L'équilibre Agro-Sylvo-Pastoral Dans Le Jura
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Dessin de Mlle Chantai Rodary. L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE JURA LE MILIEU La chaîne du Jura, considérée dans son ensemble, de Belley à Montbéliard, forme un vaste croissant qui s'étire sur 300 km de long et 50 à 80 km de large, présentant deux reliefs bien distincts : Au Sud d'une ligne Lons-le-Saunier - Morez, le Jura est plissé en une multitude de chaînons parallèles, orientés Nord-Sud, large ment ouverts aux influences méridionales. Au Nord de cette ligne, le Jura est constitué par des plateaux dont les gradins s'élèvent par paliers souvent peu accentués depuis les plaines de la Bresse et de la Haute-Saône jusqu'à la frontière suisse. Le climat se caractérise avant tout : par une pluviosité élevée de 1 à 2 m par an, à peu près uniformément répartie entre tous les mois de Tannée, avec une insolation encore vive, mais décroissant du Sud au Nord, des températures moyennes annuelles allant de io° sur la bordure occidentale à 50 à l'altitude de 1200 m. Le climat est beaucoup plus continental et rigoureux que ne le laisserait supposer l'altitude modérée de la chaîne: les écarts des 770 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE maxima et des minima dépassent 50o, le nombre des jours de ge lées qui est de 120 sur le bord occidental atteint 170 dans le Haut- Jura ; dans certaines combes ou bassins fermés, il gèle même pen dant tout l'été. La période de végétation qui est encore de 5 mois et demi sur les plateaux inférieurs se réduit à moins de 4 mois dans le Haut-Jura. Le sol repose sur des roches calcaires ou marneuses ou des for mations fluvio-glaciaires: sables riches en calcaire. A l'exception des argiles et des marnes, tous ces sols sont perméables en grand et le Jura ne possède que de rares sources vauclusiennes. La cir culation souterraine des eaux entraîne la formation de « dolines » où s'accumulent des sols bruns profonds. Sur les calcaires durs, si abondants dans le Sud de la Chaîne, ce sont les rendzines et les sols squelettiques qui dominent. Les sols bruns fortement lessivés eny surface par suite de la pluviosité, n'existent que sur les marnes et les calcaires tendres, qui dominent dans le Nord de la chaîne. En général, le sol est faiblement évolué, peu dégradé, sa fertilité dépend avant tout de sa profondeur, celle-ci est beaucoup plus gran de dans le Jura des plateaux que dans le Jura plissé. LA VOCATION SYLVO-PASTORALE Le climat montagnard rigoureux, avec une forte pluviosité, im pose une vocation sylvo-pastorale: forêts et pâturages sont les seuls modes rationnels et productifs de mise en valeur. Les sols les plus profonds ont bien été défrichés et mis en cul ture pour nourrir une population beaucoup plus dense qu'aujour d'hui et qui devait vivre en économie fermée. Mais la médiocrité des rendements et les aléas des récoltes ont rapidement fait re gresser. les cultures surtout celles des céréales au profit .des pâtu rages dans l'économie moderne. En année pluvieuse, comme en 1954, les céréales de printemps seront moissonnées dans le Haut- Jura peu avant les premiers flocons de neige. LE PASSÉ « Le passé commande le présent. Car il n'est presque pas un trait de la physionomie rurale de la France d'aujourd'hui dont l'exploitation ne doive être cher chée dans une évolution dont les racines plongent dans la nuit des temps. » (M. BLOCH. Les caractères originaux de l'Histoire rurale française. Paris, 1952.) Avant toute action humaine, la forêt feuillue ou résineuse plus ou moins dense et somptueuse, couvrait la totalité de la chaîne, même les sols lea plus rocheux, les lappiaç ou laizines, les tourbières et les plus hauts sommets, ........ L'ÉQUILIBRE AGRO-SYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 771 -Actuellement* la végétation forestière se maintient encore dans les "tourbières (pin à crochet '- bouleau pubescent)1; dans la forêt du Massacre, l'épicéa et l'érable sycomore couvrent le sommet du Crêt Pela à 1 4*95 m d'altitude et la forêt de pin à crochet à caractère subalpin tapisse les éboulis du Crêt de la Neige jusqu'à I 718 m d'altitude. tes. alpages du Haut-Jura ont été entièrement défrichés dans la forêt de l'étage montagnard supérieur. De la préhistoire au Moyen Age : Les premiers défrichements remontent à l'époque néolithique. Les plateaux ont été très tôt colonisés par l'homme attiré par la présence du sel dans les sources salées des affleurements du Trias, puis plus tard par les nombreux gisements de minerai de fer de l'Infralias et de rOxfordien. Les alluvions glaciaires, les sables plus faciles à tra vailler furent défrichés en premier lieu. ..Au bord des lacs, des cités lacustres prospérèrent en entretenant clés cultures dont on a retrouvé les produits (orge à 2· à 6 rangs, pavot, 'œillette, lin, millet, pois) et les instruments aratoires. A. l'âge du bronze, les innombrables tumuli encore parsemés sur les plateaux et maintenant recouverts par la -forêt, attestent l'am pleur du peuplement humain qui entretenait des relations avec les pays méditerranéens, (vases grecs dans les tumuli). Ces défrichements ne furent cependant que des clairières dont de nombreuses sont à l'origine des lieuxdits « Chaux », reliées par des pistes et disséminées au milieu d'une vaste forêt, car en 58 avant J.-C, la Séquanie renfermait encore des forêts impénétrables qui effrayèrent les légionnaires de César en marche contre Arioviste (1). Le défrichement de vastes étendues sur les plateaux et dans les vallées et les combes ne fut vraiment entrepris qu'au haut Moyen - Age par le « cerneux » (annellation circulaire) et Γ « essart » (le feu) (1) et avec le concours des chèvres. Le Haut-Jura, domaine du sapin et de l'épicéa, était inhabité au v* siècle au moment où Saint Lupicin et Saint Romain fondèrent les Abbayes de Condat (Saint-Claude) et de Romainmotier, et quand Saint Point s'établit au Lieu sur les rives du lac de Joux (canton de Vaud). L'auteur de la vie de.Saint Romain (1) donne de la forêt vierge du Haut-Jura une description saisissante dans un texte que la tradi tion date du νιθ siècle et qui n'est pas postérieur au viue siècle. Le défrichement des « Joux noires » qualifiées de « déserts » ne (1) L. TURC. Etat des bois des communautés dépendant de la juridiction des maîtrises de Besançon et de Baume-les-Dames avant l'application de l'Ordon nance de 1669. Livret du Cinquantenaire de la Société forestière de Franche- Comté, 1947, pages 177, 194, 195, 206. 77* REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE prit vraiment de l'importance qu'après la fondation au xie siècle des monastères de Mouthe, Mont-Sainte-Marie, Montbenoit, Morteau. Au xiii6 siècle — la plupart des grands défrichements du Jura central : plateaux de Levier, Ornans, Vais, de Mièges et du Grand- vaux, étaient achevés, puisque c'est de cette époque que datent la fondation des premières « fruitières » pour la fabrication en com mun du fromage de gruyère (Levier, 1264 - Deservillers, 1267 - Poligny, 1287), ce qui implique l'existence d'importants troupeaux de vaches laitières vivant sur des pâturages étendus et dans des fo rêts clairiérées. L'économie fermée du Moyen-Age était profondément différente de la nôtre, il n'y avait pas séparation nette de la forêt, des pâtures et des cultures, cette ségrégation est une conception moderne. C'est de cette époque que datent le pâturage en forêt, la formation des prés-bois résineux et feuillus et la vaine pâture. La forêt feuillue fut traitée en « chênes-clairs », véritables ver gers destinés à produire le maximum de glands pour la nourriture et l'élevage des porcs, le panage était alors une des ressources fon damentales de l'économie rurale. Cette formation forestière répan due dans toute l'Europe occidentale a pu persister en Franche-Com té jusqu'au xviir3 siècle, non sans subir de sensibles dégrada tions (2). Un grand nombre de communautés avaient même conser vé à proximité immédiate du village de petits cantons peuplés de chênes clairs, à la manière dont on ménage dans une exploitation agricole un parc à la porte de l'étable et pour des motifs du même ordre (3) (Voir photo n° 6). θ A la fin du χνι siècle, GOLLUT, dans ses « Mémoire historiques de la République Séquanaise et des Princes de Franche-Comté » (Dole, 1592, Livre II, Chap. XVII) a bien mis en évidence le rôle des forêts feuillues dans l'économie de l'époque (4), il les qualifie de « troisième grenier de Bourgogne ». 'La forêt résineuse produisait bien entendu les bois indispensa bles à la construction, à la couverture des maisons (tavaillons), à la fabrication de nombreux ustensiles, aux clôtures faites de perches assemblées, et dont l'entretien exigeait une quantité énorme de jeu- (2) L. TURC, op. cit., page 176. (3) L. TURC, op. cit., page 195. (4) L. TURC, op. cit., page 177 : « Quant aux bois (pour la multitude desquels nos voisins coutumièrement se « mocquent), ils sont couchés pour une singulière commodité et profit de tout € le peuple, non seulement pour la nécessité des bâtiments et du chauffage, ou « pour le plaisir et profit des bêtes sauvages qui s'y établent en infinie multi- « tude, mais encore pour le gland, faîne, cerises, pâturages et autres telles « choses nécessaires au bétail, desquels on tire tant de profit que nous disons « cela valoir une troisième portion des graines du pays. « Et c'est pourquoi les laboureur les appellent le troisième grenier cfe Bour- « gogne... %. L'ÉQUILIBRE AGROSYLVO-PASTORAL DANS LE JURA 773 nés bois, chaque année qualifiée de « gâchis » (5).