Dessin de Mlle Chantai Rodary.

L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE

LE MILIEU La chaîne du Jura, considérée dans son ensemble, de Belley à Montbéliard, forme un vaste croissant qui s'étire sur 300 km de long et 50 à 80 km de large, présentant deux reliefs bien distincts : Au Sud d'une ligne Lons-le-Saunier - Morez, le Jura est plissé en une multitude de chaînons parallèles, orientés Nord-Sud, large­ ment ouverts aux influences méridionales. Au Nord de cette ligne, le Jura est constitué par des plateaux dont les gradins s'élèvent par paliers souvent peu accentués depuis les plaines de la Bresse et de la Haute-Saône jusqu'à la frontière suisse. Le climat se caractérise avant tout : par une pluviosité élevée de 1 à 2 m par an, à peu près uniformément répartie entre tous les mois de Tannée, avec une insolation encore vive, mais décroissant du Sud au Nord, des températures moyennes annuelles allant de io° sur la bordure occidentale à 50 à l'altitude de 1200 m. Le climat est beaucoup plus continental et rigoureux que ne le laisserait supposer l'altitude modérée de la chaîne: les écarts des 770 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE maxima et des minima dépassent 50o, le nombre des jours de ge­ lées qui est de 120 sur le bord occidental atteint 170 dans le Haut- Jura ; dans certaines combes ou bassins fermés, il gèle même pen­ dant tout l'été. La période de végétation qui est encore de 5 mois et demi sur les plateaux inférieurs se réduit à moins de 4 mois dans le Haut-Jura. Le sol repose sur des roches calcaires ou marneuses ou des for­ mations fluvio-glaciaires: sables riches en calcaire. A l'exception des argiles et des marnes, tous ces sols sont perméables en grand et le Jura ne possède que de rares sources vauclusiennes. La cir­ culation souterraine des eaux entraîne la formation de « dolines » où s'accumulent des sols bruns profonds. Sur les calcaires durs, si abondants dans le Sud de la Chaîne, ce sont les rendzines et les sols squelettiques qui dominent. Les sols bruns fortement lessivés eny surface par suite de la pluviosité, n'existent que sur les marnes et les calcaires tendres, qui dominent dans le Nord de la chaîne. En général, le sol est faiblement évolué, peu dégradé, sa fertilité dépend avant tout de sa profondeur, celle-ci est beaucoup plus gran­ de dans le Jura des plateaux que dans le Jura plissé.

LA VOCATION SYLVO-PASTORALE Le climat montagnard rigoureux, avec une forte pluviosité, im­ pose une vocation sylvo-pastorale: forêts et pâturages sont les seuls modes rationnels et productifs de mise en valeur. Les sols les plus profonds ont bien été défrichés et mis en cul­ ture pour nourrir une population beaucoup plus dense qu'aujour­ d'hui et qui devait vivre en économie fermée. Mais la médiocrité des rendements et les aléas des récoltes ont rapidement fait re­ gresser. les cultures surtout celles des céréales au profit .des pâtu­ rages dans l'économie moderne. En année pluvieuse, comme en 1954, les céréales de printemps seront moissonnées dans le Haut- Jura peu avant les premiers flocons de neige.

LE PASSÉ « Le passé commande le présent. Car il n'est presque pas un trait de la physionomie rurale de la d'aujourd'hui dont l'exploitation ne doive être cher­ chée dans une évolution dont les racines plongent dans la nuit des temps. » (M. BLOCH. Les caractères originaux de l'Histoire rurale française. Paris, 1952.) Avant toute action humaine, la forêt feuillue ou résineuse plus ou moins dense et somptueuse, couvrait la totalité de la chaîne, même les sols lea plus rocheux, les lappiaç ou laizines, les tourbières et les plus hauts sommets, ...... L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 771

-Actuellement* la végétation forestière se maintient encore dans les "tourbières (pin à crochet '- bouleau pubescent)1; dans la forêt du Massacre, l'épicéa et l'érable sycomore couvrent le sommet du Crêt Pela à 1 4*95 m d'altitude et la forêt de pin à crochet à caractère subalpin tapisse les éboulis du Crêt de la Neige jusqu'à I 718 m d'altitude. tes. alpages du Haut-Jura ont été entièrement défrichés dans la forêt de l'étage montagnard supérieur.

De la préhistoire au Moyen Age : Les premiers défrichements remontent à l'époque néolithique. Les plateaux ont été très tôt colonisés par l'homme attiré par la présence du sel dans les sources salées des affleurements du Trias, puis plus tard par les nombreux gisements de minerai de fer de l'Infralias et de rOxfordien. Les alluvions glaciaires, les sables plus faciles à tra­ vailler furent défrichés en premier lieu. ..Au bord des lacs, des cités lacustres prospérèrent en entretenant clés cultures dont on a retrouvé les produits (orge à 2· à 6 rangs, pavot, 'œillette, lin, millet, pois) et les instruments aratoires. A. l'âge du bronze, les innombrables tumuli encore parsemés sur les plateaux et maintenant recouverts par la -forêt, attestent l'am­ pleur du peuplement humain qui entretenait des relations avec les pays méditerranéens, (vases grecs dans les tumuli). Ces défrichements ne furent cependant que des clairières dont de nombreuses sont à l'origine des lieuxdits « Chaux », reliées par des pistes et disséminées au milieu d'une vaste forêt, car en 58 avant J.-C, la Séquanie renfermait encore des forêts impénétrables qui effrayèrent les légionnaires de César en marche contre Arioviste (1). Le défrichement de vastes étendues sur les plateaux et dans les vallées et les combes ne fut vraiment entrepris qu'au haut Moyen - Age par le « cerneux » (annellation circulaire) et Γ « essart » (le feu) (1) et avec le concours des chèvres. Le Haut-Jura, domaine du sapin et de l'épicéa, était inhabité au v* siècle au moment où Saint Lupicin et Saint Romain fondèrent les Abbayes de Condat (Saint-Claude) et de Romainmotier, et quand Saint Point s'établit au Lieu sur les rives du lac de Joux (canton de Vaud). L'auteur de la vie de.Saint Romain (1) donne de la forêt vierge du Haut-Jura une description saisissante dans un texte que la tradi­ tion date du νιθ siècle et qui n'est pas postérieur au viue siècle. Le défrichement des « Joux noires » qualifiées de « déserts » ne

(1) L. TURC. Etat des bois des communautés dépendant de la juridiction des maîtrises de Besançon et de Baume-les-Dames avant l'application de l'Ordon­ nance de 1669. Livret du Cinquantenaire de la Société forestière de Franche- Comté, 1947, pages 177, 194, 195, 206. 77* REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE prit vraiment de l'importance qu'après la fondation au xie siècle des monastères de Mouthe, Mont-Sainte-Marie, Montbenoit, Morteau. Au xiii6 siècle — la plupart des grands défrichements du Jura central : plateaux de Levier, Ornans, Vais, de Mièges et du Grand- vaux, étaient achevés, puisque c'est de cette époque que datent la fondation des premières « fruitières » pour la fabrication en com­ mun du fromage de gruyère (Levier, 1264 - Deservillers, 1267 - Poligny, 1287), ce qui implique l'existence d'importants troupeaux de vaches laitières vivant sur des pâturages étendus et dans des fo­ rêts clairiérées. L'économie fermée du Moyen-Age était profondément différente de la nôtre, il n'y avait pas séparation nette de la forêt, des pâtures et des cultures, cette ségrégation est une conception moderne. C'est de cette époque que datent le pâturage en forêt, la formation des prés-bois résineux et feuillus et la vaine pâture. La forêt feuillue fut traitée en « chênes-clairs », véritables ver­ gers destinés à produire le maximum de glands pour la nourriture et l'élevage des porcs, le panage était alors une des ressources fon­ damentales de l'économie rurale. Cette formation forestière répan­ due dans toute l'Europe occidentale a pu persister en Franche-Com­ té jusqu'au xviir3 siècle, non sans subir de sensibles dégrada­ tions (2). Un grand nombre de communautés avaient même conser­ vé à proximité immédiate du village de petits cantons peuplés de chênes clairs, à la manière dont on ménage dans une exploitation agricole un parc à la porte de l'étable et pour des motifs du même ordre (3) (Voir photo n° 6). θ A la fin du χνι siècle, GOLLUT, dans ses « Mémoire historiques de la République Séquanaise et des Princes de Franche-Comté » (Dole, 1592, Livre II, Chap. XVII) a bien mis en évidence le rôle des forêts feuillues dans l'économie de l'époque (4), il les qualifie de « troisième grenier de Bourgogne ». 'La forêt résineuse produisait bien entendu les bois indispensa­ bles à la construction, à la couverture des maisons (tavaillons), à la fabrication de nombreux ustensiles, aux clôtures faites de perches assemblées, et dont l'entretien exigeait une quantité énorme de jeu-

(2) L. TURC, op. cit., page 176. (3) L. TURC, op. cit., page 195. (4) L. TURC, op. cit., page 177 : « Quant aux bois (pour la multitude desquels nos voisins coutumièrement se « mocquent), ils sont couchés pour une singulière commodité et profit de tout € le peuple, non seulement pour la nécessité des bâtiments et du chauffage, ou « pour le plaisir et profit des bêtes sauvages qui s'y établent en infinie multi- « tude, mais encore pour le gland, faîne, cerises, pâturages et autres telles « choses nécessaires au bétail, desquels on tire tant de profit que nous disons « cela valoir une troisième portion des graines du pays. « Et c'est pourquoi les laboureur les appellent le troisième grenier cfe Bour- « gogne... %. L'ÉQUILIBRE AGROSYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 773 nés bois, chaque année qualifiée de « gâchis » (5). Mais ces bois d'oeuvre et d'industrie, si appréciés de nos jours ne pouvaient être transportés au loin et restaient de faible valeur. Le seul produit exportable était la poix, recherchée pour l'éclairage et fabriquée à l'aide de l'épicéa dans de nombreux fours. Cette fabrication était si importante qu'elle justifia la création d'un monopole au χπιθ siècle au profit du Prince de Chalón (6). Les céréales : orge, avoine et même « froment » étaient cultivées dans tous les endroits à sol suffisamment profond, préalablement épierrés avec soin, notamment au fond des dolines, même les plus petites, situées au milieu des pâtures et des forêts, elles étaient pro­ tégées contre le bétail par des murs en pierre sèche et des clôtures en perches. t L'épierrement de ces terres cultivées a créé les innombrables murgers qui parsèment les plateaux et qu'on trouve jusqu'à 1 000 m d'altitude au pied de la chaîne de la Haute-Joux par exemple. Ce sont les « fouillas » des communaux de Grandvaux dont les limites sont encore visibles, les communaux de la Commune de (ancien souvenir du panage?) situés à 900 m d'altitude et loués aux habitants de la Commune voisine de par pe­ tits lots d'un journal pour la culture. Les habitants de Bellefon­ taine tentèrent même de défricher la partie orientale du Risoux à 1 200 m d'altitude, dont certaines parcelles portent encore le nom de « Clos, Blés, Méchonnais » et conservent les ruines de maisons fort anciennes. Rebutés par les maigres résultats de leurs peines, ils abandonnèrent leurs entreprises et les Blés et Méchonniers ne furent bientôt plus que des pâturages (7), eux-mêmes envahis mainr tenant par la forêt. En Franche-Comté, la répartition entre les forêts et les cultures a été réglementée par deux coutumes fort anciennes et qui parais­ sent à première vue contradictoires. Tout d'abord: « le bois acquiert le plain », c'est-à-dire les « plains » (défrichements) abandonnés et se couvrant de brous­ sailles appartenaient au propriétaire de la forêt, façon simple de solutionner les contestations de limites et moyen énergique pour obliger les propriétaires à entretenir leurs cultures et leur pâtures. Ensuite les « usagers qui défrichaient et mettaient en culture une portion de foret ou de parcours communal en acquéraient la pro­ priété, excellente façon d'encourager les défrichements, mais qui ne devait pas tarder à donner lieu à des abus. Louis de CHALÓN, plaidant contre les habitants de Salins qu'il voulait chasser de la forêt de La Joux, insiste sur le danger que

(5) J.-M. LEQUINIO. Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura. 15 frimaire An IX, p. 429. (6) L. TURC, op. cit., p. 206. (7) Abbé M. BERTHET. Histoire du Risoux, manuscrit. 774 A- r ·' -:' REvnjE FORESTIÈRE; FRANÇAISES IÚ" ;?i;.'.'. pourraient -faire courir : à la f ofêt:• les'déf richements des usagers (arrêt du Parlement, de Dole de 1442);; (8). J-IJ-:"-?'- h> :' · ^ * G'est en exécution : de cette ¡coutume; que? certaines forêts :ou '•; cer­ tains parcours communaux. sqnt encore criblés; d-enclaveiViparticu- Hèresj souvent minuscules, correspondant à ^autant de dolines. -•;:-í.¿-i 1 Un bel exemple de ces -défrichements «;l abusi f ¿ V- èst - èeluî Hes enclaves dans les forêts communales *de Crassiâ• et- der;-Lèi:sià · siif lé premier plateau du Jura à 435 m d'altitude sur calcaires Bàthonien. Ces ·ψ cantoris de îorêts: çontigus d'une étendue/totále de;146' Ka renfermant SÖ enclaves, d'une surface totale de 7,22 hà, la toritenaii- ce moyenne d*üne enclave ressort à 8,4 ares (voir! carte η* τ).-'" ';"; A l'heure actuelle, 6 enclaves sont encore cultivées, 18 sont eu nature de prés, toutes situées à proximité du périmètre, 62 à, l'in te­ neur du massif sont boisées, mais toutes ont été défrichées et culti; vees." .^ '.=".:...... ·..:: - ' • . „ i--U.. )\ La Déclaration royale du 13 août 1766 ayant accordé des encou­ ragements à ceux qui défrichaient des landes. et terres inculi es, les Comtois profitèrent -pouf', intensifier les défrichements des commu­ naux..".^ , . _,',;./ [".,'. .'.,..·•. ; . . V. '""·' "";..- Un arrêt du Parlement de Besançon du 27 janvier 1769 dûment motivé, mit fin à cette coutume en interdisant l'appropriation, des Communaux après défrichement (9). . ., , • , -, ; .

.(8),L. TURC. Lettre manuscrite du 22 juillet 1954 (9) ARRET DU. PARLEMENT DE BESANÇON . .:. qui fait défenses à tous particuliers de défricher aucune portion des terrains communaux/à prétexte de la Déclaration du 13 août 1766, etc..: Du 27 janvier 1769. Publié le 31 du même mois. , -..: «i .Sur la requête présentée à la Cour par le Procureur Général du Roi, conte­ nant: Que plusieurs de ses Substituts l'ont informé qu'un £rand nombre de particuliers de leur ressort, affectant de donner une fausse interprétation a la Déclaration du Roi du 13 août 1766, publiée à la Cour du 5 janvier 1767, qui accorde des encouragements à ceux qui défricheront les landes et terres .incul­ tes,.^, sont ingérés à mettre au greffe des Bailliages, des déclarations portant qu'ils., se proposent de défricher une quantité plus ou moins grande des com­ munaux. Plusieurs Communautés sentant l'injustice dé pareilles entreprises, se sont déjà; pourvues pardevant les Bailliages, pour les faire déclarer nulles, et empêcher les défrichements projettes; mais comme il en est encore un. .très- grand nombre qui ne s'y sont point opposées, et qu'il seroit dangereyx que; par ignorance, ou par d'autres motifs, elles ne laissassent usurper leurs terrains par la^ force de la prescription, il est important d'y pourvoir. Il est très sin­ gulier qu'on ait cherché à se persuader que le Roi, qui n'a rien tant à coeur que de conserver aux Communantés la possession de leurs terrains; communaux qui les aident à payer les charges de l'Etat, et pour l'aliénation desquels S.M. exige les besoins les plus urgens et les plus grandes formalités, ait eu intention (l'introduire une Loi nouvelle, pour en faciliter les aliénations et lès étayèr sur des usurpations toujours odieuses et éprouvées par lés Loix, qui exigent la bonne foi, du moins pour commencer à prescrire. A CES CAUSES, le Procureur général du Roi requiert, qu'il soit ordonné, etc.. (Le réquisitoire· est conforme au dispositif). Vu le réquisitoire du Procureur général du Roi, la Déclaration du 13 août 766, vérifiée en la Cour le 5 janvier 1767. Oûï le rapport de Mes- L'ÉQUILIBRE 'ÄGRO^SYLVÖ-PÄSTÖRAL ÜAÑS LE JURA 775

XVIe, XVII*, XVIIIe SIÈCLE Les défrichements ont suivi les étapes de la colonisation humaine s'intensifiant pendant les périodes de paix et de prospérité. Au xvie siècle, la Franche-Comté, sous le règne de Charles-Quint, de Philippe II et de l'Archiduc Albert et les sages gouvernements de Marguerite et Marie d'Autriche, connaît, à l'abri des guerres, une prospérité qui en fait un âge d'or. C'est l'époque des grands défri­ chements et des forêts « troisième grenier du Comté de Bourgo­ gne ». Le xviie siècle fut par contre marqué par les dévastations de la guerre de Trente Ans, appelée, en Franche-Comté, guerre de io ans : 1633-43 : incendies des villes et villages, pillages, épidémies, anéantissement de la population, puis par les guerres de la.conquête française : 1668 et 1674. A la fin de cette période douloureuse, la Franche-Comté a perdu les 3/4 de ses habitants, les familles les plus aisées ont émigré (10). Ce sont les Savoyards et les Fribourgeois qui repeupleront la Fran­ che-Comté. Au cours de ce demi-siècle de dévastations, la forêt a envahi une partie des pâtures et des essarts laborieusement défrichés au cours des siècles précédents. Les enrésinements naturels importants des taillis de basse altitude: La Fresse, La Joux de , datent de cette époque d'abandon du sol par l'homme. La Franche-Comté devait se relever rapidement de ses ruines et connaître une nouvelle prospérité avec l'installation de la métal­ lurgie à la fin du xvine siècle et une densité de population qui at­ teindra son apogée en 1840. La Révolution française favorise le partage des communaux et le défrichement des forêts. LEQUINIO, ex-conventionnel breton, nommé Chef de l'Adminis­ tration forestière dans le Jura après le 18 Brumaire, a décrit minu-

sire Claude-Etienne Talbert, Seigneur de Nancray, Conseiller-Doyen, Rappor­ teur, et tout considéré. La CouRi faisant droit sur le réquisitoire du Procureur général du Roi, a déclaré et déclare comme non avenues les déclarations remises aux greffes des Bailliages du ressort par les Particuliers, concernant les défrichements des terrains communaux appartenant aux Communautés : En conséquence lad. Còur fait défense à tous Particuliers de défricher aucune portion des terrains com­ munaux, à prétexte de lad. Déclaration du 13 août 1766: Ordonne que le pré­ sent Arrêt sera lu, publié et enregistré aux actes importans de la Cour, pour être exécuté suivant sa forme et teneur, imprimé et affiché par-tout où besoin sera, e que copies collationnées en seront envoyées dans les Bailliages, Sièges présidiaux et autres Juridictions du ressort, pour y être paraillement lu, publié, registré et affiché, à ce que personne n'en ignore. FAIT en Parlement à Be­ sançon, le 27 janvier 1769. Signé, CATTON/ Collationné. Signé, CAMBOLY. Publié le 31 du même mois. Signé, POURCHERESSE. (10) B. et M, BERTHET. Histoire de Franche-Comté, Besançon, 1944, p; 84. 776 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE ; ^ ; tieusement le défrichement pendant la Révolution, de la forêt com­ munale de Sellières, à J'orée de la plaine de la Bresse (n). 30 ha de cette forêt non défrichés à la Révolution, furent distraits du Régime forestier en 1849, défrichés de 1849 à 1879, loués1 par lots aux cultivateurs, abandonnés et reboisés à partir de 1916, ils viennent d'être à nouveau soumis au Régime forestier en 1951.

LE ΧΙΧΘ SIÈCLE , L'économie fermée avec surpopulation rurale, pâturage intensif et défrichement des forêts subsista jusqu'en 1840-1850. A partir du milieu du xixe siècle, la construction des voies ferrées, le développement de l'industrie, l'essor des transports automobiles devaient amener l'instauration d'une économie ouverte et des boule­ versements dans l'équilibre agro-sylvo-pastoral/ Nous résumons ci-après pour le département du Jura, les résultats de cette évolution pendant les 100 dernières années (12). — le département a perdu 110 000 habitants, soit le 1/3 de la population recensée en 1841, — les cultures de céréales perdent la 1/2 de leur surface : de J13 000 à 64000 hectares — certaines cultures : chanvre, oléagineux, ont totalement disparu. — les vignes perdent les 4/5 de leur importance : de 21 000 à 4 500 hectares, — les prairies artificielles passent de 1 500 à 63000 hectares, la culture du sainfoin et du trèfle a été introduite par Claude-Antoine

(11) LEQUINIO, op. cit., p. 17. Les habitants de Sellières ont pendant la Révolution, partagé la forêt com­ munale, qu'ils possédaient au couchant de la ville et chacun a défriché son lot : les buissons et les souches de taillis ont été arrachés pour que la bêche et la charrue puissent creuser le terrain, mais les arbres qui s'élevaient en futaie n'ont été qu'éclaircis, les plus jeunes seulement, ceux qui n'avaient qu'une très petite grosseur et fort peu de racines ont été soigneusement arrachés. Quant aux chênes vigoureux qui ont vu des siècles s'écouler, leur tige est volumineuse, leurs racines très grosses s'étendent fort loin et ces racines per­ cent très creux (sic) à l'intérieur du sol. Il en eut trop coûté pour les arracher et cet arrachis eut exigé trop de temps. Le terrain est bon, il promettait d'abon­ dantes récoltes et on est pressé de les obtenir. On s'est contenté de cerner ces vieux chênes en bas, c'est-à-dire de leur en­ lever une bande circulaire d'écorce de 1 à 2 pieds de hauteur, cette opération arrête absolument le passage de la sève et l'arbre ne rapporte plus de feuilles. Il périt dans l'année, cependant il tient encore debout, ses racines à la vérité ne peuvent plus donner issue à la sève qu'elles pompaient de la terre, ni rece­ voir celle qué lui renvoyaient les feuilles après l'avoir humé dans l'atmosphè­ re (sic) mais la dureté de leur contexture est telle qu'il faut beaucoup d'années pour qu'elles pourrissent et que l'arbre tombe. Durant nombre d'années, au-dessus des luzernes, des sainfoins des plus ri­ ches moissons, vous les verrez étendre leurs membres décharnés. (12) Enquête sur le Jura depuis cent ans. Lons-le-Saunier, 1953. Le milieu rural, par J. BRELOT, p. 59 et suiv. ñ

ι. — Pré-Bois du Haut-Jura. Territoire de Prémanore. Pré-Bois en ordre dispersé - très dense. Pelouses envahies par la Gentiane.

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2. — Une combe défrichée du Haut-Jura avec séparation totale du pâturage et de la forêt. La Combe aux Bœufs. Territoire des Nans, sur marnes oxfordiennes. A droite, à gauche et au fond: Sapinière (forêt de la Joux sur calcaires bathoniens. (Clichés Lachaussée.) '-. "V /ί •

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3. — L'équilibre sylvo-pastoral dans le Haut Jura. Territoire de Lajoux. Au ΓΜ* plan: pâturage - prairie de fauche enclose de mur. Citerne abreuvoir avec balancier. Au 2tì plan : pré-bois - Chalet fromagerie de la Regarde - Alt. : I 300 m. Au fond : forêt du Massacre.

4. — Une combe étroite défrichée en forêt communale de Prenovel (Jura). (Altitude: 900 m.) (Clichés Lachaussée.) L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-Ï*ASTORAL DANS LE JURA 777

GIROD à Mièges en" 1786, avec apport du gypse provenant de Sa­ lins (13), 8 Λ - - ^ .·'•'• : -^ les prairies naturelles augmentent de 89000 à 132000 ha, au détriment des cultures, la surface totale enherbée couvre actuelle­ ment" les 2/5 du département (195 0000 ha), — le cheptel bovin diminue de 1721000 à 139000 têtes, il en est de même pour les moutons "et les1 chèvres qui ont joué un si grand rôle dans le défrichement. Mais cette évolution a été très lente, elle continue encore actuel­ lement .et elle ne s'est pas produite sans difficultés, comme tout ce qui concerne le monde rural. La régression des cultures n'a commencé qu'assez tard. De i860 à 1865 le Conseil Général du Jura a demandé avec insistance que le Service forestier autorise: la Culture de la navette dans les taillis aus­ sitôt après la coupé pour utiliser le découvert du sol ! Le pâturage en forêt avait tenu une très grande place dans l'an­ cienne économie rurale : « La forêt fut pour l'antique laboureur le domaine indispensable, qui prolongeait et complétait les champs » (14). Dans son règlement de 1727, le Grand Maître Réformateur MA- CLOT n'avait pas hésité à maintenir ou à étendre très libéralement les droits de pâturage dans toutes les forêts affectées aux Salines de Salins, alors qu'il avait très durement restreint ou supprimé les droits d'usage aux bois d'oeuvre et de feu. En 1850: 34 oòo têtes de bétail étaient admises au pâturage dans les forêts soumises au Régime forestier' du département du Jura. •En 1951, ce nombre était réduit à 3 150 et encore beaucoup de de­ mandes ne sont pas suivies de fréquentation effective, sauf en année sèche comme en 1893 et en 1949. La difficulté du recrutement des pâtres, l'amélioration de la pro­ duction fourragère en quantité et en qualité, l'extension des parcs clos amènent la disparition du pâturage en forêt. Quant à l'extension de la forêt au détriment des pâturages, nous citerons l'exemple de la commune de , située dans le Jura central, sur le plateau de Nozeroy, à 865 m d'altitude, son ter­ ritoire s'étend sur 2748 ha jusqu'aux sommets de la Haute-Joux à 1 175 m d'altitude. En 1773, cette Commune, qui possédait déjà 190 ha de pâturages communaux à proximité immédiate du bourg, bénéficia d'un can- tannement de droits d'usage dans la forêt particulière de la Haute- Joux appartenant alors à la Comtesse de LAURÁGAIS. Ce cantonne­ ment de 700 ha était situé à proximité immédiate de 11 granges ou fermes, provenant de défrichements dont certains remontent au xve

(13) S. GuYÉTANT. Essai sur l'état actuel de l'Agriculture dans le Jura. Lons-le-Saunier, 1822. (14) G. ROUÎPNEL. Histoire de la campagne française, 1932, p. 116. 77& : REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE - siècle (Le Chakmet 1425). Certaines granges formaient des hameaux, cinq possédaient les fromageries, beaucoup pratiquaient l'estivage des jeunes bovins achetés au printemps et revendus à l'automne ; tout le bétail de ces fermes ainsi que celui du bourg, malgré une dis­ tance de 5 à 8 km exerça un pâturage intensif dans le cantonnement nouvellement concédé. , .Le cantonnement fut réduit à l'état de pré-bois extrêmement clair, les pâtures s'étendirent sur plus de la moitié de la surface avee.çà et là quelques bouquets d'épicéa, çt des taillis de hêtre abroutis et dégradés par les nombreuses chèvres introduites aussitôt après les coupes. ..;En. 1813,Jors de rétablissement du cadastre, 299 ha furent clas­ sés en bois, 441 ha en pâture. La forêt proprement dite ne subsista que sur 103 ha, dans la partie Nord correspondant d'ailleurs à d'an­ ciens cantons, mis à ban par les princes de ÇHALON, anciens pro­ priétaires. , .. Ces 103 ha furent soumis au Régime forestier en 1830 sans protes­ tations de la part des habitants. En 1841: 41 ha de forêts attenant à ce premier canton furent également soumis sans protestation. Mais un conflit ne tarda pas à éclater entre la Commune et le Service forestier. En 1842, la Commune demanda une coupe dans les com­ munaux joignant la forêt communale, non soumis au Régime fores­ tier et peuplés de taillis de hêtre âgés de 35 à 40 ans, mélangés d'épi­ céas de différents âges. Voici comment le 25 juillet 1842, l'Inspecteur de POLIGNY décrit le traitement de ces communaux boisés : « Dans la dernière exploitation, les bois (de hêtres) ont été coupés à une .<·. grande, heuteur au-dessus du collet et sans ravalement, les troncs ont été € ècuissés et hachés en· dents de loup. A cette première cause de l'anéantisse- « ment des bois, les habitants se sont empressés d'en ajouter une autre qui « n'est pas moins déplorable : les bestiaux et les chèvres ont été immédiate- « ment introduits dans la jeune coupe et comme le sol est entièrement dépour- « vu d'herbes, les animaux ont abrouti les rejets des hêtres et même les épi- « céas de manière à les arrêter entièrement dans leur croissance ». ν Pour mettre fin à cette exploitation « désastreuse », l'Inspecteur proposa à M. le Préfet du Jura de n'autoriser la coupe qu'après sou­ mission au Régime forestier de 45 ha de communaux boisés, la Com­ mune possédant encore 800 ha de parcours et « les bois n'étant pas « moins précieux que les pâturages sur des montagnes couvertes de «neige pendant les deux tiers de l'année ». ¡Le 25 août 1842, la Commune repoussa les propositions dû Ser­ vice forestier en raison de « l'absolue nécessité dans laquelle se trou- ce ve la Commune de conserver tous ses parcours nécessaires à l'ali- ·« mentation de ses nombreux troupeaux ». Le Sous-Préfet de POLIGNY partagea l'avis du Conseil municipal, le Service· forestier maintint'et renforça.ses propositions. Le 15. décembre 1842, le Conseil de Préfecture du Jura arrêta qu'il r/ÉQUILIBREt :AGROrSYLVO-PASTORAL· DANS LE JURA 779

n'y avait pas, lieu /< quant, à .présent·» de soumettre au.Régime fores­ tier les 45 ha propose5 par ¡le? Service/forestier. ·. >. .·'·..* !-.'. •'•·". .. J. :>•..;? ., Dans'les; considéra>tion3 de, cet arrêté, tout le problème de réquili- bre syjyo-pasto.ral.est>Syoqué (15^, .\ Λ •:.. • .--.*.?.·..^..:·:-· :i II est, interessant.

^_\(Î5)\Affeté^dù^ÇOii^eir-'ié. Préfecture du jura du 15 décembre 1842: . ' . ' -r« Có'nsidérarít que" s'il est avantageux pour"une frommune d'augmenter ses « ressources forestières, on ne doit1' pas oublier· non phis que lés intérêts· de « l'Agriculture sont bien précieux et qu'on ne doit lui enlever des terrains que « lorsqu'il ne lui sont pas rigoureusement indispensables. « Considérant que s'il peut y avoir vune part d'intérêt pour la Commune de « Mignovillard dans la soumission au Régime forestier des cantons de V... « et de C... en raison 'de ce que les terrains offrent une contenance de 45 ha, « peuplés de hêtres et d'épicéas d'une belle croissance, on doit aussi prendre •*·»€»'-considération que cette Commune située sùrj le dernier plateau du 'Jura, «jk.ppur.LTessources;principales L'éducation du bétail et la fabrication.des fro^ « mages — que ces deux branches .d'industrie ont pris depuis quelques an- « nées, un développement qui a été une source de fortune pour les habitants « de cette Commune, aujourd'hui une des plus riches et des plus peuplées de « la partie montagneuse du Département, que cet état de choses ne saurait « subsister qu'autant que la Commune de Mignovillard possède des parcours « étendus et qu'en lui enlevant cette précieuse ressource on amènerait ¡a ruine ;<.,dea^XxMiÎaitsf v,:^;;/-./ p-J . \l, ί·'\: i:':':;.ν ,·-:.· ÏLÏÙ:.V:'". :-..'•. ::; : ,.U\:

" « Il n^a'jjas iiéu^-.qumt à présent^ de"p£pÛo^ « forestier fe'deux'cantons. > ·· """*''' "v ": """ 78ô ''"". REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE forêt, mais celle-ci a même gagné sur les parties rocheuses des com­ munaux défrichés au Moyen Age à 2 km du village. En 1953, la forêt communale s'étend sur 678 ha, les pâturages commuaux sur 138 ha, ces pâturages en excellent état, complètement clos sur 25 km de périmètre sont situés à 1 km du village et sont suffisants pour les troupeaux actuels. Un nouvel équilibre sylvo-pás- toral est atteint. Il est non moins intéressant de comparer la situation économique de cette Commune en 185Q et 1953.

Commune de Mignovillard

en 1850 en 1953

Habitants ...... 734 '457': Cultures .., 634 ha .·. 5P5 >a Pâtures 925 ha 63 t ha Nombre de bovins ...... 45° 230 Nombre de chèvres ...... : 200 4 Production de fromage gruyère. 60000 kg 45000 kg Forêts particulières et commu- ) nales soumises ou non ) 1 134 Ha i 533 ha Forêt communale soumise .... 144 ha 648 ha : Production de la forêt commu­ nale soumise 200 m3 4 100 m3

Fn: évaluant kilos de gruyère et mètres cubes de bois en francs 1953, on peut estimer que le revenu en argent procuré par le fro­ mage et le bois a triplé en un siècle, mais que la part de la forêt est devenue prépondérante dans ce revenu.

Au cours des cent cinquante dernières années, dans toute la chaîne du Jura, l'équilibre forêt-pâturage a subi partout la même évolu­ tion et connu les mêmes vicissitudes.

,.'¿_',',. ,...'»" LE PRÉSENT

D'après la Statistique agricole des 63 cantons, qui s'étendent de Montbéliard à. Belley, la répartition entre les terres, pâtures et fo­ rêts est, en 1953, la suivante pour l'ensemble de la chaîne: ^ÉQUILIBRE AGRO-SYLVOPASTOkAL DANS LE JURA 781

Terres arables (cultures et prairies tempo­ raires) 271000 ha 25 %Ό Prairies permanentes et pâturages 273 000 25,3 % Bois et forêts 354 000 32,8 % Landes, friches 144 000 13,4 % Divers (agglomérations, voies de communi­ cation) 37 000 3,5 %

1 079 000 ha Actuellement, l'homme a défriché et maintenu en culture et en pâturage les deux tiers du sol, Vautre tiers est occupé par la forêt.

Dans l'ensemble, cette répartition peut être considérée comme extrêmement satisfaisante, exception faite pour les landes et les friches. On peut se demander pourquoi le déboisement n'a pas été plus intense (comme ce fut le cas par exemple dans le Massif Central). En premier lieu, le climat pluvieux, favorable à la forêt, a permis à celle-ci de réparer rapidement les atteintes qu'elle subissait, et même de reprendre une marche envahissante avec l'aide des pion­ niers de la forêt: broussailles et morts-bois, dès que l'action de l'homme et de ses troupeaux s'affaiblissait. Malgré ces conditions favorables, la forêt n'aurait pu maintenir la place importante qu'elle occupe actuellement, si, après chaque période de prospérité et de surpopulation, les événements: guerres et désastres du xvne siècle, révolution économique du milieu du χιχθ siècle, n'étaient pas survenus pour desserrer la véritable « étreinte » que l'homme faisait peser sur elle. Mais si cette étreinte fut bien réelle et nous espérons en avoir donné des exemples typiques, nous devons reconnaître que les Com­ tois ont su de tout temps ménager, dans une certaine mesure, les biens qui leur étaient utiles et la forêt a été un de ces biens. Au Moyen-Age, la forêt feuillue, liée à l'élevage du porc, « a été « bien plus usée que détruite » (16). Il n'en fut pas de même de la forêt résineuse sans grande utilité à cette époque et qui fut dé­ frichée en mains endroits propices. Mais une inversion de valeur devait se produire dès la fin du χνιιιθ siècle et surtout au χιχθ siècle avec les débouchés offerts aux bois d'œuvre résineux exportés par flottage puis par voie ferrée et par camions, alors que la disparition du panage, puis des in­ dustries consommant du charbon de bois (forges, verreries, salines) faisaient perdre presque toute valeur aux forêts feuillues traitées en taillis. De même la disparition des chèvres au début du xixe siècle pour (16) L. TURC Lettre manuscrite du 22-7-1954. 782 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

sauver les forêts résineuses de la destruction est à mettre à l'actif des Comtois (17). Enfin, c'est à un forestier Comtois, Emile CARDOT, que.Ton doit d'avoir le premier attire l'attention sur l'équilibre sylvo-pastoral, il fut le créateur du service des Améliorations Pastorales.

La répartition des forêts - Les taux de boisement La forêt occupe les sols. réellement impropres à toute culture et à tout pâturage productif : les calcaires les plus durs et les plus superficiels, les lapiaz, les crêtes, les versants les plus abrupts, les éboulis. Les sols les plus profonds: calcaires tendres, marnes, alluvions glaciaires sont occupés par les pâturages et les cultures. Certaines vallées comme la Combe d'Ain, certains plateaux de moyenne et haute altitude comme le Val de Mièges, le Grandvaux, le plateau de Retord, ont bien été défrichés dès le Haut-Moyen- Age et sont restés complètement déboisés, mais la forêt a été res­ pectée sur les montagnes qui limitent ces plateaux à l'Est et à l'Ouest et elle a reçu des noms caractéristiques: Haute et Basse-Joux dans le Val de Mièges, Joux-Devant et Joux-Derrière dans le Grandvaux. * Dans le Haut-Jura, même les combes les plus étroites ont été défrichées et sont restées en pâturages : par exemple en forêt com­ munale de Prénovel (voir plan n° 2 et photo n° 4), ce sont des défrichements « harmonieux » qui s'opposent aux défrichements « abusifs » des moindres dolines préalablement cités. Les taux de boisement les plus élevés se constatent sur la bor-, dure Nord du massif dans la vallée moyenne du Doubs et sur les plateaux du Jura central, là où la forêt a été protégée dès le xvie siècle parce qu'elle était affectée aux Salines de Salins, et pour fournir le combustible nécessaire à la cuite des muires. Ces affectations ont fait l'objet des trois Réformations suc­ cessives de 1542 - 1607 - 1724, qui ont interdit tout défrichement. Par contre, les plateaux du Nord-Est, de Maiche à Nozeroy, situés sur sols profonds (calcaires crétacés et alluvions glaciaires) sont relativement peu boisés: de 21 à 30 %, la forêt a été défrichée pour faire place à de riches pâturages. Le maximum de taux de boisement se constate dans le canton de Morez à 49,8 % avec l'important massif du Risoux resté le domaine de la forêt malgré les tentatives de défrichement signa­ lées.

(17) GUYETANT, op. cit., p. 90 et LEQUINIO, op. cit., p. 30: « Quelques « communes du Jura, notamment celle de Moirans, jalouses de conserver « leurs bois, principale production de la haute-montagne, ont récemment « détruit leurs chèvres ». Κότα Ρ/ση /?f/

Défrichement de dolìnes

Forêts Communales de et Jura

45 ha 96 enclaves : 7 ha 22 vera S^Julitn ¿ch*//e : 1/10.000 Nord Plan nt¿

Défrichement de combes

Forêt Communale de PRENOVEL Jura 375 hd 17

combes défrichées

Echelle. 1/27.000 L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORÀL DANS LE JURA 783

Le minimum se trouve dans le canton de Lons-le-Saunier, avec 10,1 % où le bord du plateau dominant le vignoble a été fortement déboisé. Les Alpages Les alpages avec habitat temporaire et migration du bétail de fin mai à fin septembre, n'existent que dans les régions situées au- dessus de 1 200 m d'altitude, là où la forêt clairiérée a fait facile­ ment place à des pelouses pseudo-alpines (voir carte n° 1). Les alpages les plus importants sont ceux du Pays de Gex, du Grand Crêt d'Eau à La Dole, ils s'étendent sur 4630 ha (18). Un autre groupe s'étend sur le Noirmont, le Mont d'Or (1 200 ha), le plateau des Fourgs, et à l'Ouest de la vallée de la Valse- rine du Crêt de Chalam aux Rousses. L'exploitation de ces alpages remonte au moins au xne siècle, cet­ te exploitation est en voie de transformation et de régression. Par suite de la rareté et de la cherté de la main-d'œuvre, les monta­ gnes « à lait » deviennent des montagnes « d'élevage », les chalets avec fromagerie et fabrication de beurre disparaissent. Les alpages eux-mêmes sont en régression, ils ont été abandonnés sur le Grand- Colombier au-dessus de Culoz (19). Situés à proximité de la frontière suisse, ces alpages sont fré­ quentés surtout par du bétail suisse, venant des cantons de Vaud, Fribourg et Neuchatel, qui envoient chaque année plus de 6 000 bo­ vins et près de 3 000 moutons transhumants. Les Suisses ont d'ail­ leurs acquis le 1/4 des alpages du pays de Gex (18). La transhumance qui s'exerçait autrefois des plateaux de l'inté­ rieur du Jura vers les alpages pour ménager les communaux « sur­ chargés » a totalement disparu, par suite de la dépopulation et de la diminution du troupeau, les pâturages de plus basse altitude suffisent largement à nourrir tout le bétail permanent. Ils sont même insuffisamment pâturés. Ces alpages sont en général en bon état (voir photo n° 3), mais on constate une concentration de la propriété nécessitée par le coût de l'entretien des chalets. Les Prês-bois Formation mixte de pâtures et de bois, les prés-bois se rencon­ trent dans le Jura: — dans la zone des forêts feuillues, où ils sont constitués surtout par des taillis ou des futaies de chêne ou de hêtre que l'on a laissé croître sur les parties les plus rocheuses ou les murgers prove­ nant des épierrements des champs labourés. (18) BOSSAVY. Concours pastoral de l'arrondissement de Gex. Annuaire de la Fédération française d'Economie Alpestre, 1053. (19) R. LEBEAU. Les Alpages du Jura français. Etudes rhodaniennes, 1948, p. 185. 784 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

— dans la zone des forêts résineuses où le sapin et surtout l'épi­ céa donnent au Haut-Jura son remarquable paysage de parc (photo n° 5)· La répartition des bois et des pelouses peut être en ordre dis­ persé, les arbres étant plus ou moins isolés, suivant les caprices de la régénération naturelle à l'abri d'un buisosn d'aubépine ou de prunellier. L'épicéa se prête merveilleusement à cette culture en arbre isolé avec branches étalées jusqu'au niveau du sol, offrant des abris naturels au bétail pendant les heures chaudes de la jour­ née et contre le vent et la pluie. La densité des arbres dépend alors du propriétaire, suivant qu'il attache plus ou moins d'importance au revenu forestier (photo n° i). Mais dans ce pré-bois dispersé, l'arbre fait une concurrence sé­ rieuse à l'herbe par l'ombre portée et par la concurrence des racines superficielles de l'épicéa. D'autre part, l'arbre isolé ou semi-isolé reste branchu, de forme conique et donne un bois de mauvaise qua­ lité à larges accroissements et très noueux. Les partisans d'une culture intensive — et ils sont de plus en plus nombreux — préconisent une séparation nette de la pelouse et de la forêt, celle-ci pouvant être réduite à des bouquets de quel­ ques ares, sur sol rocheux, mais étant toujours mises à l'abri de la dent et du piétinement du bétail de façon à produire des arbres de forme et de qualité meilleure. D'un autre côté, les pelouses largement ensoleillées produisent des herbages de meilleure qualité et plus abondants et ces herbages peuvent être soignés comme des prairies de fauche, étant enten­ du que la forêt ou le bosquet boisé n'est jamais très éloigné pour abriter le bétail contre les vents. Les prés-bois dispersés disparais­ sent par l'exploitation souvent intensive des arbres isolés, ils cè­ dent de plus en plus la place aux parcs clôturés (photo n° 2).

Les pâturages communaux Les pâturages communaux s'étendent actuellement sur près de 100 000 ha. Département du Doubs 40 000 ha environ Département du Jura 42 000 ha Département de ΓΑίη τ6 ooo ha

Total 98 000 ha.

Ils étaient autrefois beaucoup plus importants et « étaient essen­ ce tiels pour les pauvres qui conduisaient leurs bêtes sur les pâtu- « rages communaux en attendant la vaine pâture » (20). (20) M. BLOCH, op. cit., p. 172, 213 et 223, et J. BRELOT, op. cit., p. 67. L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 785

Pendant la Révolution et en exécution des lois de 1813 et 1836, beaucoup de communaux ont été partagés entre les habitants ou aliénés, notamment dans la zone des Alpages et sur toute la bor­ dure occidentale et méridionale de la chaîne où la propriété particu­ lière prédomine. Les parcours communaux ne sont réellement très importants que sur les plateaux du Jura central et dans le Jura plissé où ils occu­ pent encore 20 % du territoire: cantons de Pontarlier, Saint-Lau­ rent, Clairvaux, Orgeiet, , Saint-Julien, Moirans. Oyon- nax, Saint-Rambert. En général et sauf exceptions, ces parcours sont en mauvais état, et en voie de boisement naturel plus ou moins avancé par suite d'une insuffisante fréquentation du bétail, conséquence de la diminution des troupeaux et de la dépopulation rurale. Une surface importante de ces communaux a déjà fait retour à la forêt par boisement naturel et artificiel et cette évolution n'est pas terminée. Dans le département du Jura; 5 000 ha de parcours communaux boisés ou reboisés ont été soumis au Régime forestier depuis 1850. Dans certaines communes, les usagers essayent bien de lutter contre cet envahissement de la forêt en mettant le feu au printemps, suivant une coutume ancestrale, mais il n'y a plus assez de bétail pour pâturer l'herbe de mauvaise qualité et les rejets, qui se pro­ duisent après l'incendie, les broussailles se reconstituent jusqu'à l'incendie suivant. Ces incendies répétés entraînent la dégradation et la stérilisation complète des sols les plus superficiels. Fort heu­ reusement, ils sont de moins en moins fréquents. A la charge insuffisante de bétail, il n'y a qu'une solution pra­ tique (le défrichement étant hors de cause avec augmentation de bétail) Λ la séparation des parties encore en bon état, à sol profond, proche des villages, des parties embroussaillées, en sol trop ro­ cheux ou trop éloignés, qui doivent faire retour à la forêt. Cette ségrégation est grandement facilitée par la nécessité de l'établissement de clôtures en ronce artificielle pour remédier à la rareté des bergers. La disparition de cette catégorie sociale oblige les municipalités les plus hostiles à toute amélioration pastorale à clore leurs communaux, mais cette clôture doit être établie en sui­ vant un aménagement sylvo-pastoral. Si la clôture est une amélioration incontestable, la ségrégation ne résoud pas le problème de l'amélioration des pelouses qui. reste par­ tout à entreprendre. Cette amélioration ne sera possible que si les usagers veulent bien consentir à payer des taxes pastorales qui ne soient pas de simples taxes de statistique. Pour la location d'herbages particuliers, ils consentent des prix de fermage parfois élevés mais l'augmentation 786 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE des taxes pastorales soulève de vives protestations, sous prétexte que les pâturages communaux sont trop dégradés. Lorsqu'ils sont situés en bon sol, les pâturages communaux peu­ vent être facilement améliorés par une technique simple (parcs al­ ternants, apport d'engrais), mais pour entreprendre ces amé­ liorations, les moyens financiers devraient être fournis par le grou­ pement des usagers du communal. Ce groupement est d'autant plus indispensable que les agriculteurs ne représentent plus souvent qu'une minorité de la population de la Commune.

Les Landes, Friches et Broussailles. Nous avons dressé la carte (n° n) des landes, friches et brous­ sailles d'après les statistiques agricoles des cantons (1953). Les friches et broussailles absentes dans le Nord de la chaîne sont très importantes dans le Sud où elles occupent jusqu'à 49 % de la surface du territoire dans le canton de Saint-Rambert. Ces friches embroussaillées sont d'anciens pâturages commu­ naux et particuliers, fréquentés jadis par les moutons et les chè­ vres, par d'anciennes terres de culture abandonnées parce que la polyculture pratiquée sur de petites surfaces et des sols ingrats ne permettait plus aux agriculteurs de vivre. Les fermes sont abandon­ nées, les bâtiments tombent en ruine. Tout le Jura plissé est couvert de ces broussailles peuplées de buis, de chêne pubescent, d'érable à feuille d'obier, de tremble, bou­ leau et noisetier, donnant des taillis n'ayant qu'un seul débouché: la tournerie. Ces boisements de très médiocre valeur sont situés à basse alti­ tude, en dehors de l'aire naturelle du sapin et de l'épicéa, qui cons­ tituent bien des forêts opulentes dans le Haut-Bugey mais au- dessus de 1 000 m d'altitude, alors que dans le Nord du Jura la sapinière descend jusqu'à 500 m d'altitude. Le sapin ne franchit d'ailleurs pas la cluse de l'Arbarine, au Sud. En raison des influences méridionales qui remontent dans le Bu- gey (l'érable de Montpellier, le pistacier terebinthe se trouvent dans les taillis à exposition sud), ces taillis termophiles ne peuvent être enrésinés qu'en pin noir, en cèdre, en sapins méditerranéens, mais ces enrésinements artificiels sont plus coûteux et aléatoires que les enrésinements sur les plateaux du Jura central.

Le contraste entre le Nord et le Sud du Jura. Le contraste entre le Nord et le Sud du Jura déjà signalé dans l'étude du milieu se traduit sur le plan économique et humain. Dans le Sud, la propriété est plus morcelée et plus petite que dans le Nord. 5. — Les prés-bois clairs en ordre dispersé du Haut-Jura' en montant à la forêt du Massacre - au fond : la forêt des Arobiers. Territoire de .

6. — Les « chênes clairs » de Commerailles (Jura). Vieux chênes pédoncules plantés à 20 m de distance et à 200 m du village, avec pelouse pâturée sans sous-étage, ni couverture morte, analogue aux futaies de « chênes clairs » conservées pour le panage à proximité des villages depuis le Moyen-Age. (Clichés Lachaussée.) L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTOHAL DANS LE JURA 787

Moyenne du département du Doubs . . 15 à 20 ha Moyenne du département de l'Ain . . 8 à 10 ha (21) . Les prairies et les bons pâturages sont rares, l'élevage des bovins est restreint (voir ci-après la richesse en bovins· par 100 habitants vivant de l'agriculture), la production moyenne d'une vache laitière tombe à 1 500 litres par an dans le Jura du Sud alors qu'elle at­ teint et dépasse 3 000 litres par an dans le Jura du Nord. Les fruitières n'ont qu'un développement récent et restreint, la polyculture est restée prédominante sur de petits domaines. Les communications et les accès sont difficiles en raison du relief, tout concourt à faire du Jura du Sud une région pauvre, sous dévelop­ pée alors que le Jura du Nord a une économie sylvo-pastorale pros­ père (22).

s L'AVENIR Le maintien d'un équilibre harmonieux des cultures, de l'élevage et de la forêt dépend avant tout du facteur humain. . Il n'y a pas. équilibre lorsque le territoire n'est pas entièrement et rationnellement exploité. Le meilleur indice du déséquilibre est la présence de friches, nous venons d'indiquer l'importance des friches dans la moitié Sud de la chaîne alors qu'elles sont rares ou absentes dans la moitié Nord (voir carte n° 11). Une étude succincte de la population agricole actuelle et de sa richesse permettra de connaître quel est l'avenir sylvo-pastoral du ! : Jura. β , ~ " Nous ne tiendrons compte que de la population vivant actuel­ lement de l'agriculture, seule fraction de la population mettant le sol en valeur, à l'exclusion de la population vivant du commerce, de l'industrie ou de l'artisanat. La population des villes ayant une activité purement industrielle: Morteau, Pontarlier, , Morez, Saint-Claude, Oyon- nax, Bellegarde, et en bordure du, massif : Montbéliard, Audincourt, Besançon, Lons-le-Saunier, doivent être exclues. Il en est de même des artisans qui ont abandonné toute activité agricole., A l'origine: les montres de Morteau, la tournerie d'- Arinthod-Moirans ; les industries de la pipe et lapidaire de Saint- Claude, Septmoncel, ; l'industrie des matières plastiques d'Oyonnax, étaient bien l'œuvre d'artisans qui avaient une activité industrielle en hiver,, agricole et forestière en été. Cette activité mixte est en voie de disparition à peu près com­ plète, l'artisan se consacre entièrement à sa tâche industrielle mal- (21) J. BRELOT; op. cit., p. 65. (22) R. LEBEAU. Essai d'une carte des genres de vie dans le Jura français. Revue de Géographie de Lyon, p. 309. - Deux anciens genres de vie oppo­ sés de la montagne jurassienne, 1951, p, 387. 788 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE gré tous les aléas de certaines industries. Nous en donnerons deux exemples: Au Ronchaux, hameau de la Commune d'Etival (Jura), sur 220 habitants (recensement de 1954), il n'y a plus qu'une famille (6 habitants) vivant entièrement de l'agriculture, tout le reste de la po­ pulation vit exclusivement de la tournerie. Aussi les 155 ha de pâturages sectionaux sont-ils complètement embroussaillés. A Bellignat (Ain), sur 600 habitants, il n'y a plus que 12 fa­ milles vivant de l'agriculture. Tout le reste de la population tra­ vaille les matières plastiques en ateliers familiaux ou à la grande usine de celluloïd, mais ne s'occupe plus de l'agriculture (23). Toute cette population non agricole ne constitue plus qu'une inté­ ressante clientèle de consommateurs, notamment pour les produits laitiers et les bois de feu. Nous avons établi la carte de la densité de la population vivant de l'agriculture, d'après le recensement du 10 mars 1946, par kilo­ mètre carré de territoire agricole (forêts exclues), c'est-à-dire par km2 de surface défrichée. La carte n° III montre que la population agricole décroît très for­ tement avec l'altitude, ce sont les régions d'alpages à l'habitat tem­ poraire qui sont les moins peuplées. Le minimum est atteint dans le canton de Mouthe avec 12 habitants seulement vivant de l'agri­ culture par km2 de territoire agricole. La vallée du Doubs, les plateaux du Jura central, le Jura plissé, sont très peu peuplés avec 15 à 24 habitants vivant de l'agriculture par km2 de territoire agricole. Seule la bordure occidentale et méridionale reste encore relati­ vement très peuplée dans la région du vignoble et de la petite poly­ culture avec 31 habitants et plus au km2, le maximum étant atteint dans le canton de Belley avec 43 habitants au km2. Mais cette densité de population ne doit pas être considérée seule et nous avons établi en outre la carte (n° IV) de densité des bovins par 100 habitants de population agricole, c'est-à-dire la carte de la richesse de Vélevage et de la production laitière paf habitant. Ce sont les cantons du Jura central qui sont les plus riches en bétail, précisément ceux qui ont la plus faible densité d'habitants: 240 têtes de bétail et plus par 100 habitants, le maximum étant atteint dans le canton de Pontarlier avec 264 tête de bovins par 100 habitants ! C'est par conséquent et de beaucoup la région la plus prospère par tête d'habitants, elle est d'ailleurs sans friches, tout le territoire est utilisé au mieux par les pâturages et les futaies résineuses. Il est curieux de constater que c'est précisément dans ce terroir que les premières fruitières furent créées au χιιθ siècle. (23) R. LEBEAU. Essai d'une carte des genres de vie dans le Jura français. Revue de Géographie de Lyon, 1949, p. 324. L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 789

Il est donc fort probable que, dans cette région si prospère, l'équi­ libre sylvo-pastoral atteint se maintiendra. Les plateaux du Nord et du Centre de la chaîne sont encore très riches avec 180 à 239 têtes de bétail par habitant. Les populations rurales de Saint-Hippolyte, Maiche et Le Russey, à natalité forte, manquent de terres ; elles défrichent leurs communaux et émigrent vers l'industrie ou l'agriculture dans d'autres contrées. Sur les plateaux du Jura central et dans la vallée moyenne du Doubs, l'équilibre sylvo-pastoral est près d'être atteint, mais il sem­ ble bien que la forêt doive encore gagner sur les quelques friches et mauvaises prairies qui existent encore, en vertu de cet adage que « la forêt appelle la forêt, comme les champs appellent les champs » (24). Par contre, le vignoble et tout le Jura plissé sont pauvres en bo­ vins (à l'exception du canton de Brenod) et sont envahis par les landes et les friches (carte n° II). C'est une région de fermes aban­ données où le paysan a déserté un sol ingrat pour l'artisanat et l'industrie et si la densité de population y apparaît encore moyenne, cette population rurale y vit d'une façon de plus en plus précaire, sans faire l'effort nécessaire pour changer radicalement ses métho­ des d'exploitation, en s'obstinant dans une polvculture traditionnelle à très faibles rendements (25). Devant l'abandon des fermes, le sud du département du Jura, le Bugey, viennent d'être déclarés « zone d'accueil » pour les emi­ grants courageux du Haut-Doubs qui veulent bien consentir à re­ lever les ruines des fermes abandonnées et défricher les brous-, sailles. * Des syndicats d'accueil viennent d'être créés, sous l'égide de l'As- ¡sociation nationale des migrations rurales pour accueillir et aider ces emigrants. Mais cette colonisation intérieure doit être rationnelle et com­ porter le regroupement et-le remembrement des trop petites exploi­ tations mortes du morcellement et de la polyculture. Des aménage­ ments sylvo-pastoraux sont indispensables: — faisant la part de la forêt par reboisement et amélioration des forêts existantes dans toutes les parties rocheuses ou trop décli­ ves, — créant des herbages et des pâturages dans les combes et sur les plateaux à sol profond. Nous citerons l'exemple de la commune de Recuifoz située dans le canton de Mouthe (Doubs). Cette commune qui n'a que 45 habi­ tants groupés en 9 familles sur un territoire de 250 ha, a acheté en 1952 le domaine des Amaurandes sur le territoire de Pratz (Jura),, entre Moirans et Saint-Claude, à 60 km de distance de Recuifoz. (24) G. ROUP NEL, op. cit., p. 167. (25) R. LEBEAU. Les possibilités de modernisation de la vie rurale en Val- romey. Revue de Géographie de Lyon, 1949, p. 120. 790 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

Ce domaine, située à 720-920 m d'altitude était complètement abandonné et provient de la réunion de petites propriétés avec onze bâtiments ou chalets en ruines ! Il s'étend sur 180 ha, dont la moitié en pâturages sur excellent sol, l'autre moitié en bois et broussailles sur sol rocheux. 118 génisses et 10 vaches laitières y sont mises en estivage du Ier mai au Ier octobre dans 6 parcs clos, suivant un aménagement sylvo-pastoral en cours d'achèvement.

CONCLUSIONS Malgré bien des vicissitudes au cours des siècles passés, le Jura a conservé sa parure et sa richesse sylvo-pastorale. Depuis 100 ans, la culture est en pleine régression, forêts et pâ­ turages constituent les deux seules sources de richesse et s'orien­ tent vers une ségrégation de plus en plus poussée. Dans le Nord, un équilibre sylvo-pastoral fort satisfaisant est atteint et semble devoir se maintenir. Le Sud de la chaîne est, par suite de conditions écologiques dé­ favorables, en déséquilibre de plus en plus accentué, abandonné par l'homme; une restauration faisant une large place à la forêt devra y être entreprise avec appel à une migration intérieure.

E. LACHAUSSEE.

Dessin de M"· Chantai Rodary, CatU nt I

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