UN MONUMENT HISTORIQUE EN DANGER :

L'ANCIENNE ABBAYE CISTERCIENNE DE STURZELBRONN

Le couvent de Sturzelbronn près de fut créé en 1135 par des moines cisterciens de l'abbaye de Mazières en Bourgogne, sam doute sur l'initiative du dnc Simon et de la duchesse Adélaïde de Lorraine. Son église servit de nécropole aux ducs de l,orraine au XII• siècle et aux comtes de Deux·Ponts-Bitche, de 1297 à 1570 (1), et à d'autres seigneurs. L'abbaye subsista jusqu'à la Révo­ lution française. L'abbé J.-B. Kaiser, professeur au Petit Séminaire de Montigny, décédé en 1942, en a retracé l'histoire, autant qu'il lui fut possible de le faire par suite de la pénurie de documents (2).

Un plan approximatif, dressé à la suite de fouilles effectuées en 1807, 1848, 1886 et 1936, nous fait connaître la disposition intérieure de ce couvent, qui se composait d'une église orientée du nord au sud et flanquée à l'est d'un cloître, d'une cuisine, d'une boulangerie, de l'hôpital et du refuge et à l'ouest des cellules, du jardin et des caves taillées dans les rochers (3) . L'église romane avait une longueur de 51 rn et une largeur de 19 m. En outre, le couvent comprenait les bâtiments agricoles, dont celui donnant sur la route renferme encore un très bel escalier en bois et était entouré d'un mur.

Le couvent subit des destructions lors de la guerre des Rustauds en 1525, au XVJI• siècle, et surtout après la Révolution française, lorsque les bâtiments furent vendus à des particuliers. Actuellement, de l'ensemble de l'abbaye, il subsiste quelques bâtiments agricoles, la porte d'entrée du couvent, à côté de laquelle se trouve un 4 carcan ( ) ) un remarquable calendrier de pierre du xne siècle, conservé à l'église actuelle, et qni indique la date de Pâques (5), un tombeau vide, les caves du couvent.

(1) G. WOLFRAM, Die Lothringer Herzoggrüber in Stürzelbronn, dans ]ahrbuch der Ces. für Lothr. Geschichte, , 1896, p. 44-45. (2) Die Abtei Stürzelbronn, Strasbourg, 1933, 157 p. (3) KAISER, op. cit., p. 11. (4) KAISER, op. cit., p. 48 A. (5) GROTEFEND, dans Deutsche Zeitschri/t für Geschichtswissenschaft, 1896-1897, p. 151-153 et KAISER, op. cit., p. 80 A. 8

Jusqu'en 1961 il restait en outre le bras gauche du transept de l'église romane primitive où se trouvait la pièce la plus intéressante, c'est-à-dire le portail latéral gauche surmonté d'un très beau tympan, portant en relief une grande croix, des rosettes et des décorations stylisées comme dans l'église de l'abbaye cistercienne d'Eusserthal dans le Palatinat. Ce tympan était placé primitivement au-dessus du portail central et fut encastré dans le portail latéral (6). Cette partie de l'église, s'élevant sur une propriété privée et transformée en maison d'habitation et en bâtiment agricole, servit jusqu'en 1945. Toutefois, le portail et le tympan ne furent ou ne purent être classés monuments historiques. Pour voir ce tympan, unique en et qu'on ne trouve même pas dans l'église de l'abbaye d'Eusserthal, fondée en 1148 par les moines de Villers­ Bettnach et bien conservée, les amateurs d'art et aussi les chrétiens, sensibles à l'intensité de la foi exprimée par l'art cistercien si simple et si imposant, accouraient nombreux non seulement de la Lorraine, mais aussi de la Sarre, du Palatinat, d'outre-Rhin et de l'Alsace. A Villers-Bettnach près de Metz, création de l'abbaye cistercienne de Morimond en Bourgogne, de telles sculptures sont inconnues jus­ qu'à présent, car il n'en reste que des murs de son église, et le troisième couvent cistercien, celui de près de , a totalement disparu. Les sculptures romanes de Stnrzelbronn rappellent celles de Rozérieulles, Lorry-Mardigny, et surtout de Notre-Dame de Faux-en-Forêt (1).

Aussi, quelle ne fut notre surprise en venant en excursion à Sturzelbronn avec la Kommission für Saarliindische Landes­ geschichte und Volksforschung de la Sarre, le 4 juillet 1964, de ne plus trouver le portail latéral de gauche de l'église, l'un des plus anciens monuments du Bitscherland avec l'ossuaire roman de et le Breitenstein, à son emplacement habituel et d'en trouver des restes au cimetière ! C'est qu'entre temps, en 1961, le propriétaire du bâtiment où se trouvait ce portail, dut le démolir, parce qu'il menaçait ruine et qu'à proximité il fallait reconstruire une maison d'habitation. Sans l'aide des Monuments historiques et de la commune, le propriétaire ne pouvait certes réparer le bâti­ ment. Mais ce qui est curieux et regrettable, c'est que ni le propriétaire, ni l'architecte, ni l'entrepreneur, ni le maire de la commune n'aient cru bon d'informer de la destruction du portail la préfecture de la Moselle, le Service des Monuments historiques et surtout la Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine, qui pourtant, en 1895, avait érigé une grande épitaphe en l'honneur

(6) KAISER, op. cit., p. 9 et photographie p. 32 A. (7) A. THIEL, Notre·Dame de Faux·en·Forêt, dans Confrérie de Marie­ Immaculée, 1953, p. 14. =

Portail latéral gauche et tympan de !�église romane de Sturzelbronn.. Etat en 1908. 10 du couvent de Sturzelbronn sur un rocher à côté de la route. Que la destruction d'un tel monument aussi précieux et antique ait pu être effectuée sans que personne n'en soit averti, est un véritable scandale, un acte de vandalisme caractérisé.

Une fois de plus on a été placé devant le fait accompli. Encore peut-on s'estimer heureux que les pièces essentielles du portail et du tympan, démontées en une douzaine de morceaux, aient été transférées avec le consentement du propriétaire et par l'inter­ médiaire du curé de la paroisse au cimetière. Il est maintenant urgent de mettre provisoirement à l'abri des mauvaises herbes, des intempéries, ces quelques vestiges du couvent de Sturzelbronn.

Il conviendrait d'envisager de remonter le portail avec le tympan à un endroit approprié, avec le soutien de la commune et du Conseil général de la Moselle, car il est vraiment regrettable que l'on n'ait pas compris l'intérêt de la conservation de ce témoin du passé religieux de Sturzelbronn et de la mise en valeur des autres restes du couvent pour le tourisme, à l'heure où ce dernier a pris une si grande extension. On pourrait aussi profiter de l'occa­ sion pour relever d'une manière scientifique le plan de l'ancienne église, en se basant sur les anciennes fondations qui apparaissent plus visiblement après la destruction. Le propriétaire nous a même assuré que de nombreux sarcophages se trouvent encore à 2 ou 3 mètres dans le sol.

A la fin du mois d'août 1964, au cours de travaux à l'emplace­ ment de l'église du couvent de Sturzelbronn, des ouvriers ont mis

à jour, à 1,30 rn de profondeur, une plaque mortuaire avec une inscription gothique. Cette fois-ci, la section de la Société d'histoire et d'archéologie de Lorraine à Bitche a été prévenue de cette découverte.

Ce cas de Sturzelbronn montre l'utilité qu'il y aurait de la part des propriétaires d'œuvres d'art et des communes de prévenir sans délai le Service des Monuments historiques de Metz ou de prendre contact avec les sociétés historiques et la nécessité impé­ rative de renforcer la surveillance des monuments historiques de la Moselle. Henri HIEGEL