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Je dédie ce livre aux Muets de Bouxières Qui connurent tant de choses sans pouvoir les dire, Pas plus qu'en leur temps ils ne surent les écrire. Mais qui sait aujourd'hui où se trouve leur poussière ?

introduction) I fANS I son livre « A travers la ...» publie en 1899, Êmile« Le villageBadel déclaraitabonde enà propos croquis de du Bouxières vieux temps : mais il faut setablement... hâter, les lesvieilleries filles noblesdisparaissent, s'en sont on seallées, modernise le mont lamen- est déserttradition aujourd'hui... du monastère, et len'est muet plus de là Bouxières, pour attester cette le antiquemiracle Hélasde Saint ! Gauzelin...Le pittoresque ». de Bouxières-aux-Dames est au- jourd'huiLe vieux pontbien compromisde pierre a faitpar placel'urbanisation à un ouvrage du XXe en béton,siècle. encadrentdes lotissements le village dont ancien certains et s'en à l'aspectrapprochent fort peucontestable à peu, del'autoroute canalisation le bordeet depuis dangereusement, peu un monstrueux la rivière silo est enmenacée béton Ilse dresseserait enregrettable face du site. que celui-ci, jadis si célèbre, retombe gadedans sansl'anonymat, histoire laet banalitédont on et aurait la médiocrité perdu le souvenird'une bour- des grandesdommage heures que l'onqui ignorefirent pourquoisa réputation, elle portecomme le nomil serait de BouxC'est ières-aux-Dames.pourquoi fouillant le sol et les vieux grimoires, j'ai vou- luet pouvoirrendre àdire ses à habitantsceux qui s'interrogentl'histoire de enleur passant cadre aude pied vie de« Amis « sa montagnedes heures » d'antan,(comme arrêtez-vousdisaient les anciens)ici et montez : de par leshaut rues il y escarpéesa tant de chosesjusqu'au à découvrirlieu qu'on ! dit la pelouse. De là- Laisseztains qui errer cernent votre cette regard colline, sur laissezles horizons votre penséeproches cheminer et loin- apprendradans l'histoire peut-être de ce ce village... que vous puis cherchez... feuilletez ». ce livre, il vous

— Livre I — Livre Il — Conclusion Etymologie Les vestiges antiques Bouxières jusqu'à la Révolution L'hôpital L'abbaye La chapelle Saint-Antoine La Révolution Les bâtiments abbatiaux Bouxières après la Révolution L'église Le château Le Pont - la Les mines Les rues et les chemins Les espaces verts L'étang Les moulins Les lieux-dits La population Vue aérienne de Bouxières-aux-Dames -COMMUNE DE BOUXIÉRES-AUX-DAMÊS .mit siTtiATion - -' - LIVRE 1 étymologie

Le nom de Bouxières est d'origine gallo-romaine. Il est issu de buxus le buis ou de buxaria la plantation de buis. On le retrouve sous des formes proches ou dérivées dans de nom- breux villages : Boissière, La Bouëxière (Ille-et-Vilaine), La Buissière (Isère), La Bussière (Loiret), Buxières (Aube), Bouxurulles (), Busserolles, La Buxerette, Buxerolles. A quelques kilomètres de Bouxières-aux-Dames se trouve la commune de Bouxières-aux-Chênes, et près de Pont-à-Mous- son Bouxières-sous-Froidmont. Il est probable que cette dénomination vient des massifs de buis plus ou moins importants qui ornaient les jardins des villas, comme on le voit encore de nos jours dans ceux qui entourent les belles demeures de la campagne italienne. Un auteur a cependant proposé une autre origine au mot Bouxières : il viendrait d'une très vieille racine celtique si- gnifiant la forêt. Il est vrai que l'homme d'aujourd'hui vit dans le scepticisme et veut toujours tout remettre en cause ! Quoi qu'il en soit le nom de la localité qui nous intéresse est passé, au cours aes temps, par des fonnes variées, suivant les textes qui le mentionnent. 770 Villa Buxarias in pago Calvomontensi (B... dans le pays de Chaumont) 932 Buxene super tluvium Mortuum (B... sur le fleuve Meurthe) 935 Villa Buxeria Supra Buxeriis villam Villa Buxeria cum ecclesia 963 Buxenense coenobium 960 Buxier 968 Bruxerioe 1027 Monasterium nomine Buxerium in pago Calvomontensi (Une abbaye nommée Bouxières dans le pays de Chaumont) 1070 Bosserioe 1115 - 20 Beata Maria de Monte sur Buxerioe (Sainte Marie au Mont) 1164 Boscherie 1188 Bosseres 1238 Boissiers as Nonains (Bouxières aux Nonnes) 1255 Buxières 1349 Buxières ad Dames 1402 Bouxerial ad Moniales 1471 Bourcières aux Dames 1793 Bouxières au Mont La localité a repris sa forme définitive à partir de Jan- vier 1814 : Bouxières-aux-Dames Bouxières couvre aujourd'hui une superficie de 366 hectares 97 et 44 hectares de domaine public, soit au total : 411 hectares. les premiers

temps

La configuration du lieu de Bouxières et l'exposition de la colline qui domine le cours de la Meurthe et l'entrée de la vallée de l'Amezule le prédisposaient à être habité dès les temps les plus reculés. Des vestiges de la préhistoire y furent découverts en 1871, au-dessus de la mine de fer, près du chemin de : - un broyon de quartz - des éclats de silex, tandis qu'au bord du ravin de l'étang des « inventeurs » ont recueilli : - un racloir en silex - un racloir en quartz - et des éclats de silex, attribués à l'âge de la pierre polie (néolithique, entre 10 000 et 5 000 ans avant notre ère). L'époque plus récente ou protohistoire et la période celtique, quant à elles, n'ont encore livré aucune trace d'habitat, bien que le site aurait pu constituer, comme à la Fourasse de , un éperon barré, occupé par les Gaulois. Cependant, rien n'a encore été signalé jusqu'à présent. Par contre, une découverte faite à la fin du siècle dernier semble démontrer qu'il y eut sur le territoire de Bouxières un établissement métallurgique très ancien. MÉTALLURGIE ANTIQUE Il est toujours difficile de savoir à quelle époque précise une industrie antique s'est implantée dans une région. Nous n'ignorons pourtant pas que la métallurgie était déjà très active en Lorraine avant notre ère ; les Forges du Noir- val, de , de Sexey en sont des témoins bien connus. Située dans une région ferrifère, Bouxières eut probablement les siennes. Cependant nous n'en connaissons aujourd'hui que des ves- tiges très fragmentaires. En Juin 1895, des travaux exécutés à la scierie de Robert Costé (scierie qui avait succédé au vieux moulin du Chapitre) non loin du pont de la Meurthe, amènent la découverte d'une masse de fer brut évaluée à 700 kg. Elle est profondément enfouie. A cet endroit, le sol se trouve à 6 m au-dessus de l'étiage normal de la Meurthe qui coule à une centaine de mètres de là. Le terrain présente un revêtement de grouine, une couche mince de sables vosgiens quartzeux et micacés, le tout repo- sant sur des marnes semées d'amonites. La face supérieure de la masse de fer se situe à 0,50 m en contrebas du sol de l'atelier, dans une cavité, et repose sur un lit de charbon de bois et de scories de 0,30 m d'épaisseur. La dénivellation du sol à cet endroit laisse à penser qu'un éboulis du talus a recouvert ce vestige. La loupe de fer mesure 0,83 m x 0,68 x 0,30 environ, a une densité de 7,41 et présente l'aspect d'un bloc de minerai rouillé, provenant peut-être de l'écroulement de la partie supérieure d'un four. On y trouve du sable et du quartz uti- lisé comme fondant. L'ensemble se décompose en deux éléments : l'un de fer réduit et à peu près pur, l'autre de fer moins pur formé de grains pressés les uns contre les autres et pénétrés de scories vitreuses. C'est une sorte d'éponge de fer destinée au martelage. Sa présence en cet endroit paraît quelque peu étrange. Le vestige n'est pas au niveau de la couche ferrifère, à la limite de la forêt comme dans les autres sites environnants. Il n'y a pas trace de moellons de four mais peut-être celui-ci était-il simplement en argile. L'éponge est-elle le produit d'opérations successives destinées à former une masse de ré- serve ? Aucune trace de soufflerie n'a été décelée. La masse n'a pas été fondue mais réduite. Plutarque et Déodore de Sicile citent dans leurs écrits de Bleicher : Matériaux pour l'histoire telles masses de fer enfouies suivant un vieil usage celtibérien. de la métallurgie lorraine - 1896. Le poids indiqué nous semble effectivement excessif pour une loupe de fer venant d'un bas fourneau. Les forgerons antiques n'auraient pu la manipuler facilement. Masse de ré- serve elle pouvait avoir été déposée là près de la Meurthe pour être chargée sur un bateau à destination d'une autre région. Mais ceci encore n'est que pure supposition. Par contre, nous ne serions pas surpris qu'un jour les traces d'une véritable forge antique soient découvertes au fond du vallon de l'étang de Morey, là où le minerai affleurant, ainsi que l'eau et le bois sont réunis. La présence, près de l'étang, d'un habitat gallo-romain dans un fond si retiré n'indiquerait-elle pas qu'il ait pris son origine dans un établissement métallurgique plus ancien ? Quoi qu'il en soit il est bien certain que Bouxières a connu la fabrication du fer dès le temps protohistorique.

L'ÉPOQUE GALLO-ROMAINE Bouxières dont le nom même est d'origine gallo-romaine fut le deslieu constructions.d'élection d'une petite population gauloise qui y édifia La villa Ouest Bâtie à flanc de coteau, mais assez bas c'est-à-dire à l'empla- cement du presbytère actuel, elle semble avoir été relative- ment importante et, probablement, à cause de ses jardins plantés de buis, donna son nom à la future localité. Malheureusement, si nous sommes certains de son existence, nous n'en connaissons pratiquement rien car ses substructions sont aujourd'hui enfouies sous les habitations du quartier et sous la rue. Toutefois, en 1852, lors des travaux effectués à la maison de cure, des vestiges furent mis au jour. Il s'agissait d'une petite salle semi-circulaire dont le sol était creusé de conduits en briques faisant partie d'un système de chauffage utilisé habituellement par les Romains (l'hy- pocauste). C'était, en fait, l'établissement de bains de la villa. Le compte rendu de la découverte ne comporte malheureu- sement ni plan, ni croquis. En 1881, on recueillit plus de 80 tuiles à rebord (tegulae) Fragment de stèle lors des travaux de l'école, et çà et là quelques éléments gallo-romaine de construction (briques rondes et carrées de pilettes d'hy- pocauste, morceaux de suspensura (dallage chauffé), tuiles, fragments de canalisation en béton). Dans les jardins environnants, on peut encore, aujourd'hui, ramasser des fragments de tuile et des tessons de poterie. La villa était apparemment alimentée en eau par une cana- lisation en béton dont des morceaux ont été retrouvés au- (1 ) Rue du Comte de Frawemberg. dessus du chemin de Penafeu (1), en haut de la chéneau et sous la mairie. Nous ne savons rien de plus de cet habitat gallo-romain dont les vestiges ont dû être passablement bouleversés par les cons- tructions ultérieures édifiées dans ce quartier. Mais il n'était pas le seul sur le territoire de Bouxières. La villa Est (2 ) Le mot est pris dans le sens de villa agricole ou exploitation Une autre villa (2) avait été bâtie au fond de la vallée du rurale. ruisseau de Morey à proximité de l'étang actuel. Elle était très retirée et éloignée de la Meurthe. Mais là encore il n'a pas été possible d'en déterminer l'im- portance, la configuration et la destination. Le site a été dé- truit d'abord en 1971, lors des travaux de terrassement du lotissement implanté en ces lieux, puis en 1975 à la reprise de ces travaux. Alerté très tardivement, le Centre pom- peien d'histoire locale a tenté une fouille de sauvetage sans résultats importants et sans pouvoir en restituer l'étendue tant était irréparable le bouleversement effectué par les engins de terrassement. Si la longueur de la villa a pu être déterminée approximati- Le vallon de l'étang de Morey vement (50 m), sa largeur dans le sens transversal au vallon reste totalement inconnue. Par contre, elle présentait des éléments de construction assez énigmatiques qui semblaient avoir été des soubasse- ments de silos à grains circulaires d'environ 3 m de diamètre montés sur drain. A une époque inconnue, un four à chaux avait été édifié, empiétant sur ces embases et dans lequel on avait proba- blement cuit la meilleure pierre tirée des vestiges. Alors que les murs subsistants ont généralement 0,60 m d'épaisseur, l'un d'eux de 1,50 m, a plus d'un mètre de lar- geur. Des éléments d'hypocauste, d'isolation thermique (briques en calcaire de concrétion dont la matière brute se retrouve autour de la source coulant en amont de l'étang), un impo- sant morceau monolithique de caniveau d'eau en pierre tail- lée, des tuiles, des fragments d'enduit peint ont été recueillis. Nous pouvons penser que la villa était alimentée en eau par la source de l'étang. Dans les terrains avoisinants apparaissaient encore d'autres vestiges très dégradés : fosse remplie de cailloux, lit de chaux, dallage en béton. Nous savons, d'autre part, qu'au siècle dernier, en 1897, des fouilleurs avaient mis au jour un important mur gallo- romain perpendiculaire à la digue de l'étang (3) (sur 20 m (3 ) Beaupré qui signale cette décou- de longueur environ), et des tessons de vase et de marbre. verte n'a pas laissé de croquis Des sondages pratiqués en 1976 ont fait apparaître un mur permettant de le retrouver. isolé situé sur l'autre versant du vallon en face de la villa, dans le pré de Monsieur Blaise. Long de 25 m, large de 0,60 m, il n'a pu être défini comme appartenant à une habitation ; mais de nombreux tessons de tuiles gallo-romaines gisaient contre le parement ouest. Peut-être il y avait-il là un hangar agricole. Aucune monnaie, très peu de poterie : une datation est pratiquement impossible. S'agissait-il d'une exploitation agricole ou industrielle ? Nous ne saurions le dire ; mais sa présence en un éndroit aussi « reculé » laisse un grand point d'interrogation. La villa Nord Une troisième villa semble avoir existé à proximité de B ouxières, en direction de Clévant au lieu-dit « Les Narvannes » (au- jourd'hui territoire de ). L'ancien chemin de Bouxières à Condé par Clévant passe à peu de distance de ce site : une croupe aux pentes douces dominant une dépression où coulait un ruisseau. On y trouve des fragments de tuiles dans les terrains labourés. Des fouilles nous renseigneraient. Souhaitons qu'elles puissent avoir lieu dans un avenir proche. Ainsi Bouxières possède un assez riche passé gallo-romain. Le manque de possibilité de datation ne nous permet pas de déterminer à quelle époque ces habitats ont disparu, comme tous ceux de la région, mais c'est probablement au cours du IVe siècle. Bouxières se situait alors dans le Pagus Calvomontensis (Pays de Chaumont) qui faisait partie de la Province de Bel- gica Prima (Première Belgique) suivant l'organisation admi- nistrative établie en Gaule par les Romains. L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE Généralement très mal connue, cette époque prend une certaine importance dans l'histoire de Bouxières où les Bar- bares apparaissent sur le site gallo-romain bouleversé. Comment sont-ils venus ? Quand exactement ? Invasion brutale ou infiltration pacifique ? Nul le sait. En ces temps où les écrits sont encore rares et où les témoignages monu- mentaux n'existent pratiquement pas, l'arrivée d'étrangers dans un ancien fondus gallo-romain reste une énigme non résolue. Nous ignorons déjà comment a péri l'habitat gaulois et à quelle époque, nous ne savons pas plus si les Barbares ayant ravagé le site s'implantèrent dans les ruines où si, Bouxières se trouvant sur leur chemin, ils pactisèrent avec les quelques habitants qui s'y trouvaient encore et s'installèrent à leur côté. La frontière linguistique qui sépare la Lorraine romane de la Lorraine germanique n'est guère qu'à 20 km sur la Seille. Or, cette ligne de séparation marque approximative- ment la limite de l'implantation massive alémanique en Gaule du N-E, exception faite de poussées ponctuelles et localisées, comme à , Villey-Saint-Etienne, Pompey, Custines, Lay-Saint-Christophe... Ces Germains s'établissent-ils sur le site dans une villa ruinée ou dans des cabanes de bois, à proximité ? Ici encore l'énigme est complète. Mais ils enterrent leurs morts à flanc de coteau, selon leur coutume, en un lieu qu'un écrit du Xe siècle relatif à l'Ab- baye nomme « La terre des hommes francs ». Il semble d'ailleurs que leur cimetière se soit constitué à

Sépultures mérovingiennes (4 ) Dont il subsiste quelques ves- tiges tels que des fragments de partir de la nécropole gallo-romaine (4) établie au-dessus stèles. de la villa centrale. Les sépultures franques ont été fouillées par l'équipe du Centre d'histoire locale de Pompey dans le pré qui s'étend entre le château d'eau et la rue du Comte de Frawenberg mais elles semblent s'étendre sur les propriétés voisines. Leur description est donnée au Livre Il. (5 ) Si nous estimons à une centaine La nécropole paraît avoir été utilisée aux Vie et VIle siècles le nombre des sépultures, à rai- (5). son de 4 générations par siècle, on aboutit à une population Puis un transfert s'opère peu après que les premiers chré- de 25 individus pour 2 siècles, tiens aient bâti à côté de la villa un petit sanctuaire dédié soit 12 à 13 par siècle, ce qui à Saint-Martin : effectivement des tombes du haut est peu. âge ont été découvertes en cet endroit en 1852. Différents indices nous montrent que la religion chrétienne s'est implantée dans la région. Déjà en 362, Eucaire tente d'évangéliser le pays lorsqu'il périt de mort violente, à Pompey, massacré par les Barbares à la solde des Romains. D'autre part, nous savons qu'au Vie siècle beaucoup d'églises furent consacrées à Saint-Martin. C'est le cas de celle de Bouxières. Il est fort probable qu'à cette époque un petit sanctuaire est édifié près de la villa gallo-romaine, et peut- être même avec ses matériaux récupérés, et que les hommes francs se convertissent peu à peu à la nouvelle religion. Abandonnant leur principale nécropole, ils commencent à inhumer leurs morts à proximité du sanctuaire chrétien. Ainsi se forme à cet endroit le noyau du village de Bouxières. Cependant Saint-Martin ne sera pas le seul édifice religieux en ces lieux. Si nous en croyons les récits de la fondation de l'abbaye, un oratoire ou une chapelle consacrée à la Sainte Vierge existe dès avant le Xe siècle, tout en haut de la colline. (6 ) « ... négligée par nonchaloir Tombé en ruines (6), il est redécouvert en 935 par Hardrade, icelle assise au pendant de la montagne au pied de laquelle frère de Gauzelin qui le fait reconstruire pour l'affecter à est assis le village de Buxières... » la première abbaye. Nous ne savons rien de plus de cette construction qui, pour- tant, laissa son nom à la localité au cours du Xlle siècle : Sainte Marie-au-Mont. Elle était bâtie sur un terrain apparte- nant à l'Evêque de qui le céda à Gauzelin. Cette appar- tenance semble trouver ses preuves dans un titre de confir- mation de la donation de Varangéville à l'abbaye de Gorze, (7 ) ... et illam rem in villa Buxa- par Angelrame, Evêque de Metz en 780 (7), au début du rias... règne de Charl'emagne. La donation elle-même remonte à 762, année où Pépin, venu à Gorze assister à la bénédiction du nouveau monastère fondé par Crodegang, lui fit plusieurs présents dont Varan- (8 ) Il ne s'agirait pas de Chaumont géville, au pays de Chaumont (8), et la terre de Bouxières en Haute-Marne mais d'une ville (9). encore inconnue. Si nous ne savons pratiquement rien de l'histoire de la loca- (9 ) Selon Dom Calmet - Preuves lité à cette époque, il est encore plus difficile de la situer de l'histoire de Lorraine -. dans un contexte historique extrêmement confus. En ces temps bouleversés, les descendants de Clovis se déchi- rent. Clotaire laisse l'Austrasie à Sigebert, époux de Bru- nehaut. La rivalité entre l'Austrasie et la Neustrie se termine à la mort de la vieille reine, en 613. Trois ans auparavant la cité de a été cédée par Thierry à son frère Théode- bert, tous deux fils de Brunehaut. Puis, en 622, l'Austrasie tombe aux mains de Dagobert. Lorsqu'en 751, Pépin le Bref se fait sacrer roi des Francs, la dynastie des Mérovingiens cède la place à celle des Carolingiens et l'Austrasie devient la Francie Centrale. Enfin, en l'an 800, Charlemagne est couronné Empereur d'Occident. Durant ces quatre siècles nébuleux (soit le temps qui nous sépare aujourd'hui de la Renaissance), rien ne transparaît de l'histoire de Bouxières, petit hameau aux humbles cabanes serrées près de son église primitive. En 855, à la mort de Lothaire, son fils Lothaire II reçoit un état qui prend son nom : Lotharii reguum ou Lotha- ringie dont la transcription en langue romane est Lorraine. Le temps des divisions et des troubles politiques n'est pour- tant pas encore terminé. La Lorraine balance entre la et l'Allemagne. Giselbert en est le souverain mais il se rallie provisoirement à la cause germanique jusqu'à l'avènement d'Otton 1 er. A cette époque, Toul a pour évêque Gauzelin qu'un hasard va amener à Bouxières (voir au Livre 1 « L'abbaye de Bouxières »), où il crée un couvent de femmes en 935. Ainsi, à partir du milieu du Xe siècle, Bouxières est consti- tué d'un petit hameau dont les quelques maisonnettes se regroupent près de l'église Saint-Martin et d'une abbaye bénédictine créée par Saint-Gauzelin autour de Sainte-Marie, au sommet de la colline. A cette même époque, la Comtesse Eve, fondatrice du prieuré de Lay (Saint-Christophe), est inhumée à Bouxières mais nous ne savons si c'est à l'abbaye ou à l'église. La petite communauté ne croît que très lentement. Elle est encore bien isolée de Nancy, au moins jusqu'aux environs de l'an 1070, année au cours de laquelle l'abbesse fait établir un pont de bois sur la Meurthe auquel aboutit le chemin de Champigneulles. Le XIIe siècle se passe sans que l'histoire de Bouxières soit marquée de faits importants et connus. Il en est de même pour le siècle suivant. Si les habitants, de leur colline, sont témoins des combats furieux qui se déroulent dans la plaine, sur la rive gauche de la rivière, en 1225, (le Duc de Lorraine contre le Duc de Bar), et en 1407, (Charles II contre les alliés), du moins n'en subis- sent-ils pas les conséquences directes. Par contre, ils sont fortement éprouvés par le terrible hiver qui sévit cette an- née-là, détruisant le vignoble et faisant des victimes parmi la population. A cette époque où le sucre est encore inconnu, nombreux sont, dans les villages, les ruchers (chasteure ou chastri) qui fournissent le miel et la cire. Ils comprennent de 5 à 30 ru- ches (vaxel) bâties avec des bûches de tilleul, de l'osier et de la paille sur des banquettes de terre dénommées thiels. On ne parle pas encore des abeilles, mais des mouchettes (mouhattes ou mohlattes). Le produit des ruchers peut servir de redevance en nature. Ainsi, en 1440, George, fils du prévôt Goucey, demeurant à Bouxières, doit au domaine ducal, sa vie durant, et pour chacun an, à cause de sa bourgelise, 5 pintes de bonne cire. La tradition orale veut que Jeanne d'Arc soit passée à Bouxières et y ait fait halte à l'auberge. Aucun texte valable ne vient à l'appui de cette thèse. Car si Jeanne vint en pèlerinage à Saint-Nicolas, elle chevaucha de Toul à Port par le Vermois. Il est vrai que affirme également son passage. De là à supposer que, de cette bourgade à Saint-Nicolas, elle soit passée par Bouxières, il n'y a qu'un pas, que nous ne franchirons d'ailleurs pas, car dans cette hypothèse elle serait passée à Nancy. Or, elle ne vit Charles II dans cette ville qu'au retour de Port et en repartit aussitôt pour Toul et Vaucouleurs. Cependant, depuis que la route de Nancy à Metz emprunte le pont de Bouxières, des habitants ont l'occasion de voir passer plus de monde. En l'an 1476, au mois de Septembre, c'est un cortège de ca- valiers qui défile au pied du village et franchit la Meurthe pour se diriger vers Champigneulles. Les villageois reconnais- sent celui qui chevauche à leur tête : c'est Charles le Té- méraire qui de Pont-à- se rend à Nancy. De l'autre côté du pont, une importante troupe l'attend, groupée autour de René II, duc de Lorraine. La rencontre est fort chaleureuse si l'on en croit les chroniqueurs, et les deux princes prennent le chemin de la capitale lorraine en de- visant courtoisement. Mais leurs relations ne tardent pas à s'envenimer et, en 1477, c'est la bataille de Nancy dont les gens de Bouxières vont être les témoins du dernier et tragique épisode. Le combat du pont de Bouxières Lorsqu'en Janvier 1477 se déroule la bataille de Nancy, au cours de laquelle le Duc de Bourgogne trouve une mort violente, Bouxières va devenir le théâtre du dernier et san- glant combat qui parachèvera la défaite du Téméraire. Ses troupes battues devant les murs de la capitale lorraine tentent de fuir vers le Nord pour rejoindre Metz et Luxem- bourg. Quelques guerriers parviennent à franchir la Meurthe du côte de mais la plupart cherchent leur salut en prenant la route qui franchit la rivière au pont de Bouxières, seul ouvrage existant à cette époque dans la région. Ils chevauchent donc à bride abattue sur la chaussée, passant au pied du village de Champigneulles sans se douter de ce qui les attend. Car, la veille, Nicolas de Montfort, un Ange- vin, fait Comte de Campobasso par le Duc de Lorraine, au cours de son séjour en Italie (10) et passé ensuite au ser- (10) Campobasso : ville de l'Italie vice du Téméraire, est allé trouver René à Saint-Nicolas. au Nord de Naples dans la ré- Il lui a proposé froidement d'assassiner son maître ou de lui gion de Molise. couper la retraite au pont de Bouxières. « J'ay volonté moy et mes gens que sont en nombre de trente, d'aller au pont de Bouxières, lequel je barreray, là, je scay véritablement que incontinant que lui livrerez bataille pren- dront la fuite. Et moy qui seray au dit pont, je vous promets foy de Comte que bien tiendray le passage et, se le duc Charles y vint, je me cognois, je le prendray prisonnier et vous le délivre - ray en vos mains, ou, au dit lieu de le méneray... ». René a accepté cette proposition. Mais les Suisses, alliés des Lorrains, n'apprécièrent pas cette trahison et refusèrent de recevoir Campobasso parmi eux. Il s'est donc dirigé vers Bouxières avec environ 140 hommes d'armes. Sans doute même alla-t-il jusqu'au château de Condé (aujourd'hui Custines), forteresse surveillant la , à une lieue de Bouxières et qui servait de magasin et entrepôt important, tombé aux mains du Téméraire. Il était accompagné de son frère Angelo, de son cousin de Montfort et de leurs soldats. Dom Calmet : Preuves de l'histoire de Don Calmet déclare qu'il dut probablement s'emparer du Lorraine. château de Condé où s'entassaient les vivres et marchandises du duc Charles. Mais Campobasso étant du parti de Bour- gogne avait certainement un accès facile à la forteresse de (11) Il écrivit de ce château une Condé sans qu'il lui soit besoin de forcer les portes (11). lettre à René. Quoi qu'il en soit, lorsque les fuyards arrivent au pont de Bouxières, ils trouvent celui-ci barré par des chariots, ton- neaux et autres matériaux empruntés au village et derrière lesquels sont postés les hommes du capitaine. D'autre part, ils sont talonnés par les Suisses qui les pour- suivent depuis Nancy. « Les gens de chevaux et à pied droit au pont vinrent, trou- vèrent les Bourguignons que là ne pouvoient passer, sur eux commençèrent à charger... ». Ainsi les soldats en déroute se trouvent pris, à l'entrée du pont, entre deux feux. En ce mois de Janvier, la température est rigoureuse, les eaux de la Meurthe sont prises en glace. Le combat est acharné. Plus de six cents Bourguignons sont massacrés par les Suisses. Ceux qui tentent de passer sur la glace encore fragile se noient et les quelques désespérés qui se retrouvent sur un glaçon flottant à la dérive essayent de s'échapper en navi- guant. Mais dès qu'ils touchent la rive les Suisses, sans pitié, Maison du XVe siècle brisent les glaçons avec leurs grandes piques, de sorte que les rue V.-Henry malheureux se noient dans l'eau glacée. Dans l'acharnement du combat, certains fuyards ont réussi à passer de l'autre côté du pont. Mais ils sont aussitôt pris en chasse par les hommes de Campobasso, poursuivis sans pitié. On en tue jusqu'à Condé. D'autres encore trouvent la mort en combattant sur le pont et aux environs. Quelques groupes faisant demi-tour réussissent à regagner Champi- gneulles et fuient par la forêt de Haye. La chronique de Lorraine nous donne le récit de ce terrible combat : « Le Comte de Campebese que a pont de Bouxières estoit moult fort l'avoit barré ; tous les Bourguignons y cruydoient passer, tous estaient arrestés, le Comte moult en prins, doub- tant que les Suysses ne lui ottissent, les admena droict à Commerçy. Les gens à cheval et à pied subittement à pont viendrent, trouvèrent les Bourguignons que là passer ne pouvoient, sus eulx commencirent à chargier plus de Vje (V°) devant le dict pont en y eut des tués ; les ungs avoient la teste fendue, les altres les bras coupés, les altres des cops de picques avoient le corps percé, moult y eut de noyés, cruydant la ripvière passer. La dicte rivière point ne portoit qui les ont veu plusieurs sur des glaçons venir contre le val, ils sembloient à les veoir ceux qui mènent les voiles (que ils me- nassent des voiles de planches parmy la rivière). Quand du pont venant, les Suysses, de leurs piques, devant eux la glace romp oient et tous les faisoient noyer. Grand argent voloient donner et que on les eust prins pri- sonniers (mais les Suysses n'en vouloient prendre à mercy). Le pont desbairré estoit, plusieurs Bourguignons passé y avoient ; la chasse jusqu'à Condé on leur donnait ; maints en y eut des prins et mis à mort, tous ce que les Suysses pouvoient prendre et avoir, tous les mettoient à mort. Le Duc René tout doulcement avecque plus de ... et toutes les bannières que les capitaines avoient mis entour de luy marchoient par tosjors veoir se aulcunes bandes des Bour- guignons mouvoir se volloient. Quand es jardins de Bouxières vient là s'arrester. On avoit commencé la bataille entre X à XI ; estoit V heures quand es jardins arriva... ». Documents Lorraine - 1859. tiré de La Chronique de Lorraine (attribuée sans certitude à Emond du Boullay, hérault d'armes du Duc. Elle serait due à un jeune homme qui participa à la bataille de Nancy). Ainsi, très avisé, Campobasso a fait prisonnier les officiers qu'il expédie aussitôt à Commercy, dans la crainte que les Suisses ne le lui ravissent à leur profit. Car les officiers sont des captifs négociables desquels il pourra tirer une estimable rançon. Pourquoi Commercy ? Parce que le traitre avait reçu de René, en 1472, le château de cette ville, lorsqu'il était « son très cher et féal conseiller et chambellan ». Mais, dans l'après-midi, le duc de Lorraine s'inquiète du sort de son adversaire pour lequel il garde malgré tout grande estime et grande crainte. Le croyant échappé vers ses états du Nord, il se rend, accompagné de quelques chevaliers et de soldats, à Bouxières où il arrive vers 17 h. On plante aussitôt les tentes dans les jardins au pied du village. René se plaint, disant : « Le Duc de Bourgogne est réchappé, jamais ne serai en paix, il reviendra quoi qu'il charge et plus fort la guerre me fera... ». Un soldat lui répond : « Monseigneur, ne vous esbahissez pas, je vous certifie que ung prisonnier que pris avoit été auprès de Clévant, luy ai demandé de Monsieur de Bourgogne s'il est eschapé - ung brief serment a fait qu'il l'avoit vu abattu auprès de Saint- Jean mais qu'il ne scait, s'il est pris ou mort ; comme je l'amenoye le dit prisonnier, les Allemands l'ont tuez... ». Les compagnons de René s'écrient alors : « Monseigneur, voici bonnes nouvelles, il est tard, retirez vous et allons tous à Nancy ; de cette nuit et demain de jour autres nouvelles aurez... ». Le Duc, écoutant leur conseil, ordonne le retour à Nancy. Tous retraversent la Meurthe sur le pont encore jonché des restes de la bataille et rougi du sang des combattants. La nuit est déjà avancée lorsqu'ils entrent dans la ville par la porte de la Craffe à la lueur des torches. Ce n'est que le lendemain que le cadavre du Téméraire sera retrouvé dans les glaces de l'étang Saint-Jean. Mais des cadavres de Bourguignons, il y en a quantité aux abords du pont de Bouxières et dans le lit glacé de la rivière. Pendant longtemps encore les gens du village parleront le soir à la veillée de Campobasso, le traitre, et du massacre des B ourguignons. En souvenir de cette fameuse et terrible bataille, une croix de pierre sera érigée sur le parapet au milieu du pont. Ce n'est que beaucoup plus tard, en 1550, que les Bouxié- rois entendront parler de Charles le Téméraire dont la dé- pouille mortelle est restée à Nancy. Le 12 Septembre de cette année, un étrange cortège franchit La vieille auberge le pont. Un char attelé de plusieurs chevaux et couvert de noir s'avance lentement conduit par un Carme assis et tenant une grande croix d'argent. Des cavaliers tout de sombre habillés, l'air austère, l'accompagnent. Intrigués les habitants s'informent. Ce sont les restes du Duc de Bourgogne ! Partis de la Collégiale Saint-Georges, ils sont convoyés, par Metz et Luxembourg, vers Bruges où ils repo- seront en terre flamande et bourguignonne. Et voici qu'ils passent, soixante treize ans après, à l'endroit où Campobasso avait projeté d'arrêter le Duc Charles. Lentement le cortège funèbre s'éloigne sur le chemin en direction de Condé, où flotte la bannière lorraine, et de Loisy choisi pour la halte de nuit. Afin de ne point réveiller le ressentiment des Lorrains, leur souverain a imposé la plus grande discrétion au trans- fert des cendres du Téméraire. Nous ne savons si l'abbesse de Bouxières, usant de ses prérogatives, exigea du convoyeur le montant du péage ordinairement prévu pour les charrois. Peut-être un char funèbre faisait-il exception à la règle !

Le temps des misères Vivant dans la dépendance de l'abbaye, les habitants de Bouxières sont soumis, outre celles du duché, aux corvées et impôts qui deviennent insupportables dans les temps de guerre, d'épidémies ou de calamités climatiques. La peste qui fera tant de victimes en Lorraine ne les épargne pas, le plus souvent apportée par les soldats. En 1544, une somme de 12 florins est quittée aux habitants « en déduction de 102 florins à eux imposés pour l'aide Je remercie toutes les personnes qui par leurs indications, leurs souvenirs ou leur documentation m ont aidé a enrichir cette simple histoire de Bouxieres.

Achevé d'Imprimer en Décembre 1978 sur les Presses de l'Imprimerie STAR à Saint-Nicolas-de-Port Dépôt Légal : Quatrième Trimestre 1978 Couverture : Photo CROUZAT

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