plus enlevés comme sur "I'd Rather Be The Devil" ou le très funky "Dreams by the Sea" qui montrent, s'il fallait un argument ultime pour vous en convaincre, qu'il partage finalement plus de points communs avec Tim Buckley.

Note : 5/6

Page 51/208 MARTYN (John) : Grace and Danger

Chronique réalisée par Hellman

À l'orée des années quatre-vingt, John Martyn est passé à deux doigts de la consécration internationale. Pour se faire, ses racines folk se dissimulent désormais sous les traits d'une pop sophistiquée (le simili reggae de "Johnny Too Bad" ou encore la plage titre). Pas de revirement, pas vraiment ; juste un alignement à même d'augmenter ses chances de percer. Peine perdue dans un monde qui reste désespérément sourd aux nuances et aus subtilités. C'est sous la houlette de Martin Lewan qu'il enregistre "Grace and Danger", premier volet d'un diptyque finalement plus introverti qu'il n'y paraît et qui, sans faire de vagues, témoigne d'une parfaite assimilation des cultures musicales qui nourrissent notre homme. Écoutez "Lookin' On" par exemple : deux univers entrent en collision, la folk, avec sa guitare sèche, et le jazz électrique, avec son clavier kaléidoscopique. John Martyn y apose son texte et transforme le tout en chanson mélancolique finalement unique. On peut dresser le même constat au sujet de "Sweet Little Mystery", le tube de l'album, ballade langoureuse avec laquelle Martyn aurait pu décrocher la timbale. Pour coller à son objectif, il requiert les bons soins du batteur jazz de Brand X et du chanteur pop de Genesis : Phil Collins. Un partenariat qui va se prolonger dans le temps et qui paradoxalement nous éclaire sur la carrière de la mégastar (les slows "Hurt in Your Heart", "Baby Please Come Home" ou les effets delay de "Save Some" en disent long sur l'influence qu'a pu avoir le travail de John Martyn dans la réalisation de "Face Value", premier exercice en solitaire de Phil Collins qui ira même jusqu'à débaucher le bassiste John Giblin rencontré lors de ces sessions d'enregistrement). Dans l'ensemble, "Grace and Danger" véhicule une ambiance des plus feutrées, paresseuse, qui, sans vous pousser à une flanerie automnale, vous donne néanmoins quelques beaux instants de contemplation à partager. C'est là l'essence même du travail du compositeur anglais.

Note : 4/6

Page 52/208 MARTYN (John) : Glorious Fool

Chronique réalisée par Hellman

"Glorious Fool" partage vraiment la même esthétique que "Grace and Danger". Aucun risque d'être déçu donc si vous aviez accroché à l'atmosphère de ce flegmatique flamboyant. Même si John Martyn vise une fois encore le compromis en saupoudrant son oeuvre de saveurs étrangères qui pourraient rencontrer les faveurs du grand public (les nerveux "Amsterdam", l'exotique "Perfect Hustler" ou le nerveux et exotique "Never Say Never", totalement dispensable), le britannique excelle encore et toujours au travers de ses chansons les plus posées. "Couldn't Love You More" est une belle entrée en matière, de la soul blanche de haute facture. "Hold On My Heart", dans le même registre, emporte l'adhésion à travers son refrain mémorable. L'introvertie plage titre. Enfin, le piano voix hanté de "Don't You Go" qui clôt l'album sur une note grave qui prend véritablement aux tripes. Martyn n'est ni Hammill ni Wyatt mais il possède un monde bien à lui qui partage les mêmes valeurs et les mêmes vertus que ses nobles compatriotes. La composante jazz n'est pas prête de quitter son univers, une direction garantie, au risque de vous étonner, par la présence de Phil Collins, grand admirateur de Weather Report devant l'éternel ("Didn't Do That"), qui rempile et qui s'essaye ici pour la toute première fois à la production. De fait, plus encore que sur "Grace and Danger", on reconnaîtra sa patte, comme toujours cristallisée par un jeu de batterie emblématique qu'on retrouvera en plusieurs points de l'album, et notamment sur les morceaux "Hearts and Keys" et "Please Fall in Love with Me" où la recette prend vraiment : la voix mystérieuse de Martyn planant sur une ambiance vaporeuse, rythmée par le jeu percussif tribal de Collins, au point de définir cette nouvelle esthétique pop que des gens comme Hugh Padgham finirent par imposer. Frère siamois peut-être plus ambitieux de "Grace and Danger", "Glorious Fool" est l'oeuvre la plus populaire publiée par Martyn, et dans le plus noble sens du terme.

Note : 4/6

Page 53/208 WAITS (Tom) : Orphans

Chronique réalisée par Sheer-khan

Le triptyque selon Tom Waits. L'anthologie selon Tom waits. L'excellence selon Tom

Waits. La générosité selon Tom Waits... La Musique, selon Tom Waits. Je vous avais laissé sur ma faim, fatigué du bonhomme en un seul disque; j'aurai déjà pu conclure en vous disant que l'inespérable "Orphans" allait venir; mais en 2004, quand je me suis retrouvé éjecté de la roulotte de Tom par le vacarme, tout seul sur le bord de la route, on ne m'avait pas dit, non plus, qu'il préparait "ça", cette gigantesque offrande faite à son public. J'ai erré pendant deux longues années, sans savoir.

Chaque fois que je prends "Orphans" entre les mains, épais, riche, généreux, je me dis, rêveur et naïf, qu'il a voulu nous remercier, pour tout, pour l'avoir aimé, supporté, jusqu'à endurer ce qu'il nous avait fait endurer. Dans son apparence de somme parmi les sommes, "Orphans" a tout du mythe. Tom Waits l'a voulu impressionnant, complet, total et encyclopédique. La présentation tripartite, la répartition rigoureuse des genres par galette : "Orphans" se veut une synthèse, un résumé, forcément long au vu du sujet, de l'univers complexe de l'artiste. Sa

Page 54/208 pochette, tout d'abord, qui l'incarne totalement. Tout le monde de Tom Waits est là, fait de vieux objets du quotidien, installé dans un lieu sans âge que l'on devine poussièreux, un monde vieilli, jauni, profondément américain, enraciné, peuplé de fantômes des années folles et dérangé d'instruments de musique bizzaroïdes. Le monde de Tom Waits est là, tout entier, et l'artiste trône au milieu. Il a cette gueule de sorcier rebouteux de Virginie, comme il aime à paraître à travers ces photos fantasques et incroyables, dont il inquiète l'intérieur de ses livrets depuis "Mule

Variation"... mais cette fois, comme jamais, de face, et les bras croisés de confiance et de conviction du travail accompli : il nous regarde. Dans cette pièce où il rassemble les brics et les brocs dont il fait sa planète, Tom Waits se tient fièrement, nous accueille et nous dit : "Voilà, regarde moi ça... respect, non?".

Une fois qu'on est entré, à l'intérieur, le livret montre pour la première fois des photos privées, de toutes les époques, dans tous les lieux, et avec toutes sortes d'amis, célèbres, anonymes, ou imaginaires. "Orphans" c'est toute l'histoire de Tom

Waits, une histoire dont on ne peut hélas que très amèrement regretter qu'elle ne pas soit ici accompagnée des textes qui la racontent. Trois longs tableaux, pleins, réussis, cimentés par une unité artistique, esthétique et sonore : ce traitement uniformément vieillot, authentique, étrange et bancal, craquelé, rayé, que Waits et

Brennan travaillent depuis "Mule variation" et qui s'est avec le temps révélé à même d'accueillir tous les dérangements du vieil ivrogne : de son inconfort terrible de

Page 55/208 râleur blues à sa folie obscure, en passant par sa classe immense de musicien délicat, mélodiste subtile, orfèvre cultivé, arrangeur et esthète. Plus que jamais,

Waits travaille le souffle, l'étouffement du son, le transistor, la distance, joue autant du radiateur et du craquement de chaise que du violon et de la basse clarinette, du goulot de bouteille. L'artiste a longtemps incarné les nuits urbaines, alcoolisées et jazz, pianistiques et enfumées, les errances de club en club à la recherche désespérée d'un pansement à la solitude; mais, depuis longtemps déjà, le gaillard s'en est retourné, loin du bruit et du progrès, loin des rues, rural dans l'âme, né dans un choux, jouant du banjo et enregistrant sa musique dans une vieille grange, avec les objets qu'il y trouve. Le mythe vivant croule sous les

éloges, la vénération inconditionnelle des élites intellectuelles, il a tourné avec

Jarmush ou Coppola, sa discographie exceptionnelle lui a légitimement rempli les poches, autant de paradoxes dont Scarlett Johansson a fini d'enfoncer le clou plus loin qu'imaginable : Tom Waits est glamour, que dis-je, glamourissime! "Orphelins",

"Bagarreurs", "Brailleurs", "Bâtards", la chemise bûcheron tâchée et le cul rivé sur une vieille chaise en bois qui couine dans l'acoustique de son ranch perdu : il s'affirme pourtant de plus en plus comme le prince défroqué, le délégué des culs-terreux. Tom Waits a fait la route. Il a écumé les trottoirs et les bars, il a plus largement encore vagabondé sur les chemins de poussière, dans l'amérique profonde aux 2 maisons par terahectare où le temps, faute de route, s'est arrêté.

Page 56/208 Des photos privées, toute l'histoire de Tom Waits : on le voit jeune et mince, visage fin, lunettes de l'intello, habillé d'un costume couturier, torero folk avec un bouc soigné et effilé, artiste esthète dans un studio d'enregistrement, il potise avec Nicolas Cage ou Benigni... on le voit de lourdes années plus tard, posant devant une maison abandonnée, dans un vieux tee shirt, les cheveux éclatés, le visage marqué, deux gros bras musclés et tatoués. On reconnaît soudainement les deux. Depuis le début, on l'a suivi sans question, chaque fois plus fasciné et

émerveillé, avec une telle constance qu'on ne s'était jamais vraiment aperçu, comme nous le montre maintenant l'objet "Orphans", que Tom Waits avait en fait glissé : du magicien surdoué aux mille couleurs délirantes, sorte de dandy magnifique et fêlé, fêtard iconoclaste derrière l'ombre de l'image du reflet de l'ersatz de la pâle copie duquel courent pathétiquement les produits de type Julien Doré; il est devenu peu à peu ce vieux sorcier grincheux, qui lui pour le coup a réellement, et à maintes reprises, tellement dépassé les limites, qu'il a du fuir Babylone pour le désert et l'isolement d'une baraque en bois. Indiscutablement, ouvertement :

"Orphans" est un objet, un grand oeuvre, qui en tant que tel va au delà de chacune de ses faces prises séparément : 4 chroniques, donc, pour un seul album : la ci-présente pour ce qui structure et constitue le triptyque en tant qu'unité, et une par tableau, débarrassée du besoin de mise en perspective des uns par rapport aux autres. Même si dans le détail, certaines pièces de l'un semblent s'être échappées

Page 57/208 de l'autre, simple résultat de la cohérence profonde de l'oeuvre de Waits, "Orphans" l'objet a été conçu très rigoureusement. "Brawlers" est un album de blues un peu râleur, apparemment dans la lignée de "Mule variation" et de "Real gone", mais libéré d'une grande partie de l'inconfort des deux précités, fondamentalement bienveillant, et avec une place laissée au boogie et au fils rock'n roll bien plus grande qu'auparavant; "Bawlers" est une impressionnante collection de pièces mélodiques, d'histoires nostalgiques... de jazz, de blues, de country, de cabaret, vieille époque et arrangées avec raffinement, et qui depuis "closing time", à travers "Blue valentine", "Alice" ou notamment "Blood money", constituent le coeur de Tom Waits; "Bastards" étant le côté obscur, inquiétant ou simplement dérangé, décalé, fêtard et expérimental, qui transfigura "Swordfishtrombones" et s'empara de toute la suite de l'oeuvre de l'américain, pour aller s'incarner avec le plus d'exigence dans les deux pôles "Bone Machine" et "Black Rider". Néanmoins, largement parsemé de monologues inquiétants, harmoniquement moins explosif, plus fondamentalement "expérimental et bricolo", "Bastards" ne possède pas l'incroyable richesse dense et exhaustive des trois références précitées. "Brawlers" les nerfs,

"Bawlers" le coeur, "Bastards" le cerveau. L'énergie, les sentiments, les démons.

"Orphans", oui, si parfaitement conceptualisé, a tout du mythe. Mais pouvait-on réellement espérer qu'au delà du travail parfait et totalement calculé sur l'objet, l'artiste explose littéralement jusqu'à nous offrir, en écho à cette ambition

Page 58/208 presque démesurée d'Encyclopedia Univerwaitsis, ses trois meilleurs disques à ce jour, regroupés en un seul monument qui s'imposerait ainsi comme plus encore que le white album du vieux grigou? Non, bien sûr. Bien que "Brawlers" soit absolument excellent, tout en continuant par ailleurs (mais comment est-ce possible???) d'ouvrir les influences et le vocabulaire de Tom; Bien que "Bawlers" soit tout simplement magnifique; Bien que "Bastards", certes inégal, arrive encore à nous surprendre et à nous faire frissonner; il ne s'agit pas de l'union sacrée de trois immenses chefs-d'oeuvre. Mais, je vous l'ai dit, 3 galettes, et 4 chroniques... parce-qu'il en fallait une pour l'objet "Orphans", pour "Orphans" comme triptyque, qui vaut plus, réellement, que la simple addition de ses trois épisodes. Cela s'assume dans chaque détail de l'objet : Tom Waits de fait ne cache pas son ambition presque mégalomane de faire un monument anthologique, exhaustif; et l'ambition est si énorme, mais magnifique, que sans transcendance supplémentaire d'une oeuvre qui s'est déjà ponctuée d'aboutissements absolus, la simple réussite de "Brawlers,

Bawlers & Bastards" suffit à faire d'"Orphans" ce qu'il prétend être, excusez du peu : une forme d'apothéose de l'oeuvre de l'immense personnage. Et précisément : une apothéose dont l'élégance suprême est de maintenir comme toujours indispensable tout ce qu'il a fait jusqu'ici, et de ne remplacer ni "Blue valentine", ni

"Sworfish", ni "Bone machine", ni "Blood money". Si aucun des trois tableaux séparés n'en est un (quoique "bawlers" soit réellement sublime), "Orphans", lui, est bel et

Page 59/208 bien un chef-d'oeuvre. Et ce qui transforme l'essai tiens en un seul mot, de ceux qui donnent à la musique sa grandeur particulière : la générosité. Jusqu'ici Waits nous amenait des albums, par lesquels il nous ouvrait des portes sur son pays de perdants magnifiques. Avec "Orphans", c'est tout simplement une maison à habiter, installée en plein milieu des landes de son univers, qu'il offre à chacun de nous...

Waitsland, Wasteland : Land of the wasted...

Note : 6/6

Page 60/208 WAITS (Tom) : Orphans 1 : brawlers

Chronique réalisée par Sheer-khan

"Naaan!! me dit Tom. On reste sur la terrasse! C'est de là qu'on voit le pays" "Ecoute, lui répondis-je, je la connais la terrasse... tu m'y as planté à regarder le mulet remuer des oreilles tout seul au milieu de cette désolation, et j'ai adoré ça... seulement... voilà quoi, je la connais la terrasse, et j'en ai marre de t'entendre râler sur ce désert, sur le pays... pourquoi t'y restes? pourquoi tu veux qu'on s'y replante, là, au spectacle de l'infinie poussière puisque t'y es si mal?...". "Parce que c'est mon pays, morveux! me répondit-il en me crachant à la gueule. Et puis si tu l'as vu, je ne te l'ai pas montré, et je t'ai pas tout dit... parce que y a pas que râler, on peut aussi faire les cons, s'aimer et rigoler dans la poussière!" il a sorti une vieille guitare chromée et s'est mis à délirer rock'n roll en imitant Elvis Presley : il a commencé son tour de chant. C'était vrai, pas de rancoeur, pas de crachat, Tom était de bonne humeur, rigolard, faisant le con et se faisait plaisir aux rythmes de vieux rock, sur sa vieille terrasse abandonnée, là où il vient d'habitude gueuler son inconfort à la

Page 61/208 face du silence. Et dès le début j'ai aimé ça. Parce que c'était bon... sacrément bon. Le voir aimer le rock comme ça, tous les rocks, le vieux rockabilly, le gros bluesrock pesant et saturé, le groove rockarolla des 2 heures 19 du matin... le rock'n roll, et tout cela version terrasse, à base de copains bourrés qui passent et de percussions en feraille véritable. "Evidemment que j'aime le rock, me dit-il alors en s'arrêtant. Evidemment! Tu l'entends bien, là, tu l'as vu : au fond,

écoute... c'est du blues". C'est vrai, j'aurai du deviner... J'ai mieux regardé ses quelques potes qui s'étaient pointés au premier son de guitare pour jouer avec lui. Ils avaient le regard blessé, les fringues centenaires et rapiècées, certains souriaient comme si ça les maintenait en vie, édentés, paumés, vraiment paumés. "Tu as raison, me dit finalement Tom avec douceur et mélodie, on était déjà resté sur la terrasse, mais je t'avais pas montré, et je t'avais pas tout dit... tu vois la poussière, cette sécheresse, cette amérique... pourquoi tu crois qu'on chante encore le blues ici? On y est encore : c'est toujours le pays des esclaves." et tous ses copains ont opiné du chef, avec l'insouciance de celui qui commande son 18ème double bourbon. "Depuis l'abolition, reprit-il, les esclaves sont les sans destin, les sans amour, les sans personne... esclaves de l'invisibilité. On nous voit pas tu comprends? On habite au milieu de l'abandon, pas de chemin qui arrive, pas de route qui parte... campagne exsangue, l'amérique du sable... voilà le pays, voilà ce qu'on est, ce qu'ils sont, ce que je suis; orphelin, seul, oublié... et je suis

Page 62/208 perdu, perdu... perdu là, dans le trou du cul du monde..." Il n'y avait plus d'agressivité chez Tom. Juste de la nostalgie, une mélodie douce et country comme il en a le secret, avec cette amérique au bord de la terrasse et sa guitare du cru, tandis que le soleil semblait s'adoucir vers la fin d'après midi. "Alors tu le vois maintenant? a-t'il repris avec plus de véhémence, grimaçant. Tu comprends pourquoi parfois je viens gueuler devant cette mort sur la terrasse, frapper des gros coups kaboom kaboom comme un poivrot, même quand je dois chanter la douceur, même si je chante Lucinda? Tu comprends, maintenant, pourquoi il m'arrive de devoir réellement partir?"... Alors, comme il avait eu l'énergie et la beauté de s'amuser rock'n roll pour me divertir, comme il avait pris la peine de se munir de sa plus belle plume de délicatesse pour me parler du cul du monde, et m'en apprendre encore, finalement, sur le pays, et comme ces vieux copains étaient là pour partager avec lui le plaisir d'être ensemble autour de leur musique et de leurs cicatrices, je suis resté, bien volontiers, avec eux sur la terrasse, tout le temps que Tom a voulu. Quand ils faisaient du rock on sentait le bonheur de cette énergie, transmise entre moribonds, quand ils faisaient du blues, on sentait l'amitié, la foi qui anime Tom, le groove qui l'accompagne... et quand il arrivait à trouver la route vers la paix, ou se laissait aller aux larmes du souvenir, il y avait la gentillesse, la délicatesse, il y avait le coeur du sujet : ces kilomètres de rien hostile, ces paumés qu'on y croisent, les orphelins : même les plus primitifs qui ne savent plus parler autrement qu'en te crachant dessus, Tom les

Page 63/208 connait et les pardonne, Tom en est un et les comprend... il les aime. Lentement, le soir s'est affirmé... Tom chantait tranquille et twistait avec ses acolytes... puis, entre la nuit bleutée et la lumière de la lampe à pétrole, il a fini par s'asseoir tout seul sur la bord de la terrasse, face au silence, pour entamer un petit appel au copain Buzz, au cas où le gaillard, au loin, sur sa terrasse à lui, tende l'oreille vers le soir. La lune, le vent, l'écho de son banjo sur le bois sec des murs de la maison... on entendait les chiens de Buzz, aboyer au loin pour accompagner la complainte du vieux Waits... "Tout est là, dit-il dans un sourire. Heureusement qu'il y a les copains".

Il s'est levé comme pour rentrer, un dernier regard derrière lui sur la lande infanticide "Tu comprends, c'est chez moi, chez nous... j'ai besoin de jouer du blues, sur la terrasse avec eux... pour parler avec eux, parler de moi... alors, parfois, je geins, je gueule, je râle, je m'énerve !"... puis il conclut : " Le pays tu as vu c'est la sécheresse, l'aridité. Mais pourtant moi, tu vois, où que j'aille, quoi que je fasse, chaque instant, il me pleut dessus"... et comme il disait cela, ses frères ivrognes le répétaient avec lui, dans

un choeur fin de banquet, car ces mots du vieux Tom, c'étaient leur vie à eux.

Note : 5/6

Page 64/208 WAITS (Tom) : Orphans 2 : bawlers

Chronique réalisée par Sheer-khan

C'est un album de photos, prises un peu partout dans l'amérique rurale, au siècle dernier. Noir et blanc, dirait-on, jaunies, cornées, ocres et sépia. On y voit une fin de mariage : sur le porche en bois de l'église, la mariée regarde l'objectif et sourit, on voit, derrière elle, à moitié dans l'ombre de l'église sur le pas de la porte, un homme qui doit être son père; il regarde sur le côté. Et sur le devant, coupée par le cadrage, on voit une personne qui quitte le champ. C'est à peu près tout. La mariée est toute seule sur son porche, son bouquet à la main, elle sourit et regarde l'objectif. 1927. Il y a une autre photo, prise dans un vieux living.

C'est une maison : on aperçoit des champs au travers des dentelles qui bordent la fenêtre. Il y a un gros fauteuil devant la fenêtre, et un piano. C'est une vieille photo, marquée par l'âge comme toutes les autres, mais au delà de ce voile des ans on voit que les touches de ce piano étaient déjà jaunes, craquelées... comme ces pianos qui traînent dans les salles municipales, et dont on ne se sert jamais. Sur le porte partition, il y a le portrait d'une femme. Mais on voit que les touches ne

Page 65/208 servent plus. 1938. Je ne connais des états-unis que la ville de New-York et je suis né en 1971. Ces photos de l'amérique des petites villes et des premières Ford, pourtant, me rappellent tellement de souvenirs. Je me souviens très bien de ce type, là, par exemple, avec son joli costume, et sa jolie fiancée, appuyé sur sa voiture de bois aux courbes généreuses, et qui montre ses dents à l'avenir, avec une confiance pleine et entière. 1913. Et ce restaurant, sa salle vide, et cette ferme... cette fiancée, encore. 1952. La nostalgie. Tom et moi nous sommes installés dans le salon à la nuit tombée. Dès que j'y ai mis les pieds je m'y suis senti chez moi, dans la chaleur, dans l'odeur d'encaustique, enfoncé dans un gros fauteuil à regarder les chromos délavé sur les murs, tandis que Tom s'était mis à pianoter.

"Bawlers" est un titre bien curieux pour cette éloge aux souvenirs, aux temps qui passent, aux disparus. 20 ballades ancrées dans la tradition populaire américaine, du jazz, du blues, de la folk et de la country... des mélodies subtiles arrangées avec douceur, délicatesse, un peu d'harmonica, des dentelles de banjo, du violon et de la clarinette... de petites valses amoureuses, un court tango, un parfum de rumba... le grand retour de Tom Waits derrière son piano, le verre sur l'instrument, cigarette fumante dans le cendrier, et des histoires par dizaines. "Bawlers" est un titre bien curieux pour un tel moment de calme, d'arrêts sur images et de douce pudeur... pour ces tableaux intimistes, chuchotés, bienveillants. La voix de Tom se tient tranquille, elle se promène avec lenteur et fatigue, mais à mesure que la

Page 66/208 soirée avance, et qu'il fait pleurer, soupirer et sourire sur son piano toujours plus de mélodies ciselées avec la facilité d'un homme qui parle, son verre se vide, sa voix titube, ses larmes viennent. La nostalgie. "Bawlers" est un titre bien curieux pour une telle collection de regrets étouffés; de résignation tûe au cours injuste des choses qui passent, au monde qui continue de tourner, à la couleur usée qui finit de ternir les photos les plus claires, les souvenirs les plus simples.

Douloureux ou habités d'une discrète chaleur, pleins d'espoir ou meurtris, après

"Closing Time" et "Alice", les contes de Tom continuent de me rappeler des souvenirs que je n'ai jamais eus. 2006. Travailleur minutieux, orfèvre, savant, inspiré, Tom

Waits ne laisse rien échapper au hasard, ni aux reflets roses et bleus que lui dicte son état. La nostalgie. Logée partout, au coeur de tout, exprimée par tous les moyens possibles, le choix de la tradition, des notes de vieux gospel pour piano solitaire, des histoires d'amourettes qu'on oubliera jamais... la nostalgie, dans ses styles, dans ses notes, dans ses mots, dans ses sons... dans sa voix... dans ma

gorge.

Note : 6/6

Page 67/208 WAITS (Tom) : Orphans 3 : bastards

Chronique réalisée par Sheer-khan

Je ne me rapelle pourtant pas m'être endormi, mais quand je me suis réveillé, Tom n'était plus là. Le salon était vide, le piano refermé, et la maison figée dans les lueurs de la lune. J'ai cru me réveiller en plein silence, dans la maison perdue au milieu du wasteland et la nuit pour décor; mais je suppose aujourd'hui que c'est le vacarme bizarre qui venait du grenier qui m'a tiré du sommeil. Sorti du salon je me retrouve dans le couloir, je tâtonne sur les murs suivant la lune de tâche en tâche... ce n'est pas du vacarme en fait : on dirait du tango... arrivé prudemment au pied de l'escalier j'aperçois une lumière, vacillante, qui s'échappe sous la porte du grenier... ce n'est pas du tango : c'est l'opera de quat'sous. Trop tard... je n'ai le temps de monter que quelques marches, et sous la porte la lumière s'est

éteinte, le silence revenu... collé à mon oreille, dans le noir absolu, sa tête

énorme et les yeux brillants, Tom m'a cloué sur place et me raconte une histoire pour m'endormir... sauf que j'en suis sûr, bloqué ici dans l'ombre, assis dans l'escalier au milieu de la nuit : la maison est vide, et Tom n'est pas là... c'est

Page 68/208 dehors, dans la lande sauvage et sous les étoiles blanches que ça se passe. "Heigh ho"... "Heigh ho"... quelqu'un a allumé des feux, un type déclame au loin sur les collines : y a des esprits furtifs qui courent un peu partout autour de la vieille baraque... il y a une procession de fourmis qui me remonte le dos en suivant la colonne. Saviez-vous que chez les mantes religieuses, le mâle continuait de copuler même après que la femelle lui a bouffé la tête et coupé le torse? Des paquets de cocons blancs, des araignées, et toujours ces bestioles qui se baladent sur moi... putain c'est la cave; descendu des collines, assis sur la terrasse juste devant à regarder la nuit dans le désert alentour, Tom ne fait pas du tout attention à moi, à la maison, à ce qui se passe... je suis en plein malaise, réveillé par un rêve, et lui reste là, dehors, à chanter une vieille ballade traditionnelle. Je suis en plein malaise, empoisonné par des cliquetis de banjo, mais lui, il marmonne tout seul comme un sorcier déchu; il est transfiguré, défiguré par la nuit, et l'homme que j'aperçois par la fenêtre du premier étage, assis sur ma terrasse : je ne le reconnais pas... il est malfaisant, il fait dans le groove psyché sur harmonies post punk, il ouvre la porte au chien... il se lève, et marche dans la nuit autour de la maison, le sourire assassin, chasseur de sang. Je suis en plein malaise, mais depuis que je me suis réveillé, tout seul dans le salon, le vaudou me ballade et faut dire ce qui est : je suis hypnotisé, halluciné, fasciné... et tandis qu'enfin, là-bas à l'horizon, s'échauffent les toutes premières bleuets de l'aurore, qui ne tardera

Page 69/208 plus, Tom reprend son visage, récite du Bukowski, sur fond de cor lointain qui accompagne le jour au dessus des collines. Tom est fatigué par sa nuit, pauvre petit agneau, et c'est comme obligé, forcé par on ne sait qui, qu'il persiste dans sa country old fashion et tristouille, qu'il couvre les cloches de l'église sonnant le réveil par un vieux jazz crevé, bourré... qu'il s'efforce de me présenter sa bagnole au moment où je sors enfin de mon refuge familier pour lui serrer la main sur le pas de ma porte avant qu'il ne s'en aille. Tellement crevé, comme obligé, forcé par on ne sait qui de se fendre d'un klang boom avant de grave blueser, au fond du fond de ses groles... s'attardant sur lui-même, alors que le jour est déjà bien levé, avant de prendre la route. Je le salue d'un geste, depuis le parterre devant la maison, sa voiture disparaît dans son nuage de poussière, au loin sur le chemin, je vis un bel instant. Quelle drôle de nuit me dis-je en rentrant chez moi. Quelle drôle de nuit... dommage que papa Tom se soit poussé à bout au delà de l'aurore, fatigué, fatiguant, forcé par on ne sait qui, car sous la maman lune c'était vraiment une

drôle, une putain de folle, et de fascinante nuit.

Note : 4/6

Page 70/208 SCHULZE/GERRARD : Rheingold

Chronique réalisée par Phaedream

Du vendredi 18 Juillet au dimanche 20 Juillet se tenait le festival Night of the Prog à Loreley, Allemagne. Parmi les invités, il y avait Tangerine Dream et Klaus Schulze ainsi que Phish,Roger Hodgson, Barclay James Harvest et autres groupes dont la musique varie entre le rock et le progressif. Pour sa part, Klaus Schulze est accompagné par Lisa Gerrard. C’est dans un tintamarre synthétisé que Maître Schulze ouvre son concert. Il est près de minuit. Alberich ouvre ses airs avec un synthé discordant qui alterne entre la folie hertzienne et la gare centrale. Schulze aime bien partir ses concerts de cette façon. De la cacophonie statique, qui se meurt dans le creux d’une vague synthétique, pour renaître sur un doux synthé aux mouvances éthérées, épousant à merveille les splendeurs d’une nuit tombante. Schulze introduit son orchestre, avec chœurs, virtuelle avec la patience d’un maestro aguerrit. Une chorale angélique sur un mouvement flottant et des arrangements orchestraux qui moulent à merveille une douce ambiance sereine, sur quelques effets sonores au doux parfum analogue. Faisant rêvasser sur les vieilles sérénades du créateur Allemand. Conquit, le public de Schulze suit patiemment la lente évolution d’Alberich qui commence à s’agiter vers la 11ième minute avec une séquence qui vrille en cercles hachurés, créant un effet d’hypnose sur un tempo à peine tempéré. Des cymbales bien timides éveillent un peu plus ses cercles ébréchés jusqu’à ce qu’une lourde batterie martèle un tempo lent, mais puissant. Du bon vieux Schulze servit à la sauce moderne avec des synthés aux arcs échotiques. L’intro de Loreley est sereine. Schulze nous en met plein les oreilles avec un synthé rêveur qui épouse les errances des étoiles. De la grâce sur le bout des doigts qui nous rappelle un Schulze plus jeune, plus analogue. Cosmique et fragile, Loreley évolue comme une douce voix de sirène cosmique qui flotte dans un néant aux prismes irradiants afin d’introduire les superbes vocales de Lisa Gerrard. Au contraire de Farscape, la magie opère. La voix de Gerrard se fond admirablement aux arrangements tant vocaux qu’orchestraux de Schulze. Une splendide fusion qui évolue étonnamment vers un rythme séquencé névrotique et sautillant, supporté par la puissance vocale de Mme Gerrard. Du Schulze dynamique qui pousse la chanteuse Australienne jusqu’à ses limites avec de superbes mouvements animés, avoisinant presque la techno, sur de merveilleuses prouesses séquentielles (c’est en concert), animées de percussions à la Blackdance. Tout simplement superbe. Les 12 dernières minutes appartiennent à l’esprit de Farscape, tout comme Wellgunde d’ailleurs, mais c’est plus acceptable dans ce contexte plus mouvementé et fortement rythmique. Grosses éructions électroniques, suivis d’une tornade d’un synthé aux boucles harmonieuses, Wotan perce la nuit avec une agressivité pulsatrice hypnotique, sur de belles séquences innocentes. Du Schulze audacieux et brillant qui fait un montage sonore tintamarresque sur des bribes mélodieuses, entourées de solos décapants. Synthé minimaliste qui revient en boucles sur de bonnes percussions, Nothung étale le talent de Schulze pour voyager dans les sphères de ses décennies. Plus près de sa période médiane, Nothung voyage allègrement sur un rythme qui transcende les étapes musicales de Schulez. On y retrouve des éléments de sa période analogue, digital et classique avec de beaux arrangements orchestraux. Un peu plus et on croirait entendre Harald Grosskopf à la batterie. Du pur Klaus Schulze. Nibelungen est un titre en prime sur le double coffret cd. Un long titre qui débute harmonieusement avec de douces voix éthérées qui épousent un mouvement très

Page 71/208 doucereux et fort mélodieux. St beau et prometteur. Je crois rêver, car j’ai un sentiment de beauté musical, tel que je l’avais vécu sur Mirage. Le mouvement progresse avec force, mais toujours en conservant sa douceur initiale. Le rythme léger, un cello embrasse les émotions volages vers la 10ième minute, là où Nibelungen devient plus abstrait que musical, mais toujours avec cette touche harmonieuse qui veille en arrière plan. Échantillonnages vocaux, flûtes, violons et violoncelles flottent dans ce décor cérébral, ajoutant les longueurs longtemps comprises et pardonnées au Maître Allemand. Vers la 23ième minute, Nibelungen vole plus haut avec de fines séquences qui déboulent sous un étrange cornet, maintenant intacte l’émotion des premiers instants et expliquant le sens des longueurs que Schulze aime exploiter. Un pur délice. Bien voilà, certains diront que je me suis laissé emporter par ma trop grande passion pour ce musicien contemporain qui deviendra une légende dan quelques décennies, mais Rheingold est un pur chef d’œuvre. De la grande musique qui alterne entre les rythmes fous de Schulze et des approches d’une sensibilité qui se gagne avec la progression d’une vie. J’ai adoré chaque minute, même la planant Wellgunde qui prend une toute autre dimension dans ce concert de feu que Schulze a donné à Loreley, le 18 Juillet 2008.

Note : 6/6

Page 72/208 SCHULZE/GERRARD : Rheingold DVD

Chronique réalisée par Phaedream

Après Oxygene de Jean Michel Jarre, le DVD de Rheingold est une pièce d’anthologie qui aide à mieux cerner les complexités de la MÉ. Le DVD 1 présente le concert en entier, sans coupures ni fades out. Le concert pur avec ses écarts, tel celui où Schulze se lève en pleine interprétation de Loreley pour remercier la foule de son enthousiasme et les erreurs de synchronisations que seul Schulze semble discerner via ses mimiques. Ainsi on y voit comment le maître travaille. Comment il effectue le montage de ses compositions et improvisations. C’est tout simplement renversant pour un néophyte tel que moi, qui n’a aucune connaissance de la conception de la musique électronique, de voir avec quelle précision tout s’enchaine et finit par créer une pièce musicale de très haute qualité. C’est évident que certains instruments sont échantillonnés, mais cela n’enlève en rien le travail de composition de l’artiste. La minutie de l’art minimalisme auquel s’ajoute séquences, voix, orchestrations, percussions sur mellotron et synthé qui sont réellement manipulés par les mains de Schulze, contrairement à ce que Froese et sa gang nous donne. Donc, un excellent documentaire qui vaut amplement le détour, gratifié d’un superbe concert. Le 2ième DVD est un documentaire sur la conception du concert. Majoritairement en Allemand, parfois en Anglais, Klaus Schulze discute du concert à partir des studios de Peter Gabriel. Schulze explique sa vision des enregistrements en concert, ce qui l’a amené à Loreley et la participation de Lise Gerrard. Documentaire fort intéressant où on y voit un Schulze décontracté, aussi humain que sa musique. La 2ième partie est une conversation, bien plus qu’une entrevue, entre Steve Wilson de Porcupine Tree et Klaus Schulze. C’est fort intéressant, quoique parfois difficile à suivre à cause des accents très prononcés des 2 personnages. Et le DVD n’a aucun sous-titre Français, une grave omission selon moi, car un large public de Klaus est francophone. Donc 2 érudits dans leurs bulles qui parlent et parlent, oubliant la caméra et ceux qui vont écouter…. Intéressant, quoiqu'un peu long par moments. Un peu plus et je lui mettrai la quote chef d'oeuvre.

Disponible en version coffret 2 DVD ou 2 DVD/CD

Note : 5/6

Page 73/208 THERAPY? :

Chronique réalisée par Raven

“ I got a trigeeer insiiiiide, I got a triger insiiiiiiide, I got a triger insiiiiide, I’ve the feeling I’ve been cheated.” Ce morceau, merde ! Cette claque ! Ce riff ! Ces paroles… pleine d’amertume, cette hargne palpable, qui sent le vécu à plein nez. Troublegum, l’album d’une génération… Il y’en a qui ont eu Dirt, d’autres Ten, d’autres Nevermind. Moi j’ai eu Troublegum, bien qu’avec quelques années de retard, et comme tous ceux qui l’ont découvert à l’âge des premières galoches, je le réécoute aujourd’hui avec un poids sur le cœur… Même passée l’acné, cet album est immortel, et tenter de l’expliquer par tous les moyens à ceux qui ne l’ont pas reçu pleine face dans la fleur de la jeunesse serait vain. Mais je m’égare. Quid de cet EP ? C’est ça, la question ? Bah, 4 titres dont 3 inédits-reprises, de bons inédits, la condition sine qua non pour que n’importe quel amateur du groupe, comme moi, s’y intéresse un peu, et débourse quelques pièces pour faire grossir sa pile des bons Therapy ? (je vous parlerai des mauvais plus tard, pas d’inquiétude). Un EP à avoir oui, d’autant plus que la reprise très garage de "Nice ‘n’Sleazy" est brillamment négociée, à aucun moment Andy n’a eu la mauvaise idée d’essayer d’imiter le chant de Cornwell, bref une excellente reprise, moins reggae mais plus noisy et groovisante que l’originale, cover personnelle, balancée à l’arrache entre deux pintes de Guiness, je dis banco. Les deux derniers titres (la moitié, lol) de cet EP on a droit à un "Reuters" chelou, cover de Wire qui aurait pu figurer sur Suicide Pact, du Therapy? Jesus Lizardisé, Tom Waitsisé, cabossé et déglingué, avec ce son de batterie extra dry identifiable entre mille… quand à "Tatty Seaside Town", il s’agir d’une reprise des Membranes (un groupe culte sur lequel je dois me pencher de longue), du punk rockabilly très mélodieux, avec un p’tit refrain au parfum d’air traditionnel pas piqué des hannetons. Coool. Un EP anecdotique ou indispensable, selon qu’on soit fan de Therapy ? ou non. Moi, je l’aime bien.

Note : 4/6

Page 74/208 PARADISE LOST : Host

Chronique réalisée par Raven

Host fût une trahison pour beaucoup… on en a déjà beaucoup parlé alors qu'il n'y avait pas lieu de se sentir pris en traître, puisque cette évolution était déjà bien prévisible avec One Second. Pour moi il s’agit d’un exercice périlleux souvent tenté, et réussi haut la main, un sacré coup de bluff. Paradise Lost aurait pu rester dans son rôle de goth-metal post doom-death, Nick Holmes aurait pu ne jamais s’éclaircir la voix, oui. Mais il existe des groupes qui ne se mentent pas à eux-mêmes, bien qu’on ait l’impression du contraire, et qui (lancez les violons) écoutent les désirs qui sourdissent au plus profond de leur cœur. Choisir la pop. Choisir de livrer une émotion aussi forte que la mélancolie sur un plateau d’argent, d’une autre façon qu’avant… plus éthérée, plus soft, mais toujours pure… Risquer de perdre… quoi ? Une bande de chevelus à oeillères ? One Second en valait la peine, et Host poursuit dans la même veine, mais délesté de l’attirail métal, et enrichi en sonorités electro. Bien sûr on ne peut pas ne pas penser au groupe qui a enfanté Violator ou Songs Of Faith Of Devotion quand on écoute cet album, mais PL est bien plus qu’un simple clone de DM : il y’a un charisme, une classe, une émotion réelle et personnelles qui se dégagent de cette musique, une âme tout simplement, que des formations comme Mesh, simple calques, ne seront jamais capables de reproduire. L’émotion, ça n’est pas une question de production ou d’habillage, et c’est ce que nous apprend Paradise Lost si besoin était de l’apprendre, les choses ne se font pas à l’envers et c’est en ayant à la base des compos fouillées et un chanteur qui y croit vraiment qu’on peut alors se broder un costar. Dans Host tout est fait en orfèvre, travaillé avec précision, et si chaque morceau pourrait être un single potentiel, voire un tube en puissance ("Nothing Sacred", "Permanent Solution" et "Made The Same" se défendent bien dans le genre), aucun ne laisse la moindre impression de fadeur, de superficiel, on frôle souvent la mièvrerie de justesse, mais tout est d’une telle élégance qu’on se garderait bien de trouver ça trop… quoi ? Trop gay ? Pour moi ce disque est aussi sombre qu’un Icon, il l’est juste d’une autre manière (de toute façon si vous êtes de ceux qui trouvent que Depeche Mode est un groupe mignon, inutile d’essayer vous convaincre de quoi que ce soit). Les refrains sont touchants, les mélodies exquises, la sensation de légèreté qui s’en dégage n’enlève rien de cette ferveur, de cette foi, qui habitent Paradise Lost depuis le début. Les choses sont justes vues sous un autre angle, et si on est plus dans la cathédrale ou sous un ciel orageux mais dans une plaine enneigée ou un parc tapissé de feuilles mortes (mmmh, métaphore très juste), la saison est la même (l’automne, ou peut être l’hiver tout bien réfléchi), le pays le même, et l’âme, la même, toujours les mêmes tourments et le même leader. Nick Holmes en choisissant le chant clair nous fait son Dave Gahan, sans copier bêtement, en gardant beaucoup de personnalité. Puisqu’il faut un peu parler de la prod, je dirais juste qu’elle est parfaite, limpide, très calibrée radio et sophistiquée sans perdre une once de grâce, ni sonner plastique, tout reste organique, pleine de finesse, de subtilité, des arrangements multiples, de piano, de violons (qui font parfois un peu trop clichesques mais la B.O. de Requiem For A Dream n’était pas encore sortie je crois) à toutes ces petites subtilités sonores, échos technoïdes, voire quelques sonorités lorgnant vers l’indus ou le trip hop, du beau travail, toujours au service de l’émotion. Une sensation de mélancolie et de fraîcheur, de mélancolie airwaves pour être plus clair (airwaves fraîcheur intense) me prend quand j’écoute ce disque, rien qui ne soit forcé, tout coule naturellement, et je suis dans l’hiver doux de Paradise Lost (Fisherman’s Friends), je me laisse bercer, même si parfois c’est peut être un peu trop maniéré, rien qui ne sonne superflu ou fade (hollywood fraîcheur chlorophyle, l’arnaque

Page 75/208 du siècle) : les émotions sont sincères, viennent naturellement à moi. Le fait qu’ils n’aient pas employé – ou très peu – les guitares est à mon avis une bonne chose, de même qu’avoir gardé une formation rock (de la batterie et quelques riffs tout de même, de-ci de-là) pour ne pas non plus tout remettre en question. Le groupe n’a pas fait les choses à moitié et s’est lancé tête baissée dans ses envies d’ailleurs, sans renier son feeling bien singulier, ce que peu d’anciens groupes de métal ont osé faire, et encore moins réussi quand ils s’y sont tentés. Respect. Host est peut être un de leurs plus beaux disques tout bien réfléchi, un album qui a réussi a capter l’essence, la mystique de Depeche Mode, tout en gardant le charme unique de Paradise Lost. Un bel album d’electro pop hivernale et raffinée, d’une humilité exemplaire, d’une sincérité réelle, et d’une grâce totale.

Tout simplement.

Note : 5/6

Page 76/208 ZIMMER'S HOLE : Bound by fire

Chronique réalisée par yog sothoth

Bon, on se doutait un peu depuis le "No sleep ‘til bedtime" et son cultissime Far beyond Metal que les gars de Strapping young lad étaient assez portés sur la déconne. Et bah avec Zimmer’s hole, les affreux (Byron Stroud et Jed Simon respectivement à la basse et à la guitare + Devin Townsend à la prod.) ont décidé de laisser libre cours à ce coté déconne, et se sont acoquinés avec un hurleur qui pourrait bien être l’improbable croisement entre Glen Benton, un clone alcoolique de Fabio Leone et un diab’ de Tasmanie enragé. De cette belle rencontre (probablement pas dans un état de grande lucidité) naquit "Bound by fire", qui incarne encore aujourd’hui à mes yeux LE disque de Metal extreme parodique, un grand foutoir d’une demi-heure où se succèdent dans la plus totale incohérence intro Dark à la Immortal (avec des piou-pious de zozios), hymnes Heavy Metal qui feraient passer Manowar pour un groupe de gayz (et ce n’est que justice car Zimmer’s hole EST le Metal … enfin c’est eux qui le disent quoi) et bourrinages syncopés façon sous cannabis (et j'en passe...). Du bonheur en vrac quoi, noyé sous un amalgame de paroles absurdes (cf. l’émouvant slow en ghost track… "where is my coffee machine ??") et de samples délirants ("i got doonuts !”)… Complètement dans son délire, Zimmer’s hole se fait néanmoins plus basiquement second degrés qu’un Carnival in coal, moins glauque aussi, plus dans l’optique d’un gros défouloir barré. Bon après si là je vous ai pas convaincu et que vous voulez essayer de vous marrer, vos pouvez toujours tenter le dernier DVD de Franck Dubosc… c’est vous qui voyez…

Note : 5/6

Page 77/208 ACID BATH : When The Kite String Pops

Chronique réalisée par Raven

Ce matin en sortant de ma cabane au fond du bayou après une cuite pachydermique au whisky, j’ai mangé un carembar… et appréciez un peu la blague stupéfiante que j’ai eu la joie de découvrir une fois déplié le beau papier jaune de cette saleté : "qu’est-ce qui est tout couvert de fleurs et qui pue ?...... Un cadavre de hippie…" Ahahahohohoh. Et qu’est-ce qu’on fait pour se débarrasser d’un cadavre de hippie, quand on est un gros boucher sludge qui a toujours du cadavre de hippie sur les bras ? La réponse du boucher sludge : "On le fout dans une baignoire et on remplit tout ça d’acide, conno !" Acid Bath… what's that, oh dear Raven ? qu'est-ce donc ? C’est... groovy, c’est ça, c’est le groove (je répéterai ce mot à l’envi dès maintenant) le groove protéiforme, et fatal à tous les coups. S’il est un groupe de sludge plus difficile à ranger dans une case que les autres c’est bien Acid Bath, une des plus grosses références mais aussi une des plus troubles et secrètement bigarrées comme les ballons du clown Pogo, sur cet album légendaire dont on a déjà tout dit - je serai donc concis au possible et n’en dirai absolument rien dans les prochaines lignes (ou très peu car j’aime aller à l’essentiel, c'est ma nature), sinon que c’est varié, très varié, bigrement joueur ; capable de passer de la lumière la plus aveuglante au bain de boue étouffant sans fondu enchaîné, hop. Du grand art, et rien à voir avec le groove primaire et linéaire d’un In the Shame of Suttering, ici le groove est total mais costaud et sûr de lui, presque trop contrôlé pour cette musique de drogué (paaaas bien !). Et pourtant, malgré ce contrôle technique de haute volée, les choses se passent comme pendant une baston générale : on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur le coin du museau, ni quand. Cet album est salement riche en surprises, oui, des pains au chocolat des pains au raisin des pains dans la tronche pour un gros pain surprise - les morceaux sont pas complètement imprévisibles non plus, mais il faut plusieurs écoutes pour se rendre compte de cette foutue diversité, quoiqu’on sait dès le début pas où donner de la tête, entre les réminiscences stoner, doom, hardcore, bluesly, psyché et les passages bien grungy, le sludge protéiforme d’Acid Bath a plusieurs arcs à ses cordes, et un groove inoxydable, ainsi qu’une prod qui ne se complait pas dans la saturation pour imposer sa puissance. Riffs galactiques, riffs death voire thrash puis riffs bien graisseux lancés comme des chars d’assaut façon Kyuss, brève giclée de sang dans les yeux puis retour à un pataugement carnassier, larsens de crevard, percus tribales ou pète-tibia, poutrage pleine face, accélérations et décélérations scélérates, tout l’arsenal est là et gare aux cervicales (le cerf est-il halal ?), mais comme Acid Bath est bien plus polyvalent que les primitifs d’Eyehategod, incapables de lever la tête de leur flaque d’incontinence, il y’a en conséquence beaucoup de passages dans des tons variés et autant de riffs mortels à se mettre sous la dent ("The Morticians Flame", wabah !!!), des riffs qui sont là pour te la mettre profond, portés par des changements de rythmes incessants, absolument jouissifs, oserais-je même dire… mortellement sexy. Quand aux passages Stairway To Heaven n’en parlons même pas : ils sont aussi capables de te faire mal au cœur, les salauds, et sans prévenir, en lâchant les guitares sèches et en balançant de la mélodie fine à serrer la gorge ! Les deux grosses ballades de hippie de ce disque sont ptetre les passages qui me scient le plus les pattes à chaque fois. "Scream Of The Butterfly" tirerait des larmes à un cochon sans tête, quand à "Bones Of Baby Dolls" même topo, quoique un peu moins extatique, mais ce côté cœur vaillant et pétales dans les cheveux alors qu’on a les pieds dans le purin, c’est magnifique, c’est comme quand Jésus se lève à la fin du film, c’est bô. Acid Bath a le talent – pour ne pas dire le génie - de pouvoir jouer des ballades de hippie alors qu’il sent la fosse septique et le jus de fœtus à cent

Page 78/208 mètres, et qu’il a une peau en chorizo. Ça, mon pote, ça s’appelle la classe. Bien sûr on me rétorquera que tout est malsain, vicieux, faussement naïf et tout, bien sûr que les paroles sont toujours explicitement dégénérées, mais j’trouve ça trop chou, je fonds. Pour ce qui est du reste, ça vacille, change de main pour mieux frapper, entre la fureur et l’hébétement, le flamboyant et le morose ("Finger Paintings Of The Insane", idéal pour flirter). En guise de chant extrême, des hurlements de hyène hystérique dont le gosier à été cramé au fer rouge (pour le côté hardcore) et en guise de chant clair, la voix capable de virer plus velouté et spirituel (ou spiritueux) d’un Dax Riggs soit-disant possédé par le fantôme de Roy Orbinson (que le groupe remerciera pour son inspiration… ahem), une voix envoûtante, fantomatique oui, comme l’était celle de Layne dans Alice, qui hante chaque morceau... En fait je m'en rends juste compte, mais ce disque porte assez mal sa pochette (dessin d’un gros pédophile serial killer qui avait un nom de cow-boy et qui se déguisait en clown pour attirer les morveux, voilà pour la partie anecdote de la chro), car cette cover toute cheap et moche ne laisse en rien présager la richesse et la classe intégrale de cette mixture riche en viande. Evil, cet album l’est certainement (j’avoue que la dernière piste m’a souvent fait un petit frisson dans le dos, avec ses samples menaçants en stéréo, des voix que je connais trop bien), mais totalement sunshine, aussi. Crade, oui, mais d’une certaine façon très… sain : bon pour l’esprit et le corps (surtout), et parfaitement adapté pour un moment détente-hamac autant que pour un moment spleen-cigarette, autant que pour une envie subite de transformer son gros mobilier en petits morceaux de mobilier. Headbanging ou détente, comme tu veux baby. Un remède à la tristesse des petits salaires, un antidote à la pauvreté du Tiers-Monde, la solution pour oublier notre finitude (qui est la tombe dans laquelle nos cellules se putréfieront), et tous les petits tracas de la vie quotidienne comme se voir servir un café-crème quand on a demandé un capuccino (une claque dans sa gueule et l’addition, merci). Un album à posséder impérativement avant la rupture d’anévrisme de plus en plus imminente dans votre cerveau moisissant. Tas d’punaises, est-ce que c’est clair ?

Note : 5/6

Page 79/208 BRIGHTER DEATH NOW : Necrose Evangelicum

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Il y a quelques temps, Brighter Death Now et moi on était un peu comme ma grand-mère et Harry Potter : on n’a pas aimé le premier, on en achète un autre, on n’aime pas, on achète le suivant, on n’aime pas non plus et on se retrouve avec presque toute l’œuvre sur nos rayons comme madame Oleson qui se retrouve avec des caisses d’élixirs miraculeux refourgués par le premier charlatan venu. Et puis le temps passe, ma grand-mère a quitté ce monde et par corollaire je me suis remis à BDN (Comment ça, ça n’a aucun rapport ? Avez-vous seulement suivi ce que je raconte ?) et j’ai alors compris l’intention de Roger en créant sa griffe ‘death industriel’ : détourner la musique industrielle de son aspect politique pour n’en garder que la forme ; pile que Genesis P-Orridge redoutait et méprisait : reprendre le cracra pour faire de l’ultra-glauque, du nécrologique haut de gamme comme sur ‘The Slaughterhouse’ qui semble enregistré au fin fond d’une morgue dont les locataires seraient réticents à rester en place. ‘Necrose Evangelicum’ semble en continuation directe de celui-ci et de ‘Great Death’ ; il commence avec ces ambiances rampantes type vrombissements hoqueteux et grognements sporadiques sur les deux premiers titres plutôt sans surprise. L’ambiance se plombe très vite toutefois avec le sévèrement lourd ‘Impasse’ et ses incantations lointaines, ainsi que son homologue ‘Deathgrant’ que l’on croirait enregistré dans la broyeuse d’un abattoir insalubre. Le tube de l’hiver c’est bien sûr l’abominable ‘Rain, Red Rain’ et son grincement quasi-omniprésent ; comme si le logo de BDN était un aiguisoir et qu’il ratissait consciencieusement notre face en rotation maximale. Le dernier titre, featuring Mortiis, ajoute un semblant de mélodie à cette lente asphyxie mais pas sûr que l’on soit encore dupe. Ni encore vivant.

Note : 5/6

Page 80/208 CASHMORE (Michael) : Sleep England

Chronique réalisée par Wotzenknecht

La plus grande qualité de outre son talent, c’est sa persévérance. Voilà bientôt vingt ans que le bonhomme travaille ses compositions dans un quasi-anonymat et pourtant nombre d’entre vous connaissent ses œuvres ; avec son groupe Nature And Organisation et ses nombreux invités ( et Douglas Pearce entre autres) puis évidemment dans sa longue collaboration avec Current 93, pour lequel il a composé non seulement la plupart des titres depuis 1990, mais parfois même des albums entiers : ‘Soft Black Stars’, ‘Sleep Has His House’, ‘Of Ruine Or Some Blazing Starre’ (mais si, allez voir les livrets) ; Tibet n’ayant plus qu’à poser les textes sur ses mélodies souvent très touchantes qui ont fait de Current 93 la plus prestigieuse des formations dark folk. Avec ‘Sleep England’, Cashmore se décide enfin à voler de ses propres ailes et pousse le dépouillement bien plus loin en nous offrant une collection de titres très minimalistes qui peuvent dérouter l’auditeur qui s’attendait à un nouveau recueil dark folk. Ici chaque note est pesée, comptée ; les accords s’étalent comme des évidences avec une délicatesse rare, elles semblent simplement attendre un accompagnement, qu’il s’agisse de la pluie ou d’un chanteur ; ses compositions ont une sorte de familiarité qui mettent immédiatement en confiance et quoi qu’il puisse jouer tout converge vers une certaine forme de mélancolie nostalgique, comme si ses mélodies sans âge s’inspiraient autant d’une Angleterre médiévale que d’un forme de folk désuète un brin naïve et tendre. Naïf, Cashmore l’est sûrement pour avoir donné tout son savoir faire à un groupe sans avoir demandé le moindre royaltie en retour ; gageons que cela lui serve de tremplin car sa rare sensibilité mérite bien plus qu’un simple statut de musicien lambda.

Note : 5/6

Page 81/208 CASHMORE (Michael) : The Snow Abides

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Michael Cashmore, David Tibet, John Contreras, Antony. Le dernier Current 93 est enfin sorti ? Presque ; ici c’est Cashmore qui a sa petite revanche (même s’il n’est pas bien porté sur ce type de chamaillerie) puisque c’est en tant qu’invités que ses amis apparaissent. On le retrouve cette fois derrière des compositions très tristes (‘My Eyes Open’ ressemble à une oraison funèbre) et plus orchestrée que sur son premier essai solo puisqu’en plus du piano il s’adjoint ici cinq instruments à cordes, une flûte, un hautbois et pas n’importe quel chanteur. Antony donc, du groupe Antony & The Johnsons (au chant aussi théâtral et maniéré que Tibet et Almond) chante des textes de… David Tibet sur ‘The Snow Abides’, ‘How God Moved at Twilight’ et ‘Your Eyes Close’. Evidemment, les protagonistes étant sensiblement les mêmes, on a l’impression d’entendre des sessions de ‘Soft Black Stars’ chantés par une voix plus haute et chevrotante, ce qui en soi convient parfaitement à la poésie fantasque de notre allumé préféré. A noter aussi, sa façon de jouer de la stéréo en post-production pour spatialiser ses instruments de façon singulière (on se souviendra de 'Let Us Go To The Rose' sur 'Of Ruine or some Blazing Starre' qui fonctionnait de façon similaire). Superbe et raffiné, ‘The Snow Abides’ remporte haut la main une très haute note, prouvant si besoin était le niveau constant de qualité dans les compositions de Cashmore (celles-ci datent de 1999 et 2001, le sieur étant souvent confronté à divers soucis d'enregistrements et de décisions personnelles comme pour le second album de Nature And Organisation, laissé en chantier faute de moyens). La récente collaboration avec Marc Almond, dans la même veine, est peut-être même encore plus touchante.

Note : 5/6

Page 82/208 THE DISRUPTERS : Gas the punx

Chronique réalisée par Twilight

La famille anarcho-punk peut décidément être fière de ses rejetons, la plupart sont bourrés de talent. Tenez, prenez les Disrupters, voilà typiquement le genre de groupe que je conseillerais à quelqu'un désirant se familiariser avec cet univers, parce que Crass du premier coup, c'est pas évident pour tout le monde. Comme bien d'autres, c'est grâce à ces derniers que les Disrupters démarreront, leur premier mini se classant bien mieux qu'escompté dans les charts indépendants. Musicalement, nos lascars pratiquent un punk sombre et mélodique, pas foncièrement original mais diablement efficace; nulle course de batterie dans les compositions, celle-ci se profile dans une ligne plus lourde, presque tribale ('Gas the punx'), influencée parfois par le punk 77 ('Young offender'). Je parlais de punk sombre, les crissements de guitare du début de 'Rot in hell' pourraient même laisser supposer que nous avons affaire à un combo post punk goth (illusion vite dissipée). Globalement pour parer au plus pressé, The Disrupters ressemblent sur bien des aspects aux Exploited en moins bourrin et plus subtile tant dans les mélodies que dans le chant, particulièrement efficace. Comme la plupart des projets anarcho-punk, les textes revêtent une importance capitale, à tel point, et c'est le côté 'intellectuel' du genre, que ce best of propose pas moins de quatre poèmes ('Norvic the clown', 'The arse end of the establishement', 'Princess Anne leper' et 'Norman Tebbit'), violentes critiques de l'establishment britannique. Rien d'autre à ajouter, la qualité des chansons parle d'elle-même.

Note : 5/6

Page 83/208 QNTAL : IV - Ozymandias

Chronique réalisée par Twilight

Finis les titres sous forme de chiffres, le quatrième opus de Qntal porte le nom de 'Ozymandias' (tiré du superbe poème de Shelley). Rupture ? Nouveau départ ? Pas réellement, plutôt une forme de retour aux sources du concept de base...Alors que 'III' jouait la carte médiévale, ce disque-ci assume à nouveau ses sonorités électroniques même si elles ne portent plus la marque de Ernst Horn et sonnent donc un brin moins expérimentales. C'est la mélodie qui tire une fois de plus son épingle du jeu servie par la magnifique voix de Sigrid Hausen; la dualité machine-chant s'estompe pour fusionner en une musique baignée d'une aura presque religieuse accentuée par les textures anciennes subtilement intégrées au coeur des mélodies. Quelques morceaux m'ont même surpris, notamment 'Cupido', véritable pièce de gothic rock médiéval entrecoupée de plages ambient, orientation encore plus accentuée sur 'Amor volat' . Dancefloor oblige, le disque contient son hit, 'Flamma', pas désagréable mais évoquant un peu trop Apoptygma Berzerk à mon goût. 'Ozymandias' se présente donc plutôt comme un bon cru mais après écoute, on se dit que le concept de Qntal atteint ses limites; que dire de plus ? J'aurais pour ma part souhaité que le groupe s'arrête avec ce cd...Question de goût, je suppose.

Note : 5/6

Page 84/208 LES SENTIERS CONFLICTUELS / ANDREW KING : 1888

Chronique réalisée par Twilight

La figure de Jack l'Eventreur n'en finit pas de fasciner et d'inspirer les artistes. '1888' comme son nom l'indique nous emmène dans les rues de Londres pour un véritable retour dans le passé. Atmosphères nocturnes, pesantes, baignées de smog et d'odeurs moisies, quelques bruits de pas, de calèches et nous voilà l'espace de quelques notes de piano replongés au coeur de Whitechapel en cette année meurtrière. Le disque prend rapidement la voie d'une pièce radiophonique travaillant beaucoup les atmosphères pour placer l'auditeur dans un climat d'angoisse; les différents collages, samples et autres bruitages ne suffiraient cependant pas à donner à ce travail sa consistance sans les vocaux de Andrew King, proprement diabolique dans son rôle de Jack the Ripper, les lettres supposées écrites de la main de l'assassin servant de support à sa narration. Malsaine à souhait, sa voix décline les nuances de folie triomphale et maléfique du meurtrier au travers d'une palette d'effets subtilement utilisée, sans compter les variations naturelles de sa diction. Des pièces hantées comme 'Dear boss' en filent carrément le frisson. Bien que la démarche soit radicalement différente, on ne peut s'empêcher de tracer des comparaisons musicales avec 'Absinthe, la folie verte' du duo Les Joyaux de la Princesse/ Blood Axis'...Bribes cabaret, nappes sombres ('The magnificence', 'The lights'), quelques accords de piano, cloches funèbres...'1888' développe pourtant des climats qui lui sont propres et suit un fil narratif. Au fur et à mesure des morceaux, ceux-ci me semblent gagner en noirceur ('Vapors' et son rythme implacable comme une marche funèbre ou 'I observe you' et ses sons de fête foraine qui paraissent avalés par la nuit tandis que les vocaux diaboliques reviennent à la charge). Si le disque s'ouvre sur 'The Night', il s'achève avec 'The lights', composition pas franchement lumineuse d'ailleurs avec son clavier inquiétant...Lumières pour qui ? Les âmes des pauvres Mary-Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary-Jane Kelly ?

Glauque.

Note : 5/6

Page 85/208 SPECIMEN : Alive at the Batcave

Chronique réalisée par Twilight

Ce n'est pas un scoop, les reformations sont monnaies courante, qu'elles soient durables ou non. Que pouvait-on attendre de celle des Specimen après leur horrible 'Electric ballroom' ? Oui, mais là, c'est le line-up original avec Olli Wisdom et Johnny Slut (comment imaginer le groupe sans eux d'ailleurs ?) et c'est pour fêter les vingt-cinq ans du légendaire club londonnien le Batcave. Ok, j'ai donc pris le risque. Tout démarre par un petit speech pour glorifier les débuts de la scène dans les 80's puis Olli se fend de quelques mots, 'Despite all my rave, I'm still just a bat in a cave' ou encore 'No goths, no ravers, just hundred of gravers !' Et ça démarre avec 'Stand up, stand out'...Ouf ! le son Specimen est bien le même, exit les tentations métalliques, d'ailleurs en dehors de 'Death drive', impasse a été faite sur les morceaux de 'Electric ballroom'. Le son est bon même si pour ma part, je déplore un chant un peu trop légèrement en retrait au mixage. Pour le reste, pas de souci, visiblement les Specimen se sont bien fait plaisir ce soir-là; j'ignore comment était l'atmosphère dans la salle mais à l'écoute pas la moindre baisse d'adrénaline et en dehors de la voix d'Olli qui a perdu un (petit) peu de sa décadence typique, 'Alive at the Batcave' ne sonne probablement pas de manière si différente d'un concert du groupe en 1983; seul regret, l'absence de 'Sharp teeth pretty teeth'. Qu'en sera-t-il de l'avenir ? Aucune idée.

'Alive at the Batcave' restera peut-être sans lendemain mais qu'importe, ce soir-là, la magie a opéré.

Note : 4/6

Page 86/208 NOVEMTHREE : Of my mother's weary wanderings

Chronique réalisée par Sheer-khan

"Little somebody"... un petit pays, caché, hors du temps, quelques champs et la forêt... peuplé d'une poignée de bardes un peu dérangés, un peu tristes aussi, qui chacun dans leur coin ourdissent des petits bouts de folk, en brindilles et feuillages véritables. Un peuple d'artisans ermites regroupés autour de Pythagumus, fondateur, ouvrier, patriarche paisible et bien barbu, dont l'apparente quiétude dissimule une blessure profonde... terrible. "A mother's wish" : "...and I remember the last thing she said... the last thing she said, to me : you will never see me, you will never see me again". L'homme, de son vrai nom Olaf Marschall, a perdu toute trace de sa mère, il y a presque 20 ans. Novemthree c'est la folk toute simple, belle et troubadour, la complainte. Candide, franche, douce, artisanale, mais aussi délicate. Alternant instrumentales champêtres et chansons mélancoliques, "Of my mother's weary wanderings" est une collection de petits instants de guitare, de flûte et de percussions où la voix un rien fragile de Pythagumus se promène avec pudeur, au coeur de l'intime. Nullement entamée par les (très) légères approximations de l'interprétation, la musique de Novemthree est profondément désarmante. Les mélodies, très mélancoliques, l'onde des clochettes et des chimes comme une rumeur de la brise dans les feuilles, l'acoustique originelle des sons et la pulsation lanscinante des complaintes médiévales; Novemthree, c'est la halte au bord de l'eau."... no regret, nor shame..." Pythagumus ne se plaint pas, il ne s'appitoye pas, il pleure à peine : il raconte. Dans ses tournures, dans sa voix, dans l'anachronisme absolu de son vocabulaire, qui tend ici à l'intemporalité, on perçoit ce fait étrange et qui fait que malgré son intimité extrême, le pathos dont elle se charge, la musique de Pythagumus rélève d'une infinie pudeur : il ne raconte à personne, il ne chante pas pour un public; c'est seul, à l'abri des regards, à l'abri des "autres", assis sur une vieille souche protégée d'une clairière que le garçon s'installe pour chanter quelques larmes, avec les arbres pour seuls témoins et le silence pour écho. Respectons cette solitude, cette discrétion, ne cherchons pas à pénétrer des lieux privés dont Pythagumus ne souhaite que se souvenir, pas nous montrer. Soyons simples comme il l'est et disons le ainsi : c'est beau, touchant et triste, nu et pudique.

Note : 5/6

Page 87/208 THE JOY OF NATURE : The shepherd's tea at 7

Chronique réalisée par Sheer-khan

Un 45 tours vinyl en 2006, limité à quelques exemplaires, une face aurore et une face crépuscule, "La joie de la nature"... le thé du berger à 7 heures... avec l'objet nous est offert un petit sachet de plantes séchées... encore une personne seule au milieu de sa folk atmosphérique et étrange : pas de doute, nous avons affaire à un "petit quelqu'un". Pas de voix au pays de Luis C. "The shepherd and the lake-maiden" pour le matin et "A slumber..." pour le soir ne sont pas deux chansons, mais deux petits tableaux, peints avec des guitares, des flûtes, des percussions de trouvère et quelques sons étranges, dronesques. Atmosphère irréelle de rêve qui nous échappe, harmonies mélancoliques et impressionnistes, une impossible rencontre de minimalisme et de raffinement. C'est infime, deux toutes petites pièces, 5 minutes de musique. Techniquement plus mature qu'Arrowwood, The Joy of Nature est tout aussi fantasque et mystérieux que le bois magique de Chelsea Robb, sans doute moins inquiétant, mais plus profondément crépusculaire. Tout le charme authentique de l'artisanat mais aussi l'alchimie fascinante de l'orfèvrerie; trop court, trop entravé par le changement de face, "The shepherd's tea" pourrait pourtant emmener loin... très loin. On y sent réellement le vent du soir, l'odeur de l'herbe, on y voit l'ombre de la nuit s'y étendre peu à peu, comme sur le pré d'en face. On y devine les esprits insaisissables qui attendent les étoiles pour sortir de leurs caches, petites pierres ou troncs d'arbre, et s'en aller danser, virvolter et hanter la campagne endormie. Trop court, trop entravé par le changement de face, "The shepherd's tea at 7" se tient juste au bord du miraculeux, et crée l'attente avide, le besoin d'y retourner.

Note : 4/6

Page 88/208 THERAPY? : Semi-Detached

Chronique réalisée par Raven

Pourquoi Andy, pourquooooiiiieeeeuh ???? Après avoir sorti un album d’un tel calibre émotionnel et lover qu’Infernal Love (que mon petit cœur garde dans son grand cœur à jamais), pourquoi ce Semi-detached tout fade, mal fagoté ? C’est pourtant toujours toi, c’est toujours ton groupe que j’entends, mais il manque quelque chose… l’étincelle, la mélodie qui agrippe, la magie. Des compos faiblardes, avec parfois un début de morceau hyper accrocheur et prometteur qui nous laisse croire au miracle… mais nan. C’est plat, même dans les passages noisy ça sonne plat, insipide. Les deux nouveaux membres (dont l’ancien violoniste de Infernal Love reconverti en guitariste) n’apportent rien, au contraire. Les refrains sont nases, les riffs sont toujours bien spéciaux mais n’accrochent pas… même si il y’a toujours ce côté singulier, rien qui ne vienne taper dans l’oreille sinon quelques maigres moments, c’est la fin des haricots. Oui il y’a bien "Stay Happy" qui rappelle "Lunacy Booth", et "Tramline" qui est un peu annonciateur du Suicide Pact : You First à venir (même feeling cabossé), et puis cette espèce de Fugazi-like raté ("Straight Life") et aussi quelques intros extras (le début mélancolique de "Safe"), mais rien qui n’approche le niveau des précédents albums. Le groupe devient même franchement agaçant, un titre comme "" par exemple m’est difficilement supportable, et puis les morceaux qui démarrent comme du vieux Therapy ? ("Tightrope Walker", "Born Too Soon") et se muent en pop punk insipide cassent sévèrement les burnes, ce qui était jadis frôlé sur des titres comme "Screamager" ou "Nowhere", on y met carrément les pieds ici : du gros refrain de skater punk pour générique de teen movie. Même la ballade est moisie ("Boy’s Asleep"). Exit l’inspiration, exit le charme, exit tout, finalement, je ne sauverais de cet album que les quelques bribes de morceau plaisantes, et "Black Eye Purple Sky", presque digne de Troublegum… Semi-detached aurait pu être seulement semi-daubé… c’est con.

Note : 2/6

Page 89/208 BONE PARADE : Bone Parade

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Glaner le net à la recherche de la Nouvelle Star s’avère parfois payant, en tout cas c’est avec des groupes comme Bone Parade que l’on se dit que ça vaut le coup de s’investir dans le défrichement. Il s’agit d’un duo masculin/féminin qui dépeint des atmosphères glaciales que l’on pourrait situer à mi-chemin entre la froideur sensuelle de Die Form tendance ‘Glassphyxie’ et les débuts des Swans dans ces simili-rituels abrasifs et grinçants. Trois ingrédients forment le cœur du groupe : des percussions très lentes, une guitare utilisé pratiquement comme une corde magique résonnante, quelques notes de pianos en guise de notation et une voix d’opéra à la Eliane P. qui sans atteindre un niveau de conservatoire est bien assez riche profonde pour envoûter presto l’auditeur, que ça soit en anglais, en allemand ou même en latin. Deux titres studios partagent le mini avec deux titres live, dans les deux cas la production très raw ajoute un cachet particulier à un son déjà singulier. C’est lugubre, mystérieux, ça donne envie de saisir la portée des textes, ça s’écoute fort et c’est évidemment bien trop court. A noter qu’ils cherchent un label pour ressortir tout ça sur vinyle avec une meilleure qualité de son : avis aux intéressés. Vivement la suite.

Note : 4/6

Page 90/208 CLINT RUIN / LYDIA LUNCH : Don't fear the reaper

Chronique réalisée par dariev stands

Une pièce de choix. Par deux grands ingérables devant l’éternel, l’un des couples les plus destroy qu’ait connu la musique. Clint Ruin, alias JG Thirwell, alias Fœtus et j’en passe, expatrié à NYC, allié à la prêtresse du spoken word revanchard. Deux reprises, deux originaux... Pour leur dernière collaboration, nos deux charmants tourtereaux décident de rendre hommage au bon vieux patrimoine du classic rock à papa ! Visez la pochette (une des meilleurs pochettes qui soient, ça c’est clair) : "ne crains pas la faucheuse" le tube des Blue Öyster Cult… New York, une autre époque. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la reprise est fidèle, respectueuse de ce classique absolu exhalant à la fois romantisme facile et FM et parfum de la camarde dont le souffle rauque viens vous chatouiller les omoplates. On ne peut pas en dire autant de Why don’t we do it in the road, grosse pochade improvisée par Macca sur l’album blanc de qui-vous-savez. S’attaquer à un tel morceau est déjà une provocation en soi. Mais le bousiller façon helter skelter (tohu-bohu pour les intimes) en samplant la voix noire de McCartney sur les gémissements d’agonie de Lydia Lunch, c’est carrément un sacrilège… Dans le même goût que Death Valley’69, son EP hommage à Charlie Manson avec les Sonic Youth… L’album blanc commençait déjà à en obséder pas mal à cette époque. Clinch et Serpentine, de leur côté, sont de bons exemples de ce que peuvent arriver à faire deux malades mentaux quand ils se mettent ensemble… Nos Bonnie & Clyde de l’indus refont les murs de leur cellule capitonnée à coup de chalumeau sur fond de rythmique emballée à la Cop Shoot Cop. La véhémence conjuguée de la voix vindicative de Lydia Lunch et des assauts bruitistes de Thirwell fait mouche : on reste scotché par la violence du titre. Et encore, ce n’est rien… Le changement d’ambiance avec le démarrage de Serpentine est ultra surréaliste… Il s’agit d’une ballade très "film noir new-yorkais" entre les titres no-wave jazzy de la Lunch et les sursauts de roublardise Tom Waitsiens de Fœtus… Une vraie petite merveille, basée sur le morceau Transcendental Moonshine de Steroid Maximus, à la basse serpentant dans les bas-fonds du downtown et au saxo errant sur les toits tel un chat de gouttière. Lunch tutoie Lynch. Du grand art, entre Tuxedomoon jouant dans un cabaret vide et Morphine les pieds dans les

égouts new-yorkais…. Mais dites donc les enfants, j’en veux plus souvent, moi, des EP comme celui-là !

Note : 5/6

Page 91/208 Henry Threadgill's AIR : Live air

Chronique réalisée par dariev stands

Dans ma volonté de goûter un peu à tous les genres existant avant de me fixer, j’aborde ici le jazz dit d’ "avant-garde" (il est plus simple de parler de jazz improvisé pour décrire le style), via un de ses praticiens les plus respectés mais néanmoins obscurs, Henry Threadgill, et son groupe Air, donc. Un groupe dont l’activité remonte à avant la période chroniquée par Proggy. Threadgill y était déjà farouchement attaché à l’avant-garde, pionnier d’un free jazz particulièrement minimaliste et économe, en tout cas plus que la plupart des disques du style que j’ai écouté (et ça ne se compte pas en centaines… gardiens du temple, faites péter les quolibets). Ce live ne déroge pas à la règle, d’autant plus que la première face a été enregistrée en studio, et que la deuxième en a tous les atours avec ce son très propre, probablement dû à un enregistrement fait en tout petit comité dans un club minuscule. Ce que ce "Live Air" a en plus que les opus studio, en revanche, c’est cette petite atmosphère de procession sur un sommet de la cordillère des Andes, à 6000 m d’altitude avec nulle âme qui vive à des kilomètres… Fermez les yeux. "Portrait of Leo Smith" démarre… Le chaman vous guide de sa flûte, accompagné des discrets tintements des gris-gris qui annoncent le début de la cérémonie. L’air se fait rare, l’atmosphère, fervente. Le saxophone retentit le temps d’une apparition soudaine, un mirage probablement dû au soleil qui tape beaucoup plus fort en altitude. On a vraiment l’impression, le temps de cette Face A, d’écouter un enregistrement de musique rituelle Inca (après renseignement, il apparaît que Threadgill rend plutôt hommage aux flûtes Sakuhachi japonaises… j’étais loin !), aux motifs étranges, amplifiés par l’absence de batterie qui apporte une variation bienvenue à la configuration du groupe. Car c’est la section rythmique qui décide de la marche à suivre, ici. Be Ever Out, qui apporte la concentration extrême du trio à son paroxysme, confirme la chose. Le thème, très bref, est surtout joué par la contrebasse et la batterie en début et en fin de morceau. Entre temps, l’improvisation est totale, dans la tradition free jazz. Threadgill, d’habitude si contenu et parcimonieux, semble enfin lâcher la bride de son saxophone, en bon maître de la dissonance, tandis que Hopkins et McCall s’en donnent à cœur joie. C’est moins le cas sur Keep right on playing through the mirror over the water, où le groupe joue tout en retenue, dans un exercice d’apnée parfois épuisant. Dommage que l’ambiance du premier titre n’ait pas été poussée sur toute la longueur du disque…

Note : 3/6

Page 92/208 XTC : Black sea

Chronique réalisée par dariev stands

Sgt Pepper ? Mouais, pas mal. Un disque culte, oui madame, mais on raconte que le vieux Sergent à bien eu chaud au derche un beau jour d’automne 1980. C’était le jour où Black Sea de XTC est sorti. Ce jour-là, le vieux continent a tremblé devant la dernière folie des grandeurs de la perfide Albion. Le monde n’était pas prêt. Pour beaucoup, Black Sea était "too much". Too much anguleux, too much bruyant, too much dingo, too much génial. Gosh, ces diables de XTC, ils venaient de trouver leur style et leur formation idéale sur l’album précédent, pourquoi ne pas s’être lancés dans une carrière pépère, recyclant Making plans for Nigel tous les deux ans pour faire rentrer le cash ? Il a fallu qu’ils explosent les limites, qu’ils asphyxient la concurrence avec un album aussi tubesque que désespérément expérimental et exténuant. Il n’y a que les Beatles à qui on a laissé faire CA en toute impunité. C’est redevenu interdit depuis. Pauvre de moi, maintenant vous voulez connaître la fin de l’histoire, hein ? Vous me fixez d’un œil torve qui trahit votre envie de savoir le pourquoi de ce 6/6 ? D’accord, petits veinards, je vais vous le dire. Mais avant, attachez vos ceintures. Ça va secouer. Black Sea s’écoute fort, les meubles poussés dans les coins. Vous croyez être chez les orfèvres de la pop british délicate ? Que nenni, ici on est sur un rafiot pirate à 2000 lieues sous la mer de trous, encerclé par les zoulous de sa majesté. Regardez la pochette. Regardez-les bien dans les yeux. Tels des Led Zeppelin du post-punk, ils ont le regard conquérant de ceux qui vont tout péter. Tels le Mr Bungle de Disco Volante, ils s’apprêtent à plonger droit vers l’Inconnu, vers ces abysses de la folie d’où on ne ressort pas indemne. Les scaphandres, le décorum victorien et la pose sont éloquents : c’est l’Empire Britannique qui s’apprête à sonner la charge. Matez le levier, il est sur Stand-by, mais dans une seconde il sera sur Full. Le disque commence… le mot hedgerow est prononcé dès les première secondes, comme un drapeau planté en cette mar incognita, balise parmi tant d’autres de l’univers Lewis Carollien du groupe. Une intro vieillotte qui laisse volontairement attendre un air doux-amer à la Kinks, mais au lieu de ça, c’est un riff sauvage qui tombe comme un hachoir… Première claque : Respectable Street et Generals & Majors sont deux tubes à écouter en boucle, sur lesquels Franz Ferdinand aura basé toute sa carrière, sans le talent. Le batteur balance un tempo inhumain qu’il tiendra toute la face A, ne nous laissant aucun répit, les deux guitaristes font n’importe quoi avec un brio scandaleux, les mélodies sont inoubliables, les textes hilarants de mordant envers la société anglaise et les relations amoureuses… Et ce jusqu’à l’ultime cap Horn qu’est Travels in Nihilon, où notre frêle esquif est ballotté sur un océan de percus et de basses sombres et expérimentales. Entre temps, on surfe sur des choses hallucinantes comme le cubiste Love at first sight, où des riffs-tetris s’emboîtent entre eux en rythme pendant que Moulding règle son compte à la jeunesse hédoniste des 80’s (Le Ray Davies de Village Green n’est pas loin) ; ou bien Rocket from a bottle et son beat afro plombé de phasing et s’achevant sur les cordes à vide de A Hard Day’s Night, ou encore Burning with optimism’s flames, comme son nom l’indique, sur lequel Partridge, extatique et en pleine orgie vocale, justifie le nom de son groupe… Du délire pur, qui fait passer Mike Patton pour Etienne Daho. Et je ne vous ai même pas parlé du texte involontairement machiste de Sgt Rock, savoureux faux-pas du qui fait ici le terrible aveu de son incapacité à draguer une fille ("Some girls can make themselves so cold as a no-man’s land" c’est aussi pour ça que j’ai foutu 6/6 a ce disque). Je garde le plus éprouvant pour la fin : Living through another Cuba, le pic d’intensité et de bargerie de toute cette smala… Un des trucs les plus freaked out qu’on puisse entendre dans sa vie… Imaginez juste pour voir, la scène de la chanson de la petite sirène avec les

Page 93/208 homards et les étoiles de mer qui dansent, transposée dans la baie des cochons (volant en tutu, bien sur) en 1961 sous les tirs des Russes et des Ricains… Tout est caoutchouteux, spasmodique, ça pète de partout, il y a des effets drum’n’bass un peu partout (ils avaient une machine à remonter le temps, c’est pas possible), on n’y comprend rien et c’est grandiose. Une production en avance de 25 ans pour des mélodies définitivement ancrées dans la tradition pop anglaise, c’était ça, Black Sea. On reste ébahi aujourd’hui devant la dimension avant-gardiste de ce son de guitare à double tranchant, de ces samples de voix (No Language in our lungs), d’effets psyché, dub, space rock, saupoudrés un peu partout… Impossible de disséquer comment tout cela a été fait, ça va trop vite, trop fort, trop loin… Ménagez-vous des pauses quand même. Si vous êtes fan de Franz Ferdinand, éloignez cordes, objets tranchants, fenêtres. Toi aussi lecteur, découvre l’extasie de voguer sous la mer anguleuse et déchaînée… Indispensable pour tout ceux à qui les mots "Zeppelin, Sous-marin, caoutchouc, tuyaux, vapeur, fin de siècle et chesire cousin" évoquent quelque chose… Un dernier mot du Capitaine Partidge avant de sauter : "Just on your knees and pray, and while you’re down there, kiss your arse goodbye". BANZAÏ

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Note : 6/6

Page 94/208 CURRENT 93 : Black Ships Ate The Sky

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Ces bateaux noirs qui ont mangé le ciel sont l’occasion rêvée pour parler un peu de toute la dichotomie de Current 93. A la fois simple et grandiloquente, la musique de notre formation préférée n’a cessé de chercher les contraires pour se démarquer et ce Black Ships Ate The Sky est tout à fait prévisible dans le sens où c’est peut-être le plus explicitement contradictoire. Sous une nuée d’invités et à grands renforts d’eschalotogie patacaisse, cet énième opus est pourtant bien intimiste, chaque invité offrant sagement sa version d’Idumaea, le poème de Charles Wesley autour duquel tourne tout l’album. Marc Almond (& Michael Cashmore, marquant les débuts de leur collaboration) reste classique dans sa façon de faire, on retrouve aussi une version americana (Bonnie ‘Prince’ Billy façon Sixteen Horsepower), des phrasés de plus en plus dépouillés (Shirley Collins avec un accordéon, Baby Dee avec une guitare, Antony a capella), une Andrea Degens (Pantaleimon) très délicate, Clodagh Simonds donnant quelque chose d’assez proche de ce qu’elle a pu offrir avec Fovea Hex et Cosey Fanni Tutti qui s’invite de façon sensuelle à la fin d’une piste chantée par Tibet. Et le reste, me direz-vous ? Beaucoup de titres finalement assez convenus, proche de ce que l’on a pu entendre sur ‘Of Ruine or Some Blazing Starre’ (jusqu’à reprendre certains gimmicks) mais sans mélodies particulièrement mémorables. Plus surprenant, le retour des délires acides dissonants (‘Black Ships in their Harbour’ et surtout l’excellent ‘Black ship ate the sky’ qui rappelle furieusement ‘A Silent Siege’ de Deutsch Nepal). Je retiendrai pour ma part le duo ‘This autistic imperium is nihil reich’/’The dissolution of the boat ‘Millions of years’’ pour leur ambiance délétère particulièrement fouillée ainsi qu’une voix toujours plus volatile de David Michael Tibet, inégalable pour ce qui est de nous faire entrer dans son délire mystique. Parlons-en de sa mystique, qui commence à devenir sérieusement n’importe quoi, et même s’il s’y amuse comme un enfant et qu’il nous fait clairement partager cet enthousiasme pour le méli-mélo de mythologies diverses mieux ne vaut pas trop chercher à saisir de portée plus que poétique, au risque de voir son imaginaire délirant s’effriter très vite. Servi dans un chouette coffret avec un livret bien fourni, ‘Black Ships Ate The Sky’ même s’il court derrière ‘Thunder Perfect Mind’ ou ‘Of Ruine…’ reste un album fondamentalement réussi mais qui aurait peut-être gagné à devenir un chef d’oeuvre vu l’ambition initiale, et ce plutôt que de nous livrer sa version alternative sous un autre CD (‘Black Ships Eat The Sky’, notez la nuance) ; car malgré toutes les contradictions nécessaires pour faire de telles merveilles un artiste doit aussi savoir faire des choix ; et clairement, ça n’est pas un gros souci pour Tibet qui laissera ce travail à ses fans, dont le travail consistera à acheter deux fois la même œuvre !

Note : 4/6

Page 95/208 COMPILATIONS - TRIBUTE ALBUMS : Four Ways Of Saying H₃O

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Ah, Andrew McKenzie et son Hafler Trio, en voilà un qui n’a pas volé l’étiquette d’ovni inclassable, avec sa quantité de sorties toutes plus abstraites les unes que les autres, aux intitulés absurdes et aux objets surréalistes. Musicalement proche d’une musique concrète extraterrestre à la narration cryptique, il a dérouté plus d’un musicien et ici quatre d’entre eux lui rendent hommage, certains en réutilisant même son matériel pour en fournir un remake de quinze minutes. Akifumi Nakajima (Aube) d’abord, proche voisin musicalement (quoi que beaucoup plus clair sur sa façon de travailler !) forme une trame granuleuse foisonnante quoique humainement concevable, ce qui en soi est rassurant pour la suite. Lilith (Scott Gibbons) propose un titre plus ambient, sur lequel se greffent tout un tas de bidouillages électroniques plus ou moins noyés d’effets. Ca commence à prendre une forme reposante vers la cinquième minute avec des coups ultra graves qui rythment lentement le paysage sonore avant de changer drastiquement vers la huitième minute pour une plongée glaciale dans un univers abstrait ma foi assez fascinant, qui rappelle la clarté d’un Hrvatski. Arrive Christian Pallantin alias P.A.L, larron habituel de chez Ant-Zen mais tout autant porté sur l’indus bizzaroïde qui se trouve donc tout à son aise dans un exercice de cut-up de haute volée qui accuse toutefois quelques longueurs. Le quatrième luron c’est Propeller aka Mark Spybey (ex-Zoviet France, Dead Voices on Air, Ambre) qui part dans un trip ultra minimaliste avec deux sons de trompette, une respiration et quelques crépitements et drones dont les mouvements discrets mais sensibles rappellent les structures isolationnistes de Zoviet France. Surprise, un cinquième quart d’heure est livré en bonus track et après quelques recherches personne ne sait visiblement de qui il s’agit, s’il s’agit d’Andrew McKenzie, des quatre artistes réunis ou d’un cinquième invité mystère ? Un sifflement aiguë se promène dans l’espace sonore, de gauche à droite et semble s’éloigner tandis qu’une série d’évènements surgissent de façon similaire dans la surface d’écoute – une expérience à la fois abstraite et fascinante pour peu que l’on se prenne au jeu. Dans cette scène sans limites où l’ennemi n°1 – l’indulgence – est souvent présent, force est de reconnaître que j’en attendais beaucoup moins de cette compilation qui s’avère au final délectable dans le sens où chaque participant propose quelque chose de travaillé, complexe, singulier et personnel tout en restant dans le ton de The Hafler Trio.

Note : 4/6

Page 96/208 GESCOM : Gescom E.P.

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Maintenant qu’ a mis le pied gauche dans la tombe avec ‘’ et le droit avec ‘Quadrange’, il est plus que temps de se pencher sur leur projet parallèle Gescom ; ou plus exactement ‘umbrella-project’ puisqu’il s’agit d’un collectif dans lequel opèrent un certains nombre d’autre musiciens (Darrell Fitton aka Bola en premier, mais aussi Russell Haswell, Rob Hall, parmi d’autres) en commençant par le commencement : l'éponyme et antique EP qui envoie du bois d’emblée avec le martelant ‘Dan One’ et sa mesure en 3/4 qui lui confère l’étrange statut de tube dancefloor non mixable. Beaucoup plus proches des travaux d’Autechre et de Bola à cette époque, les trois autres titres renouent avec l’ère electro-dub-ambient de musique électronique de salon (première appellation de l’) et par conséquent accusent bien leur âge. Ils n’en gardent pas moins un charme fou et personnellement je trouve les sonorités profondes et enveloppantes de ‘Sciew Spoc’ aux accents psybient parfaitement irrésistibles. On pense à UFOrb, aux compilations Artificial Intelligence et tous ces noms qui sont vite devenus légendaires, et rien ne laisse présager de la suite des évènements ni pour Gescom ni pour Autechre, ces derniers qui verront en leur projet les moyens de s’amuser de façon plus triviale et de collaborer avec leurs copains de chez Skam sans nuire à leurs propres recherches. Malgré pas mal de bonnes choses par la suite ‘EP’ restera une des meilleures sorties du collectif, et un objet très convoité par la même occasion, Skam étant plutôt avare en pressages.

Note : 4/6

Page 97/208 GIRLS UNDER GLASS : Flowers

Chronique réalisée par Twilight

'Flowers' est le second album des Girls Under Glass, l'un de ces représentants typiques d'un gothic rock à l'allemande de la fin des 80's. Je ne l'avais plus écouté depuis des années alors qu'il tournait en boucle dans ma platine à l'époque (il faut dire qu'il a fait partie de mes vingt premiers achats) et j'étais plutôt excité de le retrouver. D'ailleurs, ma culture musicale s'étant étoffée, bien des (re)découvertes m'attendaient. Je n'avais par exemple jamais réalisé à quel point l'usage développé des claviers offrait des similitudes avec The Danse Society; c'est flagrant sur l'excellent 'Plasticland' ou le tout aussi bon 'The sea'. Nos Teutons savaient à l'époque brandir le flambeau du gothic rock tout en s'affranchissant des carcans 'Sistersiens' qui affaiblissaient les formations d'Outre-Manche. Moins électroniques que Eternal Afflict ou Invincible Spirit, les Girls Under Glass savaient équilibrer la froideur des boîtes à rythmes, la force des guitares (sur 'Lucky', on frise même une pêche toute garage) avec l'atmosphère mélancolique des claviers, un peu à l'instar de leurs collègues de Cancer Barrack. Cette foison d'influences bien qu'assemblée de manière très cohérente pouvait surprendre les plus fermés d'esprit car 'Flowers' reste varié dans ses ambiances en glissant du post punk ('Strong heart', 'Lucky') au rock industriel à la Swan ('Du Tier') en passant par une dark wave plus planante ('In the heat'). Malgré son titre et un très bon travail des claviers, 'Flowers' reste un disque âpre, assez noir dans son essence; cette force couplée à un sens pointu de la mélodie en font une réussite et l'un des meilleurs albums de la carrière du groupe.

Note : 5/6

Page 98/208 GIRLS UNDER GLASS : Darius

Chronique réalisée par Twilight

N'attendez de moi aucune logique dans mes chroniques de Girls Under Glass. Tous ceux que je possède, je les ai écoutés chez un pote et ai réagi au coup de coeur sans me poser plus de questions...'Darius' m'a séduit d'emblée par 'Tears': quelques accords mélancoliques de piano, quelques cordes en pleurs, qui reviennent avant que n'explosent les autres instruments, le temps d'un cri de désespoir, puis tout est fini à nouveau. J'adore ce titre mais il est vrai que le reste de l'album est très bon lui aussi, notamment de par la qualité des mélodies et des arrangements. Si l'on retrouve la noirceur râpeuse de 'Flowers', les constructions sont moins directes (malgré les 'Believe in yourself', 'Time to think' et autres) et l'on sent que le groupe a cherché à varier ses approches, de manière parfois inattendue; ainsi sur 'Silent vision' rythmé par une basse très en retrait et des nappes tristes, déchirées de temps à autre par quelques riffs qui se perdent aussitôt dans l'infini...On attend le choc mais rien ne vient avant 'Beyond the silence' aux beats pêchus et riffs gras presque metal qui explose mais dure à peine plus d'une minute et reste instrumental ! Parmi mes favoris, je citerais encore 'Reach for the stars', plus classique avec ses tempi lents, ses claviers tristes à la Danse Society, et ses choeurs féminins mais très beau mélodiquement. 'My secret' se détache lui par son côté minimal et 'trance' qui n'est pas sans rappeler 'Hellaroots' de Mother Destruction (près de neuf minutes). C'est là que je réalise soudain pourquoi certains à l'époque n'aiment pas trop cette gallette...'Darius' est un disque tout en retenue qu'on s'attend sans cesse à voir exploser sans que cela n'arrive vraiment; les Girls Under Glass conservent leurs bases mais expérimentent, trompent, brisent leurs propres codes...Ca ne m'a jamais dérangé.

Note : 5/6

Page 99/208 DOLOROSA : De mutation en mutation

Chronique réalisée par Raven

Je déteste me forcer, qu'on me propose un promo ou non... les choses se sont donc faites petit à petit, et le charme à opéré naturellement. Rien de tel pour ne pas tomber dans le processus malsain d'imaginer la chro finie avant d'avoir entendu l'album. Platine, donc... play... regard curieux sur la pochette (moche mais intrigante, donc réussie). Déjà, il se trouve que cette petite chose est méthodique, froide, calculée, tendue, sombre, et pas du tout pondue en amateur et mal fagotée, comme je m’y attendais un peu je l’avoue. Les mélodies accrochent dès le premier titre (voire aguichent, sur "Les Fantômes" par ex), une seule chose plombe instantanément l’ambiance, déstabilise : plus encore que les lignes de guitare charmeuses, le chant … Pourtant, je ne suis pas du tout convaincu par l’ensemble au premier contact. Gonflant. J’essaye une, deux fois… plein de choses et puis plus rien, sinon une gêne tenace, qui concerne encore et toujours cette voix (j’y reviendrai après). Je reste hermétique… Puis je me dis "après tout, autant s’en remettre à la bonne vieille méthode" - traduction : l’écouter en fond sonore pendant que je m’endors. Une technique redoutable d’efficacité avec bon nombre d’albums, qui s’est révélée payante avec les Mutations de Dolorosa. Ben j’ai pas dormi… Folk dépouillé, riffs décharnés… et ces percussions tribales… hypnotiques. Fascinante petite chose, mine de rien, que cette petite chose. Les percus font pour beaucoup du charme de Dolorosa, ce côté limite vaudou, rituel, autant de mini-processions pour autant de tableaux noirs. Durant trois jours, cette saleté ne m’a pas lâché. Un malaise réel vit là-dedans. Réel. Prégnant. Le chant bien sinistre et incantatoire de Vincenzo me faisait un peu sourire au début. Plus maintenant. Quel pisse-froid ! Quel sérieux… Maladif. Déstabilisant. Cette espèce de déclamation littéraire et too much (au risque d’être parfois bien pompeuse hélas) me rappelle à la fois – de loin - les vieilles heures du prog français (Ange par ex, sans le côté guilleret) et des trucs plus récents et évidents (Têtes Raides, bien vu Proggy, des Têtes Raides en version bunker-camisole, gutsien quoi); en revanche ce chant bien coincé saoule quand il s’essaie à du théâtral (doit-on reconnaître le fan de Peter Hammill ?)… mais ça a son effet, assurément… le timbre limite goth, profond, autiste... brrr… L’introspection, cette saleté cherche l’introspe… cial, spécial oui, comment ne pas se sentir ailleurs, même si c’est parfois un peu gonflant, redondant ("Illimité"). C’est sur les morceaux malsains et occultes comme "Spirale" (j’aime cette simplicité pour choisir les titres, pas la peine d’en faire des caisses au moins c’est parlant), ou, mieux encore, dans la seconde partie de "La Cervelle" (sans nul doute le meilleur moment de l’album) que Dolorosa va jusqu’au bout de son concept. C’est louche, cette affaire… je ne parle pas seulement des morceaux les plus déglingués ("En sommeil") ou des passages qui pourraient rappeler une vieille ballade de Pere Ubu ("Bien au cœur"), ni des tentatives plus électriques (pas toujours à leur avantage du reste). Nan. Je parle de… tout. Tout est louche, tout semble froidement calculé et en même temps, naturellement vicié par cette démarche misanthrope. Le bizarre n’est pas un faire-valoir ici : il découle naturellement des compos, excellentes, parfois bien mélodieuses, toujours directes malgré l’insolite permanent. Le bizarre est sous contrôle total. Le contrôle d’un mec atteint de troubles obsessionnels compulsifs, qui se plonge en plein dans son esprit et décrit minutieusement les moindres sensations… un cauchemar… un rêve… Un album opaque, simple mais dense, qui s’apprivoise difficilement, et distille une angoisse, un malaise, authentiques. Un album à la fois répulsif et beau, trouble, agaçant, attirant, une compilation de rituels intimes, tout en clair-obscur, en faux semblants… je lui laisse une note qui pourra paraître un peu sévère, mais qui à mon avis représente au mieux cette terrible dualité : 3 boules de lumière et 3

Page 100/208 boules d’obscurité (ouais jsuis fatigué… c’est un symbole, ok?). De toute façon, je ne l’écouterai plus ce truc… jusqu’à ma prochaine insomnie… Spectral.

Note : 3/6

Page 101/208 FROZEN SHADOWS : Empires de glace

Chronique réalisée par Sheer-khan

"Empires de glace", comme le sera d'ailleurs son successeur et comme peut l'être, dans un autre registre, le "Nord" de Setherial, c'est une sorte de chaînon manquant entre "Secrets of the black art" et "In the nightside eclipse" (aguicheur non?).

Sans atteindre évidemment la grandeur du mythe norvégien ( personne, ni même emperor, n'a de toute façon jamais égalé ce premier album), ce premier coup du groupe canadien (voire québécois) allie de fait la puissance occulte et la violence aveugle du premier et la dimension atmosphérico sylvestro nocturne du second. Moins riche et fouillé que celui d'Emperor, en cela plus proche dans sa forme de celui des suédois, le black de Frozen Shadows est très rapide, acéré et violent, calculé, interprété avec précision et drappé à l'occasion de quelques nappes et autres interventions d'un clavier neigeux. Frozen Shadows porte bien son nom : il fait dans le sombre, et l'atmosphérique hivernal. "Empires de glace", malheureusement, souffre d'un son de guitares inadapté. On les discerne bien, mieux que sur le blizzardeux successeur, mais cette saturation bouillonnante aux allures de direct-to-console est

Page 102/208 un frein sérieux à l'accomplissement de l'ambiance recherchée par les québécois.

Rien de rédhibitoire peut-être, mais cette atmosphère si particulière, propre à quelques groupes du genre, est un fait magique si insaisissable que la moindre contrariété suffit à la faire fuire, et comme le matériau mélodique de ce premier effort est d'une qualité solide et constante, mais sans atteindre au frisson qui fait la différence, "Empires de glace" se contentera d'être juste "assez bon", malgré ses nombreux atouts. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : le son de guitare n'est ni mauvais, ni entièrement responsable du manque de vraie grandeur de la bestiole (d'ailleurs des internautes viendront sans doute nous dire que pour leur part, il trouve ce son excellent, tout étant affaire de goût, d'autant qu'il s'agit peut-être d'une conséquence du remastering de la réédition). Mais il manque ici la véritable force de Frozen Shadows, ce groupe qui réussi à faire de l'atmosphérique, occulte et onirique, à user du clavier comme d'une couleur merveilleuse, tout en gardant sa distance vis à vis d'un mélodisme qui risquerait d'atténuer leur fureur ténébreuse et véhémente. Pour l'instant, le groupe n'a pas encore mis le pied dans

l'excellence.

Note : 3/6

Page 103/208 FROZEN SHADOWS : Dans les bras des immortels

Chronique réalisée par Sheer-khan

Je voulais tant aimer ce disque... je l'adorais par avance. Tout, absolument tout semblait réuni pour en faire un de mes disques black de chevet; mais non, non... mes innombrables efforts ont certes réussi à dissiper la déception profonde, mais n'ont jamais transformé ce premier album de Frozen Shadows, à mes oreilles, en pur trip nocturne. Plus le temps passe et plus "hantises", par lequel j'ai découvert le groupe, s'impose comme un de mes 10 disques de black metal modèles, de ceux sur lesquels je reviens fréquemment avec à chaque fois le même plaisir absolu. Descendu presque unanimement à sa sortie comme il était, disait-on, beaucoup moins atmosphérique que son fantastique et mythique prédécesseur, (comparaison dont je n'ai pas eu à souffrir puisque je ne le connaissais pas), il me laissait ainsi augurer d'un passé d'excellence, dont la démo "Empires de glace", livrée en bonus avec le deuxième album des québécois, et sans être extraordinaire, pouvait parfaitement être les prémices. De ce "Dans les bras des immmortels", épuisé et donc introuvable lorsque paraît "hantises", je voyais la pochette un peu partout sur le

Page 104/208 net : de celles dont la naïveté du graphisme, la nature du dessin et la beauté des couleurs suffisent à me plonger immédiatement dans un rêve éveillé : de "Dissection"

à "Nighside eclipse" en passant par "Secrets of the black art" : la nuit, la forêt, l'occultisme et l'hiver... une famille black nocturne à laquelle je voue une affection toute particulière, toute pétrie de ma propre naïveté de rêveur forestier.

Cette pochette, ces qualificatifs (atmosphérique, neigeux, nocturne...) avec lesquels on le décrivait, les références à Emperor et l'excellence absolue de leur deuxième album qui semblait malgré tout provoquer la déception chez les connaisseurs du passé : comment ne pas être par avance convaincu que j'allais tomber sur un joyaux de black atmosphérique, dont l'écoute me plongerait instantanément au beau milieu de ces sombres sapins, à guetter les esprits sous les lueurs de la lune? La bête est rééditée, je me jette dessus; c'est bien cela : du black metal furieux et occulte, dans la lignée du premier Dark Funeral, augmentée de la dimension atmosphérique, froide et onirique propre aux chefs-d'oeuvre du genre : "Nord", "Storm of the light's bane" ou "nighside eclipse"... sauf que la sauce, ici, ne prend jamais totalement. Il y a bien le son trop maigre des guitares que l'on tient d'abord pour responsable, la retenue mélodique propre au groupe qui impose de bien se familiariser avec les compositions avant de pouvoir en goûter les substances... avec le temps, j'ai fini par admettre, par ressentir, que ce premier album de Frozen

Shadows était certes plutôt bon; mais loin, trop loin du merveilleux frisson auquel je m'étais préparé. Dans sa volonté de pilonnage un peu systématique, cassant en

Page 105/208 deux toutes les ouvertures d'imaginaires que le groupe parvient à créer en imposant des démarrages soudains et plutôt linéaires malgré leurs harmonies sorcières, dans la gestion de la densité sonore qui nous ferme la porte d'accalmies à l'ampleur atmosphérique réussie par des blasts radicaux aux deux guitares toutes grêles,

Frozen Shadows se perd, déchirant trop régulièrement le voile d'illusions que dressent autour de nous les meilleurs moments du recueil. Un album ne devant pas

être jugé par rapport à ce qu'on en attend, mais à ce qu'il propose, il m'aura fallut le temps nécessaire à le prendre pour ce qu'il est. Un disque qui est donc bel et bien de cette famille restreinte et chérie du black atmo/nocturne que j'évoquais tout à l'heure et qui, loin d'atteindre le niveau des références du genre, revient néanmoins de temps à autre dans mon lecteur pour cet aspect précieux.

Un disque avec lequel j'ai un rapport complexe d'affection/deception, et que j'invite donc les internautes qui le connaissent à commenter, avec sans doute plus d'objectivité et de recul, plus de simplicité que je n'arrive décidément à en avoir

moi-même.

Note : 4/6

Page 106/208 ASTROFAES : Those whose past is immortal

Chronique réalisée par Sheer-khan

Quel dommage que ce son de guitares : car voilà un excellent album, sans doute le meilleur du solide Astrofaes. A ceux qui on vu en "Kvass" le retour en demi-teinte d'un Kampfar ramolli, et dont "Heimgang" confortera la position, je ne peux que chaudement recommander ce 6ème album des ukrainiens. Païenne, sombre et folk, la direction prise depuis "Ancestor's shadows" semble réussir à la formation qui se montre ici plus inspirée que jamais, nous livrant 6 longues pièces parfaitement construites et une outro idéale en forme d'atroce fatalité, enchaînant durant plus de 50 minutes et avec une grande justesse les blasts et les lenteurs atmosphériques, usant du clavier glacial avec une retenue irréprochable, de la guitare folk et du cri de loup. Enténêbrée par la voix misanthrope de Thurios, la musique développée par le duo fondateur est ici plus noire, plus furieuse, mais aussi plus finement mélodique, et évolutive, que jamais. Les pièces nous promènent de nuits de blizzard et triple croche en aurores folk, de forêts infinies traversées par le froid en campagne qui s'éveille sous le givre; une alliance de tristes ténèbres et de lueurs nostalgiques hivernales dont seul Kampfar se montrait également capable, mais que les ukrainiens enrichissent d'une violence, et d'un désespoir profonds. Toujours trempé dans l'intégrité black metal qui le caractérise, Astrofaes se montre même inventif au détour d'un piano, d'une utilisation du riff à rupture de son ou du placement du cri de loup qui relève réellement de l'instrumentation et non plus de l'ambiance (cette complainte animale qui s'élève soudain dans la nuit sur "the principle of existence" est d'un impact redoutable). Du riff pagan de haute volée ("soul of the black forest" totalement Kampfarien pour le coup), de la lenteur massive et désespérante ("glacial darkness"), du nocturne violent et terrifiant ("Hate fang") : "Those whose past is immortal" a beau briller par sa cohérence, il est tout sauf linéaire. La qualité se tient autant dans les riffs que dans les structures, dans les alternances de guitares claires et d'atmosphères étouffantes, dans l'incroyable qualité atmosphérique du tout, malheureusement déforcée par une saturation direct-console qui nuit, grandement, au rendu de ce disque d'excellence. Voilà bien le vrai problème de ce 6ème et excellent recueil. Les écoutes répétées et les efforts viendront à bout d'une partie des fâcheuses conséquences de ce son, mais pas de toutes. Comment ne pas regretter que ces harmonies double guitares folk/saturation ne soient pas exprimées avec la beauté sonore qu'elles méritent, la dimension spaciale et profonde adéquate. Là où les norvégiens, de Taake à Kampfar, brillent par leur sens du son à la fois brut et dense, là où les ukrainiens eux-mêmes avaient sur leur diptyque précédent trouvé une acoustique de qualité, ils ternissent ici et notablement l'accomplissement de leurs grandeurs, par un son qui empêche les harmonies de pleinement s'exprimer et dont le manque de richesse, et tout simplement de beauté, provoque une véritable frustration. On était pourtant, sans aucun doute, à deux doigts du chef-d'oeuvre.

Note : 5/6

Page 107/208 LUCIFUGUM : Instinct prevelance

Chronique réalisée par Sheer-khan

Lucifugum est un groupe à reserver à ceux qui aiment le black metal pour ses excès. Son crade, symphonisme grandiloquent, boîte à rythmes, amateurisme revendiqué, une nappe et trois percu et ça fait la piste ritual dark ambient de la mort. Cousin germain d'un Arckanum, Lucifugum a tout de la caricature... sauf le ridicule (autant le dire tout de suite, tout le monde ne partagera pas cet avis). "Instinct Prevelance" réunit en 2001 sous forme de nouvel album les deux premières démos "Path of wolf" de 1996 et "Fire of Hatred for Sky" de 1997. Malgré un Saturious déjà très présent, "Instinct Prevelance", avec ses guitares en avant et sa basse qui vrombit, ne donne pas encore dans le symphonissisme d'un "sortilage". Sombre et violente, charpentée et obscurcie par un clavier puissant et lugubre, la musique de Lucifugum est à la fois très crue et profondément mélodique. Régulièrement dévastatrice, déroulant des accords entre agressivité et tragédie, elle est consolidée par des mid tempo au symphonisme marqué où éclate une fois encore tout le talent si singulier de la scène ukrainienne pour l'épique et le nocturne. Depuis un "search of my soul" particulièrement hargneux et sorcier en passant par la tempête cosmique de "Lesnaya pesn", du folklorique et totalement saturé "Bringing by rain" à "Im Mudrym..." et ses lueurs Eclipséennes, Lucifugum dégueule sa haine et sa mysanthropie dans une débauche romantique et lycanthrope avec comme porte parole la voix ficelée de hargne de Faunus. Cris de loup, breaks acoustiques, reverb' variable... le groupe crée son atmosphère prenante, souvent étouffante malgré l'ampleur harmonique, avec toutes sortes d'outils : le son, très saturé et sale encore une fois, n'étant pas la seule marque de radicalité de la formation. Imprégnée par la sorcellerie et la nature, devastée par la crasse et la nuit, l'atmosphère de ce disque entre beauté et malaise est typique du cas Lucifugum. Il n'y a guère que chez Arckanum, encore une fois, que l'on peut retrouver un tel sens de la sorcellerie primitive et sinistre, ici drappée du symphonisme puissant propre aux ukrainiens. Incantatoire, païenne, bricolée et secrète,la musique de Lucifugum c'est le côté

Blair Witch du Black metal : trois bouts de bois et tu flippes ta race.

Note : 5/6

Page 108/208 ALGHAZANTH : Osiris-typhon unmasked

Chronique réalisée par Sheer-khan

Syndrôme Frozen Shadows bis : Comment être déçu par un bon album? Facile : avoir découvert le groupe concerné avec un recueil bien meilleur. "The polarity axiom" m'avait littéralement scotché par son équilibre entre saleté, épaisseur étouffante, et débauche mélodico-atmosphérique de haute volée, les mettant dans la lignée directe d'un Mephistophelès plongé dans l'occultisme le plus opaque. Je m'attendais avec ce "Osiris", sorti 3 ans plus tôt, à peut-être moins de grandeur symphonique, moins de matûrité dans les structures... mais certainement pas à ce contraire : un album plus propre, plus poli, au synthé omniprésent et clean. Oui, l'album est violent, furieux même, les contructions sont travaillées et riches, l'inspiration incontestable, mais l'ensemble est totalement dépourvu de la dimension profondément charbonneuse, apocalyptique et aveugle qui donnera à son successeur toute sa grandeur. Et dans ce genre de metal Emperorien et soigné que l'on entend sur "Osiris", on préfèrera sans conteste un Sirius pour son inventivité, son impact et sa patte mélodique plus marquée et aiguisée. De fait, le manque de plaisir à l'écoute de ce disque ne rélève pas que du regret de ne pas y retrouver les particularités de "polarity"; les finlandais donnent tout, exécutent leurs compositions sophistiquées avec excellence et multiplient les approches rythmiques et les ruptures avec générosité, mais très peu, finalement, de personnalité. Trop propres, presque trop sages, trop gentils malgré la fureur réelle de leur musique; les mélodies ont beau être bien contruites, les harmonies travaillées, "Osiris" dégage ce curieux sentiment d'excellence banale. On n'est pourtant pas dans la tentative avortée : Alghazanth gère très bien sa complexité relative; ça n'est pas seulement "bien fait", c'est aussi "bien composé". Mais, malgré sa paternité évidente avec "Polarity", on est justement ici bien plus proche de la musique de genre que de la personnalité affirmée, singulière, du Alghazanth de 2005. La reprise en piste cachée du "symphony of destruction" est plus inutile qu'un parapluie sur la lune : les vocaux black c'est bien gentil mais sur une pièce dans laquelle la ligne de chant constitue l'aventure mélodique principale, c'est tout simplement stupide.

Note : 3/6

Page 109/208 MACTÄTUS : The complex bewitchment

Chronique réalisée par Sheer-khan

Norvégien, formé en 1989, première parution en 1993... et bien non, Mactätus ne s'est pourtant pas fait connaître par un black cru, underground et vénéneux, bien au contraire. L'artwork de ce disque révèle sans ambiguïté la noirceur, et la subversion absolument infernale du groupe (en effet : y a un nichon sur la pochette). Propre, très produit, mélodique et largement claviérisé, le métal de Mactätus ne trouvera certainement aucune légitimé auprès des puristes du "live at the graveyard". Ne faisant pas partie de la dite assemblée, j'ai ainsi pu, tout en observant les réserves d'usage, dire le bien que je pensais de leur "Provenance of cruelty", et du plaisir que l'on peut avoir à se l'enfiler de temps en temps. Faiseurs, incontestablement, jusque dans le revirement salutaire qui suivra ce "complex bewitchment", les norvégiens se sont gargarisés de la bonne réussite de "Provenance...", ont pris au pied de la lettre la comparaison couramment faite avec Emperor, et ont donc décidé de faire un album de black metal symphonique compliqué. On assiste donc à une succession de pièces de "blacksympho" qui alternent les rythmes et les vitesses, les passages claires et les accords puissants, les envolées de claviers, les lourdeurs heavy/death... Et bien sûr, ça ne fonctionne pas du tout. Disons le tout de suite pour éviter les remarques : oui, oui, y a quelques bons passages. Ce n'est pas véritablement que c'est trop complexe, car finalement, même si le groupe multiplie les ruptures et les changements, il n'y a rien de vraiment spectaculaire au niveau technique, et d'ailleurs tant mieux. Non... trop compliqué peut-être, mais surtout franchement peu inspiré. Les mélodies manquent d'intérêt, les construction harmoniques sont à la fois convenues et peu efficaces, de toute façon le groupe ne se laisse pas le temps d'installer quoi que ce soit et change de motif, de rythme et de vitesse constamment. Une fois l'album bien assimilé, une fois franchi le cap de la connaissance de ses structures, on est bien forcé d'admettre que les lascars ne sont en plus pas très experts en construction, car in fine, tout cela ne sert pas à grand chose. Ca manque de force, ça manque terriblement de charme, et malgré la dose d'ingrédients jetés dans la marmite, ça n'a finalement et étrangement aucun goût. Ils ont appelé ça "l'enchantement complexe". Moi j'dis que c'est dommage d'avoir autant travaillé à réaliser tout un album, produit, compliqué, chargé, paroles, arrangements, musiques, alors qu'on a déjà dit très exactement tout ce qu'on avait à dire en un seul titre... celui de la piste 7.

Note : 2/6

Page 110/208 THE HAFLER TRIO : Kill The King

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Chaque aspirant au journalisme musical devrait fournir une chronique du Hafler Trio en guise de concours d’entrée. C’est si suicidaire que la personne sera bien obligée de porter un jugement critique, du moins subjectif qui n’engagera qu’elle. Si le fait que ‘Kill The King’ soit mon disque préféré de la formation n’engage donc que moi, je me ferai toutefois un plaisir de vous décrire l’opus. Présenté dans un dépliant A5, le livret fourni dont les chapitres sont en ordre décroissant semblent vaguement apporter quelques clefs de compréhension puisqu’ils se réfèrent aux sept parties de l’œuvre. Parlons-en de l’œuvre ; une longue fresque électroacoustique résonnantes aux sonorités multiples, comme un tunnel mental vers un univers inconnu, vierge de toute présence humaine. C’est un voyage qui s’entreprend clairement seul, le casque sur les oreilles, dans le noir absolu – voyez alors votre corps qui s’élève et qui suit des lignes qui semblent terriblement familières, mais traitées de façon nouvelle, épurée – McKenzie travaille beaucoup sur les bruits électroniques du quotidien - par moments, quelques rythmiques étouffées percutent le sol sans préavis, sollicitant l’imaginaire visuel comme ‘Digilogue’ de Zoviet France. J’ai dit que l’on était seul tout du long et c’est vrai que c’est un peu erroné par la présence de voix à un moment donné – mais quelles voix ! Un brouahaha bouillonnant de cris et d’interjections qui tourbillonnent en panoramique vers la quarante-huitième minute et qui semble sorti tout droit d’une crevasse d’un giron de l’Enfer ou d’une nuée d’âmes damnées qui aurait perdu sa route ; l’écoute à moitié endormi rendant l’expérience absolument terrifiante. Un voyage liminal et inexplicable aux frontières du réel, sombre, isolationniste, que vous devez absolument avoir effectué aux même titre qu’une initiation rituelle aux mystères de l’au-delà.

Note : 5/6

Page 111/208 SOLEFALD : Red for fire : an icelandic odyssey part 1

Chronique réalisée par Sheer-khan

Solefald ne s'est vraiment pas foulé. On se serait largement contenté de ce prolongement plus sobre de "Harmonia" s'il avait été aussi convaincant sur la durée que l'ouverture "Sun i call", pièce aux mélodies délicates et aux harmonies prenantes que le saxophone vient à nouveau enluminer de sa merveilleuse acoustique; malheureusement ce premier chapitre est bien plus inégal que son successeur... qui, lui, est uniformément raté. "Survival of the outlaw" et son alternance étonnante ou "Crater of the valkyries" font partie des autres bons moments du recueil, mais si la relative sobriété des arrangements (enfin, comparée au passé du groupe) n'est pas un problème en soi, elle s'accompagne ici d'une inspiration mélodique en chute et révèle le manque de pertinence fondamentale de la plupart des effets de structures. A ce titre, l'évolution/mutation de "There is a need" constitue une exception qu'il convient de saluer. Dans cette nouvelle clarté de lecture permise par l'allégement des arrangements on est par ailleurs de plus en plus gêné par le manque de personnalité et de beauté du son; batterie sèche, guitare morne et sans véritable épaisseur, Solefald s'enfonce un peu plus dans le son de base, sans âme et sans saveur. A quelques courtes exceptions prêt, le travail des voix fait lui aussi très pâle figure comparé à "Harmonia". Si l'aspect plus épuré de la musique de "red for fire" possède son charme, gagnant en efficacité et en sincérité, et si bien entendu ce disque possède son lot de vraies beautés et d'instants précieux, il sonne comme une redite un peu transparente de son prédécesseur et n'apporte pas grand chose. Pire que tout : il se ternit à mesure des écoutes. Ce qui s'écoute d'abord comme un Solefald facile mais agréable, alternant les richesses sophistiquées et les élans plus simples, devient, peu à peu, d'une étrange fadeur, chaque fois moins lumineux, chaque écoute moins séduisant, se vidant lentement de la beauté et du peu de magie qu'on lui trouvait. Le genre de disque dont on se dit que le temps finira par nous l'ouvrir plus amplement, mais qui finalement se fâne, avant même d'avoir éclos.

Note : 3/6

Page 112/208 SOLEFALD : Black for death : an icelandic odyssey : part 2

Chronique réalisée par Sheer-khan

PUTAIN MAIS FAITES LE TAIIIIIRE!!!!! *touss* Déjà que l'album est pas génial, voilà ce *** de Cornelius qui décide de se servir de sa voix gutturale ridicule partout, doublant les lignes claires de Lazare et nous imposant ce supplice proche de l'envie de vomir aussi souvent que possible... j'en peux plus. Mais en imaginant qu'il puisse exister sur terre quelqu'un capable de supporter ce gosier minable, il me faut bien vous narrer le contenu de ce deuxième chapitre du voyage : "Black for death", ou Solefald qui se vautre dans les grandes largeurs, et d'une manière dont l'analyse rapide laisse par ailleurs à penser que les deux compères fabriquent leurs albums en fonction des critiques, et dans le but principal d'épater la galerie. Si j'avais à titre personnel déjà mentionné une bonne fois pour toute ma totale retenue quant aux textes de Cornelius que je soupçonnais de prétention pure et d'effets de manche sans profondeur à seule fin démonstrative, c'est maintenant par leur musique, jusqu'ici toujours passionnante, que le duo révèle toute sa vacuité. On a reproché à "Red for fire" son manque d'évolution et de prise de risque par rapport à "Harmonia", on l'a aussi boudé pour avoir entériné la disparition de l'extremisme métal, on a salué comme seule pépite la surprenante "Sun i call" et son saxophone jazzy merveilleux : "Black for death" est donc un album qui part dans tous les sens et tente de nouveaux effets désastreux, ça c'est pour la prise de risque, qui s'efforce de cracher régulièrement de la violence ou du son mais sans talent aucun, ça c'est pour retrouver les faveurs des blackeux, et qui nous présente deux instrumentales saxophonées dont l'une se veut jazzy jusque dans son rythme, ça c'est parce que ça a plu la dernière fois. De la structure déchiquetée de "red for fire + black for death" à l'ultime incarnation crapaud de Cornelius dans "Sagateller" en passant par les tentatives vaguement expé mais précisément ratées à la "Silver dwarf", Solefald est dans l'esbroufe fadasse, dans le verbeux, dans le prétentieux. Le groupe a largement prouvé sa capacité à l'excellence et bien entendu, ce disque contient tellement de choses qu'il y en aurait un bon paquet à saluer, si il n'y en avait pas beaucoup, beaucoup plus encore à jeter. Sur l'ensemble de ces 50 minutes les norvégiens sont incapables de dégager une véritable atmosphère, tout préoccupés qu'ils sont à en faire des tonnes et à multiplier les sons et les vocabulaires jusqu'à n'avoir plus ni l'un, ni l'autre. Ce disque sonne comme une mauvaise réaction à la tiédeur de l'accueil réservé à sa première partie; il révèle (enfin, confirme, pour ma part...) de manière particulièrement agaçante la dimension orgueilleuse et intello-prétentieuse du roquet Cornelius. Après, quelques experts en circonstances vont, peut-être, venir me dire qu'il fût entièrement écrit et enregistré en même temps que "red for fire" et qu'il ne peut donc être le résultat des critiques faites à ce dernier... peut-être, je n'en sais rien. Dans ce cas, et à l'avance, je reformule mon reproche plus simplement : ce disque est avant tout prétentieux et mauvais, toute circonstances extérieures mises à part.

Note : 2/6

Page 113/208 ASSAGAI : S/t

Chronique réalisée par Hellman

Assagai est un projet dérivé du Brotherhood of Breath de Chris McGregor. On y retrouve Dudu Pukwana, Mongezi Feza et Louis Moholo. Et c'est à peu près tout ce qu'il y a d'intéressant à en tirer même s'il constitue une indéniable curiosité, raison qui me pousse à vous en parler. En 1970, Philips les débauche et les signe sans plus tarder sur son aile progressive, le label Vertigo, histoire de ne pas perdre trop de distance face à la rude concurrence que s'apprête à leur livrer les ghanéens d'Osibisa. Historiquement, c'est donc le premier et unique groupe panafricain signé par le label anglais, consitué de nigérians comme par exemple le guitariste Fred Coker, mais surtout de sudafricains comme on a pu le voir. Il n'est donc pas question ici d'afrobeat ; les mélodies enjouées et entraînantes de "Irin Ajolania", "Ayleo" et "Beka" ne peuvent trahir leurs origines faites de couleurs et d'ondulations chantantes telles qu'on avait déjà pu en entendre par le biais du Brotherhood of Breath. La légerté avec laquelle est menée cette entreprise laisse présupposer qu'Assagai ne fût qu'un groupe factice, une opportunité à saisir pour des musiciens de talent en quête de succès mais qui échoua lamentablement. De fait, le groupe ne survivra pas à ses deux seuls albums. C'est pourtant sur celui-ci qu'ils firent le plus de concessions dans l'espoir vain de conquérir un large public (il faut entendre les reprises de "Telephone Girl" de Jade Warrior, mais plus encore le "Hey Jude" transfiguré des Beatles) ; ce sera peine perdue. C'est à la nature un peu trop floue, et pas vraiment sincère de cette démarche, qu'il faut sans doute imputer cet échec.

Note : 2/6

Page 114/208 ASSAGAI : Zimbabwe

Chronique réalisée par Hellman

C'est peut-être allégé d'un poids qu'Assagai retourne en studio pour enregistrer une suite à leur album éponyme. Certes, "Zimbabwe" arrive un peu tard pour rectifier le tir puisque les dés sont déjà jetés et le destin du groupe scéllé. Cependant Assagai accomplit l'extraordinaire gageure de nous pondre un disque dégagé de toute pression, authentique, sincère, comme il se doit. Entretemps, le groupe s'est considérablement élargi, conviant mêmes les trois membres fondateurs de Jade Warrior, dont ils reprennaient encore il y a peu le "Telephone Girl", à leurs libations musicales. Pour autant, Havard, Duhig et Field ne vont pas essayer de tirer la couverture à eux. Bien au contraire. Ils vont parfaitement se fondre dans la grammaire qu'Assagai met en place, une grammaire qui revisite l'Afrique noire en prenant pleinement conscience que pour pouvoir plaire, il ne faut pas se modeler à l'image du comment nous pensons être perçus par les autres, mais tout simplement se contenter d'être soi-même. Un des éléments clefs qui explique la réussite de "Zimbabwe", c'est sa cohérence dans sa diversité. Délimités de part et d'autres par deux titres enlevés, "Barazi208ar" et "Kinzambi" qui donnent toute la pleine mesure aux cuivres et aux percussions, les autres titres de l'album voyagent à travers toute une série de paysages connotés, la plupart du temps soutenu par le chant folklorique de Martha Mdenge : spirituel sur "Wanga", bucolique sur "La La", doucement funky sur "Dalani", on retrouve, encore et toujours, des traces profondes de la culture sudafricaine sur "Come Along" et même cette fois une touche d'afrobeat à travers

"Sanga" ! Nous ne pourrions exiger davantage.

Note : 4/6

Page 115/208 FRANCIOLI (Leon) : Nolilanga

Chronique réalisée par Hellman

Ce contrebassiste suisse méconnu est de la race des géants. Après des études au conservatoire de Lausanne, il démarre rapidement sa carrière en tant que musicien de studio pour des formations classiques ou des groupes rock. Sommes toutes, de quoi gagner sa croûte. Le devenir de bien des musiciens au parcours académique. C'est ça ou enseigner à son tour. Parfois les deux. Mais, pour sûr, cela ne nourrit pas notre homme qu'un esprit alerte et une curiosité jamais inassouvie poussent bien malgré lui à se mettre en danger. C'est dans le free jazz qu'il va trouver sa voie : "Nolilanga", son premier disque en tant que leader, un des ses très rares enregistrements pour être tout à fait honnête, va rapidement l'imposer cependant comme un des maîtres de l'instrument, à rapprocher en ce sens de Barre Phillips ou Miroslav Vitous pour leur audace et leur ingéniosité. Mais plus encore, c'est son intuitivité et sa déconcertante mais liberatrice faculté à tout envisager sous un angle purement ludique qui vont le pousser à dépasser les limites imposées par le carcan d'un enseignement trop strict. Le terrain de jeu, c'est la musique en elle-même, en temps que matière malléable où tout peut être dit. L'abstraction de "Ndi'Fuma'Imali" en ouverture en est un bel exemple : le contrebassiste ne se contente pas de jouer les cordes, il joue l'instrument lui-même... Les compagnons de jeu sont, il faut le dire, extrêmement bien choisis aussi : deux batteurs, Alain Petitmermet et le réputé Pierre Favre, le guitariste Pierre Culaz et enfin le britannique Alan Skidmore. C'est sur "Noma'Khepu", puis la longue plage titulaire où on peut entendre ce qui tout bien considéré est une philosophie de vie être mis en pratique de manière collective. Tumultueux et énergique, "Nolilanga", fidèle représentant d'un courant aux préceptes enviés mais pas toujours compris, tend à prouver que l'harmonie peut naître aussi du chaos.

Note : 4/6

Page 116/208 ENSEMBLE MUNTU : First Feeding

Chronique réalisée par Hellman

On n'a pas fini d'explorer les recoins des musiques sombres et expérimentales. Chaque jour nous apporte son lot de découvertes. La demande est si forte aujourd'hui, la tendance étant clairement à la surabondance, que nous nous voyons littéralement submergés de toute part par toute une série d'enregistrements obscurs qui aspirent à un second souffle. Tel est le cas de "First Feeding", un album qui ouvre l'appétit d'une musique free vivante et gourmande, avide de se répandre, avide d'exister. Instigateur du projet, Jemeel Moondoc est un saxophoniste originaire de Chicago qui, contrairement à Braxton ou à l'Art Ensemble de Chicago, n'a pas rejoint l'AACM de Richard Abrams. En s'exilant à New York, il constitue l'Ensemble Muntu, quintette aux vibrations généreuses qui compte en son sein le batteur Rashid Bakr, le pianiste Mark Hennen, le trompettiste Arthur Williams et le contrebassiste William Parker, figure incontournable de la scène free s'il en est. Ces agitateurs tournent intensément dès 1972, mais ce n'est qu'en 1977 qu'ils entrent en studio pour publier ce disque autoproduit. Alliant la vigueur d'Albert Ayler à l'impulsivité de Cecil Taylor, les titres de l'Ensemble Muntu possèdent cette portée viscérale propre aux enregistrements free de grande qualité. Car si chez eux tout est rythme, décomposition, juxtaposition, décélération, accélération, ce souffle de vie, cette urgence qui nous engage à toujours repousser à plus loin l'échéance de cette fin inéluctable, ne seraient que gesticulations grossières sans la présence de chorus splendides repris à tue-tête par nos deux souffleurs, donnant à "Flight from the Yellow Dog" ou à "Theme for Milford", pour celles et ceux qui restent encore réfractaires à un genre qui leur semble impénétrable, un aspect lyrique bouleversant auquel il paraît difficile de resister.

Note : 5/6

Page 117/208 MIN BUL : S/t

Chronique réalisée par Hellman

Une réédition parmi tant d'autres. Mais une réédition d'importance tout de même. Min Bul fût pendant longtemps un des disques jazz scandinaves les plus convoités au monde, et je pèse mes mots. Universal mettra donc près d'un demi-siècle avant de se décider à donner une seconde jeunesse à ce trio d'exception, guidé par un instrumentiste de talent dont il faudra vous exposer l'oeuvre ici même tôt ou tard, j'ai nommé Terje Rypdal. Connu pour son jeu de guitare fluide et identifiable entre mille ( c'est déjà le cas ici), le norvégien nous surprend en tâtant également du saxophone soprano, exercice dans lequel il se défend plus qu'avec les honneurs. L'album démarre sur deux courtes pièces qui montrent que le champ d'exploration free n'est pas du genre à effrayer ces hommes qui viennent du froid. "I Cried a Million Tears Last Night" adopte les formes convenues d'un genre qui tend à l'expansion alors que "Invocation" se repose sur des textures abstraites ; austère, introverti mais néanmoins fascinant. Puis, c'est "Champagne of Course", longue pièce groovy propulsée par un Bjørnar Andresen impérial. C'est sans conteste à ce morceau phare que nous devons la redécouverte de l'album, tant cette ligne de basse est un appel ouvert au sampling (si par ailleurs cela n'a pas déjà été fait). Rud et Rypdal virevoltent autour de cet axe immuable avec force et persuasion dans un habillage finalement plus rock que vraiment jazz. Même constat pour "Strange Beauty" qui clôt le disque : bien que différent, il fonctionne sur un principe similaire, à l'orée d'une musique aux accents psychédéliques. "Ved Sørevatn" et "Nøtteliten", de facture plus classique, complètent le tableau qui, en définitive, fait preuve d'une grande diversité d'approche et de timbres tout en restant toujours parfaitement cohérent, chose qui pourtant n'est jamais gagnée d'avance.

Note : 4/6

Page 118/208 THERAPY? : Shameless

Chronique réalisée par Raven

Shameless (anagramme de ‘SS Shemale’, jsais pas si c’est fait exprès mais je voulais la placer pour faire mon intéressant) est un Therapy? mi-figue mi-raisin. Côté figue, car je n’aime pas la figue, une côté un poil trop punk US – au début surtout, et quelques refrains bien niaiseux (voire un côté un peu trop Offspring période Americana, sur quelques morceaux seulement). Côté raisin, car j’aime le raisin (qui est le fruit du vin qui est le sang de la terre), du Therapy? plus hard rock, plus catchy, beaucoup de groove, en mode gaga, du Therapy? sous perfu d’ethanol comme le précédent ; foufou, chelou, débridé. Le petit frère de Suicide Pact assurément, moins bon certes, mais, sur la deuxième moitié, tout aussi barjot – la différence notoire est dans la prod, plus FM, plus ‘gros son’, même si un peu brouillonne par endroits. Des compos bien in your face, des refrains complètements débiles ("Gimme gimme gimme back my braaain"), le groupe semble ne plus se prendre au sérieux et balance tout à l’arrache, sans trop se soucier du reste. Au menu, du Therapy ? au feeling très Jesus Lizard ("Theme From Delorean", "Joey", "Stalk & Slash"), du Ramones déchiré, du punk’n’roll endiablé pour draguer les meufs en décapotable ("Endless Psychology"), du Scratch Acid/Butthole par un Andy au taquet ("Alrite"), un "Wicked Man" qui commence comme une ballade avant de virer psyché (ma préférée), et quelques tubes en puissance ("I Am The Money" avec son riff Troublegum et son refrain à la Guns'n'Roses, et cet irrésistible "Body Bag Girl"). Andy est moins taré que sur Suicide mais il nous refait quand même un peu son Tom Waits/Beefheart sur quelques passages, les riffs sont souvent bien accrocheurs, du hard FM, du noise rock bluesly, du punk dézingué, rien de bien sérieux (dommage qu’il y’ait pas de vraie ballade), un Therapy? simplement fun et décontracté du gland, finalement, récréatif mais bonnard, une p’tite partie de rock’n’roll pas piquée des hannetons que n’aurait pas renié mon vieux David Yow… je lui trouve un charme bien à lui à ce disque, je l’aime bien, ouais, il est cool, pourtant je lui donne que 3 boules pour contraster avec le premier… mais il à l’air vexé, alors pour le consoler je lui confectionne 3 jolies boules, une à la fraise, une à la vanille et une au chocolat… Et pis c’est quand même bien agréable après ce Semi-detached tout moisi et fadasse… ouais… et pis j’aime bien la pochette… mmmmh… allez, je rajoute une boule de glace pistache… Bisous.

Note : 4/6

Page 119/208 MOBB DEEP : Murda Muzik

Chronique réalisée par Raven

Il y’a effectivement de bien plus grandes priorités que parler de cet album. Que ce soit le Wu ou ses projets solos, le old school, Cypress, et pléthore d’enregistrements underground… Mais tant que je l’ai sous la main, autant faire ça fissa. D’une, Murda Muzik est bien en-dessous des deux précédents albums ; à cause de ses nombreux compromis déjà, mais surtout à cause d’une approche beaucoup plus radio qui se révèlera fatale pour eux comme pour bien d’autres formations cultes, alors que sur l’autre rive un blanc-bec comme Eminem se montrera parfaitement capable de concilier le commercial et l’inspiration. C’est évident à l’écoute de Murda Muzik : Mobb Deep a clairement édulcoré son hip hop et commencé à creuser sa tombe en choisissant la voie la plus facile ; pire encore, les deux lascars croyant sans doute y gagner au change se sont enjoints les services des chanteuses r’n’b, succombant à ce qui allait devenir une mode : ajouter une pointe de douceur à un rap qui était à la base primaire et violent, adoucir une recette brute de décoffrage pour toucher un public plus large – ils n’avaient pas besoin de ça pour vendre, pourtant. Mais ce syndrome en a touché bien d’autres avant, et en touchera encore après eux. Je ne pointerai pas du doigt les nombreux clichés éculés, qui sont hélas une des principales raisons pour lesquelles on méprise le rap (ego trip, gangsta, clashs et consort), mais il y’a effectivement de quoi se lasser. Bien sûr, tout reste relativement sombre, l’ambiance est un peu la même que par le passé quoique nettement délavée, Prodigy n’a pas changé d’un iota et son flow comme ses lyrics restent percutants (quoique ça sent déjà l’auto-parodie) on remerciera tout de même Havoc pour quelques prods qui, même si elles ne sont pas du niveau de celles de Hell On Earth loin s’en faut, y font parfois penser : l’intro assez malsaine, des cuts comme " Spread Love" ou l’excellent "What’s Ya Poison", sur lequel on retrouve le même piano hanté, les mêmes crépitements. Mais on ne se sent plus menacé. Mobb Deep s’est déjà plus où moins tiré une balle dans le pied en choisissant de virer FM, et, cerise sur le gâteau, de tous les feats aucun ne se révèle convaincant (Big Noyd et Raekwon font acte de présence sans coup d’éclat, ce gros pataud de 8-Ball aurait pu s’abstenir, et Nas donne dans le cliché sur "It’s Mine", successeur plus sage de "G.O.D. Part II" - qui sample la partie la plus soft du thème principal de Scarface). De cet opus inégal je retiens surtout les deux morceaux précités, les quelques passages qui rappellent un peu l’atmosphère occulte et hypnotique qu’on trouvait sur l’excellent Only For Cuban Linx de Raekwon ("Murda Muzik", "Adrenaline" et "Let A Ho Be A Ho") ainsi que le tube "Quiet Storm", qui, comme "Shook Ones Part 2" avant lui, n’a pas volé sa réputation. Un album de rap largement supérieur à 90% de la production mainstream actuelle, mais en ce qui me concerne, le début de la fin.

Note : 4/6

Page 120/208 KELLER & SCHONWALDER : Sakrale Tone

Chronique réalisée par Phaedream

Initialement réalisé sur étiquette Manikin (MRCD 7031) en 1997, Sakrale Töne fut enregistré en Janvier 1997 au Radio Fritz Postdam (Under the Blue Moon 1 & 2) et à la cathédrale de Markus à Gladbeck. Le résultat est un opus hybride où le style Berlin School croise les ondes fantomatiques des gros orgues de cathédrales. Under the Blue Moon Part 1 réussi à développer une cohésion harmonieuse avec une intro spectrale et un mellotron sombre, encerclé de chants de baleines couplés à d’autres formes sonores composites, dont une belle flûte dans une ambiance plus sombre que mélodieuse. Tranquillement des séquences fébriles, aux sonorités xylophonées, sautillent dans une brume mellotronnée où chœurs et synthés fusionnent harmonieusement sur un tempo minimalisme enrichi de belles sonorités astrales. Bien qu’enregistré indépendamment du concert à la cathédrale de Markus, la 2ième partie de Under The Blue Moon revêt un caractère pastoral avec ses chœurs et son approche rêche. Un doux piano émerge de cette enveloppe eucharistique pour initier un mouvement séquentiel plus soyeux et léger, sans jamais s’échapper de cette trappe cathédralienne. Et ce même avec des effets sonores d’un monde analogue et plus audacieux. Ein mystisches Ende débute avec une intro pastorale aux chœurs angéliques assimilés à une chorale monastèrelle. Très atmosphérique le mouvement flotte dans une ambiance de sérénité ecclésiastique avec un synthé aux ondes astrales qui se moule à une grosse orgue de cathédrale animant le mouvement avec des accords hachurés qui roulent en boucles réverbérantes dans une ambiance austère et fantomatique. Zugabe mit Orgel… démarre avec un superbe solo d’orgue à saveur chthonienne. Pas grand mouvement, sauf pour une orgue qui ferait la fierté d’un certain fantôme. L’ambiance de concert dans une église devait être à son apogée. Mais en disque ça demande une certaine vision et ouverture d’esprit. Moi j’ai trouvé ça bien, mais un peu long. Nous devons patienter jusqu’à la 13ième minute pour entendre les premières agitations séquentielles. Un rythme sobre et hypnotique qui cadre bien avec une orgue aux intonations plus nuancées et audacieuses. Une belle finale teintée d’une morosité qui sied bien cette structure méphistique. Une belle séquence enjouée, presque carillonnée, ouvre le bref…und ein Ende mit Sequenzen. Même si l’approche demeure pastorale, la structure musicale est douce, éthérée et emplie d’une douceur poétique qui accroche l’âme. Un beau morceau. Far From India Part Two est une pièce en boni sur cette réédition de Syngate. Il s’agit de la continuité très animée de la 1ière partie que l’on retrouve sur Loops & Beats. Cette fois-ci, pas d’intro invitante ni planante. Juste ses séquences nerveuses et minimalismes, guidées par les savoureuses percussions tablas, qui enflammaient ce rythme tribal infernal et endiablé qui nous avait conquit en 1996. Un superbe titre agrémenté d’effets sonores galactiques et de chuchotements inaudibles dans une effusion de solos de synthé, rappelant les premières folies analogues de Michael Garrison. Sakrale Töne est un opus audacieux qui commande quelques écoutes pour en apprécier toute la profondeur. Des titres comme Under the Blue Moon 1, …und ein Ende mit Sequenzen et Far From India Part Two vont plaire assurément. Le concerto pour orgue et UTBM 2 sont plus progressifs, mais renferment des nuances subtiles et plaisantes à l’oreille. Un peu comme si Tangerine Dream et Klaus Schulze auraient fusionné leurs œuvres. C’est un peu cela l’univers musical de Detlev Keller et Mario Schonwalder; c’est beau et on ne sait jamais à quoi

Page 121/208 s’attendre.

Note : 4/6

Page 122/208 COSMIC HOFFMANN : Outerspace Gems

Chronique réalisée par Phaedream

Après Space Gems, paru l’année dernière, Cosmic Hoffmann (Klaus Hoffmann-Hoock) revient à la charge avec une autre collection de ses archives; Outerspace Gems. Une seconde réalisation d’inédits qui oscille entre les années 78 et 85, réalisé cette fois-ci sur étiquette Manikin. Un peu comme sur Space Gems, cette dernière compilation de Cosmic Hoffmann ouvre avec un titre très bouillant. Le point de rencontre d’un cosmos en effervescence Up to the Stars roule nerveusement sur un séquenceur lourd qui vrille en boucles cascadeuses dans une effusion de synthés aux ondes galactiques. Un morceau lourd entrecoupé de brèves intercales cosmiques semi-atoniques et de stries synthétisées stridentes. Megasun apaise le tempo avec un mouvement ambiant balayé de lourds vents mellotronnés. Un passage atonal où un synthé perce une brume malveillante avec de fines oscillations qui virevoltent avec une errance quasi harmonieuse. D’ailleurs tout le concept d’Outerspace Gems semble se mouler à un cosmos noir, étoilé de fines bribes mélodieuses grâce à un mellotron très poétique qui rappellera les beaux jours de Tangerine Dream avec Phaedra. Des titres tels que Galaxy Rising, Spacewards, Magellanic Cloud et Cassini Division enchanteront les amateurs de musique planante entourée de fluides cosmiques. Galaxy rising et Spacewards sont de purs délices ambiants et planants. Cosmic ChaCha porte bien son nom. Une danse cosmique sur séquenceur minimalisme sautillant, accompagné d’un synthé aux charmes langoureux dans une atmosphère galactique. Un titre aussi spécial qu’étonnant qui ajoute un peu de vie à cet album sombre qui épouse les sphères des galaxies lointaines. Black Hole Magic détonne avec une approche plus vivante. De la guitare acoustique sur un synthé flottant aux effluves toujours cosmiques. Outerspace Gems est un album majoritairement planant, avec de belles insertions mélodieuses. Un album tranquille, mise à part Up to the Stars, qui nous rapproche de la lune, de nous même avec un brin d’une sombre nostalgie des années 70.

Note : 4/6

Page 123/208 BROEKHUIS,KELLER & SCHONWALDER : Live @ Dorfkirche Repelen 2

Chronique réalisée par Phaedream

Live @ Dorfkirche Repelen 2 (11/10/2008) feat. Raughi Ebert & Thomas Kagermann CD 1 (73:52) 1 Lanes Of The Lord (15:31) 2 Moers Part I (10:09) 3 Rock This! (8:45) 4 Source Of Life (7:30) 5 Moers Part II (9:29) 6 Shiauliai (12:08) 7 esreveR oloS (10:19)

CD 2 (72:19) 1 Return To The Beginning (16:27) 2 Deeper Silence (13:48) 3 Klaus, Where Are You? (14:36) 4 Another Magic Moment (14:54) 5 Cut & Paste (9:06) 6 Raughis Song (3:27)

CD 1; Enregistré au Dorfkirche Repelen le 20 Janvier 2008 CD2-1; Enregistré au Dorfkirche Repelen le 22 Janvier 2006 CD2-2-3-4 et 6; Enregistré au Dorfkirche Repelen le 21 Janvier 2007. CD2-5; Enregistré lors d’une repetition dans les studios de Detlev Keller le 20 Janvier 2006

Broekhuis , Keller & Schönwälder: Synthé Schrittmacher, Virus T1, Vst-instruments et sequences par Memotron

Manikin MRCD 7088

Page 124/208 Après le succès de Live @ Dorfkirche Repelen 2006, Broekhuis, Keller & Schonwalder récidivent avec un album double cette fois-ci, regroupant des concerts donnés au même endroit, mais en 2007 et 2008. Le premier CD contient la performance du 20 janvier 2008, alors que le 2ième regroupe des portions des concerts de 2006 et 2007. Toujours accompagné de Raughi Ebert aux guitares et de Thomas Kagermann aux violons, le trio Berlinois offre une musique électronique très minimalisme qui est rehaussé par la prédominance des violons de Kagermann. Une musique diversifiée, où le Berlin School est la prémisse à de belles mélodies qui bifurquent dans les aléas de l’improvisation. Le violon de Kangerman est l’âme Lanes of the Lord. Le plus long titre du CD 1 débute dans une atmosphère nébuleuse truffée de synthés aux souffles angoissants qui agonisent parmi les balbutiements de percussions électroniques. Une ligne basse suggestive s’entortille aux percussions sous les souffles onctueux des nappes synthétisées. Une mélodie minimalisme perce cette nappe brumeuse sur une basse plus ondulante, des percussions tablas et un violon solitaire. Lanes of the Lord épouse alors une structure orientale avec une approche séquentielle hachurée, donnant une cadence sautillante à un titre lancinant où le violon traîne sa mélodie avec une lourdeur poétique. Une fine séquence à la Robert Schroëder ouvre Moers Part I, un petit bijou de l’art minimalisme qui croît harmonieusement sous de superbes arrangements orchestraux, des synthés flottants aux chœurs pénétrants qui rappellent Klaus Schulze. Le rythme devient pulsatif avec un beau mouvement séquentiel et un violon très lyrique rêvassant sur des chœurs et des flûtes mellotronnées. Un titre qui donne toute la place à Kagerman. Rock This! Supporte bien son titre avec une séquence sautillante ceinturée d’une guitare aux solos expressifs. Une séquence bouclée cerne le tempo qui devient plus musclé. Le beat devient carrément plus rock avec de beaux solos de guitares de Raughi Ebert. Source Of Life est une splendide ode à la rêverie. De lourds instruments à cordes moulent une valse temporelle à laquelle s’ajoutent une chorale virtuelle et une guitare acoustique, accentuant encore plus les émotions refoulées. À l’image d’un bon Oldfield, mais à éviter si l’âme est triste, car les larmes pourraient ‘’surfer’’ sur cette splendide mélodie. Moers Part II poursuit cette quête doucereuse avec une étrange sirène virtuelle qui moule sa voix à un mellotron moulant. Les accords d’une guitare embrassent cette quiétude, comme un cycle minimalisme, alors que le tempo chevauche une croisade légère avant de fondre sur une percussion pulsative lourde et un violon qui se fond à de fins solos de synthétiseurs. Fortement teinté de l’influence Schulzienne, Shiauliai est martelé de percussions assommantes sur un violon plaintif et des sonorités composites. Un titre près de la cacophonie, mais ingénieux avec une approche musicale influencée par le Moyen-Orient, avec ses tablas et sa guitare traînassante. esreveR oloS semble sortir de nulle part avec sa structure de fête quasi-mexicaine, à cause du jeu de guitare et des trompettes, mais aussi folklorique traditionnelle avec le jeu de violon.

Une douce onde synthétisée et un piano mélancolique ouvrent Return To The Beginning. Un violon larmoyant ajoute une touche poignante alors que le tempo progresse en procession sur de beaux arrangements orchestraux où guitare, violon, séquences et percussions se fondent dans un contexte rythmique indéfinissable, mais cohérent. Le mouvement est lourd et sombre, ciselé de quelques accords de guitares perdues sur un tempo qui s’accentue et pulse sobrement sur une marche électronique aux ventouses échotiques. Encore là, piano, violon, flûte et guitare orchestrent de belles mélodies sur un titre minimalisme et lourd qui puise son énergie rythmique auprès de bonnes percussions cycliques. Deeper Silence est atonal. Un titre sombre, aux multiples couches synthétisées qui flottent dans une nébulosité intrigante. Un monde où le silence est noir, avec des chœurs lugubres fredonnant sous de fins arpèges qui carillonnent doucement dans un univers sans âmes et sans vie. Sauf vers la 10ième minute où une séquence lourde tournoie, sans créer de rythme, prisonnière des lourdes strates qui étouffent son envie de liberté. Klaus, Where Are You? Est un autre bon moment sur Live @ Dorfkirche Repelen 2. Séquences galopantes, animées de cymbales froides et ceinturées de bons solos de synthés. Du bon Berlin School finement fignolé avec une rythmique hybride, alors que le violon répand de fumeux solos sur une structure qui évolue avec de bons arrangements orchestraux. Des archets sur des violoncelles virtuels qui hypnotisent avec un tempo soutenu sur un tempo endiablé. Du vrai Schulze…du

Page 125/208 bo208on pour les amateurs de BS. Initié par un beau jeu de guitare, Another Magic Moment progresse sur des percussions qui martèlent un rythme léger. Le violon prend la direction cadencée dans un univers aux soubresauts électroniques qui suit une tangente plus nerveuse avec un très beau jeu de percussions et des séquences nerveuses. Un titre qui s’apparente à Rock This!, guitare en moins. Cut & Paste est purement électronique avec une séquence qui enroule une structure improvisée sur un rythme nerveux et de lourds riffs, alors que Raughis Song est la tranquillité même avec une belle guitare acoustique et un piano qui sont enveloppés d’une couche synthétisée sereine et mélancolique. Il y a beaucoup de musique sur Live @ Dorfkirche Repelen 2. De la belle musique qui reflète la passion de Broekhuis, Keller & Schonwalder pour la Berlin School. Si j’ai un bémol c’est pour la prédominance des violons de Kangermann qui étouffent les subtilités des synthés. Par contre, l’aspect minimaliste y est superbement mélodieux et foutrement bien détaillé. Il y a des bijoux sur ce double opus qu’on ne peut ignorer. Des titres qui enchantent et hypnotisent, tant par leurs approches mélodieuses que par leurs complexités progressives. En fin de compte, Live @ Dorfkirche Repelen 2 est un très bon album, plein de surprises, comme le premier volet.

Note : 5/6

Page 126/208 THERAPY? : High Anxiety

Chronique réalisée par Raven

J’ai haï cet album. Je ne l’aime toujours pas, mais je ne le déteste plus. Il faut dire qu’il est effectivement bien mauvais : une bonne moitié des titres est tout bonnement indigne de Therapy? Il faut dire, aussi, que cette production ‘gros son’ très clean si on fait abstraction de la basse toujours bien ronflante et les riffs patators n’ont plus rien à voir avec le son très raw qu’on avait dans les premiers albums, et que les compos à part la fin n’ont plus rien de commun avec le groove insolite de Suicide Pact ou celui plus rock’n’roll de Shameless. Ici au menu c’est : 75% de pop punk ricanisant (pouark), 15% de Therapy? hard FM-isant sans saveur et 10% de bon Therapy? Ceux qui vous vendront cet album comme un retour aux sources seront des menteurs, ne les écoutez pas. Ecoutez Tonton Raven : le retour aux sources, ce sera sur le suivant… et encore, je dirais plutôt One Cure Fits All. Ce High Anxiety est en réalité une belle petite daube avec deux titres mortels en son sein : le premier et le dernier. Respectivement, un "Hey Satan ! You Rock" bien catchy qu’on peut sans mal inclure dans leur best of, et un "Rust" tzarrible, avec des breaks 100% Alice In Chains au milieu et Andy qui fait n’importe quoi au micro. Pour le reste, mon José Garcia chéri balance des refrains niaiseux (pas gays, niaiseux), les riffs sont parfois accrocheurs mais d’un commun affligeant, on oscille entre le moyen ("Stand In Line" qui me fait penser à du Monster Magnet dernière période, "Not In Any Name", du Red Hot en version masculine), le mauvais (du Fugazi raté sur "Limbo") et le très mauvais (du punk US merdique pour skater au moins sur quatre-cinq morceaux, le genre qui ferait le générique du prochain American Pie sans problème – Andy c’est pas toi que j’entends, qu’est-ce que tu fous merde ?!… Lâche ce baggy et colle toi cette paire de Van’s au cul ! – raaah ! C’est vrai que la nuance a souvent été très subtile entre Therapy? et des crevards comme tous ces groupes de pop-punk teenager à roulettes mélodieusement irritants (elle l’était déjà sur des titres comme "Nowhere" ou "Die Laughing", ça se jouait à très peu, sans que le groupe n’aie le mauvais goût de s’y jeter, en gardant un côté sombre bien prégnant), mais ici on est plus dans le ‘presque’, ou le ‘quasi’ - on y est jusqu’au cou, dans le pipi !). Plus qu’inégal, donc, juste merdique avec de très rares éclats, p’t’être même presque aussi mauvais que Semi-detached, c’est dire le niveau - l’histoire de quatre irlandais qui sont devenus des ricains sans inspiration - et à moins que vous ayez envie de vous farcir des refrains infâmes dignes de Green Day, Blink 182 ou Def

Leppard, je préfère vous éviter pareille souffrance, et vous enjoins de passer au suivant illico presto.

Note : 2/6

Page 127/208 THERAPY? : Never Apologize Never Explain

Chronique réalisée par Raven

Après un High Anxiety tout caca, Andy et ses boys reviennent sous la forme d’un trio. Et qui dit trio dit quatuor moins un (noooon tu déconnes?). C'était ptêtre pas une si mauvaise idée de virer McCarrick, qui fût sans doute pour beaucoup dans le charme de Infernal Love, mais qui a aussi prouvé son manque de savoir-faire en composant les trois quarts de leur pire album Semi-Detached. Never Apologize Never Explain est plus sincère et plus basique en même temps... Leur album le plus roots depuis… Nurse, en fait. Un Therapy ? hargneux et puissant, avec un style costaud. On se croirait revenu à la bonne époque, mine de rien… leur disque le plus roots depuis Nurse, sans aucun doute – même si c’est un peu impersonnel pour du Therapy? Cet album est bien foutu et la qualité est tout autre que sur le précédent, indéniablement, les jeux de grattes flamboyants, la patate quoi. Exit le hard FM et le pop punk de pucelles, Never Apologize se veut nostalgique de l’âge d’or du métal alternatif et du post hardcore – on oscille donc assez logiquement entre les pistes à la Fugazi/Black Flag/Helmet/Quicksand, les titres plus dissonants ou noise rock façon Big Black ("Die Like A Motherfucker") les morceaux plus "fusionnels" comme seuls Therapy ? sait en faire, et même un peu de feeling plus emocore sous le pied ("Polar Bear", ou "The Ship Is Sinking", ma préférée), un seul titre qui fasse plus groovy et décontracté ("Rock You Monkeys", qui irait mieux sur Shameless), mais pour le reste il s’agit probablement de leur disque le plus sobre et le plus tendu, peut être le plus hardcore de tous, tout bien réfléchi... la formule est brute de décoffrage et les lascars s’éparpillent moins, ça fout la pêche à coups de latte, et c’est un peu le seul but fixé. Energie, précision et fougue, élégance. Andy a fait tomber le chant à mèche pour se remettre à gueuler avec classe, la basse est bien mise en avant, et le nouveau batteur (depuis un ou deux albums déjà, me semble-t-il) est parfaitement capable de remplacer le grand Fyfe Ewing, miam miam, cette section rythmique old school ! Un album très bien foutu, indéniablement, avec des riffs extra dry, et un son bien plus cru et authentique que sur les deux précédents… un bon disque, auquel j’ai pourtant bien du mal à m’attacher, sans trop savoir pourquoi, à cause de quelques titres brouillons peut être, ou du manque de variété. M’enfin, ça fait quand même plaisir de voir qu’ils n’ont pas perdu la main, contrairement à ce que beaucoup peuvent dire (en vérité, ceux qui n’ont pas écouté plus d’une ou deux fois, ou pas du tout). Et puis "Rise Up" est un tube tout à fait respectable. Le seul, en fait, de cet album âpre et virulent. Un Therapy? moyen mais respectable, tout en nerfs.

Note : 3/6

Page 128/208 CHARLES DE GOAL : 3

Chronique réalisée par Twilight

Charles de Goal, artiste de l'ombre, punk bricoleur, funambule minimaliste, archétype du musicien indépendant héritier d'un 'do it yourself'' punky...Charles de Goal alias Patrick Blain (+ guests) nous délivre ici son troisième album, de son propre aveu, celui qui a bénéficié d'un vrai travail de studio et du temps nécessaire à la composition. Le côté 'maison' faisait et fait toujours le charme de 'Algorythmes' et 'Ici l'ombre' mais on ne peut que se réjouir de cette étape franchie. Délaissant un brin l'aspect froid des précédents, '3' ose l'approche pop, celle qui recherche l'accroche mélodique, sans pour autant renier la technique maison: une boîte, une guitare, quelques synthés et deux ou trois samples bricolés. Les Charles de Goal se sont pourtant surpassés, à commencer par l'excellent 'Parallèles', la comptine punk de 'Hop hop hop' alternant humour et thèmes graves ('La terre tourne, c'est normal on saute partout'), pour glisser vers quelque chose de plus froid et sombre (le très bon '4 murs gris') ou quelques essais plus expérimentaux ('Hoggar' et ses samples orientaux). Patrick and Co savent tromper en utilisant l'accroche pop pour mieux y insuffler des bribes de verre cassé, de nuits sans sommeil, d'appartements gris...Une fausse note ? Oui, 'Technicolor'; sans être franchement désagréable, voilà la chanson facile, tant dans les paroles que les sonorités légèrement 'bip bip', le genre de truc qu'auraient pu sortir Indochine s'ils avaient eu du talent. Heureusement le feeling post punk de 'Soupirs', la belle reprise du 'New Rose' des Damned ou même 'Un jeu d'enfant' avec ses claquements de boîte à rythmes et ses accords froids balaient n'importe quel doute. Bref, une belle réussite démontrant que tout en restant farouchement indépendant, Charles de Goal sait aussi écrire de vraies mélodies et pas seulement installer des atmosphères. Dernière info, le disque devait s'intituler '3 Nuits' mais le titre a été raccourci pour éviter toute confusion avec le

'Trois nuits par semaine'...Comment y aurait-il pu en avoir une ?

Note : 5/6

Page 129/208 CHARLES DE GOAL : Etat général

Chronique réalisée par Twilight

'Etat général' est une compilation préparée par Charles de Goal avec l'aide de lui-même, un résumé de quatre albums, 'Algorythmes', 'Ici l'ombre', '3' et 'Double face', un parcours de l'ombre pas toujours aussi médiatisé qu'on aurait pu le souhaiter mais culte c'est certain. Ce disque nous permet également de mieux cerner l'artiste et son univers, notamment de par ses reprises (The Damned, David Bowie, les Kinks, Wire...). On découvre également une approche cohérente qui n'a guère changé depuis les débuts si ce n'est au niveau de la production et du travail sur les sonorités. Si Patrick Blain, tête pensante du projet a toujours affectionné une forme de minimalisme dans l'écriture (guitare, boîte à rythmes, quelques synthés...) on sent clairement la différence en comparant les premiers morceaux qui ont pour eux le charme du 'fabriqué maison' mais dégagent des sons parfois assez naïfs, au niveau des rythmes par exemple, rapprochant le feeling de certains aspects de la minimal wave. L'excellent 'Face/coma' démontre pourtant qu'avec peu de moyens, le groupe est capable d'installer des ambiances franchement malsaines et tendues. 'Mission infantile' quelques années après offre néanmoins une nette amélioration de la programmation, des arrangements; pareil pour la mélodie qui décolle franchement depuis '3', encore que les titres extraits de cet opus ne soient pas toujours les plus représentatifs (pourquoi nous colle-t-on toujours 'Technicolor' ?). Patrick semble avoir axé ses choix sur les pièces rythmées et sombres, entre restes post punk et cold wave. Quoiqu'il en soit, 'Etat général' est une bonne carte de visite pour se familiariser avec une part de l'univers de cet artiste bien particulier de la scène française. 4,5/6

Note : 4/6

Page 130/208 CYPRESS HILL : III : Temples Of Boom

Chronique réalisée par Raven

“I'm havin illusions, I'm havin illusions, drivin me mad inside. I'm havin illusions, I'm havin illusions, fuckin me up in my mind…” Trois mots : 1. Marijuana. 2. Latino. 3. Satan. Le meilleur Cypress, peut être de justesse comparé aux deux qui l’entourent, mais le meilleur, assurément. Echos de cantatrice au loin, haillons de mélodies, jazz from the grave, ambiance de vieux polar, chants bouddhistes, sitar, conga, orgue… une chènevière infestée de zombis dans une dimension parallèle entre Los Angeles, Cuba, l’Orient et l’Enfer. Et au milieu, un homme-canard déchiré qui balance son flow haché menu avec la précision d’un chef japonais débitant son sushi en rondelles. Des corbeaux avec des ailes en cannabis volent dans un ciel gris, et sous cette voûte céleste pourrissante un ex-gangster/dealer nasillard crache son fiel, sur des beats assassins, un Death Daffy Duck pété nommé B-Real, rappant jusqu’à l’épuisement avec ce timbre de crevard identifiable entre mille (le David Thomas du hip-hop ? On est sur Guts et je me sens d'humeur expérimentale). B-Real... cette fois-ci seul dans son monde, même si Sen Dog fait acte de présence on a peine à vraiment le remarquer tout comme le petit Shag qui est plus ou moins manipulé dans le cadre de leur diss d’alors avec Ice Cube. Le background vocal est rachitique et il n’est ici question que du travail de deux hommes : Muggs et B-Real, si on fait exception de l’unique prod/feat. assuré par RZA, autre pied-de-nez à l’encontre de ceux qui opposent stupidement l’East Coast et la West Coast. La Coast dont il est question ici n’est ni de l’Est ni de l’Ouest, mais du centre de la Terre : Hell Coast. Ça ne se passe même plus sur Terre, en fait… mais… ailleurs (pour parler pudiquement). Daffy mène le combat en solo… seul avec les démons formés par les volutes qu’il recrache, ou ceux qui se créent dans ses poumons après chaque bouffée généreuse, ou ceux qui étaient là avant que le dealer vienne approvisionner tonton Muggie, he’s… alone… dans le décor insalubre que le Créateur Muggs dans sa grande maîtrise du beat à dressé avant de l’y jeter, défoncé, mais prêt à se battre… Daffy provoque les clans adverses (c’est qu’il faut aussi faire son boulot) mais personne ne l’entendra car il est passé de l’autre côté, il doit se battre contre les ectoplasmes, perdu dans une brume de beuh brouillant tout repère, les lyrics se perdent dans cette fumée, dans ces ténèbres, et Bibi rappe tant qu’il peut, avec son débit de stroboscope humain, hôte dégénéré de ces ruines dans lesquelles la présence du Malin rôde derrière chaque pilier, entre chaque tas de gravats… L’ennemi n’est pas au-dehors mon Bibi, mais deep inside, et les prises de bec (coin-coin) avec ce gros baltringue d’Ice Cube semblent bien dérisoires comparées au vrai combat que tu devras mener… celui qui se joue à l’intérieur, au plus profond de la psyché, le clash de ton âme avec The Lightbringer – au plus profond du smog cannabique que tu connais si bien. Aucun skit plombant ne vient casser ce trip enfumé, aucun sample qui ne fasse léger (Muggs arrive même à faire sonner evil l’extrait le plus célèbre de Pulp Fiction), rien qui ne nous sorte de ce terrain vague, de ses limbes sativesques, des volutes et des échos mortifères sur lesquels Bibi se donne à fond, les douilles tombent (celles des balles… et les autres) jusqu’au souffle final. Les punchlines sarcastiques, les lignes un peu plus légères, les passages plus jazzy/funky plus proches de l’ambiance décontractée du premier, ne rassurent pas le moins du monde – une présence rôde oui, on croyait pouvoir s’allonger peinard et s’endormir comme un bienheureux avec un grand sourire aux lèvres, sous la belle tapisserie indienne et au milieu des djembés, mais on se les pèle grave, en fait, et les regards paniqués derrière soi confirment : s’agirait pas de traîner ici, ça sent le sapin... Les deux albums qui entourent Temples Of Boom peuvent en effet paraître plus flippés à première vue, parce qu’il sont plus sans

Page 131/208 doute plus agressifs et directs, mais celui-ci est à mon sens le plus ténébreux, le plus trouble, le plus insaisissable, et le plus homogène, il n’a pas recours à la violence pour poser un climat des plus noirs, tout se joue grâce à cette atmosphère funéraire. Moins accrocheur et lisible que ses frères les premières fois il se révèle petit à petit comme la tuerie qu’il est et la menace qu’on ne faisait que subodorer au début se précise au fur et à mesure qu’on s’y plonge : …they’re coming to get you, Bibi Real. Un véritable trip du début à la fin, un des trous noirs du hip-hop, écouté de nombreuses fois en soirée mais bien plus terrible en solitaire, on y prend alors toute la mesure de cette paranoïa qui hante chaque piste, de cette enivrante lueur morbide qui jaillit des samples, de tout ce qui se trame dans ses quasi-silences... le but n’est pas de chercher une issue, mais de se perdre dans ce vaste champ de chanvre noir, se laisser bercer, hypnotiser par les hululements des poltergeists qui hantent ses sillons. Et tomber. Un album vaporeux. Avec Pre-Millenium Tension et Hell On Earth, ma trilogie nocturne-hop imparable. Faites de beaux rêves.

Note : 6/6

Page 132/208 THERAPY? : One Cure Fits All

Chronique réalisée par Raven

Mais… mais… serait-ce un miracle ??? J’ai l’impression d’être revenu en 1994 ! Pourtant on est bien en 2006 non ? (vérifie la date sur la pochette)… effectivement. Mais ce "Sprung" m’a vraiment filé les mêmes frissons que j’ai eu jadis avec des morceaux comme "Trigger Inside" ou "Nausea". Le voici donc le voilà, le vrai retour back to the source of your style mon Andy ; le premier album de true Therapy? depuis… pfff… Mais en même temps true Therapy? ça veut dire quoi mh ? Pour moi leur trilogie reste et restera à jamais Nurse-Troublegum-Infernal Love, tous les autres disques à l’exceptions des Ep’s jusqu’en 1995 ont une personnalité bien à eux mais sont tout de même pas (ou alors à l’état résiduel) le charme inexplicable qu’il y’avait sur ces trois albums successifs. Tout est dans ce feeling, cette prod pêchue et carnassière (comme la pochette d’ailleurs, enfin une pochette qui donne envie !) mais très limpide, ces riffs qui sonnent mille fois entendus tout en sonnant uniques, cette noirceur jamais forcée, et sur ce One Cure Fits All pourtant bien inférieur on retrouve cette étincelle particulière. Alors ok, c’est tout de même pas sur toute la durée du même calibre qu’à la grande époque (façon de justifier mon 4/6 pour contraster avec Nurse et Infernal, tu saisis ?), ok ok, certaines compos font un peu pâle figure (pas envie de les citer… j’en ai marre de citer les titres na !) mais tout de même, "Sprung", "Unconsoled", "Fear Of God", le "Fear Of God" délicieusement dissonant - raaah, les riffs, le chant de Cairns (t'a la classe mon lapin), la pêche du batteur (Fyfe s’est réincarné en toi coco), c’est bien le même bon vieux putain de bon groupe. Putain bis, y’a même une ballade de Therapy?, une vraie ! ("Dopamine, Seratonin, Adrenaline"). C’est bon baby, j’aime quand tu me parles comme ça ! Ô joie ô allégresse, je m’en vais de ce pas faire l’amour avec la première blonde à forte poitrine que je croise et lui faire rendre hommage à la pochette en la laissant gésir sur le trottoir sans laisser mon numéro… ok ok je m'emporte, mais je suis tellement content de retrouver des vieux copains sans dek c tro cool ! (the groupie is back). J’pense qu’on peut sans trop s’avancer dire qu’il s’agit de leur meilleur disque depuis Suicide Pact, ce qui explique mon bonheur non feint, et ce malgré tous ses petits défauts, les passages qui sonnent un peu trop niais (en même temps c’est un peu une composante de leur personnalité alors ta gueule), un bon Therapy? assurément, un véritable rafraîchissement après tous ces albums déglingués (bons au mauvais) et mal fichus, jusqu’à ce Never Apologize bien grinçant… la même fougue adultescente qu’un Nurse, la même efficacité dans le riffing qu’un Troublegum, et un soupçon du charme lover de mon chouchou… Cet album est celui dont on parle le moins, trois ans après sa sortie je crois n’avoir jamais lu plus de deux-trois chros qui en touchaient mot, c’est bien dommage parce qu’il mérite mieux. Après plus de dix années à avoir fait tout et n’importe quoi au risque de faire de la merde, ça s’apprécie. Nos lascars se sont payés une seconde jeunesse à l’heure où d’autres préfèrent contempler les cicatrices sur le torse la larme à l’oeil… c’est beau. Andy, if you read me : I love you.

Note : 4/6

Page 133/208 JERU THE DAMAJA : Still Rising

Chronique réalisée par Raven

Beaucoup se souviennent de Jeru The Damaja pour son premier disque désormais culte sorti en 1994, The Sun Rises In The East, dont la pochette a sûrement plus de célébrité que le contenu (on y voyait une vision prémonitoire des deux tours du World Trade Center en flammes en toile de fond). Cet album et le suivant, (dont je me sentirai de parler quand je serai dans une phase plus old school), ont finalement comme beaucoup d’autres de la même époque pris un petit coup de vieux et demandent une remise en contexte. Il est toujours intéressant de prendre la température et de voir ce que valent aujourd’hui des vieux briscards comme Jeru – en ces temps de médisance où le hip-hop n’apporte guère plus d’une poignée d’album marquants par an, on peut légitimement se demander si un type comme lui, surtout après des apparitions auprès de La Coka Nostra, n’a pas perdu de sa superbe. Eh bien non – après 4 ans d’absence Jeru a peut être même gagné en maturité. Contrairement à d’autres premiers couteaux East Coast de la grande époque, le rappeur est resté intègre et fidèle au hip hop pur et dur, malgré quelques coups de canifs dans le contrat, ce MC peut être dûment respecté à l’heure où bon nombre de ses frères se sont purement et simplement vendus et creusé par la même occasion leur propre tombe. Still Rising est un album dur et frontal, à l’image du personnage. Les choses ne sont pas dites à demi-mot, le flow du lascar s’est peut être même bonifié avec le temps : rocailleux et puissant, sans aucun relâchement. Jeru articule chaque mot, rappe posément, froidement, cliniquement, sa diction carrée et impassible, dénuée de pathos, livre des punchlines très crues. Le hip-hop est paradoxalement plus violent de la sorte. Prisonnier du personnage qu’il s’est lui-même créé (un soi-disant "prophète du hip-hop" venu pour sauver le genre pris en otage selon lui par des imposteurs – on peut dire qu’il avait vu juste aujourd’hui, mais était-ce si difficile à pronostiquer en 1995 ? Le ver était déjà dans le fruit), responsable de quelques-un des egotrips les plus mégalos du genre, et un des défenseurs les plus acharnés de la cause black. Nous sommes en 2007 et DJ Premier a quitté la barque, lui qui s’est au fil du temps révélé de plus en plus incapable de renouveler ses exploits passés (il y’en a de toute façon eu suffisamment pour qu’il mérite un bel épitaphe sur sa tombe, même si ça a viré au vinaigre). Les productions sont désormais assurées par un certain Sabor (qu’on avait déjà pu voir à l’œuvre sur Divine Desing) et Jeru lui-même. Des prods très basiques mais efficaces qui ne sont finalement pas si proches que ça de celles plus soulful, bluesly ou jazzy de Primo. Il y’a en commun le même minimalisme certes, mais absolument rien de chaleureux ici. Sans aucune forme de subtilité (ni de superflu), elles ont recours à peu d’artifices pour poser une ambiance bien noire (voix shootées à l’hélium, déformées, bruits de porc), et se servent plus de bribes d’electro et de sons flippés en tout genre, plutôt que de samples organiques. Pour tout dire, je trouve même un charme malsain et sulfureux à ces prods que n’avaient pas celles plus funky de Premier, quelque chose de poisseux, de moche, se trame là-dedans, difficilede ne pas sentir une lourde menace se profiler dans les enceintes en écoutant "The Crack" ou "Mudera", ou le gimmick abrutissant de "How Ill". Mais rien n’explosera. Pas le style de la maison. Le flow du Damaja n’oscille pas, aucun mot plus haut que l’autre, la tension est maintenue en expert dans la voix, gorgée de mépris, comme dans les beats pesants, et les seuls moments un tant soit peu lumineux se trouveront vers la fin, pour ce qui est du reste Jeru est bien trop constipé par ses principes pour se permettre de plaisanter avec les choses graves – même quand il donne dans l’ironie sur l’intro du génial "Kick Rocks" c’est pour mieux enfoncer le clou : "I apologize to all persons that I have hurt in the past"… de plates excuses d’une amertume non dissimulée

Page 134/208 envers "tous ceux qu’il a blessé ou déçu" I’m sorry.. so sorry... that was a joke… On y croit pas… ou plus. Pléthore de branleurs de tout bord fraîchement débarqués sur la scène et excités comme des puces auraient quelque chose à apprendre en écoutant cet album, c’est sûr. Plus que la philosophie de vie discutable du MC, une philosophie de style digne des grands samouraïs de la East Coast: savoir se focaliser sur la tension de son rap, concentrer tout son dégoût et sa rage intérieure figées dans un flow monocorde et frontal, à l’antithèse de la violence débridée. Les lyrics sont clairs, sans ambiguïté, le MC pose un regard parfois critique sur ses erreurs de jeunesse, et frappe souvent juste. Nul besoin de trop en faire. Sur cet opus le Damaja reste en marge des projecteurs, et livre quelques cuts peut être peu originaux pour les initiés de longue date, mais très percutants. On regrettera juste la présence d’une prod plus légère signée Showkase sur "NY", titre qui sonne déplacé à mon goût, et le featuring r’n’b qui aurait été plus appréciable en d’autres circonstances. Certainement pas le meilleur album du vétéran, mais le plus sombre, assurément. Torve.

Note : 4/6

Page 135/208 CHARLES DE GOAL : Restructuration

Chronique réalisée par Twilight

'Encore un ?!?' Ben oui, après environ vingt ans de silence discographique, Charles de Goal est de retour avec un nouveau disque...Quoi ? Il s'est écoulé tant de temps ? Parce que franchement après écoute, 'Restructuration' n'a rien à envier à ses prédécesseurs; il sonne même plus punk que jamais. Certes, moins de place pour l'expérimentation et les bidouillages 'maison', Charles de Goal est désormais un vrai groupe qui sait ce qu'il veut et où il va. Le feeling général n'a pas changé mais le propos est plus direct et vitriolé (était-ce possible ?), le timbre même de Patrick recèle une petite point plus rageuse qu'autrefois. Le soin apporté aux mélodies qui avait fait la force de '3' ou 'Double face' est toujours aussi efficace dans son habillage de riffs acérés. Certaines compositions sont plus lentes ('Figures imposées') et permettent à Charles de Goal de développer son aspect le plus froid, le plus cold wave...De la sincérité, quoi. Pas question pour Patrick et ses collègues de se la jouer vieux alternatifs, ils ne font pas exprès d'être subversifs, ils le font juste très bien. Et l'on se prend, de même que les artistes, à tirer un bilan parfois amer: 'Technicolor' en 1986, aujourd'hui 'Décadence' et la télé réalité, le petit écran n'a cessé de pousser à la médiocrité, toujours aussi difficile de trouver ses repères dans une certaine société...Rien n'a-t-il donc changé ? Peut-être pas mais des voix sont toujours là pour le crier et avec un talent certain; rien n'est donc perdu, on parle de 'restructurer' et non de détruire.

Note : 5/6

Page 136/208 U2 : Boy

Chronique réalisée par Twilight

Ah, le snobisme de certains goths...Il n'est pas rare d'entendre 'Promised land' des Skeletal Family en soirée mais nettement moins courant de passer 'I will follow' de U2 alors que si on prête attention aux riffs de guitare, ils s'inscrivent dans une ligne semblable, et puis sur la partie calme avant que ça ne redémarre pour le final, ce ne sont pas des échos de Southern Death Cult qu'on décèle ? Si si, n'ayez pas peur, n'ayez pas honte...U2 n'a pas toujours été le groupe de 'Pop' ou 'Achtung baby'; quand ils se sont formés en 1976, ils ne savaient pas jouer et David Evans alias The Edge bricolait des guitares 'maison' avec son frère Dick avant que ce dernier ne s'investisse davantage dans son autre groupe, Virgin prunes. Paul Hewson qui n'a pratiquement jamais touché d'instrument de sa vie se présente comme guitariste, avant de très vite s'orienter vers le chant. Adam Clayton, viré du Lycée pour ses tenues trop excentriques gratouille une basse. En fait, le seul qui sache jouer de la musique est celui qui a passé l'annonce pour fonder le combo, un certain Larry Mullen, membre de la fanfare locale...Bref, après des débuts assez durs où U2 progresse et se taille une belle réputation de par la scène (les labels les envoyant régulièrement promener, les jugeant sans potentiel), un contrat est enfin signé en 1980 avec Island Records. Ils ne sont alors rien d'autres qu'une de ces nombreuses formations vaguement punk au look échevelé et sortent un premier album, 'Boy', dont la pochette fera scandale aux USA qui y voient un appel à la pédophilie. Assez d'historique, ce premier album est excellent et torturé à souhait, il s'inscrit justement dans la tradition post punk goth de formations comme Skeletal Family, Death Cult ou Flesh for Lulu, développant des harmonies flamboyantes avec un son de guitare qui deviendra la marque de fabrique de The Edge...Ecoutez donc le début de 'An Cat Dubh', c'est joyeux peut-être ? Ce thème hanté qui revient comme une menace sur un fond de basse hypnotique...Certes, U2 a déjà la tentation du refrain rock un peu trop lyrique ('Shadows and tall trees') mais elle est généralement très vite étouffée dans la noirceur de la musique; Bono qui n'était pas né pour être chanteur a pourtant travaillé pour développer un timbre personnel, passionné, un peu écorché, qui fait déjà merveille ('Stories for boys', I will follow',...) mais la force première des compositions c'est le bloc formé par les musiciens; Larry cogne ses peaux avec une précision impeccable et fusionne parfaitement avec la basse, laquelle rythmique permet au duo Bono/ The Edge d'occuper l'avant-scène à coups de refrains imparables ('Another time, another place') et de riffs tranchants, un peu comme au sein de Bauhaus. 'Boy' est certes le premier essai d'un groupe de jeunes échevelés qui traînent encore leurs interrogations, leurs cheveux en pétard et leurs cuirs noirs dans les docks de Dublin, mais c'est presque un sans-faute, un enregistrement très mature...Alors ? Que s'est-il passé ? U2 a réussi, ils ont décidé de quitter l'underground, de porter leurs interrogations dans le monde des grandes personnes, de se remettre en question (à mon grand dam, je l'avoue, je ne suis pas un fan hardcore) et certains ne le leur ont jamais pardonné alors que Peter Murphy ou David Bowie sont restés en odeur de sainteté dans les légions sombres des caves à chauves-souris. C'est tant mieux ! Mais cessons ce snobisme anti-U2 ! C'est pas parce qu'ils ont sorti de la merde plus tard qu'ils faut renier ce qu'ils ont fait de bon; leur première trilogie est une merveille et 'Boy' un disque qui remue salement les tripes (d'ailleurs 'Another time, another place' passe en boucle pour la sixième fois); le groupe ressort son catalogue remasterisé, profitez-en !

Page 137/208 Note : 5/6

Page 138/208 zZz : Running With The Beast

Chronique réalisée par Raven

C’est moi la bête, chérie. C’est moi l’animal. C’est moi le corbeau, honey… C’est moi le Jim en Plymouth, c’est moi le reptile Elvis, le crooner de l’ultime secousse, encore moi, qui sous tes draps se glisse, rampant, naja, jusqu’à ton… Eh eeeeuh ! On avait dit de pas regarder quand je me touche ! Quoi ? Ah, tu veux savoir pourquoi… J’ai une question. J’en ai même cent, fourmillant dans mon plumage dont les reflets arc-en-ciel gourmandent l’Olympe… Pourquoi l’amour ? Pourquoi le sexe ? Et pourquoi… la vie ? Ok poupée, je ne répondrai pas à toutes ces questions (pas le temps et pas la place, rendez-vous dans vingt ans peut-être, quand j’aurais suffisamment saigné). Non. Je te dirai… que l’amour m’a sauvé, lui qui pourtant n’a pas hésité à me déchiqueter les ailes. Que je lui ai volé dans les plumes, et que ce chenapan de renard jamais en dèche de combines sadiques a encore une fois réussi à me faire tomber dans ses filets. Mais je lui pardonne, parce qu’il m’aide à vivre, survivre, que le dernier fils de pute arpentant la vallée de la mort ne sera jamais qu’une autre pathétique victime de ce vampire, que la plus rose de mes nuits sera toujours mille fois plus assassine que la plus noire, que l’amour est – et restera jusqu’à ma mort – mon ami, et que j’ai envie de le serrer dans mes bras, de le toucher au plus profond, de le baiser sans fin, et tu sais pourquoi ? PARCE QUE J’AIME L’AMOUR !!! J’suis un romantique... p’têtre le dernier, dans ce monde d’aigreur et de pestilence. Corbeau je suis, bo208on aussi ; noir au dehors rose en dedans. Sugar beneath my black feathers, no fuckin’ leather, to separate us, touch my skin, I’m virgin. C’est moi le corbeau, et de coq je te parle, chérie love me baby, car de ce disque te parler je dois, paon ou paonne, pour te dire combien un album est beau, lorsqu’il peut te faire penser à mille trucs différents sans jamais sonner copycat. zZz ne veut pas dire sommeil. Il y’a trois "z" dans zZz, comme dans (exemple pris dans le dictionnaire de l’amour) "faire zizir aux zosieaux". Faire plaisir, donner du plaisir. Répandre son plaisir. Sans retenue. Et de quelle manière ? Un peu toutes celles dont peuvent user les vrais amoureux. Y’a pas marqué Love et Lover pour rien, bébé. Démarrer par le hit le plus sauvage qui obligerait à danser n’importe quel historien du jazz sous morphine, façon you spin me right round baby right round, poursuivre plus loin sur une ballade à la Suicide, puis une autre totalement new wave encore plus belle, lorgner curesque sans y tomber, fabriquer un tube de Joy Division à partir du thème de Terminator. Love will tear us apart. Traduction : l’amour nous rapprochera. Être toujours à la lisière de la déconne sans jamais perdre de vue l'émotion, être dégénéré mais glucose. Balancer une comptine so 60’s, virer psychédélique après une boucherie noisy dragibus, embrayer garage grenadine, prendre le virage sur un glam carnassier, titiller le souvenir d’un vieux standard de RLYL en restant lover, balancer du Video Killed The Radio Star en se caressant le sexe, tout achever, parachever, par un feeling gothique imparable, et un habillage disco post punk lo-fi - tout ça provient d'Amsterdam effectivement, mais on se croirait à New York. Et si ça c’est pas du génie, je veux bien jeter mon cœur à la poubelle. Avant de connaître Running With The Beast j’avais jamais fait attention… pourtant c’était évident : eighties rime avec sixties. Et puis cet orgue, quoi. Grrr ksss, rrrr. Enfin, tu sais déjà, poupée. Tandis que son écho résonnera en boucle, nous le ferons toute la nuit. Et tu me diras merci. Peut-être auras-tu le droit de toucher mon visage, après. Et peut-être que… je t’embrasserai... Bon et ce chant, hein Raven, ce chant ? Jim Morrisson n’est pas mort, poupée en sucre. Il a survécu, et il te parle en direct des années 80, noyé dans la réverb. Mais s’il n’y avait que lui, cocotte ! J’entends Andrew Eldritch, Brendan Perry (c'est trop criant sur "Amanda"), les Bee Gees, Iggy Pop, Roky Erickson, le King et Alan Vega qui se font la

Page 139/208 nique sur du post-punk à synthétiseurs froids/acidulés, un soupçon de Like A Virgin attitude, de pommes d'argent, des copeaux d’Enola Gay et des fleurs peace & love répandus sur une carrosserie cold wave… celle de ma Plymouth Fury rose sang, qui déambule pleins phares sur un boulevard plus noir que la nuit. Moi crispé au volant, dans l’orgasme, l’extase, halluciné. Et dans mes yeux rouge bo208on, de briller les flammes d’un amour plus éternel que la mort.

Note : 6/6

Page 140/208 YELLO : Solid Pleasure

Chronique réalisée par Raven

Chaque album de Yello est un film, un voyage… plusieurs films, même. Un par morceau. Je sais pas ce qu’il faudrait faire pour vous amener à y jeter une oreille, mais le mieux serait de prononcer ce mot et ce mot seul : Cinéma. La musique de Yello est très visuelle, et ça n’est pas un hasard s’il deviendront plus tard des favoris du spot publicitaire. Mais sur Solid Pleasure comme sur les cinq suivants, Yello était capable de passer du coq à l’âne et très expé en restant facile d’accès, et était sans aucun doute le duo le plus riche en influences diverses des années new wave. C’était un peu le seul groupe de synth pop à se servir d’autant de genres épars pour étoffer les mélodies et les atmosphères, et créer une mixture impressionnante en greffant moult influences sans que rien ne sonne déplacé, transformer chaque piste en instantané. Solid Pleasure, leur petit premier, est un début déjà très dense et fourmillant de détails, et peut être le plus barré avec Stella – ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il fut signé sur le label des Residents. Le plus sombre, aussi, même si tout est déjà très coloré comme dans les suivants… Prenez par exemple les passages les plus ambient, teintés d’indus, au beau milieu d’autres ensoleillés. Magnifique. Yello est film, ce Solid Pleasure pourrait servir de B.O. à plusieurs longs métrages, chaque piste est un thème. Yello est voyage. Yello est le Monde. L’Asie sur "Night Flanger" (ma préférée). Le Brésil ("Downtown Samba"). Les USA ("Rockstop"). L’Italie (superbe "Blue Green"). Ou mieux : une autre planète, m’en soit témoin ce "Bimbo" au feeling très Don Van Diet. Quand à "Bostich", un de leurs plus gros tubes, il est irrésistible de groove déjanté : hit proto-techno speedé qui aura marqué du monde en 1980. L’album que je recommanderai en priorité avec Stella, un premier disque sur lequel on retrouve déjà toute la recette de leurs futurs opus, à savoir des expérimentations sans aucune limite sur une base toujours popisante et accrocheuse ; les influences world, funk, kraftwerkiennes, des passages atmo, d’autres festifs, d’autres bien sombres voire glauques ("Assistant Cry" avec ses cris d’enfants et son rythme glacial), des trips multiples où se confondent la folie, l’émotion et le rêve, tous ces décors tissés par le génial Boris Blank se mélangent et donnent un résultat hors du commun, hors de la réalité, un tapis sonore bigarré sur lequel Dieter Meier se laisse aller à tous les excès, entre sa voix très classe de crooner et ses trips Beefheartiens. Son amour du déjanté baroque et du psychotique smooth, ses délires multiples, ainsi que l’imagination sans limite de Blank, concepteur de génie, expert du bidouillage sonore et amoureux des trouvailles les plus farfelues à base de sampling et de synthétiseurs multiples, sont déjà la marque de fabrique de Yello, et font tout son charme. Un album presque oublié dont l’influence, même si on aime le rappeler à tort et à travers pour tout et n’importe quoi, fût énorme sur la scène electro. Insolite et sublime.

Note : 5/6

Page 141/208 ILL BILL : What's Wrong With Bill ?

Chronique réalisée par Raven

Je l’ai répété et je le répèterai : Necro et toute sa clique sont au hip-hop ce que Steven Seagal ou Mario Van Peebles sont au cinéma. Ill Bill est du même acabit que son frangin Necro : un white MC de seconde zone, moche, vulgaire, branché par les films gores, le porno et le death métal. Il est juste plus gros, plus laid, et son flow est à mon goût moins charismatique que celui de Braunstein senior ; même si son emceeing reste bien bourrin et massif avec quelques punchlines efficaces, rien de plus marquant que ses prestations au sein du collectif Non Phixion ou de la Coka Nostra, du flow de prolo sur des beats cheap à la sauce Necro, c’est un peu à cause de lascars sympas mais relous comme eux ou Dark Lotus qu’on s’est petit à petit lassé de l’horrorcore ou du rap hardcore de blancs plus généralement, encore que cet album ne soit pas à proprement parler de l’horrorcore, en partie du moins, le lascar se réclamant d’autres influences, moins sombres, et n’étant pas autant porté sur le cul et les boucheries que son frère (quoique). Comme tous ceux de la crew Psycho-Logical (en mettant quand même un peu à part Goretex et Mr Hyde, mes petits préférés), son premier opus est primaire et bourrin, et ne sert qu’à mettre en valeur ses egotrips qui à la base sont sans doute voulus percutants, cachés derrière des lyrics parfois philosophiques (lol) comme de la poudre aux yeux, le message derrière cette prod est assez simple, à l’image de la pochette : "ILL BILL REPRESENTS". Même si Will Braunstein se révèlera plus tard capable de rassembler du beau monde avec ses projets en mettant DJ Muggs, Raekwon, les Bad Brains et DJ Premier dans le même panier (pour s’assurer une crédibilité amha), il reste et restera selon moi dans l’ombre de son frangin, et il n’y a rien ici qui soit bien original ou bien talentueux, même si on est pas en dèche de bons morceaux et de samples efficaces (le titre épo avec sa mélodie bien mélo ou les guests MC’s qui apportent un peu d’agressivité comme sur l’excellent feat à 4 flows "Canarsie’s Artie’s Brigade") la formule comme toujours gonfle assez rapidement, toujours les mêmes têtes en featuring, les mêmes gimmicks (le remix à guitares tout moisi, les skits du vieux junkie, références au métal comme sur l’explicite "Peace Sells" etc etc). On peut tout au plus, en tirant par les cheveux, y voir des influences des productions Wu-Tang ("Anatomy Of A School Shooting" dans lequel il fait en outre référence à la tuerie de Columbine, sans grande originalité). Pour ce qui est du reste les prods de Necro sont dans l’ensemble assez bonnes compte tenu de ses capacités, as usual sans aucune nuance ni subtilité, des beats/samples souvent accrocheurs mais sans aspérité. On retiendra quand même quelques cuts plus attachants que le reste, comme "Chasing The Dragon" ou le mobbesque "Glenwood Projects", et un livret assez mortel (d'un côté une photo de lui casquette vissée tenant fièrement une VHS de porno et de l'autre une photo de lui gamin tenant la main de sa grand-mère, à qui l'album est dédié... comme c'est mimi). A écouter deux-trois fois pour la détente… et c’est après tout le but de ce genre d’album primaire, comme celui d’une bonne série Z.

Note : 3/6

Page 142/208 C-TEC : Darker

Chronique réalisée par Raven

Cyber-Tec. Informations : side-project de Jean-Luc De Meyer, from Front 242. Production Marc Heal (Cubanate). Collaboration/production (FLA). Contenu : electro-indus P(V)C teintée goth. Degré non négligeable de crossover ("Flowing"), soupçon de ("Shift IV"). Technoïde + que latent ("Foetal"). Diodes zéner affûtées. Drum'n'bass. Implacable. Machine. Rythme. Voix. Touche body music. En sous-couche. Impression d’inachevé. Glace. Ambient + quasi-a capella aseptisé ("Silent Voices"). Jean-Luc constipé. Passé gimmick McCarthy-esque too much de premier titre ("If you fiiiiiiiil"), Jean-Luc coincé, Jean-Luc pas content. Accent de merde. Jean-Luc kéblo. F242 Meyer. Extra dry voice without charisma. Pâleur. Parfum eighties surgissant brutalement dans la deuxième moitié, Jean-Luc toujours cul-serré mais soudain Jean-Luc beau. Gothisation. Emotion (? / !). Tube new wave imparable ("The Lost"). Tube dark wave imparable too ("Stateless"). [I won't shed a tear… about yesterday]. Fadeur exceptées track 1-6-7. Plastique. Aseptisation. Agressivité glacée.

Epure. Calcul. Indus dance clinique. Médicaments. Blouses blanches. Néon. Fin de la connexion.

Note : 4/6

Page 143/208 COURTIS / MARHAUG : North And South Neutrino

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Aïe, un morceau minimal expérimental, le genre de chose formidable en concert, magnifique à regarder au spectromètre et insupportablement laborieux à écouter, cette fois offert gracieusement par Anla Courtis et Lasse Marhaug qui jouent du neutrino comme personne. Dans l’absolu, l’exercice est louable et la précision des sons est remarquable ; on est pris dans une mini tempête de sable qui met, disons, une bonne vingtaine de minutes avant de s’installer pour se transformer en petite bourrasque, qui deviendra finalement une fréquence inaudible. C’est clairement le genre de disque auto-suffisant qui oublie son auditeur dès lors qu’il met ses textures en avant, ou qui laisse les snobs avoir l’illusion de s’extasier sur de l’inédit alors que d’autres artistes de la même sphère savent tout simplement mieux raconter les histoires en partant des mêmes bases. Ici, on reste en ZEP : Zone d’Ennui Prolongé. « Five years in the making » ou comment tendre la perche pour se faire battre !

Note : 2/6

Page 144/208 KERNEL : The Deep

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Vous le voyez sans doute mal sur l’image, mais une discrète ligne rouge coupe le nom de Kernel sur la pochette. Elle pourrait être tout à fait insignifiante mais elle reflète à mes yeux la structure même des profondeurs de la composition de Kasper T. Toeplitz. Exit pour cette fois la fameuse BassComputer, cette basse électroaoustique reliée à des patches Max/MSP qui fait son petit effet à chaque représentation : Kernel est une formation qui invite les musiciens à ne jouer qu’à l’ordinateur. Mais contrairement à Masami Akita (pour ne citer que le plus connu), Toeplitz ne mise aucunement sur l’improvisation : ses compositions sont clairement écrites jusqu’à un certain point et c’est aux interprètes de faire au mieux avec leurs appareils. Mais revenons à cette ligne rouge : elle semble apparaître à plusieurs moments dans la composition, sous la forme d’une fréquence suraiguë continue (on commence à connaître les goûts de Toeplitz pour les aiguës comme en atteste le très douloureux titre du Dépeupleur sur la compilation ‘Erratum #4’) qui tiendrait l’ensemble sur un rail de caméra, pour nous faire goûter au vertige d’une plongée abyssale dans le vide des abstractions sonores les plus rudes. ‘The Deep’ n’est pas violent malgré une ouverture et une fin musclées, c’est un nouveau tableau à ajouter à la collection des paysagistes isolationnistes (Andrew McKenzie mais aussi Dan Burke (Illusion of Safety) voire Xenakis pour remonter un peu le temps), et quel tableau ! Un vide aspirant qui nous fait glisser dans des contrées sonores arides habitées par tout sauf quelque chose de vivant, comme ces minuscules mais incessants crépitements ou encore ces étranges passages stéréophoniques de granulations à mi-parcours, dans un désert nocturne où les drones criquètent au loin. Deux échelles se partagent ‘The Deep’, comme une action et un décor : d’une part des évènements plus ou moins spontanés qui évoluent rapidement, maintenant l’attention de l’auditeur et d’autre part un environnement beaucoup plus lent et modulé qui se joue des dimensions de l’espace pour l’agrandir à sa guise. Et toujours cette petite ligne tranchante, qui refait surface à plusieurs moments pour nous indiquer la direction à suivre et éviter ainsi l’écueil de la distraction. Il y a ce que l’on écoute et il y a ce que l’on entend, et c’est dans ce nivellement des sons que la magie s’opère. Beaucoup de mots et je suis encore loin du compte : c’est une fois de plus l’expérimentation individuelle qui prime. ‘The Deep’ vous tient, vous ballotte et vous amène sans heurts au fond du gouffre, dans une nuit perpétuelle où seules vos oreilles vous serviront à voir.

Note : 4/6

Page 145/208 COIL : Unnatural History I

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Cette rétrospective à la pochette plus que dérangeante ouvre une trilogie compilant pour la plupart des inédits et des morceaux parus çà et là sur des compilations très obscures aux tirages plus que limités et si certaines sont encore trouvables malgré leur prix, d’autres sont quant à elles confinées au rang de légende urbaine, les officiels du site de Coil avouant eux-même n’avoir jamais vu ni entendu parler de celles-ci, alors qu’elles sont citées dans le livret ! Les quatre premiers titres sont des pièces du one-shot Sickness of Snakes, aka Coil/Boyd Rice qui a sorti en 1985 un split avec Current 93, ‘Nightmare Culture’. On retrouve donc les trois sections du split ainsi que ‘His Body Was a Playground For The Nazi Elite’, le très violent morceau paru sur la compilation ‘Ohrensausen’. Dans les quatre cas l’influence de Boyd Rice est plus que notable, avec une belle part de bruitisme glauque mélangé à des explosions (‘Various Hands’), des bruits de porcs (‘The Pope Held Upside Down’) ou encore des tambours militaires (‘His Body…’) très loin d’un Coil sensuel et psychédélique qui sortait un an plus tard ‘Love’s Secret Domain’, à des années-lumière de ces expériences de jeunesse. ‘Homage to Sewage’ ressemble à du De Fabriek tandis que le bien miséreux ‘S is for Sleep’ ne ressemble pas à grand-chose. ‘Dream photography a un air de ‘Ubu Noir’ et a visiblement inspiré Chris Vrenna par la suite pour sa BO du jeu Alice, avec son côté horloge déglinguée… Trois titres purement ambient sont de la partie : le minimaliste ‘Here to here’, le très Eno ‘Comfortable’ et le plus cinématographique ‘Never’ qui a trouvé sa place dans le film ‘The Angelic Conversation’ de Derek Jarman. On se quitte sur une variante plus soft de ‘Penetralia’, un autre titre bruitiste ‘Sick Tone’ et le déjà culte ‘How To Destroy Angels’, mais ici en version mono, ce qui oblige donc l’amateur à posséder l’original tant les effets stéréophoniques ont leur importance pour le bon fonctionnement de ce "rituel d’accumulation d’énergie sexuelle mâle". Cette compilation déroutante est donc d’abord réservée à ceux qui veulent voir Coil dans leurs travaux les plus expérimentaux voire bruitistes, très loin de la moon musick qui s’élèvera de la transmutation de ces matières premières encore brutes. 3,5/6

Note : 3/6

Page 146/208 COIL : Unnatural History II

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Suite de la trilogie compilant les diverses apparitions et autres singles de Coil, ce sourire dans la face de la perversité est aussi le plus thématique puisque les deux tiers des titres concernent la fameuse bande-son abandonnée de Hellraiser et qu’en rajoutant les deux thèmes pour ‘Blue’ de Derek Jarman seuls cinq titres sont indépendants : tout d’abord ‘Red Weather’ datant de 1983 (pré-Christopherson donc), qui consiste en une rythmique minimaliste et quelques notes de basses sur fond de criquets, l’étrange et envoûtant ‘Airborne Bells’, face B du single ‘Is Suicide A Solution’, qui rappelle Memorandum dans cette sorte d’hymne percussif steampunk macabre ainsi que les deux extraordinaires fresques que sont ‘Another Brown World’ (on dirait une version sombre du somptueux ‘No Man’s Land’ de David Holmes) et ‘Contains a Disclaimer’, véritable morceau de bravoure qui happe l’auditeur de la première à la dernière seconde, armé d’une guitare électrique, d’une rythmique glitchée et d’une basse ronflante qui entourent un chant envoûté et un jeu de sampling digne de Skinny Puppy ; clairement l’une des plus impressionnante démonstration de force inclassable du groupe. Cela fait quatre titres me direz-vous ; le cinquième est en bonus quelques minutes après la fin du disque, il s’agit du titre issu de la compilation ‘Macro-dub Infection’ dont le nom résume au mieux le morceau : dub infecté bizarroide. Attaquons-nous maintenant à la partie Hellraiser, qui comprend les titres parus sur le 10’’ (merveilleuse pochette au demeurant), plus les titres parus sur la version CD plus encore des inédits qui valent la chandelle. Alors, pour clore la polémique sur le fait que Coil ait finalement été mis à l’écart, cela n’a rien à voir ni avec Clive Barker (qui fréquentait autant les soirées fétichistes et homosexuelles, qui adorait le groupe et qui leur avait fait cette demande), ni avec le fait qu’Hollywood ait trouvé les propositions du groupe trop effrayantes (ne soyez pas naïfs) ; simplement les studios travaillent avec leurs propres compositeurs et une des idées pour donner une aura particulière au film était de lui coller une musique orchestrale afin de se détacher des bandes-son de films d’horreur de l’époque, riches en synthés et électronique cheap. Que pouvait dire Clive Barker et ses copains chelous face à une industrie qui fournissait le budget ? D’ailleurs, la bande-son de Christopher Young est très réussie donc au final tout le monde y aura trouvé son compte, Barker en faisant un tabac et Coil en gagnant une aura de ‘trop bizarre pour le cinéma’. On retrouve donc avec délice les ambiances délétères et instables de ‘The Hellbound Heart’ (le titre original de la nouvelle de laquelle est tirée le film), le bruit de la boîte à musique sur ‘The Box Theme’, les rythmiques lourdes mais – force est de l’avouer – un brin vieillies du ‘Main Title’ et, parmi les inédits, ‘Unquiet Rest’, le morceau que qui reste pour moi le plus effrayant de Coil. On se croirait seul en haut d’une montagne, à regarder le ciel tomber tandis que moult formes vivantes se rapprochent sans que l’on puisse les discerner, le tout dans une brise glaçante – véritable instantané d’une attente ou d’une promesse de terreur. Si ce second volume manque la note maximale, c’est uniquement parce que Coil a sorti des chef-d’œuvres qui en ont besoin pour se démarquer, mais prenez ce 5 pour un 5,5 car c’est bien la plus indispensable des trois rétrospectives.

Note : 5/6

Page 147/208 PRIMORDIAL : To the nameless dead

Chronique réalisée par Sheer-khan

Sous un ciel noir charbon, le regard vers la mort et les deux pieds plantés dans la terre de ses ancêtres meutris... naan j'déconne, vous inquiétez pas. Mais à la lecture de la plupart des avis sur ce disque, disséminés par ci par là sur ce site, ou d'autres, je pense que vous auriez peut-être encore préféré une chronique un peu excessive comme il m'arrive d'en commettre, plutôt que cette description modeste de ma petite déception... bah oui quoi, j'ai bien le droit aussi. Primordial 2007 est un cru plus conventionnel, plus spontané, nettement moins abyssal et atmosphérique que son illustre prédécesseur, ce qui n'est pas forcément un problème en soi. Il est aussi, malheureusement, desservi par un son dont les seules qualités techniques et dynamiques ne suffisent pas à compenser la personnalité disparue : la batterie de

O'Laoghaire ressemble à d'autres et sa grosse caisse manque gravement de profondeur et de charme, et dans une nouvelle syntaxe où les guitares acoustiques se font beaucoup plus rares, le noir certes toujours charbonneux des rythmiques manquent de ce voile de finesse atmosphérique, de cette dimension harmonique lumineuse qui est

Page 148/208 pourtant une des grandes marques de Primordial. A partir de là, Primordial, sans effort et comme à son habitude, nous met d'abord à genoux. Difficile de ne pas s'époumoner avec Nemtheanga quand il demande "where is the fighting man?"... "Empire falls" est une claque puissante et ce type, sans aucun doute, un des vocalistes les plus imposants qui soient. Nemtheanga c'est la colère à laquelle on s'identifie tout de suite, entièrement, sans retenue. Nemtheanga c'est le flot d'émotions incoercibles qu'on voudrait bien ne jamais lâcher mais qui sortent comme un barrage explose. Ce type n'est pas un hurleur black metal, ce n'est pas un gueulard thrash... ce n'est pas un vocaliste maniéré qui s'étale en trémolo sur du heavy...

Nemtheanga ne gueule pas, il ne vocalise pas non plus : il chante de toutes ses forces. Et si sur cet album il lui arrivera de se prendre un peu les pieds dans le tapis, c'est toujours une véritable jouissance, un authentique nettoyage à la bourrasque, que de retrouver l'homme et ses acolytes : Primordial, sans effort et comme à son habitude, nous met d'abord à genoux. C'est le crâne franchement incliné qu'on se prend "Gallows hymn" dans le bide, dans la gueule, dans les veines... si vous aimez ce groupe, et si vous êtes decomplexés quant à votre amour de la musique, alors avouez-le, avec moi : c'est en chialant tout nu qu'on se prend "gallows hymn", dans le bide, dans la gueule... c'est tout seul sur son lit, en proie à l'étendue terrible de ses propres faiblesses qu'on se jette dans cette toute puissance dramatique, à la lenteur lacrimogène et à la force sauvage. De la montée médiane de

Page 149/208 "As rome burns" jusqu'au paganisme black de "No nation to the earth" qui s'avalanche peu à peu dans des chutes d'accords et de rythmes désarmantes, où Nemtheanga revient nous chercher par les trippes et nous laisser tout au bord de la falaise, "To the nameless dead" assène ses trous noirs, déchaîne ses tempêtes de guitares et déverse ses torrents d'émotions enragées à coup d'accords terribles et d'engagement total de ses 5 musiciens. Mais avec le temps, ce que je prenais d'abord pour un manque d'habitude à l'album a fini de se figer en inconfort définitif... Primordial, sans doute conforté par l'accueil fait à "wilderness", ne fait plus d'effort. De la part d'un groupe dont la discographie aura été une succession rigoureuse de prise de risques, cette plus-que-retenue dans le soin apporté à la création d'atmosphère et à l'efficacité des enchaînements peut certes être interprêtée comme un pas de plus vers une intégrité austère; je ne peux pour ma part m'empêcher de soupçonner le groupe de ne plus chercher à se dépasser, conscient qu'il lui suffit de faire bien, pour atteindre l'excellent. Car, oui, ce disque est excellent, mais non, Primordial ne fait pas plus que bien. Ce qui brille ici est un acquis, une donnée préalable, mais les irlandais ne la révèle d'aucune lumière nouvelle, sinon sa capacité à se mouvoir dans des enchainements plus contrastés que sur ses deux derniers monolithes; plus contrastés, mais aussi plus conventionnels. Je ne dis pas que mes yeux et mes joues n'explosent pas à chaque fois que je reçois ce "SING! SING! SING TO THE

SLAVES!", je ne dis pas que je suis capable de rester debout sous le terrifiant

Page 150/208 orage de "Traitors gate". Je dis juste que je me relève, plus intact que d'habitude,

sitôt le disque terminé.

Note : 4/6

Page 151/208 SOLE and The SKYRIDER BAND : Sole And The Skyrider Band

Chronique réalisée par Raven

Délivrance, exorcisme ou abandon. Dès l’ouverture, avec son riff saturé et le flow réverbé à mort de Sole vomi sur un beat implacable, les choses ont pas une gueule de porte-bonheur. Du gros son cradingue pour aguicher encore et toujours les mêmes amateurs de prods lo-fi ? De la poudre aux yeux ? Pas vraiment… Tim Holland et Bud Berning du Skyrider sortent d’une période pas très joyeuse de leur existence, et les abîmes dont les deux hommes ont réchappé sont très palpables dans cette ambiance saumâtre, désespérée, où la lumière s’extirpe de la crasse, des mélodies qui ne tiennent parfois qu’à un cheveu jaillissent du doux chaos électrique. Il y’a une grâce véritable qui surgit de cette matière difforme, une beauté dans cet album souvent étouffant, épuisant - épuisé. Et qui nous prend à la gorge. Les choses n’étaient déjà pas bien gaies sur les précédents solos de Sole (hum), mais elles prennent une allure bien plus sérieuse ici, le petit nerd a trouvé les moyens de ses ambitions, est passé à un niveau de noirceur supérieur. Plus lourd, plus tenace, plus... réel. Quand je dis lourd, certains n’hésiteront pas à me rétorquer qu’à côté des deux derniers Dälek tout ça est bien mignon, ce à quoi je rétorquerai à mon tour qu’en matière de hip-hop actuel rien n’est comparable à Dälek, et que pour une prod Anticon puisque c’en est une, on tient là un sérieux calibre. Entre les instrus écorchés, les nappes de riffs moroses où se noie le MC, une production à plusieurs niveaux réellement bluffante dans laquelle on pourra percevoir écoute après écoutes des nuances nouvelles, des subtilités qui jusqu’alors nous avaient échappé, on a bien du mal à faire mine de pas se sentir pris là-dedans, envoûté par ces vagues successives, touché au cœur par la beauté qui ressort de ses saturations, dissonances, crépitements, ces échos de western, de crépuscule texan ("The Shipwreckers"), de bluegrass spectral, de Sixteen Horspower, les passages plus morriconiens ou à saveur très post rock, ou folk, les touches de piano et de violons qui accentuent le côté tragique, quand ça ne vire pas au dub occulte (l’excellent "Nothing Is Free"), le tout renfermé entre les deux titres les plus lourds et désespérés du lot, une ouverture et une clôture en forme de crucifixion. La différence avec le passé est palpable même si les personnes allergiques à Sole camperont sur leurs positions. Son flow n’a pas vraiment changé mais l’homme qui est derrière, oui. Les détracteurs du MC n’ont jamais été – ne seront jamais - à cours d’arguments pour lui trouver tous les défauts possibles. Oui, son flow est maladroit, oui encore, on peut objectivement le considérer comme un piètre rappeur comparé à des bêtes de course comme Sage Francis. Tous ces défauts, ces faiblesses, cette apparente fadeur, ce manque de puissance, de charisme, il en fait une force, un atout. Ce n’est pas le flow d’un rappeur m’as-tu-vu ou agressif, ce n’est tout simplement pas le emceeing d’un rappeur mais d’un homme qui se fantasme rappeur, et le devient finalement, par la force de la volonté, comme un anorexique auquel on demanderait de faire des séries d’haltères et qui s’acharnerait à soulever sans succès la barre, encore et encore, jusqu’à finalement y parvenir dans un cri de douleur – le flow d’un petit mec au bout du rouleau, faible mais bourré d’émotion, de détresse, de volonté, qui balance tout ce qu’il a sur le cœur, dans les tripes et dans la tête, d’une voix essoufflée, toujours à la limite de l’épuisement. "Everybody’s dead" répète-t-il au bord de la syncope sur "Magnum". Toujours sur le fil. Chétif, faiblard, rachitique, certes - mais ne lâchant jamais prise, surprenant même les plus septiques avec quelques envolées vocales illuminées, où il s’emporte dans des diatribes fulgurantes. Un MC investi, des productions cousues mains, soignées. Pas ou peu de programmation et de machines. Des nappes de guitares, des rythmes très secs assurés par la batterie, et des arrangements à la fois classieux et lo-fi dans une harmonie nouvelle, le funèbre

Page 152/208 et la lumière marchant main dans la main. Sole a pu mettre ses démons en boîte avec cette collab. Le MC a peut-être senti qu’il commençait à tourner en rond, et ce projet inédit redonne un sang neuf à son univers, il ne laisse plus l’impression d’un petit intello vaguement rebelle et agaçant jouant les durs mais d’un rappeur au sens noble, un mec capable de mettre ses tripes sur la table avec force et de trouver l’état de grâce à plus d’une reprise. Si les prods de l’écurie Anticon n’ont pour la grande majorité pas survécu à leur hype (relative), cet album gardera j'en suis sûr une place de choix dans ma discothèque, parce qu’il offre quelque chose d’unique et qu’au bout d’une vingtaine d’écoutes je n’ai toujours pas l’impression d’en être venu à bout, d’en avoir épuisé toutes les richesses, ce qui n’est pas vraiment le cas de la plupart des autres galettes du label à fourmi, qui pour beaucoup passé l'impression de fraîcheur et de nouveauté lassent rapidement. On pourra tirer notre chapeau au Skyrider Band pour ce travail d'orfèvre, qui y est pour beaucoup dans la réussite du projet. Un hip-hop émotionnel, étrange et organique. Vivant. Ecorché.

Note : 5/6

Page 153/208 THE DRONES : Havilah

Chronique réalisée par Hellman

De l'Australie, on ne connaît que leurs vieilles gloires ; Inxs et Midnight Oil, portes étendards à la réussite incontestable mais à l'intégrité discutable, Kylie Minogue au rang de popstar féminine, et Nick Cave comme unique représentant du côté obscur. The Drones est peut-être bien la relève tant espérée. Les services de presse ne mentent pas quand ils disent que "Havilah", le nouvel album des rockers de Melbourne, est une affaire de contradiction. Ils auraient même pu aller plus loin en parlant plutôt d'affaire de contrastes. Car il se dégage de cette session d’enregistrement une atmosphère particulièrement fataliste et dépressive, et ce au travers de textes qui, quand ils ne le frôlent pas, tombent carrément dans le domaine de la misanthropie pure et dure. Toutefois, il ne s'agirait pas de faire des d'amalgames à l'emporte pièce : The Drones n'est pas adepte de black métal. Le groupe pratique un rock inspiré, fringant mais terreux, de celui qui vous colle à la peau avec un effet goudronneux des plus déplaisants. The Afghan Whigs sans le côté soul sirupeux de Greg Dulli si vous voulez. Toujours au bord de la rupture, les guitares, tranchées, lyriques juste quand il le faut, flirtent avec les fausses notes pour mieux révéler le fragile équilibre qui fait que tout cela tient miraculeusement debout, on ne sait trop comment. Ce sont ces petites doses de déviances, au travers de diverses apparitions disséminées un peu partout sur le disque, qui donnent à celui-ci son aura si particulière, aux contours finalement plus pervers et plus sournois que l'habillage grand public qu'il est sensé revêtir. C'est ce qui sauve le groupe d'un parallèle pas nécessairement flatteur avec les Tindersticks, au chant maniéré, et au background nettement moins ancré dans le blues. À s’écouter les soirs de déprime, histoire de se sentir moins seul quand vous viendra l’envie irrépressible de pester sur tout, tout le temps et sur tout le monde.

Note : 4/6

Page 154/208 KTL : IV

Chronique réalisée par Hellman

KTL, c'est l'acronyme de Kindertotenlieder. Le duo nous revient en ce début d'année en nous proposant déjà un quatrième volet de leur vision post apocalyptique d’un monde en pleine décrépitude. Chose étonnante, c’est la première fois que Rehberg et O’Malley se retrouvent avec pour objectif celui d’enregistrer un disque, un vrai, pas une commande, comme ce fût le cas pour leurs précédentes réalisations qui ont toutes servi à l’illustration de pièces de théâtre ou de courts métrages. Concrètement, quelle incidence cela a-t-il sur leur travail ? Peut-être déjà une implication à un échelon supérieur, et une intention plus accrue, plus ciblée. C’est en tout cas ce que "IV" tente à prouver ; KTL, véhicule de l’effroi, chantre des pluies acides et des souffles atomiques, n’a plus besoin à présent de se réfugier derrière de tels prétextes pour devenir pertinent. Se joignent aux libations Jim O’Rourke, en charge de la production, et Atsuo, batteur des incendiaires Boris. Combinaison léthale... Pas si mortelle que ça. Si la qualité est incontestablement au rendez-vous, on ne peut pas dire que nervosité et intensité soient les adjectifs les plus appropriés pour définir ce disque. C’est surtout à travers les deux pièces monumentales de ce recueil, "Paratrooper" et "Be208bet" que KTL impose sa différence, épique et sombre, emboîtant le pas à cette approche drône commune à Khanate et SunnO))) dans lesquels Stephen O’Malley s’est fait connaître depuis longtemps déjà. Tout en énergie contenue, KTL distille ce plaisir malsain qui consiste à suspendre les notes indéfiniment et tisser des fils tendus, prêts à se rompre à tout moment. Expérience qui se veut fondamentalement éprouvante pour les nerfs, "IV", comme toutes les réalisations de

KTL, est à déconseiller à celles et ceux qui viennent d’arrêter le café et la cigarette la même semaine.

Note : 4/6

Page 155/208 GAGARIN : Adaptogen

Chronique réalisée par Hellman

"Adaptogen" n’est pas vraiment le type d’album auquel on serait en droit de s’attendre de la part d’un musicien studio qui a officié pour David Thomas (Pere Ubu), Suns of Arqa, John Cale voire même Nico. Graham Dowdall vient donc grossir les rangs de ces batteurs reconvertis avec talent dans la production de musique électronique à forte propension pour le dark ambient. Mais Gagarin n'est pas Scorn. Une musique tout en nuances, marchant sur les traces du Autechre période "Amber", avec quelques discrètes touches de field recording se trémoussant sur des beats préprogrammés et mûrement soupesés. Il y a de fait chez Gagarin un emploi de l’espace réellement prenant, habilement négocié, qui permet au disque d'échapper à la catégorie du simple divertissement. L’album s'organise autour d'une multitude de nappes ; tout n'est que textures qui ploient et se déploient avec l’entêtante constance de vagues numériques faites de un et de zéro, copulant dans des combinaisons infinies, pour des résultats mathématiques qui étonnamment laissent ressurgir le côté inné du naturel. De vastes plages instrumentales de longueur modeste se développent sur des sonorités électriques perverties d'apparence mais aussi d'intention finalement inoffensive. Avec Gagarin, Dowdall préfère suggérer qu’imposer, et c’est tant mieux. "Adaptogen" s'explore tel un labyrinthe digital aux reflets de quartz, longeant ses murs couleurs cobalt à la recherche d'une issue avant de perdre la mémoire. L'auditeur devient ainsi le propre metteur en scène de son imaginaire s(t)imulé. Il reste à chacun de pouvoir s'approprier cet univers plaisamment trouble. Gagarin ne révolutionnera certainement pas le genre avec cette réalisation, mais signe là un essai très intéressant, à défaut d’être incontournable.

Note : 4/6

Page 156/208 TROTIGNON (Baptiste) : Share

Chronique réalisée par Hellman

On dit de lui qu’il est le nouveau prodige du piano jazz made in France. En même temps, jamais jazz français n’aura sonné aussi américain depuis Michel Petrucciani. Et pour cause : c’est à Brooklyn que Baptiste Trotignon a voulu enregistrer sa nouvelle réalisation studio, accompagné par des musiciens tous rencontrés là-bas : Tom Harrell et Mark Turner, respectivement trompettiste et saxophoniste, mais surtout le contrebassiste Matt Penman et deux batteurs en les personnes de Otis Brown et l’explosif Eric Harland, ce dernier évoquant le jeu de feu-Tony Williams. Avec "Share", on découvre en effet un musicien plein d’allant, compositeur et improvisateur intuitif qui, littéralement, partage son désir de s’épanouir en musique dans différentes combinaisons, que ce soit en duo ("Blue"), en trio ("Mon Ange"), en quartette ou en quintette ("Samsara" et "Dexter"). C’est tout un monde qui s’échappe de ses doigts. Trotignon visite les genres et les styles avec une aisance qui force l’admiration, dotant sa musique de qualités tour à tour méditatives, introspectives, voire flamboyantes ou lyriques. La référence en la matière ces dernières années ayant été Brad Mehldau, il devient de plus en plus difficile d’échapper à ce pis-aller. Pour sa capacité jamais démentie à nous surprendre avec des mélodies qui s’imposent facilement à nous sans pour autant reléguer au second plan le challenge permanent que consiste une performance jazz, pour son utilisation consommée mais redoutablement efficace des fluctuations de dynamiques qui donnent une ampleur délectable à des pièces comme "First Song" ou "Grey", il faut reconnaître à Baptiste Trotignon un réel talent qui, sans rire, l’impose dès à présent parmi les tous grands.

Note : 5/6

Page 157/208 VANDAL X : All Lined Up Against The Wall

Chronique réalisée par Hellman

Le curieux papillonne de disques en disques, d’un artiste à l’autre. D’un genre à l’autre aussi. La dernière fois que j’ai posé mes frêles petites papattes sur les pétales duveteux de cette fleur carnivore baptisée Vandal X, les bougres se payaient le luxe d’être produits par Steve Albini, sur "Songs from The Heart". C’était en 1999. Ok, ça fait un bail. Qu’est-ce que j’ai fait entretemps ? J’ai papillonné je vous dis. Le souvenir que j’en avais gardé, intact, est celui d’un duo hargneux dans la veine d’un Shellac. Jusque là, rien d’étonnant. Je redécouvre donc Vandal X au travers de ce fraîchement vômi dans les bacs, "All Lined Up Against The Wall", un disque sans compromission aucune. Fort de dix ans d’expérience dans les gencives, le groupe se prend désormais seul en charge et nous délivre un noise rock vindicatif et brutal comme on n’a plus l’habitude... ok, je recommence... comme je n’ai plus l’habitude d’en écouter. Il paraît qu’on s’assagit avec l’âge. Rien ne semble plus faux en ce qui concerne ces Benjamin Button du hardcore qui, sur ce disque, sonnent plus hargneux et juvéniles que jamais, non seulement dans l’attitude, mais aussi dans l’emballage, la production incitant sans cesse l’aiguille de saturation à se vautrer dans ses ultimes retranchements. Un don de soi rarement pris en défaut qui, là, subitement, me redonne l'envie de partir à la recherche de leurs précédentes publications. "All Lined Up Against The Wall", c’est quarante minutes montre en main d’une fusillade méthodique et appliquée de votre système auditif déjà exsangue. Pour adultes consentants.

Note : 5/6

Page 158/208 COHEN (Leonard) : Songs Of Leonard Cohen

Chronique réalisée par Raven

Ce voyageur… je l’ai contemplé. Il m’a parlé. Longtemps. M’a enseigné, pour ainsi dire, bien des choses que d’autres voyageurs – moins sages, moins beaux, moins mystiques – n’auront fait que me raconter. Un voyageur, blessé cent fois, mais debout. Un poète. Une âme. Et sa guitare. C’est elle et lui – et personne d’autre, ici, sinon quelques fantômes et une poignée d'angeles, pour maigre décor. Lui, nu, et sa guitare. La six cordes qui l’accompagne, plus qu’un instrument, un compagnon, celui de ses aventures et mésaventures, de ces blessures, de ses amours. Un compagnon chéri, utilisé avec passion. Ce toucher incroyablement subtil, unique, à fleur de peau, qui enluminera ses trois premiers albums. Dans ce livre dont l’emprise du temps n’entamera jamais rien de plus que la pochette, la désolation le dispute à la lumière, le dépouillement est total et la ferveur illumine chaque chanson – et ce dès l’ouverture onirique "Suzanne", titre qui aura été interprété par une femme d’un autre nom avant de revenir à son créateur, et devenir son plus grand classique. Une ballade gorgée de mélancolie née d’un fantasme amoureux (et sexuel) qui ne se verra jamais concrétisé. Et tout ce qui suit… aaah. La magie. L’harmonie. Les premiers albums de cette trempe sont rarissimes. Le volet initial de ce qui sera une trilogie essentielle. Pas un chef d’œuvre parmi d’autres : la naissance d’un grand Maître. Songs Of Leonard Cohen est arrivé après une carrière de chanteur folk jusqu’alors cantonnée à la scène. Le poète, qui a rodé ses textes magnifiques pendant des années, était déjà en pleine maturité et maîtrise de son art lorsqu’il s’est lancé dans son premier opus. Qui aurait, malgré tout, douté de ce qu’allait devenir ce disque en 1967 ? Les dix morceaux qui le constituent ont rapidement acquit le statut d’airs traditionnels. Les mots "culte" ou "mythe" ne sont pas les mieux adaptés. Il s’agit d’un recueil biblique. Ancré dans l’histoire. Dans les cœurs, dans les âmes de tous ceux qui ont eu l’occasion de s’y recueillir. Un des plus grands standards de la musique folk bien sûr, mais aussi le disque-ami qui aura longtemps été l’hôte chaleureux des foyers, résonnant pendant l’hiver près des cheminées, au même titre que le Harvest de Neil Young plus tard. Un confident à la solitude de tout homme, en vérité. D’un être humain à un autre, d’une blessure à une autre. La dague et le cataplasme. En guise d’arrangements, une production-peau de chagrin, sèche, en retrait, réduite au strict minimum, qui laisse toute la place au chanteur-guitariste, avec en guise d’habillage un accompagnement rachitique mais essentiel, qui souligne la grâce des titres. Un écrin très sobre pour des compositions au parfum d’éternel, des chants féminins séraphiques en toile de fond (qui deviendront une de ses marques de fabrique plus tard), aux quelques touches de violon et de cuivres très discrètes, rien n’est superflu, tout concours à souligner la beauté brute, l’émotion sans maquillage livrée par le Maître. Cohen a 30 ans passés quand il débute sa discographie par cet album, et il est déjà en pleine maturité, déjà pétri d’une humilité, d’une sagesse, qui n’appartiennent qu’à lui, et jamais ne masquent toute l’amertume et les regrets qu’il exprime ici. Sa voix, qui n’a pas encore mué de profundis et qui est encore bien fragile, a tout de même une stature déjà impressionnante, une force évocatrice sans fausseté ni maquillage, entre austérité et chaleur humaine. L’émotion est palpable dans chaque mot soufflé, murmuré, gémi, de ce timbre tour à tour chevrotant, brisé, solennel ou plaintif. Une émotion qui se loge au plus profond du cœur et des tripes – les nôtres, qui d’autre ? Les airs par moments très country qui se dégagent rappellent la passion de Cohen pour Hank Williams, des touches très subtiles de diverses influences folk contribuent au charme total de chaque morceau. Des échos de divers folklores traversent ces chansons, en réalité, et on est bercé entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Sur le légendaire "So Long, Marianne", au

Page 159/208 refrain éblouissant, ne croirait-on pas, du reste, entendre un vieil air irlandais ? Tous les passages étant de l’ordre du sublime, il serait vain de s’amuser à les citer en détail, mais la force de cet album réside en grande partie, à mon sens, dans les morceaux les plus noirs et désespérés, à l’image de "The Stranger Song" ("I told you when I came… I was a stranger"), dont les parties de guitare des couplets sont en quelque sorte un avant-goût du terrible "Avalanche", ou encore du funeste "Teachers", diatribe possédée toute entière par son auteur, dont le ‘some girls wander by mistakes’ ne tombera pas dans l’oreille de sourds. Que dire des classiques éternels que sont "Master Song", ou "Sisters Of Mercy» ? Une gravité terrifiante règne dans la première, un apaisement religieux dans la dernière. Tout le disque est imprégné du charisme lugubre de Léo, qui nous parle de malheur plus que de bonheur, à travers ses peines de cœur ou ses principes moraux – mais qui nous parle, surtout, de fragments d’existence ou de rêves interprétés les larmes au bord des yeux. Le carnet du poète-voyageur dans ce qu’il a de plus beau, en définitive. Des textes littéraires mais limpides, et, paradoxalement, lourds d’ambiguïté - à plusieurs niveaux de lecture (et je ne pense pas seulement à "Suzanne"). L’album se clôt sur l’ultime mélopée "One Of Us Cannot Be Wrong", chanson troublante qui derrière ses airs un peu plus apaisés se révèle une des plus déchirantes de tout l’album, aux images sublimes ("But you stand there so nice, in your blizzard of ice, oh please let me come into the storm.") et dont le sifflement vers la fin nous rassure presque, avant qu’un clameur difforme se muant en râle de douleur ne retentisse, nous laissant tremblant. Des histoires, des rêves, des contes, baignés de chaleur humaine et portés par l’aura aveuglante du grand Léo. Un recueil de standards folk absolument intouchable, dans lequel le poète reconverti en chanteur ne récite à aucun moment ses textes. Il leur a donné une seconde vie. Et à nous, un camarade fidèle, qui, aussi capable de reposer notre âme que d’appuyer sur ces blessures, sera toujours présent pour nous dire la vérité, dans les moments de cafard. La vérité, et rien d’autre.

Note : 6/6

Page 160/208 MERZBOW & KIM CASCONE : Rondo/7phases/Blowback

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Kim Cascone fait partie de ces rares artistes avec John Wiese à être capable de jouer du bruitisme digital avec talent, sans s’emporter dans des digressions gratuites ou se perdre dans du minimalisme mortifère. Cette collaboration avec Merzbow pose donc des attentes certaines ; et si les premières écoutes peuvent sembler fastidieuses, c’est surtout signe qu’il faut s’y replonger. Elle m’a ennuyé aussi au début ; mais elle m’a finalement vite scotché par la qualité des sonorités et la précision des compositions. L’ensemble est somme toute assez calme : ‘Rondo’, qui semble violent sur le début (sans doute pour donner de l’élan), est en fait un grand territoire électronique mutant, laissant imaginer un micro-paysage que la photographie scientifique nous offre des plaquettes électroniques dans lequel on aurait augmenté le voltage. ‘7 Phases’, le bien nommé, se décompose en… sept phases (rallonger inutilement ses chroniques, c’est le pied), qui semblent chacune correspondre à un algorithme digital imposé au bruit initialement fourni par Masami Akita. Pas d’info sur le dernier titre qui semble là comme la dernière goutte qui refuse de tomber : identique au jet précédent mais en plus instantané. Si cette collaboration n’a pas la vocation d’être une formidable déflagration comme peut l’être celle avec Pan Sonic, elle n’en constitue pas moins un addendum électroacoustique intéressant, et ravira ceux qui – comme moi – apprécient plus volontiers Masami dans ses collaborations les plus calmes ou inattendues.

Note : 4/6

Page 161/208 KIKURI (Masami Akita & Keiji Haino) : Pulverized Purple

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Planquez vos grand-mères ! Les québecois des Disques Victo n’ont rien trouvé de mieux à faire que de réunir les deux japonais fous (pléonasme) sur le même disque ! Plus précisément, c’est sur scène qu’ils les ont réunis, car les musiques concrètes, expérimentales et bruitistes ont la côte chez nos cousins d’outre-Atlantique qui fédèrent ces genres sous la très souple appellation « musiques actuelles ». Une bonne surprise attendent les auditeurs masochistes que vous êtes, impatients d’en savoir plus : c’est clairement Haino qui mène la danse comme en attestent les titres incompréhensibles, ce qui rend le tout passablement instable et beaucoup plus chaotique que prévisible et rentre-dedans. Masami semble surtout là pour souligner les démences de son confrère, qu’il s’agisse de passages ambient où Haino maltraite divers instruments à cordes pour des raisons occultes (la séquence hantée de ‘That Which Will Rise…’, mais aussi le début de ‘By Mischance…’), de jouer à qui fera le plus de bruit entre la glossolalie possédée, la batterie arythmique et le mur de bruit (le monstrueux ‘Give Me Back…’ qui semble avancer comme un tank à pattes mécaniques dans un tunnel de flammes) ou, surprise, de se mettre derrière les fûts pour un duo de batterie cauchemardesque, ce qui m’amène à parler de l’éponyme ‘Pulverized Purple’ qui mériterait une chronique pour lui tout seul : une demi-heure de doom apocalyptique ionisé à bloc qui décharge son électricité à tout bout de champ, avant de se transformer en harsh-noise rock d’une rare violence, le tout clôturant sur un ouragan infernal avec Haino qui hurle et s’étrangle en premier plan, comme s’il le Diable lui éjaculait sa propre folie en pleine face. On ressort du voyage déconfit, scié, pulvérisé, heureux de savoir que ces deux là sont décidément fait l’un pour l’autre tout en se rassurant qu’ils ne s’invitent pas à notre table.

Note : 5/6

Page 162/208 SLY & ROBBIE / AMP FIDDLER : Inspiration information

Chronique réalisée par dariev stands

Ça fait un moment que je prévoyais de faire entrer les fabuleux Sly & Robbie sur ce site, notamment via leurs prouesses en tant que sidemen de luxe sur les albums de Grace Jones… Finalement l’actualité m’aura imposé un petit détour puisque les deux hommes – et c’est assez rare pour être souligné – sont toujours là, en forme olympique, et n’ont pas fait une seule concession musicale après toutes ces années… Pourtant on imagine facilement que ce ne doit pas être les demandes de stars en berne du R&B qui manquent. Sly & Robbie, tout le monde les a entendu au moins une fois sans le savoir, surtout en France où Grace Jones est encore très populaire, et d’autant plus qu’ils ont officié en tant que section rythmique sur deux albums du père Gainsbourg. L’année dernière, ils se sont associés à Amp Fiddler, ancien clavier de Funkadelic échappé en solo, pour pondre ce Inspiration Information tout en langueur douce-amère et en percussions electro sèches et discrètes. Comme d’habitude avec le duo, on reste sidéré par l’incroyable élasticité de cette rythmique, qui ressort d’autant plus face aux vocalises et aux nappes de la claviers très apaisantes de Amp Fiddler, qu’on verrait bien en featuring avec Snoop Dogg ou Nate Dogg pour pondre une bonne vieille tournerie G-Funk. Le tempo ne s’emballe que sur Serious, qui commence à avoir quelques prétentions dancefloor, mais le morceau que l’on retiendra le plus, c’est le gentiment tubesque Blackhouse, au refrain prémonitoire ("Paint The White House Black"). Un album qui plaira beaucoup aux amateurs de nappes de synthés soyeuses, très appréciées ces temps-ci, et qui finalement est tout à fait à la hauteur de ses (petites) ambitions : être un bon disque chill-out, tout smooth, sans prétention ni prise de tête…

Note : 3/6

Page 163/208 COHEN (Leonard) : Songs from a room

Chronique réalisée par Sheer-khan

"Like a bird on a wire, like a drunk in a midnight choir, I have tried, in my way, to be free"... les gens de ma génération mesurent-ils, vraiment, la portée de ces mots? Nous n'étions pour la plupart pas là lorsque ce jeune homme, qui venait de mettre les états-unis en émoi profond avec un premier recueil de chansons immédiatement éternel, lança en 1969 de sa voix monotone et triste ce lancinant manifeste. Parler de Leonard Cohen m'a toujours semblé pratiquement impossible. Il m'aura fallu du temps, la conscience qu'un petit texte écrit dans l'objectif de parler d'un disque n'était somme toute pas grand chose. Il m'aura fallu du temps, de la sagesse... et les hasards de la répartition des tâches. Dans cette collaboration par laquelle Raven et votre serviteur entreprenons de mettre en ligne l'oeuvre du canadien, c'est en effet à mon illustre confrère que revient la très lourde tâche d'évoquer "Songs of Leonard Cohen" et "Songs of love and hate", deux albums aussi canonisés que délicats, les deux véritables sommets de cette fameuse trilogie, par laquelle le canadien a entamé sa carrière musicale. En effet, et comme en témoigne la note en bas, "Songs from a room", malgré ce premier morceau universel (dont je ne suis d'ailleurs pas plus amoureux que ça), malgré "The partisan", malgré sa place dans une trilogie mythique et que l'on dit

Page 164/208 inattaquable, ne fait pas partie, selon moi, des chefs-d'oeuvre de Léonard Cohen.

Pour certains, sans doute pas majoritaires certes, "Songs from a room" est même Le chef-d'oeuvre de Cohen... face à ses deux frères cela ne me semble tout simplement pas justifiable, mais il y a de fait de nombreux facteurs qui donnent à ce deuxième recueil les atours d'un mythe. Premièrement son esthétique : il y a bel et bien une première trilogie, monumentale dans sa portée, extraordinaire dans sa qualité, et

"Songs from a room" s'y inscrit à tous points de vue. La première trilogie des

"songs", au délà des titres d'album, est unie par un style, une courte période de temps, une incarnation archétypique de Léonard Cohen : conteur poête mélancolique, voire dépressif, maître d'une folk dépouillée, tour à tour nostalgique ou pleinement sombre, véritable vagabond des mots et du sens. A ce premier signe extérieur d'excellence j'oppose pour ma part ceci : certes, les trois premiers "songs" ont la magnifique gentillesse d'être une trilogie, sans doute indivise, et dont la classe suprême est que chaque chapitre possède pourtant sa spécificité : le premier est le plus délicat, le plus raffinée, le troisième le plus noir, et le deuxième le plus aride, le plus brut. La production de Bob Johnston, selon les souhaits de Cohen qui ne voulait plus de la douceur du premier, est ici nue, ni arrangements soyeux comme sur "Songs of LC", ni noirceur réverbérée et cordes profondes comme sur "Songs of love...". Le résultat est sec, et Cohen ne livrant pas toujours sur ce disque ses mélodies les plus marquantes, il en résulte souvent du trop peu... du trop court.

Page 165/208 Autres éléments mythifiants : "Bird on wire" bien sûr, mais aussi "the partisan", reprise d'un chant sur la guerre de 1944 dont Cohen fait une complainte terrifiante en annonçant musicalement l'Avalanche, une étoile parmi les plus essentielles que

Monsieur Cohen ai mis dans notre ciel. "Seems so long ago, Nancy", la mémoire d'une jeune fille suicidée que cotoya Cohen et par laquelle, dans une mélodie d'une tristesse nostalgique pratiquement insoutenable, l'artiste fait du simple souvenir, factuel, distancié et honnête, l'hommage le plus accompli, le plus profond et bouleversant que l'on puisse rendre. Il ne prétend jamais l'avoir bien connue, ni l'avoir mieux comprise que les autres, ni s'en être même un tant soit peu inquiété; il dit juste s'en souvenir, près de 10 ans plus tard, s'en souvenir... comme il se souviendra de "cette" jeune femme, hotel Chelsea. Et c'est justement dans cette honnêteté, cette distance que l'on ne cherche pas à cacher, que Léonard Cohen nous révèle, nous ouvre et nous impose toute la solitude, mortelle, dans laquelle errait

Nancy. Cette troisième pièce d'exception est, vraiment, une épreuve, une douloureuse et terrible épreuve, imposée par une simple voix, un petit orgue et une guitare. Il y a aussi "story of isaac" et "You know who I am", où Cohen s'approprie avec justesse l'aridité volontaire de l'esthétique du recueil, grâce à ses mélodies à la fois mornes et belles, sérieuses, une diction mélodique contrariée par des vers scandés, pour deux pièces qui incarnent à elles seules tout le versant purement folk du plus grand maître du genre. A ce deuxième atour de disque mythique qu'est la

Page 166/208 présence de 3 diamants absolus et 2 somptueuses pierres, je mets, toujours humblement et en toute subjectivité bien entendu, le bémol suivant: il y a 5 autres titres, une autre moitié donc, sur ce disque. Si "A bunch of lonesome heroes", et

"tonight will be fine" sont plutôt agréables, "tonight..." une des pièces country et ironiques parmi les plus plaisantes de Cohen, "The old revolution", "The butcher" et

"Lady midnight" sont particulièrement plates. Comme il ne s'agit pas d'un recueil de poésies ou de textes, Cohen d'ailleurs en a fait, mais d'un disque, qu'on ne me parle pas des paroles de ces trois chansons pour les justifier : leurs mélodies, leur non-arrangement, leur platitude musicale en fait des morceaux chiants, tout bêtement. Malgré la présence de Johnston, Cohen n'est pas Dylan, et sa folk d'apparence sans humeur, est aussi sans saveur. Donc voilà, le résultat est là : un parti pris purement aride (et non : joliment dépouillé) dans la production, génant en soi, qui trouve un très dommageable écho dans la relative platitude musicale de près de la moitié du recueil, ça ne fait pas un chef-d'oeuvre. Oui, il possède cette aura acquise par la trilogie, oui, il porte des joyaux indispensables, mais, comme la note souhaite le dire, seul un intégrisme esthétique ou une forme de nostalgie justifieront de le préférer à "New skin..." "The future" ou "ten new songs", rien ne justifiant (à mon sens) qu'on puisse par ailleurs le préférer à

"songs of LC" ou "songs of love"... au mieux, donc (et seulement au mieux...), le

6ème album, sur 11. Comme je vous le disais au début, rapporté à l'oeuvre du

Page 167/208 monsieur, ce n'est pas un album majeur.

Note : 4/6

Page 168/208 JONES (Grace) : Warm leatherette

Chronique réalisée par dariev stands

Vous en voulez, du disque fondateur, du maître étalon des musiques électroniques, du melting-pot précurseur ? En voilà. C’est sous la férule du renard aux manettes d’Island, Chris Blackwell, que Grace Jones entre en studio accompagné des fines lames que sont Sly & Robbie (reconnaissables entre mille) et Wally Badarou - ici en forme abracadabrantesque, et je pèse mes mots… La sélection des morceaux repris (plutôt que d’accoucher d’originaux jetables, en voilà une bonne idée) est tout aussi impitoyable. Le but est d’accoucher d’un produit au son parfait, futuriste, laissant loin derrière toute tentative d’imitation, célébrant le fusion entre les musiques noires et blanches pour créer de toutes pièces une créature hybride, une frankenstein d’ébène aux rouages bien huilés, dont les chances de carton ne peuvent être que de 100%. La nouvelle Grace Jones, libérée du carcan dancefloor putassier de ses premiers albums, émerge ainsi d’une nébuleuse de cables entremêlés dans un fracas bionique, accompagné d’un halo de fumigènes… Androgyne et mécanique, telle une Ziggy Stardust qui aurait troqué la blancheur et la maigreur contre les muscles et le noir brillant du cuir chauffé par le frottement des chairs… Les amateurs de dépression sous les néons et de cocaïne triste à l’ombre des palmiers en plastique feraient bien de tendre l’oreille. Grace Jones rend Madonna has-been avant de commencer… La pauvre poule n’avait rien compris… Ici, aucune trace de mièvrerie où de petite mélodie facile… Tout n’est que cruauté de cyborg (la chanson-titre), exaspération (Bullshit) et déchéance froidement racontée (The Hunter…). A bien y regarder, aucun sentiment positif n’est exprimé ici. Si ce disque surfait à l'époque sur l’agitation (et non pas le buzz, tas de crevards) créee autour du personnage sulfureux de Grace Jones, il serait bon de le comparer aux disques hype de maintenant pour constater que les Scissor Sisters (au hasard), bien qu'étant Funky en diable, n'ont rien inventé. Grace Jones, avec 20 ans d'avance, reprenait déjà des chansons à l'origine tout sauf dansantes pour les passer à la moulinette disco et en faire des tubes de club. Là ou les soeurs ciseaux font une tête au carré à "Comfortably Numb", Grace Jones s'attaque à des oeuvres aussi variées que "The Hunter Gets Captured By The Game" de Smokey Robinson, Love Is the Drug de Roxy Music, "Private Life" des Pretenders (dans une « version dub » que n’aurait pas renié Lee Perry) ou encore "Pars" de Jacques Higelin ! La production de Sly & Robbie octroie à ces reprises un son étincelant, entre disco et reggae, et fait résonner la voix si particulière de Grace dans cet habit futuriste pour l'époque. La Dame ayant l'habitude d'endosser de la haute couture, elle ne semble guère impressionnée et déclame ses textes avec une froideur distante; célébrant ainsi le mariage païen du disco de Donna Summer avec tout le cortège des musiques qui sortaient de l’ombre à l'époque : cold wave, techno-pop, mais surtout : reggae et dub. La seule chanson à ne pas être une reprise apparaît comme la meilleure de l'album. Il s'agit de "A Rolling Stone", perle de disco/cabaret au son préfigurant bien des tubes à venir. Après cet album, Jones en enregistrera encore 2 autres avec le duo Jamaïcain, dans un laps de temps assez court, prouvant ainsi son mépris de la hype et son envie d'enregistrer. Peu de groupes "branchés" actuels peuvent se targuer de se détacher ainsi de la mode qui les entoure. Ainsi, Warm Leatherette, si il est aujourd'hui devenu un classique au même titre que les premiers Prince, prenait à l'époque le contrepied du disco hédoniste et dévoué à ne vivre que quelques mois sur les dancefloors – genre dans lequel miss jones s'était spécialisée - ouvrant ainsi la voie à la pop pour nombre d'artistes black. Ils préfèreront inventer le hip hop... Ce Warm Leatherette était pourtant ce qu’on appelle un «

Page 169/208 presque chef d’œuvre »… Un 6/6 qui a raté la dernière marche.

Note : 5/6

Page 170/208 FAHEY (John) : Fare forward voyagers

Chronique réalisée par dariev stands

Perdu dans les années 70, quelque part entre Hank Williams et Jandek, vivait un homme solitaire. John Fahey, avec ses albums à priori austères de guitare acoustique en solo, avait tout pour sombrer dans l’oubli. Ç’aurait été le cas si des gens comme Jim O’Rourke ou Dave Pajo, artisans de la première vague du post-rock (pas sûr que le terme existait à l’époque), ne lui devait pas une fière chandelle. Fare Forward Voyagers est un disque pétri de mystère, une symphonie sur 6 cordes dédiée à l’inexploré, à la route, à la vie nomade à l’américaine… On y croise des vestiges de la venue des Indiens sur le continent Américain via le détroit de Bering, des restes de folklore asiatique en sourdine dans ce grand brassage des musiques acoustiques américaines… Et pour cause, il s’agit du seul album non chrétien du musicien, puisqu’il est dédié à son gourou Indien… Krishna y fait une brève apparition parmi les cactus dansant la gigue (Thus Krishna on The Battlefield et ses balancements ahurissants dans les graves), et le riff de Wish you were here y fait même un petit coucou avant l’heure sur les derniers instants de l’immense Fare Forward Voyagers, véritable continent inconnu surgi du désert du Nevada, dont les arcanes restent encore à élucider… Certains passages sont dansants, évoquent les traditionnels hillbilly, d’autres sont mystiques et orientaux, et le tout se mélange sous les doigts d’or de Fahey avec une fluidité inexprimable par des mots. Tout est organique, tout semble couler comme d’un autre monde… Et c’est justement le seul reproche qu’on fera ici : On manque parfois d’espace pour respirer, de moments de silence qui aèrerait ce déluge de notes inhumain (les accros de la technique vont pouvoir s’acheter une corde), qui semble joué par un trio. Les grands espaces américains exigent du silence pour être évoqués… Mais on a bien compris que les moments de blanc sont ici remplis par les hallucinations fiévreuses de Fahey, en connexion directe avec l’autre côté du globe. Il y a sur ce morceau-titre tout une frise de hiéroglyphes à décoder entre deux thèmes country récurrents. On méditera surtout sur When the Rose and the Fire Are One, pièce maîtresse de ce disque : Fahey y bascule dans le côté obscur (à 2min40) aussi rapidement qu’il retourne dans les joyeuses rondes du Far West (4min05), avant de lâcher une suite d’accords mystérieux qui déboussole complètement. Du grand art, ni plus ni moins, à ranger à côté d’autres OVNIS de l’amérique profonde, comme

Lift To Experience…

Note : 5/6

Page 171/208 MATMOS : The West

Chronique réalisée par dariev stands

Amateurs d’electro ambitieuse et de qualité, voici un objet qu’il ne vous faut manquer sous aucun pretexte... La réédition de The West, 3ème album de Matmos, qui allait faire les beaux jours de l’electro-bobo tapissant les Björk, est arrivée. Je vous rassure tout de suite, on est à des années lumières des sempiternels couinements Agrigel qui ont fait le succès de Vespertine (on se rapproche plutôt de Matthew Barney, dans l’esprit), puisqu’en ce temps-là, Matmos n’était pas encore un groupe tendance. Ils nageaient obstinément à contre-courant en proposant une saine alternative à l’IDM futuriste en pleine expansion du côté de chez (qui n’en est pas moins excellente) : une fusion contre-nature entre des sons glitch utilisés avec parcimonie et des instruments classiques (guitares et batterie) omniprésents, parfois simplement samplés en boucle, et souvent agencés en collage dadaïste, mais toujours en préservant toute l’amplitude des sons organiques, dont les Matmos sont de toute évidence amoureux – normal pour un groupe dont le nom rend hommage à Barbarella. Résultat : cet album n’a pas pris une seule ride depuis 10 ans qu’il est sorti. Il aurait même tendance à rajeunir ! Là où certaines productions anglaises de l’époque commencent à sonner datées, The West sonne plus avant-gardiste et intemporel que jamais… Un mot sur cette réédition, donc : Un superbe digipack marron, vraisemblablement en carton recyclé (vu que la musique explore le concept de recyclage, c’est on ne peut plus adéquat) et à l’artwork monochrome terriblement classieux, serti de petites inscriptions mystérieuses comme "faint evening chimes" ou "like memnon’s music of old time"… Pas de bonus, car de toutes façons l’album a toujours été rare, et surtout snobé comme il se doit lors de sa sortie (eussent-ils été scandinaves…). Le disque s’ouvre sur l’extraordinaire Last Delicious Cigarette, morceau de bravoure du duo, entrelacs de paillettes sonores fidèle à la pochette, entre lesquelles de nombreuses mélodies sublimes se faufilent tels des anguilles, sous la forme de lignes de basse fantomatiques, de samples lunaires et de claviers old-school. D’aucuns pointent la ressemblance avec le morceau Peace Of Mind de Claro Intelecto, mais on se contentera de conseiller à l’auditeur de déguster cette merveille comme il dégusterai un dessert de luxe, preuve que la recherche formelle de la musique concrète peut rencontrer la perfection chromatique de la pop. Ça se termine sur une coulée de cordes dissonantes surplombée par le trémolo de la guitare de Dave Pajo (Pote de lycée du groupe depuis Louisville, Kentucky… ça ne s’invente pas), tandis que la forme noiraude de la basse nous rappelle qu’on est toujours dans le même morceau. Action At A Distance délivre un contraste saisissant et nous fait rentrer de plein pied dans l’album : la gratte de Dave Pajo y est cette fois quasiment a cappella, levant le voile sur un paysage complètement inattendu : cactus, poussière et buissons emportés par le vent… D’emblée, on pense à Gastr Del Sol, à la première génération du Post-Rock, et on se dit que leurs vrais successeurs sont ici. Dave Pajo s’éclipsera cependant des deux pièces suivantes, très longues digressions expérimentales qui s’avèreront inépuisables au fil des écoutes. Sun On 5 At 152 paraîtra d’abord froid et inhospitalier, avant de faire entrer en scène une boucle de batterie minimaliste et groovy. On comprend, alors que la boucle refuse de s’arrêter et que le morceau tire en longueur, qu’on est à des années lumières des effets faciles souvent reprochés à l’electro dite "expérimentale". On est emporté dans un crescendo de 10 minutes sans le savoir, pris au corps par ce violoncelle dissonant et évoquant pourtant une atmosphère de XIXème siècle. Ce sera le même schéma pour la plage-titre, deux fois plus longue : vers la fin de la troisième minute, c’est le carnaval de rio qui déferle via

Page 172/208 téléportation instantanée dans le ranch de Monsieur Johnson. S’ensuit un véritable défilé de sons compressés et amplifiés, tandis qu’une guitare slide ne cesse de gémir gentiment en fond sonore, ignorant le délire orchestré par M.C. Schmidt et Drew Daniel au premier plan, qui finiront par nous faire danser à nouveau quelques dix minutes plus loin, en brevetant le premier prototype de house acoustique, rien que ça. Difficile de croire que tout cela a été assemblé à partir de bandes arrivant dans la boîte aux lettres du duo, tant tous les musiciens samplés ici semblent jouer dans la même pièce que l’auditeur ! Un disque dont il est rigoureusement impossible de se lasser, idéal pour l’île déserte. A rapprocher de l’ambiance de There Will Be Blood, le récent film de P.T. Anderson. The West Is The Best.

Note : 5/6

Page 173/208 U2 : October

Chronique réalisée par Twilight

Deux albums avec un jeune enfant sur la pochette et au milieu ce 'October'...Hasard ? Détail ? Pas tant que ça, ce disque est celui d'un groupe en crise. Ce n'est un mystère pour personne que le second opus est toujours un passage délicat. U2 avait explosé avec 'Boy', tourné près d'une année et se retrouvait à Dublin avec à peine ou deux chansons neuves. Pour corser le tout, Bono s'était fait voler son cahier de textes lors de la tournée aux USA; Bono qui justement à l'instar de The Edge et Larry subit une crise spirituelle. Tous trois, chrétiens convaincus, faisaient partie d'un mouvement local baptisé Shalom et la pression entre leurs devoirs de foi et les exigences du rock'n'roll se faisait de plus en plus terrible. Larry trouve vite la solution en quittant Shalom (de toute manière, avec ses perfectos, sa coupe en brosse, ce petit a toujours été marqué des stigmates du rock), tandis que ses compères restent et le groupe cesse donc, brièvement heureusement, d'exister. Au final, tout ce petit monde est de retour au travail mais les morceaux manquent, ce qui fait de 'October' un album bâclé et de remplissage, avant que 'War' ne remette les pendules à l'heure. Le disque contient pourtant de beaux moments avec notamment le poignant 'Gloria', véritable appel de foi, pareil pour le bon 'I fall down' qui débute de manière plus tranquille, moins post punk avant que le refrain ne prenne des teintes plus écorchées. Moins connu 'I threw a brick through a window' combine adroitement une batterie tribale chargée d'échos et des guitares glissant entre rock et blues; il est relativement dépouillé dans certains passages et flirte avec le dub au niveau de la rythmique. 'Rejoice' tient encore bien la route de par ses atmosphères post punk goth, le chant flamboyant de Bono présentant des parallèles avec celui de Ian Astbury au sein de Southern Death Cult. La suite est nettement plus inégale, des compositions comme 'Fire','Scarelt', 'Is that all ?' ont pour elles l'atmosphère typique du U2 post punk mais manquent cruellement de mélodies fortes (les textes assez peu développés auraient d'ailleurs tendance à confirmer cette impression d'inachevé) et que dire d'un 'October' instrumental au piano totalement inutile ? Je citerais encore en réussite 'Tomorrow' avec sa mélancolique intro de cornemuses irlandaises avant un final plus rythmé. Si l'histoire s'était arrêtée là, il serait resté assez peu de U2; 'October' ne questionne pas le potentiel des musiciens mais il est évident que coincé entre deux disques splendides, il fait grise mine malgré quelques moments de bravoure.

Note : 3/6

Page 174/208 COHEN (Leonard) : Songs Of Love And Hate

Chronique réalisée par Raven

Le premier recueil était gris. Un vieux manteau de laine, poussiéreux, pour les automnes solitaires. Le second fût d’un gris plus clair, délavé, beaucoup moins tenace. Le troisième, ici présent, n’est mué que par une seule couleur, qui n’en est d’ailleurs pas une et qui les recouvre toutes : le noir. Une couverture noire, maculée de larmes, pour les hivers suicidaires. Qui oserait… ne pas se sentir poignardé au cœur, à l’écoute de cette détresse palpable, qui suinte de partout ? Le chagrin oui. La tristesse, la ferveur, la sagesse, toujours, mais les rêves de jours meilleurs mis à sacs, ne reste que l’attente d’une mort presque certaine, qu’on accueille les bras ouverts. Ne vous fiez pas à ce visage souriant, il n'est là que pour mieux vous tromper, même si le titre froidement placardé ne laisse aucun doute quand au contenu. Cet intitulé se veut révélateur des deux faces de l’album, qui était, il n'est pas inutile de le rappeler, pensé à l’époque en tant que vinyle, c'est à dire en deux actes : une face pour la haine (‘A’) et une pour l’amour (‘B’). Pour ma part et en dépit de toute explication rationnelle, je n’y entendrai jamais que deux faces pour un même thème : la souffrance. Quand on me sort cette phrase souvent galvaudée, je ricane : "on ne touche pas à ça". Elle est précisément indiquée ici. On ne touche pas à Songs Of Love And Hate. Tout comme Pornography le sera pour The Cure, il s’agit d’un l’album-abîme, le disque-frontière qu’on ne rencontre qu’une fois dans la carrière d’un artiste, une œuvre où l’affliction est exprimée sans détours. La mise à nu douloureuse d’un homme au plus profond de ses abîmes, hanté par la mort, les remords. Si le premier album du Canadien pouvait se révéler un allié précieux et un compagnon d’infortune pendant les moments de blues, celui-ci n’hésitera jamais à appuyer sur le poignard fiché dans notre poitrine. Vicieusement. Il suffit parfois de rien pour passer l’arme à gauche, et cette plongée dans l’hiver des sentiments ne se fera pas sans victimes collatérales. A l’époque le Canadien ne devait pas se douter qu’il serait encore là en 2009, oh, sûrement pas. Traversant une période particulièrement sombre de son existence, il a ici embrassé les gouffres de son âme, les mêmes gouffres avec lesquels il ne flirtera à nouveau que bien plus tard. Noyé dans le chagrin et le désespoir. Sans larmes forcées, ni pathos théâtral, pas la moindre mise en scène, excepté ces violons tragiques qui surgissent de la nuit pour resserrer l’étreinte autour de notre gorge. Ça fait mal, et on ne s’étonne pas d’apprendre que ce disque fût une des inspirations majeures de nombreux artistes gothiques. Une production plus puissante et plus dramatique que celle du premier, sans ambiguïté aucune, ni compromis, qui ne laisse plus de place à l’évasion ou au bribes de paradis. Ce sont un peu les mêmes voix féminines en background pourtant, les mêmes voix séraphiques, des voix d’enfants, parfois… mais on n’a plus l’impression qu’elles viennent du paradis. Des fantômes accompagnateurs, des esprits qui suivent le poète meurtri dans sa descente aux enfers. Les parties de guitare atteignent ici une force rare et une sensibilité extrême. A l'instar du grand Paco De Lucia dans un autre registre, Cohen fait partie de ces guitaristes au toucher unique, dont l'art restera à jamais infalsifiable, même par le plus acharné des musiciens. La technique n'est pas seule en jeu. Le Maître danse avec ses cordes et tisse des mélodies décharnées, implacables, bouleversantes. Son jeu sublime, unique et très personnel, d'une précision extrême et d'une sournoiserie aux faux airs de fragilité, à fleur de phalanges, soutient sa voix plus belle que jamais, plus profonde qu’avant, caverneuse par endroits, gorgée d’amertume, de fiel même. Hostile. Meurtrière. Cohen, brisé par une trahison, adresse "Famous Blue Raincoat" à son "frère", identifié par ce terme assassin : "my killer". Une complainte nocturne en forme de lettre qu’il achève par un "sincerely" d’une amertume terrible à celui qui brisa son couple.

Page 175/208 Je pourrais aussi parler longuement de "Dress Rehearsal Rag" la vicieuse, toute en pics et chute, une corde raide sur laquelle Cohen appuie, relâche, sans arrêt, une tension exercée de main experte... et scélérate. Le chanteur s’emporte dans des envolées lyriques déchirantes avant de s’apaiser, pour mieux revenir à la charge, puis retomber à nouveau. Meurtrier. Je pourrais également faire allusion à la désolation totale de pièces comme "Last Year’s Man" ou "Love Calls You By Your Name" la cruelle, et en dire long sur le country "Diamonds In The Mine", le seul morceau enlevé du lot (avec peut-être le live "Sing Another Song, Boys", encore que), qui derrière ses airs légers et insouciants se révèle pourtant l’un des plus écorchés, Cohen se lâchant dans un chant complètement déglingué, cabossé, éthylique, le ricanement délibéré d’un type au seuil de sa propre tombe, qui n’a plus rien à perdre et qui crache une dernière fois au visage de la lumière. Insulte, bras d’honneur, agression délibérée. Le recueil s’achève par "Joan Of Arc", bercé par des "la la la la" dont l’écho ne laisse planer aucun doute : nous sommes passés de l’autre côté. Un des plus grands classiques de son répertoire, en apparence plus serein que le reste, dans la veine de ses standards passés "Sisters Of Mercy" ou "One Of Us Cannot Be Wrong", magnifique, absolu. Vous remarquerez que j’ai sciemment évité de faire référence au premier titre, le climax absolu de l’album et de sa carrière, que j’aurais pu, dans un de ces envolées lyriques pétaradantes qui me sont chères, décrire avec force passion, mais de la sorte, souiller de mots tape-à-l’œil. Je ne me suis pas défilé, non. La raison est simple comme tout : ce serait déplacé. Et insultant. Je n’invoquerai que la pudeur pour m’en défendre. La pudeur. Et la peur.

Note : 6/6

Page 176/208 COHEN (Leonard) : New skin for the old ceremony

Chronique réalisée par Sheer-khan

Soyez-en sûr : si ce disque s'était simplement appelé "songs for the old ceremony", il serait le dernier chapitre d'une quadrilogie et bénéficierait sans aucun doute de l'aura qu'il mérite. Mais ce n'est pas le cas, et ce n'est pas non plus un hasard : avec ce 4ème recueil Leonard Cohen s'inscrit dans la lignée tracée par ses trois premiers albums, mais plus profondément encore, il se dégage d'une image trop précise, à l'intérieur de laquelle toute une partie de sa culture serait sinon restée muselée. C'est de fait à partir de cette remarquable collection que l'artiste va assumer le rythme, que les racines juives vont s'affirmer, que Léonard va imposer bien plus que le simple sens de la complainte : mais une véritable capacité à sourire en coin dans l'ironie du désespoir, une conscience aigue de l'absurdité de toutes choses, et notamment de la mélancolie elle-même. Dans ses mots, Cohen ne va plus simplement chercher à conjurer les blessures de son hyper sensibilité, il va s'imposer comme le témoin trop lucide des malentendus et des contradictions inhérents à la nature humaine. La quête incessante de l'autre, la religion, la politique et la guerre, la solitude, Cohen voit tout et ça lui fait mal; la folk, le rock, le tradition européenne, le blues ou la country, Cohen s'évade par toutes les voies possibles. La production crue et authentique donne toute sa cohérence à un recueil plus bariolé, plus libre, tout en l'accordant à ses prédécesseurs ; ce disque est sans conteste le plus parfaitement révélateur de l'étendue du personnage; "Lover, lover, lover", "Field commander Cohen", "There is a war", "Who by fire", "Take this longing" et bien évidemment l'immortel "Chelsea Hotel", il ne se prive pas non plus d'aligner les pièces essentielles, parmi les plus importantes de leur auteur. C'est l'arrivée des mandoline et banjo, c'est l'avènement de la clarinette, du violon yiddish, c'est une nouvelle grammaire rythmique, tout autant que la persistance du génie de pureté, la continuation du travail sur la simplicité essentielle; c'est un disque qui danse autant qu'il se recueille; c'est l'album où se cotoient "Is this what you wanted" et "Chealsea Hotel", "There is a war" et "A singer must die". C'est aussi et surtout dans ce disque que se trouve la clef qui ouvre cette porte, derrière laquelle restent bloqués ceux qui résument Leonard à ses débuts. La parenthèse Spectorienne à venir et l'aspect purement réactif à ce dérapage que devra prendre "recent songs" perturbent quelque peu la lecture que l'on peut avoir de la carrière de Cohen : l'utilisation décomplexée des synthétiseurs à partir de "Various positions" n'est de fait absolument pas le glas stylistique qu'on a trop souvent voulu sonner; juste un choix personnel de réalisation, que l'on peut certes regretter, mais auquel il est absurde (pour ne pas dire complètement con) de donner plus d'importance qu'à une donnée purement formelle. Cohen va devenir un mythe, à mesure que son auditoire se restreindra à des fans inconditionnels, et que les nombreuses reprises dont il fera l'objet révèleront aux autres la portée constante, l'influence profonde, et la pertinence stupéfiante de son oeuvre. Des reprises concernant très majoritairement sa deuxième partie de carrière : preuve s'il en fallait une que derrière ces synthés incongrus, se tiendront une excellence intacte, une maturité grandissante : une oeuvre totalement indispensable. Leonard a commencé dans la discrétion étincelante du conteur folk mélancolique; mais Cohen est un juif né en 1934, profondément littéraire, cultivé et courtois. Ses amours de musiciens vont à la country, au jazz et à la musique populaire d'Europe de l'Est; sa nature véritable est celle d'un amoureux des pièces de genre, des fragrances populaires et des swings afro-américains, quelqu'un pour qui la "légèreté" sera tout sauf une facilité : mais un refuge obligatoire. Avant ces années 80, passé ce tout début des années 70, il y a 1974. "New skin for the old ceremony" est la quintessence, la grammaire,

Page 177/208 l'avènement d'un géant : Leonard Cohen... le vrai.

Note : 6/6

Page 178/208 U2 : War

Chronique réalisée par Twilight

Si 'Boy' avait permis à U2 d'exploser, l'inachevé 'October' avait stoppé cette progression; pour ce troisième album, nos quatre Dublinois savent qu'ils n'ont pas droit à l'erreur. Et erreur il n'y aura pas. Finis les doutes spirituels: les Russes ont envahi l'Afghanistan, Margaret Thatcher a pris le pouvoir en Grande-Bretagne, Ronald Reagan aux USA; les violences se poursuivent en Irlande du Nord, l'IRA revendique nombre d'attentats, le chômage frappe durement...Pour Bono et sa bande, il faut passer à l'action, l'écriture s'en ressent, le groupe n'a pas peur de prendre position sur certains thèmes (la guerre, le terrorisme,...). 'War' est un disque de colère mais également d'espoir, ce qui lui confère sa touche flamboyante. Des hymnes, il en regorge: 'Sunday bloody Sunday', 'New year's day', 'Like a song'...Leur efficacité mélodique est totale mais nous sommes loin du post punk écorché de 'Boy', le combo a gagné en maturité ce qu'il a perdu en spontanéité. A l'image de sa pochette (extraordinaire de mon point de vue), voilà également un opus plus subtile dans ses arrangements et ses nuances, les musiciens n'ont pas peur de s'aventurer dans des pièces plus tranquilles ('40', 'The drowning man') qui s'avèrent de véritables réussites. 'War' est clairement un album post punk malgré tout, 'The refugee' avec son bon travail des percussions le prouve, pareil pour 'Two hearts beat as one' où Adam Clayton s'éclate sur sa basse en complément des accords rapides et acérés de The Edge (lequel fait réellement des merveilles avec sa guitare au son si typique). U2 a donc réussi son pari et prouvé que l'on avait raison de croire en lui; 'War' boucle d'une manière inconsciente une trilogie, celle de l'air la plus post punk; si divers éléments laissent à supposer que nos Irlandais tournent progressivement le dos à leurs racines punk, ce n'est pourtant que 'Unforgettable fire' qui le confirmera ouvertement. Personnellement, je lui préfère 'Boy' mais comment résister à la vaillance de cet album ?

Note : 5/6

Page 179/208 COMPILATIONS - DIVERS : Parallélisme et Perpendicularité

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Il y a des rumeurs, là bas au fond, qui affirment que Guts of Darkness s’éloigne de sa ligne éditoriale de jour en jour. En bon redresseur de torts, je m’acharne de mon côté à vous faire (re)découvrir des sorties de plus en plus bizarres : assurément, ‘Parallélisme et Perpendicularité’ rentre dans une catégorie abordée par fort peu de sites. Rare témoignage de la scène K7 française des années 80, cette compilation aussi froide que son petit feuillet, présenté comme un schéma destiné à un outillage industriel, réunit les acteurs de la scène obscure mais prolifique de la minimal wave ainsi que plusieurs artistes d’une scène industrielle expérimentale toujours vivante, héritant autant de John Cage que de Suicide, Einstürzende Neubauten et Throbbing Gristle. Plusieurs de ces protagonistes se retrouveront éparpillés çà et là dans la scène actuelle, comme la tête pensante de The Grief qui n’est autre que Norscq (officiant entre autres dans le collectif Von Magnet). Dans la catégorie minimal synth, on retrouve donc The Grief, La Sonorité Jaune mais aussi d’autres obscures formations telles que Kino ou Parade Assaut (et ses hurlements de goret), la discutable hygiène mentale des Blaue Reiter, les cultes De Fabriek, ou encore l’excellent groove glacial de AE (Thierry Leray de Charles de Goal, dont les méfaits ont été récemment réédités chez Optical Sound). La plupart des titres entrent dans la large section ovniesque/expérimentale qui rappelle les digressions concrètes de Nurse With Wound (qui a dit ‘A Sucked Orange’ ?) : Architects Office, l’ esthétique glauque de Human Flesh, les collages bruitistes de Die Todschicke Wut ou les sessions jazzy visiblement improvisées qui rappellent H.N.A.S. ou P16d4 (comme disait un lecteur ici-bas : tout doit être sombre et expérimental, tout !) : Hula et M.A.L. avec sa mélodie entraînante que l’on croirait piqué à un générique de film et réinjecté sur des guitares saturées. Petit mot sur Prima Linea qui rappelle Metamorphosis (tout aussi ovniesque et datant de la même période) ainsi que sur le bizarre If, Bwana qui ressemble à une promenade dans une usine à jouet steampunk. Etrange jusqu’à en être complaisamment nauséeuse, cette période méconnue de la musique industrielle n’en garde pas moins un certain charme comme en témoigne les nombreuses rééditions luxueuses des disques desdits artistes – aujourd’hui rarissimes - par des labels comme Vinyl-On-Demand. C’est qu’elle témoigne à la fois d’une peur certaine tout en offrant un moyen d’expression alors inédit – une musique sale, machinale, psychorigide et pourtant cathartique et sans limites.

Note : 4/6

Page 180/208 LANOIS (Daniel) : Belladonna

Chronique réalisée par Sheer-khan

Apôtre de la chaleur des amplis à lampes, praticien des indémodables Dobro et Pedal Steel, acharné de l'enregistrement sur bandes : , inventeur subtil et producteur définitif, est d'abord un nostalgique magnifique. Aux premières loges, assistant Brian Eno dans son invention des soundscapes à l'aube 1980, il publie en 2005 ce recueil de petites pièces instrumentales atmosphériques qui résonne comme un souvenir, et peut-être un hommage, qui affirme surtout l'étonnant canadien comme un artiste fondamentalement indépendant. "Two worlds" est un instant essentiellement textile à base d'abysses sulfureuses et d'éveil progressif d'une guitare des îles... puis on entre dans le merveilleux. "Sketches", "Oaxaca", "Agave" et "Telco" se suivent comme autant de miracles gracieux et suspendus, profondément mélancoliques, à la croisée parfaite de la mélodie et de l'atmosphérique, parcourus de frissons musicaux extraordinaires; de la chute mélodique du piano déconstructiviste qui vient sertir "Sketches" aux envolés de cuivres sud-américains qui portent "Agave" au sommet des collines, en passant par cette incarnation absolue et saisissante de pureté du lunaire en musique qu'est la ligne de vocalise de l'étranger "Oaxaca". "Telco", ou la contemplation triste, en trois notes et bruits de fond. Essentiellement sonore, largement hétéroclite, "Belladonna" ne maintient certes pas cette excellence sur la durée : "Desert rose", "Carla" ou "Panorama", à l'atmosphère légère et sereine, basée sur une slide curieusement hawaïenne, en tout cas solaire, n'expriment jamais suffisamment leurs mélodies latentes pour s'extraire du cadre du décoratif; "Frozen", slide encore, apparaît comme la pièce la plus richement arrangée et rythmée de cette nouvelle collection, mais assez peu évocatrice : là aussi, l'économie de mélodie véritable au profit d'ondulations de pedal steel, aussi créatives soient elles, maintient la pièce dans un registre mineur. Mais il y a encore "the deadly nightshade" et "Dusty", réminicences délicates du Lanois naturaliste de "Fisherman's daughter", "white mustang II", "Transmitter" ou "JJ leaves", ces petits nocturnes instrumentaux tout en échos célestes de guitares scintillantes; il y a "Flametop green", où le piano étoffe les accords nostalgiques d'une guitare acoustique dont les méandres spontanés s'arrêtent malheureusement trop tôt. Moins profond, moins orfèvre, moins essentiel que les autres albums du mage canadien, "Belladonna" sera surtout l'occasion pour l'artiste d'approfondir sa recherche sur les sons, les textures de guitares et les couleurs, mais aussi de s'affranchir définitivement de tout profil commercial possible : deux logiques qui s'incarneront pleinement dans "here is what is", ou le retour de l'orfèvre folk de ses trois premieres merveilles, libéré du poids de la perfection et plus explorateur que jamais.

Note : 4/6

Page 181/208 LANOIS (Daniel) : Here is what is

Chronique réalisée par Sheer-khan

C'est un 5, incontestablement; mais je l'avoue, un 5 moins brillant d'affection que ceux de "Shine" ou "Wynona". Avec l'expérience "Belladonna" Daniel Lanois s'est affirmé dans son indépendance et sa volonté d'exploration, "Here is what is" porte en lui l'invraisemblable talent de songwriting du canadien, autant que le déséquilibre d'intensité propre aux démarches multidirectionnelles. Ca n'est déjà pas 18 pièces qu'il faut considérer mais 14 : "Chest...", "Beauty" et "sacred..." n'étant que de court monologues extraits de conversations avec Brian Eno et "Bells of Oaxaca" un simple instant sonore de quelques secondes. Si Daniel Lanois nous a habitué depuis toujours à l'alternance entre pièces chantées subtiles et petites instrumentales magiques, le manque relatif de véritable grâce sur les tableaux muets qui parsèment ce recueil, et qui rélèvent plus souvent de l'auto découverte à la "belladonna" que du miracle à la "White mustang", participe à ces variations d'intensité quelque peu frustrantes, comme ils côtoient ici de véritables merveilles de folk riche et délicate, aux tournures mélodiques extraordinaires, comme seul le canadien sait en tisser : "Where will I be", "Here is what is", "Not Fighting anymore", "Harry", "I like that" ou la troublante, sublime et possédée "Moondog". A leurs côtés, "Blue bus", instrumentale légère dans la lignée directe des "Carla" et "Desert rose" de l'essai précédent, "Smoke #6", instrumentale de blues atmosphérique agréable mais sans profondeur ou "this will be my last time", pure pièce de genre old blues certes réussie mais un peu incongrue, semblent mineures et presque dispensables : si on y ajoute les trois interventions d'Eno qui sortent immanquablement l'auditeur de la torpeur cotonneuse et extatique dans laquelle la musique de Daniel Lanois a le don de nous faire plonger, on comprend que ce recueil souffre assez largement du syndrome des montagnes russes. Une dichotomie dont la pièce maîtresse de plus de 8 minutes, "lovechild", est la parfaite illustration. Débutée par un monologue de piano entre bar et Debussy qui n'arrive pas à se montrer assez dense pour les 3 minutes qu'il parcoure, "Lovechild" se réveille ensuite à la faveur de ces fameux slide balnéaires et un peu décoratifs qui parcouraient "Belladonna" avant de s'ouvrir véritablement, vers le ciel et les profondeurs avec l'entrée de voix du canadien et la libération des étoiles de guitares. Entre deux, "Duo glide", folk rock atmosphérique et nocturne, "Bladesteel", instrumentale belladonnienne et rythmée, "Joy", blues rythmé et "orgué" façon nouvelle-orléans et "Luna Samba", pure atmosphère jazz, font le lien de qualité entre le plus anecdotique, et le littéralement somptueux des 6 bijoux précités. 6 bijoux sur lesquels il convient maintenant de revenir, car ce n'est pas cette alternance de "moyen" et de "franchement pas mal" dont j'ai plus précisément parlé jusqu'à présent qui peut, à elle seule, porter la note à 5. Depuis 20 ans maintenant, et le subtil "Acadie", Daniel Lanois impose à mesure des albums son sens unique et sublime du songwriting au travers d'une musique à la grâce extraordinaire et aux origines multiples; folk, country, rock et blues, habitée par l'esprit un peu vaudou de la nouvelle-orléans, et à laquelle le génial producteur donne une dimension sonore aussi singulière qu'exceptionnelle. Avec ses batteries franches, hautement harmoniques, ses basses acoustiques sourdes et profondes, ses textures de claviers spectrales et ses draps d'orgue, ses dentelles de guitares claires, ses glissements permanents entre voiles de saturation sur vieil ampli du bayou et glissés de pedal steel, ses grooves profonds sur lesquels la voix fragile et un peu cassée promène ses divines mélodies, Daniel Lanois est un maître de la pièce d'orfèvrerie nostalgique; un véritable alchimiste qui marie la perfection à l'authenticité la plus brute, l'horlogerie à l'émotion profonde. Un alchimiste, un magicien : enrichi des experiences de

Page 182/208 "Belladonna", Daniel Lanois fabrique ses acoustiques et ses dimensions avec des outils de plus en plus insaisissables; il faut prêter attention et tendre l'oreille pour réaliser que ces merveilles douces et mélancoliques, célestes et délicates, sont notamment tissées de guitares déchirées, de soundscaping souterrains, de textures charbonneuses, parcourues de liberté et de dissonances. "Where will i be" pour sa grâce harmonique, "Here is what is" pour son incroyable maturité stylistique, "Not fighting anymore", "Harry" et "I like that" qui nous vient tout droit de "Shine"... la grâce, jusqu'au chef-d'oeuvre "Moondog" qui nous ramène à "Wynona": un rock nocturne et aérien porté par le groove et la chaleur néo-orléanais qui élève ses harmonies saturées et son piano de pluie dans un appel aussi doux que sauvage aux esprits des bayous. "Here is what is" reprend donc la route que le canadien a entamé depuis "Acadie" et poursuivit jusqu'à "Shine"; il confirme également que "Belladonna" n'était pas une simple parenthèse, mais un véritable virage, vers la liberté et l'indépendance.

Note : 5/6

Page 183/208 COHEN (Leonard) : Death Of A Ladies' Man

Chronique réalisée par Raven

Cet album, qui aurait pu s'intituler Death Of An Artist, est indéniablement le seul mauvais album qu’ait enregistré Leonard Cohen. Je ne l’aime pas. Mais si je peux me montrer capable de le déchiqueter à coups de griffes pour exprimer ma colère à son égard, à l’égard de cette souillure révoltante, je pourrais tout aussi bien le défendre à coups de bec contre ceux qui n’y voient qu’une horreur vide et rien d'autre, car cette souillure est aussi un symbole. Un symbole… artistique, et philosophique. Vous me demanderez sans doute… pourquoi ? Voyez-vous, chers lecteurs (asseyez-vous, allumez une clope), il se trouve que j’ai aussi une forme d’intérêt pour cet album. Il ne s’agit pas de la tendresse d’un corbeau pour les vilains petits canards comme vous pourriez le croire, non, rien de ça. Plutôt le déclic d’une froide lucidité qui m’a sauté aux yeux, un jour, en l’écoutant après New Skin et avant I’m Your Man. Ce disque est un… massacre en grande pompe. Un holocauste de paillettes et de flonflon - celui d’un artiste pur - orchestré par un maestro dégénéré. Spector a tué Cohen, et Cohen, dont la capacité à se régénérer comme le Phoenix deviendra une constante, en réchappera différent, changé. Spector à ouvert sa grande quincaillerie d’un goût plus que douteux et y a jeté le Maître. Une production bling-bling aux accents de cérémonie hollywoodienne ringarde dans laquelle Cohen est prisonnier, un décor parfaitement superficiel qui aurait été tout indiqué pour Tom Jones. Seulement voilà, il ne s’agit pas de Tom Jones, ni d’une donzelle des Ronettes, mais de Leonard Cohen, alors… merde, hein… Ecrasé par les guirlandes roses et les plâtrées de confettis, noyé dans le champagne, la coke et les poules de luxe agglutinées autour de lui, Cohen gémit, étouffé, il chante parfois presque comme avant, mais sa voix est meurtrie non plus par ses soins mais par l’attaque sonore massive de l’autoproclamé "Mozart", que ce salopard n’hésite d’ailleurs pas à massacrer pendant le mix de l'abum ("Paper Thin Hotel", urgh), mix qui d'ailleurs verra Cohen évincé de force du projet et Spector seul aux commandes, persuadé de pondre un chef d'oeuvre comme toujours. Le chant du Canadien nous offre encore de maigres moments de grâce mais il ne ressemble plus à rien, ou pas grand-chose. Il appelle au secours, mais personne ne le sauvera, captif d’une fête hideuse à laquelle il n’aurait jamais du être invité, sa fidèle guitare hors de portée, servant à présent de seau à vomi pour les prostituées bourrées, et ses poèmes de torche-cul pour une fanfare de pingouins. Choquant, réellement. Scandaleux, même. Tragique ? Sans doute, d’un sens plus encore que Songs Of Love and Hate. Une faute de goût totale dont le parfum infect nous saute aux narines illico presto. En effet, dès le premier morceau on est assailli par… comment dire… le générique de la Croisière s’amuse ? Quelque chose dans ce goût-là, oui. Cuivres pétaradants, oripeaux de violons, chœurs putassiers, rafale de flonflon à tous les étages : un Tsunami de Coco Chanel déferlant sur la voix d’un seigneur de la folk. Et la souillant. Le fameux "wall of sound" de Spector, création d’un génie dans les années 60 en pleine explosion pop des girl groups et héritage des plus grands (Beatles comme Beach Boys), ne vaut plus un copeck en 77, ne valait de toute façon déjà plus grand-chose 7 ans avant. Ce disque est celui d’un affrontement : celui d’un artiste en pleine possession de son art face à un maître de cérémonie qui n’a de toute évidence aucun rapport avec son univers, ses codes, et qui n’y comprend rien – n’a rien envie d’y comprendre, n’en a, purement et simplement, rien à foutre, même s’il laisse à Cohen quelques terrains de jeu propices où il n’hésitera pas à le ridiculiser dans son propre registre (le country infâme "Fingerprints"). Son truc à lui, c’est le bling-bling, la folie des grandeurs, le too much, les belles bagnoles, tout ce qui brille et qui apporte de la thune, l’arrogance. Son ego surdimensionné l’amènera à commettre un

Page 184/208 homicide artistique pour une simple lubie de plus, quoique Léo soit aussi responsable, en partie, de ce fiasco. Affrontement perdu d'avance. La poésie intime du Maître Cohen face au Tyran Spector, dont le goût du symphonique et de l’orchestral kitsch fera l’effet d’un étau assassin autour du Canadien, broyant toute la grâce et l’aura du Maître et l’abaissant à un niveau déplorable, celui d’un misérable guignol, alors que son rêve était d’interpréter des textes magnifiques dans un habillage harmonieux. Un abaissement forcé, palpable jusque dans les paroles - un titre comme "Don’t Go Home With Your Hard-On" étant suffisamment révélateur, Cohen étant mis dans le rôle d’un fils de pute (au sens propre) - et la présence (quasi-imperceptible par ailleurs) du pionnier Dylan en personne n’y apporte aucune forme de crédibilité, c’est même beaucoup plus douloureux et cruel ainsi. Spector a littéralement pulvérisé Cohen alors qu’il était au sommet, et mis en péril la majorité du public qui le suivait depuis Songs Of L.C. Le producteur mégalo, illuminé en permanence et incapable d’obtenir ce qu’il veut de ses musiciens (un orchestre au complet), n’hésitera pas à les menacer avec son calibre à plusieurs reprises, Cohen lui-même fera les frais de ce comportement outrageux, et comprendra plus tard qu’il aurait du claquer la porte. Mais il était pris au piège, séquestré. Un affrontement pas seulement musical donc, mais physique, duquel découlera petit à petit l’aberration que nous avons entre les mains aujourd’hui. Une monstruosité dans la carrière d’un artiste jusqu’alors pur de tout navet, qui, en tout cas j’y crois dur comme fer, n’a sans doute pas été étrangère à son revirement plus variété des années 80, et lui a, je pense, été d'une certaine façon un enseignement précieux pour cette période. On pourrait en fait décrire cet album, plus qu’un affrontement, comme un véritable saccage. Le saccage orchestré par Spector. Cet album est celui d’un viol, oui, d’un outrage… et c’est aussi en-cela qu’il mérite une écoute. De sa laideur souvent extrême se dégage quelque chose de poignant par instants, malgré tout. La beauté du dégoût, la naissance de la lumière dans la gerbe de gloss et de rimmel, de réverb crasse, la douloureuse extraction du beau dans le laid, cristallisé par de brefs éclats de grâce, noyé dans la production grandiloquente de Phil. Je fais allusion aux morceaux qui me parlent plus au cœur qu’à la tête, et il y’en a, oui. Trois. La lumineuse "Iodine", d’abord, "I Left A Woman Waiting", ensuite, seul morceau un tant soit peu intime qui puisse être directement lié à ses trois premiers, et, pour finir, la piste finale, interminable, seul passage où la production de Spector déroule le tapis rouge à Léo au lieu de l’étouffer. Un titre qui me rappelle – et ça en fera crier certains mais c’est pour moi une évidence – l’ambiance paradoxale elle aussi du Berlin de Lou Reed, disque à la production très bling-bling lui aussi, même si le fond et les compos de base étaient d’une toute autre envergure. Ah, ce disque… Un des symboles les plus éloquents de la mégalomanie de Spector, de son goût pour l'esbroufe qui en a fait un personnage controversé dès le début, et une leçon pour Cohen, assurément, qui retrouvera son honneur sur le suivant. En ce sens, oui, Recent Songs sera une bouffée d’oxygène, une résurrection. Pourtant, en dépit du bon sens, j’avoue avoir plus de tendresse pour ce fiasco, une certaine fascination masochiste pour le putassier, sans doute, mais pas seulement. Les raisons, je les ai épelées plus haut, après tout… et vous invite à les relire. Ce sont les mêmes pour lesquelles ont lui a tant craché dessus, en effet ! Et quoi ? Death Of A Ladies’ Man est l’album de l’asphyxie. L’album de la perversion de la beauté. Du viol de cette beauté, de ce dieu. Le viol collectif d’un grand artiste, issu du cerveau malade d’un producteur qui fût tout aussi grand à sa façon, jadis. Le dialogue impossible entre deux visions opposées, deux mondes, deux conceptions. Un mariage où l’époux vêtu de noir se voit tout entier englouti par la robe gigantesque de sa mariée, dictatrice du son et des couleurs criardes appartenant à une autre époque, à un autre monde que lui. Il s’agit à la fois de l’album le plus horrible et le plus fascinant de Leonard Cohen, et c’est ainsi qu’il vous faut l’appréhender si vous espérez pouvoir le connaître, un peu. Je conclurai cette chronique que d’aucuns jugeront quelque peu extrême (uhuhuh) par une petite réflexion (des fois ça ne fait pas de mal d’avoir un cerveau, même si c’est pas érotique) sur notre système de notation, qui s’il se révèle habituellement une échelle de valeur très pute, sera peut être mon arme la plus efficace pour résumer tout ce que je pense de ce disque. Voyez-là comme un symbole. Celui de l’ombre et de la lumière, distinctement séparés par une frontière fixe, la même qui empêche à l’eau et à l’huile de donner un mélange homogène quand on les secoue – celui de deux mondes qui s’ils peuvent entrer en contact, ne peuvent pas vivre en harmonie, deux mondes dont l’union n’aboutira jamais à aucune osmose. Sinon le chaos.

Et l’immonde visage de ce chaos.

Note : 3/6

Page 185/208 PALINDROME : Rions Noir

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Manu le Malin. Aphasia. Torgull. D’autres mecs. On attendrait quoi d’un tel line-up ? De la techno industrielle ? du digital hardcore ? du breakcore classique (désolé Aaron) ? on en est loin : réunis sous l’appellation Palindrome, nos amis n’ont rien trouvé de mieux à faire après un mauvais premier maxi que... du rap-métal. Du bon gros caca à guitares électriques mélangées à des rythmiques techno et surmontées de notre Emmanuel Dauchez national qui rappe en gros méchant ses textes antisociaux de la mort, profonds comme peuvent l'être des textes antisociaux à la française, de Trust à Pleymo. Ironie du sort pour ces habitués du son : la prod est d’une mollesse monstrueuse, les guitares absentes, la voix sous-mixée, il n’y a guère que les beats électroniques qui font parfois surface. Du sous-No One Is Innocent, du sous-sous Treponem Pal, voilà en substance le contenu de cette bonne blague franchouillarde et miséreuse que l’on espère sans suite. J’aurai bien fait toute mon texte en palindrome, mais je n’ai ni le talent de Georges Perec ni le temps à consacrer aux chroniques de bouses, donc je vais la jouer rapide avec ce palindrome foireux qui ne marche même pas : crotte, et troc.

Note : 1/6

Page 186/208 HYPNOSKULL : Industrial Owes Us Money

Chronique réalisée par Wotzenknecht

"- Why do you always use so fucking loud beats ? – ‘Cause I’m fucking deaf you stupid motherfucking idiot ! Hypnoskull is deaf !" Patrick hérisse ses poils et depuis qu’il s’est mis à forniquer avec la scène breakcore, il a la rage. La rage bien vénère grave, pire que celle qui défoulait Alec Empire sur ’The Destroyer’, le truc du gros méchant qui dit fuck aux poseurs en totale contradiction avec sa pose de patriarche ultime. Bon, ça tombe bien, il a quand même la classe avec son powernoisebreakcore entrecoupé de milliards de samples allant du débile au fun "money and bitches !", le plus souvent tirés d’interviews ou autre "333 questions for Hypnoskull ? well, go out and fuck yourself, because I’m not gonna fucking answer 333 fucking questions, you fucker – So why are we doing this ? – Well tell me, I don’t know shit, how the fuck would I know what I’m doing here ? " ou parfois récupérés au gré des chaînes de télé ou de radio internationales (il y a même une pub en français) et bourrés çà et là au milieu d’un véritable capharnaüm de rythmiques saturées, ordonnées (‘Money and bitches’, ‘Industrial owes us money’), désordonnées (‘We never sleep’, ‘Nightmare’), ultraviolentes (‘Hateful pulses through semiconductors’, ‘Real Bad’). Hypnoskull ne joue plus à la techno-pompes à grognements virils (ici la tendance est d’accélérer toutes les voix), il se tourne vers un univers cyberpunk extrémiste inconciliable avec la fameuse scène qui lui doit de l’argent (Je me souviens du bac ‘Industriel’ du HMV de Montréal, rempli d’electro-dark de cinquième zone, vous comprenez ce qu’il veut dire). De là à dire qu’il fait de l’indus, pourquoi pas ; de l’indus junk, cradingue et monté-assemblé comme une sculpture d’Art Brut, inesthétique et décomplexée comme c’est pas permis, surtout chez Ant-Zen qui commençait à s’endormir sur ses acquis power noise & jolies photos. Pekka-Eric Auvinen, qui écoutait Grendel et Wumpscut avant d’éparpiller ses copains de classe au .22 Sig Sauer Mosquito, aurait dû attendre cette bombe furieuse : ça l’aurait sûrement calmé.

Note : 5/6

Page 187/208 APHEX TWIN : Classics

Chronique réalisée par dariev stands

Grimper au sommet du clocher du Mont Saint-Michel juste pour en sampler les cloches. Etre invité à réaliser en direct la bande-son d’un musée d’art contemporain bobo (retranscrite dans le casque de chaque visiteur… pauvres inconscients), et en profiter pour dépuceler quelques oreilles vierges. Jouer du piano directement sur les cordes à l’age où Mozart exécutait ses premières sonates… Autant d’exploits coutumiers de Richard D. James, d’après ses rares interviews, du moins quand il ne végète pas… je veux dire quand il ne concocte pas des plans de conquête du monde dans son bunker. Mais le D. James a eu plusieurs vies… Je ne parle pas de ses alias, innombrables comme le veut la tradition electro (qui remonte au milieu des années 80), rien de nouveau là dedans. Ici, uniquement des sons signés Aphex Twin… A un détail près, il s’agit de THE Aphex Twin, le héros des raves du nord de l’Angleterre, adulé pour ses sets interminables et au volume sonore sans concession envers le tympan humain. Je serai donc bref, Classics compile tous les morceaux qu’Aphex Twin, le DJ, aimait passer lors de ses sets. Ce n’est ni une mixtape, ni une compil mixée, rien que des tueries techno made in Aphex en version longue mise les unes à la suite des autres. Tous les sons caractéristiques de la suite de sa carrière sont déjà là, séquencés sur des beats de techno pure et dure, peut-être un peu plus dure que la moyenne d’ailleurs, mais encore bien loin de la tech hardcore ou du gabber, dans lequel il a également officié. Dès Phloam, les bpm s’adoucissent progressivement, s’étoffant de sublimes nappes de synthés et de sons ambient étranges, marque de fabrique du personnage. Le son est absolument dément, à la fois profond et râpeux, crade et lubrique. Ecoutez donc Ipsopropanol ou le délire violent et acied de Tamphlex, ou encore ce Plange Phace dépourvu de caisse claire et touffu comme de la Jungle avant l’heure… Après les crissements de fourmilière amplifiés de Dodeccaheedron vient Analog Bubblebath 1, la matrice du génome Aphex… Puis ça repart de plus belle avec le standard "We have arrived" de Mescalinum United qu’Aphex Twin a intégré comme sien au fil des remixs. L’affaire se clôt comme elle a commencé, par Didgeridoo, en live aux Cornouailles cette fois… "ce soir dansent les ombres du monde…"

Note : 5/6

Page 188/208 COMPILATIONS - DIVERS : Hardcore Fever – Extreme Mission Vol.1

Chronique réalisée par dariev stands

Fiouh, voilà une compile qui exhale son lot de douce nostalgie des années 90. Réalisée par Dj Arnaud Aquarium (sans dec…), vous pouvez écouter les extraits au 36 15 Omnisonus pour 1 franc 29 la minute. Une époque révolue, à n’en point douter. Et c’est bien dommage, car chaque piste de cette compile mixée est une bombe. Le Hardcore millésimé 95 était un cru miraculeux, qui s’est bonifié avec le temps. Les 4 premiers morceaux vous chopent à la gorge sans le moindre répit, et le reste se fait plus lent et plus complexe, avec moments de silence troublants à la clé. Pas l’ombre d’un remplissage, chaque titre est génial. Mention spéciale au plus long d’entre eux : Dark Jungle Mung, tuerie signée Lenny Dee, à l’ambiance sauvage et oppressante. Mais la bonne surprise de ces 17 plages, c’est que ce sont les français qui goupillent les meilleurs morceaux ! Palme d’or au bien nommé Madness de GTI, qui commence comme un remix givré du Christopher Tracy’s Parade de Prince avant de nous péter à la gueule avec des samples de grosses grattes sur lesquelles Anne Parillaud s’égosille en mode plantage de crayon dans ta main d’batard. Eh oui, le titre est truffé de samples du film Nikita, ce qui égaye fortement le milieu de cette compil et nous rappelle au passage qu’on est pas chez Jean-Michel Jarre (elle simulait, Jean-Michou). De la Golf GTI (Gangstar Toons Industry, en fait), on passe au Dax, mobylette culte des ados des 90’s avec les Dax Riders, les mêmes qui se reconvertiront dans la French touch caustique quelques années plus tard ! Ici, ils font bel et bien du hardcore, efficace et sauvage. Ils ne sont pas seuls puisqu’on retrouve aussi les fameux Micropoint, Freon et un groupe intelligemment baptisé « Les Dupont » le temps d’une track ultra violente comme il faut. On signalera également le très bon morceau d’Aleph qui prouve que le hardcore savait aussi dégager des ambiances, avant que la course au BPM ne s’empare des sous-genres de la techno. Voilà pour les frenchies, mais parlons un peu des autres, car la techno hardcore, à l’instar du black metal, était un mouvement dont la radicalité et la violence extrême passait outre les frontières… On retrouve donc ici des anglais et des ricains bien sûr (dont le génial Joey Beltram, qui fait le pont entre la techno pure et dure de Detroit et le Hardcore), mais aussi des autrichiens, des hollandais, des italiens et des belges pour finir, avec Killerbees on Acid, un des morceaux les plus emblématiques de Liza’n’Eliaz, ici accompagnée de l'autrichien DJ Pure. Vous pouvez y aller les yeux fermés si jamais vous trouvez cette compil’

à 99 centimes d’euros dans un Cash Converters (… par exemple) : on en fait plus du comme ça.

Note : 5/6

Page 189/208 EAT STATIC : Interceptor remixes

Chronique réalisée par dariev stands

Cette pochette a vieilli, c’est un fait. Je vous rassure, c’est beaucoup moins le cas du contenu. "encore un vieux son techno oublié de tous" me direz vous. Et vous aurez raison. Mais on ne pourra pas me reprocher de ne pas vous servir la crème de la crème… Eat Static était un groupe génial, spécialiste des morceaux longs, évolutifs, très travaillés et regorgeant de nombreux sons sci-fi. Ce single consiste en 3 remixes du morceau Interceptor, tiré de leur album Science of The Gods. Et croyez-moi, on est face au genre de sorties qui donne tout leur sens au concept du remix… Le mix de CJ Bolland, qui fait mal au crâne à force d’effets steréo, rend le morceau méconnaissable. Celui de T-Power nous aspire dans un vortex bleuté pour mieux nous recracher à l’autre bout de la galaxie, façon LTJ Bukem. Ne pas danser en écoutant ça est une gageure ! A défaut d’être de la Jungle pure et dure (en 97, on n’en était qu’aux tout début du genre), la techno prodiguée ici se veut souple et changeante, chaloupée comme une Claudette, traversée de sub-basses dub typiques de la Jungle. Pour parachever le côté désormais désuet de l’objet, une 4ème piste multimédia contient une vidéo du jeu Conquest Earth à visionner sur pc. Un genre de Command & Conquer aux cinématiques à peine digne de la Dreamcast…

Ca prête à rire aujourd’hui, mais la qualité des 3 morceaux inciterait plutôt à pleurer…

Note : 5/6

Page 190/208 BAXTER (Blake) : Dream sequence

Chronique réalisée par dariev stands

S’il y a bien un label que les amateurs de musique électronique au sens large se doivent de connaître, c’est Tresor. Sous ce nom à priori dégoulinant d’auto-satisfaction bourgeoise ("Trésor, on va au Trésor ce soir ?" - "Je peux pas, je dois garder Trésor, Trésor. Tu sais, le Yorkshire de maman.") se cache tout bonnement l’un des labels les plus fiables et les plus riches de la techno au sens large. Basé à Berlin, (tout comme le club du même nom) il est certes bien loin de l’esthétique sombre et politique de Detroit, mais il n’en constitue pas moins une véritable warp zone, un passage reliant Chicago et Detroit à l’Europe, si friande de sons électroniques nouveaux. Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur la musique electronique Allemande. Tresor est une sorte de mécène pour tous les grands pionniers du genre ayant choisi de perpétuer leur art économe et martial sans forcément intégrer le groupuscule Underground Resistance ni verser dans la house "booty" et joyeusement vulgaire. On parle de Jeff Mills, globe trotter et remarquable étendard du genre, mais n’oublions pas Blake Baxter, surnommé The Prince Of Techno, qui prouve avec ce Dream Sequence qu’il est loin d’être un second couteau, puisqu’il s’agit d’une des meilleures œuvres du genre. Folâtrant à l’occasion avec l’acid house, le breakbeat (le break aux petits oignons de Ghost) et la house garage, la techno de Blake Baxter est d’une variété extrêmement rare, ce qui la rend accessible aux néophytes, tout en étant d’une épure parfaite. On passe de la moiteur des sons liquéfiés de The Warning et Laser 101 à l’épopée de 12 minutes Dreammaker sans jamais se lasser, et l’on devient rapidement accro de la finesse des sonorités employées. One Mo Time Mix 2 investit carrément la house la plus disco, avec des vocaux féminins typiques du genre… Le genre de trucs que certains d’entre nous auraient pu écouter à 8 ans lors de la bonne époque des compils "Dance Machine" sans être choqués. La classe et la sobriété en plus (si si, c’est possible). Le summum de la retenue élégante est atteint avec Frequency Old Skool, une autre version de ce même morceau, où les vocaux sont cette fois-ci chuchotés en arrière plan sur fond de House brute et épurée. C’est la 3eme version du même morceau, et pas une once de redite. Bref, si Baxter n’avait été si friand de samples d’alarmes ou de formule 1, il aurait peut-être atteint un 6/6 bien mérité… à bon entendeur…

Note : 5/6

Page 191/208 PADDED CELL : Night must fall

Chronique réalisée par dariev stands

[voix de Pierre Bellmare] Amis de la frousse et des frissons, bonsoir. Aujourd’hui, on va un peu mélanger le télé-shopping et les histoires vraies. DC Records, label hautement fine gueule, vous propose aujourd’hui le premier épisode de sa série "Gulo veut ce disque, en vynile s’il vous plaît". Je ne sais pas si y’en aura d’autres, ça dépendra si vous êtes sages, ce qui rend ce Night Must Fall d’autant plus précieux… Premier choc : la pochette. Hommage, tout comme la musique, aux films dit Giallos des 70’s, film d’horreur typiquement Italien saupoudré d’érotisme et de mauvais goût. C’est… inimaginablement beau, je sais. Ça sent la transpiration cette affaire… ça sent les eighties suantes et trébuchantes ! Dès Savage Skulls, on hallucine devant la mise en place et la coolitude du propos. Night Must Fall est un album outrageusement simple, un album dandy, veste noire doublée en vison et tout le toutim… Mais pourtant, ça marche. Cette musique toute d’esbroufe et de sape (la vraie, la dark, la décadente, pas celle de la jet-set à la mord moi le nœud) ne cherche même pas à cacher ses ficelles, qui ne sont autres que des bons vieux cables de plateau de tournage, mais c’est justement ce qu’on aime chez elle : Padded Cell joue carte sur table, tout en la ramenant avec ses midtempos 100% disco impertinents au pays du bon goût. Décrire le style ? Ma foi, c’est une electro à la fois froide et décomplexée, dotée d’une basse noire et lugubre qui lui colle au basques, mais jamais sans son cortège de sonorités chaudes et organiques… Les architectures de synthés baroques de Konkorde Lafayette et Fare Beneath , par exemple. Saxophone en délire (En mode Stoogien sur Faces of the forest) et vocoders poussés au maximum sont les ingrédients favoris de ces deux anglais pour injecter une bonne dose de stress nocturne à leurs compos… A force de se rouler dans le faux sang et de griller sous les spots de clubs mal famés, ils finissent par ressembler pour de bon à des noirs sur Beautiful Gloom, qui du disco passe au funk, chatouillant nos pieds à l’aide de ces wah-wahs improbables. Et puis il y a Word Of Mouth, le single chanté par Chloé Battant, qu’on croirait tout droit sorti d’un maxi post-punk des années 79-82 tant cette ligne de basse et cette voix impassible exsudent une classe d’un autre age. C’est régulier, bourré de gimmicks tubesques, et ça va tourner encore longtemps sur les platines des DJ, croyez-moi. Tout l’album oscille délicieusement entre cette fameuse basse ultra monotone (elle ne change pas d’un quart de poil sur 51 minutes !), assurant le côté post-punk et dansant du truc, et ces ambiances cinématographiques chargées de phéromones, comme ce City of Lies torride. L’essoufflement du disque sur la fin lui coûte un point, mais qu’à cela ne tienne : ruez vous sur ce truc avant qu’il y’en ai plus !

Note : 4/6

Page 192/208 MALAISE ROUGE : La Pensée, 2000-2008

Chronique réalisée par Twilight

C'est toujours le même principe, si tu tombes de cheval, remonte tout de suite en selle; parfois je me dis qu'avec un groupe, on devrait éviter de rester sur une déception. C'est ce qui m'était arrivé avec les Français de Malaise Rouge (cf ma chronique), une formation que je trouvais bien sympathique mais un peu légère et mièvre. Son géniteur, Julien, a eu la gentillesse de me faire parvenir une compilation (trois albums déjà !), histoire que j'en apprenne plus et il a eu raison car Malaise Rouge a évolué au cours de ses neuf ans de carrière. On reconnaît aisément des influences new wave 80's, les Cure mais aussi probablement des combos de l'Hexagone (Little Nemo, Neutral Project, Asylum Party...); mélancolie synthétique et automnale que l'on vénérait, le trait de khôl aux yeux, quand nous avions 18 ans et dont il reste difficile de se défaire totalement une fois adulte. Voilà mon ressenti pour les cinq premières compositions extraites de 'Des pas sur la neige'; ce n'est pas désagréable mais un brin kitsch et léger quand même (notamment 'Isabelle' et son piano qui m'évoquent de par trop les Allemands de Illuminate); quant aux chansons de 'La fin d'un cycle, ce ne sont de loin pas les meilleures d'un disque déjà pas terrible. S'il y a assurément de la bonne volonté, c'est quand même du romantisme adolescent qui confond tristesse et Richard Clayderman...Encore que...Tiens, 'It doesn't change' change de ton, notamment les vocaux plus décadents et batcave...Oui, oui, c'est bien ça, 'Before the fly' confirme; les orchestrations sonnent moins naïves, le feeling est plus grave et louche davantage du côté de la cold wave que de la new wave, le chant est plus adulte, moins larmoyant. Après le 'Piano fantôme' , instrumental au piano assez dispensable, arrive ma pièce favorite, 'Interpol'; programmation roulante, synthés très 80's mais assurés, pas forcément novateur mais efficace. D'ailleurs, 'Electronic computer game' avec sa touche minimal wave poursuit dans la lignée. Visiblement Malaise Rouge a pris de la bouteille et ces morceaux-là, issus de 'Le souffle du vent', me plaisent bien. 'Romance' a été écrit comme B.O. d'un film et c'est 'La Pensée' qui clôt cette rétrospective sur des atmosphères plus proches des débuts: spoken word sur fond de nappes mélancoliques...Ca ne me convainc guère, du romantisme adolescent vis-à-vis duquel je me montre plus dur encore maintenant que la groupe m'a laissé apercevoir son réel potentiel dans un genre plus décadent. En conclusion, je serais enclin à recommander 'Le souffle du vent', si les pièces choisies sont révélatrices, voilà un disque qui doit valoir le coup d'oreille. Pour le reste, chacun jugera selon sa sensibilité, surtout qu'il parait que Malaise Rouge en concert, ça vaut la peine.

Note : 3/6

Page 193/208 THE SABRES OF PARADISE : Haunted

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Au début, ça commence avec ‘Wilmot’. On se dit que soixante-dix-huit minutes, c’est bien trop long ; on cherche à se rassurer et on file droit vers le morceau le plus love de l’album, sans se douter que c’est non seulement le meilleur titre de Sabres of Paradise mais peut-être un des plus beaux morceaux de dub jamais enregistrés. D’une sensualité sans égal, ‘Wilmot’ ressemble à une fanfare érotique filmée en plan séquence qui semble inviter tous ceux qui le souhaitent à s’enlacer sur son imparable ligne de basse, observés avec bienveillance par quelques voix et un trombone qui donne le ton. Et puis, le temps passant, on se demande de quoi sont fait les autres plans-séquences, et on arrive logiquement à ‘Tow Truck’, en se demandant par quelle magie cognitive ces sons se transforment immédiatement en images. C’est le far-west, c’est le sable, c’est le soleil qui cogne – ‘Tow Truck’ est une photographie de western, et cette fois, c’est nous le shérif. Peu à peu on réalise ce qui fait la magie de ce dub enrichi : cette puissance évocatrice qui nous transporte immédiatement dans autant d’univers fantastiques qu’il y a de titres. Chacun devient acteur de sa propre imagination, qu’il s’agisse d’inventer une histoire à partir des noms des morceaux ou de leur timbres : même si les aventures de McGuire sont résumées piste par piste dans le livret, qui sait ce que l'on peut imaginer d'autre derrière les trois merveilleuses pièces que sont ‘Duke of Earlsfield’, ‘Ballad of Nicky McGuire’ et ‘Chaper Street Market 9AM’ ? Le hall est hanté en effet, peuplé de fantômes venant de tous les horizons du septième art ; mais les décors sont bien réels et ils n’attendent que l’auditeur pour tourner leur propre film. Et quand arrive le dernier titre, si délicat et nostalgique à la fois, on tombe définitivement amoureux – et on s’y replonge : ‘Haunted Dancehall’ est une fontaine de jouvence pour les sens et l’imagination et sans doute l’une des meilleures choses jamais sorties de l’écurie Warp. Voilà quinze ans qu’elle existe, pourtant son nectar continue à se bonifier années après années quand tant d’autres sorties de la même époque sont vouées aux bac à soldes. Demandez-vous pourquoi.

Note : 5/6

Page 194/208 COHEN (Leonard) : Recent songs

Chronique réalisée par Sheer-khan

La réaction parfaite; l'humilité salutaire; la réappropriation totale par Cohen de son oeuvre, après le répugnant spectorisme précédent. Calme, serein, épuré, et qui malgré son titre évite le véritable piège qui attendait Cohen : la parodie de lui-même. En bien des points, "Recent songs" est d'abord une réaction à son prédécesseur; mais passé son titre, l'écoute révèle aussi le successeur direct de

"New skin for the old ceremony". Un album aux humeurs diverses, aux racines

élargies, aux parfums européens renforcés par le violon soliste de l'Arménien

Hakopian. Ca n'est pas plus la guitare acoustique qui prédomine, que le piano, l'orgue et une basse en avant. Ca n'est plus essentiellement de la folk, mais tout autant de la country, du blues et de la chanson populaire; Cohen ne court après aucune image, ne se soucie d'aucune aura : il continue simplement sa route. Sans doute dégouté du rose par son échec précédent, Leonard Cohen livre avec ce disque ses mélodies les plus discrètes et les plus humbles; il va jusqu'à se distancier du pathos en offrant un album d'une grande tranquillité, sans gouffre ni extase... tout

Page 195/208 en retenue. La batterie n'est présente que sur deux titres, "Humbled in love" et

"Our lady of solitude" (bon, certes, un peu de rim-shot aussi sur "the smokey life"), lents et posés. La production est d'une grande neutralité et les arrangements magistralement pondérés. "Recent songs" n'est rien d'autre qu'une leçon d'humilité; comme le sera, d'une autre manière et pour d'autres raisons, "Dear

Heather". C'est donc en toute logique que ce ravissement pour le coeur et les oreilles assume néanmoins sa place d'album mineur : il est écrit pour ça. Il est aussi terriblement attachant et charmant. L'ouverture par "The guest" nous renvoie directement au Leonard austère et mystérieux des "Story of Isaac", en même temps que son refrain nous affirme à nouveau que l'artiste compose de plus en plus avec ses racines. "Came so far for beauty" nous apparaît comme typique du Leonard délicat et peiné alors qu'il s'agit d'une pièce pour piano jazz et voix, et "the gypsy's wife" nous rappelle discrètement la capacité de Cohen à souffrir en toute beauté. Dominé par les couleurs populaires du violon d'Hakopian et l'assise élégante d'une basse profonde, "Recent songs" est un disque raffiné et particulièrement équilibré où le swing côtoie la valse, l'oud répond aux cuivres, et le piano s'attarde. "To my mother, Mascha Cohen, who reminded me shortly before she died, of the kind of music she liked". Leonard Cohen n'a pas voulu reprendre ce manteau de folk singer dont il savait déjà qu'il n'était plus le sien, il n'a pas non plus encore plongé dans la grandeur prophétique incarnée par une voix d'ébène qui donne, par delà les querelles

Page 196/208 stylistiques, sa toute puissance à la suite de son oeuvre. Entre deux, profil bas, impeccable, "Recent songs" se tient tranquille et modeste. Je vous le dit néanmoins

comme je le pense : c'est une douce merveille.

Note : 4/6

Page 197/208 KOMINTERN : Le Bal du Rat Mort

Chronique réalisée par Hellman

J'ai parlé des Martin Circus, poussé par la nostalgie que m'inspirait des nouvelles peu réjouissantes. À défaut de revenir sur ce choix purement subjectif il est vrai et qui, d'après ce que j'ai pu comprendre, n'était pas tout à fait conforme à la ligne directrice voulue par le site, j'aimerais malgré tout pouvoir continuer à démonter que la France n'était pas en reste au début des années soixante-dix. Parmi les quelques figures célèbres qui nous firent alors découvrir que sous les pavés se cachait un petit carré de sable fin qu'il ne tenait qu'à nous de cultiver, quelques uns détenaient un esprit libre de toute contrainte, motivés par une farouche indépendance. Le cas des Komintern est en ce sens des plus représentatif. Un seul disque, mais quel disque ! Le nom du groupe ne vous aura pas échappé et ne laisse place à aucun doute au sujet de leur orientation politique. C'est là un des nombreux facteurs qui, à mon humble avis, fait de Komintern le pendant hexagonal de Henry Cow. Car, ne l'oublions pas, il y a la musique aussi, la musique avant tout ! C'est bien simple ; "Le Bal des Rats Morts" annonce la couleur des excentricités futures qui donneront naissance à un groupe comme Etron Fou Leloublan (les parodiques "Hommage au Maire de Tours" ou "Pongistes de Tous les Pays"). Une approche dadaiste qui ne recule devant aucune difficulté, aucune complexité. Il y a d'abord l'ambitieuse pièce en ouverture "Bal pour un Rat Vivant" au côté théâtral évident, le morceau étant constitué d'autant de subtiles variations entre rock progressif et jazz, mais on retiendra également l'intense "Petite Musique pour un Blockhaus", poussé dans les reins par le saxophone rutilant de Francis Lemmonier qui ne craint pas de sombrer dans la démence, ni d'entraîner l'auditeur avec lui. La chanson "Fou, Roi, Pantin" laisse à penser quant à elle que Bertrand Cantat n'a rien inventé lui non plus. Bientôt trente ans que ce disque existe. Son esprit frondeur demeurera d'actualité pendant longtemps encore.

Note : 5/6

Page 198/208 MA BANLIEUE FLASQUE : s/t

Chronique réalisée par Hellman

Je me suis longtemps cassé les dents sur le sujet. Dans l'espoir un peu vain de pouvoir apporter un éclairage inédit sur la question. Mais rien n'y fait ; je ne vois pas d'autres moyens pour moi que de réitérer ici tout ce qui a déjà été dit et redit sur ce mythique groupe tricolore à la carrière éclair. Car, après tout, il y en a peut-être encore parmi vous qui n'en ont pas entendu parler. La musique de Ma Banlieue Flasque doit beaucoup à celle de Frank Zappa. Une référence essentielle qui irait presque jusqu'à remettre en cause les fondements même de sa propre existence. Ils ne sont ni les premiers ni les derniers (je pense au groupe Taal par exemple) à y avoir planté leurs racines. Des voix grotesques, des choeurs éthyliques, des parties instrumentales échevelées, une guitare prolixe et affable à la fois, un aspect jazz rock des plus prononcé : "13'20 d'happiness", qui dure moins de onze minutes en réalité, partage, c'est indéniable, une troublante parenté avec la période "One Size Fits All" du tonton moustachu. L'ambiance est bon enfant, ça déconne allègrement, ça ne prend rien au sérieux... Nous sommes en terrain connu. Cette désinvolture affichée démontre à quel point Ma Banlieue Flasque maîtrise son sujet. L'exemple le plus frappant est sans doute la longue plage instrumentale "Aller Retour Les Grésillons" qui, sans virer dans la démonstration pure, déploie une énergie communicative trop rare que pour ne pas être soulignée. Musique d'un autre temps mais d'une générosité sans faille qui, au-delà de tout débat sur des critères d'influences, montre avant tout qu'elle va puiser sa source dans une forme de plaisir, une notion aujourd'hui galvaudée à défaut d'être complètement oubliée.

Note : 4/6

Page 199/208 NLF3 : Viva !

Chronique réalisée par Hellman

Nicolas, Ludovic, Fabrice. NLF3 Trio. Si tout était aussi simple... Nos trois compères dirigent le label Prohibited Records qui accueille et distribue des artistes aussi divers que Mendelson, Patton ou Berg Sans Nipple. À des degrés divers, ce qui lie ces différentes formations, c'est peut-être la foi qui les animent dans l'exercice de leur art, où il ne s'agit pas de jouer que pour la forme, mais bien pour exprimer quelque chose d'indicible. Entendre les producteurs de Prohibited mettre la main à la patte nous rassure dans leurs intentions et conforte le choix artistique qui guide la destinée de leur label. Sous un habillage peu glorieux mais qui ne manque pas d'intriguer, "Viva !" révèle un groupe qui aime questionner la musique. En moins de vingt plages instrumentales de courtes durées, oscillant entre moins de trente secondes et quatre minutes et demie, NLF3 Trio soumet le fruit de ses recherches à nos oreilles averties. Est-ce un hasard si les claviers vintage de "Running The Sun" nous évoquent le grand sorcier des anneaux de Saturne ? Bien sûr que non. Le clavier électrique est par ailleurs partout présent, tantôt pour dessiner des arabesques mélodiques, tantôt pour maintenir l'auditeur en lévitation en se la jouant rubato. Alors... Jazz ? Post rock ? On ne sait pas très bien. Mais est-ce vraiment là le plus important ? Teinté d'une grave légerté, les dix huit morceaux de ce "Viva !" se laissent cueillir comme autant d'ébauches et de propositions vers un ailleurs possible qui prend vie sous nos yeux pour disparaître aussitôt. Une manière comme une autre peut-être de signifier qu'il ne sert à rien de tenter de déloger le beau de l'éphémère. Pouvoir l'observer est déjà en soi un immense privilège.

Note : 4/6

Page 200/208 NLF3 : Ride on a Brand New Time

Chronique réalisée par Hellman

Le triumvirat des producteurs du label Prohibited nous revient en ce début d’année avec "Ride On A Brand New Time", leur album le plus rock à ce jour. Enfin, rock, entendons-nous... En 2003, "Viva !" avait agréablement surpris les quelques curieux qui s’étaient penchés sur leur album à l’habillage faussement pop art. Il s’agissait en réalité d’une relecture contemporaine d’un jazz électrique fantasmé où nos acolytes se répandaient en dix huit petites piécettes. Sorte de Medeski, Martin & Wood hexagonal doucement halluciné, ils ne devaient alors cette comparaison qu’à un clavier électrique dominant très souvent leurs ébats instrumentaux, ainsi que des compositions à l’esprit souvent retord. Cette fois, NLF3 opte pour un exposé plus concentré : moins de titres mais toujours ce nombre d’or de 45 minutes au compteur. Ce faisant, ils règlent leur pas sur les traces laissées par d’autres mythiques défricheurs de l’indicible tels les allemands de Can ou les britanniques de This Heat, avec toutefois un sens du groove et une inventivité ramenés à des proportions plus humaines. Après tout, n’est pas un génie qui veut... Voilà un petit temps tout de même que les français ont partagé la scène en compagnie des Animal Collective et même Battles. Si c'est pas être hype ça. Cette promiscuité a fini par faire des petits, ne serait-ce qu'à travers l'intervention des guitares qui éclairent notre chemin sur "Several Kinds" ou "Shaadonga Falls". "Ride On A Brand New Time" entretient donc une approche résolument plus post rock, mais pas de celle qui lasse et s’étale de tout son long alors qu’il n’a rien plus à dire ; non, plutôt de celle qui fait voyager tout en nourrissant de doutes les possibilités ainsi engendrées.

Note : 3/6

Page 201/208 SIX CYLINDRES EN V : Dernier Cri

Chronique réalisée par Hellman

Six Cylindres en V. Curieux nom pour un groupe me direz-vous. Mais en tout point logique si on daigne jeter un oeil au moteur qui chante sous cette carosserie aux couleurs criardes. Une batterie face à un ensemble de six souffleurs. Qui dit mieux ? D'une part, Yves Colombain (trombone), Jean-Marc Sohier (tuba) et Marin Favre (bayton) se relayent voire se chevauchent pour créer des lignes de basse. D'autre part, les saxophonistes Antoine Prawerman, Patrick Cuisance et le trompettiste Yves Menut montent en première ligne pour sonner la charge des mélodistes. Quelques effets de voix viennent ponctuer ces échanges sans en chambouler l'architecture. À ma connaissance, il n'existe pas de comparaison possible et définitive qui aiderait à mieux cerner ce que le groupe a tenté d'accomplir sur ce "Dernier Cri", première et ultime publication des Six Cylindres en V. C'est bien dommage. Toutefois, avec un peu d'imagination, on pourrait ériger un parallèle entre leur démarche et celle des Urban Sax, à la différence qu'ici, l'élément percussif devient le pivot central de l'oeuvre. D'ailleurs, la redondance de ces rythmes contribuera largement à faire en sorte que cette musique née d'une écriture exigeante et ambitieuse puisse se parer d'atouts à même de plaire à un plus large panel d'auditeurs. Si peu en vérité. Enlevé et loufoque ("Rolling Pistones"), lyrique ("Les Fourmis"), aux accents de film noir ("Marche piedenez"), complexe comme sur "Mobile" où Proust s'essaye à différentes combinaisons rythmiques, voire obsédant ("Wao"), l'album terminera sa belle cavalcade sur sa note la plus emblématique, celle du très fouillé et inquiétant "Midi à 14 heures". Il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir exprimer tant de sentiments et visiter tant d'univers distincts avec une instrumentation aussi fortement connotée. Six

Cylindres en V y est parvenu. Et de fort belle manière.

Note : 5/6

Page 202/208 Informations

Vous pouvez retrouvez nos chroniques et nos articles sur www.gutsofdarkness.com.

© 2000 - 2009

Page 203/208 Table des matières

Les chroniques ...... 3

D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Gold Und Liebe...... 4

D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Für Immer...... 5

COMPILATIONS - BANDES ORIGINALES DE FILMS : Shallow Grave - Music From The Motion Picture ...... 6

SAINT VITUS : Born too late ...... 7

FLIPPER : Generic...... 9

BECK : Loser ...... 11

NEON : Oscillator...... 12

FUGAZI : 13 Songs ...... 13

FUGAZI : Repeater + 3 Songs...... 14

FUGAZI : Steady Diet Of Nothing ...... 15

FUGAZI : In On The Kill Taker ...... 16

FUGAZI : Red Medicine...... 17

FUGAZI : End Hits ...... 18

FUGAZI : The Argument...... 19

QUICKSAND : Slip...... 20

FUGAZI : In On The Kill Taker ...... 21

FUGAZI : Red Medicine...... 23

FRONT 242 : No Comment (1984-1985) ...... 25

COMPILATIONS - DIVERS : Not Alone...... 27

FUGAZI : The Argument...... 28

GUAPO : Elixirs ...... 30

THERAPY? : Caucasian Pyschosis ...... 31

THERAPY? : Born In A Crash ...... 32

COIL : Windowpane ...... 33

COIL : The Snow EP...... 34

AGNELLO (Francesco) : Hang 1 ...... 35

TIAMAT : Wildhoney...... 37

APHRODITE'S CHILD : 666 ...... 39

COIL : The Angelic Conversation ...... 41

MITCHELL (Joni) : Song to a seagull...... 42

EXPULSION : Overflow ...... 44

SAD WHISPERINGS : Sensitive to autumn ...... 45

Page 204/208 VENI DOMINE : Fall babylon fall...... 46

AUS DECLINE : Retrospettiva 1981-84 ...... 47

REDSHIFT : Turning Towards Us ...... 48

BLAKULLA : S/t...... 49

MAGUIRE (Alex) : Brewed in Belgium ...... 50

MARTYN (John) : Solid Air...... 51

MARTYN (John) : Grace and Danger ...... 52

MARTYN (John) : Glorious Fool...... 53

WAITS (Tom) : Orphans ...... 54

WAITS (Tom) : Orphans 1 : brawlers...... 61

WAITS (Tom) : Orphans 2 : bawlers...... 65

WAITS (Tom) : Orphans 3 : bastards ...... 68

SCHULZE/GERRARD : Rheingold...... 71

SCHULZE/GERRARD : Rheingold DVD ...... 73

THERAPY? : Trigger Inside...... 74

PARADISE LOST : Host...... 75

ZIMMER'S HOLE : Bound by fire ...... 77

ACID BATH : When The Kite String Pops...... 78

BRIGHTER DEATH NOW : Necrose Evangelicum...... 80

CASHMORE (Michael) : Sleep England...... 81

CASHMORE (Michael) : The Snow Abides ...... 82

THE DISRUPTERS : Gas the punx...... 83

QNTAL : IV - Ozymandias...... 84

LES SENTIERS CONFLICTUELS / ANDREW KING : 1888...... 85

SPECIMEN : Alive at the Batcave...... 86

NOVEMTHREE : Of my mother's weary wanderings ...... 87

THE JOY OF NATURE : The shepherd's tea at 7...... 88

THERAPY? : Semi-Detached...... 89

BONE PARADE : Bone Parade...... 90

CLINT RUIN / LYDIA LUNCH : Don't fear the reaper ...... 91

Henry Threadgill's AIR : Live air...... 92

XTC : Black sea ...... 93

CURRENT 93 : Black Ships Ate The Sky...... 95

COMPILATIONS - TRIBUTE ALBUMS : Four Ways Of Saying H₃O ...... 96

GESCOM : Gescom E.P...... 97

Page 205/208 GIRLS UNDER GLASS : Flowers...... 98

GIRLS UNDER GLASS : Darius ...... 99

DOLOROSA : De mutation en mutation ...... 100

FROZEN SHADOWS : Empires de glace...... 102

FROZEN SHADOWS : Dans les bras des immortels...... 104

ASTROFAES : Those whose past is immortal ...... 107

LUCIFUGUM : Instinct prevelance...... 108

ALGHAZANTH : Osiris-typhon unmasked ...... 109

MACTÄTUS : The complex bewitchment ...... 110

THE HAFLER TRIO : Kill The King...... 111

SOLEFALD : Red for fire : an icelandic odyssey part 1 ...... 112

SOLEFALD : Black for death : an icelandic odyssey : part 2 ...... 113

ASSAGAI : S/t ...... 114

ASSAGAI : Zimbabwe ...... 115

FRANCIOLI (Leon) : Nolilanga...... 116

ENSEMBLE MUNTU : First Feeding...... 117

MIN BUL : S/t...... 118

THERAPY? : Shameless...... 119

MOBB DEEP : Murda Muzik...... 120

KELLER & SCHONWALDER : Sakrale Tone...... 121

COSMIC HOFFMANN : Outerspace Gems...... 123

BROEKHUIS,KELLER & SCHONWALDER : Live @ Dorfkirche Repelen 2 ...... 124

THERAPY? : High Anxiety...... 127

THERAPY? : Never Apologize Never Explain...... 128

CHARLES DE GOAL : 3 ...... 129

CHARLES DE GOAL : Etat général...... 130

CYPRESS HILL : III : Temples Of Boom...... 131

THERAPY? : One Cure Fits All ...... 133

JERU THE DAMAJA : Still Rising...... 134

CHARLES DE GOAL : Restructuration...... 136

U2 : Boy ...... 137 zZz : Running With The Beast...... 139

YELLO : Solid Pleasure...... 141

ILL BILL : What's Wrong With Bill ?...... 142

C-TEC : Darker ...... 143

Page 206/208 COURTIS / MARHAUG : North And South Neutrino ...... 144

KERNEL : The Deep ...... 145

COIL : Unnatural History I ...... 146

COIL : Unnatural History II...... 147

PRIMORDIAL : To the nameless dead ...... 148

SOLE and The SKYRIDER BAND : Sole And The Skyrider Band ...... 152

THE DRONES : Havilah ...... 154

KTL : IV...... 155

GAGARIN : Adaptogen...... 156

TROTIGNON (Baptiste) : Share...... 157

VANDAL X : All Lined Up Against The Wall ...... 158

COHEN (Leonard) : Songs Of Leonard Cohen ...... 159

MERZBOW & KIM CASCONE : Rondo/7phases/Blowback ...... 161

KIKURI (Masami Akita & Keiji Haino) : Pulverized Purple...... 162

SLY & ROBBIE / AMP FIDDLER : Inspiration information...... 163

COHEN (Leonard) : Songs from a room ...... 164

JONES (Grace) : Warm leatherette...... 169

FAHEY (John) : Fare forward voyagers ...... 171

MATMOS : The West...... 172

U2 : October ...... 174

COHEN (Leonard) : Songs Of Love And Hate ...... 175

COHEN (Leonard) : New skin for the old ceremony ...... 177

U2 : War ...... 179

COMPILATIONS - DIVERS : Parallélisme et Perpendicularité ...... 180

LANOIS (Daniel) : Belladonna...... 181

LANOIS (Daniel) : Here is what is...... 182

COHEN (Leonard) : Death Of A Ladies' Man...... 184

PALINDROME : Rions Noir...... 186

HYPNOSKULL : Industrial Owes Us Money...... 187

APHEX TWIN : Classics...... 188

COMPILATIONS - DIVERS : Hardcore Fever – Extreme Mission Vol.1...... 189

EAT STATIC : Interceptor remixes...... 190

BAXTER (Blake) : Dream sequence ...... 191

PADDED CELL : Night must fall ...... 192

MALAISE ROUGE : La Pensée, 2000-2008...... 193

Page 207/208 THE SABRES OF PARADISE : Haunted Dancehall...... 194

COHEN (Leonard) : Recent songs...... 195

KOMINTERN : Le Bal du Rat Mort...... 198

MA BANLIEUE FLASQUE : s/t...... 199

NLF3 : Viva ! ...... 200

NLF3 : Ride on a Brand New Time ...... 201

SIX CYLINDRES EN V : Dernier Cri ...... 202

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