Lectures Romanesques
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LECTURES ROMANESQUES Georges Duhamel : Problèmes de civilisation (Ed. Mercure de France). — Paul Mousset': Un Amour de Corée (Ed. Grasset). — Maurice Druon : Des Seigneurs de la plaine à Vhôtel de Mondez (Ed. Jul- liard). — Joseph Delteil : Œuvres complètes (Ed. Grasset). — R. de Mun : Le Poids du silence (Ed. Julliard). — E. M. Remarque : Les Exilés, nouvelle traduction (Ed. Pion). J'ai lu ce récent recueil de Georges Duhamel : Problèmes de civilisation avec un intérêt extrême, celui qu'on apporte à un roman à demi incroyable, — c'est pourquoi je me permets de le traiter en roman ! Ce grand écrivain est également grand observateur des progrès mais aussi des mœurs et des folies de son époque. Ce pas• sionnant petit livre nous offre, avec une sincérité, une clarté, une vision qui devient poétique par sa prophétie hallucinante, les visions des temps nouveaux. Admirons avec effroi les audaces de la science ! Mais déplorons la destruction de notre plan,ète par les enlaidissements des paysages ! (de là le désir d'en aborder une autre..., etc.). Duhamel a classé tous ces dangers, participé aux péripéties, aux aventures, aux changements d'existence et pesé leurs conséquences pour la vie humaine, plus menacée que jamais malgré les découvertes médi• cales, vaccins, etc.... A la lecture, — d'un si rare bon sens, — de ces brefs chapitres, on se pose une question ? Les humains sont-ils plus heureux ? Affairés, fous de vitesse et de l'ambition de l'espace, toujours menacés, — comme au temps lointain et sans confort de « La Maison du Berger », — en leurs bonheurs, leurs projets, la frénésie du savoir a remplacé les vertus de l'humilité... Lisez ! lisez les Problèmes de civilisation après avoir parcouru avec horreur les nouvelles de la presse et classé avec fatigue toute la paperasserie qui écrase, encombre la plus modeste existence. Nous n'existons que par le papier. Ce livre clair, judicieux, impartial, fait de souvenirs brefs, d'expériences, d'observations de toutes catégories nous avertit que les progrès de toute la vie sociale et de son organisation nous rendront notre vie — pourtant si brève -— encore plus compliquée et plus difficile... Où reconquérir — pour la plupart — les beaux loisirs, la divine ignorance et l'éclosion d'un rêve? Quand pourra-t-on 282 LECTURES ROMANESQUES retrouver, après un lent voyage un jardin sans pétrole ? Je plaisante, mais le livre impitoyable de Duhamel ne plaisante pas, il constate et comme l'auteur a déjà parcouru toute la terre il ne lui reste plus qu'à connaître les impressions de Glenn ou d'un autre explorateur. Et on se souvient des étonnantes anticipations de Villiers de l'Isle Adam, l'auteur de VEve future et de tant de contes d'une imagination prophétique. On se souvient de la parole de son héros, Axel : « Vivre ! les serviteurs feront cela pour nous... »' et, dès notre ère, ils y auront bien de la peine. * * Le roman de Paul Mousset est profondément émouvant. On comprend qu'il a connu lorsqu'il participait à l'observation de la guerre de Corée, cet enfant coréen d'une intrépidité admirable, d'une indépendance farouche et d'une fidélité passionnée à ses pro• tecteurs de l'armée française. Montherlant a écrit : La Ville dont le Prince est un enfant. Paul Mousset pourrait à son tour sous-intituler Un Amour de Corée : « ...dont le Prince est un enfant ». Ce roman nous pose une interrogation : l'héroïne sentimentale de Un amour de Corée n'est-ce pas la belle Miang-Seun, jeune Coréenne dont le capitaine Lefort, blessé, soigné par elle et guéri, devient amoureux et qu'il épouse ? Ce devrait être... Mais, je suis sûre que le héros sentimental de cette aventure est le petit Lee Man Soh qui, à dix ou douze ans, s'est passionnément attaché au bataillon français qui l'a recueilli. Le caporal, surnommé La Légion, vieille figure originale, rude et bon, et ses hommes revenaient à leur cantonnement lorsqu'ils remarquèrent un petit garçon coréen qui grattait la terre à la base d'une vieille ferme déserte. On le soupçonne de poser des mines ; on l'interroge, on l'arrête. Lee Man Soh achevait d'enterrer son père et sa mère, tués cette nuit par un bombardement dans cette ferme où, tous trois en fuite, ils s'étaient réfugiés. Emus d'admi• ration et d'émotion pour l'héroïsme de ce petit garçon qui, avant de pleurer, de raconter son épouvante et son malheur avait fait son devoir le plus difficile, malgré son enfance et ses faibles forces, les soldats français l'emmènent, le nourrissent, l'adoptent et le caporal La Légion, le vieux caporal, ému d'une paternité profonde, J'emporte sur son dos jusqu'à la prochaine étape car le petit héros n'en peut plus. Le vieux caporal tente de le garder près de lui comme « boy » ainsi que maints petits orphelins recueillis par les Français et rendant de menus services au bataillon, mais le lieutenant Lefort, témoin, un jour d'une inspection, des audaces braves et dangereuses du petit Lee Man Soh, s'inquiète de lui, de son âge. Or, au-dessous de quatorze ans, les petits orphelins coréens doivent être accompagnés à l'arrière, conduits par une assistante sociale à une école de Séoul et remis au Père directeur qui se charge de les instruire, de les soigner, de les garder. Furieux, plus d'une fois, Lee Man Soh s'évade de LECTURES ROMANESQUES 283 l'orphelinat de Séoul. Mais toujours rattrapé, reconduit et intelli• gemment traité, il accepte son internat momentané ; le paternel La Légion vient le voir régulièrement, lui apporte des cadeaux et après avoir éprouvé une certaine rancune envers Lefort qui, à plusieurs reprises a exigé le retour à l'orphelinat, Lee Man Soh comprend qu'au delà de cette rancune, il éprouve une admiration et une gratitude profondes pour ce beau lieutenant qui le protège. Lee Man Soh est une âme déjà puissante et fidèle. Malgré son adolescence, il a les ressources héroïques d'un homme remarquable. Impatient, passionné, incapable de refréner sa fougue, son ardeur d'amitié quand il sait en danger ces Français qu'il aime. Au plus affreux d'un combat, il s'échappe, il court sous les bombes chinoises, les grenades, les incendies, vers cette bataille aux portes de Séoul, en ce même lieu où La Légion, son « Père français » était venu le voir tout récemment, lui portant dans la « jeep » de son ami Anglade, le journaliste, tous les trésors pour enfants que ce brave homme avait pu acquérir pour le jour de sa permission. Et si près de cette joie s'impose cette horreur, cette fin de combat où tant de Français ont péri. Lee Man Soh, se faufilant entre groupes, ambulances, armes et dangers, revoit le capitaine Lefort blessé terriblement. Cette vision, au moment où on place Lefort dans l'avion sanitaire qui va s'envoler vers l'hôpital de Téanu, l'île voisine, lui laisse un espoir. Maie ensuite, l'enfant a l'affreuse chance de retrouver, dans l'hécatombe du champ sinistre, parmi d'autres mourants, bientôt des morts, son cher caporal La Légion. Celui-ci qu'il nommait son père français, qui le jour du bonheur passé apprenait au directeur de l'orphelinat et à Anglade qu'il laisserait à Lee Man Soh tout son petit avoir, ses papiers, ses souvenirs et son cher képi blanc... Le petit héros, le petit brave ne peut plus supporter l'excès de sa douleur, de son horreur. Il se laisse tomber au fond d'un ravin et y hurle son désespoir. Ces premiers chapitres composent à eux seuls un admirable récit où les personnages mis en présence par leur destinée sont évoqués avec une intensité de vie sans pareille parce qu'ils ont d'abord été créés par l'apparition de leur âme. Leurs sentiments profonds y ont imposé leur figure humaine : charité, bonté, protec• tion, respect filial, bravoure. A eux seuls ces chapitres relatent avec une émouvante réalité une de ces parfaites aventures que le lecteur n'oublie jamais. L'originalité du roman est que la suite compose un second roman. Il naît du premier avec, au début, une imprécision sentimentale qui peu à peu se renforce de l'absence du principal personnage. Le caporal La Légion avait bien dit un jour à Anglade qui le répète à Lefort, qu'il lui demandait de s'occuper de Lee Man Soh... et Lefort avait presque dit non. Il n'avait pas choisi lui-même. Et, peu à peu, ayant appris la mort de La Légion, vieil ami qu'il admirait et chérissait, Lefort commence à penser à l'enfant coréen ; c'est à ce moment où à peu près guéri, il recommence, ce beau Lefort, à éprouver des sentiments vivants, qu'il s'éprend de sa belle visiteuse. 284 LECTURES ROMANESQUES Veuve récente, jeune femme belle, distinguée, parlant un impeccable français, fille d'un riche Coréen qui fait de la politique. Fiançailles, mariage ; intéressantes visions des mœurs, des modes de Corée aux moments de l'existence familiale et sociale, visions qui essaient en vain de nous voiler les si vives impressions de guerre dont nous restons tant émus. Amours... bonheurs et malchances et dangers. La belle Miang Seun n'aura jamais d'enfants. Est-ce cette tristesse qui incite les époux à penser à ces petits orphelins qui encombraient la Corée, à leurs abandons et au petit Lee Man Soh ? La jeune femme autant que son mari désirent le retrouver et s'aperçoivent qu'ils ont perdu sa trace. Et ce petit disparu devient le plus vivant de ce groupe : Lefort, sa femme, sa sœur dans leur logis de Paris.