CAHIERS DE L’INSTITUT

LES HOMMES DE LA COMMUNE COURBET. AQUARELLE D'ANDRE GILL CROpu/SouJOUR

i.^iX * r*Ai c'nwMuté-, ^

Mon fils, casse lui donc une patte aussi.À ce brigand là. COURBET. AQUARELLE DE DUPENDANT L’

CONSEIL D'ADMINISTRATION

vvAmECK Roœirr VICTOR JOANNES JEANNETTE TOOREZ-VERMEERSCH PIERRE JUQUIN JACQUES DUCLOS Dr H P. KLOT/ BENOIT FRACHON PAUL LABERENNE FRANÇOIS BILLOUX HELENE LANGEVIN-JOLIOT GUY BESSE JEAN-PAUL LE CHANOIS LOUIS ARAGON NADIA LEGER EUGENE AUBH. GEORGES BAUQUICR JEAN LODS .\NDRE BERTELOOT JEAN LURÇATt FLORIMOND BONTE HENRI MARTEl- RAOUL CALAS PIERRE MEUNIER JEAN-MICHEL CATALA VICTOR MICHAUT JACQUES CHAMBAZ je:/\nne moussinac HENRI CLAUDE JEAN ORCEL GEORGES COGNIOT Genéral PEli'l AUGUETE CORNU PABLO PICASSO PIERRE COT GABRIEL PIORO PAUL COURTIEU Colonel ROL-TANGLTi' JACQUES DENIS LOUIS SAILLANT FERNAND DUPUY .IE\N SURET-CANALE LOUIS DUREY EMILE TERSEN JEAN FREVILLE ELSA TRIOLET 1 JEAN GACON MARIE CLAUDE VAILLANT-COUTURIER GEORGES GOSNAT FERNANDE VALIGNAT EUGENE HENAFFt CLAUDE WILLARD PIERRE HENTGES MARCEL ZAIDNER JEAN JEROME JEAN ZYROMSKI

PRESIDENCE

GEORGES COGNIOT JEAN ORCEL président délégué JEAN SURETCANALE JE\N FREVILLE MARIE-CLAUDE VAILLANT-COUTURIER GEORGES GOSNAT président.s CAHIERS DE L'INSTITUT MAURICE THOREZ

Revue irimeslrielle

Boulevard Auguate-Blanqui Paris-15* - Tél. 331-25-41 C.C.P. Paris 3 363 26

Abonnement I an (quatre numéros) ; : 30 F Etranger : 35 F

Directeur : Georges COGNIOT Comité de rédaction : Raoul CALAS. Henri CLAUDE. Basile DARIVAS. Jacques DENIS, Jean GACON, François HINCKER, Victor JOANNES. Victor MICHAUT. André MOINE, Claude WILLARD. Administrateur ; Jacques IT CAZOULAT

y année. n“ 21 I" trimestre 1971 SOMMAIRE

Ld Commune de Paris 1871-1971

HTUDES

GEORGES COGNIOT : La Commune dans I eeuvre de Marx et Engels...... I-'RANÇOIS HINCKER : Lénine et la Commune .... 25 MAURICE MOISSONNIER l.yon-Paris. 1870-71 ...... 50 VICTOR JOANNES : La Commune, mouvemeni na­ tional et internationaliste .... ■Il lEAN ROIJ-IN : Courbet et la Comnuine .... 5(1 DANIELLE r.ARTAKOWSK't’ : Variations sur la Commune. De l'utilisation idéologique de quelques thèmes de la Com­ mune 60 SOUVENIRS RAOUL CALAS : DE MILITANTS Maurice Choury, écrivain et historien de la Commune . . 96 JEANNE FANONNEL : Lwa Commune du Creusot en GEORGES COGNIOT : 71 ...... 81 André Lahouyrie : La naissan­ ce du Parti communiste dans Z. WENDROF: le Boulonnais ...... 97 Louise Michel et Lénine à Londres en 1903 ...... 84 CHRONOLOGIE FREDERIC DAUCROS : BASILE DARIVAS : Comment les marins français d'Odessa ont connu Jeanne 30 ans d ’histoire du Parti com­ Lahourhe ...... 86 muniste français : 1920-1970 (22 janvier-31 décembre 1937). 100 ANNIVERSAIRES NOTRE COURRIER JEAN SURET-CANALE : Nos lecteurs interrogent... Patrice Lumumha (1925-1961). La rédaction répond...... 121 Dix ans après...... 87 B. R. : D. DIAMANT : Pour l’anniversaire d ’Angela Documentation sur la Com- 127 Davis ...... 91 mune ...... L. M.; Colloque international sur L’armée de Libération du Viet­ < Le centenaire de la Com­ nam du sud a dix ans...... 93 mune de Paris > ...... 133 La vie scientifique ...... 137 LES LIVRES Cinquième anniversaire de l’Institut Maurice Tliorez .... 138 BASILE DARIVAS : Jean Bruhat, Jean Dautry, Emile Tersen ; La Commune LIVRES REÇUS ...... 159 de Paris ...... 94 Notes bibliographiques .... 141 ETUDES

LA COMMUNE DANS L’ŒUVRE DE MARX ET D’ENGELS

Georges CüGNIOl

LA PREHISTOIRK DE LA COMMUNE

Marx et Engels avaient suivi avec la plus vive attention la guerre franco- prussienne. Humanistes, ils avaient la guerre en horreur. Internationalistes, ils n’éprouvaient que du mépris pour les élans chauvins des grands et des petits bourgeois d ’Allemagne, y compris leur ancien ami, le poète Freiligrath, et pour l’union sacrée du parti ouvrier de Lassalle avec le gouvernement prussien. Dans l’Adresse sur la guerre que Marx avait rédigée et que le Conseil général de l’Internationale avait lancée le 23 juillet 1870. le caractère de la guerre avait été défini clairement: pour la France, c’était une guerre dynastique, destinée à servir le pouvoir personnel de Louis Bonaparte; quant à l’Allemagne, elle soutenait une guerre défensive dans l’intérêt de son unité nationale. « Mais qui a mis l’Allemagne dans l’obligation de se défendre ? La Prusse ! C’est Bismarck qui a conspiré avec ce même Louis Bonaparte pour écraser à l’inté­ rieur une opposition populaire et annexer l’Allemagne à la djTiastie des Hohenzollern. » Dès le début, Marx rappelait ainsi aux travailleurs allemands la politique antidémocratique de Bismarck. Il attirait l’attention sur ses visées équivoques, même au cours d ’une guerre imputable à Napoléon III. Dans ces conditions. « si la classe ouvrière allemande permet à la guerre actuelle de se départir de son caractère strictement défensif et de dégénérer en une guerre contre le peuple français, victoire et défaite seront également désastreuses. » Aux dirigeants du Parti ouvrier social-démocrate allemand, courageusement dressés contre les prétentions hégémoniques de la Prusse réactionnaire, Marx conseille à la fin du mois d ’août de rallier le mouvement national dans la mesure et pour le temps où celui-ci se borne à la défense de l’Allemagne, de faire toujours ressortir la différence entre les intérêts nationaux et les intérêts dynastiques prussiens, de s’opposer avec force à toute annexion de l’Alsace et de la Lorraine, d ’œuvrer pour une paix honorable dès qu’un gouvernement républicain prendra le pouvoir à Paris, de soidigner toujours l’unité des intérêts de classe entre travailleurs français et travailleurs allemands. A peine les recommandations de Marx sont-elles parvenues en Allemagne que les événements leur donnent une brûlante actualité. Napoléon capitule à Sedan et la République est proclamée à Paris le 4 septembre. Le roi de Prusse, après avoir solennellement déclaré qu’il ne faisait qu’ime gtierre défensive contre le Second Empire, change avec cynisme le caractère de la guerre, à laquelle il donne des buts annexionnistes. Dans une seconde Adresse du Conseil général de l’Internationale, datée du 9 septembre Marx appelle la classe ouvrière allemande à tout faire pour empêcher l’entreprise de conquête et imposer la conclusion d ’une paix honora­ ble avec la République française. Il se dit assuré que les travailleurs allemands accompliront leur devoir, et ceux-ci lui donnent effectivement raison en luttant contre la politique annexionniste sous la direction de Bebel et de Wilhelm Liebknecht.

L’ATTITUDE DE MARX DEVANT L’INSURRECTION Marx organise la campagne internationale pour la reconnaissance de la jeime République française par les puissances. Il fait parvenir à Lafargue. à l’intention du nouveau gouvernement français, tous les renseignements qu’il peut recueillir sur les difficultés des armées d ’invasion. En même temps, il

(1) Voir l’Adresse dans: Karl Marx : La Guerre civile en France, Editions sociales. Paria, 1953, pp. 277-281. (2) Ibid., pp. 283-290. conseille aux travailleurs français de repousser les projets hasardeux d ’insur­ rection, qui seraient « une folie désespérée » dans une situation « où l’ennemi frappe déjà, ou peu s’en faut, aux portes de Paris ». Le devoir des ouvriers français est d ’utiliser, avec calme et résolution, les libertés républicaines pour « procéder méthodiquement à leur propre organisation de classe ». Marx redoute à bon droit l’état d ’inorganisation où se trouve la classe ouvrière française et sa faiblesse théorique due à la prépon­ dérance du proudhonisme, du blanquisme, du jacobinisme romantique et cons- piratif. Les ouvriers ne vont-ils pas notamment se laisser prendre au mouvement officiel d ’« union nationale »? En réalité, « ils n’ont pas à recommencer le passé, mais à édifier l’avenir ». Surtout, Marx leur déconseille de se laisser entraîner par les souvenirs nationaux de 1792; il les met en garde contre les illusions nationalistes sur la possibilité d ’un mouvement répétant celui de la Première République, contre la transposition mécanique du mot d ’ordre ancien «La Patrie en danger», alors que les circonstances historiques sonl toutes différentes, que la bourgeoisie n’est plus la classe avancée. En effet, la guerre que la grande bourgeoisie française ne fait pas sérieu­ sement à Bismarck, elle la fait à son propre peuple. Il est inutile de rappeler longuement ici que la « drôle de guerre », c’est-à-dire le sabotage de la résistance à l’envahisseur, quand celui-ci se présente en gendarme des privilèges, est, spécialement en France, une tradition bien établie des classes possédantes. En 1792, la noblesse avait émigré à Coblence et porté les armes contre la France, parce que. la victoire de la nation devait signifier du même coup le salut de la révolution. En 1870, le gouvernement bourgeois dit de Défense nationale, effrayé par le peuple en armes, — et plus tard, en 1939-1940, un autre gouvernement bourgeois, effrayé par le Front populaire, sont conduits à la trahison par la peur des masses. Même en 1918-1919, la bourgeoisie française favorise, contre l’intérêt national évident, la conservation d ’une armée alle­ mande réactionnaire, parce qu’elle entend « maintenir l’ordre » au centre de l’Europe. En revanche, dit l’historien marxiste Albert Soboul, « c’est dans les classe? populaires qu’il faut chercher le sens national ; pleines de l’avenir, elles assument la défense des intérêts de la nation entière, et pour elles défense nationale et défense révolutionnaire ne font qu’un » Pendant le siège de Paris par les Prussiens, le gouvernement bourgeois

(3) Albert Soboul : De l'Empire à la Commune. La lutte pour la liberté et l’indépendance 1870-1871, dans Europe, avril-mai 1951, p. 8, p. 13 et pasaim. avait saboté les opérations militaires et préparé pas à pas la capitulation. La raison en était que ce gouvernement, selon la formule atténuée d ’un politicien contre-révolutionnaire de l’époque, concevait « non moins d ’inquiétude sur les périls intérieurs que sur les périls extérieurs ». Sa trahison n’est plus contestée aujourd’hui par aucun historien sérieux. Même un homme politique réaction­ naire comme Maurice Barrés a porté contre les chefs militaires de 1871 cette terrible accusation : « Ils n’avaient plus qu’une tactique, qu’une stratégie: arriver à faire accepter la capitulation par la population civile. Leur but n’était pas la victoire, c’était la reddition. » Aussitôt la reddition consommée, la bourgeoisie régnante n’obéit plus qu’à une idée: désarmer le peuple, désarmer la Garde nationale. Elle tente de reprendre aux ouvriers parisiens les canons qui leur appartiennent, et c’est ainsi que la journée du 18 mars 1871 ouvre glorieusement la période de la Commune. Que fait Marx au lendemain du 18 mars ? Il se range sans réserves du côté des Communards. Adversaire acharné des gauchistes qui se font un jeu de la révolution, opposé durant toute sa vie aux amateurs de conspirations qui entendent « déclancher » des insurrections à leur guise, il est avec les masses quand elles se lèvent pour combattre. Il désavoue catégoriquement ceux qui sont d ’avis qu’il ne faut soutenir la lutte entreprise que si toutes les conditions du succès sont données et garantie.s. C’est ce qu’il écrit à sou ami Kugelmann le 17 avril: «L’histoire mondiale serait à coup sûr très commode à faire si le combat n’était engagé que dans le cas de chances infailliblement favorables. » On sait comment Lénine, dans sa préface à la traduction russe des Leltrps n Kiigolmann. a commenté cette attitude de Marx considérant l’insurrection comme une folie six mois à l’avance, mais marchant néanmoins avec les masses quand elles se soulèvent, au lieu de faire la leçon en bureaucrate et en pédant au peuple qui prend une grande initiative historicpie. Ce n’est pas sans raison que, dans ce même texte. Lénine «jualifie Marx de « participant à la lutte des masses, à une lutte qu’il vit, dans son exil londonien, avec l’ardeur et la passion qui lui sont propres. »

EN QUOI LA COMMUNE INNOVE

Dès le début d ’avril, Marx a décelé ce qu’il y a de profondément nouveau dans la Commune. Le 12, il écrit à Kugelmann la lettre célèbre: « Dans le dernier chapitre de mon Dix-huit Brumaire, je remarque, coiiinie tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la Révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d ’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la briser. C’est la condition première de toute révolution populaire réelle sur le conti­ nent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris. Quelle souplesse, quelle initiative historique, quelle faculté de sacrifice chez ces Parisiens ! » Cinq jours plus tard. Marx redira au même correspondant : « Grâce au combat livré par Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son Etat capitaliste est entrée dans une phase nouvelle. De quelque façon que les choses tournent dans l’immédiat, le résultat sera un nouveau point de départ d ’une importance historique mondiale. » Ainsi Marx met en relief le caractère radicalement nouveau du mouve­ ment parisien en tant qu’il fait l’expérience de la dictature du prolétariat. C’est cette nouveauté, cette modernité de la Comnnme que la bourgeoisie, encore aujourd’hui, s’efforce de masquer. Elle donne eu général de la Commune l’interprétation nationaliste, voire chauvine, qui présente le 18 mars comme une « colère des vaincus » : c’clait, dit-on, le simple sursaut patriotique d ’un peuple qui avait combattu l’envahisseur allemand et qui, hostile d ’une part à la capitulation, égaré d ’autre part par de mauvais bergers, a recouru à des formes de protestation extrêmes. Dans cette optique, la Commune est un incident de l’histoire de France, et non un événement qui fait époque dans l’histoire universelle. La bourgeoisie de tous les pays affecte depuis longtemps de regarder la Commune « comme un sous-produit regrettable, mais inévitable, de la guerre », un épisode dont « les origines sociales étaient vagues et les intentions sociales douteuses », pour reprendre les expressions de l’historien américain Edward S. Mason Les ultras de l’O.A.S., par la plume du général André Zcller, émettent une appréciation qui rentre dans ce cadre général et fait aussi de la Commune une péripétie due à des erreurs de gouvernement. Décidé à vider sa querelle avec le général de Gaulle à la faveur d ’analogies historiques plus ou moins consistantes, le général Zeller considère la Commune comme le produit normal du « gouvernement personnel et autoritaire » de Napoléon III, en donnant à entendre que le gouvernement non moins personnel et non moins autoritaire, le régime « sans contrôle et sans intermédiaires » établi en France depuis

(4) Edward S. Mason : The Paris Commime, New York, 1930, p. VU. 10

195fi ne peut, lui aussi, aboutir qu’au « régime des foules » en vertu de la réaction violente qui se produit toujours après « l’apaüiie générale d ’un pays » Naturellement, l’ultra André Zeller n’admet ni que la Commune a été essentiellement un conflit de classes ni que la Révolution d ’Octobre en est la continuation nécessaire. Sur le plan de la recherche universitaire française, le ton est donné à l’heure actuelle, pour l’étude de la Commune, par Jacques Rougerie. Lui aussi parle d ’« incident» à propos du grand mouvement de 1871, en prétendant que ce mouvement n’a représenté rien d ’autre et rien de plus pour un Marx ahsorhé par la « stratégie révolutionnaire à long terme » R écrit : « Souli­ gnons enfin et surtout que nous sommes au moment où Marx est plongé en plein dans la rédaction du Capital, démonstration du caractère inéluctable, niais toujours à long terme, de l’hégémonie du prolétariat » Et voilà com­ ment on transforme la théorie de Marx en un déterminisme mécanique, qui n’attend la révolution sociale que du développement automatique des facteurs économiques et exclut l’initiative historique créatrice de la classe ouvrière ! Jacques Rougerie confond de toute évidence Marx et le Kautsky de la période de dégénérescence ! Pour l’auteur dont nous parlons, c’est un « mythe » que la représentation d ’une Commune aimonciatrice des temps nouveaux : « Le Communard appar­ tient presque tout entier à la préhistoire du mouvement ouvrier, du socialisme. Et la Commune n’est que la dernière révolution du xix* siècle, point ultime et final (sic) de la geste révolutionnaire française du xix “ siècle. Crépuscule, et non pas aurore » C’est ainsi que l’historien universitaire qui a la haute main sur l’étude de la Commune essaie de porter la contradiction à la théorie marxiste du « nouveaii point de départ d ’une importance historique mondiale. » Quand Marx dit : point de départ, M. Rougerie rétorque : point d ’arrivée. Et nous tenons ici, comme chez André Zeller, le dernier mot, le nec plus ultra de l’interprétation déformante de la Commime que la bourgeoisie entend toujours imposer. Ce raffinement consiste à reconnaître à la Commime tous les mérites qu’on voudra, SAUF UN ; celui d ’être à l’origine historique de la grande oeuvre qui sera reprise, et menée à bien, en Octobre 1917. (5) André Zeller : Les hommes de la Commune, Librairie académique Perrin, Paris, 19M, p. 438. (6) Ibid., p. 68. (7) Jacques Rougerie ; Procès des Communards, Juliiard, Paris, 1964, p. 249. (8) Ibid., p. 244. (9) Ibid., p. 241. — M. Rougerie révise cette conception dans son dernier travail. II

Si Marx et Léuine estiment que le grondement des canons de la Commune de Paris a éveillé et puissamment stimulé le mouvement ouvrier de tous les pays, rhistoriographie bourgeoise proteste que c’est là une erreur complète, juste le contraire de la vérité : « Oserons-nous rappeler enfin, malgré le risque de paraître sacrilège, ce que chacun sait bien au fond (! ?), que la Commune a retardé les progrès du mouvement ouvrier français ? » Ainsi le dernier mot de la « science » historique bourgeoise se confond avec la fameuse sagesse menchévique de Pléklianov en 1905 : « Il ne fallait pas preiulre les armes. » Les pédants calculent le bilan de la Commune, mais ils le calculent sans voir l’essentiel: la portée historique de la révolution du 18 mars, sa valeur d ’exemple et son contenu nouveau, sa contribution grandiose au déploiement de la lutte de la classe ouvrière. Jean-Richard Bloch disait en 1936: « A mon sens, l’interprétation rigoureuse de la Commune forme la pierre de touche d ’un enseignement socialiste et d ’une culture révolu­ tionnaire. » Cette interprétation doit d ’autant plus être défendue aujourd’hui qu’en rapport avec l’aggravation générale de la lutte de classe idéologique, la bourgeoisie fait davantage d ’efforts pour obscurcir le sens de la Commune.

LA DICTATURE DU PROLETARIAT

L’importance historique de la révolution parisienne de 1871 tient à ce qu’elle a instauré l’Etat de dictature du prolétariat, fût-ce pour une période brève, dans une seule ville et sans une connaissance claire de son œuvre. La pratique révolutionnaire de la Commune a apporté la réponse à la question capitale restée non résolue dans le Manifeste communiste et dans le Dix-huit Brumaire de Jxtuis Bonajyarte: quel doit être le nouvel Etat ouvrier ? Quelles formes doit revêtir la dictature du prolétariat ? Quelque chose de jamais vu était arrivé le 18 mars: le prolétariat avait conquis le pouvoir politique et il brisait, il démolissait la vieille machine d ’Etat oppressive. «La classe ouvrière, dira l’auteur de la Guerre cMle en France, ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte. » La Commune avait remplacé l’armée séparée du peuple et la police antipopulaire par le peuple en armes. La Commune était un Etat de type nouveau. Ses membres, élus au suffrage universel, étaient responsables et révocables à tout moment ; c’étaient.

(10) Jacques Rougerie : l'rocès des Communards, p. 242. 12

dit Marx, « en majorité des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière » et « la Commune devait être non pas un organisme par­ lementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. » C’est le « gouvernement des producteurs par eux-mêmes », un gouvernement de « ser­ viteurs responsables de la société » par opposition à l’autorité de type ancien revendiquant une prééminence au-dessus de la société elle-même. En ce sens, « la grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. » Les mesures particulières prises en faveur des travailleurs dans le court laps de temps qui fut imparti à la Commune, — comme l’abolition du travail de nuit des ouvriers boulangers, l’interdiction des amendes infligées par les patrons aux ouvriers, la remise aux associations ouvrières des fabriques et ateliers abandonnés (disposition dénoncée par la bourgeoisie comme une spoliation du capital), — toutes ces mesures n’étaient que des signes encore fragmentaires du caractère de classe nouveau de l’Etat. A la différence du mouvement de 1789-1794, et aussi de la Révolution de juillet 1830 et des révolutions allemandes de 1848 à 1849, pendant lesquelles le prolétariat, marcbant de l’avant, livrait les bataiües de la bourgeoisie sans se séparer d ’elle, sans se constituer en classe, — à la différence aussi de la Révolution française de 1848, dans laquelle le prolétariat, prenant la direction du mouvement, était apparu comme une classe distincte et opposée à la bourgeoisie par ses revendications, mais toutefois n’avait pas eu la force d ’atteindre ses objectifs, la Commune de Paris était la première révolution faite par le prolétariat pour le prolétariat. Ce n’est pas en vain que les actes officiels, les proclamations, tous les documents de la Commune mettaient le prolétariat au premier plan, présen­ taient la révolution en cours comme une révolution sociale. Les historiens hostiles à la Commune tels que E.S. Mason ont coutume de s’élever contre cette affirmation en disant que des textes comme le Manifeste du 19 avril ne contenaient aucune allusion à quelque attaque que ce soit contre la propriété et ne renfermaient pas le mot de socialisme : E.S. Mason ne veut pas voir que ce texte qu’il cite en appelle en propres termes à la fin de l’« exploitation » et de l’« esclavage » du prolétariat !

(11) Parmi les 81 membres de la Commune qui ont réellement siégé, la catégorie la plus nombreuse est relie des travailleurs manuels et la majorité de ces derniers se compose Je salariés (M. Winock et J.-P. Azéraa : Les Communards, Editions du Seuil, Paris, 1964, p. 74). De même, le personnel dirigeant de la Garde nationale était essentiellement prolétarien. 13

MYTHE OU REALITE ?

Le 24 mars, le Comité central de la Garde nationale demande l’abolition de la Préfecture de police, l’abolition de l’armée permanente, l’élection des officiers de la Garde, la réorganisation de la Garde d ’après des principes donnant des garanties «les droits du peuple, — et E.S. Mason de s’exclamer qu’il n’y a rien de socialiste dans tout cela Il ne lui vient pas à l’esprit que la destruction de la police bourgeoise et de l’armée de la bourgeoisie représente un élément essentiel de la démolition de la vieille machine de l’Etat capitaliste, donc de la révolution prolétarienne. A son tour, Jacques Rougerie dit des documents de la Commune ; « Il n’est nulle part question de supprimer le capitalisme > et cela quand Vallès, dans le Cri du jwuple, appelait à « en finir pour toujours avec le salariat»! Jacques Rougerie veut voir «fondamentalement» dans le Communard « un sans-culotte attardé », qui ne rêve que des mesures de 1793 : terreur, déchristianisation, etc. ; s’il est aussi socialiste, c’est « un tout petit peu»: «Timidement, la Commune fut aussi une révolution socialiste » Seuls, des esprits fermés à la dialectique de l’histoire peuvent s’étonner (jue les souvenirs de la Révolution du xviii' siècle s’entrelacent en 1871 avec les aspirations socialistes du prolétariat parisien. Le 16 janvier dernier, à la Sorbomie, lors de la belle soutenance de thèse de Jean Bruhat pour le doctorat d ’histoire, deux idées importantes ont été rappelées : d ’une part, le phénomène de mimétisme révolutionnaire constant jusqu’à la Conunune qui s’applique aux souvenirs de 93, d ’autre part le fait que, pour des socialistes, la notion «le jacobin peut désigner beaucoup plus vuie conception de la lutte qu’im contenu social Le socialisme, la «lictature du prolétariat pointent au temps de la Commune en prenant naturellement appui sur l’héritage révolutionnaire du passé, qui, aujourd’hui encore, est revendiqué par le Parti communiste français. Le tort de la Commune ne fut pas de recueillir l’héritage du jacobinisme, il fut de ne pas savoir l’assimiler criti- quement. La grande majorité des Communards qui ont écrit sur la révolution du 18 mars au cours des années suivantes, ont mis en valeur le caractère socialiste de la Commune ; c’est contre tous les témoignages de l’histoire que les autetirs (12) E.S. Mason : op. eit., p. 160. (13) Jacques Rougerie : op. ci(., p. 210. (U) Ibid., p. 208. (15) Il en sera évideininent ainsi pour Lénine, H

réactionnaires d'aujourd’hui parlent de l'interprétation socialiste de la Com­ mune comme d ’un « mythe >. La bourgeoisie, elle non plus, ne s'y trompait pas à l’époque. Relisons ce que notait Edmond de Gioncourt le 28 mars : « Les journaux ne voient, dans ce qui se passe, qu’une question de décen- trahsation. Ce qui arrive est tout uniment la conquête de la France par la population ouvrière et l’asservissement, sous son despotisme, du noble, du bourgeois, du paysan ». Passons sur la présentation perfide de la paysannerie comme victime de la Commune ; reste la perspicacité de la haine qui fait écrire : « conquête de la France par la population ouvrière ». Dans leur ouvrage de 1964, les historiens M. Winock et J.P. Azéma écrivent : « Sa conscience de classe et son socialisme ont beau être limités, le commimard n’en apparait pas moins comme le premier révolutionnaire de l’âge industriel, qui remet en question la prépondérance capitaliste et nourrit l’espoir d ’un monde radicalement nouveau. » Et d ’ajouter que c’est la raison pour laquelle la Commune a exercé un « immense et universel retentissement », et a « exalté le mouvement socialiste international » Ces historiens rejoi­ gnent la pensée de Marx. S’il est vrai que les Communards assiégés, isolés, mal armés politiquement n’ont pu faire que les premiers pas en direction du type d ’État nouveau, Marx n’en discerne pas moins dans leur coup d ’essai l’essence de l’Etat prolé­ tarien : la Commune « était fondamentalement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe qui produit contre la classe qui s’approprie, la forme politique enfin découverte sous laquelle l’émancipation économique du travailleur pouvait s'accomplir ». Le Paris ouvrier a été le « glorieux fourrier d ’une société nouvelle ». Ainsi les historiens d ’aujourd’hui qui, comme Frank Jellinek, mettent surtout l’accent sur les résultats de la Commune « dans le domaine de la théorie révolutionnaire » n’ont pas tort, même s’ils sous-estiment grossièrement les répercussions concrètes de la Commune sur la vie sociale et politique de la France

L’ENFANT SPIRITUEL DE L’INTERNATIONALE

Engels, à son tour, ne dira pas autre chose dans son Introduction à 1 édition allemande de 1891 de la Guerre civile : « A partir du 18 mars

(16) M. Winock et J.-P. Aeéina : Les Communards, Editions du Seuil, Paris, 1964, p. 180. (17) Frank Jellinek : The Paris Commune of 1870 (sic), Londres, 1937, p. 418. 15

upparut, incisif el pur, le caractère de classe du mouvement parisien... Ou bien la Commune décrétait des réformes que la bourgeoisie républicaine avait négligées par pure lâcheté, mais qui constituaient pour la libre action de la classe ouvrière une base indispensable, comme la proclamation de ce principe que, en face de l’Etat, la religion n’est qu’une affaire privée ; ou bien elle promulguait des décisions prises directement dans l’intérêt de la classe ouvrière, et qui, pour une part, faisaient de profondes entailles dans le vieil ordre social. » Vingt ans après la Commune, Engels refait, après Marx, le tableau de la destruction de la vieille macliiue d ’Etat, passée, du service de la société, à la domination de la société, et de sou remplacement par un pouvoir vraiment ilémocratique. Il conclut par la déclaration célèbre : « Le philistin social- démocrate a été récemment saisi d ’une terreur salutaire au mot de dictai lire du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C/était la dictature du prolétariat. » Les « pliilistins social-démocrates » avaient, on le sait, donné toute leur mesure en adoptant au début de 1875 le projet de programme de Golba, qui marquait un funestre recul. En critiquant ce projet, Marx avait mie fois de plus montré au printemps de cette même année 1875 les grands enseigne­ ments découlant de l’expérience des Communards : « Entre la société capi­ taliste et la société communiste se trouve la période de transformation révo­ lutionnaire de celle-là en celle-ci. A cette période correspond aussi une période de transition politique, qui ne peut avoir pour Etat que la dictature révolutionnaire du prolétariat, » Rien de plus funestre pour la classe ouvrière que l’illusion d ’une réalisation du socialisme sans révolution prolétarienne. Ainsi la Commune, comprise dans sa réalité profonde, était « indubita ­ blement l’enfant spirituel de l’Internationale », comme Engels l’écrit à Sorge les 12-17 septembre 1874. Peu importait à cet égard le fait que « l’Interna­ tionale n’a pas levé le petit doigt pour faire la Commune ». Cette dernière remarque était vraie bien que Varlin, l’un des deux secrétaires du Conseil fédéral parisien de l’Internationale, eût pris une grande part à raffermissement de l’autorité du Comité central de la Garde nationale, c’est-à-dire en fait à la préparation du 18 mars. Nous avons vu en tout cas que l’insurrection pari­ sienne n’avait même pas été encouragée par Marx et Engels. Mais la Commune était l’œuvre spirituelle de l’Internationale en ce sens qu’elle travaillait à l’émancipation de la classe ouvrière, à la création des conditions politiques de cette émancipation, but suprême de l’Internationale. 16

LIN VERITABLK GOUVERNEMENT NATIONAL

Marx souligne encore que la Commune, née dans la lutte sociale et natio­ nale du peuple travailleur, affirmait la complète concordance des intérêts de la classe ouvrière et des intérêts de la nation. Il dit expressément que la Commune, en même temps qu’un gouvernement ouvrier, était « la représen­ tation véritable de tous les éléments sains de la nation française et par suite le véritable gouvernement national ». Face à l’équipe versaillaise de la « défection nationale », face à ces humbles et dociles « captifs de Bismarck », les Communards, qui demandaient l’ouverture immédiate d ’une vaste enquête sur les responsabilités des liomines publics dans le désastre national, représen­ taient le patriotisme populaire, inséparable de l’internationalisme prolétarien, et c’est à bon escient que des officiers patriotes comme le colonel Rossel se rallièrent à la Commune, préférant l’insurrection à la capitulation. La C.oinmune assurait le rayonnement de l’inlluence française ; « Sous les yeux de l’année prussienne qui avait annexé à l’Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier. » La Commune représentait l’idée nationale contre ceux qui l’écrasaient avec des troupes qu’ils avaient mendiées à Bismarck, contre ceux qui ne seraient jamais venus à bout de Paris sans l’aide de l’envahisseur. Marx met en valeur le fait que la classe ouvrière, faisant la première révolution où elle était ouvertement reconnue comme la seule classe qui fût encore capable d ’initiative sociale, n’agissait pourtant pas dans l’isolement : elle avait l’alliance des boutiquiers et des commerçants de Paris, « les riches capitalistes étant seuls exceptés ». Ce sont les Versaillais qui, par leurs lois sur les échéances commerciales et les loyers, avaient voulu ruiner l’artisanat et le commerce parisiens ; la Commune, au contraire, les avait sauvés. Et aux yeux des gens des classes moyennes, un de ses moindres mérites n’était certainement pas qu’elle fût un modèle d ’ordre public, de sécurité dans la rue grâce à la fuite à Versailles de tout le demi-monde et de tous les éléments interlopes de la société. De même, note encore l’auteur de la Guerre civile, « la Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance. » De tous les mensonges enfantés à Versailles..., un des plus mons­ trueux fut que les ruraux de l’Assemblée nationale représentaient la paysan­ nerie française... Les ruraux (c’était en fait leur appréhension maîtresse) savaient que trois mois de libres communications entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans ; de là leur 17

hâte anxieuse à établir un blocus de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine. » 11 est inutile de rappeler longuement la puissante attraction de la Com­ mune sur les couches intellectuelles, sur les enseignants, les hommes de science, les artistes, et l’œuvre culturelle remarquable qu’elle accomplit sous la responsabilité d ’hommes comme le délégué à l’enseignement Edouard Vaillant et le grand peintre Gustave Courbet. Il n’est pas de domaine où la révolution du 18 mars se soit montrée plus chargée de promesses que dans le secteur de l’enseignement, de la culture et des arts. Parmi les membres de la Com­ mune, on comptait cinq médecins, un architecte, quatre membres de l’ensei­ gnement, deux artistes peintres. Le prolétariat parisien sut se faire des alliés d ’un grand nombre d ’intellectuels. Ses héros et ses martyrs ont été chantés par les plus grands poètes du temps, Victor Hugo et Arthur Rimbaud. Les grandes réalisations scolaires devant lesquelles la République bour­ geoise, dix ans plus tard, ne put pas se dérober, avaient leur origine histo­ rique dans les décrets de la Commune, et nul parmi les contemporains de bonne foi ne s’y trompait. Si, après 1880, Engels devait dire que les écoles françaises étaient les meilleures du monde notamment parce qu’on les avait laïcisées, parce qu’on avait séparé l’école publique de l’Eglise ; si ultérieu­ rement l’Etat lui-même fut séparé de l'Eglise et le budget des Cultes supprimé, toutes ces mesures avaient déjà été prises en son temps par la Commune, et c’est l’initiative historique de la Commune qui contiiuiait à inspirer les meil­ leurs éléments du peuple lorsqu’ils luttaient en faveur de semblables réformes à la fin du xix" siècle et au début du XX^ Le fait historique de l’alliance conclue par la Commune (au moins à ses débuts) avec la petite bourgeoisie artisanale et boutiquière, son brillant exemple d ’union du travail et des hommes de culture, ses tentatives, — insuffisantes, — de contacts avec les paysans, tout cela revit, dans d ’autres conditions historiques et à un degré beaucoup plus élevé, dans la large et hardie politique de coalition de toutes les classes et couches antimonopolistes que pratique aujourd’hui le Parti communiste français.

LES FAUTES DE LA COMMUNE...

Comme Marx le relève, les vainqueurs du 18 mars, — par répugnance à accepter la guerre civile, — commirent « une faute décisive en ne marchant pas aussitôt sur Versailles, alors entièrement sans défense, pour mettre fin aux complots de Thiers et de ses ruraux ». De même, l’auteur de la Guerre 18

civile en France signale que même les espions de la gendarmerie pris dans Paris sous le déguisement de gardes nationaux, même les sergents de ville arrêtés avec des bombes incendiaires sur eux étaient épargnés par les Commu­ nards trop magnanimes, qui répondaient à la terreur contre-révolutionnaire par des appels à l’humanité et dont certains poussaient la sentimentalité jusqu’à déclarer : « Nous ne voulons d ’autre dictature que la dictature de l’exemple. » On sait également que les Communards laissèrent à |)eu près intacts les trésors de la Banque de France. Et pourtant, observe Engels, « la Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait la pression de toute la bourgeoisie française sur le gouvernement de Versailles dans l’intérêt de la paix avec la Commune. » Pour Marx, la Commune a été perdue parce qu’elle n’a pas agi avec assez de résolution, parce qu’elle a incliné à la conciliation en des circonstances qui imposaient une lutte implacable. Comme il l’écrivait à Kugelmann le 12 avril, « s’ils sont vaincus, ce sera seulement à cause de leur bonté d ’âme ». Et six jours plus tôt, il avait expliqué à Liebknecht qu’il n’aurait pas fallu perdre un temps précieux à des opérations électorales et faire preuve « d ’une trop grande honnêteté ». Les indécisions et les erreurs étaient la conséquence des conceptions confu­ ses d ’origine blanquiste et proudhonienne qui prédominaient dans le Conseil de la Commune, en même temps que du manque d ’expérience. Ainsi qu’Engels le remarque, les blanquistes n’étaient socialistes que par instinct révolution­ naire ; le proudhonisme était le socialisme du petit paysan et de l’artisan. Dans le Conseil de la Commune, les membres de l’Internationale et, parmi eux, les partisans lucides et résolus de Marx ne constituaient qu’une infime minorité. La tragique défaite de la Commune confirmera Marx dans l’idée que la classe ouvrière ne peut vaincre sans l’arme qui a précisément fait défaut à la Commune : sans un parti révolutionnaire conscient et doté d ’une théorie scientifique, qui sert d ’avant-garde à la classe.

... ET LEUR CAUSE PRINCIPALE ; PAS DE PARTI OUVRIER

Le mouvement des masses sous la Commune a bien eu une dominante prolétarienne (contrairement à ce qu’affirment maints historiens réactionnaires ou révisionnistes, qui mettent au premier plan le rôle des intellectuels ou 19

d ’autres couclies — mais le mouvement prolétarien n’avait pas encore produit une avant-garde eoiisciente. L’absence d'un parti prolétarien, principale cause des erreurs commises par la Commune, résultait de l’immaturité du prolétariat parisien en 1871. Si la grande entreprise avait cessé d ’être une exception, la plupart des tra­ vailleurs n’en restaient pas moins occupés dans l’artisanat ou dans la petite entreprise. Comme le disent les historiens marxistes, « la classe ouvrière subissait lourdement le poids d ’une situation dans laquelle des courants divergents... se partageaient les responsabilités de la direction. Au fond du creuset de l’analyse, éliminées les causes secondaires et dépendantes, c’est ce qui explique, malgré des trésors de bonne volonté et d ’héroïsme, la défaite de la Commune » La Commune a été une révolution prolétarienne sans parti prolétarien. Quand la bataille vint, il y eut des groupes, des fractions, des écoles et des sectes, — mais il n’y eut pas un parti que la classe ouvrière considérât comme son avant-garde et derrière lequel elle pût marcher avec résolution et avec lucidité. Dans les « Mémoires » que Rossel put rédiger avant sa capture et son exécution par les Versaillais, il écrit amèrement que « le peuple de Paris, ayant mis son gouvernement à la porte, avait l’air d ’un aveugle qui a perdu son chien ». Et le soldat rallié par pin' patriotisme à une révolution qu’il ne comprend pas, conclut à l’incapacité de la classe ouvrière de gouverner. La conclusion est celle d ’un petit bourgeois, mais il y a dans ces remarques un fond d ’observation juste : il a manqué à la Commune une ligne politique claire.

(18) Par exemple, Edward S. Masoii (op. cit., p. 345) ; « Les leaders de la Commune sortaient pour l’essentiel de la bohème parisienne. » De même, le révisionniste Henri Lefebvre suggère que la plupart des révolutionnaires de 1871 sont des «déclassés» (Henri Lefebvre: La proclamation de la Commune, Gallimard, Paris, 1965, p. 169). Nous avons déjà montré plus haut que les historiens qui ont étudié de près les doenments, reconnaissent la dominante prolétarienne de la Commune. Jacques Rougerie, qui a dépouillé les dossiers de tous les rondanmés, écrit lui-même : « Dans la quasi-totalité des cas. le Communard est un salarié. » Et : «La Commune est bien une insurrection ouvrière.» (op. cit., p. 127). Cet auteur indique que, parmi les insurgés, la prééminence des travailleurs appartenant aux métiers artisanaux traditionnels «est très fortement entamée, et probablement n’existe plus» {ibid., p. 128) ; en revanche, métallurgistes et ouvriers du bâtiment, y compris les manœuvres des deux profes­ sions, représentent 45% des déportés. La Commune a été faite par les ouvriers, — mais ees ouvriers n’avaient pas encore accédé à la conscience claire, à la lumière du socialisme scientifique. Voir notre article au numéro de mars des « Cahiers du communisme » sur le rôle du proiidhonisme et du blanquisme pendant la Commune. (19) J. Bruhat, J. Dautry, E. Tersen : La Commune de 1871, Editions sociales, Paris, 1970, p. 377. 20

COMMENT MARX TIRE LES GRANDES LEÇONS DE LA COMMUNE

Dans ces conditions, l’activité de Marx après la Semaine sanglante a en quelque sorte un caractère double. D’un côté, il défend les Communards vaincus avec la même énergie qu’il a consacrée du temps de la Commune à écrire des centaines de lettres aux quatre coins du monde pour informer les travailleurs de tous les pays des événements de Paris et de la signification internationale de la révolution du 18 mars. Il s’emploie sans relâche à faciliter le départ de France des rescapés, à fournir aux exilés des passeports, de l’argent et du travail, à offrir l’hospitalité aux vaincus. La répression féroce que presque tous les gouver­ nements d ’Europe déclenchent contre l’Internationale et contre le mouvement ouvrier révolutionnaire est impuissante à réduire l’activité de Marx. D’un autre côté, il tire les leçons politiques correctes de l’expérience de la Commune. On sait quelle âpre lutte il doit soutenir, pour ce faire, contre les anarchistes disciples de Bakounine. Les bakouninistes soutiennent que la classe ouvrière doit par principe répudier tout Etat et par conséquent combattre aussi la constitution d ’un Etat prolétarien. James Guillaume dit en leur nom : « La majorité veut la conquête du pouvoir politique, la minorité veut son abolition. » Cette phraséologie pseudo-révolutionnaire se trouve réfutée 1) par le fait que la Commune n’a pu vivre qu’en réalisant l’Etat de dictature du prolétariat ; 2) par le fait que sa défaite finale a été due en grande partie aux faiblesses, aux hésitations, aux demi-mesures de cet Etat tel qu’il a fonctionné. Les bakouninistes nient aussi la nécessité d ’une orga­ nisation du prolétariat en parti politique et s’opposent à toute participation des travailleurs à la lutte politique. Dans cette discussion, Marx remporte un succès en septembre 1871, lors de la conférence de Londres de l’Internationale. La résolution la plus impor­ tante de la conférence est celle qui déclare que « la classe ouvrière ne peut agir en tant que classe contre [le] pouvoir global des classes possédantes qu’en se constituant elle-même en parti politique distinct, par opposition à tous les vieux partis formés par les classes possédantes ». Car « cette constitution de la classe ouvrière en parti politique est indis ­ pensable pour le triomphe de la révolution sociale et de son but final : l'abolition des classes ». Mouvement économique et action politique de la 21

classe ouvrière doivent être « indissolublement unis ». Telle était l’une des conclusions essentielles de l’analyse scientifique à laquelle Marx avait soumis l’expérience de la Commune de Paris. C’est l’époque où beaucoup de rescapés de la Commune, non seulement Wroblcwski et Léo Frankel, mais Charles Longuet, Albert Theisz, Edouard Vaillant entrent au Conseil général de l’Internationale et luttent aux côtés de Marx et Engels contre l’aventurisme des anarchistes. Marx insiste sur la nécessité de la lutte révolutionnaire pour aller au socialisme, mais il n’exclut pas dans certains cas la possibilité de voies pacifiques de la révolution. Dans son interview du 3 juillet 1871 au journal The World, il explique nettement la position de l’Internationale à cet égard : « Nos objectifs doivent être vastes pour inclure toutes les formes d ’activité de la classe ouvrière. Si nous leur avions donné un caractère particulier, noua aurions dû les adapter aux besoins d ’une seide section, de la classe ouvrière d ’une seule nation. Mais comment pourrait-on amener tous les hommes à s’unir pour les intérêts de. quelques-uns seulement ? Si notre Association agissait ainsi, elle n’aurait plus le droit de prendre le nom d ’internationale. L’Association ne dicte pas nne forme déterminée du mouvement politique, elle demande simplement que ce mouvement s’oriente vers un seul et même but final... Dans chaque partie du monde se présentent des aspects spéciaux du problème, les ouvriers en tiennent compte et abordent la solution à leur manière propre. Les as.sociations des ouvriers ne peuvent pas être absoliunent identiques jusque dans le moindre détail à Newcastle et à Barcelone, à Londres et à Berlin... Une insurrection serait une sottise là où on atteint le but plus rapidement et plus sûrement par une agitation pacifique. En France, le nombre élevé des lois répressives et l’antagonisme mortel des classes semblent rendre nécessaire une solution violente des conflits sociaux. L’adoption d ’une telle solution est l’affaire de la classe ouvrière de ce pays. LTntemationale ne s’arroge pas le droit de dicter la réponse à cette question, elle ne prétend même guère donner des conseils. Mais elle exprime sa sympathie à chaque mouvement et lui accorde de l’aide dans le cadre de ses propres lois. » La leçon que Marx tire de la Commune, c’est qu’on ne peut ériger en absolu, pour aller au socialisme, ni la voie de la guerre civile ni la voie de la mobilisation pacifique des masses. Les dirigeants ouvriers ont à envisager les deux éventualités et à préparer le prolétariat à toutes les formes de la 22

lutte des classes. « Nous devons, a-t-il dit à la Conférence de 1871, déclarer aux gouvernements : nous savons que vous êtes le pouvoir armé dirigé contre les prolétaires ; nous agirons contre vous par la voie pacifique là où ce sera possible, et avec les armes si cela devait devenir nécessaire. »

LE CONGRES DE LA H.4YE

C’est au Congrès de La Haye de rinternationale, en septembre 1872, que le programme politique de rinternationale est définitivement fixé et qu’a lieu l’affrontement décisif avec le bakouninisme. Dans son rapport au Congrès, le soir du 5 septembre, Mar.x rend hommage à la Commune et considère comme un grand succès de l’Internationale le fait que le Commune a été « immédiatement saluée par les acclamations du prolétariat de tous les pays ». Le lendemain, le Congrès discute de la résolution sur « L’activité politique de la classe ouvrière » adoptée par la conférence de Londres. La grande majorité du Congrès reconnaît que la lutte politique et la constitution des partis prolétariens sont la condition essentielle à remplir pour le succès de la révolution socialiste ; les statuts et le règlement administratif de l’Inter­ nationale sont complétés et modifiés en conséquence. Charles Longuet déclare à La Haye que, si on avait eu à Paris une organisation politique ouvrière, la Commune aurait repoussé l’attaque dirigée contre elle et l’aurait emporté à Paris et à Berlin ; elle a succombé faute d ’organisation. Après la clôture du Congrès, qui consacre la défaite de Bakounine, Marx, avec la plupart des délégtiés, se rend à Amsterdam, où un meeting ouvrier a été organisé pour le 8 septembre. Il y prend la parole en compagnie d ’autres orateurs, dont Paul Lafargue. C’est là que, pensant toujours à la Commune, il fait la déclaration fameuse sur les voies du socialisme. Il insiste une fois de plus sur l’idée que la classe ouvrière doit « combattre sur le terrain politique aussi bien que sur le terrain social la vieille société qui s’écroule » : « L’ouvrier doit prendre un jour le pouvoir politique pour édifier la nouvelle organisation du travail ; il doit renverser la vieille politique, qui soutient les vieilles institutions, s’il ne veut pas faire le sacrifice du règne céleste sur terre, comme les chrétiens de jadis, qui l’ont négligé et dédaigné. » Mais si la conquête du pouvoir politique est nécessaire, « nous n’avons point prétendu que pour arriver à ce but, les moyens fussent identiques. » En effet, « nous savons la part qu’il faut faire aux institutions, aux moeurs et aux 25

traditions des différentes contrées ; et nous ne nions pas qu’il existe des pays comme l’Amérique, l’Angleterre, et si je connaissais mieux vos institutions, j’ajouterais la Hollande, où les travailleurs peuvent arriver à leur but par des moyens pacifiques. Si cela est vrai, nous devons reconnaître aussi qxie dans la plupart des pays du continent, c’est la force qui doit être le levier de nos révolutions ; c’est à la force qu’il faudra en appeler pour un temps afin d ’établir le règne du travail. » Ainsi le génie de Mar.\ était si pénétrant et si universel que, même au lendemain de la Commune de Paris, cette expérience grandiose d ’une guerre civile pour le socialisme, il admet, dans certains cas, étant donné certaines institutions et certaines mœurs, la possibilité des voies de passage pacifiques à la société nouvelle. Mais dans tous les cas, il insiste sur la nécessité absolue de l’organisation du prolétariat en un parti politique de classe.

VERS UNE NOUVELLE COMMUNE RUSSE

La Commune avait ouvert, en effet, l’époque de l’organisation des grands partis socialistes nationaux. De 1874 à 1882, de tels partis se forment dans une dizaine de pays d ’Europe sur la plate-forme du communisme scientifique. On sait comment Marx et Engels collaborèrent personnellement avec Jules Guesde et Lafargue pour la rédaction du programme du Parti ouvrier français. Les combats héroïques de la Commune avaient rendu impossible la restauration de la monarchie en France, à laquelle les Versaillais étaient pourtant bien décidés. La République fut instituée, c’est-à-dire cette forme d ’organisation de l’Etat où les rapports de classe se manifestent de la façon la moins dissimulée. Un historien bourgeois, Jean T. Joughin, reconnaît : « La France de la Troisième République... a été... un pays de lutte de classe aiguë et soutenue, non d ’une lutte de classe hypothétique et idéologique, mais d ’une lutte désespérément réelle, profondément enracinée dans l’histoire » Les Versaillais vainqueurs croyaient avoir à jamais proscrit jusqu’au mot de « socialisme », à jamais extirpé toute aspiration révolutionnaire dans notre pays. Mais huit ans après 1871, le Congrès de Marseille, d ’où date l’organisation du Parti ouvrier français, s’identifiait déjà, pour les amis comme pour les ennemis, à une suite ou à une résurrection de la Commune. Quarante ans (20) Jean T, Joiiiiliiii : The Tnris Commune in French Politics, 187I-IS80, Baltimore, 1955, p. 10. 24

s’écoulent encore, et Caniclinat, Lejeune et les autres vétérans de la Commune aident à fonder le Parti communiste français. Seule en France, l’héritière de la Commune, la classe ouvrière a pu et peut donner une valeur aux mots de « République », de « démocratie », de « liberté », de « progrès ». Marx, à la fin de sa vie, suivait particulièrement la marche du mouve­ ment révolutionnaire en Russie. A l’occasion du lO® anniversaire de la Com­ mune de Paris, il constate que le développement politique de ce pays « aboutira forcément et sûrement, en fin de compte, à l’établissement d ’une Commune russe, fût-ce après de longs et violents combats » Dès 1905, la Commune de Paris revit dans la révolution russe, et les travailleurs français, déployant une vaste campagne de solidarité avec leurs frères de Russie, sont en Europe parmi les plus ardents à considérer les événements de l’est du continent comme le prologue de la révolution socialiste mondiale. L’essor du mouvement des masses en France en 1905-1906 se fait directement sous l’impression de l’exemple russe. En 1917, enfin, la Commune russe a été établie, grâce au Parti de Lénine, et elle a régénéré le monde. Le régime nouveau et supérieur dont la révolution du 18 mars avait été l’annonciatrice, a déjà conquis le tiers de l’humanité et il a pour lui l’avenir. La vision d ’une société libre, juste et fraternelle qui illumina les combats et la mort des héros de 1871, est déjà devenue réalité sur une vaste partie du globe ; elle le deviendra inéluctablement dans l’ensemble du monde.

(21) Au Président du meeting slave convoqué le 21 mars 1881 pour l’anniversaire de la Commune de Paris. 25

LENINE ET LA COMMUNE

François HINCKER

Comme en témoignent deux utiles recueils récem­ ment parus aux Editions de Moscou (A propos de la France. Textes de Lénine. 1970), c’est la France, son histoire, son mouvement ouvrier, ses socialistes, qui fournissent à Lénine, après la Russie bien sûr, le plus de sujets de réflexion et d ’analyse. Et parmi eux, jusqu'à 1920, c’est la Commune qui occupe la première place. Cet intérêt de la Commune ne se mesure pas seulement au nombre de textes, de réfé­ rences, qu’il y consacre, car il est évident que dans beaucoup de polémiques, d ’analyses, la Commune, même si elle n’est pas explicitement citée, est pré­ sente. En particulier, les retours fréquemment effec­ tués par Lénine à l’histoire de la Révolution fran­ çaise de 1789-1794, au jacobinisme surtout, s’expli­ quent autant par la richesse même de l’expérience de la période que par le lien établi par la Commune entre elle et le mouvement ouvrier.

11 est difficile de savoir si Lénine connaissait la Commune par beaucoup d ’autres sources que Marx, encore que deux des premiers textes consacrés par 26

Lénine à la Commune : Plan d ’une conférence sur la connus les événements révolutionnaires de l'hiver Commune (février-mars 1905) et De la bataille de 1905 et le retour de Lénine en Russie, celui-ci éprouve rue : les conseils d ’un général de la Commune (dans le besoin de faire à Genève devant les émigrés une Vpériod du 23-10 mars 1905) révèlent la connais­ conférence sur la Commune qui devait être extrê­ sance de faits au delà de ceux cités dans l’ensemble mement longue et complète, d ’après le plan qui seul des écrits qui contribuèrent à la rédaction de la subsiste. Soit dit en passant, ce plan pourrait encore Guerre civile en France, et se réfèrent explicitement intégralement servir de canevas à une conférence au livre de Georges Weill, Histoire du mouvement ou un cours sur la Commune aujourd’hui. Si l’on social en France de 1852 à 1902, paru en 1904. enlève de ce texte la trame historique, et que l’on On est certain aussi que lors de son premier séjour laisse les conclusions théoriques de Lénine, on arrive à Paris en 1895, Lénine annota le livre de Lefran- à un schéma vraiment saisissant de l’état de la çais, Etude sur le mouvement communaliste à Paris réflexion de Lénine sur la Commune : a) La France en 1871 (notes publiées en 1957 dans Littérature sous Napoléon III : la bourgeoisie ne peut plus, internationale à Moscou). le prolétariat ne peut pas encore, b) Avertissement de Marx : ne pas se laisser séduire par les traditions Mais pour l’essentiel, Lénine revient à la Guerre nationales de 1792, organiser sa propre classe, ne pas civile, à chaque fois que l’orientation du Parti bol- se fixer pour but de renverser le gouvernement, ter­ chévik exige une réflexion sur l’exemple de la Com­ rible sottise, c) La tentative de Thiers du 18 Mars mune, et cette réflexion se fait en fonction des est une provocation, d) La Commune proclamée, exigences présentes. C’est la méthode habituelle de l’instinct révolutionnaire de la classe ouvrière se Lénine, qui trouve chez Marx et Engels, chez les manifeste malgré les théories erronées, e) Echec : autres historiens, chez les autres philosophes, chez insuffisances dans l’organisation, f) Leçons : la bour­ les écrivains, non une œuvre achevée mais une geoisie est prête à tout, organisation indépendante œuvre qu’il éclaire de sa propre pensée au contact du prolétariat. de la pratique politique. C’est pourquoi l’on peut périodiser les réflexions L’importance accordée par Lénine à l’appréciation de Lénine sur la Commune en fonction des grandes de Marx sur « la terrible sottise » est mal connue périodes de l’activité de Lénine et du Parti. et lorsqu’elle l’est, mal comprise. Lénine est revenu sur la question en 1907 dans la Préface à la traduction 1) En 1905 et pendant la période de reflux russe des lettres de Marx à Kugelmann. 11 critique jusqu’en 1912, Lénine analyse dans la Commune vigoureusement Plékhanov qui en novembre 1905 le premier exemple de révolution à la fois « dictature « loin de mettre le prolétariat en garde, lui parlait démocratique » et « dictature révolutionnaire démo­ au contraire nettement de la nécessité de s’armer » cratique du prolétariat et des paysans ». Il fait ser­ et qui après décembre s'écriait « II ne fallait pas vir cette analyse à celle de la révolution de 1905 prendre les armes » et invoquait l’exemple de Marx et de ses conséquences, au moment où la plus grande qui dans le deuxième message de l’Internationale en confusion règne sur cette question chez les socia­ septembre 1870 « avait freiné la Révolution ». Lénine listes russes. montre que Marx a eu l’attitude exactement inverse Il est significatif qu’entre le moment où sont de celle de Plékhanov : « Marx, en septembre 1870, QUESTIONNAIRE AU LECTEUR Prière de fden l'ouloir retourner ee feuillet à Plnstitut Maurice Thores.

1. Votre abonnement (votre inseription) est-il nominatif ou collectif ?

2. Etes-vous abonné (inscrit) depuis 1970? 1969 ? 1968 ? 1967 ? 1966 ?

3. Quel est votre âge ? Moins de 25 ans ? Entre 25 et 34 ans ? Entre 35 et 49 ans ? Entre 50 et 65 ans ? Plus de 65 ans ? ......

4. Etes-vous homme ou femme ?

5. Etes-vous membre du Parti communiste (on des Jeunesses communistes) ? Membre d ’un autre Parti ? Sans parti ? ......

6. Pouvez-vous préciser votre profession, sans omettre d ’indiquer d ’autre part si vous exercez cette profession ou si vous êtes permanent des orga­ nisations ouvrières ? ...... -......

7. Quelles rubriques lisez-vous surtout et voudriez-vous voir développer ? Classez par ordre de préférence les rubriques suivantes : études historiques, mises au point politiques, documents, souvenirs de militants, revue des livres, la vie de l’Institut, chronologie ......

8. Pensez-vous, on non, que les articles sont a) trop longs: b) trop difficiles; c) trop proches de l’actualité ? ......

9. Le format et la présentation actuels des « Cahiers » vous paraissent-ils à maintenir, ou quelles modifications souhaitez-vous ? ......

10. Estimez-vous que les comptes rendus des Colloques de l’Institut doivent faire l’objet de numéros spéciaux des « Cahiers » ou de volumes publiés en librairie ? ......

27

six mois avant la Commune, avait directement pninter le mot « Commune » aux grands combat­ averti les ouvriers français : l’insurrection serait une tants de 1871, nous ne devons pas répéter aveuglé­ folie. Il dénonça d ’avance les illusions nationalistes ment chacun de leurs mots d ’ordre, mais promouvoir au sujet de la possibilité d ’un mouvement dans l’es­ clairement des mots d ’ordre de programme et d ’action prit de 1792, Ce n’est pas après coup, c’est de long qui répondent à la situation actuelle de la Russie mois à l’avance qu’il savait dire ; il ne faut pas (1905). » prendre les armes «... Et comment se conduisit-il Et en 1910, au moment de l’extrême réaction lorsque cette entreprise désespérée fut mise à exécu­ stolypinienne, où les socialistes se partagent en oppor­ tion en mars 1871 ?... Se mit-il à bougonner comme tunistes et en gauchistes boycotteurs de la lutte légale. une servante de pension : je vous l’avais bien dit... Lénine dit : les Soviets ont été et sont, mutatis mu- Non. Le 12 avril 1871, il écrivit à Kugelmann une tandis, quelque chose d ’analogue à la Commune, le lettre pleine d ’enthousiasme... il suivit le mouvement début de l’organisation indépendante du prolétariat populaire de niasse avec l’attention extrême d ’un au sein d ’une révolution encore démocratique bour­ homme qui participe à de grands événements mar­ geoise ; le prolétariat ne doit pas négliger les moyens quant un progrès du mouvement révolutionnaire de lutte pacifiques ; mais il ne doit pas oublier qu’il mondial... Il apprécia par dessus tout l’initiative his­ est des moments où les intérêts du prolétariat exigent torique des masses... Marx savait aussi voir qu’à cer­ l’extermination implacable de ses ennemis dans des tains moments de l’histoire, une lutte acharnée des combats déclarés. masses, même pour une cause désespérée, est indis ­ pensable pour l’éducation de ces masses elles-mêmes, 2) A partir de 1911 et de la remontée du mou­ pour les préparer à la lutte future. » vement en Russie, Lénine approfondit théoriquement cette réflexion sur la Commune comme tournant Mais à cette époque c’est surtout, comme il a été entre les révolutions démocratiques bourgeoises et les dit tout à l’heure, au niveau de son contenu démo­ révolutions socialistes. Dès 1911, dans un article cratique contradictoire (démocratie bourgeoise, dicta ­ commémoratif écrit à Paris et publié dans la Rabo- ture du prolétariat) que Lénine étudie la Commune. tchaia Gazéta du 28-15 avril. Lénine souligne que Il le fait particulièrement dans l'article du Prolctari la Commune a lancé le mouvement ouvrier sur la voie du 17-4 juillet 1905, Lj Commune de Paris et les de la révolution socialiste. (C’est là que se trouve la tâches de la dictature démocratique et aussi dans un phrase célèbre sur les canons de Paris tirant de leur article de la Zagranitchnaia Gazéta du 23 mars profond sommeil les couches les plus arriérées du 1908, Les enseignements de la Commune et dans les prolétariat). En 1913, dans le n" 50 de la Pravda, Notes d ’un publiciste de mars et juin 1910. « La il déclare que la Commune achève cetre évolution des tâche réelle dont la Commune a dû s’acquitter était réformes bourgeoises car la République ne doit alors avant tout la réalisation de la dictature non pas socia­ son raffermissement qu’au prolétariat. En juillet- liste, mais démocratique (1905)... La révolution bour­ août 1915, alors que Lénine se plonge dans l’ana­ geoise démocratique n’a été achevée qu’en 1871 lyse de l’impérialisme et des guerres impérialistes, il (1910).,. La Commune a appris au prolétariat euro­ émet la thèse, croyons-nous mal connue, que la Com­ péen à poser concrètement les problèmes de la révo­ mune marque aussi de ce point de vue une rupture lution socialiste (1908)... Nous ne devons pas em- fondamentale: avant 1871 il y avait des guerres 28

menées par la bourgeoisie qui pouvaient être pro­ 3) Après la Révolution d ’Octobre, Lénine pour­ gressistes, après 1871 elles ne peuvent plus l’être suit d ’une part l’approfondissement de la théorie entièrement si elles restent menées du seul point de marxiste de l’Etat, à partir de la Commune, cette fois vue de la bourgeoisie (Le Socialisme et la guerre). en polémiquant avec les social-démocrates occiden­ taux et leur conception de la démocratie en général, Dès qu’il reçoit les nouvelles de la révolution de la démocratie pure (La révolution prolétarienne et de Février, Lénine concentre son attention sur l’expé­ le renégat Kautsky - Thèse et rapport sur la démo­ rience du pouvoir par la Commune et sur l’analyse cratie bourgeoise et la dictature du prolétariat pré­ de l’Etat par Marx dans la Guerre civile. C’est ce qui sentés le 4 mars 1919 au 1®'^ Congrès de l’Interna­ est le mieux connu dans les réflexions de Lénine tionale communiste). Et le fragment de la partie sur la Commune, avec l’Etat et la révolution. Mais politique du Projet de programme du Parti commu­ il est très significatif que cette réflexion commence niste (bolchévik) de Russie est la meilleure mise au dès les Lettres de loin. « Les Soviets doivent être point qui soit de la conception léniniste des institu­ considérés comme les organes de l’insurrection, com­ tions d ’Etat et est tout le contraire du bavardage me les organes du pouvoir révolutionnaire... Ce auquel se livrent les gauchistes sur le problème du principe théorique tiré de rexj>érience de la Com­ Parlement : « En assurant aux masses laborieuses des mune de 1871 et de la révolution russe de 1905 doit possibilités infiniment plus grandes qu’une démocratie être expliqué et concrétisé à partir des indications bourgeoise et parlementaire de procéder à l’élection pratiques fournies précisément par l’étape actuelle et au rappel des députés d ’une manière plus facile de la révolution actuelle de Russie. Nous avons et plus à la portée des ouvriers et des paysans, la besoin d ’un pouvoir révolutionnaire, c'est ce qui nous Constitution soviétique élimine en même temps les distingue des anarchistes... Nous avons besoin d ’un côtés négatifs du parlementarisme que la Commune Etat mais non pas tel que la bourgeoisie l’a créé de Paris avait déjà mis en évidence, notamment la partout..., c’est ce qui nous sép.are des opportunistes ». séparation des pouvoirs législatif et exécutif, l’absence Dans les Lettres sur la tactique, Lénine fait la remar­ de liens entre le Parlement et les masses ». Le pou­ que suivante, fort précieuse aussi bien au niveau voir de la Commune ou l’Etat socialiste ne sont politique que dans certaines discussions actuelles pas caractérisés fondamentalement par l’absence de sur la signification de la Commune : « Kaménev a Parlement, mais par l’absence de séparation entre quelque peu impatiemment forcé la note et fait siens l’exécutif et le législatif, par la révocabilité des élus. les préjugés bourgeois au sujet de la Commune qui, prétend-on, voulait introduire immédiatement le socia­ Mais aussi. Lénine, pendant cette période où lisme. Il n’en est rien. La Commune a malheureuse­ l’existence du pouvoir socialiste court encore des ris­ ment trop tardé à introduire le socialisme. L’essence ques, en appelle à l’exemple de la Commune, « son véritable de la Commune n’est pas là où la cherchent initiative, son indépendance, sa liberté de mouvement, d ’ordinaire les bourgeois, mais dans la création d ’un l’élan vigoureux parti d ’en bas, le tout allié à un type d ’Etat particulier. Or, un Etat de ce genre est centralisme librement consenti, étranger à la routine » déjà né en Russie ; ce sont les Soviets des députés (Comment organiser l’émulation, 9 janvier 1918). Il ouvriers et soldats ! » L’Etat et la révolution synthé­ appelle les Soviets à se mettre à l’œuvre, y compris tisera ces premières réflexions. pour les tâches de gestion, y compris pour les tâches 29

pratiques. Clôturant la discussion sur le Rapport politique au Vil* Congrès du Parti, Lénine justifie précisément le programme et le changement de déno­ mination du Parti (de P.O.S.D.R. en P.C.R.) par la différence d'avec la Commune qui témoigna du « génie intuitif des masses... mais où aucune des fractions du socialisme français n’avait conscience de ce qu’elle faisait. Nous sommes dans d ’autres con­ ditions, parce que grimpés sur les épaules de la Commune de Paris et profitant du long développe­ ment de la social-démocratie allemande, nous pou­ vons voir clairement ce que nous faisons en créant le pouvoir des Soviets. Malgré toutes les imperfec­ tions et le manque de discipline des Soviets — ce sont là des survivances du caractère petit-bourgeois de notre pays — nos masses populaires ont créé un nouveau typte d ’Etat qui fonctionne depuis des mois, et non depuis des semaines, dans un immense pays habité de plusieurs nationalités et non dans une seule ville. Ce type de pouvoir soviétique s’est déjà affirmé puisqu’il a gagné un pays aussi différent sous tous les rapports que la Finlande où il n’y a pas de Soviets, mais où le pouvoir est également d'un type nouveau, prolétarien. » Ainsi le communisme, c’est le développement conscient de la Commune. 30

LYON-PARIS 1870-71

Maurice MOISSONNIER

L'espoir tenace qu'un secours décisif pour­ rait venir des villes de province et sauver la situation a toujours accompagné les luttes de la Commune de Paris. En porte témoignage ce dessin de Moloch qui campe, en face d'une Marianne commu­ narde tenant ferme l'étendard de la Révolu­ tion, son homologue lyonnaise, porteuse elle aussi du drapeau rouge, tandis qu'à l'arrière- plan, leur sœur marseillaise se lève à son tour. Dès les jours difficiles de 1870, dans la capitale assiégée, les regards se tournaient vers les centres urbains provinciaux, réservoir de forces neuves aptes à entrer en ligne contre l'envahisseur et à déjouer la trahison. « Que nos frères de Lyon arrivent ! écrivait le 22 octobre 1870 un journaliste du Combat, que leur armée révolutionnaire guidée par notre 31

brave Cluseret se joigne à (!') armée interna­ sur le terrain de la simple méthode historique ; tionale de la Révolution commandée par Gari- ainsi peut-on dépasser une vision de la Com­ baldi. Que les Communes de Marseille, Tou­ mune de 1871 qui découle des préventions louse, Bordeaux, Lille, Dijon, Rouen, que toutes entretenues (parfois inconsciemment) par les nos cités républicaines nous envoient leurs ci­ préjugés de classe de certains historiens, la toyens armés, Paris révolutionnaire ira à leur vision d'un événement présenté non comme le rencontre. » produit d'une évolution profonde de la société Sept mois plus tard, alors que le pouvoir française sous le Second Empire, mais comme populaire glissait vers la semaine de son agonie, une excroissance quasi-monstrueuse dévelop­ c'est encore dans le secours des révolution­ pée sur notre histoire nationale à partir de naires des villes qu'il mettait son espoir ultime. conditions exceptionnelles qui étaient nées plus Le 17 mai 1871, le Journal officiel de la Com­ ou moins artificiellement de la guerre et du mune reproduit en effet un article signé « un siège. Lyonnais » qui laisse entendre qu'un nouveau En fait, une étude sérieuse de l'évolution mouvement insurrectionnel peut encore avoir économique et sociale sous le Second Empire lieu et que le Congrès des villes du Sud et du révèle comment naissent peu à peu les pré­ Sud-Est peut jouer un rôle important dans ce misses indispensables à un mouvement révo­ sursaut. Une semaine plus tard, le 23 mai, lutionnaire dans les grandes villes du pays. l'avant-dernier numéro de ce journal enregistre même comme un signe encourageant le succès LA DEMISSION DE LA BOURGEOISIE relatif de ce Congrès des municipalités méri­ S’ACHEVE EN DEBACLE dionales, tenu précisément à Lyon. Et tout d'abord, sans paradoxe, c'est dans Marx lui-même a conservé, dans ses tra­ l'évolution de l'attitude politique de la bour­ vaux préparatoires à la rédaction de la Guerre geoisie prise dans son ensemble qu'il convient civile en France, cette remarque formulée à de chercher un des éléments de cette situation. partir de l'analyse des extraits de presse dont En analysant le 18 Brumaire de Louis Bona­ il a eu connaissance : « Quand le 27 mars, le parte, Marx avait déjà remarqué qu'avec le gouvernement eut reçu la nouvelle de la défaite coup d'Etat, « pour sauver sa bourse, la bour­ de la Commune de Lyon, il résolut d'attaquer geoisie (devait) nécessairement perdre sa cou­ Paris ». ronne ». La même idée se retrouve dans La L'examen des rapports et de la relative Guerre civile en France, où Marx souligne les communauté de destin qui lient Paris aux conséquences de ce renoncement provisoire à villes de province — Paris à Lyon en particu­ un rôle politique direct : sous la domination lier — mérite attention. Il nous a semblé qu'il impériale, « la société bourgeoise, libérée de pouvait permettre une meilleure connaissance fous ses soucis politiques, atteignit un dévelop­ et une meilleure compréhension du phénomène pement dont elle n'avait jamais eu idée » communard. Insister en tout cas sur cet aspect (1) K. Marx : La Guerre civile en France, Editions sociales, des choses procède d'une démarche fructueuse pp. 40-41. 52

Dans le deuxième essai de rédaction de la utilise les mêmes expressions pour déplorer même étude, le fondateur du socialisme scien­ « l'indifférence de la bourgeoisie déjà tant de tifique insiste vigoureusement sur les effets de fois signalée s>, car « aucun symptôme ne ré­ cette situation ; « Il en résulte une concen­ vèle de sa part l'intention de sortir de sa tor­ tration rapide du capital par l'expropriation des peur » Ainsi s'affirme l'impossibilité mo­ classes moyennes et le fossé s'élargit entre la mentanée de réinsérer toute la classe domi­ classe capitaliste et la classe ouvrière » nante dans la vie politique active ; la relève Si ces grands traits de l'analyse marxiste du régime, la « solution de rechange » n'est sont en général admis, il ne semble pas qu'on pas prête et, mal en garde sur le terrain ait communément compris l'importance de la politique, la bourgeoisie montre sa vulnérabilité contradiction qui se développe alors entre l'ag­ à l'heure de l'écroulement impérial. C'est ce gravation des antagonismes de classes et le que constate le vicomte de Meaux, co-rap­ relatif effacement de l'activité politique de la porteur de la Commission d'enquête parlemen­ bourgeoisie, qui délègue ses pouvoirs au « sau­ taire sur l'insurrection du 18 mars ; veur de la société » et à ses amis. Pendant « A travers tous ces périls, parmi les cruel­ les dix-huit ans du régime impérial s'affirme les angoisses et les inconsolables tristesses de bien la tendance à limiter au maximum le la guerre, les conservateurs, accoutumés par cercle des détenteurs du pouvoir politique di ­ l'Empire à s'endormir en se fiant au pouvoir... rect. Un personnel préfectoral à poigne ne brusquement et douloureusement réveillés, se suffit pas à compenser le vieillissement et sont trop longtemps demandé où était l'auto­ l'usure des hommes du gouvernement. Lors- rité, ce que serait et que ferait le gouverne­ qu'arrive l'ère des difficultés, le plébiscite de ment, quand et d'où leur viendrait la sécu­ 1870 donne peut-être l'illusion d'un renforce­ rité » ment de la base électorale du régime, mais il La conscience de sa faiblesse pousse alors masque l'échec d'une « ouverture » qui tendait la bourgeoisie dans les chemins de la trahison ; à associer mieux la bourgeoisie aux luttes poli­ il faut la paix, à tout prix, pour éviter le tiques à tous les niveaux de la vie nationale. pire, qui peut venir de la levée en masse des A Lyon comme dans la capitale, la bour­ couches populaires. Moment important de geoisie répond mal à l'invite de l'Empereur, l'histoire nationale française : c'est la fin de qui déclare ; « L'ordre, j'en réponds ; aidez- cette époque où une bourgeoisie progressiste, moi à fonder la liberté ». En 1869, le banquier qui combattait pour conquérir sa place dans lyonnais Edouard Aynard déborde d'amer ­ la nation, défendait aussi l'indépendance na­ tume : « Les classes dépositaires de la richesse, tionale. Il n'y a plus maintenant qu'une classe de l'instruction et des traditions les plus libé ­ menacée et inquiète, repliée sur ses conquêtes, rales du pays semblent attendre dans la torpeur prête à toutes les capitulations si l'ordre selon leur arrêt » Au même moment, le procureur ses vues est en péril. Mutation capitale que (2) Ibidem, p. 259. (3) Ed. Aymard : Le suffrage commercial et la situation (4) Archives Nationales, BB30 389, 16 avril 1869. politique A Lyon, p. 20. (5) Compte rendu, p. 62. 33

celle-ci, car voici que se précise une évolution semble 33 538 voix, Hénou et Jules Favre, les prévue par Marx et Engels dès 1848 : « Comme modérés, ne disposent plus que de 12 927 voix. le prolétariat de chaque pays doit en premier Même si les tensions entre les dirigeants radi­ lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en caux et les dirigeants de l'Internationale sont classe dirigeante de la nation, devenir lui- très vives, il est évident que les élections ont même la nation, il est par là national, quoique offert l'occasion de constituer dans les faits un nullement au sens bourgeois du mot » bloc électoral provisoire, réunissant les suf­ frages ouvriers et petits-bourgeois et déplaçant UNE EVOLUTION RAPIDE l'axe de l'opposition républicaine. A la Bourse DU MOUVEMENT OUVRIER de Lyon, les spéculateurs, qui commentent l'événement avec amertume, ne s'y trompent Il faut en effet saisir dans une totalité dia ­ pas : si l'on en croit un informateur du Com­ lectique la transformation sociale et politique missaire central, ils fulminent contre « tous qui s'opère à la fin du Second Empire. Le ces boutiquiers qui ont voté pour Raspail » déclin du rôle national et démocratique de la et souhaitent « qu'on leur casse tout dans leur bourgeoisie résulte largement de l'essor du magasin » mouvement ouvrier, l'affaiblissement de la bourgeoisie découle des difficultés croissantes Cette radicalisation des masses (au sens qu'elle éprouve à rallier les couches sociales littéral du terme) reflétait indirectement la intermédiaires des villes au moment où les maturation révolutionnaire du mouvement ou­ premières organisations spécifiquement ou­ vrier, qui, de plus en plus, s'incarnait dans la vrières commencent à lui disputer une influence Première Internationale. qu'elle possédait jusqu'alors sans partage. En trois ans, son développement s'est accé­ Il appartient aux chercheurs marxistes léré. Commentant l'élection de Raspail, Albert d'étudier dans cette perspective les différen ­ Richard, le dirigeant de la section lyonnaise ciations qui interviennent au sein de l'électorat de l'Association internationale des Travailleurs, des grands centres urbains ; la poussée spec­ affirme avec optimisme que « l'arrivée à la taculaire des radicaux et la défaite des répu­ Chambre de Raspail représente l'avènement blicains modérés semblent bien traduire les du vieux socialisme de 1 830 et 1848, préparant effets de cette attraction croissente qu'exerce l'arrivée du nouveau socialisme qui se déve­ la classe ouvrière sur le reste de la société. loppe et s'organise sous le drapeau de l'Inter­ La situation à Lyon illustre clairement ce nationale s> processus : en 1863, l'opposition républicaine On mesure l'évolution de ce socialisme y avait réuni un peu plus de 31 000 voix sur nouveau à la comparaison de quelques textes. les noms de Hénou et Jules Favre. En 1869, En 1866, la délégation lyonnaise au Congrès elle rassemble au total 46 465 voix; mais, si de Genève défendait encore des positions direc- les radicaux Raspail et Bancel obtiennent en- (7) Archives municipales de Lyon. Rapports au commis­ saire spécial, Bourse, 12 juin 1869. (6) Manifeste du Parti communiste. Marx-Engels. Œuvres (8) A. Richard. Le socialisme à propos des élections de choisies, Editions de Moscou, t. I, p. 40. 1869. 34

tement inspirées de celles de Proudhon, « le A cette évolution sur le plan idéologique grand logicien dont l'autorité ne saurait faire correspond une accentuation du caractère ou­ l'ombre d'un doute » ; en conséquence, elle vrier de l'Internationale. Les grèves de 1869 rejetait « les cessations volontaires et prolon­ ont contribué à peupler la section de repré­ gées du travail » et affirmait que « le seul sentants des corporations et des groupes de moyen de remédier au chômage comme aux résistance nés dans l'action. « Dès 1869, ces grèves, c'est l'association sous toutes ses for­ sociétés (de résistance) commencèrent partout mes » En décembre 1867, le rapport de la à s'affilier, écrit Albert Richard. Les groupes délégation ouvrière lyonnaise pour l'exposition formés comme auparavant d'hommes appar­ universelle, rédigé sous l'influence du tisseur tenant à diverses corporations subsistèrent, internationaliste J.M. Gauthier, prône encore mais ils perdirent beaucoup de leur impor­ la même solution, mais en 1869, après le grand tance » mouvement de grève de l'été, le langage des Un fait confirme ce jugement : la com­ militants change : dans une déclaration, ils mission d'initiative de l'A.I.T., désignée le affirment que « tout ouvrier intelligent a com­ 23 janvier 1870 pour préparer une grande pris aujourd'hui que son salaire est calculé, assemblée le 13 mars suivant et jeter les bases — mais pas toujours exactement — pour lui de la Fédération locale de l'Internationale, était permettre de payer les objets immédiatement essentiellement composée de délégués qui re­ nécessaires à sa vie, qu'il est devenu d'une présentaient des corporations, et non plus des personne une chose, que dans l'usine ou l'ate­ groupes de quartier. Elle devait d'ailleurs mener lier il n'est qu'une machine dans laquelle, à bien sa tâche et, à la date prévue, dans sous forme de pain et quelquefois de viande, la grande salle de la Rotonde, quatre à cinq on met du combustible comme dans l'autre mille participants, en présence de Varlin, sous forme de houille » Cette analyse se Aubry et Bastelica, délégués des Fédérations termine par un appel énergique à la lutte. de Paris, Rouen et Marseille, inauguraient une Evoquant cette période, vingt-sept ans nouvelle étape de l'histoire ouvrière lyonnaise. après, dans la Revue socialiste, l'ancien diri ­ Le plébiscite du 8 mai 1970 qui intervient geant lyonnais de l'A.I.T. écrivait : « La con­ deux mois après ce meeting, permet encore de ception marxiste du socialisme commençait à saisir l'évolution semblable que subissent les se faire jour et démontrait, avec la supé­ masses populaires urbaines dans les derniers riorité de logique du célèbre penseur qui était mois du régime impérial. A Paris comme à alors l'âme du Conseil général, la substitution Lyon, même mouvement, à peu de variantes fatale du fait socialiste au fait individualiste, près. Si une partie de l'électorat républicain de la force du travail à la force du capital » modéré de 1869, qu'inquiète l'agitation ou­ (9) Institut international d'histoire sociale, Amsterdam. vrière, rallie craintivement le oui bonapartiste, Fonds Jung 54, 13955-56. (10) € Les imprimeurs sur étoffes de Neuville-sur-SaÔne », le bloc du non reste dans les deux villes — le Salut public, 18 novembre 1869. (11) A. Richard : Les propagateurs du socialisme en France, (12) Albert Richard, Revue politique et parlementaire, jan­ Revue Socialiste, juin 1836, p. 660. vier 1897, p. 84. JJ

et singulièrement dans les quartiers peuplés 18 juillet et culminent le 20, journée où, de ­ de travailleurs, — solidement majoritaire. Par vant l'Hôtel de Ville, deux colonnes hostiles rapport au chiffre des inscrits, les pourcen­ s'affrontent aux cris opposés de : « Vive la tages s'ordonnent à peu près ainsi : République, Vive Raspail !» et de : « Vive la France, vive l'Empereur I » P’L Paris Lyon Inquiets, les amis de l'ordre tentent d'orga­ abstentions ou nuis 20.5 % 27,5 % niser des patrouilles de « citoyens honnêtes » non...... 43.5 % 44,5 % et réclament à cor et à cri la formation d'une oui ...... 36 % 28 % « garde civique » : « Il ne faut pas que quel­ ques égarés s'imaginent que si la ville était Le plébiscite fait d'ailleurs ressortir claire­ dégarnie de troupes, ils en deviendraient les ment le contraste entre l'attitude des campa­ maîtres », écrit le 27 juillet un lecteur bour­ gnes, restées fidèles au régime, et l'attitude geois du Salut public, « il faut que ceux-là des grandes villes, où s'exerce en priorité l'in­ sachent bien que la véritable population lyon­ fluence du prolétariat organisé, contraste qui naise n'entend pas que la tranquillité soit trou­ s'était déjà exprimé en août 1869 à Lyon blée par certains braillards aujourd'hui, qui, si dans l'accueil hostile fait à l'impératrice, ac­ on les laissait faire, seraient les émeutiers de compagnée de son fils, tandis que les campa­ demain ». gnes environnantes manifestaient à l'auguste Les tensions, le malaise, l'agitation sont visiteuse une enthousiaste sollicitude. d'autant moins surmontés que la guerre met en valeur de nouvelles formes d'inégalité so­ ciale particulièrement choquantes ; les jeunes LA GUERRE: UN COUP D’ACCELERATEUR bourgeois, qui parlaient de constituer une garde civique chargée de maintenir l'ordre à « Il faut une guerre pour que cet enfant Lyon, avaient seuls la possibilité d'esquiver la règne », disait l'impératrice en évoquant l'ave­ mobilisation en s'achetant un remplaçant. La nir du fils qu'elle était si malencontreusement dispense dont bénéficiaient les ecclésiastiques, venue présenter aux Lyonnais. La guerre alimentait en outre la colère populaire et des contre la Prusse, déclarée légèrement, avec pétitions circulaient dans les ateliers pour de ­ l'arrière-pensée que la victoire allait permettre mander l'abolition de cette exemption. Les une remise en ordre du pays, allait s'avérer conséquences économiques du conflit ne tar­ catastrophique. dent pas non plus à apporter à l'agitation Dès le début, les difficultés qu'on avait populaire leur contingent de motivations nou­ cru surmonter par le plébiscite, renaissent, velles. Industrie de luxe, la soierie accuse la aggravées. Plus qu'à Paris, l'opposition à la première les effets de la situation, puis le guerre se manifeste à Lyon. De puissantes marasme s'étend à la teinturerie et à toutes démonstrations pour la paix et contre l'Empire les activités annexes. Seuls deux secteurs, le se déroulent dons les rues du centre dès le (13) Le courrier de Lyon, 21 juillet 1870. 36

bâtiment et la métallurgie, restent à peu près vicomte de Meaux, co-rapporteur de la Com­ épargnés par la crise. mission d'enquête parlementaire sur les évé­ Il n'est pas étonnant dès lors que des nements du 18 mars, trouve sa pleine illus­ couches considérables de la population passent tration à Lyon : « Rien n'est venu contenir (la) de l'hostilité à l'exaspération lorsque parvien­ tendance révolutionnaire... de là chez la plu­ nent les nouvelles des premières défaites. Après part des fonctionnaires les défaillances de ce Wissembourg, entre le 9 et le 12 août les qui s'est appelé administration et justice, nul manifestations reprennent, la Préfecture se effort efficace pour sauver l'ordre social, chez laisse arracher la promesse de constituer une plusieurs, connivence patente ou déguisée avec garde nationale. A la Croix-Rousse, le 13 août, qui le menaçait. Plus de police, elle avait été le simple appel d'un notaire quelque peu illu­ balayée comme solidaire de l'Empire » miné à proclamer la République provoque un Certes, à Paris, un gouvernement se main­ attroupement spontané, qui dégénère en lutte tient. Pour tenir en mains la capitale, dont on physique avec la police et entraîne la mort redoute le soulèvement décisif, il s'y laisse d'un sergent de ville. Au camp de Sathonay, enfermer. Le résultat, c'est que les centres les jeunes mobiles lyonnais s'agitent à leur urbains importants s'émancipent d'autant tour et le 30 août, ils défilent derrière un mieux : « Nous ne pouvions plus gouverner drapeau rouge. L'administration impériale, dé ­ le pays. Nous avions de plus en plus, tous les sormais impuissante et déconsidérée, cessait de jours, le sentiment douloureux de cette impos­ fonctionner ; elle était irrésistiblement envahie sibilité et de notre impuissance », dira devant par une paralysie mortelle. « Un noyau la Commission d'enquête le général Trochu. d'hommes d'ordre assez considérable, réuni au Cette situation favorise donc le déploie­ café Casati », constatant « l'absence de toute ment des initiatives populaires et, comme force publique », s'efforçait vainement de l'avoue Martial Delpit dans son rapport sur grouper les « bons citoyens » pour tenter « de les événements du 18 mars, « le gouverne­ s'opposer avec ensemble à la violence » ment laissa vivre les administrations révolu­ Dans ces conditions, on comprend pour­ tionnaires et ferma les yeux sur ce qu'il ne quoi Lyon fut la première ville, avant Paris, pouvait empêcher s> à proclamer le 4 septembre au matin la Répu­ A Lyon, le drapeau rouge hissé sur l'Hôtel blique et à installer à l'Hôtel de Ville un de Ville et les premières décisions du Comité Comité de Salut public, décidé à affirmer son de Salut public ont de quoi terroriser la bour­ indépendance par rapport aux directives éma­ geoisie. Karl Marx, le 19 octobre 1870, décrit nées de Paris. en ces termes l'état des choses tel qu'il a La déliquescence de l'appareil d'Etat est été porté à sa connaissance par l'un de ses alors évidente, la peinture qu'en a faite le informateurs : « Sous la pression de l'Inter­ nationale, la République a été proclamée avant (14) Déposition du procureur impérial Bérenger. Enquête parlementaire sur les actes du gouvernement de la Défense (15) Op. cil., p. 62. nationale, p. 502. il6) Op. cit., p. 34. 37

que Paris ait pris cette mesure : la Commune, balayons l'ordure du passé. Devriez-vous sur­ composée partiellement d'ouvriers appartenant vivre ? » à l'Internationale, partiellement de républicains L'élection de la nouvelle municipalité, le radicaux de la classe moyenne. Les octrois ont 15 septembre, n'atténue en rien les tensions. été immédiatement abolis, et à juste titre. Au contraire. Des réunions où l'on réclame la Les intrigants bonapartistes et cléricaux furent création d'une république fédérative (née de intimidés. Des mesures énergiques furent pri­ l'union des Communes urbaines), l'emprunt ses pour armer toute la population. La classe forcé, l'impôt progressif et l'occupation des moyenne a commencé, sinon à réellement forts par les Volontaires du Rhône — une sympathiser avec le nouvel ordre de choses, unité patriotique populaire — se tiennent dans du moins à le subir tranquillement » la journée du 23. Le 24, une tentative de rem­ L'armement de la population, auquel placer à l'Hôtel de Ville le drapeau rouge par Karl Marx fait allusion, concentre alors toute le drapeau tricolore se solde par une marche la vigilance des éléments révolutionnaires, sur le centre des bataillons populaires de la qu'anime le double souci de renforcer la dé ­ Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise. fense contre la menace prussienne et de veil­ Cette rapide réplique permet en outre de ler à ce que les bataillons réactionnaires recru­ déjouer une manœuvre du général Mazure, tés dans le centre de la ville ne reçoivent ni qui s'efforçait de livrer subrepticement des car­ cartouches ni fusils modernes. touches aux 1" et 2* bataillons de la Garde La lutte des classes se développe torren­ nationale recrutés dans les « bons » quartiers tueusement dans la cité. Le 9 septembre, le de Bellecour et Perrache journal qui, pendant toute la durée de l'Em­ Résumons donc ; dès la fin de septembre, à pire, avait défendu le point de vue de la Pré­ Lyon, les éléments révolutionnaires opposent fecture, le Salut public, s'en prend au drapeau une vive résistance à toutes les tentatives de rouge, « signe de ralliement des partageux », reprise en main, le drapeau rouge flotte tou­ et laisse passer un aveu de taille : « Les cou­ jours sur la ville, les affiches apposées par leurs abhorrées de la Prusse... inspireraient l'autorité municipale se réclament en carac­ moins de crainte peut-être». Le 11, sur sa tères gras du titre de Commune de Lyon, une lancée, il part en guerre contre « le régime administration non officielle s'est installée à exceptionnel de Lyon », ce qui lui attire une l'Hôtel de police, les bataillons populaires de réplique du Comité de Salut public, qu'il est la Garde nationale tiennent en respect les for­ contraint de reproduire dans ses colonnes : ces militaires de l'« ordre », des décisions ont « Vous employez tous les moyens pour nous été prises (suppression des octrois, retrait des forcer à commettre vis-à-vis des journaux les objets déposés au Mont de Piété) qui antici­ mêmes abus dictatoriaux dont vous vous êtes pent sur celles que prendra la Commune de fait longtemps complices... Les justiciers seront Paris. toujours accusés par ceux qu'ils jugent. Nous (18) Dépositaire de l'ex-préfet Challeitiel-Lacour. Enpuête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale, (17) K. Marx au professeur Beesly. pp. 522-523. 58

Arrivé à ce point, il fout bien nous deman ­ de la démocratie socialiste et la Fraternité der pourquoi, contre toute attente, cette force internationale. n'est pas sérieusement entrée en lice six mois Albert Richard, le dirigeant de la Section plus tard, pourquoi l'espoir exprimé par le lyonnaise, affirme depuis longtemps que « le dessin de Moloch ne s'est pas réalisé. peuple parisien, pris dans sa masse, n'a pas le sens de la révolution nouvelle... Le peu­ ple parisien est républicain, voilà tout », tran- LES DIFFERENCES che-t-il péremptoirement avant d'interroger : « ce peuple parisien dont les tendances démo­ cratiques sont faussées, dont les idées sont Nous avons jusqu'à présent insisté sur les dénaturées, dont les principes sont sophisti­ similitudes de la situation à Paris et à Lyon. qués, ce peuple parisien qui est trop savant Il convient maintenant de mettre en valeur les pour être socialiste d'instinct et qui ne l'est pas différences. Et tout d'abord sur le plan mili­ assez pour être socialiste par la science, de ­ taire. Certes, la menace se précise sur Lyon — viendrait socialiste aussitôt après avoir fait une génératrice d'inquiétudes patriotiques — mais révolution incomplète et insuffisante ? » le péril est moins pressant que dans la capi­ tale encerclée. Les problèmes de la défense Cette condescendance presque méprisante jouent dans les deux villes le rôle d'un nou­ trouvait en partie sa source dans le sentiment veau révélateur des antagonismes sociaux ; de supériorité que donnait aux travailleurs mais à Paris, les nécessités immédiates de la lyonnais la conscience d'appartenir à un milieu guerre retardent l'expression violente de ces socio-culturel particulièrement évolué, façonné antagonismes. Si l'on prend en considération au cours d'une histoire glorieuse : celle des le souci de la bourgeoisie de concentrer son grandes insurrections ouvrières de novembre effort sur la plus importante des deux villes, 1831, d'avril 1834 et de juin 1849'^^'. Cette sur la première, on comprend que, pour un suffisance se renforçait encore de la fierté temps, l'évolution des luttes soit plus avancée d'avoir les premiers, dès la chute de l'Empire, dans la seconde. Disharmonie riche de consé­ jeté les bases d'un nouveau type de pouvoir : quences ! C'est le moment où Bakounine, maî­ « Plus heureux, plus initiateurs que les autres tre à penser des dirigeants lyonnais de l'Asso­ villes, nous avions déjà conquis ce droit » (à ciation internationale des Travailleurs, affirme la Commune), dit l'affiche du 23 mars 1871 que « du triomphe à Lyon de la Révolution annonçant la proclamation d'un régime soli­ dépend le salut de la France » II n'a au­ daire de Paris; et l'affiche du 30 avril 1871 cune peine à convaincre ses amis, membres (20) O. Testut : L'Internationale, p. 252. des deux organisations plus ou moins occul­ (21) € Ce fut à Lyon qu'on en vint (en juin 1849) à un tes qui opèrent au sein de l'A.I.T., l'Alliance conflit opiniâtre, sanglant. Dans cette ville où la bourgeoisie et le prolétariat industriel se trouvent directement face à face, où le mouvement ouvrier n'est pas, comme à Paris, enve­ (19) Archives départementales du Rhône. Série R. Conseil loppé et déterminé par le mouvement général > (Les luttas de guerre. Envahissement de l'Hôtel de V/l/e, dossier Palix, de classes en France ■ Œuvres choisies de Karl Marx et 27 octobre 1870. F. Engels, Moscou, tome 1, p. 202.) 39

appelant à une prise d'armes reprend le même de la section, et selon laquelle « il faut fo­ thème : « La cité lyonnaise qui, la première, menter, déchaîner, éveiller les passions... pro­ le 4 septembre, ait revendiqué ses droits à la duire l'anarchie et... pilotes invisibles au milieu Commune, ne peut plus longtemps laisser de la tempête prolétaire, la diriger, non par égorger sa sœur, l'héroïque cité de Paris » un pouvoir ostensible, mais par la dictature Sans doute une analyse comparée des collective de tous les alliés, dictature d'autant populations montrerait-elle une prépondérance plus puissante qu'elle n'aura pas les apparen­ plus marquée du monde ouvrier à Lyon, en ces du pouvoir». «Peu d'alliés, concluait particulier dans les quartiers de la Guillotière Bakounine dans ce document intéressant, mais et des Brotteaux, qui se développaient à un bons, mais énergiques, mais discrets, mais rythme très rapide. La poussée de l'Interna­ fidèles » tionale dans ce milieu, son dynamisme lié à Après avoir poussé ses amis à l'isolement l'essor du mouvement gréviste des années sectaire et combattu tous les contacts « im­ 1869-1870 ont sans doute contribué à renfor­ purs » avec les républicains radicaux, Bakou­ cer chez les dirigeants de la section lyonnaise nine arrive à Lyon, le 15 septembre 1870 et, une confiance et un optimisme qui les prédis­ en treize jours, à l'aide de groupes conspiratifs posaient à surestimer leur pouvoir. L'influence qui organisent quelques meetings d'agitation, idéologique de Bakounine ne pouvait dès lors il improvise un coup de main sur l'Hôtel de que recevoir auprès d'eux un accueil chaleu­ Ville de Lyon. Le 28 septembre, à la faveur reux : son sectarisme rugissant, sa vision apo­ d'une manifestation populaire aux mots d'or­ calyptique de la révolution devenaient cré­ dre multiples et confus, la première partie de dibles. son plan semble réussir, les conjurés s'empa­ Cette influence se renforce en 1870. Le rent de la mairie, des affiches collées la 13 mars dans son message destiné aux « inti­ veille sur les murs de la ville proclament mes » qui se réunissent après la grande as­ l'atxjlition de l'Etat. Il suffit cependant de semblée de la Fédération lyonnaise de l'A.I.T., quelques heures aux autorités pour balayer il souligne que les travailleurs ne doivent cette tentative. Désavoués par les manifestants, compter que sur eux-mêmes, ne doivent ni menacés par un bataillon de la Garde nationale démoraliser ni paralyser leur puissance ascen­ venu de la Croix-Rousse (sur l'appui duquel dante par des alliances de dupes avec le radi ­ ils comptaient !), les « pilotes invisibles » doi­ calisme bourgeois : la révolution ne peut être vent s'enfuir « comme des ânes », dira sévè­ que « l'anarchie juridique et politique ». rement Marx Ce texte est d'ailleurs en large partie la Cet acte inconsidéré jette un trouble pro­ redite d'une lettre qu'il avait envoyée le 7 fé­ fond dans les milieux populaires de la ville. vrier 1870 à Albert Richard, le jeune secrétaire (23) Albert Richard ; Bakounine et l'Internationale a Lyon, Revue de Paris, septembre 1896. Les alliés dont parle (22) Archives départementales du Rhéne. Série R. Conseil Bakounine sont les membres de son Alliance de la démocratie de guerre, pièces de procédure — affaire de mars 1871, socialiste. affaire du 30 avril 1871. (24) Lettre déjà citée au professeur Beesly. 40

l'Internationale s'en trouve irrémédiablement et des éléments de la petite bourgeoisie révo­ compromise : « Au mois de septembre (1870), lutionnaire : la suppression brutale de la solde déclarera Outine lors de la Conférence de de la Garde nationale et l'abolition du mora­ l'A.I.T. tenue à Londres le 18 septembre 1871, toire des dettes et des loyers plongent dans Bakounine, Richard et autres perdirent tout la misère maintes boutiquiers et artisans ; la à Lyon. Après la révolution du 18 mars, les colère, la révolte provoquées par ces décisions Lyonnais nous déclarèrent que, depuis l'af­ s'ajoutant à l'humiliation de la capitulation faire, ... l'existence de l'Internationale était renforcent l'union des couches populaires en devenue impossible parce que l'on considérait face de Versailles. l'activité de Bakounine et Cie comme étant A Lyon, au contraire, le doute, les divisions, celle de l'Internationale » '“L l'inorganisation se sont installés dans les C'est bien à partir de là que l'une des masses. Par deux fois pourtant, celles-ci ten­ différences essentielles s'accuse entre Lyon et tent de passer à l'action. Entre le 21 et le Paris. Dans la capitale, l'Internationale affai­ 23 mars, la Commune est proclamée par le blie par la guerre se réorganise, elle renforce Comité central démocratique de la Garde na­ son action politique : « Le seul remède serait tionale ; largement spontané, ce mouvement celui-ci, déclare Varlin à la séance du Conseil avorte, faute de perspectives claires et d'une fédéral du 19 février 1871, devenir un corps organisation réelle du nouveau pouvoir. Le politique puissant afin d'agir nous-mêmes ». Le 30 avril, un soulèvement préparé par quelques l*' mars, une autre réunion est consacrée à conciliabules clandestins connaît le même sort : l'étude des moyens destinés à assurer la pré­ les barricades de la Guillotière tombent dans sence des militants de l'Internationale au sein la nuit, il s'agit d'une convulsion ultime qui du Comité central de la Garde nationale. A ne débouche sur rien. Pindy, qui voit dans cette démarche un risque de compromettre l'Internationale, Varlin ré­ torque : « Si nous sommes unis avec ce Comité, ANACHRONISME? nous faisons un grand pas vers l'avenir so­ cial ». Peut-être trouvera-t-on que cette trop ra­ Deux théories, deux tactiques, deux poli­ pide étude privilégie la question de l'organi­ tiques : les internationalistes lyonnais s'isolent, sation des travailleurs. C'est à dessein. Il faut les internationalistes parisiens se lient aux au­ en effet dire clairement que, sans l'Interna­ tres éléments révolutionnaires tout en cher­ tionale, la Commune n'aurait pas été ce qu'elle chant à développer leur action propre. fut. Tout ce qu'il y o de nouveau dans l'insur­ Ajoutons qu'à Paris, les provocations de rection du 18 mars est lié à l'action de l'A.I.T. l'Assemblée de Versailles facilitent le rappro­ dans les dernières années du Second Empire, chement des ouvriers organisés dans l'A.I.T. toute la coloration socialiste du mouvement se rattache par quelque chose aux organisations (25) Mikios Molnar : Le déclin de la Première Interna­ tionale, Droz, 1963, p. 218. qu'animent les internationalistes. 41

« Le soulèvement de Paris, dit Marx, le Sous la plume de M. Max Gallo, ordinairement 3 juillet 1871, au reporter du World fut mieux inspiré, — car nous n'oublions pas ses l'œuvre des travailleurs parisiens ; les plus travaux très sérieux sur l'Espagne franquiste capables d'entre eux furent nécessairement les et l'Italie mussolinienne — l'attaque prend, chefs et les responsables du mouvement, mais avec violence, une forme caricaturale. « Pe­ il se trouve que les plus capables d'entre eux samment, écrit-il (les marxistes) vident la sont membres de l'Internationale. » En sep­ Commune de son sang et la gonflent de leurs tembre 1874, avec le recul nécessaire, Engels, vérités anachroniques : les communards man­ dans une lettre à Cuno, parle de la Commune quaient d'une analyse du rôle de l'Etat... ils qui, « intellectuellement était sans contredit la ignoraient la pensée de Marx, le matérialisme fille de l'Internationale, quoique l'Internatio­ historico-dialectique. Ils étaient d'avant Lénine, nale n'eût pas remué le petit doigt pour la c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas forgé le vrai faire », et il précise les raisons de cet état parti révolutionnaire. » de fait ; c'est que l'organisation a « dirigé l'his­ toire européenne vers un côté — le côté où Pourquoi cette agressivité dirigée contre réside l'avenir » la réflexion marxiste sur les insuffisances idéo­ logiques et organisationnelles de la Commune ? Si la part de l'avenir est du côté de l'orga­ Ne serait-ce pas parce qu'il y a là l'essentiel nisation des travailleurs, peut-être est-il pos­ de ce que peut nous apprendre l'événement et sible d'expliquer les raisons pour lesquelles, à que taire cet aspect, c'est proprement enterrer Lyon, les insurrections communalistes de mars la Commune au musée de l'histoire « événe­ et d'avril 1871 ressemblent encore beaucoup mentielle » ? Dans ce cas s'éclairerait pleine­ aux crises du passé. En dépit d'une base ment le titre du livre de M. Max Gallo ; ouvrière relativement puissante, l'affaissement « Tombeau pour la Commune » ! total de l'organisation six mois plus tôt, pro­ voqué par la tactique irresponsable de Bakou­ Nous disons que l'Internationale a été nine et des siens, ne laisse plus d'autre assez forte pour éclairer l'insurrection des ressource que le retour aux méthodes conspi- rayons de l'avenir ; mais, en raison des condi­ ratives du passé ou laisse le champ aux tions conjoncturelles et structurelles qui prési­ errements d'une spontanéité dangereuse au dèrent à son action, elle a été trop faible pour moment où la charge idéologique du mouve­ mener le mouvement à son terme. Et nous ment s'affaiblit. reprenons aussi à notre compte ce jugement que Marx formulait dès le 17 avril 1871 : Et nous touchons ici à ce qu'il y a actuel­ « Grâce au combat livré par Paris, la lutte lement d'essentiel dans le débat qui oppose de la classe ouvrière contre la classe capita­ les historiens marxistes à beaucoup d'autres. liste et l'Etat capitaliste est entrée dans une nouvelle phase. Quelle qu'en soit l'issue, nous (26) The World, 18 juillet 1871, in « Le Mouvement social », janvier-mars 1962, n" 38, p. 9. (28) Et le journal Le Monde reproduit ces propos dans son (27) Marx-Engels : Œuvres choisies, Moscou, tome II, p, 524. numéro du 8 janvier 1971 avec une hâte bien significative... 42

avons obtenu un nouveau point de départ, côté, le 15 février 1870, le dirigeant marseil­ d'une importance historique mondiale » lais Bastelica, se montrer indifférent à la solu­ Montrer que le temps était venu où se tion politique du problème social... Si nous ne posaient le problème du rôle de l'Etat et celui voulons pas que la prochaine révolution soit de la nécessité d'un parti ouvrier, est-ce vrai­ politique, faisons-la s(x:iale, collectiviste » ment manier de pesants anachronismes ? C'est Varlin, à Paris, sent plus que tout autre à mon avis faire preuve d'une pesante igno­ la nécessité d'une juste orientation théorique rance que d'attaquer les marxistes sur ce du mouvement, appuyée par une organisation terrain ; car il est vrai que l'analyse du rôle solide de l'action. Le 25 décembre 1869, il de l'Etat, que la nécessité de constituer très s'efforce de démontrer au bakouninien James vite un parti étaient, à la veille de la Commune, Guillaume que la situation « ne permettait pas au premier plan des préoccupations des inter­ au parti socialiste de rester étranger à la poli­ nationalistes. tique. En ce moment, affirmait-il, la chute de l'Empire prime tout le reste et les socialistes Il suffit pour le reconnaître, de consulter doivent, sous peine d'abdiquer, prendre la tête des archives qui sont à la disposition de tous du mouvement » Le 26 janvier, il confie — et même des historiens ! Au début de à Albert Richard : « Malon m'a fait part d'une l'année 1870, en lisant la correspondance des lettre dans laquelle vous lui demandez si nous principaux leaders internationalistes, on dé ­ organisons des sections révolutionnaires ! Soyez couvre que ceux-ci sont désormais convaincus sans crainte, nous nous en occupons. Mais, que l'émancipation économique de la classe dans le cas où la lutte s'engagerait à Paris, ouvrière passe par la conquête du pouvoir pourrions-nous compter sur vous pour faire politique et par l'emploi de ce pouvoir politique, diversion ? » Le 4 mai enfin, après l'agi­ par l'utilisation de l'Etat, en vue de fins so­ tation qui a marqué les funérailles de Victor ciales. Ils ont d'autre part la certitude qu'une Noir, il insiste auprès de Bastelica pour que sorte de course de vitesse est engagée entre se développe la coordination entre les groupes les événements qui se précipitent et l'organi­ internationalistes : « Il ne faut pas nous expo­ sation (trop lente) de l'A.I.T. au plan national, ser à ce que, dans une circonstance semblable, seul moyen de donner au mouvement ouvrier quelques-uns d'entre nous livrent bataille sur une force d'intervention suffisante. un point et se fassent massacrer tandis qu'ail- « La révolution s'avance, inévitable, acces­ leurs on ne songerait pas à la lutte. Désormais, sible encore à bien des influences, écrit en nous nous consulterons et nous agirons en­ janvier 1870 Benoît Malon à Albert Richard ; semble » s'abstenir dans ces conditions serait abandon ­ Cette orientation est précisément celle que ner le mouvement à la direction des politiques (30) Il ne faut pas, affirme de son (31) Ibidem, n« 169. purs (32) Le Progrès, journal suisse, 1" janvier 1870. (33) Ibidem, n» 4. (29) K. Marx-F. Engels : op. cit, p. 510. (34) O. Testud : L’Internationale. Varlin à Bastelica, 4 mai (30) Archives municipales de Lyon, 12 56 B, n° 230. 1870. 43

Marx s'efforce de promouvoir au sein de la La Commune n'est certes pas « la matrice section lyonnaise de l'A.I.T. Dans la lettre de notre époque » — idée que nous prête qu'il fait écrire par Eugène Dupont à Richard, faussement M. Max Gallo, — mais elle est deux jours après la chute de l'Empire, on lit ; bien le banc d'essai des luttes de notre époque. « Profitez des libertés que les circonstances En ce sens, Marx avait raison de la considérer vont apporter pour organiser toutes les forces comme « un nouveau point de départ d'une de la classe ouvrière... Activer, répandre par­ importance historique mondiale ». tout cette organisation, c'est la tâche de notre association... que le mot d'ordre des travail­ leurs soit partout l'Internationale et le but que nous voulons atteindre sera bien près » Ces documents sont-ils suffisants pour donner à penser que l'anachronisme n'est que dans la tête de M. Max Gallo ? Les victimes de la répression anti-commu­ naliste sont souvent les premières à tirer des événements la leçon qui s'impose. C'est ce que fait, le 21 mars 1872, à la prison Saint- Paul où il est incarcéré, Coulet de Tayrac, délégué de la Commune de Paris à Lyon au moment des événements du 30 avril. Dans une lettre qu'il réussit à faire par­ venir à ses amis, il écrit : « Que manque-t-il à notre cause pour triompher enfin ? Le nom­ bre ? Non ! puisque nos oppresseurs sont un quand nous sommes mille. Le dévouement ? Mais depuis un an nos martyrs se chiffrent par milliers et nos ennemis trouveraient-ils dans leurs rangs des Ferré capables de rire avec dédain en face du peloton d'exécution ? Le droit ? Mois le socialisme n'est que la revendication de tous les droits violés ! « Pour vaincre, nous n'avons qu'à nous entendre et à vouloir ! »

(35) Archives départementales du Rhône, Série R. Enva­ hissement de l'Hôtel de Ville, dossier Gaspard Blanc. (36) Archives départementales du Rhône, Série R. Conseil de guerre, 1871, dossier Audouard. 44

LA COMMUNE MOUVEMENT NATIONAL ET INTERNATIONALISTE

Victor JOANNES

Dans sa géniale adresse sur « La guerre civile en France », écrite pendant le cours même des événements dont il était le témoin passionné, Marx dégage avec clarté le double caractère national et international de la Commune de Paris. Il écrit ; « Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l'émancipation du travail, inter­ nationale, au plein sens du terme. Sous les yeux de l'armée prussienne qui avait annexé à l'Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier. »

(1) Karl Marx : La guerre civile en France. Editions sociales. 1953, p. 49. 45

LA COMMUNE, MOUVEMENT NATIONAL Prussiens dans Paris a été une des causes principales de l'insurrection... » Gouvernement véritablement national, la Paris, qui s'était levé quand l'armée enne­ Commune le fut tout à la fois par ses origines mie l'assiégeait, Paris, qui avait exigé d'être et par le combat qu'elle dut soutenir contre armé et qui avait collecté des sommes consi­ la coalition ouverte et complète des contre- dérables pour acquérir des canons et des fusils, révolutionnaires de Versailles et des enva­ Paris se dressait héroïquement contre ceux qui hisseurs prussiens. venaient de livrer le pays aux Prussiens par Dans le rapport de la Commission d'enquête haine du peuple et de la démocratie. Animé de l'Assemblée nationale sur l'insurrection du de la volonté de défendre jusqu'au bout l'indé ­ 18 mars, rapport imprimé au Journal officiel pendance de la France, Paris refuse de céder en 1872, on lit : « L'armistice signé le 28 jan­ ses armes à l'ennemi. Et l'ennemi n'ose pas vier était pour la France entière une grande toucher à la Garde nationale. Engels note douleur ; pour Paris, c'était la capitulation, à ce sujet : « La France était abattue, Paris était affamé, mais le peuple de Paris s'était c'est-à-dire une honte et une déception qu'il assuré par son passé glorieux un tel respect n'avait pas cru possibles et auxquelles il ne que nul vainqueur n'osa lui suggérer le désar ­ voulait pas se soumettre. mement, nul n'eut le courage de le visiter à « L'immense effort du siège, les privations domicile et de profaner par un défilé triomphal de tout genre si noblement endurées, l'espoir ses rues, théâtres de tant de révolutions ». de vaincre et de sauver la France par une Ce fut, le fait est connu, le gouvernement lutte suprême, tout cela était perdu et l'on du défaitiste Thiers (qui n'était plus, selon se trouvait tout à coup en présence de l'inva­ l'expression de Marx « qu'un gouvernement sion dans ce qu'elle a de plus horrible... de la France avec la permission de Bismarck ») Beaucoup de Parisiens disaient : « Nous aimons qui entreprit dans la nuit du 17 au 18 mars mieux brûler nos maisons que de les rendre de désarmer la Garde nationale de Paris, véri­ à l'ennemi ». table champion des intérêts nationaux. Paris Thiers lui-même, dans la déposition qu'il fit répondit à cet acte par l'insurrection. Thiers devant la Commission d'enquête le 24 août s'enfuit à Versailles, décidé à reprendre la 1871, moins de trois mois après les odieux capitale à partir de l'extérieur et avec l'aide massacres du Père Lachaise, déclarait ; « Les de l'envahisseur. Il mit tout en œuvre pour Prussiens avaient grande appréhension de leur obtenir cette aide. Alors qu'au début de mars entrée dans Paris. Ils sont venus dans les il ne disposait que de 25 000 soldats, un mois Champs-Elysées, mais ils y sont demeurés après il avait 1 80 000 hommes : c'est le chan­ enfermés, et ils ne se sont pas montrés au celier d'Allemagne qui avait autorisé cette delà de la place Louis-XV L'entrée des augmentation des effectifs par dérogation à l'armistice. (2) Aujourd'hui, Place de la Concorde. Comme Marx ne manquait pas de le signa- 46

1er dans sa lettre aux communards Frankel des ouvriers parisiens ne soulève toute la et Varlin en date du 13 mai 1871, Thiers a France dans un élan révolutionnaire contre « demandé à Bismarck d'ajourner le paiement les troupes prussiennes. de la première tranche (de la contribution de Par intérêt de classe, les vainqueurs et les guerre) jusqu'à la prise de Paris. Bismarck vaincus de la veille, les capitalistes des bords a accepté cette condition. Etant donné que de la Seine et les hobereaux de l'Est de l'Elbe, la Prusse a elle-même un besoin d'argent très Bismarck et Thiers se trouvèrent donc natu­ pressant, elle accordera aux Versaillais toutes rellement d'accord pour marcher contre la les facilités possibles pour hâter l'occupation Commune la main dans la main. de Paris. Soyez par conséquent sur vos La lutte des Communards de barricade en gardes ! » barricade pendant la Semaine sanglante, leur Au moment même où Marx écrivait cette défense acharnée de chaque pouce du sol sacré lettre, Bismarck rendait à Thiers 100 000 pri­ de la ville révolutionnaire, leurs multiples tenta­ sonniers de guerre français afin de donner tives de contre-attaque ont illustré l'abnégation une supériorité numérique plus grande encore avec laquelle les travailleurs de Paris savent aux troupes de la répression, qu'on voulait se battre et mourir pour la double cause de d'autant plus fortes en effectifs qu'elles étaient la classe ouvrière et de la liberté nationale. peu sûres. Le 9 mai, Bismarck en train de Les femmes de Paris, la jeunesse laborieuse, négocier à Froncfort avec le représentant des les odolescents, les enfants eux-mêmes, accom­ Versaillais, Jules Favre, consignait par écrit plirent alors des prodiges d'héroïsme. Le poète l'aveu suivant : « En vertu d'une convention Arthur Rimbaud a chanté la lutte des femmes complémentaire, orale et secrète, nous auto­ dans son poème : « Les mains de Jeanne risons le passage à travers nos lignes et nous Marie » : bloquons Paris de notre côté». Près de vingt Elles ont pâli merveilleuses. ans plus tard, dans une interview publiée par Au grand soleil d'amour chargé. le journal «Le Temps» le 19 mai 1890, Sur le bronze des mitrailleuses, Bismarck se vantera « d'avoir prêté quelque A travers Paris insurgé ! assistance à Mac Mahon et à Thiers ». Les complaisances que le nouvel Empire Lénine a exalté ce rôle joué par les femmes germano-prussien, proclamé dans la Galerie et les jeunes de Paris dans les combats de des Glaces de Versailles le 18 janvier 1871, la Commune ; il notait en 1916 : « Un obser­ prodiguait à la réaction française n'étaient pas vateur bourgeois de la Commune écrivait en désintéressées. Bismarck a dit lui-même que mai 1871, dans un journal anglais: «Si la la Commune lui avait valu sa première nuit nation française ne se composait que de blanche. Il craignait que les idées révolution­ femmes, quel peuple terrible ce serait ! » naires des Communards ne finissent par Des femmes et des enfants de treize ans influencer les soldats et les ouvriers allemands. combattirent pendant la Commune à côté des Et il craignait aussi que l'ardent patriotisme hommes. 47

30 000 Communards furent tués. On en siens refusèrent de recevoir le délégué de la arrêta 45 000, dont un grand nombre de Commune venu tout exprès de Saint-Denis. femmes et parmi elles, Louise Michel, condam­ Dans une Adresse du Conseil général de née à mort, puis envoyée au bagne de Nouméa, l'Internationale au Comité central de New où elle passa de longues années avec ses York pour les sections des Etats-Unis, Marx compagnes de combat. C'est par centaines que a dénoncé, dès l'été 1871, l'attitude crimi­ les jeunes furent arrêtés et sommairement nelle de Washburne, après une étude attentive exécutés. Paris perdit 100 000 habitants. des témoignages directs C'était là le brillant résultat de la colla­ L'ambassadeur des Etats-Unis à Paris boration entre les réactionnaires de France et Washburne et le chef du pouvoir exécutif de les réactionnaires d'Allemagne contre la classe France, en luttant contre la Commune, avaient, ouvrière et la démocratie. chacun sur son plan, bien travaillé à la conso­ Il n'est pas inutile à ce propos de relever lidation des forces de réaction et de guerre en aussi le rôle honteux que la bourgeoisie améri­ Europe ! caine a joué dans la répression de la Com­ Le caractère national évident de la Com­ mune. mune de Paris est souvent nié par des histo­ L'ambassadeur des Etats-Unis à Paris, riens qui tirent argument du fait que la guerre Washburne, se donnait depuis le début de la n'ayant pas repris après le 18 mars, il n'y guerre civile pour un ami des Parisiens et, avait là qu'un prétexte totalement dépourvu le 24 mai, il envoyait à la Commune, siégeant de sincérité. C'est oublier un peu vite que la à la mairie du XI" arrondissement, son secré­ Commune avait un choix à faire : la lutte taire, pour offrir, au nom de la Prusse, une contre l'Allemagne ou la défense du régime médiation entre les Versaillais et les fédérés, nouveau dont le gouvernement de Versailles auxquels on promettait non seulement qu'ils préparait la destruction. La reprise de la guerre auraient la vie sauve, mais qu'aucune pour­ étrangère — matériellement difficile, d'ailleurs suite ne serait exercée contre eux. La Com­ — risquait de compromettre la révolution. Dans mune commit la faute d'ajouter foi à cette ces conditions, quel devait être l'objectif es­ offre de trêve ; elle ignorait que Washburne sentiel, celui qu'il convenait de choisir et de avait déclaré le matin même au journaliste poursuivre ? C'est la situation de la Russie en écossais Robert Reîd : « Tous ceux qui appar­ mars 1918, contrainte, elle aussi, 6 un choix, tiennent à la Commune et ceux qui sympa­ ce sont les paroles de Lénine que rappellent thisent avec elle seront fusillés». justement Jean Bruhat, Jean Dautry et Emile Le résultat de l'intervention américaine, Tersen dans leur remarquable ouvrage La largement connue parmi les combattants, fut Commune de 1871 : « Il faut d'abord avoir les de paralyser l'effort de défense de Paris pour mains libres pour vaincre en premier lieu la deux jours, et cela au moment le plus critique. bourgeoisie de son propre pays » L'ignoble stratagème de l'ambassadeur ne fut (3) Voir Karl Marx : La guerre civile en France, pp. 303-310. (4) J. Bruhat, J. Dautry, E. Tersen ; La Commune de 1871, percé à jour que le 26 mai, quand les Prus­ Editions sociales, 1970, p. 368. 48

Lénine s'efforçant de persuader ses com­ départ, il y eut de la part de la classe ouvrière pagnons de cesser la guerre et de signer la un sursaut national, très rapidement d'autres paix de Brest-Litovsk précisait : « Il faut s'orga­ facteurs entrèrent en action, et tout particu­ niser, se discipliner, obéir, créer une discipline lièrement la nécessité de lutter, sans diversion, exemplaire... Tout révolutionnaire sérieux, lié contre la bourgeoisie versaillaise. Sans doute on aux masses, sachant ce que c'est que la guerre, peut, ça et là, dans tels articles, dans telles ce que c'est que la masse, doit la discipliner, résolutions, déceler des traces de chauvinisme. l'aguerrir, s'efforcer de la faire se lever pour L'essentiel n'est point là. Le patriotisme des une nouvelle guerre... Peut-être accepterons- Communards est une donnée réelle, mais ce nous la guerre ; peut-être même livrerons-nous patriotisme a un contenu social. Il ne peut Moscou demain, mais ensuite nous prendrons être séparé ni des espérances sociales ni l'offensive : nous lancerons notre armée contre des progrès de l'internationalisme dont témoi­ l'armée ennemie, si dans l'état d'esprit du gnent bien des initiatives... » peuple survient ce revirement qui mûrit, qui nécessitera peut-être beaucoup de temps, mais qui se produira quand les grandes masses LA COMMUNE ET L’INTERNATIONALISME diront autre chose que ce qu'elles disent au­ jourd'hui » Née dans la guerre et de la guerre, la Faire la révolution politique et sociale et, Commune a su comprendre, par les meilleurs le succès de celle-ci assuré, effacer la défaite : de ses membres, le sens qu'elle devait adopter. tel était l'objectif de Lénine. Et c'est en fait Dès le 1" mars, Léo Frankel, membre de la cet objectif que les événements eux-mêmes section française de la Première Internatio­ imposèrent aux Communards. nale, affirmait : « Notre chemin est interna­ Par contre, d'autres historiens ne veulent tional, nous ne devons pas sortir de cette voie. » retenir que le caractère national de la Com­ L'adoption comme emblème de la Commune mune, à l'exclusion de tout autre. Certains du drapeau rouge, « le drapeau de la Répu­ vont même jusqu'à se référer à des textes de blique universelle », fut le signe matériel que Marx pour accuser les Communards d'avoir cette voie était retenue. fait preuve d'« un patriotisme exacerbé. Telle­ ment exacerbé qu'il se colorait souvent et Rien d'étonnant, dès lors, à ce que pour fortement d'un chauvinisme que Marx depuis défendre ce drapeau et les espoirs qu'il symbo­ le début de la guerre n'avait cessé de repro­ lisait, de nombreux volontaires étrangers aient cher aux ouvriers parisiens » rallié la Commune. Et la Commune les admit. « Les uns et les autres ont une vue partielle (7) Jacques Rougerie dans son livre cité doit en convenir puisqu'il écrit : € Ce patriotisme extraordinairement suscepti­ des événements. Ils ne voient pas que si, au ble, belliqueux encore quand la paix est presque faite, va étroitement de pair avec un républicanisme ardent » (5) Lénine : Œuvres, t. 27, pp. 103-lOS. (pp. 171-172). (6) Jacques Rougerie : Procès des Communards, Julliard, (8) Jean Bruhat, Jean Dautry, Emile Tersen. Ouvrage cité, 1964, pp. 168-169. p. 368. 49

selon la belle expression de Marx, « à l'hon­ Travail du premier Etat ouvrier. Jean Alle- neur de mourir pour une cause immortelle ». mane a, malgré les profondes divergences Il y eut des Belges. Les plus nombreux. qui le séparaient de Frankel, correctement ap­ Groupés en une légion spéciale qui participa précié l'effort du délégué au Travail, quand à de multiples combats, leur chef atteint de il écrit : « Certes, ce n'est pas un exemple trois balles devait mourir le 23 mai à l'Hôtel banal que celui donné par cet homme com­ de Ville. Ses derniers mots que rapporte le prenant le pouvoir comme une étroite obliga­ dernier numéro du Journal officiel de la Com­ tion de sanctionner les doctrines professées par mune furent : « Vive la Commune ! » Le fait son parti, en leur donnant une immédiate que sur 1 725 étrangers arrêtés lors de la ré­ application, sans remettre au lendemain ce qui pression figurent 737 Belges atteste la valeur est tout de suite réalisable. Ce qu'il fallait dire, de leur participation. ce qu'il est important que sachent nos fils, Il y eut des Italiens, tel Amilcare Cipriani, c'est que le mouvement de 1871 doit à Léo qui avait combattu avec Flourens en Crète et Frankel et à ses obscurs collaborateurs de qui sera à ses côtés lors de la sortie du 3 avril. surgir dans l'histoire... comme la Révolution Blessé, il sera jeté, par les Versaillais, avec sociale avec ses inévitables conséquences son compagnon mort, dans un tombereau de et son aboutissement franchement commu­ fumier. Deux cent quinze Italiens furent arrê­ niste » ^**1. tés, pendant et après la Semaine sanglante. Théoricien, homme de pensée, Léo Frankel Parmi eux, deux femmes : Domenica Manzini, fut aussi un homme d'action. Du 21 au 28 mai, Génoise, femme de chambre d'une Française après l'irruption des Versaillais dans Paris, il et arrêtée avec celle-ci, alors qu'elle soignait participa à la bataille de rues. Grièvement des blessés dans l'ambulance de Neuilly, et blessé, il put néanmoins se réfugier à l'étran­ Maria Lagomassini, de Chiavari. La participa­ ger ; la réaction le condamne à mort par contu­ tion des Italiens fut, après celle des Belges, mace. Léo Frankel a donné de la Commune la plus importante de toutes. une définition que feraient bien de relire les L'un des hommes politiques les plus capa­ nombreux historiens qui parlent d'elle comme bles de la Commune fut certainement le Hon­ d'un « mythe ». Il écrivait en 1887 : grois Léo Frankel. Admis comme candidat et « La révolution dont la naissance fut fêtée comme élu de la Commune <’>, il eut la charge le 18 mars à Montmartre, ne fut pas seule­ et l'honneur d'être, ô 27 ans, le ministre du ment une révolution de plus venant après tant d'autres ; elle fut une révolution nouvelle, avec (9) C'est à propos de l’élection de Léo Frankel que fut posée la question : € Les étrangers peuvent-ils être admis à un but nouveau. Une révolution nouvelle parce la Commune?». La Commission chargée d'examiner les élections à la Com­ (10) Jean Allemane, condamné en 1672 aux travaux forcés mune répondit très nettement : • Considérant que le drapeau à perpétuité, fut particulièrement maltraité au bagne. Libéré de la Commune est celui de la République universelle ; par l'armistice, fondateur du Parti ouvrier socialiste révolu­ considérant que toute cité a le droit de donner le titre de tionnaire (P.O.S.R.) de tendance anarchisante, il fut un des citoyen aux étrangers qui la servent,... la Commission est derniers survivants de la Commune. Mort à Herblay (Seine-et- d'avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose Oise), en 1935. l'admission du citoyen Frankel. > (11) Article paru dans La Parti ouvrier du 12 avril 1896. 50

que révolution ouvrière. La Commune ne cher­ hommes, combattit le fusil à la main de bar ­ cha pas seulement à foncier et à consolider ricade en barricade jusqu'au dernier jour de une république^ elle voulait créer une répu­ la Commune, le 28 mai. Ayant réussi heureu­ blique basée sur le travail... Son but était de sement à se soustraire à la vengeance des mettre fin à l'exploitation de l'homme et à la Versaillais, il parvint à gagner Londres, où, domination de classe. Malgré les imprécations après avoir pris contact avec Marx, il repré­ des prêtres, les menaces ou les sarcasmes de la sente la section polonaise au Conseil général classe dirigeante, malgré toutes les misères, de l'Internationale. Wroblewski avait été con­ tous les dangers, le grand idéal qui animait damné à mort par contumace. les combattants de la Commune continuera à La participation des Polonais à la Com­ se répandre jusqu'au jour où il conduira les mune ne fut pas seulement de qualité. Elle opprimés à la victoire finale et réalisera la fut importante aussi par le nombre des combat­ libération de la classe ouvrière. Pour nous tants. Combien étaient-ils ? « Le chiffre le plus autres, le 18 mars annonce un monde nouveau, vraisemblable oscille entre 500 et 600... L'état une société nouvelle » actuel des recherches sur la participation des Les noms des patriotes et grands démo­ Polonais à la révolution parisienne de 1871 crates révolutionnaires de Pologne, Jaroslaw permet d'énumérer plus de 300 noms », écrit Dombrowski et Walery Wroblewski sont comme Zigmund Modzelewski dans son livre « Vues celui de Léo Frankel inséparables de la Com­ sur la Commune de Paris » Parmi ces mune de Paris. Les ouvriers français les firent noms, retenons entre autres, avec celui de généraux de la Garde nationale. Babick, élu de la Commune dans le dixième Dombrowski, commandant en chef des arrondissement, celui d'une femme admirable, forces armées de la Commune, tombe sur les Pauline Merkaska (Paula Mink) qui participa barricades de Paris pour la cause du proléta­ activement à la Commune à Paris, puis fut, riat international et de la liberté française. par la suite, envoyée en province avec pour L'année même de la Commune, le grand poète tâche d'y populariser la Commune. Paula révolutionnaire bulgare, Christo Botev, célèbre Mink put échapper aux recherches et se réfu­ ce héros qui « non pas esclave d'une tête gier en Suisse, où elle participa au Congrès couronnée... mais champion d'une grande idée socialiste de Lausanne qui eut lieu vers la fin et d'un but élevé... s'est opposé la poitrine de l'année 1871. Après l'amnistie de 1879, découverte à ceux qui trahissaient la France et comme la plupart des Communards, elle put qui répondent de l'infinie souffrance de l'hu­ rentrer en France et continuer auprès de Louise manité ». Michel son action pour la défense des reven­ Wroblewski, défenseur des forts sud de dications ouvrières. Elle mourut à Paris en Paris, qui, par sa bravoure et sa science mili­ 1901. taire, avait conquis l'affection de tous ses Une des personnalités éminentes de la Commune fut sans conteste la révolutionnaire (12) Cité par Jacques Duelos dans son livre A l'assaut du ciel. Editions sociales, 1970, p. 310. (13) Editions de i'amitié franco-poionaise, Paris 1952, p. 34. 51

russe Elisabeth Dmitriéva Elle avait fait la Lissagaray qui, dans son « Histoire de la connaissance de Marx en 1870, à Londres, et Commune », cite le nom d'Elisabeth Dmitriéva s'était liée d'amitié avec ses filles. Une lettre à trois reprises, écrit : « Une jeune Russe de d'Elisabeth Dmitriéva à Marx, datée du 7 jan­ grande naissance, instruite, riche, qui se faisait vier 1871, donne une idée des relations qui appeler Dimitriev, fut la Théroigne de cette s'étaient établies entre elle et la famille du révolution s> grand penseur et militant révolutionnaire : « Je Elisabeth Dmitriéva disparut après la chute vous remercie pour votre bonté et l'intérêt que de la Commune. Elle échappa aux recherches vous portez à ma santé. Je ne veux pas natu­ et, sous son nom de femme mariée, Mme To- rellement vous prendre votre temps, mais si manevski, elle rentra tranquillement en Russie. vous aviez quelques heures libres dimanche La police politique russe ne sut jamais qui soir, je suis persuadée que vos filles seraient était la communarde Elisabeth Dmitriéva. aussi heureuses que moi-même de vous voir Quant aux deux grands fils du peuple chez nous. » allemand, Marx et Engels, on sait avec quelle Début mars 1871, Elisabeth Dmitriéva se attention ils suivaient les événements de Paris, rendait à Paris, chargée d'une mission d'infor­ l'attitude des classes diverses et surtout les mation par Marx. Dès les premiers jours de opérations militaires et la conduite des Prus­ la Commune, elle prit une part active à la lutte. siens présents aux portes de la capitale. Sous sa direction furent créés, dans tous les Marx et Engels, Georges Cogniot le montre arrondissements de la ville, des Comités de dans ce même numéro, furent d'admirables femmes qui aidèrent énergiquement à organiser dirigeants et organisateurs de l'aide à la Com­ le premier Etat prolétarien. Quand les Versail- mune. Leurs efforts dévoués furent couronnés lais furent entrés dans la capitale, le bataillon de succès dans la mesure où non seulement la de femmes commandé par Elisabeth Dmitriéva classe ouvrière de toute l'Europe se mit à se signale par sa bravoure à toute épreuve. regarder Paris avec enthousiasme et confiance, Le renom de la courageuse révolutionnaire mais où les meilleurs révolutionnaires de tous russe est inséparable de cette autre combat­ les pays accoururent se mettre au service de tante héroïque de la Commune que fut Louise la Commune. Michel. C'est grâce aux efforts de Marx et d'En ­ gels qu'en dépit des pressions de sa propre (14) Dans son article : Deux femmes russes combattantes de la Commune, paru dans les « Cahiers internationaux » n» 16 bourgeoisie, la classe ouvrière allemande mani­ de mai 1950, Vassili Soukhomline cite également le nom festa sa sympathie et sa solidarité avec les de Anne Korvlne-Kroukovskaïa, fille du général russe Korvine- Kroukovski et compagne de Victor Jaciard, qui exerça sous travailleurs de Paris en lutte. ta Commune les fonctions d'adjoint au maire du 18* arrondis- sement et dirigea notamment, avec Benoît Malon, la défense Dès le 9 septembre 1870, quand Marx et de la rue Cardinet et de la rue Lévis, et fut aux côtés de Delescluze au moment de sa mort. Anne Korvine, écrit Engels avaient lancé l'Adresse de l'Internatio­ Soukhomline. «travailla avec la citoyenne Andrée Léo (Léodile nale invitant les ouvriers d'Allemagne à agir Champsaint). auteur du manifeste de la Commune aux pay­ sans, à la rédaction du quotidien La Sociale, 31 mars-17 mal (15) Lissagaray: Histoire de la Commune de U71, Editions et soigna les blessés dans les hôpitaux >. de la Librairie du travail, 1929, p. 210. 52

résolument pour imposer aux gouvernants de les Eisenachiens n'hésitèrent un seul ins­ leur pays la conclusion d'une paix juste avec tant ; des réunions massives à Berlin, Ham­ le peuple français et la reconnaissance de la bourg, Brême, Hanovre, Elberfeld ainsi qu'à République proclamée à Paris, la direction du Dresde, Leipzig et Chemnitz, exprimèrent leur Parti social-démocrate allemand avait donné sympathie ardente et fidèle à la révolution suite, sans hésiter, à cet appel. Sous le mot sociale de Paris, saluèrent fraternellement ses d'ordre « Pour une paix juste avec la Répu­ combattants au nom des travailleurs alle­ blique française ! Pas d'annexion ! », elle avait mands » organisé des manifestations de masse contre la continuation de la guerre. Bismarck, qui ne Pendant tout le temps que dura la Com­ pouvait tolérer que sa politique fût ainsi publi­ mune, les ouvriers ne cessèrent de prendre ainsi quement battue en brèche, avait jeté les diri ­ publiquement position en sa faveur et contre geants du Parti en prison. Bismarck, comme en témoignent les nombreu­ Les députés ouvriers à la Diète de l'Alle­ ses adresses publiées dans le Journal officiel magne du Nord, August Bebel et Wilhelm de la Commune. Et quand la Commune fut Liebknecht, qui avaient, avec un magnifique accablée par la coalition de la réaction ger­ courage, voté contre les crédits de guerre le mano-française, ce fut encore August Bebel, 28 novembre et demandé une paix immédiate — libéré le 5 avril avec Wilhelm Liebknecht sans annexion avaient été eux aussi arrêtés sous la pression des masses, — qui se fit le le 17 décembre 1870, à la fin de la session porte-parole de l'indignation de la classe ou­ de la Diète, et inculpés de haute trahison. vrière allemande, en lançant en plein Reich­ stag, le 25 mai 1871, ces paroles prophétiques Cependant, malgré la répression, lorsque à l'adresse des classes régnantes : « Soyez la nouvelle de la proclomation de la Commune convaincus que tout le prolétariat européen et parisienne fut connue en Allemagne, elle sus­ tout ce qui garde encore dans la poitrine le cita l'enthousiasme de tout le mouvement ou­ sentiment de la liberté et de l'indépendance, vrier allemand. « Partout où dans les provinces a les regards fixés sur Paris. Et bien que Paris allemandes il y avait un prolétariat ayant une soit écrasé pour l'instant, je vous rappelle que conscience de classe, un ardent cri d'enthou­ la lutte de Paris n'est qu'un petit combat siasme répondit au soulèvement révolutionnaire d'avant-poste, que l'essentiel en Europe est des ouvriers parisiens. Ni les Lassalliens ni encore à venir et qu'il ne passera pas beau­ coup de dizaines d'années avant que le cri (16) En refusant les crédits militaires, Bebel déclarait à la Diète ; < Comme socialiste et républicain, je suis non pour la guerre mais pour l'alliance fraternelle des peuples, non pour l'hostilité à l’égard des ouvriers français, mais pour l'union de nos ouvriers allemands avec eux. > (18) On nommait ainsi les partisans du Parti ouvrier (17) Lassalliens ! partisans de F. Lassalle, dirigeant socia­ sociai-démocrate allemand dont le Congrès constitutif se tint liste allemand qui avalant constitué, en mai 1863, l'Association à Eisenach, le 7 août 1869, à l'initiative de W. Liebknecht générale des ouvriers allemands. Son ignorance du marxisme et A. Bebel. le conduisit è développer la théorie antimarxiste de la « loi (19) Franz Mehring i Histoire de la social-démocratie alla- d'airain > des salaires et è sombrer dans le marais du mande, cité par J. Duclos dans son livre : La Commune de < socialisme national > et du réformisme social. Paris, Editions sociales, 1970, pp. 313-314. 03

de bataille du prolétariat parisien ; guerre aux LA COMMUNE TOUJOURS VIVANTE palais, paix aux chaumières, mort à la misère et à l'oisiveté, ne devienne le cri de bataille La Commune de Paris a succombé. Mais de tout le prolétariat européen. » elle a préparé le terrain pour les victoires Le souvenir de la Commune ne s'est pas futures du socialisme et de la solidarité inter­ éteint avec la Semaine sanglante. L'année sui­ nationale entre les peuples. vante, le 28 mai, au jour anniversaire de la Mouvement d'indignation patriotique con­ chute de la Commune, le journal ouvrier tre les hommes qui avaient accepté la défaite allemand Chemnitzer Fraie Presse paraissait et ses conséquences, livré Paris et avec lui la encadré de noir. On y lisait ; « Deux mois France, la Commune sut par sa forme et sa s'étaient écoulés depuis que le peuple travail­ conduite, par son contenu, donner à un mou­ leur de Paris avait conquis la souveraineté, vement parisien un sens et une portée univer­ depuis qu'il avait arboré le drapeau de l'amour sels. Elle sut comprendre que l'internationa­ universel des hommes, et la situation restait lisme prolétarien accompagne naturellement et toujours la même qu'au mois de mars. On logiquement le patriotisme. Elle sut faire passer voyait d'un côté les prolétaires de tous les dans la vie l'exigence historique déjà claire­ pays qui, avec une fière assurance et les meil­ ment formulée dans « Le Manifeste Commu­ leurs espoirs, regardaient les hommes de la niste » de 1848 : « Prolétaires de tous les pays, Commune, considérés à juste titre par eux unissez-vous ! » comme leur avant-garde dans la présente C'est ce qui explique sa prodigieuse et du­ guerre sociale. De l'autre côté, il y avait les rable influence et son rayonnement. Comme vampires des usines, les chevaliers de la Bourse l'écrivait Lénine dans la Gazette ouvrière et tout le reste des parasites, qui rentraient d'avril 1911 : «Le souvenir des combattants la tête en proie à l'angoisse ; que d'heures de la Commune n'est pas seulement vénéré terribles, que de nuits blanches ces voyous ont par les ouvriers français, il l'est par le proléta­ alors connues, et non sans raison ! Il n'aurait riat du monde entier. Car la Commune lutta pas fallu grand chose pour que la Commune non point pour quelque objectif local au étroi­ de Paris eût la victoire et qu'ensuite on sonnât tement national, mais pour l'affranchissement la marche générale pour la croisade contre la de toute l'humanité laborieuse, de tous les racaille. » humiliés, de tous les offensés... Le tableau de Ainsi, dès le temps de la Commune, le sa vie et de sa mort, l'image du gouvernement prolétariat et le peuple allemands partageaient ouvrier qui prit et garda pendant plus de les luttes et les espoirs de la classe ouvrière deux mois la capitale du monde, le spectacle et du peuple français. Et cette solidarité, de la lutte héroïque du prolétariat et de ses comme en témoigne l'histoire du siècle écoulé souffrances après la défaite, tout cela a en­ depuis la Commune de Paris, on l'a vu s'expri­ flammé le moral de millions d'ouvriers, fait mer à chaque crise des relations entre la renaître leurs espoirs et gagné leur sympathie France et l'Allemagne. au socialisme... C'est pourquoi l'œuvre de la 54

Commune n'est pas morte : elle vit jusqu'à foi naïve dans les aspirations nationales de la présent en chacun de nous » bourgeoisie... (Elle) a appris au prolétariat euro­ L'expérience de la Commune a permis péen à poser concrètement les problèmes de l'enrichissement théorique du prolétariat mon­ la révolution socialiste. » dial. Elle a fourni à Marx et Engels les données Au VII® Congrès du Parti bolchévik, le pre­ dont ils avaient besoin pour définir le caractère mier à se réunir après la grande victoire et le contenu de l'Etat de la classe ouvrière, socialiste d'Octobre, Lénine reliant le présent de la démocratie socialiste, pour préciser les au passé mettait en valeur le mérite historique voies de passage du capitalisme au commu­ des Communards en proclamant ; « Nous nisme. C'est à partir de l'expérience de la sommes debout... sur les épaules de la Com­ Commune qu'en 1875, Marx écrit dans la mune de Paris ». « Critique du programme de Gotha » : « Entre Et lorsque après la victoire du prolétariat 10 société capitaliste et la société communiste russe, les opportunistes de tout acabit se mirent se trouve la période de la transformation révo­ à calomnier le jeune pouvoir soviétique, Lénine lutionnaire de l'une dans l'autre. A cette trans­ écrivit dans sa « Lettre aux ouvriers d'Europe formation correspond aussi une période poli­ et d'Amérique » ; « Le pouvoir des Soviets est tique de transition dont l'Etat ne peut être le deuxième pas historique, la deuxième étape autre chose que la dictature révolutionnaire historique dans le développement de la dicta ­ du prolétariat. » ture du prolétariat. Le premier pas a été la Lénine, à son tour, a souligné maintes fois Commune de Paris. » l'importance de la Commune Par exemple Quarante-six ans ans après la Commune dans son discours de Genève, le 18 mars 1908, de Paris, qui ne fut qu'un éclair traversant 11 montra ce qu'est en réalité le patriotisme une longue période de domination bourgeoise, des milieux dirigeants de la bourgeoisie : « Le les travailleurs de Russie ont donné leur plein véritable dessous du « patriotisme » bourgeois, épanouissement aux nouveautés révolution­ déclarait-il, ne tarda pas à apparaître. Après naires qui étaient contenues en germe dans avoir conclu une paix honteuse avec les Prus­ la Commune. Les idées de la Commune sur la siens, le gouvernement de Versailles aborda dictature du prolétariat, sur la destruction de sa tâche immédiate, il lança une attaque pour la machine d'Etat bourgeoise et la création arracher au prolétariat de Paris les armes qu'il d'un nouveau type d'Etat ont été réalisées par redoutait. Les ouvriers ripostèrent par la pro­ le pouvoir soviétique, qui a accompli d'autre clamation de la Commune et de la guerre part ce que la Commune n'avait pas su et pu civile. » Et plus loin il précisait : la Commune faire : l'expropriation des classes exploiteuses « a dissipé les illusions patriotiques et brisé la jusqu'au bout, la participation des paysans à la construction du socialisme, la refonte socia­ (20) Lénine : Œuvras, tome 17, p. 139. (21) Marx : Critique du programme de Gotha, Editions liste complète de toute la vie économique et sociales, 1966, p. 44. (22) Voir dans ce même numéro, l'article de François Hincker. (23) Linine ; Œuvres, tome 13, pp. 500-501. 55

sociale et la préparation des conditions du notre cause, les héros immortels de la Com­ passage au communisme. mune de 1871. Le pouvoir soviétique s'est fait en même temps le champion dans le monde de cette grande idée de la Commune ; celle de l'asso­ ciation intime qui existe entre le socialisme et le patriotisme ; de la politique de salut na­ tional qui incombe à la classe ouvrière et à son Parti ; de la lutte nécessaire pour l'indé ­ pendance et la souveraineté de chaque nation, ces conditions indispensables de l'amitié et de la solidarité entre les peuples et d'une paix durable. Aujourd'hui, alors que le prolétariat mon­ dial s'apprête à célébrer le centième anniver­ saire de la Commune de Paris, le vieux drapeau des Communards flotte sur quatorze Etats constituant le système socialiste mondial. Et en même temps s'est produit l'écroulement du système colonial de l'impérialisme qui commen­ çait seulement à se constituer au temps de la Commune. Des conditions nouvelles existent pour l'accélération de l'évolution historique, des perspectives nouvelles ont été créées pour la victoire du socialisme dans le monde entier. Fidèle aux enseignements de la Commune, aux enseignements de Marx, Engels, Lénine, aux enseignements du mouvement ouvrier mondial dégagés de l'étude scientifique d'un siècle de lutte pour le socialisme, le Parti communiste français, qui n'a jamais séparé son devoir national de ses responsabilités inter­ nationales, travaille à assurer la solidarité et l'amitié entre tous les peuples. Il lutte, en tenant compte des réalités de notre temps, pour réaliser en France le but lumineux qu'ont entrevu les précurseurs de 56

De la peinture à la rmlutim

COURBET ET LA COMMUNE

Jean ROLLIN

Plusieurs portraits de Gustave Courbet figurent à l’exposition du Cente­ naire de la Commune de Paris qui s’ouvre le 18 mars au Musée d ’art et d ’histoire de Saint-Denis, entre autres un dessin pétulant que lui dédia son ami André Gill, et la noble effigie taillée dans la pierre du Jura par Georges Salendre. Ce juste hommage rendu au maître d'Ornans le montre parmi les siens tel qu’il demeura dans l’épreuve : fidèle à ses convictions, « l’homme assuré dans son principe ». C’est encore ce qu’on lui pardonne le moins, comme l’atteste une anecdote dont nous lûmes témoin : le jour du vernissage de la rétrospective Courbet, à Besançon, au mois d ’août 1952, deux daines de la haute bourgeoisie comtoise parcouraient les salles du Musée des Beaux-Arts. Dans l’attente du cortège officiel, elles regardaient les tableaux. L’une déclara, l’air surpris : « Nous connaissions Courbet comme un démolisseur de monuments publics, nous ignorions qu’il fût im grand peintre. » Cette allusion à la démolition de la colonne Vendôme que les juges versaillais lui mirent sur le dos, est bien dans le ton des critiques qui, depuis 37

im siècle, le jugeant de haut, voire même le trouvant inintelligent et mauvais dessinateur, n’ont pas renoncé à déboulonner le « déboulonneur ». Une haine tenace poursuit Courbet, que des esprits bien intentionnés voudraient dédouaner, parfois, en le présentant comme un bon garçon, un idéaliste égaré dans une aventure politique à laquelle il ne comprenait rien. La vie entière de Courbet, son œuvre, son exemple montrent au contraire que la résolution du citoyen et le courage du révolutionnaire ne le cèdent en rien, chez lui, au grand caractère du peintre. Aux conformistes soutenant l’idée d ’une beauté immuable dans l’espace et le temps, Courbet oppose ses convictions matérialistes. Des tableaux de ses débuts, encore influencés par le romantisme {Le Désespéré, L’Homme blessé. Les Amants dans la campagne), il passe rapidement à une interprétation réaliste de la nature, célébrée dans les paysages de son Jura natal dont il transpose à merveille la poésie vigoureuse et sauvage. De même, ce sont les hommes et les femmes de son village qu’il met en scène dans des compositions aux sujets familiers. L’une de ses premières œuvres importantes. Une Après-dînée à Ornons, présentée au .Salon de 1849 où elle fit sensation, campe des gens simples que le peintre connaît bien : son père, ses amis, dans une ambiance rustique et cordiale, «je ne peins, disait-il, que ce que je vois.» On ne trouve pas, comme dans les ateliers de ces messieurs de l’Académie, de déesses ni d ’anges au pays comtois. Mais, sur la route de Maizières, l’artiste a rencontré le père Gagey et un gamin qui pilaient des cailloux. Ces humbles travailleurs lui serviront de modèles pour Les Casseurs de pierres. Dans le fameux Enter­ rement à Ornons, qu’il exécute dans le grenier du grand-père Oudot, transformé en atelier, Courbet fait poser ses parents, ses sœurs, le maire, le substitut du juge de paix, le curé Bonnet, le fossoyeur Cassard, les bedeaux, le sacristain, le porte-croix, les enfants de chœur. « Je croyais me passer des deux chantres, écrit-il à Champfleury, il n’y a pas moyen, on est venu m’avertir qu’ils étaient vexés, qu’il n’y avait plus qu’eux de l’église que je n’avais pas tirés. » Avec de tels tableaux, Courbet fait entrer le peuple dans la peinture : « Le peuple jouit de ma sympathie, assure-t-il. Il faut que je m’adresse à lui direc ­ tement, que j’en tire ma science et qu’il me fasse vivre. » Il proclame qu’il veut « traduire les mœurs, les idées, l’aspect de son époque », portraiturer « l’homme libre ». « Moi qui crois que tout artiste doit être son propre maître (...), je nie l’enseignement de l’art (...), je prétends en d ’autres termes que l’art est tout individuel et n’est pour chaque artiste que le talent résultant de sa propre inspiration et de ses propres études sur la tradition. » 58

Courbet a été initié au socialisme par son compatriote Proudhon, qui l’admire, mais utilise maladroitement l’ceuvre du peintre au service de ses théories. Dans son livre posthume. Du principe de Fart et de sa destination sociale^ paru en 1865, on lit consacrées aux Baigtieuses qui n’en peuvent mais, ces lignes surprenantes : « Oui, la voilà bien cette bourgeoisie charnue et cossue, déformée par la graisse et le luxe ; en qui la mollesse et la masse ces lignes surprenantes : « Oui, la voilà bien, cette bourgeoisie charnue et étouflFent l’idéal, et prédestiné à pourrir de poltronnerie, quand ce n’est pas de gras fondu ; la voilà telle que sa sottise, son égoïsme et sa cuisine nous la font. » Et voilà, ajouterons-nous, la preuve que Proudhon n’a pas compris Courbet, dont c’est vraiment maltraiter les modèles populaires, sains et épa­ nouis, que d ’en faire une allégorie des vices de la classe bourgeoise. Ne serait-ce pas que les conceptions de Proudhon se rapprochaient des rites du Beau vanté par l’Institut et la vieille dame du quai Malaquais, qui .sont énergiquement combattus dans l’œuvre réaliste de Courbet ? Sur la portée de ce réalisme, qui renvoyait à leur Olympe de carton-pâte les créatures mensongères secrétées par une idéologie rétrograde. Napoléon III ne s’était pas trompé, en administrant, lors du Salon de 1853, un coup de cravache aux célèbres Baigneuses. Le Beau ? Le jovial Franc-Comtois s’en gaussait : « Balançoires ! ». Il avait « traversé la tradition comme un bon nageur passerait une rivière ». Il voulait « faire de l’art vivant ». C’est pour cela qu’il adhérait aux idées de révolution sociale, d ’égalité et de liberté totale. L’organisation autoritaire des Beaux-Arts sous la houlette du comte de Nieuwerkercke, appelé au contrôle du Salon officiel, — d ’où le jury, en 1868, écartait Jongkind et Whistler, Pissarro et Cézanne, — ne pouvait qu’encou­ rager Courbet, porte-drapeau de l’opposition artistique, à rassembler les mécon­ tents, toujours plus nombreux. Croyant pouvoir l’amadouer, le ministère Olli- vier, sans l’avoir consulté, le nomme chevalier de la Légion d ’honneur. Il refuse : « Mes opinions de citoyen s’opposent à ce que j’accepte une distinction (jui relève essentiellement de l’ordre monarchique, âcrit-il au ministre des Beaux-Arts, Richard. (...) Quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi ; celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune Eglise, à aucune insti­ tution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté. » A Jules Vallès, il déclare plus simplement : « La crrouâ, mon nhâmi ? Mais si je voullaî, je pourrais me fouttrrre un calvaire au cul... » 59

Courbet sans courbettes : on ne l'achète pas. Mais à Dijon, il vient de faire une exposition au profit des familles des mineurs en grève du Creusot.

La guerre. Sedan. La République proclamée. Courbet est élu, par huit cents de ses pairs, président de la Commission des Beaux-Arts, responsable de la conservation des musées nationaux et objets d ’art. La Commission le mandate pour adresser au gouvernement dit de la Défense nationale un vœu collectif l’autorisant à « déboulonner » la colonne Vendôme, « monument dénué de toute valeur artistique, tendant à perpétuer par son expression les idées de guerre et de conquête qui étaient dans la dynastie, mais que réprouve le sentiment d ’une nation républicaine ». Le vœu, auquel le gouvernement ne donnera pas suite, demande également « que ces dénominations de rues qui rappellent pour les uns des victoires, des défaites pour les autres, soient rayées de notre capitale, pour être remplacées par les noms des bienfaiteurs de l’huma­ nité, ou bien par ceux qu’elles pourraient tirer de leur situation géographique ». Contrairement aux assertions de ceux qui, plus tard, lui feront à ce sujet un si mauvais procès, Courbet n’a pas demandé la destruction, mais le débou­ lonnage de la colonne Vendôme, dont il voulait, explique-t-il pour sa défense, qu’on la transportât « en dernier lieu dans le centre de l’esplanade des Inva­ lides, place vide fréquentée surtout par les militaires, et où cette colonne aurait eu la reculée nécessaire pour que l’œil piiisse l’embrasser. Placée ainsi, elle aura sa signification. Là, du moins, les invalides pourront voir où ils ont gagné leur jambe de bois, et quelque grotesque qu’elle soit, elle échappe au ridicule, et à la risée des étrangers, car c’est eux qui l’ont gagnée, et s’ils la trouvent bien, cela suffit. » Maurice Choury, dans son Bonjour, Monsieur Courbet, souligne que cette position paraît très modérée quand on la compare à la solution radicale préco­ nisée par la Commission d ’armement établie auprès de la municipalité du 6 ” arrondissement, qui, sous la présidence du maire Hérisson, exigeait le 2 octobre 1870 que pour la fabrication des mitrailleuses et des canons destinés à la Garde nationale, « la matière en soit d ’abord prise dans la colonne élevée sur la place Vendôme à Napoléon P'. Outre l’utilité matérielle de cette mesure, il y aurait un avantage immense à débarrasser la France républicaine d ’une image odieuse qui rappelle outrageusement la race exécrable et maudite qui a mis la patrie à deux doigts de sa perte. » 60

E s’agissait là d ’un souhait partagé sans doute par beaucoup de citoyens. Dans l’une des caricatures de journaux de l’époque, on voit un invalide uni­ jambiste, désignant de sa canne la statue bnpériale, juchée au sommet de la colonne Vendôme, dire à un jeune soldat : « Mon fils, casse-lui donc une patte aussi, à ce brigand-là ! ». Courbet ne demandait pas qu’on détruisît la Colonne pour grossir le parc d ’artillerie de la capitale, mais il fit don d ’un tableau pour l’achat d ’un canon, pièce de 7, qui fut offert au gouvernement de la Défense nationale. Fondu aux établissements Cail, de Grenelle, il portait, gravée, l’inscription « Canon Courbet ». Le peintre, que le 45° bataillon de la Garde nationale avait élu lieutenant d ’état-major, n’en était que plus à l’aise pour adresser à l’armée allemande et aux artistes allemands une lettre dont l’utopisme peut faire sourire, mais qui tout de même ne manque pas d ’allure : « Tenez, laissez-nous vos canons Krupp, nous les fondrons avec les nôtres ensem­ ble : le dernier canon, gueule en l’air, coiffé du bonnet phrygien, planté sur un piédestal acculé sur trois boulets, et ce monument colossal, que nous érigerons ensemble sur la Place Vendôme, sera votre colonne des peuples, la colonne de l’Allemagne et de la France à jamais fédérées. »

Le côté volontiers redondant de Courbet ne doit pas faire oublier le rôle qu’il joue à la tête des artistes. Les trésors du Louvre et du Luxembourg, les manufactures de Sèvres et des Gobelins, les chevaux de Marly, l’Arc de triomphe, les Palais de Versailles et de Fontainebleau sont, par ses soins, protégés des bombardements prussiens. En accord avec les forces révolution­ naires de la capitale, il voit clair dans le jeu de Thiers et du soi-disant gouver­ nement de Défense, qui ne songe qu’à capituler et désarmer Paris pour le mettre à la raison. L’opinion qu’il formule à ce sujet, dans une lettre du 23 février 1871 adressée à son père, révèle sa condamnation lucide et indignée de l’armistice du 28 janvier, qui succède à l’échec, prémédité par Trochu, de la bataille de Buzenval dix jours plus tôt : « Le gouvernement n’était pas républicain, et ne voulait pas que la République sauve la France... Paris n’a pas voulu se rendre, et ils l’ont rendu eux-mêmes trois jours avant que personne n’en sache rien. Il n’y avait plus de pain ; c’était une feinte, il y avait des magasins de vivres qui pourrissaient et on nous faisait du pain avec de la sciure de bois et de la paille d ’avoine. Pendant tout ce temps-là. Monsieur Trochu, un crétin, n’a pas voulu faire une sortie sérieuse, et quand la Garde nationale gagnait des positions, le lendemain, on la faisait battre 61

en retraite. L’année avait ordre de ne pas se battre, de telle sorte que nous avons été, pendant tout le temps que les provinces se battaient, cinq cent mille prisonniers de guerre dans Paris. »

Courbet accueille la révolution du 18 mars avec entbousiasine. Candidat, le 26 mars, aux élections de la Commune dans le 6® arrondissement, il obtient 3 242 voix sur 9 499 votants. Comme Varlin, qui le précède, il manque de quelques centaines de voix son élection. Le 5 avril, il s’adresse aux artistes : « J’en appelle à leur intelligence, à leur sentiment, à leur reconnaissance. Paris les a nourris comme une mère et leur a donné leur génie. Les artistes, à cette heure, doivent par tous leurs efforts (c’est une dette d ’honneur) concourir à la reconstitution de son état mural et au rétablissement des arts, qui sont sa fortune. Par conséquent, il est de toute urgence de rouvrir les musées et de songer sérieusement à une exposition prochaine ; que chacun, dès à présent, se mette à l’œuvre, et les artistes des nations amies répondront à notre appel (...) Notre ère va couunencer (...) Adieu le vieux momie et sa diplomatie. » Le 13 avril, un décret, paru au Journal officiel, autorisait le citoyen Courbet « à rétablir dans le plus bref délai, les musées de la ville de Paris dans leur état normal, à ouvrir les galeries au public et à favoriser le travail qui s'y fait habituellement ». En vertu du même décret, le même jour, 400 artistes, réunis à l’Ecole de Médecine sous la présidence de Courbet, adoptaient le rapport-manifeste, présenté par le dessinateur sur tissus Eugène Pottier, constituant la Fédération des Artistes. Ce document assignait pour tâche à la Fédération « le ralliement de toutes les intelligences artistiques », lequel devait avoir pour bases « la libre expression de l’art dégagé de toutes tutelle gouvernementale et de tous privilèges ; l’égalité entre les membres de la Fédération ; l’indépendance et la dignité de chaque artiste mises sous la sauvegarde de tous par la création tl’iin Comité élu au suffrage universel des artistes ». Le Comité, chargé de fortifier les liens de solidarité et de réaliser l’action commune, était composé de 47 membres, représentants de toutes les disciplines : peinture, sculpture, architecture, gravure, arts décoratifs, parmi lesquels Boudin, Corot, Courbet, Dalou, Daumier. André Gill, Lançon, Manet, Millet, Eugène Pottier. Le bureau désigné par le Comité se composait d ’un peintre, Courbet ; un sculpteur, Dalou ; un architecte, Boileau fils. « Gouvernement du monde des arts par les artistes », le Comité et son bureau se voyaient assigner pour mandat « la conservation des œuvres du 62

pusse ; la mise en œuvre et en liunière de tous les éléments du présent ; la régénération de l’avenir par l’enseignement ». Le Comité recevait la respon­ sabilité de la conservation administrative des musées et des collections publi­ ques de la capitale, de la nomination de leur personnel, de l’organisation d ’expositions, du contrôle de l’enseignement artistique qui sera dispensé « selon des méthodes attrayantes et logiques ». Un journal publié par la Fédération, L'Officiel des arts, informerait les artistes sur tout ce qui concerne leur profession. « La partie littéraire, consacrée aux dissertations sur l’esthétique, sera un champ neutre ouvert à toutes les opinions et à tous les systèmes. Progressif, indépendant, digne et sincère, L’Officiel des arts sera la constatation la plus sérieuse de notre régénération ». Le Comité invitait enfin « tout citoyen à lui communiquer toute proposition, projet, mémoire, avis ayant pour but le progrès de l’art, l’émancipation morale ou intellectuelle des artistes ou l’amélioration de leur sort... Par la parole, la plume, le crayon, par la reproduction populaire des chefs-d ’œuvre, par l’image intelligente et moralisatrice qu’on peut répandre à profusion et afficher aux mairies des plus humbles communes de France, le Comité concourra à notre régénération, à l’inauguration du luxe communal et aux splendeurs de l’avenir et à la République imiverselle. » Le Comité suggérait l’installation d ’écoles d ’art professionnel dans les casernes, la suppression des commandes et achats de l’Etat. Considérés comme des vestiges anachroniques du vieil ordre bourgeois, l’Académie et l’Ecole des Beaux-Arts, les Ecoles de Rome et d ’Athènes seront supprimées le 2 mai. Au nombre des premières initiatives de la Fédération figuraient l’ouverture au public du Louvre et des Tuileries, et le transport au Luxembourg des œuvres d ’art menacées de destruction par les obus versaillais.

Le 16 avril, à l’occasion d ’une élection partielle de conseiller communal dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, Courbet pose sa candidature. « Abandonnons les vengeances, les représailles, les violences, déclare-t-il dans sa profession de foi ; établissons à nouveau un ordre de choses qui nous appartienne et qui ne relève que de nous. Je suis heureux de vous dire que les peintres, à mon instigation, viennent de prendre l’initiative dans cet ordre d ’idées. Que tous les corps d ’état de la société suivent leur exemple, et à l’avenir aucun gouvernement ne pourra prévaloir sur le nôtre. » Elu membre de la Commune, Courbet est nommé délégué aux Beaux- 63

Arts, puis membre de la Commission de renseignement. Accablé de travail, il « préside douze heures par jour», écrit-il à son père. Mais il est « dans l’enchantement. Paris est un vrai paradis ; point de police, point de sottise, point d ’exaction d ’aucune façon, point de dispute. Paris va tout seul comme sur des roulettes ». L’activité débordante de Courbet pendant la Commune a été magistrale­ ment évoquée par Maurice Choury. Nous ne pouvons ici qu’en retracer les grandes lignes. Courbet visite les forts en compagnie de Cluseret, délégué à la Guerre. Il s’inquiète de l’insuffisance des défenses et du peu d ’effectifs, 1 200 hommes, dont dispose le général Dombrowski. Indigné par les crimes des Versaillais qui ont fusillé le général Duval, massacré le général Flourens et qui e.vécutent sans jugement les fédérés tombés entre leurs mains, il jiréconise, plutôt que des représailles contre les otages, un recours à l’opinion internationale pour que les droits de belligérants soient reconnus aux ( iommimards. Dans la lutte de tendance qui se manifeste au sein de la Commune, Courbet, partisan d ’un socialisme démocratique fondé sur l’association ouvrière, se rallie à la minorité animée par les membres

là sur la place, avec sa canne de vingt sous, son chapeau de paille de vingt francs, son paletot coupé à la confection, acheté à la Redingote grise peut- être. » On lui prête ces mots ; « Elle m’écrasera en tombant ». Le 21 mai, Courbet et la minorité participent de nouveau aux séances de la Commune. Courbet obtient notanmient l’acquittement de Cluseret, ex­ délégué à la Guerre. Mais la réconciliation intervient trop tard pour être efficace. Les Versaillais, entrés par trahison dans Paris à la Porte du Point-du- Jour, progressent jusqu’aux Tuileries et au Louvre où le président des artistes, redoutant le pillage, fait murer les collections de joyaux exposées dans la galerie d ’Apollon. Bientôt, la Commune est vaincue, écrasée dans le sang. Dans la rubrique de Paris-Journal consacrée aux exécutions, paraît, en même temps que la nouvelle de la mort de Vallès, celle de la mort du peintre : « Celui- là vaut une mention spéciale. C’est vraiment un artiste que nous perdons ; mais nous ne le pleurons pas, car c’est d ’un grand coquin que la société est débarrassée. Il était au ministère de la Marine au moment où nos troupes s’en sont emparées. Pris de peur, il se sauva, et comme les gens qui ont très peur, il se sauva maladroitement. C’est dans un placard trop étroit pour sa grosse personne qu’il fut facilement découvert. L’officier, qui marchait en tête de ses hommes, le reconnut. Courbet est un de ceux qui ont les premiers poussé à la démolition de la Colonne. Un soldat ne pouvait l’avoir oublié. L’officier ordonna de s’emparer de cet homme. Courbet voulut un moment résister. Un des soldats lui cassa la tête d ’un coup de feu... »

Non, Courbet n’était pas mort, mais Versailles ne le tenait pas pour quitte ! Dès le 28 mai, le Conseil municipal d ’Ornans décidait que sa sculp­ ture, Le Pêcheur aux chat^ots, serait enlevée de la fontaine qu’elle ornait. Aucun ouvrier n’ayant accepté de prêter la main à une telle besogne, le maire en chargea les gendarmes. Quand ceux-ci arrivèrent sur la place des Iles-basses, ils trouvèrent le petit Pêcheur couronné de fleurs et de verdure. Le 8 juin, Courbet est arrêté chez un ami, 12, rue Saint-Gilles. Conduit au Dépôt, puis à Versailles, il est inculpé « d ’attentat, d ’excitations et de levées de troupes, d ’usurpation de fonctions et de complicité de destruction de monuments ». Condamné à dix mois de prison et ,S00 francs d ’amende, il purge sa peine à Sainte-Pélagie. Dans sa prison, il obtient l’autorisation de reprendre ses pinceaux. Il peint de splendides natures mortes. Son auto­ portrait, que conserve le Musée d ’Ornans, le représente assis près d ’une fenêtre grillagée, bourrant rêveusement sa pipe. 65

F.a réaction qui se déchaîne contre les survivants de la Coniiniine, ne ménage pas les insultes au géant vaincu ; « De quel accouplement fabuleux d ’une limace et d ’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suinte­ ment sébacé peut avoir été générée, par exemple, cette chose qu’on appelle Monsieur Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier ?... » {Alexandre Dumas fils). « Il faudrait montrer à toute la France le citoyen (’ourbet scellé dans une cage de fer sous le socle de la Colonne. On le ferait voir pour de l’argent » {Barbey (TAurevilly). « On est tendre avec ces chiens enragés» {Flaubert). Pas si tendre ! Le nain Meissonnier, peintre des tourlourous et de L’Empereur à Solférino, s’écrie : « 11 faut que désormais il soit mort pour nous », et le fait exclure du Salon. Aucun de ses persécuteurs ne veut se souvenir de l’action qu’il a menée pendant la guerre, puis sous la Commune, pour préserver les colleetions nationales et même les vingt fourgons d ’objets d ’art et de livres, sauvés grâce à lui au moment de la démolition de l’iiôtel de Monsieur Thiers, place Saint-Georges. On monte un procès contre lui. Ses biens, ses tableaux sont saisis jusqu’à concurrence de la somme énorme de 500 000 francs, à laquelle est évaluée provisoirement sa dette envers l’Etat pour complicité dans la destruction de la Colonne. Traqué, Courbet cherche un refuge ; il le trouve à Vevey, en Suisse. C’est là qu’il mourra, le 31 décembre 1877, sans avoir renié aucune de ses convictions ni cessé de proclamer son attachement aux principes et au sovivenir de la Commune. « L’Etat de France » s’offrira alors le luxe, quelques mois plus lard, de réclamer à son père octogénaire, à sa sœur Juliette le reliquat de l’amende à laquelle le jugement du 26 juin 1874 l’avait condamné pour édifier, place Vendôme, une Colonne toute neuve : 311 014 francs 08 centimes.

BIBLIOGRAPHIE

Charles Léger ; Courbet (Crès et Cie: Paris). Koberl Boudry : Courbet et la Fédération des Artistes. La Commune de Paris, Numéro spécial d ’£i(ropc, avril-mai 1951. Aragon : L’exemple de Courbet, Cercle d ’art, 19,52. Paul Eluard : Anthologie des écrits sur l'art. Cercle d'art, 1952, passim. Maurice Choury : Bonjour, Monsieur Courbet, Editions sociales, Paris, 1969. Georges SORIA; Grande histoire de la Commune, tome 3, Editions Robert Laffont-Livre Club Diderot. Journal de l’Impressionnisme, Skira, 1970, Procès des Communards, Julliard, 1970. 66

VARIATIONS SUR LA COMMUNE DE L’UTILISATION IDÉOLOGIQUE DE QUELQUES THÈMES SUR LA COMMUNE

Danielle TARTAKOWSKY

La bourgeoisie a longtemps cherché à étouffer jusqu'au souvenir de la Commune, à le ternir. Aujourd'hui, en ce centième anniver­ saire, la Commune « se vend bien ». Bien mieux qu'en son cinquantième. A partir de cette constatation, nous nous sommes efforcée de cerner le contenu de l'image composite offerte aux lecteurs, puis d'en déterminer le pourquoi. En inventoriant les idées émises, nous avons voulu dresser un catalogue des « idées reçues ». Nous avons délibérément, dans ce dessein, oublié les écrits des historiens communistes pour nous attarder sur certains ouvrages de référence dit « grandes collections ». Leur impx)rtante diffusion et leur apparente objec­ tivité contribuent à donner, de manière insi- dieuse, une certaine représentation de la Com­ « Lonclas, ocmmandant du 73' bataillon, et mune, ne serait-ce qu'en quelques pages, Philippe, commandant du 56', sont unis par les Ce procédé nous conduit à traiter sur le liens de Sodome; le premier tient une maison même plan des ouvrages d'inégale valeur, en de prostitution, le second serait un ancien nous attachant plus à certains thèmes qu'au forçat ; ils semblent échappés d'un roman développement propre des différentes études. d'Eugène Sue ou plutôt ils font escorte à Aussi serons-nous parfois amenée à passer de Vautrin ; mentionnons, sur un registre plus façon un peu rapide sur certains ouvrages de jovial, Groslard, commandant du 225* batail ­ qualité ; ceux de Ch. Flihs et de J. Rougerie lon, avaleur de sabres et de poulets crus. » particulièrement. Décrivant ensuite le siège de Paris, Duveau indique que ce fut une « longue ivresse, gri­ serie d'alcool et griserie oratoire ». « Paris, LA COMMUNE CARICATUREE devenu un immense club, apparaît comme une encyclopédie vivante qu'on feuillette dans un LA FIEVRL: « OBSiDlONALE » joyeux brouhaha, sans compter que de ci de SEVIT ENCORE là, rugit le canon et qu’on peut éprouver un petit frisson de théâtre ». L'étudiant pressé qui dons les années 30 Si cet auteur évoque les mesures sociales et 40 parcourait l'ouvrage de référence par prises par la Commune, ce n'est que pour citer excellence, le « Lavisse » (1921), pouvait y lire : une proposition faite par l'ébéniste Tartaret, « La population parisienne, à la fin du promu par lui « leader de l'Internationale », siège, se trouvait dans un état anormal que proposition qui consiste à étendre aux concu­ les témoins ont défini « ivresse morale », « dé ­ bines des mobilisés le bénéfice d'une allo­ lire moral », « folie obsidionale », état morbide cation attribuée aux femmes légitimes. produit par la claustration, l'inaction, la nour­ Le fond est atteint avec ce dernier pas­ riture insuffisante, les boissons alcoolisées, les sage : « Printemps 71 - Eros de la Commune. » déceptions patriotiques et l'irritation contre les « Cependant, si cruelle que soit l'impuissance gouvernements. » gouvernementale et militaire de la Commune, On pourrait de nos jours supposer tota­ nous devons respirer la tendre houle et tendre lement disparu ce type d'explication. Elrreur ! brise de Mars. La température de ce printemps Voici la description de quelques gardes natio­ 1871 fut exceptionnellement douce, la nature naux, tracée par la plume de G. Duveau dans elle-même se montrait exubérante pour se l'ouvrage de référence qu'est « l'Histoire du mettre à l'unisson des drapeaux, à l'unisson de peuple français », oeuvre collective d'un certain l'exubérance révolutionnaire. Quarante ans, nombre d'universitaires : cinquante ans plus tard, les survivants par-

(2) Jaicais ne sont décrits des membres dirigeants de la (1) Dirigée par PARIAS, Nouvelle Làbrairie de France, 1954 Commune. 68

laient encore de ce Printemps 71 comme d'un De telles pages, reconnaissons-le, sont deve ­ ineffable Eden : il y a eu un Eros de la Com­ nues exceptionnelles. mune et c'est sans doute cela qui. mieux que toutes les gloses doctrinales, explique le 18 Mars... Le gouvernement, en se dressant LA COMMUNE FRUIT DU PASSE contre la garde nationale, en rendant tout de suite à l’établi, à l'échoppe, à l'atelier tous ces Si en mars 1926, le quotidien Liberté officiers fédérés, tous ces hommes qui polari­ pouvait se permettre, lors d'une campagne sent l'héroïsme et l'érotisme d'une rue, d'un électorale, ces lignes : « D'un côté, les Versail- quartier, d'un faubourg, broyait des rêves lais, de l'autre la Commune. Nous sommes accumulés pendant cinq mois. Le siège est du côté des Versaillais », pratiquement, per­ une longue idylle entre la crémière et le Subli­ sonne aujourd'hui n'ose se réclamer des Ver­ me devenu Héros. Le sublime va-t-il reprendre, saillais. Lorsqu'on feuillette les grands manuels tête basse, une existence grise dans la ville universitaires, il en ressort de toute évidence ruinée ? Non, et pour que la crémière le regar­ que les thèses caricaturales sont abandonnées ; de encore avec une admirative langueur, il se l'apparence est à l’impartialité. Le ton à la hausse de quelques marches sur les escaliers sérénité. de l'histoire. » Mais il apparaît vite que sous couleur d'ob ­ Ceci se passe de commentaires et peut jectivité, on s'efforce de faire de la Commune prêter même à sourire ; on sourit moins en un événement dont il serait vain de vouloir regardant de plus près l'utilisation qui en est tirer les leçons. Un événement dont l'œuvre faite. sociale, vont jusqu'à dire certains, se situe en deçà de 1848. Duveau procède à des rapprochements aux « La Commune avait été une insurrection raccourcis saisissants. Selon lui, l'enthousiasme des républicains révolutionnaires et des patrio­ dans lequel baignèrent les premiers jours de la guerre de 14 et l'exaltation des journées tes de Paris, agissant sans but politique précis, sous l'influence de la surexcitation et de l'exas­ insurrectionnelles de 1944 ont leur racine dons pération causées par le siège. Mais comme elle la Commune : avait été fertile en manifestations tapageuses, « On déchausse d'instinct les pavés, on tire tels la démolition de l'hôtel de Thiers, place sur le boche et sur les miliciens qui se sont Saint-Georges, et le renversement de la colon­ faits les auxiliaires des boches. » Qui est cet ne Vendôme, comme elle avait accepté le dra ­ « on » indéfini ? N'existe-il pas de différence peau rouge pour emblème, comme des mem­ entre les deux guerres mondiales ? Duveau bres de l'Internationale y avaient participé, préfère à l'analyse économique et sociale une comme ses troupes s'étaient recrutées dans la explication de type pathologique. De pures analogies externes permettent alors d'éluder (3) 17 mars 1926, (4) POUTHAS : HUtoir* d« Fremc* racontée aux Français, ces questions. 1950. 69

classe ouvrière, eUe pcrssa pour une tentative de concentration des forces populaires qu'il de révolution prolétarienne et sociale. » *** fallait briser Paris. C'est par des procédés de forme que l'atta­ On s'appuie sur la composition socio-pro­ que est lancée. On met sur le même plan la fessionnelle du personnel politique de la Com­ démolition de la colonne Vendôme et la partici­ mune pour déclarer que Marx a cru, à tort, pation des membres de l'Internationale. Sans voir dans cette révolution la première tentative doute leur attribue-t-on la même valeur anec­ de dictature du prolétariat. dotique. On s'en tient quitte avec l'oeuvre N'y avait-il pas à l'Hôtel de Ville une majo­ sociale de la Commune en citant le drapjeau rité de journalistes, d'étudiants, de bourgeois, rouge qu'elle brandit ! Et le chemin parcouru d'employés, des déclassés et 26 ouvriers seule­ depuis 1848 ? Le suppose-t-on connu ou pré­ ment ? L'argument est spécieux. La nature fère-t-on que le lecteur l'ignore ? de classe d'un gouvernement ne se mesure pas Il s'agit de démontrer avant tout que la à la composition socio-professionnelle de ses Commune fut la dernière insurrection du dirigeants et ici encore, ne serait-il pas impor­ XIX" siècle et, paur ce, de rejeter à l'arrière- tant de souligner le progrès accompli par plan tout ce qu'il y a d'essentiellement neuf, rapport à 48 ? « tous les signes annonciateurs de nouveaux A cela d'autres historiens ajoutent, et combats menés sur un nouveau terrain » En l'argument a plus de poids, que cette prédo­ un mot, de dissimuler le caractère de classe minance de la petite bourgeoisie se manifeste de l'événement. aussi au niveau du personnel révolutionnaire, Dans ce but, on s'efforce de ne voir en la qui tient plus du « peuple des années 30 et Commune qu' « un accident » « un tragique 40 que de la classe ouvrière des années malentendu » entre Thiers et Paris. Mais 1900 » Ce fut « la dernière insurrection de aussi un « malentendu affectif » entre Paris ce peuple qui a pris les armes 10 fois en et la province. L'incompatibilité d'humeur, 80 ans ». l'opjDOsition géographique masquent ainsi les Cette base sociale expliquerait que la Com­ intérêts de classe. Que cette opposition réelle mune ait eu un caractère proudhonien et jaco­ soit un instrument idéologique aux mains de bin plus que socialiste. Versailles, voilà ce qu'on se garde bien d'ex ­ pliquer. La problématique a son intérêt, elle permet de mieux saisir certains aspects particuliers Ce n'est pas parce qu'il était « la ville de la Commune. Mais il ne faudrait pas qu'elle fière », mais bien pxrrce qu'il représentait le lieu conduise, et c'est souvent le cas, à substituer à la contradiction fondamentale, à l'ennemi (5) « Peuples et civilisalions », tome XVII (6) M. MOISSONNIER. Almanach de l'Humanité, 1971. flO) Ch. RIHS, POUTHAS. etc. (7) B. REMOND : Histoire de la vie politique en France, (11) GIRARD, ROUGERIE, REMOND. tome II, Colin, 1970. (12) GIRARD : Etude des r«Tolutions de 1830. 1848. 1870-1871. (8) CHASTENET ; Histoire de la III* République. Cours C.D.U. (9) REMOND: op. cit. (13) REMOND: op. cit. 70

essentiel ; Versailles, le débat Marx-Proudhon. loi, elles en étaient les principales bénéficiaires. Le même reproche pourrait être adressé à ceux Même si la lutte de classes n'a pas toujours qui, comme A. Decouflé, voient dans la Com­ été consciente de la part des Communards eux- mune un conflit entre « les gérants de la révo­ mêmes, dont beaucoup ont simplement lutté lution » et le peuple révolutionnaire ; qui, jusqu'au bout pour la République... les classes comme Ch. Rihs, en font une lutte d'influence populaires d'une part, les représentants du entre la tradition unitaire jacobine et le courant capital d'autre pxart avaient choisi leur camp. » blonquiste, décentralisateur et communal. Que ces classes populaires ne soient pas Il est fréquent qu'une étude du vocabulaire composées uniquement d'ouvriers, que la pe­ des foules parisiennes étoie la thèse d'une tite bourgeoisie y garde une place importante, Commune tournée vers le passé. Elle permet c'est l'évidence même : la France achève seu­ à A. Decouflé de parler de « la référence lement alors sa révolution industrielle. Il n'em­ obsédante à 93 ». Volonté obsédante, en effet, pêche que ces couches populaires composites de corseter la Commune dans des schémas ont des revendications sociales qui leur sont historiques. Comme si les hommes de 71 avaient propres : « Une classe privilégiée sacrifia à sa pu penser le présent autrement qu'au travers tranquillité future 20 000 vies humaines. Le des formes linguistiques qui leur étaient con­ crime gigantesque donna à la Commune un nues ! Pure tautologie. On ne peut exprimer sens vraiment social. Aux incertitudes théori­ le nouveau en un vocabulaire qui va naître. ques de l'Hôtel de Ville, à la foi vivace, mais confuse des fédérés s'opposait la conscience de Passé ou avenir ? La querelle nous paraît classe de la bourgeoisie, qui fit de la Commune vaine qui fait de l'histoire une suite de pages un tragique épisode de la « lutte de classes » sans lien. Que la Commune garde en elle des caractères du XIX* siècle, qui irait le nier ? Sous-estimer ce caractère de classe aboutit Qu'elle px>rte en elle les ferments d'une société toujours, quand ce serait au corps défendant nouvelle, c'est l'évidence même. La tâche de de certains auteurs, à une utilisation idéolo­ l'historien est de montrer l'imbrication de ces gique de l'événement. caractères complexes. Les conclusions de J.P. Azéma et de M, Wi- PAS D’HERITIERS POVR VERSAILLES nock nous paraissent relever de cette concep­ tion dynamique et pour tout dire dialectique de LA COMMUNE « RECUPEREE » l'histoire : « Même si le gouvernement communaliste Ces ralliements, ce prestige soudain ne sont n'a pas été un gouvernement ouvrier résolu à pas le fruit du hasard. Surtout, ils ne sont pas renverser le régime capitaliste, il n'empêche gratuits. que pour la première fois les masses popu­ Qu'on s'en désole ou qu'on s'en félicite, le laires étaient associées à l'œuvre du Gouver­ nement et que loin d'être opprimées par la (14) WINOCK-AZEDA , Les Communards. Seuil 1970. « mythe » de la Commune garde une grande qu'on peut porter à la Commune pour la part de sa puissance affective. « Jusqu'à l'aube transférer sur des événements qui lui sont du XX“ siècle », écrit I. Rougerie, aucun étrangers: les événements d'Alger (1960) en Parti socialiste ne pourra se prétendre réfor­ l'occurrence. Les raisons patriotiques sont ici miste, car c'eût été renier les morts des mas­ isolées de leur contexte de classe. On se dé ­ sacres de Mai et leur révolution. » S'y atta­ clare héritier d'une Commune qui n'est plus la quer de front heurterait, choquerait. L'histoire Commune. n'est pas étrangère à ce phénomène. Elle en a Considérant que la claustration collective réactualisé la leçon. Plus exactement, en assi­ due au siège fut l'une des causes de la Com­ milant durant la dernière guerre les collabo­ mune, R. Rémond poursuit : « L'expression de rateurs aux Versaillais, le Parti communiste psychose obsidionale n'est pas une figure de n'éclairait pas seulement le rôle des premiers, style. » il mettait en lumière celui des seconds. L'héri­ tage est devenu trop lourd à porter. Au demeu­ Il avance aussitôt une explication de type rant, un siècle après, n'y avait-il pas mieux à sociologique : les lendemains de révolution faire ? Tenter d'en escamoter les caractères voient « toujours se déclencher un phénomène novateurs ? Ou encore « récupérer » la Com­ de politisation prononcée », créant « un véri­ mune par exemple ? La bourgeoisie est coutu­ table bouillon de culture ». mière du fait et sait s'accommoder d'un évé­ « La cinquième République a connu quelque nement, quitte à le retourner pour n'en retenir chose d'analogue avec les unités territoriales qu'un aspect, le moins évident, quand elle ne dont l'agitation culmina au cours de la semaine le dénature pas. des barricades: en 1960 comme en 1871, à Ainsi la Commune est-elle présentée comme Alger comme à Paris en 1871, des unités de un dernier sursaut de nationalisme, non sans citoyens mobilisés sur place pour assurer la quelque succès parfois. Rappelons que le Parti défense ou la sécurité se sont peu à peu socialiste utilisa la Commune durant la pre­ changées en éléments insurrectionnels contre mière guerre mondiale pour justifier sa poli­ un gouvernement dont ils contestaient la poli­ tique d'union sacrée. Citons aussi R. Rémond, tique. Mais en 1960, l'éloignement réduisait la qui croit entendre, lisant Rossel, « certains portée de leur action, alors qu'en 1871 leur accents de Péguy ». On conçoit, écrit-il, « que présence en pleine capitale donnait à toutes les insurgés de la Commune aient pu inspirer leurs actions une signification nationale. » de la sympathie à certains gaullistes, qui assi­ Caricature mise à part, R. Rémond use du milaient l'appel du 18 juin au soulèvement même procédé que G. Duveau. Il choisit l'expli­ parisien ou à des partisans de l'Algérie fran­ cation sociologique qui présente, elle aussi, çaise ». D'aucuns utilisent la sympathie l'avantage de n'être inscrite ni dans le temps ni dons l'espace et peut ainsi être plaquée sur (15) Procès des Communards. n'importe quel événement. (16) R. REMOND ; La rie politique en France depuis 1789> tome 11, Colin, 1970. L'attaque est devenue plus subtile. 72

PAS D’HERITIERS ?... VOIRE tant les plus pernicieuses se discerne dans le passage brusque et si fréquemment renouvelé LA COMMUNE INUTILE ! dans notre histoire du gouvernement autoritaire au régime des foules... Une autorité sans con­ Le général Zeller a consacré un livre à trôle et sans intermédiaire rassemble facilement la Commune Il déclare dans sa préface sous son toit les indisciplinés endémiques que vouloir échapper, lui aussi, à des interpréta­ sont les Français. Ils y trouvent une sorte d'éga ­ tions partisanes. Ici encore, l'apparence est à lité satisfaisante dans l'abstention civique. Mais l'objectivité. S'il a choisi dans ce récit de rendus brusquement à eux-mêmes, ils affron­ donner la première place aux hommes, c'est tent en aveugles la crise inévitable. » pour essayer de les soustraire à « l'embriga ­ On en arrive à une louange du pouvoir dement historique ». « Chercher à les étudier pourvu qu'il soit incarné par un personnage pour eux, c'est se préserver soi-même de l'esprit intelligent : Thiers, par exemple, « dont le prin­ de système. D'ailleurs, l'événement historique cipal mérite est d'avoir remonté le pays. Chef est entre les mains des hommes. Victoire de la d'Etat, rassembleur, centralisateur, il a d'abord volonté dans certaines phases, défaillances opposé (à la Commune) un pays hésitant dons d'autres, et c'est bien le cas envisagé. Le Pour lui, l'Etat est devenu cette hydre à la fois Gouvernement du 4 septembre et la Commune dévorante et rassurante qui a triomphé des sont les échecs d'hommes mal préparés et le anarchies prolétariennes de l'époque ». plus souvent médiocres. Ce sont eux qu'on va tenter de représenter ». « Dans cette amère période de la Commune émerge, avec ses petitesses et ses défauts, la Poursuivons la citation : figure du vieil homme lucide et adroit en face « La Commune n'était à son époque ni un des faibles et des médiocres. » Toute une con­ soulèvement spartakiste de la misère, ni une ception de l'histoire, de l'homme aussi, décrite poussée sociale inévitable, ni une conjuration sans passion, objectivement en somme. d'idées, mais un agglomérat d'hommes jetés Il ne s'agit pas pour l'auteur de jeter la dans la révolte par les circonstances, surtout pierre aux Communards. Ils avaient des excu­ par les erreurs et les incompréhensions de leur ses. A leur égard, la tolérance ; pour Thiers, la contemporains. » réhabilitation. Les torts sont réciproques, on renvoie dos La même démarche d'esprit anime le livre à dos les adversaires. Une seule couse à tous ces événements déplorables : la faiblesse hu­ que Max Gallo vient de faire paraître dons la maine et la médiocrité ! collection « Liberté », collection à grand tirage. Mais le ton n'est plus à l'impartialité. 11 est Pour aboutir à ce jugement : à la polémique « L'une des causes les plus diffuses et par­ Incontestablement, l'ouvrage est un prétexte. (17) n prit parti pour l'Algérie française. Son livre a été écrit en prison (18) Les hommes de la Commune. Perrin. 1969. (19) Tombeou pour la Commune. Laffont, 1971. 73

La Commune est oubliée dès la vingtième Bien sûr, on ne se félicite plus de la Semaine page; sous prétexte de «politique positive», sanglante, on reconnaît que les combattants il s'agit d'un tissu d ’attaques contre le Parti furent héroïques. Mais, selon M. Gallo, l'histoire communiste, le marxisme, TU.R.S.S. L'auteur n'a pas à décerner des prix de vertu... tente à l'arrière-plan la réhabilitation de Thiers : Au nom de l'impartialité, de la science, de « On nous prépare un grand scandale intel­ l'efficacité, Zeller et M. Gallo affirment que lectuel : la commémoration triomphaliste de la l'histoire échappe aux masses. Seul, le techni­ Commune... A n'écouter que les commémora- cien de la politique, l'habile homme peut réus­ teurs et les crieurs publics chanter la belle sir. C'est en fait toute une conception techno­ histoire de la Commune, bref, à n'écouter que crate de la politique qui se dégage de ces le mythe, on oublierait que ce n'est pas elle ouvrages et le hasard n'y est pour rien si qui a pétri la réalité, mais Monsieur Thiers ; l'Express rend compte de l'ouvrage de M. Gallo on perdrait de vue que la vigueur d'un mythe- en ces termes : héritage ne signifie rien d'autre peut-être que l'incapacité à féconder la société ou encore que « Loin de proposer un modèle pour notre les descendants de Monsieur Thiers n'ont pas époque, la Commune apparaît comme une le temps de célébrer sa mémoire puisqu'ils improvisation qui n'a jamais eu une vision pré­ gèrent son héritage et sa société. » cise de ce qu'il était possible de réaliser, ni même de ce qu’elle souhaitait faire... Son véri­ En construisant le socialisme. Lénine a eu, table fondateur est Monsieur Thiers, « habile lui aussi, une vision « globale et totalement à ouvrir aux révolutionnaires le piège dans mythique » de l'histoire. Il n'en est pas de même lequel ils se précipitent avec aveuglement » du capitalisme, qui, lui, « n'a pas été pensé Ainsi la Commvine ne témoigne p>as principale­ avant d'être. Il est sorti de l'histoire concrète ment de l'intelligence politique, de l'invention comme une donnée de fait, par le déroulement des formes nouvelles de gestion, de la nou­ naturel des lois économiques. Il a surgi concrè­ veauté des objectif ; elle prouve la cécité de tement par les conséquences naturelles du ceux qui la conduisirent en même temps que développement des forces et des moyens de leur courage. Leur inefficace héroïsme. Enton­ production, il s'est peu à peu répandu jusqu'à ner un siècle après Téloge de la Commune, recouvrir la totalité du monde... Le capitalisme c'est entretenir un chant funèbre. a été le seul mode de comportement naturel des hommes et de leur création. Autant le so­ « Les intellectuels portent la responsabilité cialisme est historiquement une « pensée », une de la tenace vénération qu'on lui porte. Allant volonté délibérée, une décision réfléchie d'ap ­ pensifs, douloureux et torturés entre le mouve­ pliquer un schéma global et une solution, au­ ment ouvrier et la bourgeoisie, ils ont perdu tant il est la tentative de créer, à partir d'un tout contact avec le réel... Depuis plus de deux récit explicatif de l'histoire, une autre histoire siècles, l'intelligentsia française dresse des de l'homme, autant le capitalisme est l'histoire concrète, naturelle des hommes ». (20) M. GALLO. 74

moulins à vent, les combat, puis chante à n'en Le second de H. Lefebvre : plus finir son courage... « Le style propre de la Commune, ce fut « Au lieu de viser à restituer les événements celui de la fête... une immense, une grandiose passés comme un grand récit mythique, comme fête, une fête que le Peuple de Paris, essence le fait « l'Iliade marxiste », il convient d'exa ­ et symbole du peuple français en général, miner le fonctionnement des sociétés en rapport s'offrit à lui-même et offrit au monde. Fête du avec le présent. Printemps dans la Cité, fête des déshérités et « Pamphlet brillant, riche en formules bien des prolétaires, fête révolutionnaire et fête de la révolution, fête totale, la plus grande de frappées. Tombeau pour la Commune ne se tous les temps modernes, elle se déroule contente pas de critiquer les fabulistes, il es­ quisse une contre-histoire permettant d'élaborer d'abord dans la magnificence et la joie... le peuple parisien brise les digues, inonde les une politique positive, à la veille du centenaire de la Commune » rues... Le héros collectif, ce génie populaire surgit dans sa jeunesse et dans sa vigueur native. Surpris de sa victoire, il la métamor­ LA COMMUNE TRAHIE ! phose en splendeur... il transforme en beauté sa puissance... il célèbre ses noces retrouvées avec la Conscience, avec les palais et les monu­ LA FETE ments de la Cité, avec le pouvoir qui lui avait si longuement échappé. Et c'est véritablement Face à ces offensives plus subtiles, que sont une fête, une longue fête qui va du 18 mars devenus ceux qui, tout en contestant l'interpré­ au 26 mors, au 28 mars... puis comme en toute tation marxiste de la Commune, en glorifiaient fête véritable s'annonce et s'avance le drame hier la mémoire? Ceux qui, séduits par ses à l'état pur... La fête populaire continue, s'en­ aspects romantiques, en célébraient la passion, fonce dans la douleur. Nous savons que la apportent-ils de nouveaux arguments ? Citons tragédie et le drame sont des fêtes sanglantes deux textes : au cours desquelles s'accomplissent l'échec, le Le premier de L. Girard : sacrifice et la mort du héros surhumain qui a « La Commune a existé et la leçon supé­ défié le destin... Le malheur s'y change en rieure de la Commune n'est pas dans telle ou grandeur et l'échec laisse une leçon de force et telle mesure sociale, car le bilan social de la d'espoir dans le cœur qu'il purifie de ses lâches Commune est modeste. La Commune est une craintes... Alors vient la mort et le triomphe du tragédie jouée sur un haut lieu de la révolution, destin et du mal, l'échec de l'holocauste final ; à Paris, et qui a pour public le monde entier, mais le cortège funèbre n'a pas perdu le sens un véritable drame sacré » ! grandiose de la fête... la tragédie se termine dans un embrasement et un spectacle digne (21) J. C. TEXIER, l'Expt»M. 7 février 1971 d'elle. » (22) Cours C.D.U 1960-1961 : les révolution de IS30, 1848. I870-I87I. (23) La Proclamation de lo Commun*. Gallimard. 1965. 75

Ici le drame, là la fête. L'explication le cède même de se manifester dans le champ concret à la Chanson de geste. Ce sont là, si l'on veut, du Pouvoir. Ce caractère s’éclaire par l’examen des pages de littérature, qui ne sont pas sons du mode privilégié d'existence de cette souve­ évoquer ces lignes du Communard Elie Reclus raineté : la spontanéité. » (1908) : « Paris a brûlé l'Hôtel de Ville, sa gloire Au nom de cette spontanéité, l'auteur justifie à lui, comme un amant jaloux qui en mourant les exécutions sommaires : le peuple, ou plutôt poignarda sa maîtresse. » « chaque élément du peuple qui est à soi seul On est frappé par la pompe des mots, la le peuple tout entier », exprime par là sa vo­ grandiloquence de chacune de ces phrases. lonté de prendre en mains directement le pou­ Embellie, exaltée, idolâtrée, la Commune prend voir, sans passer par l'intermédiaire des « gé­ l'allure d'un drame ou d'une fête. Quels en rants de la révolution ». sont les ressorts ? C'est là l'aspect oublié, dé ­ « Une spontanéité fondamentale, poursuit daigné. Lefebvre, écarte les sédiments déposés par les siècles : l'Etat, la bureaucratie, les institutions, la culture morte... A la suite du progrès écono­ LA COMMUNE LIBERTAIRE mique l'homme va s'affranchir de l'économie elle-même, la politique et la société vont dispa ­ Chez Girard, l'exaltation l'emporte sur l'as­ raître en se résolvant dons la société civile. pect social de la Commune. En sacralisant La fonction politique comme fonction spécia­ l'événement, il le désamorce. En lui donnant lisée n'existera pas, la quotidienneté se trans­ la dimension du tragique, dimension essentiel­ forme en fête perpétuelle, la lutte quotidienne lement hors du temps, il vide l'événement de pour le pain et le travail n'aura pas de sens... son contenu propre. La Commune se confond avec l'idée même de Chez Lefebvre, la vision hugolienne d'un la révolution entendue non comme une idéalité peuple vengeur, porteur de ses destinées per­ abstraite, mais comme l'idée concrète de la met d'esquiver la question de l'organisation liberté ». ouvrière : le « peuple » porte en lui sa propre H. Lefebvre attribue au « peuple » entier les libération. Elle relève de l'ordre de l'individuel aspirations libertaires de certains Communards, plus que du collectif. La fête affranchissant sans montrer à quelle réalité complexe le terme l'homme des nécessités du quotidien. renvoie, sans voir combien la prédominance Car « la révolution, — comme l'écrit A. De- des structures économiques qui privilégiaient couflé dans un livre qui se réfère beaucoup à la petite production donnait une base maté­ H. Lefebvre — c'est pour beaucoup cette rielle concrète à cette orientation. sensation à la fois vague et exaltante que c'en Du;u mêmememe coup, écrit Maurice Moisson est fini des règles de la vie sociale bour­ nier « les auteurs qui raisonnent de la sorte geoise. La souveraineté populaire existe avant

(24) Lo Commune de Paris. Cujas, 1969. (25) Almonach de rHumanité» 1971. 76

se dispensent de montrer combien l'évolution opinion de la branche française de l'Interna­ économique ultérieure va ruiner l'avenir de ce tionale. Il écrit en 1868 à Kugelmann : « Pour la fédéralisme proudhonien ». moitié ou les deux tiers, ces gueux sont des bandits ou de la racaille semblable ». L'année précédente, il n'en avait reçu que 63 livres MARX CONTRE LA COMMUNE ! sterling ; jusqu'au 18 mars, il désapprouva toute tentative de Commune. Il sentit alors intuiti­ Aussi ces aspirations libératrices d'il y a vement que la Commune pouvait prendre une un siècle sont-elles présentées comme le remède signification considérable et avec l'agilité de aux « maux » d'aujourd'hui. Exaltant la Com­ l'incomparable opportuniste qu'il était, il sauta mune en des termes proches de Lefebvre, sur son char. » A. 011ivier<*‘' conclut par une attaque contre Alistair Home ne voit pas que la « branche » Marx. 11 cite un texte bien connu de ce dernier ; de l'Internationale dont Marx ne se faisait pas « Avec une petite dose de sens commun, la une haute opinion était la branche française Commune aurait pu obtenir un compromis utile de Londres, avec Félix Pyat et autres. à la masse entière, la seule chose qu'il eût été Une vieille thèse veut que Marx se soit possible d'atteindre à cette époque. » réjoui de la défaite militaire française de 1870, qui aurait préparé la victoire du socialisme Et cet auteur ajoute : allemand sur le vieux fonds proudhonien fran­ « La critique est significative : pour Marx, çais. Les auteurs précédemment cités la repren­ la révolution ne peut se produire qu'à un nent en quelque sorte à leur compte : moment donné du capitalisme. Elle doit être « Avec la défaite de la Commune, le vœu la résultante de réformes et de majorités parle­ de Marx se réalise en pxartie. Le centre du mentaires. » On souhaiterait que notre historien mouvement ouvrier cesse de se trouver en continue à citer ses sources ! France. » Certains auteurs affirment que la Com­ La portée idéologique d'une telle interpré­ mune a retardé les progrès du mouvement tation n'est pas mince. Plutôt que de cher­ ouvrier français. Sur cette idée s'en greffe cher à quelle réalité nouvelle correspond le une autre. Marx aurait souhaité la défaite. marxisme, au lieu de montrer le passage de Citons ces lignes de l'historien anglais, Alistair la petite production artisanale au capitalisme Home : industriel, on produit une explication de type « Marx ne se faisait pas une bien haute nationaliste. La Commune est le second triom­ phe de l'Allemagne sur la France, la dernière (26) La Commune. Gallimord, 1939 (27) J. ROUGERIE : Procès des Communards. REMOND, révolution française. POUTHAS. ©le. (^) Le siège de Paris et la Commune. Plon, 1969 ; ouvrage Quelle importance convient-il d'attacher à ass©2 hostile aux Communards, mais plein d'intérêt, parce qu© rédigé à partir des récits des correspondants de la cette démarche ? presse anglais© à Paris en 1871. Apporte le regard d'un témoin. (29) A. OLLIVIER. 77

En lisant Chastenet, on se rend mieux stérilisé l'élan révolutionnaire en entretenant compte de l'usage que peuvent en faire certains de vaines illusions et qui annonce ce qu'elle historiens ; a le plus haï : la dictature. » « La Commune a retardé le progrès social. Sans être inspirée de la même violence, la Le Parti communiste aura beau plus tard célé­ démarche de H. Lefebvre relève du même brer la Commune comme une date insigne procédé. C'est le même jugement, la même de l'histoire prolétarienne, cette date n'aura affirmation : en fait marqué qu'un recul durable, tant il « La Commune représente jusqu'à nous la est vrai que des ruines ne sauraient surgir seule tentative d ’un urbanisme révolutionnaire le mieux-être et que la haine qui suscite la s'attaquant sur le terrain aux signes pétrifiés haine jamais ne saurait être féconde. » de la vieille organisation... reconnaissant l'es­ Magnifique péroraison, où l'on trouve à la pace social en termes politiques et ne croyant fois, si on veut bien l'analyser, une condam­ pas qu'un monument puisse être innocent nation de la Commune, par là même une (démolition de la colonne Vendôme, occupa­ condamnation de toute insurrection et du Parti tion des églises par les clubs)... Ceux qui communiste qui voit son nom accolé à l'émeute ramènent de tels actes au nihilisme et à la et qui seul semble s'en féliciter. barbarie doivent avouer qu'en contrepartie, Par delà Marx et la Commune, A. Ollivier ils se disposent à conserver tout ce qu'ils vise ailleurs, lui aussi. Il reprend à son compte considèrent comme « positif », c'est-à-dire tous ces mots du communard Lefrançais écrivant les résultats de l'histoire, toutes les oeuvres en exil ; « Je meurs en professant le plus profond de la société dominante, toutes les traditions, mépris pour TOUS les partis politiques, tout l'acquis, y compris le mort et le figé. » fussent-ils socialistes, n'ayant jamais considéré Et A. Decouflé, à l'instar de beaucoup ces partis que comme des groupements de d'autres, place au cœur de la question ses simples, mais dirigés par des éhontés, ambi ­ préoccupations contemporaines lorsqu'il s'ef­ tieux, sans scrupule ni vergogne. » force de déterminer le rapport unissant les Au cas où l'attaque manquerait de trans­ « gérants de la révolution » au « peuple révo­ parence, l'auteur précise : lutionnaire ». « Décidément, la Commune n'a pas eu de chance, sa destinée historique a été aussi défavorisée que son existence. Elle doit sup­ LA COMMUNE ET MAI 1968 porter aujourd'hui, tous les ans, les hommages des staliniens, c'est-à-dire des représentants Dès lors, la Commune compte moins pour d'un des Etats totalitaires les plus importants elle-même que pour l'usage qu'on en fera et de l'Europe, qui incarne ce dont la Commune ceci explique la facilité avec laquelle on en a le plus souffert : le parlementarisme qui a (31) Remarquons que cette histoire a été rééditée en 1966 (30) Souligné par lui. dans la collection à grand tirage « Idées ». 78

a utilisé le souvenir durant les événements de contexte, mais de mots extraits de leur cita­ mai. tion. L'Humanité est accusée d'emprunter à Deux livres sont à cet égard significatifs : Fouchet le mot « pègre » par exemple. « Le journal de la Commune étudiante » L'auteur conclut : « Au terme de ce réper­ de L. Schnapp et Vidal-Naquet, et « Les écri­ toire, on peut voir combien les mêmes sché­ vains contre la Commune ». de Paul Lidsky mas ont été reproduits à cent ans d'inter ­ Notre propos n'étant pas de rendre compte valle. » La répétition dans le procédé pourrait de ce dernier ouvrage, nous n'en considérerons lasser ; c'est encore et toujours le même raison­ que la postface intitulée ; « L'esprit versaillais nement par analogie qui se substitue à l'ana­ en mai 1968 ». Elle part du postulat trop commu­ lyse. nément admis que mai 1968, c'est la Commune. Ceci décidé, c'est le compte des communistes qu'on règle. Ne sont-ils pas les Versaillais de A LA RECHERCHE DE LA COMMUNE la nouvelle Commune ! Suivons la « démons­ tration » de P. lidsky : Si Jacques Rougerie adopte certaines des « Comme en 1871, la réaction de la droite thèses que nous avons passées en revue, la est de dénier aux événements tout contenu rigueur scientifique de sa démarche nous inter­ politique profond... Comme en 1871, un moyen dit pourtant de l'assimiler aux écrits polémiques efficace de nier les causes politiques du sou­ précédemment cités. En 1964, il écrit, dans la lèvement est de déclarer qu'il s'agit d'une préface du Procès ; maladie, d'une fièvre accidentelle », citations à l'appui de France Soir. Combat. Le Monde. « Le grand malheur de notre actuelle his­ l'Humanité. « De même que le « socialiste » toire du socialisme est sans doute d'être, comme George Sand voyait dans la Commune un on dit, trop « engagée ». Est-il bien de son mouvement petit-bourgeois, le Parti communiste rôle de servir des fins en somme impures ? Et ne français considère que le mouvement de mai se laisse-t-elle pas trop volontiers orienter par a été impulsé par des « groupuscules », — ses fins ? » (quelques centaines d'étudiants...), en général Pour échapper à « l'acariâtre querelle d'hé ­ des fils de grands bourgeois, méprisants à ritiers probablement abusifs » (pxirmi lesquels l'égard des étudiants d'origine ouvrière ». il inclut les historiens marxistes), cet auteur (G. Marchais : l'Humanité. 3 mai 1968.) se propose de «juger sur pièces». Il ne s'agit même pas d'une citation appau­ Dans une volonté de démythisation, il mon- vrie par l'absence de toute référence au *re que les Communards ne furent pas des héros. En témoignent les comptes rendus des (32) Seuil, 1969 procès : « Les élus du « libre Paris », les mem- (33) Maspéro, 1970. (34) La citation est ici fidèlement reproduite, y compris la typographie. S'il est vrai qu'une citation n'a jamais nen prouvé, que dire de la façon dont celle-ci est faite ? (35) procès da Communards. lulliard, 1964. 79

bres de la Commune ont fait sauf exception Si le portrait qu'il trace du Communard plutôt pôle figure. Force est tout de même reste sensiblement ce qu'il était, il cite pourtant de constater, sinon le manque de courage un texte de l'Internationale qui constitue selon moral, du moins l'extraordinaire manque d'en ­ lui, « avant la lettre, la charte la plus complète vergure ou l'incompétence de beaucoup de de la Commune » et se termine par ces mots ; ces hommes qui se crurent capables de s'éri­ « Nous voulons enfin la terre au paysan qui ger en gouvernement révolutionnaire. Ces la cultive, la mine au mineur qui l'exploite, médiocres savaient-ils seulement ce qu'ils vou­ l'usine à l'ouvrier qui la fait prospérer. » laient? On en douterait à les entendre. Et ne serait-ce pas là une des causes, une des Et il ajoute : « De tout ce qui précède, il raisons fondamentales de l'échec de la Com­ m'est arrivé naguère de conclure que la Com­ mune ? » mune était « crépuscule, non pas aurore ». Je ne m'en dédis pas tout à fait. Voici pourtant « Le prolétariat, poursuit cet historien, il vaut un texte qui vient tout entier me démentir. bien mieux dire te peuple parisien de 1871, 11 est de la main d'un obscur international, semble plutôt prisonnier d'un grand souvenir mais il vaut bien les plus beaux éditoriaux que conscient d'un avenir, sans-culotte et socia­ de Vallès : liste, mais au fond bien plus l'un que l'autre... Ils étaient aussi socialistes, mais d'un socia­ « Le vieux monde s'écroule. La nuit qui lisme qui ne venait qu'en second. D'ailleurs, recouvrait la terre déchire son linceul. L'aube ce socialisme de 1871, prêt à prendre en mains apparaît... ô vieux monde, ramassis d'impos­ la gestion de la production, n'appartenait-il teurs, oisifs corrompus, parasites insolents, vous pas lui-même au passé ?... Sur le plan éco­ tous qui vivez du travail des autres, compren­ nomique la Commune ne sut que répéter exac­ drez-vous enfin que votre règne est fini et tement, y compris son échec, l’expérience qu'aujourd'hui, avec le triomphe du peuple, coopérative utopique de 1848. Le Communard l'ère du travail va commencer ? » appartient presque tout entier à une préhis­ Sans reprendre à son compte la citation, toire du mouvement ouvrier, du socialisme. Et J. Rougerie la donne en conclusion. Le préam­ la Commune n'est que la dernière révolution bule montre assez bien que sa volonté de du XIX' siècle, point ultime et final de la démythiser l'a conduit dans son premier geste révolutionnaire française du XIX* siècle, ouvrage à dresser des barrières là où il y avait crépuscule et non aurore. » passage. Il rétablit ici le lien entre le passé Conscient sans doute de l'utilisation idéolo­ et l'avenir, et dans un souci d'objectivité, il gique qui peut être faite de cette volonté de renonce à traiter de la question des « héri­ démythiser et dont témoigne le livre de tiers », sur laquelle il s'était longuement étendu M. Gallo, J. Rougerie est, dans l'ouvrage qu'il en 1964 : « La tâche de l'historien, du docu­ vient de faire paraître revenu sur certaines mentaliste de 1871 s'interrompt ici, puisqu'il de ses affirmations. n'a voulu que raconter sur pièces les princi­ (36) Paris libre. 1B71. Seuil. 1971. paux événements de l'année terrible. Pour le 80

reste, que ceux qui se disent légataires de la Commune en tranchent. » On a beaucoup reproché aux historiens marxistes d'avoir bâti un mythe de la Com­ mune, sans penser qu'il leur a iallu le plus souvent répondre à l'une des plus formidables entreprises de calomnie. Aujourd'hui, nous nous devons d'entreprendre une nouvelle étape. L'événement nous appartient. Nous devons être en mesure d'en dégager toute la leçon. Nous avons voulu montrer qu'il n'y a pas d'histoire innocente et que les plus dange ­ reuses sont sans doute celles qui se prétendent telles. 81 SOUVENIRS DE MILITANTS

LA COMMUNE DU CREUSOT EN 71

Jeanne FANONNEL

Ma mère avait grandi près des usines Schnei­ der du Creuset où son père était forgeron. La vie d ’un ouvrier de cette époque était âpre et rude, avec des journées de labeur de dix à quatorze lieures. Le dimanche, le grand-père se faisait paysan dès l’aube. Il allait soigner sa vigne et son champ de pommes de terre dans cette campagne de Péreuil où il avait un petit bien de famille. Il n’avait jamais été à l’école, tôt mis en apprentissage à la forge, et c’est pendant les sept ans qu’il avait passés au service militaire qn’il avait appris à lire et à écrire. Pendant les dernières années du Second Empire, les progrès de l’industrie minière s’étaient affirmés en même temps que se déve­ loppait la population ouvrière. Le Creusot, petite bourgade de 9 000 habitants en 1852, en comp­ tait 25 000 à la veille de la guerre de 70. 82

Les nouvelles venues de l’étranger avaient des ouvriei-s de Schneidoi', avec cette autre lieau être filtrées sévèrement par la Censrire : figure du mouvement ouvrier de l’époque, Benoît les ouvriers avaient appris les luttes des textiles Malon. du Lancashire en 1811-1812, plus tard en 1844, Comment imaginer que dans une cité aux celles des tisserands silésiens ; mais surtout, les vieilles traditions populaires, les journées révo­ Creusotains avaient vécu les journées exaltantes lutionnaires de la Commime de Paria n’auraient de leurs voisins, les Canuts de Lyon, en 1834. pas d ’écho î A la longue misère s’ajoutaient Les désastres de 70-71 avec les souffrances les libertés muselées par le régime impérial, de la guerre avaient achevé de faire germer dans aggravé même par tout ce que représentait au les esprits ouvriers l’idée d ’une transfonnation Creusot la mainmise des Schneider. Eugène sociale. D’innombrables feuilles clandestines, Schneider, industriel et politicien, avait en 1851 imprimées, une page de petit format, avaient adhéré au coup d ’Etat de Louis-Napoléon. En fleuri dans les milieux ouvriers, tel le journal 70, il était pr&ident du Corps législatif. satirique Le Sifflet. Les ouvriers se passaient le Au lendemain des événements de Paris, le même exemplaire de main en main sous le man­ vieux levain de révolte qui dormait au fond des teau, l’argent étant aussi rare que le temps consciences ouvrières se réveilla au Creusot. libre pour lire. Ces petits journaux comi>ensaient En quelques jours les énergies s’étaient mobili­ l’absence de presse populaire. Quant aux livres, sées ; la population groupée autour des ouvriers leur cherté en empêchait l’achat dans les foyers était debout. La grève était déclarée et les ate­ ouvriers : ma mère me racontait n’avoir jamais liers se vidaient. lu à la maison de ses parents que le psautier et Ma mère, enfant, avait été saisie d ’étonne­ le Raspail, avec quelques livraisons achetées au ment : jamais elle n’avait vu son père quitte!- colporteur de passage. sa forge un jour ouvrable. Toutes les familles Il n’aurait pas fallu se faire prendre en allant ouvrières s’étaient rassemblées sur le terril des chercher Le Sifflet chez le dépositaire clandes ­ hauts foumaux que les Creusotains appelaient tin : c’est ma mère, enfant, qui s’acquittait de dans leur langage local « le taureau ». Toms cette tâche en rapportant la feuille dissimulée attendaient de pied ferme les cuirassiers d ’Au- dans son panier d ’écolière. tuu envoyés par Thiers au secours de son ami Elle avait vu plusieurs fois Assi qui, depuis Schneider. 1868, était l’âme de la lutte ouvrière dans les Les ouvriers en blouse avaient en main leurs tisines Schneider. La population cachait soigneu­ lourds marteaux, les femmes avec leurs enfants sement Assi pour le soustraire à la police patro­ avaient fait des nœuds à leurs gros tabliers, nale et ma mère n’était pas peu fière d ’avoir pour s’en servir comme de massues. connu son domicile clandestin. C’est seulement La grand-mère était toujours demeurée jus­ plus tard, en me rappelant ces récits de ma que là effacée et respectueuse de l’ordre. C’était mère que j’ai réalisé l’importance de cette figure une femme de village, profondément croyante o\ivrière. Assi était membre de la I™ Interna­ et qui acceptait même dans sa confiante simpli­ tionale. Or, il était présent dans toutes les luttes cité d ’antiques superstitions. 83

Un lent travail opérait dans sa conscience : la levée en masse des ouvriers, c’était le sursaut après de longues souffrances et toute une vie de dur labeur. Et elle comprenait que le devoir, nouveau pour elle, était d ’être présente avec les autres femmes, aux côtés des hommes en révolte. Quand les cvrirassiers se montrèrent venant de la route d ’Autun, c’est une grêle de pierres, une avalanche de crassiers qui les accueillirent. Ils durent reculer. Mais que peuvent des ouvriers désarmés devant les fusils? Les cuirassiers étaient revenus en force et menaçants. La justice de Schneider avait eu raison de l’émeute et le lourd silence du décou­ ragement s’était étendu dans les quartiers ouvriers. Les travailleurs durent rentrer dans les ateliers, la mort dans l’âme. Ceux qui furent désignés comme « meneurs de la grève » se virent chassés par la police de Schneider et durent s’exiler du Creusot. A un parent de la famille qui avait servi dans 1 ’armée versaillaise au moment de la répres­ sion de la Commune, on réserva un accueil digne des grévistes creusotains : Honni de tous, il vit les portes se refermer durement devant lui. 84

LOUISE MICHEL ET LENINE A LONDRES EN 1903

TL. WENDROF

Z. Wendrof, écrivain soviétique de langue yiddish qui vient d'avoir 94 ans, publie ses Mémoires. Nous en extrayons un passage relatif à un meeting qui a eu lieu à Londres auquel il assista et ou cours duquel prirent la parole Louise Michel et Lénine : 18 mars 1903. Un grand meeting au club des ouvriers juifs d ’origine russe. Le club se trouvait dans une de ces petites rues de Whitechapel, le quartier juif de Londres. A l'époque il y avait à Londres un grand nombre d'émigrés politiques russes et juifs. Le club, construit grâce aux gros sous des travailleurs exploités, était ce soir-là archi- comble. Non seulement les places assises étaient occupées, mais aussi des hommes de ­ bout se serraient les uns contre les autres. A la tribune ont pris place des invités

(1) Publié dans la revue: Sovietish Heimlond (La Patrie ■eviétique). janvier 1971. 1. 85

d'honneur, anciens combattants de la Com­ dans les combats que la classe ouvrière enga­ mune de Paris et d'autres personnalités dis ­ gera bientôt contre le tzarisme et contre le tinguées, parmi lesquelles la vieille dirigeante capitalisme en Russie. » de la Commune, Louise Michel, malade. Elle A la fin de son discours des applaudisse­ n'est pas vieille et malade seulement des ments enthousiastes éclatent, interminables. années qui pèsent sur elle, mois aussi des Lénine se voit obligé d'intervenir du geste souffrances, des tortures, des prisons, de sa pour les faire cesser. déportation à la Nouvelle-Calédonie. La deuxième fois que j'ai vu et entendu Que n‘a-t-elle subi après l'étranglement de Lénine, ce fut seize ans plus tord, le 9 novem­ la Commune ! bre 1919. Il parlait non pas comme émigré Plusieurs orateurs prennent la parole, cha­ politique, à l'étranger, mais à Moscou, comme cun dans sa langue. Læs discours sont ensuite fondateur du Parti communiste de Russie et traduits en russe. comme chef du gouvernement soviétique. La parole est donnée à Louise Michel. En français, dons une langue littéraire, passionnée et mélodieuse, elle parle de la Commune et de la chute de la Commune. Quand elle termine, un silence poignant règne dons la salle. Très peu d'auditeurs comprennent le français, mens tous restent immobiles, comme ensorcelés par ses paroles. Lorsque le président annonce qu'un cama­ rade va traduire le discours de Louise Michel en russe, des voix se font entendre de toutes parts : ce n'est pas la peine, ce n'est pas la peine ! nous avons tout compris. En effet, elle avait parlé avec tant de chaleur, tant de passion, tant de clarté que tous avaient compris ce qu'elle venait de revivre. Mais voilà à la tribune Vladimir Ilitch Lénine, homme jeune de trente-trois ans. Calme, il parle doucement de la période de la Com­ mune et de la Commune de Paris elle-même. Il relève les fautes commises avant la Com- mime et pendant la Commune, fautes qui de ­ vaient la conduire à sa chute. « Toutes ses fautes doivent être corrigées 86

COMMENT LES MARINS FRANÇAIS DODESSA ONT CONNU JEANNE LABOURBE

Frédéric DAUCROS

L’ancien marin de la mer Noire Jean Le C’est quand nous travaillions à la corvée Ramey a bien voulu communiquer à l’Institut de la gare que le 26 février, dans l’après-midi, une lettre qui lui a été adressée par Frédéric deux jeunes Russes nous ont abordés, moi et Daucros, ancien déporté, ancien secrétaire de la un certain Tubiana, marin comme moi. Ils par­ section d ’Hyères du Parti communiste français : laient français et nous ont proposé de connaître une Française. Nous avons accepté et le soir, Aups, le 26 octobre 1970 ils nous ont conduits dans une rue inconnue, au n® 24. Là, ils nous ont mis en relations avec ...Ta lettre est allée à Hyères. Ma belle-fille Jeanne Labourbe, qui était accompagnée d ’une me l’a fait parvenir ce matin. Je tiens à te faire dame âgée. Jeanne nous a expliqué pourquoi réponse tout de suite... nous étions en Russie ; elle nous a parlé de Je suis arrivé à Odessa en janvier, venant Jacques Sadoul et de René Marchand ; elle nous du Condorcet à Fiume par mesure disciplinaire. a dit que nous devions évacuer la Russie et Je suis venu sur le bateau grec Armopolis pen­ laisser faire la révolution. Elle nous a remis dant que vous étiez en tournée en mer Noire : des tracts, que nous avons distribués à la base. Batoum, Trébizonde, etc. Nous devions nous revoir, mais au début de mars, Dès mon arrivée, je fus débarqué et mis en nous apprenions qu’elle avait été fusillée le 2 subsistance à la base. Là, il y avait surtout au matin par des officiers français et russes- des soldats : Sénégalais et tirailleurs algériens. blancs. Je me souviens de l’un d ’eux, nommé Hassad, Ensuite, vous êtes arrivés avec le France le qui nous était favorable. 3 avril, et tu connais la suite... 87 ANNIVERSAIRES

PATRICE LUMUMBA (1925-1961)

DIX ANS APRÈS

Jenii SURCT-CANALE

Il Y a dix ans déjà... Le 17 janvier 1961, conjuguée des masses africaines et du mou­ Patrice Lumumba, premier chef de gouverne­ vement démocratique métropolitain, avait dû ment du Congo jadis belge (aujourd'hui Répu­ lâcher du lest après 1945 : sans doute la façade blique démocratique du Congo) tombait institutionnelle de !'« Union française » dissi ­ sous les coups de ses assassins. mulait-elle mal le maintien de fait de la dépen ­ Ce drame marquait le coup d'arrêt porté dance coloniale ; mais à travers les concessions imposées au colonialisme traditionnel par une par l'impérialisme international à la grande conception « assimilatrice » faisant légalement vague des indépendances des armées 1957- des ex-sujets coloniaux des « citoyens de 1960, qui avait abouti à l'écrasement presque l'Union française », les colonies françaises total du système colonial traditionnel en Afri­ d'Afrique tropicale, où les Groupes d'études que tropicale. communistes avaient en 1945-1946 préparé l'es­ Dons l'Afrique d'après la seconde guerre sor du « Rassemblement démocratique afri­ mondiale, le Congo belge faisait figure de cain » (R.D.A.), faisaient leur apprentissage colonie modèle. La France, sous la poussée politique. Dans les colonies britanniques, géo­ (1) Désigné longtemps sous le nom de « Congo-Léopold- graphiquement dispjersées, la poussée nationale ville » ou « Congo Kinsnosa >, pour le distinguer de l'ancien imposait peu à peu le « self-govemment », le Congo français, aujourd'hui République populaire du Congo (Coxtgo-Brazzoville). leader nationaliste de Gold Coast (aujourd'hui 88

Ghana), Kwamé Nkrumah, jouant ici le rôle vement national congolais (M.N.C.), unitaire de pionnier. et démocratique. Sa participation en décem ­ bre 1958 à la Conférence des peuples d'Afrique Au Congo belge, sous le mot d'ordre « Pas à Accra accélère sa maturation politique ; dans d'élites, pas d'ennuis », le colonialisme classi­ son discours du 11 décembre à Accra, il résume que était en apparence demeuré inébranlable. par ces mots ses convictions désormais acqui­ Un enseignement élémentaire confié aux Mis­ ses, auxquelles il fera le sacrifice de sa vie : sions catholiques conduisait les « bons esprits » « A bas le colonialisme et l'impérialisme ! A congolais aux fonctions de commis dans l'admi ­ bas le racisme et le tribalisme ! » nistration ou de sergent dans l'armée (la « Force publique »), mais point au delà. Pas Au Congo, le mouvement s'accélère : la question de véritables études secondaires ni, répression — le 4 janvier 1959 à Léopoldville, bien entendu, d'études supérieures pour les « jour des martyrs de l'indépendance » ; le Noirs. Les multiples affaires contrôlées par la 29 octobre à Stanleyville, 26 morts, Lumumba Société générale de Belgique, avec participa­ arrêté — précipite les événements : l'autorité tions britanniques, américaines, etc., — ou pre­ coloniale belge s'effondre ; les ordres des admi ­ mier chef la fameuse « Union minière du Haut- nistrateurs ne sont plus exécutés ; l'impôt ne Katanga », Etat dans l'Etat aux prodigieux rentre plus. dividendes, — prospéraient et démontraient au 11 faut céder. L'indépendance est fixée au monde l'efficacité du colonialisme belge. 30 juin 1960. L'assemblée élue en mai investit Endormi dans sa certitude d'éternité, le Patrice Lumumba de la charge de premier colonialisme belge fut brusquement éveillé par ministre, mais confie au tribaliste Kasovubu une montée irrésistible du mouvement popu­ la présidence de la République. Prenant la laire : 1957, le Ghana de Nkrumah prenait son parole après le roi des Belges Baudouin, pater­ indépendance ; 1958, la Guinée de Sékou Touré. naliste à souhait, et après Kasovubu, qui lui Et en 1960, de Gaulle, enlisé dans la guerre avait répondu en enfant sage, Lumumba, face d'Algérie, se voyait obligé de renoncer aux au roi et aux officiels belges médusés, sous barrières à l'indépendance que la Constitution les applaudissements enthousiastes du public, de 1958 avait introduites et de consentir aux fait entendre la voix de l'Afrique : il rappelle colonies d'Afrique tropicale ce que le mou­ les souffrances et les humiliations du régime vement populaire lui avait arraché en Guinée. colonial, les stigmatise ; il rappelle que cette indépendance a été conquise par la lutte ; il Au temps du transistor, il n'était plus pos­ proclame sa foi dans l'avenir du Congo et sible de maintenir de « cordon sanitaire » poli­ conclut : « L'indépendance du Congo marque tique : l'écho du voisinage éveille les masses un pas décisif dans la libération de tout le congolaises. Dès 1958, Lumumba, commis des continent africain. » postes révoqué, face à l'Abako tribaliste de ICasovubu, qui pjolarise quelque temps le mou­ Cela, les colonialistes le savaient aussi. Une vement national à Léopoldville, crée le Mou­ véritable indépendance et un régime démocra- 8Q

tique du Congo, c'eût été non seulement les bre, prend le pouvoir réel au nom de l'armée, richesses minières du Katanga en péril, mais n'en laissant que l'ombre au Président de la les derniers bastions du pire colonialisme, République fantoche, avant de le prendre offi­ l'Afrique du sud de « l'apartheid », les colonies ciellement quelques années plus tord. Il prétend portugaises, ébranlés. « neutraliser » les deux rivaux, Kasavubu et Lumumba ; en fait, Lumumba est maintenu pri­ Cinq jours après ce discours, c'est le début sonnier dans sa résidence par les troupes de des troubles, avec la mutinerie provoquée de l'O.N.U. sous prétexte de le « protéger ». la Force publique, l'intervention de l'armée belge ; onze jours après, c'est la sécession du Dans la nuit du 27 au 28 novembre, Katanga avec Tshombé, suivie en août de la Lumumba réussit à s'enfuir et cherche à gagner sécession du Sud-Kosaï avec Kalondji. la région de Stanleyville, qui lui est acquise : mais au lieu de garder l'incognito et de par­ Tout a été préparé par les anciens coloni­ courir la route au plus vite, il s'attarde, tient des sateurs pour « faire la preuve » de l'incapa­ meetings dons les régions traversées. Il est cité des Congolais de se gouverner eux-mêmes repéré, arrêté, ramené prisonnier à Léopold- et créer prétexte à un retour en force ; à tout ville. le moins les anciens maîtres espèrent-ils se Alors commence, le 2 décembre 1960, son réserver les territoires aux ressources décisives. martyre : rivaux. Mobutu (caché derrière Kasa­ Les Belges officiels ont ici le soutien direct des vubu) et Tshombé, l'homme des Américains et racistes de Rhodésie et d'Afrique du sud, direc ­ l'homme des Belges, sont d'accord pour se tement concernés, et des colonialistes fascistes débarrasser de Lumumba. Le 17 janvier, portugais. Ils ont aussi, plus équivoque, le Lumumba et ses compagnons sont livrés, par soutien des « puissances occidentales », qui, avion, au « rebelle » Tshombé par ceux-là Etats-Unis en tête, souhaitent profiter des diffi ­ mêmes qui se targuent de représenter face au cultés du colonialisme belge pour s'attribuer captif le « pouvoir légal », mais qui ne se sen­ la part du lion dans les richesses du Congo. tent pas la force politique de le garder pri­ Arrivées le 16 juillet, les troupes de l'O.N.U., sonnier ou de l'assassiner eux-mêmes. dont le secrétaire général est alors Hommars- L'indomptable courage de Lumumba, sa kjbld, homme de l'oligarchie financière sué­ supériorité humaine éclatante sur ses adver ­ doise, s'appliquent à empêcher le gouverne­ saires, son talent de tribun, son attachement ment central de liquider la rébellion plutôt qu'à indéfectible à l'indépendance et à l'honneur l'aider à rétablir son autorité. Puis le 5 sep­ de l'Afrique, à son unité, à la cause anti­ tembre, le médiocre Kasavubu, poussé par ses impérialiste, ont inscrit son nom dons l'his­ conseillers occidentaux, révoque Lumumba ; toire. Hommage du vice à la vertu : le général mais les Chambres répliquent en votant au Mobutu, celui-là même qui, par Kasavubu premier ministre les pleins pouvoirs. interposé, le livra à ses bourreaux, a dû le C'est alors que surgit l'homme des Amé­ proclamer héros de l'indépendance nationale ! ricains, le colonel Mobutu, qui, le 14 septem­ Entre l'assassinet de Lumumba il y a dix 90

ctns et celui du dirigeant camerounais Ernest premier aventurier venu. Ce problème eût-il Ouandié cette année, s'établit une liaison pro­ été résolu que bientôt se serait posé à l'inté­ fonde qui traverse toute la décermie écoulée. rieur du mouvement national le problème de La tragédie du Congo a marqué le début d'un l'hégémonie : qui l'eût emporté, d'une bour­ effort de la réaction intérieure et internationale geoisie locale en croissance rapide, portée au contre le mouvement d'émancipation. compromis avec l'impérialisme, ou des forces populaires, parmi lesquelles les immenses mas­ Tournant tragique, l'assassinat de Lumumba ses paysannes n'avaient pas pour les guider n'a pas pour autant rempli les espoirs de ses un prolétariat expérimenté, puisque celui-ci, adversaires. Au Congo, le néo-colonialisme ne quoique relativement nombreux, s'éveillait à s'instaurera qu'oprès des armées de lutte; les peine à la conscience de classe ? réussites de la contre-offensive impérialiste cru Ghana, au Mali ne doivent pas foire oublier Ces problèmes, nul n'aurait pu, nul ne peut ses échecs répétés en Guinée, et les succès du les résoudre à la place des Congolais eux- mouvement de libération nationale remportés mêmes, si tragique que puisse être leur expé­ au cours des dix années suivantes au Congo- rience. Pour être moins proche que ne l'espé­ Brazzaville comme cru Tanganyika et à Zan­ rait Lumumba, l'achèvement de l'indépendance zibar devenus la Tanzanie ; ils ne doivent pas africaine n'en figure pas moins dans les néces­ faire oublier l'indépendance de l'Algérie en sités de l'avenir, et avec lui l'émancipation de 1962, les succès du mouvement national anti­ tous les hommes du joug de l'impérialisme impérialiste au Soudan, en Libye, en Somalie, et de toute forme d'exploitation. les avantages remportés par les patriotes des Dans l'histoire de ce combat difficile et colonies portugaises en Guinée-Bissao, en exaltant pour la lumière de la liberté, le noble Angola, au Mozambique. nom de Lumumba, par delà les siècles, brillera L'histoire aurait-elle pu suivre un autre toujours glorieusement. cours ? Certes, la mort de Lumumba n'y était pas nécessairement inscrite. Cependant le sort de Nkrumah, homme politique d'envergure comparable, montre les limites du rôle des individualités. La brièveté de l'expérience de la vie poli­ tique au Congo, — deux années à peine, — avait empêché le M.N.C. de Lumumba de mettre en place les structures politiques qui auraient permis aux forces populaires, après l'effondrement de l'autorité belge, de prendre le pouvoir à la base dams tout le pays, au lieu de le laisser vacant, à la discrétion du 91

POUR L’ANNIVERSAIRE D’ANGELA DAVIS

B. R.

An gela Yvonne Davis, ce jeune professeur milieux politiques, syndicaux, religieux font de l'université de Californie que la réaction campagne pour la mise hors de cause d'Angela américaine menace de mort parce qu'elle est Davis. Les soldats noirs parlent d'elle dans noire et parce qu'elle est communiste, a eu les forêts du Vietnam avec respect et admi ­ vingt-sept ans le 26 janvier de cette année. ration. Elle a passé sa journée d'anniversaire isolée dans sa cellule de San Rafael, tandis qu'à Angela Davis est née dons le Sud, à Bir­ travers tous les Etats-Unis, les Comités créés mingham (Alabama), où elle a vécu jusqu'à par dizaines pour arracher sa libération redou­ quinze ans, et c'est l'atmosphère d'iniquité blaient d'activité et que le cas d'Angela Davis raciale qui l'a éveillée à la vie politique. A devenait pour des millions d'Américains ce que peine âgée de douze ans, elle coopérait à la création de groupes mixtes d'élèves, malgré fut autrefois l'affaire Sacco et Vanzetti : le la réaction et malgré la police. Ce fut pour signe visible de la sauvagerie réactionnaire. Dans les quartiers noirs des villes sont appo­ elle une terrible tragédie que l'explosion d'une sées de grandes affiches en lettres rouges : bombe dans l'église des Noirs de Birmingham « Qu'as-tu fait aujourd'hui pour la libération en octobre 1963 : quatre jeunes filles furent tuées, qui étaient ses amies. d'Angela Davis ? » Les photos de la jeune femme ont paru dons toute la presse, et sa Angela Davis participait aux piquets desti ­ biographie sert désormais d'exemple et d'ins ­ nés à faire boycotter les magasins, les cafés piration à des jeunes innombrables. Des jour­ pratiquant la discrimination, ainsi qu'à la cam­ naux considérés comme « sérieux », des profes­ pagne pour l'inscription des Noirs sur les listes seurs connus, des artistes, des militants des électorales. Ensuite, ce furent les études dons 92

une région moins raciste, l'intérêt pour les qu'il réponde de la vie des « frères de Sole- lettres et la philosophie, les débuts de l'activité dad », c'est-à-dire de trois noirs emprisonnés enseignante avec un contrat de deux ans à à Soledad et accusés du meurtre d'un gardien. l'université de Californie. On en est venu aux mains. La police a ouvert le feu. Il y a eu trois morts, dont Jonathan Le jeune professeur ne cachait pas ses et le juge. convictions politiques, et quand le Conseil des curateurs de l'université, alerté par un mou­ C'est alors qu'on imagina d'accuser Angela chard du voulut savoir si elle était Davis d'avoir acheté les revolvers dont s'était membre du Parti communiste, elle déclara servi Jonathan. Or d'après la loi de Californie, publiquement ; « Oui, je le suis. » Un émouvant cette imputation, — avoir laissé utiliser ses appui lui vint des étudiants et des enseignants propres armes par un tiers contre la police, — quand le Conseil la priva du droit de faire doit conduire Angela Davis à la chambre à son cours sur « Les thèmes philosophiques gaz, d'autant plus qu'en Californie, le gouver­ dans la littérature noire ». Elle décida de le neur est un ultra. Comme femme, comme noire, faire tout de même. comme communiste, Angela Davis paraît aux réactionnaires digne de tous les supplices. C'était le lundi 6 octobre 1969. 160 étudiants étaient inscrits à ce cours, mais il en vint La partialité du tribunal est d'autant plus plus de 2 000 ; on dut se transporter dans un à craindre que le F.B.I. a pris pxjsition, avant des plus grands amphithéâtres. A la fin du même le procès, contre la présomption d'inno­ cours, tous les étudiants se levèrent et firent cence de l'accusée en inscrivant Angela Davis une ovation au jeune professeur ; puis 1 200 sur la liste des dix criminels les plus « dange ­ restèrent dons la salle pour discuter de l'orga­ reux » du pays. Déjà, la mise en liberté provi­ nisation de la compagne de protestation ; la soire sous caution a été refusée à l'inculpée. grève fut décidée jusqu'à l'annulation de la Le procès commence en mors. décision du Conseil. Par 539 voix contre 12, C'est pourquoi l'opinion mondiale doit les enseignants de l'université condamnèrent prendre énergiquement la défense d'Angela la décision des curateurs; jxir 551 voix contre 4, Davis, afin que la justice l'emporte, et qu'un ils demandèrent l'abrogation du règlement autre crime ne s'ajoute pas à la longue liste adopté en 1950 à l'université de Californie pour des Tom Mooney, des Nicolas Sacco, des Borto- interdire l'enseignement aux communistes. lomeo Vanzetti, des Rosenberg, des Martin Luther King et des autres victimes de la bar ­ On sait comment la police a réussi à impli­ barie réactionnaire. quer arbitrairement Angela Davis dans une affaire de meurtre. Dans la salle du tribunal de San Rafael, une tragédie s'est produite, quand un garçon noir de dix-sept ans, Jonathan Jackson, a essayé de s'emparer de la personne d'un juge afin de le garder comme otage, pour Q5

L’ARMÉE DE LIBÉRATION DU VIETNAM DU SUD A DIX ANS

L. M.

Après l'entrée en vigueur des Accords de militaire unique le 15 février 1961. C'est cette Genève (1954), qui prévoyaient le regroupe­ date qui est considérée comme le jour de ment des unités militaires, 120 000 hommes naissance de l'Armée de libération du Vietnam de l'Armée populaire du Vietnam avaient rega­ du sud. gné le Nord. Dans la suite, le régime Diem L'Armée de libération a dû, depuis dix ans, et sa politique de terreur, exercée au mépris consentir des sacrifices douloureux et payer le plus complet des Accords, plongèrent les un lourd tribut de sang. Nul ne sait encore paysans dans un abîme de maux. Ils se mirent quand viendra la fin de la lutte contre l'enva­ à organiser leur auto-défense, et les premiers hisseur et ses marionnettes de Saïgon ; mais détachements de partisans se formèrent indé ­ personne ne doute que la fin sera une fin vic­ pendamment l'un de l'autre en 1958-1959. torieuse. Tous les amis de la liberté dans le monde ont formé des vœux chaleureux pour les Le Front National de Libération, constitué combattants du Vietnam en ce jour anni­ les 19 et 20 décembre 1960, créa un centre versaire. 94

Jean BRUHAT, Jean DAUTRY ont été consacrés à la Commune de Paris entre les deux éditions. Emile TERSEN Le récit des événements, dû pour l’essentiel à Emile Tersen, occupe la partie centrale de l’ouvrage, (1) LA COMMUNE DE 1871 ce qui n’a pas empêché les auteurs d ’en étudier les causes en « s’inspirant des écrits des maîtres du socia­ Les Editions sociales viennent de publier une lisme scientifique ». deuxième édition du remarquable ouvrage de nos Après une Introduction de 53 j>ages due à Jean camarades Jean Bruhat, Jean Dautry *** et Emile Bruhat, qui englobe la période allant des barricades Tersen : La Commune de 1871. de juin 1848 à 1870 et qui étudie le développement La nouvelle édition riche de 463 pages (435 du mouvement ouvrier et analyse l’agonie de l’Em­ pages dans la première édition) est un instrument pire, la plus grande partie de l’ouvrage est consacrée de travail indispensable pour qui veut étudier l’his­ à la Commune en elle-même. toire de la révolution du 18 mars. Les auteurs Le récit suit l’ordre chronologique des événe­ ont conservé le plan d ’ensemble de la première ments, marquant « lorsqu’il le faut, une pause, afin édition ainsi que la trame du récit. d ’évoquer avec plus de détails Paris qui se bat pour Cependant un certain nombre de changements le progrès social et l’indépendance nationale, et aussi et de correaions ont été apportés. La raison en est, Versailles en qui revit la tradition réactionnaire des comme l’explique Jean Bruhat dans son Avant- Koblentzards ». propos, qu’il y eut « pendant cette extraordinaire L’ouvrage est divisé en douze chapitres, dont le Commune un tel grouillement d'hommes, d ’idées, premier va de la déclaration de la guerre à la capi­ d ’événements qu’il arrive à l’historien, sinon de se tulation. Les quatre chapitres suivants traitent suc­ perdre, tout au moins de s’égarer un instant ». cessivement de la journée du 18 mars, de la constitu­ Il est également tenu compte des travaux qui tion de la Commune, de la composition de son Conseil et des tendances existant en son sein, du rôle (U Editions sociales. 1970. majeur joué par les forces populaires. La < révolu­ (2) Jean Dautry est mort en 1968 en laissant d'unanimes regrets. tion de 1871 fut réellement une révolution sociale », 95

contrairement à l’opinion de ceux qui « ne veulent y à prendre en mains la cause de la Nation », et un voir qu’une explosion de patriotisme ou qu’un mouve­ « mouvement ouvrier et social », car « le prolétariat... ment étroitement municipal ». a compris qu’il était de son devoir impérieux et de Un chapitre est consacré à l’œuvre de la Com­ son droit absolu de prendre en mains ses destinées mune : la politique sociale, l’enseignement, la cul­ et d ’en assurer le triomphe, en s’emparant du pou­ ture, les services publics, les finances, la politique voir » <•*>. religieuse. Les chapitres sept et huit décrivent la « La Commune a été, il ne peut y avoir deux lutte armée des Communards et la Semaine sanglante opinions à ce sujet, la conquête du pouvoir politique contée au jour le jour, du dimanche 21 au dimanche ptar la classe ouvrière » . 28 mai. Le chapitre neuf traite de la répression, La Commune fut non seulement un mouvement cette « saignée froidement perpétrée > par la bour­ ouvrier et social sur le plan national, mais aussi un geoisie et pour laquelle « la classe ouvrière avait mouvement international : « Pour l’élite ouvrière du fourni la plus large part > Un chapitre, le dixième, monde entier, la Commune de Paris était un événe­ est consacré aux mouvements populaires en province ment qui concernait les travailleurs du monde et à r« avortement » des communes provinciales. entier. » Quant à ses fautes et à ses défaillances, les auteurs écrivent, à juste titre : « La Commune est L’avant-dernier chapitre est réservé aux répercus­ fille de son temps. Elle n’échappwi pas aux conditions sions internationales de la Commune, qui fut saluée de son époque. Ces conditions expliquent les erreurs « avec enthousiasme par l’avant-garde du prolétariat et les insuffisances de la Commune. » universel ». L’ouvrage est illustré d ’une belle et très riche Dans le dernier chapitre, les auteurs procèdent iconographie et très utilement complété d ’une chro­ à une analyse pertinente des « lendemains de la Com­ nologie allant de la date de publication du Manifeste mune » et s’attachent à l’action des proscrits à l’étran­ des Sections parisiennes de l’Internationale contre la ger, puis à la reconstitution et à la réorganisation du guerre (12 juillet 1870) à l’amnistie totale des com­ mouvement ouvrier en France, en mettant en lumière munards (11 juillet 1880), d ’une bibliographie de la la place de la Commune dans l’histoire du socia­ Commune (établie par Jean Dautry et complétée lisme. E>es « conclusions et enseignements » termi­ par Jean Bruhat), d ’une liste des seuls journaux de nent l’ouvrage ; La Commune fut à la fois un « mou­ la Commune qui « Vont soutenue sans ambiguité », vement national », la faillite et la trahison des classes d ’une liste des sources iconographiques et des affi­ dominantes ne pouvant < qu'inciter le prolétariat ches et publications de la rue pendant la Commune et de notes biographiques c sur les élus, les militants (3) Lissagaray, dans son ouvrage célèbre, Histoire de la Commune de 1871 publié en 1876, évalue comme suit le et les principaux combattants de la Commune ». nombre des victimes ; < 20 000 hommes, femmes, enfants tués Il faut remercier et féliciter les auteurs d ’avoir pendant la bataille ou après la résistance à Paris, en province, 3 000 au moins dans les dépôts, les pontons, les (ota, les entrepris cette nouvelle édition et souhaiter à leur prisons, la Nouvelle-Calédonie, l'exil ou les maladies contrac­ ouvrage un très grand succès. tées pendant la captivité ; 13 600 condamnés à des peines, Basile DARIVAS. qui, pour beaucoup, ont duré neuf ans ; 70 000 femmes, enfants, vieillards, privés de leur soutien naturel ou jetés (4) Journal officiel de U Commune, 21 mars 1871. hors de France. 107 000 victimes environ, voilà le bilan (5) Discours de Marx prononcé à l'occasion du VU* anni­ des vengeances, a versaire de la Première Inrernationale, en ocrobre 1871 . 06

MAURICE CHOURY mune) était l’œuvre de tous, non de quelques génies... La Révolution se trouvait dans la Commune-peuple ECRIVAIN ET HISTORIEN et non dans la Cbmmune-gouvemement. » DE LA COMMUNE C’est ce caraaère que l’on distingue dans un des premiers ouvrages de Maurice Choury, < La Commu­ Avec son livre Tous bandits d ’honneur, qui est ne au Quartier latin » dont l’avertissement renferme rhistoiie vivante de la libération de la Q>rse il ces lignes : « Le quartier retenu est le (Quartier latin, semble que se dessine déjà le caraaère essentiel, où se sont fondus les courants d ’opposition au l’orientation générale de l’œuvre d ’éaivain et d ’his­ Second Empire, dans lequel ont vécu et se sont torien qu’a réalisée Maurice Chouiy, trop tôt disparu, façonnés, parmi le petit peuple (souligné par nous) fin 1969- et les intellectuels, une grande prartie des dirigeants de la Commune » Dans les ouvrages qu’il a consacrés à la Qjm- * mune, c’est l’aaion coUeaive du peuple et des élé­ ** ments les plus avancés de la classe ouvrière qui est mise particulièrement en évidence. Les origines de la Commune de Paris, présente Malgré la distance qui sépare, dans l’histoire, la la relation de la trahison du gouvernement provi­ Commune de la Résistance française, on ne peut soire Les raisons politiques et historiques de cette s’empêcher de discerner certains traits communs à trahison sont exposées, ainsi que celles qui ont amené ces deux séries d ’événements. Dans les deux cas, le peuple de Paris à prendre en mains la défense encore qu’à des degrés divers, il s’agissait de la par­ de la nation. On a là l’illustration, sous la forme ticipation de larges couches du peuple à une œuvre anecdotique, de la pensée profonde exprimée i>ar collective qui avait à la fois un caractère national Karl Marx dans son ouvrage magistral La guerre et social. civile en France ; Dans la préface d ’une des œuvres de Maurice « Une victoire de Paris sur l’agresseur prussien Choury Le Paris communard, Jean-Pierre Chabrol aurait été une viaoire de l’ouvrier français sur le n’a-t-il pas écrit de son auteur qu’il était « lieutenant- capitalisme français et ses parasites d ’Etat. Dans ce colonel de cette sorte de garde nationale qu’étaient conflit entre le devoir national et l’intérêt de classe, les F.F.I. »? Et sans doute est-ce cet esprit à la fois le gouvernement de la défense nationale n’hésita patriotique et militant qui a conduit Maurice Choury pas un instant : il se changea en gouvernement de la à exalter les cheminots résistants dans la Bataille défection nationale. » du rail Avec La Commune au coeur de Paris, nous avons Evoquant l’œuvre collective de la Commune dans une véritable histoire de la Commune à la fois des ­ son livre important, Histoire de la Commune de 1871, criptive et aitique, où les documents inédits, éma­ Lissagaray avait déjà écrit ; « Ce mouvement (la Com- nant de la préfecture de Police, des Archives natio-

(1) Tous bandit d'honneur, lésistance et libération de la (3) Maurice CHOUKY : La Commune au quartier latin, Corse, Editions sociales, 1958. Club des Amis du livre progressisK, 1961, page III. (2) Les cheminots dans U bataille du rail, Librairie (4) Maurice CHOURY : Les origines de la Commune académique Perrin, 1970. Editions sociales, I960, page 50. y7

nales, des archives historiques de J'Armée, ainsi que André LABOUYRIE les sources imprimées, sont utilisés pour écrire une histoire véridique et vivante. Et la forme anecdoti­ que du récit contribue à en rendre la lecture atta­ LA NAISSANCE chante sans porter atteinte à l’exactitude des faits. DU PARTI COMMUNISTE

* DANS LE BOULONNAIS

Enfin le rassemblement en une importante pla­ Le journal communiste lillois Liberté vient de quette 1871. Les damnés de la Terre des affiches, publier sur la naissance du Parti communiste dans le des manifestes, des mots d ’ordre, des citations évoque Boulonnais une étude détaillée due à André Labouy- sous une forme ramassée les prises de position poli­ rie, qui est un modèle du getue. tiques de la Commune, les déclarations de ses prin­ Après avoir décrit à l’aide des sources d ’archives cipaux dirigeants et de ceux qui l’inspirèrent. les misères de la guerre de 1914 à 1918 à Boulogne, Le génie de la Commune, l’expression ardente ville fréquemment bombardée par l’aviation alle­ de ses généreuses indignations, ses mots d ’ordre à mande, qui servait de base militaire aux troupes l’emporte-pièce, ses condamnations vengeresses des britanniques et dont les activités économiques étaient traîtres de Versailles et de leurs complices, le souffle considérablement perturbées, l’auteur trace un tableau républicain et la flamme patriotique qui animent éloquent des luttes ouvrières locales en 1919 et ses Manifestes, éclatent sur les murs de Paris. 1920 : « Des grèves fréquentes éclatent dans les entre­ * * prises boulonnaises : en octobre 1919, plusieurs cen­ taines d ’ouvrières de la Compagnie française de Maurice Choury était aussi un artiste-peintre et Plumes cessent le travail. Deux mille métallurgistes un animateur de galerie d ’art. Ses qualités intellec­ de l’agglomération (Blanzy-Poure, Baheux et Honhon) tuelles, son sens artistique se retrouvent dans ses soutiennent activement les « plumières ». Des bar ­ autres œuvres consacrées à la Commune : Les Poètes rages sont édifiés, les drapeaux rouges flottent et la de U Commune, Bonjour Monsieur Courbet, Eugène police recule devant la grande détermination des Pottier, auteur de l’Internationale, sa rie, son œuvre. grévistes. S’agissant d ’un sujet dont l’importance a suscité les études d ’un très grand nombre d ’historiens et « L’automne voit d ’autres grèves : les ouvriers d ’hommes politiques, Maurice Choury a réussi a tailleurs, les métallos d ’Outreau, les employés de la accomplir une œuvre originale, à apporter une con­ Société boulonnaise d ’Electricité arrêtent le travail. tribution importante à l'histoire de la Commune. « En 1920 , le malaise social est toujours aussi Cette tâche, il l’a réalisée avec son grand cœur évident et plusieurs corporations se jettent dans la de patriote et d ’ardent révolutionnaire qui a trop grève revendicative ; les marins-pêcheurs en février, tôt cessé de battre. les imprimeurs du journal réactionnaire Le Télé­ Raoul CALAS. gramme et les traminots en avril... 98

« ... Le 1” Mai 1919 a vu défiler à Boulogne sur 40 de la section socialiste de Boulogne, présents quatre cortèges évalués au total à 8-10 000 person­ à l’assemblée de section du 20 janvier 1921, signent nes. En 1920, 5 000 manifestants se groupent et leur adhésion au communisme. Le premier secrétaire défilent... » est Auguste Chochoy, fondateur de la S.F.I.O. locale André Labouyrie examine ensuite l'état du Parti en 1905, ce qui souligne la continuité de la tradition socialiste à Boulogne. Au lendemain de la guerre, socialiste. A Outreau, les ouvriers socialistes des l'audience de la S.F.I.O. décline dans les ports du aciéries passent aussi à la Troisième Internationale. Pas-de-Calais, contrairement à ce qui se passe dans Toutefois, les effectifs se tassent et l’implantation l’ensemble du département. Les chiffres sont élo­ est assez malaisée. quents pour les quatre communes de Boulogne, André Labouyrie scrute en détails, dans toute Outreau, Saint-Martin et Le Portel : 21 % des suf­ la mesure où la rareté des documents le lui permet, frages exprimés et 13 % des inscrits aux élections de la vie des organisations communistes locales dans 1919, au lieu de 33 % et 25 % respectivement en leurs premières années. La fédération du Pas-de- 1914. Calais, d ’abord hostile au front unique, s’y rallie La S.F.I.O. locale et ses militants manifestent au à la fin de 1922 ; mais dès le mois d ’août, Vercamen, début deux grands soucis ; se dégager de toute res­ le secrétaire de la section de Boulogne qui avait ponsabilité vis-à-vis de l’union sacrée de 1914, mais remplacé Chochoy, s’était prononcé pour, dans un en même temps résister à la tentative de la bourgeoi­ vote à la commission exécutive fédérale. A partir sie d ’amalgamer le socialisme avec le bolchévisme. d ’octobre, le Réveil ne publie plus que des articles Comme le dit l’auteur, « le Parti socialiste semble favorables à la stratégie unitaire. flotter >. Néanmoins, le jeune Parti communiste éprouve En tout cas, le régime bolchévik, s’il n’est pas de grandes difficultés à toucher les masses. Le 3 toujours compris et si on ne veut pas se laisser février 1924, dans l’élan de la campagne électorale identifier à lui, est chaleureusement défendu. Le des législatives, Maurice Thorez, secrétaire fédéral, premier article favorable à la Révolution d ’Octobre ne réunit à Boulogne que 250 auditeurs. La même dans le journal socialiste Le Réveil de Boulogne est année, le Parti socialiste fait se déplacer beaucoup daté du 24 novembre 1917, ce qui montre bien plus de monde. En 1924, pour les quatre communes que cette révolution a été immédiatement populaire de l’agglomération, le Parti communiste draine vers dans les milieux socialistes et syndicalistes. lui 9,6 % des électeurs inscrits et 12,7 % des suf­ Les 21 conditions ne rebutent pas les militants frages exprimés (le parti socialiste obtient 12 % de la seaion locale, dont le secrétaire, Auguste Cho- et 16,3%). choy, annonce qu’il se ralliera aux décisions de la Les insuffisances et les maladies de jeunesse du majorité du Parti. Baly, secrétaire de la mairie Parti communiste ne sont pas seules en cause. L’au­ d ’Outreau et du syndicat des dockers, qui, en 1919, teur parle d ’une indolence du mouvement ouvrier se défendait d ’être un bolchévik (peut-être par pru­ boulonnais, d ’une passivité, le tout lié au reflux révo­ dence électorale), se fait en 1920 le grand artisan lutionnaire de la période considérée. de l’adhésion à la Troisième Internationale. Jules Duburquoy et Emile Delabassée fondent Au lendemain du Congrès de Tours, 38 membres en octobre 1921 le syndicat unitaire des métaux. 99

Il faut attendre 1924-1928 pour voir une solide implantation des unitaires chez les dockers, les jxw- tiers, puis les marins-pêcheurs. Au Conseil municipal de Boulogne, trois com­ munistes siègent de 1919 à 1925 : Auguste Chochoy, Arthur Baly et Albert Durosay. Ils s’affirment comme les meilleurs défenseurs des besoins matériels et sociaux de la population laborieuse. L’auteur conclut son attachante et passionnante recherche en montrant que, si le front unique échoue à se réaliser en ces années difficiles, les deux partis. Parti communiste et Parti socialiste, gardent du moins le contact dans la région de Boulogne sans se dresser violemment l’un contre l’autre, si bien que l’avenir reste ouvert à l’unité d ’action. Georges CCKîNIOT.

NOTRE CAMARADE CAMILLE LARRIBERE EST MORT Le 24 décembre 1970, à Saint-Denis-du-Sig (Algérie), s’est éteint notre camarade, le docteur Camille Larribère, correspondant de l’Institut Maurice Thorez. Dès sa démobilisation, en 1918, Camille Larribère participe à la campagne pour l’adhésion à l’Inter­ nationale Communiste. Membre du Parti commu­ niste français dès sa fondation, il est élu au Comité central au Congrès de Saint-Denis, en 1929. Pendant la guerre, chargé de mission par le Comité français de la libération nationale, il est parachuté en France et combat dans les rangs de la Résistance, A la Libération, il devient Conseiller de la République, puis il rentre en Algérie, son pays d'adoption. Membre du Comité central du Parti communiste algérien, il collabore à la direc ­ tion clandestine de ce Parti durant la guerre d ’in­ dépendance. A^é de 76 ans, il est mort en poursuivant son activité militante au service de la classe ouvrière. 100

50 ANS D’HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS DE LA PÉRIODE 1920-1970

Texte élaboré et présenté par Basile DARIVAS

TROISIÈME PÉRIODE

DE LA VICTOIRE DU FRONT POPULAIRE AU DECLENCHEMENT DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE (1936-1939) *

* Nous publions dans ce numéro U seconde partie de la troisième période, qui va du 22 janvier au 31 décembre 1937. 101

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

22-23 janvier 1937. Conférence nationale du Parti communiste réunie à Montreuil. Maurice Thorez y présente son rapport ; « Tout pour le Front populaire, tout par le Front popu­ laire ! » (Voir : Œuvres Je Al. Tho­ rez, t. 13, pp. 141-180).

23-30 janvier 1937. En Union Soviétique a lieu, devant le tribunal militaire de la Cour suprême, le procès du Centre trotskiste antisoviétique. Treize des accusés sont condamnés à mort et exécutés.

13 février 1937. Dans un discours prononcé à la radio, Léon Blum annonce la « pau­ se » dans l’application du pro­ gramme du Front populaire.

14 février 1937. Conseil national du Parti socia­ « Sauver la paix, sauver la France liste tenu à Montrouge. C’est au en sauvant l’Espagne > ; discours cours de ce Conseil que se réalise prononcé au Vélodrome d ’Hiver par la fusion entre la S.F.I.O. et le Maurice Thorez, retour d ’Espagne. Parti d ’unité prolétarienne (P.U.P.). (Voir : Œuvres Je Al. Thorez, t. 13, pp. 193-198.) 102

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

27 février 1937. Devant les militants de la région parisienne réunis à Magic-City, Maurice Thorez définit la politique du Parti communiste et répond au discours de Léon Blum sur la né­ cessité de la < pause > : « La pau­ se ? Aux trusts ! »

5 mars 1937. Le gouvernement Léon Blum rétablit le marché libre de l’or.

8 mars 1937. Le Parti communiste adresse une lettre à l’Internationale Ouvrière So­ cialiste lui proposant d ’accepter la réalisation de l’action commune et la convocation d ’une Conférence internationale pour sauver l’Espagne.

16 mars 1937. Monstrueuse provocation fasciste à Clichy. La police tire sur une paisible manifestation ouvrière orga­ nisée en signe de protestation contre la tenue d'un meeting par le colonel factieux de La Rocque. Il y a, parmi les ouvriers, 5 morts et de nombreux blessés.

18 mars 1937. A l’appel de la C.G.T. grève « Le sang a coulé », proclamation totale d ’une demi-journée dans la du Parti communiste à la suite des région parisienne contre le crime événements sanglants de Clichy : de Clichy. < Briser le complot fasciste ; épurer la police ; préserver l'ordre répu­ blicain » (l’Humanité). 103

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

21 mars 1937. Funérailles des victimes de la Conférence internationale des € Le peuple de Paris exige la fusillade de Clichy. Plus d'un mil­ Partis communistes d ’Europe tenue fidélité au serment du 14 juillet > ; lion de travailleurs de Paris et de à Paris, avec comme objectif l’inten­ discours de Maurice Thorez aux la région parisienne accompagnent sification de l’aide à l’Espagne ré­ funérailles des viaimes de la fusil­ les cinq cercueils, de la place de la publicaine. lade de Clichy (Voir l’Humanité du République au cimetière de Clichy. 22 mars 1937).

26 avril 1937. En Espagne, bombardement de Guernica par l’aviation germano- italienne. 11 y a un très grand nombre de morts et de blessés. La ville est réduite en cendres.

27 avril 1937. Mort d ’Antonio Gramsei, un des fondateurs du Parti communiste italien.

29 avril 1937. « Le massacre de Guernica n’a été possible que parce que la poli­ tique de la < non-intervention > a été, en fait, celle de l’intervention fasciste tolérée. Des femmes et des enfants ont péri dans les flammes parce que la France et la Grande- Bretagne ont laissé Hitler et Mus­ solini transporter en Espagne des bombes incendiaires. » (Editorial de Gabriel Péri dans l’Humanité.)

12 mai 1937. Couronnement de George VI d ’Angleterre.

15 mai 1937. En Espagne, démission du gou­ vernement Largo Caballero et for­ mation (le 17 mai) d ’un nouveau gouvernement sous la direction du socialiste Juan Negrin. 104

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

Appel du Parti communiste ; < A l'aide de l'Espagne républicaine ! Tous unis contre les incendiaires et les massacreurs d'enfants ! > (Voir : Cahiers du bolchévisme, 1937, n“ 6-7, pp. 631-632.)

24 mai 1937. Inauguration de l'Exposition in­ ternationale de Paris par le président de la République.

28 mai 1937. En Angleterre, le premier minis­ tre, Stanley Baldwin, démissionne. Neville Chamberlain lui succède.

30 mai 1937. Pendant sept heures, le peuple de Paris défile devant le Mur des Fédérés avec les mots d'ordre : « 'Vive l'Espagne républicaine ! Unité ! »

31 mai 1937. En Espagne, bombardement de la ville d ’Almeria par la flotte alle­ mande. Il y a un grand nombre de victimes parmi la population. L'Allemagne et l'Italie se retirent du Comité de € non-intervention » siégeant à Londres.

2 juin 1937. Les organisations ouvrières espa­ gnoles s'adressent à l'Internationale Communiste, à l'Internationale So­ cialiste et à la Fédération Syndicale Internationale, en leur demandant 105

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

d'entreprendre « l’action commune la plus résolue » pour venir en aide à la République espagnole.

9 juin 1937. Assassinat, près de Bagnoles-de- rOrne, des frères Carlo et Nello Rosselli, deux militants antifascistes italiens réfugiés en France.

11-12 juin 1937. A Moscou, procès et condamna­ tion à mort par la Cour spéciale de rU.R.S.S. du maréchal Toukhat- chevski et sept autres accusés ; la sentence est exécutée. l6 juin 1937. A la Chambre des députés, le A la Chambre, le Groupe com­ gouvernement Léon Blum obtient muniste vote la confiance au gou­ les pleins pouvoirs en matière finan­ vernement afin de maintenir le cière, par 346 voix contre 247. Front populaire et faire exécuter tout son programme, notamment en matière fiscale. 18 juin 1937. Mort de Gaston Doumerguc, an­ « Pour le salut du pays » ; mani­ cien président de la République. feste du Parti communiste publié dans l'Humanité. 21 juin 1937. La réaction ayant mené, sur le Entrevue, à Annemasse, entre les plan financier, un violent assaut représentants de l’Internationale contre le Front populaire, Léon Communiste et ceux de l’Interna­ Blum s’incline, sans y être obligé, tionale Socialiste sut la meilleure devant le refus du Sénat de lui façon de poursuivre l’action d ’un accorder les pleins pouvoirs qu'il commun accord en faveur de l’Espa­ venait d ’obtenir de la Chambre des gne républicaine. (Voir le commu­ Députés et donne la démission de niqué publié à l’issue de cette son gouvernement. entrevue dans les Cahiers du bol­ chevisme, 1937, n° 6-7, p. 6l0.) 106

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

22 juin 1937. Formation du troisième gouver­ Le Comité central et le Groupe nement Camille Chautemps. Georges parlementaire du Parti communiste Bonnet, membre du Parti radical- réunis en commun proclament : socialiste, devient ministre des Fi- « Un seul gouvernement est pos­ sible, un gouvernement de Front populaire, ayant pour programme celui du Front populaire ».

24 juin 1937. Grandiose manifestation unitaire. Discours prononcé par Maurice Place de la Nation, convoquée par Thorez au cours de la manifestation le Comité du Front populaire de la de la Place de la Nation ; € Soyons région parisienne. unis pour la réalisation du pro­ gramme du Front populaire ». (Voir ; Cahiers du bolcbivisme, 1937, n” 6-7, pp. 510-513.)

30 juin 1937. La Chambre des Députés vote par Le Conseil général de la Fédé­ A la Chambre, le Parti commu­ 393 voix contre 142 les pleins pou­ ration Syndicale Internationale réuni niste vote les pleins pouvoirs finan­ voirs financiers au gouvernement à Varsovie proclame sa < solidarité ciers réclamés par le gouvernement Chautemps. pleine et inconditionnelle avec Chautemps afin de préserver l’union l’Espagne républicaine ». du Front populaire. < Le Parti com­ muniste, déclare Jacques Duclos, est prêt à prendre ses responsabilités dans un gouvernement à l’image du Front populaire pour appliquer le programme approuvé par la majorité du suffrage universel. »

4 juillet 1937. Pour les réformes paysannes, le Parti communiste organise 80 ras­ semblements à travers tout le pays. 107

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

5 juillet 1937. A l’appel de leurs syndicats, les métallurgistes parisiens manifestent au Vélodrome d ’Hiver pour le res­ pect du droit syndical.

7 juillet 1937. Début d'une nouvelle agression japonaise contre la Chine.

9 juillet 1937. Message de salutations adressé par le Parti communiste au Congrès national du Parti socialiste ; < Seule, l’union peut permettre de faire face aux dangers qui menacent la popu­ lation laborieuse de notre pays >.

10-14 juillet 1937. Congrès national du Parti socia­ liste réuni à Marseille. Une motion approuvant la gestion du gouverne­ ment Léon Blum est adoptée par 4 539 voix contre 828.

12-13 juillet 1937. IX’ Congrès de la Fédération des Jeunesses communistes de France tenu à Paris, Salle de la Mutualité, sous le signe de : < Lutte ! Joie ! Culture ! >

15-18 juillet 1937. Réunion à Paris du Congrès inter­ national d ’unification des étudiants socialistes et communistes. Une « Alliance internationale estudian­ tine pour le socialisme » est créée au Congrès. 108

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

16-17 juillet 1937. Après avoir siégé à Madrid, à Valence et à Barcelone, le Congrès international des écrivains se trans­ fère à Paris, au théâtre de la Porte Saint-Martin, où il termine ses tra­ vaux.

18 juillet 1937. A l'occasion de l’anniversaire de la lutte du peuple espagnol contre Franco et ses alliés fascistes, le président de la République Manuel Azana y Diaz dénonce l’agression fasciste et la carence de la Société des Nations.

22-23 juillet 1937. Réunion du Comité central du Parti communiste français à Paris. Rapport de Gabriel Péri : « Un an d ’intervention fasciste en Es|>agne > (Voir ; Cahiers du bolchévisme, 1937, n° 8, pp. 658-665.) Discours de clôture de Maurice Thorez : « Toujours unir ! Application du programme ! Union du Front popu­ laire ! Parti unique de la classe ouvrière ! » (Voir ; Œuvres de M. Thorez, t. 14, pp. 115-129.)

23-30 juillet 1937. Réunion à Paris, Salle de la Mutualité, du Congrès international de l’enseignement primaire et po­ pulaire. 109

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

25 juillet 19Î7, Les délégués chômeurs de toutes les provinces françaises réunis à Paris, à la Grange-aux-Belles, à l'appel du Comité de liaison des chômeurs de France, exigent du gou­ vernement l'application du pro­ gramme du Front populaire.

29 juillet 1937. La délégation du Parti commu­ niste au Comité d ’entente socialiste- communiste fait à la Commission administrative permanente du Parti socialiste des propositions concrètes sur le thème ; < Le Parti unique se fera », conformément aux décisions prises par le CC. lors de sa session des 22-23 juillet 1937 (Voir le texte dans l'Humanité).

31 juillet-1" août 1937. Conférence internationale des tra­ vailleurs de l’enseignement tenue à la mairie d ’Issy-les-Moulineaux. Les délégués des onze pays participants dénoncent les crimes de la réaction et du fascisme et insistent sur la nécessité urgente pour les ensei­ gnants de la défense de la culture, de la démocratie et de la paix.

l*"^ août 1937. Au bois de Vincennes, des dizai ­ Fernand Grenier, candidat du nes de milliers de Parisiens parti­ Parti communiste, est élu député cipent à la manifestation organisée de Saint-Denis, battant le pro­ par le Rassemblement universel pour hitlérien Jacques Doriot. la paix. 110

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

13 août 1937 Les Japonais débarquent à Shan­ ghaï. Les quartiers chinois sont en flammes {l’Humanité, 19 août 1937)

15 août 1937. Manifestation internationale de la jeunesse pour la paix, organisée par le mouvement du Congrès national de la jeunesse, au Parc des Sports de La Courneuve. A l'issue de la manifestation, les délégations des pays participants prêtent le « ser­ ment de la paix ».

22 août 1937. Contre les crimes des agresseurs fascistes, le gouvernement de la République espagnole adresse aux peuples un api>el pathétique : « Les chancelleries se taisent ! Les peu­ ples doivent manifester leur di ­ gnité ! »

27 août 1937. Lettre de la Ojmmission admi ­ nistrative permanente du Parti so­ cialiste au Comité central du Parti communiste en réponse à ses propo­ sitions d ’unité.

2 septembre 1937. Réponse du secrétariat du Parti communiste à la lettre de la Com­ mission administrative permanente du Parti socialiste du 27 août 1937. (Voir l’Humanité du 3 septembre 1937.) 111

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

10-11 septembre 1937. Conférence des pays méditerra ­ néens contre la piraterie dans la Méditerranée et pour le renforce­ ment des règles du droit interna­ tional concernant la navigation, réunie à Nyon à l'initiative des gouvernements de France et d'An ­ gleterre. Un accord immédiatement applicable est conclu d'après lequel la police de la Méditerranée est confiée aux bâtiments de guerre français et anglais. (Voir le texte dans l’Humanité du 15 septembre 1937.)

11 septembre 1937. Précédée d'une virulente campa­ gne de presse, une grossière et sanglante provocation a lieu à Paris ; des bombes éclatent aux sièges de la Confédération générale du patro­ nat et de l'industrie de la métal­ lurgie, rue de Presbourg et rue de Boissière. Deux agents de police sont tués.

11-13 septembre 1937. Au Congrès du Parti national- socialiste tenu à Nuremberg, Hitler revendique des colonies, affirme la réalité du bloc fasciste Allemagne- Italie-Japon et menace l’Union So­ viétique, la France et l’Angleterre.

13 septembre 1937. A la suite de l’attentat contre les sièges d'organisations patronales, Ambroise Croizat, député commu­ niste de Paris et secrétaire de la 112

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

Fédération des syndicats ouvriers de la métallurgie, interpelle le gouver­ nement {l'Humanité).

13-14 septembre 1937. A l’occasion de l’ouverture de l’Assemblée de la Société des Na­ tions, Juan Negrin, président du Conseil de la République espagnole, met en garde la S.D.N. contre les faiblesses et les capitulations. La Chine adresse à la Société des Nations un appel contre l’agression japonaise.

14 septembre 1937. Mort de Thomas Masaryk, prési­ dent de la République tchécoslo­ vaque.

16 septembre 1937. Découverte à Paris de l’organi­ Dans une déclaration, le Bureau sation secrète fasciste la « Cagoule ». politique du Parti communiste flé­ Au cours des perquisitions chez les trit les odieux attentats de la rue « Cagoulards », un véritable arsenal de Presboutg et de la rue de de guerre est saisi, ainsi que des Boissière, et regrette la carence des documents établissant les relations pouvoirs publics quand il s’agit de cette organisation avec l’Alle­ d ’assurer le maintien de l’ordre magne et l’Italie fascistes. républicain.

17 septembre 1937. Le Comité central du Parti com­ muniste adresse à la Commission administrative permanente du Parti socialiste une nouvelle lettre pro­ posant la réunion très prochaine de la Commission d ’unification afin de « hâter la constitution du Parti unique de la classe ouvrière, ardem ­ ment désiré par tous les communistes 113

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

et tous les socialistes de France ». (Voir l’Humanité du 19 septembre 1937.)

19 septembre 1937. Discours prononcé par Maurice Thorcz à Gif-sur-Yvette, à l’occasion de l’ouverture de la campagne pour les élections cantonales ; « Le Parti communiste est au premier rang des défenseurs de la France rurale ».

25-27 septembre 1937. Réunion à Paris, Salle de la Mutualité, du Congrès national du Rassemblement universel pour la paix. Le Congrès adopte un mani­ feste dans lequel il demande le retrait des troupes fascistes d ’inter­ vention en Espagne ; il ne reconnaît pas la conquête de l'Ethiopie par l’Italie ; il appelle au secours pour la Chine martyre.

25-29 septembre 1937. Rencontre Hitler-Mussolini à Munich, puis à Berlin.

27 septembre 1937. « L’Autriche et l’Espagne sont l’enjeu des entretiens de Munich et de Berlin », écrit Gabriel Péri dans l’Humanité.

28 septembre 1937. Discours de Mussolini au Champ de Mars, à Berlin ; « L’Europe de demain sera fasciste ! Quand la parole ne suffit pas, il faut recou­ rir aux armes : nous l'avons fait en Espagne ». 114

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

3 octobre 1937. A la veille des élections canto­ nales, le Parti communiste s’adresse au peuple français ; « L’union est la condition du salut commun. La France veut la paix. C’est sous le signe du Front populaire que le Parti communiste appelle à l’union du peuple français. > {l'Humanité)

5 oaobre 1937. La Société des Nations recom­ mande à ses membres de venir en aide à la Chine contre l’agression japonaise.

6 octobre 1937. A l’appel de leurs organisations, 50 000 travailleurs des administra ­ tions de l’Etat et des Services pu­ blics manifestent à Paris, au Vélo­ drome d ’Hiver, pour le rajustement des salaires, pour l’amélioration du sort des retraités et pour l’applica­ tion des lois sociales.

10 oCTobre 1937. Premier tour des élections can­ Progression importante du Parti tonales. Recul de la réaction, pro­ communiste aux éleaions cantona­ grès du Front populaire. les. 11 obtient 14 % des voix .

Mort de Paul Vaillant-Couturier, éminent militant du mouvement ouvrier français et international, membre du Comité central du Parti communiste français, rédaaeur en chef de l'Humanité. Le I6 octobre, une foule immense l’accompagnera au Père-Lachaise. 115

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

17 octobre 1937. Deuxième tour des élections can­ Au deuxième tour des élections tonales. Le Front populaire conso­ cantonales, le Parti communiste ac­ lide sa victoire du premier tour. centue sa progression ; il obtient l’éleaion de 107 conseillers géné­ raux et conseillers d ’arrondissement, au lieu de 25 six ans auparavant.

19 octobre 1937. « La France a voté Front popu­ laire. Le pays a voté pour le pain, la liberté et la paix. "Vive l’union du Front populaire », déclare le Parti communiste. (Affiche repro­ duite dans l’Humanité.) 23 octobre 1937. A l’appel de l’Union des syndi ­ cats et du Comité du Front popu­ laire de la région parisienne, 200 000 personnes manifestent au bois de Vincennes contre la vie chère et pour l’aide à l’Espagne républicaine.

24 octobre 1937. Manifestation des fonctionnaires à travers tout le pays pour l’in­ demnité mensuelle de 150 francs.

26 octobre 1937. Parution de l’ouvrage de Maurice ’Thorez Fils du Peuple, aux Editions sociales internationales. « Communistes et catholiques », rapport présenté par Maurice "rhorez devant l’assemblée des militants des cinq régions parisiennes du Parti 116

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

communiste, réunie à la Salle de la Mutualité. (Voir l'Humanité du 28 oaobre 1937.)

28-29 octobre 1937. Session du Comité central du Parti communiste à Ivry. Le CC. adopte deux résolutions : dans la première, il s’affirme < solidaire de l’action engagée par le Canel des fonctionnaires et par les personnels de l’Etat et des &rvices publics » ; dans la seconde, il exprime sa « soli­ darité au vaillant peuple espagnol dont la victoire sera celle de la liberté et de la paix ». (Voir : Cahiers du holchévisme, 1937, n” 11-12, pp. 1025-1026.)

28-30 octobre 1937. 34* Congrès du Parti radical réuni à Lille. Le Congrès se pro­ nonce pour le maintien du Front populaire.

29 oCTobre 1937. Appel du Comité de coordina­ tion des Partis socialiste et commu­ niste d ’Espagne, adressé à l’Interna­ tionale Ouvrière Socialiste, à l’Inter­ nationale Communiste et à la Fédé ­ ration Syndicale Internationale pour que soit convoquée une réunion où seraient étudiées en commun les formes dans lesquelles pourrait s’or­ ganiser une aide efficace à l’Espagne républicaine, selon la ligne tracée à Annemasse. 117

Le Parti Communiste Politique Intérieure Français

30 oaobte 1937. A l’appel du Comité d ’entente socialiste-communiste, 200 000 Pa­ risiens défilent de la Bastille à la Nation pour le soutien de la Répu­ blique espagnole et pour la sécurité de la France.

31 octobre 1937. Transfert du gouvernement de la République espagnole de Valence à Barcelone.

3-22 novembre 1937. Réunion à Bruxelles de la Con­ férence des neuf Etats signataires du traité de Washington du 3 fé­ vrier 1922 (Belgique, Chine, Etats- Unis, France, Grande - Bretagne, Hollande, Italie, Japon, Portugal). Le Japon refuse d ’y participer. Le 13 novembre, la Chine réclame l’assistance internationale contre l’agresseur nippon. La Conférence constate que le Japon a violé le Pacte Briand-Kellogg, mais elle s’ajourne sans prendre de sanaions contre l’agresseur.

4 novembre 1937. L’Angleterre décide d ’envoyer un agent commercial à Salamanque, ce qui équivaut à la reconnaissance de Franco.

6 novembre 1937. Signature à Rome, au Palais « Le Pacte de Rome est signé ; Chighi, du Pacte tripartite anticom­ l’Italie, le Reich et le Japon ont muniste et antisoviétique entre établi une formidable machine de l’Allemagne, le Japon et l’Italie. guerre qui doit entraîner le monde (Voir le texte dans l’Humanité du à une catastrophe >, titre l'Humanité 7 novembre 1937.) du 7 novembre 1937. 18

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

10 novembre 1937. A Paris, grandes manifestations Coup d ’Etat fasciste au Brésil. des travailleurs de la métallurgie et Le Président Getûlio Vargas dissout du bâtiment contre les provocations le Parlement et se proclame dic- patronales, pour la défense de leur pain, contre la vie chère, pour l'Espagne républicaine et la sécurité de la France.

13 novembre 1937. A l’occasion de la journée natio­ nale contre la vie chère, pour la retraite des vieux, pour l’aide à l’Espagne, organisée par la C.G.T., des milliers de personnes manifes­ tent à Paris au stade Buffalo. Vingt grands meetings se déroulent en province.

16 novembre 1937. Le président de la Chambre des Députés, Edouard Herriot, prononce l’éloge funèbre de Paul Vaillant- Couturier (voir l’Humanité du 17 novembre 1937).

18-19 novembre 1937. Grand débat de politique géné­ Au cours du débat à la Chambre, rale devant la Chambre des Députés. Gabriel Péri montre la nécessité de Le gouvernement du Front populaire juguler les agresseurs pour défendre obtient la confiance par 399 voix la paix. Il demande le boycott du contre 160. Japon et l’ouverture de la frontière avec l'Espagne républicaine. Jacques Duclos réclame la réalisation du pro­ gramme du Front populaire et l’adoption de mesures énergiques 10

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

« afin d ’étrangler le complot contre la République ourdi par les cagou­ lards et les traîtres, fauteurs de guerre civile >.

19 novembre 1937. Entrevue Hitler-Lord Halifax, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, à Berchtesgaden.

21 novembre 1937.

Découverte d ’un complot contre la France. Les ordres partaient de Berlin et de Rome. Le gros indus­ triel du textile Moreau de la Meuse est arrêté. Le général Edouard Dusseigneur, le colonel de La Rocquc, Pozzo di Borgo, Jacques Doriot, André Tardieu, d ’autres en­ core y sont impliqués.

25 novembre 1937. Les cagoulards Dusseigneur et Eugène Deloncle sont arrêtés. D’au­ tres conjurés seront arrêtés par la suite.

11 décembre 1937. L’Italie se retire de la Société des Nations.

25-29 décembre 1937. IX' Congrès du Parti commu­ niste tenu à Arles. Deux importants rapports y sont présentés par Mau­ rice Thorez : < La France du Front populaire et sa mission dans le monde» (Voir Œui'res de M. Tho­ rez, t. 14, pp. 199-307) et par 120

Le Parti Communiste Politique Intérieure Politique Extérieure Français

Jacques Duclos : « Une grande expé­ rience : l’unité ! > (Voir l’H/itnanité du 28 décembre 1937.)

29 décembre 1937. Les travailleurs parisiens des Ser­ vices publics, après une journée de grève puissante, obtiennent satis- faaion.

31 décembre 1937. Dans un communiqué, le secréta­ riat du Parti communiste adresse aux travailleurs des Services publics « l’expression de sa solidarité la plus complète et élève une protes­ tation indignée contre la déclaration unanime faite par le gouvernement contre les travailleurs. Le Parti com­ muniste, ajoute le communiqué, est décidé à soutenir l’action revendi­ cative de tous les travailleurs. > (l'Humanité.) 121

NOTRE COURRIER

NOS LECTEURS INTERROGENT... LA RÉDACTION RÉPOND...

« Le numéro 16 des Cahiers de l’Institut Jlaurice Thorez reproduit quelques textes sur « l’orientation syndicale et la lutte de classe. » .l’aurais aimé trouver une plus grande analyse de la Charte d ’Amiens, des conditions dans les­ quelles elle a été adoptée et de ses conséquences. » lî.M., Romainville.

La Charte d ’xUnictis, comme nous l’écrivions dans le n" 16 des Cahiers, place fortement le mouvement ouvrier français sur le terrain de la lutte de classe. Toutefois, cette lutte conservait exclusivement un caractère économique, le sjm- dicat se suffisant à lui-même et constituant la ha.se de la réorganisation sociale de l’avenir. La Charte préconise comme seul moyen d'action efficace pour le renversement du capi­ talisme la grève générale. Et pour que « le ,s>-ndicalisme atteigne son maximum d ’effet, l’action économique doit 122

s’exercer directement contre le patronat... sans se Le premier Congrès ouvrier se réunit à Paris, préoccuper des partis et des sectes... » en novembre 1876. Il est dominé par les parti- Cette attitude à l’égard des partis politiques .sans des coopératives ; mais c’est au Congrès isolait le mouvement syndical par rapport au de Marseille, en 1879, qu’un grand pas en avant mouvement socialiste et aussi par rapport aux sera fait : le Congrès se prononce pour la lutte couches moyennes de la ville et de la campagne. des classes et la collectivisation des moyens de Ainsi, la Charte d ’Amiens a un côté positif production. et durable : !’« émancipation intégrale » et Avec le vote de la loi du 24 mai 1884, qui r« expropriation capitaliste»; elle a un côté reconnaît juridiquement les syndicats, vote qui négatif et étroit : la supposition que le syndi ­ a été imposé à la bourgeoisie par la classe calisme suffit à tout, aujourd’hui comme « grou­ ouvrière, le développement syndical est facilité. pement de résistance», dans l’avenir en qualité C’est au congi'ès de Lyon, réuni en octobre de «groupement de production et d ’échange,... 1886, qu’est décidée, sur l’initiative des gue.sdis- l)ase de réorganisation sociale ». tes, la création de la Fédération nationale des Comment s’expliquent les opinions fonda­ sj/ndicats et f/roupes corporatifs de France et mentales adoptées par le Congrès d'Amieiis ? des colonies. Le Congrès affirme que le mouve­ Tout d ’abord, le fait que la C.O.T. ait placé le ment s.vndical doit se situer sur une position mouvement sjmdieal sur le terrain de la lutte de classe. En dépit des erreura commises par ses de classe est simplement le reflet, et l’enregis­ dirigeants, la Fédération, qui vivra jusqu’au trement de la réalité. Congrès de Limoges de 1895, a su entretenir En effet, après le bain de sang de 1871 dans l'élan combatif de la partie la plus consciente lequel la bourgeoisie croyait avoir noyé pour de la cla.s.se ouvrière et a participé activement toujoui's le prolétariat français, celui-ci s’c.st à la conduite d ’importants moiivcments de assez rapidement ressaisi et en en tirant les grèves. leçons, il est panmim à un stade supérieur d ’or­ ganisation et de lutte. Au couro de la période Tandis que la Fédération fondée à Lyon 1875-1900, on assiste à la concentration de la groupait les ouvrière sur une base profession­ grande industrie et, naturellement, à celle de nelle, les Bourses du travail, dont la première fut organisée à Paris, en 1887, les groupait sur la classe ouvrière, qui devient plus nombreu.se, ]ilus combative, plus expérimentée. la base de la localité (elles sont à l’origine des Unions locales et départementales d ’aujourd ’hui). Les grèves se multiplient et se font plus C’est au Congrès de Saint-Etienne en février puissantes. Les ouvriers s’organisent sjmdieale- ment, ce qui s’explique pour une large part, 1892 que fut constituée la Fédération des Bour­ ]iar la pénétration. — lente au début, — des ses du travail. idées marxistes en France, grâce à Jules Gue.sdc Trois ans plus tard, le 23 septembre 1895, et à Paul Lafargue et iiar le développement de un Congrès réunit à Limoges les représentants leur propagande pour le socialisme et pour de 28 Fédérations d ’ind\istrie, de 18 Bourses Porganisation de la classe ouvrière. du travail et de 126 syndicats non confédérés. 123

Ce fut le Congrès constitutif de la Confédération action exchmrement économique, le parti socia­ générale du travail (C.G.T.)- liste mènera une action exclusivement politique. C’est dans riiistoire du mouvement ouvrier Toutefois, I’« apoliti-smc » de la C.G.T., sa français un événement très important et de méfiance à l’égard « des partis et des sectes » grande portée : pour la première fois, la classe s’expliquent par deux autres causes que les sur­ ouvrière est arrivée à coordonner ses efforts vivances des tendances pré-marxistes et anti­ jusque là divergents, aussi bien sur le plan pro­ marxistes. La premièi’c consiste dans la confu­ fessionnel que sur le plan local. sion politique persistante dans l’esprit des tra­ Cependant, le dualisme au sein de la G.C.T. vailleurs du fait de la multiplicité des partis avec ses deux sections ; le Conseil national des ■socialistes, qui, vers la fin du xix® siècle, étaient, Fédérations et le Conseil fédéral des Bourses, au moins, au nombre de ciiui (le Parti ouvrier subsistera jusqu’au Congrès de Montpellier de français dirigé par J. Jaurès, le Parti socialiste 1002. Ce n’est qu’à ce Congrès que la classe françai.s dirigé par J.-Jaurès, le Parti .socialiste ouvrière française organisée réali.scra son unité. révolutionnaire, parti blanquistc dirigé par Fi. Vaillant, le Parti ouvrier sociali.ste révolution- ♦ * ♦ naire, dirigé par J. Allcmane, la Fédération des travailleura socialistes, dirigée par P. Brousse et, C’est du 8 au 1-t octobre 1000 (pie se réunit enfin, les socialistes indépendants, groupés auto\ir à Amiens le Congrès de la C.O.T. qui adoptera de Millerand). la résolution connue sous le nom de Chartr La sceonde cau.se est la participation à un d'Amiens. mini.stère bourgeois, celui formé en 1899 par Au cours de ce quart de siècle qui .sépare Waldeck Jîou.s.seau, d ’un sociali.ste, le .sociali.ste le Congrès d ’Amiens du premier Congi-ès de indépendant Alexandre Millerand, siégeant aux Paris, la clas.se ouvrière a eu à mener de dures côtés du marquis de Galliffet, le bourraau de la batailles revendicatives, de longs et .soiivcnt Commune. douloureux combats de classe, dont, comme nous l’avons dit plus haut, le Congrès a tenu compte Cette participation que l’on a appelée « mille- pour la rédaction de la Chirte. Mais le mouve­ randisme » ou « ministérialisme » a provoqué une ment ouvrier français reste encoi’e fortement crise grave au sein du mouvement socialiste et, influencé par les courants proudhonien et anar- ]iar voie de conséquence, an sein du mouvement cho sjmdicaliste, en dépit de la pénétration en .syndical lui-même, en accentuant l’attitude de France des idées marxistes. Des courants comme méfiance d ’une large fraction du mouvement syn­ le courant allcmaniste subordonnaient l’action dical à l’égard des partis socialistes, même après politique à l’action syndicale. C’est un blan- leur unification, en 1905. quistc, Oriffuelhes, qui accède en 1895 à la Certes, depuis le Congrès d ’Amiens, l’opinion direction de la C.G.T. comme secrétaire général, de la partie de la classe ouvrière organisée syn- et les blanquistes sont d ’accord avec la Charte dicalement a considérablement évolué sur cette d ’Amiens : les svndieats doivent mener une (lucstion, et tout en menant la lutte sur le plan 124

économique, elle n’en néglige pas pour autant la arrivé au pouvoir et a fait de 1’ « apartheid » le lutte sur le plan politique quand son intérêt de pilier de sa politique, il a décidé de refouler classe, inséparable de l'intérêt national, l'exige. tous les Noirs dans des rései’ves. D ’où la création Mais en dépit de cette évolution, aujoiml’hui du Transkei, situé, comme son nom l’indique, de encore, cet apolitisme auquel la Charte d ’Amiens l’autre côté du fleuve Great Kei, au sud-est de avait conféré valeur statutaire, persiste dans cer­ la province du Cap. 1 500 000 hommes y vivent, tains milieux syndicaux, surtout quand cet « apo­ sur une surface de 35 000 km®. Le Parlement litisme » cautioiuic... une mauvaise politique. .sud-africain a décidé que le Transkei aurait une assemblée légi.slative de 109 membres, mais 64 * d ’entre eux sont nommés par les autorités sud- africaines ! Le Transkei a un hymne et un drapeau, — Qu'appelle-t-on Translci en Afrique du sud, et mais pas de véritable autonomie, et pas non plus qu’est-ce que cette création récente a à voir avec d ’industrie, pas d ’économie développée. On y la politique d’« apartheid » ? voit circuler de somptueuses mercédès : ce sont A.V. celles de.s chefs de tribus qui passent sans les cliimiste (Seine-Maritime) voir devant les masures où un enfant sur deux n’atteint pas la dixième année. En novembre 1063, beaucoup de journaux d ’Afrique du sud ont publié la i)hotographie Depuis, les racistes sud-africains ont pour­ suivi la création de nouveaiix Bantoustans. Ils d ’un Noir d ’âge moyen, qui, entoiu-é d ’agents de police et de civils (tous Blancs), levait les ont, contre la décision de l’O.N.U., occupé la Namibie (Sud-ouest africain), où ils s’efforcent bras dans un geste de victoire. T^a légende disait : « Kaiser Matansima, premier ministre du Ban- d ’implanter le .système des réserves. toustan autonome de Transkei ». Itantoustan est Les tentatives racistes de faire passer le la périphrase qui désigne les « réserves » où l’on Transkei pour un modèle d ’organisation de la parque les Noii’s, les « Bantous ». population noire dans le bien-être et la prospérité En créant le Transkei, les raci.stes d ’Afrique ont fait fiasco. Ce qui grandit chez les Noirs du sud ont simplement écrit un nouveau cha­ d ’Afrique du sud, ce sont la résistance et la pitre, de la politique d ’exploitation et d ’extermi­ révolte. * nation des Noii-s qui a commencé il y a trois iN* siècles avec l’arrivée des frégates de la Compa­ gnie hollandaise des Indes orientales. En 1013, On sait peu de choses sur la personnalité du pré­ le Parlement sud-africain adoptait la loi « Sur sident du Chili, le Dr. Salvaeior Allende. Qui les terres des indigènes », qui a affecté 87 % est-il î Quelles sont ses origines ? Quel est son du territoire à la minorité blanche, soit 15 % de passé politique f la population. E.B. Ijorsquc le parti nationaliste profasciste e.st institutrice (Pyrénées-Orientales) 125

Le 4 septembre 1970, c’était la quatrième fois de l’intérêt pour la politique dès l’âge des culot­ que le Dr. Salvador Allende Gossens était candi ­ tes courtes. Né le 26 juillet 1908 à Valparaiso, dat à l’élection présidentielle du Chili. Loi-s il était le petit-fils d ’un médecin très connu et des trois candidatures précédentes, il avait vu le fils d ’un homme de loi. Sa famille appartenait le succès lui échapper, fût-ce de justesse. C’est au Parti radical, parti de la bourgeoisie ascen­ pourquoi il avait dit un jour que sur sa tombe, dante de ce temps. on graverait 1 ’inscription ; « Ci-gît Salvador En 1926, après son service militaire, Salvador Allende, futur président du Chili. » Mais l’évé­ Allende s’inscrivait à la Faculté de médecine de nement a donné tort à son humour. « Une élec­ l’Université de Santiago. Le contact des étu­ tion à infarctus », déclara la feuille réactionnaire diants révolutionnaires l’orienta de plus en plus de Santiago Tercera de la llora ; la grande nettement vers la lutte contre l’aliénation du industrie et la grande propriété foncière avaient pays aux mains des monopoles yankees, contre en effet cru jusqu’au bout que leur représentant, le retard de l’économie et contre l’injustice le pseudo-indépendant Jorge Alessandri, arri­ sociale. Président de l’organisation des étudiants verait en tête, et c’est pourquoi Alessandri avait en médecine et vice-président de la Fédération eu le beau geste de déclarer à l’avance qu’il des étudiants du Chili, Allende soutenait le com­ s’inclinerait devant tout candidat obtenant la bat contre la dictature du général Ibanez. On majorité simple ou relative ! sait qu’en 1931, la grève générale devait chasser Quand les résultats du scrutin furent connus, Ibanez. C’est la même année que le jeune mili­ c’est une «morne consternation », selon l’expi-es- tant fut arrêté pour la première fois. Quand sion des agences de presse des Etats-Unis, qui son père mourut en 1932, il pronoiu;a ces mots s’empara de la réaction intérieure et interna­ sur sa tombe : « Désormais, je con.sacre ma vie tionale. Depuis 1966, les profits de l’impérialisme à la lutte pour l’émancipation du peuple, pour yankee au Chili sont montés à 187 millions de ramélioration du sort des opprimés et pour la dollars par an ; le cuivre chilien a déjà rapporté justice sociale. » aux grandes sociétés des Etats-Unis plus de Revenu à Valparaiso avec son diplôme de quatre milliards de dollars, le salpêtre autant, le médecin, Salvador Allende y participe à la créa­ minei'ai de fer un milliai’d. Or, le programme tion du Parti socialiste, qui, après avoir été de ï’Vnidad Popular prévoit en son article 9 à l’origine un ras.semblement d ’intellectuels et « la cessation de la domination de l’impérialisme, d'étudiants, est devenu aujourd’hui une forma­ des monopoles, de l’oligarchie foncière et les tion politique sérieuse aux côtés du Parti com­ arrangements nécessaires à la construction du muniste. Allende a été un eertain temjxs secré- socialisme ». taii’e général de ce Parti ; c’est lui qui a conduit Comme le président de la République jouit le Parti socialiste dans le mouvement du Front au Chili de pouvoirs étendus, la personnalité du populaire, et en 1939 il devint ministre de la Dr. Salvador Allende compte pour beaucoup Santé publique du gouvernement de Front popu­ dans la mise en œuvre du programme. Lbi jour­ laire : le peuple l’appela bientôt «le ministre nal chilien a dit récemment qu’il avait manifesté des pauvres ». Les conquêtes sociales du Front 126

populaire turent de premièiv importance, au Chili comme en France. Paidemontaire depuis 1937, Salvador Allcnde a toujours servi ce qu’il appelle «la trilogie humaniste » : indépendance économique du pays, sécurité sociale, politique au .service du peuple. En 1952, candidat du Front du peuple à l’élec­ tion présidentielle, il n’eut ([UC 52 000 voix; mais en 1958, candidat du Front d ’action popu­ laire, il n’était battu que de justesse par .forge Alessandri, toute la réaction n'ayaut qu’un mot d ’ordre : « Atajar a Allende » {Barrer la route à Allende). Aux élections de 1964, ce mot d ’ordre l’emporta encore, la bourgeoisie y avait ajouté le slogan démagogique de « l’évolution dans la liberté » et le démocrate chrétien Eduardo Frei bénéficia d ’appuis financiers ma.s-sifs aux Etats- Unis, en Allemagne de l’ouest, etc. Mais c’était une victoire à la Pyrrhus : Allen­ de avait approché le million de voix, et Eduardo Frei avait été obligé d ’inscrire dans son pro­ gramme bien des revendications de la gauche. Eo réformisme social devait servir à éviter le bou­ leversement fondamental des structures : il a échoué, et maintenant l’Unitad Popular met en œuvre son programme libérateur.

* »«

Nous avons reçu des communications de nos amis, Florimond Bonte et Henri Ménahem, sur les problèmes d ’actualité relatifs au sionisme. Ijb revue, se bornant au cadre qui est le sien, publiera dans un prochain numéro une étude de caractère historique sur le sionisme. N.D.L.R. 12:

UNE COLLECTION DE DOCUMENTS SUR LA COMMUNE DE PARIS

Depuis une quiiudliie d ’années, le Centre de docu­ l’artiste, de l'étudiant, du militant, de tous ceux qui mentation de l’Institut Maurice Thurez s’est attaché s’g intéressent (î ce moment capital de l’histoire de la à constituer une collection de documents et de photo­ France et du mo^tvement ouvrier international. graphies relatifs à la Commune de Paris. Afin de faciliter les recherches et de donner satis- En 1961, à l’occasion du 90' anniversaire de la faction à toutes les demandes, nous publierotis pro­ Commune, une importante exposition permettait de chainement un catalogue complet des matériaux dont présenter un premier aperçu des riches matériau.v nous disposons. déjà recueillis. L’intérêt qu’elle a suscité auprès de milliers de visiteurs a permis un nouvel enrichisse­ D’importants extraits de ce catalogue peuvent être ment de touie la documentation. d ’ores et déjà consultés au siège de l’Institut (Centre A la veille de la célébration du centième anniver­ de documentation). Nous en présentons aujourd ’hui saire de ce grand événement historique, nous sommes HH aperçu. heureux de pouvoir annoncer que nous disposons D. DIAMANT, désormais d’une très riche documentation. Chargé du Centre de doeumentntion Elle est au service du chercheur, de l’historien, de de l’Institut Maurice Thorez. 128

EXTRAITS DU CATALOGUE Affiche de la délégation communale du II' arron­ DU CENTRE DE DOCUMENTATION dissement sur la laïcisation des écoles du DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ II' arrondissement. 23 avril 1871. (Mie. II 141). Affiche do la mairie du III* ari-ondissement sur la Première affiche 29 mars 1871. Manifestation réac­ remise de fournitures gratuites aux élèves des tionnaire de la rue de la Paix. Dessin de D. écoles communales. 28 avril 1871. (Mic. II 140). Vierge. (Mic. 4596). Affiche reproduisant le décret sur les otages. Comité de Salut public 1871. Appel manuscrit du 6 avril 1871. (Mic. II 147). Comité de Salut public appelant les Parisiens aux Manifeste du Comité central de l’Union des Fem­ armes après l’entrée des ennemis dans Paris. mes pour la défense de Paris et les soins aux (Mic. 12 023-024). blessés. 6 mai 1871. (Mic. II 134). Affiche du Comité central de la Garde nationale Affiche. XVI' arrondissement contre les bombarde ­ annonçant le développement du mouvement en ments. I.

times do la lutte ooutre les Vorsailliiis. (Mie. Ordre du commandant militaire de l'Hôtel de Ville 5056). au coininandant du 100' bataillon pour la garde Affiche dénonçant les atrocités versaillai.ses et afli- de rilôtcl de Ville. 22 mars 1871. (Mic. Il 837). eho de la Fédération républicaine de la Garde « L’armée et la garde fraternisent ». 18 mars 1871. nationale. Comité central. (Mie. -1591). Litho de Gaillard fils. (Mic. 4318). Affiche. Mairie du XVIH' arrondissement. Appel « L’armée et la garde fraternisent » (dessin ano­ aux bons citoyens. 8 avril 1871. (Mic. 5008). nyme). (Mic. 4340). Affiche N° 293. Appel à la Garde nationale. Appel Affiche du C.C. de la Garde nationale « A nos de Delescluze, délégué civil à la Guerre. 11 mai adversaii ’es ». Pour la participation aux élections. 1871. (Mie. 4988). 24 mars 1871. (Mic. 5033). Affiche N” 323. Appel « aux grandes villes » pour la Campement de gardes nationaux au pied de la Buttr solidarité active et la lutte armée. Signé par Montmartre. 18 mars 1871. (Mic. 4179). Grousset Paschal, délégué aux relations extérieu­ res. 15 mai 1871. (Mic, 5016). La Garde nationale repousse les chasseurs à clieval, Dernière affiche de la Commune. 1871. (Mic. 11 Place Pignlle. 18 mars 1871. Fuite du général 659). Dessin. Vinoy. Caricature populaire. (Mie. 4593). Ilarricade de Belleville. Photo. (Mic. 4927). ARMEE Défense d ’une barricade. 25 mai 1871. Dessin. (Mic. 4237). Le parc d ’artillerie de Montmartre. 1871. (Mic. Femmes défendant la barricade de la Place Blanche. 4976-4948). 1871. Gravure de Penny, llhistmted News. Musée Ordre adressé au Commandant des compagnies Carnavalet. (Mic. 4272-4299). sédentaires du VF ari-ondissement. Signé par Barricade de la Place Blanche défendue par des Varlin. 21 mai 1871. (Mic. II 885). femmes. Dessin de Moloch. Bibliothèque Natio­ nale, estampes. (Mic. 4260). Journée du 18 mars. Les canons sont ramenés à la mairie de Montmartre. 1871. (Mie. 4877-4949). Barricade du Château d ’Eau où fut tué Delescluze. Photo. (Mic. 4294). Barricade devant l’IIôtel de Ville. (Mie. 4263). FEDERES Barricade de la rue Legendre. Mai 1871. (Mic. Demande du Comité de vigilance du XIX' arron- 4296). di.ssement ti la Commune pour former un Comité Barricade de la rue Legendre. (Mic. 4268). de Salut public dans la Seine. 24 avril 1871. Barricade de la Chaussée Méniliuoiitant. Avril 1871. (Mie. 12-220). (Mie. 4555). Rue de Rivoli. Photo mai 1871. Bib ­ Enrôlement des volontaires, place du Panthéon. liothèque Nationale. (Mic. 4145). 1871. (Mic. 4132). La dernière barricade rue de Tourtille. 28 mai 1871 Les nouvelles levées de la République (ruraux, à 2 heures. Dessin original de Robida. (Mic, 4222- mobiles, zouaves). 1871. (Mic. 4171). 4259). Les Fédérés au parloir de Saint-Lazare. 1871. (Mic. Communards prisonniers arrivant à Versailles. Des­ 3862). sin de Vierge. (Mic. 4250). 130

Piisonniers «ominunards. (Mic, 4280). organe des B.l. 25 mars 1938 (suite). «La Com­ Embarquement des prisonniers à Brest. (Mic. 4254). mune de Paris », I-a Vie Culturelle, Solidarité, Invitation nu banquet des évadés de Nouvelle- La Jeunesse de France. (Mic. 14 688-94). Calédonie (Communards). Ijondres le 3 juin 1874. « La Patriote enchaînée », édité par les femmes (Mic. 4584). communistes à la Roquette. Premier mai 1944. IjC Insurgés dans la cage de la batterie du ponton Premier mai. L’anniversaire de la Commune. La «l'Iphigénie» 1871. (Mie. 4879-4952). Vie à la Roquette. (Mie. 16 756-59). « Re])résentation au thésitre de Bordeaux » (Tliiers Brochure manuscrite. « Commémoration de la sur la scène). Légende : « L’ennuyeux, c’est qu’on Semaine sanglante de 1871. (1871-1943) ». Histo­ ne voit pas le souffleur». Daumier. (Mie. 4372). rique de la Commune do Paris et mots d ’ordres Dessin de Deroy. Séance de la Commune à l’Hôtel politiques pour 1943. Ecrite par les prisonniers de Ville. Le Monde illustré. (Mic. 4182). politiques de in Santé à Paris. (Mic. 16 393-406). Caricature de Gill. L’homme qui rit : Thiers. 1871. Tract illustré P.C.F. Paris : « Soi.vante-dix ans (Mic. 4365). après ». Anniversaire de la Commune. 1941. (Mie. 8767-74). Dessin de Louise Michel « La frégate de Virginie ». (Mic. 4240). Notification de l’interdiction du travail de nuit dans Caricature de Pilotell. « Le pôvre propriétaire qui les boulangeries. l.iettre du 2 mai 1871. Note signée Amouroux. (Mic. 5259). a 6 maisons et des locataires qui paient pas ». 18n. (Mic. 4383). Portrait d ’Amonroux (Charles), membre de la Com­ Caricature « Les amis de l’ordre ». Lii réaction mune (Commission des relations extérieures). assassinant la République. (Mie. 5685). Délégué en province. 1871. (Mic. 4494 et 500). Souvenir de la tombola au profit des condamnés Portrait d ’Arnold (Georges), Membre du Comité politiques de Nouvelle-Calédonie. Londres 1877- central de la Garde nationale. Membre de la 1878. (Mic. 5684). Commune. (Commission de la Guerre). (Mic. 4499 « Qalliffet... Femmes, enfants, vieillards, rien ne lui et 4501). résiste ». Dessin do Steinlen dans le Chambard so­ Portrait de Bebel (August). 1871. (Mic. 4493). cialiste. 1894. (Mic. 4391-4559). Portrait de Blanqui (Louis-Auguste). (Mic. 962). Comité central du Parti communiste au Mur des Fédérés. 1934. (Mie. 1093). Portrait de Blanqui (Louis-Auguste). Dessin (Mic. 4486). Manifestation au Mur des Fédérés. 1936. Camélinat, Cachin, Vaillant-Couturior et Thorez. (Mic. 1103). Reçu pour Camélinat. Etabli par le receveur prin­ cipal. Signé du receveur et du caissier principal. Yougoslavie. Première Internationale. Le journal 22 mai 1871. (Mic. 12 002). yougoslave Badeniku 13 juillet 1871 (ancien calendrier) dans lequel panit l’Adresse de la Pre­ Pox-trait de Gustave Courbet. 1871. (Mic. 4880-4954). mière Internationale écrite par Marx après la Portrait de Camélinat (Zéphirin), membre de la défaite de la Commune de Paris. (Mic. 18 371-72). Commune. Membre de l’Internationale, dirigea la OueiTe d ’Espagne. « Le volontaire de la liberté », Monnaie pendant la Commune. (Jlic. 4484). 151

Portrait de Cluseret (Gustave). Membre de la Com­ Portrait de Longuet (Charles). Membre de l’Inter­ mune, mombro do rinternatioiiale. Délégué à la nationale. Membre de la Commune. (Mie. 4434). Guen-e. (Mie. 4476-77). Portrait de Lemel (Nathalie). Membre de la Com­ lîoudienny et lo.s vieux communards à Moscou. 1927. mission exécutive de l’Union des Femmes (sous (Mic. 19 92C). la Commune). (Mic. 4525), Portrait de Crémieux (Gaston), organisatem- des Portrait de La Cécilia (Napoléon). (Mic. 4441). deux Communes marseillaises. Autonuie 1870 et Portrait de Michel (Louise). (Mic. 4431). printemps 1871. (Mic. 417,5). Fac-similé du manuscrit des poèmes de Louise Portrait de Dalou (Jules), Sous-délégué a la sur­ Michel. « Les œillets rouges ». « Souvenirs ». (Mic. veillance des musées et de celui du LouvTe plu.s 4581). particulièrement. (Mie. 4174). Couverture de l’édition allemande de « La guen'o civile en France » de Alarx. Deux adresses du Portrait do Dniitriéva (Elisabeth). Organi-satricc Conseil général de l’Internationale sur la guerre. d ’une section russe de la Première Internationale. Leipzig 1871. (Mic. II 651). Combattante de la Commune. (Mic. 4469). Ixittre de Ijouisc Aîichel à. Benoît Malon. 9 février Portrait de Dorabrowski (Jaroslaw). Dessin. Com­ 1871. (Alic. 4598). mandant de toutes les troupes de la Commune. Portraits de Mink (Paula), Michel (Louise) et de Début mai 1871. (Mie. 4467-68 et 4540). Aime X. (Alie. 4523). Delescluze. Tué sur lu barricade du Clulteau d ’Eau. Portrait de Pvat (Félix), membre de la Commune. (Mic. 4076). (Alie. 4421)'. Dombrowski (Jaroslaw). Général. (Mic. 9.51). Portrait de Protto (E\)gène), membre de ta Commune, Ija dernière barriiaule de la Commune de Paris. mime. Délégué à la Justice. (Alic. 4417). Place de Belleville. 1871. (Mic. II 660). Portrait do Pottier, membre de la Commune, can­ Porti-ait de Frankel (Léo). (Mie. II 137). didat de l’Internationale. (Mic. 955). Higault (Raoul) Photo. Procureur de la Commune, Portrait de Flourens (Gustave). Dessin. Membre de (seule plioto connue). (Alic. 991). la Commune. Coimnissiou de la Guerre. (Mic. 4457-4544-546). Portrait. Eugène Varlin. (Mic. II 131). Portrait de Vallès (.Iules), par Courbet. (Alic. II Flourens (Gustave). 1871. (Mie. 990). 133). Portrait de dirigeant de la Première Internationale. Portrait de Veriuorel. (Alic. 4410). (Mic. 4447). Dessin. Elections à la Commune de Paris. Un bureau « Les derniers de la Commune ». La réaction de vote. (Alic. 21974). désigne aux assassins la Commune expirante. 1871. Préparation des élections dans le VHP arrondis­ (Mic. 5692). sement. 22 mars 1871. (Alic. 12 225-26). Portrait de Lissagaray (Prosper). Un des Commis­ Commune de Paris N” 342. « Apjiel aux ouvi'ières » saires de la Guerre chargés par Gambetta d ’orga­ signé par P’ranket I/o. délégué au département niser la résistance en province. Historien de la du Travail et de l'Echange. 17 mai 1871. (Mic. Commune. (Mic. 4436). 5015). 132

Tableau. Exécution de Fédérés au Père-Ijachaise. Journaux de la Commune do Paris. Journal officiel. Peinture de Picehio. (Mie. 4554). Nouvelle République. La Révolution. Le cri du Tableau de Los Ricos. « Quand vous voudrez » (exé­ peuple. La Commune. La Montagne. L’Action. Le cution de Communards par les Versaillais). (Mie. Prolétaire. Le Bonnet rouge. Le Père Duchêne. 4558). 1871. (Mic. 4629). Portrait par J. Robert « Les hommes de la Com­ Extraits du Journal officiel de la Commune. 16 mai mune ». (Mic. 4899-900). 1871. (Mie. 5167-68). Litho de Manet; « IjU guerre civile» 1871. (Mic. II Lettre de Marx à Frankel et Varlin, dirigeants de 154). la section française de l’Internationale et mem­ bres de la Commune. Mai 1871. (Mic. 15-961). Dessin de A. Marie. Types de combattants de la Commune. (Mie. 4207-213). Lettre d ’un membre de la Commune à une citoyenne à projios d ’une place de professeur de dessin dans Allégorie : « Peuples, notre exemple sera suivi » (la le VF arrondissement. 7 mai 1871. (Mic. II République brandissant le drapeau tricolore au- 991-92). dessus de la tête de Napoléon III) par J. Cor- seaux. (Mic. 4386). Certificat de maladie établi par le médecin d ’un bureau de bienfaisance pour l’admission d ’un Allégorie 1871. «La Commune» (Mic. 4628). enfant de 12 ans dans un hôpital. 30 mars 1871. Allégorie 1871 (démocratique) « La grande cruci­ (Mic. II 838). fiée » (la République avec 2 Communards). (Mic. Lettre do Wroblewski au délégué de la Guerre sur 4354). un plan pour la défense du Fort d ’Issy, et l’état Dessin de Janet. (L'ünivers ilhisiré), (l’examen dos moral des troupes. 3 mai 1871. (Mic. II 869-70-71). prisonniers à Belleville). (Mie. 4281). I.ettre (en français) de Karl Marx à Frankel et Dessin de Saïd (Le Monde iVmtré), Femme Varlin. 13 mai 1871. (Mie. 4566). conduisant une batterie de mitraillcnsc.s. Place Manuscrit de la « Guerre civile en France » de K. Taranne. 22 mai 1871. (Mic. 4216-4235). Marx (2* ébauche). (Mie. 15963). Gi'avure anglaise. Les femmes de Paris. (Mic. 4214). Télégramme du chef du Pouvoir exécutif (Thiers) Plan almanach de la Commune de Paris. 1871. (Mic. au général de Cissey à propos de l’opération pro­ 5682). jetée par Mac-Mahon, et qui n’a pas été tentée. 3 mai 1871. (Mic. 12 608). Manifeste do l’Union des Femmes N“ 270 pour la défense de Paris et les soins aux blessés. 6 mai Dépêche officielle du Chef du pouvoir exécutif 1871. (Mic. 5020). (Thiers) au général de Cissey pour le féliciter de son action. 7 mai 1871. (Mic. 12-609). Dessin. Femmes apportant des rafraîchissements aux barricades. 1871. (Mie. II 135). Bon pour foin, avoine et paille. Signé par des membres du Comité central. (Mie. 12132). Bon pour vingt francs en faveur d ’une veuve. Signé par les délégués aux services publics. Cachet de Bon jjour un kilo de pain blanc. XVII* arrondisse­ la Commune de Paris. 20 mai 1871. (Mic. II 985). ment. 1871. (Mic. II 989). Les amendes et retenues sur les salaires sont abolies. Nomination d ’un employé sous-comptable à la Bi­ N» 213. 27 avril 1871. (Mie. 4991). bliothèque Nationale, signé par Edouard Vaillant, 155

délég:ué à PEnseigiioment. Cachet de la délégation Règlements et statuts dit « Club républicain démo­ de l’Enseignement. 17 mai 1871. (Mic. II 993). cratique et socialiste » du XIII* arrondissement. Notification du décret de la Coniiunne faisant (Première page 1871. (Mic. II 130). remise de trois termes aux locataires faite par le IjC lieu de réunion des proscrits à Londres. 40, délégué à la Commission des loyers du XIX* arron­ Rupert Street. Dessin de M. D. Loye. Le Monde dissement. 1871. (Mic. 12-073). illustré. 1871. (Mic. 4574). Proclamation des résultats des élections (28 mars). Procès-verbal d ’une réunion du Conseil général de Place de l’Hôtel de Ville. Proclamation de la la Première Internationale tenue le 13 mai 1871 Commune, place de l’IIôtel de Ville (28 mars). à Ijondres. Interventions de Young sur la Com­ (Mic, 4595). mune de Paris et le lock-out des mineurs de Programme de la Commune de Paris. 1871. (Mie. Pennsylvanie. Et de Marx sur Paris (première 4618-19). page manuscrite en anglais). 1871. (Mic. 5790). Décret sur les pensions des veuves et orphelins des Club de la Révolution : Résumé de la séance du Communards. 10 avril 1871. (Mic. 4990). 24 Floréal 79. Près de 3 000 citoyens et citoyen­ nes y assistent. Motion votée sur la question des Plan administratif. 1871. (Mic. 4624). hôpitaux. Trois signatures. 1871. (Mic. 12-059-60). Décret sur l’abolition de la conscription, et sur la Procès Garcin. Audience du 7 novembre 1871. Dépo­ constitution do la Garde nationale comme seule sition de Flinois, capitaine de la Garde nationale. force militaire à Paris. 29 mars 1871. (Mic. 5030). Audience du 8 novembre. Déposition de Clemen­ Avis pour un projet de réoiganisation médicale. ceau, (publiée dans le journal Le Eappel). (Mic. 17 avril 1871. (Mic. 4986). 12368-69). Manifeste de la population de Paris à la province. Portrait de Raspail (dessin), condamné en 1876 à 1871. (Mic. 4612-13). 8 mois de prison pour avoir publié une brochure Manifeste aux travailleurs des campagnes. 1871. intitulée «Nécessité de l’amnistie» 1871. (Mic. (Mic. 4616-17). 4504). Diplôme de sous-lieutcnnnt de sapeurs pompiers •Jugement et condamnation des membres de la Com­ sous la Commune. 1871. (Mic. 4601). mune (liste des fusillés, emprisonnés) 1871. (Mic. 5177). .Arrêté sur la .sci>aratlon de l’Etat et de l’Eglise, et la suppression du budget dos cultes. 3 avril 1871. Tableau. Intérieur de la prison des Chantiers à Versailles, où furent détenues les femmes accusées Décret suspendant la vente des objets déposés au d ’avoir participé à la Commune. 1871. (Mic. Mont-de-Piété. 29 mars 1871. (Mic. 5028). 20-403). Décret sur la remise des loyers d ’octobre 1870, Répression versaillaise 1871. Salle dos fusillés dépo­ janvier et avril 1871, 29 mars 1871. (Mic. 5029). sés aux ambulances de. la presse. (Les cadavres Monnaie 1871. Pièce de 5 francs. Commune de Paris. des fédérés sont alignés sur plusieurs rangs. Avers : « liberté, égalité, fraternité » groupe anti­ (Mie. 5096). que symbolisant la Première République. Revers ; Délégation à l’Enseignement. Ouverture d ’une école « République française » 5 francs 1871. Ancre et professionnelle d ’art industriel pour jeunes filles. trident. (Mic. 475-76). Signé par Vaillant. 12 mai 1871. (Mic. 5017). 134

Combat devant l’Hôtel de Ville. 22 janvier 1871. demain » à l’occasion de l’anniversaire de la Com {London ülnstrated Nexcs). (Mie. 4169). mune. 315. (Pla). Boîte n® 7. liC drapeaii rouge arboré sur le Panthéon. 31 mars L’Armée et la Garde nationale fraternisant. 1871. 1871. (Mie. 4184-4568). Dessin anonyme. 318. (Pla). Boîte n® 7. « Au peuple allemand », at'fi<*ho de.s soeiélés ouvrière.s et des sections françai.ses de l’Association inter­ nationale des Travailleurs. 1871. (Mie. 4158). La maison de Victor Hugo à Bruxelles entourée des émcutiers bourgeois, aprc.s que le poète eut réclamé le droit à l’asile politique pour les Communards (mai 1871). (Mic. 4253). Manifestation en faveur de la Commune à Hyde Park, à Londres. 26 avril 1871. (Mic. 4266). Afficlie du Comité central de la Garde nationale N” 37. Appel pour le soutien à la Commune. 28 mars 1871. (Mie. 5031). I..nisse7.-passer d ’ui-genec établi i>our un membre de l’Internationale par le secrétaire général du minis­ tère des Finances. (Mie. 12-217). Bon pour une place entière pour le trajet Paris- Albertville, signé par le préposé a l’Assistance publique. 4 avril 1871. (Mic. 12-231). Ordre du délégué aux chemina de fer d ’accorder demi-tarif à la citoyenne Ix>clerc. 9 mai 1871. (Mic. 12-264). Port-Vendres. Les amnistiés de la Commune débar ­ quant du transport «Var». Aspect de la gare au moment du départ des amnistiés i>

COLLOQUE INTERNATIONAL SUR LE CENTENAIRE DE LA COMMUNE DE PARIS

LTnstitiit Maurice Thorez organise un Colloque international sur le Cente­ naire de la Commune de Paris, les 6, 7, T» et 9 mai 1971, qui aura lieu à la Nouvelle Salle tic Conférences, au Palais «lu Luxembourg (Sénat).

ORDRE DU JOUR DU COLLOQUE :

Discours d'ouverture de Georges Cogniot , Président-délégué de ITnstituI La place historique de la Commune.

RAPPORTS

— I-a Commune, l’Etat et la démocratie : Rapporteurs : Victor JoA^'^’E.s. .lean Gacon , Maurice Moissonnier .

— La Commune et la culture : Rapporteurs : Guy Resse. Jean Bruhat . — I.a Commune et l’internationalisme : Rapporteurs : Roland Leroy , Jean Eleeiinstein . 136

L’allocution de clôture sera prononcée par Jacques DuCLOS, membre du Bureau politique du Parti communiste {rampais.

Au cours du Colloque, les commissions suivantes seront constituées : — La Commune et ses répercussions sur la fondation de la République ; — La Commune et ses enseignements sur la nécessité du Parti ouvrier : — La ('oininune et rinstruction publique ; — La Commune, les beaux-arts et la culture de masse ; — La Commune et les femmes ; — La ('.ommune et les militants internationaux ; — La Commune et les questions militaires ; — T,a Commune et les questions économiques et sociales. 157

LA VIE SCIENTIFIQUE Le cinquantième anniversaire de rinsritut du Marxisme-Léninisme de Moscou

C'est le 11 janvier 1921 que fut créé à La première édition des Œuvres des deux Moscou l'Institut Marx-Engels; il prenait la suite grands penseurs a été achevée en 1940. En de la Commission pour la collecte et l'étude 1954 a commencé la parution de la seconde des documents sur la Révolution d'Octobre et édition, comprenant mille textes de plus que l'histoire du Parti communiste russe, fondée en la première et destinée à être suivie de onze septembre 1920 sur l'initiative de Lénine, et tomes complémentaires. du Musée du marxisme, ouvert en décembre Dans les années 20 a été faite la première de la même année. Le 31 mai 1924, le XIII' Con­ édition des Œuvres de Lénine ; les 20 tomes grès du parti bolchévik établissait l'Institut (26 volumes) comprenaient un peu plus de Lénine. Tous ces organismes sont représentés 1 500 textes. L'édition complète de 1965 ras­ aujourd'hui par l'Institut du marxisme-léninisme semble environ 9 000 textes, dont plus de 1 000 près le Comité Central du P.C.U.S., qui vient sont publiés pour la première fois. donc de fêter son cinquantième anniversaire. L'Institut reçoit sans cesse des documents A cette occasion, le sous-directeur de l'Ins­ nouveaux : 359 depuis cinq ans. Il dispose en titut, le camarade Obitchkine, docteur ès tout de plus de 30 000 documents. Récemment, sciences historiques, a exposé pour la presse l'Association internationale des historiens a les réalisations et les tâches de l'Institut. décidé de publier un recueil des manuscrits Quand l'Institut fut créé, il disposait en tout de Babeuf : on s'est aperçu alors que l'essentiel de 8 lettres autographes de Marx et Engels ; se trouvait à l'Institut du marxisme-léninisme aujourd'hui, il a rassemblé plus de 7 000 docu­ de Moscou. ments émanant des fondateurs du socialisme La bibliothèque de l'Institut est riche de scientifique ; l'Institut a littéralement sauvé un 2 millions d'ouvrages, relatifs à la pensée révo­ grand nombre de manuscrits. C'est l'Union lutionnaire, et ses rayons ont une longueur Soviétique qui a publié pour la première fois de 40 km. la « Dialectique de la nature », la « Contribution L'Institut Maurice Thorez a adressé à l'Ins­ à la critique de la philosophie du droit de titut du marxisme-léninisme de Moscou, à l'oc­ Hegel », des parties importantes de !'« Idéologie casion de son cinquantième anniversaire, ses allemande », la correspondance de Marx et félicitations chaleureuses et ses voeux les plus Engels. fraternels. Le cinquième anniversaire de l’INSTITUT MAURICE THOREZ

A l’occasion du cinquième anniversaire de la fondation de l’Institut Maurice Thorez et du soixante et onzième anniversaire de celui dont il porte le nom, l’Institut donnera une réception à son siège, 64, boulevard Auguste- Blanqui, Paris (13'), le mercredi 5 mai à 18 heures, sous la prési­ dence de Georges Marchais, secrétaire général-adjoint du Parti communiste français. Ses amis et ses collaborateurs sont cordialement invités. 139

CALMANLEVY

Claude LEVY : Les Parias de la Résistance, 1970.

CASTERMAN

Maurice JOYEUX ; L'Anarchie et la révolte de la jeunesse, 1970.

PENOEL

Samuel PISAR ; Les Armes de la paix, 1970. Sergio VILAR : Les Oppositions à Franco, 1970.

EDITIONS ANTHROPOS

Aspirations et transformations sociales, sous la direc ­ tion de P. H. CHOMBART DE LAUWE. 1970. Jean-Marc PIOTTE : La Pensée politique de Gramsci, 1970. Léo HUBERMAN et Paul M. SWEEZY : Le Socia­ lisme cubain, 1970. André VACHET : L'Idéologie libérale, 1970. 1 10

EDITIONS OUVRIERES J. VRIN :

Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier Bernard BOURGEOIS : Hegel à Francfort ou Judaïsme, français, t. VIII, 1970 (sous la direction de J. MAl- Christianisme, Hégélianisme, 1970. TRON). G.W.F. HEGEL ; Encyclopédie des sciences philoso­ phiques, 1. La Science de la logique, 1970.

FLAMMARION UNION GENERALE D’EDITIONS Henri WALLON : De l’Aae à la pensée, 1970. LENINE : Le Prolétariat et sa dictature, 1970.

ROBERT LAFFONT EDITIONS SOCIALES Michel SALOMON : Méditerranée rouge. Un nouvel empire soviétique ? 1970. Georges MARCHAIS : Qu’cst-ce que le Parti com­ muniste français ? 1970.

L’HERNE C.E.RM. : Sur le féodalisme, 1971. Pablo TORRES : La Contre-insurrection et la guerre révolutionnaire, 1971. ECONOMIE ET POLITIQUE

BIBUOTHEQUE MARABOUT J.-P. DELILEZ: Les Monopoles, 1970.

Louis ARMAND (et d ’autres auteurs) : L’Entreprise de demain : de la cybernétique à l’intéressement, 1970.

LE PAVILLON

Maurice BOUVIER-AJAM ; Essai de méthodologie historique, 1970. Jean-François LE NY : Psychologie et matérialisme dialeaique, 1970. Gilles PERRAULT ; Du Service secret au gouverne­ ment invisible, 1970. Roger SOMVILLE ; Pour le réalisme, 1970. Hl

LE PAVILLON petits moments et les faits divers de l’histoire, elle se porte bien plus .sur « la connaissance totale Maurice BOUVIER-A J AM : Essai de méthodo­ du passé ». logie historique. L’évolution capitale de la conception de l’his­ Dans un petit livre de 100 pages, mais d ’une toire, c’est qu’hier elle était quasi exclusivement r« histoire des événements, alora qu’elle est deve­ grande densité de pensée, et clairement conçu, préfacé par Gaston Viet, de l’Institut, l’auteur nue, par la soif du public comme l’offre des savants, l’histoire des hommes ». traite de l’évolution de la méthodologie histori- tpie : de Vhistoire événementielle à ]’hisfoire La conception de l’histoire événementielle globale. cède le pas à la conception de l’histoire globale. Pour l’auteur, quelle que soit l’immutabilité « L’histoire aujourd’hui est une connaissance de l’objet de l’histoire qui est la connaissance qui veut embrasser le passé de l’homme tout du passé des hommes, « nous assistons à une entier dans toute sa complexité et sa totale reconsidération si profonde des techniques de richesse », écrit H.I. Marron, cité par M. Bou- la l'ccherche, de l’analyse et de la rédaction vier-Ajam. historiques qu’on peut constater une évolution de la conce])tion même de l’histoire ». Il y a très peu de temps encore, l’histoire, JULLIARI) telle qu’elle était écrite et enseignée, revêtait finalement une forme éminemment événemen­ Pierre DURAND : La Vtc amoureuse de Karl tielle. Mais il serait « regrettable et peut-être Marx. dangereux » de proscrire purement et simplement l’é'véncmentiel, car «la technique événementielle Quand on parle de Karl Marx, quand on le avait un mérite : elle dessinait le chemin ». lit et qu’on étudie ses œuvres, on évoque un Aujourd’hui, si la curiosité reste vive sur les grand pen.seur, un philosophe, le théoricien de 142

la révolution socialiste et le dirigeant du mouve­ Les divers partis et groupes consultés ont ment ouvrier. Pierre Durand nous rend très déjà constitué leui's programmes en ce qui con­ proche un être humain dont la vie, tout entière cerne l’économie, les syndicats, l’organisation consacrée à la lutte pour ses idées, fut une vie sociale, l’enseignement, etc. de sacrifices, de privations, de misère même, mais Suivant l’auteur, c’est bien une société socia­ en même temps une vie illuminée par raffection. liste sur la base du marxisme que la majorité Il nous montre un époux passionné, un père de l’opposition rêve de construire en Espagne, tendre et vigilant, un ami fidèle et de joyeuse une fois débarrassée de la dictature franquiste. compagnie. Le livre, édité en France, est interdit en Ce livre est l’histoire d ’un très bel amour Espagne. conjugal, d ’un amour qui ne fut certes pas à l’abri de crises, mais qui fut assez fort pour en triompher. De ces crises, l’origine était juste­ ment l’âpreté de la vie matérielle. GRASSET La force d ’un tel amour tenait pour une grande part à la communauté d ’idéal qui unis­ Edith THOMAS : Le Jeu d ’échecs. sait Karl Marx et -lenny Marx. Quand Jlauriae disait dans son Journal que l’amour conjugal Sans doute ce livre relate-t-il une recherche qui persiste à travers toutes les vicissitudes est passionnée du bonheur par des voies contestables le plus beau des miracles, il ne savait pas que pour beaucoup. La solution finale l’est aussi dans cette observation s’appliquait à merveille à Marx. une certaine mesure. A-t-on le droit, pour se Idéaliser soi-même, de décider délibérément d ’avoir sans amour un enfant d ’un père qui lui restera inconnu? Mais c’est là l’expression du profond DENOEL individualisme qui est le trait dominant de l’héroïne. Cependant, au delà de l’amertume Sergio VILAR : Les oppositions à Franco. et du désenchantement, une fonne de courage Traduit de l’espagnol par Elena de la Souchère, et de confiance en la vie, en l’avenir .se dégage J.-M. Fassey et J.-J. Olivier. de ce livre et lui donne du prix.

Le livre de Sergio Vilar est le résultat d ’une enquête que l’auteur, un jeune journaliste de Barcelone résidant en France depuis la pro­ clamation de l’état d ’exception, a effectuée en Espagne même auprès des représentants de tous les partis, groupes ou simplement courants oppo­ sés à Franco. AU SOMMAIRE DU NUMERO DE MARS 1371 DES

LA COMMUNE DU COMMUIMISME REVUE THEORIQUE ET POLITIQUE MENSUELLE DU COMITE CENTRAL DE PARIS OU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS LA COMMUNE DE PARIS EXPOSITION CENT ANS APRÈS DU CENTENAIRE expériences et leçons pour notre temps. JACQUES DUCLOS : 1871-1971 — La Commune et les luttes révolutionnaires actuelles. Peintures, dessins, estampes, JEAN GACON : La place de la Commune de Paris dans l'histoire du peuple. photos, manuscrits, affiches, RAOUL CALAS : La portée internationale de la Com­ mune de Paris. imprimés, timbres, médailles. VICTOR JOANNES : Force et faiblesse du premier pouvoir ouvrier. GEORGES COGNIOT : Proudhonisme et blanquisme dans la Commune et après la Commune. PHILIPPE FUCHSMANN t Les enseignements de la Commune et le développement de la théorie marxiste sur l'Etat. FRANCIS COHEN : La Commune et le monde socialiste aujourd’hui. LUCIEN MATHEY : Les voies de passage au socialisme Musée d’art et d’histoire à notre époque. GERMAINE WILLARD : Eugène Varlin, le militant de Saint-Denis ouvrier. ALBERT CERVONI : Louis-Nathaniel Rossel, l’officier révolutionnaire. 6, Place de la Légion d’Honneur MARIE-LOUISE COUDERT : Il y a cent ans, les femmes aussi... FRANÇOIS HINCKER : Lumières et obscurités sur la Commune de Paris (sur quelques ouvrages d ’hier Du 18 mars au 13 septembre 1971. et d ’aujourd’hui). ANDRE WURMSER : Sur soixante et onze jours de Tous les jours, sauf mardi et dimanche soixante et onze. matin, de 10 à 12 heures et de 14 à Prix du n® : 3,50 F ^ Abonnement un an : 30 F Commandes et abonnements : 19 heures. Entrée libre. C.D.L.P. : 146, rue Faubourg-Poissonnière • PARIS-IO* C.C.P. ; Paris 4629-39 Vente en librairie. •FRANCE I.T.C.-ACTUALITÉS NOUVELLE SOMMAIRE N’’ 13 (mars 1971) Hebdomadaira cantral du Parti Communiste Français ARTICLES CHAQUE JEUDI Renault L’hebdomadaire du débat politique De la productivité Agriculture et progrès technique Fait le point Canal de Beagle de l'actualité politique en France et dans le monde. LE POINT SUR... Fait le point du débat Le pétrole qui se développe dans tout le pays PARTIE CULTURELLE à l’initiative des communistes. La commande numérique Prolonge le dialogue des machines-outils dans ses colonnes Cadre de vie en répondant aux questions à toutes les questions ACTUALITES qui lui sont envoyées. L'unité de la gauche Echelle mobile Abonnez-vous : Pollution 12 mois : 78,00 F Journée nationale des Techniciens 6 mois : 40,00 F La recherche 3 mois : 21,50 F Vente d’armes à l’étranger par la France Souscrivez à l’abonnement d’essai : Commonweaith 10 semaines : 15,00 F Congrès du P.C.U.S. Relations franco-algériennes M...... Sociétés multinationales Adresse ...... Pompidou en Afrique Ci-joint la somme correspondante Moyen-Orient Indochine C.C.P. Paris 5320-69

EN COUVERTURE: MAURICE THOREZ, DESSIN DE PABLO PICASSO La Oiractaur-GArant I Andrâ MOINE MAQUETTE DE DANIEL MARTY I.C.C., 13, rua da la Grange-Batalièra, Paria-S*

Prix du numéro ; FRANCE 8 F ETRANGER 10 F