Dérives et misères populistes : Analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées sous le gouvernement de , 2006-2015.

Mémoire

Alexandre Audesse

Maîtrise en sociologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Alexandre Audesse, 2019

Dérives et misères populistes : Analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées sous le gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015.

Mémoire

Alexandre Audesse

Sous la direction de :

Joane Martel, directrice de recherche

Résumé

Plébiscité à titre de 22ième Premier ministre du Canada, Stephen Harper dirigea pendant près d’une décennie un gouvernement conservateur qui, mû par une philosophie Tough on Crime, ratifia plus de cinquante politiques pénales ayant toutes comme épicentre la promotion et l’accentuation de l’usage de la force pénale. Or, il appert que les réformes pénales de l’administration Harper ne reposaient pas uniquement sur des desseins répressifs ; elles étaient également traversées par une série d’idéaux populistes. Marquée par les possibles répercussions d’une telle approche pénale, la présente recherche documente certains des aspects populistes ayant sous-tendu les politiques pénales ratifiées par le gouvernement de Stephen Harper.

Pour réaliser un tel objectif, la première partie de ce mémoire illustre que le gouvernement Harper a engendré, à des fins politiques, un impetus de punitivité sans précédent dans la sphère pénale canadienne. Poussant la réflexion à un autre niveau, la seconde partie de la présente recherche est constituée d’une série d'analyses qualitatives et de réflexions critiques portant sur trois des politiques harperiennes ayant eu les impacts les plus significatifs sur le champ pénal canadien, soit les projets de loi C-2, C-10 et C-59. À la lumière de ces analyses et de ces réflexions, ce mémoire aspire à mettre en exergue diverses facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale.

Loin de se limiter à l’œuvre pénale du gouvernement Harper ce mémoire tente également d’offrir une compréhension des réalités sous-tendant les vagues populistes et les dérives que celles-ci peuvent engendrer en justice pénale.

Mots-clés : Populisme, populisme pénal, politique pénale, justice pénale, traditions pénales canadiennes, politiques répressives, gouvernement Harper

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Abstract

Elected as the 22nd Prime Minister of Canada, Stephen Harper’s Conservative government ruled for close to a decade. Driven by a “Tough on Crime” philosophy, the Harper government ratified over fifty penal policies. All of these policies were centered on the promotion and increased use of penal force. It appears, however, that Harper’s penal reforms did not rest solely on such repressive intents but were also laced with a plethora of populist ideals. Struck by the implications of such a penal approach, this study is built on the necessity to document the populist aspects undergirding Harper’s penal policies.

To achieve such an objective, the first part of this thesis illustrates that the Harper government created, under political imperatives, an unprecedented punitivity impetus on the Canadian penal scene. Pushing the reflection to another level, the second part of this thesis consists in a series of qualitative analyses and critical reflections on three of Harper’s penal policies which had the most significant impacts for the Canadian penal field: Bills are C-2, C-10 and C-59. From these analyses, this thesis highlights various aspects of the Harper government's penal populist stance.

Going well beyond the penal work of the Harper government, this thesis also attempts to offer an understanding of the realities behind populist waves and drifts that can occur in Criminal justice.

Keywords: Populism, penal populism, penal policy, Criminal justice, Canadian penal traditions, repressive policies, Harper government

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Table des matières

Résumé ...... iii Abstract ...... iv Table des matières ...... v Liste des tableaux ...... viii Remerciements ...... x Introduction ...... 1 Chapitre 1 – Prolégomènes : Les fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes ...... 5 1.1 Définition des concepts ...... 5 1.2 Les traditions pénales et démocratiques canadiennes...... 6 1.2.1 Les particularités démocratiques canadiennes ...... 7 1.3 Le pénal et le criminel : Ambiguïté définitionnelle ...... 8 1.4 Objet d’étude : Les politiques pénales ...... 9 1.5 Les fondements des politiques pénales et de la peine ...... 10 1.5.1 L’article 718 du Code criminel et les objectifs de la peine ...... 11 1.5.2 Les théories de la peine et la rationalité pénale moderne ...... 11 1.6 Remarques conclusives ...... 17 Chapitre 2 – Les tendances pénales canadiennes : De l’idéal de réhabilitation au populisme pénal « Harperien » ...... 18 2.1 Les mutations pénales canadiennes ...... 18 2.2 Le concept de virage punitif ...... 19 2.2.1 Le virage punitif canadien : Réalité ou mythe ?...... 19 2.2.2 Les symptômes constitutifs du virage punitif ...... 22 2.3 1980 à 2005 – Un virage punitif circonscrit ...... 24 2.3.1 L’explosion carcérale ...... 24 2.3.2 La pénalité post-disciplinaire ...... 25 2.3.3 La pénalité politisée et expressive ...... 26 2.4 2006 à 2015 – Gouvernement conservateur : Un tournant punitif ? ...... 26 2.4.1 L’explosion carcérale ...... 27 2.4.2 La pénalité post-disciplinaire ...... 28 2.4.3 La pénalité politisée et expressive ...... 31 2.5 Les Conservateurs et la justice pénale ...... 32 2.5.1 La répression de la criminalité dans les plateformes électorales fédérales ...... 32 2.5.2 La politisation et l’instrumentalisation des questions de sécurité ...... 34 2.5.3 Le transfert de la légitimité de la production législative vers le peuple ...... 36 2.6 Le populisme pénal du gouvernement Harper ...... 39 2.7 Question et objectifs de recherche ...... 39 2.8 Pertinence scientifique et sociale...... 40 2.8.1 La pertinence de mettre en lumière l’oppression discriminatoire de la justice pénale ...... 41 2.8.2 La pertinence d’étudier le populisme pénal dans le contexte politique actuel ...... 42 2.8.3 La pertinence d’étudier le populisme pénal conservateur ...... 43

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2.9 Remarques conclusives ...... 44 Chapitre 3 – Posture épistémologique, cadre théorique et notions corrélatives ...... 45 3.1 Positionnement épistémologique ...... 45 3.2 Les théories du conflit ...... 47 3.3 Les théories conflictuelles de la criminalité ...... 48 3.3.1 George B. Vold : Conflit et crime ...... 49 3.3.2 Austin Turk et William Chambliss : Crime, pouvoir et processus législatif ...... 49 3.4 Les « dérivés » et la synthèse des théories du conflit ...... 51 3.5 Les théories du conflit et l’objet d’étude de ce mémoire ...... 52 3.6 Le conservatisme harperien ...... 53 3.7 Remarques conclusives ...... 54 Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal ...... 55 4.1 Le populisme politique ...... 55 4.2 L’incursion du populisme dans le champ pénal ...... 60 4.2.1 Le traitement médiatique de la justice et de la criminalité ...... 60 4.2.2 De l’État social à l’État pénal ...... 62 4.3 Le populisme pénal ...... 63 4.3.1 Recension des écrits sur le populisme pénal ...... 63 4.3.2 Populisme pénal : La définition retenue ...... 65 4.4 Les dimensions du populisme pénal ...... 66 4.4.1 Première dimension : Instrumentalisation de l’expérience des victimes ...... 66 4.4.2 Deuxième dimension : Paniques morales, faits divers et opinion publique ...... 69 4.4.3 Troisième dimension : Émotivité, affects, et rationalité ...... 72 4.4.4 Quatrième dimension : Discrédit du discours expert...... 74 4.4.5 Cinquième dimension : Simplifications des réponses, polarisation des discours et sévérité pénale ...... 75 4.4.6 Sixième dimension : Caractère expressif et symbolique de la réponse pénale ...... 76 4.5 Remarques conclusives ...... 77 Chapitre 5 – Méthodologie et corpus de données ...... 78 5.1 Approche de la recherche ...... 78 5.2 Les étapes de la recherche ...... 79 5.2.1 Phase 1 : La collecte des données...... 79 5.2.2 Phase 2 : La méthode d’analyse des données ...... 83 5.3 Limites et biais de la méthodologie ...... 85 5.4 Remarques conclusives ...... 87 Chapitre 6 – Les changements législatifs et leurs effets ...... 88 6.1 Le projet de loi C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents (2008) ...... 88 6.1.1 Partie 1 – Les peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu ...... 88 6.1.2 Partie 2 – L’accroissement de l’âge de consentement sexuel ...... 91 6.1.3 Partie 3 – La conduite avec facultés affaiblies par la drogue ...... 92 6.1.4 Partie 4 – La mise en liberté en cas d’infractions mettant en jeu une arme à feu ou d’autres armes réglementées ...... 93 6.1.5 Partie 5 – Désignation de délinquants dangereux ...... 94 6.2 Le projet de loi C-59 : Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels (2011) ...... 95 6.3 Le projet de loi C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés (2010) ...... 97

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6.3.1 Partie 1 – Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme ...... 98 6.3.2 Partie 2 – Les infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants ...... 98 6.3.3 Partie 3 – Les infractions relatives aux drogues et autres substances ...... 98 6.3.4 Partie 4 – La peine d’emprisonnement avec sursis...... 100 6.3.5 Partie 5 – Les libérations conditionnelles ...... 101 6.3.6 Partie 6 – Le casier judiciaire ...... 103 6.3.7 Partie 7 – L’extradition des personnes criminalisées ...... 103 6.3.8 Partie 8 – La justice pénale pour les adolescents ...... 104 6.3.9 Partie 9 – La protection des réfugiés ...... 106 6.4 Les grands effets des réformes analysées ...... 106 6.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire ...... 109 6.4.2 L’institution de valeurs conservatrices : Le processus de criminalisation et ses effets moralisants ...... 114 6.4.3 L’accroissement de la sévérité pénale ...... 117 6.5 Remarques conclusives ...... 121 Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de légitimation populistes ...... 122 7.1 L’instrumentalisation de la victime : La figure fantasmée de la victime vindicative ...... 123 7.1.1 L’accentuation de la sévérité pénale ...... 125 7.2 La conception manichéenne de la dyade victime-coupable : Punir et honnir les individus criminalisés au nom de la victime ...... 128 7.2.1 L’accentuation de la sévérité pénale ...... 130 7.3 L’instrumentalisation de la volonté du peuple : Une conception subjective et partisane de la volonté générale ...... 135 7.3.1 La limitation du pouvoir judiciaire ...... 139 7.3.2 L’accentuation de la sévérité pénale ...... 139 7.4 La mésestime des experts et des savoirs : Ériger des politiques non-éclairées ...... 142 7.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire ...... 143 7.4.2 L’imposition de valeurs conservatrices ...... 144 7.4.3 L’accentuation de la sévérité pénale ...... 146 7.5 La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les impératifs politiques au-delà des retombées concrètes ...... 148 7.5.1 L’accentuation de la sévérité pénale ...... 149 7.5.2 L’imposition de valeurs conservatrices ...... 151 7.6 Les faits divers à titre de moteur législatif : Réprimer au nom de l’anecdote ...... 153 7.6.1 L’accentuation de la sévérité pénale : Sébastien Lacasse et Earl Jones : Les visages du populisme harperien ...... 153 7.7 La disqualification de la justice pénale : De l’appel à la rupture à l’appel aux changements ...... 156 7.8 La récurrence des arguments sophistiques : Un populisme pénal à l’argumentaire fallacieux ...... 158 7.8.1 Les généralisations abusives ...... 160 7.8.2 Les faux dilemmes ...... 160 7.8.3 Les manipulations statistiques ...... 161 7.8.4 Les appels à l’émotion ...... 162 Conclusion ...... 163 Références bibliographiques ...... 168

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Liste des tableaux

Tableau 1 La répression de la criminalité dans les plateformes électorales des trois grands partis politiques fédéraux canadiens – 2006-2015 ...... 33 Tableau 2 Synthèse des théories du conflit ...... 52 Tableau 3 Catégorisation générale ...... 85 Tableau 4 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu ...... 90 Tableau 5 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant à l’évolution de l’âge du consentement sexuel ...... 92 Tableau 6 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives aux peines minimales pour les infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies ...... 93 Tableau 7 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives à la restriction des remises en liberté pour les infractions reliées aux armes à feu ...... 94 Tableau 8 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C- 10 concernant l’évolution des peines minimales pour les infractions sexuelles à l’égard d’enfants ...... 99 Tableau 9 Les infractions pour lesquelles la peine d’emprisonnement avec sursis est dorénavant proscrite ...... 101 Tableau 10 Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-10 modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents ...... 105 Tableau 11 Nombre d’extraits repérés pour chacune des catégories générales ...... 123

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Never mistake law for justice Justice is an ideal, and law is a tool

– L.E. Modesitt Jr.

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Remerciements

Certaines choses ont le pouvoir de littéralement changer une vie, ma rencontre avec Joane Martel fut un de ces moments mirifiques. Il n’existe aucun mot, quelle que soit la langue, assez fort pour décrire toute la gratitude que j’éprouve envers cette professeure d’exception. Elle ne fut pas simplement une formidable directrice, elle fut et restera mon modèle de vie. Me guidant et m’inspirant, Joane Martel a su insuffler en moi un esprit critique et une rigueur intellectuelle qui guideront mes pas ad vitam aeternam. Transcendant les contours universitaires, elle a également fait preuve d’un soutien inconditionnel sur le plan personnel. À mes yeux, il est d’ailleurs indéniable que ce projet, comme toutes mes autres réalisations académiques et professionnelles, n'aurait pu se concrétiser sans son appui indéfectible. Je souhaite donc, de tout mon cœur, avoir été à la hauteur de son investissement et de sa confiance à mon égard. Ma chère Joane, merci tout simplement d’être une directrice aussi extraordinaire, j’espère pouvoir bénéficier de vos conseils et de votre support encore bien des années.

En plus de ma directrice, j’ai également eu l’immense plaisir d’être l’assistant de sept professeurs/chercheurs, soit, par ordre alphabétique, Marie-Claude Belleau, Yanick Charette, François Fenchel, Mariana Raupp, Catherine Rossi, Annie-Claude Savard et Mathilde Turcotte. Chers professeurs, il me serait impossible d’énumérer exhaustivement vos apports respectifs à ma carrière, mais sachez que vous avez tous contribué de diverses manières à ma formation professionnelle et intellectuelle. Merci également de m’avoir traité avec autant d’estime et d’amitié, vous avez littéralement transformé l’Université Laval en ma seconde famille. J’espère que vous continuerez à innover dans vos domaines respectifs, notre société a grand besoin de vos apports. Au plaisir de retravailler avec vous.

Je remercie également tous les membres du comité éditorial de la Revue canadienne Droit et Société/Canadian Journal of Law and Society. Travailler avec cette formidable équipe est une expérience très enrichissante sur le plan professionnel et personnel. Je les remercie donc de m’avoir engagé et j’espère que notre collaboration pourra perdurer encore plusieurs années.

Ensuite, je remercie chaleureusement mes collègues et amis du programme de criminologie, qui sont malheureusement trop nombreux pour être nommés. Je me considère chanceux d’avoir partagé mon parcours universitaire avec vous puisque j’ai l’intime conviction que vous serez tous de grands criminologues. Je remercie également mes amis les plus proches, qui sauront se reconnaitre, pour leur soutien inconditionnel au fil des années. À ce sujet, merci à Laurence St-Pierre qui est celle qui m’a

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supporté, je devrais probablement dire « enduré », quotidiennement lors de la réalisation de ce mémoire. Je ne peux pas non plus passer sous le silence la contribution de mes parents, qui n’ont pas toujours compris mes folles ambitions, mais qui ont tout fait pour me soutenir et me permettre de réaliser mes rêves.

Finalement, depuis mon enfance, de nombreuses personnes m’ont répété que je ne pourrais jamais réussir à contrôler mon bégaiement pour réussir quoi que ce soit. Je dédie donc ce mémoire à toutes les personnes souffrant d’un handicap quelconque. Ne laissez jamais quelqu’un vous dire que vous n’êtes pas assez bien pour réaliser vos rêves et n’oubliez surtout pas les mots d’un certain Stephen Hawking :

« Remember to look up at the stars and not down at your feet. And however difficult life may seem, there is always something you can do and succeed at. It matters that you don't just give up »

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Introduction

Un des points de mire de toute société est la répression partielle, sinon totale, des comportements érigés en « crimes » sur le plan normatif. Or, l’histoire moderne est parsemée d’exemples, tels que la surreprésentation des Afro-Américains dans les prisons étatsuniennes ou encore le sempiternel débat sur la portée dissuasive de la peine capitale, qui illustrent non seulement la difficulté d’un tel objectif, mais également sa portée litigieuse. À titre de remarques liminaires, il s’avère également essentiel de spécifier qu’un crime n’est pas un phénomène naturel qui existe en soi: un acte ne peut être qualifié de « criminel » que sous l’action d’un pouvoir légitime qui va sanctionner l’exécution dudit comportement. Ainsi, dans son acception sociologique la plus succincte, un crime se définit comme « tout acte qui, à un degré quelconque, détermine contre son auteur cette réaction caractéristique qu’on nomme la peine » (Durkheim, 2008 : 73). Le crime est donc, en tant que comportement spécifique, une construction sociale érigée par le truchement de réactions étatiques propres à chaque société. Loin d’être aléatoires, lesdites réactions s’avèrent d’ailleurs tributaires des philosophies, des idéologies et des valeurs dominantes prévalant dans la société en question.

Au Canada, comme dans la vaste majorité des pays occidentaux, les statistiques officielles suggèrent que les formes de criminalité qui sont considérées comme les plus préoccupantes (ex. meurtre, séquestration, voies de fait, etc.) sont en constante diminution depuis près de trois décennies (Bunge, Johnson et Baldé, 2005; Statistique Canada, 2014). Certains auteurs vont même avancer l’hypothèse que le déclin des activités délictueuses remonte aux années 1960 (Salas, 2005). Sans affirmer que les chiffres mentent, le sociologue d’orientation constructiviste a pour vocation le doute et la critique, il se doit donc de réexaminer ces indicateurs « objectifs », notamment à l’aide d’analyses macrosociologiques. Selon cette posture épistémologique, les diverses méthodes de construction sociale des statistiques criminelles sont intrinsèquement reliées aux pratiques sociales, institutionnelles, organisationnelles et politiques. Les réactions sociales et étatiques telles que les mouvances définitionnelles des infractions, l’accroissement de la prévalence des déclarations faites par les victimes ainsi que l’intensification des activités d’enquête policière et de poursuite judiciaire du crime s’avèrent donc des éléments constitutifs du « fait » criminel qui altèrent les statistiques officielles1 (Best, 2001; Neuilly et Zgoba, 2008; Fassin, 2017). Nonobstant le débat temporel quant à

1 En France, Laurent Mucchielli proposa une analyse de l’évolution des statistiques en matière de violence qui suggère que ce ne sont pas les actes violents qui ont décuplé, mais bien les déclarations et les enregistrements de leurs expressions mineures. En d’autres termes, l’appareil pénal s’activa pour un plus large éventail de comportements « mineurs » qui ne relevaient autrefois pas de la justice pénale (Mucchielli, 2008). Parallèlement, aux États-Unis, le déploiement considérable de la police dans les espaces sociaux à haute vulnérabilité, notamment sous l’effet de la War on Drugs de Ronald Reagan (Alexander, 2010), laisse envisager que l’augmentation des taux de certains crimes, dont ceux relatifs aux stupéfiants, n’était pas reliée à l’accroissement de la prévalence de ces actes, mais bien à l’élargissement du filet pénal.

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l’amorce de la diminution de la prévalence des activités délictueuses, les philosophies pénales nord- américaines ont, quant à elles, mué à contre-pied de l’évolution desdites statistiques criminelles. Au Canada et aux États-Unis, les années 1950, 1960 et 1970 représentaient effectivement un apogée en ce qui a trait à la mise en place de stratégies visant la diminution de l’incarcération et la promotion des mesures réhabilitatives (Landreville, 2007). Ce paradigme pénologique fut toutefois supplanté par une transformation progressive des politiques, des rhétoriques et des pratiques officielles de la criminalisation à la fin des années 1970 (Carrier, 2010). Cette nouvelle approche, largement ancrée dans un durcissement marqué de l’ensemble des pratiques pénales (Pratt, 2007), était directement tributaire de la mutation des processus sociaux, économiques, politiques et culturels de l’époque. Ces mutations auraient engendré une insécurité sociale prenant forme à travers de nombreux phénomènes, tels qu’une perte des repères normatifs, une diminution des soutiens économiques et une médiatisation grandissante de la criminalité (Wacquant, 2004; Garland, 2001).

Wacquant (2004) et Garland (2001) estiment que, confrontés à cette insécurité sociale grandissante, un nombre considérable de politiciens succombèrent à la tentation populiste d’instrumentaliser ladite insécurité dans le but de s’attirer un capital politique, une instrumentalisation se transposant en diverses politiques sociales et pénales. Aux États-Unis, un des exemples éloquents demeure l’édification conjointe d’un workfare2 à connotation punitive et l’explosion d’un prisonfare3 dans les espaces sociaux les plus défavorisés sous la présidence de Bill Clinton (Wacquant, 2005). Au Canada, l’instrumentalisation de la criminalité et de sa répression fut, quant à elle, une des principales caractéristiques de la philosophie et de la stratégie politique qui anima le Parti conservateur de Stephen Harper pendant les neuf années, huit mois et 29 jours que dura son ascendance à la Chambre des communes du Canada.

Sous l’administration Harper, les projets de loi de nature criminelle ou pénale représentèrent effectivement une part notable du programme législatif. Par exemple, lors de la 41e législation du Parlement canadien, dernier mandat du Parti conservateur, plus de 20 % des projets de loi déposés étaient directement reliés aux traitements de la criminalité (Mallea, 2015), une proportion plutôt difficile à expliquer dans un pays où le taux de criminalité est en constante diminution. Lors de ce dernier mandat, en 2013, le taux de crimes déclarés à la police avait même atteint son plus bas niveau

2 Le workfare est une pénalisation de l’aide sociale dans laquelle les bénéficiaires se voient obligés d’accepter des activités moins bien rémunérées que sur le marché, en contrepartie de la perception des prestations d’allocations sociales (Peck, 1998). 3 Le terme prisonfare représente l’ensemble des politiques et des dispositifs cherchant à remédier à des conditions et à des comportements jugés socialement indésirables par le biais d’un déploiement considérable de la police, des tribunaux, des prisons et de leurs appendices (Wacquant, 2004).

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en près de 50 ans (Boyce, Cotter et Perreault, 2014). Imperméable à ces statistiques, le discours des Conservateurs n’a pas fléchi; pour eux, les Canadiens vivaient, et vivent toujours, dans un monde de moins en moins sécuritaire (Mallea, 2015). Dès lors, pour cette formation politique, une transformation du cadre d’action étatique à l’égard de la criminalité s’avérait nécessaire, une transformation principalement orientée vers un durcissement du régime pénal.

Or, d’un point de vue scientifique, et bien au-delà des statistiques suggérant que les Canadiens sont confrontés à des risques de victimisation criminelle plutôt faibles, de nombreuses recherches témoignent de l’inefficacité d’un appareil pénal démesurément ancré dans une attitude répressive (Fattah, 1976; Doob et Webster, 2003; Mallea, 2011). Loin d’accroître la sécurité des citoyens, une sévérité pénale exagérée4 tend à amplifier la vulnérabilité des personnes appartenant aux groupes sociaux les plus démunis à l’égard de qui l’État semble n’opposer que la force de plus en plus brutale de l’appareil policier et judiciaire (Matthews, 2005). D’ailleurs, à titre d’exemple ou plutôt de contre- exemple, les recherches conduites sur le modèle punitif étatsunien suggèrent qu’en plus d’être inefficaces, les innombrables lois répressives qui furent légiférées sur le sol étatsunien au cours des dernières décennies se sont avérées extrêmement dommageables sur le plan humain et du point de vue des finances publiques. Que ce soit les victimes, les individus criminalisés5 ou encore les communautés et les contribuables, personne n’a gagné quoi que ce soit dans ce concert punitif, peut- être mis à part, pour certains, quelques élections6 (Tonry, 2014; Kelly, 2015).

4 Une sévérité pénale exagérée réfère aux peines dont la sévérité et la durée sont excessives eu égard à la gravité objective du crime et aux circonstances particulières lui étant rattachées. 5 Les termes utilisés, dans ce mémoire, afin de nommer les individus criminalisés ne relèvent pas du hasard. Pour moi, les termes « délinquant » et « criminel » s’avèrent infamants puisque que lorsqu’apposés sur une personne, ils engendrent stigmatisation et ostracisation. Se rajoute à cette portée infamante, une série de préconçus et de préjugés quant à la prétendue nature axiologiquement neutre du crime. Pour illustrer les précédentes critiques, il y a quelques décennies, aux États-Unis, une dame qui prenait siège dans la mauvaise section d’un autobus était étiquetée comme une « criminelle » ou une « délinquante ». Or, aujourd’hui, les termes « délinquant » et « criminel » semblent très peu appropriés pour qualifier Rosa Parks. De surcroît, bien que le terme « contrevenant » s’avère quelque peu moins infamant, il implique que la personne, sur qui il est apposé, a réellement commis l’acte dont elle est accusée ou condamnée, ce qui n’est pas indubitablement véridique. Dès lors, l’utilisation de tels termes devrait, à mon sens, être nuancée. Dans ce mémoire, ils ne seront d'ailleurs utilisés qu’afin de citer textuellement certains dires. 6 Aux États-Unis, la surincarcération a également engendré des profits substantiels pour les compagnies privées du secteur carcéral. Toutefois puisque aucune institution carcérale canadienne n’est gérée par le « privé », les liens entre la privatisation du système carcéral et les taux d’incarcération ne seront pas abordés dans ce mémoire. À ce sujet voir, Christie (2003).

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D’ailleurs, en offrant des réformes pénales ancrées dans des idéaux Tough on Crime7 promouvant la valorisation et l’accentuation de l’usage de la force pénale, et ce, dans le but avoué de répondre à des besoins sécuritaires exprimés par une partie de la population, le Parti conservateur de Stephen Harper a engendré une vague punitive sans précédent en sol canadien, ce qui lui a d’ailleurs permis de se cultiver un capital politique notable. Or, il semble que bon nombre de ses projets de loi n’avaient que peu ou pas de légitimité scientifique et n’avaient, qu’au final, que des visées symboliques (Mallea, 2015). Il n’est donc pas fallacieux d’avancer l’hypothèse que les réformes pénales de ce gouvernement aient été érigées, notamment, à des fins populistes. Dans cette optique, la présente recherche a comme objectif central de documenter l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale, et ce, par l’entremise d’une analyse documentaire des projets de loi pénaux et des débats parlementaires que ceux-ci ont pu générer. Pour y arriver, ce mémoire est divisé en sept chapitres, remplissant chacun des fonctions bien précises.

Le premier chapitre aborde les prolégomènes nécessaires à la compréhension de cette recherche, soit les fondements et les traditions de la démocratie canadienne et la place de la justice pénale en son sein. Le deuxième chapitre se divise en deux grandes sections : la première expose l’évolution de certains aspects de la justice pénale canadienne, et ce, des années 1980 jusqu’aux trois mandats du gouvernement Harper; la seconde, bien assise sur cette contextualisation, dresse un portrait de la problématique, soit les liens qui semblent unir la philosophie pénale conservatrice et le populisme pénal. Les questions et les objectifs de recherche y sont également explicités, tout comme les pertinences scientifiques et sociales de ce mémoire. Le troisième chapitre est consacré à la présentation du cadre théorique privilégié, soit les théories du conflit et les notions corrélatives. En complément de ce cadre théorique, le quatrième chapitre agit à titre de cadre conceptuel qui dresse le portrait exhaustif du populisme et du populisme pénal. Le cinquième chapitre dresse, quant à lui, un portrait de la démarche méthodologique et analytique proposée. Le chapitre six est le premier chapitre analytique et empirique dans lequel les politiques pénales analysées, et leurs effets, sont décrites. Le chapitre sept est, pour sa part, consacré à l’analyse des fondements et des stratégies de légitimation populistes sous-tendant les politiques pénales retenues. Finalement, la conclusion permet d’assembler les dernières analyses de ce mémoire et ainsi de terminer la description de l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale.

7 La notion Tough on Crime peut référer à des idéaux, une attitude ou encore un mouvement politico-social, qui ont tous comme épicentre la promotion de politiques qui s’appesantissent sur la punition en tant que réponse principale, voire unique, au crime. En d’autres termes, la notion Tough on Crime est reliée à l’impitoyabilité envers les individus criminalisés et à la promotion des peines comminatoires.

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Chapitre 1 – Prolégomènes : Les fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes

Pour réaliser une étude sur le caractère populiste des politiques en matière pénale du gouvernement Harper, il est de mise d’établir certaines assises, tant sur le plan conceptuel que pour la description de certaines composantes propres à la politique et à la justice pénale canadienne. Ainsi, il est question, dans ce premier chapitre, de définir les concepts élémentaires de ce mémoire et de jeter la lumière sur les fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes. Loin d’être superflus, ces prolégomènes s’avèrent essentiels, pour la présente recherche, puisque les modes de gouvernance du gouvernement Harper se sont inscrits dans la forme bien particulière que prend la démocratie au Canada.

1.1 Définition des concepts Ce mémoire est érigé sur un amalgame de notions, de théories et de connaissances relatives à une multiplicité de disciplines, telles que la sociologie, la criminologie, le droit et la science politique. Face à cette multidisciplinarité, il s’avère essentiel de fournir d’emblée des définitions sommaires de certains concepts centraux, et ce, afin d’éviter toute confusion. Certes, il ne s’agit que d’une simple entrée en matière puisque les définitions de ces concepts seront approfondies et affinées à travers les pages de ce mémoire. Les concepts qui se doivent d’être définis d’entrée de jeu sont les suivants : le populisme, le populisme pénal et la justice pénale.

Le populisme est un terme utilisé, de manière souvent triviale, pour dénoncer l’exacerbation des réflexes sécuritaires et la mobilisation de rhétoriques identitaires chez certaines personnes plus ou moins affiliées au monde politique. En science politique, le populisme se définit plutôt comme une attitude ou une approche politique prônée par certains politiciens, partis et mouvements faisant appel aux intérêts du peuple et prônant son recours au détriment des intérêts de l’« élitocratie » intellectuelle et politique (Taguieff, 2007).

Le populisme pénal est défini par Roberts et coll. (2003) comme une politique ou une série de politiques pénales, aux fins principalement répressives, qui répondent à des demandes populaires, qu’elles aient été exprimées ou non. À cette définition, Pratt (2007) va rajouter que le populisme pénal s’appuie sur la peur du crime ainsi que sur les sentiments de colère et de désenchantement à l’égard de la justice pénale, qui est jugée comme partiale au sens où elle perçue comme une institution qui favorise les intérêts des individus criminalisés plutôt que ceux des victimes et des citoyens

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respectueux de la loi. Ainsi, au cœur du populisme pénal se trouve l’idée qu’une lutte efficace contre la criminalité passe nécessairement par l’intransigeance en matière pénale (Berthelet, 2016). En somme, dans ce mémoire, le populisme pénal se définit succinctement comme une approche politique, orientée vers un resserrement de l’étau pénal, érigée à mi-chemin entre l’outrage collectif à l’égard de la criminalité et de sa répression et la volonté d’acquérir ou de légitimer un capital politique.

La justice pénale est un réseau d’établissements et d’agences formels et informels qui se partagent de multiples tâches relatives à la répression de la criminalité. Les tâches qui sont généralement jugées comme les plus importantes sont la détection, l’enquête et la poursuite du crime ainsi que la punition, la réhabilitation et la réinsertion sociale des personnes criminalisées. Par ailleurs, dans le langage commun, il est souvent question du « système » de justice. Or, la notion de système implique que les différentes agences de la justice pénale agissent de concert dans le but d’atteindre un objectif commun et ultime. Cette conception systémique constitue, toutefois, un des grands mythes de la justice pénale dans la mesure où plusieurs composantes inhérentes de cette justice tendent à perturber ce supposé fonctionnement systémique. En d’autres termes, les différentes agences ne travaillent pas réellement main dans la main vers un idéal commun. Par conséquent, la justice pénale est moins un système qu’un « appareil » constitué d’agences ayant des objectifs et des tâches liés, mais ultimement séparés et distincts (Martel, 2017). Ainsi, pour ce mémoire, la notion d’appareil pénal sera privilégiée.

Les précédentes définitions, bien que brèves et sommaires, permettent maintenant d’amorcer les analyses de ce mémoire, en commençant par une description des fondements et des liens entre la justice pénale et la sphère politique canadienne.

1.2 Les traditions pénales et démocratiques canadiennes La justice pénale et la sphère politique sont deux entités en apparence distinctes, mais qui sont intrinsèquement reliées l’une à l’autre, les transformations de la première étant à bien des égards corollaires des mutations de la seconde. Ainsi, pour documenter la possible présence de populisme dans le champ pénal canadien, et plus précisément pendant l’ère Harper, il s’avère nécessaire de faire un survol des principaux fondements de la démocratie canadienne de sorte à préciser la place de la justice pénale en son sein.

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1.2.1 Les particularités démocratiques canadiennes Il est établi que l’État moderne détient le pouvoir exclusif de punir les citoyens contrevenant à ses lois. Tout châtiment privé, qu’il soit « juste » ou non, s’avère tout à fait illégal. La punition, qui représente le prix de la violation ou de la désobéissance au droit, est donc légitimée par le statut et les pouvoirs qui sont conférés à l’État (Tzitzis, 1996). Cela dit, pour éviter toute forme de despotisme, les États modernes occidentaux se sont dotés d’une division formelle des divers pouvoirs étatiques. Cette division prend une forme triadique dans laquelle divers organes se voient attribuer trois pouvoirs bien distincts : des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Le pouvoir législatif, celui de produire les lois et les règles de comportement social, est octroyé, au Canada, au Parlement composé de la Chambre des communes et du Sénat. Le pouvoir exécutif, qui représente le pouvoir de mettre en œuvre les lois et de diriger les affaires de l’État, est consenti au gouvernement formé par le parti politique vainqueur des élections. Finalement, le pouvoir judiciaire, celui de veiller au respect des lois, d’en sanctionner les transgressions et d’en interpréter la constitutionnalité, est consenti aux tribunaux. Concrètement, chacun de ces pouvoirs se doit d’être totalement indépendant l’un de l’autre, les organes législatifs n’ayant aucune prérogative vis-à-vis des organes exécutifs, et vice- versa. La branche judiciaire est, quant à elle, totalement indépendante et n’a donc aucun compte à rendre aux organes exécutif et législatif (Beaudoin, 1982; Vanhamme, 2013).

Au Canada, le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas formellement stipulé dans la Constitution et il n’est pas non plus appliqué aussi rigoureusement qu’aux États-Unis (Bauer, 1998). D’ailleurs, l’ensemble du système politique canadien, du régime démocratique parlementaire au mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour, participe, selon Bauer (1998), à une certaine monopolisation du pouvoir aux mains du Premier ministre, et ce, au détriment d’une répartition entre plusieurs leaders politiques, tel qu’il est possible de le constater aux États-Unis où le pouvoir est partagé entre le Président et les leaders du Congrès et du Sénat. De ce fait, à la suite de l’obtention d’un mandat majoritaire, l’exécutif détient un tel pouvoir, si peu contrebalancé par le pouvoir législatif, que certains vont comparer le pouvoir du Premier ministre à celui d’un monarque absolu (Bauer, 1998). Malgré cette apparente concentration des pouvoirs, la Loi constitutionnelle de 18678 prévoit néanmoins un principe implicite de séparation des pouvoirs qui garantit notamment l’indépendance des tribunaux. À cet égard, l’existence de la Cour suprême du Canada vient d’ailleurs baliser la monopolisation des pouvoirs puisque ce tribunal fait office d’interprète ultime de l’intégralité du droit canadien. La Cour suprême a, par voie de conséquence, le pouvoir d’invalider toute disposition gouvernementale qu’elle jugerait inconstitutionnelle. Métaphoriquement parlant, la

8 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduite dans LRC 1985, ann. II, n° 5.

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Cour suprême semble donc posséder le dernier mot (Brun, 2013). Il n’en demeure pas moins qu’à l’intérieur des limites de la Loi constitutionnelle, le Premier ministre9 possède un pouvoir considérable qui lui permet d’orienter la nation dans la direction qu’il souhaite (Bauer, 1998). Or, si cette caractéristique à tendance monopolistique de la démocratie canadienne permet de répondre avec célérité aux problèmes auxquels sont confrontés les Canadiens, elle ouvre également la porte à de possibles dérives. D’ailleurs, les analyses de ce mémoire tenteront de mettre en évidence que certaines politiques pénales, fondées et traversées par des idéaux populistes, qui furent ratifiées par Stephen Harper et son gouvernement, représentent des exemples probants de ces possibles dérives. Bien avant de se lancer dans de telles analyses, il importe de tracer les contours définitionnels de la notion de politique pénale et, plus précisément, de la différencier de la notion de politique criminelle10.

1.3 Le pénal et le criminel : Ambiguïté définitionnelle Dans le langage commun, la notion de politique pénale est, en certaines occasions, utilisée tel un synonyme de politique criminelle, une utilisation erronée puisque des différences apparentes distinguent séparent les deux notions. De prime abord, il existe à travers les sciences sociales une certaine polémique quant à la définition même du concept de politiques criminelles. Pour certains spécialistes, le champ d’action de la politique criminelle se limite strictement à la mise en œuvre de normes juridiques établies dans le droit criminel, une conceptualisation qui accorde une composante moralisante prégnante aux politiques criminelles (Givanovitch, 1960). D’autres auteurs, tels que Ancel (1975), Szabo (1978), Delmas-Marty (1992) et Baratta (1999), attribuent une signification beaucoup plus extensive à la notion de politique criminelle en la conceptualisant telle une politique qui transcende le droit criminel et pénal ainsi que tout le « phénomène » criminel. Pour eux, la politique criminelle représente l’ensemble des stratégies qui visent à analyser, prévenir ou réprimer l’ensemble des comportements troublant l’ordre social. En ce sens, pour ces auteurs, la politique criminelle représente donc non seulement le vecteur des stratégies de lutte contre la délinquance, mais également contre la déviance.

9 Notons que l’usage prédominant du masculin, dans ce mémoire, a pour unique but d’alléger le texte. 10 Il est également essentiel de ne pas confondre la notion de « politique » avec la notion de « droit ». Plus spécifiquement, le droit n’est strictement relatif qu’aux lois, qui au sens strict sont des dispositions normatives et abstraites posant des règles juridiques d’application obligatoire (Côté-Harper, Manganas et Turgeon, 1989). La politique se réfère, quant à elle, à la notion de politique publique qui englobe l’ensemble des interventions d’une autorité légitime à l’égard d’un domaine spécifique de la société. Conséquemment, l’analyse d’une politique publique permet non seulement d’étudier les dispositions prévues dans la loi, mais également tous les éléments qui justifient et entourent sa création, et ce, de sa genèse jusqu’à ses incidences pratiques (Boussaguet et coll., 2014).

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Nonobstant le désaccord définitionnel entourant la notion de politique criminelle, cette notion ne sera pas utilisée dans ce mémoire, et ce, indépendamment de sa conceptualisation. D’abord, en incluant la notion de déviance dans son champ d’action, la deuxième définition de la politique criminelle s’avère trop peu opératoire puisque cette notion n’a aucun sens substantiel en elle-même. Effectivement, la déviance – soit le fait de s’écarter d’une voie – ne peut avoir de signification que par rapport à cette voie. Ainsi toute affirmation de déviance reste vague dans la mesure où il n’existe aucune mesure de référence permettant de cerner ou de délimiter l’écart qu’elle allègue (Robert, 1984). Il est également saugrenu, à mon sens, de concevoir la politique criminelle comme une politique qui répond à tous les comportements troublant l’ordre social, puisque bien que la notion d’ordre social englobe la criminalité, elle la dépasse largement. En effet, des formes d’organisation sociale, telles que le patriarcat, sont des composantes intrinsèques de l’ordre social et par conséquent, sous cette conceptualisation, les stratégies gouvernementales qui accordent ou retirent certains privilèges aux femmes se devraient d’être considérées comme des politiques criminelles. Quant à la première définition de la politique criminelle, certes plus opératoire, son champ d’action, le Code criminel, s’avère trop restrictif pour le sujet de recherche de ce mémoire puisqu’il n’inclut pas les changements législatifs relatifs à une des cibles de prédilection du gouvernement Harper en matière criminelle, soit les infractions relatives à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (Mallea, 2011).

Pour ce mémoire, l’analyse des politiques pénales sera plutôt priorisée. Les politiques pénales se définissent, au sens large, comme un réseau de décisions et d’actions concrètes qui dynamisent la réponse à l’endroit des actes criminalisés. Plus précisément, les politiques pénales se composent de normes législatives prohibant certains comportements (les incriminations), ainsi que de la description des quantums des peines qu’encourent ceux qui transgressent ces normes et qui s’individualisent dans les peines prononcées par la justice pénale. Remarquons que la notion de politique pénale ne se limite pas à la simple description des incriminations et des peines; elle englobe également tout ce qui est rattaché à sa conception et à ses applications (Enguéléguélé, 1998).

1.4 Objet d’étude : Les politiques pénales En considération des précédentes explications, les politiques pénales seront privilégiées pour documenter le possible ancrage populiste en matière pénale du gouvernement Harper, et ce, dans la mesure où leurs champs d’action touchent directement les éléments interpelés à priori pour cette recherche, soit la mise en forme et l’application des incriminations ainsi que les sanctions pénales leur étant rattachées. D’ailleurs, dans les études portant sur l’évolution des tendances pénales canadiennes, la notion de politique pénale est celle qui est priorisée par plusieurs auteurs tels que

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Lalande (2000), Lamalice (2006) et Landreville (2007). Dans cette optique, les politiques pénales qui furent érigées, modifiées ou abrogées par le gouvernement Harper représentent l’objet d’étude de ce mémoire. Au-delà de la définition générale de la politique pénale, il semble nécessaire, pour permettre la réalisation de fines analyses desdites politiques, d’approfondir la compréhension des fondements sur lesquels la peine est érigée.

1.5 Les fondements des politiques pénales et de la peine Il a été explicité que les politiques pénales consistent en la mise en œuvre de normes législatives balisant les actions humaines et l’application des peines qu’encourent ceux qui les transgressent. Si le crime peut être perçu comme l’incarnation des valeurs dominantes du bien et du mal à l’intérieur d’un système sociétal de références intellectuelles, la peine, de par sa conjecturale triple nature, revêt quant à elle une signification beaucoup plus complexe. La peine peut, en effet, prendre les formes, non mutuellement exclusives, d’une répression postdélictuelle religieuse (ex. la damnation éternelle), sociale (ex. l’ostracisme) ou juridique (ex. l’incarcération) (Jeanclos, 2012). Sur le plan juridique, le terme « peine » est un dérivé du latin pondus (poids) et ponere (poser sur). À la lumière de ces étymons, la peine apparaît comme un poids qui pèse sur l’esprit et le corps du citoyen reconnu coupable; elle possède ainsi un caractère à la fois afflictif et infamant. La peine est afflictive parce qu’elle frappe le condamné de diverses manières et que, par conséquent, elle impose une souffrance. Elle est également infamante puisqu’elle désigne celui qu’elle atteint de la réprobation sociale (Jeanclos, 2012). D’un point de vue légal, la peine est un terme générique désignant l’ensemble des dispositions prévues pour sanctionner toute violation de la loi (Lacomme, 1994). Sur un plan plus philosophique, la peine est également pensée tel un baume qui favorise la cicatrisation des plaies physiques, psychologiques, matérielles et juridiques créées par l’infraction (Jeanclos, 2012). Pour d’autres, encore, qui s’intéressent à la peine à travers le contexte culturel, social, économique et politique dans lequel elle est mise en œuvre, elle s’avère plutôt un instrument de régulation sociale permettant le retour à l’ordre social établi, momentanément ébranlé par l’infraction (Parein, 2010).

Cette brève liste d’interprétations du sens de la peine se trouve à des années-lumière de l’exhaustivité dans la mesure où les querelles doctrinales à propos du sens de la peine divisent sociologues, juristes, criminologues et philosophes qui ont proposé, et continuent de proposer, diverses acceptions de la peine. Celle-ci revêt donc un caractère incontestablement polysémique. Nonobstant l’intérêt scientifique que peut représenter l’étude des divers sens de la peine, pour les fins de ce mémoire, il ne serait d’aucune d’utilité de se lancer dans une analyse exhaustive de ces multiples sens. Pour les analyses de ce mémoire, il s’avère toutefois essentiel de décrire les visées contemporaines de la peine,

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au sens pénal du terme, dans le but de commenter leur évolution et de documenter les possibles traces de populisme.

1.5.1 L’article 718 du Code criminel et les objectifs de la peine Au Canada, les objectifs de la peine sont énoncés à l’article 718 du Code criminel11 : elle vise à la fois la dénonciation de l’acte, la réparation des torts causés, la dissuasion et la neutralisation, ainsi que la réinsertion et la responsabilisation des personnes condamnées. Dans ces conditions, la peine revêt donc un caractère plurifonctionnel. Or, malgré la présence formelle de tels objectifs, le sens de ceux-ci demeure pourtant mal compris et leur usage s’avère inconstant (Lachambre, 2013).

1.5.2 Les théories de la peine et la rationalité pénale moderne En sociologie du droit, les visées de la peine ne sont pas considérées comme de simples objectifs édictés par la loi. Elles se sont constituées en véritables théories de la peine dont la conjonction fonde et module littéralement l’ensemble de la pénalité12. De prime abord, il faut spécifier que les théories de la peine ne sont pas des théories dites scientifiques, mais bien des théories « pratiques », comme l’entend Émile Durkheim dans son ouvrage Éducation et Sociologie, publié de manière posthume en 1922. Concrètement, l’épithète « pratique » signifie que le but de ces théories n’est pas de décrire ou d’expliquer ce qui est ou ce qui a été, mais bien de proposer certaines pratiques. En d’autres mots, la finalité de ces théories est donc d’édicter des préceptes de conduite (Durkheim, 2002).

D’une manière générale, les théories de la peine sont considérées comme des cadres de référence qui servent à baliser la pénalité. Elles sont donc des recommandations qui indiquent aux divers acteurs les possibilités admissibles ou valorisées ainsi que les possibilités non admissibles ou non valorisées en matière de sanction pénale. À cet égard, les théories de la peine tendent à s’établir comme un cadre théorico-normatif délimitant les frontières de la pénalité et mettant de l’avant certaines sanctions. En ce sens, les théories de la peine cristallisent la sélection, la stabilisation et la prééminence de certaines sanctions au détriment d’alternatives qui seraient opérationnellement possibles. Ainsi, bien qu’il existe d’autres modélisations de la pénalité moderne, les théories de la peine constituent une formation discursive hégémonique, formant le « système de pensée » prééminent de la justice pénale occidentale (Garcia, 2013). À cet égard, pour mesurer toute l’emprise de ce système, il suffit de tenter de penser la justice pénale « autrement » pour ainsi se heurter à l’herméticité des frontières

11 Code criminel, LRC 1985, c. C -46. 12 Pour ce mémoire, la pénalité se définit comme un système de référence contenant l’ensemble des peines infligées par une instance étatique comme mesure répressive sanctionnant des délits de nature pénale.

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épistémologiques et cognitives de celui-ci. Il s’agit d’ailleurs d’un système autosuffisant qui a acquis un caractère axiomatique (Pires, 2001).

Plus précisément, il s’agit d’un système principalement centré sur la (sur)valorisation de la souffrance et de l’exclusion sociale du condamné et dans lequel les crimes s’expliquent par l’insuffisance de contrôle. La rationalité pénale moderne tend à promouvoir une vision hostile, abstraite, négative et atomiste de l’intervention pénale et de l’affirmation des normes. De ce fait, l’ensemble des décisions prises à travers le prisme de la rationalité pénale moderne se base sur une conception des individus criminalisés tels des ennemis de la société et une représentation de la peine comme un dispositif qui se doit de causer un bien moral immatériel (ex. rétablir la justice par la souffrance) ou encore de prévenir une pratique invisible et future (ex. la dissuasion). Il s’agit également d’un système de pensée qui exclut ou marginalise considérablement les sanctions visant à réaffirmer le droit par une action positive (ex. le dédommagement) et postule que seul le mal distribué par la punition peut produire un bien-être pour le groupe et réaffirmer la valeur de la norme de ce système. Finalement, ce système de pensée s’inscrit aussi dans une perspective atomiste de la peine au sens où la justice pénale se préoccupe peu des effets spécifiques et collatéraux de la peine en ce qui a trait, par exemple, à la préservation des liens sociaux concrets entre les personnes (Pires, 2001).

Loin de moi l’idée de privilégier, ici, une perspective déterministe et ainsi affirmer l’existence d’un lien de causalité directe entre les théories et les pratiques pénales. Les théories ne « déterminent » pas les sanctions pour tel ou tel type de crime; les théories de la peine proposent plutôt les pratiques et fournissent aux acteurs des raisons et des motifs pour justifier les choix des sanctions; les théories de la peine sont donc prescriptives (Garcia, 2013). D’ailleurs, remarquons que la rationalité pénale moderne n’explique pas pourquoi un comportement est criminalisé et devient une norme de comportement. Elle explique plutôt pourquoi la peine rattachée à ce nouveau crime a plus de chance d’être la prison, par exemple, que le dédommagement. En d’autres termes, la rationalité pénale moderne n’est pas l’idéologie du droit pénal, elle est la manière dominante de penser et de pratiquer les peines.

Somme toute, bien que la description des théories de la peine soit faite de manière succincte dans ce mémoire, il s’agit d’un survol essentiel puisque l’intégralité des pratiques pénales canadiennes s’inscrit dans le système de pensée précis qui résulte de la conjonction de ces diverses théories13. Qui

13 Bien que certains conçoivent les mesures de justice alternative telles des pratiques s’inscrivant à l’extérieur du système de pensée de la justice pénale, à mon sens, dès l’instant où ces pratiques sont récupérées et

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plus est, les théories de la peine s’avèrent également utiles pour cette recherche du fait que ces théories se retrouvent, de manière implicite et explicite, à maintes reprises dans les débats parlementaires utilisés pour les analyses principales de ce mémoire. La prééminence et l’absence de certaines théories serviront d’ailleurs à illustrer la présence du populisme dans la philosophie pénale du gouvernement Harper.

Dans les écrits, le nombre de théories de la peine reliées à la rationalité pénale moderne varie quelque peu. Les théories de la rétribution et de la dissuasion sont toutefois inévitablement présentes dans la mesure où ces deux théories forment la matrice nucléique de ce système de pensée pour la simple et bonne raison qu’elles en constituent la matrice la plus forte et la plus incontournable (Cauchie et Kaminski, 2007). Les autres théories qui se retrouvent les plus couramment reliées à la rationalité pénale moderne sont les théories de la réhabilitation et de la dénonciation (Garcia, 2013). Dans de plus rares occasions, la théorie de la neutralisation est également rattachée à ce système de pensée (Xavier, 2012). Les prochaines sections traitent, brièvement, de ces cinq théories.

1.5.2.1 La théorie de la rétribution La première théorie de la peine est relative au rétributivisme, un terme utilisé par Immanuel Kant pour désigner la justification du châtiment moral. La théorie de la rétribution est en effet attribuée aux travaux du philosophe allemand dans lesquels il est stipulé que la peine est une conséquence naturelle et moralement obligatoire s’avérant nécessaire au retour de l’ordre établi (Pires, 1998a). Sur un plan plus contemporain, selon la théorie de la rétribution, l’individu est un sujet libre et rationnel qui a délibérément choisi de désobéir à la loi. Ainsi, dans le but de rétablir le respect de la loi, il se doit d’être châtié en conformité avec sa faute, et ce, même si la punition ne l’amende pas et n’a aucune portée dissuasive. De ce fait, la sanction ne vise qu’à restaurer l’équilibre social ébranlé par le comportement du transgresseur (Pires, 1990).

Nonobstant les présupposés de cette théorie, sur le plan pratique, ces postulats offrent peu d’emprise pour l’analyse des liens entre la punition et le retour à l’ordre établi au moyen d’observations empiriques. Autrement dit, il semble difficile de démontrer empiriquement que le « mal » institutionnellement distribué par l’entremise de la punition rétablit ou non la justice (Dubé, 2008). D’ailleurs, comme l’avance Nils Christie (1982), rien ne laisse croire que le degré de douleur actuellement infligé aux individus déclarés coupables s’avère juste ou naturel. Nonobstant ces

dispensées par des instances formelles, elles restent limitées par les frontières de la rationalité pénale moderne qu’elles n’arrivent pas à outrepasser pour représenter de réelles « alternatives ».

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critiques substantielles, la théorie de la rétribution continue néanmoins d’avoir un fort ascendant sur la pénalité dans maintes sociétés occidentales, dont le Canada.

1.5.2.2 La théorie de la dissuasion La seconde théorie de la peine est celle de la dissuasion. Dans sa forme moderne, cette théorie fut développée par Césaré Beccaria qui avança l’idée que la présence de certaines variables, à une certaine intensité, telles que l’exclusion sociale par le biais de l’incarcération14, peut suffisamment marquer l’esprit du citoyen pour entraver ses desseins illicites. Ainsi, selon le marquis italien, si la justice pénale délivre des châtiments suffisamment sévères pour engendrer des coûts qui surpassent les bénéfices liés à la commission d’un acte criminel, le citoyen choisira nécessairement l’inaction. Il est toutefois intéressant de noter que selon Beccaria, la certitude de la peine s’avère beaucoup plus efficace que la sévérité de cette dernière dans la mesure où l’application certaine d’une peine ne manque jamais de frapper les esprits, tandis que la crainte de faire face à la sévérité est, elle, inévitablement tempérée par l’espoir de l’impunité (Pires, 1998b). La dissuasion pénale peut prendre deux formes : la dissuasion spécifique, qui a comme objectif de contrecarrer la récidive, et la dissuasion générale, qui a, quant à elle, la visée de dissuader les autres membres de la société de perpétrer des crimes semblables. Pour évaluer l’efficacité de la dissuasion, Zimring et Hawking (1973) vont distinguer la dissuasion absolue de la dissuasion relative. La première est rattachée au fait de savoir si une sanction précise est dissuasive. La seconde concerne plutôt la présupposition qui atteste que le fait d’attacher une peine plus sévère représente un facteur de dissuasion plus puissant.

Indépendamment de ces diverses formes de dissuasion, la théorie de la dissuasion est aujourd’hui la pierre angulaire de la justice pénale canadienne, et ce, malgré d’acerbes critiques quant à son efficacité réelle. De nombreuses recherches menées par Fattah (1976), Nagin (1998), Tonry (2009), Dubé (2012), Travis et Western (2014), pour ne nommer que ceux-ci, ont effectivement remis en question, voire même contesté, la présupposée efficacité de la dissuasion pénale. Pour ne résumer que quelques-unes de leurs critiques, il semblerait que la dissuasion ne prenne pas en compte l’appréciation subjective de la personne quant à la probabilité qu’il soit trouvé, arrêté et puni. En d’autres termes, si une personne croit être en mesure d’échapper à la police ou à la justice, même la plus comminatoire des peines ne saura le dissuader. Une autre critique est que l’efficacité de la dissuasion est fondée sur la présupposition selon laquelle chaque action humaine est nécessairement

14 La prison n'est pas la seule peine prévue dans l’ouvrage Des délits et des peines de Beccaria (2015). Or, la théorie de la dissuasion offre un support cognitif à la généralisation et à la stabilisation de la prison comme peine par excellence du droit pénal. À ce sujet, voir Dubé (2014).

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basée sur un choix rationnel, ce qui, concrètement, semble plutôt relever de l’utopie que de la réalité15. Pour nuancer les derniers propos, il ne s’agit pas de prétendre que les sanctions n’ont aucune portée dissuasive, car il est logique et même avéré que le fait de rattacher des conséquences incommodantes à une action va diminuer la tendance des gens à s’y livrer. Il s’agit plutôt de remettre en question l’idée récurrente selon laquelle l’augmentation de la sévérité des peines dissuadera un plus grand nombre de personnes de commettre un crime (Fattah, 1976).

1.5.2.3 La théorie de la dénonciation Parmi les théories de la peine, la théorie de la dénonciation est la plus récente et par le même fait la moins étudiée. Certains auteurs notent que les contours de cette théorie s’avèrent plutôt flous, celle- ci étant même parfois perçue telle une simple variante de la rétribution. Selon la théorie de la dénonciation, la peine a pour but d’exprimer le degré de réprobation du public vis-à-vis des actes criminalisés. Selon cette théorie, la peine serait une réponse afflictive, voire un instrument, permettant d’exprimer un jugement moral à l’égard du crime dans le but de réaffirmer les valeurs fondamentales de la société. Par conséquent, les objectifs de la théorie de la dénonciation ne sont pas empiriques, mais bien symboliques. En ce sens, la peine ne représente que l’imposition d’une souffrance et, comparativement à la rétribution, il ne s’agit pas d’une souffrance expiatoire, mais plutôt d’une souffrance gratifiante et rassurante pour le public. Ainsi, cette souffrance permettrait de réaffirmer aux membres de la société qu’ils croient en des valeurs saines, valables et justes qui ne doivent pas être violées (Lachambre, 2011). En résumé, cette théorie recommande d’imposer une peine infligeant une souffrance proportionnelle au sentiment de haine ou de désapprobation du public. Des peines sévères peuvent donc être fixées et attribuées avec la visée de renforcer le sentiment de désapprobation du public. Ainsi, selon cette théorie, « l’opinion publique »16 représente une composante intrinsèque de la punition (Lachambre, 2011).

1.5.2.4 La théorie de la réhabilitation Dans la rationalité pénale moderne, la théorie de la réhabilitation se divise en deux grands paradigmes, soit la théorie de la réhabilitation carcérale et la théorie de la réhabilitation tributaire des mouvements

15 Que ce soit sous l’emprise de stupéfiants ou sous le joug d’un état passionnel, certaines personnes peuvent se retrouver momentanément dans l’incapacité de prendre en considération les préjudices ou d’évaluer les conséquences de leurs actes, éliminant ainsi l’intégralité de l’effet dissuasif que pourrait avoir la sanction. Dans ces circonstances, la personne reste responsable de ces actes, il ne s’agit pas d’un trouble psychologique incapacitant pouvant mener à un verdict de non-responsabilité criminelle. Elle n’est simplement pas en mesure d’évaluer la portée des conséquences de ses gestes, des conséquences telles qu’une sanction pénale. 16 En sociologie, la notion d’opinion publique est plutôt polémique et sera déconstruite dans le chapitre 4.

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de réformes pénales des années 1960 (Xavier, 2012)17. Ce mémoire se limite uniquement à la description du second paradigme dans la mesure où il s’agit de celui qui prévaut actuellement. De prime abord, la théorie de la réhabilitation se base sur l’idée selon laquelle les individus criminalisés sont des êtres malléables sur lesquels l’État peut exercer une intervention qui a le pouvoir de les transformer en des citoyens dociles et respectueux de la loi. Ainsi, pour les tenants de la réhabilitation, les peines doivent être modulées aux « besoins » de l’individu et non à la gravité du crime (Cullen et Gilbert, 1982).

Selon le second paradigme de la théorie de la réhabilitation, pour obtenir des résultats optimaux, la réhabilitation se doit d’être vécue en milieu ouvert et, donc, les pratiques pénales devraient valoriser la réduction du temps carcéral, les sanctions non carcérales, ainsi que la pratique de mesures prélibératoires (Dubé, 2008). Somme toute, depuis plusieurs décennies, la théorie de la réhabilitation représente une composante majeure de la pénalité canadienne. Critiquée par certains et encensée par d’autres, son efficacité demeure toutefois un sujet ouvert à de vives polémiques (Lamalice, 2006). La thématique de la réhabilitation et son ascendance ont donc connu maintes fluctuations au cours des dernières décennies.

1.5.2.5 La théorie de la neutralisation Sur le plan définitionnel, la théorie de la neutralisation s’avère plutôt simple, il s’agit d’infliger une peine qui neutralise la personne criminalisée, principalement par l’entremise de l’incarcération, et l’empêche ainsi de récidiver. Selon cette théorie, la peine se transforme en un simple instrument de coercition et d’isolement des individus et des groupes jugés problématiques, ce qui entraînerait une réduction importante de la prévalence des actes criminalisés (Xavier, 2012). En outre, cette théorie s’appuie sur la longueur des peines d’incarcération dans la mesure où elle encourage les pratiques d’incarcération sur le long terme, voire des incarcérations définitives (Zimring et Hawkins, 1995).

L’avènement, dans les années 1980, de la nouvelle gestion actuarielle du risque, qui a objectif d’identifier les facteurs influençant le risque de récidive, a actualisé l’importance de cette théorie. Cette gestion du risque de récidive va, par le même fait, orienter les pratiques correctionnelles et libératoires desquelles bénéficiera le détenu (Vacheret et Cousineau, 2005). De ce fait, la prédiction est le concept central de la gestion du risque, et ce, même si la validité et la fidélité de la prédiction

17 Soulignons qu’une autre théorie de la réhabilitation, soit celle non-carcérale, semble échapper, du moins en partie, à la rationalité pénale moderne (ex. le discours sur la réhabilitation du Rapport Ouimet). Pour plus de détails, voir Xavier (2012).

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actuarielle sont remises en question par certains spécialistes (Côté, 2001). D’ailleurs, certains auteurs soulignent que les pratiques de neutralisation à long terme ne semblent pas influer sur la criminalité ou les taux de récidive (Travis et Western, 2014). Malgré ces critiques, la gestion du risque est devenue une composante fondamentale de l’appareil pénal canadien (Xavier, 2012).

1.6 Remarques conclusives Après avoir abordé de nombreuses notions préliminaires à la compréhension de la justice pénale, telles que les fondements démocratiques canadiens ou les diverses acceptions de la peine, il est primordial de terminer cette section sur les prolégomènes en réaffirmant que la conjonction des théories de la peine crée un système de pensée autosuffisant et hégémonique, la rationalité pénale moderne, au sein de laquelle tous les phénomènes objectivé en crime sont entendus en termes d’insuffisance de contrôle et d’impunité, et dont les contours délimitent l’ensemble des pratiques pénales occidentales. En ce sens, leurs principes constituent non seulement le fondement de la pénalité moderne, mais ils délimitent également l’évolution des tendances pénales. Pour Pires (2001), l’emprise inéluctable de ce système sur la pénalité représente d’ailleurs un obstacle épistémologique et cognitif majeur à la résolution de bon nombre de difficultés que la justice pénale n’arrive pas à surmonter. Ainsi, le fait de comprendre ce système de pensée permet de mieux saisir comment la justice pénale évolue ou encore comment elle n’évolue pas. Par voie de conséquence, il ne faudra pas oublier, dans l’analyse de l’évolution des tendances pénales canadiennes, que l’ensemble des réformes pénales s’imbrique à travers les principes, mais surtout les limites, de ce système de pensée formé par les théories de la peine18.

18 Dans le but d’alléger le texte, le terme « théorie » ne sera pas sans cesse répété; ainsi, les termes « réhabilitation », « neutralisation », « dissuasion », « rétribution » et « dénonciation » seront plutôt privilégiés.

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Chapitre 2 – Les tendances pénales canadiennes : De l’idéal de réhabilitation au populisme pénal « Harperien »

Grâce aux propos préliminaires tenus dans le premier chapitre de ce mémoire, il est maintenant possible de traiter du sujet central de cette recherche, soit l’analyse de l’évolution des tendances pénales canadiennes et plus précisément la possible montée du populisme dans le champ pénal canadien pendant l’ère conservatrice de Stephen Harper. Pour y arriver, le présent chapitre se divise en trois grandes sections. Dans la première, il est question de faire état de l’évolution de la sphère pénale canadienne afin de mettre en exergue comment les choix en matière pénale du gouvernement Harper semblent avoir engendré des tendances punitives inédites pour le Canada. Poussant la réflexion à un autre niveau, la seconde section de ce chapitre transcende la question des tendances pénales afin de dresser un portrait global de la relation que le gouvernement Harper a entretenue avec la justice pénale, une description qui constitue la problématique de ce mémoire. Cette problématique permettra d’ailleurs de tisser les premiers liens entre la philosophie pénale du gouvernement Harper et le populisme pénal. À partir de ces liens, j’explicite, dans la dernière section de ce chapitre, la question et les objectifs de recherche ainsi que les pertinences sociale et scientifique de ce mémoire.

2.1 Les mutations pénales canadiennes Pour jeter une lumière sur le possible ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale, il apparaît fondamental de situer son apparition et son effervescence à travers l’évolution de la justice pénale. Dans le cas de ce mémoire, qui porte spécifiquement sur le populisme pénal, il convient de remonter la rétrospective des mutations de la justice pénale à l’avènement du soi-disant virage punitif (punitive turn) qui, selon plusieurs auteurs, aurait frappé l’ensemble des sociétés libérales occidentales à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Conséquemment, pour ce mémoire, la période à l’étude sera découpée en deux, soit une première période qui regroupe les années 1980 à 2005 et une seconde qui regroupe les années 2006 à 2015, correspondant à la période dans laquelle le gouvernement de Stephen Harper se retrouva à la tête du gouvernement Canadien. Ce découpage permettra de mettre en exergue la présence ou l’absence, en sol canadien, des tendances punitives généralement associées au virage punitif avant l’ère Harper. Par la suite, des contrastes avec les transformations de l’appareil pénal advenues sous l’administration Harper seront tracés dans le but de relier le gouvernement Harper et le populisme pénal, des liens sur lesquels sont érigés la question de recherche et les objectifs corrélatifs qui guideront les analyses principales de ce mémoire.

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2.2 Le concept de virage punitif Selon plusieurs auteurs, les démocraties libérales occidentales19 ont été le théâtre pendant les deux dernières décennies du 20e siècle d’un tournant répressif, communément appelé virage punitif, constitué de la mise en œuvre d’une constellation de mesures répressives engendrant une profonde transformation de l’univers pénal dans un espace social donné (Garland, 2001; Hallsworth, 2002; Hogeveen, 2005). Si pour des pays tels que les États-Unis et l’Angleterre ce virage semble avéré et indubitable, certains spécialistes vont affirmer, au début des années 2000, que le Canada a, quant à lui, résisté d’une manière plutôt efficace à cette vague punitive (Meyer et O’Malley, 2005; Doob et Webster, 2006). Avant de prendre position quant à l’occurrence, ou non, d’un virage punitif en sol canadien entre 1980 et 2015, les positions de divers spécialistes qui ont traité du virage punitif en sol canadien, sont résumées dans la section subséquente.

2.2.1 Le virage punitif canadien : Réalité ou mythe ? Dans une perspective générale, Hallsworth (2002) affirme que le virage punitif qui a marqué les États- Unis à la fin des années 1970 imprégna également, d’une manière moins significative, le champ pénal des autres démocraties occidentales, dont le Canada. Son hypothèse se base sur l’abandon globalisé de l’économie pénale moderne au détriment d’une économie de l’excès punitif fondée sur des valeurs (re)légitimant la douleur, les peines viscérales et la punition destructrice. Dans la même lignée, Garland (2001) aborde le virage punitif en traitant de l’effondrement et de la disparition généralisée de la pénalité moderne20. Bien que son analyse se base sur le cas des États-Unis et de la Grande- Bretagne, il va laisser entendre que sa thèse s’applique tout aussi bien aux autres sociétés occidentales.

Se concentrant plus précisément sur la réalité canadienne, Hogeveen (2005) va lui aussi étayer la thèse du virage punitif à la suite d’une étude approfondie de la réforme de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents de 2003. Plus précisément, selon lui, cette réforme a fortement enraciné, d’un point de vue qualitatif, la justice pour mineurs dans des idéaux punitifs et rétributifs, et ce, à la suite de vives revendications citoyennes. D’un point de vue statistique, Sprott et Snyder

19 Bien que les pays de tradition politique sociale-démocrate s’ancrent dans la rationalité pénale moderne, ils n’entrent pas dans les démocraties dites « libérales ». Les sociales démocraties, telles que pratiquées dans les pays scandinaves, n’entrevoient pas l’individu criminalisé comme un paria, mais plutôt comme une personne ayant besoin de resocialisation. Or, cette resocialisation ne relève pas seulement de la responsabilité du gouvernement ou des services correctionnels, mais bien de l’ensemble de la collectivité. Ainsi, les sociales démocraties mettent en œuvre des pratiques carcérales novatrices sur le plan de la réhabilitation et utilisent avec parcimonie les peines privatives de liberté. Par conséquent, les sociales démocraties affichent des taux d’incarcération relativement faibles et sont donc étrangères au virage punitif (Shammas, 2014). 20 La pénalité moderne est une perspective de la peine dans laquelle les discours, les législations et les pratiques pénales sont presque exclusivement tournés vers la réhabilitation des contrevenants (Garland, 2001).

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(1999) vont, quant à elles, affirmer, malgré la complexité des données21, que le Canada avait recours, à cette époque, à son appareil de justice pour mineurs dans une proportion beaucoup plus importante que les États-Unis. Pour appuyer leur thèse, Sprott et Snyder rapportent qu’entre 1991 et 1995 le taux de mise sous garde a oscillé entre 764 et 820 par 100 000 jeunes canadiens âgés de 10 à 17 ans. Pendant la même période, le taux de mise sous garde étatsunien n’a quant à lui jamais dépassé la barre des 530 (Sprott et Snyder 1999).

D’autres spécialistes vont prétendre que l’avènement d’une pénalité plus répressive fut directement tributaire de la montée des politiques néoconservatrices de l’administration de Brian Mulroney, et ce, même si plusieurs recherches avancent que la philosophie pénale de Mulroney ne fut pas aussi fortement imbriquée dans l’idéologie law and order22 que celle de ses alliés conservateurs de l’époque, Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Plus précisément, certains experts affirment que les conditions économiques modulent les niveaux de sévérité pénale et que, par conséquent, la stagnation de l’économie et la montée du taux de chômage, découlant des politiques néoconservatrices de l’époque, ont engendré un accroissement notable des taux d’incarcération (Hatt, Caputo et Perry, 1992). À cet égard, dans le but de documenter les liens entre les conditions économiques et le degré de sévérité pénale, Mandel (1991) a comparé les taux d’incarcération ayant eu cours durant la Grande dépression des années 1930 à ceux de l’ère Mulroney et a conclu que les années 1980 représentaient, en date de 1991, la décennie la plus répressive de l’histoire du Canada.

À l’inverse, Zedner (2002) critique et nie l’existence d’un virage punitif. Plus précisément, elle argue que les criminologues et les sociologues aurait une tendance à amplifier les constats de rupture en matière pénale et à parler avec « nostalgie » de l’évolution des tendances pénales (Zedner, 2002 : 344). Or, pour Zedner, bien que les discours politiques étaient imprégnés d’idéaux pro-réhabilitation dans les années 1950 et 1960, l’application du droit conservait, lors de ces années, une connotation largement répressive. Par voie de conséquence, le concept de « virage » punitif serait donc exagéré.

21 Il s’avère plutôt ardu de comparer les statistiques étatsuniennes et canadiennes en ce qui a trait à la justice pour mineurs, et ce, pour deux raisons. D’abord, aux États-Unis, chaque État définit l’orientation de sa justice pour mineurs, il y a donc beaucoup plus de variations entre les États américains qu’entre les provinces canadiennes, des variations considérables qui sont largement obscurcies dans les statistiques. De plus, les États-Unis renvoient des mineurs au tribunal pour adultes dans des proportions beaucoup plus élevées que le Canada, des cas qui auraient pu, hypothétiquement, aboutir en une peine de mise sous garde (Sprott et Snyder 1999). 22 Cette idéologie est fondée sur une conception sévère et stricte de la justice pénale, particulièrement pour les crimes violents et les crimes contre la personne. Par conséquent, cette idéologie valorise un recours accru à l’emprisonnement et même à la peine de mort (Garkawe, 1995).

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Dans cette veine, plusieurs experts avancent que la relative stabilité des taux d’incarcération canadiens lors de la deuxième moitié du 20e siècle atteste de l’inexistence d’un virage punitif en sol canadien (Meyer et O’Malley, 2005; Doob et Webster, 2006). De surcroît, d’autres auteurs vont affirmer que le Canada ne fut pas en proie à un déferlement de mesures répressives puisque les robustes théories et pratiques providentialistes, propres au Canada, ont entravé l’ascension des pratiques répressives habituellement associées au virage punitif 23 (Meyer et O’Malley, 2005; Moore et Hannah-Moffat, 2005; Landreville 2007). Dans la même lignée, Landreville (2007) affirme que sur le terrain, le Canada n’a pas connu de vagues punitives grâce à la résistance d’acteurs, tels que des procureurs, des juges et intervenants des milieux correctionnels partageant des valeurs de justice sociale, d’équité, de solidarité et qui croyaient fortement à la réhabilitation.

D’autre part, certains auteurs vont plutôt adopter une position plus nuancée en affirmant que l’archipel pénal canadien fut traversé par une tendance duale, ce qui fait référence à des peines plus sévères à l’égard des crimes jugés comme graves, alors qu’à l’inverse, des mesures peu contraignantes sont préconisées pour les personnes déclarées coupables d’infractions de moindre gravité. En d’autres termes, il s’agit de l’implantation d’une double rationalité pénale, soit la neutralisation à long terme pour les individus jugés dangereux et la réhabilitation pour les individus criminalisés dits primaires (Roberts, 2001a; Prates 2013).

Finalement, sans prendre position, des auteurs tels que Chantraine (2007) et Harcourt (2008) remettent en question les statistiques carcérales qui témoignent des virages punitifs. Pour eux, il est trompeur d’évaluer les fluctuations des taux d’incarcération sans repenser l’appréhension criminologique de la carcéralisation pour y inclure les autres pratiques d’enfermement. Plus précisément, pour ces auteurs, la désinstitutionalisation psychiatrique constitue également une variable explicative de la fluctuation des taux d’incarcération. En ce sens, lorsque les taux d’hospitalisation psychiatrique, de nature involontaire, sont additionnés aux taux d’incarcération, les courbes des taux d’incarcération relatives aux virages punitifs dans divers pays sont beaucoup moins substantielles. Sans affirmer que ce sont les personnes désinstitutionnalisées qui se retrouvent

23 Mentionnons également que l’application des lois n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire canadien. Le Québec, comparativement aux provinces situées plus à l’ouest, semble moins enclin à mettre en application des mesures démesurément axées sur des principes de sévérité pénale. En guise d’exemple, dans les années 1990, l’ mettait de l’avant l’accentuation de l’emprisonnement, la rétribution et l’allongement des peines privatives de liberté, tandis que le Québec parlait plutôt de fermer des prisons et d’accentuer les mesures alternatives (Lemire, 1996). Bien qu’il soit intéressant sur le plan sociologique et politique d’étudier les disparités d’application de la loi entre les provinces, l’étendue d’un mémoire de maîtrise ne me permet pas de m’y attarder plus en détail.

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invariablement incarcérées, ces auteurs invitent à repenser le carcéral à travers le prisme de l’institutionnalisation et ainsi à traiter de l’« incapacitation » institutionnelle, plutôt que de l’incarcération (Harcourt, 2008; 26). D’ailleurs, au Canada, au fur et à mesure que le nombre de lits réservés aux soins psychiatriques a diminué, la capacité des institutions carcérales a, quant à elle, augmenté (Chaimowitz, 2012). Il ne faudrait donc pas rejeter trop rapidement les possibles liens entre ces deux composantes, quoique cette problématique dépasse largement les contours de ce mémoire.

Compte tenu de ce qui précède, il est indéniable qu’il existe bel et bien, à travers la communauté scientifique, un véritable débat quant à l’avènement ou non d’un virage punitif dans le champ pénal canadien. Qui plus est, peu importe la position adoptée, il semble également que chacune de ces positions soit discutable. Face à cette dissension, la thèse défendue dans ce mémoire s’avère plutôt nuancée, rejetant les deux pôles de ces opinions, mais ne réfutant pas l’une ou l’autre des propositions. Plus précisément, ce mémoire soutient qu’entre les années 1980 et 2005, certains changements sont survenus dans l’univers pénal canadien et ont engagé le Canada dans une voie plus répressive, mais d’une manière somme toute limitée. Ainsi, le pays n’aurait pas connu un virage punitif aussi outrancier que celui d’autres démocraties contemporaines. En revanche, l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper semble avoir engendré un véritable impetus de punitivité dans la mesure où plusieurs réformes entérinées par cette administration ont attisé les pratiques et les discours propres au virage punitif qui, à mon sens, n’en était auparavant qu’à ses premiers balbutiements en sol canadien.

Pour étayer cette position, j’ai choisi d’utiliser la thèse de Carrier (2010) qui identifie trois grands symptômes constitutifs du virage punitif. Cette thèse est, à mon avis, plus opérationnelle pour traiter du virage punitif, puisque les critères qu’elle propose sont davantage mesurables empiriquement contrairement aux thèses d’autres auteurs tels que Garland (2001), Salas (2005) et Fassin (2017), pour ne nommer que ceux-ci, qui traitent du virage punitif d’une manière beaucoup plus abstraite et théorique. Selon Carrier (2010), les trois symptômes du virage punitif sont l’accroissement de la population carcérale, l’émergence d’un espace carcéral globalement postdisciplinaire et la mise en place d’une pénalité politisée et expressive. Les prochaines sections sont consacrées à la description et à l’occurrence de ces symptômes à travers les deux époques temporelles précédemment décrites.

2.2.2 Les symptômes constitutifs du virage punitif Le premier symptôme, d’ordre purement quantitatif, correspond à l’explosion carcérale. Il constitue généralement le principal indicateur d’un virage punitif et témoigne d’une augmentation substantielle

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de la population carcérale24 (Carrier, 2010). Le boom carcéral le plus manifeste s’observe aux États- Unis qui, après avoir connu des taux d’incarcération relativement stables avoisinant les 110 prisonniers par 100 000 habitants entre les années 1920 et 1970, ont vu leur population carcérale décupler de manière exponentielle, atteignant un apogée en 2008 avec 755 personnes incarcérées par 100 000 habitants (Carrier, 2010). En 2015, 25 % de la population carcérale mondiale était d’ailleurs incarcérée en sol étatsunien (Walmsley, 2015), une réalité plutôt paradoxale pour un pays qui s’autoproclame être the land of the free.

Le second symptôme du virage punitif est la transformation des logiques de gestion des populations criminalisées qui sont corollaires à l’émergence d’un espace carcéral post-disciplinaire. Dans cette optique de la peine, l’organisation et les pratiques de l’univers carcéral ne sont plus orientées vers des objectifs de normalisation du détenu, ce que Foucault appelait « le dressage des corps et des esprits » (Foucault, 1975; 200). Bien au contraire, n’étant plus investie du projet de réhabilitation, l’incarcération devient alors une simple mesure de rétribution, de coercition et de neutralisation. En d’autres termes, il s’agit de l’abandon plus ou moins généralisé de l’idée moderne selon laquelle l’incarcération représentait une possibilité de transformer, « discipliner », voire produire un sujet libre et rationnel pouvant réintégrer et contribuer à la société. De surcroît, cette dissociation de l’incarcération et du projet disciplinaire d’amendement du condamné immunise l’institution carcérale en cas de récidive, déplaçant la critique vers les peines d’incarcération trop courtes et les politiques de libération trop laxistes. Tel un cercle vicieux, la récidive devient par conséquent une preuve de la neutralisation trop courte du détenu, justifiant ainsi l’allongement des peines (Carrier, 2010).

Le troisième symptôme qui, selon Carrier (2010), est nécessaire au diagnostic du virage punitif englobe une gamme de pratiques et de discours donnant lieu à une pénalité expressive et politisée. Ce type de symptôme renvoie à un ensemble d’agirs et de discours punitifs explicites, placés dans l’espace médiatique, dont le fondement commun et prédominant est leur caractère politique. Cette nouvelle politisation de la pénalité va d’ailleurs engendrer un renversement des pratiques pénales caractérisant une pénalité moderne et civilisée, pour retourner, de multiples façons, aux thèmes destructeurs et émotifs d’une « pénalité de souveraineté » (Carrier, 2010 : 5), priorisant ainsi les peines expressives fondées notamment sur la rétribution, la dissuasion et la dénonciation. Cette nouvelle pénalité va également, à bien des égards, violer la productivité, la retenue et le caractère rationnel de la pénalité disciplinaire moderne et va placer la question pénale dans un registre

24 Certains auteurs vont parler d’incarcération de masse (mass incarceration) (Alexander, 2010) ou encore d’un État carcéral (carceral state) (Carrier, 2010).

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privilégiant l’émotivité et la simplicité, et ce, souvent à des fins politiques, comme en témoigne l’extrait suivant qui est tiré des propos tenus par John Ehrlichman, conseiller spécial de Nixon :

La présidence de Nixon avait deux ennemis : la gauche antiguerre et les Noirs. Nous savions qu’il ne serait pas illégal d’être contre la guerre ou d’être Noirs, mais en obligeant le public à associer les hippies à la marijuana et l’héroïne aux noirs, puis à criminaliser les deux à la fois, nous pourrions perturber ces communautés. Nous pourrions alors arrêter leurs dirigeants, harceler leurs maisons, briser leurs réunions et les diffamer nuit après nuit dans les nouvelles du soir. Savions-nous que nous mentions ? Bien sûr que nous le savions (Baum, 2016 : 1, ma traduction).

Dans cet extrait, Ehrlichman avoue que la War on Drugs de Nixon fut une pure invention pour contrôler les populations qui tentaient de renverser l’ordre social. Ceci est un exemple frappant de ce type de machination politique. Au final, la politisation de la pénalité renvoi à la mise en place de politiques pénales à des fins politiques et qui délaissent les objectifs de perfectionnement de la justice (Carrier, 2010).

Ces trois symptômes ont-ils été constatés au Canada ? C’est ce dont discutent les prochaines sections.

2.3 1980 à 2005 – Un virage punitif circonscrit Au regard des études et des statistiques disponibles, il semble que la pénalité canadienne contemporaine ne soit pas aussi incontestablement ancrée dans un virage punitif que le sont la plupart des autres démocraties occidentales. Entre les années 1980 et 2005, le Canada semble avoir préconisé une approche plutôt équilibrée oscillant entre les principes de réhabilitation et des principes plus répressifs relatifs à la rétribution, la neutralisation, la dissuasion et la dénonciation.

2.3.1 L’explosion carcérale Sur le plan de l’emprisonnement, au Canada, comparativement à une panoplie d’autres sociétés, la fin du 20e siècle ne marque en rien l’imminence d’un accroissement prononcé des taux d’incarcération. Au contraire, les taux d’incarcération par 100 000 habitants sont demeurés relativement stables au fil des dernières décennies du 20e siècle, ne subissant que de minimes fluctuations. D’une manière plus précise, en 1981, le taux d’incarcération au Canada était de 91 détenus par 100 000 habitants, tandis qu’au début des années 2000, ce taux avoisinait environ 103 détenus par 100 000 habitants (Landreville, 2007; Doob, 2012). Or, Cousineau et Veevers (1972) signalaient que le Canada avait néanmoins, tout au long des années 1950 et 1960, l’un des taux d’incarcération les plus élevés du monde. La montée en flèche des taux carcéraux des autres pays, lors des années 1980 et 1990, a plutôt ramené les taux d’incarcération de ces pays à des niveaux plus

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ou moins semblables à ceux du Canada25, mis à part les États-Unis qui ont vu leur population carcérale dépasser tout entendement. Par conséquent, malgré cette relative stabilité, les taux d’incarcération ne se traduisaient pas non plus en une totale aversion à l’égard de la mentalité punitive (O’Malley, 2006).

2.3.2 La pénalité post-disciplinaire Quant au second symptôme, aucune étude n’atteste l’hypothèse que les régimes carcéraux canadiens délaissèrent les idéaux de réhabilitation et de normalisation lors de cette période temporelle. Bien au contraire, le foisonnement de programmes sociaux dans les institutions carcérales montre la pérennité de l’approche moderniste de la pénalité (Carrier, 2010). À titre d’exemple, en date de 2005, il existait à travers les différents milieux fermés et ouverts 196 programmes sociaux visant à soutenir les personnes déclarées coupables d’actes pédophiliques qui représentent pourtant, et de loin, le groupe de personnes criminalisées le plus vilipendé et exécré (Meyer et O’Malley, 2005). Qui plus est, pour les détenus de tout type, les pénitenciers fédéraux disposaient, à l’époque, d’une batterie de programmes correctionnels, que ce soit des traitements de désintoxication, des programmes d’acquisition de compétences psychosociales, de lutte contre la violence, des programmes propres aux traditions autochtones, etc. Par ailleurs, au en ce qui a trait àl’éducation, les pénitenciers fédéraux offraient également des programmes d’enseignement secondaire et post-secondaire dans le but de fournir aux détenus des formations accréditées ou certifiées afin de les aider à réintégrer le marché du travail. Somme toute, la présence de l’ensemble de ces programmes ne symbolise guère un quelconque abandon de la perspective de normalisation et de réhabilitation des détenus, tout comme elle n’incarne pas l’effervescence de peines visant la stricte coercition des « corps » (O’Malley, 2006).

En revanche, un certain glissement vers des principes plus répressifs s’est tout de même opéré entre 1980 et 2005, puisque même si les programmes de réinsertion et de réhabilitation étaient présents dans les institutions carcérales, ils s’inscrivaient dans un mode de gouvernance correctionnelle progressivement axé sur la gestion du risque. Sous le masque de la gestion actuarielle du risque, ce n’était donc plus le détenu qui devait être sauvé, mais bien les futures victimes (Garland, 2001). Ainsi est née une nouvelle pénologie ayant comme finalité centrale la surveillance et le contrôle de groupes sociaux jugés être à risque. Cela dit, même si l’avènement d’une pénalité actuarielle fut perceptible de part et d’autre de l’Atlantique à cette époque, elle ne constitua pas pour autant une stratégie

25 Pour ne nommer que quelques exemples, le taux de détenus par 100 000 habitants des Pays-Bas est passé de 28 en 1983 à 123 en 2004. Pour la même période, le taux du Portugal a quant à lui fait un bond de 59 à 137, tandis qu’en France, il passait de 70 à 96 (Landreville, 2007).

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hégémonique redessinant l’ensemble de la pénalité au Canada puisque les discours, législations et pratiques pénales conservèrent une dimension réhabilitative importante (Vacheret et coll., 1998; Mary, 2001). Conséquemment, il est possible de conclure qu’à cette époque la pénalité canadienne se trouvait à l’intersection de la pénalité moderne et la pénalité post-disciplinaire.

2.3.3 La pénalité politisée et expressive Quant à elles, la politisation de la pénalité et la valorisation de son caractère expressif, bien que marginales à cette époque, ont tout de même été observées dans le champ pénal canadien. À la suite de la parution du Rapport Daubney en 1988 – qui avait noté une baisse de la confiance du public à l’égard de la justice pénale et plus particulièrement envers la détermination de la peine et le régime de mise en liberté sous condition –, la protection de la société devint le nouveau leitmotiv de la justice pénale (Landreville, 2007). À partir de ce moment, les déclamations de politiciens sur la nécessité d’être impitoyable envers la criminalité, bien que celle-ci soit somme toute rarissime, trouvèrent un certain écho dans la population puisque, pour la première fois dans l’histoire contemporaine canadienne, les individus criminalisés jugés dangereux ainsi que les multirécidivistes de délits mineurs furent perçus comme des rebuts de la société, une évolution que Jean-Paul Brodeur va qualifier de catastrophe morale (Brodeur, 1999). Malgré tout, cette aversion se propagea plutôt modestement, puisqu’au début du millénaire une proportion plutôt modérée (31 %) de Canadiens disait « avoir peur » de la criminalité, tandis que seulement 2 % de la population considérait que sa répression devait être une priorité gouvernementale (Meyer et O’Malley, 2005).

En résumé, pour le Canada, le virage punitif de cette époque se caractérise par une augmentation minime des taux d’incarcération, la montée d’une gestion actuarielle du risque édulcorée par le biais de pratiques correctionnelles proréhabilitation ainsi qu’une amorce des discours répressifs. En dépit de cette réalité, et malgré le fait que ces transformations puissent être perçues a posteriori comme les hérauts d’une transformation des pratiques pénales vers un penchant répressif, le Canada semble avoir résisté d’une manière tout de même efficace au virage punitif.

2.4 2006 à 2015 – Gouvernement conservateur : Un tournant punitif ? La précédente analyse des symptômes constitutifs du virage punitif suggère, qu’au moment où plusieurs pays étaient en proie à une vague punitive (Garland, 2001), le Canada ne connaissait que des fluctuations limitées sur le plan pénal. Toutefois, il semble que cette stabilité plutôt remarquable

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n’ait pas résisté à l’incursion des idéaux et des principes du conservatisme « harperien »26. Cette thèse est appuyée par les symptômes du virage punitif décrits ci-dessous.

2.4.1 L’explosion carcérale Le 6 février 2006, Stephen Harper est assermenté à titre de 22e Premier ministre du Canada. Avant son arrivée au pouvoir, en 2005, le taux d’incarcération canadien se chiffrait à approximativement 100 prisonniers par 100 000 habitants (Landreville, 2007). En 2016, à la suite de trois mandats conservateurs d’une durée totale de près de 10 ans, le taux d’incarcération avait grimpé à 115 (Statistique Canada, 2017). Certes, à la simple lumière de ces statistiques, il serait fallacieux de conclure à une explosion carcérale. Néanmoins, il ne faut pas négliger le fait que deux grands facteurs modulent les taux d’incarcération, soit le nombre de personnes condamnées à une peine carcérale et la durée moyenne des peines. Si le premier facteur agit directement sur les statistiques, le prolongement des peines agit plutôt à petit feu, et ce, par le biais d’une accumulation des détenus sur le long terme. Il se peut donc que l’effet des réformes législatives du gouvernement Harper ne transparaisse pas encore dans les statistiques officielles27. Des mesures telles que l’ajout de peines minimales et le prolongement des peines pour les crimes de nature sexuelle ainsi que les crimes reliés aux stupéfiants et aux armes à feu pourraient être susceptibles de faire grimper le nombre de détenus dans les prochaines années.

Parallèlement, le taux d’octroi d’une libération conditionnelle aux prisonniers de juridiction fédérale a également chuté pendant l’ère Harper, passant de 45 % en 2004-2005 (Statistique Canada, 2015) à 30 % en 2014-2015 (Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2015). Notons que cette diminution des taux d’octroi des libérations conditionnelles n’est peut-être pas le fruit du hasard. Au contraire, elle pourrait être tributaire de l’administration Harper, qui n’aurait pas reconduit les mandats de plusieurs commissaires d’allégeance libérale28 siégeant à la Commission des libérations

26 Dans ce mémoire, le terme « harperien » et ses dérivés sont utilisés afin de référer à des aspects qui sont propres au gouvernement Harper et non comme une doctrine politique ou un système de croyances au sens du thatchérisme ou du reaganisme. Bien que Gutstein (2014) affirme que le gouvernement Harper a installé un nouveau système de croyances qui transcende leurs années au pouvoir et qu’il est donc possible de parler d’une doctrine politique Harper « iste », les limites de ce mémoire ne me permettent pas d’analyser une telle hypothèse. 27 Il s’agit, ici, d’une hypothèse que j’émets. Loin de moi l’idée d’affirmer que les mesures du gouvernement Harper causeront assurément un boom carcéral. Toutefois, il serait sage de ne pas conclure trop rapidement à l’absence d’impact de ces mesures sur les taux d’incarcération. 28 Il ne s’agit pas ici d’une allégeance au Parti libéral; l’allégeance « libérale » décrit plutôt les personnes qui priorisent l’utilisation de l’appareil policier, pénal et carcéral avec parcimonie. De la sorte, les personnes d’allégeance libérale sont plus enclines à concevoir la prison comme un confinement de dernier recours et vont, par conséquent, privilégier des modalités de réaction sociale alternatives et non carcérales.

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conditionnelles du Canada dans l’optique de les substituer par des commissaires d’expérience d’allégeances plus conservatrices (Jeffrey, 2015). Or, si les taux de libération conditionnelle chutent, cela signifie que davantage de prisonniers resteront sous les barreaux pour de plus longues périodes. Somme toute, plusieurs indicateurs peuvent donc laisser entendre que les mesures pénales mises en place lors de cette époque pourraient avoir des incidences sur les taux d’incarcération dans un futur rapproché.

Dans son rapport annuel de 2014, l’enquêteur correctionnel Howard Sapers affirme, quant à lui, que la taille, la complexité et la diversité de la population carcérale n’ont cessé d’augmenter dans la dernière décennie. Statistiquement parlant, depuis mars 2005, la population carcérale sous responsabilité fédérale aurait augmenté de 17,5 %. Sapers note également que les détenus restent de plus en plus longtemps derrière les barreaux avant leur première libération. En ce sens, en 2013, 71 % de toutes les mises en liberté progressives étaient des libérations d’office29 (Bureau de l’enquêteur correctionnel, 2014). À la lumière des derniers éléments, il semble qu’une certaine ascension du recours à l’incarcération au Canada ait été observée durant l’ère Harper.

2.4.2 La pénalité post-disciplinaire Sous l’administration de Stephen Harper il y eut également une certaine « américanisation » des valeurs canadiennes en matière carcérale. Plus précisément, les objectifs de normalisation qui étaient naguère indissociables de toute peine d’incarcération furent passablement délaissés. Ainsi, en oblitérant la longue tradition canadienne en matière de réhabilitation, au détriment d’une conception de l’incarcération telle une simple mesure de coercition et de neutralisation des « corps » (Webster et Doob, 2015), le gouvernement Harper a ancré les pratiques correctionnelles dans une perspective post-disciplinaire beaucoup plus appréciable. Cet ancrage, de plus en plus fort, de l’univers carcéral canadien dans une perspective post-disciplinaire s’explique, en partie, par l’idéologie conservatrice qui conçoit la réhabilitation et la sécurité du public d’une manière antinomique (Jeffrey, 2015), mais également par une amputation sévère des budgets relatifs aux programmes correctionnels, et ce, malgré une population carcérale en hausse (Comack, Fabre et Burgher, 2015). Ainsi, à l’inverse de la seconde moitié du 20e siècle, dans laquelle le Canada fut le théâtre d’un foisonnement exponentiel des programmes correctionnels, l’ère Harper fut marquée par une diminution concomitante du

29 La libération d’office est un type de mise en liberté obligatoire, de derniers recours, dans lequel les détenus sous responsabilité fédérale (excepté les condamnés à perpétuité ou à des peines indéterminées) sont automatiquement remis en liberté, sous surveillance, aux deux tiers de leur peine s’ils n’ont pas déjà obtenu la libération conditionnelle (Service correctionnel du Canada, 2014a).

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nombre et de la qualité des programmes correctionnels favorisant la réhabilitation et la réinsertion sociale des détenus (Comack, Fabre et Burgher, 2015; Jeffrey, 2015; Mallea, 2015).

Les exemples du déclin quantitatif et qualitatif des formes de soutien, en milieu carcéral, favorisant la réhabilitation et la réinsertion des détenus sont nombreux. D’abord, le gouvernement Harper a sabré le financement des programmes de réinsertion sociale. À titre d’exemple, le financement des cercles de soutien et de responsabilisation30 fut aboli en 2015, bien qu’une analyse quinquennale menée par le Service correctionnel du Canada ait révélé que ces programmes réduisaient de 70 à 83 % les taux de récidive chez les personnes déclarées coupables d’infractions de nature sexuelle. Une telle coupure budgétaire s’avère d’autant plus surprenante pour un gouvernement se targuant d’être le champion de l’économie31, dans la mesure où, en plus de réduire considérablement le taux de récidive, chaque dollar dépensé dans ce programme faisait économiser en moyenne 4,60 $ à l’appareil pénal (Wilson, Picheca, et Prinzo, 2005; Mallea, 2015). Par la suite, bon nombre de programmes correctionnels d’employabilité tels que CORCAN32 virent également leurs activités limitées, tandis que d’autres programmes, comme les fermes pénitentiaires, furent abolis, et ce, même si plusieurs recherches suggèrent que ces programmes d’employabilité permettaient aux détenus d’acquérir des compétences augmentant leur potentiel d’employabilité, un des facteurs prépondérants dans la réinsertion sociale (Comack, Fabre et Burgher, 2015). Parallèlement, plusieurs programmes de réadaptation tels que des programmes de gestion de la colère, d’alphabétisation ou de traitement de toxicomanie furent aussi débités d’une portion notable de leur budget respectif, limitant de ce fait leurs usages (Mallea, 2015). L’accès à l’éducation fut également circonscrit, tandis que les ressources pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale se sont, quant à elles, raréfiées. Ne se limitant pas à de simples réductions budgétaires, le gouvernement Harper réduit également les droits de visite en prison pour des considérations idéologiques (Jeffrey, 2015). Pourtant, il est largement acquis que le maintien de liens familiaux et communautaires, tout au long de la peine d’incarcération, est essentiel à la réussite

30 Les cercles de soutien et de responsabilisation sont un service d’accompagnement pour les personnes condamnées pour violences sexuelles, sortant de détention, présentant un fort risque de récidive et se trouvant dans une situation d’isolement social. Il s’agit d’un service dispensé par des bénévoles membres de la communauté et qui est fourni à un rythme adapté à l’évolution de la réinsertion sociale des libérés (Service correctionnel du Canada, 2014a). 31 À titre d’exemple, la plateforme électorale du Parti conservateur pour l’année 2015 s’intitulait Protéger notre économie : notre plan conservateur pour protéger l’économie. Il est possible d’y retrouver des citations telles que « Notre Parti conservateur est le seul parti qui a un bilan économique qui a fait ses preuves et un plan d’allégement fiscal et d’équilibre budgétaire pour l’avenir » (Parti conservateur du Canada, 2015 : 4). 32 CORCAN est un programme de réadaptation qui offre, aux détenus sous responsabilité fédérale, des possibilités d’emploi et des formations portant sur les compétences relatives à l’employabilité pendant leur incarcération et même pendant de brèves périodes après leur mise en liberté (Service correctionnel du Canada, 2016a).

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de la réinsertion sociale des détenus. Pour aller encore plus loin, de nombreuses pratiques de la vie courante des détenus, telles que les pratiques sportives et même les pratiques reliées à l’alimentation, furent elles aussi circonscrites par les Conservateurs de l’époque (Jeffrey, 2015).

Bien loin de l’exhaustivité, les changements précédemment énumérés suggèrent à quel point l’administration Harper a phagocyté les pratiques et les mentalités axées sur la réhabilitation. Ces réformes ont d’ailleurs généré un climat carcéral si hostile que le Syndicat des agents correctionnels du Canada a fait campagne contre Stephen Harper en 2015 (Rémillard, 2015). Ainsi, en délaissant, dans une mesure somme toute appréciable, les idéaux de réhabilitation, les réformes conservatrices ont créé des espaces carcéraux beaucoup plus orientés sur la neutralisation des personnes condamnées. De surcroît, certains criminologues vont même affirmer que ces réformes auraient spolié les droits des détenus à un tel point que certaines réalités carcérales canadiennes ne respectent plus les règles Mandela, soit l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus entérinées par l’Organisation des Nations Unies (Jeffrey, 2015). Enfin, il est aussi important de noter que la montée de la justice actuarielle, qui avait débuté dans les années 1980, a continué de gagner en importance dans les pratiques carcérales et est devenue, non sans opposition, la pierre angulaire de la quasi- intégralité des pratiques carcérales (Bérard, Vacheret et Lemire, 2013).

Pour nuancer les derniers propos, je n’affirme pas que le gouvernement Harper a annihilé en totalité les principes relatifs à la réhabilitation, puisque des programmes tels que le MPCI33 restent, dans une certaine mesure, accessibles aux détenus. Toutefois, la réduction du nombre de programmes correctionnels, la diminution de leur qualité, le nouveau caractère prédominant de la justice actuarielle et la promotion de la coercition comme moyen ultime permettant de contrer la criminalité attestent que le gouvernement Harper a ancré la logique de gestion des populations criminalisées dans une perspective post-disciplinaire beaucoup plus importante. En ce sens, bien que les politiques de l’administration Harper n’aient pas totalement éradiqué les visées d’amendement et de réhabilitation, les institutions carcérales canadiennes sont, à la suite du passage de Stephen Harper à la tête de la Chambre des communes, beaucoup plus tournées vers la simple neutralisation du « corps » des condamnés.

33 Le MPCI, soit le Modèle de programme correctionnel intégré, est un amalgame des programmes les plus efficaces qui ont déjà été dispensés par le Service correctionnel du Canada. Ce programme intégré cible les multiples facteurs de risque que les personnes détenues sont censées présenter (Service correctionnel du Canada, 2014b).

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2.4.3 La pénalité politisée et expressive Si l’ère conservatrice de Stephen Harper fut marquée par une diminution de la prééminence de la réhabilitation, ce qui a amplifié, par le même fait, l’ancrage de l’univers carcéral dans une perspective post-disciplinaire, la transformation la plus marquante sur le plan pénal réside dans l’ascension des politiques pénales expressives et politisées. Lors des trois mandats conservateurs, les politiques pénales ont cédé à la volonté de punir et de rendre visible la souffrance imposée à l’infracteur. Il s’agit de réformes pénales coercitives qui furent légiférées, notamment, à des fins de rétribution et de dissuasion (Mallea, 2011; Jeffrey, 2015).

Ne lésinant pas sur les apparats pour manifester de manière solennelle leur propension à punir sévèrement les actes criminalisés, les divers membres de l’administration Harper ont proclamé à maintes reprises leurs ambitions d’ancrer la justice pénale canadienne dans un volontarisme punitif inédit : « We are changing the focus of the justice system so that serious crime will mean serious time » (Webster et Doob, 2015 : 309). Cette citation de 2006, prononcée par le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Vic Toews, n’est qu’un exemple parmi d’innombrables déclarations des élus Conservateurs qui avaient pour but de signaler que ce gouvernement allait proposer des projets qui séviraient fortement à l’encontre de toute violation de la loi. D’ailleurs, selon Webster et Doob (2015), la promotion de l’ostracisation des détenus sur la place publique est devenue, sous l’égide du gouvernement Harper, une pratique courante. Fidèles à leur promesse, les Conservateurs ont ratifié, au long de leurs trois mandats, une longue série de réformes pénales afin de durcir le régime pénal canadien (Mallea, 2011).

Par ailleurs, il semble que le gouvernement Harper ait priorisé des réformes à des fins essentiellement symboliques au détriment de mesures ayant des retombées efficientes et efficaces, témoignant ainsi de son intransigeance en matière de répression de la criminalité. Plusieurs recherches soulignent effectivement, que ses décisions en matière pénale semblent avoir été prises dans le but de répondre à des objectifs symboliques ou implicitement déclarés, et non dans le but de rendre la justice pénale plus efficiente (Doob, 2012; Jeffrey, 2015; Mallea, 2015). Il s’agissait de mesures symboliques, une sorte de « justice spectacle » (Nadeau, 2010 : 81), au sens où le gouvernement Harper se targuait de sévir radicalement contre les personnes criminalisées en augmentant le quantum des peines et en promettant ainsi un effet dissuasif plus puissant. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, la quasi-totalité des experts s’entend pour dire que les mesures de dissuasion centrées strictement sur l’augmentation de la sévérité des peines s’avèrent inefficaces. En d’autres termes, il semble acquis que la force de frappe de la justice pénale et les taux de criminalité ou de récidive ne sont pas

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corrélés34. Pour le gouvernement Harper, il semblait, ainsi, plus important de montrer qu’il faisait preuve d’une soi-disant sévérité implacable envers les individus criminalisés plutôt que de légiférer des mesures ayant des retombées efficaces et efficientes (Doob, 2012).

Cela dit, il est essentiel de saisir que la notion de symbolisme, telle que décrite ici, ne réfère pas systématiquement à des politiques qui n’ont de valeur que par ce qu’elles expriment ou ce qu’elles évoquent, autrement dit qui n’ont pas d’effets concrets. Comme le mentionne Landreville (2006), les législations pénales expressives et symboliques ont une forte tendance à frapper durement certaines couches de la société et à durcir réellement les pratiques pénales, sans toutefois combler leur objectif de dissuasion. Somme toute, il convient de prendre en considération la possibilité selon laquelle un des objectifs sous-tendant la philosophie conservatrice était de montrer que l’administration Harper serait intransigeante et impitoyable envers la criminalité, et ce, dans l’optique d’en retirer des gains politiques (Mallea, 2011; Doob; 2012; Jeffrey 2015). D’ailleurs, cette politisation de la répression de la criminalité est une des premières connexions entre le gouvernement Harper et le populisme pénal. Pour étayer la relation entre le gouvernement Harper et le populisme pénal, les prochaines sections décrivent certains des liens les plus notables unissant le Parti conservateur de Stephen Harper et la justice pénale.

2.5 Les Conservateurs et la justice pénale Après avoir soulevé que les choix en matière pénale du gouvernement Harper ont poussé le Canada dans un virage punitif plus assumé, il est essentiel de souligner que ce parti politique a également propulsé la question de la criminalité et de sa répression à l’avant-scène de l’arène politique et au cœur de la sphère sociale, et ce, d’une manière se rapprochant des tendances généralement associées au populisme pénal35. Plusieurs composantes documentées tendent à donner foi à cette affirmation et sont décrites dans les sections suivantes.

2.5.1 La répression de la criminalité dans les plateformes électorales fédérales La première composante qui témoigne de la mise à l’avant-plan de la criminalité dans l’arène politique et la sphère sociale est la proportion accordée au traitement répressif de la criminalité dans les plateformes électorales des trois grands partis de la scène fédérale entre 2006 et 2015, que j’ai colligée dans le tableau 136. Force est de constater que le Parti conservateur du Canada a accordé, lors

34 Plusieurs auteurs appuyant cette position ont été référenciés dans la section 1.4.2.2 35 Le chapitre quatre décrit la notion de populisme pénal et ses multiples facettes. 36 Pour construire ce tableau, j’ai calculé le nombre de pages consacrées à la répression de la criminalité par rapport au nombre de pages totales de chaque plateforme électorale. Pour le Parti libéral du Canada, le nombre

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des cycles électoraux, une importance beaucoup plus substantielle à la répression de la criminalité que les deux autres grands partis politiques de la scène fédérale37.

Tableau 1. La répression de la criminalité dans les plateformes électorales des trois grands partis politiques fédéraux canadiens – 2006-2015

Parti libéral Nouveau parti Parti conservateur du Canada démocratique du Canada 2006 1,7 % 4,4 % 16,7 % 2008 3,4 % 5,4 % 12,2 % 2011 0,9 % 3,0 % 10,7 % 2015 3,1 %38 3,75 % 11,4 % Moyenne : 2.7 % 4.1% 12.8%

D’une manière plus précise, ce tableau montre que la portion accordée au traitement répressif de la criminalité39 dans les plateformes électorales n’a jamais dépassé 3,4 % chez les Libéraux tandis que, chez les Néodémocrates, entre 2006 et 2015, une seule plateforme a dépassé 5 % de contenu relatif à la répression de la criminalité. Du côté des Conservateurs, le pourcentage des plateformes abordant la question de la criminalité n’a, quant à lui, jamais chuté sous la barre des 10 %. À titre de comparatif, en 2015, 2,8 % de la plateforme conservatrice traitait du système de santé et de la recherche médicale, 1,7 % de la plateforme était relié à la recherche et au développement, puis un mince 0,9 % abordait

de pages consacrées à la criminalité était respectivement de 1,5 sur 86 en 2006, 3 sur 88 en 2011, 1 sur 106 en 2011 et 3 sur 97 en 2015 (Parti libéral du Canada, 2006; 2008; 2011; 2015). Pour le Nouveau parti démocratique, il s’agissait de 2 sur 45 en 2006, 3 sur 53 en 2008, 0,5 sur 30 en 2011 et 3 sur 80 en 2015 (Nouveau parti démocratique, 2006; 2008; 2011; 2015). Finalement, pour le Parti conservateur du Canada, le nombre de pages était de 8 sur 48 en 2006, 5 sur 41 en 2008, 8 sur 75 en 2011 et 20 sur 176 en 2015 (Parti conservateur du Canada, 2006; 2008; 2011; 2015). 37 Bien qu’avant 2015 le Bloc québécois ait été un parti officiel à la Chambre des communes, il s’agit d’un parti politique qui se donne pour mission de mettre en place les conditions nécessaires à la réalisation de la souveraineté du Québec. Par voie de conséquences, ses plateformes électorales traitent plus ou moins des sujets de gouvernance habituels, tels que la justice pénale. Conséquemment, elles n’ont pas été colligées dans le tableau 1 puisque l’importance accordée à la question de la souveraineté du Québec aurait biaisé les résultats. 38 La légalisation de la marijuana fut exclue de ce pourcentage, puisqu’il s’agit de décriminaliser un comportement et non de le réprimer. 39 Le traitement du terrorisme a été exclu de ces statistiques puisque dans certaines plateformes cette thématique est reliée aux relations internationales ou aux forces armées tandis que dans d’autres plateformes ces sujets sont traités séparément du terrorisme. Son inclusion aurait donc introduit des biais dans le tableau.

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la question des changements climatiques40. Les Conservateurs n’ont donc pas simplement traité de la répression de la criminalité d’une manière disproportionnée relativement aux autres partis, ils en ont littéralement fait leur cheval de bataille. D’ailleurs, sur un plan historique, Kelly et Puddister (2017) affirment qu’aucun parti politique fédéral canadien d’importance n’a tenté de s’approprier l’idéologie law and order dans la seconde moitié du 20e siècle et que par conséquent le Parti conservateur de Stephen Harper est le seul parti politique fédéral d’envergure, en plus de cinquante ans, à s’approprier le « monopole » de la répression de la criminalité.

2.5.2 La politisation et l’instrumentalisation des questions de sécurité La politisation et l’instrumentalisation des besoins sécuritaires représentent la seconde composante qui atteste de la valorisation de la répression de la criminalité dans les sphères politiques et sociales lors de l’ère conservatrice de Stephen Harper. Le gouvernement de Stephen Harper a ostensiblement manifesté l’importance qu’il accordait aux questions de sécurité dès son arrivée au Parlement, avec leur premier Discours du trône dans lequel il était stipulé que : « Les Canadiens ont toujours été fiers du faible taux de criminalité au pays et se sont toujours sentis en sécurité dans les rues des petits villages comme des grands centres. Ce climat de sécurité est essentiel à la prospérité des familles et des entreprises. Malheureusement, nos quartiers paisibles et nos collectivités en santé sont de plus en plus menacés par la violence armée, les gangs de rue et le trafic de la drogue. »41 Ces quelques lignes sous-entendaient qu’à l’instar des partis les plus conservateurs en Occident, dont le Parti républicain aux États-Unis, le gouvernement Harper allait « s’attaquer » aux questions de sécurité et de criminalité avec âpreté.

Or, de nombreuses recherches témoignent que la criminalité inquiétait relativement peu la population canadienne au début des années 2000 (Gouvernement du Canada, 2001). Cette quiétude face au possible danger de victimisation est depuis en constante diminution, et ce, en partie à cause de la rhétorique de Stephen Harper et son parti politique (Mallea, 2011). En surélevant l’importance de la sécurité dans les sphères politiques et sociales, le gouvernement Harper semble avoir attisé et propagé les peurs relatives à la criminalité (Mallea, 2011; Jeffrey 2015). La War on Drugs américaine illustre bien que le fait de mettre une situation problématique au centre de la scène politique contribue à éveiller l’intérêt porté à ce sujet et le rend digne de préoccupation. Pour Lee (1999), l’insécurité, et

40 Le nombre de pages traitant de la santé et la recherche médicale se chiffrait à 5 sur 176; 3 pages sur 176 étaient relatives à la recherche et développement et une page et demie sur 176 traitait des changements climatiques (Parti conservateur du Canada, 2015). 41 Sa Majesté la Reine du chef du Canada. (2006). Le nouveau gouvernement du Canada – Discours du trône : une nouvelle feuille de route 2006.

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plus précisément la peur du crime, est avant tout une histoire politique. En ce sens, selon Mallea (2011), le gouvernement Harper a utilisé à maintes reprises les tactiques relatives au fearmongering42, pour attiser la crainte du public à l’égard de la criminalité dans le but d’en retirer un capital politique. De manière précise, en traitant récurremment de la question de la criminalité et en abordant les incidents criminalisés les plus graves et isolés comme des actes représentatifs des tendances de la criminalité, il semble que le gouvernement Harper ait avivé des sentiments d’insécurité, ce qui a rendu plus populaire son approche Tough on Crime. Dans cette optique, j’estime possible de dresser un parallèle entre les techniques de fearmongering utilisées par le gouvernement Harper en matière de criminalité et celles privilégiées par les administrations de Richard Nixon et Ronald Reagan en ce qui a trait à la War on Drugs.

Notons que les besoins sécuritaires sont une variable plutôt difficile à mesurer puisque les aléas des sociétés contemporaines, en constante évolution, font en sorte que les besoins sécuritaires transcendent de plus en plus la question de la criminalité pour également inclure les appréhensions relatives au prétendu spectre grandissant du terrorisme et les menaces perçues de l’immigration (Crawford, 2012). N’en demeure pas moins que certains auteurs vont affirmer que la peur relative à la criminalité a été galvanisée par la rhétorique du gouvernement Harper et que corollairement l’électorat est devenu de plus en plus friand des réformes pénales Tough on Crime (Mallea, 2011; Snow et Moffitt, 2012). En résumé, il est réaliste d’avancer que les demandes sécuritaires relatives à la criminalité furent exacerbées, non pas de manière exclusive, mais dans une certaine proportion par le gouvernement Harper dans le but qu’une plus grande partie de la population embrasse une mentalité conservatrice quant à la répression de la criminalité43. Métaphoriquement, les Conservateurs semblent donc avoir stimulé l’insécurité pour que la « demande » de sévérité correspondre à leur « offre ».

L’instrumentalisation des besoins sécuritaires par le gouvernement Harper est encore plus évidente lorsque les questions d’insécurité sont confrontées aux risques réels de victimisation. D’une manière plus concrète, de nombreux opposants ont tenté de tempérer les discours sécuritaires alarmistes des Conservateurs en utilisant les statistiques qui démontrent que les taux de criminalité au Canada sont relativement faibles et en constante diminution. Indifférent, le gouvernement de Stephen Harper a rejeté à de nombreuses reprises les réflexions rigoureuses et les appréhensions nuancées des problèmes qui se posent en matière de sécurité publique (Mallea, 2001; Jeffrey, 2015). À titre

42 Il n’existe aucune traduction française adéquate pour ce terme. La notion de fearmongering réfère au fait de susciter volontairement la peur du public à propos d’une ou plusieurs variables (Glassner, 2004). 43 Dans le chapitre suivant, il sera question des médias qui ont également des effets insécurisants.

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d’exemple, Stockwell Day, ancien ministre fédéral de la Sécurité publique, affirma que les statistiques qui avancent un déclin de la criminalité ne tiennent pas compte de l’augmentation « alarmante » des crimes non rapportés aux autorités policières (Campbell, 2010). Or, il est largement acquis en criminologie que le « chiffre noir » de la criminalité – c’est-à-dire les crimes non rapportés à la police – est une donnée difficilement mesurable (Leman-Langlois, 2007). Dans la même lignée, Stephen Harper déclarait, en 2007, que lorsqu’il était enfant à Toronto, il n’était presque jamais question de crimes commis à l’aide d’une arme à feu (Bernheim, 2013). Toutefois, selon Statistique Canada, le taux global d’homicides commis à l’aide d’une arme à feu a reculé de 45 % depuis 1972 (Boyce et Cotter, 2013). Somme toute, en faisant fi des statistiques pour amplifier l’insécurité et ainsi légitimer ses réformes pénales Tough on Crime, il semble probant que le gouvernement Harper ait instrumentalisé, à des fins politiques, les questions de sécurité relatives à la criminalité.

2.5.3 Le transfert de la légitimité de la production législative vers le peuple La troisième composante qui atteste que l’administration Harper a propulsé et imbriqué la répression pénale dans la sphère sociale est le transfert, vers le peuple, de la légitimité de la production législative en matière pénale. Rappelons d’abord que le gouvernement Harper a adopté une conception vindicative de la justice engendrant une hyperactivité législative Tough on Crime presque exclusivement tournée vers une accentuation des principes de rétribution, de neutralisation et de dissuasion (Mallea, 2011). Se rajoute à cette volonté de punir un rejet de toute considération des dimensions sociales sous-tendant la criminalité (Lawrence, 2010). Une telle conception de la criminalité n’était d’ailleurs pas étrangère à sa vision de l’économie néolibérale44. Découlant de ces principes du conservatisme harperien, les mesures à connotation purement répressive ont pullulé : peines minimales obligatoires pour une variété d’illégalismes, augmentation du quantum des peines pour plusieurs infractions, suppression de la compensation pour le temps alloué en détention préventive dans le calcul de la peine, restriction du champ d’application du sursis, diminution des pratiques de libertés préventives, etc. (Mallea, 2015).

44 Le néolibéralisme promeut une économie de marché, à savoir la libre circulation des biens sur la base d’un marché qui n’est pas ou peu régulé par l’État. De cette croyance en l’autorégulation du marché découle la mise en place de politiques sociales et pénales qui produisent et encouragent des attitudes d’exclusion face aux personnes jugées déviantes ou marginales. En ce sens, sous le joug du néolibéralisme, la pénalisation est un instrument d’invisibilisation de la marginalité et des problèmes sociaux, telle que la criminalité, la prison étant en quelque sorte le lieu où sont jetés les « déchets humains » de la société de marché (Mucchielli, 2008 : 16). En somme, au lieu de s’attarder aux causes provoquant la marginalité et les inégalités sociales, l’État s’attaque aux individus qui en sont les porteurs, et ce, de la même manière qu’il ne sévit qu’à l’endroit des contrevenants en ne s’attardant pas aux contextes entourant la commission d’un acte criminalisé.

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Face à ce concert punitif, de nombreux experts et praticiens ont tenté de riposter en produisant des recherches, des rapports et des articles scientifiques notant l’inefficacité des mesures pénales punitives. Pour illustrer ce propos, en 2008, Stephen Harper fit campagne en promettant d’imposer des peines obligatoires plus sévères aux jeunes qui contreviennent à la loi. Face à cette promesse électorale, un regroupement de plus de 50 spécialistes, présidé par le professeur Jean-Paul Brodeur qui agissait à l’époque à titre de directeur du Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, va signer un billet journalistique exposant que les écrits scientifiques attestent que les interventions strictement basées sur la punition et la dissuasion s’avèrent inopérantes et inefficaces pour ce type de clientèle (Brodeur et coll., 2008). Sans considération pour ces dires, les Conservateurs ont, pour des considérations idéologiques, marginalisé, rejeté et disgracié presque systématiquement les experts et les savoirs scientifiques (Doob et Webster, 2006; Lawrence, 2010; Jeffrey, 2015).

Il importe également de noter que les membres du gouvernement Harper ont aussi proposé, plus que n’importe quel autre gouvernement du dernier siècle, des réformes pénales sous la forme de projets de loi d’intérêt privé45. Historiquement, depuis 1910, 33 de projets de loi d’intérêt privé portant sur la justice pénale ont été adoptés par le Parlement. Vingt sont survenus durant les années Harper. De surcroît, 17 de ces projets de loi furent parrainés par des ministres ou des sénateurs conservateurs, ce qui témoigne du rôle important joué par le caucus du parti dans les projets de loi retenus (Kelly et Puddister, 2017). En outre, le rôle du caucus conservateur dans ces projets de loi d’intérêt privé est d’autant plus intéressant que plusieurs anciens membres du parti affirment que Stephen Harper régentait d’une main de fer ses députés. À titre d’exemple, dans son ouvrage caricaturalement appelé « Sheeple », Garth Turner, ancien membre du caucus conservateur, affirme que sous la gouverne de Stephen Harper « nobody asked you to have any ideas » (Turner, 2009 : 121). Dès lors, il n’est pas fallacieux d’avancer l’hypothèse que les idéaux à la base des projets de loi d’intérêt privé de nature pénale déposés par le gouvernement Harper émanaient de la haute direction du parti et n’étaient déposés par des députés d’arrière-ban que dans le but de marginaliser la préséance du ministère de la Justice en tant que contrepoids constitutionnel.

Dans ces conditions, lors des années Harper, dix causes reliées aux modifications législatives de ce gouvernement en matière pénale se sont retrouvées face à la Cour suprême et furent déboutées à

45 En vertu des règles parlementaires, un projet de loi d’intérêt privé est déposé par un député d’arrière-ban et sa constitutionnalité n’a pas à être examinée par le Département de la Justice.

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chaque reprise46. D’ailleurs, selon l’avocat Michael Dineen, plusieurs autres réformes pénales du gouvernement Harper pourraient engendrer dans un futur rapproché d’autres requêtes à la Cour suprême au motif qu’elles imposent dans certains cas de figure une peine cruelle et inusitée (Buzzeti, 2015).

Ainsi, au lieu de fonder leurs réformes pénales sur les acquis scientifiques et les principes constitutionnels, Stephen Harper et sa formation politique ont plutôt clamé haut et fort que leurs politiques en matière pénale se fondaient sur les opinions et les désirs de monsieur et madame Tout- le-monde (Breton, 2008). À titre d’exemple, en 2006, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, Vic Toews, référait, dans une conférence de presse, explicitement au peuple pour justifier la position de son gouvernement en matière pénale : « Notre priorité de s’attaquer [sic] au crime est ancrée dans les valeurs canadiennes. C’est une priorité pour notre nouveau gouvernement, car c’est une priorité pour chaque membre de la population canadienne » (Bernheim, 2013 : 12).

Sans aborder, pour l’instant, le fait qu’il est fallacieux de dire que la répression de la criminalité est une priorité pour chaque Canadien, il semble apparent qu’en ce qui à trait la production législative des réformes pénales, l’ère Harper fut marquée par un fléchissement de la légitimité scientifique au profit d’une nouvelle légitimité accordée au peuple. Non seulement le gouvernement Harper mésestima les savoirs scientifiques, mais cette administration tabla, dans une optique électoraliste, sur la faible déférence de la population à l’égard des « scientifiques », un fait que reconnut Ian Brodie, chef du cabinet de Stephen Harper entre 2006 et 2008, lors d’une conférence à l’Université McGill : « Every time we proposed amendements to the Criminal Code, sociologists, criminologists, defence lawyers and Liberals attacked us for proposing measures that the evidence apparently showed did not work. That was a good thing for us politically » (Gutstein, 2014 : 174). Dès lors, puisqu’il semble que les divers spécialistes de la criminalité soient tenus en faible estime par la population, les attaques du gouvernement Harper contre ceux-ci auraient engendré, selon Brodie, un capital politique pour

46 Pour ne nommer que quelques exemples, mentionnons que le plus haut tribunal du Canada a conclu que la réforme pénale du gouvernement Harper qui visait à imposer une peine minimale obligatoire d’un an de prison pour toute personne accusée de trafic de drogue ayant déjà été reconnue coupable d’une infraction en matière de drogue au cours des 10 dernières années contrevenait à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (art. 12 : « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».) La Cour suprême a également conclu que le fait de retirer le pouvoir discrétionnaire que détiennent les juges de compter en double le temps de détention avant procès lors de la détermination de la peine contrevient aux principes de justice fondamentale (Blais-Morin, 2016).

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cette formation politique. Somme toute, pour le gouvernement Harper la question de la criminalité et sa répression semblent avoir été, dans bien des considérations, une simple affaire de votes.

2.6 Le populisme pénal du gouvernement Harper Lors de la campagne électorale de 2006, Stephen Harper avait affirmé : « You won’t recognize Canada when I get through with it » (Gutstein, 2014 : 9). À la lumière des dernières pages, il est possible d’affirmer que sur le plan pénal Stephen Harper semble avoir respecté sa « promesse » : il a avivé le virage punitif, surutilisé la question pénale dans les cycles électoraux, exacerbé les demandes sécuritaires, eu peu d’égard pour les savoirs scientifiques et promu la légitimité du peuple quant aux réformes pénales, et ce, dans une optique électoraliste. À la lumière des premières pages de ce mémoire, il est ainsi possible de présumer que le positionnement du gouvernement Harper en matière pénale tend vers des pratiques généralement associées au populisme pénal.

En ce sens, quelques chercheurs ont déjà relié, plus ou moins rudimentairement, le populisme pénal et les pratiques de l’administration Harper. L’exemple le plus éloquent est la recherche de Desrosiers et Bernier (2009) qui traite du populisme pénal harperien par l’entremise d’un projet de loi relatif à la hausse de l’âge du consentement sexuel qui passa de 14 ans à 16 ans. Les deux auteurs qualifient cette réforme de populiste, puisqu’elle a permis au gouvernement Harper de manifester son action politique contre les « pédophiles » et d’en retirer un capital politique. Or, une analyse de cette réforme indique que les nouvelles dispositions législatives n’offrent, en réalité, aucune protection supplémentaire aux mineurs (Desrosiers et Bernier, 2009).

De la même manière, d’autres ont également sommairement relié le populisme pénal au gouvernement Harper à travers l’étude de l’abrogation de la révision judiciaire (Laganière, 2016) ou encore dans l’analyse de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés (Crépault, 2013; Watts, 2016). La Société de criminologie du Québec avait, quant à elle, rédigé un rapport concernant la Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents) qui soutient que les modifications de lois qui ne répondent qu’à des impératifs politiques risquent de saboter ce qu’elles faisaient de mieux tout en ne réglant pas le problème auquel elles prétendent remédier (Savard et Cousineau, 2010).

2.7 Question et objectifs de recherche Après avoir préalablement soulevé que la philosophie pénale du gouvernement Harper semblait tendre vers le populisme, je me suis approprié les savoirs provenant des diverses études qui ont relié,

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de près ou de loin, le populisme pénal aux pratiques du gouvernement Harper pour parfaire mes questionnements et ainsi réaliser, du moins je l’espère, des analyses novatrices. En ce sens, bien que certains auteurs aient, à l’aide de l’analyse d’un projet de loi, déjà relié le populisme pénal au gouvernement Harper, il ne semble exister aucune vue d’ensemble, du moins sur le plan scientifique, de cette relation.

Dans ce mémoire, j’aspire donc à offrir un panorama plus large sur la manière dont s’articule l’ancrage populiste en matière pénale du gouvernement Harper en mettant en exergue les facettes les plus prééminentes du populisme pénal qui ont animé et modulé les actions de ce gouvernement. D’ailleurs, bien que plusieurs recherches se soient attardées, sous différents angles, à certains des projets de loi en matière pénale qui furent légiférés par le gouvernement Harper, aucune d’entre elles n’a ancré son regard dans les perspectives analytiques privilégiées dans ce mémoire. Pour combler, du moins partiellement, ces lacunes, la question de recherche sur laquelle se fonde ce mémoire est la suivante :

Comment le populisme s’articule-t-il dans les politiques pénales érigées, modifiées ou abrogées par le gouvernement conservateur de Stephen Harper entre 2006 et 2015 ?

De cette question de recherche découlent trois objectifs de recherche, soit :

1. Documenter les argumentaires invoqués par le gouvernement conservateur pour ériger, modifier ou abroger les politiques pénales. 2. Départager et analyser les argumentaires conservateurs fondés sur une rhétorique populiste de ceux ne l’étant pas. 3. Rendre compte des stratégies de légitimation invoquées pour justifier (ou non) la nécessité d’ériger, modifier ou abroger les politiques pénales.

2.8 Pertinence scientifique et sociale Le fait de produire une recherche qui vise à combler, du moins partiellement, certaines limites des études sur un sujet particulier, contribuant ainsi à ajouter une brique à l’édifice des savoirs, s’avère en soi un argument qui atteste de la pertinence scientifique de ladite recherche. Dans le cas de ce mémoire, rappelons brièvement que je souhaite contribuer à la construction d’une vue d’ensemble de l’ancrage populiste de ce gouvernement en matière pénale. Le présent mémoire s’avère également pertinent pour plusieurs autres raisons, et ce, autant sur le plan scientifique que social. Les prochains paragraphes servent d’ailleurs à expliciter ces pertinences.

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2.8.1 La pertinence de mettre en lumière l’oppression discriminatoire de la justice pénale La présente étude, qui s’intéresse à l’ancrage populiste du gouvernement Harper, s’inscrit dans le courant des études critiques en justice pénale. Ces études s’avèrent pertinentes dans la mesure où elles servent, notamment, à déconstruire les préconçus sociétaux qui affirment que les enjeux de la répression pénale ne concernent que les « criminels »47, perçus comme des êtres peu dignes de considération. Bien au contraire, la justice pénale est une institution qui joue un rôle central dans le maintien des hiérarchies de pouvoir, de classe, de race et de genre au sein de n’importe quelle société. Elle représente d’ailleurs le bras le plus opprimant que peut utiliser l’État pour assujettir ses citoyens. En ce sens, prétendre que la justice pénale est, en certaines occasions, un moyen d’oppression, ce n’est pas simplement supposer que la justice pénale soumet le citoyen à une autorité supérieure, c’est affirmer que cette autorité peut s’avérer injuste et excessive. Ainsi, l’étude des liens entre le populisme pénal et la sévérité pénale est d’autant plus importante que l’usage de la force pénale peut s’avérer arbitraire et inique.

Spécifiquement, si d’un point de vue tautologique la justice pénale remplit la mission pour laquelle elle a été instituée, soit rendre justice, son objectif premier demeure néanmoins la perpétuation d’un ordre social particulier. Plus précisément, les diverses actions de la justice pénale participent à la construction et à la reproduction d’un ordre social protégeant certaines élites sociales au détriment d’autres groupes relégués dans des strates marginalisées et qui, en vertu de leur condition d’opprimés, pourraient menacer l’ordre social établi (Michalowski, 1985; Danet, 2004). À titre d’exemple, l’impartialité est considérée comme un des fondements de l’appareil pénal, représentée dans la mythologie grecque par la déesse Thémis, personnification allégorique de la justice et du droit, qui est généralement dépeinte sous les traits d’une femme aux yeux bandés, symbolisant une justice impartiale et objective, prétendument « aveugle » à l’identité, la puissance ou la faiblesse du justiciable. Or, loin d’être impartiale, il est avéré, selon plusieurs recherches, que le processus de criminalisation et le processus judiciaire peuvent s’avérer plutôt partiaux et, par voie de conséquence, la justice pénale punirait plus régulièrement et plus fortement les groupes sociaux marginalisés et défavorisés48 (Wacquant, 2004; Reiman, 2007; Alexander, 2010). De ce fait, l’étude du volontarisme

47 Le terme « criminel » n’est pas le mien, il n’est employé, ici, que pour refléter la pensée collective à l’égard des personnes accusées ou déclarées coupables d’une infraction. À cet égard, son utilisation vient renforcer l’idée avancée dans ce paragraphe. 48 À titre d’exemple, dans son ouvrage The rich get richer and the poor get prison, Reiman (2007) illustre que la probabilité que l’appareil pénal soit sollicité est beaucoup plus grande à l’égard des personnes provenant de classes sociales défavorisées que de celles issues de classes moyennes et supérieures. Les personnes provenant de groupes sociaux vulnérabilisés sont ainsi beaucoup plus enclines à être arrêtées à la suite d’une surveillance accrue de la part des policiers dans l’espace public. Lorsqu’elles sont arrêtées, les personnes défavorisées sont également plus susceptibles d’être mises en accusation. Non seulement la probabilité

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punitif généralement associé aux idéaux populistes s’avère essentielle, puisque les politiques qui en découlent risquent d’accentuer l’oppression et la discrimination de ces groupes.

2.8.2 La pertinence d’étudier le populisme pénal dans le contexte politique actuel Transcendant la question pénale, les récents succès de politiciens populistes sur la scène internationale justifient à eux seuls la tenue de recherches touchant de près ou de loin les « phénomènes » populistes qui frappent actuellement une myriade de démocraties occidentales. Une réalité plutôt problématique se dessine actuellement, soit l’accroissement notable de la popularité des discours protectionnistes, du nationalisme identitaire, de l’obsession sécuritaire et des débats démagogiques (Inglehart et Norris, 2016). Ces phénomènes populistes ont galvanisé la popularité de politiciens autoritaires et démagogues tels que Donald Trump, Marine Le Pen, Nigel Farage, Geert Wilders et Doug Ford, générant des résultats d’élection plutôt inopinés. Bien plus qu’un simple événement isolé, telle l’élection surprise de Jesse Ventura en 199849, l’actuel essor du populisme a même incité le dictionnaire Oxford à désigner le mot post-truth (post-vérité) comme le mot de l’année 2016. Cet adjectif fait référence à des conjonctures et des circonstances dans lesquelles les « faits objectifs » ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles (Flood, 2016). La politique semble donc aujourd’hui considérablement traversée par le spectre du populisme. Or, dans une ère de consumérisme médiatique, les diverses facettes caractérisant les politiciens populistes, telles que les déclarations dramatiques, les promesses excentriques et des résultats électoraux inopinés, sont bien souvent analysées et décrites dans des reportages médiatiques simplistes, tranchés et lapidaires (Inglehart et Norris, 2016). Ainsi, une recherche qui se distancie de telles conclusions rudimentaires permettra de mieux apprécier le renouveau du populisme.

Sur le plan canadien, bien que le pays n’ait pas été, jusqu’à aujourd’hui, un terreau fertile pour des formes de populisme aussi radicales que celles qui ont cours présentement aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, l’historique du pays n’est pas non plus exempte de toute apparition du populisme. Plusieurs manifestations limitées laissent supposer le Canada n’est pas immunisé contre les vagues populistes qui frappent une quantité de sociétés occidentales en ce début du 21e siècle. La récupération politique de la crise des accommodements raisonnables au Québec, qui a atteint son

qu’elles soient reconnues coupables est aussi plus grande, mais, lorsque déclarées coupables, ces personnes se voient octroyer des sanctions statistiquement plus sévères que les personnes des classes moyennes et supérieures (Reiman, 2007). 49 Jesse Ventura est un acteur et lutteur professionnel qui siégea à titre de gouverneur du Minnesota de 1999 à 2003. Il est le seul membre du Reform Party à avoir occupé le plus haut poste hiérarchique dans la politique américaine.

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paroxysme en 2006, et l’ampleur du débat sur le port du niqab dans l’élection fédérale de 2015 en sont des exemples intéressants. Qui plus est, plusieurs auteurs ont qualifié de populiste et d’électoraliste la montée d’une mentalité chauviniste et d’un nationalisme conservateur dans certains partis politiques dans la mesure où ces partis semblent avoir utilisé l’indignation populaire – et l’anxiété sociale suscitée par ces questions – pour accumuler du capital politique (Mercier, 2013; Laycock et Weldon, 2017). Il n’est donc pas fallacieux d’avancer l’hypothèse selon laquelle ces manifestations circonscrites du populisme seraient des signes avant-coureurs d’une propension à succomber à la tentation populiste chez plusieurs politiciens canadiens et chez une frange de l’électorat. D’ailleurs, bien qu’il ne s’agisse pas d’une recherche dite scientifique, un sondage de la firme CORP mené en septembre 2017 indique que 59 % des Canadiens et 66 % des Québécois voteraient de manière « assez probable » ou « très probable » pour un leader populiste (Schmouker, 2017). Lors de la finalisation de ce mémoire, Doug Ford, populiste auto-déclaré (Jones, 2018), venait également d’être plébiscité à titre de Premier ministre de l’Ontario, manifestant, par le fait même, d’une propension chez les Canadiens à succomber aux tentations populistes.

2.8.3 La pertinence d’étudier le populisme pénal conservateur Bien que le gouvernement Harper fut défait en 2015, l’étude des idéaux populistes qui ont sous-tendu l’articulation de ses politiques pénales n’est pas superflue puisque, dans une société du savoir, l’étude du « passé » n’est pas un luxe, mais la condition même du progrès social. Il est également intéressant de se demander quels sont les reliquats, en matière pénale, qu’a laissés l’ère Harper au Parti Conservateur. Spécifiquement, il est de circonstance de se demander si la formation conservatrice, nouvellement dirigée par Andrew Scheer, semble toujours animée par des idéaux populistes Tough on Crime. Bien que lors de l’écriture de ce mémoire, en 2017 et 2018, les nouvelles directions du Parti conservateur n’étaient pas définitivement établies, certains indices laissent présager que la philosophie pénale du gouvernement Harper n’est pas surannée et qu’elle pourrait être une des pierres angulaires de la prochaine campagne électorale du Parti. À titre d’exemple, sur le site internet anglophone du Parti conservateur du Canada, une page complète50 demande de soutenir, par l’entremise d’une pétition, le programme politique Tough on Crime du Parti pour contrecarrer « l’élimination, par les Libéraux, des peines minimales pour les contrevenants violents récidivistes ». De surcroît, le nouveau chef, Andrew Scheer, se qualifie lui-même de candidat Tough on Crime, comme en témoignent les propos suivants qu’il avait tenus à la Chambre des communes lorsqu’il agissait à titre de député : « Nombre de mes collègues me diront que l’emprisonnement d’un plus grand nombre de criminels entraînera des coûts financiers. C’est vrai. Toutefois, je le répète, c’est de

50 Repéré à http://www.conservative.ca/cpc/tough-on-crime. (Page consultée le 14 août 2018).

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l’argent bien dépensé [...] J’estime que, trop souvent, c’est cette retenue de la part des juges quant au recours à l’emprisonnement qui entraîne une augmentation de l’activité criminelle » (Lalande, 2007 : 82).

Bien que le présent mémoire s’avère, somme toute, critique à l’endroit du Parti conservateur de Stephen Harper, il importe de comprendre qu’il s’agit d’analyser le message et non le messager. Ainsi, l’analyse de la documentation recueillie pourrait tout aussi bien s’appliquer à des gouvernements subséquents, d’autres allégeances, qui imbriqueraient leurs philosophies pénales dans des idéaux populistes. L’analyse de la relation entre le populisme et la philosophie pénale harperienne qui est proposée dans ce mémoire s’avère non seulement pertinente pour étudier les politiques pénales qui ont façonné la justice pénale actuelle, mais également utile pour préparer le futur.

2.9 Remarques conclusives À titre de remarques conclusives, il importe de rappeler que l’étude des tendances pénales canadiennes précédemment réalisée dans ce chapitre semble suggérer que le gouvernement conservateur de Stephen Harper a dirigé le Canada vers un virage punitif plus assumé. À la suite de cette démonstration, il a été également illustré que cette vague punitive était en partie tributaire des idéaux populistes en matière pénale de ce gouvernement. Ainsi, pour préparer les analyses centrales de ce mémoire, qui ont comme objectif d’analyser la manière dont s’articule l’ancrage populiste dans les politiques pénales ratifiées par le gouvernement Harper, les deux prochains chapitres décrivent successivement le cadre théorique et le cadre conceptuel qui seront priorisés.

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Chapitre 3 – Posture épistémologique, cadre théorique et notions corrélatives

Ce chapitre présente le cadre théorique préconisé dans ce mémoire, soit les théories du conflit, et plus précisément, les théories conflictuelles de la criminalité, ainsi que certaines notions corrélatives. Or, avant d’entreprendre ce portait, il est question d’aborder, brièvement, certaines considérations épistémologiques qui agissent non seulement à titre de prémisses de ce cadre théorique, mais qui constituent également une toile de fond exerçant une influence sur l’ensemble de ce mémoire.

3.1 Positionnement épistémologique Les études qui s’attardent aux processus sous-tendant la création, la modification et l’abrogation des lois pénales, telle la présente recherche, s’avèrent plutôt récentes. Avant les années soixante, les processus relatifs à la criminalisation primaire51 intéressaient somme toute peu les sociologues. Pour leur part, les criminologues s’intéressaient, et s’intéressent encore largement, à l’étude des comportements criminalisés dans une perspective étiologique positiviste et post-positiviste. D’une manière plus précise, les criminologues positivistes et post-positivistes se concentrent sur l’étude des caractéristiques, qu’elles soient ontologiques, physiologiques, psychologiques ou sociales, qui distinguent les « criminels des non-criminels »52. De ce fait, les criminologues d’orientation positiviste et post-positiviste considèrent la criminalité comme une propriété des individus et des comportements. Ainsi, ce qu’il nomme le phénomène criminel est, à leurs yeux, un « fait » qui précède et qui est extrinsèque à la réaction sociale et au droit pénal (Hebberecht, 1985). Or, depuis les années soixante, un certain nombre de sociologues et de criminologues, en désaccord avec cette posture épistémologique, se sont plutôt intéressés aux formes de réactions sociales à l’égard de la criminalité, et ce, en ne concevant pas celles-ci comme de simples réponses ou solutions aux comportements criminalisés ou déviants, mais bien comme un élément constitutif des comportements criminalisés (Pires, 1993; Cartuyvels, 2007). En ce sens, Robert (1984) affirme que « la loi pénale crée l’infraction (pas le comportement, bien entendu, mais son existence en tant que crime) par son institution même » (Robert, 1984 : 107). Cette conception de la criminalité telle une réalité construite est une alternative aux conceptions positivistes et post-positivistes de la criminalité qui dominent le

51 La criminalisation est généralement divisée en deux grands processus, soit la criminalisation primaire qui réfère aux processus politiques et législatifs par lesquels toutes les lois pénales sont créées, modifiées ou abrogées, et la criminalisation secondaire qui réfère, quant à elle, à l’administration, l’opérationnalisation et l’application des normes pénales par les divers acteurs de l’appareil pénal (Cartuyvels, 2007). Pour ce mémoire, seule la criminalisation primaire sera abordée, puisque je m’intéresse uniquement aux processus politiques et législatifs la sous-tendant. 52 Ici, il s’agit des termes utilisés par les positivistes et les post-positivistes, voir ma critique à la note de bas de page numéro cinq.

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champ de la criminologie. Cet ensemble de courants de pensée alternatifs se nomme le « paradigme de la réaction sociale » (Pires, 1993 : 130). Pour illustrer la construction sociale de la criminalité, Veyne (1978) utilise l’exemple particulièrement intéressant de l’anthropophagie qui, à travers certains contextes historiques, a été définie comme du cannibalisme illégal et, dans d’autres contextes historiques, comme une pratique sacrée. Or, concevoir le crime en tant que réalité construite ne signifie pas une négation de l’existence de situations-problèmes dans une période temporelle ou un espace social donné, il s’agit plutôt de souligner qu’un acte ou un comportement, jugé problématique sur le plan social, n’existe en tant que crime que si une pratique sociale l’objectivise comme tel, soit lorsqu’il se retrouve formellement incriminé dans une loi pénale. Dès lors, là où les paradigmes positivistes et post-positivistes considèrent le crime tel un fait brut, objectif, préexistant à la réaction sociale, le paradigme de la réaction sociale suggère plutôt que la loi précède cette objectivation sociale que représente le crime (Cartuyvels, 2007).

Se distanciant des postures positivistes et post-positivistes, le présent mémoire s’inscrit dans le paradigme de la réaction sociale. Les conséquences de cette posture constructiviste s’avèrent d’ailleurs très importantes pour les questionnements sociologiques et criminologiques soulevés dans ce mémoire. Effectivement, ce positionnement épistémologique permet de mettre l’accent sur le rôle des acteurs à l’œuvre dans l’arène politique et plus précisément sur les jeux d’acteurs et les rapports de pouvoir présents derrière la construction, ou la déconstruction, des politiques pénales, tout comme il met en exergue les conflits de valeurs et d’intérêts se cachant derrière les politiques pénales qui ne sont pas axiologiquement neutres, comme certains pourraient l’affirmer (Cartuyvels, 2007).

Au sein du paradigme de la réaction sociale, plusieurs cadres théoriques convergent. Bien que plusieurs courants théoriques s’avèrent intéressants pour traiter de ce sujet, ce mémoire s’inscrit dans les théories du conflit et, plus précisément, les théories conflictuelles de la criminalité. Le choix de cette approche théorique ne relève pas du hasard; les théories conflictuelles de la criminalité représentent une approche théorique appropriée pour étudier la manière dont s’articule le populisme dans les politiques pénales du gouvernement Harper dans la mesure où ces théories se concentrent, notamment, sur les raisons et les processus sous-tendant la criminalisation primaire53.

53 Certaines théories conflictuelles de la criminalité abordent non seulement la criminalisation primaire, mais également la criminalisation secondaire. Or, comme la criminalisation secondaire n’est pas reliée aux objectifs de ce mémoire, dans ce chapitre, uniquement les segments des thèses relatifs à la criminalisation primaire seront abordés.

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3.2 Les théories du conflit Bien que les postulats des théories du conflit prennent racine dans les travaux de Karl Marx et Georg Simmel, l’apparition officielle de celles-ci dans les écrits scientifiques remonte aux années 1960, et ce, non sans raison. Les théories du conflit sont, en effet, reliées au contexte de contestation sociale qui prévalait aux États-Unis54 à la fin des années 1960, alors que régnait un climat contestataire qui tirait d’ailleurs sa force dans trois conjectures d’importance de l’époque, soit les campagnes d’opposition à la guerre du Vietnam, les désobéissances civiles entourant le mouvement des droits civiques, et la naissance de la contre-culture américaine qui se caractérisait, entre autres, par la naissance de la consommation de masse de stupéfiants, la standardisation des rôles homme-femme et une opposition radicale à l’American way of life55. C’est donc à travers ces mouvements sociaux contestataires, qui ont engendré une forte ébullition intellectuelle sur les campus universitaires, que plusieurs chercheurs et professeurs ont commencé à interpréter le monde social à travers un nouveau cadre d’analyse théorique dont les postulats affirmaient que les sociétés sont composées de groupes qui sont en perpétuel conflit pour l’obtention et le maintien du pouvoir (Lilly, Ball et Cullen, 2011).

Bien que les théories du conflit furent, dans les années 1960 et 1970, plus ou moins populaire notamment à cause de son orientation politique qui froissait la frange conservatrice de l’élite scientifique, plusieurs versions plus ou moins hétéroclites de cette théorie virent le jour. Nonobstant certaines divergences, les théories du conflit semblent fondées sur un principe de départ commun, soit que les sociétés fonctionnent de manière antagoniste et que les rapports conflictuels découlant de ce fonctionnement s’avèrent constitutifs de l’ordre social. Plus précisément, un fonctionnement sociétal antagoniste réfère à une opposition entre des individus ou des groupes qui sont en conflit pour l’acquisition, l’utilisation et la pérennisation de la possession des ressources, tant matérielles que symboliques, qui s’avèrent limitées. Dans ces conditions, l’objet de tout conflit est donc de modifier ou de perpétuer les rapports de forces existant entre les groupes (Baratta, 1982; Lilly, Ball et Cullen, 2011). En somme, il s’agit d’un courant de pensée théorique qui donne tout son sens à la célèbre phrase de Max Weber « conflict cannot be excluded from social life…"peace" is nothing more

54 Notons que le contexte contestataire ne fut pas circonscrit aux États-Unis puisque plusieurs mouvements protestataires se déroulèrent également de l’autre côté de l’Atlantique notamment en France. D’ailleurs, les événements de Mai 68 en France, dans lesquels la jeunesse étudiante et ouvrière s’est révoltée contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et le pouvoir gaulliste en place, sont particulièrement importants dans l’effervescence des courants contestataires dans la mesure où ces événements ont influencé de nombreux autres mouvements contestataires aux quatre coins du monde, et ce, jusqu’au milieu des années soixante-dix (Weber, 1998). 55 L’American way of life est un modèle de société promouvant, entre autres, les valeurs traditionnelles familiales (par exemple, une famille nucléaire composée d’un couple hétérosexuel ayant des enfants), la réussite individuelle et le consumérisme (Lawrence, 2017).

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than a change in the form of the conflict or in the antagonists or in the objects of the conflict, or finally in the chances of selection » (Weber, 1949 : 27).

Les théories du conflit sont généralement divisées en deux grandes perspectives, soit la perspective pluraliste et la perspective radicale. Les versions pluralistes stipulent que les sociétés sont composées d’une myriade de groupes de différentes tailles et temporaires qui se battent pour faire prévaloir leurs intérêts et exercer un contrôle sur différentes problématiques. Les versions radicales suggèrent, quant à elles, que les sociétés sont divisées en deux classes qui s’opposent fortement en raison de l’exploitation et de la paupérisation de la classe dominée par la classe dominante, qui possède le capital et le pouvoir. La perspective radicale s’inscrit donc dans les idéaux marxistes de la lutte des classes (Williams, et McShane, 2010; Lilly, Ball et Cullen, 2011). Certains suggèrent d’ailleurs que l’approche marxiste englobe l’ensemble des théories du conflit rattachées à la perspective radicale. Or, Bohm (1982) note que la perspective radicale est un amalgame d’approches théoriques plus ou moins bigarrées qui divergent parfois de l’approche marxiste « pure ». À titre d’exemple, bien qu’elle s’inspire d’idéaux marxistes, la thèse de Ralf Dahrendorf (1965), qui a grandement influencé la thèse d’Austin Turk décrite ci-dessous (Baratta, 1982), avance que les sociétés postindustrielles sont bel et bien caractérisées par une lutte de classes, mais que l’objet du conflit n’est pas les rapports matériels de propriété, de production, et de distribution, comme pouvait l’affirmer Marx, mais bien le rapport politique de domination de certains individus sur d’autres.

3.3 Les théories conflictuelles de la criminalité Dans le cadre limité de ce mémoire, il ne semble pas pertinent de s’attarder davantage au débat entourant le nombre de groupes en conflit forgeant les sociétés ni aux divergences entre la perspective radicale et l’approche marxiste, dans la mesure où ces questions n’ont pas d’incidences sur les visées de la présente recherche. Je tente plutôt de décrire comment, selon les divers postulats des théories conflictuelles de la criminalité, le processus de criminalisation est orienté par le fonctionnement antagoniste et conflictuel des sociétés. Pour y arriver, les sections subséquentes traitent des thèses de trois des plus grands spécialistes des théories conflictuelles de la criminalité, soit George B. Vold, Austin Turk et William Chambliss.

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3.3.1 George B. Vold : Conflit et crime L’ouvrage Theoretical Criminology, publié en 1958 par George B. Vold, représente, en quelque sorte, le point de départ de la quasi-majorité des théories conflictuelles de la criminalité (Bernard et Snipes, 2016). Dans cet ouvrage, Vold érige une théorie fondée sur une perspective simmelienne du conflit selon laquelle les sociétés sont constituées de groupes qui naissent dans des situations où des citoyens ont des intérêts et des besoins communs qui peuvent être favorisés par une action collective. Selon les travaux de Vold, les groupes s’érigent donc à travers les besoins de leurs membres et doivent ainsi servir ces besoins sans quoi ils s’affaiblissent, voire disparaissent. Par voie de conséquence, de nouveaux groupes se forment continuellement quand surgissent de nouveaux intérêts, alors que des groupes déjà existants se dissipent lorsqu’ils n’ont plus de buts à servir (Baratta, 1982; Bernard et Snipes, 2016).

D’après la théorie de Vold, des conflits émergent entre les groupes lorsque, dans la poursuite de leurs propres intérêts et objectifs, les groupes entrent en concurrence sur un même champ d’interaction. Le cas échéant, les groupes tentent généralement d’assujettir ou d’éliminer les groupes concurrents. Pour y arriver, les groupes en conflit vont faire appel à l’intervention de l’État pour défendre leurs droits et sauvegarder leurs intérêts, une intervention qui pourrait prendre la forme de législations pénales. En ce sens, le processus de criminalisation primaire est, aux dires de Vold, un processus au cours duquel les puissants parviennent à influencer les législations pénales pour qu’elles visent et neutralisent certains actes des groupes moins puissants qui sont attentatoires aux intérêts des groupes dominants. Le processus de criminalisation est donc, comme le droit pénal, de nature politique (Baratta, 1982; Bernard et Snipes, 2016). En somme, Vold (1958) affirme qu’il importe peu quels groupes ont « raison » et lesquels ont « tort », ce sont les perdants des conflits qui se retrouvent définis comme des « criminels »56.

3.3.2 Austin Turk et William Chambliss : Crime, pouvoir et processus législatif Austin Turk est un autre spécialiste des théories conflictuelles de la criminalité. L’ensemble de ses travaux, également ancrés dans une perspective simmelienne du conflit, se base sur la prémisse que la délinquance ne réfère pas à une classe de comportements (ou à une combinaison de classes), mais plutôt à un statut social attribué à quelqu’un par ceux qui ont le pouvoir d’appliquer les définitions légales. Ainsi, pour Turk, le processus de criminalisation primaire est une expression du conflit dans lequel le droit pénal reflète les intérêts des groupes dominants sur le plan politique. La criminalisation

56 La criminalisation de certaines formes de protestation lors des manifestations reliées au mouvement des droits civiques aux États-Unis en est d’ailleurs un exemple notable.

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n’est donc pas un processus neutre; les lois sont plutôt des incarnations des valeurs de ceux qui acquièrent le pouvoir de créer lesdites lois. Par conséquent, les intérêts qui sont à la base de la criminalisation et de son application sont les intérêts des groupes qui ont le pouvoir de diriger le processus de criminalisation. Dès lors, les intérêts protégés à travers le droit pénal ne sont donc pas des intérêts communs à tous les citoyens. En outre, lorsque le groupe dominant réussit à faire reconnaître ses propres valeurs dans la loi, la loi elle-même devient une ressource, car son application va permettre de perpétuer lesdites valeurs et ainsi garder les groupes puissants au pouvoir. Ainsi, selon Turk, non seulement les lois pénales se forment dans la répartition inégale des pouvoirs, mais elles contribuent également à la perpétuation de cette inégalité de pouvoir (Turk, 1969; Baratta, 1982; Hebberecht, 1985; Bernard et Snipes, 2016).

S’intéressant également à la relativité du crime et à la façon dont l’attribution de l’étiquette criminelle semble être le produit d’un conflit social, William Chambliss appuie les prémisses de la thèse de Turk, mais va toutefois s’intéresser davantage aux liens entre les classes sociales et la criminalisation primaire. Dans son ouvrage A sociological analysis of the law of vagrancy (1964), Chambliss explique le rôle, dans l’évolution des lois sur le vagabondage, des classes sociales supérieures et des groupes d’intérêts dominants à travers les époques57, et ce, dans le but de documenter comment la création de ses lois et les changements qui sont apportés peuvent profiter aux classes dirigeantes. Cette analyse va lui permettre d’illustrer que les conflits, qui prennent forme dans les inégalités de propriété, de pouvoir et de prestige entre les classes sociales et les groupes d’intérêts, orientent les législations pénales à la faveur des dominants.

Extrapolant aux autres conflits sociaux, Chambliss illustre, dans ses travaux subséquents, que les conflits vont inévitablement tourner à l’avantage des classes sociales supérieures et des groupes d’intérêts les plus puissants, ce qui va engendrer une panoplie de lois pénales mettant l’accent sur les comportements des classes subalternes. Dès lors, lorsqu’une classe sociale ou un groupe d’intérêts réussit à définir comme illégaux les comportements d’une autre classe sociale, jugés contraires à ses intérêts, le comportement criminalisé et la peine deviennent des instruments qui permettent de « contrôler » les classes inférieures et ainsi maintenir les structures de pouvoir avantageant les intérêts des groupes et des classes dominantes. D’ailleurs, Chambliss suggère que le développement du capitalisme est corrélé à l’augmentation de la fréquence et de la violence des conflits, notamment en

57 Plusieurs groupes de pression se sont succédé pour influencer les lois sur le vagabondage; ce furent d’abord les communautés religieuses, puis les seigneurs féodaux et finalement les commerçants et les chefs d’entreprises (Chambliss, 1964).

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raison de la prolétarisation croissante, et que conséquemment, sous l’effervescence du capitalisme, de plus en plus d’actes sont qualifiés de criminels. En ancrant sa thèse dans des idéaux marxistes, Chambliss va même avancer que les lois pénales sont de simples instruments coercitifs à la disposition de l’État afin de sauvegarder l’ordre économique et social du capitalisme (Chambliss, 1964 et 1969; Hebberecht, 1985; Lilly, Ball et Cullen, 2011).

3.4 Les « dérivés » et la synthèse des théories du conflit Les ouvrages qui ont été utilisés pour la description des théories du conflit s’avèrent plus ou moins récents. À l’heure actuelle, les spécialistes qui travaillent sur les conflits et les luttes de pouvoir qui sous-tendent le droit et la politique ne semblent plus s’afficher strictement comme des théoriciens du conflit; leurs recherches constituent plutôt un sous-courant de grands champs de recherche, tels que la sociologie politique et la sociologie de l’action publique. À titre d’exemple, bien qu’ils ne parlent pas de théories du conflit, Lascoume et Le Galès (2012) avancent que l’analyse des politiques publiques suggère que la référence à l’intérêt général dans les décisions étatiques relève plus de l’utopie que de la réalité, et ce, dans la mesure où la domination de certains groupes est plus qu’évidente. Plus précisément, ils mettent en évidence que l’État n’apporte pas de réponses ou de solutions aux problèmes sociétaux en agissant au nom de l’intérêt général et en arbitrant des enjeux extérieurs à lui. La construction d’une politique publique ne se fait pas dans un espace social neutre; un ensemble de groupes et d’acteurs interagissent de manière concurrentielle pour mettre en évidence l’importance de certains enjeux qui leur sont propres, pour faire prévaloir leurs représentations de ces enjeux et pour orienter, à leur avantage, les actions à entreprendre à l’égard de ces enjeux. À la lumière de telles explications, il s’avère possible de dresser des parallèles entre les théories du conflit et les travaux de Lascoume et Le Galès, qui ne représentent qu’un exemple parmi plusieurs spécialistes de la sociologie politique et de l’action politique qui s’intéressent au conflit.

J’ai abordé, depuis le début de ce chapitre, plusieurs éléments relatifs aux théories du conflit, éléments qui étaient non seulement reliés aux postulats généraux de ces théories, mais aussi, plus précisément, au processus de criminalisation primaire. Pour synthétiser les divers arguments de ces théories, je dresse dans le tableau 2 une liste de propositions58, sous-divisées en deux thématiques qui, à mon sens, résument les postulats majeurs des théories conflictuelles précédemment abordées.

58 Ce tableau est un résumé des idées avancées par Vold (1958), Turk (1969), Chambliss (1967, 1969 et 1975), Baratta (1982), Hebberecht (1985), Williams et McShane (2010), Lilly, Ball et Cullen (2011), Bernard et coll., (2016).

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Tableau 2. Synthèse des théories du conflit

Le fonctionnement des sociétés : rapports conflictuels et antagoniques # 1 Les conflits sont inhérents à la vie sociale, l’ordre social est d’ailleurs façonné à travers le fonctionnement antagoniste des sociétés. # 2 Les ressources, qu’elles soient matérielles ou symboliques, sont limitées et engendrent donc des rapports de force pour leur obtention. Les tentatives de s’approprier le contrôle de ces ressources expliquent d’ailleurs la large majorité des conflits sociaux. # 3 Le contrôle des ressources confère un pouvoir et ce pouvoir est utilisé pour maintenir et augmenter le contrôle des ressources d’un groupe au détriment du ou des autres groupes concurrents59. # 4 Lorsqu’un groupe arrive à dominer un autre ou plusieurs autres groupes, il cherchera à utiliser tous les mécanismes sociaux possibles pour s’assurer de pérenniser sa domination. Crimes et lois pénales : les conséquences d’un processus de criminalisation basé sur les conflits sociaux # 1 Les actes qui sont définis comme criminels le sont parce qu’il est dans l’intérêt du ou des groupes dominants de les définir ainsi. La criminalité est donc une réalité qui n’existe que lorsqu’elle est créée par ceux dont les intérêts sont servis par sa présence. # 2 La loi est un mécanisme social qui fournit au(x) groupe(s) dominant(s) le moyen de légitimer et d’instaurer ses(leurs) convictions. # 3 Les lois incarnent les valeurs du ou des groupes dominants; leur application va donc favoriser les intérêts du ou des groupes dominants et va criminaliser les comportements du(des) groupe(s) dominé(s) qui seraient préjudiciables aux intérêts des dominants. # 4 Puisque les lois incarnent les valeurs du ou des groupes dominants, leurs comportements, qu’ils soient justes ou non, ne sont généralement pas criminalisés. # 5 La criminalité est une construction sociale, elle varie donc d’une société à l’autre, et ce, principalement en fonction des structures politiques et économiques desdites sociétés.

3.5 Les théories du conflit et l’objet d’étude de ce mémoire En considération de ce qui a été avancé dans ce chapitre, il appert que les politiques pénales résultent de luttes de pouvoirs et de rapports conflictuels et vont, par conséquent, refléter les valeurs et les intérêts des dominants. De ce fait, puisque les valeurs et les intérêts du gouvernement Harper risquent d’avoir un impact sur les politiques pénales analysées, il semble pertinent de dresser un portrait sommaire de certaines facettes de l’idéologie conservatrice propres au gouvernement Harper. La compréhension du conservatisme harperien s’avère d’autant plus intéressante que les gouvernements plus conservateurs semblent généralement utiliser le droit pénal tel un outil de répression idéologique favorisant un contrôle social très strict (Berthelet, 2016)60. Conséquemment, la compréhension du

59 La référence aux groupes sociaux n’est faite que pour alléger la synthèse. À la lumière des écrits de Chambliss (1975), l’appellation « groupes sociaux » pourrait être remplacée par le concept de « classe sociale » ou « groupes d’intérêts » sans dénaturer les propos avancés. 60 À titre d’exemple, un des conservateurs notoires de l’histoire canadienne, Maurice Duplessis, a utilisé les processus de criminalisation primaire et secondaire pour réprimer les activités sexuelles jugées déviantes par

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conservatisme harperien sera très éclairante quant à certains choix et visées des réformes pénales ratifiées par ce gouvernement.

3.6 Le conservatisme harperien Dans le langage commun, le conservatisme est perçu, de manière simpliste, comme une idéologie tournée vers le passé et qui se donne comme unique mission de conserver le statu quo. Or, une telle définition s’avère réductrice pour une idéologie qui peut sous-tendre des orientations politiques très hétéroclites. À titre d’exemple, le conservatisme de Margaret Thatcher fondé sur une négation de l’existence d’une société organique transcendant les individus, qui n’est pas sans rappeler sa célèbre citation « there is no such thing as society », diffère à bien des égards du conservatisme compassionnel61 autoproclamé de George W. Bush (Garnett et Lynch, 2010). En ce sens, le conservatisme harperien était une forme singulière de conservatisme, qui s’est révélée en pleine rupture avec la tradition conservatrice canadienne, notamment l’héritage paternaliste de Mulroney. Unique en son genre, le conservatisme du gouvernement Harper fut, aux dires de plusieurs, fondé à travers les écrits des intellectuels de l’École de Calgary, tels que Tom Flanagan, Rainer Knopff et Ted Morton. L’École de Calgary est une appellation utilisée pour décrire une école de pensée rassemblant des universitaires, des chercheurs et d’anciens étudiants de l’Université de Calgary qui partagent une même philosophie politique inspirée d’un amalgame du libéralisme économique62 et du néoconservatisme étatsunien63 (Boisvert, 2007; Gobeille Paré 2013; Sanschagrin, 2015).

Sur le plan des propositions politiques, l’École de Calgary s’oppose, en grande partie, à la discrimination positive et à l’intervention de l’État dans les domaines social, culturel et économique et appelle plutôt à la réduction des impôts, la baisse des dépenses publiques, le développement du libre-échange, la régulation par le marché et la libre entreprise. Cette école s’oppose également à la judiciarisation de la politique64 et valorise la suprématie parlementaire qui s’appuie sur le principe de majorité (Boisvert, 2007; Sanschagrin, 2015). Il appert également que le conservatisme qui anima

le groupe dominant, principalement l’homosexualité, et ce, afin de valoriser et de promouvoir sa vision traditionnelle et cléricale de la société (Corriveau, 2007). 61 Le conservatisme compassionnel est une forme de conservatisme qui vise à utiliser des techniques et des idées conservatrices pour améliorer le bien-être général de la société (Vaisse, 2008). 62 Le libéralisme économique s’oppose au contrôle, par l’État, des moyens de production et favorise la non- intervention de l’État dans l'économie, si ce n’est que pour garantir un marché équitable. 63 Les visées du néoconservatisme sont très diverses. Pour les fins de la présente explication, soulignons uniquement que le néoconservatisme promeut non seulement l’accroissement des biens matériels, mais également la mise en place d’une moralité plus ferme. Ainsi, pour les tenants de cette forme de conservatisme, il ne suffit pas de chercher à bien vivre, il est nécessaire de « vivre selon le Bien » (Roucaute, 2005 : 8). 64 La judiciarisation de la politique réfère au processus de mobilisation du droit et des tribunaux, par des protagonistes ou des groupes d’intérêts, au service de leurs intérêts sociopolitiques (Sanschagrin, 2015).

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Stephen Harper et sa formation politique n’était pas uniquement centré sur la question économique. Les tenants de l’École de Calgary considèrent en effet que l’État se doit de préserver et favoriser la morale des gens ordinaires, laquelle est opposée au post-matérialisme65 des élites qui seraient supposément déphasées. (Dorion-Soulié et Sanschagrin, 2014). Qui plus est, affirmant que le Canada était plongé dans un « nihilisme moral » depuis des décennies (Cros, 2015 : 13), Stephen Harper a condamné à répétition l’héritage libéral qui aurait favorisé la neutralité et le relativisme moral ainsi que l’équivalence des valeurs. À cet égard, lors d’une conférence, en 2003, Stephen Harper avait affirmé « que redécouvrir la droite ne signifie pas de s’inquiéter seulement des coûts de l’État, mais aussi des valeurs de ce dernier. La droite doit se préoccuper de cette menace que posent les libéraux modernes aux fondements moraux de notre société » (Dorion-Soulié et Sanschagrin, 2014 : 544). Par voie de conséquence, le gouvernement Harper met l’accent sur l’ordre social, la tradition et les valeurs morales et religieuses. Très pragmatique, Stephen Harper a, toutefois, régulièrement tempéré les remarques de certains candidats conservateurs « purs et durs » remettant en cause, au nom de valeurs conservatrices, l’accès à l’avortement, le mariage homosexuel, le bilinguisme fédéral et d’autres institutions fortement ancrées dans la culture canadienne. S’appuyant plutôt sur la stratégie de l’incrémentalisme, élaborée par Tom Flanagan, selon laquelle la redécouverte des valeurs conservatrices s’avère un combat qui ne pouvait être gagné qu’à petit feu, le conservatisme harperien semble imprégné de la croyance selon laquelle le déplacement de l’identité canadienne vers la droite passe par une transformation lente et graduelle des politiques publiques, des institutions canadiennes et de l’éthos national (Cros, 2015).

3.7 Remarques conclusives Ce chapitre décrit la posture épistémologique dans laquelle s’ancre ce mémoire, du cadre théorique préconisé, soit les théories conflictuelles de la criminalité, ainsi qu’une présentation sommaire des facettes du conservatisme harperien. Un tel exercice avait pour but d’illustrer que le processus de criminalisation sous-tendant les politiques analysées est, du moins partiellement, assujetti à des rapports antagoniques découlant de divers conflits d’intérêts à travers lesquels le gouvernement tente d’imposer une idéologie conservatrice. Pour analyser les enjeux relatifs au populisme pénal sous- tendant l’articulation conflictuelles de politiques pénales harperiennes, il sera question, dans le prochain chapitre, de brosser un portrait des diverses facettes du populisme et du populisme pénal.

65 Défini par Ronald Inglehart (1997), le post-matérialisme est une théorie selon laquelle les valeurs et les besoins individuels sont passés de matériels et quantitatifs (ex. biens physiques, ressources économiques, etc.) à postmatériels et qualitatifs (ex. autonomie, épanouissement, satisfaction intellectuelle, etc.).

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Chapitre 4 – Cadre conceptuel : Du populisme au populisme pénal

À la lumière des pages précédentes de ce mémoire, on peut raisonnablement penser que le volontarisme punitif du gouvernement Harper a eu un impact significatif sur l’archipel pénal canadien qui semble aujourd’hui davantage modulé par des idéaux de nature répressive, une tendance punitive que j’ai attribué à l’ancrage populiste de ce gouvernement en matière pénale. Pour pouvoir adéquatement saisir et analyser la manière dont s’articule cet ancrage populiste, le présent chapitre – qui explicite le cadre conceptuel et agit à titre de complément au cadre théorique précédemment décrit – dresse le portrait de la notion de populisme tant dans le monde politique que dans le champ pénal. Bien que ce mémoire traite spécifiquement de populisme en matière pénale, il apparaît indispensable de traiter brièvement du populisme politique66 dans la mesure où le populisme pénal, malgré ses spécificités, ne peut être dissocié de sa forme la plus extensive : le populisme politique.

4.1 Le populisme politique Lorsqu’il est question de politique, peu de termes ont été aussi largement employés que celui de populisme, sans toutefois être adéquatement définis. Ce flou sémantique, amalgamé au caractère de non-permanence des diverses formes de populisme ainsi qu’à une surutilisation du terme au point de l’évider de tout sens précis, fait en sorte que la notion de populisme est aujourd’hui principalement utilisée à des fins péjoratives. Incontestablement polémique dans le langage populaire, la notion de populisme n’échappe d’ailleurs pas aux jugements de valeur et aux représentations manichéennes et n’est donc que très rarement utilisée tel un concept analytique rigoureux ou encore comme un modèle d’intelligibilité des phénomènes politiques (Laclau, 1977; Lorent, 2010; Taguieff, 2012).

Face à cette nébulosité conceptuelle, il est primordial de débuter la compréhension du populisme en déconstruisant les raccourcis intellectuels populaires qui relient invariablement le populisme aux techniques démagogiques de certains « politicailleurs ». Bien au-delà du machiavélisme politique, le populisme, lorsqu’il n’est pas perverti, peut être perçu comme une caractéristique décrivant les hommes et les femmes politiques promouvant une démocratie directe et participative (Taguieff, 2007; Hermet, 2014). Qui plus est, derrière la polysémie nébuleuse du concept, le populisme est aussi

66 Pour certains auteurs, le populisme n’est pas une exclusivité de la politique dans la mesure où il existerait d’autres formes de populisme, telles que les médias populistes, les intellectuels populistes, etc. Les diverses formes de populisme utilisent généralement les mêmes procédés, mais au lieu d’être tournées vers l’acquisition d’un capital politique, elles visent plutôt l’augmentation des cotes d’écoute, l’acquisition d’une popularité, etc. (Arcand, 2013). Dans le cadre de ce mémoire, je me limiterai toutefois à l’étude du populisme politique et pénal. Pour alléger le texte, le terme populisme référera au populisme politique.

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régulièrement conceptualisé comme une idéologie dans la communauté scientifique (Mudde, 2004). Or, des auteurs tels que Taguieff (2007) vont réfuter cette affirmation en argumentant que le populisme n’est pas inéluctablement un corps de doctrines prédéfinies à partir desquelles la réalité est analysée et qui peut par le fait même orienter les actions individuelles ou collectives. Taguieff et d’autres penseurs du populisme tels que Wiles (1969), Canovan (1981), et Taggart (2004) vont plutôt conceptualiser le populisme tel un style ou une approche politique, soit un composé variable d’attitudes et d’opérations rhétoriques fondamentalement orientées vers un appel systématique au peuple caractérisant un leader ou un parti politique. Ainsi, des formes de populisme peuvent se retrouver dans n’importe quelle orientation politique, qu’elle soit de droite ou de gauche, réactionnaire ou progressiste67 (Boily, 2002). N’étant pas défini par sa position sur l’échiquier classique de la droite et de la gauche institutionnelle politique68, le politicien populiste est plutôt caractérisé par son appel au peuple, son rejet de l’élitocratie intellectuelle et politique ainsi que sa contestation des structures de pouvoir établies (Canonvan, 1999; Taguieff, 2007). À cette formule s’ajoute une variété d’ingrédients idéologiques allant du libéralisme économique à la défense de l’État-providence, du libre-échangisme au protectionnisme et de l’ethnodifférentialisme à l’universalisme. Sous cet angle, le politicien populiste fait donc preuve à bien des égards d’une omnipotence syncrétique (Taguieff, 2007). Ainsi, il appert vain de penser le populisme à travers une définition unique et immuable, car celui-ci est infléchi de différentes façons selon les contextes socio- historiques et politiques dans lequel il apparait (Charaudeau, 2011). Néanmoins, certains éléments semblent se retrouver plus régulièrement chez les politiciens aux styles populistes.

Tout d’abord, le politicien adoptant un style populiste galvanise généralement sa popularité en misant sur le mécontentement du peuple à l’égard de la manière dont il est gouverné ainsi que sur les peurs identitaires et sécuritaires qui l’animent. Pour le populiste, la qualité interne des rapports sociaux n’a que peu d’importance dans la cohésion et la prospérité d’une société; ce qui compte, c’est la prédominance de son identité. En ce sens, le leader populiste entretient bien souvent le fantasme du peuple ethnique, racialement pur, opposé aux étrangers (Taguieff; 2007). Ses orientations politiques vont donc se concrétiser à travers des discours politiques ciblant les racines du peuple et à l’aide de

67 Pour illustrer l’élasticité de la notion de populisme, peu d’exemples sont plus éloquents que les primaires étatsuniennes de 2016. Dans un coin, Bernie Sanders, populiste et socialiste, a mobilisé les foules en revendiquant une organisation sociale et économique plus équitable. À son antipode, Donald Trump, tout aussi populiste, mais beaucoup plus tourné vers un nationalisme et un capitalisme sauvage a, quant à lui, remporté l’élection présidentielle de 2016 à l’aide d’un programme politique qui s’avère à bien des égards destructeur de la cohésion sociale et qui perpétue également les inégalités sociales. 68 Si, sur le plan conceptuel, le populisme n’est ni de gauche ni de droite, certaines tendances sont observables. Sans être une règle universelle, il semble que dans les nations à tendance plus conservatrice de droite, le populisme soit généralement plus libéral de gauche, et vice-versa (Laycock, 2005).

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déclarations qui affirment que le peuple est opprimé et exploité par des élites immorales, corrompues et parasitaires. En outre, le populisme n’est pas strictement antiélitiste; il est également un anti- pluraliste puisque, pour le populiste, lui et lui seul représente le peuple. Les politiciens populistes ont ainsi une forte propension à tenter d’annihiler l’opposition (Abts et Rummens, 2007; Müller, 2016).

Les populistes tirent également leurs forces de la critique de certaines réalités sociales jugées problématiques par une frange de l’électorat69 (Taguieff; 2007; Müller, 2016; Jamin, 2017). Par voie de conséquence, un des rôles du politicien populiste est de permettre au peuple d’exprimer sa colère. Pour y arriver, les politiciens populistes tendent à proposer un ensemble de solutions parfois simplistes, teintées d’émotions et s’éloignant des discours élitistes et intellectuels qu’ils considèrent comme détachés des enjeux du peuple (Canovan, 1981; Taguieff, 2007). De cet angle, le populisme n’a rien d’un phénomène ex nihilo. Bien au contraire, son émergence et son effervescence semblent plutôt tributaires du syndrome de désenchantement qui frappe actuellement les sociétés contemporaines. Ce syndrome – forme de désillusion largement généralisée – découle notamment de l’échec des régimes démocratiques modernes imputable au manque de participation citoyenne et au désaveu collectif vis-à-vis des processus politiques et de leurs acteurs. Or, quand la démocratie ne répond plus aux aspirations profondes des masses l’ayant plébiscitée, la déception peut s’avérer gravissime. Métaphoriquement parlant, cette perte de confiance à l’égard des institutions démocratiques représente une sorte de glaciation brutale à laquelle le discours populiste s’impose comme une échappatoire chaleureuse (Dorna, 1999).

Bien que les discours populistes obéissent à des règles à géométrie variable, certaines récurrences s’avèrent observables dans une majorité d’entre eux. Sans être exhaustive, la liste suivante, colligée par Dorna (2005), énumère certains des procédés linguistiques et sémantiques qui caractérisent le plus fréquemment les discours populistes :

 Des promesses implicites simples et peu techniques, mais décrivant avec énergie un élan collectif : « We will make America strong again. We will make America proud again. We will make America safe again. And we will make America great again. »70

69 À titre d’exemple, les populistes misent souvent sur la peur des étrangers et plus précisément sur les supposés dangers de l’immigration. 70 Citation tirée du discours inaugural de Donald Trump lors de son assermentation à titre de président des États- Unis, le 21 janvier 2016, repérée à : https://www.youtube.com/watch?v=sRBsJNdK1t0 (page consultée le 22 février 2017).

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 Des discours polarisants et généralement attitudinaux (pour ou contre). D’un côté, il y a le « nous » vertueux et juste. De l’autre côté, il y a les « autres » corrompus, dépravés et dangereux : « Either you’re with us, or you’re with the terrorists. »71  L’omniprésence des éloges du peuple l’identifiant à ses racines, ses origines, ses valeurs traditionnelles afin de valoriser le sentiment d’appartenance et la défense de l’identité nationale. Pour y arriver, les populistes peuvent faire appel à la cohésion nationale autour des symboles et des mots-clés qui renvoient aux clivages idéologiques : « Take a walk down the street and see where this is going. You no longer feel like you are living in your own country. There is a battle going on and we have to defend ourselves. Before you know it there will be more mosques than churches. »72  Une récurrence des discours à l’encontre des élites, de l’establishment, des politiciens et des institutions politiques: « There is a lot of sentiment that enough is enough, that we need fundamental changes, that the establishment—whether it is the economic establishment, the political establishment, or the media establishment—is failing the American people. »73  L’utilisation du franc-parler et des figures rhétoriques : « La première usine qu’il faut faire en France, c’est une usine à couilles. »74  L’utilisation d’une sémantique à forte charge affective et la mise à l’avant-plan des insécurités pour dramatiser les choix politiques : « Les Libéraux veulent légaliser la marijuana, ils en faciliteraient l’accès aux enfants. Les Libéraux veulent installer des centres d’injection de drogues illégales dans vos quartiers. Les Libéraux veulent légaliser la prostitution, laisser apparaître des bordels dans vos quartiers. »75

71 Phrase prononcée par George W. Bush dans un discours au Congrès en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, repérée à https://www.youtube.com/watch?v=ftfgofjvpE0 (page consultée le 22 février 2017). 72 Citation prononcée par Geert Wilders le 13 février 2007, repérée sur http://web.archive.org/web/20070514083622/http://www.expatica.com/actual/article.asp?subchannel_id=1 &story_id=36456 (page consultée le 22 février 2017). 73 Extrait du discours de Bernie Sanders lors du lancement de sa campagne, prononcé le 30 avril 2015, repéré à https://www.youtube.com/watch?v=fL12Gb_ixtU (page consultée le 22 février 2017). 74 Citation de Jean-Marie Le Pen datant du 20 mars 2012, repérée à https://qqcitations.com/citation/119798 (page consultée le 22 février 2017). 75 Publicité du gouvernement conservateur canadien lors de la campagne de 2015, repérée à http://ici.radio- canada.ca/nouvelle/743275/epreuve-faits-publicite-conservateurs-cannabis-prostitution-drogues-liberaux- trudeau (page consultée le 22 février 2017).

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Du reste, au-delà de leur parenté étymologique, le populisme tend vers la démagogie lorsque l’acteur populiste mise démesurément sur le principe de souveraineté du peuple et postule une homogénéité de la population. Considérer le peuple comme un sujet naturel76 et préfini par sa différence avec les élites est en soi réducteur dans la mesure où le « peuple » n’est pas un bloc monolithique stable et unifié dont les caractéristiques et les aspirations de ses membres sont inéluctablement identiques et nécessairement en antinomie avec celles des élites et des oligarques. Ainsi, Taguieff (2007) soutient que bien que les populistes aiment s’autoqualifier de démophiles, il n’en demeure pas moins que leur conceptualisation du peuple tend à exclure, voire stigmatiser les intérêts divergents. Dans ces circonstances, le populiste va alors réduire la vie démocratique dans le but de défendre sa cause77. Or, cette relation s’avère bidirectionnelle, puisque le populiste fait sienne la cause du peuple, il peut ainsi incarner, dans l’imaginaire collectif, l’image du sauveur qui mettra un frein à la perdition de la démocratie et plus largement des sociétés.

Bien que le populisme puisse bel et bien servir de tremplin d’émancipation face à certaines structures de pouvoir établies, il arrive que certains populistes leurrent volontairement la population en transformant, en cachant ou en niant certaines réalités sociales ou politiques. Ils peuvent également exagérer les menaces et créer des ennemis de toutes pièces, tout comme ils peuvent réduire les problèmes et les défis sociétaux à un cadre simpliste ne permettant ni de comprendre la situation, ni d’identifier la ou les causes du problème, ni de prendre des décisions éclairées et efficaces (Jamin, 2017). Au final, malgré leurs dires, les populistes ne représentent pas indubitablement des tribuns du peuple ou bien des vecteurs de démocratie.

76 Dans cette foulée, les écrits sociologiques, du moins ceux s’inscrivant dans une perspective constructiviste, avancent que le « peuple », indépendamment du sens politique qui lui ait accordé, n’existe pas en soi, il s’agit plutôt d’une construction sociale (Premat, 2004) 77 Pour illustrer ce propos, la comparaison entre Ross Perot, candidat indépendant aux élections présidentielles américaines de 1992 et 1996, et Jesse Jackson, candidat démocrate pour la nomination aux élections présidentielles en 1984 et en 1988, s’avère particulièrement intéressante. Bien que les deux politiciens réfèrent à la même population, celle des États-Unis, le « peuple » auquel réfère Perot est en contradiction apparente avec celui auquel réfère Jackson. Perot conçoit le peuple dans une perspective fiscale; celui-ci est donc composé des actionnaires des États-Unis, qui ont perdu le contrôle de leur propre pays à la suite des décisions de leurs dirigeants qui ont plongé le pays dans la dette et le déficit. Pour Jackson, le peuple représente plutôt les pauvres, les méprisés, les exclus du rêve américain, tels que les Afro-Américains racialement discriminés, les femmes victimes de sexisme, les individus qui travaillent dur sans joindre les deux bouts, ainsi que les petits entrepreneurs qui n’ont pas profité de la diminution des taxes réservée aux riches sous l’administration Reagan (Jamin, 2017). Cet exemple illustre qu’il est possible, pour les populistes, de délimiter leur définition du « peuple » aux personnes légitimant leurs idéaux et leurs propositions.

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4.2 L’incursion du populisme dans le champ pénal La survenance du populisme dans les sphères pénales d’un côté et de l’autre de l’Atlantique n’est pas le fruit du hasard, le traitement médiatique de la justice et de la criminalité et l’ère néolibérale semble avoir favorisé l’emprise grandissante du populisme sur les philosophies pénales de différents partis politiques. La présente section a donc comme visée de décrire sommairement ces deux réalités.

4.2.1 Le traitement médiatique de la justice et de la criminalité La criminalité et son traitement constituent des sujets engendrant de vives réactions. Cela dit, si une vaste majorité de la population s’intéresse à la criminalité et à sa répression, bien peu de gens possèdent des connaissances détaillées et éclairées des tendances quantitatives et qualitatives de la criminalité ainsi que des diverses facettes du fonctionnement de la justice pénale, une méconnaissance qui découle principalement du fait que les médias constituent la source d’information prééminente sur ces sujets (Altheide, 2003; Fox et coll., 2007). Les médias définissent en effet la « nouvelle » comme un événement sortant de l’ordinaire; les nouvelles traitant de la criminalité ne sont donc, par définition, en rien représentatives de la réalité (Leman-Langlois, 2007). Ainsi, plutôt qu’éduquer la population, les médias de masse contribuent à construire une représentation déformée de la criminalité et de l’appareil pénal (Altheide, 2003; Fox et coll., 2007).

Pour discuter des liens entre les médias, le crime et la justice pénale, deux concepts théoriques invoqués par Kitzinger (2004) sont particulièrement intéressants, soit l’agenda setting et le framing. L’agenda setting réfère au fait qu’à travers leur sélection des nouvelles, les médias de masse concentrent l’attention du public sur des sujets particuliers et influencent donc la perception du public sur l’importance desdits sujets78. Dès lors, 1'agenda médiatique a un impact sur celui du public qui, à son tour, est susceptible d’influencer l’agenda des autorités publiques. Indissociable, mais transcendant l’agenda setting, la notion de framing met en évidence qu’en plus de sélectionner certains sujets particuliers, les médias de masse accordent idéologiquement une prépondérance à certains aspects particuliers des sujets traités, et ce, de manière à promouvoir des définitions spécifiques, des interprétations causales, des évaluations morales et des recommandations quant à la manière de traiter l’objet en question. Grossièrement, l’agenda setting indique donc au public à quoi penser, tandis que le framing indique plutôt comment le penser (Kitzinger, 2004; Arsenault, 2015).

78 La genèse de l’intérêt porté à la criminalité peut prendre sa source, de manière unidirectionnelle, dans les médias. Bien qu’une couverture médiatique soutenue sur un sujet attire l’intérêt du public, l’intérêt du public pour une question peut également pousser les médias à s’y intéresser.

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Ces concepts sont intéressants pour traiter de la criminalité dans la mesure où, bien que la criminalité soit en constante diminution et qu’elle soit, somme toute, plutôt rare (Salas, 2005), elle constitue, depuis 1960, une part substantielle et croissante des reportages diffusés par les médias d’information en Amérique du Nord (Gardner, 2009). Bien que la proportion varie quelque peu entre les États-Unis et le Canada, plusieurs recherches révèlent que dans la presse écrite la criminalité représente entre 10 et 30 % du contenu moyen, tandis que dans les bulletins de nouvelles télévisées environ un reportage sur cinq traite de la criminalité, ce qui en fait le sujet le plus populaire (Gardner, 2009). En ce sens, l’abondance des nouvelles télévisées et écrites portant sur la criminalité79 engendre une perception selon laquelle la criminalité est omniprésente (Altheide, 2003).

En outre, la médiatisation des crimes porte presque exclusivement sur les causes les plus dramatiques et sensationnelles. L’accent est ainsi mis sur les crimes violents et spectaculaires, ce qui minimise, par le même fait, la couverture des infractions criminelles dites mineures, pourtant beaucoup plus abondantes. Dès lors, lorsqu’il est question de crime dans les médias, plusieurs auteurs utilisent la célèbre maxime « if it bleeds, it leads » (King et Maruna, 2006 : 17). Une analyse fine de la médiatisation de la criminalité pousse toutefois à nuancer ladite maxime, dans la mesure où l’ampleur de la médiatisation des crimes violents dépend des caractéristiques de la victime et de l’infraction. À titre d’exemple, les crimes qui sont perpétrés par des personnes provenant de groupes culturellement minoritaires sur des « Blancs » tendent à obtenir une forte couverture médiatique, tandis que les crimes dont les victimes sont issues de ces groupes minoritaires reçoivent une part plus négligeable de l’attention médiatique. Conséquemment, la maxime if it bleeds, it leads n’est pas tout à fait véridique. En fait, tout dépend de qui saigne (Dowler, Flemming et Muzzatti, 2006). Somme toute, selon une panoplie de recherches, les médias fournissent une représentation de la prévalence et de la gravité de la criminalité qui diffère foncièrement de la réalité (Schlesinger et Tumber; 1994; Dowler, Flemming et Muzzatti, 2006; Fox et coll., 2007). Du reste, lorsqu’il est question de la justice pénale, les médias vont traiter en quasi-exclusivité des peines les plus inusitées et de celles perçues comme injustes (Schlesinger et Tumber, 1994). À titre d’exemple, Duval (2016) a recensé, entre 2009 et 2016 pour le Québec, 461 articles traitant de « l’affaire Guy Turcotte », et ce, uniquement dans La Presse et Le Journal de Montréal. Une partie considérable de ces articles traitait du verdict de non- responsabilité criminelle et plus précisément de la critique dudit verdique. Cette importance accordée à ce verdique et à sa critique s’avère plutôt notable lorsqu’elle est mise en parallèle avec les chiffres

79 Les médias insistent sur les actes individuels et n’en disent que très peu sur les réalités et les contextes entourant les actions prohibées. Une prudence s’impose donc dans le choix des termes au sens où les médias ne traitent que très peu de la criminalité, mais accordent une grande importance aux crimes (Gardner, 2009).

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de la Revue canadienne de psychiatrie qui montrent que, pour l’ensemble des causes judiciaires du Québec pour les années 2011 et 2012, seulement 0,009 27 % se sont terminées par un verdict de non- responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (Crocker et coll., 2015).

Se rajoute à cette médiatisation l’avènement d’Internet dans lequel l’information est non hiérarchisée. Cela affaiblit la ligne séparant la « vraie » information de la simple opinion dans la mesure où, même si Internet est une source illimitée d’information, il s’agit également d’une sorte de matérialité directe et mouvante de l’opinion publique, et ce, pour la simple et bonne raison que n’importe qui peut publier ce qu’il veut sur Internet (Rieffel, 2010). Finalement, les dernières années ont également été marquées par la montée de la popularité des chroniques, des émissions télévisuelles et des radios d’opinions dans lesquelles, à la limite de la propagande, certains chroniqueurs laissent entendre que leurs dires relèvent de données factuelles, voire de la vérité absolue, alors qu’il s’agit d’un point de vue personnel. D’ailleurs, lorsqu’il est question de justice pénale, tous semblent avoir leur mot à dire. S’il peut paraître saugrenu d’envisager qu’un économiste rédige une chronique d’arts et spectacles, personne ne s’étonne de voir des chroniqueurs, sans qualification ou connaissance de la justice pénale, marteler sur les tribunes publiques que les prisons sont des « clubs Med » ou des « hôtels cinq étoiles » (Bélisle, 2010 : 19).

Cette prolifération d’informations non hiérarchisées, déformées et non représentatives de la criminalité, de la victimisation et du fonctionnement de la justice pénale qui captive, fascine et mobilise l’affectivo-imaginaire de l’humain au détriment de son jugement rationnel n’est pas sans conséquence. Au contraire, pour le public, le fait d’être sans cesse confronté à la criminalité à travers les canaux médiatiques à un effet insécurisant (Jewkes, 2004). Plusieurs recherches ont illustré qu’il existe une corrélation significative entre les médias, l’insécurité et l’adhésion à des mentalités et attitudes punitives (Sprott et Doob, 1997; Dowler, 2003; Callanan, 2005). C’est donc à travers ces préperceptions erronées de la criminalité, de la victimisation et de la justice pénale que se constituent des vagues d’insécurité, une profusion d’opinions négatives sur l’appareil pénal et une propension accrue à adhérer à des idéaux punitifs, un ensemble de conjectures qui peuvent être récupérées par des politiciens.

4.2.2 De l’État social à l’État pénal Loïc Wacquant (2010) affirme que plusieurs élites politiques ont élevé la criminalité au rang de priorité gouvernementale numéro un pour mettre en évidence leurs politiques d’extension du filet pénal, engendrant un déploiement considérable de la police, de la justice et de la prison dans le but

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de regagner une légitimité perdue à la suite de la réduction des soutiens économiques rattachée à l’abandon du contrat social fordiste-keynésien. Wacquant va approfondir cette thèse économique avec l’exemple des États-Unis et de leur marche vers le « Léviathan néolibéral » (Wacquant, 2010 : 151) qui a selon lui transformé, à la fin du 20e siècle, le traitement assistantiel des pauvres en une double régulation assistantielle et pénitentielle de la marginalité et de la pauvreté. Pour lui, la minoration de l’aide sociale et le crescendo carcéral sont des corollaires d’une même transformation politique, la croissance du second étant directement proportionnelle à l’avarice de la première.

Plus précisément, Wacquant affirme que les politiciens vont convertir l’anxiété sociale, qui découle, notamment, de la désagrégation du salariat et de la recrudescence des inégalités, en une aversion populaire à l’endroit des bénéficiaires de l’aide sociale et des « criminels de rue » (Wacquant, 2010 : 157), tous deux présentés comme des menaces pour l’ordre social par leur morale dépravée et leurs comportements déviants et qui, de ce fait, doivent être placés sous une tutelle sévère. À partir de ce moment, la contention punitive devient un outil qui permet de soulager la société des « indésirables » en les faisant disparaître derrière les murs des institutions carcérales. La contention punitive se serait alors transformée en une technique de gouvernance, et l’État pénal se serait érigé sur les reliquats de l’État social (Wacquant, 2010). Cette montée de l’État pénal va donc symboliser les transformations reliées à la volonté d’apaiser le sentiment d’insécurité grandissant, qui est lui, rappelons-le, partiellement lié à la construction médiatique du crime. En l’occurrence, ces réponses vont prendre la forme d’un resserrement de l’étau pénal basé sur le rejet de philosophies de contrôle du crime visant l’amélioration des conditions sociales et la réhabilitation de la personne judiciarisée.

4.3 Le populisme pénal Si, dans les écrits scientifiques, le populisme, dans son acception la plus large, est un sujet abondamment discuté, le populisme pénal est une thématique beaucoup moins abordée. De surcroît, dans les quelques recherches sur le populisme pénal, l’utilisation de ce concept est très éparse. C’est pourquoi, avant d’articuler la définition du populisme pénal retenue dans ce mémoire, il est question, dans la prochaine section, de dresser une brève recension des écrits afin d’illustrer l’évolution et l’utilisation de ce concept.

4.3.1 Recension des écrits sur le populisme pénal Les prémices de la théorisation du populisme pénal sont généralement reliées au concept de populist punitiveness développé par Bottoms (1995). Plus précisément, Bottoms utilise ce concept pour décrire comment certains politiciens, sans se soucier de l’efficience de la justice pénale, utilisent ce qu’ils

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considèrent être la posture punitive du public pour légiférer des politiques pénales coercitives à des fins politiques. À partir de cette idée, Julian V. Roberts va, quant à lui, développer le concept de populisme pénal dans l’ouvrage collectif Changing Attitudes to Punishment : Public opinion, crime and justice (2002). Dans cet ouvrage, Roberts avance que le populisme pénal réfère à une politique ou une série de politiques populaires, de nature pénale, qui tentent de répondre à des demandes populaires, qu’elles aient été exprimées ou non. Dans cet ouvrage, Roberts n’élabore que les premières bribes d’idéation du populisme pénal. La concrétisation de ses idées ne se fit en détail que l’année suivante, dans son ouvrage Penal Populism and Public Opinion : Lessons from Five Countries, publié en 2003. Ce document phare a établi, en quelque sorte, les assises conceptuelles du populisme pénal, et ce, par le truchement de la description de la montée des pratiques et des discours pénaux à connotation populiste dans cinq pays, dont le Canada.

D’autres auteurs ont également réutilisé le concept de populisme pénal pour rédiger des essais critiques sur l’émergence de nouvelles tendances en matière pénale. À titre d’exemple, Denis Salas, dans son ouvrage La volonté de punir (2005), discute du populisme pénal, et principalement de celui qui a cours sur le territoire français, pour montrer comment les nouvelles pratiques pénales tendent à rompre avec la conception humaniste et réparatrice de la peine, en particulier sous l’intensification de la préséance qu’accordent les politiciens aux demandes des victimes et du public. Le magistrat et essayiste français traite également du rôle des médias dans la création des sentiments d’insécurité.

L’ouvrage Penal populism (2007) de John Pratt demeure toutefois, à mon sens, l’analyse scientifique la plus complète sur le populisme pénal. En plus de peaufiner les thèses de Roberts, Pratt traite également d’une gamme plus étendue de stratégies populistes, telles que l’utilisation de l’émotion pour manipuler les sentiments d’insécurité, les structures discursives employées pour discréditer les expertises des élites intellectuelles et critiquer le fonctionnement de l’appareil pénal, etc. Sur un plan plus novateur, Pratt se penche également sur les limites de l’impact du populisme découlant de la résistance bureaucratique des juges, des avocats et des universitaires ainsi que du mouvement de justice réparatrice. Or, l’ouvrage demeure toutefois partiellement utile au présent projet en raison d’une élaboration parfois trop succincte de certaines composantes du populisme pénal.

Ainsi, pour saisir adéquatement les ramifications du populisme pénal, une recension des articles scientifiques traitant d’une manière plus ou moins directe des liens entre le populisme pénal et un objet d’étude particulier fut nécessaire. Pour ne nommer que quelques exemples, Freiberg (2001) aborde l’utilisation des émotions à titre de stratégie légitimant les politiques pénales populistes, tandis

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que Newburn et Jones (2005) documentent les liens entre le populisme et l’effervescence des politiques pénales symboliques. Dean (2012) va, quant à lui, étayer les liens entre l’effervescence du populisme pénal et de la médiatisation de la criminalité, alors que Shammas (2016) s’intéresse à la naissance du désaveu à l’égard de la justice pénale et des élites scientifiques qui sont rattachées à cette dernière qui serait, selon lui, tributaire de la montée du populisme pénal.

4.3.2 Populisme pénal : La définition retenue Dans ce mémoire, la définition du populisme pénal qui est retenue est celle d’une attitude ou une approche politique qui se situe à la confluence de la volonté d’acquérir ou de légitimer un capital politique et d’un appel à un volontarisme punitif au nom des victimes et contre des institutions étatiques disqualifiées. Plus précisément, le populisme pénal est un outil de régulation des peurs collectives qui se caractérise par la promotion ou la passation d’une politique ou d’une série de politiques populaires axées sur des peines plus sévères80, des peines présentées comme étant une réponse aux opinions publiques, et ce, qu’elles soient exprimées ou non. En ce sens, les politiciens usant de populisme pénal tentent de s’attirer un capital politique en misant sur la peur relative à la criminalité et en l’exacerbant. Les politiques populistes légiférées le sont malgré leur manque de légitimité scientifique et reposent plutôt sur un registre émotionnel, s’abreuvant d’une dévaluation de l’appareil pénal jugé comme partial puisqu’il favoriserait les personnes criminalisées aux dépens des victimes et des citoyens respectueux de la loi. Par conséquent, les politiques pénales d’orientation populiste sont des politiques répressives ayant généralement des visées symboliques et qui se détournent des principes visant l’élaboration d’une justice plus juste et équitable (Roberts et coll., 2003; Salas, 2005; Pratt, 2007; Berthelet, 2016).

Par surcroît, contrairement à la croyance populaire, le populisme pénal n’est pas strictement l’apanage de la droite, des politiciens plus à gauche sur l’échiquier politique peuvent eux aussi ancrer leur philosophie pénale dans des idéaux populistes. L’explosion sans précédent de l’incarcération de masse sous la présidence de Bill Clinton qui n’était pas considéré comme étant de droite, du moins dans la politique étatsunienne, en est une indication (Wacquant, 2005). Plus précisément, après avoir

80 Il importe de mentionner qu’il existe également une forme de populisme pénal qui promeut une réduction de la punitivité, soit le populist leniency. Il ne s’agit toutefois pas d’une approche populiste prônant une modération en matière pénale, mais plutôt d’une approche qui milite pour que certaines personnes ne soient pas punies pour les infractions qu’elles ont commises ou pour que leur peine soit commuée en peine plus clémente. En tant que stratégie rhétorique, le populist leniency se concentre, en grande partie, sur des cas spécifiques et vise les personnes suscitant une certaine sympathie ou évoquant une certaine sentimentalité, que ce soit pour leurs caractéristiques (ex. un enfant) ou leur statut social (ex. membre des forces armées). Marginale, cette forme de populisme ne sera pas abordée plus en détail dans ce mémoire (Jones, 2010).

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ratifié pendant huit ans une longue liste de lois punitives lui rapportant un grand capital politique, Clinton qualifia, deux semaines avant la fin de sa présidence, les peines minimales obligatoires de déraisonnables et l’appareil pénal américain de contre-productif81(Gardner, 2009). Il importe de ne pas conceptualiser le populisme en matière pénale tel un choix binaire. Autrement dit, il faut éviter de tracer une ligne arbitraire et ainsi créer deux pôles opposés, soit les populistes et les non-populistes. Il conviendrait plutôt de concevoir le populisme pénal à travers un continuum dans lequel l’ancrage populiste se retrouve sous différentes intensités.

4.4 Les dimensions du populisme pénal Le populisme pénal est une forme précise et complexe de populisme. Une compréhension approfondie et nuancée de cette notion ne peut donc pas se résumer à une définition globale; elle doit passer par une description détaillée de ces spécificités. Pour y arriver, je me suis inspiré de l’ouvrage de Pratt (2007) pour modéliser les diverses facettes du populisme pénal en six grandes dimensions82. J’ai, par la suite, parcouru un large pan des écrits pour préciser et détailler ces dimensions, qui sont décrites tour à tour dans les sections suivantes.

4.4.1 Première dimension : Instrumentalisation de l’expérience des victimes Dans les appareils pénaux d’inspiration anglo-saxonne, les victimes d’actes criminalisés eurent, et ont encore parfois, plus d’obligations que de droits (Laflamme-Cusson, 1985). S’opposant à cette conception de la victime telle une simple preuve permettant à l’État de punir ceux qui violent les lois établies, divers mouvements provictimes naquirent dans les années 1960-1970 et tentèrent d’arguer que l’expérience, les droits et les revendications des victimes étaient dépréciés dans les diverses pratiques de justice pénale, alors que les personnes criminalisées, elles, profitaient d’une justice laxiste (Wemmers, 2003). Cette polémique fut d’ailleurs récupérée par les médias qui relayèrent et exacerbèrent ces argumentaires, ce qui transforma l’image de la victime en un symbole de l’innocence et de la pureté d’une collectivité respectueuse de la loi (Pratt, 2007). Selon la perception collective, cette « nouvelle » victime devait être écoutée, entendue, et justice devait lui être rendue (Garland, 2001). Ipso facto, il s’amorça, au nom des victimes, des vagues de réformes pénales réactionnaires pouvant engager les divers appareils pénaux dans des voies répressives. Or, il ne s’agissait pas uniquement de donner des droits aux victimes, mais aussi d’opposer ces droits à ceux des accusés. À cet égard, maintes recherches ont documenté que la posture belliqueuse prise par divers groupes de

81 Dans cette section, j’exemplifie les différents aspects du populisme pénal principalement par le biais d’exemples étatsuniens. Loin d’être aléatoire, cette utilisation d’exemples provenant des États-Unis me permet de préserver les exemples canadiens pour les analyses principales de ce mémoire. 82 Les dimensions ne sont pas mutuellement exclusives, certains éléments pouvant s’entrecouper.

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soutien aux victimes fut directement corrélée à la prolifération de sanctions plus sévères, soit un usage croissant de l’emprisonnement et un allongement des peines d’incarcération (Fattah, 2010). La victime gagna en importance à un point tel qu’aux États-Unis certaines lois vont même porter leurs noms, contribuant ainsi à l’émergence d’une forme de martyrologie légitimant une multiplicité de lois expiatoires. Une illustration éloquente de ce fait est la réaction législative qui découla du meurtre de la jeune Megan Kanka en 1994. Moins de trois mois après son décès surmédiatisé, la Megan’s Law fut ratifiée par l’État du New Jersey. Cette loi arborant le nom de la jeune victime exprimait toute l’ampleur de la désapprobation et légitima la mise sur pied d’un registre public sur les personnes reconnues coupables d’infractions de nature sexuelle, une pratique pourtant décriée par maints experts (Salas, 2005; Pratt, 2007). Au Canada, cette pratique s’avère moins courante, du moins, avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper, qui a utilisé à quelques reprises le nom d’une victime pour dénommer un projet de loi (ex. Loi de Sébastien). Qui plus est, les gouvernements canadiens n’hésitent pas à nommer, dans le préambule d’un nouveau projet de loi, le nom de la victime ou de la personne criminalisée qui a influencé les politiciens à concocter telle ou telle réforme pénale (Dumont, 2011). Une autre pratique souvent utilisée par les gouvernements canadiens et étatsuniens est la tenue de conférences de presse dans lesquelles les politiciens se présentent en compagnie des proches endeuillés pour promouvoir l’adoption d’un projet de loi. De cette façon, le politicien peut polariser et antagoniser le débat et ainsi laisser entendre que ceux qui s’opposent à la réforme proposée manquent de compassion envers les familles des victimes83 (Gardner, 2009).

Néanmoins, n’importe quelle victime de crime n’est pas édifiée au rang de symbole. Certains spécialistes vont conduire des recherches attestant que les expériences de certains types de victimes sont régulièrement oubliées ou dénaturées par les autorités étatiques. Aux États-Unis par exemple, statistiquement parlant, les hommes afro-américains représentent le groupe de personnes le plus victimisé, pourtant leurs expériences de victimisation sont largement occultées comparativement à celles des Caucasiens (Entman et Gross, 2008). Certaines des législations fondées sur les constats qui

83 À titre d’exemple, en réponse à la vague d’indignation à l’égard de sa politique d’immigration visant à séparer les familles d'immigrés illégaux et qui engendrait l’incarcération d’enfants dans des camps aux conditions inhumaines. Donald Trump est apparu à la télévision avec des parents de personnes assassinées par des immigrants pour justifier ses mesures draconiennes en affirmant que « Des citoyens américains ont été séparés de façon permanente de leurs proches […] Ils ne sont pas séparés pour un jour ou deux, ils sont séparés de façon permanente, parce qu’ils ont été tués par des criminels étrangers illégaux » (Associated Press, 2018 : Ma traduction). Or, une étude plutôt intéressante menée par Nowrasteh (2018), illustre qu’entre 2011 et 2017, au Texas, le taux d’immigrants illégaux condamnés pour une infraction criminelle était de 56 % plus faible que pour les personnes nées en sol étatsunien.

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émanent des groupes de réflexions provictimes tel le President’s Task Force on Victims of Crime84 de 1982 peuvent donc rapidement se transformer en des leviers d’exacerbation des pratiques discriminatoires de nature raciste ou sexiste (Messerschmidt, 1986; Elias, 1993). Du côté canadien, le peu de considération accordée au millier de femmes autochtones assassinées ou disparues étaye également la thèse d’un possible traitement différentiel.

Un nombre considérable de victimes se dissocient également des doléances vindicatives précédemment décrites (Cheliotis et Xenakis, 2016), souhaitant plutôt obtenir une forme quelconque de reconnaissance, d’accompagnement ou de réparation (Cario, 2000). Par exemple, aux États-Unis, certains parents ou conjoints vont farouchement s’opposer à l’infliction de la peine capitale au nom de leurs proches défunts. Le témoignage de Marietta Jaeger-Lane, mère d’une jeune fille assassinée à l’âge de sept ans, illustre bien cette position : « Les êtres chers, arrachés à notre vie par des crimes violents, méritent des monuments plus beaux, plus nobles et plus honorables que les meurtres prémédités et sanctionnés par l’État. La peine de mort ne fait que créer plus de victimes et plus de familles en deuil. En devenant ce que nous déplorons, les gens qui tuent des gens, nous insultons la mémoire sacrée de toutes nos précieuses victimes » (King, 2003 : 17, ma traduction). Contrairement à celles des victimes plus vindicatives, les demandes et les « droits » des victimes qui souhaitent obtenir des considérations autres que des châtiments sévères semblent bien souvent relégués aux oubliettes par la classe politique et les décideurs étatiques. Somme toute, dans cette conjoncture où seulement certaines victimes tendent à mériter une considération des autorités étatiques, il est possible d’envisager que les desseins répressifs de certains politiciens ne sont pas uniquement reliés à leurs idéaux intransigeants vis-à-vis de l’affront que représente la victimisation. Il y aurait aussi une certaine forme de manipulation du ressentiment victimaire et une instrumentalisation des crimes qui froissent l’imaginaire collectif à des fins politiques. En plus de susciter un capital politique à l’avantage des politiciens, cette exploitation de l’empathie à l’égard des victimes de crime permettrait aux élus d’incarner et de légitimer leurs idéologies dans des politiques concrètes (Freiberg, 2001). À cet égard, un grand nombre de victimologues s’oppose à la légitimation de la sévérité pénale au nom des victimes puisque l’incarcération toujours plus longue des prisonniers n’aide aucune victime dans la mesure où l’argent qui pourrait être engagé dans l’aide et le dédommagement des victimes est, au final, gaspillé dans des peines d’incarcération plus longues qui ne s’avèrent pas plus dissuasives ou réhabilitatives (Fattah, 2010). Au final, le resserrement de l’étau pénal au nom des victimes demeure

84 Les President’s Task Force représentent des groupes chargés de rechercher et de produire une ou des solutions relatives à une question sociale ou à d’autres objectifs que le Président des États-Unis a inscrits à l’ordre du jour de son administration. Ces solutions peuvent se présenter sous la forme d’une proposition formelle ou d’une liste de recommandations.

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toutefois une caractéristique que l’on rencontre presque systématiquement lorsqu’il est question de populisme pénal (Salas, 2005)

4.4.2 Deuxième dimension : Paniques morales, faits divers et opinion publique Sans répéter ce qui a déjà été mentionné, il importe de rappeler que la médiatisation des nouvelles de crimes tend à favoriser la prolifération de sentiments d’insécurité et l’insatisfaction à l’égard de la justice, un climat pouvant être propice à l’effervescence du populisme. Notons qu’au-delà du populisme, un pan notable de la littérature s’intéresse aux impacts des médias sur les opinions publiques vis-à-vis de la justice (Jewkes, 2004). Dans le cadre limité de ce mémoire, il semble inenvisageable de recenser l’entièreté de ces écrits, je m’en tiendrai donc à des thématiques circonscrites pertinentes à mon propos, soit la notion de panique morale et l’utilisation de faits divers récupérés à des fins politiques. Pour conclure cette section, il sera également question du litigieux concept d’opinion publique.

À priori, plusieurs auteurs, dont Lamalice (1996), affirment que le populisme pénal est indissociable des faits divers dans la mesure où les réformes législatives répressives sont régulièrement reliées à quelques événements spectaculaires relatés par les médias. Dans ces conditions, le concept de panique morale constitue une notion intéressante pour juxtaposer la médiatisation du populisme pénal. Conceptualisé par Stanley Cohen (1980), le concept de panique morale (moral panic) se définit comme une réaction sociétale disproportionnée à l’égard d’une condition, d’un événement, d’une personne ou d’un groupe de personnes qui émergent en tant que « menaces » pour les intérêts et les valeurs sociales. Ces menaces sont décrites de façon sensationnelle par les médias ainsi que par des entrepreneurs moraux (ex. leaders religieux, police, politiciens, etc.) qui participent à transformer ladite menace en un problème social. De surcroît, la panique morale créée par les médias et les entrepreneurs moraux entraîne un outrage collectif qui est suivi d’une attitude réquisitoire transformant la cible de la panique morale en ce que Cohen (1980) nomme folk devil, ce qui va, par le fait même, justifier la nécessité de la contrôler par l’entremise de mesures répressives et strictes. Ainsi, la notion de panique morale suggère non seulement la présence de peur, mais aussi l’existence d’une peur socialement construite. À cet égard, les paniques morales n’ont que très peu à voir avec les variations des phénomènes qui en sont le centre d’intérêt. Elles sont engendrées, au contraire, grâce à une augmentation de l’attention qui leur est portée (Jenkins, 1998). De ce fait, comme l’affirmait Bourdieu (1996), le déluge d’information provenant de la télévision, qui s’applique également à d’autres formes de médiatisation, ne favorise pas la pensée critique. Bien au contraire,

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les médias qui prétendent être des instruments d’enregistrement de la réalité seraient plutôt, pour Bourdieu (1996), des instruments de création de la réalité.

Les médias ont le pouvoir de façonner, de solidifier et de diriger les opinions du public en identifiant l’ennemi, le « dangereux criminel », tout comme ils ont le pouvoir d’expliquer, explicitement ou implicitement, la réaction qu’ils jugent appropriée face à cette criminalité, soit, dans la majorité des cas, un alourdissement de l’arsenal répressif. Au final, les médias ne sont donc pas un simple instrument de communication; ils sont des institutions créatrices de sens. Par surcroît, tout comme la population, les politiciens ne restent pas indifférents à la médiatisation, car c’est notamment par le truchement des médias que les politiciens vont acquérir notoriété et visibilité. Les préoccupations des médias peuvent donc devenir les préoccupations des politiciens en quête de popularité85 (Pratt, 2007). Dès lors que les désirs et les doléances du public influent sur l’appareil pénal, le public cesse d’être un simple destinataire de la norme juridique pour devenir à la fois une composante intrinsèque et un prolongement interne de cet appareil, et ce, bien au-delà du strict rôle de jury ou encore du simple rôle de spectateur (Pires, 2001).

La médiatisation de la criminalité et la place grandissante accordée à l’opinion publique dans la production législative en matière pénale font en sorte que les politiciens sont réceptifs aux faits divers reliés à la criminalité (Lamalice, 1996). Les exemples du capital politique qu’il est possible de retirer des drames pénaux surmédiatisés sont d’ailleurs nombreux. Aux États-Unis, deux cas de faits divers sont particulièrement révélateurs de l’impact de la couverture médiatique sur les pratiques pénales. En premier lieu, lors de la campagne présidentielle de 1988, le candidat démocrate, Michael Dukakis, est donné largement vainqueur dans la vaste majorité des sondages. Il sera toutefois battu86 à la suite de la saga médiatique entourant le crime de Willie Horton87. Ce fait divers fut non seulement le principal enjeu de la campagne, mais il transforma aussi la politique américaine dans la mesure où il est devenu pratiquement impossible pour un politicien ou une politicienne de promouvoir une attitude

85 Il importe ici de rappeler la notion d’agenda setting préalablement discutée et qui signifie qu’à travers leur sélection des nouvelles, les médias de masse ont tendance à concentrer l’attention du public sur des sujets particuliers et influencent donc la perception du public sur l’importance desdits sujets. 86 Avant « l’incident » Willie Horton, Dukakis est donné gagnant par 17 points. Le 8 novembre 1988, George H.W. Bush remporta toutefois l’élection par une marge avoisinant les 8 %. Il remporte également 426 grands électeurs contre seulement 111 pour Dukakis (Shea et Harward, 2013). 87 Willie Horton est un homme d’origine afro-américaine qui a agressé sexuellement une jeune femme blanche et blessé grièvement son conjoint alors qu’il profitait d’un programme de libération provisoire. Cette agression fut largement médiatisée et le candidat républicain George H.W. Bush écorcha les idéaux réhabilitatifs de Dukakis, qui avait lui-même approuvé le programme de libération dont avait bénéficié Horton. Notons qu’à la suite de sa victoire, Bush élargit le spectre d’application de la peine de mort et allongea bon nombre de peines d’incarcération (Anderson, 1995).

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soft on crime. Le second fait divers est celui entourant l’assassinat de Polly Klaas, une jeune californienne, en 1993. Ce crime fut perpétré par une personne multirécidiviste et avait mené à la circulation d’une pétition exigeant des peines à perpétuité pour les coupables d’un troisième crime grave, une réforme communément connue sous le nom de la loi des trois prises (Three Strikes Law). Cette initiative fut appuyée par plusieurs politiciens, dont Bill Clinton, qui siégeait à l’époque au Bureau ovale. La loi fut adoptée en Californie et aujourd’hui les juridictions de 15 États, y compris les tribunaux fédéraux, appliquent des versions plus ou moins hétéroclites de cette loi des trois coups (Surette, 1996). Nonobstant les intentions initiales, ces lois ne visent pas uniquement les crimes graves, mais plus prosaïquement des vols ou des cambriolages, et touchent notamment de façon disproportionnée les toxicomanes interpellés pour vol, ce qui engendre aujourd’hui des peines à perpétuité pour l’usage de stupéfiants et d’autres crimes mineurs88 (Luna, 1998). En plus d’exposer l’impact des faits divers sur la justice, l’exemple des Three Strikes Laws illustre combien la relation triadique entre la justice pénale, la politique populiste et l’opinion publique s’avère omnidirectionnelle. Autrement dit, les réformes pénales peuvent résulter de propositions émanant de la classe politique, en amont des demandes collectives, comme elles peuvent provenir de revendications directement issues de la collectivité et qui sont récupérées par les politiciens (Freiberg et Gelb, 2008). ***

Finalement, pour conclure cette section, il importe de déconstruire la notion d’opinion publique. En effet, il est primordial de ne pas conceptualiser l’opinion publique tel un bloc monolithique. Comme le mentionne Bourdieu, il existe des opinions individuelles, des opinions de groupe et des opinions semblables au sein d’une classe sociale, mais l’opinion publique n’existe pas en tant que tout cohérent (Bourdieu, 1973). L’opinion publique est plutôt une représentation sociale abstraite construite à partir de ses manifestations phénoménales diversifiées et atomisées ou encore à partir de sondages d’opinion. En d’autres termes, le « public » ou son opinion représente un public particulier constitué à partir de préoccupations, d’enjeux et de canaux de communication spécifiques. Il s’avère donc possible pour les politiciens de construire une opinion qui va confisquer l’opinion de tous pour la remplacer par la volonté de quelques-uns (Pires, 2001). La conception des sondages d’opinion est d’ailleurs plutôt subjective, d’autant plus qu’une même réponse peut recouvrir un ensemble disparate de significations qui, une fois amalgamées, finissent bien souvent en des représentations superficielles et binaires. En ce sens, les sondages d’opinion donnent des réponses simplistes à des questions

88 Les illustrations des dérives de ces politiques sont nombreuses. À titre d’exemple, un jeune homme de 27 ans a déjà été condamné à une peine de 25 ans pour le vol d’une pointe de pizza. Il avait auparavant été condamné pour cambriolage et possession de drogue (Lamalice, 2006).

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complexes, tout comme ils sont malléables et peuvent être utilisés afin de produire les résultats souhaités. Certains vont donc plaider que la prise en compte institutionnelle de la « supposée » opinion publique est antidémocratique dans la mesure où la démocratie d’opinion ne permet pas l’établissement du pluralisme (Gauthier, 2014).

Il est également intéressant de noter que les études basées sur des cas simulés démontrent que lorsque les citoyens sont informés des différentes nuances d’une affaire judiciaire, et qu’on leur demande de choisir une peine pour l’affaire en question, leurs recommandations rejoignent habituellement les peines imposées par les tribunaux ou sont mêmes moins sévères (Leclerc, 2012). Les études portant sur le soutien à l’égard des politiques répressives déconstruisent également l’hypothèse d’un public outrancièrement sévère (Roberts, 2018). À titre d’exemple, Applegate et coll. (1996) ont interrogé 400 citoyens étatsuniens par rapport à leur appui aux Three Strikes Laws. Si à priori 88 % étaient favorables à cette mesure, lorsque mis en situation, seuls 17 % des répondants auraient imposé la prison à vie pour une troisième infraction. Au final, seule une petite partie de la population semble donc réellement entretenir des attitudes très punitives (Leclerc et Boudreau, 2007). Or, bien que plusieurs recherches soulèvent les lacunes des sondages d’opinion et soulignent que l’écart entre l’offre des tribunaux et les demandes des citoyens semble plutôt infime (Rossi, Berk et Campbell, 1997; Roberts et Doob, 1989; Leclerc, 2012), certains politiciens vont tout de même légiférer, au nom de la soi-disant volonté populaire, des mesures visant à resserrer l’étau pénal (Leclerc, 2012). Certains vont même affirmer qu’ils parlent au nom d’une majorité silencieuse lorsque les sondages sont en contradiction apparente avec certains aspects de leurs réformes (Pratt, 2007). Somme toute, à la lumière de ces constats de recherche, il n’est pas fallacieux d’affirmer que lorsqu’il est question de justice pénale certains politiciens instrumentalisent l’opinion publique à des fins politiques.

4.4.3 Troisième dimension : Émotivité, affects, et rationalité L’instrumentalisation de la victime et la construction médiatique des faits divers convergent vers une même réalité, soit la survenance de l’émotion comme un nouveau ressort de la régulation pénale et juridique. Or, si l’abondance des études conférant une place centrale aux affects dans les prises de décision des acteurs de la justice pénale n’est plus à démontrer89, la littérature traitant du triple rôle de la dimension émotionnelle comme ressort de stimulation, d’alimentation et de légitimation de la

89 Les premières études concernant la modulation des pratiques pénales à la présence d’émotions étaient orientées vers les effets préjudiciables des affects « négatifs », tels que les décisions discriminatoires dans les procès à connotation raciale (Ellsworth et Sommersk, 2001). Plus récemment, des recherches attestent la montée d’une tolérance chez certains juges envers les vétérans de guerre, qui découle d’affects « positifs » face aux conséquences (syndrome de stress post-traumatique) reliées à leurs sacrifices (Gansel, 2014).

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production de normes juridiques est, quant à elle, beaucoup plus limitée. Pourtant, dans les dernières années, les fortes émotions collectives90 provenant de scandales judiciaires et d’actes criminalisés ou terroristes sensationnels ont suscité un déferlement de nouvelles attentes à l’égard de la classe politique et de l’appareil pénal (Freiberg, 2001; Hammer, 2005). Transcendant la question pénale, certains auteurs vont prétendre que les sociétés contemporaines sont aujourd’hui subjuguées par une « tyrannie de l’émotion », incarnant le nouveau principe de gouvernance absolu (Mamère et Farbiaz, 2008). Sans affirmer ou infirmer ce type de scénario « catastrophique », il semble plutôt apparent que ces nouvelles configurations émotionnelles collectives sont corrélées au foisonnement de la méfiance et de la désaffection envers les institutions politiques et judiciaires (LaFree, 1999; Freiberg, 2001; Sparks, 2005). Ce type de réprobation peut s’avérer propice à l’émergence de populistes qui, eux, vont placer au centre de leur argumentaire ces émotions et ces affects collectifs culturellement construits, délaissant alors le langage technocratique pour adopter un discours plus viscéral (Garland, 2001). La récurrence d’une rhétorique à connotation affective va également dramatiser les choix politiques.

Dans la sphère pénale, cette dramatisation est intrinsèquement reliée à la peur, qui est sans conteste l’affect le plus exploité, puisqu’au moindre signe de danger, réel ou imaginaire, la peur peut affecter et inquiéter la collectivité d’une manière significative. Ainsi, de la phobie envers les étrangers jusqu’à la frayeur vis-à-vis des personnes criminalisées, les politiciens vont tirer parti des peurs individuelles ou collectives. Plus précisément, le politicien populiste pourrait faire appel aux sentiments de peur chez un concitoyen afin d’évacuer chez lui toute forme d’analyse et de pensée rationnelle de manière à le convertir à ses discours et idéaux répressifs (Freiberg, 2001; Roberts et coll., 2003). La colère et d’autres émotions s’y rapprochant, telles que l’indignation, sont également régulièrement récupérées pour légitimer un durcissement du régime pénal dans la mesure où il s’agit d’émotions qui sont associées aux attitudes punitives (Johnson, 2009). En plus de ces retombées qualitatives, la manipulation ou l’appel à l’émotion représente souvent l’argument fallacieux le plus récurrent dans les discours politiques. En guise d’exemple, dans une étude portant sur l’argumentation des candidats lors des trois débats de la présidentielle américaine de 1992, Anne-Marie Gingras relève près de 800

90 La notion d’émotion telle qu’elle est utilisée dans ce mémoire transcende la dimension « objective » généralement utilisée en psychologie et qui conçoit l’émotion comme la présence d’un amalgame de réponses somatiques et expressives. Elle inclut également une dimension plus « subjective », soit des aspects cognitifs, symboliques et axiologiques s’avérant révélateurs des valeurs et des croyances propres de l’individu. En ce sens, les émotions sont considérées ici comme des artéfacts socialement construits.

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arguments fallacieux, dont le tiers de ces fallacies pouvaient être identifiés comme des appels aux émotions (Gingras, 1995).

4.4.4 Quatrième dimension : Discrédit du discours expert Fondamentalement antiélitiste, le populisme pénal se constitue à travers un mépris à l’égard de l’élitisme pénal, une doctrine octroyant l’autorité de façonner les politiques pénales aux experts et aux professionnels. La proposition centrale de l’élitisme pénal est que les experts en droit, en criminalité et en punition possèdent un ensemble de compétences uniques qui leur confèrent le privilège de concevoir les politiques de lutte contre la criminalité au nom des politiciens et à la place du public, qui est perçu comme étant capricieux, émotif et parfois non éclairé (Shammas, 2016). En Occident, pendant la grande majorité des 19e et 20e siècles, les politiques en matière pénale étaient conçues par l’entremise d’un travail conjoint entre le gouvernement, les organisations bureaucratiques ainsi que les divers experts universitaires, et ce, à l’arrière-scène de l’arène publique (Loader, 2006). Or, dans le prisme du populisme pénal, l’élitisme pénal a engendré une justice pénale soi-disant trop partiale et laxiste. Les populistes vont donc accorder la prérogative de la fabrication de la norme pénale au peuple, et ce, en parlant de politiques pénales fondées sur le « sens commun » dudit peuple (Garland, 2001; Shammas, 2016).

Au-delà de l’élitisme pénal, le désaveu de l’appareil pénal est également répandu dans de multiples couches sociales de la population. Au Canada et aux États-Unis, le taux de confiance envers la justice pénale fait effectivement pâle figure, se retrouvant dans les institutions gouvernementales les plus mésestimées (Hough et Roberts, 2004). Le populisme pénal va donc tirer sa force de la supposée inefficacité des solutions pénales proposées pour contrôler et réduire la criminalité, une criminalité que la majorité des Canadiens et des Américains croit, à tort, en pleine expansion (Roberts et coll., 2003). Claironnant sur toutes les tribunes l’échec de la justice dans sa forme actuelle, les acteurs populistes vont se détourner des experts, de leurs chiffres et de leurs réflexions, pour revenir à des solutions fondées sur le sens commun, soit la neutralisation des personnes condamnées via l’enfermement et la dissuasion par l’entremise de la sévérité (Desrosiers et Bernier, 2009). À titre d’exemple, en 2011, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, essuyant de violentes diatribes sur la loi C-10, va affirmer dans une conférence de presse : « We're not governing on the basis of the latest statistics » (Chase, 2011). Sous le joug du populisme pénal, les données scientifiques en viennent à être mésestimées. Des lors, au lieu d’être principalement motivée par des préoccupations concernant l’efficacité, l’économie et l’humanisme, la punition est de plus en plus aiguillée par des principes et idéaux répressifs populistes (Loader, 2005; Pratt, 2007).

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La hausse du nombre d’infractions passibles d’une peine minimale obligatoire, dans des pays tels que le Canada, révèle également un certain discrédit envers les juges, qui voient leur pouvoir discrétionnaire et leur appréciation experte des affaires judiciaires diminués aux dépens de volontés apeurées et répressives favorisant la cote de popularité de politiciens populistes (Doob, et Cesaroni, 2001). Pour Machado et Pires (2010), cette intervention politique dans la sentence du droit91 s’avère une grave menace pour la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire pourtant jugée essentielle au sein d’une société démocratique. Autant sur le plan des législations que sur celui des pratiques de détermination de la peine, le populisme pénal est relié à un certain transfert de la légitimité de la production législative des élites vers le peuple.

4.4.5 Cinquième dimension : Simplifications des réponses, polarisation des discours et sévérité pénale En plus de l’appel à l’émotion et du rejet des discours élitistes, la simplification de l’information est un élément clé des discours populistes (Canovan, 1999). Comme le mentionnait Dorna (1995), c’est à travers des promesses implicites et simples, mais provoquant un élan collectif, que le populiste va consolider sa popularité. Si la majorité du peuple peut aisément se saisir des discours populistes, les affirmations et les réponses des populistes s’avèrent toutefois régulièrement truffées de sophismes et de paralogismes. La forme du discours populiste est, elle aussi, considérablement simplifiée puisque le populiste va tenter de séduire l’électorat avec son franc-parler et certains idéaux qu’il dépeint à l’aide de notions vulgarisées et de figures de rhétorique auxquelles il va opposer le jargon scientifique et élitiste (Pratt, 2007). Par surcroît, certains politiciens auront tendance à user du prestige des mathématiques par le truchement de statistiques peu nuancées et décontextualisées pour appuyer leur argumentaire, une technique que Normand Baillargeon qualifie de « terrorisme mathématique » (Baillargeon, 2005 : 93). Plus précisément en matière pénale, le politicien populiste peut miser sur la simplicité des sanctions répressives au détriment des théories sociales plus complexes. La théorie de la dissuasion pénale, préalablement expliquée dans ce mémoire, constitue l’exemple par excellence de cette affirmation. En ce sens, pour prévenir la survenue d’un comportement criminalisé (lire ici protéger les potentielles victimes), le populiste tendra à proposer des peines plus sévères, telles que les peines minimales qui, selon la croyance, auraient une plus grande portée dissuasive (Doob et Cesaroni, 2001; Tonry, 2009). Les réponses simplistes dans la sphère pénale prennent également la forme d’un engagement d’urgence dans des actions et des causes bien précises, engendrant une gestion à la petite semaine plutôt que des engagements dans des réformes pénales globales (Pratt, 2007). Cette approche qui consiste à faire voter de nombreux projets de loi plutôt que quelques textes

91 La notion de sentence du droit est utilisée par Machado et Pires (2010) pour décrire les décisions de l’appareil pénal concernant chaque cas individuel.

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législatifs d’ensemble est privilégiée puisque à chaque nouveau projet de loi déposé, le gouvernement peut se targuer d’agir concrètement et ainsi en retirer un capital politique (Doob, 2012). En résumé, les propositions de réforme pénale émanant d’idéaux populistes se basent régulièrement sur le « gros bon sens » ou le « sens commun » plutôt que sur des explications justifiées et détaillées. Dans la sphère pénale, les politiciens populistes vont donc répéter, voire réciter mécaniquement, les mêmes propositions simples et caricaturales pour tenter d’imprégner l’imaginaire de l’électorat. De manière globale, la rhétorique populiste s’inscrit également dans une logique pleinement assurée de polarisation et d’accentuation de la dichotomie : « nous et les autres » (Müller, 2016). Dans la sphère pénale, il s’agit plus précisément de polariser les acteurs (victimes/personnes criminalisées) et les enjeux (risques/sécurité) (Pratt, 2007). Dans le cas des victimes et des personnes criminalisées, la polarisation s’opère par le choix des causes et la sémantique utilisée. Pour les personnes criminalisées, il s’agira d’utiliser les crimes les plus graves et de les superposer à des termes à forte connotation péjorative tels que « superprédateur », « multirécidiviste » ou « délinquant », puis de les opposer à des qualitatifs mélioratifs décrivant les victimes, tels que « malheureuse » ou « innocente », tout en décrivant l’ampleur des conséquences subies. Ainsi, à travers leurs discours, les politiciens populistes vont pérenniser le mythe du « bon » citoyen contre les « méchants », ce qui justifiera la mise à l’écart de ces derniers. De surcroît, le politicien populiste tendra à exacerber et polariser la question de l’insécurité de manière à laisser sous-entendre que la moindre faiblesse à l’égard des personnes criminalisées enclencherait un torrent d’incivilités et de délinquances (Berthelet, 2016).

4.4.6 Sixième dimension : Caractère expressif et symbolique de la réponse pénale Finalement, les politiques pénales construites à travers le prisme du populisme pénal vont se détacher des résultats opérationnels pour répondre à des impératifs symboliques (Newburn et Jones, 2005). Ainsi, la fonction de la loi n’est plus réformatrice, elle devient symbolique et expressive. Plus précisément, les politiciens populistes opteront pour des réponses et des discours répressifs qui témoigneront publiquement de leur impitoyabilité face à la criminalité, perçue comme un fléau social. Sous le joug du populisme pénal, il y a donc une prolifération de politiques pénales dont la fonction principale n’est pas de contrôler la criminalité, mais plutôt de matérialiser la réprobation de la criminalité par le biais d’actions cathartiques et expressives visant à rassurer le public. La punition se transforme alors en une sorte de mise en scène symbolique d’assurance et de vengeance pour un public attentif (Pratt, 2007). Il s’agit, pour les acteurs populistes, de symboliser l’intransigeance et la fermeté face à la délinquance indépendamment de leurs retombées concrètes et réelles sur la prévalence des actes délictueux (Newburn et Jones, 2005). Rappelons toutefois que, selon Landreville (2006), bien que les législations pénales expressives et symboliques ne comblent pas leurs divers

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objectifs manifestes, lesdites législations ont généralement des impacts réels et significatifs sur les pratiques pénales.

La War on Drugs et les politiques lui étant rattachées – qui furent notamment mises en place par les administrations de Nixon et Reagan – représentent un exemple frappant de la prééminence du symbolisme au sein des politiques pénales à connotation populiste relatives aux drogues. Cela est particulièrement évident dans la mesure où aucune explication sociologique ou psychologique de la dépendance ne fut prise en considération lors de l’élaboration de ces réformes pénales. Au final, ces modifications législatives ne furent qu’un tapage qui eut peu d’incidence sur les niveaux de consommation (Bertram, 1996). Néanmoins, cette réponse fut acclamée par le public et démontra que ces administrations n’avaient aucune tolérance envers les substances illicites. En plus des politiques concrètes, le symbolisme est aussi présent dans les attitudes et les actions quotidiennes des politiciens souhaitant s’attirer une sympathie du public. Par exemple, pour éviter une débandade à la Dukakis, Bill Clinton – qui avait, en matière pénale, des positions modérées lors de ses mandats en tant que gouverneur de l’Arkansas – va, à deux occasions, ostensiblement stopper sa campagne présidentielle pour témoigner de son intransigeance vis-à-vis de la criminalité. La première fois, il retourna dans l’Arkansas où son poste de gouverneur lui permit de récuser la demande de clémence de Steven Douglas, un jeune homme de 25 ans condamné à la peine capitale (Newburn, et Jones, 2005). La seconde fois, il y retourna pour assister à l’exécution de Ricky Ray Rector, un Afro-Américain ayant une déficience mentale si aiguë qu’à la suite de son ultime repas, il demanda aux gardiens de la prison de lui garder sa tarte aux pacanes pour plus tard (Gardner, 2009).

4.5 Remarques conclusives Ce chapitre propose une synthèse des fondements, des styles et des stratégies associés au populisme pénal qui peuvent se modéliser en six grandes dimensions, soit 1) l’instrumentalisation de l’expérience des victimes; 2) l’utilisation des paniques morales, des faits divers et de l’opinion publique; 3) l’emploi des émotions et la négation de la rationalité; 4) le discrédit du discours expert; 5) la simplification des réponses, la polarisation des discours et la promotion de la sévérité pénale, et 6) la valorisation du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale. Ces dimensions, combinées au cadre théorique privilégié, offrent un cadre analytique permettant de répondre à la question de recherche énoncée dans le chapitre deux. Pour décrire la manière dont les analyses ont été effectuées, le prochain chapitre dresse le portrait des différentes étapes de la méthodologie retenue.

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Chapitre 5 – Méthodologie et corpus de données

Au cœur du processus de recherche scientifique se retrouve le choix d’une méthodologie de recherche découlant des préoccupations, des intérêts et des visées du chercheur. Le choix d’une méthodologie permet de planifier et d’ordonner les différentes phases et techniques, soit les méthodes de recherche, afin de produire des résultats valides (Turcotte, 2000). Le présent chapitre vise à présenter les différents choix méthodologiques qui ont guidé mes analyses du populisme au sein des politiques pénales du gouvernement Harper.

5.1 Approche de la recherche Un des principaux choix méthodologiques à faire porte sur l’approche privilégiée. Pour ce mémoire, qui est de nature exploratoire, l’approche qualitative fut sélectionnée. En sciences sociales, la recherche qualitative peut se définir, sommairement, comme une forme d’enquête sociale qui délaisse délibérément l’aspect statistique pour étudier de manière détaillée un petit nombre de cas, et ce, dans le but d’analyser en profondeur l’objet d’étude. Ce type de recherche est constituée de différentes méthodes et techniques de collecte et d’interprétation des données qui servent à identifier, décrire et traduire des phénomènes sociaux (Silverman, 2000) afin d’en analyser les significations et de générer des compréhensions plus nuancées (Altheide et Johnson, 1994). Certaines spécificités de l’approche qualitative s’avèrent pertinentes pour les objectifs de ce mémoire. D’abord, la recherche qualitative se veut plutôt flexible au sens où l’information recueillie est analysée à travers des catégories ouvertes qui peuvent être modifiées au cours du processus d’analyse pour mieux s’adapter à la richesse des données (Hammersley, 2013). Une telle perspective s’impose d’elle-même pour ce mémoire dans la mesure où les catégories analytiques92 qui furent créées n’ont pas été testées préalablement par d’autres auteurs. L’approche qualitative est aussi pertinente pour ce mémoire du fait qu’elle est effectuée sur un petit nombre de cas, ce qui permet d’assurer la profondeur de chaque analyse et une compréhension plus fine et détaillée de l’objet d’étude (Hammersley, 2013). Plus précisément, l’analyse documentaire est l’approche privilégiée puisque l’ancrage populiste du gouvernement Harper sera analysé à l’aide de « documents.

92 Bien qu’il appart à priori que la posture de ce mémoire soit une posture déductive, il importe de souligner que les catégories d’analyses furent modifiées à travers les analyses réalisées, ce qui implique un certain processus d’induction. J’explicite subséquemment dans ce chapitre cette posture mixte (déductive et inductive).

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5.2 Les étapes de la recherche Après avoir annoncé l’approche privilégiée dans ce mémoire, il importe maintenant de décrire les diverses étapes méthodologiques qui ont permis de réaliser les analyses principales. Notons que ces différentes étapes ont été divisées en deux grandes phases, soit dans un premier temps les étapes relatives à la collecte des données et, dans un second temps, celles concernant l’analyse des données.

5.2.1 Phase 1 : La collecte des données La collecte de données débute par la constitution du corpus de recherche. Dans ce mémoire, le corpus est constitué des politiques pénales érigées, modifiées ou abrogées par le gouvernement Harper. Par conséquent, il importe de rappeler que l’ère Harper fut marquée par une hausse importante des politiques en matière pénale. Il s’avère toutefois plutôt difficile, à l’aide des écrits, de chiffrer précisément le nombre de politiques pénales qui furent ratifiées par le gouvernement Harper, et ce, pour trois raisons. D’abord, comme il a été mentionné, il subsiste, dans les écrits, une certaine confusion quant à la différence entre les politiques de nature pénale et celles qui sont de nature criminelle, confusion qui peut engendrer des biais dans les diverses recensions. Par la suite, certaines politiques pénales ont été introduites au Parlement par le gouvernement Harper et sont mortes au feuilleton, mais furent par la suite récupérées et condensées dans des lois omnibus (Sauvageau, 2012). Dans certaines recensions, les lois omnibus sont parfois considérées comme une politique unique et, à d’autres occasions, elles sont comptabilisées comme plusieurs politiques. Finalement, les auteurs qui ont recensé les politiques pénales du gouvernement Harper n’ont pas systématiquement inclus les projets déposés par un membre du Sénat siégeant au caucus conservateur, ce qui peut créer des dissimilitudes entre les diverses recensions (Doob, 2012). Pour se soustraire à ces possibles biais, une recension des politiques pénales adoptées par le gouvernement de Stephen Harper a été effectuée dans ce mémoire. Les politiques pénales ont été extraites grâce à l’outil de recherche LEGISinfo, un outil qui donne accès, par voie électronique, à de nombreux renseignements sur les multiples activités se déroulant au Parlement du Canada. La recension des politiques pénales adoptées par le gouvernement Harper a été réalisée à l’aide des critères ci-dessous. Il faut noter que ces critères ne sont pas nécessairement exclusifs. Ainsi, dans le cas d’un projet de loi correspondant simultanément aux critères d’inclusion et d’exclusion privilégiés, le projet n’a pas été incorporé au corpus. Autrement dit, les critères d’exclusion ont eu préséance dans la mesure où il s’agit de critères restrictifs qui permettent d’exclure les politiques relatives à la justice pénale ne s’avérant pas pertinentes pour la présente étude.

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5.2.1.1 Critères d’inclusion et d’exclusion Le premier critère d’inclusion est qu’il doit s’agir d’une politique de nature pénale. Ce critère a été sélectionné dans la mesure où les politiques pénales ont été désignées comme l’objet d’étude de ce mémoire93. Le second critère d’inclusion est qu’il doit s’agir d’une politique pénale ayant été déposée par un élu conservateur ou un sénateur siégeant au caucus conservateur et qui a obtenu une sanction royale. Deux raisons sous-tendent l’utilisation d’un tel critère. En premier lieu, j’ai choisi d’inclure les politiques qui ont été déposées non seulement par les élus conservateurs, mais également par les sénateurs siégeant au caucus conservateur, dans la mesure où Stephen Harper a nommé des sénateurs à partir de critères partisans (Michaud, 2011) et détenait, selon certains, un pouvoir absolu sur son caucus (Turner, 2008). La vraisemblable mainmise de Stephen Harper sur son caucus laisse présumer que les politiques pénales conservatrices déposées au Sénat et à la Chambre des communes étaient susceptibles d’être fondées sur la base des mêmes idéaux. En second lieu, j’ai choisi d’inclure seulement les politiques pénales ayant obtenu une sanction royale puisque les projets de loi qui sont morts au feuilleton, dans les lectures préliminaires, n’ont peut-être pas toujours généré des débats assez profonds pour être analysés ou ont parfois été récupérés dans des lois omnibus.

À l’inverse, les politiques de nature pénale reliées à des changements administratifs (ex. nomination des juges, salaires des employés, etc.) sont exclues de l’échantillonnage de ce mémoire. Ce critère d’exclusion a été instauré dans la mesure où ces politiques n’apparaissent pas de facto inspirées d’une idéologie conservatrice répressive, elles sont plutôt rattachées au fonctionnement et au déroulement quotidien de la justice pénale. Il importe de noter que les changements administratifs n’incluent pas, dans la présente recension, les questions reliées aux procédures policières et judiciaires. Le choix de ce critère se base sur la présupposition qu’un gouvernement pourrait, à des fins populistes, changer les lois pour faciliter les fouilles, perquisitions et écoutes en invoquant la nécessité de circonscrire les droits individuels au nom du renforcement de la sécurité. De surcroît, les politiques reliées exclusivement au terrorisme en sol étranger sont aussi exclues de l’échantillonnage de ce mémoire. Ce critère d’exclusion a été instauré à l’endroit des politiques concernant le terrorisme international 94 puisqu’il s’agit de politiques complexes faisant parfois appel à diverses juridictions internationales. Une analyse fine de telles lois aurait excédé les exigences académiques du mémoire de maîtrise.

93 Pour plus de détails concernant le choix de cet objet d’étude, voir les sections 1.3 et 1.4 du mémoire. 94 Les projets de loi traitant du terrorisme en sol canadien ont toutefois été inclus puisqu’une activité terroriste perpétrée en sol canadien est punissable, par l’entremise du Code criminel, au même titre que les autres infractions pénales.

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Sur la base des critères d’inclusion et d’exclusion ci-dessus, 59 politiques pénales adoptées par le gouvernement Harper furent recensées. Pour des raisons évidentes, il est invraisemblable d’analyser qualitativement l’ensemble de ces politiques dans le cadre d’un mémoire exploratoire. Ainsi, il est question dans la prochaine section, d’expliciter les choix qui ont sous-tendu l’échantillon de ce mémoire. Or, avant d’expliquer et de présenter la sélection des politiques pénales retenues dans mon échantillonnage, il est primordial de mentionner que pour ce mémoire le matériel d’analyse est constitué des trois types de documentation, soit les projets de loi et les résumés législatifs95 corrélatifs ainsi que les débats parlementaires ayant présidé lesdits projets de loi. Notons qu’il s’agit de sources primaires puisqu’elles sont puisées dans des archives publiques.

5.2.1.2 L’échantillonnage : Les projets de loi retenus et les résumés législatifs corrélatifs Toute recherche est inévitablement imprégnée de certaines limites balisant l’échantillonnage. Pour ce mémoire, deux principaux motifs viennent justifier la composition de l’échantillon final, soit les visées finales de l’étude et l’ampleur de la documentation. En ce qui a trait aux visées finales, je pars du présupposé que les idéaux et les argumentations populistes les plus éloquents et les mieux argumentés se retrouvent dans les politiques pénales ayant engendré les changements les plus significatifs au niveau des pratiques pénales. Ainsi, je me suis inspiré de nombreux spécialistes qui ont étudié les politiques pénales du gouvernement Harper, tels que Sauvageau (2012), Doob (2012), Comack, Fabre et Burgher (2015), Mallea (2015) et Doob et Webster (2016), pour repérer les politiques pénales harperiennes ayant le plus transformé l’univers pénal canadien. Après avoir dressé la liste de ces politiques, l’ampleur de chacune d’entre elles fut évaluée afin d’estimer un nombre de politiques à analyser qui ne semble pas, à priori, disproportionné pour un mémoire de maîtrise. À la lumière de ces considérations, trois projets de loi furent retenus, soit les projets de loi C-2, C-10 et C- 59. Ces trois projets de loi sont décrits succinctement ci-dessous.

1) Le projet de loi C-2 : Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, dont le titre abrégé est « Loi sur la lutte contre les crimes violents », regroupe cinq projets de loi préalablement morts au feuilleton. La version finale qui fut sanctionnée le 28 février 2008 contient un total de 56 pages. Le résumé législatif corrélatif à ce projet de loi contient, quant à lui, 77 pages.

95 Non sans importance, les résumés législatifs contiennent généralement beaucoup d’éléments de contextualisation.

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2) Le projet de loi C-10 : Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et d’autres lois, dont le titre abrégé est « Loi sur la sécurité des rues et des communautés », est une loi omnibus regroupant neuf projets de loi qui avaient été déposés séparément et qui étaient éventuellement morts au feuilleton. La version finale qui fut sanctionnée le 14 mars 2012 comporte un total de 114 pages, tandis que le résumé législatif relié à ce projet de loi est d’une longueur de 171 pages.

3) Le projet de loi C-59 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, dont le titre abrégé est « Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels ». Sanctionnée le 23 mars 2011, cette loi comporte un total de 12 pages. Le résumé législatif relatif à ladite loi est, quant à lui, composé de 18 pages.

5.2.1.3 Les débats parlementaires Le dernier type de documentation retenu pour les examens entrepris dans ce mémoire sont les débats parlementaires. Ces débats représentent le cœur de la documentation étudiée puisque la grande partie de la rhétorique populiste, le cas échéant, ne se retrouve pas dans les dispositions écrites des projets de loi, mais bien dans les argumentaires justifiant la mise en place, ou non, de telles modifications législatives. Concernant l’étude desdits débats parlementaires, les débats relatifs aux première, deuxième et troisième lectures des trois projets de loi sélectionnés furent analysés. Les débats relatifs aux études, par la Chambre des communes, des rapports de comités furent également étudiés. Ces études sont des débats qui se déroulent entre les deuxième et troisième lectures d’un projet de loi. Or, pour une question d’économie générale, je n’ai analysé que les débats relatifs à l’étude des rapports et non les débats tenus dans les divers comités parlementaires (ex. Comité permanent de la justice et des droits de la personne) qui ont comme objectif de rédiger ces rapports. Ces débats ont été exclus puisque ces comités ont comme mandat principal de tenir des réunions publiques, d’examiner les témoignages d’experts et de témoins ainsi que de passer en revue des présentations écrites et autres documents (Parlement du Canada, 2018). En ce sens, les débats tenus dans les comités parlementaires ne sont pas des débats dans lesquels les députés conservateurs vont présenter des argumentaires pour promouvoir leurs changements législatifs.

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Les débats ayant eu cours au Sénat et dans les comités sénatoriaux furent également exclus de cette recherche puisqu’une lecture succincte de plusieurs de ces débats laisse envisager que ceux-ci n’engendrèrent pas de nouveaux arguments populistes au sein du Parti conservateur. D’ailleurs, l’inclusion de ces débats aurait possiblement surchargé le corpus de plusieurs centaines de pages de verbatim, ce qui aurait diminué, par conséquent, la profondeur de l’analyse effectuée sur les autres données. Après avoir retiré les échanges strictement reliés aux procédures parlementaires, telles que la mise aux voix qui requiert que les députés soient nommés tours à tour, le corpus analytique des débats de la Chambre des communes comporte 793 pages.

5.2.2 Phase 2 : La méthode d’analyse des données La présente étude qualitative est essentiellement exploratoire et vise à atteindre les objectifs de recherche mentionnés ci-dessus par le biais d’une analyse de contenu. Celle-ci est une forme d’analyse plutôt ancienne dont les premières traces remontent aux analyses systémiques des textes bibliques faites par les exégètes. Malgré tout, l’éclosion de son utilisation dans le champ des sciences sociales et humaines ne remonte qu’aux années 1950 (Anger, 1992). Au sens large, l’analyse de contenu se définit comme une méthode qui vise à découvrir le sens d’un message quelconque. D’une manière plus précise, cette méthode scientifique systématisée et objective consiste à classer et codifier le contenu d’un message dans des catégories afin dans faire ressortir le sens (Nadeau, 1987; L’Écuyer, 1990). Elle consiste en une réduction des mots présents dans les divers documents d’un corpus préétablis en un certain nombre de catégories analytiques, autrement dit la formation de groupes dans lesquels les informations de même nature peuvent être catégorisées (Landry, 1992). Ces informations réduites et classées dans des catégories se nomment des unités d’analyse. Des inférences sont ensuite produites grâce aux interprétations réalisées à l’aide de ces catégories analytiques, qui se doivent d’être exhaustives, cohérentes, homogènes, pertinentes et objectives (L’Écuyer, 1990).

Il est primordial de noter que l’importance à accorder à ces catégories ne se mesure pas simplement à leur nombre ou à leur fréquence, mais aussi au poids sémantique qui leur est accordé par rapport au contexte (Aktouf, 1987). D’autre part, la classification d’une analyse de contenu peut s’effectuer par rapport à deux types de contenus, soit le contenu manifeste, qui renvoie à ce qui se trouve explicitement présent dans le message, et le contenu latent, qui relève, lui, du sens caché et symbolique du message (Landry, 1992).

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5.2.2.1 Les étapes de l’analyse de contenu Inspiré par les travaux de Mayer et Deslauriers (2000), Mucchieilli (2006), Bardin (2007) et Wallin (2007) sur l’analyse de contenu, j’ai divisé mes analyses en cinq grandes étapes. La première étape, la préanalyse, est une étape préliminaire composée d’activités non structurées et ouvertes qui servent à organiser, opérationnaliser et systématiser les idées de départ afin d’aboutir à un plan d’analyse. Cette étape permet également de se familiariser avec les particularités du corpus dans le but de pressentir le type d’unités informationnelles à retenir pour une classification ultérieure. En ce sens, j’ai procédé à une première lecture flottante de la documentation retenue afin d’acquérir une vue d’ensemble et de me familiariser avec les différentes particularités du corpus.

À la suite de cette familiarisation, j’ai utilisé les cadres théorique et conceptuel retenus pour identifier les thèmes semblables et identifier leur substance. J’ai ainsi pu organiser systématiquement ces thèmes sous forme d’indicateurs précis, soit les unités d’analyse, ce qui représente la seconde étape des analyses. À l’aide de ces unités, j’ai réalisé la troisième étape : la catégorisation. Plus précisément, j’ai regroupé et classé les unités d’analyse dans des catégories générales et spécifiques afin de créer un « arbre hiérarchique ». Ces catégories ne résultent pas du hasard; elles sont le fruit d’une approche autant inductive que déductive. En d’autres termes, cette catégorisation a été créée à partir du cadre conceptuel retenu ainsi qu’à la lumière de la lecture flottante du corpus. Cette catégorisation a été réalisée de façon méticuleuse puisque, comme l’affirme Mucchieilli, « une analyse de contenu vaut ce que valent ses catégories » (Mucchieilli, 2006 : 17).

La quatrième étape consistait en l’exploitation du matériel, communément appelé codification. Pour coder mon matériel, j’ai utilisé le logiciel NVivo11, un logiciel d’analyse qualitative qui permet de dégager, de relever et d’enregistrer des extraits des sources (données brutes initiales) dans des catégories hiérarchiques. Il est par la suite possible, par simples clics, de retrouver tous les extraits rangés dans ces différentes catégories. Notons que les troisième et quatrième étapes ne sont pas mutuellement exclusives puisque tout au long du codage j’ai déplacé certains extraits dans des catégories différentes, procédé à des fusions, des subdivisions et des regroupements de différentes catégories, et ce, dans le but de parachever mon l’arbre hiérarchique et de rendre les données les plus intelligibles possibles. Le tableau 3, qui est présenté à la page suivante, illustre d’ailleurs ma catégorisation générale.

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Tableau 3. Catégorisation générale

Les fondements sous- Les propositions Les stratégies de Catégories tendant les propositions législatives légitimation employées principales législatives  C-2 : Loi sur la lutte  Théorie de la dissuasion  Références aux victimes contre les crimes  Théorie de la d’actes criminels violents neutralisation  Polarisation des discours  C-10 : Loi sur la  Théorie de la rétribution  Références au peuple sécurité des rues et des  Théorie de la  Rejet ou discrédit des communautés dénonciation savoirs /experts  C-59 : Loi sur  Théorie de la  Appels à la rupture et aux l’abolition de la réhabilitation changements

catégories libération anticipée des

-  Idéologies et valeurs  Références à des faits criminels conservatrices divers

Sous  Limitations du pouvoir  Sophismes discrétionnaire des juges  Références à des groupes d’intérêts « partisans »  Arguments /critiques des partis adverses « évités

Finalement, la cinquième et dernière étape consistait en l’analyse et l’interprétation des résultats pour dégager des informations supplémentaires quant aux messages étudiés. Il s’agissait pour le chercheur de mettre en lumière des réalités sous-jacentes aux messages et les significations de ceux-ci ainsi que de tirer des inférences. C’est précisément ce sur quoi portent les chapitres suivants. Or, avant de commencer les chapitres d’analyse, il est essentiel de mentionner qu’à l’instar de toute recherche, le présent mémoire est teinté de certains biais et limites, ce qu’explicite la section suivante.

5.3 Limites et biais de la méthodologie Malgré l’élaboration minutieuse et scrupuleuse d’une méthodologie en bonne et due forme, aucune méthode de recherche sociale n’est sans faille (Jensen, 2008), et le présent mémoire n’échappe pas à cette règle. D’abord, sur le plan méthodologique, les analyses du présent mémoire ont été réalisées à partir d’un échantillon plutôt limité, soit trois projets de loi. Ainsi, une analyse d’un nombre plus élevé de projets de loi aurait peut-être fait rejaillir d’autres détails ou bien certaines nuances. Dans cette lignée, le fait d’étudier l’articulation du populisme dans les projets de loi ayant engendré les changements les plus significatifs dans les pratiques pénales et rompant le plus foncièrement avec les traditions canadiennes laisser envisager une présence accrue de populisme limitant ainsi, quelque peu, la généralisation à l’ensemble de l’œuvre pénale du gouvernement de Stephen Harper.

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Par la suite, indépendamment du paradigme ou de l’approche préconisé, la « mise en pensée scientifique » de données brutes relève inévitablement de l’interprétation. Plus précisément, pour ce mémoire qui analyse, de manière qualitative, les débats parlementaires, l’interprétation est une construction du sens premier souhaité par l’émetteur du message reposant sur de multiples analyses relatives aux choix des mots et de la formulation syntaxique faite par l’émetteur. Or, sans le non verbal et l’intonation, il est possible qu’une trop grande importance ou encore une trop infime considération soit accordée à certaines formulations de l’émetteur (Landry, 1992). Ainsi, pour un mémoire dont l’empirie est fondée uniquement sur des transcriptions de débats, il est possible que le sens attribué aux propos tenus ne corresponde pas entièrement au sens souhaité par les émetteurs des messages.

Ce mémoire comporte également un biais commun à toutes recherches, soit le fait que l’analyse des données n’est jamais une technique neutre puisqu’elle est empreinte des présupposés théoriques et épistémologiques de l’auteur. Dans l’ensemble des recherches, dont ce mémoire, les théories sélectionnées modulent la lecture des données; les théories qui ont été écartées et ignorées ne doivent donc pas être séparées des présupposés du chercheur (De Gialdino, 2012). De ce fait, il faut noter que les catégories utilisées dans l’analyse de contenu sont fondées sur notre précompréhension du phénomène à l’étude et émanent des apports bibliographiques et des orientations théoriques retenues dans ce mémoire. Elles ne doivent donc pas être perçues comme des catégories définissant universellement le populisme pénal. Dans cette lignée, l’analyse de l’articulation de l’ancrage populiste en matière pénale du gouvernement Harper réalisée dans ce mémoire est également teintée par des choix théoriques. Néanmoins, ce mémoire n’est pas basé sur une sélection arbitraire des ouvrages confirmant les présupposés de l’auteur. La sélection des écrits et des apports théoriques résulte plutôt d’une analyse méticuleuse des connaissances criminologiques et sociologiques.

L’absence de point de comparaison démontrant la possible construction populiste des politiques de l’administration Harper pourrait aussi être considérée telle une limite. Autrement dit, il est possible de voir comme une limite le fait ne pas avoir comparé les arguments sous-tendant les politiques du gouvernement Harper à celles d’autres gouvernements, dans la mesure où certains pourraient affirmer que les mêmes arguments se retrouvent dans les politiques pénales des autres gouvernements canadiens. Soulignons toutefois que cette limite est tempérée par la démonstration réalisée dans le chapitre deux dans lequel des comparaisons entre la philosophie pénale du gouvernement Harper et les traditions pénales canadiennes ont été dressées. En outre, l’utilisation d’une politique antérieure d’un autre gouvernement canadien ou d’une politique étatsunienne à des fins de comparaison aurait

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été aussi parsemée de biais puisque l’analyse d’une politique ne devrait jamais être détachée de son contexte social de création. Les politiques pénales du gouvernement Harper virent le jour dans un contexte social bien précis, soit dans un pays où les taux de criminalité sont en constante diminution (Bunge, Johnson et Baldé, 2006) et sont beaucoup plus faibles que ceux des États-Unis (Ouimet, 2004). C’est donc dans ce contexte précis que doit être documentée la portée populiste des politiques de ce gouvernement.

5.4 Remarques conclusives Ce chapitre méthodologique clôt la première partie de ce mémoire dans laquelle maintes notions ont été élaborées. Que ce soit la description des fondements de la démocratie et de la justice pénale canadiennes, l’analyse de l’évolution des tendances pénales, les premiers liens entre le populisme pénal et le gouvernement Harper ou encore les cadres théorique et conceptuel, les cinq premiers chapitres de ce mémoire convergent vers la réalisation de l’objectif central de ce mémoire qui est d’étudier la manière dont s’articule le populisme dans les politiques pénales érigées, modifiées ou abrogées par le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Pour y arriver, les analyses principales de ce mémoire sont divisées en deux chapitres, soit un premier chapitre dans lequel sont décrits les changements législatifs et les visées de ceux-ci, et le second chapitre dans lequel les fondements populistes sous-tendant les politiques pénales analysées, ainsi que les stratégies de légitimation populistes employées dans les débats parlementaires sont dépeintes.

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Chapitre 6 – Les changements législatifs et leurs effets

La première partie du présent chapitre est tourné vers la description des changements législatifs qui furent apportés dans les trois projets de loi préalablement sélectionnés. Il s’agit d’un exercice essentiel puisque l’ancrage populiste du gouvernement Harper, en matière pénale, prend forme, en bonne partie, à travers ces modifications législatives. De prime abord, les diverses dispositions des projets de loi sont introduites96 de manière séparée. En d’autres termes, les changements apportés dans chacun des projets analysés sont présentés indépendamment et successivement. Dans la seconde partie de ce chapitre, je synthétise les dispositions législatives décrites en trois thématiques qui illustrent, chacune, un des grands « effets » des politiques pénales analysées. Ces thématiques représenteront d’ailleurs un des prismes d’analyse à travers lesquels l’ancrage populiste du gouvernement Harper sera étudié dans le chapitre subséquent.

6.1 Le projet de loi C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents (2008) Le projet de loi C-2 : Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, dont le titre abrégé est « Loi sur la lutte contre les crimes violents », est composé de cinq grandes parties représentant cinq anciens projets de loi morts au feuilleton. Dans un projet de loi aussi massif, certaines modifications sont plus accessoires97. Ainsi, je ne décris, dans les sections suivantes, que les changements législatifs les plus significatifs.

6.1.1 Partie 1 – Les peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu La première partie du projet de loi C-2 a comme objectif central d’augmenter les peines minimales d’emprisonnement pour les personnes déclarées coupables d’avoir commis des infractions graves ou répétées à l’aide d’armes à feu. Le projet de loi crée également de nouvelles infractions plus spécifiques quant à des actes commis à l’aide d’une arme à feu, qui étaient auparavant criminalisés dans des infractions plus « larges ». Pour débuter, il importe de contextualiser les peines minimales obligatoires dans leur ensemble. Au Canada, avant l’arrivée du gouvernement Harper, le nombre de

96 La première partie de ce chapitre est construite à partir des informations provenant des projets de loi ainsi que des résumés législatifs et non des débats parlementaires, et ce, dans la mesure où les analyses suggèrent que les députés ont tendance à davantage discuter des idées de fonds et non des détails techniques législatifs lors des débats parlementaires. De plus, les techniques utilisées par le gouvernement conservateur pour limiter les débats parlementaires, dans les trois projets de loi analysés, ont engendré des échanges limités qui n’illustrent pas de manière in extenso les multiples portées des projets de loi. 97 À titre d’exemple, en ce qui a trait à la réforme sur la conduite avec facultés affaiblies, le présent projet de loi ajoute une disposition stipulant que les échantillons de sang ne peuvent être prélevés que par un médecin ou un technicien.

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peines minimales était somme toute plutôt limité dans la mesure où approximativement 40 infractions punissables d’une peine minimale d’emprisonnement se retrouvaient dans le Code criminel98. Ce nombre restreint de peines minimales s’expliquait par le fait que celles-ci sont généralement considérées comme étant contraires aux principes de justice fondamentale édictés dans l’article 718.1 du Code criminel99 dans lequel il est stipulé qu’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de la personne déclarée coupable. En ce sens, une peine minimale obligatoire peut constituer, dans certains cas, une peine cruelle et inusitée, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés puisque le seuil de ladite peine peut s’avérer disproportionné eu égard à la gravité de l’infraction ou des caractéristiques personnelles de la personne condamnée (Parlement du Canada, 2007). D’ailleurs, depuis l’arrêt Smith100 qui invalida la peine minimale de sept ans d’emprisonnement en cas de condamnation pour importation de stupéfiants en 1987, plusieurs recours basés sur les garanties constitutionnelles ont été intentés afin d’invalider la constitutionnalité de plusieurs peines minimales. Or, la Cour suprême du Canada a confirmé, notamment, dans les arrêts Gotz101, Morrisey102 et Latimer103 la constitutionnalité de certaines peines minimales. En somme, à l’heure actuelle, certaines peines minimales sont considérées comme des peines « acceptables » à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés (Parlement du Canada, 2007). Sur le plan scientifique, notons que les peines minimales sont passablement critiquées par les juristes et les scientifiques, critiques qui seront d’ailleurs détaillées dans la section suivante.

En ce qui a trait aux infractions reliées aux armes, des peines minimales sont prévues au Code criminel depuis 1995. La formation conservatrice de Stephen Harper, par l’entremise du projet de loi C-2, rallonge certaines de ces peines minimales et ajoute des critères aggravants, tels qu’une condamnation antérieure pour le même type de crime. Le tableau 4 résume les nouvelles infractions et les nouvelles peines minimales instaurées par le présent projet de loi, tout en les comparant avec les peines qui étaient en vigueur avant le présent projet de loi.

98 Fait intéressant, dans une recherche portant sur les déterminations de la peine dans un grand nombre de pays occidentaux (ex. Angleterre, Australie, Afrique du Sud, etc.) réalisées au nom du ministère de la Justice du Canada, Roberts, Cole et Morek (2005) soulignent que le Canada est le seul pays à ne pas posséder une disposition d’exemption législative à l’égard des peines minimales, qui permettraient aux juges de ne pas appliquer les peines minimales dans certaines circonstances. 99 Code criminel, LRC 1985, c. C -46. 100R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 101R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485. 102 R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90. 103 R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3.

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Tableau 4. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu104

Peines minimales Actions relatives aux articles Peines minimales en vigueur en vigueur avant et aux paragraphes du Infractions après C-2 C-2 Code criminel105 Possession sans autorisation d’une  Peine arme à feu prohibée  Voie sommaire : 1 an minimale ou à autorisation  1re infraction : 3 ans uniquement si  Modification du restreinte, chargée ou mise en paragraphe 95(2)  En cas de récidive : avec des munitions accusation106 : 5 ans facilement 1 an accessibles  Pour une arme prohibée ou à Trafic ou possession autorisation restreinte en vue du trafic d’une . 1 an arme à feu, d’une  Pour une arme à feu, un arme prohibée, d’une  Modification des arme à autorisation dispositif prohibé, des  1 an paragraphes 99(2), 100(2) et munitions ou des munitions restreinte, d’un (3) prohibées : dispositif prohibé, de . 1re infraction : 3 ans munitions ou de . En cas de récidive : munitions prohibées 5 ans Importation ou exportation d’une  Pour une arme prohibée ou à arme à feu, d’une autorisation restreinte arme prohibée, d’une . 1 an arme à autorisation  Pour une arme à feu, un restreinte, d’un  Modification du dispositif prohibé, des dispositif prohibé, de  1 an paragraphe 103(2) munitions ou des munitions munitions prohibées, prohibées : de quelque élément . 1re infraction : 3 ans ou pièce conçus pour . En cas de récidive : une arme à feu 5 ans automatique

104 C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents, deuxième session, 39e législature, Canada, sanctionnée le 28 février 2008. 105 Code criminel, LRC 1985, c. C -46. 106 Au Canada, il existe trois types d’infractions dans le Code criminel : l’infraction punissable par procédure sommaire, l’acte criminel et l’infraction mixte. Les infractions punissables par procédure sommaire sont moins graves que les actes criminels, tandis que les actes criminels ou infractions punissables par mise en accusation sont considérés être plus graves. Dans le cas d’une infraction mixte, comme c’est le cas ici, la Couronne peut choisir, en se fondant sur certains facteurs comme la gravité des actes posés par l'accusé et les dommages qu'il a causés, de poursuivre par procédure sommaire ou par mise en accusation. Notons que, lors de l’écriture de ces lignes, le gouvernement Trudeau avait déposé le projet de loi C-75 visant à abolir les infractions mixtes. Les débats n’en étaient toutefois qu’à l’étape de la première lecture.

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Tableau 4. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant aux peines minimales pour les infractions graves mettant en jeu des armes à feu (suite)

Peines minimales Actions relatives aux articles Peines minimales en vigueur en vigueur avant et aux paragraphes du Infractions après C-2 C-2 Code criminel Usage d’une arme à feu lors de la  4 ans perpétration d’une  Pour une arme à feu à tentative de meurtre, autorisation restreinte ou fait de décharger une prohibée, ou s’il existe un arme à feu avec  Modification des articles 239, lien entre l’usage d’une arme intention, agression  4 ans 244, 272, 273, 279, 279.1 et à feu quelconque et une sexuelle armée, 344 organisation criminelle : agression sexuelle o 1re infraction : 5 ans grave, enlèvement, o En cas de récidive : prise d’otage, vol 7 ans qualifié et extorsion  Pas de peine minimale, mais Introduction par  Aucune la peine maximale est effraction pour voler (nouvelle  Création du nouvel article 98 l’emprisonnement à une arme à feu infraction) perpétuité  Pas de peine minimale, mais Vol qualifié visant  Aucune  Création du nouvel la peine maximale est une arme à feu (nouvelle article 98.1 l’emprisonnement à infraction) perpétuité

6.1.2 Partie 2 – L’accroissement de l’âge de consentement sexuel La seconde partie du projet de loi C-2 a comme visée d’augmenter l’âge minimal pour consentir à une activité sexuelle (ex. baisers, caresses, etc.). Avant ce projet de loi, les personnes de 14 ans ou plus pouvaient consentir à des activités sexuelles consensuelles à moins qu’elles s’inscrivent dans une relation de confiance ou de dépendance. De surcroît, les activités sexuelles consensuelles avec des personnes de 12 à 14 ans n’étaient pas criminalisées si la différence d’âge avec le plaignant n’était pas supérieure à deux ans (Parlement du Canada, 2007). Selon le présent projet de loi, les adolescents entre 14 ans et 16 ans ne peuvent plus consentir à des activités sexuelles consensuelles avec les personnes qui sont leurs aînées de plus de cinq ans. Soulignons également que les relations anales ne sont pas permises avant l’âge de 18 ans107, tandis que le mariage agit tel un critère d’exemption qui permet aux personnes âgées de 14 ans et plus de consentir à des rapports sexuels. Je reviendrai d’ailleurs sur l’importance de tels détails législatifs dans le chapitre suivant. Finalement, la hausse de l’âge du consentement sexuel est également accompagnée d’une peine minimale d’un an de prison

107 Notons toutefois qu’en 2016, le gouvernement Trudeau effaça, du Code criminel, toute mention des relations anales (Duchaine, 2016).

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pour les personnes reconnues coupables de contact sexuel sur des mineurs, et ce, même s’il y a consentement de la présumée victime108. Le tableau 5 explicite l’évolution de l’âge du consentement sexuel à travers les nouvelles dispositions du présent projet de loi.

Tableau 5. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 quant à l’évolution de l’âge du consentement sexuel109

Actions relatives aux Type de contacts Avant C-2 articles et paragraphes Après C-2 du Code criminel Permis entre un Contacts sexuels entre adolescent de 12 à 14 des personnes âgées de ans et un autre Aucune Idem moins de 14 ans adolescent de deux ans son aîné Contacts sexuels de Permis avec une nature non exploitante Modification de personne de 14 ans à 16 Permis entre des personnes âgées l’article 150.1 (2,1) ans qui est moins de 5 de plus de 14 ans ans son aîné Contacts sexuels avec des personnes d’autorité, de Permis après 18 ans Aucune Idem confiance ou d’exploitation

6.1.3 Partie 3 – La conduite avec facultés affaiblies par la drogue La troisième partie projet de loi C-2 se subdivise en deux sous-sections. La première apporte, essentiellement, des modifications procédurales au Code criminel et à d’autres lois corrélatives afin d’assurer la mise en œuvre de règles de preuve plus rigoureuses relativement aux tests de dépistage des drogues lors des arrestations pour conduite avec facultés affaiblies. Avant l’entrée en vigueur du présent projet de loi, les policiers ne disposaient de peu de moyens afin de vérifier une conduite avec les facultés affaiblies par l’effet d’une drogue. Comparativement à la détection des taux d’alcoolémie par le truchement des alcootests, aucun prévenu ne pouvait être forcé de subir un test de dépistage « physique » pour la drogue. Dans ces conditions, les policiers ne pouvaient donc s’en remettre qu’à des constatations de symptômes non quantifiables (ex. odeur de cannabis, yeux rouges, etc.) (Parlement du Canada, 2007). Pour pallier ces aléas, le projet de loi C-2 modifie, notamment, l’article 153 du Code criminel afin de permettre aux policiers d’imposer des tests physiques de

108 Lors de l’écriture de ces lignes, un jugement de la Cour d’appel du Québec venait tout juste de déclarer que la peine minimale d’un an d’emprisonnement en matière de contact sexuel sur des mineurs était inconstitutionnelle (Tremblay, 2018). 109 C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents, deuxième session, 39e législature, Canada, sanctionnée le 28 février 2008.

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sobriété et le prélèvement d’échantillons de substances corporelles dans le but de mesurer la présence de drogue dans l’organisme d’une personne soupçonnée d’avoir conduit avec des facultés affaiblies. La deuxième sous-section de la troisième partie du projet de loi C-2 modifie les peines minimales applicables en matière de conduite avec les facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue figurant au paragraphe 255(1) du Code criminel. Le tableau 6 dresse le portrait de l’évolution des peines minimales relatives aux infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue.

Tableau 6. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives aux peines minimales pour les infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies110

Nombre(s) d’infraction(s) Peines minimales avant C-2 Peines minimales après C-2

1re infraction 600 $ 1000 $

2e infraction 14 jours d’incarcération 30 jours d’incarcération

3e infraction et plus 90 jours d’incarcération 120 jours d’incarcération

6.1.4 Partie 4 – La mise en liberté en cas d’infractions mettant en jeu une arme à feu ou d’autres armes réglementées La quatrième partie du projet de loi C-2 a pour but de limiter les mises en liberté provisoire des inculpés qui ont commis certaines infractions impliquant une arme à feu, et ce, par l’entremise du renversement du fardeau de la preuve111 (Parlement du Canada, 2007). Le projet de loi renverse le fardeau de la preuve, c’est-à-dire que c’est le prévenu qui doit prouver que sa détention provisoire est injustifiée à l’égard des principes énoncés dans le paragraphe 515(10) du Code criminel. Le tableau 7 explicite les plus grandes modifications législatives permettant ce renversement du fardeau de la preuve.

110 C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents, deuxième session, 39e législature, Canada, sanctionnée le 28 février 2008. 111 Notons que le renversement de la preuve, qui signifie que l’accusé est responsable de convaincre le juge en sa faveur, est critiqué par plusieurs juristes et experts dans la mesure où une telle pratique peut, dans certaines occasions, revêtir un caractère irréfragable et ainsi aboutir, entre autres, à des violations de la présomption d’innocence (Lazerges, 2004).

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Tableau 7. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-2 relatives à la restriction des remises en liberté pour les infractions reliées aux armes à feu112

Nouveaux articles du Actions Infractions Code criminel Trafic d’armes Article 99 Possession d’armes en vue d’en Article 100 faire le trafic Importation ou exportation non Article 104 autorisées Adjonction à alinéa 515(6) (Ordonnance de Décharger une arme à feu dans détention – le prévenu doit prouver que sa l’intention de causer des lésions Article 244 détention provisoire n’est pas justifiée) corporelles Agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne Article 272 ou infliction de lésions corporelles Agression sexuelle grave Article 273 S’il est présumé qu’une arme à feu a été Tentative de meurtre Article 239 utilisée lors de la perpétration de l’infraction : Vol qualifié Article 344 adjonction à alinéa 515(6) (Ordonnance de Extorsion Article 346 détention – le prévenu doit prouver que sa détention provisoire n’est pas justifiée)

6.1.5 Partie 5 – Désignation de délinquants dangereux Le point central de la cinquième partie du projet de loi C-2 est de faciliter la mise en œuvre d’une désignation de « délinquants dangereux » par l’entremise d’un renversement du fardeau de preuve. Avant de décrire ce renversement du fardeau de la preuve, il importe de définir et de contextualiser la désignation de « délinquant dangereux »113. L’objectif principal du régime des délinquants dangereux est de protéger le public contre les personnes reconnues coupables et jugés à risque de commettre un crime violent . En ce sens, lorsqu’un individu est déclaré « délinquant dangereux », le tribunal lui octroie généralement une peine de détention pour une période indéterminée (Parlement du Canada, 2007). Notons également qu’il s’agit d’une mesure rare. Lors de la passation du projet de loi conservateur en 2008, 455 personnes avaient été déclarés « délinquants dangereux » depuis la création de la désignation en 1978. D’une manière plus précise, le projet de loi C-2 modifie l’article 753 du Code criminel pour faire en sorte qu’une personne reconnue coupable de trois

112 C-2 : Loi sur la lutte contre les crimes violents, deuxième session, 39e législature, Canada, sanctionnée le 28 février 2008. 113 Parallèlement à la désignation de « délinquant dangereux », il existe également, en droit canadien, la désignation de « délinquant à contrôler », qui est imposée habituellement à des individus reconnus coupables de sévices graves et qui représentent un haut risque de récidive, mais qui ne répondent pas à tous les critères de la désignation de « délinquant dangereux ». La désignation de « délinquant à contrôler » n’oblige pas le juge à ordonner une peine indéterminée. Elle l’oblige, néanmoins, à faire suivre un mandat fédéral d’incarcération d’une ordonnance de surveillance communautaire de longue durée pouvant s’échelonner sur une période maximale de dix ans.

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infractions primaires114 ou d’ordre sexuel pour lesquelles une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus fut octroyée doit maintenant démontrer pourquoi elle n’est pas un « délinquant dangereux ». Dans le cas contraire, elle sera automatiquement désignée comme « délinquant dangereux » jusqu’à sa mort naturelle. Par voie de conséquences, le condamné pourra être emprisonné tant qu’il présentera un risque inacceptable pour la société (Parlement du Canada, 2007).

6.2 Le projet de loi C-59 : Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels (2011) Le projet de loi C-59 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (procédure d’examen expéditif) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, dont le titre abrégé est Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, a comme objectif de proscrire la procédure d’examen expéditif et les pratiques corrélatives à celle-ci. La procédure d’examen expéditif est une mesure, prévue dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui a pour objectif d’accélérer l’accès à la surveillance et au soutien communautaire pour remettre en liberté le plus tôt possible les détenus fédéraux non violents, et ce, dans le but qu’ils purgent le reste de leur peine en collectivité. Selon le Parlement du Canada (2011), pour bénéficier de la procédure d’examen expéditif, les personnes incarcérées doivent remplir les critères suivants :

1. En être à leur première peine dans un pénitencier. 2. Ne pas avoir été condamnées pour meurtre ou pour complicité de meurtre. 3. Ne pas avoir été condamnées à perpétuité. 4. Ne pas avoir commis une infraction de terrorisme ou liée au crime organisé. 5. Ne pas avoir été condamnées pour une infraction figurant à l’annexe I115 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. 6. Ne pas avoir été condamnées pour une infraction prévue à l’annexe II116 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et pour laquelle le tribunal a ordonné que la personne condamnée ne soit pas admissible à une libération conditionnelle avant d’avoir purgé au moins la moitié de sa peine. 7. Ne pas avoir fait l’objet d’une décision conduisant à la révocation de la semi-liberté.

114 Les infractions primaires désignées en vertu du Code criminel sont essentiellement des infractions violentes ou à caractère sexuel. Il s’agit donc d’infractions qui sont jugées être « graves ». 115 L’Annexe I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition englobe un ensemble de comportements criminalisés de nature violente. 116 L’Annexe II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition couvre l’ensemble des infractions relatives aux drogues et autres substances illicites.

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Lorsqu’un détenu remplit ces conditions, la procédure d’examen expéditif lui garantit, préalablement à sa date d’admission à la semi-liberté, un examen de son dossier par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, et ce, sans qu’il ait à se présenter à une audience. Les détenus admissibles à cette procédure bénéficient d’une présomption en faveur de leur libération anticipée et, par conséquent, le critère de récidive utilisé par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, pour accorder ou non une semi-liberté et par la suite une libération conditionnelle totale, est moins rigoureux que pour les autres détenus. Plus précisément, dans les procédures d’octroi habituelles, une libération conditionnelle n’est accordée que si le détenu est peu ou pas à risque de commettre une infraction, et ce, indépendamment de la nature de l’acte. Or, pour les détenus qui sont admissibles à la procédure d’examen expéditif, la Commission des libérations conditionnelles du Canada se doit d’accorder une libération anticipée (la semi-liberté et/ou la libération conditionnelle totale) à un détenu admissible, à moins qu’elle juge que celui-ci est susceptible de commettre une infraction de nature violente avant la fin de sa peine. Finalement, l’aspect le plus important de la procédure d’examen expéditif est que cette mesure diminue le temps de détention nécessaire avant l’admissibilité à la semi-liberté. Plus précisément, alors que les détenus qui n’ont pas le droit à la procédure d’examen expéditif sont généralement admissibles à la semi-liberté six mois avant leur date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale (habituellement au tiers de la peine), les détenus qui peuvent se prévaloir de cette procédure sont quant à eux admissibles après avoir purgé un sixième de leur peine. Cela dit, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit néanmoins une période minimale de six mois d’incarcération avant l’admissibilité à la semi-liberté, la plus longue des périodes prévues étant retenue (Parlement du Canada, 2011).

Après avoir décrit et contextualisé la procédure d’examen expéditif, il est maintenant possible d’examiner les dispositions du projet de loi C-59. Ledit projet de loi s’avère plutôt simple puisqu’il a comme unique objectif de supprimer toute mention de la procédure d’examen expéditif dans les diverses lois117, ce qui a un double effet, soit d’éliminer la possibilité d’obtenir une semi-liberté au sixième d’une peine et de soumettre tous les détenus fédéraux au même critère de récidive lors des processus d’octroi des libérations conditionnelles. Notons que le projet de loi C-59 a une portée

117 La procédure d’examen expéditif était tributaire de trois lois. 1) Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20. 2) C-45 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le transfèrement des délinquants, première session, 35e législature, Canada, sanctionnée le 15 décembre 1995. 3) C-55 : Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général, deuxième session, 35e législature, Canada, sanctionnée le 27 avril 1997.

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rétroactive, puisque selon ses dispositions transitoires 10.1 et 10.2, l’abolition de la procédure d’examen expéditif s’applique à tous les détenus déjà condamnés, mais qui n’ont pas encore bénéficié de cette procédure au moment de l’entrée en vigueur du projet de loi le 23 mars 2011. Ainsi, il s’agit d’une portée rétroactive limitée puisque les personnes qui profitent déjà d’une libération anticipée, à la suite d’une procédure d’examen expéditif, ne verront pas leur mesure de liberté anticipée révoquée (Parlement du Canada, 2011).

6.3 Le projet de loi C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés (2010)118 Le dernier projet de loi analysé se nomme Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et d’autres lois. Le titre abrogé de cette loi est la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Il s’agit d’une loi omnibus massive touchant de multiples pratiques de la justice pénale qui regroupe neuf mesures législatives que le gouvernement de Stephen Harper n’avait pas réussi à faire adopter quand il était minoritaire à la Chambre des Communes. Selon plusieurs spécialistes, il s’agit d’ailleurs du projet de loi conservateur qui a suscité les plus grandes transformations de l’univers pénal canadien (Comack, Fabre et Burgher, 2015; Mallea, 2015; Doob et Webster, 2016). Il importe de spécifier que le projet de loi C-10 est un projet volumineux qui apporte plus de 250 modifications au Code criminel et à d’autres lois corrélatives. Ces mesures n’ont que peu de lien entre elles et ne sont rassemblées qu’en vue d’une approbation expéditive. Conséquemment, certaines modifications du projet de loi C-10 s’avèrent plus subsidiaires. Ainsi, dans le cadre des exigences et des limites d’un mémoire de maîtrise, il semble impossible de détailler et de contextualiser finement chacune de ces modifications législatives. Seuls les changements législatifs les plus prééminents et ayant eu les impacts les plus significatifs sur la justice pénale canadienne sont donc présentés. Dans le but de garder une certaine cohérence avec le projet de loi, les divers changements sont décrits à travers les neuf grandes parties du projet loi, qui représentent en réalité les neufs anciens projets de loi morts au feuilleton.

118 Certaines sections du projet de loi C-10 sont reliées aux critères d’exclusion préétablis dans le chapitre 5. Plus précisément, une analyse approfondie de ce projet de loi révèle que certains changements législatifs du projet de loi C-10 touchent le terrorisme international et les juridictions corrélatives. Pour les mêmes raisons qui m’avaient poussé à établir un critère d’exclusion lors de mon échantillonnage, je ne détaillerai pas les modifications législatives touchant ce type de terrorisme.

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6.3.1 Partie 1 – Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme Les dispositions de la première partie du projet de loi C-10 ont pour but de permettre aux victimes d’actes terroristes d’intenter des poursuites contre des personnes, des organisations et des entités terroristes afin d’obtenir compensation pour les pertes ou les dommages qu’elles ont subis. Corollairement, le projet de loi C-10 instaure également des procédures judiciaires qui permettent, aux victimes d’actes terroristes, de poursuivre les États qui ont soutenu des organisations terroristes. Pour combler ces objectifs, le projet C-10 édicte la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme119 et modifie la Loi sur l’immunité des États120 et d’autres lois corrélatives (Parlement du Canada, 2012a). En ce sens, comme l’indique un des titres des projets de loi, il s’agit de modifications législatives faisant appel à diverses juridictions internationales, c’est pourquoi je ne détaillerai pas plus cette partie du projet de loi puisqu’une analyse approfondie de telles lois excède les objectifs de ce mémoire de maîtrise. D’ailleurs, cette partie du projet de loi n’a fait l’objet que de peu de discussion dans les débats parlementaires et les quelques arguments évoqués ne sont pas pertinents pour les visées de ce mémoire.

6.3.2 Partie 2 – Les infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants La seconde partie du projet de loi C-10 institue de nouvelles peines minimales ou des peines minimales plus sévères à l’égard des infractions sexuelles contre les enfants et les infractions relatives à la pornographie juvénile121. Le projet de loi crée également deux nouvelles infractions plus spécifiques concernant les infractions sexuelles reliées aux nouvelles technologies. Notons que l’imposition de peines minimales a, ici, un double impact puisque en plus d’imposer une peine minimale d’incarcération aux condamnés, cela a également comme conséquence d’éliminer la possibilité d’obtenir une peine d’emprisonnement avec sursis122 (Parlement du Canada, 2012a). Le tableau 8 présente l’évolution des peines minimales et la création des nouvelles infractions, en matière sexuelle, reliées au projet de loi C-10.

6.3.3 Partie 3 – Les infractions relatives aux drogues et autres substances La troisième partie de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés instaure différentes peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues. Soulignons qu’il s’agit de peines minimales obligatoires progressives puisque le seuil minimal respectif desdites peines dépend de

119 Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme, LRC 2012 ch.2. 120 Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, c. S-18. 121 Notons qu’une contextualisation générale des peines minimales a été réalisée précédemment dans ce chapitre (section 6.3.1). 122 L’emprisonnement avec sursis est détaillé subséquemment, dans la section 6.4.4.

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plusieurs variables, soit la nature de la substance et plus précisément l’annexe123 dans laquelle elle figure, la quantité de ladite substance ainsi qu’en fonction de la présence ou absence de certaines circonstances aggravantes (Parlement du Canada, 2012a). Aux dires de L’Association du Barreau canadien, il s’agit d’ailleurs de changements législatifs plutôt emmêlés qui créent un nouveau régime très complexe compliquant les principes de détermination de la peine (L’Association du Barreau canadien, 2011). À titre d’exemple, une personne condamnée pour possession en vue de trafic peut faire face à jusqu’à six peines minimales différentes selon les variables énumérées ci-dessus. Dans le cadre limité de ce chapitre, il est donc inenvisageable de tenter de décrire exhaustivement l’ensemble des possibilités en ce qui a trait aux peines minimales relatives aux infractions en matière de drogues qui sont proposées par le projet de loi C-10. L’augmentation générale des peines minimales relatives aux drogues sera, néanmoins, analysée dans le chapitre suivant.

Tableau 8. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-10 concernant l’évolution des peines minimales pour les infractions sexuelles à l’égard d’enfants124

Procédure sommaire Modifications Mise en accusation des articles et Infractions Peines Peines Peines Peines minimales minimales paragraphes du minimales minimales avant C-10 après C-10 Code criminel avant C-10 après C-10 . Contacts sexuels Modification des . Incitation à des contacts 45 jours 14 jours 90 jours articles 151 - 152- 90 jours sexuels 1 an 153 . Exploitation sexuelle . Publication de Modification des pornographie juvénile 90 jours 6 mois paragraphes 163.1(2) 2 ans Idem. . Distribution de et (3) pornographie juvénile . Possession de Modification des pornographie juvénile 14 jours 6 mois paragraphes 163.1 45 jours 6 mois . Accès à la pornographie (4) et (4,1) juvénile . Inceste avec une Modification de personne de moins de 16 Aucune Aucune Inapplicable 5 ans l’article 155 ans

123 Les annexes sont divisées de la manière suivante : l’annexe I comporte les drogues telles que la cocaïne, la méthamphétamine, la phencyclidine, la kétamine, la codéine, la morphine, l’opium et l’héroïne. L’annexe II inclut le cannabis et ses dérivés. L’annexe III englobe la mescaline, l’ecstasy et les champignons magiques. L’annexe IV est relative aux barbituriques, aux stéroïdes anabolisants et aux diazépams. Les annexes V et VI sont reliées aux différents produits utilisés dans la fabrication d’autres drogues. 124 C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés, première session, 41e législature, Canada, sanctionnée le 13 mars 2012.

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. Leurre par Internet . Agression sexuelle contre Modification des Aucune Aucune 90 jours 1 an une personne de moins de articles 172.1 et 271 16 ans . Agression sexuelle armée contre une personne âgée de moins de 16 ans Modification de Aucune Aucune Inapplicable 5 ans . Agression sexuelle grave l’article 272 et 273 contre une personne âgée de moins de 16 ans . Rendre accessible à un Création de enfant du matériel Inapplicable Inapplicable 30 jours 90 jours l’article 171.1 sexuellement explicite . S’entendre ou prendre des arrangements avec autrui, à l’aide d’un moyen de Création de Inapplicable Inapplicable 90 jours 1 an télécommunication, pour l’article 172.2 perpétrer une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant

6.3.4 Partie 4 – La peine d’emprisonnement avec sursis La quatrième partie de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés a pour but de circonscrire l’utilisation de la peine d’emprisonnement avec sursis. La peine d’emprisonnement avec sursis fut instaurée en 1996 à la suite de l’adoption du projet de loi C-41. La peine d’emprisonnement avec sursis est une véritable peine d’incarcération, mais pour laquelle le juge en sursoit l’application, permettant ainsi à la personne condamnée de purger sa peine d’incarcération dans la collectivité, sous surveillance, plutôt que dans un établissement carcéral. Cette ordonnance de sursis est généralement assortie de certaines conditions qui restreignent les mouvements et les activités de la personne condamnée et dont le non-respect peut entraîner son emprisonnement. Le sursis représente donc une mesure hybride à la confluence de l’incarcération, c’est-à-dire la punition, et de la réinsertion sociale. Les modalités juridiques d’octroi du sursis figurent aux articles 742 à 742.7 du Code criminel, dans lesquels il est stipulé que cette mesure peut être octroyée lorsqu’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans est prononcée pour une infraction pour laquelle la loi ne prévoit aucune peine minimale, et dans les cas où le juge est convaincu que la personne condamnée ne représente pas un danger pour la société. La peine d’emprisonnement avec sursis a été introduite dans le Code criminel avec la visée principale de réduire le recours à l’incarcération, surtout chez les populations autochtones. Elle permet également d’intégrer, au processus de détermination de la peine, certains principes liés à la justice réparatrice. D’une manière plus précise, lors de l’octroi d’un sursis, le juge

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peut inclure des conditions relatives à la « réparation » des torts causés que le condamné devra rencontrer afin de continuer de bénéficier du sursis (Parlement du Canada, 2012a).

Le projet de loi C-10 a pour but de modifier l’article 742.1 du Code criminel et ainsi rendre inadmissible l’emprisonnement avec sursis aux personnes reconnues coupables d’infractions donnant lieu à des peines d’emprisonnement maximales de 14 ans. De surcroît, l’admissibilité au sursis est également proscrite pour les infractions passibles d’une peine maximale de 10 ans et qui entraînent des lésions corporelles, qui sont relatives à la drogue ou qui ont été commises à l’aide d’une arme. Finalement, les personnes qui ont perpétré une des dix infractions figurant dans le tableau 9 ne pourront plus bénéficier d’une peine d’emprisonnement avec sursis (Parlement du Canada, 2012a).

Tableau 9. Les infractions pour lesquelles la peine d’emprisonnement avec sursis est dorénavant proscrite125

Infractions Articles du Code criminel Bris de prison Article 144 Harcèlement criminel Article 264 Agression sexuelle Article 271 Enlèvement Article 279 Traite des personnes : tirer un avantage matériel Article 279.02 Enlèvement d’une personne de moins de 14 ans Article 281 Vol d’un véhicule à moteur Article 334 Vol de plus de 5 000 $ Article 349 Présence illégale dans une maison d’habitation Article 345

6.3.5 Partie 5 – Les libérations conditionnelles La cinquième partie de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés a comme objectif de resserrer les règles relatives aux libérations conditionnelles et d’inclure de façon plus spécifique les intérêts des victimes dans les divers processus correctionnels. D’une manière plus spécifique, la présente partie du projet de loi C-10 comporte 55 articles réformant multiples pratiques correctionnelles, dont certaines s’avèrent d’une importance plus ou moins subsidiaire. Ainsi, seules les modifications les plus prééminentes seront décrites.

Le premier grand changement est plutôt philosophique et a pour but de surélever à titre de priorité absolue la protection de la société lors de n’importe quelle décision concernant la Loi sur le système

125 C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés, première session, 41e législature, Canada, sanctionnée le 13 mars 2012.

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correctionnel et la mise en liberté sous condition. Pour y arriver, le projet de loi C-10 modifie l’article 3.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition126 pour placer la protection de la société à titre d’unique critère prépondérant appliqué par le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada dans le cadre des divers processus correctionnels. À l’inverse, le projet de Loi C-10 va restreindre l’importance accordée aux droits des détenus et rendre plus rigoureuses certaines pratiques relatives aux libérations anticipées, en modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition127 de multiples manières. D’abord, le projet C-10 abroge l’alinéa 4e) qui stipulait que « le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée ». Le présent projet ajoute également l’article 137.1 qui permet à tous les agents de la paix d’arrêter sans mandat une personne en libération conditionnelle ou d’office qui aurait, présumément, violé ses conditions. De plus, le paragraphe 133 (4.1) est modifié pour imposer certaines conditions spéciales lors d’une libération d’office, telles que l’obligation de demeurer dans une institution psychiatrique ou un établissement correctionnel communautaire. Finalement, le paragraphe 122(4) est quant à lui modifié pour faire en sorte qu’à la suite d’un refus ou d’une révocation d’une semi-liberté ou une libération conditionnelle les détenus doivent attendre un an avant de pouvoir présenter une nouvelle demande à la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

La cinquième partie du projet de loi instaure également de nouvelles procédures à l’égard des victimes en modifiant le sous-alinéa 26(1)b)ii de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition128 pour autoriser le Service correctionnel du Canada à communiquer certaines informations aux victimes, telles que le nom du pénitencier dans lequel est enfermée la personne déclarée coupable, les ordres de transfert, etc. Le présent projet modifie également l’alinéa 140(1)b) de la même loi pour permettre aux victimes de présenter des déclarations, qu’elles soient présentées de vive voix ou par écrit, aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Dans ces déclarations, les victimes peuvent exposer les dommages et les pertes qu’elles ont subis, les effets et répercussions que la victimisation a eus sur elles et leurs préoccupations quant à l’éventuelle libération du ou des détenus tenus responsables de leur victimisation respective.

126 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20. 127 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20. 128 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20.

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6.3.6 Partie 6 – Le casier judiciaire La sixième partie du projet de loi C-10 apporte des modifications à la Loi sur le casier judiciaire129 dans le but de modifier les pratiques relatives à l’octroi d’un « pardon » ou d’une « réhabilitation »130. Avant de décrire ces modifications, il importe de contextualiser la présente pratique. D’abord, il est essentiel de comprendre que le pardon n’efface pas le casier judiciaire, mais a plutôt comme effet de rendre inaccessible, pratiquement, ledit casier. Ainsi, les personnes ayant obtenu un « pardon » n’ont plus à révéler qu’elles ont un casier judiciaire lors de demandes d’emploi et l’obtention de services. D’ailleurs, les articles 3, 7 et 8 de la Loi canadienne sur les droits de la personne131 interdisent toute discrimination envers les gens qui ont obtenu un pardon, et ce, que ce soit pour la prestation de services ou l’admissibilité à un emploi dans un organisme privé ou une institution publique. Sur le plan statistique, depuis 1970, plus de 400 000 Canadiens se sont vu accorder un pardon et 96 % de ces pardons étaient encore en vigueur lors de l’adoption du projet de loi (un pardon est révoqué en cas de récidive) (Parlement du Canada, 2012a). L’article 108 du projet de loi C-10 remplace, dans la Loi sur le casier judiciaire, toute mention de pardon ou de réhabilitation au profit du terme « suspension du casier judiciaire ». Dès lors, d’une manière officielle et symbolique, aucun pardon et aucune réhabilitation ne peuvent plus être délivrés ni octroyés. De surcroît, le projet de loi C-10 modifie le paragraphe 4(1) de la Loi sur le casier judiciaire132 pour augmenter les délais d’attente avant l’admissibilité à une demande de suspension du casier judiciaire, qui passent de trois à cinq ans dans le cas d’infractions punissables par procédure sommaire et de cinq à dix ans dans le cas d’infractions punissables par voie de mise en accusation.

6.3.7 Partie 7 – L’extradition des personnes criminalisées La partie sept du projet de loi C-10 modifie la Loi sur le transfèrement international des délinquants pour donner certaines directives relatives aux choix de transférer, ou non, des personnes condamnées dans d’autres pays. Tout comme pour la première partie du projet de loi C-10, il s’agit de modifications législatives impliquant diverses juridictions internationales qui ne sont pas reliées à mon objet d’étude et qui dépassent largement les contours de ce mémoire, elles ne seront donc pas davantage détaillées dans cette section.

129 Loi sur le casier judiciaire (L.R.C. (1985), ch. C-47) 130 Les notions de « pardon » et de « réhabilitation » sont utilisées au sens administratif du terme. Pour alléger le texte, l’utilisation du terme pardon qui a, ici, la même signification que réhabilitation est priorisée. 131 Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H-6. 132 Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c. C -47.

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6.3.8 Partie 8 – La justice pénale pour les adolescents La huitième partie de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés a comme but de durcir les pratiques entourant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA)133, qui est la loi s’appliquant aux adolescents âgés de 12 à 17 ans qui sont accusés d’infractions criminelles. Pour saisir la portée de ces modifications, il est essentiel de spécifier que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents diffère de l’appareil pénal pour adultes en ce qui a trait aux principes de base, aux objectifs poursuivis et aux procédures judiciaires ou extrajudiciaires qu’elle comporte.

D’abord, la LSJPA stipule que le traitement pénal réservé aux adolescents accusés d’une infraction doit être fondé sur un principe d’une culpabilité morale moins élevée que celle des adultes. En d’autres termes, selon la LSJPA, les adolescents doivent être tenus responsables au prorata de leur état de dépendance et de leur degré de maturité. D’ailleurs, comparativement à la justice pénale pour adultes, celle pour adolescents doit mettre de l’avant la réadaptation et la réinsertion sociale. L’intervention pénale doit également être réalisée avec célérité considérant que la notion de temps a une signification différente pour l’adolescent qui est en processus de développement. Pour préserver le développement et éviter la stigmatisation, la LSJPA prévoit une interdiction de publication de tous les renseignements concernant les jeunes condamnés (Parlement du Canada, 2012a). Sur le plan des peines, avant l’adoption du projet de loi C-10, lorsqu’il était question d’infractions non violentes, pour un adolescent sans antécédents judiciaires, les juges étaient tenus de prioriser l’infliction d’une mesure extrajudiciaire. Pour les infractions de nature violente, le juge devait tout de même déterminer si une mesure extrajudiciaire serait suffisante pour responsabiliser l’adolescent et protéger le public à long terme; si tel était le cas, une mesure extra judiciaire devait être priorisée. À l’inverse, les peines comportant un placement, qui est l’équivalent de l’incarcération pour les adolescents, ne peuvent être imposées selon le Parlement du Canada (2012a), que dans quatre situations :

 L’adolescent a commis une infraction avec violence.  L’adolescent n’a pas respecté ses peines antérieures.  L’adolescent a commis un acte criminalisé pour lequel un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans et a déjà fait l’objet de plusieurs déclarations de culpabilité.  Des circonstances aggravantes (exceptionnelles) justifient la mise sous garde.

133 Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, ch. 1.

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La LSJPA a également éliminé la possibilité de renvoyer les adolescents devant les tribunaux pour adultes, ce qui était auparavant autorisé. Toutefois, une peine applicable aux adultes peut être prononcée par un tribunal de la jeunesse à l’égard d’un adolescent âgé de plus de 14 ans au moment de la perpétration de l’infraction, et qui a été déclaré coupable d’un acte criminel passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans. Le projet de loi C-10 modifie plus d’une cinquante de dispositions à la LSJPA. Les analyses de ce mémoire suggèrent d’ailleurs que ces modifications visent le durcissement de la philosophie sous-jacente au traitement pénal des jeunes personnes condamnées et ainsi le rapprochement des principes de détermination de la peine des adolescents à ceux des adultes, une analyse corroborée par L’Association du Barreau canadien (2011). Le tableau 10 résume les grands changements apportés à la LSJPA, par le projet de loi C-10.

Tableau 10. Résumé des dispositions législatives centrales du projet de loi C-10 modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents134

Nouvelles dispositions de la Loi sur le système de Actions justice pénale pour les adolescents135 Élargir la définition des infractions avec violence établie par la jurisprudence afin d’y ajouter les comportements « insouciants » ou plus précisément Modification du paragraphe 2(1) les infractions reliées dans lesquelles il y a probabilité marquée que des lésions corporelles en résultent. Faciliter la détention avant le procès pour les adolescents accusés d’une infraction grave, pour les adolescents contre qui plusieurs accusations pèsent Modification du paragraphe 29 (2) toujours et les adolescents qui ont déjà fait l’objet de plusieurs déclarations de culpabilité. Rajouter les objectifs de dissuasion spécifique et de dénonciation comme principe de détermination de la Modification du paragraphe 38(2) peine. Permettre l’octroi d’une ordonnance de placement pour les adolescents qui ont commis un acte criminel pour lequel un adulte est passible d’une peine Modification de l’alinéa 39(1)c d’emprisonnement de plus de deux ans, et qui ont déjà fait l’objet de sanctions extrajudiciaires. Obliger la Couronne à envisager la possibilité de demander une peine applicable aux adultes à l’égard Modification des alinéas 39(1)c), 42(2)o), 42(5)a) des adolescents de 14 à 17 ans déclarés coupables de et 42(7)a)(i) et (ii) meurtre, de tentative de meurtre, d’homicide involontaire coupable ou d’agression sexuelle grave. Permettre la publication des renseignements des Modification de l’article 75(1) adolescents condamnés pour infractions violentes.

134 C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés, première session, 41e législature, Canada, sanctionnée le 13 mars 2012. 135 Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, ch. 1.

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6.3.9 Partie 9 – La protection des réfugiés La dernière partie du projet de loi C-10, qui s’avère plutôt courte, modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de manière à permettre aux agents d’immigration de ne pas autoriser une personne en situation d’immigration à exercer un emploi ou étudier au Canada, et ce, même si le demandeur satisfait à toutes les conditions réglementaires. Selon le Parlement du Canada (2012a), la présente mesure a pour but de protéger les personnes en situation d’immigration contre les risques d’être victimes d’abus ou d’exploitation, notamment en ce qui a trait à la prostitution (Parlement du Canada, 2012a). Pour combler cet objectif, le projet de loi C-10 ajoute, notamment, une nouvelle disposition à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés136, soit les paragraphes 30(1.1) et 30(1.2) pour faire en sorte qu’un agent puisse refuser d’autoriser les personnes en situation d’immigration à exercer un emploi s’il estime que l’intérêt public ou celui de la personne le justifie, et ce, même si les personnes en situation d’immigration satisfont aux conditions réglementaires permettant d’exercer un emploi au Canada ou d’y étudier.

6.4 Les grands effets des réformes analysées La première partie du présent chapitre, qui s’avérait plus descriptive, était tournée vers l’esquisse des changements législatifs prééminents constituant les trois projets de loi analysés. Sur un plan plus analytique, dans la deuxième partie de ce chapitre, je modélise lesdites dispositions en trois grandes familles d’« effets »137, soit la limitation du pouvoir judiciaire, l’institution de valeurs morales conservatrices ainsi que l’augmentation de la sévérité pénale. Essentiels à la compréhension de la suite de ce mémoire, ces effets seront utilisés dans le prochain chapitre afin d’exemplifier les multiples aspects de l’ancrage populiste du gouvernement Harper, ce qui permettra, ainsi, de mieux répondre à l’objectif principal de ce mémoire qui est de jeter un regard panoramique sur la manière dont s’articule le populisme dans les politiques pénales ratifiées par le gouvernement de Stephen Harper, et non d’étudier les arguments spécifiques à chaque disposition législative analysée. La contextualisation des effets engendrés par les mesures législatives analysées permet aussi d’aborder, dans ce chapitre, certains idéaux et impératifs qui auraient poussé le gouvernement Harper à agir sur de telles cibles et non sur d’autres. Rappelons à cet égard, que Lascoumes et Le Galès (2012) estiment

136 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27. 137 J’ai choisi de parler des « effets » dans la mesure où le matériel d’analyse préconisé dans ce mémoire ne permet pas d’affirmer, de manière systématique, que les effets des mesures législatives analysées concordent avec les intentions du gouvernement Harper. Toutefois, lorsque les débats parlementaires fournissent assez d’éléments pour affirmer que lesdits effets étaient désirés, je parlerai plus spécifiquement de « visées ». Soulignons également que les termes « incidences », « conséquences » et autres dérivés auraient représenté, à priori de toute analyse, des jugements de valeur par rapport auxdits résultats et ne sont donc pas utilisés en introduction des analyses principales de ce mémoire.

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que les politiques publiques ne sont pas de nature neutre ou impartiale, elles émergent plutôt à travers des luttes de pouvoir qui visent à promouvoir certains enjeux spécifiques et des réponses bien particulières.

Loin d’être superflue, l’analyse de ces effets permet donc d’offrir des analyses plus approfondies des forces et des impératifs ayant entouré la création des politiques échantillonnées, notamment par l’entremise de liens étoffés avec les divers éléments abordés dans la première partie de ce mémoire. À ce propos, les analyses centrales de ce mémoire consolident les hypothèses avancées dans le cadre théorique préconisé dans ce mémoire, soit que la dynamique parlementaire est constituée de rapports conflictuels qui prennent, régulièrement, la forme de rapports d’affrontement opposant des positions contradictoires et dont le but ultime est l’affirmation ou la réaffirmation des rapports de domination sur certains enjeux. Plus précisément, deux types de modalités antagoniques caractérisent, du moins dans les politiques analysées, la dynamique antagonique parlementaire : l’opposition d’opinions (ex. valeurs, idéologies, etc.) et l’opposition d’intérêts (ex. échéance électorale, groupes d’influence, etc.). Au-delà de ces positions duelles, même lorsque les opinions ou les intérêts des divers partis semblent plus consensuels, les pratiques discursives des députés peuvent revêtir également une connotation conflictuelle qui vise à décrédibiliser les adversaires, surtout entre le gouvernement et les partis d’opposition. Pour exemplifier cette perspective conflictuelle, certaines des positions antagoniques à celles du gouvernement Harper sont d’ailleurs dépeintes dans le reste de ce chapitre et le suivant. Toutefois, pour mieux cerner ces oppositions, je dresse, avant d’aborder les analyses centrales de ce mémoire, un portait global des prises de position de chaque parti dans les débats analysés.

Le Bloc québécois Les élus du Bloc Québécois entretiennent138 des propos, somme toute, contestataires à l’endroit des contours politiques du projet de loi C-2 (ex. le choix de regrouper cinq projets de loi), ainsi que pour les mesures relatives aux renversements du fardeau de la preuve émanant du même projet. Or, ce parti appuie largement les projets de loi C-10 et C-59, non seulement sur les questions de « fond », mais également sur la « forme ». Une volte-face qui pourrait s’expliquer par le fait que le projet de loi C- 2 est entériné en 2008, soit pendant la période de 2006 à 2011, dans laquelle l’ancien chef Gilles Duceppe affirme que le Bloc Québécois est l’unique rempart en mesure de barrer la route au gouvernement Harper (Bloc Québécois, 2008). Les projets C-10 et C-59 sont, quant à eux, ratifiés après la vague orange de 2011, qui ne laissa que quatre députés bloquistes élus. Pour une meilleure

138 Pour les analyses centrales, je parle des politiques et des débats parlementaires analysés au « présent » afin d’alléger le texte.

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compréhension de la position du Bloc Québécois, il est d’ailleurs intéressant de noter que la députée bloquiste Maria Mourani encense, dans les débats analysés, les Conservateurs pour la suppression de la procédure d’examen expéditif qui, selon ses dires, est largement condamnée au Québec dans la mesure où plusieurs Québécois ont été victimes de fraudeurs notoires qui ont pu bénéficier de cette pratique. Un tel exemple, permet d’illustrer que les positions du Bloc québécois, en matière de justice pénale, ne semblent pas assises sur une idéologie fixe ou des idéaux précis, mais varient plutôt au gré des « désirs » et « intérêts » des Québécois, du moins de la conception que les Bloquistes se font de ceux-ci.

Le Nouveau Parti démocratique Pour ce qui est du Nouveau Parti démocratique, soulignons que bien que ses plateformes électorales promeuvent davantage la répression de la criminalité que celles du Parti libéral, il est le parti dont l’opposition à l’égard du programme de la loi et l’ordre du gouvernement Harper est la plus forte et la plus systématique dans les débats analysés. Les députés néodémocrates s’opposent en effet à toutes les mesures législatives, qu’il s’agisse d’une objection totale ou une revendication d’amendements majeurs. Spécifiquement, l’empirie de ce mémoire suggère que, comparativement à ce que laissait entendre l’analyse des plateformes électorales, ce parti est celui aux idéaux de réhabilitation les plus forts. Référant régulièrement aux savoirs scientifiques pro-réhabilitation ou à des groupes œuvrant en faveur des personnes criminalisées tels la Société John Howard139 et la Société Élizabeth Fry140, les députés néodémocrates se portent d’ailleurs régulièrement à la défense des individus criminalisés qui sont ciblés par les politiques harperiennes. Au-delà des critiques de la justice répressive, les députés néodémocrates défendent aussi la valeur de justice sociale, non seulement pour les personnes judiciarisées, mais également pour les victimes. Au final, les interventions des néodémocrates ne sont pas sans rappeler les philosophies pénales des social-démocraties141, qui constituent d’ailleurs l’idéologie fondatrice de ce parti (Adams, 2012).

Le Parti libéral La position du Parti libéral en matière de justice est difficile à circonscrire, du moins dans les politiques analysées, puisque celle-ci passe, notamment, d’arguments pro-réhabilitation à un fort

139 La Société John Howard est un organisme national dont les objectifs sont de favoriser le traitement juste et humanitaire des individus incarcérés, développer une compréhension et des réponses efficaces au problème de la criminalité et promouvoir une réforme pénitentiaire. 140 La Société Élizabeth Fry a comme mission centrale de venir en aide aux femmes « qui, un jour, doivent faire face à la justice pénale et qui sont déterminées à s’en sortir » (http://www.elizabethfry.qc.ca/. Consulté le 21 août 2018). 141 Pour un rappel des philosophies pénales des sociales démocraties, consulter la note de bas de page 18.

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appui à l’endroit de la théorie de la neutralisation. À titre d’exemple, en ce qui a trait aux positions à l’endroit des politiques analysées, le Parti libéral appuie la hausse de l’âge du consentement sexuel, l’introduction de nouvelles peines minimales, mais désapprouve le renversement des fardeaux de la preuve et semble souhaiter une modification de la procédure d’examen expéditif, mais pas son abolition. Sur le plan des intérêts politiques, une telle versatilité pourrait s’expliquer par le fait que le Parti libéral connaît des années difficiles dans la première décennie du 21e siècle et a, selon plusieurs, perdu ses repères à la suite du scandale des commandites (Toupin, 2006), d’une succession de chefs impopulaires (O’Keefe, 2014) et de faibles résultats électoraux (Élections Canada, 2016). Sur un plan idéologique, bien que le Parti libéral promeuve un néolibéralisme économique, qui rappelons-le engage des attitudes d’exclusion, ce parti serait encore imprégné du libéralisme de Pierre Elliot Trudeau ayant mené à la décriminalisation de l’homosexualité (Boily, 2014). De plus, Michael Ignatieff, qui fut chef du Parti libéral entre 2008 et 2011, est l’auteur de A Just Measure of Pain (1978) un traité criminologique d’une grande importance qui remet en question l’usage de la prison, ce qui peut également constituer une variable explicative de l’approche pénale des Libéraux.

6.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire Dans toutes les étapes d’un procès pénal, les juges disposent d'un pouvoir discrétionnaire qui leur permet de prendre des décisions selon leur appréciation professionnelle de la cause. Au Canada, bien que lors de la détermination de la peine, la latitude du pouvoir discrétionnaire s’avère inconstante, les juges jouissent, du moins avant l’avènement de l’ère Harper, d'un pouvoir discrétionnaire généralement assez élevé (Lemire-Moreau, 2014), et ce, non sans raison. Le pouvoir discrétionnaire de la magistrature permet de répondre au principe fondamental de la proportionnalité de la peine, stipulé à l’article 718.1 du Code criminel, selon lequel la peine se doit d’être adaptée aux circonstances entourant l’acte criminalisé ainsi qu’aux caractéristiques personnelles de la personne condamnée. Dès lors, pour être en mesure d’octroyer une peine proportionnelle à ces conditions, le juge doit disposer d’une marge de manœuvre suffisante afin d’apprécier les différentes nuances de la cause. Or, les réalités à prendre en considération pour une peine adaptée ne peuvent jamais être prédéterminées à l’avance. Ainsi, lorsqu’un gouvernement balise les quantums des peines à travers des barèmes stricts et inflexibles, ledit gouvernement entrave l’application, par la magistrature, de peines adaptées aux particularités des personnes condamnées ainsi qu’au contexte respectif de chaque acte (Roach, 2001). Bien que quelque peu caricatural, l’extrait suivant du député néodémocrate François Lapointe – tiré des débats analysés – illustre bien cette réalité à l’aide des peines minimales qui s’avèrent un des barèmes judiciaires les plus inflexibles : « Qu’arrive-t-il si on dit à un juge que le vol d'une pomme mérite une peine minimale d'une journée de prison. […] Le travail du juge n’est-

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il pas de se demander si la pomme en question a été volée simplement par mauvaise foi ou si elle a été volée par quelqu'un qui avait un enfant qui crevait de faim. Le juge qui fera son travail ne donnera pas la même peine » (François Lapointe, Nouveau Parti démocratique, C-10, 2e lecture)142.

À la lumière des analyses de ce mémoire, il appert toutefois que la formation politique de Stephen Harper n’entretient pas cette vision de la justice. La ligne de parti semble plutôt être à l’effet que les juges doivent être tenus d’appliquer les peines qui sont légiférées par le gouvernement élu, comme l’illustre clairement l’extrait suivant, qui constitue l’exemple le plus frappant des critiques repérés à l’égard du pouvoir discrétionnaire: « les juges infligeront les peines que nous leur demanderons d'infliger » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Bien que le Parti libéral endosse les peines minimales, les députés libéraux ainsi que ceux du NPD se sont insurgés contre ces attaques à l’endroit du pouvoir discrétionnaire à plusieurs reprises, dont l’extrait suivant : « Notre système juridique fonctionne si bien notamment parce que les juges ont un pouvoir discrétionnaire. N'oublions jamais que ce sont de vraies personnes et non des dossiers ou des machines qui comparaissent devant les juges. Les juges ont besoin de ce pouvoir discrétionnaire » (John Rafferty, Nouveau Parti démocratique, C-10, 2e lecture).

Les analyses de ce mémoire suggèrent que, indifférent à ces critiques, le gouvernement Harper a réduit, à plusieurs égards, le pouvoir discrétionnaire des juges dans la mesure où la magistrature tend à entraver l’application des mesures répressives concordant avec l’approche Tough on Crime qui anime la formation politique de Stephen Harper. Or, ne se limitant pas strictement au pouvoir discrétionnaire, une fine compréhension du conservatisme harperien permet de dégager que le gouvernement Harper entretient une conception négative du pouvoir judiciaire. Dès lors, avant d’aborder les points de rupture entre l’implantation de mesures répressives et le pouvoir discrétionnaire des juges, il semble nécessaire de replacer les limitations dudit pouvoir discrétionnaire dans cette relation antagonique.

142 Bien que le Parlement offre des transcriptions quotidiennes paginées sur sa plateforme LegisInfo, les débats parlementaires relatifs à chacun des projets de loi analysés se sont déroulés sur plusieurs mois et se retrouvaient donc dans de multiples documents, dont chacun d’entre eux était d’ailleurs entrecoupé par des débats relatifs à d’autres politiques. De ce fait, pour réaliser le codage à l’aide du logiciel NVivo, j’ai dû colliger les divers débats dans un document personnel et je ne peux donc pas spécifier les pages sur lesquelles se retrouvent les citations retenues. Dans l’éventualité où quelqu’un souhaiterait retracer l’original, il est toutefois possible de procéder par recherche de mots-clés.

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6.4.1.1 Le gouvernement Harper et le pouvoir judiciaire Dans la première partie de ce mémoire, il fut mentionné que le conservatisme du gouvernement Harper prend racine dans les écrits des intellectuels de l’École de Calgary. Une des idées centrales qui est véhiculée par les tenants de cette école de pensée est la critique de la judiciarisation de la politique qui découle de l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés et qui aurait prétendument transformé la Cour suprême en un moteur de changement social. N’approuvant pas la voie du progrès social qui découlerait des décisions de la Cour suprême, le gouvernement Harper, et les tenants de l’École de Calgary, accusent les juges de la Cour suprême d’avoir saisi les occasions offertes par l’avènement de la Charte afin de s’arroger une part disproportionnée de pouvoir, outrepassant ainsi les limites de leur mandat (Boisvert, 2007 ; Gobeille Paré, 2013). De surcroît, selon Ian Brodie, qui fut le chef de cabinet de Stephen Harper, la Cour suprême légitimerait sa présence dans l’arène politique à travers la nécessité de défendre les groupes minoritaires dont les réalités et les droits sont parfois oblitérés ou bafoués dans les systèmes de gouvernement majoritaire (Brodie, 2001). Ainsi, l’École de Calgary perçoit le pouvoir judiciaire comme une menace au pouvoir législatif. Frappé par cette conception antagoniste, le désaveu du gouvernement Harper à l’égard du pouvoir judiciaire semble donc animé par une volonté de réaffirmer la suprématie parlementaire vis- à-vis du soi-disant pouvoir grandissant des juges qui, depuis l’avènement de la Charte, auraient rendu des jugements favorisant les intérêts des groupes minoritaires ne concordant pas avec les intérêts et les valeurs conservatrices du gouvernement Harper (Boisvert, 2007 ; Gobeille Paré, 2013).

Ancré dans cette conception conflictuelle des rapports de pouvoir entre le corps judiciaire et l’organe législatif, le gouvernement Harper a légiféré bon nombre de mesures pour se (ré)approprier une plus grande part du pouvoir par rapport à la Cour suprême143 (Sanschagrin, 2015). En matière de peine, impuissant vis-à-vis du pouvoir d’invalidation que possède la Cour suprême, le gouvernement Harper critique vivement le plus haut tribunal du Canada qui a, rappelons-le, déjà invalidé dix réformes pénales haperiennes lors de l’écriture de ce mémoire. Au-delà des dissensions sur la peine entre le gouvernement Harper et la Cour suprême, rappelons que le gouvernement Harper a déposé à maintes reprises des projets de loi d’intérêt privé qui ont eu comme effet de soustraire lesdits projets aux examens du Département de la Justice, témoignant ainsi d’un possible mépris à l’égard des principes de constitutionnalité et de l’expertise judiciaire. Il s’avère également intéressant de noter qu’avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement Harper, une analyse détaillée de la jurisprudence indique que

143 À titre d’exemple, le gouvernement Harper a aboli le Programme de contestation judiciaire du Canada qui avait comme objectif de fournir une assistance aux Canadiens qui souhaitent porter devant les tribunaux une cause d’importance nationale liée à certains droits constitutionnels et quasi-constitutionnels en matière de droits de la personne (Sanschagrin, 2015).

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la Cour suprême prône une approche « minimaliste constitutionnelle » (Roach, 2001 : 369) lorsqu’il est question de déterminer la constitutionnalité des peines. À titre d’exemple, dans l’arrêt Latimer, la Cour suprême avait maintenu la peine minimale de Robert Latimer et avait affirmé l’importance d’une retenue judiciaire à l’égard « des vues mûrement réfléchies du législateur »144. Or, selon Mockle (2017), une polarisation sans précédent entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire se déroule sous la gouverne du gouvernement Harper. La Cour suprême serait d’ailleurs apparue, pour la première fois, comme la gardienne des droits et libertés par rapport au programme politique des Conservateurs, notamment en matière pénale dans la mesure où celle-ci a démantelé, et continue à démanteler, pierre par pierre, le programme de la loi et l’ordre de Stephen Harper.

6.4.1.2 La limitation du pouvoir discrétionnaire : Une lutte pour la prérogative de la punition légale À la lumière de la relation conflictuelle et antagonique qui prévaut entre le gouvernement Harper et le pouvoir judiciaire, il n’est pas étonnant que les analyses entreprises dans ce mémoire soulèvent que le pouvoir discrétionnaire de la magistrature, segment important du pouvoir judiciaire, est réduit de diverses manières dans les trois politiques analysées. Effectivement, pour ne nommer que quelques exemples, le gouvernement Harper circonscrit le pouvoir discrétionnaire des juges par l’entremise de l’instauration de peines minimales, limite l’utilisation de l’emprisonnement avec sursis et il modifie la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, ce qui astreint, par l’entremise des nouveaux principes de dissuasion et de dénonciation, un climat répressif et punitif dans la justice pour mineurs dont les juges peuvent difficilement déroger. De surcroît, bien que ces réductions soient plus subtiles, les Conservateurs limitent également le pouvoir discrétionnaire des juges à travers la hausse de l’âge du consentement sexuel qui retire des mains du juge le pouvoir d’apprécier la nature de certaines relations adolescents-adultes.

Les restrictions du pouvoir discrétionnaire judiciaire précédemment mentionnées, ainsi que les autres qui seront traitées dans le prochain chapitre ont, selon les analyses de ce mémoire, toutes un point commun, soit qu’elles favorisent l'approche répressive et punitive du gouvernement Harper. Plus précisément, les restrictions du pouvoir discrétionnaire des juges favorisent la mise en place d’un régime de peines plus sévères puisque les juges qui partagent, généralement, des valeurs de justice sociale et une conception réhabilitative de la justice (Landreville, 2007) octroient couramment des peines davantage axées sur la réhabilitation que sur la punition stricte. De ce fait, le pouvoir discrétionnaire des juges semble donc représenter, pour le gouvernement Harper, une pierre d’achoppement faisant obstruction à l’imposition de son approche pénale axée sur la répression et de

144 R. c. Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217.

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ses valeurs morales dans la détermination de la peine. Par voie de conséquence, la réduction du pouvoir discrétionnaire de la magistrature aurait, notamment, comme effet de restructurer le rapport de force entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire et aurait permis au gouvernement Harper d’affirmer sa prérogative sur la punition pénale.

Pour étoffer l’idée selon laquelle les restrictions du pouvoir discrétionnaire de la magistrature auraient également comme effet de pérenniser l’approche répressive du gouvernement Harper, il est intéressant de noter que les réformes conservatrices à l’endroit des pouvoirs discrétionnaires en matière pénale ne sont ni unidirectionnelles, ni systématiquement restreignantes. Au contraire, les réformes du gouvernement Harper semblent avoir contribué à l’augmentation du pouvoir discrétionnaire des policiers et des procureurs. À titre d’exemple, une des visées du projet de loi C- 10 est de permettre aux policiers d’arrêter, sans mandat, une personne bénéficiant d’une libération conditionnelle ou d’une libération d’office qui aurait, présumément, violé ses conditions. Selon Gabor et Crutcher (2012), les peines minimales ont comme effet de transférer le pouvoir discrétionnaire des mains des juges à celles de la police et des procureurs de la Couronne. Ces deux exemples de transfert ne semblent pas aléatoires, ils constitueraient une passation de tels pouvoirs à des groupes d’intérêts ou professionnels se rapprochant davantage des valeurs rétributives du gouvernement Harper. Certaines recherches suggèrent, en effet, que les policiers et les avocats de la Couronne sont des acteurs pénaux davantage répressifs que les juges (ex. Fielding, 1991; Leclerc, et Boudreau, 2007).

Étoffant une telle réflexion, les débats analysés permettent de soulever que les positions avancées par l’Association canadienne des policiers et des témoignages de policiers sont régulièrement cités, dans les débats parlementaires analysés, par les députés conservateurs pour justifier la nécessité des réformes conservatrices. Bien que les références aux policiers utilisées, par les Conservateurs, ne mentionnent pas le pouvoir discrétionnaire judiciaire textuellement, le message véhiculé est que les policiers font du bon travail pour prévenir le crime, mais que le laxisme des juges, qui condamneraient plus rarement et moins sévèrement les personnes arrêtées, nourrirait chez les potentiels contrevenants et les récidivistes un sentiment d’impunité qui favoriserait la récidive. En d’autres termes, le gouvernement Harper semble plus enclin à appuyer un pouvoir discrétionnaire lorsque celui-ci souscrit à une conception de la criminalité et de la justice se rapprochant de sa propre approche pénale. Dès lors, les transformations du pouvoir discrétionnaire, qu’il s’agisse de son accroissement pour les policiers et les procureurs ou de sa restriction pour les juges, semblent répondre à un impératif politique, soit le durcissement du climat pénal punitif, indépendamment de ces retombées concrètes sur la criminalité.

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6.4.2 L’institution de valeurs conservatrices : Le processus de criminalisation et ses effets moralisants Les analyses réalisées dans ce mémoire suggèrent qu’un des effets centraux des politiques pénales analysées est l’institution de valeurs morales promouvant des mœurs plus strictes. En d’autres termes, il appert que l’utilisation du processus de criminalisation, par le gouvernement Harper, a pour effet de promouvoir les valeurs morales animant ladite administration. S’appuyant sur leur statut de gouvernement élu, les députés conservateurs n’ont cessé de répéter, dans les débats analysés, que leurs valeurs morales représentaient celles de la majorité des Canadiens, légitimant ainsi l’utilisation du droit pénal pour protéger et renforcer lesdites valeurs. Or, dans les sociétés plurielles, telles que le Canada d’aujourd’hui, il semble impossible de délimiter la « majorité » et ainsi affirmer la prédominance de leurs valeurs morales. Dès lors, lorsque le gouvernement prétend défendre les valeurs de la majorité par l’usage du droit pénal, il tend davantage à imposer les valeurs de sa base électorale, ou des groupes d’intérêts qu’il défend. Pour contextualiser une telle approche, il importe de rappeler que le conservatisme harperien, notamment influencé par le néoconservatisme américain, est traversé par un désir de renforcer les fondements moraux de la société canadienne dans la mesure où cette formation politique affirme qu’un « nihilisme moral » gangrène, depuis plusieurs décennies, les valeurs et les mœurs canadiennes (Cros, 2015 : 13).

Face à cette conception du Canada, telle une société en perdition dans laquelle les valeurs morales sont régulièrement sapées, le gouvernement Harper institue, par le biais des politiques analysées, des valeurs morales et de mœurs plus conservatrices, notamment en matière de sexualité et de consommation de stupéfiants. Soulignons toutefois que l’imposition de valeurs morales est rarement mentionnée de manière formelle par les politiciens. Par voie de conséquence, les aspects touchant la fonction moralisante du processus de criminalisation ne se retrouvent pas expressément dans les débats parlementaires analysés, ils émergent plutôt à l’aide de plus fines analyses des portées et des incidences inhérentes à certaines dispositions législatives145. En considération des subtilités d’une telle finalité, la section ci-dessous exemplifie la fonction moralisante des politiques pénales à l’aide de dispositions législatives sur la hausse de l’âge du consentement sexuel146.

145 Sous cet angle, il est possible d’envisager que la subtilité de la fonction moralisante des politiques répond à la stratégie de l’incrémentalisme qui serait, selon Cros (2015), utilisée par Stephen Harper afin de réorienter progressivement le Canada vers la droite 146 Remarquons qu’il ne s’agit que d’une présentation sommaire de l’exemple de la hausse du consentement sexuel qui sera plus largement détaillée dans le prochain chapitre.

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6.4.2.1 L’exemple de la hausse de l’âge de consentement sexuel L’institution de valeurs morales promouvant des mœurs sexuelles plus strictes s’est, principalement, matérialisée par l’entremise d’une réforme pénale qui aborde les relations sexuelles entre adultes et adolescents147, indépendamment de leur nature, à titre de relation exploitante, relevant ainsi indubitablement de la criminalité. Pour y arriver, les députés conservateurs opposent systématiquement les termes « prédateurs » et « victimes », tel que dans l’extrait suivant : « Soyons bien clairs: ce projet de loi a pour effet d’empêcher les prédateurs sexuels d’âge adulte de prétendre que leurs jeunes victimes ont été consentantes. Là encore, ces réformes ont été bien accueillies par les défenseurs des droits des enfants et elles ont été appuyées » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Ils ne parlent jamais d’adultes ou d’adolescents consentants. Dès lors, cette négation de l’existence de relations non exploitantes entre un adulte et un adolescent tend à diaboliser la sexualité entre ces derniers, donnant par le même fait une lecture morale à celle-ci. Cette réforme peut donc être perçue comme une entreprise de rappel à l’ordre moral strict puisqu’elle stipule, au nom des valeurs conservatrices, qu’il existe de « bonnes » et de « mauvaises » formes de sexualité.

Ne se limitant pas uniquement au critère central de la hausse de l’âge du consentement, la fonction moralisatrice de la réforme du consentement sexuel s’avère encore plus évidente avec l’analyse des technicalités législatives supplétives de ladite réforme. Bien qu’aucun député conservateur n’aborde ces détails législatifs lors des débats parlementaires, une analyse approfondie du projet de loi permet de faire ressortir que le mariage s’avère un critère d’exemption qui permet d’avaliser légalement le consentement sexuel pour tout adolescent âgé de 14 ans et plus. D’une manière spécifique, sous le joug de la nouvelle loi, tout adolescent de 14 ans et plus peut consentir à des rapports sexuels complets du moment où il est marié à son partenaire, et ce, indépendamment de la différence d’âge. Ainsi, la nouvelle loi criminalise les contacts sexuels, tels qu’un simple baiser, entre un adolescent de 15 ans et une personne de 21 ans, mais permet à un adolescent de 14 ans de consentir à des rapports sexuels complets avec un adulte de 45 ans, du moment où les deux partis sont mariés. À la lumière de ces analyses, il semble donc apparent que la présente réforme renforce les positions conservatrices sur la société traditionnelle par le truchement du renforcement du caractère sacré du mariage et de la famille. Qui plus est, l’interdiction de consentir à des relations sexuelles anales avant l’âge de 18 ans semble également s’inscrire dans une perspective qui favorise la conception hétéronormative148 de la

147 Plus précisément, à la suite de la réforme sur le consentement sexuel, les adolescents âgés entre 14 et 16 ans ne peuvent plus consentir à des activités sexuelles consensuelles avec les personnes qui sont leurs aînés de plus de cinq ans. 148 L’hétéronormativité réfère à la primauté de l’hétérosexualité comme modèle normatif de référence en matière de comportements sexuels et de relations conjugales (Mellini, 2009).

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sexualité qui, selon Jeffrey (2015), prévalait au sein de la formation politique de Stephen Harper. D’ailleurs, bien que le mariage agisse également à titre d’exemption pour les relations sexuelles anales, le gouvernement conservateur dépose, parallèlement à la réforme de l’âge du consentement sexuel, une motion prévoyant le dépôt d'un projet de loi rétablissant la définition traditionnelle hétéronormative du mariage, mais qui sera toutefois battue (Rayside, et Wilcox, 2011). De cet angle, les dispositions législatives subsidiaires à la hausse du consentement sexuel semblent également constituer une tentative de réguler la sexualité selon la morale conservatrice, c’est-à-dire de légitimer certaines formes de sexualité concordant avec la vision traditionnelle de la société préconisée par la formation politique de Stephen Harper.

6.4.2.2 La fonction moralisante du processus de criminalisation : Moralisation, perpétuation des hiérarchies sociales Ne se limitant pas aux valeurs morales en matière de sexualité, l’empirie de ce mémoire indique que les politiques pénales analysées ont également pour effet de réaffirmer une certaine mentalité « prohibitionniste » en ce qui a trait à la consommation de drogues illicites. En matière de stupéfiants, le gouvernement Harper mise sur l’accentuation de la répression pénale, délaissant ainsi les retombées efficientes pour les usagers149 et favorisant l’enracinement de valeurs morales conservatrices. D’ailleurs, cette posture en matière de stupéfiants n’est pas sans rappeler l’influence, sur le gouvernement Harper, du néoconservatisme américain qui stipule que la préservation de la moralité commune est nécessaire au soi-disant bien-être commun, justifiant ainsi l’usage de la force pénale contre les consommateurs qui ont choisi le « vice » plutôt que la « vertu ». D’ailleurs, aux États-Unis, les croisades antidrogues, telles que le « Just say no » de Nancy Reagan, furent régulièrement fondées sur une lecture moralisante de la consommation (Levine, 2003).

Nuances essentielles, maintes recherches soulignent que les Wars on Drugs étatsuniennes ne s’attaquent pas vraiment à la consommation, de manière générale, puisqu’elles tendent davantage à se matérialiser en une guerre contre les pauvres et les minorités ethnoculturelles. Se préoccupant peu des pratiques de consommation de la bourgeoisie blanche, les croisades étatsuniennes contre la drogue visent particulièrement l’underclass150 et les Afro-Américains, des catégories sociales qui ne sont pas mutuellement exclusives (Coyle, 2002; Alexander, 2010). Les croisades contre la drogue semblent donc représenter, du point de vue politique, une forme de contrôle social déguisé ayant pour

149 Je m’intéresse à l’inefficacité de la logique prohibitionniste en matière de drogues dans la section 7.4. 150 Aux États-Unis, l’underclass est le groupe social qui occupe la plus basse position dans la hiérarchie sociale, soit en dessous de la classe ouvrière.

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effet de pérenniser la hiérarchie sociale actuelle. Au Canada, bien que les fractures sociales et les clivages ethniques soient moins prééminents, les divers appendices de la justice restent néanmoins marqués par cette propension à s’attaquer plus régulièrement et plus durement aux groupes sociaux racisés et défavorisés (Roberts et Doob, 1997; Crocker et Johnson, 2010). Conséquemment, le choix du gouvernement Harper de faire de la répression de la drogue une des facettes centrales de son programme de la loi et l’ordre (Mallea, 2011), notamment à travers les projets de loi C-2 et C-10 analysés dans ce mémoire, n’est pas sans rappeler le cadre théorique de ce mémoire qui suggère que les lois sont édifiées, par ceux qui détiennent le pouvoir, afin de pérenniser leur hégémonie sur les classes sociales dites inférieures.

6.4.3 L’accroissement de la sévérité pénale Les deux premiers effets préalablement décrits confluent, à un certain point, vers le troisième, qui est de loin le plus prééminent, soit l’augmentation de la sévérité pénale. En plus de la limitation du pouvoir discrétionnaire judiciaire et de la fonction moralisatrice qui prennent, notamment, forme à travers un usage accru de la force pénale, les politiques analysées ont comme effet d’engendrer une série de réformes relatives à la détermination de la peine telles que la création de nouvelles infractions, l’élargissement des définitions des infractions préexistantes, l’allongement du quantum des peines, le renversement du fardeau de la preuve dans certaines circonstances, l’ajout de circonstances aggravantes, la mise en place de peines minimales ou encore la limitation de l’utilisation du sursis, ces réformes qui ont toutes comme impact le durcissement du régime pénal canadien. Or, loin de s’arrêter à la détermination de la peine, l’augmentation de la sévérité pénale s’est également matérialisée dans le durcissement de pratiques corrélatives à la peine, telles que la restriction des pratiques de libération anticipée ou encore les transformations du processus de pardon, maintenant appelé la suspension du casier judiciaire.

Cette utilisation des sanctions répressives afin de répondre à la criminalité, au détriment des réponses sociales plus complexes, constitue un aspect de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Soulignons que si les débats parlementaires n’ont pas permis d’affirmer que les deux premiers grands effets préalablement analysés répondent et concordent systématiquement aux désidératas du gouvernement Harper ayant sous-tendu les politiques analysées, l’accentuation de la sévérité pénale constitue, quant à elle, une visée pleinement avouée de cette administration. Les députés conservateurs ont en effet répété à maintes reprises que leur gouvernement a comme dessein de durcir le régime pénal canadien. Pour ne nommer que quelques exemples, les députés conservateurs affirment vouloir répondre aux doléances punitives du peuple : « Doit-on s’en étonner, les Canadiens

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souhaitent voir les délinquants dangereux subir des peines d'emprisonnement plus longues. Les Canadiens veulent de l'action. C'est exactement ce que le gouvernement conservateur leur offre » (Ed Fast, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ainsi que défendre les Canadiens par le truchement de l’augmentation des quantums des peines: « Ces propositions traduisent la volonté du gouvernement d'améliorer la sécurité dans les collectivités canadiennes. Les Canadiens veulent un système de justice basé sur des lois claires et fermes qui dénonce et dissuade[sic] la perpétration de crimes sérieux, y compris ceux liés aux drogues » (Dave MacKenzie Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Pour témoigner plus explicitement de cette volonté répressive du gouvernement Harper et, par le même fait, illustrer que cette approche répressive est sous-tendue par des impératifs politiques, je présente, dans la section ci-dessous, la manière dont le gouvernement Harper tente de se présenter comme l’unique tribun de la sévérité pénale.

6.4.3.1 Une lutte de pouvoir pour la suprématie de la sévérité pénale Une analyse pointilleuse des travaux parlementaires présidant les trois politiques pénales échantillonnées permet d’illustrer que la ratification de lois ne s’avère pas le seul objectif de l’administration Harper. Bien au-delà de la ratification de ses réformes pénales, le gouvernement Harper apparait intéressé par la volonté d’être perçu comme le seul défenseur de la sévérité pénale. Loin d’être aléatoire, une telle pratique discursive semble concorder avec ce que Lascoumes (2009) appelle la surpolitisation, caractéristique de la conflictualité ritualisée de l’activité parlementaire, qui place les échanges parlementaires dans un registre symbolique qui transcende l’enjeu spécifique débattu et qui a pour but d’affirmer ou de réaffirmer l’hégémonie d’un groupe sur certains sujets, orientant, par le fait même, les rapports de force.

Plus précisément, lorsque ses adversaires, notamment les députés libéraux151, avalisent une de ses réformes répressives, le gouvernement Harper tente presque systématiquement de décrédibiliser ledit endossement152. Lorsque le Parti libéral appuie certaines dispositions législatives conservatrices, les députés conservateurs usent, plutôt que de travailler de pair avec les députés libéraux, de diverses rhétoriques afin d’accuser ces derniers d’avoir une attitude trop laxiste en matière de justice et ainsi

151 Le gouvernement Harper axe en effet sa lutte de pouvoir pour la suprématie de la sévérité pénale contre les Libéraux étant donné que le Nouveau Parti démocratique est, du moins dans les débats analysés, largement contre les mesures répressives. Dès lors, il est possible d’avancer que cette formation politique ne représente pas une menace pour le gouvernement Harper dans son appropriation du monopole de la sévérité pénale. Le Bloc québécois ne semble, quant à lui, pas une menace pour le gouvernement Harper étant donné son faible nombre de députés lors des débats sur les projets de loi C-10 et C-59. 152 Cette tendance du gouvernement Harper n’est pas sans rappeler la description du populisme dans laquelle il avait été avancé que les populistes ont une forte propension à tenter d’annihiler les partis adverses.

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se positionner comme l’unique parti de la sévérité pénale. En ce sens, même lorsqu’un certain consensus d’opinion entoure une mesure législative, les registres d’arguments gardent une connotation conflictuelle. À titre d’exemple, en dépit du fait que les députés libéraux soient en faveur de certaines dispositions législatives répressives introduites par le gouvernement conservateur, les députés de Stephen Harper accusent les Libéraux d’avoir des positions nuancées sur certains points : « Les députés libéraux et néodémocrates ont présenté un grand nombre de motions visant à diluer des dispositions ciblant le crime organisé » (Kyle Seeback Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Les députés conservateurs critiquent également la supposée inaction du Parti libéral qui a été plus d’une décennie au pouvoir sans prétendument sévir contre ce type de criminalité : « Ce n’est que maintenant que les Libéraux agissent, mais pourquoi maintenant? Comment se fait-il que rien n’ait été fait au cours de la dernière décennie pour sévir contre les auteurs de crimes à main armée? » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture).153 Dès lors, sans affirmer que la mise en œuvre de ces réformes n’a aucune importance pour le gouvernement Harper, cette lutte de pouvoir pour la mainmise sur la sévérité pénale tend à illustrer la considération accordée aux impératifs politiques sous-tendant ses politiques pénales, du moins celles analysées.

Pour préciser ma pensée, il n’est pas affirmé dans ce mémoire que le durcissement réel des pratiques pénales n’a aucune importance pour le gouvernement conservateur. Au contraire, les analyses de ce mémoire révèlent que cette administration priorise la mise en place de peines minimales plutôt qu’une augmentation des plafonds des maximas en matière de peine154, illustrant de ce fait le durcissement concret du régime pénal canadien. Plusieurs recherches soulignent que les peines octroyées en droit pénal canadien sont, majoritairement, très éloignées des peines maximales (Roberts, 2001b). De ce fait, bien des législations augmentant les peines maximales auraient vraisemblablement apporté un capital politique au gouvernement Harper. Les peines octroyées par les juges n’auraient, quant à elles, pas été touchées par lesdites législations, contrairement aux peines minimales qui ont un impact indéniable. Ce type d’exemple tend à accroître la crédibilité de la thèse selon laquelle le gouvernement Harper est animé par la volonté d’alourdir l’arsenal répressif canadien. Or, il appert, à la lumière des luttes menées afin de s’approprier la mainmise sur la sévérité pénale, que le gouvernement Harper doit retirer un certain capital politique de ses réformes Tough on Crime.

153 Les députés conservateurs ont également régulièrement accusé les Libéraux de retarder l’adoption accélérée des projets de loi ou encore d’avoir tout simplement repris la plateforme conservatrice. Les limites de ce mémoire ne permettent toutefois pas de citer des exemples pour ces autres critiques. 154 Les seules peines maximales touchées par les réformes analysées sont celles relatives à la production et la distribution de pornographie juvénile ainsi qu’à la production de cannabis et d’amphétamines.

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6.4.3.2 La sévérité pénale : Mais quoi d’autre? Dans le chapitre suivant, de nombreux autres liens seront réalisés entre la sévérité pénale et l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Pour préparer ces liens, il reste intéressant, à titre de remarques conclusives, de se pencher sur les mesures législatives résiduelles qui ne durcissent pas le régime pénal canadien, et ce, en considération de leur nombre très restreint. Dans les trois politiques échantillonnées, seules deux sous-sections des projets de loi C-2 et C-10 ne sont pas tournées vers un durcissement du régime pénal155. Le premier changement est la disposition législative facilitant les tests de dépistage des drogues pour conduites avec facultés affaiblies, une réforme qui ne semble, à la lumière des débats analysés, fondée que sur la nécessité d’adapter la loi aux nouvelles techniques de dépistage. Le second changement est l’instauration de quelques droits supplémentaires pour les victimes, tels que le droit de présenter une déclaration lors des audiences relatives aux libertés anticipées et le droit d’être informées de l’évolution et de l’issue de la peine de la personne qui les a victimisées.

Pour contextualiser cette faible quantité de mesures législatives n’étant pas axées sur la sévérité pénale, il importe de rappeler que l’empirie de ce mémoire est constituée de trois des projets de loi les plus prééminents ratifiés par l’administration, dont deux de ces projets étaient d’ailleurs composés d’un agglomérat de plusieurs anciens projets. Dès lors, de la pléthore de modifications apportées par les projets analysés, seules les modifications mentionnées ici ne sont pas liées à la sévérité pénale, ce qui représente une très faible portion des projets de loi analysés. Par voie de conséquence, en se tournant presque exclusivement, du moins dans les politiques analysées, vers des mesures répressives visant la dissuasion, la rétribution ou la neutralisation156, il appert que le gouvernement Harper se détourne des mesures plus « positives » tournées vers la prévention des délits, la réhabilitation des personnes condamnées ou la reconnaissance et la réparation auprès des victimes.

Cette absence de mesure positive est d’ailleurs régulièrement critiquée par les députés libéraux : « Une autre façon intelligente de lutter contre la criminalité consiste à élaborer des programmes visant à réduire la pauvreté, à créer des emplois et à traiter les problèmes de santé mentale, et à accorder des fonds à ces programmes. Depuis que le gouvernement a pris le pouvoir, les prisons sont devenus[sic] des logements sociaux destinés aux personnes aux prises avec une dépendance ou un problème de santé mentale » (Frank Valeriote, Parti libéral du Canada, C-10, 2e lecture). Elle est aussi critiquée

155 Ceci exclut les transformations relatives aux questions internationales qui ont été exclues des analyses de ce mémoire, soit les réformes relatives au terrorisme (6.3.1), à l’extradition (6.3.7) et aux réfugiées (6.3.9). 156 Dans le chapitre suivant, je relie plus explicitement ces trois théories de la peine aux mesures analysées.

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par les députés néodémocrates : « Les gens au gouvernement semblent déterminés à jeter plus de jeunes en prison au lieu d'investir dans des programmes de prévention pour empêcher qu'ils ne s'engagent dans des activités criminelles au départ » (Wasylycia-Leis, Nouveau Parti démocratique C-10, 2e lecture).

6.5 Remarques conclusives Dans les premières pages de ce chapitre, les dispositions législatives prééminentes des trois politiques pénales analysées ont été décrites. Ces dispositions ont, par la suite, été reprises afin de modéliser les grands effets des réformes analysées. Les analyses de ce chapitre ont montré que plusieurs impératifs politiques sont reliés auxdits effets, des impératifs qui esquissent les premiers aspects de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Dans le prochain chapitre, ces effets, et les impératifs politiques les sous-tendant, seront réutilisés afin d’exemplifier, à travers différents prismes d’analyse, les fondements et les stratégies de légitimation populistes qui ont sous-tendu les politiques pénales analysées.

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Chapitre 7 – Les politiques pénales du gouvernement Harper : Fondements et stratégies de légitimation populistes

Alors que le précédent chapitre dressait un portrait des dispositions législatives prééminentes et synthétisait leurs effets, le présent chapitre met en exergue les grandes facettes du populisme pénal qui ont sous-tendu les réformes pénales analysées. Pour maximiser l’intelligibilité des propos tenus dans les pages qui suivent, certaines précisions s’avèrent nécessaires. Au premier abord, il importe de souligner que je décris l’ancrage populiste du gouvernement Harper à travers huit sections qui dépeignent, respectivement, une grande facette de fondements et de stratégies de légitimation populistes157. L’analyse de chacune de ces facettes débute par une présentation générale des grandes lignes de ladite facette ainsi qu’une description empiriquement appuyée, approfondie et exemplifiée à l’aide d’analyses relatives aux trois grands effets préalablement modélisés158. Il s’agit, ici, d’un mémoire à cadre limité, de nature exploratoire qui se donne comme objectif central d’illustrer et de documenter l’ancrage populiste du gouvernement Harper en matière pénale. De ce fait, le présent chapitre analytique n’est tourné que vers l’analyse des diverses facettes du populisme pénal qui ont sous-tendu les réformes pénales analysées. Bien entendu, ce ne sont pas tous les fondements sur lesquels sont érigées les politiques analysées ainsi que les stratégies utilisées pour les légitimer qui relèvent du populisme. Des efforts ont été consentis afin d’éviter de tomber dans le picorage (cherry picking) en ne retenant que les éléments qui corroborent les prémisses de ce mémoire. À cet égard, les diverses dispositions législatives sont utilisées, en qualité d’exemples, de la manière la plus diversifiée possible, non pas dans le but de caser telle ou telle mesure dans les catégories qui confirment le mieux mes prémisses, mais bien dans le but d’illustrer que l’ancrage populiste du gouvernement Harper touche la quasi-entièreté des mesures législatives analysées, comme le suggère le tableau 11.

157 Bien qu’à priori, on pourrait avancer qu’il aurait été pertinent de décrire séparément les fondements et les stratégies de légitimation à connotation populiste, il appert, à la lumière des analyses de ce mémoire, qu’un fondement populiste sous-tendant une politique pénale peut être utilisé en qualité de stratégie de légitimation et revêtir une portée populiste. À titre d’exemple, une réforme restreignant les droits des accusés peut être érigée sur la nécessité d’offrir des protections supplémentaires aux victimes, tout comme une mesure répressive peut être légitimée stratégiquement par le biais de l’instrumentalisation de la souffrance des victimes. 158 Les trois visées ne sont pas systématiquement utilisées afin d’exemplifier chacune des facettes dans la mesure où l’étendue d’un mémoire de maitrise ne permet pas de détailler adéquatement des exemples pour chacune des visées. Or, au-delà des limites de ce mémoire, il importe de rappeler que l’objectif de cette recherche n’est pas de détailler les aspects populistes sous-tendant chacune des dispositions législatives analysées, mais bien de dresser un portrait panoramique de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

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Tableau 11. Nombre d’extraits repérés pour chacune des catégories générales159

Catégories générales Théorie de la dissuasion (31) Théorie de la neutralisation (40) Théorie de la rétribution (37) Théorie de la dénonciation (13) Théorie de la réhabilitation (9) Idéologies et valeurs conservatrices (41) Limitations du pouvoir discrétionnaire des juges (6) Critiques évitées (71) C-2 Références aux victimes d’actes criminels (76) Polarisation des discours (41) Références au peuple (61) Rejet ou discrédit des savoirs /experts (49) Appels à la rupture et aux changements (31) Références à des faits divers (21) Sophismes (83) Références à des groupes d’intérêts « partisans » (39) Arguments /critiques des partis adverses « évités » (111) Théorie de la dissuasion (20) Théorie de la neutralisation (9) Théorie de la rétribution (21) Théorie de la dénonciation (28) Théorie de la réhabilitation (4) Idéologies et valeurs conservatrices (30) Limitations du pouvoir discrétionnaire des juges (21) Critiques évitées (21) C-59 Références aux victimes d’actes criminels (78) Polarisation des discours (28) Références au peuple (69) Rejet ou discrédit des savoirs /experts (28) Appels à la rupture et aux changements (34) Références à des faits divers (31) Sophismes (41) Références à des groupes d’intérêts « partisans » (17) Critiques des partis adverses « évitées » (78) Théorie de la dissuasion (47) Théorie de la neutralisation (49) Théorie de la rétribution (61) Théorie de la dénonciation (21) Théorie de la réhabilitation (18) Idéologies et valeurs conservatrices (68) Limitations du pouvoir discrétionnaire des juges (27) Critiques évitées (91 C-10 Références aux victimes d’actes criminels (130) Polarisation des discours (61) Références au peuple (91) Rejet ou discrédit des savoirs /experts (81) Appels à la rupture et aux changements (44) Références à des faits divers (25) Sophismes (91) Références à des groupes d’intérêts « partisans » (51) Critiques des partis adverses « évitées » (176)

7.1 L’instrumentalisation de la victime : La figure fantasmée de la victime vindicative Tel que l’indique le tableau en exergue de ce chapitre, le point le plus saillant qui ressort des travaux parlementaires analysés est sans conteste la mobilisation des victimes d’actes criminalisés qui a été repérée à près de 300 reprises160 dans les interventions des députés conservateurs. Or, quoique que les victimes soient la thématique la plus récurrente dans les débats parlementaires, rappelons que les politiques analysées allouent, en bout de piste, peu de droits ou de bénéfices concrets aux victimes d’actes criminalisés. À titre de rappel, seule la sixième section du projet de loi C-10 octroie des « privilèges » aux victimes, tels que le droit d’accès aux informations relatives à la peine de la personne

159 Le codage est un processus relativement subjectif inspiré des postures paradigmatique et épistémologique adoptées par le chercheur. Un autre chercheur pourrait coder les mêmes données à travers les mêmes catégories et arriver à des résultats bien différents. Les nombres entre parenthèses représentent le nombre d’extraits codés dans chaque catégorie. 160 Ce chiffre est une addition de la catégorie « Références aux victimes d’actes criminels » des trois politiques échantillonnées.

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ayant causé leur victimisation respective ou encore le droit de présenter une déclaration lors des diverses audiences de remise en liberté. En réalité, les examens entrepris dans ce mémoire mettent en évidence que les mobilisations de la victime relèvent presque systématiquement de l’instrumentalisation puisque lesdites mobilisations sont utilisées, à quelques exceptions près161, afin d’introduire et de légitimer un durcissement du régime pénal canadien, sans gain substantiel pour les victimes.

Cette instrumentalisation de la victime correspond à la première dimension du populisme pénal décrite dans le chapitre quatre. Elle est si prééminente qu’elle touche plusieurs facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper et est donc abordée sous différents angles dans ce chapitre. Pour la présente section, je m’intéresse à la forme particulière d’instrumentalisation de la victime à travers laquelle le gouvernement Harper postule que les attentes des victimes sont indubitablement répressives. Plusieurs extraits repérés dans les débats parlementaires suggèrent que le gouvernement Harper attribue des aspirations invariablement répressives aux victimes, et ce, pour des types de crimes précis : « Les experts de première ligne, comme les victimes, nous disent que les peines doivent être plus sévères pour les personnes qui se livrent à ce genre d'activité [crimes relatifs aux stupéfiants] » (Dave MacKenzie, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture), ou encore d’une manière plus générale : « Les victimes, nous disent que les peines doivent être plus sévères » (Dave MacKenzie, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture). Plus implicitement, le gouvernement Harper confère également des attentes punitives aux victimes en affirmant que ces dernières appuient ses mesures législatives répressives: « Les victimes et des Canadiens respectueux de la loi partout au pays se réjouissent de cette mesure [nouvelles peines minimales découlant de la section 3 du projet de loi C-10] » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture). Conséquemment, en postulant que les victimes sont animées par des attentes et des intérêts répressifs, cette administration semble prêter une homogénéité idéologique aux victimes, concevant ces dernières tel un bloc monolithique dont les intentions et les désirs sont uniquement tournés vers la punition des coupables. Or, il s’agit d’une conception superficielle et restreinte des victimes d’actes criminalisés. Bien qu’il soit avéré que certaines victimes aient véritablement des doléances répressives et carcérales (Dubé et Garcia, 2017), un nombre considérable d’entre elles se détournent des demandes de sévérité pénale (Cheliotis et Xenakis, 2016).

161 Des nuances s’imposent puisque des propos traitant des « privilèges » concrets accordés aux victimes ont été repérés dans neuf interventions de députés conservateurs. Or, lorsqu’ils sont abordés, ces « privilèges » sont dépeints comme un complément à l’intensification de la sévérité pénale, ce qui tend à suggérer que ces privilèges ne constituent, pour le gouvernement Harper, que des variables subsidiaires à la répression.

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Dans cette veine, il appert, selon les recherches sur la victimisation, que les attentes et les besoins des victimes sont, en réalité, très complexes et seraient davantage axées sur la reconnaissance, l’accompagnement et la réparation, que sur des châtiments accrus (Cario, 2000; Cheliotis et Xenakis, 2016). Les analyses entreprises dans ce mémoire suggèrent, toutefois, que le gouvernement Harper accorde peu de considération, voire aucune, aux attentes non répressives des victimes. Ainsi, bien que les députés conservateurs répètent mécaniquement que leurs réformes comblent les « attentes » des victimes ou qu’elles sont érigées dans « l’intérêt » de celle-ci, rien ne laisse envisager que les politiques analysées répondent aux attentes ou à des intérêts autres qu’une répression accrue des individus criminalisés. En dépit de tels constats, en utilisant une structure argumentative qui promeut un resserrement de l’étau pénal sous le masque de la défense des victimes, cette mobilisation de la victime est rarement contestée, puisque personne ne peut réalistement se positionner contre la défense des victimes. Seules certaines critiques réussissent à percer cette rhétorique, comme l’extrait suivant du député Valeriote : « Les conservateurs ne cessent de parler des victimes, mais le projet de loi n'est assorti d'aucune disposition visant à aider celles-ci » (Frank Valeriote, Parti libéral du Canada, C-10, 2e lecture).

Au regard des précédentes analyses, il est intéressant de noter que, selon Salas (2005), les politiciens et les gouvernements dont la philosophie pénale revêt un caractère populiste ont tendance à se détourner des réalités complexes et variées des victimes singulières, pour plutôt invoquer une figure fantasmée de « la » victime. Similairement, il semble que le gouvernement Harper mobilise une figure imaginée de la victime vindicative au détriment des victimes singulières. Par voie de conséquence, cette mobilisation non représentative des victimes constitue une forme d’instrumentalisation, ce dont traite la prochaine section.

7.1.1 L’accentuation de la sévérité pénale Pour exemplifier plus méticuleusement l’instrumentalisation de la figure de la victime vindicative, je m’attarde à la section 8 du projet de loi C-10 qui a comme point de mire le durcissement de la justice pour mineurs, un durcissement qui est, entre autres, appuyé sur la prétendue nécessité de châtier plus sévèrement les adolescents criminalisés au nom des désirs des victimes, tel que l’indique l’extrait suivant qui est représentatif de cinq autres extraits traitant explicitement des doléances vindicatives des victimes à l’endroit des adolescents criminalisés162 : « Des groupes de victimes et des victimes se

162 Les extraits qui attestent que le gouvernement Harper appesantit le durcissement de la justice pour mineurs sur les prétendues doléances des victimes sont qualitativement très explicites, mais quantitativement peu nombreux. Dès lors, pour ne pas faire d’inférences sur un nombre restreint d’extraits, j’ai survolé les débats

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sont manifestés et ont applaudi le gouvernement pour le projet de loi [ section 8 du projet de loi C- 10] et pour des éléments précis que nous alliions[sic] y intégrer » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture). Malgré ces assertions des Conservateurs, Wemmers (2003) affirme qu’une portion somme toute importante des personnes ayant été victimisées par des adolescents ne sont pas en faveur d’une répression outrancièrement sévère des adolescents criminalisés163. Au contraire, la plupart des victimes d’adolescents souhaitent que ceux-ci n’aient pas de casier judiciaire (Marshall, 1999; Wemmers, 2003) et sont régulièrement favorables à des peines extrajudiciaires visant la restitution plutôt qu’à des peines répressives (Blanchette 1996 ; Wemmers, 2003). De surcroît, il est intéressant de noter que certaines victimes souhaitent même participer à des rencontres de médiation pénale afin d’aider les adolescents à prendre conscience des conséquences de leurs actes, à se responsabiliser et à se réhabiliter (Lemonne, Van Camp et Vanfraechem, 2007; Charette-Duchesneau, 2009). En somme, les recherches soulignent que les victimes sont, davantage, en faveur d’une justice pour mineurs aux finalités éducatives et réhabilitatives plutôt que répressives (Wemmers, 2003).

Nuançons toutefois en précisant que les crimes jugés les plus graves, tels que les agressions sexuelles et les meurtres, engendrent, bel et bien, des attitudes punitives chez les victimes d’adolescents (Wemmers, 2003). Il s’agit néanmoins de crimes rares pour ce groupe d’âge, et qui concernent peu de victimes. À titre d’exemple, en 2014, près de 101 000 jeunes furent condamnés en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Seulement 25 d’entre eux avaient été déclarés coupables d’homicides, soit 0,024% (Statistique Canada, 2016).

Soulignons qu’après plusieurs critiques des partis adverses, le gouvernement Harper se ravise en affirmant, à deux reprises, que sa réforme ne cible que les récidivistes et les adolescents ayant commis des crimes violents : « Nous sommes conscients du fait que les jeunes peuvent commettre des erreurs. Nous ne visons pas les simples voleurs, mais les délinquants violents et récidivistes. Je le répète: nous tentons d'établir un équilibre entre la responsabilité envers les victimes et la responsabilité envers les auteurs des crimes » (Dean Allison, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, certaines dispositions de la présente réforme, tel l’ajout de la dénonciation et de la dissuasion au régime de

parlementaires du projet de loi C-4, mort au feuilleton, qui a été repris textuellement pour ériger la réforme de la LSJPA incluse dans le projet de loi C-10. Ce survol a permis de repérer d’autres extraits qui appuient la présente analyse, tel que le suivant : « Notre gouvernement est à l'écoute des Canadiens, notamment des familles des victimes d’actes criminels. C’est pour cette raison que nous avons présenté le projet de loi [C- 4] » (Daniel Petit, Parti conservateur du Canada, C-4, 2e lecture). 163 Statistiquement, il est plutôt difficile de chiffrer le nombre de victimes en faveur d’une justice pour mineurs dite « non-répressive ». Toutefois, Roberts (2004) affirme que 77% du public est en faveur de ce type de justice pour les adolescents criminalisés, tandis que Allen (2002) avance qu’il n’existe pas de différence significative entre les victimes et les non-victimes concernant les attitudes envers la justice pour mineurs.

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détermination de la peine, ne se limitent pas aux crimes de nature violente, mais peuvent être invoquées par n’importe quel juge à l’endroit de n’importe quel mineur déclaré coupable de n’importe quel crime164.

Sans affirmer que l’ensemble des victimes s’oppose aux peines répressives pour les adolescents criminalisés, il appert que les transfigurations de la justice pour mineurs ne concordent pas, en tous points, avec les attentes générales des victimes comme peut l’affirmer le gouvernement Harper. Sous un autre angle, si le gouvernement Harper semble répondre aux attentes de certaines victimes en s’attaquant aux adolescents ayant commis des crimes graves, ses réponses ont toutefois pour effet de généraliser le durcissement de la justice pour l’ensemble des mineurs, ce qui ne correspond pas aux attentes générales d’autres victimes. Conséquemment, pour le gouvernement Harper, la mobilisation des attentes des victimes constitue, du moins en grande partie, bien plus un plaidoyer politique pouvant permettre de légitimer ses réformes répressives, qu’un réel souci de combler les attentes de l’ensemble des victimes.

Dans cette foulée, la victime semble également représenter un plaidoyer politique qui a permis au gouvernement Harper d’éviter les critiques des partis adverses. En guise d’exemple, l’instrumentalisation de la victime a permis à cette administration de se soustraire aux questions et aux critiques des partis adverses, notamment en ce qui concerne les coûts de ses réformes répressives : « J’ignore pourquoi les députés d'en face [opposition] veulent savoir combien couteront les mesures que nous prenons à cette fin. Je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec une victime d'un crime grave. Elle ne pensait pas au coût, elle. Elle voulait que justice soit faite (Dave MacKenzie, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Un autre exemple est la critique en regard de la constitutionnalité des réformes répressives harperiennes : « Chaque fois que notre gouvernement propose un projet de loi qui luttera contre la criminalité au Canada et rendra nos rues et nos collectivités plus sures, la réponse typique du NPD, c’est que nous sommes en train de bafouer les droits des criminels, des accusés. Il y a un mot que le NPD ne prononce jamais... Victime » (Ed Fast, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture).

Somme toute, il appert que le gouvernement Harper mobilise la figure fantasmée de la « victime en quête de sévérité pénale » dans une optique instrumentale. L’utilisation de doléances de la victime prétendument vindicative impose et légitime, ici, une vision répressive de la justice, ce qui illustre que la victime constitue une ressource politique pour le gouvernement Harper. La mobilisation de la

164 Je m’attarde davantage au durcissement généralisé de la justice pour mineurs dans la section 7.6.1.

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victime, qu’elle ait une portée instrumentale ou non, s’avère d’ailleurs généralement profitable sur le plan politique (Roberts et coll., 2003; Pratt, 2007). Par voie de conséquence, l’instrumentalisation de la victime, systématiquement évoquée dans les écrits traitant du populisme pénal (Salas, 2005; Pratt, 2007), constitue la première facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Loin de se limiter aux précédentes analyses, la mobilisation de la victime est également analysée sous un autre prisme dans la prochaine section, soit à travers la logique binaire de la dyade victime-coupable qui traverse le programme politique du gouvernement Harper.

7.2 La conception manichéenne de la dyade victime-coupable : Punir et honnir les individus criminalisés au nom de la victime La seconde facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper est la polarisation165 opposant les besoins, les intérêts et les droits des victimes à ceux des individus criminalisés. L’analyse des travaux parlementaires signale que le gouvernement Harper conçoit les victimes et les individus criminalisés à travers une logique manichéenne qui, sacralisant les premières et vouant aux gémonies les seconds, permet d’instaurer et de justifier un alourdissement de l’arsenal répressif. Pour en témoigner, cette section illustre, dans un premier temps, que le gouvernement Harper place dans une perspective de dualité irréconciliable les victimes et les personnes condamnées. Dans un second temps, cette section met en exergue le fait que cette dualité, malgré les dires des Conservateurs, ne concerne que peu les victimes, et vise plutôt à accentuer la répression pénale à l’endroit des individus criminalisés.

Tout d’abord, remarquons que les politiques retenues sont créées et légitimées à travers des discours opposant les victimes aux individus criminalisés, une polarisation qui a pour but de recentrer les pratiques de la justice autour des victimes, comme l’indique l’extrait suivant : « On se soucie plus des droits des criminels que de ceux des victimes, et c'est regrettable. Le balancier est parti trop loin dans un sens. Je suis fier de faire partie d'un gouvernement qui va rectifier cela » (Larry Miller, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ainsi que celui-ci : « Disons que la balance de la justice semble pencher injustement de leur côté. Le gouvernement a clairement dit qu'il ne ferait jamais passer les droits des délinquants avant ceux des autres [le député fait ici référence aux victimes d’Earl Jones] » (Paul Calandra, Parti conservateur du Canada, C-59, 2e lecture). Une telle pratique visant à prioriser un groupe d’intérêts, telles les victimes, par rapport à d’autres, comme les individus criminalisés, n’est d’ailleurs pas sans rappeler le cadre théorique de ce mémoire. Or, malgré les

165 Bien que la présente facette se rapporte largement à la quatrième dimension du populisme pénal, qui traite de la polarisation des discours, elle est également indissociable de certaines composantes relatives aux première et troisième dimensions, qui traitent respectivement de l’instrumentalisation de la victime et de l’importance de la dimension émotionnelle dans le processus législatif.

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assertions des Conservateurs, rappelons que les politiques analysées offrent peu de « privilèges » aux victimes. D’ailleurs, lorsque le gouvernement Harper traite, dans les travaux parlementaires analysés, des intérêts des victimes ou affirme vouloir recentrer la justice autour de ces dernières, il n’aborde que la punition des individus criminalisés. Les députés conservateurs basent, en effet, la quasi-totalité de leurs interventions se rapportant aux victimes sur la présomption que la défense, de ces dernières, passe par l’imposition de peines plus comminatoires : « Au nom des victimes je voudrais demander, non, plutôt supplier, les députés de l’opposition d’appuyer ce projet de loi [C-10] pour assurer la sécurité de nos rues et de nos communautés » (Shelly Glover, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Plus encore, les Conservateurs affirment qu’il est impossible de se préoccuper des victimes sans une avoir attitude intransigeante à l’égard des coupables, tel qu’en témoigne cet extrait provenant d’une intervention de la députée Adams: « Nous exprimons trop de compassion à l’endroit des criminels alors qu’en fait la plupart des Canadiens voudraient que nous en ayons pour les victimes » (Eve Adams, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Similairement, les propos suivants du député Calandra appuient eux aussi cette analyse : « Au fond, de nombreuses victimes sont victimisées de nouveau parce que les délinquants passent relativement peu de temps derrière les barreaux pour leurs crimes. Les Canadiens ont exprimé leur opinion haut et fort. Ils sont scandalisés de voir que les droits des délinquants semblent passer avant ceux des citoyens respectueux des lois » (Paul Calandra, Parti conservateur du Canada, C-59, 2e lecture).

Une telle pratique discursive n’est pas sans rappeler la citation de George W. Bush : « Either you are with us, either you are with the terrorists », préalablement évoquée afin de décrire la propension des populistes à polariser les enjeux. Non sans importance, ces quelques mots avaient permis à l’ancien Président républicain de proscrire toute nuance, obligeant ainsi ces interlocuteurs à choisir un « camp », soit combattre les terroristes ou appuyer les terroristes. Dans une logique manichéenne similaire, le gouvernement Harper postule qu’il est impossible de se préoccuper simultanément des victimes et des individus criminalisés. En plus d’ignorer la complexité et la diversité des besoins des victimes, cette assertion des Conservateurs témoigne que le gouvernement Harper institue une fausse opposition entre les individus criminalisés et les victimes puisque le fait de se préoccuper de la réhabilitation ou encore du traitement juste et humain des condamnés ne signifie en rien une non- considération des victimes. D’ailleurs, plusieurs recherches témoignent que les victimes et les individus criminalisés ne sont pas deux polarités nécessairement antinomiques et qu’il est possible,

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voire nécessaire, de concilier les besoins des victimes avec ceux des personnes criminalisées166. Ces recherches avancent également que la condamnation du coupable n’est pas, pour plusieurs victimes, l’unique variable nécessaire à la réussite du processus de guérison (Cario, 2000; Fattah, 2010) et que les mesures répressives augmentent les risques de récidive engendrant ainsi plus de victimes (Cullen, Jonson et Nagin, 2011). En réalité, selon Dubé et Garcia (2017), les victimes et les condamnés ne constituent des entités inconciliables que si les peines afflictives et privatives de liberté sont perçues comme le symbole ultime des besoins, des intérêts et des droits des victimes. Les députés néodémocrates s’opposent d’ailleurs à cette fausse dualité, tel que l’indique l’extrait suivant du député Caron qui encense, à travers une compréhension nuancée de la dyade victime-coupable, les programmes de médiation :

J’ai vu certains cas où quelqu'un avait subi un vol par effraction ou des voies de fait. Sous supervision bien entendu, ces personnes ont pu parler avec l’agresseur, afin de comprendre ses motivations et ainsi être plus en paix avec ce qui s’était passé. Voir le système de justice aborder la situation de cette façon est beaucoup plus probant pour la victime et pour la manière dont elle réagit à la situation que si elle était isolée et que si l'on frappait sur le criminel en n'utilisant qu'une justice coercitive (Guy Caron, Nouveau Parti démocratique, C-10, 2e lecture).

Se détournant de cette compréhension nuancée de la dyade victime-coupable, les Conservateurs utilisent, dans les débats analysés, une structure argumentative qui décrit les peines comme laxistes et éphémères et les opposent aux conséquences subies par les victimes qui sont, quant à elles, décrites comme incommensurables et indélébiles. De cette manière, le gouvernement Harper sacralise la victime et honnit les personnes criminalisées, créant ainsi un sentiment d’exécration envers ces dernières et légitimant, par le fait même, une répression accrue à leur égard. Dans l’optique de détailler cette logique manichéenne, opposant les victimes aux individus criminalisés, qui est constitutive de l’ancrage populiste du gouvernement, j’analyse, ci-dessous, certaines mesures législatives ayant accentué la sévérité pénale et qui sont assises sur cette perspective de dualité inaltérable.

7.2.1 L’accentuation de la sévérité pénale Il ressort de l’étude du corpus de données que l’entièreté des mesures touchant la sévérité pénale est traversée, de près ou de loin, par cette logique manichéenne polarisant les enjeux entre les individus criminalisés et les victimes. Pour éclairer cette polarité, je m’attarde à la réforme de la Loi sur le

166 En guise d’exemple, les programmes de justice réparatrice témoignent que les attentes et les besoins des victimes et ceux des coupables peuvent s’entrecouper et même s’avérer interdépendants (Cario, 2000).

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casier judiciaire. Pour faire un rappel succinct, le projet de loi C-10 modifie la Loi sur le casier judiciaire ce qui a pour effet d’ériger de nouvelles barrières procédurales, de rallonger les délais d’épreuve, de rendre inadmissibles à la suspension du casier les multirécidivistes ainsi que les personnes déclarées coupables d’une infraction sexuelle contre un mineur et finalement de remplacer les termes « pardon » ou « réhabilitation »167 par « suspension du casier judiciaire ». Au premier abord, mentionnons que les quelques courtes interventions168 des députés conservateurs sur cette réforme sont axées sur la critique des notions de réhabilitation et de pardon. Ils affirment, lors des débats parlementaires, que les condamnés ne peuvent pas être réhabilités ou pardonnés, comme l’indique l’extrait suivant : « Nous sommes d'avis que le terme « suspension du casier » reflète davantage l'objet de la mesure législative qui vise à empêcher l'accès général à un casier judiciaire lorsqu'il est approprié de le faire, plutôt que de pardonner une infraction » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Auréolé d’une forte connotation symbolique, il appert, selon Harvey (2016), que le choix du terme « suspension du casier judiciaire » fragilise les effets bénéfiques qui découlaient auparavant de l’octroi officiel d’un pardon ou d’une réhabilitation, une fragilisation des bénéfices auxquels se rajoute également un durcissement des critères d’admissibilité. Or, qu’il s’agisse du changement de termes ou des modifications relatives aux conditions d’octroi d’une suspension du casier judiciaire, cette réforme s’inscrit dans la logique manichéenne du gouvernement Harper qui postule que les intérêts, les besoins et les droits des condamnés sont diamétralement opposés à ceux des victimes dans la mesure où cette administration limite les pratiques de pardon, pour défendre les victimes, comme le sous-entend l’extrait suivant : « Nous savons que lorsqu’une victime découvre que son agresseur a obtenu une réhabilitation, elle se sent doublement lésée » (Candice Hoeppner, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, rien n’indique que l’octroi d’un pardon, des années après la condamnation, constitue un sacrilège pour les victimes ou une seconde victimisation. Qui plus est, cette réforme s’applique à tous les condamnés, même s’ils ont perpétré un crime dit « sans

167 À titre de rappel, les termes « pardon » et « réhabilitation » sont utilisés au sens administratif du terme. Pour plus de détail, voir la note de bas de page 128. 168 Les débats relatifs à la réforme de la Loi sur le casier judiciaire représentent une des sections du projet de loi C-10 qui sont les plus durement touchées par la réduction des temps de parole corrélative à l’adoption d’une loi omnibus et s’avèrent donc presque exclusivement limitées à quelques échanges lors de la deuxième lecture du projet de loi C-10. Soulignons également que l’ancien projet de loi C-23b, mort au feuilleton, qui a été repris pour construire la présente réforme a été présenté, mais ne fut pas débattu puisque le Parlement a été prorogé et ne peut donc être utilisé pour appuyer les présentes analyses. Il importe donc de demeurer prudent quant aux inférences reliées la réforme de la Loi sur le casier judiciaire.

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victime » tel qu’une possession simple de drogues. Conséquemment, on peut présumer que l’incidence principale de la présente réforme est la pénalisation accrue des individus criminalisés.

Notons également que le gouvernement Harper renforce cette dualité à travers des arguments déconnectés des pratiques réelles. À ce sujet, regardons, les dires du ministre de la Sécurité publique Vic Toews169 : « Nous croyons que la souffrance qu’endurent les victimes de la criminalité ne s’efface jamais alors que les peines d'emprisonnement des criminels prennent fin. Les Canadiens se sont exprimés sans équivoque: il est inacceptable de pardonner aux agresseurs d'enfants le tort qu'ils ont causé à leurs victimes » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Trois constats découlent d’une telle affirmation. Primo le gouvernement Harper fonde sa réforme de la Loi sur le casier judiciaire sur un continuum opposant le ressentiment victimaire à la réprobation à l’égard du prétendu laxisme de la justice. Secundo, il appuie cette même réforme sur un argument fallacieux puisque la suspension du casier n’est pas reliée à l’incarcération, ledit pardon n’étant octroyé qu’à la fin des délais d’épreuve qui s’allongent sur plusieurs années170 et qui ne s’amorcent qu’à l’issue de la peine imposée171. Tertio, il utilise un argument moral pour légitimer la proscription du pardon, bien que la pratique du pardon ne soit pas fondée sur une perspective morale, mais plutôt sur des desseins de réhabilitation.

Par la suite, en superposant la question du pardon à cette logique opposant les victimes aux coupables, le gouvernement Harper affirme que le pardon ne constitue pas une prérogative de l’État: « Après tout, c'est aux victimes qu'il incombe de décider si elles veulent accorder leur pardon aux criminels qui les ont lésées, et non au gouvernement » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Il s’agit d’un argument trompeur puisqu’en droit anglo-saxon, un crime est commis contre l’État et non contre la victime et c’est l’État qui détient le monopole du châtiment. Dès lors, si l’État possède la prérogative du châtiment, il doit, logiquement, posséder le pouvoir de pardonner ou réhabiliter officiellement les citoyens qu’il châtie. D’ailleurs, les victimes ne peuvent pas octroyer un pardon, au niveau administratif, même si tel est leur désir, ce qui révèle l’ineptie d’une telle conception du pardon. Au final, il ressort que la présente réforme sur le pardon, sans rien apporter aux victimes, a pour simple effet de mettre un frein à la réhabilitation des personnes condamnées et de perpétuer les stigmates subis par ces personnes. De ce fait, ladite réforme revêt une fonction de

169 Vic Toews a également agi comme ministre de la Justice, entre 2006 et 2007, mais fut remplacé par Rob Nicholson qui demeura en poste jusqu’à la défaite du Parti conservateur en 2015. 170 Dépendamment de la catégorie d’infraction, les nouveaux délais sont de cinq et dix ans. 171 La peine imposée ne se limite pas à la période d’incarcération, une personne en liberté anticipée est toujours sous le joug de la peine octroyée par le juge.

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contrôle social au détriment d’une fonction de réhabilitation et de réinsertion sociale qui s’avère pourtant non seulement bénéfique pour le condamné, mais également nécessaire à la restructuration des liens sociaux entre la victime, le condamné et la société. C’est d’ailleurs sous l’angle de la réhabilitation que les critiques les plus fortes de l’opposition se sont matérialisées: « Sans le stigmate d'un casier judiciaire ou, dans certains cas, d'une incarcération possible, ces clients ont par la suite pu être admis à l'université, conserver un bon emploi, traverser la frontière, bref, être des membres actifs à part entière de la société, ce qu'ils ne seraient pas devenus autrement » (Frank Valeriote, Parti libéral, C-10, 2e lecture).

La non-considération, voire l’aversion, des Conservateurs à l’endroit des personnes criminalisées mérite, elle aussi, un bref détour analytique afin de mieux dépeindre la force de la logique manichéenne opposant la victime au coupable. Pour y arriver, le renversement du fardeau de la preuve intégré à la désignation de « délinquants dangereux », tributaire du projet de loi C-2, semble tout à fait désigné. Sur le plan constitutionnel, le renversement du fardeau de la preuve en droit criminel et pénal revêt, en certaines occasions, un caractère irréfragable violant la présomption d’innocence. Celle-ci, telle qu’elle s’opérationnalise en droit criminel et pénal, limite le pouvoir de punition de l’État à l’égard des citoyens et agit donc en qualité de contrepoids à l’égard des pouvoirs incommensurables de l’État (Kitai, 2002).

Une telle limitation du pouvoir de punition semble toutefois à l’opposé de l’approche pénale du gouvernement Harper qui, par le biais des politiques analysées, entreprend d’augmenter son pouvoir coercitif, et celui de certains appendices de l’appareil pénal172, à l’endroit des individus criminalisés. La présomption d’innocence s’avère également être un héritage du droit canonique qui stipule que l’humain est bon en soi, une conception optimiste dérivant d’une croyance fondamentale en une dignité humaine inhérente à chaque être humain (Kitai, 2002). Plus précisément, la dignité humaine n’est ni octroyée, ni méritée, elle est inhérente à chaque être humain et ne peut donc, en aucun cas, être retirée, et ce, indépendamment des actions de la personne. Dès lors, la possession d’une dignité intrinsèque chez tous les êtres humains, dont les individus criminalisés, constitue le fondement même de la reconnaissance de droits inaliénables, tel que la présomption d'innocence (Seriaux, 1997).

172 En guise d’exemple, la loi C-10 a conféré le pouvoir aux policiers d’arrêter, sans mandat, une personne bénéficiant d’une libération anticipée qui aurait, présumément, violé ces conditions.

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Le gouvernement Harper semble peu animé par cette conception de la justice et de la dignité humaine, du moins pour certains types d’individus :

Récemment, en Colombie-Britannique, un ancien délinquant sexuel remis en liberté a séquestré durant des jours un enfant enlevé au domicile de ses parents. Les parents de l'enfant et les familles de la collectivité étaient sous le choc parce qu'ils croyaient que l'enfant était victime d'un prédateur sexuel en liberté. Le projet de loi dont nous sommes saisis porte sur les délinquants sexuels et les pédophiles. De quelle compassion faut-il faire preuve? (Mike Wallace, Parti conservateur du Canada, C-2, Étape de rapport).

D’ailleurs, les députés de ce gouvernement affirment, à plusieurs reprises, que les récidivistes et les personnes condamnées pour certaines infractions violentes ou de nature sexuelle ne méritent pas d’avoir une chance adéquate de se défendre, tel que le sous-entend la citation suivante: « Pourtant, nous semblons maintenant dire que la disposition portant sur l’inversion de la charge de la preuve constitue une violation. Certains disent que c'est parce qu’une personne est présumée innocente jusqu’à preuve du contraire. Toutefois, elle a déjà été condamnée trois fois. Nous devrions envisager le problème en considérant que nous donnons à un individu une chance alors qu'il ne la mérite pas » (Ken Epp, Parti conservateur du Canada, C-2, Étape de rapport).

Cette attaque envers les droits inaliénables des justiciables a d’ailleurs subi une forte opposition, de tous les partis, même du Bloc Québécois qui est pourtant le parti ayant avalisé le plus grand nombre de mesures législatives, tel que l’extrait suivant l’indique : « Néanmoins, nous ne sommes pas les seuls à avoir manifesté une certaine inquiétude par rapport à cette partie découlant du projet de loi C- 27. En effet, mon collègue de Windsor—Tecumseh nous propose aujourd'hui un amendement qui aurait pour effet de supprimer la disposition concernant l'inversion du fardeau de la preuve qui figure dans le projet de loi. À ses yeux, cela ne résisterait pas à une contestation fondée sur la Charte » (Carole Freeman, Bloc québécois, C-2, 2e lecture). Au-delà des droits, cette contestation de la présomption d’innocence suggère que les individus criminalisés ne représentent pas, aux yeux du gouvernement Harper, des personnes à corriger et à réinsérer socialement. Ils semblent plutôt représenter bien des problèmes contre lesquels la société devait se prémunir, ce qui n’est pas sans rappeler le concept de folks devils de Stanley Cohen. Cette conception des individus criminalisés comme un simple problème à endiguer se retrouve d’ailleurs, selon Salas (2005), dans la plupart des philosophies pénales populistes.

Plusieurs des mesures législatives échantillonnées sont construites et légitimées à travers une logique manichéenne opposant les intérêts, les droits et les besoins des condamnés à ceux des victimes. Une

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fine analyse desdites mesures permet toutefois de déceler qu’elles visent davantage l’accroissement des châtiments et la pérennisation des stigmates corrélatifs subis par les condamnés que le soutien concret des victimes. Cette tendance à user de logiques et de sémantiques polarisantes et dichotomiques se retrouve d’ailleurs régulièrement dans les écrits sur le populisme (Müller, 2016) et le populisme pénal (Pratt, 2007), constituant ainsi la seconde facette prééminente de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. De surcroît, remarquons qu’en opposant les différentes émotions relatives au ressentiment victimaire aux registres émotionnels plus négatifs à l’endroit des personnes criminalisées ou du prétendu laxisme de la justice à leur égard, cette logique manichéenne fait ressortir la place centrale de la dimension émotionnelle dans les politiques analysées, une autre caractéristique du populisme pénal (Pratt, 2007; Freiberg et Gelb, 2008)

7.3 L’instrumentalisation de la volonté du peuple : Une conception subjective et partisane de la volonté générale Il a été établi, dans la première partie de ce mémoire, qu’un des critères distinctifs caractérisant les populistes est leur prétention à parler au nom du peuple, du moins à une conception idéalisée et subjective de celui-ci, et ce, afin d’obtenir les faveurs dudit peuple et plus précisément son appui lors des scrutins électoraux. Au-delà de cette propension à vouloir faire corps avec le peuple à des fins électorales, les populistes s’adonnent régulièrement à des mobilisations de la prétendue volonté du peuple afin de justifier leurs politiques (Taguieff; 2007; Jamin, 2017). Bien que la démocratie représente, selon Abraham Lincoln, un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple173, la mobilisation du peuple ne constitue pas toujours un vecteur de démocratie. Malgré la tendance des populistes à se qualifier de démophile, ces derniers tendent à réduire et à instrumentaliser les appels au peuple à des fins politiques, et ce, en excluant les intérêts divergents. Il appert, selon les investigations menées dans ce mémoire, que le gouvernement Harper mobilise l’argument de la volonté du peuple à des fins instrumentales du fait que lesdites mobilisations font surtout référence aux doléances répressives du peuple qui concordent avec des idéaux harperiens174. Cette

173 Extrait tiré du discours de Gettysburg prononcé par Abraham Lincoln le 19 novembre 1863, pour plus de détails voir Basler (1972). 174 Cette mobilisation du peuple est la facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper ayant subi les critiques les plus subtiles de la part des partis adverses, et ce, non sans raison. En effet, les députés conservateurs attribuent régulièrement des intentions répressives au peuple canadien sous le masque de leur désir de sécurité. Certes, il est difficile de contredire le fait que les Canadiens ont des doléances en matière de sécurité; toutefois, les critiques à l’endroit de l’instrumentalisation du peuple passent notamment par le truchement de l’inefficacité des mesures répressives et ne mentionnent donc pas directement les souhaits des Canadiens. Pour cette raison, aucun extrait des critiques des partis adverses n’est ajouté dans cette section. .

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instrumentalisation du peuple, qui se rapporte à la seconde dimension du populisme pénal, est d’ailleurs repérée à plus de 200 reprises, représentant ainsi une des caractéristiques les plus prééminentes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper s’étant détachée des débats parlementaires. Bien entendu l’ensemble des mobilisations ou des références au peuple, provenant des députés conservateurs, ne relève pas invariablement de l’instrumentalisation dans la mesure où tout gouvernement produit des législations selon les intérêts des gens les ayant portés au pouvoir. Seules certaines pratiques tendancieuses en ce qui concerne la mobilisation de la prétendue volonté du peuple sont soulevées ci-dessous.

De nombreux extraits peuvent témoigner du fait que le gouvernement Harper a, selon ses propres dires, assis les politiques analysées sur la prétendue volonté du peuple, tel que le suggèrent les dires de la députée Amber: « Par leurs lettres, leurs coups de téléphone et leurs visites à mon bureau, les gens de -Sud me disent qu’ils veulent que le gouvernement sévisse contre la criminalité » (Stella Ambler, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ceux du ministre de la Sécurité publique : « Le gouvernement demeure déterminé à s'attaquer à la criminalité sur tous les fronts, comme le souhaitent les Canadiens » (Vic Toews Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ou encore ceux du ministre de la Justice: « Il [ le projet de loi C-2] prévoit des peines minimales obligatoires pour ceux qui, dans les cas les plus graves, se servent d’une arme à feu pour commettre une infraction. Je pense que nous devrions tous être d'accord pour affirmer clairement que nous prenons au sérieux les crimes commis avec une arme à feu. C’est ce que les Canadiens nous demandent de faire » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Plus précisément, les analyses de ce mémoire suggèrent que le gouvernement Harper façonne et assied les politiques étudiées sur la préconception d’un peuple aux intentions répressives, tel que le souligne l’extrait suivant: « Lorsque je discute avec mes électeurs, ils me disent souvent vouloir un système de justice qui rende réellement justice et un système correctionnel qui sévisse réellement » (Parm Gill, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, rappelons que plusieurs recherches ont déconstruit les prétendues intentions répressives du peuple (voir la section 4.4.2 de ce mémoire). De ce fait, l’attribution d’intentions répressives généralisées au peuple canadien témoigne d’une instrumentalisation du « peuple » dans la mesure où les doléances répressives des Canadiens sont, en réalité, plutôt nuancées, du moins beaucoup plus que ce que laisserait entendre le gouvernement Harper175. Plus encore, les écrits sociologiques abordés dans la première section de ce mémoire

175 Notons également que si le gouvernement Harper se tarda régulièrement de répondre à la volonté du peuple en durcissant le régime pénal, ce gouvernement n’a démontré que peu, voire pas, d’intérêt à s’enquérir et à parler de la volonté du peuple en ce qui concerne les positions politiques ne correspondant pas avec leur programme politique (ex. mettre fin aux paradis fiscaux pour les grandes corporations et les individus les mieux

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soulèvent que le « peuple » n’existe pas tel un fait ou un groupe prédéterminé, il s’agit plutôt d’une construction sociale (Premat, 2004). Avant d’aborder les finalités de cette instrumentalisation de la volonté générale du peuple, je m’attarde, ci-dessous, aux principales techniques utilisées par les députés conservateurs afin d’attribuer des intentions répressives au peuple.

En premier lieu, dans l’optique d’affirmer que les Canadiens sont en faveur de son approche Tough on Crime, le gouvernement conservateur utilise des références générales:

« J’ai eu d'innombrables occasions de rencontrer des Canadiens de toutes les couches de la société, d'’un océan à l'autre. […] Ce sont invariablement la sécurité personnelle et le souhait d’avoir un système judiciaire plus fiable, un meilleur équilibre entre les droits des accusés et des coupables et la reconnaissance des conséquences et du coût de la criminalité sur les victimes qui reviennent au premier plan des discussions » (Kerry- Lynne D. Findlay, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture).

Ne se limitant pas aux références générales, les députés conservateurs ont également recours à des opinions individuelles: « Le dimanche, après la messe, un couple pour qui j’ai le plus grand respect m’a pris en aparté. D’habitude, ils ne parlent pas affaires à l’église, mais le monsieur m'a dit "Gary, j’aimerais juste vous remercier du fond du cœur de défendre les victimes et la population en général " » (Gary Schellenberger, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Mentionnons également que les opinions individuelles utilisées par les députés conservateurs, telles que celles rapportées dans le dernier exemple ci-haut, semblent régulièrement provenir de leur base électorale176. Au final, ces pratiques discursives témoignent peu de la volonté générale du peuple, elles illustrent plutôt que le gouvernement Harper généralise des manifestations d’opinions partielles et individuelles, voire peut-être partisanes, une généralisation leur permettant de parler au nom des Canadiens.

En second lieu, le gouvernement Harper affirme qu’il a été porté au pouvoir, par les Canadiens, pour durcir le cadre d’action étatique à l’égard de la criminalité, tel que l’indique l’extrait suivant : « Nous savons tous qu’au printemps dernier, les Canadiens nous ont donné le mandat clair de mettre en œuvre notre programme en matière de loi et d’ordre » (Scott Armstrong, Parti conservateur du Canada, C-

nantis). Par voie de conséquence, cette importance sélective accordée à la volonté du peuple est une autre preuve de la propension de ce gouvernement à instrumentaliser ladite volonté. 176 À titre d’exemple, dans l’extrait cité, le député conservateur réfère à un appui obtenu à la messe. Sans affirmer que les pratiquants de confession chrétienne sont nécessairement d’allégeance conservatrice, plusieurs valeurs du Parti conservateur semblent concorder avec celles de la Chrétienté, du moins la droite évangélique (Guy, 2012), ce qui augmente la probabilité que les propos relevés par le député soient une opinion d’un partisan conservateur.

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10, 2e lecture). Les dires du ministre de la Sécurité publique appuient également cette affirmation : « Les Canadiens ont confié au gouvernement le mandat de nous assurer des rues et des collectivités sûres en représentant rapidement notre programme législatif complet concernant la loi et l’ordre » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture). Nonobstant, ces affirmations, le gouvernement Harper ne reçoit pas un mandat « clair » puisque même lorsque majoritaire, entre 2011 et 2015, cette administration n’obtient que 39,62 % des suffrages, et ce, avec un taux de participation de 61,4%. Lorsque contextualisé, le plus haut pourcentage de Canadiens177 ayant voté pour le gouvernement Harper a donc été de 24,2%178. En d’autres termes, plus de 75% de la population n’a pas appuyé, par le biais des élections, le programme politique du gouvernement Harper, notamment en ce qui a trait au durcissement du régime pénal. Il s’avère donc quelque peu fallacieux d’affirmer, au regard des résultats électoraux, que les Canadiens sont en faveur des réformes pénales harperiennes. Notons également que le fait qu’une personne ait voté pour un parti n’implique pas qu’elle appuie indéfectiblement l’ensemble du programme dudit parti. De ce fait, un gouvernement issu d’un système de démocratie représentative devrait demeurer conscient des nuances présentes dans l’électorat, au-delà de sa simple base, et gouverner avec circonspection.

Finalement les Conservateurs utilisent des sondages d’opinion qui ont pour effet d’attribuer des désidératas punitifs au peuple canadien, et ce, qu’il s’agisse de sondage officiel comme ici: « Selon un sondage récent, les deux tiers des Canadiens approuvent l’orientation de notre gouvernement dans sa lutte contre la criminalité. L’idée d'imposer de sévères peines d’emprisonnement aux auteurs de crimes graves commis avec des armes à feu plait aux Canadiens. Ils veulent que les enfants soient protégés contre les prédateurs » (Ed Fast, Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture), ou encore des sondages autoréalisés: « J’ai pris l'habitude de faire un sondage à chaque semaine. J’envoie ma question de la semaine à quelque 15 000 personnes […] Lorsque j'ai demandé à mes électeurs si les personnes reconnues coupables de crime à caractère sexuel, y compris la pédophilie, devraient pouvoir présenter une demande de pardon et faire classer leur casier judiciaire, 95 p. 100 des répondants ont dit non » (Ed Holder, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Or, loin d’être un vecteur de la volonté populaire, les résultats des sondages d’opinion, qui ont été la cible de certaines critiques dans la première partie de ce mémoire, s’avèrent bien souvent subjectifs, malléables, voire biaisés et simplistes, et donnent illusoirement la parole aux citoyens (Pires, 2001;

177 Je réfère ici aux Canadiens ayant le droit de vote. 178 Lors de l’élection de 2011, 14 720 580 personnes se sont rendues aux urnes pour un taux de participation de 61,4 %, 5 814 374 d’entre eux ont voté pour la formation politique de Stephen Harper (Élections Canada, 2016). Conséquemment, si une règle de trois est appliquée aux chiffres précédemment mentionnés, 5 814 374 ont voté pour Stephen Harper sur une possibilité de 23 974 886, soit 24,2%.

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Gauthier, 2014). D’ailleurs, bien que le gouvernement affirme que les sondages démontrent que les Canadiens souhaitent un durcissement des pratiques pénales, certaines études témoignent que les résultats de sondages sur des questions pénales doivent être nuancés179 (par ex. Leclerc et Boudreau, 2007).

La mobilisation de la volonté répressive du peuple semble donc revêtir une connotation instrumentale. À ce sujet, je m’attarde dans les sections ci-dessous à l’instrumentalisation de la volonté générale à titre de source de légitimation politique.

7.3.1 La limitation du pouvoir judiciaire Il ressort des investigations menées dans ce mémoire que l’argument de la volonté du peuple se retrouve au cœur de la lutte de pouvoir contre le corps judiciaire, à laquelle s’adonne le gouvernement Harper. Celui-ci légitime la restriction du pouvoir judiciaire, notamment par le truchement des peines minimales180, sur les prétendues revendications des Canadiens : « En adoptant cette mesure et les dispositions relatives aux peines minimales, avec le concours des Libéraux, je l’espère, et celui des Néodémocrates, si nous réussissons à convaincre certains députés que c’est ce que les Canadiens veulent, nous enverrons un message clair aux juges » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C- 10, 2e lecture). Or, malgré les dires du gouvernement Harper, cette réduction du pouvoir discrétionnaire, tournée vers l’octroi de peines minimales, ne concorde pas avec la volonté du peuple puisque les études de cas simulés, telle celle de Roberts et coll. (2007), illustrent qu’une vaste majorité des Canadiens sont en faveur de l’individualisation des peines, notamment parce que ceux-ci comprennent que les peines minimales peuvent engendrer des injustices. Conséquemment, la restriction du pouvoir discrétionnaire judiciaire, du moins lorsqu’il est question des peines minimales, ne semble pas constituer une revendication du peuple comme peut l’affirmer le gouvernement Harper.

7.3.2 L’accentuation de la sévérité pénale Dans le cadre du programme de la loi et l’ordre du gouvernement Harper, mes analyses suggèrent que la volonté du peuple est récurremment utilisée afin d’asseoir une accentuation de la sévérité pénale, une réalité qui sera dépeinte, ici, à travers les transformations relatives au régime de condamnation avec sursis181. Le gouvernement Harper emploie en effet l’argument de la volonté du

179 Pour plus de détail, voir la section 4.4.2. 180 Les autres restrictions du pouvoir discrétionnaire, telles que celles qui découlent de l’ajout du principe de dissuasion et de dénonciation dans la justice pour mineurs, n’ont pas été abordées par le prisme de l’argument de la volonté du peuple puisque celles-ci ont réduit le pouvoir discrétionnaire plus subrepticement. 181 Au-delà du sursis, l’argument de la volonté du peuple a été repéré dans les débats portant sur les transformations relatives aux peines minimales en matière de drogues, d’armes à feu, pour les crimes d’ordre

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peuple pour assoir sa réforme sur le régime du sursis : « Au fil des années, la population a perdu confiance dans le bien-fondé des ordonnances de sursis en raison du large éventail d'infractions qui ont fait l’objet de peines avec sursis, dont celles passibles des peines maximales prévues dans le Code criminel. Le gouvernement a répondu à ces préoccupations en présentant le projet de loi C-9 [projet de loi mort au feuilleton repris dans le projet de loi C-10] » (Shelly Glover, Parti conservateur, C-10, 2e lecture). Plus précisément, les députés conservateurs affirment réduire l’application du sursis pour les crimes graves ou de nature violente : « Ce gouvernement est attentif aux préoccupations des Canadiens et des Canadiennes qui ne veulent plus voir l'emprisonnement avec sursis utilisé lors de crimes graves, qu'ils soient commis avec violence ou reliés à la propriété » (Robert Goguen, Parti conservateur, C-10, 2e lecture). Loin d’être appuyées sur des données factuelles, une série de recherches viennent récuser ces assertions selon lesquelles les Canadiens souhaitent une réduction du recours aux peines d’emprisonnement avec sursis. À ce sujet, la première variable à considérer afin de décortiquer les attitudes du peuple canadien à l’égard du régime de condamnation avec sursis est la compréhension très limitée des Canadiens relativement à l’application de la peine de sursis et de ses incidences. Selon l’étude de Roberts et LaPrairie (2000) 182, plus de 52 % de la population canadienne n’est pas en mesure de définir adéquatement les peines d’emprisonnement avec sursis. À la lumière de cette mécompréhension, les sondages d’opinion qui attestent que la population canadienne souhaite un appareil pénal plus répressif ne devraient pas être généralisés au régime de condamnation avec sursis. D’ailleurs, lorsque l’incarcération avec sursis est expliquée aux Canadiens, dans des études de cas simulés, l’appui de la population à l’endroit du sursis peut grimper jusqu’à 77% pour des infractions violentes telles que les voies de fait (Roberts, Doob et Marinos, 1999; Sanders et Roberts, 2000).

Au-delà de son appui aux crimes violents plus « mineurs », il appert qu’une portion importante du public canadien est prête à avaliser l’octroi de l’emprisonnement avec sursis dans le cas d’infractions violentes « graves » 183 si les conditions de remise en liberté s’avèrent assez strictes (Roberts, Antonowicz et Sanders, 2000; Sanders 2002). Soulignons également qu’en dépit des dires du

sexuel et en matière de conduite avec facultés affaiblies. Il sous-tend aussi les transformations relatives à la justice pour mineurs, aux casiers judiciaires, au processus d’octroi des libérations conditionnelles, tout comme les mesures concernant les renversements du fardeau de la preuve, l’abolition de la procédure d’examen expéditif et ainsi que l’âge du consentement sexuel. 182 Notons que les études employées pour illustrer le taux d’appui au régime de condamnation avec sursis datent de plusieurs années. Aucune nouvelle recherche n’a été conduite à ce sujet. Conséquemment, aucune donnée ne peut indiquer des changements ou bien contredire les chiffres qui sont cités ci-haut. 183 Il s’agit, ici, des crimes « graves » pour lesquels un emprisonnement avec sursis peut être octroyé. À titre d’exemple, une peine pour un meurtre au premier degré ne peut pas engendrer une peine d’incarcération avec sursis et a donc été exclue des études de Roberts, Antonowicz et Sanders (2000) et de Sanders (2002).

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gouvernement Harper, la section du projet de loi C-10 relative à l’incarcération avec sursis n’est pas circonscrite aux crimes graves, puisqu’elle interdit, entre autres, l’application du sursis pour des crimes pouvant revêtir un caractère plus « mineur », tel que le harcèlement criminel, le vol d’un véhicule à moteur ou encore la présence illégale dans une maison d’habitation.

Pour nuancer davantage, remarquons que l’octroi de l’emprisonnement avec sursis pour des crimes de nature sexuelle engendre une réprobation généralisée chez près de 97 % des Canadiens (Roberts, Doob et Marinos, 1999; Sanders et Roberts, 2000). Le projet de loi C-10 ajoute l’agression sexuelle à la liste des infractions pour lesquelles une peine d’emprisonnement avec sursis ne peut plus être octroyée. Conséquemment, la proscription du sursis pour les agressions sexuelles relève d’une opinion généralisée. Or, il semble s’agir du seul crime, énuméré dans la section 4 du projet de loi C- 10, pour lequel des données probantes attestent que cette réforme est souhaitée par le peuple canadien. Somme toute, deux constats émergent de l’analyse de la transformation du régime de condamnation avec sursis. Premièrement, le gouvernement Harper attribue à tort des intentions répressives au peuple canadien en ce qui a trait au régime de condamnation avec sursis. Deuxièmement, cette administration traite de la réduction de l’octroi du sursis pour les crimes jugés les plus graves, mais généralise subrepticement sa réduction pour plusieurs autres types de crimes moins graves. Non sans rappeler les analyses sur l’instrumentalisation de la victime, l’accentuation de la sévérité pénale au nom de la volonté du peuple revêt donc, elle aussi, une connotation instrumentale.

Il émerge des analyses de ce mémoire que le gouvernement Harper assied et légitime la réduction du pouvoir discrétionnaire des juges et le durcissement du régime pénal sur la prétendue volonté du peuple. En dépit des dires de cette administration, les analyses de ce mémoire illustrent toutefois que ces réformes ne concordent pas systématiquement avec les doléances et les attentes du peuple canadien. Par voie de conséquence, il appert que le gouvernement Harper instrumentalise la « volonté du peuple » à des fins politiques, une instrumentalisation du peuple qui constitue une facette fondamentale du populisme (Taguieff; 2007; Jamin, 2017) et du populisme pénal (Pratt, 2007). L’instrumentalisation de la volonté du peuple n’est toutefois pas l’unique composante reliée à la question du « peuple » dans l’ancrage populiste du gouvernement Harper. En basant et en légitimant ses politiques sur les attentes et les désirs du peuple, qu’ils soient réels ou imaginés, le gouvernement Harper transfère, à un certain point, la légitimité de la production législative pénale vers le peuple. Plus précisément, les Conservateurs avancent que leurs politiques émanent de monsieur et madame Tout-le-monde et sont basées sur le « gros bon sens » des gens dits ordinaires : «L'important, c'est que nous écoutions nos électeurs, que nous nous inspirions du bon sens des gens de tous les jours,

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quelle que soit leur affiliation politique, notamment quand ils nous disent que ceux qui commettent un crime devraient être punis et que les Canadiens devraient être protégés, que les victimes devraient être protégées » (Candice Hoeppner, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Loin d’être sans impact, un tel transfert de la légitimité de la production législative constitue également une manifestation du désaveu à l’endroit de l’élitisme pénal, autre aspect prédominant du populisme pénal (Shammas, 2016).

7.4 La mésestime des experts et des savoirs : Ériger des politiques non-éclairées Corollaire de la nouvelle légitimité en matière de production législative de nature pénale accordée au peuple, il ressort des analyses de ce mémoire que la mésestime des experts et des savoirs scientifiques184 constitue une autre facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Ceci correspond d’ailleurs à la quatrième dimension du populisme pénal discutée dans le chapitre quatre. En se détournant des experts et de leurs compétences pour plutôt produire des législations pénales érigées sur les prétendues revendications sociales, le gouvernement Harper nie en quelque sorte la pertinence de l’expertise des experts dans la fabrication des normes pénales. Or, comparativement à ce qui a été avancé plus tôt dans la description du populisme et du populisme pénal, le rejet des savoirs scientifiques, chez le gouvernement Harper, ne se pas matérialise pas à travers des remarques conspuant l’élitocratie intellectuelle, du moins pas dans les politiques analysées. Les députés conservateurs tentent peu de légitimer leurs réformes par le truchement de l’anathémisation des experts. La portée antiélitiste des politiques analysées est plutôt constituée d’une non-considération des élites et de leurs savoirs experts. À cet égard, la mésestime et le rejet des élites et des connaissances scientifiques se matérialisent en trois grandes tendances.

Primo, lorsque les partis adverses confrontent les députés conservateurs à l’aide de recherches ou en citant des experts, ces derniers esquivent ces remarques en parlant des doléances punitives des Canadiens, en affirmant défendre les victimes ou en changeant simplement de sujet. Cette première tendance est, en quelque sorte, constituée soit par une absence de référence aux experts dans les débats parlementaires ou par des pratiques discursives d’évitement et ne peut donc être exemplifiées explicitement par des extraits des débats.

184 Les limites de ce mémoire ne permettent pas d’aborder certaines questions épistémologiques sous-tendant l’utilisation du terme « scientifique » et ses dérivés, questions qui ont notamment pour but d’évaluer ou de critique la rigueur, les critères de validité, la valeur et la portée objective des savoirs scientifiques. Je ne réfère donc au terme « scientifique » que pour caractériser les savoirs « savants » provenant de la recherche et les distinguer des idées d’autres provenances « profanes » (par ex. religion, traditions, savoirs localisés, etc.).

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Secundo, bien que les députés conservateurs réfèrent, lors des travaux parlementaires, à une série de groupes d’intérêts, aucun de ces groupes n’est relié à une expertise scientifique. Les groupes d’intérêts qui sont régulièrement utilisés à titre de soutien sont principalement les différentes associations policières ainsi que les groupes provictimes (ex. Kids Internet Safe Alliance, Association des familles de personnes assassinées ou disparues, etc.). Le recours à de tels groupes n’est pas surprenant puisque les associations policières et certains groupes provictimes peuvent entretenir des attitudes et des opinions en faveur d'une amplification de la sévérité pénale (Fielding, 1991; Fattah, 2010). Non seulement les députés conservateurs appuient-ils leurs politiques sur ces groupes d’intérêts, mais ils affirment, même, que lesdits groupes sont les « experts » en matière de criminalité et de justice pénale, et ce, que ce soit les victimes : « J'ai écouté beaucoup d'experts dans le domaine [le député réfère, ici, aux peines en matière de crimes violents et contre les enfants] et, souvent, ce sont les victimes de crimes » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture), ou encore les policiers « Je répondrai maintenant à l'autre question du député à propos des experts en reconnaissance de drogues. Nous avons pris les mesures nécessaires pour que les agents de police aient les outils dont ils ont besoin. La police nous a demandé les mesures législatives contenues dans le projet de loi » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Tertio, en érigeant et en légitimant ses réformes sur une série de préconçus, tels que l’idée qu’une sévérité pénale accrue représente un facteur de dissuasion plus puissant, il s’avère criant que le gouvernement Harper cherche peu, ou pas, à fonder ou cautionner ses réformes sur des savoirs scientifiques. Dans l’optique d’exemplifier que l’ancrage populiste du gouvernement Harper se constitue à travers un rejet et une mésestime des savoirs experts185, je me concentre, dans les sections ci-dessous, à dépeindre certaines des connaissances sociologiques et criminologiques les plus importantes qui sont esquissées, occultées ou rejetées lors de la construction et de la défense des politiques analysées.

7.4.1 La limitation du pouvoir judiciaire Au-delà des impératifs politiques et de la mésestime des juges qui sous-tendent la lutte de pouvoir du gouvernement Harper contre l’organe judiciaire, la réduction du pouvoir discrétionnaire des juges

185 Les savoirs experts peuvent provenir de plusieurs types d’experts, tels que les scientifiques, les fonctionnaires spécialisés, les juristes, etc. Dans le cadre de ce mémoire à cadre limité, je me concentre sur les savoirs experts provenant des scientifiques.

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met en exergue que les politiques pénales analysées se détournent des acquis scientifiques qui témoignent que l’individualisation de la peine est nécessaire à un traitement égalitaire des condamnés.

7.4.1.1 L’individualisation de la peine : Source du traitement égalitaire À priori, l’individualisation de la peine et l’égalité de la peine peuvent sembler antithétiques dans la mesure où l’égalité peut être comprise comme l’attribution de la même peine pour le même acte et l'individualisation comme l’octroi, pour un même acte, de peines personnalisées et donc différentes (Barberger, 2001). Or, il y a près de 100 ans, Raymond Saleilles (1927) fut un des premiers à affirmer que « l’individualisation ne s’oppose pas à l’égalité, au contraire, c’est un moyen au service de l’égalité, dans une perspective de justice » (Barberger, 2001 : 209). Basant sa réflexion sur l’idée que les justiciables ne sont pas égaux dans leur degré de responsabilité, Saleilles postula que les peines doivent être proportionnées au degré de responsabilité pour être considérées comme égales. Bien au- delà du degré de responsabilité, la formule « une même peine pour un même acte » ne peut s’avérer juste et égale que si l’ensemble des personnes criminalisées se trouve sur un pied d’égalité devant la loi, qui n’est pas, rappelons-le, axiologiquement neutre. Concrètement, ceci impliquerait que les justiciables aient les mêmes caractéristiques biopsychosociales, proviennent de la même classe sociale, soient tous imbriqués dans les mêmes relations sociales genrées et racisées, etc. Or, ces conjonctures sont bien loin de constituer la réalité actuelle. De ce fait, lorsque les politiques pénales ne permettent pas de prendre en considération le positionnement social particulier de chaque accusé, ou ne permettent pas au juge de le faire, les peines s’avèrent beaucoup plus préjudiciables pour les personnes marginalisées et défavorisées. Cette portée discriminatoire est, d’ailleurs, largement connue dans les milieux scientifiques, comme en témoignent les ouvrages phares de Wacquant (2004), Reiman, (2007), Alexander, (2010), pour ne nommer que ceux-ci. Conséquemment, en limitant l’individualisation de la peine, notamment par le truchement des peines minimales, il appert que le gouvernement Harper considère peu les acquis scientifiques.

7.4.2 L’imposition de valeurs conservatrices Il ressort des politiques analysées que le gouvernement Harper favorise, en augmentant le quantum de plusieurs peines relatives aux stupéfiants, la pérennisation d’une logique prohibitionniste en matière de drogues sans tenir compte du nombre grandissant de recherches qui témoignent de l’inefficacité et des conséquences d’une telle approche (Beauchesne, 2003). Parallèlement, en prohibant certaines relations entre les adolescents et les adultes, cette administration balaie également du revers de la main les multiples conséquences, dont certaines sont d’ailleurs décrites ci-bas, que

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peut occasionner la criminalisation de la sexualité adolescente, du moins certaines formes de ladite sexualité.

7.4.2.1 Répéter l’échec des Wars on Drugs L’histoire étatsunienne a révélé que les croisades politico-pénales contre la drogue se soldent non seulement en un échec sur le plan de la santé publique (Beauchesne, 2003), mais qu’elles se transforment également en un levier d’exacerbation des pratiques discriminatoires de l’appareil pénal (Alexander, 2010). Au-delà de l’exemple étatsunien, les politiques de lutte contre la drogue ont donné lieu à un imposant corpus de recherche qui révèle que les conséquences de la prohibition transcendent largement les bienfaits de celle-ci. Pour ne nommer que quelques exemples de ces effets néfastes, la prohibition donne un pouvoir économique et politique à des organisations « criminelles », elle contrecarre le contrôle de la qualité des produits, elle force les consommateurs à s’approvisionner dans des milieux violents, elle ne diminue pas les taux de consommation, elle occasionne une répression discriminatoire des consommateurs, elle engendre des peines disproportionnelles par rapport à la gravité de l’infraction, elle s’avère coûteuse, etc. (Carrier, 2004). À l’inverse de la répression, les recherches soulignent que les diverses méthodes de prise en charge médico-sociale des usagers ou encore l’approche de la réduction des méfaits186 s’avèrent beaucoup efficaces pour diminuer la consommation et les conséquences personnelles et sociales de celle-ci (Beauchesne, 2003). Sans considération pour ces savoirs, le gouvernement Harper accentue, notamment par le biais des politiques étudiées, l’usage de la force pénale à l’égard des consommateurs et des trafiquants, engendrant ainsi sa propre guerre à la drogue. Si, à priori, il pouvait paraître saugrenu, pour le gouvernement Harper, de se lancer dans une telle croisade après les nombreux constats d’échec émis à l’encontre de la logique prohibitionniste, Savard (2018) rappelle que la prohibition n’a jamais été une question de santé publique, mais bien d’idéologie et de pouvoir. En effet, sous un regard sociologique, il ressort que les différents systèmes de prohibition sont régulièrement fondés sur des logiques intéressées et de rapports de pouvoir asymétriques qui permettent à certains groupes d’obtenir et de conserver des ressources importantes ainsi que du pouvoir.

7.4.2.2 La criminalisation de la sexualité adolescente : Pas plus de protection, mais plus de risques Rappelons que l’augmentation de l’âge du consentement sexuel n’offre pas de protection supplémentaire aux mineurs. Au-delà de cette inefficacité, il appert que cette réforme ouvre la porte

186 À titre d’exemple, les sites d’injections supervisées sont prisés par les experts pour leurs effets bénéfiques sur le plan de la santé publique et la diminution de la consommation. Le gouvernement Harper s’oppose toutefois à leur implantation (Kerr et coll., 2017).

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à plusieurs risques, sur le plan de la santé, pour les mineurs. Les recherches étatsuniennes soulignent que les diverses formes de criminalisation de la sexualité adolescente ne dissuadent pas les principaux intéressés de s’y adonner, elles les poussent simplement à agir dans le secret. Sous le joug de ces formes de criminalisation, les adolescents, et principalement les adolescentes, sont ainsi plus susceptibles de contracter des infections transmissibles sexuellement ou d’avoir des grossesses non- planifiées (Fine et McClelland, 2006; Rahders, 2015). Comparativement aux États-Unis, les adolescents canadiens peuvent toutefois recourir aux services de santé sans dévoiler l’âge de leur partenaire. Or, selon Wong (2006), rien n’indique que les adolescents connaissent ce droit à la « confidentialité ». Dès lors, comme le mentionnent Desrosiers et Bernier (2009), à la suite de la réforme harperienne sur le consentement sexuel, les adolescents qui entretiennent des relations avec un adulte risquent de ne plus recourir aux services d’éducation sexuelle ou de consultation médicale de peur que leur partenaire soit judiciarisé. D’ailleurs, lors de la mise en place de ce projet de loi, la Société canadienne du sida et la Fédération canadienne pour la santé sexuelle avaient mené une campagne pour décrier qu’une telle réforme ferait indubitablement augmenter les infections transmissibles sexuellement et les grossesses non-planifiées chez les adolescentes (Wong, 2006). Le gouvernement Harper ne semble pas avoir pris ces savoirs experts en considération, car aucun de ces groupes d’intérêts n’est évoqué dans les débats parlementaires par les Conservateurs; seuls les Néodémocrates évoquent ces groupes d’intérêts.

7.4.3 L’accentuation de la sévérité pénale À travers plusieurs prismes, ce mémoire s’inscrit en faux contre l’alourdissement de l’arsenal répressif et critique plus largement l’efficacité et les incidences de l’approche Tough on Crime du gouvernement Harper. Qu’il s’agisse des lacunes de la dissuasion, de la fonction symbolique de plusieurs mesures pénales, de la portée discriminatoire de (sur)pénalisation à l’ère néolibérale, et de bien d’autres aspects inopérants et néfastes de la sévérité pénale, ce mémoire tente de déconstruire plusieurs préconçus corollaires à ladite sévérité. Ces critiques sont appuyées sur un large pan d’écrits scientifiques, tels que les ouvrages de Fattah (1976), Dubé (2012), Travis et Western (2014), Mallea, (2015), pour ne nommer que ceux-ci. À l’inverse, les écrits scientifiques, concernant les pratiques de libérations anticipées et des mesures correctionnelles communautaires corrélatives, témoignent de l’efficacité en matière de réhabilitation et de réduction des taux de récidive des approches pénales davantage axées sur la réinsertion sociale. Je m’attarde, dans la section ci-dessous, aux résultats probants desdites pratiques.

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7.4.3.1 Les libérations anticipées : Des résultats éloquents Qu’il s’agisse du projet de loi C-59 abolissant la procédure d’examen ou des modifications de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition tributaires du projet de loi C-10, le gouvernement Harper tente de limiter les libérations anticipées dans l’espoir de protéger les Canadiens : « Monsieur le Président, il faut d’abord et avant tout penser aux Canadiens. Si nous voulons que nos collectivités soient sûres, nous devons entre autres, garder les criminels dangereux en prison, non leur accorder une libération anticipée » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C- 59, 2e lecture). Cet extrait des travaux parlementaires, qui est représentatif de plusieurs autres témoignant de la primauté accordée à la protection de la société, suggère que le gouvernement Harper appuie la réduction des pratiques de libération anticipée sur la présomption que les personnes criminalisées qui se retrouvent derrière les barreaux n’ont plus la possibilité de commettre de crime. Les références à la neutralisation sont nombreuses dans les débats parlementaires : « Les criminels qui sont en prison ne commettent pas de crimes contre les gens qui respectent la loi » (Robert Goguen, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Outre le député Goguen, le ministre de la Sécurité publique stipule aussi que : « Si nous voulons que nos collectivités soient sûres, nous devons entre autres, garder les criminels dangereux en prison, non leur accorder une libération anticipée » (Vic Toews, Parti conservateur du Canada, C-59, 2e lecture). Si une telle affirmation s’avère, à priori, véridique, elle travestit toutefois la réalité, en occultant le fait que les détenus retournent, à moins de décès, presque invariablement dans la communauté un jour ou l’autre. À cet égard, les études témoignent que les pratiques de libération anticipée sous surveillance et les mesures correctionnelles communautaires qui y sont attachées sont plus efficaces pour protéger les citoyens que la simple coercition auprès des condamnés (Cousineau, Lemire, Vacheret et Dubois, 2002; Sellin, 2003 ; Cullen, Jonson, et Nagin, 2011). Non sans raison, cette efficacité est notamment tributaire du laps de temps accordé aux intervenants afin de mieux encadrer les libérés lors de leur retour en communauté. En d’autres termes, plus une personne est libérée tôt, plus elle bénéficie des accompagnements et du soutien des professionnels qui lui permettent de surmonter les obstacles et d’éviter les dérives qui pourraient engendrer une récidive. D’ailleurs, statistiquement parlant, plus une personne est libérée tardivement dans sa peine, plus les risques de récidive sont importants (Cousineau, Lemire, Vacheret et Dubois, 2002). À l’inverse, la Commission des libérations conditionnelles du Canada avait publié des données longitudinales illustrant que 94 % des personnes ayant bénéficié d’une libération conditionnelle, entre 2002 et 2012, n’avaient commis aucune nouvelle infraction au cours de leur période de surveillance. Sur les 6 % ayant récidivé, seul

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1 % avait commis une récidive de nature violente 187. Ces chiffres, fort éloignés de la violence généralisée que le gouvernement Harper attribue aux personnes en libération conditionnelle témoigne du fait que les pratiques de libération anticipée ne sont pas simplement sécuritaires, mais qu’elles le sont davantage que le maintien en incarcération. Évoquant peu de recherches ou de statistiques, et se détournant des critiques des partis adverses, principalement celles des néodémocrates, qui déconstruisent les fondements de la neutralisation, le gouvernement Harper répète mécaniquement que l’incarcération constitue la mesure suprême servant à protéger les Canadiens.

Les données analysées suggèrent que le gouvernement Harper ne bâtit ni ne cautionne ses politiques sur les savoirs experts, hormis celui de certains types de victimes. Les limites de ce mémoire ne permettent pas d’aborder les autres types de savoirs experts dont le gouvernement Harper fait fi tels que ceux des juristes ou des intervenants de première ligne bien que les Libéraux, mais surtout les Néodémocrates, basent régulièrement leurs critiques sur ces types d’expertise, tels que l’Association du barreau canadien, l'Association canadienne de justice pénale, le Syndicat des agents correctionnels, les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, etc. Néanmoins, les extraits analysés permettent d’affirmer que la mésestime et le rejet des savoirs des experts, régulièrement reliés au populisme pénal (Garland, 2001; Shammas, 2016), constituent une autre facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

7.5 La prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale : Les impératifs politiques au-delà des retombées concrètes Il a été explicité, dans le chapitre six, que les dispositions législatives des trois politiques pénales échantillonnées culminent presque systématiquement vers un durcissement du régime pénal, et ce, qu’il s’agisse de l’objectif central desdites mesures législatives ou bien de conséquences corollaires. Or, si le populisme pénal est relié à la sévérité pénale, la sévérité pénale n’est, quant à elle, pas indubitablement populiste. Pour relever du populisme, ladite sévérité doit revêtir un caractère symbolique et expressif (Newburn et Jones, 2005; Pratt, 2007), ce qui correspond d’ailleurs à la sixième dimension du populisme pénal discuté dans le chapitre quatre. À cet égard, les investigations menées dans ce mémoire permettent de mettre en lumière la prééminence accordée à la fonction expressive et symbolique de l’action pénale par le gouvernement Harper. Loin d’être indélibérée,

187 Ces chiffres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada sont ceux rapportés par Martel (2018).

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cette prééminence place la pénalité au centre de l’espace politique, constituant ainsi une autre manifestation de la primauté des impératifs politiques dans les politiques analysées.

Les précédentes analyses du chapitre six ont déjà témoigné, indirectement, que les dispositions législatives des politiques étudiées misent presque invariablement sur le caractère expressif de l’action pénale dans la mesure où ces dispositions instituent des peines plus comminatoires et durcissent certaines pratiques pénales corrélatives, témoignant ainsi du rigorisme et de l’inexorabilité du gouvernement Harper à l’égard des individus criminalisés. Plus précisément, au-delà des sections traitant des questions internationales qui ont été laissées de côté, seules les réformes concernant les tests de dépistage des drogues dans le cas de conduites avec facultés affaiblies ainsi que les quelques « privilèges » accordés aux victimes ne sont pas axées sur le caractère expressif de la réponse pénale. Expressives, certaines mesures législatives s’avèrent également symboliques au sens où elles n’apportent qu’une sévérité supplémentaire sans se soucier de leurs retombées concrètes et opérationnelles sur la criminalité et la justice pénale. En d’autres termes, la connotation symbolique peut être attribuée à une mesure législative qui répond surtout à des objectifs latents, tel que donner l’impression aux citoyens que le gouvernement agit et sévit vis-à-vis de la criminalité, sans toutefois se préoccuper des objectifs manifestes et des résultats concrets, comme la diminution des taux de criminalité. Soulignons que si une loi pénale peut s’avérer expressive, sans être symbolique, une loi pénale symbolique s’avère, quant à elle, invariablement expressive. Pour nuancer davantage je m’attarde, dans cette section, à exemplifier la portée symbolique de certaines mesures législatives188 qui ont peu, ou pas, d’effet sur la criminalité et son traitement, mais qui permettent toutefois au gouvernement Harper d’illustrer son intransigeance morale à l’égard de la criminalité et des personnes criminalisées.

7.5.1 L’accentuation de la sévérité pénale Dans l’intention de montrer que certaines mesures législatives analysées ont comme unique impact de frapper l’imagination du public et non d’engendrer des retombées opérationnelles, je m’attarde ici à deux réformes visant l’accentuation de la sévérité pénale. La première réforme ayant une portée symbolique est celle relative à la section 1 du projet de loi C-2 qui introduit de nouvelles peines minimales pour les infractions graves commises à l’aide d’une arme à feu, une réforme qui, selon les

188 Je ne dresse pas une liste des mesures législatives symboliques puisqu’il serait possible de prétendre que la quasi-entièreté des dispositions introduites par le gouvernement Harper revêt une certaine connotation symbolique dans la mesure où certains pourraient affirmer qu’une mesure fondée sur la dissuasion s’avère symbolique en considération de l’inefficacité de ladite dissuasion. Pour ce mémoire, je ne décris que certaines des mesures législatives symboliques dont les résultats étaient le plus détournés de leurs objectifs manifestes.

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dires du ministre de la Justice, a pour but d’assurer la sécurité des Canadiens, tel que le sous-entend l’extrait suivant: « Nous avons promis de nous attaquer à la criminalité et de renforcer la sécurité lorsque nous avons formé le gouvernement et nous avons tenu parole. Depuis notre arrivée au pouvoir, nous avons présenté plusieurs mesures législatives clés, dont la Loi sur la lutte contre les crimes violents, qui met notamment fin aux peines clémentes envers ceux qui commettent des crimes graves ou violents au moyen d'armes à feu » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture). Soulignons d’abord, qu’ici, la « protection » signifie dissuader189 les justiciables qui seraient de tenter de commettre une infraction à l’aide d’une arme à feu. Au-delà de l’effet dissuasif limité de la sanction pénale, le ministre de la Justice ne mentionne pas que les crimes commis à l’aide d’une arme à feu sont déjà sévèrement châtiés à travers une quarantaine de peines minimales. À titre d’exemple, une agression sexuelle armée était, avant le projet de loi C-2, sanctionnée d’une peine minimale de quatre ans. À la suite, du projet de loi C-2, la nouvelle peine minimale pour ce même crime avait grimpé à cinq ans. Concrètement, il s’agit donc de présumer qu’une peine de quatre ans d’emprisonnement n’avait pas d’effet dissuasif comparativement à une peine de cinq ans, ce qui semble plutôt inepte sur le plan rationnel. Christie (1982) démystifie, à l’aide d’une analogie intéressante, la mobilisation d’une « douleur » accrue comme argument discursif justifiant l’augmentation du quantum des peines. Selon lui, la punition va jusqu’à un certain point moduler et orienter l’action, tout comme un four chauffé au rouge va généralement dissuader une personne d’y toucher. Toutefois rien ne laisse envisager qu’un four chauffé à 300 oC posséderait un effet dissuasif plus puissant qu’un four chauffé à 200 oC. Christie estime que la même logique est applicable à la « douleur » engendrée par l’augmentation d’une peine quelconque.

Loin de passer inaperçue, cette technique politique du gouvernement Harper qui vise à illustrer son action, mais qui n’apporte aucune retombée opérationnelle ou efficace, est la cible de plusieurs critiques : « Le problème dans le débat que nous avons présentement tient notamment au fait que les Conservateurs laissent croire que, d’une manière ou d’une autre, il n'existe aucune loi à cet égard, que nous créons actuellement des lois et que, sans ces lois, c'est la catastrophe. Or, il existe déjà des lois très sévères, qui sont contenues dans le Code criminel » (Libby Davies, Nouveau Parti démocratique, C-10, 2e lecture).

189 Face aux critiques des partis adversaires qui déconstruisent la dissuasion, les députés conservateurs parlent régulièrement de protection ou de prévention, mais qui sont simplement une manière déguisée de parler de dissuasion.

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Une autre démonstration de la portée symbolique de certaines mesures législatives analysées est le renversement du fardeau de la preuve dans le cadre des enquêtes sous cautionnement, une réforme qui est notamment appuyée sur la nécessité de protéger le public : « Il s'agit du renversement du fardeau de la preuve pour ceux qui ont commis un crime avec une arme à feu. Il arrive trop souvent que, très peu de temps après avoir commis un tel crime, son auteur soit libéré en attendant son procès. Dans nombre de cas, le délinquant en profite pour faire une victime au dépanneur du coin » (Rob Moore Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture). Symbolique, cette réforme a peu d’effets concrets, puisque, selon l’Association du Barreau canadien (2007), les auteurs d’actes criminalisés graves qui représentent un danger de récidive voyaient déjà leur remise en liberté sous caution refusée de manière systématique, principalement si l’infraction était reliée à une arme à feu. Au bout du compte, le seul impact de cette réforme est, selon l’Association du Barreau canadien, l’augmentation des contestations constitutionnelles.

Ne se limitant pas à la démonstration de l’intransigeance conservatrice en matière de répression de la criminalité, les analyses suggèrent également que la fonction symbolique de la réponse pénale peut répondre simultanément à plusieurs objectifs latents, tels que l’imposition de valeurs morales conservatrices. Cette fonction est abordée dans la section suivante.

7.5.2 L’imposition de valeurs conservatrices Aux dires du gouvernement Harper, l’objectif manifeste de la hausse de l’âge du consentement sexuel est de punir plus facilement et plus sévèrement les « prédateurs » sexuels et donc de protéger les mineurs, tel que le souligne l’extrait suivant : « Les députés de ce côté-ci [députés conservateurs] disaient qu’il y aurait lieu de faire passer de 14 à 16 ans l’âge du consentement sexuel afin de protéger les jeunes des prédateurs adultes » (Pierre Poilievre, Parti conservateur du Canada, C-2, 3e lecture), ainsi que cet autre extrait de l’intervention du ministre de la Justice : « Ce projet de loi [C-2] contient de bonnes dispositions. Une de mes préférées est celle qui vise à faire passer à 16 ans l'âge du consentement sexuel afin de protéger les adolescents de 14 et 15 ans contre les prédateurs sexuels » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport). Au-delà de la question générale des « prédateurs », les députés conservateurs mettent aussi l’accent sur les prétendus « prédateurs » qui sévissent à l’aide d’Internet : « Je milite en faveur de la hausse de l'âge du consentement aux relations sexuelles au Canada pour protéger nos adolescents contre la menace des prédateurs sexuels sur Internet » (Pierre Poilievre, Parti conservateur du Canada, C-10, Étude de rapport).

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Il s’agit toutefois d’objectifs manifestes vides d’effets concrets puisque le Code criminel criminalise déjà les formes d’exploitation et d’agressions sexuelles visées par cette réforme, les mineurs s’avérant, par le même fait, déjà protégés. Comme le soulignent Desrosiers et Bernier (2009), bien avant le projet de loi C-2, l’article 172.1 du Code criminel punissait toute personne utilisant Internet afin de leurrer, à des fins sexuelles, un mineur. De la même manière, ces auteurs rappellent que préalablement au projet de loi C-2, les mineurs ne pouvaient pas consentir à des contacts sexuels avec des adultes en situation d’autorité ou de confiance avant l’âge de 18 ans. De ce fait, les adultes ne pouvaient user de leur statut ou de leur pouvoir afin d’exploiter sexuellement les mineurs. En d’autres termes, la magistrature possédait déjà le pouvoir de condamner toute forme d’exploitation sexuelle des mineurs. La présente réforme ne fait donc que retirer, des mains du juge, le pouvoir d’apprécier la nature de la relation et donc d’infirmer ou de confirmer la présence d’exploitation. Dès lors, à la suite de la présente réforme les juges peuvent être dans l’obligation de condamner un adulte qui entretenait une relation consensuelle avec un adolescent et qui ne relevait pas de l’exploitation ou de la prédation. Sous un certain angle, il s’agit donc, en quelque sorte, d’une criminalisation de l’autonomie sexuelle des adolescents à des fins politiques. Bien qu’elle n’offre aucune protection supplémentaire, la présente réforme se matérialise en un témoignage de l’intransigeance du gouvernement Harper à l’égard des crimes sexuels et instaure des mœurs sexuelles plus strictes, soit des finalités latentes à des années-lumière de l’objectif manifeste de protéger les adolescents des prédateurs sexuels qui sous-tend la présente réforme.

Auréolée d’un caractère expressif ostentatoire, la quasi-entièreté des mesures législatives introduites dans les politiques pénales est destinée à montrer, par le biais d’actions cathartiques, que le gouvernement Harper agit et sévit contre la criminalité. Or, il a été argué que certaines de ces dispositions sont érigées indépendamment de leurs retombées opérationnelles sur la prévalence des actes délictueux et sur l’efficacité de la justice pénale. Se détachant des objectifs manifestes, ces politiques répondent plutôt à des objectifs latents tels que l’accentuation de la sévérité pénale et le resserrement des mœurs en matière sexuelle. De surcroît, bien qu’il soit impossible de confirmer une telle hypothèse à l’aide des travaux parlementaires, la mise en parallèle de cette portée expressive et symbolique des politiques analysées avec les éléments précédemment abordés dans ce mémoire, laisse entendre qu’un des objectifs latents sous-tendant cette manifestation de sévérité pourrait résider dans l’acquisition d’un capital politique. Somme toute, la prééminence du caractère expressif et symbolique de la réponse pénale, dimension constitutive du populisme pénal (Newburn et Jones, 2005; Pratt, 2007), constitue une autre facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

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7.6 Les faits divers à titre de moteur législatif : Réprimer au nom de l’anecdote Une autre dimension souvent associée au populisme pénal (voir la section 4.4.2), principalement dans l’arène politique étatsunienne, est l’utilisation des faits divers à titre de moteur législatif et de source de légitimation politique (Lamalice, 1996). Très élémentaire, la mobilisation des faits divers se matérialise en des mesures législatives fondées ou légitimées sur un ou des crimes particuliers et spectaculaires ayant généralement fait l’objet d’une forte médiatisation. Pour susciter un intérêt sur le plan politique, lesdits faits doivent généralement avoir donné naissance à une gamme d’émotions vindicatives et à des sentiments d’insécurité (Lamalice, 1996). Dans cette foulée, il appert que plusieurs faits divers stimulent et orientent le programme législatif du gouvernement Harper, tout comme ils représentent une source de légitimation pour la surenchère pénale que cette administration introduit par l’entremise des trois politiques pénales retenues. Pour exemplifier plus finement que le gouvernement Harper assied l’accentuation de la sévérité pénale sur des faits divers, je détaille, la section ci-dessous détaille deux exemples de faits divers qui revêtent une grande importance dans les politiques pénales analysées.

7.6.1 L’accentuation de la sévérité pénale : Sébastien Lacasse et Earl Jones : Les visages du populisme harperien Le premier fait divers de grande importance dans les politiques étudiées est celui du meurtre de Sébastien Lacasse. Cette affaire est utilisée dans la section huit du projet de loi C-10, dont le point de mire est le durcissement de la justice pour mineurs. Cette section est, en réalité, composée ad litteram des anciennes dispositions législatives de la « loi de Sébastien », précédemment morte au feuilleton, et qui avait été érigée au nom de Sébastien Lacasse, assassiné par un adolescent lors d’une soirée festive190. Non seulement ce premier projet de loi avait été nommé en considération d’un fait divers, mais le gouvernement Harper avait lui-même justifié cette réforme, dans le résumé législatif, en invoquant la nécessité de répondre aux faits divers et à leurs effets insécurisants: « Plusieurs de ces modifications législatives ont été motivées en partie par des incidents violents impliquant des jeunes qui ont fait les manchettes et qui ont contribué à l’augmentation d’un sentiment d’insécurité dans la population » (Parlement du Canada, 2012b). Ancrée dans l’obsession sécuritaire du gouvernement Harper, et misant davantage sur l’émotion que sur la raison, l’histoire de Sébastien et les autres faits

190 En 2004, Sébastian Lacasse avait déclenché une bagarre après avoir vu son ex-copine accompagnée d’un autre homme. Il fut alors battu par 13 jeunes hommes, dont certains étaient « Noirs ». Les coups de couteau mortels furent, quant à eux, portés par un adolescent de 17 ans. L’importance accordée à cet incident n’est pas étrangère à certaines caractéristiques de l’acte, soit le caractère violent et la présence d’accusés provenant de communautés ethnoculturelles. Très médiatisé, ce fait divers a même fait l’objet d’une émission de la série Un tueur si proche.

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divers traitant de jeunes accusés de crimes violents servent de pierre d’assise à la transformation de la justice pour mineurs inscrite au projet de loi C-10. Or, les transformations de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne sont pas circonscrites au cas d’espèce de ces faits divers, les crimes violents, elles frappent l’ensemble de la justice pour mineurs. Une analyse des politiques montre que certaines dispositions de la présente réforme, tels l’ajout de la dénonciation et de la dissuasion au régime de détermination de la peine et l’allongement de la liste des infractions pour lesquelles une ordonnance de placement peut être octroyée, ne se limitent pas aux crimes de nature violente. La présente réforme risque d’engendrer une diminution des mesures de déjudiciarisation, une augmentation du nombre d’adolescents incarcérés, des incarcérations sur de plus longues périodes, et ce, indépendamment de la nature de l’acte commis. Transcendant les circonstances et les caractéristiques de l’histoire de Sébastien et des autres histoires corrélatives, il appert que la mobilisation de faits divers permet au gouvernement Harper de généraliser son approche répressive.

Le second fait divers qui revêt une grande importance est, quant à lui, relié au projet de loi C-59 qui a comme point de mire l’abolition de la procédure d’examen expéditif qui permettait, notamment, aux personnes reconnues coupables d’une infraction non-violente d’obtenir une semi-liberté après avoir purgé le sixième de leur peine. Pour justifier une telle abolition, le gouvernement Harper utilise principalement le cas d’Earl Jones191 qui, lors des débats sur la présente réforme, est à la veille de bénéficier de la procédure d’examen expéditif. Les députés conservateurs répètent mécaniquement, dans 13 interventions différentes, que de telles pratiques de libération anticipée sont trop laxistes pour Earl Jones192: « Pas plus tard qu’hier, une des victimes d’Earl Jones a dit: "Jones sera libéré bien avant que quiconque d'entre nous ne reprenne ne serait-ce qu’un semblant de vie normale et ne puisse tourner la page." C’est insensé qu’un homme condamné à 11 ans de prison pour avoir ruiné la vie de plus de 158 personnes ne purge que 22 mois de sa peine » (Rick Norlock, Parti conservateur du Canada, C-59, 3e lecture).

Ne se limitant pas aux débats parlementaires, les références à Earl Jones se retrouvent même dans la section « objets du projet de loi » dans le résumé législatif : « C’est-à-dire que les délinquants condamnés avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-59 (pensons par exemple à Earl Jones)193 et qui n’ont pas purgé le sixième de leur peine au moment de l’entrée en vigueur n’auront pas droit à

191 Earl Jones fut condamné, en 2010, pour avoir créé une pyramide de Ponzi qui lui a permis de flouer 158 investisseurs pour une somme évaluée à plus de 50 millions de dollars. 192 Le cas de Vincent Lacroix est aussi rapporté par les Conservateurs, quoiqu’une importance moins grande y est accordée, probablement parce que ce dernier est déjà de retour en collectivité lors des débats concernant la présente réforme. 193 Pour éviter toute confusion, la présente parenthèse est celle du résumé législatif et non la mienne.

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l’application de la procédure d’examen expéditif » (Parlement du Canada, 2011). Or, lorsque mise en contexte, l’utilisation d’un tel fait divers, et les sentiments d’insécurité et d’exaspération que celui-ci peut inspirer, permet au gouvernement Harper d’oblitérer les réalités et des données factuelles sur les procédures d’examen expéditif194. L’étude la plus exhaustive sur la procédure d’examen expéditif illustre que sur les 3888 détenus admissibles à la procédure d’examen expéditif entre 1990 et 1996, seuls 342 (8,8%) sont condamnés pour fraudes (Grant, 1998). Sans affirmer ou infirmer que les personnes condamnées pour des fraudes de l’ampleur de celles de Earl Jones devraient bénéficier d’une libération conditionnelle au sixième de la peine, l’utilisation de ce fait divers pour abolir la procédure d’examen expéditif a pour effet de priver d’une libération anticipée tout un pan de personnes déclarées coupables d’une multitude d’autres infractions non violentes et qui n’ont rien à voir avec l’envergure de la fraude d’Earl Jones. Le gouvernement Harper est d’ailleurs au fait d’une telle dérive puisque cette critique est soulevée à plusieurs reprises par les Libéraux et les Néodémocrates : « Le projet de loi ne concerne pas seulement la fraude, mais bien toute une gamme d'infractions sans violence, y compris des infractions qui sont loin d’être très graves. Absolument rien ne nous permet de croire que le projet de loi aurait pour effet de réduire le taux de récidive » (, Parti libéral du Canada, C-59, 2e lecture). Le cas d’Earl Jones, qui succède à celui de Vincent Lacroix, choque les Canadiens et engendre même une vague de remises en question généralisée de l’appareil pénal (Laprade, 2009). Soulignons que les peines d’incarcération d’Earl Jones (11 ans) et de Vincent Lacroix (13 ans) détonnent largement des peines moyennes (3 ans) prononcées pour les fraudes financières antérieurement à ces faits divers (Létourneau et Naccarato, 2010). Cette différence substantielle n’est pas sans rappeler que les paniques morales engendrent généralement des attitudes réquisitoires transformant la cible de la panique morale en des folk devils, ce qui va, par le fait même, justifier la mise en place de peines draconiennes à l’égard de ceux-ci. Une étude plus détaillée des liens entre ce fait divers et les paniques morales nécessiterait toutefois d’autres sources de données qui dépassent les contours de ce mémoire.

Remarquons également que bien que cette tendance ne ressorte pas des écrits sur le populisme pénal, les analyses de ce mémoire témoignent que le gouvernement Harper fait aussi appel à des faits divers généraux et aléatoires qui sont peu ou pas médiatisés, tels que l’exemple suivant : « La mesure s'attaque également aux jeunes qui commettent des infractions non-violentes mais qu'il est impossible de contrôler. J'ai vu de tels cas à maintes reprises. Il arrive qu'on retrouve les mêmes noms sur le rôle

194 Comparativement à ce que le gouvernement Harper avance, une personne qui obtient une semi-liberté à la suite d’une procédure expéditive n’est pas totalement libre puisqu’elle doit se rapporter à une maison de transition et se conformer à une série de conditions de libération jusqu’à la fin de son mandat d’incarcération.

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des causes un mercredi à Fort McMurray, des noms de personnes qui, d'une semaine à l'autre, se retrouvent devant la cour pour avoir commis les mêmes infractions » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C-10, 3e lecture). Bien qu’ils n’aient pas entrainé d’onde de choc dans la population, ces faits divers non-contextualisés permettent, aux députés conservateurs, d’orienter les débats dans le sens souhaité et représentent, par voie de conséquence, une source de légitimation.

Les faits divers représentent un moteur législatif certes, mais ils permettent également au gouvernement Harper de légitimer l’accentuation de la sévérité pénale. Les exemples de la transformation de la justice pour mineurs ainsi que de l’abolition de la procédure d’examen expéditif suggèrent que les lois qui sont orientées et légitimées au nom des faits divers ne prennent pas en compte le caractère anecdotique desdits faits et tendent à punir bien au-delà des cas d’espèce. Édifiées telles des réponses à des crimes uniques, et constituant des réactions plutôt que des solutions, les lois basées sur les faits divers culminent ainsi presque invariablement en une généralisation de la répression pénale. L’utilisation de faits divers est régulièrement reliée aux approches populistes en matière pénale (Lamalice, 2006) et leur évocation dans les débats parlementaires analysés constitue une facette notable de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

7.7 La disqualification de la justice pénale : De l’appel à la rupture à l’appel aux changements Lors de la description générale du populisme, il a été dépeint qu’un des critères distinctifs des populistes est leur tendance à se poser en opposition aux structures du pouvoir établi. Ces derniers tentent d’acquérir popularité et prestige en promouvant une transformation des institutions politiques qu’ils déclarent inefficaces et corrompues (Taguieff, 2007; Müller, 2016). Sur le plan pénal, le populisme est, quant à lui, caractérisé par la remise en cause, voire la disqualification de la justice et des professionnels chargés de son administration (Shammas, 2016). Empruntant cette perspective antiélitiste et cette voie de l’appel à la rupture, le gouvernement Harper postule à maintes reprises que les pratiques pénales et correctionnelles actuelles sont désuètes et laxistes et se doivent d’être modifiées. Plus précisément, le gouvernement lance des appels à la rupture vis-à-vis des traditions pénales et de l’institution judiciaire qui se matérialisent principalement, dans les travaux parlementaires étudiés, en une série d’attaques des pratiques pénales : « Depuis trop longtemps maintenant les peines qui leur sont imposées [aux personnes reconnues coupables d’infractions de nature sexuelle] sont presque risibles » (Larry Miller, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Ces attaques sont aussi dirigées vers les pratiques correctionnelles : « Il est absolument et tout à fait inacceptable que le système de justice actuel permette à des personnes commettant ce type de crime de recouvrer leur liberté après avoir purgé seulement un sixième de leur peine » (Paul Calandra, Parti

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conservateur du Canada, C-59, 2e lecture). Ces critiques ne semblent toutefois pas appuyées sur des arguments logiques ou des faits empiriques, elles reposent plutôt sur des fausses-vérités ainsi que sur la supposée perte de confiance du public à l’égard de la justice, tel que l’indiquent les propos suivants tenus par le ministre de la Justice: « Bon nombre de Canadiens n’ont plus confiance en notre système de justice pénale et se demandent s'il est en mesure de les protéger. Ils savent que les crimes de violence ne sont que trop courants » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture), ainsi que ceux du député Hoeppner : « Un bon nombre de décisions des tribunaux à l’époque ont accordé une telle peine pour des crimes violents et graves. Cela a contribué à une perte de confiance du public dans l'administration de la justice » (Robert Goguen, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture).

Loin de se limiter à la critique des pratiques, le gouvernement Harper cible également les personnes qu’il juge responsables, où qu’il croit bon tenir responsable, de l’institution et de l’application desdites pratiques. Au niveau de la mise en œuvre, les députés conservateurs accusent, d’abord, régulièrement les Libéraux d’avoir engendré la déchéance de la justice : « Le gouvernement conservateur proposait d'adopter la ligne dure envers les criminels et de réparer les dommages que les libéraux ont causés à notre système de justice pénale en étant trop tolérants à l'égard des criminels et en ne tenant pas compte des victimes » (Candice Hoeppner, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Cet autre extrait renchérit dans la même lignée : « Il est intéressant de noter que nous avons déposé 13 projets de loi contre la criminalité et que ce sont les 13 années de gouvernement libéral qui ont mené à ce système de justice qui encourage la récidive et dans lequel les Canadiens ont perdu toute confiance, un système de justice qui place les droits des criminels devant ceux des citoyens respectueux des lois » (Rob Moore, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Sur le plan de l’application, comme il fut explicité dans le précédent chapitre, le gouvernement conservateur s’attaque de diverses manières aux juges ce qui tend à les discréditer pour avoir poussé la justice sur le chemin de la perdition et du laxisme.

Remarquons que je n’aborde pas ces appels à la rupture et ces appels aux changements à travers des exemples relatifs à des dispositions législatives précises, bien que ces appels soient apparents dans les travaux parlementaires195. Une raison justifie un tel choix; la ratification d’une politique vise presque systématiquement à « régler » un problème perçu. De ce fait, l’introduction de nouvelles dispositions législatives est régulièrement justifiée par la nécessité de rompre et de changer d’anciennes pratiques législatives. Néanmoins les politiques ne relèvent pas toutes du populisme.

195 À titre d’exemple : « L'âge du consentement à 14 ans est une relique du XIXe siècle. Cela aurait dû être modifié il y a belle lurette » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-2, Étape de rapport).

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Lorsqu’il est question de populisme, les appels à la rupture et les appels aux changements visent plutôt à pourfendre les traditions, les institutions et les élites politiques (establishment) dans leur ensemble (Müller, 2016). En ce qui concerne le populisme pénal, il s’agit de critiquer le prétendu laxisme généralisé des peines et des pratiques pénales (Pratt, 2007). À cet égard, le gouvernement Harper s’attaque à l’héritage pénal des Libéraux qui ont dominé la scène politique pendant plusieurs années et s’acharne sur le pouvoir judiciaire qui avait pérennisé une justice qui paraît être à l’opposé de ses valeurs. Loin d’être circonscrits à des mesures législatives précises, ces appels à la rupture et aux changements, utilisés par le gouvernement Harper, permettent de légitimer, voire de créer, un besoin à l’égard de ses politiques massues qui vise à transformer de grands pans de la justice pénale, telles que la mentalité réhabilitative : « Je suis aussi fière de dire que notre gouvernement a récemment fait adopter une loi pour réformer le système de réhabilitation » (Candice Hoeppner, Parti conservateur du Canada, C-59, 2e lecture). Et même, plus largement, de transfigurer la justice pénale dans son ensemble : « Le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés, constitue un grand coup de balai pour changer des lois qui, selon nous, ne sont plus acceptables dans leur état actuel » (Eve Adams, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Amalgamées aux dires du ministre de la Sécurité publique, évoqués dans la première partie de ce mémoire : « We are changing the focus of the justice system so that serious crime will mean serious time » (Webster et Doob, 2015 : 309), ces interventions viennent étoffer le fait que ces rhétoriques de disqualification permettent de promouvoir une refonte généralisée de la justice pénale. Au final, ces appels à la rupture et aux changements constituent une facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper.

7.8 La récurrence des arguments sophistiques : Un populisme pénal à l’argumentaire fallacieux Une des tendances les plus récurrentes repérées dans les débats analysés est l’utilisation d’arguments sophistiques, communément appelés sophismes. Bien que ce type d’argument ne fût pas spécifiquement abordé dans la description du populisme pénal, il apparaît nécessaire de percevoir cette récurrence des arguments sophistiques telle une facette de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Les sophismes n’ont pas été abordés dans la première partie de ce mémoire, car ils ne sont traités qu’indirectement dans les écrits sur le populisme pénal. Il n’existe aucune liste des sophismes typiques associés au populisme pénal, ils proviennent plutôt d’inférences. À titre d’exemple, selon les ouvrages de Roberts et coll. (2003) et de Pratt (2007), les politiciens populistes font appel aux sentiments de peur et au ressentiment victimaire afin de populariser et légitimer leurs discours et idéaux répressifs. Sous cet angle, le sophisme de « l’appel à l’émotion » peut donc être mis en relation avec le populisme pénal. Au-delà de l’appel à l’émotion, trois autres types d’arguments fallacieux,

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qui peuvent être corrélés au populisme pénal, ont été régulièrement repérés196, soit les généralisations abusives et les faux dilemmes ainsi que les manipulations statistiques. Les deux premiers types de sophismes sont abordés à travers différents prismes dans les sections précédentes et seront donc abordés sommairement dans cette section. Soulignons également que les arguments fallacieux analysés ont sous-tendu presque systématiquement les trois grandes familles d’effets décrites dans le sixième chapitre. Cependant, avant de se lancer dans l’analyse des sophismes relatifs au populisme pénal, certaines nuances s’imposent.

Tout d’abord, les populistes n’ont pas le monopole des arguments fallacieux puisque le recours aux sophismes constitue une pratique généralisée dans l’arène politique (Gauthier, 1990). Conséquemment, l’utilisation d’un sophisme lors de débats relatifs à une question pénale ne relève pas indubitablement du populisme pénal. Pour qu’un sophisme soit considéré comme un témoignage d’une approche populiste en matière pénale, l’erreur de logique sous-tendant ledit sophisme doit être reliée à la substance du populisme pénal et non à une rhétorique sophistique plus « générale ». Afin d’illustrer le tout, prenons un exemple, tiré des débats analysés : « Des peines minimales sont prévues à cette fin et sont précisées à l'intention des juges. Je me rappelle que lorsque je pratiquais le droit, des juges affirmaient ne pas avoir reçu de directives claires du Parlement concernant certains aspects, ne pas savoir quelle peine infliger » (Brian Jean, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Dans cet argument, l’erreur de logique centrale, l’appel à l’auto-expertise, n’est pas reliée à une caractéristique du populisme pénal, mais plutôt à une pratique rhétorique sophistique « générale » et ne devrait donc pas être considérée comme un sophisme caractérisant l’ancrage populiste du gouvernement Harper. Les fallacies utilisées par les populistes ne constituent pas que des arguments aberrants fondés sur des prémisses outrancièrement simplistes. Au contraire, qu’ils relèvent du populisme ou non, les sophismes tirent généralement leur force de leur prétendue rigueur197. Les

196 Depuis les treize réfutations sophistiques émises par Aristote, plusieurs travaux ont été produits sur les fallacies. Aucun consensus n’existe toutefois sur le nombre de sophismes (Bonin, 2012). Dans ce mémoire, plusieurs types de sophisme ont été repérés et la ligne séparant les types de sophismes qui peuvent être reliés au populisme pénal de ceux ne pouvant l’être, n’est pas perméable. Ainsi, certains pourraient rajouter d’autres sophismes « populistes » à ceux qui sont décrits ici. J’ai uniquement choisi de traiter de ces quatre types de sophismes en considération de leur récurrence dans les débats analysés. 197 À cet égard, Bonin (2012) analyse, dans une perspective intéressante, l’utilisation des sophismes dans l’émission télévisuelle Dr. House qui est centrée sur un emblématique docteur qui est dépeint comme un des plus grands génies de sa génération et qui est animé par une quête de vérité sans égal. Or, malgré un acharnement à déconstruire tous les arguments fallacieux des protagonistes de l’émission, Bonin illustre que le Dr. House impose sa « vérité » en utilisant lui-même des sophismes qui sont toutefois considérés comme vrais en raison de leur caractère plus affiné et intelligent.

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arguments fallacieux en matière de populisme ou de populisme pénal ne doivent donc pas être compris uniquement à travers le prisme des sophismes les plus frappants et spectaculaires.

7.8.1 Les généralisations abusives Le premier type d’argument fallacieux qui peut être relié au populisme pénal et qui est régulièrement repéré dans les débats parlementaires est la généralisation abusive qui propose une conclusion à partir d’éléments non représentatifs ou d’un échantillon trop petit. À titre de rappel, le gouvernement Harper infère que les victimes et le peuple canadien approuvent et souhaitent la mise en place de son programme de la loi et l’ordre, notamment sur la base d’opinions partielles, de manifestations partisanes et de sondages d’opinion. Ces généralisations sont non représentatives des désirs bigarrés des victimes et des doléances nuancées du peuple canadien en matière pénale tel que documenté dans la recherche sociologique. Reliée à la tendance des populistes à donner à tort des intentions répressives au peuple et aux victimes, l’utilisation de généralisations abusives peut donc être perçue comme un sophisme relatif au populisme pénal.

7.8.2 Les faux dilemmes Le second type de sophisme repéré à plusieurs reprises est le faux dilemme qui consiste à réduire un enjeu en une alternative contradictoire et stipuler que les deux possibilités offertes par l’alternative sont les deux seules existantes. De ce fait, le faux dilemme crée l'illusion d'un antagonisme irréconciliable sur un sujet particulier, alors qu’il existe des alternatives qui ne sont pas antinomiques. En d’autres termes, sous l’angle du cadre théorique préconisé, le faux dilemme est un sophisme qui peut être utilisé dans l’optique de prioriser un groupe d’intérêts au détriment d’un autre. À cet égard, les faux dilemmes se rattachent à la fausse dualité entre, d’une part, les besoins et les droits des victimes et, d’autre part, ceux des personnes condamnées, dualité à travers laquelle sont érigées plusieurs mesures législatives analysées (voir la section 7.2). Loin de se limiter à cette dualité, le gouvernement Harper utilise d’autres faux dilemmes. La seconde « famille » de faux dilemmes la plus prééminente a comme objet la « sécurité » et s’oppose à tous les contre-arguments à l’endroit de la sévérité pénale. Plus précisément, le gouvernement Harper postule qu’il est impossible de se préoccuper de la sécurité sans adopter une approche plus répressive. En d’autres termes, les députés conservateurs utilisent une structure argumentative qui place la sécurité en antinomie avec les droits

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des individus criminalisés, leur réhabilitation, etc. 198 Or, rien n’indique, dans les écrits existants, que la sécurité est inconciliable avec les droits des détenus ou les autres contre-arguments à la sévérité.

7.8.3 Les manipulations statistiques Bien qu’il ne s’agisse pas d’un sophisme au sens philosophique du terme tel qu’énoncé par Aristote, je décris ici la manipulation des statistiques en qualité d’argument fallacieux puisque la manipulation des statistiques sur la criminalité est une tendance qui se retrouve régulièrement chez les politiciens aux philosophies pénales populistes (Pratt, 2007). Loin de se limiter au populisme, les statistiques représentent une des plus grandes ressources politiques. À cet égard, Lascoumes et Le Galès, (2012) parlent des statistiques tel un instrument de gouverne, tandis que Desrosiers (2014) parle d’un outil de pouvoir. Sur le plan de la manipulation des statistiques, il ressort des analyses de ce mémoire que le gouvernement Harper utilise, à maintes reprises, des chiffres non contextualisés et dont la provenance est inconnue, tel que le présente l’extrait suivant : « Une étude réalisée en 2008 révèle que les coûts de la criminalité au Canada se chiffraient à 99 milliards de dollars et que les victimes en assumaient une part de 83 p. 100 » (Rob Nicholson, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Très frappante, cette statistique permet au gouvernement Harper de contrecarrer toutes les critiques des partis adverses quant aux coûts de ses mesures et représente donc une source de légitimation politique. Or, cette statistique concernant les coûts de la criminalité, qui est évoquée à plusieurs reprises dans les débats analysés, n’a jamais fait l’objet d’explications quant à sa provenance, ses méthodes statistiques, ni les opérations utilisées afin de conclure que les victimes endossent un tel pourcentage.

Tout aussi parlant, le gouvernement Harper manipule aussi les chiffres par le truchement de la non- mention, de la substitution ou de la diversion des statistiques s’avérant être des contre-arguments, tel que le laisse entendre l’extrait suivant qui est un exemple parmi plusieurs: « La criminalité semble être à la baisse, mais je pense que c’est parce que les gens ne déclarent pas les crimes. Ils n’en voient pas l'utilité » (Mike Allen, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Le gouvernement Harper utilise également des chiffres alarmants permettant de tabler sur des registres plus émotionnels : « Un criminel commet environ 15 infractions par année. Le député reconnaît-il que laisser cette personne en liberté pendant un an a un coût important que nous ne pouvons pas vraiment déterminer pour la société et les victimes alors que cet individu pourrait être incarcéré, ce qui empêcherait de créer 15 nouvelles victimes? » (Laurie Hawn, Parti conservateur du Canada, C-10, 2e lecture). Aucune

198 Je n’utilise pas d’extraits à titre d’exemple, ici, puisque ces structures argumentatives s’avèrent plutôt implicites et s’étendent sur plusieurs phrases.

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recherche n’appuie toutefois une telle statistique, qui permet toutefois de créer un sentiment de peur autour des libérations anticipées. Justement, la sous-section suivante abordera l’appel à l’émotion, un élément clé du discours populiste

7.8.4 Les appels à l’émotion L’appel à l’émotion précédemment évoquée afin d’illustrer que les arguments sophistiques peuvent être compris telle une facette du populisme, est sans conteste l’argument fallacieux le plus prééminent dans les travaux parlementaires. Au-delà, de ce qui a été avancé en introduction de cette section, il ressort des analyses de ce mémoire que les réformes pénales sont légitimées par le truchement de la mobilisation d’émotions collectives. Qu’il s’agisse du ressentiment victimaire, de la réprobation à l’égard des individus criminalisés ou encore de la peur à l’égard des risques présumés de la criminalité, le gouvernement Harper mise à maintes reprises sur des registres émotionnels à titre de source de légitimation politique. Il est toutefois important de souligner que la présence d’émotions dans un argument n’en fait pas indubitablement un sophisme, un argument logique pouvant susciter des émotions ou bien revêtir un aspect émotionnel. Il s’agit d’un sophisme lorsque l’émotion remplace l’argument logique ou masque l’absence d’un argument logique. En guise d’exemple, utilisons le projet de loi C-2, qui, rappelons-le, a comme objectif manifeste de protéger les mineurs des « prédateurs ». Suscitant l'émotion autour de ce type de crime, le gouvernement Harper postule que le consentement sexuel à 14 ans attire les « prédateurs » internationaux à l’affût de législations plus laxistes : « Le Canada est devenu, dans certains cas, une destination de choix pour des prédateurs sexuels adultes qui viennent de pays où l'âge du consentement est plus élevé » (Rob Moore: Parti conservateur du Canada, C-2, 2e lecture). Or, aucune donnée ne laisse croire une telle supposition. Au contraire, comparativement aux pays du Sud global ainsi qu’à ceux de l’Europe de l’Est, dans lesquels les femmes et les enfants constituent une matière commerciale sur le plan du trafic humain et de la prostitution (Poulin, 2002), le Canada possède une des meilleures législations en termes de protection à l’endroit de l’exploitation sexuelle des mineurs (Desrosiers et Bernier, 2009).

Transcendant la légitimation, la récurrence d’une rhétorique à connotation affective va également dramatiser les choix politiques. Sous cet angle, certains appels à l’émotion pourraient être analysés à travers le prisme du sophisme de la pente fatale, ce que les limites de ce mémoire ne permettent toutefois pas de réaliser. Au final, en recourant aux arguments fallacieux tablant sur l'émotion plutôt que sur la raison, le gouvernement Harper légitime ses politiques qui ont, en majorité, offert des solutions radicales et simplistes à des problèmes complexes.

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Conclusion

Le 6 février 2006, Stephen Harper est assermenté à titre de 22ième Premier ministre du Canada. Se dissociant de la tradition conservatrice canadienne et conspuant l’héritage libéral, Stephen Harper avoua à maintes reprises vouloir transfigurer le pays (Gutstein, 2014). Une mission réussie, du moins sur le plan pénal, puisque l’étude des tendances pénales canadiennes entreprise dans ce mémoire a permis d’illustrer que le gouvernement Harper a engendré un impetus de punitivité dans l’univers pénal. Loin d’être aléatoires, plusieurs composantes de cette vague punitive semblent traversées d’impératifs politiques se rattachant aux tendances généralement associées au populisme pénal. Cette hypothèse est d’ailleurs corroborée par les études de Desrosiers et Bernier (2009); Crépault (2013); Watts (2016); Laganière (2016), et Kelly et Puddister (2017), qui ont déjà mis en relation certains aspects particuliers de l’approche pénale du gouvernement Harper et le populisme pénal. Or, bien qu’elles soient très pertinentes, aucune de ces études n’aborde le caractère populiste de l’œuvre pénale du gouvernement Harper dans son ensemble. Afin de contribuer, du moins partiellement, à l’édifice des savoirs, ce mémoire se donnait comme objectif d’offrir une vue panoramique sur la manière dont s’articule l’ancrage populiste du gouvernement Harper en mettant en exergue diverses facettes du populisme pénal ayant sous-tendu trois des politiques pénales les plus prééminentes du programme de la loi et l’ordre de cette administration.

Soulevant, de prime abord, que les multiples mesures législatives composant les politiques analysées sont tournées vers trois grands effets, soit la limitation du pouvoir judiciaire, l’imposition de valeurs morales conservatrices ainsi que l’accentuation de la sévérité pénale, les analyses de ce mémoire ont permis de dégager huit grandes facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper. À titre de synthèse, ces facettes sont subdivisées, ci-dessous, en une liste de caractéristiques qui résument les résultats obtenus dans ce mémoire. En ce qui a trait aux politiques analysées, le portrait de l’ancrage populiste du gouvernement Harper se caractérise par :

1. L’instrumentalisation de la figure fantasmée de la victime vindicative. 2. L’occultation des attentes victimaires non-répressives. 3. La confrontation de la dyade victime-coupable. 4. Le mépris des individus criminalisés. 5. La punition des condamnés et la pérennisation de leurs stigmates. 6. L’instrumentalisation des doléances répressives du peuple. 7. Le transfert de la légitimité de la production législative pénale vers le peuple.

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8. La mésestime des savoirs experts. 9. L’occultation des effets opérationnels des politiques ratifiées. 10. Le mépris de l’organe judiciaire et la réduction de son pouvoir. 11. L’accentuation de la sévérité pénale. 12. La prééminence accordée au caractère symbolique et expressif de la réponse pénale. 13. L’utilisation des faits divers à titre de moteur législatif et de stratégie de légitimation. 14. Les appels à la rupture et aux changements vis-à-vis des traditions pénales et de l’institution judiciaire. 15. L’utilisation d’arguments fallacieux à connotations populistes.

Constat final À la lumière des principaux faits saillants de ce mémoire, succinctement résumés dans la liste précédente, il appert que l’ancrage populiste du gouvernement Harper constitue une véritable « entreprise » politique. Le choix de la notion d’entreprise permet d’expliciter qu’au terme de ce mémoire, le populisme pénal ne devrait pas être simplement compris comme une idéologie (Newburn, et Jones, 2005), une série de politiques (Roberts et coll., 2003) ou encore une attitude politique (Berthelet, 2016), mais bien comme une entreprise. Une entreprise ne peut se réduire à ses employés ou à ses produits puisqu’elle se rapporte aussi à ses clients et est subordonnée au contexte socio- politique dans lequel elle œuvre. Similairement, à la lumière des différents éléments soulevés dans ce mémoire, qu’il s’agisse des six dimensions du populisme pénal modélisées à l’aide des écrits ou encore des huit facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper découlant de l’analyse des politiques échantillonnées, j’invite à repenser le populisme pénal non pas comme un produit, une action ou une attitude unilatérale d’un gouvernement ou de politiciens, mais bien comme une entreprise indissociable du peuple (les clients), des politiciens (les employés), des politiques (le produit) et du contexte socio-politique (climat d’insécurité, néolibéralisme, etc.). Une telle reconceptualisation des contours définitionnels permettrait, notamment, d’ajouter à la compréhension du populisme pénal un regard plus « macrosociologique » des forces sociales et des contextes politiques dans lesquels émerge cette forme précise de populisme.

Cette reconceptualisation du populisme pénal permet également d’adresser une réponse aux écrits critiquant le populisme pénal dans la mesure où lesdites critiques sont, à mon sens, reliées à la conceptualisation restreinte du populisme pénal. À titre d’exemple, Tonry (2007) dément la présence de populisme pénal en Occident en argüant que les taux d’incarcération sont demeurés relativement stables et qu’au final l’existence du populisme pénal « is mostly as reifications in academics’ minds

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of other acamedics’ ideas (Tonry, 2007 : 1). Dans un autre ordre d’idées, Dzur (2010), affirme, quant à lui, que le populisme pénal est compris à tort tel un surplus de démocratie et devrait davantage être appréhendé comme un déficit de démocratie ou encore telle une incapacité démocratique à inclure de manière constructive le public dans le travail de réforme des institutions pénales. Au regard des analyses réalisées dans ce mémoire, ces deux critiques, sans être fallacieuses, ne sont pas à mon sens une infirmation de l’existence du populisme pénal, mais bien des arguments justifiant la nécessité d’élargir la compréhension du populisme pénal. Au final, l’utilisation de la notion d’entreprise permettrait donc d’incorporer l’ensemble des « aspects » sur lesquels et à travers lesquels s’infléchis le populisme pénal en qualité de composantes intrinsèques et non comme de simples éléments subsidiaires ou de contexte; tout comme elle permettrait de dépasser la compréhension unilatérale du populisme, soit celle de la politique ou de l'attitude politique, pour privilégier des prismes et des angles d'analyse novateurs.

Limites principales La première limite rencontrée dans cette recherche est sans conteste l’espace de rédaction normalement consenti au mémoire de maîtrise. Des prolégomènes aux analyses finales, une série d’éléments et de nuances furent, par manque d’espace, laissés de côté ou abordés d’une manière plus succincte que souhaité. De prime abord, les questions qui ont été problématisées dans la première partie de mémoire s’avèrent complexes et parfois litigieuses et nécessitaient donc plusieurs détours qui n’ont pu être développés au maximum. De même l’échantillon retenu dans ce mémoire s’avère, à postériori, probablement trop ambitieux pour l’espace alloué à ce projet de maîtrise. Plus précisément, deux des politiques sélectionnées, soit les projets de loi C-2 et C-10, sont composées d’anciens projets de loi et combinent, de ce fait, respectivement cinq et neuf projets de loi. Ainsi, le corpus de données de ce mémoire était, en réalité, composé de 15 projets de loi distincts. Dès lors, pour respecter les barèmes départementaux, les analyses de certaines mesures législatives ont donc été laissées de côté ou abordées plus sommairement. À cet égard, soulignons que le projet de loi C-25, soit la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime, était à priori inclus dans le corpus de données de ce mémoire. Les analyses de cette loi ont toutefois été supprimées afin de maintenir le mémoire dans une ampleur acceptable. Sur le plan des analyses principales, plusieurs exemples empiriques relatifs aux huit grandes facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper n’ont pu être inclus dans ce projet en considération de sa longueur finale. Similairement, bien qu’il s’avère indéniable que les politiques pénales, comme tout le processus de criminalisation primaire, sont sous-tendues par divers rapports conflictuels et conflits de pouvoir, l’envergure maximale d’un mémoire a limité l’analyse en profondeur de certaines nuances desdits rapports et conflits.

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La seconde grande limite est relative au matériel composant le corpus de données. En analysant uniquement des politiques pénales et les travaux parlementaires les ayant présidés, certains aspects constitutifs du populisme pénal n’ont pu être approfondis. En guise d’exemple, l’analyse des travaux parlementaires ne permet pas d’étudier en profondeur le contexte socio-politique dans lequel une politique pénale à connotation populiste est ratifiée (par ex. la présence d’une panique morale). Elles ne permettent pas non plus de comparer les arguments qui sont tenus dans l’enceinte du Parlement par rapport aux promesses faites au peuple lors des campagnes électorales par exemple.

Généralisation des résultats Une des critiques récurrentes des recherches qualitatives, principalement émises par les chercheurs priorisant les études quantitatives, est la généralisation limitée des études aux devis qualitatifs (Roy, 2009). À cet égard, j’invite plutôt à penser les résultats de cette recherche à travers la théorie de la généralisation analytique proposée par le sociologue Robert Yin (2003)199. Selon cette théorie, la généralisation d’une recherche qualitative réalisée sur un nombre restreint de cas, tels que les trois politiques pénales analysées dans ce mémoire, n’a pas pour but de produire une modélisation inductive capable de produire des prédictions, mais plutôt de produire des propositions qui peuvent être utilisées afin de rendre intelligibles d’autres cas. Conséquemment, ces généralisations analytiques n’ont pas comme but d’être testées à priori, mais bien d’être utilisées à postériori avec d’autres études (Wadbled, 2016). Dans cette veine, les huit facettes de l’ancrage populiste du gouvernement Harper qui ont été modélisées se doivent d’être comprises au sens de « concepts sensibilisants » et non de « concepts définitifs », tels que défini par le sociologue Hubert Blumer (1954 : 7), ce qui implique que ces facettes n’ont pas pour but de fournir des prédictions, mais plutôt de suggérer la direction où regarder. En d’autres termes, je ne postule pas que ces facettes constituent des éléments qui se retrouveront sous la même forme, ou dans toutes les autres politiques pénales du gouvernement Harper. D’ailleurs les différents aspects de ces huit facettes n’ont pas sous-tendu chacune des dispositions législatives échantillonnées. Il s’agit plutôt d’utiliser ces facettes tel un cadre d’analyse servant à commencer l’exploration de la portée populiste d’autres politiques.

À titre d’exemple, lors de l’écriture de ces lignes, le procès d’Alexandre Bissonnette, présumé responsable de la tuerie de la Mosquée de Québec en janvier 2017, constituait un des sujets d’actualité dans le monde de la justice pénale puisque, à la suite du projet de loi C-54 du gouvernement Harper

199 La théorie de Yin est relative aux études de cas, tandis que ce mémoire a priorisé une analyse de contenu. Or, je trouve intéressant d’appliquer certains constats de cette théorie sur cette étude puisqu’elle visait à dresser un portrait général de l’ancrage populiste du gouvernement Harper à partir de trois politiques.

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qui permettait l’octroi de peines consécutives, ce dernier est passible d’une peine d’emprisonnement de 150 ans. En réponse à cette réforme, l’avocat de la défense Charles-Olivier Gosselin avait plaidé que : « Lorsqu’on nous mentionne que des peines importantes doivent être imposées pour que le Canada ne se retrouve pas avec des problèmes de tuerie de masse comme aux États-Unis, ce n’est manifestement pas appuyé sur aucune preuve quelconque, autrement que sur du populisme pénal » (Laplante 2018). À la lumière de cette affirmation, il serait intéressant d’étudier la loi C-54 par le truchement des huit facettes préalablement décrites. Il ne s’agit pas d’affirmer que lesdites facettes s’y retrouveront, d’une manière parfaitement analogique, mais plutôt de suggérer que ces facettes constituent des pistes intéressantes à utiliser afin d’entamer l’étude de la portée populiste de cette politique. Cette perspective s’avère pertinente compte tenu du fait que ce mémoire se voulait une critique du message et non du messager. Ces huit facettes peuvent, par voie de conséquence, servir de cadre d’analyse de l’approche pénale d’un autre gouvernement.

Pistes à suivre Au-delà de la reconceptualisation du populisme pénal à travers la notion d’entreprise, une des pistes théoriques prometteuses serait l’étude de la relation bidirectionnelle entre le populisme pénal et la rationalité pénale moderne abordée dans le premier chapitre de ce mémoire. Loin d’être superflue, la description qui a été effectuée dans le premier chapitre des théories de la peine et du système de pensée autosuffisant et hégémonique qu’elle forme, la rationalité pénale moderne, a été essentielle puisque les contours de ce système délimitent l’ensemble des pratiques pénales occidentales. Les résultats de ce mémoire ont relevé que l’ère Harper a engendré un réel virage punitif, ce qui n’est pas sans rappeler que sous le joug de la rationalité pénale moderne les phénomènes objectivés sous la forme de crimes sont uniquement entendus au sens d’insuffisance de contrôle et d’impunité. À la lumière de cette possible convergence, il semblerait prometteur de théoriser la manière dont les approches populistes tendent à renforcer ou oblitérer certains postulats et discours de la rationalité pénale moderne dans le but d’étudier comment la justice pénale « évolue » sous l’effet des diverses formes de populisme.

Au final, la présente étude ouvre probablement plus de portes qu’elle n’en ferme. Il est ainsi essentiel de poursuivre les réflexions entamées dans ce mémoire afin de mieux documenter, comprendre et peut-être de prévenir, les dérives et les misères que peuvent occasionner les diverses formes de populisme dans le monde de la justice pénale.

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Législations

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C-10 : Loi sur la sécurité des rues et des communautés, première session, 41e législature, Canada, sanctionnée le 13 mars 2010.

C-45 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le transfèrement des délinquants, première session, 35e législature, Canada, sanctionnée le 15 décembre 1995.

C-55 : Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général, deuxième session, 35e législature, Canada, sanctionnée le 27 avril 1997

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C-59 : Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels, troisième session, 41e législature, Canada, sanctionnée le 23 mars 2011.

Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.). Code criminel, LRC 1985, c. C-46. Loi antiterroriste, LC 2001, c. 41.

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H-6.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduite dans LRC 1985, ann. II, n °5.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27.

Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, c. S-18.

Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c. C-47.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c. 20.

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, ch. 1.

Loi visant à décourager les actes de terrorisme contre le Canada et les Canadiens, LRC 2012, c. 1, art. 2.

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