POLITIQUE & ÉCONOMI€ GÉRALD « À Bercy, je ne suis DARMANIN pas extrêmement heureux »

PORTRAIT

« Ministre à 34 ans, ça ne se refuse pas. » Voilà ce qu’aurait déclaré Gérald Darmanin à ses anciens collègues des Républicains qui lui en veulent à mort d’avoir franchi le Rubicon d’En Marche ! Quand Emmanuel Macron lui propose ce poste, le jeune maire de Tourcoing n’en croit pas ses oreilles. Il l’accepte avec un bonheur non dissimulé. En quelques années, l’ambitieux a franchi toutes les étapes obligées du politicien en fin de carrière : militant, assistant parlementaire, député, maire, ministre. Il ne lui reste qu’une case à cocher : celle de l’Élysée. À son âge, il a la vie devant lui et déjà des envies d’ailleurs. Cet électron libre, monté sur ressorts et programmé pour être président de la République, assure qu’il ne le sera jamais. « Trop de contraintes. » Il pense ouvrir un restaurant ou aller dans le privé sitôt son expérience gouvernementale terminée. On n’est pas obligé de le croire.

PAR ASTRID DE VILLAINES PHOTOS OLIVIER ROLLER

mai 2017, jour officiel de l’investiture d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Gérald Darmanin regarde la cérémonie chez lui, à 14 Tourcoing, devant sa télévision. La semaine précédente, il a voté « avec enthousiasme » pour Emmanuel Macron, contre Marine Le Pen. Sa ténacité face aux ouvriers de Whirlpool à Amiens et surtout le débat télévisé de l’entre-deux-tours l’ont impressionné. « Non seulement il l’emporte, mais il l’emporte sans facilité, sans choisir les poncifs de la gauche comme la morale. Il la démonte sur le fond, il l’a déconstruite pour plusieurs années », se souvient-il, six mois après le face-à-face. Sa famille politique n’a pas appelé franchement à voter pour Emmanuel Macron, certains voulaient même un vote blanc. Il est déçu. Il pense alors rejoindre le privé, ou briguer la présidence du parti, comme le lui conseille vivement l’un de ses plus proches en politique, Xavier

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« Christian Vanneste m’a donné ma chance, il m’a pris comme stagiaire, il avait une conception qui n’était pas la mienne, mais c’était un prof de philo, intéressant, je ne renie pas ces années militantes »

Bertrand. Il est en tout cas loin, très loin de penser qu’il Raté, c’est Emmanuel Macron en personne qui le reçoit, loup passe trois coups de fil. D’abord, à Édouard Philippe. taire au Parlement européen, plutôt que d’aller faire entrera au gouvernement trois jours plus tard. Un coup pendant plus d’une heure, en tête à tête. « Il est impres- Puis, à Xavier Bertrand : « Il m’a demandé mon avis, je lui un Erasmus. Ensuite, pour le député du Nord, Christian de fil aurait pourtant dû l’alerter. sionnant. Il vous regarde droit dans les yeux, vous fixe avec ai conseillé d’y aller. Il en avait envie. Gérald pense que la Vanneste, dont il est le stagiaire à l’Assemblée nationale ses yeux bleus, vous serre la main sans la lâcher. Il a un droite avec Wauquiez, c’est “no way”. Il n’a pas renié ses et le responsable des jeunes UMP à Tourcoing, où il « Allô, oui, c’est Édouard Philippe charme incomparable », affirme aujourd’hui le ministre. valeurs, il est cohérent », appuie l’actuel président de la entend bien s’implanter. Un engagement qui lui vaut – Oui, Édouard ? « Vous êtes le meilleur de votre génération », lui aurait région des Hauts-de-. Enfin, à Nicolas Sarkozy. encore de nombreuses critiques, alors que l’ancien – Est-ce que tu veux rencontrer Emmanuel Macron ? soufflé Emmanuel Macron pour l’amadouer. « Avec le « J’appelle aussi mon meilleur ami, Sébastien Lecornu député du Nord a été condamné par la justice pour – Non, ça va, je n’ai rien à lui demander. Premier ministre, on a pensé à vous pour le ministère de (qui rejoindra le gouvernement après les législatives – homophobie, avant d’être exclu de l’UMP. « Il m’a donné – Tu ne l’aimes pas ? l’Action et des comptes publics. » Gérald Darmanin tombe NDLR), mais également, le lendemain, Édouard Balladur, ma chance, il m’a pris comme stagiaire, il avait une concep- – Ce n’est pas que je l’aime ou que je ne l’aime pas, c’est juste de sa chaise. « Je me dis : “Où est la caméra cachée ?” » Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin », ajoute le tion qui n’était pas la mienne, mais c’était un prof de philo, que si je vais le voir, au QG, avant son investiture, ça n’a s’amuse-t-il avec le recul. « Monsieur le Président, puis-je ministre, dans un salon de l’hôtel de Cassini où il nous intéressant, je ne renie pas ces années militantes », tente aucun sens, je vais être pris en photo devant… » vous demander qui est le Premier ministre ? » « C’est reçoit longuement autour d’un thé. d’assumer aujourd’hui le ministre des Comptes publics Édouard Philippe », lui annonce Emmanuel Macron, alors qui revendique un droit à changer d’avis. « Vanneste, « VOUS ÊTES LE MEILLEUR DE VOTRE GÉNÉRATION » que celui-ci n’est pas encore officiellement au courant. STAGIAIRE DE CHRISTIAN VANNESTE c’était il y a douze ans. On ne peut pas faire comme si la À ce moment-là, quelques jours avant la prise de La donne a changé dans la tête du jeune homme de 34 Tout va alors très vite. Passation de pouvoir avec Michel vie de quelqu’un en douze ans n’évolue pas. Mes parents fonction officielle du président élu, Gérald Darmanin ne ans. « J’ai alors dit cette phrase idiote : “Je vais réfléchir, Sapin et Christian Eckert, et arrivée dans un ministère ont divorcé jeunes, je me suis toujours dit que je ne divorce- se doute pas qu’Édouard Philippe discute avec lui. C’est Monsieur le Président.” » « Vous allez réfléchir, mais la qu’il ne connaît pas. Bercy. Une forteresse où l’on est rais pas, j’ai divorcé. J’ai changé ma vision sur beaucoup de un autre coup de fil, deux heures après la cérémonie du nomination, c’est mardi. Donc à mardi ! » conclut Macron très vite coupé des réalités et dominé par une adminis- choses et j’ai appris à ne pas trop la ramener sur les sujets dimanche 14 mai, qui va lui mettre la puce à l’oreille. dans un sourire. tration puissante, technique, réputée pour ne pas faire compliqués. » « Tu as rendez-vous ce soir, à 18 heures avec le président de de cadeaux. Darmanin n’est pas énarque, il est diplômé la République », lui annonce son ami de dix ans, Édouard Gérald Darmanin comprend que celui qui a soufflé de Lille et a redoublé la première année. À la même époque, il écrit également pour un journal Philippe, encore maire du Havre, lui-même pas encore son nom à Emmanuel Macron est Édouard Philippe. « Quand il a eu son diplôme, il est venu me demander des royaliste, Politique magazine, par l’intermédiaire de l’un certain à cet instant de devenir le premier Premier « Quand on te propose le budget à mon âge, tu ne peux pas conseils pour aller en prép’ENA », se souvient Pierre de ses amis d’enfance, Guy de Chergé. « J’ai dû faire trois ministre du président En Marche ! Gérald Darmanin y va, refuser », se justifiera-t-il plus tard selon le député LR Mathiot, alors directeur de l’Institut d’études politiques articles et deux chroniques littéraires qui n’ont rien à voir bien évidemment. Il a déjà rencontré François Hollande, Damien Abad, déçu par le choix de son ancien collègue de Lille, aujourd’hui en charge de la réforme du Bac pour avec le royalisme, répond-il. Moi, à partir du moment où on il ne va pas refuser une telle invitation. De toute façon, de rejoindre la majorité avant les législatives qui vont le ministre de l’Éducation. « Je lui ai dit que s’il voulait me propose d’écrire, j’écris. » Pour ceux qui le connaissent « ça ne coûte rien, et je ne serai pas ministre d’un Premier affaiblir durablement la droite. « Le parti ne lui aurait passer l’ENA pour faire de la politique, il valait mieux aller bien, c’est une façon de grimper les échelons le plus vite ministre de gauche de type Ferrand ou Castaner », se dit jamais donné un tel poste », concède l’ancien « cadet directement en politique, parce qu’il allait rater l’ENA ! » possible. « Il n’est pas homophobe, mais rejoindre Vanneste celui qui, il y a quelques mois encore, soutenait Nicolas Bourbon », club politique fondé en 2013 à l’Assemblée faisait partie de sa stratégie pour construire son parcours Sarkozy à la primaire de la droite. « Je pense alors que je nationale avec Gérald Darmanin quand ils étaient Darmanin n’est pas un élève comme les autres. Tout au politique, analyse Pierre Mathiot. Il les instrumenta- vais être reçu pas un conseiller, je ne suis même plus par- jeunes députés. « Il n’hésite pas un quart de seconde, il est long de sa scolarité à Sciences Po, toujours en costume, lise tous un peu à chaque fois, il voulait avancer dans sa lementaire… » très heureux », confirme Thierry Solère, député LREM, il travaille en parallèle pour des élus. D’abord, pour carrière. » « Je fais ça pour entrer en politique », reconnaît très proche de Darmanin. À la sortie de l’Élysée, le jeune Jacques Toubon, dont il devient l’assistant parlemen-

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Lors de son discours de prise de fonction à Bercy, il évoque sa mère, femme de ménage à la banque de France, « une ironie » alors que lui devient ministre du Budget. Il n’oubliera jamais « tous ceux qui la méprisaient quand elle faisait ses ménages »

aujourd’hui Gérald Darmanin, quitte à passer pour une les maires du coin soutenaient Vanneste, assure Droart, du budget de l’État. Ma nomination de ministre, je la dois plusieurs reprises « Mylène », sa secrétaire à la mairie de personnalité prête à tous les reniements. encore admiratif. S’il n’y était pas allé à ce moment-là, il à deux personnes : le président et le Premier ministre. La Tourcoing. « Mylène n’est pas très riche, la suppression de aurait raté sa carrière. » Et le jeune ambitieux ne s’est pas mairie, je la dois à 60 000 électeurs. » la taxe d’habitation, c’est pour elle qu’on l’a faite. Je vous la « Politiquement, c’est un opportuniste, au sens étymolo- arrêté là. présenterai, vous verrez ! » Beaucoup n’auraient pas osé. gique du terme. Il s’adapte aux circonstances, sans grande Darmanin aime les gens. Ce ne serait pas feint selon Lui a la légitimité. conviction », analyse le député centriste Charles de UN JEUNE HOMME QUI N’A PEUR DE RIEN ceux qui le connaissent et l’apprécient. Thierry Solère, Courson, évoquant cette fois son passage des Répu- Deux ans plus tard, le benjamin de l’Assemblée nationale élu des Hauts-de-Seine, a été convié une fois à ses vœux Lors de ce débat, que plusieurs ténors de la droite blicains à La République en marche. « Traître », disent se présente cette fois à la mairie de Tourcoing, aux à la mairie de Tourcoing. « Il faut que tu viennes, ça n’a comme ont refusé, il tient la distance quant à eux Les Républicains, encore abasourdis par son élections municipales de 2014. La ville est acquise à la rien à voir avec chez toi », lui intime son ami. « Il salue les face à la dirigeante du Front national. Il n’a peur de changement de parti. « Quand vous êtes soldat dans une gauche depuis 1989. Tout le monde le dit : c’est injouable. habitants un par un, il se souvient de chaque situation per- rien et compense en travaillant. Un collaborateur de armée et que vous passez dans le camp d’en face, on appelle « Tourcoing, je pensais que ça allait être compliqué, sonnelle », raconte le député, impressionné. Avec Xavier député qui assistait à certaines réunions avec lui quand ça trahir son camp », tranche Julien Aubert, autre ancien mais il est capable de convaincre et de retourner le vote Bertrand, ils évoquent souvent ensemble la situation de il était directeur de cabinet de David Douillet, au début cadet Bourbon, élu des Bouches-du-Rhône. « En interne, de quelqu’un sur le terrain en une rencontre », souligne leurs administrés issus de catégories très populaires : des années 2010, se souvient : « C’est lui qui tenait la sa carrière n’aurait pas été aussi évidente. Il avait envie Xavier Bertrand. « Je lui ai dit : “Il s’agit de perdre dans « Il est vraiment touché par ce qu’il entend dans ses perma- baraque. Il n’était pas ministre, mais c’était tout comme. » d’un maroquin », explique la députée Virginie Duby-Mul- de bonnes conditions.” Il m’a répondu : “Mon objectif, nences », relate son père politique. Une vision nuancée par l’ancienne cheffe de cabinet ler, restée, elle, chez Les Républicains, malgré une solli- c’est de gagner” », se souvient, amusé, Pierre Mathiot adjoint de David Douillet, Caroline Fel : « Il faisait plein citation appuyée de Gérald Darmanin pour rejoindre Les qui lui donne régulièrement des conseils. Il a fait une De ses origines populaires, Darmanin en parle dès qu’il de choses, mais le ministre, c’était David. Il était excellent à Constructifs après les législatives. campagne intense, « dure » selon ses propres mots. « On peut. Lors de son discours de prise de fonction à Bercy, cette place-là, il nous faisait travailler dix-huit heures par travaillait jusqu’à minuit, on faisait du porte-à-porte, on il évoque sa mère, femme de ménage à la banque de jour, avec un grand sourire, dans les meilleures conditions Ce procès en opportunisme glisse sur Darmanin comme écrivait aux gens… On n’a jamais fait une campagne comme France, « une ironie » alors que lui devient ministre du possibles. » Une force de travail saluée par tous ceux l’eau sur les plumes d’un canard. « Je n’ai rien à répondre », celle-là ! commente Didier Droart, militant historique et Budget. Il n’oubliera jamais « tous ceux qui la mépri- qui l’ont croisé, assortie d’une ambition et d’un sens évacue-t-il en levant les yeux au ciel alors qu’il était ancien adjoint à la ville quand elle était à droite en 1983. saient quand elle faisait ses ménages ». Il l’accompagnait, politique rare pour son âge. plus franc, quelques semaines plus tôt, dans l’hebdo- Le maire sortant, Michel-François Delannoy, ne l’a pas vu le soir, assis sur un petit tabouret avec un livre : « Les madaire Valeurs actuelles : « Je ne suis pas un oppor- venir, il pensait l’emporter au premier tour, comme en 2008. mecs passaient devant elle et ne lui disaient pas bonjour », Très vite, il est repéré par Nicolas Sarkozy qui entend tuniste, je saisis les opportunités. » Nuance. Un sens Au conseil municipal, il ne le prenait pas au sérieux. Il le s’émeut sincèrement le ministre, descendant d’un juif bien en faire son porte-parole pour sa reconquête de de l’opportunité qui va s’avérer gagnant en 2012, au considérait comme un étudiant. » maltais du côté de son père et d’un tirailleur algérien l’UMP en 2014. « C’est évident que Nicolas Sarkozy s’inté- moment où les listes pour les législatives sont en train du côté de sa mère. « Il y a une part de sincérité et une ressait à lui à un moment. C’est l’un des plus talentueux d’être constituées. L’UMP décide d’exclure le député Résultat : victoire au second tour avec 45 % des suffrages. part de mise en scène », décrypte Damien Abad qui a été de sa génération », observe, après coup, Xavier Bertrand du Nord, Christian Vanneste, à cause de ses dérapages. Au premier tour, il était en deuxième position. Il est emmené, comme d’autres, dans un routier de Tourcoing qui n’aurait pas mal vécu ce débauchage. Malgré sa « Gérald attend patiemment…, se souvient l’actuel maire allé chercher chaque voix manquante, une à une. Cette pour déjeuner, alors qu’il était de passage dans la ville « fidélité » à ce dernier, alors candidat à la primaire de de Tourcoing, Didier Droart. Et puis, il y va. » À 29 ans, élection reste son plus beau souvenir politique. « J’ai été de son collègue. « Il voulait montrer ce côté populaire », 2016 et de plus en plus en froid avec l’ancien président contre toute attente, il devient député, en pleine vague plus heureux d’être élu maire de Tourcoing que d’avoir été analyse-t-il. En octobre dernier, face à Marine Le Pen, de la République, Darmanin va suivre son instinct et rose et face à la dissidence de son ancien patron. « Tous nommé ministre, ose-t-il, dans ses habits de responsable lors de « L’Émission politique » de France 2, il cite à cette nouvelle « opportunité » qui s’ouvre à lui. Il en

51 52 « Il a une intelligence politique rare, mais il n’arrive pas à la garder pour lui. Son côté pressé transpire. Il faut qu’il arrive à canaliser cet aspect-là de sa personnalité » FRANÇOIS-MICHEL LAMBERT

touche tout de même un mot à son mentor. « Quand je vois que quelqu’un a envie de faire quelque chose, je n’ai pas envie de l’en dissuader. Il avait envie de voir de près l’animal politique qu’est Sarkozy », se remémore Xavier Bertrand. « Nicolas Sarkozy est un animal, confirme Gérald Darmanin dans son livre Chroniques de l’ancien monde (éditions de l’Observatoire, 2017). Un gros lion tout en énergie qui essaie de se contenir. » Un peu comme lui. « Il a une intelligence politique rare, mais il n’arrive pas à la garder pour lui. Son côté pressé transpire. Il faut qu’il arrive à canaliser cet aspect-là de sa personnalité », conseille le député La République en marche, François- Michel Lambert, de seize ans son aîné. « C’est un bouli- mique », abonde le député FN du Nord Sébastien Chenu. « Il veut tout faire, tout faire, tout faire ! Il est resté trois ans député, trois ans maire, mais que construit-il ? Comment juger son bilan ? » s’interroge celui qui l’a également côtoyé sur les bancs de l’Assemblée régionale. « J’avais les mêmes défauts au même âge, reconnaît Xavier Bertrand, être impatient, toujours dans le coup d’après, pas assez concentré sur un dossier. Mais il est en train de conjuguer tout cela au passé. »

UN PROFIL TRÈS POLITIQUE À BERCY En arrivant à Bercy, le jeune ministre a dû beaucoup tra- vailler. « Je n’avais jamais été à la commission des finances, quand je suis arrivé, j’ai découvert le sujet », reconnaît-il. « Il a tout de suite pris très à cœur ses responsabilités », assure , lui-même énarque et haut fonc- tionnaire, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, devenu ministre de l’Économie d’Emmanuel Macron. « Il m’a scotché. Tout le monde l’attendait au tournant. Il a travaillé comme un acharné. Il a su déjouer tous les pièges. Il a su

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À l’Assemblée, chacune de ses envolées oratoires comporte en général un clin d’oeil à un film, une chanson ou un poème. « C’est peut-être un détail pour vous, mais, pour moi, ça veut dire beaucoup », lance-t-il en plein débat budgétaire, reprenant les paroles d’une chanson de France Gall.

être plus solide et plus technique que son administration. » ses collègues issus de la gauche, voir un sarkozyste anti vite devenu le « chouchou » des députés de la majorité. vous, mais, pour moi, ça veut dire beaucoup », lance-t-il Même analyse pour son ami Thierry Solère : « C’est une « mariage pour tous » débarquer dans un gouvernement Il répond à tout le monde, se rend disponible, monte en plein débat budgétaire, reprenant les paroles d’une belle mécanique. Il dort peu et avale beaucoup de fiches. d’ouverture lui a fait « un peu bizarre au début ». Même même parfois dans leurs bureaux entre deux séances. chanson de France Gall. Mais également Desproges ou Quand il ne comprend pas, il le dit. » L’ancien questeur son de cloche au sein du groupe de La République en « Il les bichonne. Il a compris comment ça marchait. Comme Louis de Funès, suscitant des sourires sur quasiment de l’Assemblée assure que les hauts fonctionnaires de marche à l’Assemblée. « Les députés qui venaient du MJS ils sont nuls et paumés, ça fonctionne », persifle Sébastien tous les bancs. Une culture populaire qu’il s’est forgée Bercy qu’il connaît sont « emballés par Darmanin ». « Il (Mouvement des jeunes socialistes – NDLR) ont eu un Chenu. Dans l’hémicycle, ses saillies les plus virulentes tout seul. Il raconte que plus jeune, il chantait dans le a un profil très politique, cette maison adore les ministres moment d’observation, reconnaît-on dans l’entourage de sont réservées à ses anciens amis des Républicains. métro pour payer ses études. Boby Lapointe ou Georges qui portent les dossiers sur le devant de la scène. C’est ce Richard Ferrand, mais très vite, ils ont été emballés, parce « Il est dur avec nous », se lamente Virginie Duby-Mul- Brassens, son chanteur préféré. « Il chante tout le temps, que fait Gérald. » qu’il s’est mis à fond dans le mouvement. » Devenant ainsi ler, qui n’observe pas la même posture chez Bruno Le en réunion, dans la voiture, tôt le matin, avant d’aller le ministre le plus politique d’Édouard Philippe, Gérald Maire. « Nous n’avons pas le même tempérament, justifie prendre un avion », notent des membres de son équipe. Mais ces louanges venues de son camp ne font pas Darmanin n’hésite pas à renvoyer aux républicains le ministre de l’Économie. Gérald cogne facilement, il ne Une joie de vivre qu’il revendique : « J’aime la vie, j’aime l’unanimité, notamment chez les experts du budget leurs contradictions, et aux socialistes leur bilan, avec mesure pas toujours le poids des mots, mais ce n’est pas bien manger, j’aime bien boire, j’aime voyager. » à l’Assemblée nationale, comme Charles de Courson, un sens de la formule parfois assassin. Des remontées grave, il fonce. » Une attitude vis-à-vis de la droite qui magistrat à la Cour des comptes de formation. positives qui sont parvenues jusqu’au bureau d’Em- passe très mal chez ses anciens collègues. « Il sait croiser Un bon vivant qui use et abuse également de son sens « Darmanin n’est pas un très bon connaisseur des questions manuel Macron : « Le président de la République est le fer, mais il a un côté donneur de leçons, tête à claques, de l’humour. « Il adore épater la galerie », reconnaissent budgétaires. Du point de vue technique, il débarque ! tacle très satisfait des premiers pas de son ministre à Bercy, note Julien Aubert, qui le surnomme “Darmalin”, c’est les cadets Bourbon qui citent les blagues qu’il raconte d’emblée le député de la commission des finances. Il fait notamment par rapport à la relation qu’il a su construire un très bon mercenaire pour Emmanuel Macron, mais, à chaque repas. « Ça peut être Toto à la plage, des blagues souvent de la politique politicienne, surtout lorsqu’il ne avec les députés de La République en marche », se félicite chez nous, son impertinence passe pour de l’arrogance. » sur les Belges… », raconte Damien Abad. C’est également maîtrise pas les dossiers. Je lui ai d’ailleurs dit un jour en l’Élysée. Lui assure avoir « toujours peur de prendre la Le spécialiste de la « punchline » se justifie en invoquant graveleux en fin de dîner selon plusieurs participants. aparté : “J’espère que tu ne seras pas là dans deux ans, parole dans l’hémicycle et ne pas être très à l’aise ». Un sa première question au gouvernement en tant que « Il est entre le salace et l’humour noir, un peu comme moi », parce que les comptes publics risquent d'être en déficits député qui le connaît bien a remarqué qu’il toussote dès ministre : « Quand j’ai pris la parole pour la première fois confirme Julien Aubert. Un humour doublé d’un culot excessifs.” » Darmanin lui aurait répondu par un sourire. qu’il est intimidé. dans l’hémicycle, Les Républicains m’ont hué et sifflé », se qui ne passe pas avec tout le monde. « J’ai vu des vieux souvient celui qui avait alors encore sa carte du parti. « Je députés dire : “C’est qui, ce petit con ?” après une sortie de « LE ROI DES CAFÉS » Depuis toujours, il cultive son réseau dans tous les suis peut-être trop sensible », reconnaît-il en reprenant Gérald à la buvette », se rappelle Alain Chrétien. Très vite, à l’Assemblée nationale qu’il connaît bien, partis. « Je l’ai vu discuter avec tout le monde, de Jack l’analyse de Bruno Le Maire qui y voit « le défaut de sa le ministre Darmanin prend ses aises. Sans notes, il Lang au communiste Alain Bocquet », commente le maire qualité ». « Il est arrogant, pédant, méprisant, il était déjà À Sciences Po Lille, lors d’un conseil d’administration, il n’hésite pas à cogner dans les débats parlementaires de Tourcoing. Il a le SMS et le café faciles. La maire de comme ça à la région. Il cherche à tendre le débat. On dirait avait quelque peu chahuté Pierre Mauroy en lui disant, ou lors des questions au gouvernement, ce qui lui vaut Calais, Natacha Bouchart, se souvient encore de « ces un singe savant », lâche Sébastien Chenu. de façon très polie : « Merci, Monsieur le Premier ministre, la fascination des nouveaux députés. « Dès qu’il prend petits textos qui font plaisir » en plein démantèlement mais vous n’avez toujours pas répondu à ma question. » « Il la parole dans l’hémicycle, sur les bancs de La Répu- de la jungle : « Bon courage, tu vas y arriver. Tiens le « C’EST QUI, CE PETIT CON ? » n’a peur de rien, aucun argument d’autorité ne l’influence », blique en marche et au-delà, on l’écoute. L’hémicycle se coup ! » En 2012, c’était « le roi du café » avec les députés À l’Assemblée, chacune de ses envolées oratoires conclut Pierre Mathiot. Il ne doute de rien. Jamais. « Je tourne tout entier vers lui », observe François-Michel socialistes, rappelle Aubert. « Il n’est pas sectaire », comporte en général un clin d’œil à un film, une suis dans l’instant. Je n’angoisse pas. Je ne me pose pas les Lambert, député LREM venu des écologistes. Comme confirme Solère. Ministre, il a gardé ces réflexes-là et est chanson ou un poème. « C’est peut-être un détail pour questions qui n’ont pas lieu d’être posées. Quand vous avez

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« Le sexisme m’est étranger, mais après, comme tout le monde, culturellement, je suis marqué par la société et j’ai moi-même dû avoir des réflexions sexistes. Ma cheffe de cabinet me le fait remarquer régulièrement »

une mère qui vous couvre d’amour, vous avez confiance en c’est un moment de ma vie… » Et de critiquer le bâtiment « Bas les pattes », pour dénoncer le sexisme dont elles le Président », « comme le veut l’Académie française ». vous pour le reste de votre vie », explique-t-il le plus natu- de Bercy, le logement de fonction et ses « étiquettes sont victimes au quotidien dans leur métier. Parmi « Petit message de solidarité, Julien. Mort aux cons », signe rellement du monde. impersonnelles sur tous les meubles », le fait d’être suivi les citations « off », celle-ci : « Une info, un apéro. » Tout Gérald Darmanin. Ce SMS non plus, il ne s’en souvient en permanence par un officier de sécurité… « Je n’aime le microcosme politique sait qu’elle est signée Gérald plus. Aujourd’hui, le macroniste n’est plus opposé à la « Il n’en a rien à faire de ce que les autres pensent de lui », pas les contraintes, explique le jeune premier, se livrant Darmanin. Interrogé sur le mouvement #balanceton- féminisation des noms : « Je n’ai pas d’opinion sur ce sujet. développe Caroline Fel, qui a travaillé sous ses ordres de plus en plus. Je l’ai déjà dit, je ne veux pas être président porc, le ministre n’est plus très loquace. « C’est très bien Je fais comme les gens veulent », lâche-t-il, magnanime. au cabinet de David Douillet en tant que respon- de la République. Je suis sûr qu’après mon expérience gou- que la société s’empare des sujets avant les partis poli- sable de la presse. C’est ce qui l’amène à sautiller et à vernementale, j’arrêterai. » Bien sûr, il ne dirait pas non à tiques. » Une réponse à la Sciences Po. Rien d’autre. Gérald Darmanin a tout obtenu très vite. Jusqu’où chanter à tue-tête : « Qu’est-ce qu’on est serrés au fond un portefeuille régalien, « l’Intérieur ou les Affaires étran- « C’était bien vous : “Une info, un apéro” ? » lui demande- ira-t-il ? « C’est Zébulon, il rebondira à chaque fois », de cette boîte ! » le soir de sa victoire à Tourcoing, sur le gères », glisse-t-il, des étoiles dans les yeux. Mais après, t-on sur un air faussement naïf. « Je ne me souviens pas de promet Alain Chrétien en référence au personnage du fameux air des « Sardines » de Patrick Sébastien. Ou, il pourrait dire stop. « Peut-être que je resterai maire de cette phrase, mais, si je l’ai dite, c’est avec une journaliste Manège enchanté monté sur ressort. Selon un poids lourd plus sérieux, à chanter a capella l’intégralité de « La ma ville, mais j’arrêterai après mon expérience gouverne- avec qui je m’entendais très bien. » « Ah ! Mais tu n’as pas de la droite du Parlement, cela ne fait aucun doute : Strasbourgeoise », chant militaire issu de la bataille de mentale. C’est certain, insiste-t-il, même si on a du mal mis tes talons aiguilles ? » a-t-il lancé à l’auteure de ces « Gérald fait partie des quatre très ambitieux à droite qui Sedan, devant ses administrés lors d’une cérémonie du à le croire. J’ouvrirai un restaurant, je monterai une boîte lignes à l’occasion d’un déjeuner politique. « Oui, c’était ne se mettront aucune limite pour être président de la 11 novembre, en plein hôtel de ville de Tourcoing, alors avec un pote, j’adorerais monter un bar à vin à Sienne une phrase sexiste, admet aujourd’hui le ministre, qui République : Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, qu’il vient d’être nommé ministre. « Ce sont des petites par exemple. » Il prétend détester la notoriété et avoir ne se souvient plus de l’avoir prononcée. Mais je parle Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. » Il n’y aura pas de choses simples qui passent très bien. Il y avait beaucoup toujours refusé d’aller dans les émissions de télévision de la même façon à mes conseillers quand ils portent des place pour tout le monde. — d’enfants, ils étaient émerveillés. Les gens sont très fiers de très regardées pour « qu’on [le] laisse tranquille quand [il] cravates moches », ajoute-t-il comme pour se dédouaner. leur maire », commente Didier Droart, fan de la première ne [sera] plus ministre ». Comme s’il anticipait déjà sa « Il a besoin de séduire les femmes », explique une jeune heure. chute. Beaucoup le comparent à Jérôme Cahuzac. Même députée qui souhaite rester anonyme. « C’est sûrement aisance, mêmes talents oratoires, même portefeuille. une forme de revanche. Il en fait des tonnes, mais il est « J’OUVRIRAI UN RESTAURANT, UN BAR À VIN » Jusqu’à une fin similaire ? « Je n’ai pas peur d’exploser en charmant intellectuellement… » poursuit-elle. Un de ses Sous ces airs débonnaires, le jeune ministre serait plein vol. Et quand bien même cela arriverait, je ferai autre amis parlementaires l'a prévenu à plusieurs reprises : « Il « dévoré d’ambitions » selon ses contempteurs. « Bruno Le chose. Je suis jeune. Si demain, tout cela s’arrête, je serai faut que tu fasses attention… Tu es ministre. » « Le sexisme Maire et Édouard Philippe ont intérêt à se méfier. Il ’estn heureux d’avoir vécu cette expérience, mais je serai quelque m’est étranger, mais après, comme tout le monde, culturel- pas là pour s’arrêter en cours de route, prédit Sébastien part soulagé. » lement, je suis marqué par la société et j’ai moi-même dû Chenu. Un jour, il voudra leur piquer la place. » Pour avoir des réflexions sexistes. Ma cheffe de cabinet me le fait l’instant, Gérald Darmanin assure qu’il est très bien là où « UN DRAGUEUR LOURD » remarquer régulièrement », confie-t-il. il est. « J’ai été maire d’une grande ville, je suis ministre de Et si sa faiblesse était à chercher du côté des femmes ? la République, je présente le budget de la nation. C’est bon, Gérald Darmanin est un « dragueur ». Un « dragueur En 2014, il avait envoyé un message de soutien au je suis satisfait. » Pire, il serait même, à l’écouter, dans lourd » même, selon plusieurs femmes qui l’ont côtoyé. député Julien Aubert, sanctionné pour avoir refusé une sorte de blues. « Le ministère, ça m’enferme. Je ne suis En mai 2015, un collectif de femmes journalistes poli- d’appeler la présidente de séance, Sandrine Mazetier, pas extrêmement heureux. Je ne suis pas malheureux, mais tiques publie dans Libération une tribune intitulée « Madame la Présidente », mais s’obstinait à dire « Madame

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