LA REDECOUVERTE DES PEINTURES MURALES DE L'ÉGLISE DE THENISSEY

par Marie-Gabriel le CAFFIN

En 1184, l'évêque d'Autun donne l'église Saint-Léger de Thénissey et les dîmes à l'abbaye Saint-Etienne de . Désormais sous cette dépendance, elle devient le siège d'un prieuré-cure1. A la fin du XVIIIe siècle elle ne sera plus qu'une annexe de Gissey-sous- Flavigny.

Thénissey eut des seigneurs qui en portaient le nom jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Après l'extinction de cette famille, la seigneurie fut divisée en plusieurs parts. Parmi les propriétaires de celles-ci se distingue, à partir du début du XVe siècle, Guillaume Poinceot, seigneur d'Eguilly, issu d'une famille de noblesse récente qui avait fait fortune dans le commerce de la laine et des moutons à Saint- Seine. Ses descendants allaient s'employer, jusqu'à la fin du XVe siècle, à reconstituer l'unité du fief et à le doter d'un château, avant d'abandonner en 1509 le nom de Poinceot pour celui de Gellan, porté par l'épouse de l'un d'eux, dernière descendante de sa lignée. La famille Poinceot de Gellan s'éteignit à la fin du XVIe siècle, l'un de ses derniers et de ses plus célèbres représentants ayant été Antoine de Gellan, baron de Thénissey, gouverneur ligueur de Chatillon-sur- Seine de 1591 à 1597. Leurs succédèrent, par mariages ou succes- sions, les familles d'Edouard de Coraboeuf (1595), de Clugny de Colombier (1663) et de Tulle de Villefranche (1788)2.

1. DENIZOT (Abbé Jacques), Encyclopédie du département de la Côte d'Or..., t. VI.2, Bibliothèque municipale de Dijon, mss. 172. 2. Sur La généalogie des seigneurs de Thénissey voir VIGNIER (F.), Réper- toire numérique de la série F. 35 F fonds Thénissey, Archives départementales de la Côte d'Or. Je remercie Françoise Vignier pour son aide précieuse.

© Mémoires de In Commission des Antiquités de lu Côte-d'Or, T. XXXIX, 2000-2001. p. 187-206. 188 MARIE-GABRIELLE CAFF1N

C'est à la période des Poinceot de Gellan que se situent la reconstruction de la nef et du chœur de l'église et son décor intérieur.

L'édifice est à nef unique, avec un transept saillant au nord et un chœur de deux travées à chevet plat (fig. 1). De la construction d'origine (fin XIIe-début XIIIe s.) subsistent seuls le transept et le clocher. Au XVe siècle, la nef et le chœur sont reconstruits. La voûte de la nef est en berceau lambrissé, renforcé de cinq tirants en bois peints en cinabre. Dans le mur est du chœur, une fenêtre à remplage éclaire l'espace. A gauche de celle-ci, une piscine3 ou annarium4 est creusée dans le mur. En 1780, la façade est reprise et des fenêtres sont percées dans les murs latéraux de la nef pour obtenir une meilleure lumière. Ces dernières modifications viennent interrompre le programme icono- graphique existant.

Les peintures sont signalées dans l'Encyclopédie du départe- ment de la Côte d'Or de Denizot5, puis décrites dans un article de Félix Vionnois, architecte, en 1873-18746. Ce dernier réalise pour sa publication un relevé au crayon des scènes de la nef. Il précise qu'elles viennent d'être découvertes lors de travaux de réfection. Cela situe la date de mise au jour à l'année 1872. En conclusion de l'article est soulignée l'urgence de prendre des mesures afin d'éviter leur destruction. En 1911, dans ses notes manuscrites, Epery7 signale la présence de fresques à personnages disparues sous des badigeons nouvelle- ment posés. Ces derniers se dégradent rapidement, aussi, dans les années 1950, deux couches de badigeon, le premier de colle et le second de chaux, sont posées sur les murs, directement sur les peintures que les ouvriers aperçoivent alors.

3. EPERY (docteur), Description archéologique de la Côte d'Or, 1911, Bibliothèque Municipale de Dijon, mss 137. 4. TRUCHIS (Pierre de), Notes archéologiques, Bibliothèque Municipale de Dijon, ms 2893 ; Epery, op. cit. 5. DENIZOT, op. cit. 6. VIONNOIS (Félix), « Rapport de l'architecte chargé par M. le Président de la Commission archéologique de l'examen de l'église de Thénissey », Mémoires de la Commission des Antiquités du département de la Côte-d'Or, t. IX, 1874- 1877, Dijon, p. XXII-XXV. 7. EPERY, op. cit.. LES PEINTURES MURALES DE THÉNISSEY 189

En 1953, Aimée Neury8, effectuant une enquête sur les peintures murales de , constate l'absence de celles de Thénissey, recouvertes d'un enduit frais. Elles réapparaîtront lors de travaux récents, réalisés en 1996- 1999, à l'initiative de la commune, par Jean-Rémi Brigand, chargé, alors, de leur dégagement et de leur restauration. D'après ses obser- vations9, ces peintures murales ont été réalisées à la détrempe. Il a constaté, également, la finesse de l'enduit de préparation entre les différentes couches picturales. Il estime que les cadres qui perturbent la lecture de certaines scènes appartiennent à une campagne posté- rieure aux scènes figurées, décrites ci-dessous. Par contre, les croix de consécration appartiendraient à la même phase d'exécution, certaines viennent s'intercaler parfois difficilement entre les person- nages ou les scènes. La gamme de couleur est assez restreinte. Dans la nef, les ocres rouges et jaunes dominent avec l'emploi du noir. Dans le chœur, l'ange porte du vert sur ses ailes. L'enduit de préparation est, dans le sanctuaire, très différent des autres. Le restaurateur pense à une exécution postérieure.

DESCRIPTION DES PEINTURES

Dans le chœur, sur le mur ouest, un saint évêque est représenté de face, le visage de trois quarts. Il porte la mitre et une cape sur les épaules. Il tient un livre dans la main droite, l'autre semble avoir disparu. Sur le chevet, à gauche de la baie centrale, l'excavation ménagée dans l'épaisseur du mur, piscine ou annarium, est entourée d'un boudin se terminant par une accolade coiffée d'un chou. Sur la gauche, une interruption dans le boudin, soulignée par une fleur de lys présentée horizontalement, a laissé supposer à Epery10 la présence d'une monture de porte avec gonds. Entre l'accolade et la porte en bois, les lettres IHS s'inscrivent dans un écusson. Le boudin est orné

8. NEURY (Aimée), Enquête sur les peintures murales de Bourgogne, 1952- 1953, notes dactylographiées déposées au centre de Recherches sur les Monuments français. 9. Je liens à remercier tout particulièrement Jean-Rémi Brigand qui m'a communiqué tous ces éléments techniques. 10. EPERY, Op. cit. 190 MARIE-GABRIELLE CAFFIN d'un décor peint composé d'un ruban plissé rouge souligné de filets noirs et de fleurs de lys rouges et vertes. Au-dessus, un ange (fig. 2), dont seul le buste subsiste, porte des ailes vertes soulignées de rouge. Il a une longue chevelure brune tombant derrière ses épaules couvertes d'une cape rouge maintenue par un fermai 1. Son visage est très légèrement incliné vers la gauche. Il a des traits d'une grande finesse. Présentait-il une tenture encadrant la niche sculptée dans le mur ? Son pendant aurait pu être de l'autre côté. Sur les côtés des traces de polychromie rouge sont à noter. D'autres se devinent vers le haut.

Dans le bras sud du transept, deux figures sont représentées (fig. 3). Celle de droite a les épaules et une partie du buste envelop- pées dans un ample manteau rouge. Dans sa main droite, ce person- nage devait tenir un objet important vu la surface devenue illisible. Il a des cheveux longs et bruns. Il semble auréolé. Son visage, posi- tionné de trois quarts, ressemble, dans l'exécution des traits, à l'ange du chœur. A gauche, un autre personnage semble tenir un grand bâton ou peut-être une crosse. La lecture est rendue difficile par les lacunes mais également par les traits noirs formant un faux appareil, apparte- nant à une couche plus récente. Dans la croisée du transept, apparaissent des décors aux pochoirs sous les mêmes faux appareils noirs. Ils se composent de rosettes de différentes formes et de fleurs de lys (fig. 4).

Dans la nef, sur le mur sud, se succèdent des figures dont la lecture s'effectue de gauche à droite. Une femme, debout, auréolée, est habillée elle aussi d'un ample manteau de couleur rouge, mais doublé à l'intérieur d'hermine. Elle tient la palme du martyr et, dans la main gauche, un livre. Derrière elle, on distingue une tour à trois fenêtres. Cet attribut permet de l'identifier à sainte Barbe (fig. 5). L'imagerie de cette sainte, à l'exis- tence aujourd'hui contestée, est très courante à partir du XVe siècle : on l'invoquait en ces temps troublés pour être préservé de la mort violente. Vient ensuite saint Hubert, sur son cheval (fig. 6). Il est vêtu d'une tunique, recouverte d'une cape à col d'hermine, et coiffé d'un chapeau plat orné d'une plume. Son regard est dirigé vers la gauche, dans la direction d'un cerf sortant d'un fourré. Les chiens, au nombre de trois, se dirigent vers l'animal. Un homme se tient debout, placé entre la vision et le cavalier. Muni d'une lance, appuyée sur son épaule gauche, et le bras droit tendu vers le cerf portant le crucifix, il LES PEINTURES MURALES DE THÉNISSEY 191 désigne l'animal à son maître. Il s'agit de la représentation tradition- nelle de la légende de la conversion du saint : ce dernier, chasseur dans l'âme, ne respectant pas le vendredi saint, voit apparaître devant lui un cerf portant entre ses bois un crucifix. Aveuglé par la lumière qui en émane, il tombe de cheval et s'agenouille tandis qu'une voix lui dit : « Hubert, Hubert, pourquoi me poursuis-tu ? Jusqu'à quand ta passion de la chasse te fera-t-elle oublier ton salut ? » Une divergence existe dans l'identification de ces scènes entre les peintures, telles qu'elles apparaissent après restauration, et les dessins de Vionnois : à la place de sainte Barbe, il a dessiné un saint Georges. Et, si la scène suivante est bien pour lui une chasse de saint Hubert, il a discerné ensuite sainte Cécile auréolée. Cette image n'est plus visible. Il décrit ensuite une scène de martyr telle qu'il l'observe : « Un bourreau lève la main droite, tandis que de la gauche il tient un ins- trument de torture en forme de coin appuyé sur la gorge du patient, dont les pieds et les bras sont engagés dans une sorte de cep ». Il ajoute une remarque intéressante : « l'autre partie de son corps est encastrée dans un nouveau motif formé de sujets indescriptibles, surmontés d'un fronton circulaire, style renaissance qui vient se relier avec le chambranle de la porte ». A cet emplacement la res- tauration a fait apparaître un personnage assis sur un fauteuil de torture, les bras et les pieds pris dans les montants de celui-ci, lui interdisant ainsi tout mouvement. Il est simplement vêtu d'un linge autour des hanches. L'anatomie est relativement réaliste. Des clous sortent de ses épaules. Le personnage situé à gauche lève la main, tenant un marteau prêt à frapper sur un clou qu'il tient. Or, la légende de saint Quentin rapporte que des clous rougis par le feu étaient enfoncés dans son crâne, ses épaules, et sous ses ongles. Saint Bénigne aussi aurait subi le supplice de l'introduction de tiges de fer rougi sous les ongles, tandis que sa poitrine était transpercée par deux lances croisées. La représentation de Thénissey se rapproche plutôt de celle de la légende de saint Quentin (fig.7). A l'appui de cette hypothèse on peut citer une sculpture de pierre polychrome de la première moitié du XVIe siècle, provenant de l'église de Nucourt, dans le Val-d'Oise, qui représente saint Quentin dans la même attitude que celui peint ici : il est enchaîné sur un fauteuil de torture, avec des broches enfoncées dans ses épaules d'où jaillit le sang. Une peinture à l'huile sur bois datant de 1533, de même provenance, propose les différents épisodes de la vie du saint : dans la scène supé- rieure droite le bourreau lève un bras, tenant un marteau ou maillet, et de l'autre il serre un clou qu'il va enfoncer. Il est accompagné d'un 192 MAR1E-GABR1ELLE CAFF1N deuxième bourreau. Ces deux représentations sont très proches de celle de l'église de Thénissey et permettent donc de préciser l'identi- fication du saint martyr. Dans la région de Bourgogne aucune autre représentation de saint Quentin n'est, à ce jour, connue en peinture murale. Le prénom semble toutefois assez répandu dans les localités environnantes. Le personnage suivant est placé de trois quart et semble regarder dans la direction de la scène, ou, du moins, dans celle du chœur de l'église. Auréolé, il tient un livre dans la main droite. Aucune séparation n'existe aujourd'hui entre lui et la scène précé- dente. Etant donné le mauvais état de conservation, il n'est pas possible d'apporter davantage d'informations. Dans la scène suivante deux personnages se font face. Le premier porte un vêtement court, semblable à une dalmatique, bordé de jaune sur le côté. Le second est coiffé d'un chapeau plat d'un modèle proche de celui de saint Hubert ou de ceux des vifs du mur nord. Il s'agit probablement d'un noble. Il apparaît en grisaille, à l'exception de ses cheveux rouges. Enfin un homme tourne le dos à cette scène et appartient certai- nement à un autre « tableau ». Il est vêtu d'une tunique rouge. Sa jambe gauche est légèrement pliée ; son visage regarde vers le haut. Ces dernières scènes, actuellement assez dégradées, ne permet- tent ni de comprendre l'histoire racontée, ni d'identifier les person- nages

Une litre funéraire se développe sur tout le pourtour de la nef. Elle est placée sous les peintures qui viennent d'être décrites. Félix Vionnois en donnait la description suivante : « Armoiries surmontées d'une couronne de duc à huit feuilles d'ache. Elles sont d'or, avec deux léopards de gueules placés l'un sur l'autre et de deux barres également de gueules sous les pattes ». Après restauration, l'écu est apparu surmonté d'un casque et non plus d'une couronne. L'écu est d'or à deux jumelles d'azur (ou de gueules suivant les écussons) accompagnées de deux léopards de gueules. Il s'agit, de toute évidence, de celles de la famille d'Edouard, implantée à Thénissey à la fin du XVIe siècle. Daniel d'Edouard était grand prévôt des maréchaux de Bourgogne. Il devint seigneur de Thénissey en 1595 par son mariage avec Péronne de Gellan. Leur premier fils, Léonard, également grand prévôt, meurt en 1641. Leur second fils, Bénigne, chevalier de Saint Jean de Jérusalem, s'éteint, sans descendance, vers 1670. Il est donc probable que la litre fut apposée lors du décès de l'un de ces personnages, au cours du XVIIe siècle. LES PEINTURES MURALES DE THÉNISSEY 193

Sur le mur nord de la nef, les peintures sont réparties sur deux registres. Une frise de saints se développe sur la partie inférieure. La « Rencontre des trois morts et des trois vifs » occupe la partie supé- rieure. Le percement de la fenêtre a interrompu la procession de saints et fait disparaître l'un des vifs.

A l'extrême gauche du registre inférieur, du premier personnage de la procession subsistent uniquement le pan d'un manteau et le haut d'une crosse. Puis un petit personnage est représenté agenouillé en prière. Il s'agit probablement d'un des commanditaires de ces peintures. Il est placé au pied de son protecteur qui se présente le crâne dégarni, vêtu d'une dalmatique recouverte d'une chasuble. Une crosse apparaît derrière son dos. Il tient le livre des évangiles dans les deux mains. Il tourne le dos au chœur de l'église (fig. 8). Les trois saints les plus connus portant la dalmatique sont saint Laurent, saint Vincent et saint Etienne. Aucun élément ne permet de dire s'il s'agit de l'un d'eux. Le saint en arrière plan est saint Jean-Baptiste, reconnaissable à son vêtement en peau de mouton, sa barbe et ses longs cheveux. Il tient également un livre dans la main gauche (fig. 8). Le saint suivant est habillé d'une dalmatique recouverte par une chasuble rouge. Il est coiffé de la mitre d'évêque, tient la crosse dans sa main droite et un objet pouvant ressembler à un pic de la main gauche. Il pourrait s'agir de la tarière avec laquelle on creva les yeux de saint Léger, patron de la paroisse (fig. 8), qui serait donc ici repré- senté. Vient ensuite un saint portant la chasuble, la mitre et la crosse. Son livre dans la main droite, il fait face au précédent. Les lettres, au- dessus de son épaule gauche, ne sont pas déchiffrables. Par contre le nom de Biaise, bien lisible, accompagne le saint lui tournant le dos (fig. 9). Cet évêque a dans la main gauche les peignes de fer qui ont servis à le déchiqueter et dans l'autre un livre ouvert. Puis Barthélémy (fig. 9), barbu et vêtu d'une tunique rouge sous un manteau plus foncé, tend son couteau dans la direction de saint Biaise, tandis que son regard est dirigé vers l'avant en direction d'un personnage, dont la tête est enveloppée d'une coule et qui semble porter un habit de moine, une bure brune (fig. 9). Il est agenouillé sur un prie-Dieu, les coudes légèrement fléchis. Saint Michel terrassant le dragon (fig. 9) est en tête de cette pro- cession de saints, avec une autre figure difficilement interprétable : s'agit-il d'Abraham, avec les âmes des justes en son sein ? Saint 194 MARIE-GABRIELLE CAFFIN

Michel est en tenue de soldat et brandit sa lance, terminée par la croix, contre un dragon placé à ses pieds. Dans sa main gauche, il porte la balance pour peser les âmes. Félix Vionnois avait proposé d'autres interprétations. Entre le personnage agenouillé et saint Michel il" avait identifié sainte Catherine dans un cadre. Aujourd'hui, on ne distingue plus qu'une silhouette imposante, placée effectivement dans un cadre (la couche est postérieure). Aux pieds de cette silhouette, une croix de consé- cration est aujourd'hui en partie restituée. Cette croix, très peu lisible au moment de la première découverte, a été identifiée, par Vionnois, comme la roue de la sainte. Il voyait également, à droite, un guerrier environné des flammes. Sans doute était-ce saint Michel. Les per- sonnages situés à gauche de la silhouette, étaient, d'après lui, une sainte à genoux et un saint muni d'une scie qui pouvait être saint Simon. Il est aujourd'hui identifié comme saint Barthélémy. Au moment des découvertes, en 1872, une chaire à prêcher masquait deux saints. Il avait reconnu ensuite saint Eloi en évêque avec son marteau (pour nous saint Léger) et saint Adrien symbolisé par la roue et l'enclume (pour nous saint Jean-Baptiste) et le dernier à gauche (pour nous le deuxième) était saint Bernard.

La « Rencontre des trois morts et des trois vifs » occupe la partie supérieure du mur (fig. 10). A gauche deux cavaliers sont représentés de part et d'autre d'une baie qui a fait disparaître le troisième, celui du milieu, lors de son percement en 1780. Les deux gentilshommes visibles sont vêtus de costumes à grands plis tombant au-dessus du genou et resserrés à la taille, avec un large col d'hermine, et coiffés d'un chapeau plat surmonté d'une plume. Un chien se tient aux pieds du cavalier de gauche, le troisième. La monture rouge de celui-ci redresse le col freiné par son maître qui regarde en direction de la vision. Un faucon a pris son envol et précède le cavalier. Le cheval du premier vif s'est cabré, l'homme se retourne dans la direction de ses amis (fig. 12). La croix se dresse au centre de la composition et sépare le monde des vifs de celui des morts. Sur cette croix jaune aux branches tréflées, le Christ crucifié est en grisaille. Il s'agit d'une figu- ration assez exceptionnelle : sur près de quatre-vingts sites connus, dans cinq seulement le Christ est présent sur la croix12. Au pied du

11. VIONNOIS, op. cit., p. XXIII-XXIV. 12. Groupe de Recherches sur les Peintures Murales, Vifs nous sommes... Morts nous serons, éditions du Cherche-Lune, 2001,173 p. LES PEINTURES MURALES DE THÉNISSEY 195

socle pyramidal, deux personnages sont agenouillés, les mains jointes. Pour Félix Vionnois, ils représentaient: « deux suppliants pouvant figurer l'Ancien et le Nouveau Testament, la croix étant le lien entre les deux ». Il est très rare de voir la représentation de personnages au pied de la croix dans cette scène. Mais, il semble plus juste de voir en eux les commanditaires et non l'Ancien et le Nouveau Testament. Au delà de la croix trois morts sont traités en grisaille, dans leur état de décomposition (fig. 11). Ils sont alignés l'un derrière l'autre. Le premier pointe sa lance, il ajuste son tir en prenant appui sur un crâne. La présence de ce crâne dans cette position est unique. Aux pieds du mort, une tache grisâtre représente peut-être le cercueil du défunt. Le deuxième mort s'appuie sur une pelle de fossoyeur, le bras gauche a disparu. Le troisième tient des os dans sa main droite et un objet jaune débutant par une tige appuyée sur son épaule, peut-être la faux symbole de la Mort. Les personnages de cette scène se dressent sur un sol ocre jaune au départ et blanc du côté des morts. Cette représentation fait référence à une légende connue à partir du XIIIe siècle. Le premier texte date des années 1280 et la plus ancienne gravure de la deuxième décennie du XIIIe siècle. Trois morts surgissent devant trois jouvenceaux revenant de la chasse - d'où les chiens et les faucons - au détour d'un cimetière. Les auteurs les plus connus sont Baudoin de Condé (1244-1280), Nicole de Margival (fin XIIIe siècle- début XIVe siècle). Trois autres poèmes sont sans nom d'auteur. Nicole de Margival donne le contexte de la rencontre : trois jeunes gens, pleins d'orgueil, issus de très puissantes familles royales, ducales et comtales tremblent devant la leçon que prononcent les trois morts. Ils promettent à la suite de cette vision : « Dieu qui nous fis voir ta volonté, nous vivrons avec l'amour de toi ». Le premier vif décrit les morts et constate qu'il faut rester ami de Dieu. Le deuxième précise qu'il a peur de la mort et le troisième reconnaît que sa vie sera différente après cette rencontre. La morale est : «Menons la vie qui plaît à Dieu, gardons-nous d'aller en enfer, sachons bien que la mort nous saisira aussi, et prions Notre-Dame, à l'heure de notre mort, d'être près de son cher fils ». Les premières représentations de ce thème remontent au milieu ou à la seconde moitié du XIIIe siècle, elles sont situées au Mont- Saint-Michel et à Notre-Dame-des-Doms à Avignon. Le thème va se figer vers 1400 : la croix sépare alors les deux mondes. Le premier exemple de ce type connu aujourd'hui se situe à Verneuil dans la Nièvre. Dans l'église paroissiale Saint-Laurent de Verneuil, les trois morts, réduits à l'état de quasi-squelettes, font face à trois vifs à J96 MARIE-GABR1ELLE CAFFIN

Fie 1.- Plan de l'église Saint-Léger. (Jacques Prioleau, architecte)

204 MARIE-GABRIELLE CAFFIN cheval. La croix fleuronnée sépare les deux mondes, l'un plus statique et resserré, celui des morts où seul le premier a un geste d'in- vective, l'autre plus aéré avec une impression de mouvement apportée notamment par les gestes exprimant la peur du roi et des deux jeunes gentilshommes (fig. 13).

Non loin de Thénissey, l'église paroissiale Saint-Sulpice de Boux-sous- possède dans sa chapelle sud une « Rencontre des trois morts et des trois vifs » d'une grande qualité picturale. Cette chapelle a été édifiée en 1447 par Jean Valon, châtelain de Salmaise (fig. 14). Les protagonistes de la Rencontre évoluent, sur fond de paysage verdoyant, dans le monde des morts. Les morts marchent sur un sol caillouteux. Un arbre est représenté de façon symbolique derrière la croix. Les vivants sont difficilement visibles aujourd'hui. Le premier cavalier s'apprête à faire demi-tour, le deuxième cavalier est déjà reparti et le troisième se devine à peine. Des cartouches, dont la lecture est devenue impossible, accompagnent la scène. Jean Valon a très certainement voulut pourvoir sa chapelle d'un décor historié menant à une réflexion sur la mort et cela peut de temps avant la sienne, intervenue en 1483. Ces peintures à l'huile et à la feuille d'or sont en très mauvais état et mériteraient une restauration. Les deux villages sont géographiquement très proches. Cependant, une grande différence existe entre le traitement du thème (le schéma de base reste le même), tant dans la technique que dans le style et la mise en place des personnages.

Le thème de la « Rencontre des trois morts et des trois vifs » est bien représenté en Bourgogne. Il en existe six dans l'Yonne (Courgis, La Ferté-Loupière, Lindry, Parly, Saint-Fargeau et Villiers-Saint- Benoît), deux dans la Nièvre (Saint-Père et Verneuil), une peinture disparue en Saône-et-Loire (Saint-Désert) et deux en Côte-d'Or (Boux-sous-Salmaise et Thénissey). A la Ferté-Loupière, la Rencontre est en relation directe avec la Danse macabre : les deux scènes se suivent et se complètent. La moralité de la Danse est l'égalité de tous devant la mort. Le thème de la Danse macabre apparaît en 1424, à Paris, et devient dans la seconde moitié du XVe siècle, universel. L'association entre la Danse macabre et la Rencontre, relativement peu fréquente, se trouve sur seulement cinq sites en France. LES PEINTURES MURALES DE THÉNISSEY 205

CONCLUSION ET ESSAI DE DATATION

A Thénissey, les peintures murales garnissaient entièrement les murs de l'église. Lors de la réfection du chœur et de la nef, au XVe siècle, l'église a vraisemblablement été à nouveau consacrée. Le rite veut que l'évêque procède à la bénédiction de l'autel et à la chrisma- tion des murailles : douze croix sont alors peintes sur les murs et le célébrant les oint du saint chrême en prononçant la formule « sancti- ficatur et consecratur hoc templum ». Ici les croix n'ont pas été conservées dans leur totalité, un programme iconographique étant venu assez rapidement s'intercaler. Les figures de celui-ci se placent plus ou moins correctement par rapport aux croix, manquant parfois de place, ou venant empiéter sur leur bord. Cette campagne picturale semble avoir été commandée par un seigneur de Thénissey à la fin du XVe siècle ou au début du XVIe siècle. Les donateurs sont présents, sans éléments d'identification, au pied de la croix dans la Rencontre des trois morts et des trois vifs et au pied d'un abbé qui pourrait être leur saint patron. Mais il n'est pas possible de savoir de qui il s'agit. Notons seulement que trois des Poinceot, qui possédaient alors Thénissey, portaient le prénom de Guillaume.

De grands cadres, qui ont du contenir des figures, ont subsisté de façon fragmentaire. Ils appartiennent à un décor postérieur.

Le cortège de saints sur le mur nord et les scènes du mur sud exprime la dévotion des fidèles et des commanditaires pour leurs intercesseurs. La crainte de la mort et la volonté de conversion dans le but d'atteindre l'éternité se traduisent parfaitement dans le choix de la scène de la « Rencontre des trois morts et des trois vifs » et dans la chasse de saint Hubert. Ces deux scènes semblent, en Bourgogne, assez souvent réunies. Les seigneurs, pris à partie dans les deux cas, doivent se préparer à la mort et adopter une meilleure règle de vie.

C'est dans un souci d'assurer son salut et celui de sa famille que l'un des membre de la famille Poinceot a commandé ces peintures. Elles demeurent, par leur emplacement et leur sujet, un support de réflexion et de prière pour la communauté.