Retour dans le passé avec cet article du journal la Voix du des 13 et 14 octobre 1963…

Pour une fois, ce n’est pas l’histoire d’un moulin disparu que nous conte M. Maurice Debruyne qui connaît toutes les histoires du bon vieux temps, c’est celle d’un des derniers survivants : le moulin « Sans Merci », appelé parfois le moulin de l’Ingratitude. On ignore l’origine de cette double appellation.

« Den Ondank meulen » ou le Moulin sans boire aux chevaux, tandis que les Un des derniers charpentiers de moulin Merci est le dernier des moulins de charretiers fumaient une bonne pipe et de la région fut M. Edouard Ducourant, Boeschèpe. Il fut construit par une discutaient de la meilleure façon de appelé encore « Hantboof » car il avait équipe de charpentiers de moulins de gravir la rude côte du Spotters. coutume de répéter « Men Hantboof es et . A Merris existait Ils reprirent ensuite le chemin de meulemacker » : Mon métier est d’ailleurs un célèbre moulin disparu depuis très longtemps auquel fait allusion un dicton flamand : To Merris daer is een steenen molen En al die onder de hekkens goen Ze Zyn Zot dat ze dolen. (À Merris se trouve un moulin de pierre et tous ceux qui passent sous ses ailes deviennent fous à lier)… Le « Moulin Sans Merci », lui, tournait jadis à La Motte-au-Bois près de l’emplacement d’un ancien château appelé la Grande Marquette, d’où son surnom parfois de « Den groote Marquette Meulen ». Il fut vendu en 1882 à Monsieur Benoît Houvenaghel, meunier à Boeschèpe. Démonté en 1883, il fut transporté en trois voyages et six chargements par des charretiers bien connus des vieux Boeschèpe, passant devant le « Jean- charpentier de moulin. Il avait participé Boeschépois : MM. René Leroy, chef de Bart » et le « Tambour » et empruntant à l’installation et aux réparations de tous convoi, Louis Deschepper, charretier de la drève du Moulin. Une équipe de les moulins de la région ; il savait Monsieur Houvenaghel et le légendaire charpentiers spécialisés venait d’abattre également réparer les parapluies. Pierre Denier ou « Pé Bocchus », le roi de l’ancien moulin qui était plus petit, mais Pendant l’hiver, il passait dans les la bière. L’itinéraire tracé par les Ponts du même type flamand. Dans sa chute, maisons et les fermes, avec sa hotte sur et Chaussées passait par Bailleul et les la grande roue de l’engrenage roula le le dos, à la recherche de parapluies à voituriers avaient ordre de laisser libre le long de la pente jusque dans la rue du réparer. Dans ses vieux jours, on le passage au « convoi exceptionnel ». Les Soleil. Le moulin fut en place et voyait souvent au milieu de la habitants de la rue du Musée avaient commença à tourner au printemps de campagne, appuyé sur sa canne, fermé leurs volets pour éviter le bris de 1884. regardant tourner le moulin du XII e leurs vitres. M. René Leroy était en tête M. Jules Sohier, appelé encore Jules Van siècle qui dominait le . et la seconde voiture suivait à cinquante den Meulen , était le livreur du meunier. Ducourant était un ancien combattant, mètres. La dernière halte se fit à Avec un mulet chargé de 200 kg de médaillé de la guerre 1870-71. Il avait Berthen, à l’estaminet « Au retour farine ou de blé, il empruntait tous les participé, sous les ordres du maréchal d’Italie ». Assis devant un grand « stoppe mauvais chemins et sentiers de la Faidherbe, aux batailles de Bapaume et bieren » (contenant 2 litres de bière) ils région. Plus tard, les routes furent de Saint-Quentin, avec mon grand-père, trinquèrent avec le cabaretier, M. Benoît améliorées et le transport se fit avec des M. Henri Debruyne, cabaretier au Dequecker, appelé Benoît Salade, chevaux. M. Ernest Duflou, beau-fils de Zouave, à Boeschèpe. entrepreneur saisonnier. Benoît donna à M. Sohier, prit la relève. Suite et fin page suivante Le dernier mouleur de moulins [ à Boeschèpe ] est M Jérôme Ruckebosch, descendant d’une lignée de meuniers belges. Il vint en en 1911, au moulin octogonal de M. Cornaert. En août 1914, il était au Moulin sans Merci avec M. René Wyts quand il fut mobilisé par l’armée belge. Rescapé de la Grande Guerre, comme son moulin, il fut tout heureux de le retrouver après l’Armistice. Le vieux moulin portait cependant encore les traces de blessures encore bien visibles , causées par les éclats des derniers obus tombés sur Boeschèpe. Quatre officiers anglais y avaient trouvé la mort : venus au moulin pendant une accalmie faire un brin de toilette et jouer une partie de cartes sous les derniers rayons du soleil d’automne, ils ne virent pas monter, derrière le mont Ravels le ruines, vivaient dans les caves, derrière ballon observateur des vitres en papier et des portes faites allemand. Leur des planches des caisses vides de présence fut signalée munition, traînant dans les rues. à la batterie Au printemps de 1937, pendant une allemande, placée tempête, une aile cassa et brisa dans le bas-fond complètement la toiture. derrière le moulin. M. Ruckebosch, qui se trouvait à Les blessés de ce l’intérieur, pensa que c’était la fin ; il en bombardement sortit indemne, bien qu’aveuglé par la furent soignés au poussière. Le moulin fut réparé, il reçut poste de secours un nouveau toit en zinc et tourna avec situé à la ferme de deux ailes. M. Jules Sohier. En juin 1947, le moulin fut gratifié de Après l’Armistice, M. deux ailes en fer qui furent installées René Wyts, le avec l’aide de fermiers voisins, les frères meunier, retourna au Sohier, M. Maurice Houvenaghel et un moulin et, avec l’aide charpentier de moulins, M. Henri de M. Ruckebosch, Lejeune de Westflêtre (B.). M. le remit en route. Ruckebosch, qui n’avait jamais le mal de Tous les autres l’air et qui disait volontiers : « Un moulins avaient mouleur est comme un marin sur son disparu dans la bateau, balancé par la tempête », grimpa tourmente. Il fut le l’échelle à bord du moulin et, regardant seul à fournir la à travers le hublot pour suivre la farine pour les direction du vent, resta au commandes réfugiés de du moulin jusqu’en 1958. Il donna les Boeschèpe qui derniers coups d’aile, le tourna vers rentraient de l’exode l’ouest et, tous les soirs, son dernier et ne trouvaient que regard est pour le vieux moulin…