• revue duministère del’Écologie, duDéveloppement Transports des durable, et duLogement • http://www.developpement-durable.gouv.fr Conseil général de l’Environnement l’Environnement de général Conseil et du Développement durable Développement et du 92055 La Défense cedex Défense La 92055 comité d’Histoire Tour Pascal B Tour Pascal

« pour mémoire » l n° 10 hiver 2011-2012 • revue duministère del’Écologie, duDéveloppement Transports des durable, et duLogement hiver 2011-2012 n mémoire » mémoire » ° 10 « pour

d’histoire

comité ... • n°10 hiver 2011-2012 « pour

mémoire comité» d’histoire

...

• revue du ministère de l’Écologie, du Développement durable des Transports et du Logement •

y Polon Fresn ém ce tin el R au us e- g in u to A n A 2 éditorial

E DIXIÈME NUMÉRO de la revue ministérielle « Pour Mémoire » paraît après une année d’intense activité du comité d’Histoire.

Ainsi, six journées ou demi-journées d’études ont été orga- nisées, sur les ingénieurs des ponts en Afrique, les cent ans de l’administration du tourisme, l’âge d’or des ingénieurs économistes, le bicente- naire de la Commission des phares et balises, le séminaire « aménagement et décentralisation », les politiques en faveur des villes moyennes et les sources de la création du ministère de l’Environnement, à l’occasion de son quarantième anniversaire.

Par ailleurs, le comité a diffusé à l’automne 2011, dans des numéros hors-série de la revue, les actes de deux journées d’études de fi n 2010 sur le bicentenaire de la réglementation des installations dangereuses, incommodes et insalubres et le quatre-vingtième anniversaire de la loi de 1930 sur les sites. Il a aussi soutenu l’édition de deux ouvrages consacrés respectivement à Jean-Eudes Roullier « Un pionnier des politiques de l’espace urbain » (La Documentation française) et à Antoine-Rémy Polonceau « Un homme libre » (Presse des Ponts).

Les études et recherches en cours ou engagées en 2011 donneront lieu dans les prochaines années à des publications d’articles dans « Pour mémoire » et à des journées d’études. Ces études et recherches concernent notamment l’achève- ment de la généalogie des directions d’administration centrale entre 1706 et aujourd’hui, l’histoire du corps des inspecteurs généraux de la construction, les bureaux d’enquête analyse en matière d’accidents de transport, les origines de la création et des reconfi gurations des laboratoires des ponts et chaussées et de l’Institut de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), ainsi que la réhabilitation de l’habitat insalubre.

L’équipe du comité d’Histoire a connu un fort renouvellement en 2011. Alain Monferrand a été remplacé au cours de l’été dans les fonctions de secrétaire délégué par Patrick Février, administrateur civil hors classe, qui a exercé des fonctions diverses au sein des anciens ministères de l’Équipement et de l’En- vironnement ainsi qu’au ministère de la Défense. Au premier semestre, Marie- n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 3

Thérèse Rieu a pris la responsabilité des activités d’animation et de diffusion et Marie Lacor celle de l’accueil et de l’assistance à la coordination.

Je tiens à remercier particulièrement Alain Monferrand pour le dynamisme, l’en- thousiasme et le savoir-faire avec lesquels il a animé pendant près de quatre ans le comité d’Histoire, dans la continuité de l’élan donné par son prédécesseur, Alain Billon.

Malgré la modestie des moyens dont dispose le comité d’Histoire, Alain Monferrand a consolidé et développé une activité impressionnante par son ampleur et par son exigence de qualité, avec le souci de mettre en valeur toutes les origines des politiques, des institutions, des acteurs et des métiers du minis- tère d’aujourd’hui.

Ce dixième numéro de la revue évoque des thématiques diverses.

Le Conservatoire du Littoral est en train de prendre en charge plusieurs phares présentant un intérêt patrimonial. A l’occasion de la journée d’études consacrée à la Commission des phares, Vincent Guigueno, chargé de mission « patrimoine phares » à la Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM), a rappelé le contexte historique de la naissance d’une politique nationale de sécurité de la navigation au cours des années 1811-1825, dans la continuité des initiatives prises sous la monarchie. L’article comporte des extraits du rapport de 1825 sur l’éclairage des côtes par des phares et présente les membres fondateurs de la commission. La journée du 1er juillet 2011 a été aussi largement consacrée aux innovations technologiques et notamment satel- litaires qui ont progressivement remplacé les phares.

Dans le cadre du Grenelle de l’environnement et du projet de schéma national des infrastructures de transport, de grands projets de lignes à grandes vitesses (LGV) sont à l’ordre du jour, 30 ans après la création du premier train à grande vitesse (TGV). Michel Walrave, directeur général adjoint honoraire de la SNCF et directeur général honoraire de l’Union internationale des chemins de fer, a vécu de très près cette création. Il nous rappelle le contexte politique d’abord peu favorable, la création du service de la recherche de la SNCF, la desserte expérimentale de la ligne Paris-Cherbourg par des éléments de turbine à gaz, les grandes options du projet de TGV, le choix technico-économique de la LGV Paris-Lyon et la course d’obstacles qu’il fallut franchir pour que cette desserte fût effective.

Depuis le 15 décembre 2011, le service d’études des transports, des routes et de leurs aménagements (Sétra) a quitté Bagneux pour s’installer à Sourdun, en  « pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 4

 Seine-et-Marne. Christian Desprès, ingénieur en chef des Ponts, des Eaux et des Forêts, explique le contexte de ce transfert et sa nouvelle feuille de route stratégique et scientifi que, tout en se référant aux modalités de la création en 1968 du service sous le nom de « service d’études techniques des routes et autoroutes », à l’expertise qu’il apportait aux directions départementales de l’équipement (DDE) pour le développement des infrastructures de routes et d’autoroutes et à son adaptation à l’approche multimodale des infrastructures de transports depuis le décret du 9 juillet 2008.

Les ouvriers des parcs et ateliers des Ponts et Chaussées (les « OPA ») ont été transférés aux conseils généraux en 2009 à la suite de la décentralisation d’une grande partie des routes nationales. L’étude présentée par Denis Glasson, ancien cadre du comité d’Histoire, raconte l’histoire de ces agents jusqu’en 1981 : la création des parcs départementaux en 1919, leur généralisation et leur extension après 1945 du fait de l’expansion du parc automobile utilisant le réseau routier national (80 000 km), les questions sociales et l’évolution des organisations syndicales.

Annie Fortier-Kriegel, architecte-paysagiste, expose la construction historique de nos paysages et l’émergence d’une politique élevée au rang du patrimoine commun de la nation en 1995. Elle développe les rapports du paysage à l’éthique et au développement durable ainsi que sa valeur économique. Outre la convention européenne de 2000, des lois successives ont assis cette politique publique et ses moyens d’action en matière de sites (1930) de montagne (1985) de littoral (1986) puis de paysage en soi (1993). La mise en œuvre suppose une appropriation par tous les acteurs dans la durée et une méthodologie perfor- mante de l’évaluation paysagère.

Les risques d’érosion du littoral et d’ensablement ne datent pas d’aujourd’hui. Jean-Marie Martin, ingénieur général des Ponts et Chaussées et ancien direc- teur général des services techniques de la ville de Cannes, en témoigne avec l’exemple cannois depuis le XVIIIè siècle. Le rôle crucial des hommes y est mis en valeur pour la construction du môle, l’aménagement de la Croisette, l’exten- sion du port et les expériences successives de création d’une plage à des fi ns de prévention des risques naturels.

Jean Orselli, docteur en histoire et ingénieur général des Ponts et Chaussées honoraire, retrace l’histoire du Touring-Club entre 1890 et 1983. Cette asso- ciation puissante (200 000 membres en 1914, 350 000 en 1950) s’est engagée fortement dans la promotion en France du tourisme et l’amélioration de l’offre de séjours et de l’hôtellerie ainsi que dans la protection des sites et des monuments tout en exprimant les intérêts des usagers quotidiens de la route. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 5

Elle accéda à un statut para-étatique à partir des années 1920 puis connut des diffi cultés après 1945 qui amenèrent à sa disparition : une adaptation manquée à l’ère de l’automobile de masse, la perte de son rôle en matière de délivrance des permis de conduire, une impasse fi nancière liée à une nouvelle politique commerciale de circuits et de séjours de loisirs.

Jean-Paul Lacaze, ingénieur général des Ponts et Chaussées honoraire, retrace l’histoire du service des Ponts et Chaussées du département de la Seine entre 1853 et 1966. Ce service avait pour origine la mise en place d’une adminis- tration départementale moderne lors des grands travaux pilotés par le baron Haussmann. Sous la IIIè République, les missions en matière de réseaux de voirie, d’eau d’assainissement et de métro et d’urbanisme ont été impulsés par le Conseil Général. La dernière phase a été dominée par le retour en force de l’État à partir de Vichy, notamment pour la desserte de la banlieue en matière de transports. Cette organisation prit fi n avec la suppression du département de la Seine en 1966.

Dans ce numéro, le regard étranger, italien, nous emporte loin dans le passé. Roberto Arditi (responsable de la Societa Iniztiative Nazionali Autostradali (SINA) à Milan analyse la description des voies et des infrastructures de l’an- cienne Rome dans les commentaires de la guerre des Gaules. Il met en valeur la similitude du réseau de l’époque avec nombre de tracés en Italie du fait de la géographie de la péninsule. Il montre des exemples d’utilisation de la route, des infrastructures militaires telles que des ponts et du génie civil dans les guerres romaines, notamment dans celles menées par César en Gaule et en Germanie. Ce savoir-faire technique se retrouvait dans l’excellence des équipements publics à Rome jusqu’à la fi n de l’Empire.

Dans la rubrique « Paroles de chercheurs », Thibault Tellier, maître de confé- rences à l’université de Lille, raconte comment il a été formé aux travaux d’his- toire politique, faisant sa thèse sur . Son expérience d’enseignant dans le Nord est une des raisons qui l’ont amené à s’intéresser à l’histoire des évolutions urbaines, aux processus de réforme des années 1960-1970 et à l’ancrage local des politiques publiques. Il a travaillé depuis plusieurs années avec le comité d’Histoire, notamment au sein du Conseil scientifi que (grands ensembles, décentralisation et aménagement, résorption de l’habitat insalubre) et commente sa vision de la conciliation entre les exigences scientifi ques et le besoin de répondre à la demande sociale.

Louis-Michel Sanche Secrétaire du comité d’Histoire 

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 6

Exposition Universelle de 1878. Pavillon du ministère des Travaux publics. Atelier photographique de l’École des Ponts et Chaussées ©École des Ponts ParisTech

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 7 sommaire

en première ligne 9

 La Commission des phares (1811-1825), naissance d’une politique nationale de sécurité de la navigation par Vincent Guigueno

 Trente ans de TGV par Michel Walrave

 Le Sétra, de Bagneux à Sourdun par Christian Després

 Les parcs, ateliers et magasins des Ponts et Chaussées et leurs ouvriers, des origines à 1981 par Denis Glasson en perspective 46

 Connaître le paysage et en reconnaître la valeur par Anne Fortier-Kriegel

 Cannes. Trois siècles d’histoire du rivage par Jean-Marie Martin

 Le Touring club : association évergétique, association d’usagers de la route ou association de tourisme ? par Jean Orselli

 Le département de la Seine et son service des Ponts et Chaussées de 1853 à 1966 par Jean-Paul Lacaze

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 8

regards étrangers 109

 Voies et infrastructures de l’ancienne Rome dans les commentaires de la guerre des Gaules par Roberto Arditi

paroles de chercheurs 122

 Entretien mené avec Thibault Tellierr pa Stève Bernadin

lecture 134

 Denis Hannotin et Christine Moissinac Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847)

le comité d’Histoire du ministère 136

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » en première ligne 9 La Commission des phares (1811-1825) naissance d’une politique nationale de sécurité de la navigation par Vincent Guigueno, chargé de mission « patrimoine phares », direction générale Infrastructures Transports Mer/direction des Affaires Maritimes (DGITM/DAM)

Commission des phares en 1863 - N° inv. V12g/17778 - © Musée national de la Marine, A. Fux

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 10

À l’occasion de la journée d’études du 1er juillet 2011 consacrée à la Commission des Phares. © Gérard Crossay - MEDDTL

Au premier rang de gauche à droite : André Berlivet, Jean-Yves Cyprès, Dominique Serre au second rang : Jean-Luc Fontan, Bruno Barbé, Bruno Hauret, Jacques Manchard, Philippe Lijour n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 11

Avec le mémoire sur le nouveau système d’éclairage d’Augustin Fresnel, lu à l’Académie des Sciences le 29 Juillet 1822, le Rapport contenant l’exposition du système adopté par la Commission des phares pour éclairer les côtes de France est l’un des textes fondamentaux pour comprendre comment la France imposa une technologie innovante aux nations maritimes au cours du XIXe siècle : les appareils à lentilles. Le « génie » de Fresnel est en effet un raccourci simplifi cateur pour appréhender la genèse d’une innovation qui aurait pu rester sans lendemain. C’est d’ailleurs la conclusion de l’ingénieur écossais Robert Stevenson, grand bâtisseur des phares, venu en France en 1824 pour étudier les fameuses lentilles de Fresnel. En cette année de bicentenaire, et dans un contexte où la Commission s’est vue confi squée au fi l du temps sa fonction de pilotage stratégique de la sécurité de la navigation par une bureaucratie technico-maritime, il a paru utile de faire connaître ce document fondateur qui sera prochainement mis en ligne par l’École des Ponts et Chaussées. Celui-ci nous montre que dans une période diffi cile de l’histoire de notre pays, moins de dix ans après la chute de l’Empire, des savants, des marins et des ingénieurs surent dégager des principes qui guidèrent pendant plus de cinquante ans une politique publique effi cace, au État de l’éclairage des côtes de France au dix-huitième siècle - In Phares, histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France. Jean-Christophe Fichou, Noël Le Hénaff, Xavier Mével. Douarnenez, service de la sécurité de la navigation. Chasse-marée, 2003, p.55

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 12

Les phares, les équipe de réverbères sphériques et prennent le contrôle des phares, en de lampes à huile. Les marins se plai- commençant par faire un état des lieux et de l’Ancien Régime gnent de ce nouveau système. A la chute une évaluation économique du système de l’Ancien Régime, la France possède dont ils ont hérité. à la Révolution un premier réseau de phares, confi é à des gestionnaires « privés » et dont le

La création au printemps 1811 d’une fi nancement est assuré par la perception À gauche réfl ecteur parabolique. À droite réfl ecteur Commission des phares par le comte de droits de feux. circulaire. Molé, directeur général des Ponts et Chaussées, s’inscrit dans une série La responsabilité des phares, amers d’actes administratifs qui ont transformé et balises est confiée à la Marine en la gestion des phares depuis la chute septembre 1792. Les droits de feu sont de l’Ancien Régime. Grâce à l’amiral supprimés, à l’imitation de la jeune Antoine Thévenard, nous disposons d’un démocratie américaine. C’est une rup- inventaire des phares allumés dans le ture fondamentale dans l’économie et monde à l’aube du XIXe siècle : il en existe la gestion de l’éclairage des côtes, qui 130, pratiquement tous européens. Les devient un bien public gratuit. littoraux des royaumes du Danemark et Les projets de phares « révolutionnaires » de Suède commencent à s’éclairer. Avec se multiplient, sans concrétisation faute 54 feux en 1800, les côtes anglaises sont de moyens. En mars 1806, un décret de loin les plus illuminées du monde. La impérial transfert les phares de la Marine quinzaine de phares français fait pâle au ministère de l’Intérieur, à l’exception Collection de réfl ecteurs paraboliques exposés au fi gure. des feux du Stiff et de Saint-Mathieu. musée des Phares et Balises, à Ouessant. © : Parc Naturel Régional d’Amorique - Musée des Les ingénieurs des Ponts et Chaussées Phares et Balises à Ouessant Liée au transport maritime à longue distance et à la constitution d’un État moderne et de sa Marine, l’histoire des phares français commence dans l’estuaire de la Gironde, où le phare monumental de Cordouan signale l’entrée de la « Rivière de Bordeaux » et le retour du pouvoir souverain dans une contrée longtemps dominée par la couronne anglaise. Les routes mari- times menant aux grands ports, civils et militaires, du Royaume de France (Saint-Malo, Rochefort, Brest, Rouen) voient apparaître les premières tours à feux, éclairées par du bois, du charbon. Le Roi concède l’ensemble des phares à partir des années 1770 à un entrepreneur en éclairage, Tourtille-Sangrain. Celui-ci n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 13

En 1811, Coat de Saint-Haouen, chef fl ammes, codes auxquels des marins et Saint-Haouen et réfl échir à « un système d’État-major de la Marine à Boulogne des savants cherchaient un équivalent général de distribution des feux sur les propose d’installer dans les phares un pour la nuit. Cette réfl exion aboutit à côtes de l’Empire ». éclairage « en verres de couleurs », bleu la conception de réseaux complexes, et rouge1. Coat de Saint-Haouen, auteur tel le système de télégraphie nocturne La Commission ne devient réellement de plusieurs mémoires sur la signalisation reliant les ports militaires à l’État-major active qu’après la chute de Napoléon, maritime, diurne et nocturne, n’était pas imaginé par Saint-Haouen. Telle est lorsqu’elle organise des expériences le seul à réfl échir aux signaux échangés l’origine de la Commission des phares : scientifi ques comparant l’effi cacité de entre la côte et les navires de guerre. Il un simple courrier adressé le 29 avril différents systèmes d’éclairage. Elle existe une vaste littérature relative aux 1811 à des marins, des savants et des tient aujourd’hui encore des réunions codes employant des pavillons et des ingénieurs pour examiner ce mémoire de régulières. Les systèmes d’éclairage

Extrait des minutes de la secrétairerie d’État 1 Source : Archives Nationales, série F14, Archives Nationales F14 20839, carton 20839, dossier « Commission des Commission des phares, lettre du phares » Comte Molé du 29 avril 1811

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 14

Le programme d’éclairage de 1825 In Phares, histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France. Jean-Christophe Fichou, Noël Le Hénaff, Xavier Mével. Douarnenez, Chasse-marée, 2003, p.95

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 15 installés dans les phares – lentilles membres se croisent : Institut, École les cartes marines, l’hydrographe est une de Fresnel, lampes à huile, machine polytechnique, Bureau des longitudes, sorte d’hybride de l’astronome, du marin de rotation – apparaissent comme Dépôt de la Marine... L’effi cacité de la et de l’ingénieur. On connaît l’importance les moyens que la Commission s’est Commission peut s’interpréter par une pour la cartographie marine du périple de donnés pour remplir un programme cohérence socio-professionnelle de ses La Recherche, un navire commandé par le de signalisation maritime. En mettant membres, mais également, en tout cas contre-amiral d’Entrecasteaux, lancé en en avant un seul homme, Fresnel, on au début de ses délibérations, par une 1791 sur les traces de Lapérouse. oublie le travail collectif qui a commandé vision commune de la façon dont les Paul-Édouard de Rossel, ainsi qu’un la première distribution raisonnée de savoirs scientifi ques, encyclopédiques, jeune hydrographe, Charles-François phares sur les côtes de France. Il convient devaient être reversés au service du Beautemps-Beaupré étaient à bord. de corriger cette vision trop héroïque de marin, une vision polytechnique de la Ce voyage marque symboliquement la Science : au commencement était la mer et des sciences dont le premier le début de la conversion des savoirs Commission des phares, c’est-à-dire une réseau de phares serait un fossile. accumulés pendant les voyages ency- instance de délibération scientifi que et clopédiques en une production massive politique. Les marins font un peu exception dans de cartes marines, le Pilote Français, la carte institutionnelle qui peut être un immense projet dont Beautemps- dressée pour repérer les personnes Beaupré assura la direction entre 1822 La Commission présentes à la Commission des phares. et 1843. Les papiers de Rossel conservés La relative indisponibilité des marins a aux Archives Nationales montrent l’impor- des phares une cause assez simple : ils naviguent... tance de ce personnage dans la défi nition Ainsi Duperrey, un marin doué pour et la conduite de la politique de signalisa- et le milieu savant les Sciences, nommé à la Commission tion décidée par la Commission en 1825. en 1811, partit pour de longs voyages Présidée par le directeur général des sur L’Uranie (1817), puis sur La Coquille Ponts et Chaussées, la Commission (1822), c’est-à-dire à des moments Un acte fondateur : des phares devait se composer de neuf cruciaux dans les discussions de la membres : trois savants de l’Académie Commission des phares. On choisit donc, le rapport des Sciences, trois inspecteurs des Ponts plus tard, des marins naviguant entre le et Chaussées, trois offi ciers supérieurs ministère et l’État-major de la Marine et la carte de 1825 de la Marine militaire. La politique de plutôt que sur les mers et les océans. signalisation des côtes de France naît La Marine est soucieuse de signalisation Le document le plus important produit donc sans surprise du concubinage maritime, mais d’une signalisation active, par la Commission des phares est donc entre la science, la technique et l’État et non passive, qui permet d’échanger ce Rapport contenant l’exposition du sous l’Empire. Sa composition évolue des informations stratégiques entre le système adopté (…) pour éclairer les au fi l du temps. Le nombre de savants navire et la côte. Le phare moderne a côtes de France, rendu public en 1825. diminue, tandis que les représentants un jumeau militaire, le sémaphore, avec La Commission se réunit périodiquement de services techniques de la Marine – les lequel il cohabite souvent sur les caps, pour en apprécier les progrès, puis pour hydrographes, les ingénieurs des travaux les pointes et les îles depuis l’Empire. l’amender, l’améliorer, le compléter. Le hydrauliques, le génie maritime – sont plus rapport était accompagné d’une carte sur nombreux. On pourrait affi ner l’analyse En 1817, les hydrographes prennent place laquelle sont reportés les emplacements sociographique de la Commission, en auprès des marins à la Commission des de 49 phares, répartis sur toutes les traquant par exemple les lieux où ses phares. Chargé de lever et de dessiner côtes de France.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 16

Sur l’ensemble des sites retenus, une pas l’ensemble du territoire national : ainsi équipées par l’État d’une manière trentaine de bâtiments neufs étaient à programmes anciens, comme les feux égale. C’est ce geste audacieux qui fonde bâtir, le reste étant constitué de tours bâtis sous l’Ancien Régime, dont la la singularité française dans l’histoire de anciennes, civiles ou militaires. Pour construction renvoie aux besoins de la la signalisation maritime. Le choix des dessiner cette carte, la Commission a Marine de guerre et aux initiatives des emplacements n’est pas lié à des événe- hérité et innové. Elle a inséré dans son chambres de Commerce, mais également ments dramatiques passés, par exemple dispositif des phares construits sous programmes contemporains, puisque la une série de naufrages, comme cela l’Ancien Régime, et des programmes fi n des guerres de l’Empire relance un était le cas pour les phares britanniques, d’éclairage des côtes de France sans désir de construire des phares qui n’est Edystone ou Bell Rock par exemple. lendemain, comme celui que Thévenard pas le fait de la Commission. Ainsi, en expose dans son Mémoire sur l’utilité 1820, les ingénieurs de Loire-Atlantique La construction raisonnée d’une fron- des phares le long des côtes maritimes se lance dans un projet audacieux, la tière maritime doit s’appuyer sur des de la France et sur les moyens d’y former construction d’un phare sur le rocher du principes scientifi ques de localisation ces établissements (1766) attribué par Four, au large du Croisic, afi n de signaler des feux, compris des navigateurs afi n de Rossel à de Kearney, l’un des grands l’entrée de l’estuaire de la Loire. De qu’ils se repèrent correctement dans hydrographes du XVIIIe siècle2. même, à Marseille, où l’activité portuaire l’espace. Ces principes sont indiqués reprend lentement sous la Restauration, dans les propos liminaires du rapport de Un texte ultérieur de Thévenard, publié sous l’ingénieur Garella entreprend en 1823 1825 : la Révolution, décrit ainsi un système de 36 la construction d’un phare sur l’île du « Les vaisseaux qui suivent la côte, feux, comprenant 18 feux déjà existants, Planier. en se tenant à une distance suffi sante Groix et Penmarc’h, dont les travaux pour les mettre à l’abri de tout danger, sont arrêtés, et 16 nouveaux feux. Parmi reconnaissent, au moyen des phares, à ces derniers, plusieurs sont repris dans Un système rationnel le rapport de la Commission : La Hague, Chausey, les Héaux de Bréhat, l’Île de Batz. pour signaler les côtes

Le critère de localisation proposé par de France la Commission est fondé sur la manière dont les navires revenant d’Amérique Le mot-clef dans le titre de ce rapport atterrissent sur les côtes de France, en remis en 1825 par la Commission est bien se calant sur la latitude de leur point sûr le mot « système », puisqu’il signifi e d’arrivée. En revanche, la connaissance qu’un groupe d’hommes, rassemblés de leur position en longitude est plus dans une Commission ad hoc, se pense approximative. Thévenard cite le cas d’un pleinement légitime pour arraisonner, au navire qui s’était engagé dans le passage nom des sciences et de l’État, la frontière de la Teignouse, entre Quiberon et Houat, maritime du pays. La Commission veut en croyant entrer dans l’estuaire de la construire de façon volontaire un réseau In « Merveilles de la Science », L. Figuier, 1869 Loire. Le système de signalisation doit dont la logique s’imposerait à toutes les être conçu pour éviter de telles erreurs. côtes de France, presque indépendam- ment de leur confi guration propre ou La Commission doit composer avec des des routes commerciales déjà connues. 2 Archives Nationales - Marine, 3JJ 102. Le texte est programmes dont l’ambition ne couvre Toutes les portions du littoral seraient attribué à Thévenard. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 17

Appareil lenticulaire de Cordouan 1823, conservé au musée des Phares et Balises, à Ouessant In Phares, histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France. Jean-Christophe Fichou, Noël Le Hénaff, Xavier Mével. Douarnenez, Chasse-marée, 2003, p.76 Crédit photo : Musée des Phares et Balises à Ouessant (N. Le Hénaff)

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 18

feux rouge et bleu se succédaient entre Flessingue et Dieppe, « et ainsi de suite dans tous les postes le long de la côte, en recommençant la même série, sans aucun danger de méprise par la similitude des feux, puisque ceux qui se ressemblent auront au moins 80 lieux de distance entre eux4 ».

Rossel rappelle à la Commission que :

« l’erreur dont la position d’un vaisseau venant du large peut être affectée a (...) des limites, et (il) a suffi de répartir les phares sur toute la côte de manière que, dans l’étendue fi xée par la plus grande erreur dont la position d’un navire soit susceptible, il ne se trouve jamais deux phares offrant la même apparence5 ».

Phare des Héaux de Bréhat Ce qui revient à choisir comme borne In Les travaux publics de la France – Vol. V : Phares et balises, par inférieure pour l’écart entre deux feux É. Allard & L. Reynaud (dir.) ; répétant le même signal la borne supé- J. Rothschild éd,1883 rieure de l’erreur commise par un navire tous les instants de la nuit, le lieu où ils c’est-à-dire le signal caractéristique de faisant route à l’aide de ses instruments, sont et la route qu’ils ont à suivre pour chaque phare. le sextant et le chronomètre. Ce pro- éviter les écueils situés au large. Ces blème peut paraître assez simple, mais phares doivent être placés sur les caps Grâce à la fi abilité des chronomètres il fi t l’objet de nombreuses discussions les plus saillants et les pointes les plus de marine, il n’est pas nécessaire que sur le nombre de caractère des feux. avancées ; ils doivent aussi être les uns les feux émettent tous un signal diffé- L’ingénieur des travaux maritimes Joseph par rapport aux autres, à des distances rent. La discussion porte donc sur le Sganzin suggère de séparer ces éclats telles que, lorsque, dans les temps nombre de caractères différents qu’il par des périodes de temps inégales, mais ordinaires, on commence à perdre de vue convenait d’adopter. cette solution se révèle trop complexe. le phare dont on s’éloigne, il soit possible Les solutions techniques disponibles, de voir celui dont on se rapproche3 ». projecteurs ou appareils lenticulaires tournants, proposent une diversité de Le navire connaît donc sa position par signaux fondée sur le rythme d’appa- 3 Rapport contenant l’exposition du système adopté rapport à deux points qu’il doit repérer rition et de disparition d’une lumière. par la Commission des phares pour éclairer les sur une carte en croisant plusieurs Comment trouver le bon écart pour côtes de France, Paris, Imprimerie royale, 1825. 4 informations : l’estime de sa route, répéter un même signal sans tromper Archives Nationales - Marine GG1 2, pièce 66. 5 sa navigation astronomique et la le navire ? Dans la proposition de Rapport contenant l’exposition du système adopté par la Commission des phares pour éclairer les connaissance des caractères des feux, Saint-Haouen, neuf combinaisons de côtes de France, op. cit. p. 3. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 19

La Commission retient fi nalement trois Un paradigme céleste signaux, par MM. Arago et Mathieu, dans caractères : des feux fi xes, des feux les opérations géodésiques qu’ils ont tournants à éclat et à éclipse toutes les pour décrire faites, vers la fi n de l’automne dernier, minutes, et des feux tournants à éclat le système sur les côtes de France et d’Angleterre. et éclipse toutes les trente secondes. Une de ces lentilles, éclairée par un bec Ces éclats et éclipses sont obtenus par et la carte de 1825 : quadruple et placée à 50 miles anglais la rotation des appareils lenticulaires de de l’observateur, était vue aisément avec Fresnel, dont le nombre de panneaux, les phares-étoiles une lunette, une heure avant le coucher huit ou seize, détermine la période du du soleil, et à l’œil nu, une heure après7 ». feu. Le système de la Commission des phares s’appuie également sur des programmes Ces principes guident la localisation scientifi ques de mesure de la Terre : les des feux les plus importants, ceux opérations géodésiques, la production que la Commission qualifie de feux de de cartes terrestres et marines. Cette «premier ordre», pour les distinguer relation étroite entre les cartes et les des édifices plus modestes, installés phares est une clef pour interpréter la sur les écueils et dans les passes. Des répartition des phares sur les côtes de feux de second et de troisième ordre, France au début du XIXe siècle. François ainsi que des fanaux de port font éga- Arago raconte ainsi dans le Journal de sa lement partie du programme de 1825. vie les nuits passées à rétablir des signaux Dans le discours de Rossel, le navire géodésiques enlevés par le vent et à et les deux feux sont les sommets d’un scruter l’obscurité à la lunette pour voir triangle, figure géométrique fonda- enfi n apparaître la lueur du réverbère de mentale dans toutes les opérations de signal de Camvey, situé à 150 kilomètres. géodésie et de cartographie, terrestre Mais cette lumière du signal de Campvey ou marine. Olivier Chapuis a donc apparaissait rarement, et Arago resta raison de souligner la progression six mois au Desierto de las Palmas, sans commune de la publication du Pilote l’apercevoir. Français et des délibérations de la Commission des phares. En Manche, Dans sa biographie de l’astronome, Pour augmenter la puissance des lampes à huile, on multiplie le nombre de mèches. In Phares, histoire par exemple, dans les années 1830, Maurice Daumas précise que chaque du balisage et de l’éclairage des côtes de France. les cartes n’étaient pas encore levées, soir, « (il) allumait son réverbère, Jean-Christophe Fichou, Noël Le Hénaff, Xavier Mével. Douarnenez, Chasse-marée, 2003, p.81 si bien que le choix de l’emplacement guettait le clignotement des phares des feux et le travail des hydrographes qui répondraient au sien, observait la sont concomitants. D’après L’Exposé Polaire, notait les chiffres6 ». L’emploi des opérations géodésiques sur les du mot phare est un peu anachronique, côtes septentrionales de France, les mais il y a bien un lien entre ces travaux emplacements retenus pour les phares scientifi ques et l’éclairage des phares. 6 Maurice Daumas, Arago. La jeunesse de la des Héaux de Bréhat et de l’île de Augustin Fresnel souligne d’ailleurs dans Science, Belin, 1987, p. 44. Chausey, coïncident avec les sommets son Mémoire sur un nouveau système 7 Point 41 du « Mémoire sur un nouveau système d’éclairage des phares, lu à l’Académie des Sciences de grands triangles employés pour d’éclairage des phares le succès des le 29 juillet 1822 », Œuvres Complètes d’Augustin dessiner les cartes de la Manche. grandes lentilles, employées « comme Fresnel, Tome 3, p. 97-126.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 20

Dans son « Procès verbal des observa- infl uence l’ensemble des expériences complètement l’appareil lenticulaire. Le tions faites à Chatenay, à 13 000 toises de signalisation maritime du début système établit des correspondances de l’arc de triomphe de l’Étoile, dans la du XIXe siècle, qu’elles recourent aux homothétiques entre les caractéristiques nuit du 7 au 8 septembre 1821, sur le techniques de la lentille ou du réfl ecteur. techniques des objets – distance focale, phare lenticulaire à feux tournants de Un concurrent de Fresnel, l’ingénieur- puissance de la source lumineuse, l’invention de M. Augustin Fresnel », lampiste Isaac Bordier-Marcet, puise nombre de mèches concentriques de la l’élève-ingénieur des Ponts et Chaussées également dans le vocabulaire des lampe – et la place du feu dans l’ordre Schwilgué notait, quant à lui : étoiles pour nommer ses inventions. Il des phares. Ainsi, les feux de premier « À 8h38, (l’appareil de Fresnel) parut écrit à propos d’un « appareil sydéral » ordre possédent quatre mèches, ceux être à son maximum et (...) surpassait pour feu fi xe à la géométrie complexe9 : des second et troisième ordre, respecti- alors beaucoup en diamètre apparent et vement trois et deux mèches 11. en clarté la planète de Jupiter, à laquelle « J’ai cherché à produire un effet nous avons pu le comparer8 ». approximatif de la lumière lunaire par Le travail d’Augustin Fresnel au service des l’éclairage astral, et j’ai cru trouver aussi phares doit être replacé dans ce contexte. Cette nuit là, à l’aide d’un chronomètre quelque analogie (…) entre l’effet de mes Que racontent ses Mémoires ? Fresnel de Bréguet, il avait mesuré et consigné la lampes garnies de miroirs sydéraux, et coordonne un processus d’innovation durée des éclats et des éclipses de cha- celui que produisent les innombrables dans lequel la fameuse lentille n’est cune des révolutions de l’appareil. Mais astres qui peuplent la voûte azurée. (...) La pas le point de départ mais, comme vers 22 heures, l’éclat diminua et l’élève lumière qui en émane est vive, brillante, l’ampoule de Thomas Edison dans les nota que le brouillard contrariait son scintillante, elle se fait bien apercevoir ; réseaux électriques, une pièce dans un observation. Une note de Fresnel précise mais la distance qui nous sépare, ôte à puzzle d’objets et de savoirs qui ont rendu qu’il s’agissait d’un défaut d’alimentation cette lumière la faculté d’éclairer, telle possible la construction de l’appareil. Ce de la lampe en huile. est la lumière sydérale10 ». processus est d’ailleurs inachevé à la mort Les appareils de Fresnel produisent de Fresnel et son frère Léonor le poursuit une lumière dont la période et le mode L’étoile de Fresnel brille avec plus d’éclat d’apparition ne sont plus visibles sur que celle de Bordier-Marcet, mais elles la côte depuis la fi n du XIXe siècle : les sont appréciées selon les critères d’une feux sont fi xes, ou bien se déplacent même culture sensible. 8 ibid., p. 91-92. lentement sur des roulements à galets, 9 La notice n°16 du Catalogue des appareils comme les coupoles des observatoires La description des phares de France d’éclairage et autres objets déposés au musée des Phares (1878), « Réfl ecteur sidéral Bordier-Marcet, astronomiques. La lumière parait, puis comme un système céleste maîtrisé grand modèle (1811) » précise que cet appareil disparait, lentement, en répétant un est également prégnante dans l’emploi employé pour l’éclairage des villes, puis des phares, était composé de « deux surfaces réfl échissantes phénomène céleste, l’éclipse. de la notion d’ordre pour les classer, engendrées par des parties de paraboles tournant Est-il besoin de souligner que, une notion inconnue dans les pays autour de leur paramètre ». depuis les écrits de Newton jusqu’au anglo-saxons à la même époque. Il s’agit 10 Voir Isaac Bordier-Marcet, La parabole soumise à l’art, ou essai sur la catoptrique de l’éclairage, texte fondamental de Laplace, La d’un emprunt au classement des étoiles descriptif des nouvelles combinaisons et propriétés Mécanique céleste, l’observation des par l’astronome selon leur magnitude. de la parabole, appliquées au système économique d’éclairage, à grands effets de lumière, Paris, Veuve mouvements des planètes, des étoiles En 1825, il y avait trois ordres et des Cussac, 1819, p. 57. et des comètes est la source dont feux de port de moindre importance. 11 « Moyens employés pour éclairer les phares s’inspirent les savants pour imaginer des Le classement d’un feu dans tel ou tel et varier leurs apparences », Rapport contenant l’exposition du système adopté par la Commission modèles de compréhension du monde ordre, qui indique sa fonction dans le des phares pour éclairer les côtes de France, op. physique ? Ce paradigme scientifi que réseau et la portée de son feu, détermine cit., p. 5. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 21 pendant quinze ans. S’il faut attribuer à L’histoire de la Commission des phares arts de la lumière et de leur application Fresnel des mérites, ce n’est peut-être pas fondée sous l’Empire, montre que la au salut de la vie humaine. Armée du tant la réalisation de grandes lentilles à construction d’une frontière maritime ne rayon de Fresnel (une lampe forte comme échelon qu’il faudrait mettre en avant, que s’appuie pas sur une géniale invention – quatre mille, et qu’on voit à douze lieues), son obstination à faire réaliser un appareil la lentille de Fresnel – mais sur une elle se fi t une ceinture de ces puissantes dont chaque élément – les lentilles, la lampe langue céleste parlée par les savants, les fl ammes qui entrecroisent leurs lueurs, les et le système de rotation – appartenait à ingénieurs et les marins. pénètrent l’une par l’autre. Les ténèbres des domaines de compétences jusqu’alors disparurent de la face de nos mers. disjoints, obstination qui le conduit sur L’historien Jules Michelet écrit : la côte pour surveiller l’installation de « C’est la France, après ses grandes Pour le marin qui se dirige d’après les l’appareil de Cordouan. guerres, qui prit l’initiative des nouveaux constellations, ce fut comme un ciel de plus qu’elle fi t descendre. Elle créa à la fois les planètes, étoiles fi xes et satellites, mit dans ces astres inventés les nuances et les caractères différents de ceux de là-haut. Elle varia la couleur, la durée, l’intensité de leur scintillation. Aux uns, elle donna la lumière tranquille, qui suffi t aux nuits sereines ; aux autres, une lumière mobile tournante, un regard de feu qui perce aux quatre coins de l’horizon. Ceux-ci, comme les mystérieux animaux qui illuminent la mer, ont la palpitation vivante d’une fl amme qui fl amboie et pâlit, qui jaillit et qui se meurt. Dans les sombres nuits de tempêtes, ils s’émeuvent, semblent prendre part aux convulsions de l’Océan, et, sans s’éton- ner, ils rendent feu pour feu aux éclairs du ciel12 ».

La Commission pense la frontière maritime nationale comme un système céleste en rabattant sur la mer, les objets, les mots et les pratiques de l’astronomie et de la géodésie. Dans cette perspective, elle met en œuvre une vision de la science et de la mer du XVIIIe siècle, celui Sur cette carte ne fi gurent que les phares effectivement électrifi és avant la fi n du XIXè siècle. On en compte de la marine à voile, des hydrographes et 13, ce qui ne représente que le quart du programme d’Émile Allard, qui prévoyait en 1880, d’électrifi er tous les phares du premier ordre. Néanmoins, à l’aube du XXè siècle, la France peut s’enorgueillir de posséder la moitié des phares électriques du monde. 12 In Phares, histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France. Jean-Christophe Fichou, Noël Le Jules Michelet, La Mer, Gallimard, 1983 Hénaff, Xavier Mével. Douarnenez, Chasse-marée, 2003, p.283 (1ère édition, 1861).

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 22 des voyages de découverte. Il n’est fait Sein marque symboliquement la fi n de électriques les plus puissants à percer aucune allusion dans le texte au monde la période inaugurée par la publication le brouillard, si bien que les aides à de la navigation du XIXe siècle – la vapeur, du rapport. À cette période, et encore la navigation s’orientent dès le début les échanges généralisés sur toutes les plus fortement dans les années 1890, du XXe siècle vers des solutions hors mers du globe – auquel la Commission va une série d’innovations transforme du spectre des ondes visibles avec adapter son « système » sans remettre en profondément le système technique de l’installation de radiophares. cause ses principes. l’éclairage des phares. La maîtrise de Les deux premiers radiophares français nouvelles sources lumineuses (lumière expérimentaux sont installés en 1912 Une « feuille électrique, gaz sous pression) permet à Sein et à Ouessant. En 1925, un d’entrer dans une logique de signaux siècle après l’adoption de son rapport de route » pour de lumière brefs et puissants, lancés fondateur, la Commission des phares par des « feux-éclairs », des optiques à approuvait un programme d’équipement e le XIX siècle grande vitesse de rotation dont l’éclat du littoral comprenant 37 sites de n’est visible qu’une fraction de seconde. radioélectricité, dont 5 radiophares Le paradigme des « phares-étoiles » L’adoption des lumières brèves et d’une portée égale à 200 milles. est le socle qui détermine pendant violentes renouvelle les caractères des Les innovations techniques de la fi n du soixante ans la politique française de feux comme les mots pour les décrire. XIXe siècle et les perspectives offertes par signalisation maritime. Un important En 1894, la Commission des phares les ondes hertziennes ont profondément programme s’engage, puisqu’une cin- propose l’abandon des termes « scin- remodelé l’horizon d’attente du réseau de quantaine de feux des trois premiers tillant » et « clignotant », qui renvoient au signalisation maritime, dont les phares ordres sont à construire ou à adapter paradigme céleste de 1825, au profi t des lumineux étaient jusqu’alors l’espoir et la pour recevoir le système de Fresnel. La mots « éclat » et « occultation »13. Mais principale ressource. Les grands phares, première génération de grand phare, surtout elle supprime la notion d’ordre, réseau dominant de la signalisation qui culmine à environ cinquante mètres, qui était le pilier de l’organisation maritime depuis deux siècles, s’insèrent prend pour modèle Goulphar, sur Belle- homothétique du système de 1825. Dans désormais dans un tissu d’objets Île, dont le plan est attribué à Fresnel. le même temps, le nombre des points techniques qui comprend maintenant le Au mitan du XIXe siècle, avec l’arrivée remarquables qui maillent le littoral est satellite, l’ordinateur, la carte numérisée, de Léonce Reynaud à la tête du service, réduit à une quinzaine de grandes tours, le récepteur GPS. les plans évoluent en intégrant plus éclairées par de puissantes machines  fortement les questions de logement électriques. des gardiens. Les phares du Cap Fréhel (1847) ou des Baleines (1854), dont Systèmes techniques et territoire se la construction avait pu être différée réarticulent dans un nouveau paradigme puisque des tours de Vauban existaient qui a pour ressource la thématique de déjà, témoignent de cette évolution. En l’éclair. Le territoire des phares serait-il 1867, le montage du phare métallique structuré comme un langage ? Le nouveau des Roches-Douvres répond aux vœux paradigme est assez performant pour exprimés par la Commission quarante qu’à l’aube du XXe siècle les ingénieurs ans plus tôt. des services des phares d’autres nations maritimes l’adoptent après la France. 13 L’année 1881, avec l’allumage du phare Cependant, les ingénieurs déchantent Réfection de « l’État de l’éclairage... », Commission des phares, registre Y, p. 64, d’Armen au bout de la chaussée de rapidement sur la capacité des appareils 2 juin 1894. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » en première ligne 23 Trente ans de TGV par Michel Walrave, directeur général adjoint honoraire de la SNCF, directeur général honoraire de l’Union internationale des chemins de fer

LLoorsque, à la fi n des années soiixaanttee, j’avais à présenter le projet de TGV, je citais ssouvent cet aphorisme d’Auguste Detœuf, ingénieur ddes Ponts et Chaussées et industriel, extrait de son ouvrage1 « Il y a pour un industriel, trois façons de se ruiner : le jeu, les femmes eet les ingénieurs » en ajoutant «la seconde est la plus agréable mais llaa troisième est la plus sûre ». J’enchaînais aussitôt « le TGVV n’eestst ppas un projet d’ingég nieur »»..

Le train à grande vitesse. In Pour la Science, édition française de Scientifi c american n°48 octobre 1981 - Source : Michel Walrave

Bien entendu, cela était vrai et faux à le chemin de fer allait devoir faire face. Un contexte la fois. Cela était faux car, bien évidem- La technologie a été ainsi mise au ment, la conception du matériel et des service des exigences résultant des peu favorable infrastructures à grande vitesse a fait besoins du marché et du développe- appel à de multiples avancées techno- ment de la concurrence autoroutière Au milieu des années soixante, l’avenir du logiques dans de nombreux domaines et aérienne qui se dessinait à la fi n des chemin de fer soulevait de nombreuses (mécanique, électrotechnique, électro- années soixante. Cette mise au point interrogations tant dans les milieux nique, transmission d’informations etc.), était d’autant plus nécessaire que la politiques et fi nanciers qu’au sein même et elle a mobilisé le talent de nombreux SNCF, à l’époque, avait la réputation – de la SNCF pour ce qui concernait en ingénieurs. Mais cela était vrai parce non usurpée – d’être dominée par des particulier le transport des voyageurs. que la conception même du TGV a ingénieurs sans références suffi santes, Lorsque j’ai rejoint celle-ci, en 1964, la reposé sur une analyse rigoureuse du parfois, aux données économiques majorité des dirigeants de l’entreprise, se marché des transports de voyageurs fondamentales. En ce sens, le TGV a à moyenne et longue distance et des marqué une rupture par rapport à cette 1 Auguste Detoeuf, Propos d’O. L. Barenton, situations de concurrence auxquelles culture technique alors dominante. confi seur, Éditions d’Organisation, 1982.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 24

fi ant à l’exemple américain, tenait le dis- suis saisi offi ciellement d’aucun projet, direction générale, élaborées par une cours suivant : « l’avenir est au trafi c de mais je crois savoir qu’il s’agit d’études commission de la recherche rassem- marchandises et le trafi c de voyageurs menées par le service de la recherche blant, sous l’autorité du directeur géné- est appelé à disparaître ; à l’exception de la SNCF » Et le Premier ministre de ral, les directeurs généraux adjoints peut-être des trafi cs de banlieue dans laisser tomber : « Ah bon ! Je crois que et l’ensemble des directeurs des les très grandes agglomérations, il est la meilleure chose à faire avec le service fonctions techniques et commerciales impossible de résister à la concurrence de la recherche de la SNCF, ce serait de de l’entreprise. Cette commission de la de l’autoroute et de l’aviation ». le supprimer » recherche examinerait périodiquement l’état d’avancement des études et des Du côté des politiques et des fi nanciers, recherches et prendrait également les le caractère chroniquement défi citaire décisions de mise en œuvre des projets de la SNCF engendrait évidemment un La création du service qui en découleraient. certain scepticisme quant à ses pers- de la recherche pectives d’avenir. Parmi les idées qui Le service de la recherche, créé sur ces prévalaient il y avait celle d’organiser de la SNCF bases, fut confi é à Bernard de Fontgalland une régression progressive de l’activité et à Marcel Tessier comme adjoint, avec ferroviaire en évitant autant que pos- Il faut rendre hommage à Roger Guibert, des profi ls respectifs de généraliste sible les soubresauts dans le domaine nommé directeur général de la SNCF pour le premier et de technicien pour le social. en 1966, d’avoir créé ce service à la fi n second. Le service fut organisé autour de cette même année, dans le contexte de quatre départements principaux : Un autre credo en vigueur au ministère qui vient d’être évoqué. Ce faisant, il technique, exploitation, cybernétique des Finances était qu’une entreprise en donnait suite à une proposition de quatre et économie. Les attributions des trois défi cit devait pour se redresser, suppri- dirigeants de l’entreprise2 auxquels il premiers étaient conçues de manière à mer tout investissement. Cette sugges- avait demandé d’analyser la situation de ne pas « marquer » les directions cen- tion était éminemment discutable car, l’entreprise en matière de recherche. trales traditionnelles mais, au contraire, sans investissement, c’est la stagnation, Sans entrer dans les détails, le rapport à être « à cheval » sur les domaines de la sclérose et la mort. Mais c’était peut- (« rapport vert ») faisait ressortir que les compétences de plusieurs d’entre elles être le but recherché ! recherches effectuées étaient surtout de pour internaliser dans les divers départe- caractère technique et qu’elles étaient ments les interfaces traditionnelles entre Pour illustrer parfaitement ce climat de plus ou moins développées selon les dis- les grandes fonctions. scepticisme, je ne résiste pas au plaisir ciplines. Elles résultaient plus d’initiatives de raconter cette anecdote qui m’a été personnelles de brillants spécialistes que Le quatrième département « économie » rapportée par un témoin de la scène. de commandes de la direction générale. dont j’héritais avait pour mission à la Ayant eu vent des études de la SNCF Elles ne faisaient l’objet d’aucune coordi- fois de mener des recherches propres concernant la grande vitesse, Maurice nation et n’étaient donc pas orientées en et de conduire pour chaque projet les Couve de Murville, Premier ministre vue de projets d’avenir précis. Le rapport analyses et les évaluations économiques après les événements de mai 1968, préconisait en conclusion de fédérer ces permettant de juger de leur intérêt pour demande au ministre des Transports actions de recherche au sein d’un nou- l’entreprise. de l’époque : « J’ai entendu parlé d’un veau service à créer. C’est évidemment tout naturellement que projet de ligne ferroviaire à grande parmi les projets inscrits au programme vitesse : êtes-vous au courant ? De quoi Ce service de recherche recevrait des s’agit-il ?» Le ministre lui répond : « Je ne commandes précises de la part de la 2 Paul Gentil, Jean Dupuy, Jean Alias, Marcel Tessier n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 25 du nouveau service (1966-1969) a fi guré de Marcel Tessier, une expérimentation un peu à bout de souffl e, exploitées sur un projet dénommé CO3 : « Possibilités concernant l’utilisation de la turbine à des liaisons à longue distance telles que de grandes vitesses ferroviaires sur gaz comme moyen de propulsion de véhi- Lyon-Nantes ou Lyon-Bordeaux. infrastructure nouvelle ». cules ferroviaires. Il s’agissait d’utiliser un turbomoteur de conception aéronau- C’est à ce stade qu’est venu interférer M. Guibert avait eu, en effet, l’occasion, tique équipant des hélicoptères. Une un autre projet baptisé « Analyse de la lors d’un voyage d’études au Japon turbine à gaz, le Turmo 3C, développée demande voyageurs », confi é au départe- effectué quelque temps auparavant, de et construite par la société Turbomeca, ment « économie ». Ce projet avait pour constater le succès du « Shinkansen ». fut implantée sur un élément automoteur objectif d’identifi er et, si possible, de Première expérience mondiale de grande diesel à deux voitures, faisant partie du mesurer l’infl uence des paramètres de vitesse ferroviaire (bien que limitée à 210 parc d’autorails classiques de la SNCF. Par qualité de service sur le volume du trafi c km/h dans un premier temps) sur la ligne l’intermédiaire d’un coupleur mécanique, pour une relation origine-destination nouvelle ligne du Tokaido entre Tokyo et la turbine transmettait son mouvement à donnée. Il s’agissait de répondre à la Osaka, cette ligne venait d’être mise en un bogie de l’autorail, qui conservait par question : comment le volume du trafi c service à la fi n de l’année 1964. Il était ailleurs son moteur diesel d’origine, utilisé réagit-il à une augmentation de la vitesse déjà évident que cette expérience allait notamment pour la phase de démarrage. commerciale et de la fréquence de des- révolutionner au profi t du transport serte ou à une variation des tarifs ? ferroviaire le système de transport sur Poursuivie dans le cadre du service de ce corridor regroupant une population la recherche avec succès, cette expéri- Pour répondre à cette question, nous égale à celle de la France tout entière ! mentation permit de démontrer la faisa- avons été servis par la chance : quelques bilité du fonctionnement du turbomoteur années auparavant, une évaluation des aéronautique dans un environnement trafi cs de gare à gare pour l’ensemble de ferroviaire. la SNCF avait été effectuée à l’initiative Une répétition du département statistique de la SNCF. générale : la desserte Il faut insister ici sur deux avantages Grâce à cette étude, nous avons pu spécifi ques à la turbine. Le premier disposer d’une base de données très de Paris-Caen- était sa forte puissance massique, très précieuse. Cherbourg par supérieure à celle du moteur diesel, qui permettait de disposer de la puissance Ces données de trafi c, mises en regard éléments à turbine nécessaire à la grande vitesse sans dépas- des éléments de qualité de service ser les limites requises pour les charges et de prix propres à chaque relation, à gaz à l’essieu. Le second permettait aussi de ont permis de mener des analyses s’affranchir des problèmes de captation économétriques qui ont conduit à la Avant d’examiner le développement du de courant à grande vitesse, loin d’être construction d’un modèle de demande projet CO3, il est nécessaire d’évoquer résolus d’avance, qu’aurait impliqué le permettant de quantifi er la variation de une étape intermédiaire qui a joué un recours à la traction électrique. celle-ci lorsqu’on améliorait la vitesse rôle déterminant dans le processus de commerciale ou la fréquence, entre développement et dans la conception du Sur la base de ce succès prometteur, autres paramètres. TGV. la recherche reçut alors la commande Avant même la création du service de la d’étudier des rames automotrices à Il s’agissait là d’une démarche très inno- recherche, à l’instigation de Jean Dupuy, turbine à gaz destinées à remplacer les vante qui n’avait jamais été conduite avait été lancée, sous la responsabilité rames diesel à grand parcours (RGP), auparavant. En particulier il en ressor-

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 26 tait que, dans la gamme de distances TGV du sud-est de la France, projet Des calculs théoriques montraient que étudiées de 100 à 300 km, l’infl uence de évidemment d’une toute autre ampleur. l’adoption d’un écartement plus large et la fréquence était très importante. Ceci d’un gabarit plus important en largeur correspondait d’ailleurs à une évidence Les grandes options du projet et en hauteur aurait conduit à des coûts intuitive, face à la concurrence de la du TGV d’investissement en matériel roulant et à voiture, permettant parfaitement le des coûts d’exploitation plus faibles par choix de son horaire de voyage. La direction du projet CO3 fut confi ée unité de capacité. Cela était particulière- à Marcel Tessier qui organisa le travail ment marqué pour les dépenses d’éner- Le modèle en question suscitait cepen- de la manière suivante : le pilotage gie liées à la résistance aérodynamique : dant quelque scepticisme à l’intérieur d’ensemble était assuré par une équipe en simplifi ant quelque peu, mieux vaut, à de l’entreprise, notamment chez les de projet rassemblant à la fois des capacité égale, faire « gros et court » que commerciaux ou les spécialistes des responsables émanant des directions « long et effi lé ». C’est d’ailleurs ce que horaires. Pour lever ces doutes, il fallait techniques traditionnelles de la SNCF l’on constate dans le domaine aérien. procéder à une expérimentation. Celle-ci (matériel et traction, équipement, Si on était parti ex nihilo, on aurait sans n’était pas possible sur les relations mouvement, commercial) et les chefs doute considéré attentivement la possi- desservies par les RGP où le potentiel de de départements concernés du service bilité de telles options. trafi c était trop faible pour justifi er plus de la recherche (SR). En-dessous de cet d’un ou deux trains par jour dans chaque organe de synthèse, furent constitués En revanche, la compatibilité présente sens. des groupes de travail spécialisés dont d’énormes avantages pour l’insertion la présidence était attribuée à des res- dans un réseau existant. Quant aux Pour mener l’expérience, le choix devait ponsables des directions techniques ou infrastructures, elle permet d’utiliser se porter sur une ligne non électrifi ée commerciales, mais dont les chevilles les pénétrations urbaines et les gares rejoignant Paris à la province. La ligne ouvrières étaient des membres du ser- existantes, situées au cœur des agglomé- Paris-Caen-Cherbourg fut retenue. vice de la recherche. rations, évitant ainsi des investissements On mit en place sur cette liaison des très coûteux, voire impossibles à réali- éléments à turbine à gaz (ETG) de quatre Ce dispositif présentait l’avantage d’impli- ser. Sur le plan commercial, elle permet voitures et une capacité d’environ 200 quer l’ensemble des directions de l’entre- de desservir des villes situées sur le places. Ces éléments étaient dotés prise et de confi er le travail effectif à des réseau existant au-delà des extrémités chacun d’un moteur diesel et d’une ingénieurs ou à des économistes pouvant de la ligne nouvelle, sans rupture de turbine à gaz, ce qui permettait de s’y consacrer à temps plein, à l’abri charge ou de correspondance pour les réduire le temps de parcours d’environ de toutes les contraintes du quotidien voyageurs concernés. Or les modèles 25% et, parallèlement de doubler les opérationnel. Il visait aussi à se prémunir économiques montraient que l’existence fréquences. Cette nouvelle desserte, contre tout dérapage irréaliste, en tenant de telles ruptures de charge avaient un mise en place à la fi n de fi n 1968, compte des remarques émanant de ceux effet fortement négatif : au-delà du délai permit de valider expérimentalement qui étaient confrontés aux diffi cultés de physique nécessaire au changement de le modèle. L’accroissement du trafi c l’exploitation quotidienne. trains s’ajoutait un « malus » psycholo- observé, d’environ 35%, était conforme gique équivalent à une durée supplémen- aux prévisions de celui-ci. Cela permit C’est dans ce cadre que furent arrêtées taire de trois quarts d’heure environ. Ces de faire taire les sceptiques ! les grandes options du projet : avantages étaient sans commune mesure Cette expérimentation a constitué en En premier lieu, la compatibilité avec le avec les gains pouvant résulter de l’adop- quelque sorte une maquette, ou une réseau existant en termes d’écartement tion de gabarits plus généreux. Dès lors répétition générale de la desserte par de la voie et de gabarit. la cause était entendue. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 27

d’une pente de 10°/°°, souhaitable pour le trafi c de marchandises.

Cette option conduisait à une petite révolution en matière de tracé. Au lieu de suivre le fond des vallées, avec une forme plus au moins sinueuse, pour éviter les pentes trop fortes, le profi l imposant sa loi, on pouvait ici choisir un tracé « par monts et par vaux » aussi direct que possible. Suivant une jolie formule, due à Roger Hutter, c’était « la revanche du tracé sur le profi l ».

Sur l’axe Paris-Lyon, un tel tracé permet- tait de réduire la distance de 18% par rapport aux lignes existantes, avec à la Source : Claude Soulié et Jean Tricoire - Le grand livre du TGV, Paris, La vie du rail, 2002 clef les économies d’investissement et d’exploitation correspondantes. À cela s’ajoutaient d’autres considérations : Pour montrer cependant que le choix de Là encore, la motivation principale était le transfert sur la ligne nouvelle de la la compatibilité n’allait pas de soi, il suffi t économique. Il s’agissait de réduire le quasi-totalité du trafi c de voyageurs à d’évoquer l’exemple japonais et celui, plus possible le coût de construction longue distance permettait de libérer des plus récent, espagnol. Les Japonais ont de l’infrastructure, ce qui était une capacités pour le trafi c de marchandises choisi pour leur ligne du Tokaido l’écar- condition sine qua non de rentabilité eu sur les lignes existantes ; l’optimum de tement standard international (1m 44) égard au niveau relativement modéré capacité d’ensemble était obtenu en spé- alors que le réseau était à voie métrique. des potentiels de trafi c en France si on cialisant les lignes parallèles plutôt qu’en Mais il y avait une bonne raison : la voie les compare à ceux du Japon. « mélangeant » les trafi cs de voyageurs et métrique ne permettant pas des vitesses de marchandises sur les deux itinéraires. supérieures à 140/160 km/h, l’option de Pour traverser des régions au relief Il y avait d’autres avantages à la spéciali- la grande vitesse interdisait la compati- moyennement accidenté, l’adoption de sation en matière de sécurité et de coûts bilité. En Espagne, où les voies avaient pentes maximales plus fortes que celles d’entretien de la voie, notamment une un écartement supérieur à l’écartement requises pour le trafi c de marchandises moindre usure des rails en courbes. standard européen, l’option politique (10-15°/°°) permet des économies consi- Ce choix fut cependant âprement courageuse qui a été prise en retenant dérables sur le génie civil : il y a moins de controversé à l’intérieur de l’entreprise, ce dernier visait à privilégier la compa- terrassements, de viaducs ou de tunnels. notamment par ceux qui, majoritaires, tibilité future avec le réseau européen à L’adoption d’une pente maximale de pensaient que l’avenir du chemin de fer grande vitesse par rapport à celle avec le 35°/°°, compatible avec les possibilités était situé dans le trafi c de marchandises. réseau existant. de traction du matériel de l’époque3, permettait d’économiser environ 1/3 En second lieu, la spécialisation du du coût de l’infrastructure par rapport 3 avec les matériels plus récents, on pourrait trafi c de voyageurs à grande vitesse. à celui qui aurait résulté de l’adoption certainement aller à 50°/°°

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 28

La spécialisation ne doit cependant mum, quelle capacité, quel confort la valeur des gains de temps pour les pas être considérée comme un dogme intérieur, quelles options techniques voyageurs décroissait avec celle-ci. Sans absolu. Elle n’apporte beaucoup d’avan- retenir (mode de propulsion, freinage, entrer dans des formulations mathéma- tages, en termes de coût de l’infrastruc- signalisation à bord, captation éven- tiques assez complexes, il suffi t pour ture, que dans les zones moyennement tuelle de courant, suspension, etc.) ? s’en convaincre de savoir que, dans le accidentées. Ce n’est pas le cas dans  pour l’exploitation : quelle extension domaine des très grandes vitesses supé- les grandes plaines d’Europe du nord géographique de la zone à desservir ?, rieures à 250 km/h, la résistance aéro- ou dans les zones très montagneuses où quelles fréquences ?, quelle tarifi cation ? dynamique (qui devient prépondérante) elle ne permet pas d’éviter la construc- et l’énergie nécessaire pour la vaincre tion de longs tunnels. La spécialisation Tous ces choix avaient des relations de s’accroissent sensiblement comme le s’impose là où les potentiels de trafi cs dépendance mutuelle. L’objectif était de carré de la vitesse et la puissance à ins- de voyageurs sont très élevés. A contra- s’assurer de leur cohérence technique taller pour la propulsion comme le cube rio, la mixité des trafi cs est une option et économique et de rechercher une de celle-ci. économiquement raisonnable pour la optimisation de l’ensemble du système, traversée des Alpes ou des Pyrénées ou à partir d’une analyse de la demande de Pour cette optimisation, il fallait appré- encore pour le tunnel sous la Manche. transport conditionnée par la perspec- hender convenablement le niveau des tive du développement économique et coûts et leur variation avec la vitesse. l’évolution probable de la concurrence Cela fut rendu possible, notamment aérienne et routière. pour les coûts d’entretien du matériel, à L’optimisation partir d’analyses détaillées de comptabi- technico-économique En matière de recherche d’un optimum lité analytique disponibles pour chaque de vitesse, il était évident que, au-delà composant des matériels (moteurs de du système d’un certain seuil, les coûts unitaires traction, roulement, freinage), en faisant au voyageur-km s’accroissaient de plus des extrapolations raisonnables en fonc- Le choix de l’axe Paris-Lyon allait de en plus vite avec la vitesse alors que tion de la vitesse. soi. C’était là que les données relatives à la démographie ou aux trafi cs existants l’emportaient sur tous les autres choix possibles. La gamme des distances à couvrir depuis Dijon jusqu’aux Alpes ou à la Méditerranée était « idéale » du point de vue de la concurrence aérienne ou autoroutière : le chemin de fer y était particulièrement vulnérable ! Ce choix étant fait, il y avait beaucoup Source : d’options à prendre : Michel  pour les infrastructures : une extension Walrave, Le train à géographique à Paris-Lyon en totalité grande vitesse. ou non ? Quelles caractéristiques du In Pour la Science, édition tracé adopter en fonction de la vitesse française de souhaitée ? Scientifi c american n°48  pour le matériel : quelle vitesse maxi- octobre 1981 n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 29

Du côté de la demande, les modèles éco- considéré sous l’angle de l’exploitant (la estimations de base pour tenir compte nomiques permettaient, avec une bonne SNCF) ou sous celui de la collectivité, en des incertitudes inévitables pour un pro- approximation, d’évaluer la valeur du associant toutes les « parties prenantes » jet d’une telle ampleur. Elle décida à la fi n temps gagné pour les utilisateurs ainsi (en particulier les usagers et les systèmes que sa distribution dans la population de de transport concurrents) et en tenant ceux-ci. Les premiers calculs effectués compte des « effets externes » positifs reposaient aussi sur l’utilisation de la tur- ou négatifs. La rentabilité de l’entreprise bine à gaz comme source de puissance, SNCF était indispensable pour fi nancer en se guidant sur les coûts observés le projet par des emprunts et rembourser dans l’aéronautique. ceux-ci sans subvention de l’État, ce qui était fondamental aux yeux du ministère Un modèle « technico-économique » d’en- des Finances. Il fallait aussi montrer aux semble permettait de montrer que, dans pouvoirs publics, décideurs en dernier les conditions économiques de l’époque, ressort, que le projet avait des consé- l’optimum de vitesse se situait dans la quences globalement positives pour plage de 260-270 km/h. Cette vitesse fut l’ensemble de la collectivité, même en adoptée pour la défi nition fi nale du maté- tenant compte des impacts négatifs sur riel. Pour réserver l’avenir, une vitesse de certains acteurs comme les exploitants défi nition de 300 km/h, fut retenue pour des transports concurrents. le tracé de la ligne nouvelle. L’extension géographique de la desserte Les modèles de demande mettant en ne fi t pas l’objet, au départ, d’une optimi- évidence l’importance des fréquences sation détaillée. On prit pour hypothèse de desserte et de l’absence de ruptures l’existence de points d’arrêts terminaux Source : Michel Walrave de charge jouèrent un rôle décisif dans dans les grandes villes du sud-est et le choix de la capacité unitaire des de la Suisse (Dijon, Besançon, Genève, rames. La longueur totale des trains était Lausanne, Lyon, Grenoble, St-Etienne, de l’année 1969 de proposer à sa tutelle contrainte par la longueur des quais de Marseille, Montpellier) afi n de montrer le « Projet de desserte ferroviaire à la gare de Lyon à Paris (400 m), d’où le la viabilité du projet, en réservant pour grande vitesse du sud-est de la France ». choix de rames de 200 m de long, exploi- plus tard une optimisation détaillée. Le La pièce maîtresse était la création d’une tées isolement ou jumelées, avec une principe était simple : si le projet était ligne entièrement nouvelle entre Paris capacité unitaire d’environ 400 places rentable sur ces bases, une optimisation et Lyon, raccordée à ses extrémités au par module. Cette option permettait, de l’extension géographique ne pouvait réseau existant, à 8 km au nord de Lyon grâce au jumelage, de réaliser des trains être que meilleure. Cela suffi sait à justi- et à 30 km au sud de Paris. Cette ligne constitués de deux rames, puis leur fi er l’engagement du projet. devait permettre de gagner 2 heures par « éclatement » (par exemple à Avignon rapport aux meilleurs trains existants avec une rame vers Marseille et une La SNCF fut convaincue que le projet de et de réduire la longueur de la distance autre vers Montpellier). création d’une ligne à grande vitesse à parcourir entre les deux principales était largement rentable et que sa villes de 512 km à 429 km, soit un gain de Le « juge de paix » de tous ces calculs rentabilité robuste restait assurée dans 18%, ce qui pesait lourd dans les calculs d’optimation était évidement un critère le cadre de calculs de sensibilités et d’hy- de rentabilité. de rentabilité. Le bilan actualisé était pothèses moins favorables que dans les

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 30

En matière de tarifi cation, dès l’origine, de la SNCF : « Le progrès ne vaut que s’il inspirer beaucoup plus tard la mise en il s’agissait de construire une offre est partagé par tous ». œuvre du « yield management ». répondant aux besoins de l’ensemble de la population, basée sur l’existence de On décida en défi nitive que le prix À l’époque, cette politique tarifaire fut deux classes de confort (1e et 2e classe) de base d’un billet Paris-Lyon serait cependant critiquée par certains qui et non de réserver les trains rapides à maintenu ainsi que la recette moyenne, pensaient que l’on aurait dû tenir compte la seule clientèle de 1e classe composée en tenant compte de suppléments de de la diminution des distances à parcou- principalement de voyageurs d’affaires. diverses natures. À cette fi n, au-delà du rir en maintenant, non pas le tarif de bout Cette option étant prise pour des raisons tarif de base, furent proposés des sup- en bout mais le tarif kilométrique ! Il fut économiques et sociales, se posait la pléments destinés à contenir ou à atté- facile à la SNCF de répondre : alors que question du niveau de la tarifi cation. nuer les pointes de trafi c journalières et nous apportons aux voyageurs des gains hebdomadaires, visant ainsi à une bonne de temps considérables sans leur faire Selon les calculs prenant en compte la utilisation des matériels et des capacités payer cet avantage, faudrait-il en sus variation de la demande par rapport offertes. La même philosophie devait baisser le prix ? aux prix, on aurait pu augmenter les tarifs à un niveau tenant compte des gains de temps considérable procurés aux voyageurs. Cela se serait traduit par une augmentation de la rentabilité fi nancière pour l’entreprise. Mais la ren- tabilité sociale pour la collectivité aurait été moindre : ce niveau de tarif priverait une partie de la demande potentielle dans les tranches de population plus modestes des avantages de la grande vitesse. L’adoption de tarifs élevés auraient nécessité de maintenir un service important sur la ligne classique, pour des raisons politiques, alors que le basculement total du trafi c de voyageurs vers la ligne nouvelle était essentiel du point de vue de la rentabilité. Le maintien des tarifs existants, procu- rant déjà à l’entreprise une excellente rentabilité, nous paraissait essentiel pour obtenir une adhésion populaire et politique utile pour des développements ultérieurs du système et offrir « une démocratisation de la vitesse ». Cette préoccupation sociale et politique fut illustrée des années plus tard par le slo- Le train à grande vitesse. In Pour la Science, édition française de Scientifi c american n°48 octobre 1981 gan de communication institutionnelle Source : Michel Walrave n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 31

La course d’obstacles la société pouvait se présenter comme exploitant potentiel. Elle prit donc une À la suite de la saisine des pouvoirs participation dans la société de l’aéro- publics par la SNCF, le gouvernement train. Un groupe de travail mixte rassem- décida de créer une commission inter- blant des techniciens et des économistes ministérielle pour l’examen du projet, fut mis sur pied. Sans entrer dans le détail avec un regard extérieur à celui de l’en- des travaux, les représentants de la SNCF treprise. La présidence de cette commis- dans le groupe, dont je faisais partie avec sion fut confi ée à Roger Coquand, ancien Marcel Tessier, arrivèrent bientôt à la directeur des Routes et vice-président de conclusion que ce système, séduisant la SNCF, dont la compétence et la probité sur le papier, soulevait d’énormes pro- intellectuelle ne pouvaient être mises en blèmes : la pénétration urbaine (nouvelles doute. infrastructures coûteuses, nuisances sonores, pollution), les problèmes de Un examen critique des propositions changement de voie à grande vitesse et la de la SNCF se déroula tout au long de gestion des terminaux. l’année 1970. Les passes d’armes au sein de la commission furent souvent Par ailleurs, si la construction de l’infras- acharnées, avec les concurrents comme tructure ne nécessitait comme emprise Source : Michel Walrave Air Inter ou les concurrents potentiels au sol que l’implantation de piliers de comme l’aérotrain de Jean Bertin, mais support, elle n’en constituait pas moins avec aussi la réticence, pour ne pas dire un ouvrage d’art continu dont le maintien plus, des représentants du ministère des des caractéristiques géométriques au Finances. cours du temps était problématique. La capacité limitée du véhicule, favorable en En matière d’aérotrain, Jean Bertin avait matière de fréquences, générait des coûts imaginé un véhicule sur coussin d’air d’énergie et de conduite élevés. Enfi n, la circulant sur une poutre en béton conti- non compatibilité avec l’infrastructure nue dont la section avait la forme d’un existante conduisait à des dessertes de T renversé, d’une capacité de 80/100 point à point limitées en potentiel de places. Ce système était soutenu par des trafi c. Certains avantages, comme la responsables politiques, dont le Premier possibilité de franchir des pentes jusqu’à ministre Jacques Chaban-Delmas, et 10% ou des vitesses théoriquement plus par la Datar qui alla jusqu’à fi nancer un élevées que celles accessibles au chemin tronçon expérimental d’infrastructure au de fer ne suffi saient donc pas à compen- nord d’Orléans destiné à s’intégrer dans ser les inconvénients développés ci-des- une future ligne Paris-Orléans. sus. Cela conduisit la SNCF à émettre un jugement négatif sur l’aérotrain qui fi t L’aérotrain a fait l’objet d’analyses tech- l’objet d’âpres controverses. niques et économiques approfondies A l’issue des travaux, la commission par la SNCF, sans idées préconçues car, Coquand remit un avis favorable au si le système s’était avéré intéressant, projet et la décision passa au niveau poli- Source : Michel Walrave

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 32

TGV entrant en gare de Lyon Part-Dieu, (2001) - © Bernard Suard/MEDDTL

tique. Lors d’une réunion spéciale tenue Il y eut d’autres obstacles à franchir. réseau du sud-est. Enfi n, des combats à l’Élysée en mars 1971, le président Une attaque de la Cour des comptes, furent menés en 1976-1977 pour éviter Georges Pompidou trancha en faveur inspirée par Air Inter, fut réfutée point l’amputation du tronçon nord du projet du projet avec une vision des avantages par point. Un recours en Conseil d’État de ligne nouvelle ou un différé de réali- que la France pourrait en tirer sur le contestant l’utilité publique du projet fut sation important de celui-ci. plan industriel. Toutefois, alors que la intenté par un professeur d’économie SNCF visait alors une mise en service dont la propriété avait le malheur de se Parmi les décisions importantes qui en 1976, le gouvernement décida de trouver à proximité du tracé. Des discus- furent prises, il faut mentionner celle donner la priorité à la modernisation de sions eurent lieu avec la ville de Dijon du comité interministériel de mars la banlieue parisienne et de reporter à la qui ressentait fort mal la perspective de 1974 visant à abandonner la solution fi n des années 1970 la mise en service. perdre son rôle de plaque tournante du turbo-électrique pour la propulsion en n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 33 lui substituant une solution tout-élec- Passager Train » des chemins de fer trique impliquant l’électrifi cation de la britanniques. ligne nouvelle en courant industriel à 25 000 volts. Cette option était apparue La réussite du projet, contenant à l’in- économiquement justifi ée dès l’année térieur des prévisions à la fois les coûts 1971 avant même de prendre en compte de construction de l’infrastructure et du la hausse des prix du pétrole de la fi n matériel roulant et les coûts d’exploita- de 1973 mais l’incertitude technique tion et d’entretien, et matérialisée par concernant la possibilité de captation du une réponse du trafi c légèrement supé- courant à grande vitesse, avait conduit la rieur aux prévisions, a créé la confi ance SNCF à différer une telle proposition. nécessaire pour le développement ultérieur du système.

Conclusion Même si, à l’époque, les concepteurs avaient des visions d’avenir concer- Comme on a pu le constater, la mise en nant le développement du réseau, ils œuvre du projet de TGV Paris sud-est n’auraient pu imaginer l’expansion des a été une longue marche semée d’em- systèmes à grande vitesse en France et bûches. Il a fallu résoudre de nombreux en Europe au niveau atteint aujourd’hui. problèmes techniques et mener des com- Cette évolution a été soutenue par une bats acharnés sur le plan économique. adhésion populaire et un consensus politique qui ont été essentiels pour le Plusieurs facteurs importants sont à développement du réseau, appelé à se l’origine du succès du projet : poursuivre encore.  l’existence de la SNCF comme une société intégrée couvrant à la fois l’ex- À l’époque également, les avantages ploitation, le matériel et l’infrastructure, énergétiques et environnementaux cette structure permettant une optimi- du système de trains à grande vitesse sation d’ensemble du système tenant n’avaient pas encore l’importance qu’ils compte de tous les paramètres ont pris aujourd’hui, ce qui permet d’au-  une approche tournée vers le marché gurer des perspectives brillantes pour et reposant sur des analyses écono- les années et décennies à venir. miques solides qui ont résisté à tous les  coups de butoir émanant d’opposants au projet et qui ont permis de montrer que ce projet de rentabilité exceptionnelle pouvait être fi nancé entièrement par des emprunts remboursés en moins de dix ans.  des choix techniques prudents ne visant pas à l’aventure technologique, contrairement à l’exemple de l’« Avanced

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 34 en première ligne Le Sétra, de Bagneux à Sourdun par Christian Després, ingénieur en chef des Ponts, des Eaux et Forêts*

Le Sétra dispose aujourd’hui de trois bâtiments sur le site de Sourdun. Le CETE Île-de-France disposera d’un bâtiment, actuellement encore en travaux. Le reste de cette partie du site est occupé par l’internat d’Excellence qui accueillera 500 élèves à la rentrée prochaine. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 35

Depuis le 15 décembre 2011, le Sétra1 a été transféré sur l’ancien site militaire Maréchal de Lattre de Tassigny, à Sourdun, en Seine-et-Marne. Ainsi se clôt une première phase de son existence, commencée en 1968, qui aura été vécue par les milliers d’agents de l’Équipement qui se sont succédés à Bagneux, au bord de la RN20. Cette histoire, avec tout ce qu’elle comporte sur les plans scientifi que, technique, administratif, mais également sur le plan social et humain, peut apparaître comme un condensé de l’histoire de notre ministère, depuis les grandes heures de « l’Équipement » jusqu’aux perspectives prometteuses que « l’Écologie » cherche à garantir aux générations futures.

Le contexte Hussards, avec un effectif de l’ordre de 900 des « hussards noirs de la République » militaires et civils. Au cours de l’été 2009, aux côtés des experts de l’Équipement. du transfert ce régiment déménagea soudainement pour Haguenau, abandonnant 55 hectares construits et aménagés, et faisant Le Sétra, instrument La décision de transfert est une des craindre du même coup une dépression conséquences de la politique nationale économique dans cette zone située aux de prestige du service de redéploiement des implantations confi ns de l’Île-de-France. public territoriales des armées qui a été mise en œuvre ces années dernières. Le village Peut-être parce que les questions Né en 1968, le Sétra peut être vu comme de Sourdun, situé à l’extrémité est de d’aménagement du territoire lui sont un des maillons fondateurs d’une autre la Seine-et-Marne, dans le Provinois, consubstantielles, notre ministère a été politique pleine d’ambition, celle qui, était jusqu’alors l’hôte du 2e régiment de choisi pour participer aux compensations achevant la reconstruction d’après- que le gouvernement entendait offrir guerre, mettait résolument notre pays aux collectivités locales. Le Sétra avec sur la voie de la modernité en matière ses 300 agents, puis le LREP2 de Melun, avec 50 agents, furent tour à tour choisis * Au sein du Sétra, il est spécifi quement chargé de pour occuper l’espace laissé vide par la l’opération de transfert à Sourdun, dans toutes ses Logo «historique» composantes, autant techniques que sociales. Il du Sétra : Le service Défense. Parallèlement, le ministère de s’intéresse par ailleurs de près à l’histoire de notre s’identifi ait alors l’Éducation nationale rivalisait d’ambition ministère. 1 pleinement à la création en décidant d’implanter son premier Sétra : Service d’Études des Transports, des autoroutière Routes et de leurs Aménagements (depuis juillet internat d’excellence dans cette ancienne 2008) caserne. Une sorte de version XXIe siècle 2 LREP : Laboratoire Régional de l’Est Parisien

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 36

plus que comme l’indispensable clef du service d’études techniques des de voûte de l’ensemble, lui donnant routes et autoroutes », signé par sa cohérence et son excellence dans François-Xavier Ortoli, ministre de un domaine où la France souffrait l’ Éq u ip e m e nt et d u Loge m e nt d e G eo r ge s alors d’un important retard, celui de la Pompidou. La spécifi cité monomodale modernisation de son réseau routier et de de ce nouveau service est affi rmée : la construction des autoroutes. nous sommes bien dans le monde de la route, déterminés à assurer sa postérité Les résultats ont été spectaculaires. avec la construction planifi ée des routes L’État avait la volonté de faire ; il pouvait de nouvelle génération, les autoroutes. encore y mettre les moyens fi nanciers. En matière d’urbanisme, de transports Toutefois, le Sétra n’est pas né d’une et d’infrastructures, il prenait aussi le génération spontanée. Il s’est au contraire parti de détenir en propre une expertise constitué à partir de trois services de très haut niveau. Pour ceux qui l’ont préexistants : connue, cette époque donne le souvenir  le plus ancien, le service central d’études Le Sétra à Bagneux, côté jardin est installé depuis d’un âge d’or où prévalait un jacobinisme techniques (SCET), avait été créé aux 1968 dans un immeuble situé au 46 avenue , en bordure de la RN20. Cet immeuble de 10 scientifi que et technique décomplexé. lendemains de la Grande Guerre, par un étages, spécialement construit par le ministère est (cf. encadré n°1). arrêté du 18 décembre 1918 ; en cours de cession à la mairie de Bagneux. Il devrait être démoli dans le cadre d’un projet de ZAC.  le service spécial des autoroutes (SSA), Le réseau autoroutier, presque inexistant créé à la fi n de la dernière guerre, en de développement des infrastructures. dans les années 50, est devenu 1945, et établi rue Liancourt ; Le général de Gaulle était à la tête de rapidement un des plus modernes  le service des études et recherches de l’État. Il était environné par des hommes d’Europe à travers la mise en œuvre la circulation routière, créé lui aussi dans d’envergure comme Paul Delouvrier du « schéma directeur des grandes l’après-guerre, a partiellement été versé – père des villes nouvelles – et Edgar liaisons autoroutières ». L’effi cacité des dans les effectifs du Sétra. Pisani qui organisa la naissance en déplacements n’est pas la seule gagnante 1966 du ministère de l’Équipement par puisqu’en même temps, le nombre des fusion du ministère des Travaux publics tués sur la route a diminué de manière et des Transports et du ministère de la inverse à la croissance du trafi c routier. Construction. Dans la foulée étaient créées les directions départementales de l’équipement, DDE, dont l’acronyme Une période est rentré dans le langage populaire pour désigner une administration de terrain, d’expansion effi cace et proche des gens. La polyvalence et la dispersion essentiellement géographique des DDE imposèrent vite de En 1969, le Sétra accueille les moyens informatiques les adosser à un solide réseau d’expertise. monomodale de l’administration centrale Les CETE3 ont vu ainsi le jour en 1968. La création du Sétra, service technique à L’acte de naissance du Sétra est l’arrêté du compétence nationale, n’apparaissait 1er décembre 1967 « portant organisation 3 CETE : Centre d’Études Techniques de l’Équipement n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 37

Par la suite, plusieurs modifi cations de de Bagneux étaient alors combles et qui ouvre la porte aux commandes structures sont intervenues : débordaient dans l’annexe de l’avenue et aux crédits, à la reconnaissance  en 1969, une division de l’informatique, Victor Hugo. hiérarchique, à la bénédiction politique. chargée d’installer et de gérer le centre Celle-ci a été restituée à son nouveau Le Sétra s’adapte. Il se désenclave du informatique de l’administration centrale propriétaire, le Conseil général des monde routier, son fond de commerce a été intégrée au Sétra ; c’est un lieu Hauts-de-Seine en juin 2010. historique, et reporte une partie de son où se concentrent puissance de calcul expertise sur le ferroviaire. L’opération et savoir-faire informatique en une A l’issue de sa période d’expansion et est audacieuse car même si ce secteur époque où les techniques de traitement à l’aube du transfert à Sourdun, les a politiquement le vent en poupe, de l’information se répandaient dans les effectifs cibles du Sétra se sont rétractés l’expertise en matière de transport ferré administrations ; autour de 300 ETPT8. Les effectifs réels, demeure une chasse gardée de la SNCF  en 1970 a été créé le CETU4, qui est sous l’effet de la restructuration se que RFF9 est à peine arrivé à entamer en rattaché fonctionnellement au Sétra ; situent quant à eux autour de 200 agents. 15 ans d’existence !  en 1971, les activités liées au milieu urbain ont été regroupées au sein d’une En quelques mois, un nouveau projet de division unique qui est séparée du Sétra Une période de service voit le jour « Pour des transports en 1976 pour constituer le CETUR5. En et une mobilité durable », resserré 1995, le CETUR a quitté Bagneux pour maturité à orientation sur quatre orientations majeures qui Lyon et est devenu le CERTU6. Cette prennent en compte le périmètre devenu séparation a entraîné un resserrement multimodale très large de notre ministère, dont le « É » des missions du Sétra sur l’espace Comme toute structure, l’organisation signifi e désormais « Écologie » : interurbain ; du Sétra a connu des évolutions variées  la réduction de l’empreinte des  en 1975, la création du SERES7 au au cours de son histoire. Toutefois, le transports terrestres en matière sein de la direction des routes et de la décret du 9 juillet 2008 va marquer une d’énergie, d’environnement et de santé ; circulation routière a réduit le potentiel étape décisive. Si son acronyme qui s’est  le développement d’une approche et le domaine de compétence du Sétra installé comme une référence dans la HQDD10 sur le patrimoine d’infrastructures en matière de sécurité et d’exploitation. communauté scientifi que et technique de transports ; demeure inchangé, sa signifi cation va  la promotion de l’intermodalité ; Pour être complet, précisons que la quant-à elle considérablement évoluer.  l’amélioration de la sécurité des création du Sétra ne fut pas un acte Le service est littéralement recréé pour déplacements. isolé. Le même jour, le ministre prenait devenir le « service d’études sur les un arrêté pour créer son pendant hors transports et leurs aménagements ». Un du champ routier : le Service Technique Sétra2 en quelque sorte. 4 CETU : Centré d’Études des Tunnels Central d’Aménagement et d’Urbanisme 5 CETUR : Centre d’Études Techniques sur (STCAU). Mais l’existence de ce service a Le Grenelle de l’Environnement venait de l’Urbanisme 6 été éphémère. produire ses premières conclusions. Les CERTU : Centre d’Études sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les Construtions transports ont été invités à réduire leurs publiques L’historique des effectifs du Sétra est bilans carbone et leurs infrastructures 7 SERES : Service de l’Exploitation Routière et de la une courbe en « N » dont le maximum devaient démontrer une haute qualité Sécurité 8 ETPT : Équivalent Temps Plein Travaillé s’est situé au début des années 1980 environnementale. Le recours à 9 RFF : Réseau Ferré de France pour atteindre 650 agents. Les dix étages l’adjectif « multimodal » agit maintenant 10 HQDD : Haute Qualité Développement Durable, du bâtiment de l’avenue Aristide Briand comme une sorte de nouveau sésame concept qui a prix le relais du concept de HQE

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 38

Le Sétra demain une expertise de haut niveau au sein Les directeurs du Sétra de l’administration, en appui à une Marcel HUET 1968 1977 Avec cette nouvelle « feuille de route » politique publique prioritaire, et donc de scientifi que et technique et son « billet » faire de l’État un maître d’ouvrage fort, Jean BERTHIER 1977 1983 pour Sourdun, le Sétra est confronté à indiscutable. Bernard FAUVEAU 1983 1990 un double défi . Certains déterminants, On a vu combien cette stratégie a porté François PERRET 1990 2001 comme l’avenir de l’organisation du ces fruits dans les années 70 et 80, réseau scientifi que et technique lui avec l’accomplissement de programmes Jean-Claude PAUC 2001 2008 échappent. D’autres relèvent pleinement exceptionnels d’équipements routiers. Philippe REDOULEZ 2008 2011 de sa gestion interne, comme la capacité à Aujourd’hui, alors que d’autres politiques capitaliser sur l’expertise et l’expérience publiques prennent le relais, tout aussi Eric Le GUERN 2011 acquise, rester attractif pour les jeunes, ambitieuses, comme celles fondées sur conserver son rôle d’animation et de la promotion du développement durable, Les directeurs du Service Central référence au sein d’organismes à large n’y a–t-il pas lieu de s’interroger sur le d’Etudes Techniques (SCET) rayonnement comme l’IDDRIM11. rôle et l’importance que des services (l’ancêtre du Sétra !) Mais pour l’histoire, l’aventure du Sétra comme le Sétra, et par delà, l’ensemble M. PIGEAUD 1919 1934 reste celle de la capacité à mobiliser du RST12 devront conserver ? M. GRELOT 1934 1948 Philippe Redoulez, Ingénieur général des Ponts, des Eaux et Forêts, fut directeur du Sétra entre le 1er avril 2008 et le 30 novembre 2011, date à M. ROBINSON 1948 1961 laquelle il a été nommé directeur général des Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc. Il a porté la M. GRATESAT 1961 1968 délicate mission du transfert du Sétra à Sourdun et de son ouverture à la multimodalité.

Eric Le Guern, Ingénieur général des Ponts, des Eaux et Forêts, a été nommé directeur du Sétra à compter du 1er décembre 2011. Il a été précédemment sous-directeur de l’animation scientifi que et technique au sein de la direction de la recherche et l’innovation du CGDD puis directeur de l’animation et de l’appui aux porteurs de projets à l’Agence nationale de rénovation urbaine. Il va être confronté au défi de donner une nouvelle vie au Sétra, sur son nouveau site de Sourdun, au sein d’un réseau scientifi que et technique en pleine évolution.

Le CODIR du Sétra en 1995 - De gauche à droite : G . S a u z e t ; A l b . B o u r r e l ; Y . C h a r g r o s ; 11 IDDRIM : Institut des Routes, des Rues et des J. Pejoan ; B. Basset ; F. Perret ; G. Gros ; Infrastructures pour la Mobilité J. Lévêque ; J. Malbosc ; Cl. Binet 12 RST : Réseau Scientifi que et Technique n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 39

Encadré n°1 - Repères chronologiques du développement des infrastructures contemporain du développement du Sétra

1955 : la France ne compte que 25 km 1965 : la France possède 234 km  création de sociétés privées d’autoroutes. Un ambitieux plan d’autoroutes ; concessionnaires d’autoroutes de rattrapage est mis en œuvre  soutien de la DATAR (Délégation qui peuvent construire et exploiter comportant la création du Fonds à l’aménagement du territoire et à (la 1re est la Compagnie fi nancière spécial d’investissement routier l’action régionale) et de la SNCF et industrielle des autoroutes (FSIR), la loi créant la concession au projet d’aérotrain de Bertin ; (COFIROUTE), suivie de AREA autoroutière et le lancement  mise en service du tunnel routier (Société des Autoroutes du Rhône du programme français des sous le Mont-Blanc. et des Alpes) ; autoroutes. 1966 : inauguration de la Journée nationale  conseil interministériel stimulant 1958 : le schéma directeur autoroutier études de la Prévention routière la réalisation de rocades (A86). prévoit la réalisation de 2000 km par Georges Pompidou ; 1971 : le parc automobile français dépasse entre 1960 et 1975.  création du ministère de les 15 millions de véhicules et 1960 : création de la première ligne du l’Équipement. le transport routier dépasse le Réseau Express Régional (RER) 1967 : Georges Pompidou fi xe comme transport ferroviaire ; « La Défense - Étoile ». priorité la réalisation d’un axe  élaboration d’un nouveau schéma 1961 : inauguration de l’aérogare d’Orly – autoroutier Nord – Sud. directeur des grandes liaisons sud ; 1968 : création du Service d’études routières prévoyant la construction  1 er plan directeur d’aménagement des techniques des routes de 5 000 km d’autoroutes. du réseau routier national ; et autoroutes (Sétra) afin 1972 : accélération du rythme cible de  création de la Société des d‘accélérer le développement construction des autoroutes, qui Autoroutes Paris - Rhin - Rhône des infrastructures routières et passe à 500 km/an. (SAPRR). autoroutières et de définir des 1973 : inauguration du dernier tronçon 1962 : création de la Société Française du schémas de construction ; du périphérique parisien ; Tunnel Routier de Fréjus (SFTRF).  création d’une seconde piste à  premier choc pétrolier. 1963 : le réseau autoroutier français l’aéroport de Toulouse, adaptée 1974 : la France compte 17 millions compte 61 km d’autoroutes. Le aux exigences du Concorde. de véhicules, près de 2 000 km gouvernement planifi e la réalisation 1969 : le cap des 1 000 km d’autoroutes d’autoroute et 29% du trafi c routier de 175 km d’autoroutes par an ; est franchi ; total s’effectue sur autoroute ;  création de la Société de l’Autoroute  le parc automobile français  ouverture de l’aéroport de Paris - Normandie (SAPN), de la compte un peu plus de 13 millions Roissy. Société de l’Autoroute du Nord de de véhicules ;  la France (SANF) et de la Caisse  l’aérogare d’Orly-sud accueille nationale des autoroutes (CNA). plus de 10 millions de voyageurs; 1964 : un conseil interministériel choisi le  le général de Gaulle décide le site de Roissy pour la construction « Plan routier breton » ; d’un nouvel aéroport ;  loi relative aux voies rapides,  les ministres des transports complétant le régime de la voirie français et anglais reprennent le nationale et locale. projet de construire une liaison 1970 : la liaison RER « Étoile – La Défense » ferroviaire trans-Manche en tunnel. est ouverte au public ;

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 40 en première ligne Les parcs, ateliers et magasins des Ponts et Chaussées et leurs ouvriers des origines à 1981 par Denis Glasson, chargé de mission au comité d’Histoire du MEDDTL jusqu’en 2007

Journal « L’ouvrier des Ponts et L’histoire de l’administration des Ponts et Chaussées » Chaussées, des Travaux publics, de l’Équi- (CGT), 1946 pement, de l’Environnement, aujourd’hui du « Développement durable », ne pourrait-elle pas être aussi celle de ses agents ? Peut-on réduire les évolutions administratives, techniques, industrielles, économiques et sociales, les transforma-

Journal « L’ouvrier tions territoriales accomplies aux seuls syndicaliste dirigeants et – ici - au seul groupe des des Ponts et Chaussées » (FO), ingénieurs des Ponts et Chaussées, si 1948 éminent soit-il ? N’est-il pas nécessaire de réévaluer ou pour le moins d’identifi er les divers groupes sociaux qui, en réalisant les tâches et en remplissant les missions attendues, ont amplement contribué à ces changements ?

Claude Vacant a, dans son ouvrage Du cantonnier à l’ingénieur1, dressé un premier inventaire de la multitude des

1 Presses de l’École Nationale des Ponts et Journal « L’ouvrier des Ponts et Chaussées » (CGT), 1949 Chaussées, Paris 2001. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 41 qualifi cations et des classifi cations qui ont fait exister cette administration. Il serait utile d’étudier plus précisé- ment ceux et celles que l’on qualifie d’« employés »2 : les piqueurs des Ponts et Chaussées, les commis aux écritures, les employés secondaires, les dames employées, les dames sté- nodactylographes auxiliaires, ou plus près de nous, les adjoints techniques Le premier congrès syndical Paris des Ponts et Chaussées, les techni- 1936 - Source syndicale ciens des Travaux publics de l’État, les dessinateurs d’exécution, les agents de bureau, les commis, les sténodac- des fonctionnaires. Ils sont employés et parcs et ateliers et qui a conduit à leur tylographes, les perforatrices et la rémunérés en référence aux secteurs départementalisation en 2009, nécessite galaxie des précaires, non titulaires et privés comparables. L’administration a assurément d’autres études, d’autres contractuels. conçu leur existence par défaut et veillé méthodes et d’autres regards. à ne pas entériner leur situation. Dans Souligne-t-on assez, ou même men- le même registre les cantonniers ne Nous nous sommes appuyés sur diverses tionne-t-on, la présence des conducteurs deviendront fonctionnaires qu’au bout sources trouvées auprès des Archives des Ponts et Chaussées, requalifi és de deux siècles ! nationales, dans plusieurs Archives ensuite en sous-ingénieurs puis en ingé- départementales, à la Bibliothèque nieurs des Travaux publics de l’État, dans Mais la présence de ce type de person- nationale et dans divers centres docu- la transformation du territoire national nels coïncide souvent avec de nouveaux mentaires du ministère. Les archives et son adaptation au développement besoins d’aménagement, de nouvelles syndicales consultées proviennent prin- industriel et économique ? Connaîtrions- techniques ou de nouvelles méthodes de cipalement des dépôts légaux effectués nous aujourd’hui ces diverses catégories travail. dans le cadre des publications impri- d’ingénieurs et « ce qu’ils ont réalisé » mées. Il subsiste cependant quelques sans la masse anonyme des cantonniers, Dans cette étude, nous avons recherché lacunes dans ces séries de journaux conducteurs de chantier, éclusiers, les origines et les prémices de la mise syndicaux. gardiens de phare, ouvriers en régie, en place des parcs, ateliers et magasins laborantins, … ? des Ponts et Chaussées. Puis nous avons

accompagné leurs ouvriers dans la 2 3 Delphine Gardey - La dactylographe et En 2010 une recherche a été entreprise prise de conscience de leur place et de l’expéditionnaire, histoires des employés de bureau sur les parcs, ateliers et magasins des leur rôle, dans leurs aspirations, leurs 1890-1930 - Belin 2004. 3 Ponts et Chaussées et sur leurs ouvriers. revendications et leurs luttes, et dans les Cette recherche historique a été soutenue par le syndicat national CGT des ouvriers des parcs et constructions syndicales qu’ils se sont ateliers et accompagnée par le Comité d’histoire Des travaux précédents4 avaient montré donnés. du ministère. Elle sera éditée et diffusée par ce syndicat. des similitudes de situation entre les 4 André Guillerme, Denis Glasson, Gérard techniciens des laboratoires des Ponts Nous nous sommes arrêtés à l’orée de Brunschwig, Arnaud Berthonnet, François Caron, et Chaussées et ces ouvriers des parcs la décentralisation de l’État de 1981. La L’aventure des laboratoires régionaux des ponts et chaussées 1952-1972, Presses des Ponts et et ateliers. Ces personnels ne sont pas période suivante, fondamentale pour les Chaussées, Paris 2003.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 42

départementaux des Ponts et Chaussées au sein de l’administration et consolide L’étude menée porte créés le 24 février 1919 sont conçus ses activités en régie. modestement et mis en place avec pour sur la période 1850- perspective d’être relayés par l’initiative Au cours de cette période, des unités privée. Faute de réponse de celle-ci, les administratives de production d’émul- 1980. Trois temps parcs vont devenir des outils indispen- sion, de liant anhydre et d’enrobé à froid sables au fonctionnement des services ou à chaud sont créées dans certains apparaissent des Ponts et Chaussées. Leur effectif départements. Certaines de ces usines ouvrier temporaire ou régulier, très vont acquérir un quasi-monopole local L’émergence des magasins et des modeste au départ, va s’étoffer. que ne cessera de combattre par la ateliers de réparation des Ponts suite l’union patronale des syndicats de et Chaussées jusqu’en 1918 Les grèves de 1936 vont déclencher la l’industrie routière française. Devant ces création de syndicats CGT parmi ces pressions, l’administration temporise, Il s’agit alors de gérer convenablement ouvriers, rapidement structurés dans un encadre ou réduit ces activités. les matériaux nécessaires à l’entretien syndicat national. Les premières luttes et à la réparation des routes, mais aussi sociales sont axées sur l’obtention d’une Une troisième période des parcs de stocker et de réparer les outils et convention collective, l’amélioration et ateliers s’ouvre au lendemain les machines permettant leur mise en des salaires et l’affi liation au régime de la seconde guerre mondiale œuvre. Une gestion fi nancière autonome de retraite des ouvriers de l’État. Un apparaît déjà afi n que le coût de ces règlement leur est concédé en 1937. Il L’accroissement de la circulation auto- activités soit supporté par leurs utili- rend permanent une partie des emplois, mobile, la vétusté et les dégradations sateurs pour décharger au maximum le améliore les conditions de travail et de du réseau routier, la confi rmation du budget de l’État. Le personnel mobilisé rémunération. Il renforce la place du parc rattachement des services de la voirie est de quelques unités par service : un magasinier, quelques ouvriers employés à la réparation des outils. Camion Diamons Gravillonneur Spreeder - Source : Parc de la Haute-Vienne

Les parcs départementaux des Ponts et Chaussées sont créés en 1919-1920 et mis en place rapidement sur le territoire

La guerre a modifi é la situation. Le réseau routier français nécessite d’importants travaux de remise en état. La circulation automobile et, en particulier, le déve- loppement du camion ont accentué la détérioration des routes. La mécanisa- tion des tâches, l’arrivée de machines mobiles pour l’entretien, le goudronnage ou la construction de nouvelles routes exigent une autre approche. Les parcs n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 43 départementale et vicinale à l’adminis- organise le cadre de recrutement et de 1958 d’un permanent syndical présent tration des Ponts et Chaussées en 1945 relations sociales des OPA. dans son siège parisien. précipitent la généralisation des parcs et ateliers dans tous les départements et Sur le plan syndical, la CGT OPA se Les problèmes sociaux sont longtemps services. Leur système de gestion com- reconstitue en 1944. La quasi-totalité concentrés sur la transformation mune entre l’État et les départements se de la direction nationale fait scission de tous les emplois permanents en poursuit et se complexifi e. en 1948 et crée FO. Mais la situation se emplois statutaires d’ouvriers de l’État. retourne et donne l’avantage au maintien L’administration s’emploie à retarder ce Les ouvriers permanents des parcs et dans la CGT. Le niveau d’infl uence qui en processus et sollicite les départements ateliers - les OPA - sont affi liés au régime résulte pour ce syndicat restera ensuite pour en assurer le fi nancement sous la de retraite des ouvriers de l’État en 1948. à peu près constant. La CFTC, qui va forme de fonds de concours. En 1970, Mais leurs garanties sociales sont encore devenir CFDT, apparait. Les volontés et 3 800 emplois d’OPA relevaient du bud- largement inspirées par le règlement de attitudes unitaires récompenseront tour get de l’État et 2 200 autres étaient fi nan- 1937. Un long processus de gestion natio- à tour les organisations qui en seront cés par les départements. S’ajoutaient à nale des emplois se développe et inclut porteuses. Des relations chaotiques, ces emplois de titulaires environ 5 000 progressivement les classifi cations, les entrecoupées de polémiques parfois auxiliaires. Il faudra attendre 1990 pour références salariales, les horaires de tra- sévères, s’établissent alors entre des que l’affi liation des OPA au statut d’ou- vail. Pendant longtemps les salaires sont syndicats désormais concurrents. Les vriers d’État soit réellement effective établis en référence au secteur privé effectifs syndicaux restent élevés. La après un an de présence. Au cours de local, puis à celui de la région parisienne, CGT OPA traverse sans trop de déconve- cette période d’après-guerre, le syndicat puis - avec des hésitations – en fonction nues la scission syndicale et l’installation CGT acquiert un savoir-faire juridique. Il de ceux des fonctionnaires. Le décret du pouvoir gaulliste en 1958. Ce syndicat conjugue avec effi cacité des contentieux statutaire de 1965 acte ces évolutions et se dote sur ses propres ressources dès et des luttes syndicales mettant en échec plusieurs fois l’administration et la Chantier d’empierrement (cylindre à vapeur, niveleuse Rhonelle, cylindre Five-Lilles, tonne à eau) Source - Parc de la Haute-Vienne rendant très prudente dans ses décisions sociales.

Dès 1949 la CGT recourt à l’action nationale et à la grève pour obtenir des avancées sociales. Ces actions répétées prennent régulièrement un caractère unitaire avec FO et la CFTC/CFDT. Elles deviennent plus fortes et plus fréquentes en 1959, puis en 1961 et 1962. L’année 1968 commence le 25 mars par une grève unitaire réussie. La grève de mai-juin est très puissante dans les parcs : 48 parcs sont occupés pendant deux semaines en moyenne. Une négociation nationale spécifi que aux OPA débouche sur une augmentation des salaires de 15,93 % au 1er juin suivie d’une autre de 10,4 % au

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 44

1er octobre. La durée du travail est abaissée d’1 heure 30 au 1er juin sans diminution de salaire. Les jours de grève sont payés. Une puissante action unitaire rassemble de nouveau les OPA en 1972.

L’idée d’un syndicat unique « du canton- nier à l’ingénieur » apparaît au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cette orientation est rapidement combattue par les directions syndicales en place. Mais la scission syndicale entre la CGT et FO modifi e ce compromis. La nouvelle fédération FO des travaux publics pour- suit l’orientation qui avait prévalu avant la guerre avec des syndicats catégoriels. La fédération CGT des travaux publics maintenue se transforme en 1950 en fédération des personnels des Ponts et Chaussées avec pour objectif la réalisa- tion de syndicats locaux multi-catégo- Scission syndicale Evreux, 1948 - Source syndicale riels. Une étape est proposée : fusionner les organisations locales et nationales et elle se refuse à commettre une telle circulaire du 12 juin 1920 organisant ces entre les agents de travaux et conduc- faute. Mais, comme au sein de la CGT, parcs. Par la suite certains inspecteurs teurs de chantier (les cantonniers et les rapports entre FO OPA et FO agents ou ingénieurs généraux des Ponts et chefs cantonniers), et les OPA. Pendant de travaux ne sont pas toujours sereins. Chaussées marquent ces services : 10 ans cette orientation est portée par les La stagnation de FO parmi les OPA et les Lahaussois, Pousset, Baudet, Bernard, directions des deux syndicats nationaux agents de travaux conduit sa fédération à Favier, Bringer, ainsi que Rumpler, CGT et abondamment reprise dans leurs envisager une fusion syndicale entre ces Coquand, Fève à la direction des Routes. journaux. La CGT OPA promeut alors deux catégories à partir des années 50. une fonctionnarisation des ouvriers des Le processus sera long et hésitant. Il se Parmi les OPA des personnalités parcs et élabore pour cela un cadre sta- réalise cependant fi n 1972. syndicales émergent : en 1936 Revert, tutaire d’accueil. Cette fusion espérée ne Maintenant, Lemoine, Courtinat, Ducout, parvenant pas à se réaliser localement Cette histoire des parcs, ateliers et puis après la scission : Ducout, Brochot, et des oppositions persistant entre magasins des Ponts et Chaussées est- Poncet, Dupuy, Roques, Solié, Legros, catégories, cette orientation s’estompe elle marquée par des personnalités ? Gilet pour la CGT ; Lemoine, Courtinat, petit à petit, puis, à partir des années Maintenant, Lequoy, Belhaire pour FO. 1970, elle n’est plus à l’ordre du jour. FO Du côté de l’administration, les processus Edmond Ducout, présent depuis les ori- regarde longtemps avec ironie ce rap- de mise en place et de développement gines du syndicalisme OPA, acquiert un prochement entre les organisations de des parcs semblent être collectifs avec rôle fondamental après-guerre et domine la CGT. Elle estime que cela refl ète leurs la direction des Routes avec pour acteur cette histoire. diffi cultés pour exister parmi les OPA fondamental. Silvain Dreyfus qui signe la Depuis leur création, les parcs intervien- n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 45

le gouvernement d’union de la gauche de 1981 engage un processus législatif pour décentraliser l’État. Depuis le début des années 1970, les acti- vités des parcs sont devenues majoritai- rement départementales (24 % État, 50 % département, 22 % communes et tiers). Cette évolution bascule complètement avec le transfert des routes nationales aux départements en 2004, ramenant le réseau national – hors autoroutes concédées – à 12 000 km. Le 26 octobre

Mécanos des Ponts et Chaussées - Source : Parc du Tarn 2009, une loi spécifi que aux parcs de l’équipement et aux OPA marque la fi n de l’existence des parcs de l’État mais aussi nent sur des voiries départementales ou de l’Équipement disparaît momentané- le début de ceux-ci auprès des dépar- locales et facturent leurs prestations. ment en 1978. Gérard Longuet produit tements. Les dispositions statutaires Une comptabilité analytique est mise en 1979 un rapport parlementaire sur le et sociales des OPA sont sensiblement en place en 1965. En 1967, le parc est devenir de la fonction publique proposant modifi ées. Le renouvellement des effec- qualifi é d’entité économique entre l’État de réduire le nombre de fonctionnaires tifs s’effectue dorénavant dans le cadre et le département. Il est doté d’un cadre de l’État à 400 000. Dès son installation, de la fonction publique territoriale. comptable particulier. En 1968, le parc  devient une association en participation Carte postale « Nos belles routes de France » entre l’État et le département, dotée de trois comptabilités administrative, géné- rale et analytique. Par la suite, ces dispo- sitions se précisent et se complexifi ent.

Suite au transfert de 40 000 km de voirie départementale ou communale dans la voirie nationale en 1930 et à leur ratta- chement à l’administration des Ponts et Chaussées en 1940 et en 1945, le réseau routier national totalise après la seconde guerre mondiale 80 000 km. En 1971, l’État transfère 53 000 km de routes nationales d’intérêt secondaire aux départements. Des projets se font jour pour réformer les collectivités locales et redistribuer les rôles entre celles-ci et l’État. Olivier Guichard dépose son rapport Vivre ensemble en octobre 1976. Le ministère

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 46 en perspective Connaître le paysage et en reconnaître la valeur par Anne Fortier-Kriegel, architecte paysagiste*

En France, sans doute mieux qu’ailleurs, plus de 2000 ans, fournissant le pain Les engagements la structuration de la pierre, de la terre et les roses aux peuples austères de la et de l’eau, a résulté d’un dialogue avec Méditerranée, comme à ceux des pays de de la nation les éléments, et a induit le déploiement l’ouest en bordure de l’océan. Attachée des végétaux et des animaux de telle à un terroir et faite d’usages collectifs, sorte que l’homme puisse y vivre. Cette elle s’est enrichie du labeur des paysans Patrimoine commun et « culture du vivant » a ainsi été mise en et a permis une appropriation et une principe d’intégration œuvre par la société agricole depuis exploitation de l’espace dans sa diversité géographique.

Chacun apportant sa pierre à l’édifi ce - comme sur les murets du cap de La Hague, bocage pétrifi é par le vent marin -, c’est cette sédimentation d’efforts pour pacifi er l’espace, réponse aux agressions diverses, qui a produit le paysage français. Le com- bat quotidien pour la vie a dû s’appuyer sur une exceptionnelle connaissance de la nature. Le travail de la terre, toujours répété et accumulé, a fi ni par rendre les hommes libres en droit et a effacé l’image du serf attaché à la glèbe.

Les régions se sont construites à partir de terroirs et de l’intégration réussie, mais toujours négociée, de multiples peuples (Louis XVI disait : « mes peuples »). © : C. Lier/MEDDTL Expression d’une harmonie et d’une n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 47 prospérité, le paysage français doit que les autres cités françaises, elle est création de la Direction de l’urbanisme beaucoup à l’engagement des artistes devenue le point de rencontre des dif- et des paysages (DUP), qu’une véritable et savants des XVIIe et XVIIIe siècles, un férentes régions. Cette rencontre est à commande politique est apparue. Dotée temps où la langue française est devenue l’origine d’un art de l’aménagement, une d’un personnel qualifi é, apte à favoriser universelle. Il s’est édifi é au travers de spécifi cité française qui s’est poursuivie la réfl exion, la DUP est relayée sur le sentiments libertaires et égalitaires, mais jusqu’aujourd’hui. terrain, auprès des élus, par la mise paradoxalement dans un cadre ordonné en place des Conseils d’architecture, et hiérarchisé avec l’État royal, puis l’État Dans les années 1970, à l’époque de la d’urbanisme et d’environnement (CAUE), national. création du ministère de l’Environne- ensuite par les délégations régionales Au XVIIIe siècle, le visage des régions ment, le paysage a été, avec l’eau, au à l’environnement (DRE), puis les délé- change. Conquis sur l’inculture et sur coeur des préoccupations ministérielles, gations régionales à l’architecture et l’inconnu, les paysages témoignent des comme en témoigne la création des à l’environnement (DRAE) et enfi n les compétences et des intelligences mises premiers services régionaux - « les directions régionales de l’environnement en œuvre pour transformer le pays qui ateliers des sites et paysages » - qui ont (DIREN). comptait un grand nombre de misé- fait appel à une vague d’inspecteurs rables. À la veille de la Révolution fran- des sites. Parallèlement à la mise en Sur le plan législatif, la loi de 1976 sur çaise, l’agronome anglais Arthur Young1 place de ces services régionaux, sont la protection de nature a institué, avec le décrit comme un espace cultivé tel un apparus le Conservatoire du littoral et le les études d’impact, les prémices d’une jardin, pressentant l’apogée de la société Centre national d’étude et de recherche intégration du paysage aux projets. agricole du XIXe siècle. du paysage (CNERP), ce dernier devant Avec elle, le principe d’un patrimoine former, pour la première fois en France, commun de la nation commence à se Si « Paris est la plus belle ville du monde, des paysagistes d’aménagement. « diffuser». Dès 1992, le traité de l’Union là où les tensions sont les plus fortes », Mais c’est surtout en 1978, avec l’appa- européenne adopte ce principe d’inté- comme l’affi rme le cinéaste Roman rition du grand ministère de l’Environ- gration : « les exigences de la protection Polanski, cela tient au fait que, plus nement et du Cadre de vie (MECV) et la de l’environnement doivent être intégrées dans la défi nition et la mise en œuvre des politiques et des actions ». Les paysages, élevés au rang de « patrimoine commun de la nation » par la loi de 1995, sont inscrits à l’article L 110-1 du Code de l’environnement.

* Chargée de mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) jusqu’en 2011 et professeure à l’École d’architecture de Lille, Anne Fortier-Kriegel est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Les paysages de France ». Elle remercie Françoise Porchet, chargée d’études documentaires, pour sa contribution à la relecture de cet article. 1 Arthur Young : Voyages en France en 1787, 88, 89, 90 ; Paris : Ed. Les Œuvres représentatives, coll. © : C. Lier/MEDDTL ailleurs, 1930. Préface de Pierre Deffontaines.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 48

Paysage, éthique et lifi er cette élaboration du paysage. Ces apparaître comme une promesse de développement durable services, qui ont permis de trouver des bonheur. C’est dans cet esprit que sont formes d’organisation sociale conformes appréhendés les indicateurs de bien- Notre imaginaire et nos repères phy- à l’intérêt général, ont façonné le pay- être et de qualité destinés à mesurer siques et mentaux reposent sur un capital sage ; ils nous font mesurer combien la performance économique par le PIB d’images. Si nous ressentons aujourd’hui l’homme est devenu policé à force d’ex- (rapport Stiglitz - Sen - Fitoussi, 2009 ; le paysage comme un besoin, cela tirper du lieu où il habite les moyens d’en et travaux actuels italien, britannique ou tient au fait qu’il est porteur de réalité vivre. Car, pour faire produire la terre, il allemand avec le Reichtag). Le paysage autant que d’idéalité et qu’il renvoie à était indispensable de mettre en œuvre inclut autant les critères liés à l’économie l’expression spatiale de l’enracinement, un espace pacifi é et d’instaurer ce qu’on qu’à la sociologie et à l’écologie. C’est la du confort, de l’équilibre et de la vitalité. a appelé la « Pax Romana ». raison pour laquelle le paysage français La contemplation des paysages relève apparaît aujourd’hui comme la matière d’une quête d’identité attachée au patri- La culture paysagère a ainsi sous-tendu sensible du développement durable, car moine légué par nos ascendants. Cette le travail (libéré de la nécessité guerrière il parle à tout le monde et rend compré- mise en relation avec l’œuvre et l’intel- ancienne) de tous ceux qui interviennent hensible ce concept resté souvent trop ligence des hommes d’hier nous donne sur le paysage : agriculteurs, forestiers, abstrait. l’énergie de continuer le cycle de la vie et jardiniers, paysagistes, architectes, de nous accepter comme mortels. ingénieurs…, hommes de l’art ordinaires, La valeur économique aménageurs, qui ont créé des formes du paysage Dans un lieu désorganisé, déstructuré, nouvelles désormais ancrées dans l’his- on se sent assailli, en danger, agressif. toire et la géographie des lieux. Contrairement à certaines affi rmations, Cela, nous le constatons dans les pay- Appréciés par les habitants, les nouveaux le paysage a un réel poids économique : sages péri-urbains avec le désarroi des paysages sont devenus des références il est vraiment porteur d’une valeur populations et en particulier des jeunes. qui, à leur tour, ont inspiré les artistes. considérable. Les devises qu’il procure, À l’inverse, la beauté et la grandeur des L’idée qu’il existe une relation entre le représenteraient deux fois celles de sites nous astreints à une forme de res- « beau » et le « bon » (l’utile) est ainsi l’agriculture, trois fois celles de l’in- ponsabilité. Regarder le paysage élève née d’une sensibilité et d‘une esthétique dustrie automobile, dix fois celles du l’homme, le rassure, le remet en face de partagées. Des expressions telles que commerce de luxe. Les paysages sont à ses devoirs. « l’agriculture est le premier des arts », l’origine d’un million et demi d’emplois « les ouvrages d’art », « l’école des arts et directs et d’un million et demi d’em- La mise en valeur de la nature est liée métiers » sont issues d’une tradition qui plois indirects, non délocalisables par aux ressources qu’elle offre. Ainsi, dans favorise la recherche d’une esthétique essence. Ils sont fortement présents les France rurale du XIXe siècle, toutes professionnelle pour témoigner de la dans le solde positif de la balance des possibilités utiles à l’économie humaine qualité du travail. La qualité esthétique paiements, car la France est la première étaient-elles exploitées : l’apport de d’un paysage est liée à la façon de le destination touristique au monde, avec l’eau, la qualité des sols, la production du dessiner, de le modeler, d’en extraire les plus de 83 millions de visiteurs étrangers bois de chauffage ou de construction, ou matériaux pour bâtir. en 2008. encore les fruits donnés par les arbres Cela est très peu dit, diffusé ou étudié. (baies ou châtaignes). La prise en compte du paysage relève En face des beaux sites et paysages, on tant de l’intérêt général que de nos associe rarement des données écono- Aujourd’hui, nous employons le terme de valeurs républicaines : elle tend à nous miques. Pourtant, les services régionaux « services écosystémiques » pour qua- assurer bonne santé et longue vie, à connaissent bien les chiffres locaux qui n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 49 font apparaître tant les devises induites Pour voir et admirer cet art de l’aména- recouverte de quatre mètres d’eau à que le nombre d’emplois générés. gement, des millions de gens se dépla- chaque marée, évoque le franchisse- cent chaque année sur nos territoires : ment de la mer Rouge par les Hébreux Ce capital économique et fi nancier on compte 800 000 visiteurs à la Pointe (« Et toutes les eaux se fendirent »). Ces repose sur la qualité de l’espace. Le du Raz, un million dans les montagnes du histoires, qui permettent de retrouver soin porté à l’espace se confi rme dans Vercors. Cette mobilisation croissante nos racines sociales et familiales ou d’y les villes comme dans les campagnes : correspond à un besoin de s’ancrer adhérer, sont attachées à une forme il a permis l’édifi cation de promenades, quelque part, ce que les paysages pacifi ée de l’espace et à notre idée du d’espaces publics, de terrains agricoles rendent réalisables car ils racontent bonheur. ordonnancés avec art. Cette qualité des histoires. Le site de la météorite de Le multi-usages des sites est encore spatiale, image de l’accueil, de la saine Rochechouart, dans le Limousin, évoque une des caractéristiques du paysage nourriture, est perçue depuis les prés la peur antique des Gaulois de « voir le français. Une parcelle agricole peut être salés du Mont-Saint-Michel jusqu’aux ciel leur tomber sur la tête » ; le vignoble ainsi à la fois un lieu de production, un Alpilles. Elle est l’expression d’un art de du vin jaune de Château-Chalon, celle fi ltre pour la qualité de l’eau, un terroir l’aménagement qui a participé à l’édifi - de dames nobles du bout du Jura ; les pour la chasse et un écrin pour le cadre cation de notre cadre de vie et contribue murs à pêches de Montreuil, celle de de vie, déterminant le choix du lieu à notre bien-être. À Paris, la place de l’inventivité de modestes jardiniers qui de résidence de bien des gens. C’est la Concorde ou le viaduc de Daumesnil ont su faire mûrir des fruits malgré le donc bien l’attention portée à l’espace comptent parmi les images symboliques rude climat parisien, bien avant le savant qui induit une richesse patrimoniale et de cette excellence qui profi te au plus jardinier du roi, La Quintinie, et pendant qui participe à la constitution de notre grand nombre, et pas seulement aux quatre siècles. Le Gois, enfi n, ces quatre fonds de commerce. Le cadre de vie à la nantis. kilomètres de « route des gens de pied », française, la gastronomie, le tourisme, tout cela est porté par des paysages Viaduc de Daumesnil © : Vincent Allais, MEDDTL aménagés par l’homme autour d’activités économiques et sociales.

L’art de l’aménagement, qui a su magnifi er les formes originales du relief, a marqué l’histoire du territoire en permettant aux régions de surmonter les crises qu’elles ont traversées et d’assurer aux populations une vie plus harmonieuse. Si le poids économique est ainsi attaché à une culture savante, c’est que la qualité de l’aménagement de l’espace exige une société avancée, possédant de hautes compétences soutenues par une maturité politique et sociale.

La douce France a longtemps proposé un modèle agronomique dans la perspective d’offrir une place pour tous.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 50

Cela explique que le paysage constitue aujourd’hui la plus grande entreprise publique du pays avec 3 millions d’emplois non délocalisables. Au-delà de la France, l’Europe doit aussi prendre la mesure de la valeur économique et Ambrogio Lorenzetti, Effets du bon et du mauvais gouvernement sociale de la qualité de ses paysages. Les bases actuelles de la politique publique du paysage

La Convention européenne du paysage

La Convention européenne du paysage est entrée en vigueur le 1er juillet 2006 en France. Ouverte à la signature à Florence2 le 20 octobre 2000, elle est portée par 47 pays adeptes d’une nouvelle prise en compte du paysage européen. Aujourd’hui, 32 états l’ont ratifi ée. Le 20 octobre 2010, un nouveau rapport a été présenté pour commémorer ses dix ans de fonctionnement.

La convention européenne rapproche l’idée du paysage de celle du cadre de vie, et donc de la qualité de vie des populations. Pour la convention, le paysage est partout : il exprime la diversité du patrimoine culturel ou naturel commun, il participe à notre

2 Ce qui lui a valu d’être appelée Convention de Florence n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 51 identité, il touche au bien-être individuel  dans le domaine des infrastructures : évolutions écologiques et économiques et social des populations. Puisque 70 à le contrôle d’équipements comme à moyen et long terme. 80 % des européens vivent aujourd’hui les réseaux aériens, les éoliennes, les La relation au paysage, grâce à sa vision dans les villes, le domaine concerne les carrières, l’affi chage publicitaire, les globale, exprime ce que doit être une paysages urbains, péri-urbains et ruraux. installations de loisirs ; bonne gouvernance4 : « une fenêtre sur  en milieu urbain : la maîtrise de l’ur- le monde et un miroir de ce que nous en La France, qui a participé à la rédaction banisation avec les entrées de villes, le faisons, beaucoup mieux qu’un fatras, un de la convention (avec Régis Ambroise et traitement des limites ville-campagne, empilement désordonné de techniques et Jean-François Seguin, Bureau du paysage les conurbations linéaires, enfi n l’acces- de normes sectorielles sur l’espace qui du ministère de l’Environnement), sibilité à certaines zones, notamment entraîne sa banalisation ».5 est incitée, comme d’autres États, à littorales... Cependant, ce qui émane du Conseil de faire évoluer les compétences de ses l’Europe - dont les services sont installés institutions. La législation française La gestion des paysages3 doit accompa- à Strasbourg et qui ont donné naissance établit que les collectivités – État, région, gner les changements à venir en préser- à la Convention européenne -, ne pèse département, commune – sont également vant et en enrichissant la diversité actuelle. pas autant que ce qui est décidé au compétentes en matière de paysage (art. Parlement européen basé à Bruxelles. La L. 110 du Code de l’urbanisme), et qu’elles Enfi n, en ce qui concerne l’aménagement convention n’ayant pas force de loi, son doivent harmoniser leurs prévisions et des paysages, la convention ambitionne action se limite à des recommandations décisions. de passer d’un paysage d’experts à un trop peu suivies d’effets. Depuis 1983, avec la décentralisation, paysage d’usagers en insistant sur le rôle C’est pourquoi le traitement de la même si la réglementation relative essentiel des populations : « Le paysage question du paysage, qui exige un débat au paysage relève de l’État, ce sont doit devenir un sujet politique d’intérêt contradictoire permanent, a fi ni, dans les territoires qui sont confrontés à la général parce qu’il contribue de façon le cadre de l’Union européenne, par gestion de l’espace. Traité localement de importante au bien-être des citoyens céder le pas à la procédure Natura 2000, façon sectorielle et sans vision politique européens et que ces derniers ne peuvent domaine sous la maîtrise d’experts. d’avenir, les communes considèrent plus accepter de subir leurs paysages en encore trop que le paysage « c’est tant que résultat d’évolutions de nature Les dispositifs législatifs l’affaire de l’État ». technique et économique décidées sans et réglementaires eux. Le paysage est l’affaire de tous les Dans le cadre de la convention, les citoyens et doit être traité de manière La loi du 2 mai 1930 politiques du paysage se déclinent démocratique, notamment aux niveaux selon le tryptique suivant : protection ; local et régional » (§ 23). Premier élément et clé de voûte du gestion ; aménagement des paysages. La recommandation de 2008 plaide en dispositif de protection, cette loi vise à La convention ne fi xe pas de normes faveur de la vision globale qu’offre le rendre pérennes certaines caractéris- européennes pour préserver la qualité paysage. tiques patrimoniales de paysages encore des paysages car celle-ci dépend susceptibles d’évoluer. Audacieuse, des aspirations des populations. Sa Les États signataires de la convention recommandation de 2008 énumère les se sont engagés à mettre en place des 3 Point 2 des politiques des paysages de cette principaux enjeux à traiter : procédures officielles en faveur du convention 4  en milieu rural : la prise en compte ou paysage, pour inciter les Européens à Le paysage symbolique du « bon gouvernement » représenté à Sienne dans la célèbre fresque de la valorisation de certains éléments tels construire des modalités concrètes du Lorenzetti que haies, murets, terrasses, canaux ; vivre ensemble qui tiennent compte des 5 Comme le dit Jean-François Seguin

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 52 © : Vincent Allais, MEDDTL

elle prend position vis-à-vis du droit de quartier de La Défense, le site des natu- une tradition folklorique ou légendaire : propriété en instituant le classement ralistes à Médan avec la maison d’Émile le tombeau de Merlin l’enchanteur et avec ou sans l’accord du propriétaire des Zola et les peintures de Cézanne… la fontaine de la fée Viviane près de lieux quand l’intérêt général le justifi e. Si Le site historique a été le siège d’un Paimpont, la forêt de Brocéliande qui le propriétaire est consentant, le site est événement important : la maison où a abrita la légende du roi Arthur, le site du classé par simple arrêté ministériel. S‘il vécut La Boétie à Sarlat, les plages du Roc Branlant en Dordogne associé à des ne l’est pas, le classement est prononcé débarquement de Normandie - Omaha et histoires populaires... après avis de la Commission supérieure Utah -, le site de la bataille de Bouvines Le site pittoresque est le site digne d’être des sites par décret du Conseil d’État. La près de Lille. peint : le site de Gavarnie, la falaise décision est notifi ée au propriétaire et au Le site scientifi que recèle des témoins d’Étretat, le port de Rouen, la montagne maire qui est chargé de l’exécution de naturels exceptionnels en faune, fl ore ou Sainte-Victoire, le site de la confl uence la décision, et qui intervient en qualité minéralogie : les gisements paléontolo- de la Loire et de la Maine à Angers… de représentant de l’État et non de la giques ou fossilifères, la réserve naturelle Avec ses critères illustratifs, la loi est le commune. Elle répond aux cinq critères : de Camargue, le site de la météorite de contraire du règlement : elle renvoie à artistiques, historiques, scientifi ques, Rochechouart, la Grotte des Demoiselles des références communes. légendaires ou pittoresques6. dans le Verdon, le gisements d’œufs 6 De nombreux paysages apparaissent comme Le site artistique est un lieu remarquable de dinosaures à Beaurecueil dans les pittoresques en France et la majorité des sites par sa qualité architecturale ou sculptu- Bouches-du-Rhône. classés l’ont été sous ce critère. Celui-ci est le plus facile à comprendre et donne le moins objet à rale : l’esplanade des Invalides à Paris, le Le site légendaire est lié à un souvenir, contestation n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 53

Ainsi, dans le prolongement des lois La loi appréhende un site tel un territoire raviver une attractivité déclinante. Tous de 1906 et de 1913 sur les monuments cohérent, homogène, délimité. les arguments qui ont construit la pro- historiques, la loi du 2 mai 1930 passe- L’objectif de la loi est la préservation du tection sont en principe suffi sants pour t-elle d’une protection ponctuelle à une caractère du lieu. Elle permet d’avoir un assurer la pérennité du site. Ce dispositif protection plus large des monuments recul devant un patrimoine historique est bien connu des élus. Chaque dossier naturels et pittoresques qui forment ou légendaire et une reconnaissance débouche sur un décret du Conseil d’État autant d’ensembles vivants. Au début, d’un espace qualitatif. Elle cherche à qui légitime et impulse l’action des ser- les protections sont limitées dans préserver la vie du site et non pas « à vices locaux. l’espace, liées à des rochers ou à des l’embaumer dans un romantisme tourné Ainsi, la loi n’institue pas seulement cascades, mais très vite elles vont vers le passé ». Si quelques fois la poli- une procédure, elle favorise aussi englober des territoires plus vastes : en tique des sites a pu apparaître à certains l’invention et impose l’élaboration d’un Bretagne, dès 1934, le classement de la contradicteurs comme une « mise sous projet de territoire qui puisse continuer Côte sauvage à Quiberon concerne déjà cloche », une « réserve d’indiens », l’es- à s’appliquer au lieu. Dans ce cadre, le plus de 100 hectares. Cette approche prit de la loi est plus subtil, puisqu’elle projet de paysage fait toujours appel à ponctuelle est suivie, à partir de 1967, « réclame non de ne rien faire mais de une pluralité d’acteurs et à une multipli- du classement d’ensembles paysagers ne pas en changer le caractère, ce qui cités de propositions d’aménagement. plus vastes, avec notamment l’exemple n’est pas la même chose ». Les travaux Contrairement à l’idée reçue, il n’existe du Cap Fréhel qui couvre 500 hectares. attachés à sa réparation ou à son organi- qu’un très faible pourcentage de sites Les grands classements ont lieu essen- sation sont soumis à l’autorité de l’Etat. protégés7, représentant seulement 1,4 % tiellement dans les années 1990 : la Baie du territoire national. du Mont-Saint-Michel demeure l’élément La mesure de classement, qui défi nit les emblématique de cette période. De plus qualités et les caractères d’un lieu, induit La qualité des sites contribue également grandes superfi cies sont désormais une confrontation à la réalité du terrain. à l’attractivité des territoires pour l’im- visées : il s’agit bien de classer des « ter- Le classement, qui a pour objet de plantation d’entreprises. ritoires de vie ». conserver le site vivant, exige seulement Les sites et les paysages forment la que les projets engagés respectent ce matière sensible du développement Dans le cadre d’un traitement spatial, qu’on appelle communément le « génie durable, c’est-à-dire le cœur même du la loi propose une conciliation entre du lieu ». Il est réalisé sous l’autorité de sujet du ministère de l’Écologie dans sa passé et avenir, art et science, nature l’État, de son représentant - le ministre, dimension de gestionnaire de l’espace et culture, qui s’appuie toujours sur les mandataire de la République, et garant national. Ils sont aussi les ambassadeurs spécifi cités du site. de la chose publique, de l’intérêt général de notre cadre de vie à la française, ce Ainsi, la relation passé-avenir s’éclaire sur le long terme -. Aucune autre mesure qui doit servir de source d’inspiration et par la formule d’Hugo : « tout ce qui a ne permet cela. de méthode à l’ensemble du territoire : de l’avenir est pour l’avenir » ; acception La procédure de classement débute avec un diagnostic approfondi et un projet de qui peut s’appliquer aux beaux pay- un diagnostic précis des lieux à partir territoire cohérent avec ce diagnostic. sages. La dualité art-science évoque la duquel s’engage généralement une négo- prise de conscience de la pollution des ciation avec les élus locaux et le public. L’idée d’un capital commun, qui nourrit sites, notamment dans le cas du site de Un site constitue un capital paysager, à la fois le corps et l’esprit, ne relève ni Bramabiau. Enfi n l’opposition nature- une ressource rare, exploitable pour culture est ici sublimée, car la loi, en le tourisme, une des toutes premières 7 Répartition des sites classés : Île-de-France (7%) ; se préoccupant de territoires de vie, a industries du pays (7% du PIB). Le Rhône-Alpes( 6,6%) ; Provence-Alpes-Côte d’Azur embrassé les deux aspects. classement d’un lieu contribue souvent à (6,6%) ; Bretagne (4,5%)

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 54 d’une vision utopique, ni d’un âge d’or son but premier n’est pas la protection  les communes proches des précé- inscrit dans un passé aristocratique du paysage, elle y contribue fortement dentes, qui participent aux équilibres associé à l’exploitation des misérables. puisque ses objectifs touchent notam- économiques et écologiques littoraux, De beaux paysages, un cadre de vie ment à : lorsqu’elles en font la demande auprès agréable, créent au contraire le bien-  l’orientation et la limitation de l’urba- d’un représentant de l’État dans le être des citoyens et par-là engendrent la nisation dans les zones littorales ; département. sécurité, la paix sociale. Il s’en suit qu’un  l’identification et la protection des équilibre écologique devient possible espaces remarquables, caractéristiques Cette loi s’applique aussi bien aux avec le maintien et le développement du patrimoine naturel et culturel du décisions d’aménagement de l’État d’infrastructures écologiques adaptées littoral ; (directives territoriales d’aménagement à prévention des catastrophes naturelles  la lutte contre l’érosion ; (DTA), projets d’intérêt général (PIG), et des effets du changement climatique.  la préservation des milieux nécessaires plans de sauvegarde et de mise en valeur Ce modèle institutionnel exemplaire au maintien des équilibres biologiques et de la mer (PSMVM)) qu’aux orientations devrait être renforcé, notamment au écologiques ; d’aménagement locales (schémas de niveau européen.  la protection des espaces boisés les cohérence territoriale, plans locaux plus signifi catifs ; d’urbanisme, cartes communales, com- La loi montagne du 9 janvier 1985  la préservation et le développement munes sans document d’urbanisme). des activités économiques liées à la En complément à cette loi, le Cette loi participe de la protection du proximité de l’eau (pêche, tourisme…) ; Conservatoire du littoral (créé en 1975) patrimoine et des paysages par l’établis-  la gestion de l’implantation des nou- mène une politique foncière en faveur sement de prescriptions particulières velles routes et des terrains de camping de la protection des espaces naturels et pour chacun des massifs afi n d’identifi er : et de caravanage ; des paysages fragiles, qu’il acquiert pour  les espaces, paysages et milieux natu-  l’affectation prioritaire du littoral au en déléguer la gestion aux collectivités rels les plus remarquables ; public, avec l’instauration d’une bande littorales. Plus de 10% du linéaire côtier  la maîtrise de l’urbanisation dans les inconstructible de 100 mètres ; a ainsi fait l’objet de cette protection. autres espaces : inconstructibilité de  la mise en œuvre d’un effort de principe des espaces situés en bordure recherche et d’innovation portant sur Ces deux lois - littoral et montagne -, des plans d’eau de moins de 1000 les particularités et les ressources du constituées d’articles défi nissant des hectares sur une bande de 300 mètres ; littoral. objectifs génériques, restent un peu limitation des routes au-dessus de la abstraites. Contrairement à la loi sur limite forestière ; contrôle de l’extension Les dispositions de la loi littoral peuvent les sites qui est restée illustrative, des bourgs et des villages ainsi que des s’appliquer à trois catégories de com- elles ne sont pas toujours comprises aménagements destinés au ski alpin ; munes : par les élus confrontés aux pressions  l’encadrement des opérations touris-  les communes riveraines des mers et des intérêts particuliers. Les concepts tiques par une procédure spécifi que : les océans, des étangs salés et des plans utilisés sont imprécis, tels les « espaces unités touristiques nouvelles (UTN). d’eau intérieurs d’une superfi cie supé- naturels remarquables », ce qui favo- rieure à 1000 hectares, rise les contentieux8 et nuit à l’action La loi littoral du 3 janvier 1986  les communes riveraines des estuaires administrative. et des deltas, lorsqu’elles sont situées en C’est une loi d’aménagement et d’urba- aval de la salure des eaux et participent nisme qui s’inscrit dans une démarche aux équilibres économiques et écolo- 8 C’est alors le juge qui se substitue au législateur de développement durable. Même si giques littoraux, dans l’interprétation de la loi n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 55

La loi paysage du 8 janvier 1993 Le terme paysage est en effet issu du mot Mais l’innovation fondamentale concerne pays, dérivé des mots latins pagesius et les directives paysagères qui protégent les La loi offre une défi nition du paysage, le pagus désignant un rapport à la réalité, structures paysagères caractéristiques montrant comme une réalité sensible. alors que les termes anglo-saxons - l’alle- d’un site ; encore rares, on se référera «C’est à la fois l’histoire et la géogra- mand landschaft ou l’anglais landscape néanmoins à celle des Alpilles. Celles-ci phie, c’est l’histoire dont les hommes - se réfèrent à la vue. A travers le génie constituent un système de protection ont aménagé la géographie pour y vivre. du lieu, c’est l’histoire des hommes des sélective qui nécessite un projet paysager. Le paysage est un espace-temps, le montagnes, des plaines, des rivières ou Enfi n, avec la loi paysage, les parcs natu- temps historique dans lequel l’homme des mers qui nous émeut. Par là, la loi rels régionaux sont devenus des espaces s’est approprié l’espace, a fait de la signifi e que le paysage est attaché au réel de référence, représentés par des entités géographie son histoire. Il est attaché et qu’il constitue un bien collectif.9 En ce dotées de budgets qui leur ont permis de à un territoire réel et contient autant le sens, il n’est pas seulement un objet, développer leurs équipes. Leurs chartes paysage urbain que rural, autant la mer mais une contribution au développement s’imposent aux PLU. que la montagne. Le paysage est une durable. discipline propre au projet du vivant». Ainsi, la loi a revisité la défi nition du pay- La loi appelle l’enquête, la synthèse, la La loi introduit le paysage dans les plans sage, le faisant sortir du domaine subjec- création. Le paysage ne peut ni se réduire locaux d’urbanisme (PLU) stipulant le tif pour le faire entrer dans la réalité de au domaine économique ou juridique, maintien des structures paysagères, l’aménagement du territoire. Par-là, elle a aux sciences naturelles ou aux sciences alignements, arbres isolés, murs, che- donné une légitimité aux professionnels humaines - même si l’homme est tou- mins... Elle prévoit un volet paysager au que sont les paysagistes avec la création jours au coeur du projet -, ni encore à permis de construire sous la forme d’une des paysagistes-conseils. la beauté visuelle selon une perception simulation graphique. Elle étend les Aujourd’hui, l’intégration de cette notion de consommateur. En cela, la loi est plus zones de protection du patrimoine archi- du paysage tant par les agents du minis- proche de la défi nition du «Littré» que de tectural et urbain (ZPPAU) aux paysages tère de l’Écologie que par le corps social, celle du «Robert». qui deviennent les ZPPAUP. comme réalité et bien collectif, nécessite un accompagnement pédagogique.

Viaduc de Daumesnil © C. Lier/MEDDTL Parmi les diverses lois présentées ci- dessus, la loi de 1930 reste un élément majeur de notre dispositif législatif. Parce qu’elle concerne l’identité nationale - et aujourd’hui l’identité européenne -, et parce qu’elle a enraciné une méthode éprouvée, elle est encore un outil majeur pour mettre en œuvre un développement durable des territoires.

9 Voir la loi paysage : discours à l’Assemblée nationale du 03/12/1992, p. 6501

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 56

Les textes et les actions projets d’aménagements ou d’infrastruc- est dirigée, sous l’égide du préfet et ture. La loi paysage de 1993, qui permet avec le soutien fi nancier de l’État, par Les plans de paysage d’annexer un plan de paysage aux docu- un comité de pilotage qui lance l’étude Certains auteurs les font remonter à ments d’urbanisme locaux, ajouterait diagnostic et adopte des orientations 1972, soit aux débuts du ministère de dans ce cas une reconnaissance juridique stratégiques pour le site, à partir des l’Environnement et de la parution des à l’exigence de qualité, mais cela est peu propositions d’un bureau d’études. Près Cahiers de l’ORÉALM (organisation connu et peu appliqué. de 40 opérations sont en cours, une d’études d’aménagement de la Loire dizaine sont terminées ; une cinquantaine moyenne). En réalité, ils ont été relancés Les « grands sites » de France11 de sites sont potentiellement concernés. par la Direction de l’architecture et de Les paysages de France les plus pres- Ce dispositif méthodologique et de sou- l’urbanisme (DAU) dans les années 1990 tigieux - le pont du Gard, la montagne tien fi nancier est complété par le label avec quatre études (dont une signifi ca- Sainte-Victoire, la cité de Carcassonne « grand site », marque déposée par l’État tive) sur : la Loire, Saint-Flour-Garabit, … - victimes de leur notoriété ont une auprès de l’Institut national de la pro- les cantons de Decize et La Machine ; fréquentation touristique dispropor- priété industrielle (INPI), délivré pour six puis en 1992, sur Belle-Île-en-Mer. tionnée avec leurs capacités d’accueil, ans et renouvelable. Pour y prétendre, le Cet travail s’étend sur l’échelle commu- ce qui génère des nuisances environ- gestionnaire du site doit remplir quatre nale ou intercommunale d’un territoire nementales et paysagères, telles que conditions : préserver l’environnement de vie qui est celle des projets d’aména- des installations commerciales ou des et le paysage du site, maîtriser ses fl ux gement. Le plan de paysage se distingue stationnements inadéquats ainsi que touristiques, assurer une gestion à ainsi des atlas attachés aux études de des dépenses supplémentaires pour les long terme de l’espace et respecter les type universitaire. Il permet de réaliser élus et, la plupart du temps, des confl its conditions de vie des habitants. Avec la la phase d’enquête ou de diagnostic juste d’usages avec les habitants. loi Grenelle II, promulguée le 12 juillet avant la réalisation de l’aménagement. Pour ces hauts lieux, le ministère a initié 2010, ce label est inclus dans le code de Lié au projet, le plan de paysage s’inscrit en 1976 une politique contractuelle l’environnement. dans une démarche partenariale, non d’aménagement avec les partenaires Emblématiques des démarches de règlementaire, basée sur un accord entre locaux. Cette politique spécifi que est développement durable, ces opérations, acteurs pour l’avenir d’un territoire de destinée à organiser la fréquentation des qui reposent sur des partenariats exem- vie. Il comporte un diagnostic dessiné, sites dans le respect de leur identité, et plaires avec les collectivités territoriales, des propositions pour son évolution et à réhabiliter les paysages dégradés pour constituent un bénéfi ce politique très des orientations pouvant aboutir à un leur restituer leur beauté et leur valeur positif pour le ministère de l’Écologie, du programme d’actions et des modalités patrimoniale dont dépend l’économie du Développement durable, des Transports de suivi. territoire. Elle repose sur un instrument et du Logement (MEDDTL). Selon l’étude réalisée par Cécile Folinais original - les « opérations grands sites » -. en 2006 pour le Ministère10, 119 plans Au coeur des actions de restauration de paysage ont été répertoriés, dont les paysagère, ces opérations ont induit la 10 deux tiers auraient abouti à des résultats création d’entités responsables de la Chantal Ducruix, Bureau des paysages : Guide des plans de paysage, des chartes et des contrats, concrets. Appropriée à la fois par les élus gestion et de l’entretien du site, le plus Ministère de l’Environnement, avril 2001. et la population locale, cette politique, souvent un syndicat mixte, qui reçoit des 11 La responsabilité de cette politique est exercée, dont l’objectif est la qualité paysagère, collectivités locales les délégations de au sein de la Direction générale de l’aménagement et de la nature (DGALN), par le Bureau des sites et n’est juridiquement pas opposable aux compétence nécessaires. La procédure espaces protégés. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 57

L’opération paysages de label a été lancée par Ségolène Royal et s’est déve- loppée avec Michel Barnier puis avec les ministres suivants. Elle cherche à faire reconnaître l’identité et la diversité du territoire français qui constituent autant d’atouts pour le développement écono- mique, pour l’égalité devant la nature ou pour le droit de garder une certaine qualité de la vie quotidienne.

Les paysages de label possèdent une force de mémoire qui n’exclut ni le chan- gement ni l’adaptation. L’étrange pays blanc des marais salants de Guérande a plus de mille ans et il appartient comme les mirabelliers de Lorraine à l’histoire de la campagne française. Les terrasses de Beaumes de Venise au pied du Ventoux sont dues à l’initiative éclairée d’un viticulteur, il y a moins de vingt ans. Ces Les paysages de label, exemples sont autant de repères d’his- devenus les paysages du goût toire et de géographie liés à la diversité des cultures locales ; ils soulignent aussi L’idée des paysages de label est née dans les années 1979-1980 lors de la création Marais Salants de Guérande © : Gérard Crossay/MEDDTL de la Mission du paysage au sein de la Direction de l’urbanisme et des paysages (DUP). Elle s’est appuyée sur le constat de l’ineffi cacité des mesures de protec- tion de sites, du fait que, contrairement à l’Allemagne, la France négligeait la dimension culturelle de ses paysages. Or, préserver des espaces de petites cultures, telles la lavande des paysages bleus de Provence ou la mirabelle des côtes de Meuse, nécessite un soutien. Un label constitue un facteur d’incitation au maintien et à la découverte de lieux de vie.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 58

la capacité de la France à concilier une de paysage en leur donnant une valeur protéger les éléments essentiels qui don- agriculture moderne, des économies formelle et morale. nent l’échelle et la composition d’un site. locales et performantes, avec la préser- Ces documents ont représenté un travail Elles émettent des recommandations en vation de la diversité de ses paysages. conséquent : en 15 ans, 70 atlas ont été matière de gestion : leurs principes sont menés à bien, couvrant près de 70% exposés dans la circulaire d’application Les chartes et les atlas départemen- du territoire national. S’il faut saluer la du 21 novembre 1994. taux des paysages ont été lancés au performance du travail accompli, les La directive paysagère des Alpilles, début des années 1990 et ont constitué chartes comme les atlas doivent néan- approuvée par décret le 4 janvier 2007, un outil d’étude et de connaissance moins être actualisés pour avoir souvent est une illustration de ce dispositif. Entre des paysages des départements et des été laissés en jachère. les vallées du Rhône et de la Durance, régions. entre les plaines du Comtat Venaissin Il s’agit donc d’études attachées à l’ana- Les directives paysagères se distin- et de la Crau, les Alpilles émergent lyse et au caractère géographique (étant guent des documents d’urbanisme ou de à l’horizon, le rocher calcaire et sec donné l’échelle concernée : le départe- protection existants. confrontant les plaines irriguées. Leur ment ou la région), et non de projets liés Créées par la loi paysage du 8 janvier beauté exceptionnelle fait référence aux à une action concrète. Leur but était de 1993, elles visent à protéger les arma- paysages jardinés de Provence, nés de mieux sensibiliser les acteurs locaux à tures paysagères qui donnent son carac- la nécessité de maîtriser l’eau, le sol, la l’histoire et à la géographie afi n qu’ils en tère au lieu. Une plantation d’alignement, pente, le soleil, le vent. La directive offre tiennent compte dans leur décisions. une falaise, une zone humide, doit être un cadre de références aux partenaires Validés par les différents acteurs de préservé à la fois des boisements et des locaux ; elle leur permet de façonner l’aménagement, ils complètent les plans constructions. Autrement dit, il s’agit de harmonieusement des actions destinées

Mirabelles de Lorraine © : Gérard Crossay/MEDDTL

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 59

à garantir la protection et à accompagner articles L. 414-1 à L. 415-5 du Code de Elle est toujours réalisée à l’échelon local, l’évolution de ce paysage d’exception. l’environnement. soit : régions, (Alsace, Rhône-Alpes, Ce dispositif, destiné à préserver des Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais), dépar- Le 1% paysage et développement. espèces animales et végétales, relève tements (Isère), parcs naturels régionaux, Apparue en 1995, cette politique d’un diagnostic d’experts ; il ne fait pas ou collectivités au travers de leur SCOT ou concerne le traitement du paysage des l’objet d’un débat avec les populations de leur PLU. Elle est animée par un comité emprises routières pour lesquelles elle locales qui n’en comprennent pas la opérationnel, présidé par un sénateur et propose de réserver 1% du coût des tra- nécessité et vivent Natura 2000 comme composée des membres du groupe des vaux liées à la création d’une autoroute une main mise de l’Europe via les services cinq partenaires socio-économiques et ou d’une route à deux fois deux voies. de l’État. Ainsi, après 15 ans d’études, ONG du Grenelle de l’environnement. Réalisée en partenariat avec les élus et seulement 12% du territoire français a Pour exister, la TVB devra s’appuyer les communes traversées, cette politique fait l’objet d’un classement, alors que sur des outils (mises en réseau, plans reste l’une des rares à maintenir sa vita- l’Europe exigeait d’en intégrer 15%. de gestion, cartographie à l’instar des lité parce qu’elle continue à recevoir des Enfi n, Natura 2000, qui ne couvre documents d’urbanisme) afi n d’identifi er moyens fi nanciers conséquents. que la faune et la fl ore sauvage, vient les espaces réservoirs de biodiversité se surajouter, voire se substituer à et d’évaluer les effets de rupture dus Natura 2000 concerne les sites attachés d’autres procédures. Pour répondre aux aux infrastructures. Son ambition réside à la conservation de la vie sauvage et du exigences européennes, les DREAL ont dans le maintien et le développement milieu naturel. tendance (dans le temps d’encadrement des structures paysagères, plus dans le Ces sites sont désignés dans le cadre et d’animation des politiques) à la préfé- prolongement de la démarche Natura de la directive habitat 92/43, adoptée rer à celle des sites à classer. 2000 - qu’elle renforce - que dans l’ap- par l’Union européenne le 21 mai 1992, préhension de phénomènes complexes, après avoir été identifi és par chaque État La trame verte et bleue (TVB) cherche transversaux et culturels attachés à membre comme lieux hébergeant des à relier les espaces naturels entre eux, tant l’aménagement du paysage. espèces végétales ou animales devant en milieu urbain que rural, afi n d’éviter être conservées. l’appauvrissement et la fragmentation des Le patrimoine mondial La procédure a été instituée en France écosystèmes. Ses composantes - « verte » et la reconnaissance du paysage12 en 1995, en application de l’article 23 de pour d’importants espaces, reliés entr’eux En 1972, la conférence générale de la loi paysage de 1993. Le périmètre des par des corridors écologiques et incluant l’UNESCO adopte la Convention interna- sites Natura 2000, établi par les préfets des espaces protégés ; « bleue » pour les tionale sur la protection du patrimoine (via les services régionaux de la DREAL), cours d’eau, canaux et zones humides -, naturel et culturel, instituant une liste est soumis pour avis aux communes et sont toutes deux importantes pour la du patrimoine mondial. L’inscription sur établissements publics. Après notifi ca- préservation de la biodiversité. cette liste est présentée par les États tion à la Commission européenne, et La TVB s’appuie désormais sur un fonde- signataires de la convention. inscription par celle-ci sur la liste des ment juridique : la loi Grenelle II (articles La convention prend en compte les sites d’importance communautaire, le 23, 24, 26 et 29). Elle développe son monuments, les ensembles architectu- ministre de l’Environnement désigne action autour d’expériences cherchant défi nitivement le site Natura 2000, par à mettre en œuvre une méthodologie arrêté publié au Journal offi ciel, ce qui autour des espèces, de leurs habitats et le soumet au régime de protection des de leur milieu. 12 Chapitre réalisé par Anne-Françoise Pillias

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 60

raux et les « sites, œuvres de l’homme ou qui soit représentatif d’une culture Il apparaît alors nécessaire de mobiliser œuvres conjuguées de l’homme et de la (ou de cultures), ou de l’interaction les professionnels pour le maintien de nature, ainsi que les zones, y compris les humaine avec l’environnement, spé- paysages représentatifs d’un savoir sites archéologiques qui ont une valeur cialement quand celui-ci est devenu agronomique séculaire. À l’issue du universelle exceptionnelle du point de vulnérable sous l’impact d’une mutation colloque «Paysages de vignes et de vue historique, esthétique, ethnologique irréversible ; vins» (Fontevraud, 2003), une charte ou anthropologique ». Pour être agréé VII. Représenter des phénomènes natu- est élaborée à laquelle souscrivent par le comité du patrimoine mondial, le rels ou des aires d’une beauté naturelle les ministères concernés (Écologie et bien présenté doit respecter une série et d’une importance esthétique excep- Agriculture), ainsi que le Comité français de critères pour justifi er de sa « valeur tionnelles ; du patrimoine mondial et la section universelle exceptionnelle ». VIII. Être des exemples éminemment française du Conseil international des représentatifs des grands stades de monuments et des sites (ICOMOS). La En 1992, les « interactions majeures l’histoire de la terre - y compris le témoi- Charte de Fontevraud (2004) engage les entre les hommes et le milieu naturel » gnage de la vie-, de processus géolo- signataires à promouvoir : sont reconnues, et l’UNESCO introduit giques en cours dans le développement V la connaissance des paysages viticoles dans la Convention du patrimoine mon- des formes terrestres, ou d’éléments (dimensions esthétiques, culturelles, dial de 1972 une nouvelle catégorie de géomorphiques ou physiographiques historiques et scientifi ques), patrimoine, le « paysage culturel en tant ayant une grande signifi cation. V la capitalisation des savoir-faire et leur qu’œuvre conjuguée de l’homme et de la transmission (actions de sensibilisation nature ». En 2011, les critères de valeur Le cas particulier des paysages et formation à la composante paysagère exceptionnelle pour l’inscription sur la viticoles des exploitations), liste du patrimoine mondial en rapport En 1997, l’UNESCO inscrit les Cinque V la préservation des aires viticoles avec le paysage sont les suivants : Terre (cinq villages de la côte ligurienne, (mesures incitatives de valorisation pay- I. Représenter un chef-d’œuvre du génie proches de La Spezia, aux terrasses sagère, de réhabilitation du patrimoine, créateur humain ; agricoles édifi ées sur un dénivelé de protection réglementaire, de coopé- II. Témoigner d’un échange d’infl uences important) sur la liste du Patrimoine ration scientifi que) considérable pendant une période mondial comme paysage culturel. Sur V et le développement de parcours donnée ou dans une aire culturelle ces terrasses en complant, la vigne fut touristiques adaptés impliquant des déterminée, sur le développement de l’élément dominant du paysage pendant viticulteurs. l’architecture ou de la technologie, des plusieurs siècles ; elle voisine encore arts monumentaux, de la planifi cation avec l’olivier, les arbres fruitiers ou les des villes ou de la création de paysages ; plantes aromatiques. IV. Offrir un exemple éminent d’un type de Ce classement instaure un intérêt pour construction ou d’ensemble architectural les paysages viticoles. Il est suivi de l’ins- ou technologique ou de paysage illustrant cription des vignobles de la Juridiction une ou des périodes signifi cative(s) de de Saint-Emilion (1999), du Val de Loire l’histoire humaine ; (2000), de la vallée du Haut-Douro V. Être un exemple éminent d’établisse- (2001/production du Porto), du Tokaj de ment humain traditionnel, de l’utilisation Slovaquie (2002) et enfi n de Lavaux en traditionnelle du territoire ou de la mer, Suisse (2004). n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 61

Conclusion En matière d’aménagement devrait permettre de mieux veiller à l’intégration de cette dimension pay- Dans la panoplie des procédures juri- L’aménagement du territoire et le déve- sagère dans les plans, programmes et diques appliquées à l’aménagement loppement économique s’appuient sur projets. du territoire - SCOT, DTA, PLU, cartes des ressources fi nancières, mais surtout communales…-, la loi de 1930 sur les naturelles dont on déplore tardivement Une impulsion nouvelle pour sites, établie sur des préoccupations la dégradation et les limites. L’humanité stopper la perte du capital culturelles, constitue un rempart contre tend à requérir davantage de ressources les méfaits de l’urbanisation, chaque site que la planète ne peut en fournir ; depuis paysager constituant une référence dans la repré- trente ans, la France consommerait le sentation collective. double de la moyenne mondiale et les Le paysage, fruit de l’effort humain, États-Unis le quadruple. repose sur une intervention toujours Quant à la loi du 8 janvier 1993, elle répétée : exceptées la pleine mer et présente le paysage comme une réalité À l’échelon national, des études d’impact la très haute montagne, il n’y a pas de composée par l’homme ; mais n’ayant pas ont été instituées (1976) pour les projets paysage naturel en Europe : la méprise eu d’écho sur le plan européen, elle est affectant l’environnement ; au niveau vient de ce que l’on confond paysage et probablement condamnée. européen, deux directives imposent une nature. Plus qu’une réserve de nature, un évaluation des incidences de projets lieu de production agricole ou forestier, Les modalités de classement, qui repo- publics et privés (1985) et des plans et le monde rural est un espace adapté sent sur l’observation fi ne du site et programmes sur l’environnement (2001). au milieu, élaboré et mis en valeur par requièrent l’engagement d’un ensemble Il s’agit de prévenir les dommages l’incessante industrie humaine. d’acteurs, en font un dispositif respecté affectant le paysage, élément essentiel des élus. de l’environnement et de la qualité de Ces dernières décennies, la surface Le classement devient un paramètre la vie. Ce dispositif est appliqué à de agricole française a été exploitée plus dont ils doivent tenir compte dans l’éla- nombreux domaines de l’aménagement intensivement par de moins en moins boration de nouveaux projets sur leur comme les documents d’urbanisme, les d’exploitants ; elle n’a cessé de diminuer territoire. grandes infrastructures, la production au profi t de l’urbanisation : 70 000 hec- d’énergie, les installations classées pour tares consommés13 chaque année dont Les autres mesures, qui dépendent des la protection de l’environnement (ICPE), 2 000 hectares14 en région parisienne. collectivités locales et des exploitants du certains permis de construire. La France « devient moche15 » : de nom- foncier, pourraient bénéfi cier de la trans- breux aménagements (agricoles, urbains position de cette méthode fondée sur le La qualité des études d’impact s’avère ou de réseaux) s’imposent, accroissant partage du diagnostic et des valeurs des insuffi sante quant à la prise en compte notamment l’imperméabilisation des paysages locaux. du paysage, et l’administration néglige terrains et augmentant les émissions encore trop l’instruction de ces dos- lumineuses nocturnes ; ils altèrent les La sauvegarde du patrimoine paysager siers. La mise en place progressive des paysages. À l’instar d’autres pays euro- peut être appréhendée comme un moteur autorités environnementales (AE), pla- du développement local, en donnant lieu cées auprès des préfets de région pour 13 Auxquels s’ajoutent 80 000 ha d’expansion à des projets équilibrés entre aspects apprécier la qualité des évaluations forestière annuelle 14 mémoriels et innovants, et à une gestion environnementales fournies par les Voir la base de données Océan et instances d’évaluation du DREIF contractualisée entre différents acteurs maîtres d’ouvrage et éclairer le public 15 Voir Télérama n° 3135 du 15/02/2010, enquête menée sur le long terme. au moment de l’enquête publique, « Le monde bouge », Xavier de Jarcy et Vincent Rémy

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 62 péens16, l’espace français se décom- Le ressenti face au paysage, de même que Ces institutions, qui se confortent pose, tend à s’uniformiser, à se banaliser, des privilèges d’Ancien régime, pourrait mutuellement (car elles soumettent à se morceler. L’uniformisation entraîne être traduit par la formule : « je suis chez ensemble régulièrement des dossiers la disparition de repères ; la banalisation moi, je n’ai cure de vos conseils, de à la Commission nationale supérieure réduit l’attrait de paysages de loisirs ; le vos recommandations », ou encore « ce des sites), ont permis à très peu de morcellement entrave la libre circulation sont mes prérogatives ». Une attitude frais pour la collectivité, de maintenir des personnes et des animaux. contraire aux valeurs républicaines, qui jusqu’ici une certaine qualité aux sites proclame l’égalité de chaque citoyen en les plus emblématiques de France. Au temps des ressources fossiles bon droit et devoir face au bien commun, marché, les aménageurs ont pu ignorer afi n d’éviter son détournement à des fi ns Métier de terrain, attaché à l’art de les spécifi cités des territoires, appréhen- personnelles. l’aménagement, le travail est établi sur der l’espace tantôt comme réserve fon- l’expérience et la compétence. Celle-ci cière, tantôt en faire abstraction, comme L’application de la loi paysage repose réclame à la fois une formation initiale dans l’urbanisme de dalle ou l’agriculture sur la responsabilisation des acteurs et une formation continue. Si l’on veut hors sol. Mais la rareté du pétrole notam- chargés de défendre l’intérêt général ; sauvegarder le savoir-faire, à travers la ment, qui a entraîné la crise économique sa mise en oeuvre doit s’appuyer sur mise en œuvre d’un réseau de soutien et fi nancière, invite à reconsidérer un un processus institutionnel effi cace qui aux politiques du paysage et le faire développement en meilleure interaction permette le rééquilibrage permanent évoluer, il convient de développer de avec les richesses des territoires, pour des pouvoirs en jeu, et accompagne la façon légère et interne une école du les transmettre aux générations futures. décision du responsable pour appré- territoire pour les nouveaux venus. Il hender le paysage dans sa globalité. faut aussi éviter la confusion entre les Dans les périodes dites de progrès (celles différents métiers de l’aménagement de la « douce France »), l’aménagement a La force des acteurs s’appuie sur la valo- - architecture, urbanisme et paysage -, valorisé les paysages, ce qui a contribué risation de leurs compétences et sur leur et savoir comment s’emboîtent leurs à construire un art de vivre à la fran- complémentarité. échelles dans une pratique d’allers et çaise, porteur de valeurs républicaines retours à travers le projet. d’identité, de partage, de sécurité et de Celle de la loi du 2 mai 1930 est d’avoir liberté. Il est donc crucial de promou- fait émerger un service du ministère Les inspecteurs des sites, recrutés entre voir à nouveau une politique publique du Développement durable dédié à ce 1970 et 1990, avec un statut de « contrac- paysagère adaptée aux nouveaux enjeux patrimoine commun qu’est le paysage. tuel » et des titres divers (inspecteurs d’aménagement et de développement Ce service « triptyque » qui constitue des sites, inspecteurs généraux de l’équi- soutenable. une petite armée, ou plus exactement pement ou chargés de mission), avaient une cavalerie légère, possède des des formations d’architectes, de paysa- Le rôle des différents archives, une mémoire, des opérations, gistes, souvent enrichies d’un troisième acteurs : forces et faiblesses un personnel motivé sur cette question. cycle universitaire en droit, géographie, Il s’appuie sur le travail des directions histoire de l’art, sciences politiques... Les différents acteurs du paysage - régionales de l’environnement, de Cette formation initiale, associée à une élus, agriculteurs, industriels, experts l’aménagement et du logement (DREAL) stabilité dans les postes occupés, a de l’administration ou professionnels - 70 inspecteurs des sites, soit en - semblent, chacun à leur manière, s’ap- moyenne deux par région -. Il est par 16 Voir : « L’état du paysage en Suisse, Rapport proprier le bien collectif de la nation que ailleurs étayé par une Inspection géné- intermédiaire du programme observation du paysage OPS » ; Berne : Offi ce fédéral de représente le paysage. rale des sites. l’environnement, 2010 n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 63 entraîné un savoir-faire exceptionnel qui De nombreux travaux relatifs au paysage avant de servir de guide lors d’actions a permis d’assurer jusqu’à aujourd’hui la ont été engagés depuis la création du engagées sur le paysage, notamment transmission du métier. Investis d’une ministère de l’Environnement en 1970. pour les dossiers d’inspection générale mission qui les intéressait, ces experts Cependant l’absence de « regards croi- des sites. ont acquis une connaissance approfon- sés » entre cultures professionnelles die du terrain ainsi que des procédures d’horizon différents a nuit à la construc- Une méthode à transmettre de protection. tion d’une approche paysagère. Vécue Aujourd’hui, les inspecteurs des sites17, comme une contrainte par les aména- L’élaboration d’un projet d’aménagement agents de terrain, sont issus de corps et geurs, notamment pendant les Trente se réalise par étape ; il repose sur une de formations divers18. Principalement glorieuses alors qu’ils avaient le vent en représentation grâce à laquelle on agents de catégorie A19, ils sont poupe, ceux-ci ont négligé les aspects pourra appréhender les spécifi cités du généralement titulaires, avec un statut paysagers au profi t d’autres exigences - lieu pour prendre en compte le paysage d’ingénieur (2/3 ITPE ; 1/3 IAE), et ont économiques et sociales - plus urgentes et le faire évoluer. Cette formalisation, été recrutés soit par concours sur titre, dans un contexte de la reconstruction qui requiert la connaissance de l’homme soit sur la base d’une formation et de d’après-guerre. Le secteur des sites et de l’art, notamment celle du paysagiste, diplômes spécifi ques (paysagistes, géo- paysages n’était alors porté que par une va permettre d’évaluer l’ancrage du graphes, écologues...) ; mais certains, petite équipe de spécialistes qui, malgré paysage dans le territoire pour établir saisissant une opportunité dans le cadre ses compétences, imposait diffi cilement les transitions vers sa modernité. d’une mutation, viennent des fi lières ses idées. traditionnelles d’ingénieur et n’ont pas Les référents de la pratique de formation initiale. Cette équipe de pionniers, intégrée du projet Actuellement, sur 72 agents recensés, dans l’administration entre 1970 et 30 ont plus de 55 ans. Le problème de 1990, n’a pas suffi samment valorisé Pour développer une méthode commune, recrutement se fait déjà sentir, notamment ses points de vue et initiatives liés à tant pour celui qui évalue que pour celui pour les régions : Alsace, Aquitaine, l’action sous forme de publications qui conçoit, quelques principes simples Bourgogne, Languedoc-Roussillon, de référence... un héritage qui va doivent être réaffi rmés. Limousin, Midi-Pyrénées. faire défaut à la nouvelle génération d’agents qui ne bénéfi cie ni de ce trans- Le paysage, c’est : Grâce au travail de ce personnel dévoué fert de connaissances, ni d’un budget V une réalité sensible (géomorpholo- et compétent, l’on constate, à la seule vue d’intervention conséquent (divisé par gique, visuelle et vécue), d’une photographie aérienne, le dévelop- huit entre 2010 et 2011). V un bien collectif porteur de l’intérêt pement harmonieux du site classé par rapport à l’espace environnant. Les autres labels, quelques fois plus prestigieux, Méthode et savoir- 17 En référence à la note de Sylvain Provost, comme par exemple le patrimoine mondial président de l’AIS, septembre 2009 18 de l’UNESCO, ne disposent d’aucun ser- On compte ainsi des contractuels (22%), techni- faire : l’évaluation ciens supérieurs de l’Équipement (7%), techniciens vice ou personnel identifi és et se trouvent, supérieurs agricoles (1% ), secrétaires administratifs par là, soumis à toutes les convoitises. Il (4%), professeurs certifi és ENSA (3%), ingénieurs paysagère de l’Agriculture et de l’Environnement (IAE, 15%), manque aujourd’hui à ce triptyque (inspec- architectes-urbanistes de l’État (AUE, 3%), attachés teur des sites - service central - inspection Les éléments méthodologiques présentés (AAE+APAE, 18%) 19 générale) institutionnel français un corres- dans ce chapitre, ont d’abord été expéri- Voir le compte rendu de réunion du 27/04/2009 sur les métiers du paysage réalisé par le Secrétariat pondant au niveau européen. mentés dans le cadre de l’enseignement, général (Direction des ressources humaines)

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 64 général qui permet à tous de s’accorder, ses alignements d’arbres en haute tige, sensibilité de tout un chacun. Il s’ancre V un domaine culturel et non de nature, qui l’ornent depuis sa création, au profi t sur un travail d’enquête approfondi du même s’il est ancré sur un relief naturel, de bandes boisées plus banales...20. terrain et sur l’étude de la dialectique qui V un art de l’aménagement qu’on ne V Passé et modernité. L’opposition passé- va de la plus grande échelle au micro lieu. peut réduire ni à la science ni à la norme. avenir s’annihile d’elle-même comme Le concepteur de projet reste géné- Le premier travail attaché à la pratique le souligne Victor Hugo « tout ce qui a ralement discret sur sa démarche. de projet consiste donc à comprendre les de l’avenir est pour l’avenir ». Il n’existe Cependant, sa production peut être lue caractéristiques d’un site. Cela permet pas d’avenir sans mémoire ; le projet se et évaluée à partir de deux types de ensuite à chacun de construire sa propre nourrit de la connaissance du passé. pratiques : vision d’ensemble. Un projet s’incarne V la représentation dessinée de l’amé- dans un lieu, un contexte local. D’autre part, avec l’apogée du génie nagement à venir, technique, on a voulu donner au projet V un concept ou une idée exprimée sous Il faut comprendre ce qui brouille la un caractère scientifi que. Si sa pratique forme de métaphore, qui évoque les qua- compréhension de la pratique du projet procède d’une rigueur, celle-ci, contrai- lités physiques, historiques, symboliques pour mieux établir ensuite les principes rement aux sciences exactes, part d’une du site. qui le fondent. vision d’ensemble pour aborder ensuite La métaphore permet à chaque individu D’abord, lever les ambiguïtés suivantes : le détail. Mais à quel type de pratique de se ré-approprier le territoire habité : V Réalité et subjectivité. Le paysage doit-on rattacher l’art du projet : à par exemple, « un nid douillet » traduit est une réalité qui fait écho à la géo- l’œuvre d’art ? à l’analyse universitaire ? l’image sensorielle d’un lieu, donne une graphie et à l’histoire, ainsi que la loi le ou encore au projet d’aménagement ? consistance à quelque chose. rappelle ; il ne relève pas du talent, et Le travail de projet ne peut se réduire La pratique du projet est ainsi une affaire donc de la subjectivité, comme certaines à celui de l’artiste-créateur qui offre de de culture, celle de l’image transcrivant formulations le laisseraient supposer (le nouveaux modèles capables de fertiliser le génie du lieu et celle du verbe explici- paysage de l’ingénieur, du photographe, l’imagination. Car son usage doit tenir tant la représentation. de l’agriculteur…). compte du contexte, être partagé et V Art et science. L’art de l’aménagement rassembler la collectivité. La réfl exion est traduite par une repré- est nourrie par une dimension sensible, Le projet n’est pas non plus similaire à sentation graphique exprimée par toutes alors que la connaissance d’un territoire l’étude universitaire, car il reste attaché sortes d’outils. Le travail de synthèse, de vie fait appel à des disciplines scien- à l’action. Son « corpus » ne se réduit dont l’homme de l’art ne peut se priver, tifi ques multiples et complexes ; ces pas à l’étude des livres, il tient à la « ren- repose sur un dessin à partir duquel deux dimensions sont nécessaires pour contre » avec le terrain, avec les gens, il étudie le terrain, se constitue des nourrir une dialectique fructueuse. avec le temps passé et à venir. Alors que références attachées à l’histoire et à la V Nature et culture. L’espace européen le travail universitaire appelle l’analyse géographie du lieu. - hormis la mer et la très haute montagne et renvoie à l’analyse, reste neutre et À la différence de la photographie, qui - a été façonné par les hommes depuis donc cartésien, a contrario, le projet doit délivre l’instantané (utile comme docu- des siècles ; il n’est donc pas « naturel », déboucher sur une réponse concrète, ment préparatoire), le dessin permet de mais « cultivé ». Composé d’architectures coller au terrain, forcer à prendre parti, mesurer les hauteurs et les distances, végétales plus ou moins anciennes, il exiger un engagement. 20 nécessite une gestion dynamique et qui La recherche de solutions adaptées à un paysage devrait être systématique. La banalisation doit éviter les pièges de la normalisation. Le projet, art de l’aménagement, intervient du paysage français, par l’adoption de solutions Ainsi, le Canal du Midi, inscrit au patri- sur le vivant. Nourri par une dimension standards, pourrait amener les touristes à choisir des destinations moins onéreuses et restées plus moine mondial, est-il en passe de perdre sensible, il ne relève cependant pas de la authentiques, comme l’Irlande ou la Roumanie. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 65 d’appréhender comment un territoire a été La « méthode par 4 » thèse immédiate qu’il instaure. Au-delà habité, de repérer les mutations récentes. de quatre, on ne mémorise plus, on est Il donne à voir et à comprendre l’essentiel La première étape de cette méthode obligé de compter ; une vision frag- sur la forme, la texture, la matière ou la consiste à inventorier les caractéris- mentaire se substitue alors à la vision couleur. Cet ordonnancement graphique, tiques du paysage qui fait l’objet d’un d’ensemble. Le chiffre 4 est donc un susceptible de révéler les éléments sym- projet : c’est l’état initial. Elle part de la moyen mnémotechnique pour aborder la boliques du site, d’en livrer les potentiels, reconnaissance d’un paysage (comme pratique du projet et en comprendre la pose les jalons d’une réfl exion. ensemble réel) pour proposer une com- dynamique. Quant à l’outil informatique, s’il autorise position nouvelle. Elle est matérialisée les modifi cations d’image (par étirement, par une enquête de terrain : la collecte La méthode vise à saisir les caractéris- agrandissement, réduction), il ne traite d’informations permettra de découvrir tiques d’un territoire de vie. À l’instar de cependant pas les échelles comme le le sens du lieu, la représentation des la protection du site, elle embrasse un dessinateur qui repère les enjeux, sélec- éléments contribuera à l’élaboration de territoire cohérent, homogène, délimité. tionne les partis à prendre. la synthèse. Quand le territoire à représenter est trop Un plan dessiné permet de visualiser, vaste, il convient de porter son attention d’apprécier les valeurs qui fondent le Pourquoi « méthode par 4 » ? sur quatre endroits signifi catifs. À partir lieu, de donner à penser comme à imagi- Le contrôle de l’espace est lié à la vue : de ces points d’ancrage, l’observateur ner ses transformations. Le dessin ouvre le chiffre 4 exprime cette organisation. disposera de quatre images de réfé- les portes de l’imaginaire, car il permet Lorsqu’on cherche à le délimiter, c’est rence pour reconstituer l’ensemble du les indispensables allers-retours. Ces la courbe, le cercle qui sont mis en paysage ; il les transcrira dans un carnet cheminements intéractifs sont autant de œuvre, mais s’il s’agit de l’agencer, de bord sous forme de simples dessins, vérifi cations, formulations, reformula- c’est l’orthogonalité qui prévaut : les qui seront coloriés ultérieurement. Cette tions, et sont à l’image des redites ou des tracés rectilignes s’imposent alors tout formalisation lui permettra de forger corrections utiles pour aboutir. naturellement, car ils sont les seuls son point de vue, avant d’établir un possibles. Ainsi les champs ont adopté le diagnostic. Le projet sur le territoire possède une plus souvent une forme rectangulaire qui échelle temps, souvent plus longue a composé une trame foncière ajustée Illustration de la méthode que celle de la vie humaine et qui peut au sol et favorisé le développement de à travers des exercices s’étendre sur plusieurs générations ; il l’agriculture. L’espace urbain se divise d’étudiants se construit à travers une série de va-et- en quartiers. Les structures des plans vient qui intègrent différentes échelles de villes, comme celles des champs, À travers quelques exercices d’étudiants, traversant la diversité des domaines et sont organisées selon un carroyage qui il s’agit de montrer que la pratique du des savoirs. La dimension spatio-tempo- répartit de façon rationnelle les activités projet est abordable par tous au même relle est un des critères d’évaluation de et les fonctions. titre que la bureautique. Elle repose l’intégration d’un projet. Le chiffre 4 est dès lors attaché à une tra- sur la prise en compte de plusieurs L’art de l’aménagement ne peut faire dition d’usage de la culture européenne paramètres : l’économie de la culture liée à la pratique pour l’aménagement des territoires. Il est V des paramètres historiques : quatre du dessin. C’est par l’expérience de cette aussi lié aux quatre directions cardinales époques de la ville ou du territoire, pratique que chaque professionnel peut (nord, sud, est, ouest), aux quatre élé- V des paramètres attachés à des théoriser et évaluer ; cette compétence ments (terre, eau, vent, feu), aux quatre domaines divers : agriculture, ville histo- lui permet de résoudre les questions saisons, aux quatre époques de la vie. rique, tissu péri-urbain, infrastructures, concrètes qui lui sont posées. Mais ce qui justifi e le chiffre 4 est la syn- V des paramètres attachés à des fi gures

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 66 paysagères spécifi ques, repérées dans le Cette méthode a fait ses preuves depuis d’ensemble (sur format A0, au 1/2000 ou territoire (route, canal, haies ou bois) et 15 ans. au 1/5000). dans l’espace urbain (avenue, boulevard, Testée dans le cadre d’expositions locales square, place), montées avec les élus, elle a aussi été Ces dessins permettent aux étudiants V des paramètres attachés à des échelles utilisée dans une centaine d’expertises d’appréhender un site en mesurant diverses, allant de la micro à la grande de la Commission supérieure des sites, comment une communauté a valorisé échelle, tant en milieu urbain (maison, validées par le Conseil d’État. son territoire en s’appuyant sur les res- îlot, quartier, arrondissement, commune) C’est notamment à Boulogne, Calais, sources naturelles locales et en trouvant qu’en milieu rural (parcelle, exploitation Dunkerque, Rosendaël, Malo-les-Bains, des formes d’organisations sociales ou domaine agricole, commune, pays ou Loos-en-Gohelle, Halluin, Annoeullin, respectant l’intérêt général. Grâce à petite région agricole). Quesnoy-sur-Deûle... qu’ont eu lieu des cet exercice, ils présentent rapidement, manifestations publiques à la demande mieux qu’avec des livres ou d’autres Avec le dessin, l’observateur exprime des maires pour informer les populations outils, les caractéristiques des lieux ce qu’il voit et le représente : il se met locales. Elles ont fourni l’occasion de qu’ils étudient. en situation de proposer des réponses, faire émerger les enjeux de différents d’ouvrir le dialogue. Progressivement, quartiers d’une même commune. Le plan de paysage présente le territoire cette démarche l’inscrit dans une culture Ainsi, à Annœullin : le secteur des de vie avec ses lisières physiques et professionnelle. « champs captants », la voie ferrée tra- historiques. Il rend lisible les formes, versant la commune, le plan du parc des les volumes, les lumières : il expose le Ce premier travail d’enquête constitue lotissements ou le projet de zone écono- « déjà là », l’intelligence inscrite par les un moyen effi cace et rapide pour com- mique. À Quesnoy-sur-Deûle : la partie générations d’hommes. Il donne à voir et prendre la géographie et la géomorpho- ancienne du centre-ville, les anciens à comprendre les réalités spatiales (mer, logie du site, mais surtout la culture de la méandres de la Deûle, la réhabilitation ville, champs, infrastructures …). Il évite communauté locale et les étapes de l’édi- de l’écluse ou le secteur du silo. de procéder par morceaux et permet fi cation du lieu. Cela permet d’identifi er de placer l’intervention à venir dans la le territoire de vie au travers des modes Ce travail donne l’occasion à l’étudiant totalité du territoire. et des formes d’occupation des sols, des de : Différent de la cartographie, il interprète réseaux de circulation, des typologies du V dresser l’état du paysage et d’en com- les spécifi cités locales par la sélection bâti, du végétal et du dessin de la trame prendre les spécifi cités, d’éléments concrets du paysage. Le plan foncière. C’est aussi l’occasion d’appré- V confronter le projet au diagnostic paysage est ainsi une médiation qui per- hender l’usage des lieux, de percevoir les effectué, met à tous de se situer et de se resituer besoins des gens, les enjeux des espaces V d’évaluer, dans son territoire de vie. à vivre pour la société locale. V et de proposer. La « méthode par 4 » invite à revisiter la Présentés aux édiles et aux services Dans les exemples suivants, les étudiants, règle classique de l’unité à laquelle doit techniques des villes, ces documents novices en matière de dessin, présentent s’ajouter l’imaginaire : de travail constituent un préalable à leur synthèse paysagère selon quatre V le lieu se décline en domaines : l’évaluation, notamment pour y insérer séquences : urbain, péri-urbain, infrastructures ou le programme d’aménagement proposé V des dessins sensibles (sur format A4), l’agriculture ; et permettre aux techniciens comme aux V des coupes (sur format ½ A4) V le temps évoque quatre époques de élus d’apprécier ce qui est acceptable et V des plans (sur format A3) l’histoire du paysage qui témoignent ce qui ne l’est pas. V un plan de paysage restituant la vue d’une civilisation agricole ancienne, du n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 67

1e exemple Les quartiers de Boulogne-sur-Mer illustrent quatre moments de l’histoire de l’évolution de la ville. Ils se super- posent à quatre géographies propres aux vallonnements du boulonnais. Le dessin de l’étudiante Marion Droulez prend la forme d’un catalogue illustré.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 68

2e exemple Petite cité proche de la grande ville, la cas d’Annœullin, avec ses « champs captants » proches de la Deûle qui alimentent Lille en eau, illustre quatre temps de l’histoire d’un lieu. L’étudiante Erasmus Alessia Cicchelero présente un plan d’ensemble, qu’elle associe à des vignettes illlustrant les quartiers, avec : V en rouge, la partie moyen-âgeuse édifi ée autour d’une abbaye, V en ocre, la partie construite au XIXe siècle, avec ses corons liés à l’industrie minière, V en jaune, les éléments édifi és depuis les années 60 : des lotissements souvent refermés sur leur jardin et sans lien avec le cœur historique de la bourgade.

Représentation de la ville et de la cam- pagne à Rosendaël (Nord-Pas-de-Calais)

è Figures 3 exemple Domaines territoriales La cité balnéaire de Rosendaël, près d’espaces de Dunkerque, est située entre ville et La digue campagne. L’étudiant Philippe Saison La mer Le canal a travaillé sur le tissu urbain, les infras- La plage Le lac tructures et le milieu agricole : il présente La ville La route ainsi la ville, la zone maraîchère, à côté des La zone maraichère fi gures paysagères du canal, du lac, de la route auxquelles il ajoute une digue. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 69

4e exemple Quesnoy-sur-Deûle, près de Lille, donne l’occasion à l’étudiant Martin Zamolo d’examiner l’évolution de la ville à travers quatre périodes. Il montre comment le centre-ville, qui se déplace constamment, s’est éloigné du fl euve.

Début 18eS Fin 18eS 19eS 20eS

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 70

5e exemple Dans cette autre étude de Quesnoy-sur-Deûle, les étudiants Frédéric Kucheida et Philippe Saison ont représenté le tissu urbain des années 1920, les zones industrielles de la fi n du XIXe siècle, les hameaux et les extensions périphériques récentes, enfi n les champs autrefois attachés à la culture du lin. Le plan paysage, réalisé par l’étudiant Philippe Saison, livre une lecture des différentes zones - historique, péri-urbaines, industrielles et agricoles.

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 71

6e exemple Ce dernier exemple, à Quesnoy- sur-Deûle, réalisé par l’étudiant Yannick Thomin, montre que la Deûle est la colonne verté- brale de la cité. C’est autour de cette identité la plus ancienne que peuvent se recomposer les identités les plus modernes. 1) dessins : abords végétal, lotissements, écluse 2) axonométrie

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 72 développement de l’industrie, puis du tourisme et maintenant de la recherche Un projet de L’aménagement du viaduc de Daumesnil, d’un développement durable ; une réalisation déjà ancienne, plébis- V l’action se représente à travers paysage réussi : citée par les parisiens, contredit cette quatre échelles : parcelle ou bâti tendance pessimiste. Cette opération (1/500), domaine ou quartier (1/2000), une clé pour le illustre parfaitement l’idée que le projet commune ou territoire de vie - objet de de paysage est la matière sensible du l’étude - (au 1/5000), vallée ou massif (au développement développement durable. 1/25000) - ce dernier élément relevant Construit en 1859 pour soutenir la voie plus de l’échelle de la géographie que durable ferrée reliant la Bastille à Vincennes, le de l’aménagement -. La pratique de ces viaduc fut désaffecté en même temps échelles favorisent les allers et retours La diversité, comme la qualité, est que la gare de la Bastille après la mise qui constituent autant de vérifi cations un critère majeur du développement en service du RER A. Le coût de sa utiles à l’aménagement de l’espace ; durable. Elle caractérise les cultures, démolition dépassait largement ce qu’on V l’imaginaire crée la vue d’ensemble ; c’est-à-dire les territoires, et s’oppose à pouvait espérer tirer de cette emprise il se nourrit de l’enquête de terrain qu’il la banalisation des paysages imputable linéaire de faible largeur, grevée de sur- convertit pour déployer le concept ou aux préoccupations économiques et à la croît de servitudes de vues d’immeubles la métaphore attaché à la création du mondialisation. riverains. projet.

La méthode fournit les outils néces- saires à la création et à l’insertion d’un aménagement. Elle structure, organise, hiérarchise l’action ; elle ne crée pas de modèles techniques mais des références utiles pour inventer l’avenir.

Quelle que soit la méthode choisie, l’aménageur est tenu de produire un cadre de vie où chacun puisse se sentir en harmonie avec son environnement.

Ce métier, qu’il soit exercé dans un service public ou en libéral, s’apprend par compagnonnage ; il développe une pensée collective dont témoignent les paysages. Car la fi nalité de la pratique du projet consiste à promouvoir la richesse propre au territoire.

© : C. Lier/MEDDTL n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 73

En 1990, la Mairie de Paris décide de qui permet de découvrir un envers de collective, conjuguer autrement le local redonner vie aux 71 voûtes du viaduc sur décor, voire par moments de pénétrer et le global. L’interaction entre acteurs 1,5 km avec des boutiques d’artisanat dans l’intimité des parisiens. donne à voir la réalité et la complexité du d’art et de création. Infrastructure autrefois, lieu de prome- lieu. Transmis par compagnonnage, cette Cela a donné l’opportunité d’agir à nade aujourd’hui et sans doute autre pratique professionnelle s’apprend sur le une équipe motivée : l’Atelier parisien chose demain, le viaduc de Daumesnil terrain et dans les services de l’État. d’urbanisme (APUR) de la Ville de Paris, s’inscrit dans la continuité de la ville, la Sa préoccupation centrale, le cadre composé d’architectes et de paysagistes permanence. de vie, doit être au cœur des missions, très compétents qui ont su convaincre Plus que le simple traitement d’un mor- des actions et des textes du ministère les élus. Ils se sont engagés à réinsérer ceau d’espace, cet exemple témoigne aujourd’hui. une friche industrielle dans l’avenir de qu’un projet de paysage réussi apporte  la ville. Ils n’ont pas simplement traité la sécurité aux lieux sur lesquels il s’im- le jardin ; ils ont aménagé l’ensemble du plante, et participe au développement quartier avec des placettes, des petits économique, social et écologique ; il est, jardins privés, des ruelles, des équipe- par là-même, un projet de développe- ments publics. ment durable.

La réaffectation d’une ancienne ligne L’espace rural constitue aussi un de chemin de fer en coulée verte, d’un patrimoine que le projet paysager peut espace déshérité et dangereux de l’est révéler. parisien en lieu d’agrément, était une L’exemple d’Annœullin témoigne de ce idée très novatrice à l’époque. Elle a patrimoine rural de grande qualité, avec contribué à revitaliser un quartier, tant ses « champs captants »21 qui fournissent sur le plan culturel qu’économique, 30% de l’eau potable à la métropole à transformer l’image symbolique du lilloise. Le parcellaire en lanière de ces quartier, et amélioré le bien-être et le champs accueillera une agriculture cadre de vie des habitants. Enfi n, elle a biologique que les élus locaux souhai- rencontré un vrai succès populaire parce tent utiliser au profi t des écoles de la qu’elle a permis de relier un patrimoine commune. au quartier et un quartier à la ville toute entière. De formes nouvelles de développement Le viaduc forme maintenant une arche durable doivent être imaginées et de Noé végétale, perchée à plus de huit émerger. mètres, qui accueille quelques grands Le paysage porte en germe le projet de arbres - tilleuls et cerisiers -, parmi les territoire. Grâce au projet, on peut adap- noisetiers, les treilles et toute une palette ter de nouvelles réalisations, les relier de plantes. Il est devenue une liaison entre elles pour recomposer le pays privilégiée entre le quartier de la Bastille tout entier. La méthode proposée part et le bois de Vincennes. Il permet de par- du paysage, comme ensemble réel, pour courir 4,5 km sur une largeur générale construire une nouvelle composition. 21 de 9 m qui, à certains endroits s’élargit Sa pratique permet de valoriser les liens Voir le plan de paysage présenté par l’étudiante Erasmus de l’École d’Architecture et de Paysage de à 30 m. C’est un observatoire de la ville interpersonnels, exprimer l’intelligence Lille

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 74 en perspective Cannes : trois siècles d’histoire du rivage par Jean-Marie Martin, ingénieur général des Ponts et Chaussées

Jean-Marie Martin a été détaché à la ville de Cannes, de 1959 à 1967, comme directeur général des services techniques. Il a écrit un livre sur l’Histoire des plages de Cannes et de La Napoule. Avec l’autorisation de l’éditeur, il montre comment une petite ville est devenue en trois siècles une grande station balnéaire. Il montre aussi tout le soin que prenaient les ingénieurs pour observer et pour comprendre les mouvements du rivage. Il explique comment la Promenade et la plage de la Croisette ont été aménagées et élargies dans les années 1960.

Cannes en 1772 La colline du Suquet, le château, l’église paroissiale. Le port, le chantier naval et les maisons de la Marine. Source : Le Campion, 1772 Au XVIIIe siècle

Il n’y avait à Cannes au début du XVIIIe siècle qu’un mouillage à l’abri de la pointe Saint-Pierre, une Marine et une plage par laquelle se faisait le commerce de la région de Grasse.

Les mémoires établis par la communauté pour demander la construction d’un môle nous renseignent sur l’histoire du rivage : « La mer était stationnaire à une assez grande distance des beaux arbres que l’on avait plantés à plusieurs toises des maisons en descendant vers la mer, pour que l’on put tirer à terre des bateaux entre la mer et les arbres, sans craindre n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 75 que les vagues vinssent les enlever Dans ce temps là, la plage à une certaine distance du rivage avait beaucoup plus de fond qu’elle n’en a aujourd’hui. Il y a apparence que cet état de choses avait toujours subsisté, puisqu’il ne nous est jamais venu de tradition qu’ancienne- ment la plage de Cannes ni son rivage eussent jamais éprouvé des variations assez sensibles pour qu’elles eussent été remarquées ».

« En 1746, une armée ennemie, autri- chienne, étant entrée en Provence, on envoya des troupes avec de l’artillerie pour la repousser ; mais comme la grande Route d’alors était trop rude aux approches de Cannes, du côté de l’Ouest, pour pouvoir y faire passer des canons de gros calibre, on construisit le chemin actuel qui longe la mer et est soutenu par un mur fait en maçonnerie qui prenait La plage de Cannes, le chemin royal et les projets de môle. Fonds d’archives de la viguerie de Grasse Archives naissance dans la mer même ». (Mémoire départementales des Alpes-Maritimes de 1819).

La construction de ce mur eut des consé- L’on comptait plus de quatre vingt dix Un mémoire de 1784 rappelait qu’autre- quences inattendues : bâtiments commandés par des capitaines fois les fl ots venaient se briser et s’amor- À chaque tempête de Sud-Ouest la mer de Cannes. Il en était employé au moins tir dans une anse parsemée de rochers, avançait dans les terres, enlevait les quarante au commerce du pays ; d’autres au pied de la colline du Suquet. Mais, arbres, endommageait la grande route s’adonnaient à la caravane dans les depuis la construction de la muraille qui et menaçait les maisons de la manière la Echelles du Levant ou faisaient des voyages soutenait la nouvelle route d’Italie, la plus alarmante. La communauté deman- du port de Marseille à des ports étrangers. mer avait progressivement gagné plus dait la construction d’un môle pris à la de cent trente pieds de terrain. Les États pointe de la chapelle Saint-Pierre, pour Mais ces navires ne pouvaient tenir sur de Provence approuvèrent un projet de arrêter la violence de la mer de Labech la plage de Cannes que par beau temps môle en septembre 1784 et demandèrent (vent du Sud-Ouest), pour protéger assuré. À la moindre apparence des au roi de participer à l’entreprise. Aucune le mouillage, et aussi pour protéger vents du Sud et du Sud-Ouest ils devai- solution n’intervint. les maisons et magasins de la Marine. ent aller sans perte de temps sous le fort Par ordre de Trudaine, intendant des de l’île Sainte-Marguerite, et l’on pouvait Mais on constata avec surprise, à la fi n fi nances ayant le département des ports craindre des naufrages pour ainsi dire du siècle, un mouvement du rivage en maritimes, deux projets de môle furent certains lorsque la vigilance des marins sens inverse. Le mémoire de 1819 déjà faits en 1773. était surprise. cité indique que les menaces pour la

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 76 route et les maisons de la Marine cessent vulgairement appelé Céruse de Gênes, capables de transporter des sables par sans que l’on sache pourquoi. En même un courant qui entraînait les sables et les mer, mais que les sables se déplacent temps apparaissent des venues de sables portait dans le mouillage de Cannes. le long du rivage lorsque la direction dont on ne connaît pas la cause, qui font Il concluait qu’il serait nécessaire de des vents et des vagues est inclinée sur craindre de les voir un jour combler construire un contre-môle pour protéger celui-ci : même le mouillage. la plage des atterrissements venant de « Lorsque les vents de l’Ouest au Sud- l’est. Mais, en décembre 1821, une forte Ouest souffl ent avec force les vagues e tempête d’ouest-Sud-Ouest porta dans le agitent les sables du fond de la mer et Au XIX siècle port une grande quantité de sables qui du rivage, aidées par la direction incli- s’étaient accumulés à l’ouest de la pointe née du vent sur la côte entre la Napoule Ce n’est qu’au début des années 1820 Saint-Pierre. Le maire adressa en 1822 et la pointe St-Pierre, elles les poussent que l’on comprit que les sables qui mena- au préfet du Var un nouveau mémoire, vers Cannes et les déposent au devant çaient le port de Cannes provenaient de concluant que la dépense pourrait être de la ville où la mer est restée plus tran- La Napoule. Il n’y avait toujours ni môle réduite à la seule construction du môle quille. Si au contraire les vents arrivent ni quai ; la gravure ci-contre montre les puisqu’il était démontré que les courants entre le Sud et le Sud-Ouest perpendicu- navires au mouillage et les embarcations de l’est, dont on craignait tant les effets, lairement à la côte depuis la batterie de tirées sur la plage. Les maisons sont ser- n’avaient jamais existé. La Bocca jusqu’à St-Pierre, les vagues ne rées entre le Suquet et la Marine ; au-delà, peuvent donner aux sables aucun mou- il n’y avait que la chapelle de Notre-Dame- En 1823 M. Deroisin, ingénieur des Ponts vement parallèle à cette partie du rivage de-Bon-Voyage, les dunes, la pointe de la et Chaussées à Draguignan, chargé du mais, attaquant ceux qui forment le fond Croisette et les îles de Lérins. projet de construction du port, rédigea du mouillage depuis St-Pierre jusqu’à la un mémoire qui tenait compte de l’obser- ville, elles les soulèvent et les chassent Dans son mémoire de 1819, le maire vation des tempêtes de 1821 et de 1822. du côté de la Croisette ». de Cannes avait attribué au vent d’est, Il montrait qu’il n’y avait pas de courants Le projet valut à Deroisin les félicitations du directeur général des Ponts et Chaussées, mais il fut jugé trop coûteux et l’exécution en fut indéfi niment ajournée.

La saison d’hiver. Le port

Ce n’est que sous la monarchie de Juillet, avec les débuts de la saison d’hiver à Cannes, que la construction du môle put être réalisée. Cette construction arrêta pour un temps les sables de l’ouest, mais elle eut des effets inattendus du côté de l’est.

En 1834, à la suite d’une épidémie de Garneray Cannes et les îles Sainte-Marguerite vues du chemin de Grenoble - Source : BNF choléra dans le nord de l’Europe, le roi n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 77

La Croisette sous le second Empire

C’est en 1853 que la ville de Cannes demanda à l’État la concession des sables longeant le rivage depuis la Bocca jusqu’à la pointe de la Croisette, en considérant que les deux golfes formés des sables de la mer qui s’étendent de Cannes à la Croisette et de Cannes à la Bocca sont éminemment propres à être transformés Dessiné par Victor Petit - Le port, le quartier des Anglais, le chemin de fer et la plage du Midi. 1865 en promenades, uniques en France par les agréments qu’elles offriraient au public. À l’ouest, sur la route de Fréjus, le quartier du Piémont avait fermé la frontière du à cette époque une importante quantité de Peire-Longue ou quartier des Anglais Var. Un grand nombre d’étrangers ne de sable, qui a rétrogradé de l’Est vers avait plus d’importance que celui de la pouvaient se rendre en Italie directe- l’Ouest contrairement à la loi générale Croisette, car il n’était pas encore séparé ment, car ils étaient tenus d’observer du déplacement des alluvions littorales de la mer par la voie de chemin de fer. une quarantaine sur la rive droite. Parmi qui, dans l’état naturel des lieux, progres- Un arrêté de 1857 autorisa la construc- eux se trouvait Lord Brougham, ex-chan- saient fi nalement de l’Ouest vers l’Est. tion d’un chemin de 10 m de large. celier d’Angleterre, qui descendit pour Ce phénomène est dû à la construction Ce chemin, construit en 1861 avec quelques semaines à Cannes. Il décida même du môle, qui a eu pour effet de l’utilisation des déblais du chemin de alors d’y construire sa résidence, la Villa diminuer l’action des mers d’Ouest sur fer, parut rapidement insuffi sant. Les Eléonore. Il vantait à Londres les charmes la partie de la plage avoisinant le port travaux d’élargissement de la Promenade de la région et l’aristocratie britannique et d’augmenter d’autant l’infl uence à 20 m, commencés en 1867, furent vint se fi xer à Cannes, au moins pendant relative des temps d’Est ». livrés en 1871. Ce n’est qu’en 1874 qu’ils les longs mois d’hiver. Ce fut le début furent prolongés jusqu’à la pointe de la de la fortune de la ville, qui n’avait alors Croisette. que 4 000 habitants. Lord Brougham y La gravure ci-dessus montre le nouveau vécut 34 ans ; il usa de son infl uence en quartier de la Croisette, en développe- faveur du développement de Cannes, notamment pour la construction du port et l’amenée des eaux de la Siagne.

Les travaux de construction du môle et du quai Saint-Pierre furent exécutés de 1838 à 1843. L’ingénieur des Ponts et Chaussées Bourgougnon a écrit que le port de Cannes venait à peine d’être créé qu’on s’aperçut que les fonds s’y exhaussaient notablement : « Il n’est pas douteux que le port a reçu Dessiné par Victor Petit - Le port et la Promenade de la Croisette. 1865

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 78 ment rapide depuis la fi n des années Cap-Roux, pointe terminale de l’Estérel. dépasseront de beaucoup la somme 1850. Victor Petit écrivait dans ses Plus à droite le village à demi ruiné de la qu’ils ont coûtée pour les construire ». Promenades des étrangers : « La longue Napoule. Enfi n la ville ancienne et la ville plage de la Croisette est devenue la pro- nouvelle, le Port, le Cours et la plage de Au cours de l’hiver 1886-87, on vit les menade la plus fréquentée par les riches la Croisette se montrent dans toute leur perrés s’effondrer en plusieurs points étrangers qui ont établi à Cannes leur étendue et leur ensemble remarquable ». sous les assauts de la mer. Le Maire résidence d’hiver. Le nombre, la variété, demanda alors à MM. Michel et Arluc, l’élégance des équipages, la fraîcheur et Les assauts de la mer. ingénieurs civils à Cannes, d’établir le le bon ton des toilettes, le mouvement La plage artifi cielle d’Arluc projet du boulevard de la Croisette et du de la foule des promeneurs peuvent être boulevard du Midi. pour plus d’une grande ville un sujet Pierrugues, dans Cannes à travers Alexandre Arluc avait étudié la manière d’envie ». les âges, décrit ainsi les dommages dont les sables se comportaient sur Victor Petit décrivait aussi le superbe périodiques causés par les tempêtes à la d’autres points de la côte, ainsi que les panorama qui se développait de tous Promenade : effets du ressac et des affouillements ; côtés, à la pointe de la Croisette, depuis « En cette année 1869, à la suite d’un il expliquait comment le perré maçonné, les ruines de l’ancien fort de la Croix : coup de mauvais temps, nous eûmes construit trop près du rivage, était « Au Nord la vallée du Loup, la montagne à regretter la démolition des murs de la cause de sa propre destruction ; il du Cheiron et les montagnes couvertes protection du nouveau Boulevard de déconseillait la construction d’ouvrages de neige des Alpes maritimes. À l’Est la Croisette, ce qui donna à ce site un plus importants et plus onéreux. le Golfe-Juan et la presqu’île d’Antibes, aspect lamentable. À peine commencé, Il proposa, au lieu de reconstruire les avec le phare de la Garoupe. Au Sud on s’apercevait déjà de l’erreur com- perrés, de les démolir et de protéger le l’île de Sainte-Marguerite, qui cache l’île mise par ceux qui en avaient établi les boulevard contre la mer par la création voisine de Saint-Honorat. plans en tenant ce boulevard trop près d’une plage de sable : « Le bon sens com- À 47 kilomètres à l’Ouest, les mon- du rivage. Nous avons déjà vu et nous mande d’imiter la nature, en opposant tagnes de Saint-Tropez, avec le phare reverrons encore des accidents de ce à la mer en courroux un plan incliné, du cap Camarat. À une distance de 13 genre. Les frais des réparations des de tous points semblable à celui des kilomètres les beaux escarpements du Boulevards de la Croisette et du Midi plages naturelles du golfe de la Napoule

La pointe de la Croisette, Cannes et les montagnes de l’Estérel - Source : BNF n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 79 dont l’équilibre a résisté aux plus gros dans le jugement du conseil de préfec- Extension du port et de temps ». ture qu’il résulte du rapport unanime la promenade des Allées des experts que la plage ne s’est pas La Ville accepta cette proposition et la maintenue, que le résultat, un moment mit en adjudication. Les entrepreneurs obtenu, a disparu après la réception pro- En février 1879, au cours d’une violente hésitant à se lancer dans une affaire aussi visoire mais que l’œuvre du sieur Arluc, tempête, les sables de l’ouest avaient nouvelle, Arluc, qui tenait à la réalisation quoique inachevée, donnait à la Ville une franchi le môle. Celui-ci fut prolongé par de son projet, présenta une offre et fut plus-value considérable. une jetée construite de 1892 à 1897, faite déclaré adjudicataire. à la fois pour agrandir le port et pour L’objet de l’entreprise consistait en l’éta- On peut remarquer que la quantité des empêcher son ensablement. blissement d’une plage de sable sur une sables d’apport n’était que de 15 m3 par longueur de 1 894 m entre la place des mètre de plage et que, les épis régu- Mais Bourgougnon écrivit dans son Îles et le restaurant de la Réserve, dans lateurs étant un peu courts, ces sables rapport que les travaux exécutés ces la démolition complète des perrés et s’étaient déplacés en direction du port. dernières années, aussi bien ceux de la dans leur remplacement par un talus en Quoi qu’il en soit, il faut ici saluer l’œuvre plage artifi cielle que ceux du prolonge- terre assurant la stabilité du boulevard. d’Alexandre Arluc, en rappelant que ment de la jetée, avaient porté atteinte Les travaux furent achevés fi n décembre c’est sur le même principe qu’a été fait à l’équilibre de la plage de la Croisette, 1891 mais la réception défi nitive n’eut en 1960 l’élargissement de la plage de la remettant les sables en mouvement de jamais lieu. Pierrugues écrit qu’à la suite Croisette. façon analogue à que ce que l’on avait d’une violente tempête de l’hiver 1894- vu après la construction du môle. 95 la plage artifi cielle fut complètement anéantie. Il y eut un contentieux ; on lit Au nord du port, la plage était en pro- gression marquée. La Ville réalisait au fur et à mesure l’aménagement des terrains gagnés sur la mer, étendant ainsi les Allées de la Liberté.

En 1895 une étude des améliorations à réaliser au port de Cannes montra le besoin urgent qu’il y avait de créer de nouveaux quais et la nécessité d’arrêter par une nouvelle jetée les ensablements venant de l’est.

La construction de la jetée Albert- Édouard, en 1898, mit fi n à l’ensablement du port. Mais elle produisit sur la plage de la Croisette les mêmes effets que ceux du môle et de son prolongement.

Le chantier d’Arluc : bateaux-lesteurs, épi en bois

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 80

Photo ci-dessous : Les terrains gagnés sur la mer Photo de droite : Le terre-plein en construction, le raccordement à la plage, l’épi de l’hôtel Martinez © Laboratoire des Ponts et Chaussées de Nice

n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 81

C’est donc sur des venues de sables, aux îles Kerguelen, où j’avais pu obser- augmentées par des matériaux de ver les formes des rivages. J’avais vu la décharges, que furent construits plus violence des attaques de la mer contre tard le Casino municipal et les jardins de les côtes rocheuses ; j’avais vu aussi l’esplanade des Alliés. comment les vagues s’amortissaient sur les plages de sable. La photographie ci-contre montre les La plage de Cannes, assez large du côté terrains gagnés sur la mer par ce que l’on de l’ouest, était presque inexistante à pourrait appeler l’effet Bourgougnon : le l’est. Je voyais les premières tempêtes de terrain des Allées au fond du port et, à l’hiver battre le mur de soutènement de l’est de la jetée Albert-Édouard, le terrain la Promenade ; il paraissait impossible du Casino et de l’Esplanade des Alliés. qu’un ouvrage avancé de 10 m sur la plage puisse tenir. Il faut remarquer aussi que la plage de la J’ai donc proposé au Maire, avant toute Croisette, après tous ces changements, chose, de faire étudier la possibilité n’était plus parallèle à la Promenade. d’élargir la plage par des apports de sable. Au XXe siècle. Aménagement de la Promenade de la Croisette

Au début du XXe siècle la Ville de Cannes avait autorisé des déchargements mas- sifs pour protéger le Casino ; les déblais de la construction des hôtels Miramar et Martinez avaient été jetés directement sur la plage et la Promenade avait été protégée par un mur vertical.

La municipalité de M. Bernard Cornut- Gentille avait été élue en 1959 sur un programme de grands travaux, qui comportait la couverture de la voie ferrée et l’élargissement de 21 à 31 m de la Promenade de la Croisette. J’avais été détaché à la ville de Cannes en novembre 1959. Je rentrais d’une mission Bernard Cornut-Gentille

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 82

L’étude SOGREAH profi l plus raide qui avait rejoint le profi l L’élargissement d’origine. de la plage Louis Tourmen, le spécialiste de la Société L’élargissement de la plage était donc Grenobloise d’Études et d’Applications possible, à condition de trouver un sable La longueur de plage à traiter était Hydrauliques, nous a demandé d’abord d’apport de bonne granulométrie. d’un peu plus d’un kilomètre. Plus de quelques informations sur l’histoire de 125 000 m3 de sable ont été mis en place la plage. Les recherches de sable au cours de trois hivers, de 1960 à 1963. L’avancée du rivage escomptée était La SOGREAH, après avoir relevé des C’est dans la vallée de l’Argens que nous d’environ 20 m après stabilisation. Les profi ls de la plage et la granulométrie des avions trouvé les 30 000 m3 de sable qui résultats ont largement confi rmé cette sédiments en place, a procédé à Grenoble nous avaient permis de faire un essai. Le prévision. à des essais en canal vitré. Nous étions trafi c des camions gros porteurs avait encore à la recherche de sables d’apport posé quelques problèmes à Fréjus et A chaque extrémité de la plage ont été mais le principe était simple : ceux-ci tien- il n’y avait plus sur cette commune les construits des épis pour empêcher l’étale- draient d’autant mieux qu’ils seraient plus quantités nécessaires. ment du sable en dehors de la zone utile. gros que les sables en place ; dans le cas contraire, la mer les emporterait au large. Sur Saint-Raphaël les photographies Nous avions trouvé de grandes quan- de l’Institut Géographique National tités du sable de la qualité nécessaire, Un gisement de sable plus gros que le montraient dans le périmètre de la mais nous avons préféré nous en tenir sable en place ayant été trouvé entre base aéronavale une zone plus claire qui à un élargissement d’une vingtaine de temps, il a été décidé de faire l’essai d’un paraissait prometteuse. Il ne me restait mètres, car il est bon que les sables de la apport de 30 000 m3 sur une zone limitée qu’à aller voir le commandant de la base plage puissent être remis en mouvement par des épis, entre les hôtels Carlton et pour lui dire que je voulais faire un trou chaque hiver par les tempêtes. Martinez. Une butée expérimentale faite sur son terrain. Il y avait sur place des en sacs de nylon remplis de sable a été petites fl eurs blanches sur du très beau Un problème se posait du fait que la mise en place par précaution sur une sable, en quantité plus que suffi sante ; le plage avant travaux n’était pas parallèle à partie de la zone. commandant voulait bien donner accord, la Promenade ; nous savions que l’action Le spectacle des camions versant le sable à condition que je rebouche correcte- de la mer répartirait les apports de sable sur la plage attirait beaucoup de monde ; ment le trou. tout le long du rivage et ne voulions pas j’entendais dire que c’était un gaspillage avoir 45 m à l’ouest pour avoir 20 m à des deniers publics et que tout le sable Il faut savoir que la mer classe et place l’est. disparaîtrait immanquablement au large. les matériaux, et que le rivage de Fréjus Sur le conseil de la SOGREAH deux épis Il était trop tôt pour expliquer que c’était et l’embouchure de l’Argens ont beau- intermédiaires ont été construits en face une question de granulométrie. coup changé depuis l’époque romaine. des hôtels Carlton et Martinez. La plage Le sable que nous avions trouvé était était ainsi divisée en trois comparti- Les observations faites au cours du probablement celui d’une ancienne ments étanches avec un décrochement premier semestre 1961 ont montré un plage. du rivage au droit de chaque épi. La résultat favorable. La construction d’une L’opération ne pouvait se faire qu’après SOGREAH ayant calculé pour chaque butée de pied n’était plus nécessaire, le obtention des accords d’une bonne compartiment le volume des apports sable ne descendant pas jusqu’à elle. Le quinzaine d’administrations centrales et nécessaires, ce dispositif a permis d’avoir sable d’apport, plus gros que le sable locales, ce qui fut fait au bout de trois une plage suffi samment large à l’est tout existant, s’était mis en place selon un mois de démarches. en évitant des dépenses inutiles. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 83

L’aménagement des plantations pour une largeur totale Tous les 64 m on trouve des escaliers de de la Promenade de 31 m. descente sur la plage ainsi que des blocs Au lieu du mur de soutènement qui comportant resserre et installations Malgré les possibilités offertes par l’élar- existait auparavant c’est un ouvrage avec sanitaires pour les plagistes. Vu de la gissement de la plage il a été décidé de encorbellement de 4 m qui soutient la mer, l’ouvrage apparaît comme une suc- n’élargir la Promenade elle-même que de Promenade. L’empiètement sur la plage cession d’éléments de plage de 32 m de dix mètres afi n de lui laisser le caractère est ainsi réduit à 6 m. longueur. De la Promenade, on n’en voit d’une promenade touristique. L’ouvrage est conçu de la façon la plus qu’un garde-corps très discret. La vue La nouvelle Croisette comportait donc légère et la plus sobre possible. Il est sur la mer reste entièrement libre. un trottoir de 3 m 50, une promenade constitué par des éléments de 24 m de piétons de 10 m 50, deux chaussées et longueur coulés en une seule journée.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 84

juillet 1965. Les terre-pleins et leurs jardins ont été réalisés de 1964 à 1967.

Conclusion Pour une réfl exion sur les causes des catastrophes

On a vu comment les élus et les ingé- nieurs prenaient soin de rechercher les causes des mouvements du rivage et comment ils ont appris que ces mouve- ments n’étaient que les conséquences des activités humaines.

Dans le numéro 7 de la revue du comité d’Histoire, le texte sur les Déboisements et inondations rappelle comment les commissaires envoyés par le Parlement

Le Port Canto et les terre-pleins sud et nord - © Laboratoire des Ponts et Chaussées de Nice, 1960-1963 d’Aix sur les lieux des catastrophes constataient que les causes détermi- nantes en étaient les abus de l’exploita- Le nouveau port de La passe d’entrée a été placée au sud. tion des forêts et des pâturages. Au XIXe plaisance Le projet a été complété par deux terre- siècle, les forestiers et les ingénieurs ont pleins traités en jardins, à réaliser par mis en évidence les liens entre déboise- Le nouveau port de plaisance a été réa- la Ville. Au sud une plage a été faite le ments, érosion des sols et inondations. lisé sous le régime de la concession par long du terre-plein et le petit port de la Après les catastrophes de 1856 et de le promoteur Pierre Canto. Le projet a Croisette, détruit en décembre 1959, a 1859, le Gouvernement fi t enfi n voter les été inséré dans l’aménagement d’en- été reconstruit. Un parc de stationne- grandes lois de restauration des terrains semble de la Croisette. Les architectes- ment de 450 places a été construit sous en montagne. conseils de la Ville, Guillaume Gillet le terre-plein nord. Celui-ci est protégé et Philippe Mondineu, l’ingénieur des par des enrochements qui prolongent la En 2010 les inondations du Pakistan Ponts et Chaussées Claude Lerebour jetée ouest et se raccordent à la plage et ont fait plus de 20 millions de sinistrés. ont participé à cette réfl exion. Nous à la Promenade de la Croisette. Les journaux ne donnent guère d’infor- avons profi té de l’expérience acquise mations sur les causes. On lit dans le pour réaliser tout de suite un équilibre Les travaux du port, commencés en guide Lonely Planet que seulement 5% de la plage. décembre 1963, ont été terminés en de la surface du pays est boisée, que n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 85 les forêts naturelles sont en diminution des activités minières, de la construction alarmante, que l’abattage irrégulier des de barrages hydroélectriques et d’autres arbres dans les territoires du Nord est activités humaines. cause d’une grave instabilité des pentes, de la pollution des eaux et de la dégra- Au Mexique, il y eut au mois de sep- dation des sols, que la déforestation et tembre une polémique sur l’origine des le surpâturage peuvent conduire à la gigantesques inondations qui frappaient désertifi cation, et à la salinité des sols… le pays. Pour le président Calderon, la catastrophe était à mettre sur le compte En Chine, la ville de Zhouqu, dans les du changement climatique ; mais cer- régions tibétaines de la province de tains experts considéraient que l’impact Gansu, a été victime d’une catastrophe d’une urbanisation non planifi ée et de la qui a fait plus de 700 morts et de 1000 déforestation était bien plus important. disparus. Un rapport de l’université de Lanzhou explique que les montagnes On voit que, dans le premier cas, il sont devenues extrêmement instables et suffi rait d’attendre la suite des études du très facilement sujettes à des désastres Groupe d’Experts Intergouvernemental naturels tels que les glissements de ter- sur l’Évolution du Climat mais que, dans rain et les coulées de boue. Cette situa- le second, c’est l’État qui devrait recon- Novembre 1962 : la Promenade, les épis, le sable mis en cordon. © : Laboratoire des Ponts et tion est le résultat de la déforestation, naître ses responsabilités. Chaussées de Nice

En 1949, Fairfi eld Osborn, dans son livre La planète au pillage, expliquait déjà les causes des inondations du Mexique. Il rappelait que l’ancien empire maya s’est effondré après la destruction de ses forêts et ajoutait : « Depuis lors mille ans ont passé. À la lumière de ce qui se passe aujourd’hui dans toute l’Amérique latine, cet épisode des Mayas nous apparaît comme un avertissement, auquel par malheur per- sonne ne prend garde. La même histoire est en train de recommencer juste un peu plus au Nord… au Mexique ».

La roseraie au dessus du parc de stationnement - © Jean-Marie Martin « pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 86 en perspective Le Touring-Club : association évergétique, association d’usagers de la route ou association de tourisme ? par Jean Orselli, docteur en histoire, ingénieur général des Ponts et chaussées honoraire

Le 15 novembre 20101, on aurait fêté les cats hôteliers – autour du Touring-Club. voyage touristique. – Dont l’agrément ou 120 ans de la création du Touring-Club de En 2010, toutes ces associations subsis- le pittoresque attirent les touristes : villes France s’il n’avait pas été contraint à la tent, sous le nom de Fédération française touristiques ». dissolution à la fi n de 1983. de cyclisme pour la vieille Union véloci- pédique, vivotant comme les Automobile- Le Touring-Club a toujours été écartelé C’est la France qui avait créé les premières Clubs, ou s’étant recentrée comme entre ses deux natures : associations vélocipédiques locales à la l’UNAT sur les séjours de vacances et les V une « association d’usagers de la fi n du Second Empire. Pour les associa- sports de plein air (randonnée, alpinisme, route » préoccupée des services que tions nationales, elle suivit de peu l’Angle- voile). Seul le Touring-Club a disparu, qui peuvent demander les cyclistes et les terre (création du Cyclists’ Touring-Club fut de loin la plus puissante de toutes. automobilistes, en tant que « touristes en 1878) avec son Union vélocipédique de en déplacement » mais aussi dans leur France (1881), puis avec le Touring-Club L’histoire de l’ascension et de la usage quotidien des routes ; de France le 26 janvier 1890. déchéance du Touring-Club est emblé- V une « association touristique » adon- matique des tensions existant dans l’en- Elle inventa l’Automobile-Club de France semble vaste et indéfi ni que l’on nomme 1 en 1895, vite suivi d’une cohorte d’Auto- trop commodément Tourisme. Cette Cette date est celle de l’agrément offi ciel de l’association dont la demande avait été déposée mobile-Clubs régionaux. complexité se sent déjà dans les défi ni- le 26 janvier 1890. Le Touring-Club commença à Enfi n, en 1920, eut lieu la création de tions qu’en donne le Petit Larousse : fonctionner en liaison avec les clubs locaux qui soutenaient cette initiative, le Club des cyclistes l’Union nationale des associations de tou- V « Tourisme – Action de voyager pour de Paris, la Société d’encouragement pour le risme (UNAT) qui regroupait de multiples son agrément. développement de la vélocipédie en France, etc. Voir Marcel Viollette (son premier dirigeant), La naissance associations – du Club Alpin aux syndi- V Touristique – Relatif au tourisme : du Touring-Club, in L’Auto du 12 décembre 1934. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 87

Mais, le grand échec de la France est celui de ses associations d’usagers de la route. Leur taux d’adhésion fut longtemps considérable : en 1953, elles comptaient plus de 800 000 membres, dont 500 000 pour le seul Touring-Club, soit 1 adhérent pour 3 véhicules particuliers.

En 2010, la France présente une singula- rité étonnante : moins d’un sur 50 pos- sesseurs d’une automobile particulière adhère à une association d’usagers alors que, dans chaque pays avancé, la grande association nationale regroupe entre 1 automobiliste sur 3 et 1 sur 5. Face aux quelques 400 000 adhérents français dispersés entre plusieurs associations concurrentes, les associations natio- Le Touring-Club et ses trois rôles dès l’origine : association d’usagers de la route, protection et connaissance du patrimoine touristique, hébergement des touristes. In Revue, janvier 1906. Source : Bibliothèque du nales comptent actuellement plus de Trocadéro, ville de Paris 30 millions de membres aux États-Unis, 16 millions en Allemagne, plus de 15 mil- lions au Japon, 12 millions en Angleterre, née à la promotion du tourisme et à la Touring-Club devînt un grand fournisseur etc.3 protection de ses objets d’intérêt, ainsi de « séjours de loisirs » à un moment qu’à l’amélioration de ses conditions critique pour cette activité. d’exercice. La France, aujourd’hui, est la première 2 Le Touring-Club fut dans ces deux destination touristique du monde. Son « Évergétisme : attitude des gouvernants ou des élites qui consistait à donner à la collectivité les domaines la plus puissante des associa- équipement en lieux de séjours, des édifi ces et les équipements dont elle avait besoin ou tions françaises. Il fut le plus engagé dans hôtels de toutes catégories aux campings à distribuer des largesses au peuple ». in Grand dic- 2 tionnaire encyclopédique Larousse. Nous utiliserons l’« action évergétique » de promotion du et à l’hébergement social de vacances, régulièrement « évergète » et « évergétisme » qui tourisme, de protection et des sites et est remarquable. relèvent de l’histoire gréco-romaine, faute de termes appropriés pour l’époque contemporaine. Les monuments, et d’amélioration de l’hôtel- termes « bienfaiteur » (traduction du grec évergète) lerie et de l’offre de séjours touristiques. La protection des monuments est assurée, ou « philanthrope » qui en est le plus proche au XIXe siècle, sont trop polysémiques et vagues dans Il fut aussi la plus importante association elle aussi. Celle des sites, des paysages le cas précis. Quant au « mécénat », il est réservé d’usagers de la route. S’il disparut, ce fut et des biotopes, objet des attentions au soutien aux arts, aux lettres et aux sciences. Au XIXe siècle, les plus riches pratiquent couramment en partie parce qu’il échoua à devenir la les plus précoces du Touring-Club, a la construction de routes, les adductions d’eau, grande association nationale des usagers évolué en bien ou en mal devant les prio- l’érection de statues, soit par des donations individuelles, soit par des « souscriptions ». de la route – et l’on verra que ce ne fut rités accordées à l’urbanisation, des côtes 3 Pour des populations respectives de 320, 82, pas de sa faute –, mais surtout parce que notamment, et devant le laisser-faire 127 et 60 millions d’habitants. Ces associations ses dirigeants fi rent une erreur désas- public envers certaines des bêtes noires nationales ont parfois une structure fédérale plus ou moins déconcentrée, mais qui reste néanmoins très treuse en voulant tardivement que le du Touring-Club comme l’affi chage. cohérente.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 88

À travers l’histoire du Touring-Club4, on 1896, premier « chalet du Touring-Club » ; peut esquisser celle des grandes com- 1897, premier « guide routier » et première posantes des activités associatives que carte au 1/400 000 ; 1897, création d’un nous venons de défi nir dans « l’univers Comité technique ; 1898, bibliothèque touristique ». photographique, etc.

Le Touring-Club était donc marqué par la dualité « touristes – usagers de la route » Jeunesse : qui se lit dans le nom de l’association association anglaise et dans le sous-titre que le Touring-Club français porta durant d’usagers quelques années : « Alliance des touristes et évergétisme cyclistes ». Les jeunes fondateurs furent surpris par 4 L’histoire du tourisme en général est très peu développée et l’histoire globale du Touring-Club reste Les fondateurs du Touring-Club étaient leur succès et Marcel Viollette, son pre- à faire. Sur l’aspect « usagers de la route », nous de jeunes gens qui ne se reconnaissaient mier secrétaire général, passa la main fi n renvoyons ici à notre thèse, Usages et usagers de 6 la route, Pour une histoire de moyenne durée (1860- pas dans l’Union vélocipédique de 1892 à Abel Ballif qui présida le Touring- 2008), thèse d’histoire, Paris 1 Sorbonne, 2009. La France, trop marquée par l’organisation Club jusqu’en 1919, et dont l’expérience, référence la plus citée est Catherine Bertho-Lavenir, La roue et le stylo, comment nous sommes devenus des courses. Le Touring-Club ne deman- l’entregent, les qualités diplomatiques et touristes, Odile Jacob, 1999 ; succincte (une centaine dait pas de droit d’entrée et était ouvert l’inlassable activité ont été certainement de pages, plus quelques articles, une période limitée aux débuts), souvent inexacte quant aux faits, elle aux femmes. Ses premières activités une des raisons du succès de l’associa- propose des interprétations historiques discutables. relevaient de la sociabilité associative : tion. Ballif, ancien haut fonctionnaire, Sur les aspects « promotion du tourisme » et « modernisation de l’hôtellerie », la référence actuelle excursions, visites de monuments, savait ainsi se concilier de nombreux est Bertrand Larique, L’économie du tourisme en voyages, réunions et banquets, qui essai- membres de la haute Administration. France des années 1890 à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Organisation et développement ment vite hors de Paris avec la création d’un secteur socio-économique, thèse d’histoire, de sections régionales. Il affi rmait dès Dès 1893, le Touring-Club se voyait Bordeaux III, 2006. Sur la protection des sites et monuments, voir Luc Savonnet, Le rôle du Touring- cette époque sa volonté de rester une comme la première « association Club dans l’institutionnalisation de la protection des association unitaire nationale. automobile », activité dont se chargea paysages, mémoire de maîtrise, IFU, Paris 8, 1986. Xavier Martel, L’iconographie touristique comme Georges Pierron, l’un de ses vice-prési- propagande géopolitique. Le Touring-Club de France, Il entreprenait en accéléré des actions dents. Il participa ainsi à l’organisation 1890-1939, un exemple : Sites et Monuments, DEA d’histoire de l’art, Université Paris 1, 1998. Marie- calquées sur celles menées par le matérielle de la course Paris-Bordeaux- Hélène Fusz, Le Touring-Club de France (1890-1983) : Cyclists’ Touring-Club anglais de 1878 à Paris du 11 au 14 juin 18957 : son rôle dans le développement de la sensibilité au 5 patrimoine, DEA de sciences humaines, Sorbonne 1890 : 1891, Revue, Annuaire, costume « Notre vice-président, M. G. Pierron, Paris IV, 2000. du Touring-Club, organisation d’excur- avait bien voulu accepter la tâche 5 La chronologie des actions du Cyclists’ Touring-Club sions ; 1892, ouverture de la Bibliothèque, délicate d’établir les contrôles de route, fi gure sur son site Internet. Celui-ci essayait à la fi n des années 1880 de créer des succursales en France premier Guide du Touring-Club (La Loire) ; d’organiser dans les endroits diffi ciles sous l’action de « consuls » comme le baron Adrien 1893, protestation contre le nouvel impôt un service de pilotage et d’indiquer par de Baroncelli. 6 sur les bicyclettes ; 1894, pétition pour la plâtrage le bon chemin, quand des tra- Abel Ballif (1844-1934), né à Tours, venait de quitter ses fonctions de chef de bureau à la préfecture de la création de pistes cyclables ; 1895, boîtes verses et des bifurcations de routes ren- Seine. Sa vie se confond dès lors avec l’histoire du de secours du Touring-Club, voyages sco- daient possible une erreur de direction ». Touring-Club. 7 laires à bicyclette, ascensions en ballon, Le 12 novembre 1895, eut lieu la première Voir La Course de Voitures Automobiles Paris- Bordeaux-Paris, in Revue du Touring-Club, 1895, création d’un Comité du contentieux ; réunion de l’Automobile-Club de France, pages 497 e. s. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 89 née en septembre sous l’impulsion du l’Automobile-Club de France. Les deux L’activité évergétique du Touring-Club marquis Albert de Dion qui organisa la associations co-organisèrent les divers en faveur du tourisme proprement dit grande course suivante Paris-Marseille- « Congrès automobilistes » avant que portait sur trois aspects principaux9 : Paris de 1896. À la suite de cet événe- l’Association Internationale des Congrès V la modernisation de l’hôtellerie ; ment le Touring-Club prit position contre Internationaux de la Route (AIPCR) qui V la promotion du tourisme en France ; les courses sur route. ne comprend que des Administrations V la protection et promotion du patri- De nombreux Automobile-Clubs locaux publiques, ne prenne en charge ce moine touristique et du patrimoine naturel. apparurent à côté du très élitiste domaine en 1909. Ballif en a été d’ailleurs Automobile-Club de France. Des associa- vice-président jusqu’en 1920. La modernisation tions concurrentes se créèrent : le Moto- Club en 1902 et la Ligue des chauffeurs L’action en faveur des routes elles- de l’hôtellerie en 1904. Les tentatives de création d’une mêmes a été très précoce. Dès 1892, le association nationale sous la forme Touring-Club s’intéressait à « l’améliora- Le Touring-Club commença par recen- de l’Association Générale Automobile tion des routes ». Outre la promotion et ser les « bons hôtels » dès 1894 et les (émanation de l’Automobile-Club de le fi nancement de pistes cyclables (1894) signalait dans son Annuaire précurseur France) en 1902, puis une Fédération des et d’une signalisation de danger et de du Guide Michelin. Puis, il se préoccupa Automobile-Clubs régionaux en 1904 direction (1895) ou le cofi nancement en de moderniser les conditions d’héber- ne perdurèrent pas après la guerre. Les 1899 du projet de la corniche de l’Estérel gement hôtelier, dans la ligne de l’hy- possesseurs de « motocycles », dont (inaugurée en 1903), il militait à partir giénisme de l’époque. Il commença dès le nombre était supérieur à celui des de 1902-1903 pour le redressement des 1897 en vendant du papier hygiénique automobiles jusqu’en 1906, avaient leurs virages, la suppression des caniveaux, la à prix coûtant. En 1900, il imagina une propres associations, le Motocycle- lutte contre la poussière par la création « chambre hygiénique » pour l’améliora- Club et l’Autocycle-Club (réservé aux de chaussées à liants bitumineux, etc. tion des hôtels et la présenta à l’Expo- motocyclettes). Toutes ces associations Après 1902, il dut partager cette activité sition Universelle. Il accordait des aides automobilistes se voulaient, elles-aussi, évergétique – notamment en matière de à l’installation de sanitaires, organisait « touristiques ». signalisation – avec l’Automobile-Club des « concours hôteliers », et fournissait de France et l’Association Générale lui-même du matériel sanitaire, de la Le Touring-Club est donc resté la plus Automobile, rapidement suivis par peinture laquée, etc. importante des associations automo- des « marchands » comme Michelin et biles. Signifi cativement, la couverture de les constructeurs et équipementiers Il lança l’idée de créer une école hôte- sa Revue (créée en 1891) vit apparaître automobiles. lière qui a vu le jour en 1903 en même une automobile en juin 1896 et le sous- temps que la création du Syndicat titre Alliance des Touristes-Cyclistes Le Comité du contentieux se chargeait de Général des hôteliers français qui en disparaître en 1897. Les dirigeants du faire évoluer la réglementation de la cir- assurait l’organisation et la direction. Le Touring-Club, de l’Automobile-Club de culation des cycles et des automobiles Touring-Club poursuivit dans cette voie France et des Automobile-Clubs régio- et son application en 1896. Le Comité dans l’entre-deux-guerres. naux entretenaient les meilleurs rapports technique visait l’amélioration des 8 et faisaient souvent partie des Conseils véhicules (par l’ouverture de concours Le 2è président est Henry Defert, avocat au Conseil d’État qui remplace Ballif de 1919 à 1927. Edmond d’administration des autres associa- notamment) en 1897 et la Commission Chaix (1927-1938) sera suivi par Henry Gasquet, tions. Edmond Chaix, le 3è président des virages s’occupait d’adapter les président de 1938 à 1952. 9 du Touring-Club de 1927 à 19388, était routes aux nouvelles vitesses des auto- Sur ces questions, la référence incontournable est actuellement Larique, op. cit., auquel nous devons depuis longtemps un des dirigeants de mobiles à partir de 1904. beaucoup pour cet article.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 90

La promotion annuellement à partir de 1903, mais ils 1° De centraliser et de mettre à la dis- du tourisme en France ont échoué à chaque fois. position du public des renseignements de toute nature concernant le tourisme Elle était contrariée à l’époque par la La grande réussite du Touring-Club, sous toutes ses formes ; dispersion de sa tutelle entre quatre association nationale, a été d’organiser 2° De rechercher tous les moyens ministères. Le principal était celui de l’action des multiples Syndicats d’Initia- propres à développer le tourisme, de l’Intérieur qui assurait la police des tive. Il a proposé ainsi des « modèles » provoquer et, au besoin, de prendre stations et des jeux et le contrôle des (comme il avait proposé des « modèles toutes mesures tendant à améliorer les étrangers. Celui des Travaux publics, d’hôtels ») comme celui de Saint-Pierre conditions de transport, de circulation et censé s’occuper des transports et des de Chartreuse dont il accompagna le de séjour des touristes ». accès aux stations, était totalement développement à partir de 190511. C’est bridé par la très forte décentralisation Léon Auscher, un de ses membres les Un Conseil Supérieur du Tourisme des routes à l’époque. Le ministère en plus actifs, président par ailleurs de la consultatif composé de 50 personnalités charge de la Prévoyance sociale s’oc- Commission du tourisme de l’Automo- a été institué auprès de l’Offi ce National cupait des établissements thermaux et bile-Club de France, qui prit en main ce du Tourisme dont les débuts furent pour climatiques (les sanatoriums). Enfi n les secteur dès 1905. Enfi n, le Touring-Club le moins laborieux. Finances traitaient des questions fi scales était aidé par ses liens avec les asso- et douanières, importantes puisqu’on ciations « sportives » de la montagne s’intéressait aux touristes étrangers. comme le Club Alpin Français et avec les autres associations d’usagers de la route. Le tourisme en montagne, notamment, était totalement à développer en France, Politiquement, il opta résolument en face à la Suisse ou à l’Autriche. Le faveur du ministère des travaux publics 10 L’écrivain Robert de Souza, secrétaire général Syndicat d’initiative dans l’intérêt de avec lequel il avait déjà des liens privilé- de l’Association pour la protection des paysages, la ville de Grenoble est né en 1889 ; giés et parce que le développement des défi nit ainsi de façon critique, en novembre 1904, la Fédération du Sud-Centre dans la revue Le Tour de c’est le premier du genre et celui qui a transports lui paraissait l’action primor- France. Guide du touriste. « inventé » le nom. Son champ d’action diale à mener. Il bénéfi ciait d’un fort sou- 11 Léon Auscher (1866-1942) fut un des principaux était en fait « le Dauphiné » et concernait tien parlementaire qui aboutit en 1912 à dirigeants du T. C. F.. Secrétaire du Comité technique chargé des nouvelles locomotions dès 1900, il devient les départements de l’Isère, de la Drôme la création du « Groupe du tourisme » à la vice-président en 1919. Élu président en 1927, il et des Hautes-Alpes. Le Syndicat général Chambre des députés sous la présidence refusera le poste. Il sera dans les années 1920-1930, 12 le fondateur et le deuxième président de la puissante des Alpes française qui s’est constitué d’Étienne Clémentel . Union Nationale des Associations de Tourisme en 1895 a été la première « fédération (UNAT). 12 régionale » qui ajoutait au Dauphiné, La concrétisation de tous ces efforts Étienne Clémentel (1864-1936) est député radical de 1900 à 1919, puis sénateur jusqu’en 1936. Il la et la Haute Savoie. Elle a été peut s’illustrer par deux grandes dates, va s’attacher aux questions économiques dans la suivie de sept autres entre 1903 et 1909. 1910 et 1913. perspective de la guerre prochaine, en particulier au développement de l’automobile, industrie bien Un débat se développa sur le périmètre implantée dans le Puy-de-Dôme avec Michelin, etc. souhaitable de ces entités : « provinces L’article 123 de la Loi de fi nances du Il est ministre des colonies (janvier 1905 à mars 1906), de l’agriculture (1913), des fi nances (9 au historiques » ou simple groupement 8 avril 1910 a institué, à l’issue d’un long 13 juin 1914). Il sera le ministre du commerce et routier »10 . processus de lobbying et de décision, de l’industrie pendant presque toute la Guerre (29 octobre 1915 au 20 janvier 1920) et joue à ce titre Des projets de « fédération nationale » un Offi ce National du Tourisme placé un rôle majeur quoique méconnu. Après la guerre, il ont été agités dans les Congrès des sous la tutelle du ministère des travaux sera encore ministre des fi nances de juin 1924 à avril 1925 et membre majeur du Sénat et président de sa syndicats d’initiative qui se tiennent publics, chargé : commission des fi nances. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 91

Le premier directeur de l’Offi ce fut l’in- génieur des Ponts et chaussées Albert Mahieu13, qui était déjà une fi gure mar- quante du ministère des travaux publics. Mais, faute de moyens, l’Offi ce national du Tourisme vivota jusqu’en 1914. Son action ne s’est déployée vraiment que dans les années 1920.

Les États généraux du tourisme qui s’ouvrirent le 15 octobre 1913 réunis- saient la quasi totalité des associations Dans les années 1930, le touristiques, les parlementaires impli- Touring-Club et l’Union nationale des associations qués dans la promotion du tourisme, touristiques apparaissent les compagnies de chemin de fer et comme des relais de l’État. Ici, un entrefi let de navigation, etc. Ils ont abouti à une caractéristique concernant la véritable « Charte nationale du Tourisme Commission de Signalisation, organe quasi offi ciel qui tient français » fi xant les moyens et les objec- ses assises au siège même tifs de sa promotion à l’étranger. du Touring-Club. In Revue, janvier 1930. Source : Bibliothèque du Le patrimoine touristique Trocadéro, ville de Paris et naturel tère d’organisation nationale capable La Comité des pelouses et forêts fut déta- L’action évergétique du Touring-Club de jouer le rôle de groupe de pression ché du Comité des sites et monuments pour la protection du « patrimoine tou- auprès du législateur en soutenant et pittoresques en 1906. Cette commission, ristique national » se situait dans la ligne organisant l’action des associations de lointain précurseur des associations de mesures remontant au Second Empire protection des sites et biotopes et d’ob- « écologiques », se préoccupait des et des actions de multiples associations tenir le vote d’une série de textes sur les forêts dont les multiples aspects, de locales. Sa première réalisation a été, sujets les plus divers. protection des sols, économiques et entre 1900 et 1913, la collection Sites touristiques, étaient déjà reconnus. et Monuments de France » qui dresse Le Comité des sites et monuments pit- l’inventaire des richesses artistiques, toresques fut créé en 1904. Ses actions historiques et naturelles, soit plus de ont abouti rapidement : création des 30 volumes et un investissement de Commissions départementales des sites 13 Albert Mahieu (1864-1943), est Secrétaire- 750 000 francs. et monuments naturels de caractère rapporteur de la Commission extraparlementaire sur artistique (Loi du 20 avril 1906), Lois la circulation des automobiles de 1903, Rapporteur de la Commission du Code de la route de 1909-1912, La création de ses grands comités de du 27 janvier 1902 et du 20 avril 1910 Secrétaire général de l’Association Internationale protection du patrimoine et de la nature interdisant l’affi chage publicitaire sur les Permanente des Congrès de la Route de 1909 à 1920, puis son président de 1920 à 1943. Il est le premier a été plus tardive. La réussite du Touring- sites et autour des monuments classés « directeur des roues » en 1916. Comme Secrétaire Club dans ce domaine tenait, comme et Loi sur la protection des monuments général du ministère de 1920 à 1924, puis comme sénateur de 1924 à 1941, il a joué un rôle majeur dans pour son action touristique, à son carac- historiques du 31 décembre 1913. l’évolution du système routier en France.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 92

Mais, il est signifi catif que son intitulé réglementations locales abusives et les services offerts aux permissionnaires commence par les « pelouses », biotopes « villes mendiantes » qui imposent des américains, « francisation » de l’industrie spécifi ques naturels ou dus à l’action pas- taxes illégales), le Touring-Club – pas plus hôtelière dont une bonne partie était aux torale et conservatoires des nombreuses que les Automobile-Clubs d’ailleurs – ne mains de capitaux austro-allemands. espèces herbacées, qui étaient négligés satisfaisaient vraiment les automobi- à l’époque. Elle se penchait aussi sur la listes qui adhérèrent nombreux à la Ligue Durant la guerre, l’État développa et protection d’autres biotopes plus rares. des chauffeurs créée en 1904 et active organisa l’enseignement hôtelier avec Le Touring-Club s’attachait enfi n à la jusqu’en 1914, plus mordante sur leur l’aide du Touring-Club et des associa- protection générale des paysages les plus protection juridique. tions concernées, syndicats hôteliers et banals, notamment par sa lutte incessante syndicats d’initiative. contre l’affi chage publicitaire. Il a été ainsi à l’origine des premières mesures régle- L’entre-deux- Une réorganisation de l’Offi ce National mentaires sur le sujet en 1914. guerres : une du Tourisme lui donna plus de moyens et établit un partenariat solide entre l’État et Pour terminer la revue des activités association les associations. Il était accompagné par du Touring-Club avant 1914, notons « para-étatique » de puissants Groupes parlementaires qu’il se préoccupa de développer des du tourisme à la Chambre et au Sénat. activités de loisirs » avec son Comité de Dans les années 1920, le Touring-Club Cela va lui permettre de relancer et de tourisme nautique (1904), son Comité accéda à un statut « para-étatique » développer le tourisme durant toutes les hippique (1904), son Comité de tourisme informel, dans les domaines de l’activité années 20 et de compléter les instances scolaire (1907), son Comité de tourisme touristique et des services aux usagers existantes, notamment avec la création hivernal (1908), son Comité de tourisme de la route. de l’Union des Fédérations des Syndicats aérien (1909), son Comité de tourisme d’Initiative (UFSI), de la Confédération colonial (1909), son Comité de tourisme En 1915, il entendit relancer le tourisme, Nationale du Tourisme français (CNT), gastronomique (1910) et son Comité de frappé par la guerre, et créa un Comité créée en 1922. camping (1912). de propagande touristique à l’étranger qui entreprit des actions auprès de la La crise internationale des années 30 Le Touring-Club, qui atteignait 100 000 clientèle anglo-saxonne et sud-améri- affecta évidemment le tourisme et adhérents en 1906 et près de 200 000 caine sous la forme de campagnes de entraîna la création d’un « ministère du en 1914, était donc la plus puissante des presse, d’articles, de conférences et tourisme » entre 1930 et 1934 (sous de associations d’usagers de la route14. de diffusion de brochures. Le Comité, dénominations diverses). La recherche Malgré sa participation à l’évolution réorganisé en 1916 et présidé par Marcel de solutions a été marquée par les États réglementaire (lutte contre la taxation Sembat, ministre des travaux publics, Généraux du Tourisme de 1933 et les des vélocipèdes en 1893, circulaire du était pratiquement étatisé. À la fi n de nouvelles dispositions du Décret-loi 22 février 1896 sur la circulation des 1917, les services du Comité furent inté- du 25 juillet 1935 sur l’organisation du vélocipèdes, décret du 10 mars 1899 grés à l’Offi ce National du Tourisme qui secteur. sur la circulation des automobiles, venait d’être réorganisé. participation à la Commission chargée 14 En 1914, la France compte 3,5 millions de de l’élaboration du Code de la route de La France menait aussi une « croisade bicyclettes et cycles divers, 35 000 motocycles et 1909, lutte contre une répression très patriotique15 » dans le secteur touristique motocyclettes et 140 000 automobiles, utilitaires compris, pour 39 millions d’habitants. fréquente – plus de 1,5 contravention par à laquelle le Touring-Club participait 15 L’expression est de Bertrand Larique, thèse citée, automobile et par an –, lutte contre les activement : envoi de colis aux soldats, qui développe ces actions pages 319 e. s. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 93

Le Touring-Club participait activement à Elle était l’une des trois composantes, Le Touring-Club n’était pas seulement ces réfl exions en tant qu’association la avec l’Union du Tourisme Offi ciel (UTO) actif au service de l’État à travers l’UNAT. plus nombreuse et la moins sectorielle, et l’Union des Fédérations des Syndicats Il continuait son œuvre évergétique dans mais ne jouait plus un rôle essentiel. d’Initiative (UFSI), de la Confédération le domaine routier (routes touristiques, Nationale du Tourisme français (CNT), améliorations des chaussées, signali- Le Touring-Club poursuivit ses actions créée en 1922 sur l’initiative de l’Offi ce sation) et dans celui du développement dans le domaine du tourisme. National du Tourisme. des loisirs (il recevait notamment avec le Club Alpin Français des subventions La création de l’Union Nationale des Dans le domaine routier, l’UNAT devint pour l’équipement de la montagne). Associations de Tourisme (UNAT) en juin un prestataire de services de l’État. Elle 1920 par le Touring-Club, l’Automobile- était chargée à partir de 1924 du service En tant qu’association d’usagers, le Club de France, le Club Alpin Français des examens pour l’obtention du permis Touring-Club reconstitua son effectif et la Ligue maritime française, inaugura de conduire, de la formation des inspec- d’avant-guerre de 200 000 sociétaires une nouvelle phase du développement teurs et de la tenue du répertoire général dès 1926. Les adhésions stagnèrent associatif dans le domaine touristique. des permis. En 1926, on lui confi a l’orga- (230 000 adhérents en 1935), puis repri- Le Touring-Club amenait évidemment nisation et le contrôle de la distribution rent pour atteindre 411 698 adhérents le la majorité des adhérents. Rejoints par d’essence. L’UNAT poursuivit, avec 11 août 193916. de nombreuses autres associations l’aide du Touring-Club, l’équipement des sportives, automobiles et de tourisme, routes en poste de secours et en postes Il était cependant moins pugnace l’UNAT comptait 500 000 adhérents en téléphoniques. C’est Léon Auscher qui qu’avant 1914 en faveur des usagers de 1926 et 1 400 000 en 1938. présidait la Commission de signalisa- l’automobile. tion mise en place le 31 janvier 1928, Le premier président de l’UNAT fut organisme para-étatique qui a défi ni la Il participa mollement aux vains efforts Georges Famechon, ancien fonction- signalisation actuelle. d’un groupe de parlementaires17 en naire du ministère de l’agriculture et un faveur de la création d’un Offi ce National des dirigeants du Touring-Club depuis Dans le domaine de la protection du des Routes doté d’un budget autonome. 1910, qui était directeur de l’Offi ce « patrimoine touristique national », le En 1920, il lança ainsi une pétition qui National du Tourisme depuis 1917. Léon Touring-Club continuait à œuvrer et a été recueillit 50 000 signatures d’usagers et Auscher lui succéda à la tête de l’UNAT un des principaux acteurs du vote de la l’avis favorable de 60 Conseils généraux de 1926 jusqu’en 1942. L’UNAT et l’Offi ce Loi du 2 mai 1930 renouvelant la Loi de et de la quasi-totalité des Chambres de National du Tourisme étaient alors dirigés 1913. Elle facilite la protection des sites en commerce ; il était soutenu par toutes les en fait par des membres du Touring-Club instituant un classement avec ou sans l’ac- comme Auscher ou Edmond Chaix. cord du propriétaire des lieux. Elle étend les protections de la Loi de 1913 à des 16 En 1939, la France compte 8,9 millions de Après 1945, le Touring Club et l’UNAT sites historiques ne comportant pas de bicyclettes, 500 000 motocyclettes, 1,9 million furent beaucoup moins entendus dans bâtiments, comme un champ de bataille d’automobiles particulières et 500 000 utilitaires. 17 les sphères administratives du tourisme par exemple, à des lieux de légendes Ce groupe est piloté par le député Yves Le Trocquer, député et ministre des Travaux publics qui s’étaient renforcées. comme la forêt de Brocéliande ou à des de janvier 1920 à juin 1924 et Albert Mahieu, L’UNAT jouait un rôle fondamental dans paysages « typiques ». Cependant, le rôle secrétaire général du ministère de 1920 à 1924, puis sénateur après 1924. Il comprend entre autres le domaine purement touristique (coordi- du Touring-Club, tout en restant impor- Antoine Borrel, président du puissant Groupe du nation des associations, défense des tou- tant, a été plus effacé que dans la période tourisme à la Chambre de 1920 à 1931, et Étienne Clémentel, le créateur du Groupe en 1912, ministre ristes, rôle consultatif auprès de l’État). précédente. des Finances en 1924-1925.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 94 associations automobiles et touristiques 1936 fut saluée par le Touring-Club qui le Touring-Club, auxquels s’ajoutaient ainsi que par l’industrie automobile. estimait qu’il « peut légitimement se les 100 000 adhérents de l’Union des Toutefois, il abandonna sans remord ces fl atter d’y être pour quelque chose et Véhicules de Transport Privé et ceux de parlementaires lors du dépôt du projet de le moins que [l’on] puisse dire c’est qu’il diverses petites associations. Soit près loi le 21 juin 1926, suivant ainsi les autres s’est ainsi moralement qualifi é pour [en] d’un adhérent pour trois véhicules. associations et l’industrie automobile étudier aujourd’hui les conditions d’ap- Le parc automobile d’avant-guerre ne fut soudain opposées à la taxation spécifi que plication20 ». L’attrait du tourisme popu- reconstitué qu’en 1952. La France entrait destinée au budget de l’Offi ce18. laire sur le Touring-Club, combiné à sa enfi n dans l’ère de l’automobile de masse Il s’investit aussi notamment à travers de future stagnation en tant qu’association qui existait en Amérique depuis 30 ans. petites associations fondées par certains d’usagers de la route, sera un deuxième de ses membres et dédiées à l’éducation facteur de sa disparition. En 1953, André Defert, nouveau à la sécurité routière des usagers, pié- président du Touring-Club qui fêtait tons, cyclistes et automobilistes. ses 500 000 sociétaires, annonça le De 1945 lancement d’un « service de secours Le Touring-Club se tint totalement à routier » sur le modèle de celui qui est l’écart de la lutte contre la Coordination à la disparition à la base de l’extension de l’Automobile des transports qui se mit en place lors du Touring-Club Association anglaise, qui compte déjà de la crise de 1930 pour la sauvegarde 1 500 000 membres, et de ceux dispensés du transport de marchandises par le Après 1945, le Touring-Club n’exerçait par l’American Automobile Association chemin de fer19. Cette absence était cer- pratiquement plus d’actions de type (AAA) ou les associations suisse (1937), tainement un des effets de ses liens avec évergétique et se recentrait sur la fonc- belge (1948) et hollandaise21. Il ne faisait l’État à travers l’UNAT et ses diverses tion d’association d’usagers de la route, que constater que les Automobile-Clubs, prestations subventionnées. tout en proposant à ses sociétaires de dont la Fédération battait de l’aile, précieuses informations sur le tourisme n’avaient pas su se saisir de cette ques- Le principal résultat avant 1939 de la lutte et des activités sportives et touristiques tion et se proposait donc de prendre contre la Coordination des transports a traditionnelles. l’initiative. été la constitution, le 8 février 1935, sur une initiative de la Chambre syndicale des La malheureuse décision de développer, constructeurs automobiles, de l’Union en 1972, ses prestations touristiques routière de France qui regroupe tous dans le domaine international a causé sa 18 Ironiquement, lesdites taxes seront quand même votées par le Parlement et tomberont dans le budget les professionnels de la route : travaux perte. général ! publics routiers, constructeurs automo- 19 Sa Revue ne publiera ainsi en 1930 (page 303) biles, transporteurs routiers, pétroliers et qu’un unique article sur le sujet écrit par Raoul L’échec de la création Dautry, le maître d’œuvre de la mise en place de la assurances. Le Touring-Club, comme les d’une « association Coordination. Automobile-Clubs, y adhérèrent mais n’y 20 Léon Auscher, Vacances pour tous, vacances en ont jamais joué un rôle effectif. Or, l’Union de masse » d’usagers toutes saisons, in Revue du Touring-Club, août 1936, p. 245. routière sera, après la guerre, l’adversaire de la route (1945-1972) 21 Revue du Touring-Club, octobre 1953, pages 339- inavoué des associations d’usagers de la 340, éditorial du président André Defert. Ce texte est route et un de leurs fossoyeurs. En 1950, les associations automobiles prémonitoire des diffi cultés à venir, même si Defert les recense sans en mesurer toute l’ampleur. paraissaient fl orissantes, avec 322 405 André Defert (1885-1963), fi ls du 2è président Henry L’apparition du « Tourisme populaire » adhérents en métropole pour les Defert, est avocat au Conseil d’État. Il remplace Henry Gasquet à la tête du Touring-Club de 1952 à 1963. Il avec la loi sur les congés payés de Automobile-Clubs, plus de 350 000 pour est aussi président de l’UNAT. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 95

Le Touring-Club offrait depuis longtemps vice-président spécialement chargé de de nombreux services : il proposait des l’opération. Celle-ci fut rejointe en 1954 assurances automobiles ; il était à la tête par le ministère de l’intérieur et ses de l’UNAT qui faisait passer les examens CRS, puis par divers ministères, l’Union du permis de conduire ; il éditait des routière, le CSNCRA et la Prévention guides ; il délivrait des passeports, des Routière. Le Comité national du Secours documents douaniers et des « livrets Routier Français, mis en place pour d’entraide internationale de l’Associa- diriger le système, l’orienta alors préfé- tion Internationale du Tourisme ». Il mit rentiellement vers le secours aux blessés en place un service de renseignements au détriment du dépannage qui était le par téléphone sur l’état des routes en col- service principal initialement prévu. laboration avec la Gendarmerie en 1954. En octobre 1955, il créa un réseau de En 1964, le nouveau président Marc stations de contrôle, l’Association pro- Eyrolles se mit en devoir de créer fessionnelle pour le contrôle technique « Touring-Secours France » – dit automobile (A. C. T. A.), en collaboration « T.S.F. » – service « payant » de dépan- avec la Chambre syndicale nationale du nage, selon le modèle des secours commerce et de la réparation automo- routiers étrangers, avec des accords bile (CSNCRA). avec un réseau de garagistes, ses lieux d’appel et ses propres patrouilles munies Le nouveau service à créer devait être de liaisons radio. Il débuta dans la Seine une organisation de dépannage des en février 1965, gagna la Seine-et-Oise « automobilistes en diffi culté » qui pou- en juillet 1965, les autoroutes en avril vait éventuellement porter secours aux 1966, Le Havre, Amiens et Lyon en 1969, blessés. Elle comprendrait un réseau de Lille et Strasbourg, Marseille, Rouen, postes d’appel à des centraux pouvant Grenoble, Saint-Étienne, Mulhouse, mobiliser des garagistes agréés et des Dijon, Bordeaux, Nantes, Toulouse et voitures de patrouille. Tours en 1970, et à Nancy et Colmar en 1971. En janvier 1971, Eyrolles annonçait La première étape commença dès l’été que le Touring-Secours France comptait 1953, avec la création du Secours Routier « près de 100 000 adhérents ». Français, service « gratuit » dans la vieille tradition évergétiste du Touring-Club, qui s’occupait d’installer des postes d’appel, 22 d’en diffuser des cartes de localisation Marc Eyrolles (1909-2006), vice-président depuis Le Touring-Club prône la ceinture de sécurité 1953, succède à André Defert fi n 1963. Il est l’héritier dès 1957. Il faudra attendre 1979 pour que son et de fournir à la Gendarmerie des véhi- et dirigeant de la maison d’édition Eyrolles, spécialiste utilisation soit obligatoire partout aux places avant cules pour démultiplier ses « patrouilles des travaux publics et du bâtiment, qui gère aussi et des voitures de tourisme. Ici un des nombreux l’École spéciale des travaux publics créée en 1898 articles de François Toché, rédacteur en chef adjoint motocyclistes » créées dans les années et héberge l’École nationale des travaux publics de de la Revue en juin 1961. Source : Bibliothèque du 1930. Ce n’est pourtant pas l’option des l’État créée en 1954 ; à ces divers titres, il est très Trocadéro, ville de Paris dépendant de l’État. Il accumula les titres associatifs Secours routiers étrangers existants, dans les milieux automobilistes, touristiques, tous payants. Cette décision semble avoir patronaux et dans ceux de la coopération africaine. Il démissionnera en juillet 1980, en pleine débâcle du 22 été très infl uencée par Marc Eyrolles , Touring-Club.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 96

Hélas, il était trop tard ! Le Touring- Secours France plafonna à 135 000 en septembre 1973 et en septembre 1974, alors qu’il y avait 725 000 et 1 400 000 adhérents aux Touring-Secours belges et hollandais et plusieurs millions en Allemagne de l’Ouest. Le Touring- Secours France déclina alors et mourut avec le Touring-Club en 1983.

Le tournant vers la « vente de produits touristiques » et la mort du Touring-Club (1972-1983)

La barre de 500 000 adhérents – dont 90 % d’automobilistes –, fut atteinte Le Touring-Club s’oppose au en août 1953 par le Touring-Club, et lobby automobile dès 1960 en celle des 600 000 en 1960, nombre prenant parti pour la limitation de vitesse. Éditorial du Président qui n’a toujours pas augmenté en 1967. Defert. In Revue de février Malgré la campagne de recrutement 1961. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris lancée en 1968, ses effectifs tombèrent à 530 000 au milieu des années 1970. Cette stagnation était évidemment due Les raisons de cette nouvelle orientation Les défi cits apparus dès l’exercice 1972- à l’impuissance du Touring-Club (et des n’apparaissent pas clairement dans la 1973 furent couverts par des emprunts à Automobile-Clubs) à recruter parmi les Revue où le discours des dirigeants reste court terme, puis par des ventes d’actifs. catégories plus populaires qui accédaient vague, prônant à partir de 196823 un Après le désastreux exercice 1978-1979 à l’automobile et qui n’étaient guère inté- prétendu « retour aux sources » et reste où le chiffre d’affaires culmina à 181 mil- ressées par les activités traditionnelles. muet sur les éléments de stratégie – com- lions de francs, l’activité de « voyages » merciale ? – qui sous-tendent l’extension se réduisit brutalement sur l’exercice Aussi, en 1972, le Touring-Club se lança-t-il massive des activités du Touring-Club suivant où le chiffre d’affaire fut ramené dans une politique de commercialisation dans la vente de produits touristiques. à 127 millions de francs. Les charges de à outrance de « circuits » et de « séjours cette réduction d’activité (licenciements, de loisirs » dont le poste passa de 7 % La période était particulièrement mal des recettes sur l’exercice 1971-1972 à choisie : les séjours et voyages de 23 40 % en 1972-1973, tandis que son chiffre vacances à l’étranger connaissaient une Marc Eyrolles, président du Touring-Club depuis 1964, propose ainsi en février 1968 dans un éditorial d’affaire total faisait un bond de 52,4 à crise au début des années 1970 ; c’est de la Revue intitulé « Retour aux sources », de revenir 96,4 millions de francs. En fait, il s’agissait ainsi que le Club Méditerranée frôla la à « la mission première du Club […] l’intérêt public […]. La civilisation des loisirs doit être nourrie de surtout de « séjours» à l’étranger. faillite en 1974. beauté ». n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 97 etc.) étaient trop lourdes pour l’associa- l’Équipement se désintéressa du sort de Conclusion tion dont les actifs avaient fondu et dont ses activités en tant qu’association d’usa- les effectifs diminuaient toujours. gers de la route, laissant les services du La non-représentation tourisme régler le devenir de ses biens En mai 1981, il n’y avait plus que 300 548 touristiques. des automobilistes sociétaires et le défi cit de l’exercice en France 1979-1980 représentait 25 % des charges Le Touring-Club, après avoir tenté de d’exploitation. Eyrolles démissionna pallier – mais trop tard – la défaillance La France est donc privée d’une grande en décembre 1980 et son remplaçant, des Automobile-Clubs à créer une organisation des usagers de l’automo- le banquier Yves Malécot, en mai 1981. association de masse dans les années bile. Il ne saurait être question de fi xer ici Mis sous administration judiciaire le 1950, est mort d’avoir tenté de devenir les responsabilités de cet échec. 1er juin 1981, le Touring-Club fut mis en brutalement une grande organisation liquidation fi n 1983. Le ministère de des loisirs organisés. Les dirigeants du Touring-Club en eurent évidemment leur part. Ils ne surent pas choisir entre la fonction d’association d’automobilistes usagers de la route et celle d’association touristique qui n’était plus de mise dès les années 1950. Quant à son rôle évergétique, ce n’était qu’un fantôme qui n’apparaissait plus que dans sa Revue.

Pour un nominaliste, le nom de l’associa- tion même, qui évoquait le « tourisme », fut peut-être ce qui les empêcha de faire ce choix. De fait, toutes les grandes asso- ciations nationales étrangères actuelles comportent le mot « automobile » dans leur dénomination. L’association avait toujours été très cen- tralisée et ses derniers présidents, André Defert, élu à 67 ans en 1952, et Eyrolles, chef d’entreprise surchargé, n’étaient sans doute pas les mieux à même de trancher. Ce dernier causa fi nalement la chute de l’association par son choix hasardeux de développer la vente de voyages et séjours de loisirs en 1972. Ce que l’on peut dire est que le Touring- Club avait eu seul le courage de tenter l’aventure de l’association de masse. Il Un dépannage Place de la Concorde par une des voitures de Touring-Secours France. In Revue, juillet-août 1965. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris semble que les grands Automobile-Clubs

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 98

étrangers durent tous leur réussite à la notamment le dépannage, et connaître éclata avec le départ de l’Automobile-Club mise en place des services d’assistance la réussite des Automobile-Clubs de l’Ouest. Aujourd’hui, leur audience « payants » dans une « fenêtre » de l’évo- nationaux étrangers. Ils ne virent certai- totale serait de l’ordre de 250 000 lution des taux de motorisation située nement pas d’un bon œil la tentative du adhérents. vers 50 voitures pour 1 000 habitants qui Touring-Club. fut atteinte en France dès le début des L’Union routière eut certainement une années 1950. Le Secours Routier Français Leur audience plafonna à 450 000 inscrits grande part de responsabilité. Elle créa en gratuit de 1953 ne répondait pas à ce vers 1970. En juin 1979, inquiets du 1949 sa propre association nationale d’au- schéma. En 1963, lors du lancement de déclin de leurs effectifs, certains Clubs tomobilistes, la Prévention Routière, dirigée Touring Service, le taux de motorisation ont créé l’Association Française des jusqu’en 1974, sous des titres divers, par français atteignait déjà le triple. Automobilistes (AFA), vite rejointe par son propre président, Georges Gallienne. Le particularisme forcené des la totalité des Automobile-Clubs, ce qui Très liée à l’Administration d’État, bénéfi - Automobile-Clubs français fi t qu’ils ne entraîna la dissolution de la vieille et ciant de ses subventions et du soutien des tentèrent jamais de créer une puissante décriée Fédération Française des Clubs Assurances en grande partie nationalisées, fédération nationale qui eut pu offrir Automobiles (FFCA). Mais, dès 1980, l’As- la Prévention Routière a mené la politique des services sur tout le territoire, sociation Française des Automobilistes des transporteurs routiers, des construc- teurs automobiles et des assureurs qui dirigeaient l’Union routière.

Le Touring-Club, qui prit parti dès 1957 pour la ceinture de sécurité et dès 1960 pour la limitation de vitesse en rase cam- pagne – toutes deux honnies, à l’époque, par les constructeurs automobiles –, et qui propose avec Touring-Secours France un service de dépannage que les Assurances prétendaient offrir à leurs clients, ne pouvait apparaître que comme un adversaire à abattre à l’Union rou- tière. Il est signifi catif que la Prévention Routière se soit opposée jusqu’au début des années 1970 à la ceinture de sécurité et à la limitation de vitesses sur route. Quant à l’Administration, elle ne fut pas tendre envers le Touring-Club dans les années 1960, années cruciales pour l’insécurité routière, qui virent aussi le début du déclin des associations Le Touring-Club se lance dans la d’usagers de la route. En 1971, l’UNAT, commercialisation de circuits et séjours de vacances à partir de après des attaques répétées, perdit son 1971. Ce sera sa perte. In Revue activité de délivrance des permis de 1972. Source : Bibliothèque du Trocadéro, ville de Paris conduire, transférée à un établissement n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 99

Note de l’éditeur L’Harmattan public à caractère administratif, le 1970 où trônaient les cinq présidents l’automobile, est aujourd’hui la plus SNEPC (Service national des examens de l’Union routière, de la Prévention dépourvue dans ce domaine de tous les du permis de conduire). Routière, de la Chambre syndicale du grands pays industrialisés. Les automobi- Il est emblématique de la défi ance – voire pétrole, des Assurances Générales de listes ne peuvent plus s’y faire entendre, de l’animosité – de l’Administration France et de la Chambre syndicale des mais ceci est une autre histoire. envers les associations automobiles que constructeurs automobiles…  le Touring-Club et les Automobile-Clubs La morale – s’il y en a une – de cette his- aient été les grands « exclus » de la Table toire est que la France, qui avait inventé Ronde de la sécurité routière de 1969- la première association d’usagers de

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 100 en perspective

dont il a été l’objet de la part des ennemis de Napoléon III. L’ouverture récente de Le département fonds d’archives privées a permis de pré- ciser son rôle et de mieux analyser ses Mémoires, un plaidoyer pro domo tardif, de la Seine et son mais aussi une source essentielle par la précision des données, ce qui compense en partie la disparition des archives service des Ponts municipales dans le grand incendie de l’Hôtel de ville sous la Commune. La nouvelle édition de ses Mémoires, et Chaussées complétée par une introduction générale de Françoise Choay, reste une référence incontournable (2e et 3e parties, pp. 433 de 1853 à 1966 à 1123, Le Seuil, 2000). Il est utile de compléter ce plaidoyer par des lectures par Jean-Paul Lacaze, ingénieur général honoraire critiques, par exemple « Haussmann au crible » de Nicolas Chaudin (éditions des Syrtes, 2000).

Sur la seconde étape, je m’appuie sur l’article d’Alain Cottereau, « L’apparition Dans la géographie administrative de naux. Je me contenterai ici d’une intro- de l’urbanisme comme action collective : la France, le département de la Seine a duction pour situer l’importance du sujet l’agglomération parisienne au début occupé une place exceptionnelle par sa et mettre l’accent sur le rôle du service du XXè siècle » publié dans la revue de forte population concentrée sur une sur- des Ponts et Chaussées. Sociologie du travail1. La dernière étape face limitée à 0,3 % du territoire national. repose sur mes souvenirs personnels Son histoire est donc originale et forte- Elle porte sur les trois étapes qui me issus de mon affectation au service des ment liée au destin national de Paris. paraissent les plus importantes, à savoir : Ponts et Chaussées de la Seine de 1960 Chaque année, des dizaines d’ouvrages V la mise en place d’une administra- à 1965. savants précisent les moindres détails de tion départementale moderne par l’histoire de Paris ; toutefois l’interroga- Haussmann ; tion des moteurs de recherche internet V l’œuvre pragmatique du Conseil géné- Haussmann et ne cite aucune thèse sur l’histoire du ral de la Seine entre les deux guerres ; département et un seul livre publié, un V l’ouverture à l’urbanisme du service les administrations annuaire statistique concernant l’an- des Ponts et Chaussées de la Seine entre née… 1842 ! 1960 et 1965. territoriales

Un article ne peut suffi re à combler ce Les sources disponibles ne sont nom- En 1853, le baron préfet se voit confi er vide. J’aimerais qu’il retienne l’attention breuses que pour la première étape. Le par Napoléon III le grand projet de de chercheurs qualifi és, car les archives souvenir d’Haussmann reste obscurci modernisation de la capitale. Il lui remet restent à explorer par des travaux origi- par nombre de calomnies mensongères un plan dessiné de sa main qui restera, n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 101

avenue de Paris (bien plus élégante, soit dit entre nous, que les Champs-Élysées !) est une délibération du Conseil général de la Seine décidant « la rectifi cation du chemin départemental allant de la bar- rière de l’Étoile au pont de Suresnes ». Car l’extension du territoire de la ville n’est pas encore effectuée lors du lance- ment des travaux.

Les effectifs des deux administrations, celle du département et celle de la ville, sont beaucoup trop réduits par rapport à l’ampleur de la tâche. Haussmann se montre un administrateur en avance sur son temps en les réorganisant complète- ment et en multipliant les innovations. Il Avenue de l’Opéra − Chantier de la Butte du Moulin instaure le permis de construire comme et de la rue Saint-Roch. Photographe(s) Marville, Charles - ©École des Ponts ParisTech règlement municipal, un siècle avant que l’État ne généralise cette procédure. Il crée un corps d’architectes voyers pour contrôler le respect des règles sous verre, sur le bureau d’Haussmann2. entend court-circuiter les ministères en d’urbanisme rigoureuses fondées sur Ce plan précise les principales percées maîtrisant seul le dispositif d’action. En un principe de régularisation du tissu à réaliser. Cette méthode des percées toute immodestie, il se veut « plus puis- urbain. En annexe de ses Mémoires, n’est pas une innovation : le préfet sant qu’un ministre ». La Constitution sept pages d’organigrammes donnent Rambuteau l’a utilisée pour la rue qui de l’époque lui en donne les moyens. le détail de cette double administration, porte son nom, et de nombreuses villes En tant que préfet, il détient le pouvoir départementale et communale. de province y avaient déjà fait appel pour exécutif dans le département et dans la aérer leurs centres. Ce qui est novateur, ville. Les membres du Conseil général et Haussmann apprécie particulièrement c’est l’ampleur et la cohérence d’un pro- du Conseil municipal de Paris sont nom- le concours des ingénieurs du corps des jet qui s’étend bien au-delà des limites de més par le gouvernement, et suivront Ponts. Dans ses postes précédents, il a la ville sur la zone peu construite située docilement. Il agit donc dans ce cadre. repéré les compétences d’Alphand et de entre l’enceinte des fermiers généraux, qui subsiste comme barrière d’octroi, et Une anecdote illustre ce principe géné- les fortifi cations de Thiers. ral. L’avenue de l’Impératrice, l’avenue Foch d’aujourd’hui, est une réalisation 1 Alain Cottereau étudie les rapports de force et La mise en œuvre d’un tel projet implique splendide basée sur la transition entre d’infl uence entre les administrations centrales et les élus locaux de Paris et de la Seine dans un long article un changement radical du rythme et le paysagisme à l’anglaise du bois de publié en deux parties par la revue de Sociologie du du coût des travaux. Pour des raisons Boulogne et la rigueur de l’urbanisme travail (n° IV 1969 et IV 1970). 2 d’effi cacité et pour s’assurer d’en référer d’îlots compacts de la capitale. L’acte de L’original, détruit dans l’incendie de 1871, a pu être reconstitué grâce à une copie remise par Napoléon III directement à l’Empereur, Haussmann naissance administratif de la plus belle au roi de Prusse lors d’une visite de ce dernier à Paris.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 102

Belgrand qu’il fait venir à Paris3. Ils ont le Trocadéro et la Muette, en 1933. Ce été des maîtres d’œuvre de grand talent, schéma a inspiré Bienvenüe pour le tracé Le département le premier pour les aménagements du réseau du métro. La superposition paysagers et le second pour les réseaux des deux schémas donne une lisibilité de la Seine sous d’adduction d’eau et d’égouts. Le nombre exceptionnelle à la géographie urbaine total d’ingénieurs du corps en poste dans de Paris. la troisième ces deux administrations passe de 15 en 1850 à 36 en 1856. Haussmann, comme L’image urbaine si cohérente de Paris République beaucoup de grands patrons, est à la résulte, pour l’essentiel, du fait que l’ad- fois exigeant et fi dèlement attaché à ses ministration applique durablement les La fi n puis la chute du Second Empire collaborateurs dont il énumère tous les principes de la « régularisation » voulue marquent un tournant pour les missions noms dans ses Mémoires. Il n’hésite pas par Haussmann : construction à l’aligne- des ingénieurs en charge des réseaux de à les convoquer à une réunion de travail à ment pour former des îlots compacts voirie en raison du rôle accru dévolu aux 23 heures où il arrive en grand uniforme de hauteur constante ; balcons fi lants Conseils généraux. Sur cette évolution, chamarré au sortir d’une réception au 2è et 5è étages, matériaux imposés. nous disposons d’une étude détaillée offi cielle. Il épluche tous les mémoires Une évolution s’est produite cepen- avec le livre de Jean-Claude Thoenig6, techniques qui lui sont soumis et taquine dant. À cette époque, la construction « L’administration des routes et le pou- ses ingénieurs en leur disant qu’ils n’ont d’immeubles de logement s’opère, de voir départemental, vie et mort de la pas de chance d’être sous les ordres d’un manière pratiquement exclusive, par des vicinalité ». préfet « qui sait les mathématiques ». investissements de familles bourgeoises enrichies. Les « beaux immeubles » sont L’intervention des départements dans La lecture des mémoires des principaux des biens de familles. La tradition veut le domaine routier se prépare sous le acteurs de l’haussmannisation de Paris que les occupants soient en même temps Second Empire avec la loi du 18 juillet rend compte d’une identité de vue sans propriétaires et locataires : propriétaires 1866. Elle se renforce et s’organise, avec réserve, d’une cohérence dans l’action, indivis d’un patrimoine collectif, et la loi du 10 août 1871. Sans attendre gage d’effi cacité. Après la révocation locataires du logement qu’ils occupent. que le débat constitutionnel opposant d’Haussmann par Émile Ollivier – une Cette bourgeoisie est férue d’ostentation bien médiocre vengeance politicienne4 et multiplie les signes extérieurs de – les deux administrations territoriales richesse : vêtements, bijoux, meubles, 3 Cf les notices sur ces deux personnalités que j’ai ont à cœur de devenir les gardiens de œuvres d’art, etc. La trop grande rigueur rédigées dans « 250 ans de l’École des Ponts en cent la doctrine. Alphand et Belgrand ont de la façade haussmannienne ne leur portraits », ouvrage collectif, sous la direction Guy continué à jouer des rôles essentiels convient pas, car elle ne permet pas de Coronio, Presses de l’École nationale des Ponts et Chaussée, 1997. jusqu’à la fi n du siècle. Deux exemples multiplier de tels signes. Petit à petit, 4 Les deux hommes s’étaient rencontrés dans le témoignent de cette volonté collective l’administration dessère le carcan, en Var, l’un comme préfet et l’autre comme député de continuité. autorisant des variations comme les républicain opposé à l’Empire. Ollivier participa 5 activement à la tentative d’insurrection qui suivit oriels . Elle stimule la créativité archi- l’élection présidentielle de 1850 et qui fut rapidement Le schéma d’ensemble des percées est tecturale par des concours de façades et maîtrisée par l’énergique préfet. 5 poursuivi sans changement mais de permet à Paris de jouer un rôle marquant bow-window en franglais. 6 Éditions Cujas, 1980. Sociologue des organisations, manière plus progressive. La section dans cet âge d’or des beaux immeubles JC Thoenig a notamment suivi de près la création centrale du boulevard Haussmann n’a été qui concerne toutes les grandes villes du ministère de l’Équipement en 1965 et la fusion des services responsables, d’une part, des travaux percée qu’en 1927, et l’ultime maillon, la européennes dans les décennies précé- publics et, d’autre part, de l’urbanisme et de la percée de l’avenue Paul Doumer entre dant la guerre de 1914. construction. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 103

Viaducs de la rue de la Voûte−du−Cours et du cours de Vincennes − Vue prise de la voie enconstruction pendant la démolition du viaduc en maçonnerie de la rue de la Voûte−du−Cours − 1er mai 1888. Syndicat du chemin de fer de ceinture de Paris. Suppression des passages à niveau entre le tunnel de Charonne et la rue de Charenton. Photographe(s) Broise, Albert Auteur(s) Ocagne, Maurice d’(aut.) ©École des Ponts ParisTech républicains, légitimistes et orléanistes mise en œuvre et les confl its que cette et d’entretien de leurs routes ; ils peuvent soit tranché par l’amendement Wallon de innovation a suscités entre services et aussi répartir les missions entre service 1875, le principe d’une large décentrali- entre ministères. d’État et service vicinal. sation s’impose ainsi dans le domaine Le Conseil général de la Seine choisit routier. Il va concerner au premier chef La loi de 1871 permet aux Conseils géné- aussitôt la seconde solution. On peut le rôle du corps des Ponts et Chaussées. raux de choisir entre trois modes de ges- présumer que le souvenir de l’autorita- Ce dernier perd sa situation de quasi- tion des réseaux secondaires dont ils ont risme d’Haussmann a joué pour inciter monopole de décision en matière de désormais la responsabilité. Ils peuvent les élus à prendre leur indépendance. routes qu’il détenait depuis sa création demander que le service départemental L’importance de la population départe- sous Louis XV. La vicinalité, ou plutôt des Ponts et Chaussées les prennent en mentale dote la collectivité d’un budget les vicinalités, comprenant diverses charge ; ils peuvent créer un service vici- conséquent, et donc de marges de catégories de routes voit le jour. Le livre nal placé sous leur autorité et lui confi er manœuvre importantes. À ce propos, il de Thoenig6 retrace les diffi cultés de la totalité des missions de construction n’est pas inutile de souligner qu’Hauss-

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 104 mann n’a nullement ruiné la Ville et le Les grands travaux d’Haussmann ont eu Cette période est marquée par de nom- Département pour fi nancer ses travaux, pour conséquence d’accélérer l’embour- breux confl its entre pouvoirs locaux et contrairement à une calomnie de plus. geoisement de Paris. L’ampleur de la tra- sociétés privées concessionnaires de Le premier réseau de percées s’est gédie de la Commune, en 1871, tient en services publics. Soucieuces de mieux autofi nancé par la revente de terrains à partie au sentiment du petit peuple qui défendre les intérêts des utilisateurs, bâtir jouxtant la voie nouvelle, car la Ville se voit chasser des quartiers centraux les collectivités territoriales s’organisent avait pu exproprier de larges bandes de et ne peut plus jouer de rôle politique pour assurer une meilleure gestion de ces terrain. Deux retournements de juris- national comme acteur des révolutions services. Elles vont trouver un appui dans prudence conduiront à interdire cette parisiennes, comme il le faisait depuis l’émergence de réfl exions fondamentales méthode par la suite. 1789. sur l’urbanisme autour du Musée social fondé par Jules Siegfried en 1895. Cette Mais la croissance rapide des recettes Le rejet des classes populaires vers convergence d’intérêts est au cœur du d’impôts locaux permet un taux d’autofi - la banlieue, puis l’essor du socialisme débat sur un enjeu très important. L’État nancement de 60% grâce aux excédents municipal dans les derniers décennies décide de déclasser les fortifi cations de du budget de fonctionnement. Les du siècle ont entraîné la formation de Thiers, libérant d’un coup une emprise droits d’octroi apportent la principale la « ceinture rouge » autour de Paris. circulaire de 450 hectares et une zone de ressource, facile à percevoir grâce à Progressivement, les partis de gauche servitudes (non edifi candi) de 800 hec- la barrière des fermiers généraux tou- gagnent des sièges au Conseil général tares. Mais l’opportunité de créer une jours en place, et qui croît avec l’essor et fi nissent par détenir la majorité à une magnifi que ceinture verte reliant les bois économique et démographique rapide date sans doute voisine de la guerre de de Boulogne et de Vincennes ne sera pas de l’époque. Les emprunts complémen- 1914-1918. saisie, et les terrains se verront affectés taires sont remboursés aisément. À la fi n progressivement à des programmes du siècle, les fi nances de la Ville sont si L’article d’Alain Cottereau décrit locaux, réservant seulement l’emprise saines qu’elle va pouvoir prendre la maî- comment cette majorité va investir d’un boulevard, les périphériques trise d’ouvrage du métro sous statut de progressivement les champs des équi- actuels7. voie ferrée d’intérêt local, assurant ainsi pements urbains sans les replacer, dans Dans la Seine, l’évolution correspondante à elle seule le fi nancement de quelque un premier temps, dans le champ global s’appuie sur une idée clef : organiser une 200 Km de tunnels et de viaducs ! de l’urbanisme. La première intervention péréquation fi nancière entre Paris, dont du Conseil général concerne, dès 1878, on a vu le potentiel fi scal considérable – Faute de documentation accessible, je le vif débat qui oppose l’État à la Ville Haussmann le chiffre à cinq fois celui du ne dispose pas d’informations sur la de Paris sur le rôle et le statut juridique Département et des communes pauvres manière dont le Conseil général de la du métro. Tout en appuyant la position de la banlieue. Grâce à Haussmann, la Seine organisa son service routier ni sur de la Ville, l’assemblée départementale Ville a atteint un niveau d’équipement ses rapports avec le service des Ponts souligne que le réseau local devra très complet, ce qui ne nécessite plus de l’État. La présence de nombreux se prolonger en banlieue. Elle envoie d’investissements importants, alors que ingénieurs des Ponts dans les services une mission d’études à Londres pour la banlieue est fortement sous-équipée. propres de la Ville et du Département préciser ses intentions à long terme. À Le Département se pose en responsable est certaine, mais leurs rôles restent à cette occasion, les Ponts et Chaussées de ce que nous appellerions aujourd’hui préciser au-delà de celui des ténors que de Paris sont transformés en un service sont Alphand, Belgrand et Bienvenüe. municipal, en charge, d’une part, de la 7 La fi n du XIXe « voirie parisienne », et, d’autre part, des Cette zone est couverte d’habitats précaires, siècle est marquée par un bidonville où se réfugient des populations mal l’essor démographique de la banlieue. « travaux neufs et du métro ». intégrées, les « zonards ». n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 105 les grands équipements structurants de routes. Il lance aussi un programme de jusqu’à la Croix de Noailles dans la forêt la banlieue. Il se défi nit lui-même comme parcs paysagers départementaux. de Saint-Germain pour y localiser un une « super-collectivité » et revendique pôle de développement qui est devenu, une responsabilité de niveau national. Le Département joue un rôle exemplaire en 1958, l’opération de la Défense. Le Les lignes de métro s’arrêtent aux dans le domaine du logement social. Conseil général décide de consacrer le limites de Paris en raison de leur statut L’Offi ce départemental d’habitations à nouvel espace à la mémoire des maré- de VFIL (voie ferrée d’intérêt local). Le bon marché, présidé par Henri Sellier, chaux vainqueurs de la guerre de 14-18, Département se porte maître d’ouvrage réalise nombre de programmes dont et lance successivement deux concours des prolongements en banlieue. Son les célèbres « cités-jardin » qui restent, d’architecture8. Un début de réalisation budget routier, s’il garde la dénomina- encore aujourd’hui, des réalisations commence pendant l’occupation, au titre tion à consonance rurale de « chemins parfaitement adaptées au mode de vie de la lutte contre le chômage. départements », est affecté à des axes des classes populaires. Cette leçon de urbains structurants, notamment les savoir-faire architectural et urbanistique Peu avant la seconde guerre mondiale, le rocades indispensables entre les grandes a été malheureusement rejetée, après Conseil général met à l’étude deux projets radiales qui sont routes nationales la seconde guerre mondiale, au nom de villes nouvelles, l’un à La Courneuve (pour la petite histoire, le point kilomé- du dogme fonctionnaliste des grands et l’autre sur Châtenay-Malabry et Le trique zéro des grands axes radiaux se ensembles. Plessis-Robinson, opération préparée situait sur le parvis de Notre Dame !) par le rachat de la ligne de Sceaux La loi Cornud et du 14 mars 1919 crée suite à la faillite de la société privée L’alimentation en eau potable et l’assai- la première législation d’urbanisme en concessionnaire de cette voie ferrée. La nissement de la banlieue sont particu- France. Elle prescrit l’établissement de défaite de 1940 ne permet pas d’engager lièrement diffi ciles à organiser. La Ville « plans d’agrandissement et d’embellis- ces grandes opérations, mais l’idée de dispose, grâce aux travaux de Belgrand, sement » dans les communes de plus de la nécessité de changer d’échelle pour des ressources des aqueducs de la 10 000 habitants. Un décret-loi du 14 mars organiser la croissance de la banlieue est Vanne et du Loing et d’un double réseau 1932 permet de l’étendre à l’échelle des restée au cœur du schéma directeur de de distribution (eau potable et eau de agglomérations urbaines. Sans attendre, 1965 élaboré par Paul Delouvrier et le Seine pour les autres usages) ainsi que le Département de la Seine lance les District de la Région de Paris. d’un réseau d’égouts complet jusqu’aux études préalables qui aboutissent à l’ap- L’initiative du Département de la Seine champs d’épandage d’Achères. Mais elle probation du Plan Prost en 1935. Après n’est pas isolée. D’autres Conseils géné- refuse catégoriquement de partager ces les étapes partielles rappelées ci-dessus, raux lancent de grands équipements privilèges avec les communes voisines. le Conseil général prend en main la structurants à l’exemple de celui du Le Département met en place les grands responsabilité globale de l’urbanisme Rhône qui, en 1928, décide la construc- syndicats de gestion nécessaires qui réglementaire et opérationnel. Il crée tion d’un grand boulevard de ceinture fi nancent deux usines de traitement une direction de l’extension et un bureau – 13 Km de long, 55 m d’emprise, 67 d’eau sur la Marne et la Seine en amont d’études d’urbanisme gratuit pour les millions de francs de travaux – ainsi que de Paris ainsi que deux grandes conduites communes afi n de coordonner les plans l’aménagement du Parc de Parilly. maîtresses qui contournent Paris, une au communaux : 72 des 80 communes nord et une au sud. De même, il fi nance, suburbaines y font appel. 8 après la départementalisation de ce L’un des propositions importantes du Lacaze, Paris, urbanisme d’État et destin d’une ville, Ch IV, Flammarion, 1994. Les projets ont réseau, deux grands collecteurs d’égouts Plan Prost consiste à prolonger l’axe été publiés dans la célèbre revue L’illustration. sur des tracés voisins, ainsi que les petits des Champs-Élysées, de l’avenue de la Le centre d’informations de La Défense, situé à côté de la statue éponyme, rassemble des plans et collecteurs longeants placés sous les Grande Armée et de l’avenue de Neuilly maquettes sur l’histoire de l’axe majeur.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 106

fi cultés fi nancières de l’après-guerre ne permettent de poursuivre cette grande œuvre que de manière marginale. Les années 1960 et l’invention de l’Équipement

Le régime de Vichy met fi n au régime d’une vicinalité autonome par un décret du 26 décembre 1940. Dans tous les départements, le service des Ponts et Chaussées le remplace pour toutes les tâches d’étude et de travaux. Le vote du budget des routes départementales reste de la compétence du Conseil général, mais le préfet reprend la responsabilité du pouvoir exécutif de cette collectivité territoriale et contrôle la mise en œuvre effectuée par le service des Ponts.

Dans le cas de la Seine, je n’ai pas connaissance de la manière dont cette transition s’est effectuée. Lors de mon affectation dans ce département, en 1960, le service des Ponts avait une « double casquette » ; outre ses compé- tences d’État, il jouait le rôle d’une direc- tion de l’administration départementale dans l’administration haussmannienne toujours en place, toujours aussi impor- tante - 40 000 agents - et toujours fi dèle Source : In la revue de Sociologie du travail (n° IV 1969 et IV 1970) à sa doctrine. À ce titre, les ingénieurs des Ponts et des TPE bénéfi ciaient d’un surclassement dans l’administration départementale. Le schéma ci-joint, repris de tégique qui traduit en priorités opéra- l’article d’Alain Cottereau, met tionnelles les options du plan Prost. Mais En ce qui concerne les fonctions d’État, la clairement en évidence la vision stra- la guerre de 1939, puis les grandes dif- banlieue était gravement sous-adminis- n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 107 trée. Avec ses trois millions d’habitants, l’organisme d’études du District de la Cette position de principe nous posait un huit fois la population d’un département Région de Paris créé sous l’autorité de problème très diffi cile. Il fallait raccorder moyen de province, les services de l’État Paul Delouvrier. Ces rôles ont permis les autoroutes au boulevard de Paris par en banlieue étaient uniquement représen- au District d’utiliser la connaissance fi ne des tracés qui éventreraient la banlieue tés par quatre arrondissements avec une de la banlieue, dont notre service, pour sans la desservir, alors que les embou- sous-préfecture, un ingénieur des Ponts, préparer ses projets dans un contexte teillages quotidiens avaient déjà pris et trois ou quatre subdivisionnaires. où les risques de déclencher des fl am- beaucoup d’importance. Cette question bées de spéculation foncière étaient était cruciale pour la cohérence et la En dépit de ses moyens restreints, notre considérables. continuité du premier réseau autorou- service était apprécié des maires, car il tier, la direction des Routes dota notre était le seul service d’État présent à leurs Toutefois, un problème exclusivement service des crédits d’études nécessaires côtés. Au total le service des Ponts dis- routier, obligea notre service à mettre pour étudier l’aménagement de larges posait, sous l’autorité de l’ingénieur en en œuvre des méthodes nouvelles bandes de terrain entourant le tracé de chef, de deux ingénieurs en chef adjoints, d’étude et de réalisation. L’État avait l’autoroute et rendre ainsi l’opération deux arrondissements fonctionnels – enfi n décidé de lancer un programme valorisante pour les communes tra- transports publics et grands travaux - et autoroutier. À la suite de vifs débats avec versées. Dans chaque arrondissement quatre arrondissements territoriaux. les grandes collectivités territoriales, territorial, une nouvelle subdivision, l’arbitrage rendu prévoyait que les axes dite d’aménagement, fut créée pour La surcharge de travail était considérable interurbains seraient concédés et donc mener ces études. Les crédits routiers à tous les niveaux par rapport à la situa- payants, alors que les pénétrantes dans permirent de recruter des architectes tion créée par le découpage de 1966, les agglomérations seraient gratuites. et des chargés d’études pour constituer où ce territoire disposait désormais de Lyon a su en tirer parti pour faire payer des équipes pluridisciplinaires, une trois administrations départementales à l’État le tunnel de Fourvières dont nouveauté qui s’inspirait des méthodes complètes. La tradition voulait que tout l’utilité était surtout locale, une décision développées par l’IAURIF. nouvel ingénieur des Ponts affecté dans singulière qui faisait passer dans la cour Le projet pilote est lancé dans l’arron- le département occupe pendant quelques de la gare de Perrache le tronc commun dissement est par Georges Pébereau. années le poste des transports avant de aux autoroutes Dunkerque-Nice et L’actuelle autoroute B3, baptisée se voir confi er un arrondissement terri- Luxembourg-Barcelonne ! plus diplomatiquement « Antenne de torial. Ce poste, notamment chargé du Bagnolet », permit de lancer un pro- contrôle de la RATP, permettait de s’initier Mais, dans le cas de la Seine, nous n’avons gramme urbanistique d’envergure sur aux caractères spécifi ques d’une grande jamais réussi à faire prévaloir auprès de les communes concernées. En charge métropole, avec une vue d’ensemble la direction des Routes la nécessité de de l’arrondissement ouest, j’ai étudié le indispensable à l’effi cacité de l’action. desservir la banlieue par les nouvelles raccordement direct de l’autoroute du À l’occasion de mon arrivée, l’ingénieur autoroutes. Pour la première réalisée, sud-ouest aux boulevards périphériques en chef Émile Bideau avait redéfi ni les l’autoroute du sud, l’échangeur d’Orly a de Paris, où elle devait se poursuivre attributions du poste. À ce titre, il me fi t été dessiné sans sortie vers la banlieue. jusqu’à la gare Montparnasse sur une nommer conseiller technique à temps Les usagers astucieux ont vite appris à 9 partiel auprès de deux organismes maîtriser le dédale des voies de desserte Cette autorité concédante des transports urbains a été rebaptisée Syndicat des Transports d’Île- nouveaux qui se mettaient en place, le des parkings afi n d’accéder à l’autoroute, de-France à l’occasion de son rattachement à la Syndicat des Transports parisiens9 et mais il faudra des dizaines d’années avant Région 10 l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme que l’on se résigne à créer une sortie Créé peu avant sous le statut inhabituel d’une fondation, il passe sous l’autorité du District de la 10 de la Région Parisienne , qui devint simple et directe sur la RN 7. Région de Paris.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 108 emprise dégagée par une vaste opération mentaux des Ponts de prendre cette veaux emplois tertiaires et leurs tours de rénovation urbaine. compétence. La plupart avaient refusé, de bureaux se sont concentrés dans les peu enclins à sortir de leurs techniques départements riches du sud-ouest. De cet ambitieux projet qui n’a pas sur- familières. vécu au débat sur la place de la voiture Et le projet actuel dit du Grand Paris en ville, il ne subsiste comme témoin L’idée de la fusion des ministères aboutit ne peut que renforcer ces tendances que le grand passage souterrain sous à la nomination d’. Il choisit lourdes. la nouvelle gare ! Pour traverser la ban- Georges Pébereau comme directeur de lieue, nous disposions de l’emprise de cabinet, une fonction qu’il cumulait avec La Région Île-de-France présente cette la voie ferrée de Paris à Gallardon, une la Direction de l’Aménagement Foncier originalité d’être la seule collectivité des dernières réalisations du programme et de l’Urbanisme. Nommé ingénieur territoriale qui soit à l’échelle d’un grand Freycinet où il ne manquait plus que les général, Émile Bideau coprésida avec un bassin d’habitat. Mais les ressources par rails, lors de l’arrêt des travaux en 1939. inspecteur général de la Construction, contribuable des régions sont beaucoup L’étroitesse de l’emprise conduisit à la « mission Bideau-Foch » chargée plus faibles que celles des collectivités projeter un viaduc à double étage pour de veiller à ce que les fusions locales plus petites. Le moteur de la péréquation éviter des expropriations. Cette emprise, se passent bien. Son premier adjoint, fi nancière dont l’action du Département que la SNCF était prête à abandonner, est Maurice Durand-Dubief devint directeur de la Seine a mis en évidence l’effi cacité, affectée aujourd’hui au TGV Atlantique. du personnel. En tant que professeur manque aujourd’hui. d’urbanisme à l’ENPC, je formais des  Ces méthodes de travail ont servi générations d’assistants et d’étudiants. d’exemple, après la fusion des ministères des Travaux Publics et de l’Urbanisme Le destin du département s’est achevé en 1966, pour les nouvelles directions avec sa suppression en 1966. Si le prin- départementales de l’Équipement. Les cipe d’un découpage pouvait se justifi er ingénieurs de la Seine ont joué des rôles pour rapprocher les administrations personnels importants dans la fusion des citoyens, le principe trop politique des ministères, notamment l’ambition de d’isoler l’électorat de gauche dans la Georges Pébereau. Il prit la présidence Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne a du PCM11 sur le projet de désengager les entraîné des modalités peu effi caces. forces vives du corps de leur tradition Le découpage en couronnes ne corres- provinciale pour investir les problèmes pondait pas aux logiques économiques urbains qui prenaient une ampleur consi- et sociales qui auraient été mieux res- dérable avec l’exode rural. Entre 1950 et pectées par un découpage en « parts de 1975, un tiers de la population française tarte ». Alors que la région connaissait quitta les campagnes pour les villes, ces une forte ségrégation sociale entre les dernières voyant leur population aug- communes, le redécoupage ajoutait une menter de 50 % de manière relativement disparité entre des départements dont homogène. Le petit et jeune ministère en les ressources propres étaient très iné- charge de l’urbanisme ne disposait pas gales. La désindustrialisation a renforcé de moyens à la hauteur d’un tel enjeu. ces différences en faisant perdre une 11 Lors de sa création, juste après la guerre, forte partie de leur potentiel fi scal aux Ce sigle désigne une association commune aux corps des Mines et des Ponts, mais les mineurs il avait proposé aux services départe- communes ouvrières, tandis que les nou- s’en désintéressent. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » regards étrangers 109 Voies et infrastructures

Dans un monde contemporain et de l’ancienne Rome postmoderne, un monde où toute valeur et toute certitude se dégradent et se dissolvent comme givre au soleil, je ne saurais dans les commentaires commencer cet article en vous cachant le fait que je ne suis pas historien. En revanche, je suis curieux de nature et cette de la Guerre des Gaules curiosité m’a fait découvrir un plan des voies consulaires, autrement dit les autoroutes de Par Roberto ArditiV, l’ancienne Rome. Ce plan qui ressemble de responsable de la Société Iniztiative Nationali Autostinadali près à la fi gure 1. (SINA), Milan

fi g. 1 : Schéma des principales voies romaines en Italie et schéma du réseau routier transeuropéen

* L’auteur remercie chaleureusement Philippe Hamet pour son aide dans la fi nalisation et l’amélioration de ce papier

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 110

Nihil sub sole novum, la similitude est quelque part et il y marche droit. L’âne sans aucun doute étonnante. Observez zigzague, muse un peu, cervelle brûlée, maintenant le plan du réseau transeu- et, distrait, zigzague pour éviter les gros ropéen juste à côté. C’est le réseau de cailloux, pour esquiver la pente, pour nos autoroutes italiennes, celles où rechercher l’ombre; il en fait le moins nous travaillons tous obstinément, cer- possible. L’homme possède la raison pour tains d’entre nous pour les garder à modérer les sentiments, il sait freiner les niveau ou les améliorer, d’autres pour passions et les instincts en vue du but qu’il les développer, ou encore juste pour y s’est fi xé. L’intelligence commande à la voyager. Comparez-les, par exemple, aux bête qui est en lui, lui impose les normes routes siciliennes et sardes, remarquez de vie qu’elle tire de l’expérience... L’âne la Salerno-Reggio Calabria et la route ne pense qu’à la facilité. [...] Dans les Tirrenica … En général, en comparant les terres que les populations envahissaient deux plans, quelques différences émer- peu à peu, le charroi passait cahin-caha gent dans les voies du Latium, explicitant au gré des bosses et des creux, des ainsi le rôle catalyseur joué par la capitale cailloux et de la tourbe ; un ruisseau dans les temps anciens. était un grand obstacle. Ainsi sont nés les chemins et les voies. A la croisée des Fig. 2 – Vue satellitaire nocturne de l’Italie, les zones de montagne de l’arc alpin sont bien À propos de temps anciens, on constate voies, au bord de l’eau, on a construit les apparentes également que le réseau routier de la plaine du Pô était moins capillaire. Si d’un côté les villes célèbres dans l’Antiquité étaient bien desservies, à l’heure actuelle, ce sont aussi des villes fondées dans les temps modernes qui le sont, ce qui indique que les constructeurs romains ne leur attachaient pas la même importance.

Enfi n, on peut noter que l’écart de moyens techniques permet aujourd’hui de faire face avec une plus grande aisance, à la construction d’infrastructures dans les zones où la montagne se fait plus abrupte.

C’est la similitude marquée de la structure du réseau qui m’a étonné.

Le Corbusier, pionnier de l’architecture rationaliste et théoricien d’avant-garde de l’urbanisme du XXe siècle, écrivait: «L’homme marche droit parce qu’il a un but, il sait où il va. Il a décidé d’aller n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 111 premières huttes, les premières maisons, Il y deux mille ans, les Romains devaient les premiers bourgs ; les maisons se sont faire face aux mêmes obstacles naturels rangées au long des voies, au long des que les Italiens modernes : des collines, chemins des ânes. On a mis autour un des cols de montagne escarpés et des mur fortifi é… Par où entrait le chemin des vallées profondes2, soit des situations où ânes, on a fait les portes de la ville et mis il était impossible de concevoir des tracés les employés d’octroi. Le bourg est une rectilignes. En fait, le principal souci des grande capitale. Paris, Rome, Istanbul, Romains était la direction, en se conten- sont bâtis sur le chemin des ânes ». tant de faire que leurs voies atteignent la destination le plus rapidement possible. Ainsi, selon Le Corbusier, les voies Encore une fois, c’est le chemin des ânes romaines auraient été conçues par des qui revient du passé, lorsque la ligne ânes … c’est possible … mais qu’y-a- droite devient impossible à suivre avec la t-il dès lors de changé ? Presque rien. technologie disponible. Observez la fi gure 2. Où apercevez-vous les lumières de nos villes ? Prenez, par D’une façon ou d’une autre, le chemin des exemple, la Voie Émilienne, de Piacenza ânes représente le résultat d’un proces- à Rimini, à quel endroit aurait-on pu sus de recherche du “minimum” (l’effort construire cette artère d’importance minimum dans le cas des ânes). Ce critique aussi bien pour les Romains que “minimum” est l’aboutissement souhaité pour nous ? Il s’agit d’un couloir naturel par les ingénieurs routiers modernes, qui aux pieds des Apennins, ayant permis les le poursuivent à travers un processus communications pendant des siècles. De comportant plusieurs paramètres, tels ce fait, cela a ancré le développement du que l’effort technique et économique territoire et des villes qui, vues du satel- nécessaire à la construction et à la rapi- lite, ressemblent à une série de petites dité de transport ainsi que la minimisation lumières bien alignées. des impacts environnementaux, l’inté- gration de la structure dans les besoins Les voies romaines sont allées plus loin. du territoire, la qualité et la sécurité du Elles ont représenté un choix approprié service routier. Voilà le type d’objectifs d’itinéraires naturels et de nombreux écrits que les ingénieurs routiers modernes se ont souligné leur « caractère rectiligne ». devaient d’atteindre lors de la conception Néanmoins, les ingénieurs romains, par exemple du viaduc Buthier dans le Val hommes assez pragmatiques, ne suivaient d’Aoste. pas uniquement les lignes droites. Par exemple1 : sur les dix-neuf voies débouchant sur Rome, seule la Voie Appia reste à peu près rectiligne jusqu’en ville. Sans obstacles naturels, beaucoup de voies même en 1 milieu plat restent plus ou moins droites. À Von Hagen Victor W, Le grandi strade di Roma nel mondo, New Compton editori, 1967 vrai dire, les Romains se souciaient peu de 2 Et au delà de ses frontières, évidemment, dès que construire des voies parfaitement droites. Rome commence à devenir une puissance régionale.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 112

La route, les infrastructures communication. Il y a cinquante ans on militaires et le génie civil dans aurait dit un discours de propagande ! la guerre romaine Toutefois, il s’agit là d’une propagande d’excellente qualité, et d’une source fort Corbulon, militaire d’envergure à l’époque infl uente. impériale, avait l’habitude de dire que Dolabre l’arme idéale à utiliser pour battre les ennemis n’était pas le glaive mais la “dolabre”3. Cette phrase citée dans “Stratagemata”4, en exergue d’un chapitre de conseils divers, sert de support au développement de ce chapitre. Laissons aux lecteurs le plaisir d’une recherche complémentaire sur ce personnage.

La dolabre, outil de maçon, à la fois hache et pioche, était l’ustensile clé utilisé par les soldats romains dans la construction La route, les infrastructures des voies et de tout grand ouvrage. militaires et le génie civil dans En défi nitive, Corbulon estime que les la guerre romaine vus à travers ouvrages bâtis par les légions, ont fait la les commentaires sur la Guerre différence en temps de guerre. des Gaules

Ainsi, au cours de mes recherches sur Quand la Guerre des Gaules éclate, les l’histoire romaine, l’étude des légions et Helvètes (vivant dans l’actuelle Suisse), les stratégies des généraux, j’ai appris avec pour chef Orgétorix, se croient un que, contrairement à beaucoup d’autres peuple très puissant et des guerriers peuples, aussi bien modernes qu’anciens, exceptionnels. Cherchant à disposer d’un les Romains étaient caractérisés par une territoire plus vaste et plus fertile, ils particularité : leur guerre était parfois pensent avoir d’excellentes opportunités défi nie par les experts comme une de le gagner contre les tribus gauloises. “guerre de construction”. Ils décident donc de faire cap à l’ouest.

Il faut souligner le rôle joué par l’ingénie- Pour éviter tout retour en arrière, ils rie, et notamment par les voies, dans le brûlent leurs villages avant de partir. cadre de la tactique militaire romaine. Hélas, les routes leur seront fatales ? En effet, pour sortir de leurs territoires, Quand on cite quelques extraits tirés de les Helvètes n’avaient que deux choix ses « commentaires sur la Guerre des possibles. Le premier était un passage 3 Domitius Corbulo dolabra [id est operibus] Gaules », sélectionnés pour argumenter étroit et diffi cile, permettant le transit de hostem vincendum esse dicebat”; Sextus Julius Frontinus, Stratagemata, Liber IV, 7, 2. le propos, il faut naturellement prendre justesse d’un seul chariot à l’aplomb des 4 Stratagemata est une récolte d’anecdotes ce texte pour ce qu’il était : un outil de montagnes du Jura, où un nombre réduit militaires. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 113

d’ennemis était suffi sant pour empêcher qu’il se réservait quelque temps pour tout passage. réfl échir : « S’ils avaient un désir à expri- mer, qu’ils revinssent aux idées d’avril ». En revanche, l’autre itinéraire, une route (Livre 1-7) à travers la province romaine, paraissait beaucoup plus aisé et rapide … Ce fut là Il n’y a rien à signaler, jusque là. leur première erreur. L’utilisation de l’infrastructure par les Romains est assez traditionnelle. Ils César commence à raconter : “César, à la l’empruntent pour se rendre de Rome nouvelle qu’ils prétendaient faire route à à Genève puis ils coupent les ponts de travers notre province, se hâte de quitter manière à ralentir la marche de l’ennemi Rome, gagne à marches forcées la Gaule et à entraver leur logistique. transalpine. Il arrive devant Genève … et fait couper le pont de Genève. Quand En général, quand il s’agit de mener une ils apprennent son arrivée, les Helvètes guerre, il paraît intéressant de noter que lui envoient une ambassade composée la prudence et l’attention portée à la des plus grands personnages de la com- logistique ressortent comme des carac- munauté… César, se souvenant que les tères clés des généraux romains. César Helvètes avaient tué le consul L. Cassius, lui-même devient fastidieux lorsqu’il voulait gagner du temps jusqu’à la ponctue ses œuvres de remarques concentration des troupes dont il avait concernant son souci extrême du ravi- Vue du pont Milvio (autrefois Molle), Piranesi, 1762 ordonné la levée. Il répondit aux envoyés taillement, en mentionnant même avoir réprimandé ses collaborateurs suite à l’envoi des cohortes hors du camp5, alors qu’ “il n’aurait pas fallu laisser la moindre place à l’imprévu”.

Guerrier expérimenté, César, accoutumé à guerroyer sur trois continents avec les milliers d’hommes de ses légions, ne faisait guère confi ance à la déesse Fortune. En tout cas, les légionnaires étaient caractérisés par moins de pugna- cité que les soldats d’Alexandre et de ses compagnons. L’aspiration d’un légionnaire dans la période républicaine (mais pas seule- ment) n’était certainement pas la mort en héros pour gagner l’immortalité.

5 De Bello Gallico - Livre VI – 42.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 114

Leur but était de gagner leur “emerita missio”, c’est-à-dire de partir en retraite, d’avoir un petit jardin et de mener une vie confortable, parfois aisée, garantie par l’armée à la fi n du service. Par ailleurs, on remarque l’importance attachée à l’as- pect logistique à cette époque-là. Cette attention était bien plus rationnelle et effi ciente qu’au Moyen Âge où, lors de la bataille de Hattin, qui mit fi n au royaume de Jérusalem, les troupes des croisés fi nirent littéralement dans les bras de Saladin, car les soldats et leurs animaux étaient restés une journée entière sans eau dans le désert. Ce type de négligence ne s’est presque jamais produit au cours des campagnes romaines.

Ainsi donc les Helvètes laissèrent à César le temps de s’organiser … Deuxième erreur. Laissons à nouveau la parole au divin Jules : “En attendant, il employa la légion qu’il avait et les soldats qui étaient venus de la province, à construire, sur une longueur de dix-neuf milles, depuis le lac Léman, qui déverse ses eaux dans le Rhône, jusqu’au Jura, qui forme la frontière entre les Séquanes et les Helvètes, un mur haut de seize pieds et précédé d’un fossé. Ayant achevé cet Fig. 5 Possibles localisations du mur bâti par César ouvrage, il distribua des postes, établit des redoutes6, afi n de pouvoir mieux leur interdire le passage s’ils voulaient le tenter contre son gré.” (Livre 1-8). d’évaluation d’impact environnemental Le récit indique la construction en n’étaient nécessaires. On peut supposer “quinze jours”, de redoutes, de postes et que les petits propriétaires fonciers d’un fossé protégé par un mur de “cinq ne pouvaient sans risque pour leur vie mètres” de haut sur “27 à 28 km” de utiliser des voies de recours analogues à long, distance qui sépare le lac de Genève celles dont ils disposent aujourd’hui. Les de la chaîne du Jura. chiffres cités montrent que la producti- 6 Fortifi cations mineures normalement non isolées, Il est vrai que, à l’époque romaine, aucune vité des ingénieurs et des chantiers de mais utilisées en tant que parties intégrantes d’un système de défense plus vaste autorisation administrative ou procédure l’époque antique était incroyable ! (en ce cas, le mur). n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 115

Lorsque les Helvètes reviennent au De cette manière, la dolabre permettait à contact des Romains, il est désormais trop l’armée romaine de gagner du temps et, tard. Ils cherchent à plusieurs reprises à grâce à sa rapidité, de conquérir des posi- traverser le fl euve pendant le jour, puis tions surélevées ou bien les positions les pendant la nuit, mais en vain ils doivent plus cruciales du point de vue tactique. renoncer. Il s’agit du premier « échec technique » infl igé aux « barbares » par Une autre opération typique du génie civil l’armée romaine. C’est la dolabre qui a romain est représentée par la construc- gagné, et on commence à comprendre ce tion de campements, appelés “castra”, que Corbulon voulait dire. qui sont encore présents dans le nom et dans les plans de certaines de nos villes. « N’éveille pas le chat qui dort », me disait On peut étudier les travaux de protec- ma grand-mère. Selon toute probabi- tion, bâtis même dans des conditions lité, les grands-mères des Helvètes ne critiques. Laissons les Helvètes à leur connaissaient pas cet adage. Sinon, ils destin pour retrouver César aux prises n’auraient pas été poursuivis par César avec les Germains d’Arioviste. Selon les le long des rives de la Saône. Et c’est là mots du général : “Ne voulant pas être que le Généralissime reprend son récit : plus longtemps privé de ravitaillement, “César, afi n de pouvoir poursuivre le César choisit, au-delà de la position reste de l’armée helvète, fait jeter un qu’avaient occupée les Germains, à envi- pont sur la Saône et par ce moyen porte ron six cents pas de ceux-ci, un endroit son armée sur l’autre rive. Sa soudaine propre à l’établissement d’un camp et il y approche surprend les Helvètes, et ils conduisit son armée, marchant en ordre s’effraient de voir qu’un jour lui a suffi de bataille sur trois rangs. Les deux pre- pour franchir la rivière, quand ils ont eu mières lignes reçurent l’ordre de rester beaucoup de peine à le faire en vingt. Ils sous les armes, tandis que la troisième lui envoient une ambassade”. fortifi erait le camp. Cette position était, comme on l’a dit, à environ six cents C’est un second revers technique. Même pas de l’ennemi. Arioviste y envoya des si les Helvètes tiennent le coup, cela ne soldats avec mission d’effrayer les nôtres suffi t pas. Ils envoient leurs ambassa- et d’empêcher leurs travaux. César n’en deurs, mais les négociations échouent. maintint pas moins les dispositions qu’il César clôt la question à l’aide de moyens avait prises : les deux premières lignes typiquement militaires, comme on le devaient tenir l’ennemi en respect, et la ferait aujourd’hui. troisième achever son ouvrage. Une fois Dans ce cas de fi gure, la variable permet- le camp fortifi é, il y laissa deux légions tant la réussite repose dans la capacité et une partie des troupes auxiliaires, et majeure de l’armée romaine de déplacer ramena dans le grand camp les quatre ses troupes en bâtissant des voies et plus autres légions“. (Livre 1 – 49) particulièrement, par la construction en un seul jour d’un pont permettant de La capacité des armées à construire des traverser la Saône. ouvrages de défense pouvait signifi er

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 116 la sauvegarde des légions. Protégées par les ouvrages de génie civil, elles ne tombaient pas victimes des incursions de l’ennemi, ayant sans aucun doute une meilleure connaissance du terrain.

Le texte ci-dessus nous fait comprendre qu’Arioviste, bien que « barbare » avait bien saisi l’envergure de cet avantage technique et qu’il avait cherché à empê- cher cette construction.

Laissons la terre des Germains pour suivre Pont sur le Rhône par Jules César, John Soane, 1814 l’armée romaine en Picardie : “César conduisit son armée … et à marche for- cée parvint à Noviodunum, leur capitale. D’autres preuves de la supériorité tech- Il voulut enlever la place d’emblée, parce nique romaine nous sont données par un qu’on lui disait qu’elle était sans défen- épisode assez amusant : “les Atuatuces seurs ; mais, bien que ceux-ci fussent faisaient de fréquentes sorties et enga- effectivement peu nombreux, la largeur geaient avec nous de petits combats ; du fossé et la hauteur des murs fi rent puis, quand nous les eûmes cernés d’un échouer son assaut. Ayant établi un camp retranchement qui avait quinze mille fortifi é, il commença les préparatifs pieds de tour et que complétaient de ordinaires d’un siège. Cependant toute nombreuses redoutes, ils restèrent dans la multitude des Suessions en déroute la place … Lorsqu’ils virent qu’après se jeta la nuit suivante dans la place. On avoir poussé les mantelets et élevé un avait vivement poussé les mantelets7, terrassement nous construisions au loin élevé le terrassement, construit les tours. une tour, ils commencèrent par nous Frappés par la grandeur de ces ouvrages, railler du haut de leur rempart et par chose qu’ils n’avaient jamais vue, dont ils nous couvrir de sarcasmes : « Un si grand n’avaient même jamais entendu parler, et appareil à une telle distance ! Quels bras, par la rapidité de l’exécution, les Gaulois quels muscles avaient-ils donc, surtout envoient à César des députés pour se avec leur taille infi me …, pour prétendre rendre” (Livre 2 – 12). placer sur le mur une tour de ce poids ? » (Livre 2 – 30) … Mais quand ils virent Cette nouvelle victoire est remportée qu’elle se mouvait et approchait des grâce aux capacités du génie romain. Les murs, vivement frappés de ce spectacle, Gaulois, qui n’étaient pas inexpérimentés … ils envoyèrent à César des députés, qui avaient déjà prédisposé des fossés et lui tinrent à peu près ce langage : « Ils ne des hauts murs mais ils n’étaient pas pouvaient pas croire que les Romains ne préparés à faire face aux machines et aux fussent pas aidés par les dieux dans la 7 Une sorte de plate-forme mobile apte à protéger techniques d’assaut des légions. conduite de la guerre, puisqu’ils étaient l’approche des troupes assiégeantes. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 117

capables de faire avancer si vite des machines d’une telle hauteur » ; et ils déclarèrent qu’ils leur livraient leurs per- sonnes et tous leurs biens.” (Livre 2 – 31)

On peut citer, pour clore l’analyse du De Bello Gallico, le célèbre extrait du Rhin, tourment des lycéens italiens, qui m’interpelle essentiellement par la façon dont César percevait l’habileté du génie romain plutôt que par la dextérité des légions et la prouesse des techniques de construction. “César avait décidé de franchir le Rhin ; mais les bateaux lui semblaient un moyen trop peu sûr, et qui convenait mal à sa dignité et à celle du peuple romain. Aussi, en dépit de l’extrême diffi culté que présentait la construction d’un pont, à Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César. Lionel Royer, 1899 cause de la largeur, de la rapidité et de la profondeur du fl euve, il estimait qu’il devait tenter l’entreprise ou renoncer à faire passer ses troupes autrement. Voici le nouveau procédé de construction qu’il employa …” (Livre 4 – 17) Vue du pont Salario, Piranesi, 1754 Ce récit comprend la description du pro- jet de Jules César, ingénieur. Il s’agit des spécifi cations d’un cahier des charges illustrant l’interdistance des poutres, l’usinage demandé en correspondance des pointes, les dimensions, les critères d’utilisation des sonnettes, etc. Ce texte véritable mine d’or pour les bâtisseurs, a fait l’objet d’études de la part d’archi- tectes de l’envergure de Leon Battista Alberti et d’Andrea Palladio, qui souhai- taient comprendre les grands ouvrages des Romains et, si possible, s’en inspirer. La partie la plus signifi cative du récit est la phrase où César déclare que tout gué autre que le pont n’aurait pas été “en

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 118 accord avec sa dignité et celle du peuple romain”. Ledit passage m’a porté (assez licitement) à croire que, selon César, ceux qui étaient forcés de traverser la rivière à l’aide de radeaux, faute des connais- sances nécessaires à la construction d’un pont, ne pouvaient être que des « barbares ». Voilà pourquoi les voies et les techniques de construction furent le trait caractéristique de la romanité8 par rapport à la « barbarie ». “Dix jours après qu’on ait commencé à apporter les maté- riaux, toute la construction est achevée et l’armée passe le fl euve” (Livre 4 – 18).

Notes sur les extraits des commentaires sur la Guerre Aqueducs de Néron, Piranesi – 1754 des Gaules.

On aurait pu continuer d’illustrer le propos autour d’Alésia pour mieux se défendre, par d’autres exemples tirés de la Guerre en qualité d’assiégé et d’assiégeant. des Gaules. Les commentaires sont Ces autres exemples9 nous éclairent particulièrement riches en références qui aussi sur l’esprit qui guidait les légions de auraient suscité d’autres réfl exions utiles. la période républicaine tardive. C’est le cas de la construction de 120 tours réalisées en une seule nuit par les Si de nos jours, les média nous ont accou- Romains ou d’une fuite technologique qui tumé à des guerres spectaculaires où la permit aux Gaulois de développer leurs haute technologie (outils électroniques, propres ouvrages selon les instructions avions et fusées avec leurs systèmes intel- des prisonniers romains. C’est aussi le cas ligents) prime sur le terrain des batailles et 8 de l’épisode concernant la construction fait la différence pour l’issue des combats, Dans ce texte, le terme “romanité” indique l’ensemble des valeurs subjectives qui, selon la du deuxième pont sur le Rhin par César … à l’époque antique, il en était de même. perception de l’homme classique, distinguaient “car les soldats avaient désormais Ainsi la technologie la plus à l’avant-garde une société à l’époque considérée comme civilisée (c’est-à-dire la société gréco-romaine) de tout appris”. D’autres exemples sont celui où à cette époque était la dolabre, voire la autre société “barbare”, cette dernière désignant les armées se poursuivent et se lancent capacité des Romains de bâtir des ponts, une notion importée par les Romains de la Grèce des regards furieux des deux rives oppo- des voies, des remparts et des ouvrages classique (“barbaros” étaient ceux qui ne parlaient pas le grec. Avec le temps, la signifi cation dudit sées de l’Allier, jusqu’au moment où les de siège. terme a glissé vers la nuance négative encore légions arrivent soudainement à jeter un attachée au mot barbare). 9 pont, ainsi que la construction, voulue par La merveille du génie civil dépassait le Livre 2 – 8/12, livre 5 – 19/40/42, livre 6 – 6/9, livre 7 – 17/34/35/40/46/56/58/59/68/69/72/7 César, d’un double rempart concentrique cadre militaire. Rome, avec un million de 3/74. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 119

citoyens, comportait une architecture Conclusion « verticale » de temples et de basiliques, ce qui en faisait une sorte de New-York antique. La ville était desservie par 10 On peut estimer que le réseau routier aqueducs principaux utilisés pour l’alimen- romain devrait être considéré comme une tation en eau et pour l’approvisionnement merveille. Mais il ne faut pas oublier qu’il des thermes. À l’époque impériale, l’eau est issu d’un principe aussi évident que était si abondante que des dizaines de complexe : pour bien faire les choses il fontaines parsemaient la ville. L’eau jaillis- faut prendre son temps, selon la maxime sante symbolisait pouvoir et richesse. « Rome n’a pas été faite en un jour ». Le temps que l’Empire soit enfi n traversé Au temps du grand Empire romain, les par un réseau routier reliant l’Écosse au étrangers étaient abasourdis par l’énergie Sahara et l’Espagne à l’Euphrate, Rome et la puissance du débit des fontaines de avait disposé de plus de 500 ans pour Rome. En effet, accoutumés aux villages accomplir le miracle et même bien plus de composés de masures et de cabanes, où 600 ans à compter de 312 av. J.-C. quand il fallait aller chercher l’eau au fl euve ou Appius Claudius Caecus avait commandé au ruisseau, ils percevaient la richesse de la construction d’une voie militaire de ce peuple qui gaspillait l’eau, ce qui était Rome à Ariccia, Fondi et Capua. Cette une pure exhibition de sa prospérité. durée nous semble tout à fait normale compte tenu des dimensions et de la L’eau coulait pour boire, jaillissait pour nature des ouvrages routiers considérés. remplir les piscines des thermes, coulait aux coins des places de la capitale du Ce qui étonne, en revanche, c’est la monde et le monde ancien s’en étonnait. capacité de “gestion” dont les Romains L’homme romain avait appris à dominer ont fait preuve. On le voit dans les mots l’eau. Il savait comment en canaliser le de Procope de Césarée, Romain oriental : cours vers les aqueducs ; pour transpor- “après avoir travaillé ces pierres … cou- ter ces fl euves artifi ciels vers la capitale, pées en forme polygonale, il les attacha... la campagne romaine était traversée par et elles étaient attachées si solidement … des arcs en briques dont la hardiesse qu’à les regarder, elles ne semblaient pas frappait. Bien avant Pline, Strabon avoir été assemblées mais plutôt avoir écrivait (Géogr. V, 3, 8) : “les Romains poussé ensemble. Et après si longtemps, se sont surtout appliqués à faire ce que après le passage quotidien de chariots les Grecs avaient négligé, c’est-à-dire à et d’animaux de tout genre, les pierres construire des chaussées, des aqueducs ne se séparent jamais des jonctions, et des égouts ”. aucune pierre n’est ni usée ni réduite en Ce que les Grecs avaient négligé était épaisseur, au contraire, elles n’ont même les grandes techniques et technologies pas perdu leur éclat. C’est ça la voie 10 10 de l’ancienne Rome, dont la première, Appia ”. Voir Procope “De Bello Gothico” liv. I, chap. 14. – Le texte est une traduction de la version originale la construction de chaussées, relevait anglaise tirée de http://www.gutenberg.org/ d’abord du domaine militaire.

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 120

Il ne faut pas se laisser tromper par le jurer en Aléman et en Goth...”13 chantait fait que Procope était “romain” ! Il a été Guccini. Mais les Romains et les Grecs ne l’un des derniers à voir la domination lui répondirent jamais. de l’Empire sur la Mare Nostrum. En Cela marqua la fi n de la « mondialisation » effet, Procope était une sorte de “chef de l’empire, à l’aube du Moyen Âge. Le du bureau de presse” dans la suite de règne de l’Empire était remplacé par Bélisaire, personnage encore visible la domination de la nature qui, les bois dans les mosaïques de Ravenne. Flavius s’étendant, prenait sa revanche sur Belisarius était généralissime et reconquît l’homme. Le système de gestion et de l’Italie pour le compte de Justinien, en maintenance des Romains s’écroula. parcourant à peu près le même itinéraire La “strata14”, à l’origine du mot italien que celui suivi par Eisenhower lors de la “strada” (route), commença à se dégra- campagne d’Italie. der, pour laisser la place à la “rupta15”, Procope a calculé le temps écoulé depuis terme qui est la source étymologique la construction de la voie : “Bélisaire a du terme français “route” et de l’anglais conduit son armée de Naples par la voie “road”. Il s’agit d’exemples banals qui Latine, laissant la voie Appia à gauche … pourtant montrent que l’Histoire, avec un construite par Appius neuf cent ans H majuscule, joue à cache-cache avec les Détail de la mosaïque de la basilique de Saint-Vital à Ravenne avant”. Il af fi rme donc qu’après neuf termes courants. cent ans 11 (!), la voie apparaissait encore parfaite, comme si les dalles n’étaient dues qu’à une croissance spontanée. BIBLIOGRAPHIE Cela n’est pas une épigraphe, c’est un  Autori vari, “Princeps Urbium”, défi ! Un défi pour nous, les hommes du 1991 – libri Scheiwiller (en particulier XXIe siècle. C’est un défi pour les opéra- “L’economia” par Francesco De Martino teurs du domaine routier et notamment et “L’architettura e l’urbanistica” par de son entretien. Si jamais notre civilisa- Giorgio Gullini”) tion durait aussi longtemps que celle des  Autori vari, “Roma e le vie Consolari”, Romains, quelles ressources matérielles, Edizioni scienze e lettere professionnelles, techniques et techno-  Autori vari, “Storia di Roma Antica”, logiques pourrions-nous déployer afi n New Compton 11 de garantir la même viabilité, issue de  Barbero Alessandro “9 agosto 378. A vrai dire, Procope écrivait en 536 A.D. et donc, pour être précis, “seul” 848 ans étaient qualité et de processus d’inspection et de Adrianopoli il giorno dei barbari”, 2005 passés en ce moment-là … maintenance appropriés ? - Laterza 12 Bergier mentionne une partie de texte plus “Rome de Rome est le seul monument  Bergier Nicolas “Histoire des grands longue par Janus Vitalis Panormitanus de laquelle j’ai tiré l’extrait. et Rome Rome a vaincu seulement12”. chemins de l’empire romain”, 1736 – Jean 13 Tiré de “Byzance” de l’auteur-interprète italien Leonard (aussi sur http://books.google.it/) Francesco Guccini, Metropolis - 1981. Ainsi se termine le volume dédié aux voies  Block Mark “Les invasions. Occupation 14 Voie pavée. Le terme se réfère au fait que la romaines par Bergier et ainsi se ferme le du sol et peuplement” Annales d’histoire voie de l’époque, tout comme celle d’aujourd’hui, se composait de plusieurs couches de matériaux rideau sur un empire : “Romains et Grecs, sociale, Année 1945, Volume 8, Numéro 2 différents. criez ! Où vous êtes allés ... j’entendais (aussi sur http://www.persee.fr) 15 Cassée, interrompu. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 121

 Demolins Edmond “Comment la route Sigismondi, 1981 - Cappelli Editore crée le type social”, 1900 – Librairie de Bologna Paris  Rossi Lino “Rotocalchi di pietra –  Dosi Schnell “Vita e costumi dei romani segni e disegni dei tempi sui monumenti antichi – spazio e tempo” - vol. 14° Museo trionfali dell’Impero romano”, 1980 – Jaca della civiltà romana, 1992 - Quasar Book  Garnsey P. – Saller R. “Storia sociale  Schreiber Herman “Le vie della civi- dell’impero romano”, 1989 – editori lità”, 1960 – Garzanti Laterza  Spinosa Antonio “La grande storia di  Gautier Hubert “Traité de la construc- Roma”, 1998 – Mondadori tion des chemins” – Duchesne, 1755  Staccioli Romolo Augusto “Strade Digitalizzato su http://books.google.it/ romane”, 2003 - L’Erma di Bretschneider  Gibbon Edoardo “Storia della deca- [26.] Sterpos Daniele, “La route romaine denza e rovina dell’impero romano”, en Italie”, 1971 - quaderno Autostrade n° 17 1820 - per Nicolò Bettoni  Tenney Frank “Storia di Roma”, 1948  Giulio Cesare C. “De bello gallico” – La Nuova Italia  Heichelheim Fritz M. “Storia econo-  Tesoriere Giuseppe “Viabilità antica mica del mondo antico”, 1979 – Laterza in Sicilia – dalla colonizzazione greca (en particulier Vol. 4 “la repubblica all’unifi cazione (1860)”, 1994 - Zedi Italia romana” et Vol. 5. “l’impero romano”)  Turchi Nicola et al. “Civiltà romana”,  Jones Michael E. “The end of Roman Mostra augustea della romanità, 1938 Britain” http://books.google.it/ en par- (en particulier Michelangelo Cagiano ticulier appendice 1 “the population of de Azevedo “I trasporti e il traffi co” et Roman Empire”) Enrico Clausetti “Fortifi cazioni e mac-  Laurans Gérard “Le mur de Cesar”, chine belliche”) 2003 su http://gerard.laurans.free.fr/  Veyne Paul “L’impero Greco Romano  Luttwack Edward N. “La grande – le radici del mondo globale”, 2007 strategia dell’impero romano dal I al III – Rizzoli secolo d.C.”, 1997 – BUR  Villa Carlo “Roma, le vie consolari”,  Michelet Jules “Storia di Roma”, 2002 1984 – ERI/Edizioni RAI - Rusconi Libri  Villari Pasquale e altri “Storia gene-  Montanelli Indro – “Storia di Roma”, rale d’Italia – parte prima – Storia antica”, 1997 - BUR saggi 1901 - Dottor Francesco Vallardi Editore  Montanelli Indro, Gervasio Roberto  Von Hagen Victor W. “Le grandi – “Storia D’Italia – vol. 1 - dal Medioevo strade di Roma nel mondo”, 1967 – New sino al mille” – RCS, 2003 – da pag. 13 Compton editori  Pisani Sartorio Giuseppina “Vita e  Zerbini Livio “La città romana”, 2005 costumi dei romani antichi – mezzi di – Giunti trasporto e traffi co” - vol. 6° Museo della  Images web : www.sxc.hu ; www. civiltà romana, 1994 – Quasar brown.edu ; www.lightpollution.it/  Radke Gerhard - Viae publicae cinzano/page4.html ; www.ec.europa.eu/ Romanae – traduction par Gino transport ; http://books.google.it « pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 122

À l’occasion de la journée d’études du 25 mai 2011, consacrée à l’histoire du Service des Affaires Économiques et Internationales (1960-1978). © Gérard Crossay - MEDDTL

Thibault Tellier et Claude Bozon n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » paroles de chercheurs 123 Entretien avec Thibault Tellier conduit par Stève Bernardin, chargé de mission au comité d’Histoire

« Pour une histoire sociale de l’aménage- peu avant même, je me suis engagé en ment » : il pourrait s’agir du titre de l’en- politique. À ce titre, j’avais un intérêt tout tretien mené en juin dernier avec Thibault particulier pour la politique en train de Tellier, maître de conférences à l’Uni- se faire. Je me suis donc tourné presque versité de Lille, par ailleurs membre du naturellement vers l’histoire politique. À conseil scientifi que du comité d’Histoire. cette époque, au début des années 1990, En revenant en détail sur son parcours, Jean-François Sirinelli faisait offi ce de l’historien invite en effet à s’interroger sur référence en la matière, à Lille, où il occu- les évidences d’une histoire encore pleine pait une chaire d’histoire contemporaine. d’a priori, celle des grands ensembles, du logement, et de la politique de la ville. Il Je me souviens surtout d’une histoire propose d’en éviter les écueils principaux en débat, par rapport notamment à en explorant des pistes identifi ées au l’enseignement du lycée, relativement fi l de ses lectures et de ses rencontres fi gé autour de quelques dates clés plutôt successives, comme le dévoile l’entretien qu’autour de notions problématisées ci-dessous. comme la crise de la démocratie. À ce Thibault Tellier © Gérard Crossay - MEDDTL sujet, je me rappelle du premier ouvrage S. Bernardin que j’ai lu en arrivant à l’Université de J’aimerais vous poser une première ques- Lille III : « Pour une histoire politique », tion sur votre formation initiale, qui me sous la direction de René Rémond. Il semble essentielle pour saisir la spécifi cité m’a permis de découvrir la richesse des de votre approche et de votre regard nombreux courants historiographiques d’historien. Au début de votre carrière, existant ou ayant existé en France. vous ne travaillez pas sur des domaines traditionnels d’intervention du ministère, Les travaux de Jean-Pierre Azema, notam- comme par la suite. Vous êtes en effet ment, invitaient au débat sur la deuxième formé à l’histoire politique, aux côtés guerre mondiale. À l’époque, de grandes notamment de Jean-François Sirinelli. thèses faisaient autorité, comme celles Comment y venez-vous et que retenez- d’Antoine Proux sur les anciens combat- vous de ces premières années ? tants, ou encore celle de Serge Bernstein sur le parti radical. J’étais donc nourri T. Tellier par ces travaux d’histoire politique Je suis venu à l’histoire politique par la réalisés sous l’égide de René Rémond et politique elle-même, puisqu’à 18 ans, un de la Fondation Nationale des Sciences

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 124

Politiques. Cela m’a défi nitivement cen- lementaire, à partir des années trente. tré, d’une part sur l’histoire contempo- Le sous-titre de ma thèse est d’ailleurs raine, et d’autre part, effectivement, sur « Contribution d’un parlementaire au l’histoire politique du XXe siècle. maintien de la puissance française, 1932-1940 ». L’approche est importante. S. Bernardin J’y reviens même actuellement dans mes Votre thèse porte sur Paul Reynaud et travaux de recherche. Il n’est donc peut- le parlementarisme de l’entre-deux- être pas inutile de revenir aujourd’hui sur guerres. Il pourrait être intéressant d’en ce point. dire quelques mots pour nos lecteurs, ne serait-ce que pour comprendre comment En résumé, Paul Reynaud a été intéressé se dessine un sujet de thèse, comment il par la réforme administrative dès son est choisi, délimité et défi ni en pratique. premier mandat de conseiller général Quelle a été votre expérience en la en 1918. Il envisage très tôt un projet matière ? L’analyse du parcours de Paul de grande ampleur pour l’ensemble de Reynaud s’est-elle imposée comme une la France et non simplement pour les évidence ? Basses-Alpes. Il s’interroge ensuite sur la capacité du pays à se réformer, au T. Tellier moment de la tentation fasciste de 1934. Non, effectivement, le choix d’un sujet À la différence d’André Tardieu, il refuse de recherche ne va pas de soi. Je vous toutefois toute perspective autoritaire le confi rme. Pour moi, c’est d’ailleurs pour en rester à la voie parlementaire. tout le piment du métier d’historien. Les Son parcours m’a donc amené à m’inté- recherches prennent en effet souvent des resser aussi à la réforme de l’État vue des chemins de traverse. Initialement, je sou- milieux parlementaires. haitais m’intéresser à la recomposition des droites françaises après la Libération. S. Bernardin Le sujet m’est apparu au fi l des cours de Comment en venez-vous ensuite à Jean-François Sirinelli. Faute d’archives, l’analyse des politiques de la ville et du toutefois, la recherche est restée au stade logement en France ? Avez-vous choisi du DEA. d’approfondir le thème de la réforme sur un cas particulier, volontairement, ou J’en ai tout de même retenu une intuition, bien parleriez-vous plutôt de hasards de celle d’une droite réinvestissant en force la vie, des lectures ou des rencontres ? les ministères très tôt, dès 1948. Paul Reynaud faisait alors offi ce d’exemple T. Tellier en la matière, aux Finances, préparant Ce qui m’a amené à m’intéresser réel- en quelques sortes l’arrivée au pouvoir lement à l’histoire urbaine, c’est tout d’, lui-même proche de simplement l’immersion dans un champ Vichy par le passé. J’ai donc choisi de professionnel particulier, qui s’appelle partir d’un homme, pour m’interroger l’Éducation nationale. Après avoir passé plus généralement sur la fonction par- les concours du CAPES et de l’agréga- n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 125 tion, à la Sorbonne, je me suis en effet S. Bernardin retrouvé dans le Nord, pour un premier Vous avez ainsi choisi d’étudier la mise poste d’enseignement. J’ai fait ce choix en place de la politique de la ville dans en considérant qu’il était en accord avec la Nord, à travers le cas de plusieurs mes engagements militants du moment. municipalités, comme Lille, Roubaix ou En clair, je souhaitais mettre mes actes encore Villeneuve d’Ascq. Qu’en retirez- en rapport avec mes idées. J’ai donc été vous a posteriori ? Au moment de rédiger volontaire pour enseigner en zone sen- votre mémoire d’habilitation à diriger des sible en lycée professionnel, à Roubaix. recherches, distinguez-vous de grandes Je fus d’ailleurs le seul de ma promotion à lignes directrices de vos travaux passés, faire ce choix et je ne le regrette pas. Cela présents et à venir ? Serait-il déplacé, par a été une expérience très enrichissante. exemple, de parler d’un « laboratoire », voire d’un « modèle septentrional » en On peut effectivement parler d’immer- matière de politique de la ville ? sion dans un milieu que je ne connaissais absolument pas, ayant vécu jusqu’à T. Tellier mes études supérieures dans une ban- Il est toujours tentant, voire même lieue résidentielle de Lille. Je fus alors facile, de parler de laboratoire ou d’ex- confronté à un monde dont j’ignorais périmentation. Au fond, chaque région tout, et dont j’ai beaucoup appris. Au pourrait sans doute revendiquer un lycée, nous travaillions avec des associa- modèle de développement original. Nous tions de quartier et des centres sociaux. pourrions ainsi parler du cas lyonnais, J’ai ainsi découvert la politique de la ville avec l’impact de la bourgeoisie locale à Roubaix. Par la suite, j’ai été détaché sur l’évolution sociale de Lyon et de ses du secondaire à l’IUT de Tourcoing, périphéries. Marseille constituerait un avant d’être élu maître de conférences autre cas d’étude intéressant. Toujours toujours au sein de ce même IUT, dans le est-il que le Nord Pas-de-Calais constitue, Département des Carrières Sociales. il est vrai, l’une des terres de mission du catholicisme social, avec un patronat qui Une rencontre a été décisive, en 2002. s’implique également dans les réformes Trois ans après la soutenance de ma sociales. thèse, j’ai en effet rencontré Annie Fourcault à un colloque sur les centres Dès 1932, par exemple, sont proposées sociaux. Nous avons discuté ensemble des formes d’allocations familiales à des évolutions urbaines dans le Nord. À Roubaix et Tourcoing. Une décennie plus mon sens, il y avait là matière à réfl exion tard, en 1943, les comités interprofes- pour un historien. Annie Fourcault était sionnels du logement naissent à Roubaix. d’accord. Depuis, pour ainsi dire, nous Il s’agit d’une véritable expérimentation, ne nous sommes plus quittés. Je lui suis pour le coup, puisque le un pour cent d’ailleurs très reconnaissant d’avoir cru à patronal, institué au niveau national en mes hypothèses de travail et de m’avoir 1953, s’inspire directement de l’expé- associé à plusieurs de ses projets. rience d’Albert Prouvost, président de

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 126 la Lainière de Roubaix, en concertation avec le maire socialiste de Roubaix, Victor Provo.

De ce point de vue, il existe une véritable confl uence intellectuelle entre des milieux patronaux progressistes et les socialistes qui expérimentent une politique munici- pale à défaut de pouvoir expérimenter une politique nationale. S’y ajoutent des réseaux militants et associatifs comme la JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, très active en matière de logement social. C’est, en quelques mots, le panorama que j’ai dressé à Annie Fourcault lors de nos discussions sur le sujet. Il en résulte effectivement une alchimie assez com- plexe propre à la métropole lilloise.

Quant à savoir s’il y a un « modèle sep- tentrional », j’ai organisé deux journées d’études sur le thème du logement col- lectif et d’un possible modèle septentrio- nal avec mon collègue Jean-François Eck. Nous avons mis en évidence des simili- tudes intéressantes avec le cas rhénan, ainsi que sur certaines pratiques belges et britanniques. Pour autant, je pense vraiment qu’il convient d’être prudent quant à toute possibilité de modélisation.

S. Bernardin À ce sujet, que pensez-vous des travaux de sociologie concernant les pratiques et processus de réforme en France ? Trouvez-vous judicieux, par exemple, d’approfondir l’analyse des profi ls et tra- jectoires de réformateurs, à l’image peut- être des recherches menées sur d’autres périodes par Christian Topalov ? Si oui, avec quels outils et quelles sources ? © Éditions Autrement, 2007 Sinon, pour quelles raisons ? n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 127

T. Tellier Au-delà de ces sources offi cielles, je Les travaux de Christian Topalov, à m’intéresse aussi aux archives des mon sens, constituent une contribution associations. Elles ne sont pas toujours majeure à l’histoire contemporaine des faciles d’accès, quand bien même elles sujets qui m’intéressent. Je pense en existent et sont correctement conser- effet que l’idée de « nébuleuse réforma- vées. J’ai néanmoins trouvé des archives trice » pose les bases d’une forme de importantes concernant certaines asso- militantisme que je retrouve dans une ciations de quartiers, issues notamment génération ultérieure de hauts-fonction- du Mouvement populaire des familles, naires, autour notamment de François dont l’analyse permet de comprendre Bloch-Lainé, pour la Caisse des Dépôts, comment les politiques publiques sont et de Paul Delouvrier, pour le Schéma reçues par les habitants. Le thème du Directeur de la Région Parisienne. militantisme résidentiel m’intéresse par exemple parce qu’il permet des Je m’intéresse en priorité aux années approches originales et jusqu’ici encore soixante et soixante-dix, mais je pense peu explorées par les historiens de l’ur- que la fi liation pourrait être examinée bain contemporain. pour des périodes ultérieures. Le cas de Jean-Louis Bianco et de Jean-Michel En résumé, j’étudie donc en même temps Belorgey, par exemple, reste largement l’invention des procédures d’action à étudier. Une question se pose alors de publique, comme Habitat et Vie Sociale, manière centrale : comment l’arrivée et leur réception par les populations de la Gauche au pouvoir, au début des locales. Le lien entre ces deux questions années quatre-vingt, participe-t-elle me semble essentiel à préciser, y compris à modifi er la place de ces hauts- pour les praticiens de l’aménagement, en fonctionnaires au sein de l’appareil vue d’éviter trop de formatage et d’idées d’État ? préconçues. Annie Fourcault en fournit un exemple parfait à travers le cas des Pour ma part, je travaille avant tout mal-lotis, qu’elle traite dans sa thèse en historien sur ces sujets, par le biais d’habilitation, en étudiant à la fois la des archives nationales, conservées à résorption des lotissements insalubres et Fontainebleau, au Centre des Archives le point de vue des habitants concernés. Contemporaines, ou à deux pas d’ici, Pour le dire autrement, faire une histoire dans Paris. Je réalise aussi des entre- sociale de l’aménagement me paraît véri- tiens pour comprendre quelles étaient tablement fondamental. les interrogations des acteurs de l’époque, par exemple au moment de S. Bernardin mise en place de la procédure Habitat Dans cette perspective, comment appré- et Vie Sociale. J’ai ainsi pu rencontrer hendez-vous concrètement les liens entre les trois directeurs d’administration les habitants et l’État ? Considérez-vous centrale en charge du projet, Robert par exemple l’État comme un ensemble Lion, René Lenoir et Jean Maheux. strict de règles de droit, ou bien plutôt

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 128 comme des pratiques institutionnelles manière dont on a appréhendé les grands diverses et variées, issues de femmes ensembles à Sarcelles, à Marseille ou à et d’hommes eux-mêmes en interaction Lille, n’est pas du tout identique. Avant avec la population ? En d’autres termes, tout parce que les forces en présence, où placez-vous le curseur dans vos tra- et les tensions qui en résultent, ne sont vaux, entre imposition et co-production pas identiques. Par ailleurs, ce ne sont des politiques en question ? pas les mêmes populations qui ont dû réagir, avec des collectivités territoriales T. Tellier elles-mêmes distinctes. Le curseur n’est Avant toute chose, je dois dire qu’il me donc pas simple à ajuster. Même chose semble impossible de faire l’économie pour le cas d’Habitat et Vie Sociale : les d’une analyse précise de l’ancrage local premières expérimentations menées à des politiques publiques. Les éditions Lille, Lorient et Marseille n’ont pas du tout Privat constituaient un outil de dévelop- les mêmes fi nalités. Il y a donc lieu de pement important de ce type d’études, parler de territorialisation des politiques au cours des années soixante-dix, autour d’aménagement dès les années soixante. notamment de l’histoire des villes et des régions, en France. La dynamique Ceci étant dit, il me semble possible de me paraît néanmoins s’être réellement dégager un cadre général pour l’améliora- essouffl ée depuis les années quatre- tion du cadre de vie, qui se décline prin- vingt, et quatre-vingt-dix. Il y a donc lieu cipalement en amélioration de l’habitat, de travailler autrement sur une histoire d’une part, et en développement de la vie locale recomposée. sociale, d’autre part. Pour moi, il s’agit là d’un cadre théorique. On pourrait évoquer Des thèses étudiant des terrains locaux à ce titre une politique publique à part continuent pourtant à être soutenues en entière. Quand on y regarde de plus près, histoire urbaine, par exemple au Centre toutefois, on s’aperçoit que les contextes d’Histoire Sociale du XXe siècle de Paris I. varient sensiblement. À Lorient, la fi nalité Un regain d’intérêt est par ailleurs per- principale était en réalité de terminer la ceptible chez les géographes, à l’image de ZUP, restée en chantier faute de crédits. Frédéric Guilly, qui s’intéressent eux aussi À Lille, le problème se posait en termes à la question territoriale. Des sociologues d’animation sociale, sous l’impulsion de réinvestissent eux aussi ce même thème. Pierre Mauroy. À Marseille, enfi n, il exis- On revient donc, peu à peu, y compris en tait une réelle volonté politique de relier histoire, à des formes de micro-histoires. les quartiers Nord au reste de la ville. Une diffi culté consiste alors, comme vous le dites, à bien ajuster le curseur, pour ne Voilà pourquoi, à mon sens, on doit pas faire l’économie d’un cadre général tenir les deux bouts de la chaîne pour d’interprétation. comprendre comment la politique en question a été inventée, dans les faits, Ce n’est pas chose facile. Si je reprends et en même temps comment elle s’est mes propres travaux, par exemple, la déclinée en pratique. On peut ainsi en n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 129 venir à un point crucial : comment et qui existait de fortes volontés de s’emparer s’approprie, ou rejette, selon les cas, les de ces cadres d’ensemble, émanant à politiques publiques mises en place sur la fois d’élus locaux et de réseaux de différents territoires. La question n’est populations locales. Loïc Vadelorge et pas uniquement historique. Des expéri- moi pensions alors qu’il serait intéressant mentations récentes pourraient tout à fait d’approfondir le sujet, d’autant que les relever de la même logique de recherche. historiens s’y sont peu intéressés depuis La clause de compétence générale remise l’ouvrage de référence de Pierre Deyon en cause dans le projet de réforme terri- sur l’État et les pouvoirs locaux. toriale est essentielle à ce titre : elle est une garantie de créativité et d’inventivité Nous avons donc proposé au comité des collectivités territoriales. d’Histoire de mener un travail sur le sujet, se traduisant par des journées d’études et S. Bernardin un séminaire, systématiquement appuyés S’agit-il d’un thème que vous souhaitez sur un travail de recherche mené dans la approfondir dans vos recherches à venir ? durée. Notre chance a été, et je ne le dis Peut-être en lien avec le comité d’Histoire pas par fl atterie, de trouver une équipe du ministère ? À ce sujet, d’ailleurs, com- du comité d’Histoire ouverte sur ces ment en venez-vous à vous rapprocher de questions, nous faisant confi ance pour cette structure ? Etait-ce une évidence investir un champ de recherche impor- pour vous ? Un moyen peut-être d’ouvrir tant, pour trois ans. J’avoue que ce n’est des portes ? De rencontrer des témoins pas toujours le cas. Certains ministères par ailleurs diffi ciles d’accès ? ne disposent même pas de comité d’His- toire. D’autres s’en servent plutôt comme T. Tellier d’un simple outil de communication. Sur ce thème, je me dois d’évoquer mon collègue Loïc Vadelorge, professeur d’his- Dans le cas présent, nous avons eu la toire contemporaine à l’Université de Paris chance de pouvoir travailler selon nos XIII, avec qui je travaille maintenant depuis propres méthodes. C’est important et plusieurs années en lien étroit avec le je tiens à le souligner. Nous parlons en comité d’Histoire. Il s’est intéressé de près effet d’histoire institutionnelle, mais en notamment à la région parisienne, et plus historiens, sans céder à une quelconque particulièrement aux Villes Nouvelles. J’ai forme de commande publique. En clair, on quant à moi étudié la question des grands ne nous a jamais dit « Faites l’histoire du ensembles durant la même période. ministère ». Loïc Vadelorge et moi tenons plutôt à contribuer à la fabrique de cette Nous avons vite compris, au fi l des histoire, même si ce n’est pas notre seul rencontres du comité d’Histoire et d’éva- objet de recherche. Les conditions de luation des Villes Nouvelles, que nous l’échange étaient donc claires dès le début. travaillions tous les deux sur des poli- tiques publiques fortement centralisées. Il en résulte un séminaire pluriel, mélan- En même temps, il est aussi apparu qu’il geant les apports savants d’historiens à

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 130 ceux des témoins prêts à intervenir sur effet, l’expérience locale n’était pas sys- le thème en question, celui des liens tématiquement mise en avant. entre aménagement et décentralisation. Une séance a par exemple permis Dans l’immédiat, toutefois, je m’intéresse d’entendre les points de vue sur le sujet à des questions plus concrètes, comme de Jérôme Monod, de la DATAR, et de la résorption de l’habitat insalubre, par Serge Vallemont, pour l’Équipement. exemple. Il s’agit d’un projet d’étude que Une autre séance portait sur le cas des j’aimerais mener en lien avec le comité Établissements Publics Régionaux, parfait d’Histoire, avec ma collègue, Marie- exemple de dispositif réapproprié par des Claude Blanc-Chaléard, professeur à élus locaux particulièrement inventifs, au Nanterre. Sa thèse d’habilitation porte cours des années soixante-dix, notam- sur le cas des bidonvilles, à travers l’his- ment dans le Nord Pas-de-Calais, avec toire des populations qui les peuplent. Pierre Mauroy, et en PACA, avec Gaston Isabelle Massin, actuellement au CGEDD, Defferre. est à l’initiative de ce projet de recherche. Le groupe serait ainsi principalement Au passage, je rappelle qu’en 1981 l’un constitué d’un historien de l’urbain, d’une devint Premier Ministre, et l’autre, historienne de l’immigration et d’une occupa les fonctions de ministre de fonctionnaire très au fait de ces questions l’Intérieur. Ce n’est peut-être pas neutre pour y avoir été associée dès le début de pour comprendre comment se sont sa carrière professionnelle. construites les lois de décentralisation de 1982-1983. Comment imaginer que ces L’idée serait d’aborder une politique lois auraient été les mêmes si ces deux publique, celle de la résorption de hommes n’avaient pas été présidents l’habitat insalubre, dans toute sa com- d’Établissements Publics Régionaux ? plexité, notamment administrative, tout en essayant d’analyser ce qu’elle a pu Au travers de ces personnages, je retrouve représenter pour les populations concer- donc les différentes problématiques qui nées et leur devenir. Au fond, le thème sont les miennes, qui sont celles effecti- est proche de la thèse d’habilitation de vement de l’action politique, et en même Marie-Claude Blanc-Chaléard, sur le pas- temps de ses applications concrètes. sage des bidonvilles à la ville. Pour la RHI, Si vous permettez un commentaire sur je parlerais à ce stade du passage d’un l’actualité politique, je trouve intéressant habitat insalubre à un habitat « normé », de voir comment, dans la campagne qui en quelques sortes. s’ouvre, un certain nombre de candidats mettent en avant leurs réalisations Au passage, je trouve intéressante la locales, pour prouver leurs compétences démarche anglo-saxonne du « work in à peut-être un jour diriger le pays. Cela progress », ne se fi xant pas de cadre trop n’a pas toujours forcément été le cas. Si rigide au départ de la recherche. Dans vous regardez les septennats de Charles notre cas, par exemple, la périodisation de Gaulle et de Georges Pompidou, en constitue un enjeu de l’analyse plutôt n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 131 qu’une donnée a priori. Jusqu’où faut-il d’être à la fois sur des exigences scien- remonter, dans le présent comme le tifi ques, et en même temps de pouvoir passé ? La question reste à ce stade répondre, avec une qualité identique, à ouverte. Nous la traiterons évidemment la demande sociale, qui se fait d’ailleurs au fi l des rencontres et des lectures, pour de plus en plus forte. On l’a vu dans essayer d’adapter notre grille de lecture à les projets menés avec la Délégation ce que les archives nous apprennent. Interministérielle à la Ville : il y a une volonté populaire de comprendre ce Au fond, le métier d’historien c’est un qu’ont été par le passé les territoires sur métier de déconstruction permanente lesquels les habitants vivent aujourd’hui. entre ce que l’on pense savoir et ce que Et si l’on veut absolument qu’il y ait une l’on sait réellement. Je pense d’ailleurs sorte de partage des responsabilités et que l’un des intérêts du comité d’Histoire surtout de l’appropriation de la ville par est de montrer que ce qui est devenu ceux qui l’habitent, au-delà même d’un aujourd’hui le ministère de l’Écologie, du partage des analyses, il faut une compré- Développement durable, du Logement et hension mutuelle des enjeux en question. des Transports n’est pas simplement le fait d’une décision politique ponctuelle. Au passage, l’idée d’appropriation de la En effet, il s’inscrit en réalité dans un ville par ses habitants renvoie à la formule champ de réfl exion beaucoup plus ancien, d’un architecte urbaniste un peu oublié sur les compétences d’un ministère dit aujourd’hui, Gaston Bardet, qui expliquait technique. Des étapes sautent aux yeux, durant l’entre-deux-guerres que la ville comme la création du ministère Poujade, c’était à la fois de la chair et des cailloux en 1971, ou encore le Sommet de Rio, en formant le véritable corps de l’urbain. 1992, mais il ne s’agit sans doute que de L’assemblage se fonde essentiellement la partie émergée de l’iceberg. sur l’échange et la mise en commun des expériences. Dans cette perspective, Notre travail d’historien, en résumé, je souhaite évidemment qu’on puisse c’est, me semble-t-il, très modestement intensifi er les relations entre le comité de remettre à jour des traces que l’on d’Histoire et les milieux universitaires. aurait pu voir disparaître. Dans un sens, Je considère, de ce point de vue, que les je me demande si nous ne sommes pas membres du Conseil scientifi que doivent que des archéologues du temps présent. être des passeurs entre le monde univer- Explorer le champ des possibles devient sitaire, qui n’est pas forcément toujours alors une priorité. Pour moi, cela renvoie le monde le plus ouvert qui soit, et les à un devoir citoyen, que j’espère ne pas institutionnels, eux aussi régis par des trahir à travers mon parcours d’historien, codes et des règles spécifi ques. voire d’historien engagé. À ce titre, je peux tout aussi bien intervenir dans un Je reviens un instant sur mon projet d’his- colloque universitaire que devant une toire de la résorption de l’habitat insa- association de locataires d’un HLM. lubre. Sans le comité d’Histoire, je vous En résumé, je pense que c’est notre rôle le dis, je n’aurais jamais connu Isabelle

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 132

Massin. Je n’avais en effet aucune raison communs, même s’ils ne pratiquent pas particulière de la connaître. Or, je pense toujours le même langage. Je pense que justement que le comité d’Histoire a pour c’est important, parce que le registre fonction première de faire dialoguer des technique du ministère n’est pas toujours milieux qui ne se parlent pas forcément, simple à appréhender pour l’historien. Le qui sont des milieux de recherche, d’un dialogue est donc indispensable. côté, et d’administration, de l’autre. On est tous fonctionnaires d’État, mais on Pour prolonger l’entretien, les lecteurs sait à quel point les milieux sont cloi- intéressés pourrons se reporter aux sonnés. Grâce au comité d’Histoire, en publications de Thibault Tellier, dont une particulier avec la campagne de recueil liste non-exhaustive fi gure ci-dessous, à de témoignages oraux qu’on a pu mener la suite du court extrait d’ouvrage sui- avec Brigitte Druenne-Prissette, j’ai pu vant, donnant à voir brièvement la plume rencontrer des gens que je n’aurais jamais de l’auteur : rencontrés autrement. «À la fi n des années 1960, dans les J’ai rencontré des hauts fonctionnaires grands ensembles, l’heure n’est donc passionnants comme Jean-Eudes Roullier, pas nécessairement au découragement, Pierre Mayet ou encore Robert Lion, avant et c’est précisément cette volonté de tout parce qu’il y avait une attention au faire, cette contribution à l’implication recueil de témoignages oraux au sein du citoyenne que nous souhaiterions, entre comité d’Histoire. J’y accorde beaucoup autres, mettre en avant dans cette étude, d’importance, tout d’abord parce que les ainsi que les raisons du basculement entretiens réalisés constituent un formi- qui s’opère dans la seconde moitié des dable matériau pour les historiens, ce qui années 1960 quant aux représentations n’est pas à négliger, et ensuite parce qu’il que les uns et les autres ont des grands me semble impensable de laisser partir ensembles. « L’énigme historique que cette génération de femmes et d’hommes constitue le renversement radical de qui sont entrés dans la fonction publique l’image des grands ensembles reste à la fi n des années soixante sans qu’ils entière », constate Annie Fourcaut dans aient pu témoigner. On risque sinon son introduction à Faire l’histoire des d’avoir un vide très important, qui nous grands ensembles. Le but de cet ouvrage posera problème pour écrire l’histoire à est de contribuer, même modestement, venir des politiques publiques, de la fi n à lever un coin du voile qui amène des trente glorieuses à aujourd’hui. encore aujourd’hui à méconnaître la réalité de ce que fut réellement la vie des J’insiste donc sur cette idée que le comité habitants dans les grands ensembles au d’Histoire est une sorte d’intermédiaire cours des Trente Glorieuses, et en quoi ce entre les fonctionnaires du ministère et type d’habitat a marqué en profondeur les chercheurs, historiens notamment. notre champ culturel contemporain ». Sa fonction est de mettre en relation des (Thibault Tellier, Le Temps des HLM, gens partageant des sujets de réfl exion Paris, Autrement, 2007, p. 18-19). n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 133

Bibliographie  Le temps des HLM 1945-1975. La saga urbaine des Trente Glorieuses, Paris, indicative Autrement, 2007  « Intercommunalité et villes nouvelles  « L’Équipement et la décentralisation. entre confl its et partage : Villeneuve Analyses tirées de l’enquête orale », d’Ascq et la construction de la Pour mémoire, n° hors série, Actes de la Communauté urbaine de Lille-1969- journée d’études organisée par le comité 1983 », in Gouverner les villes nouvelles. d’Histoire du ministère de l’Écologie, de Le rôle de l’État et des collectivités l’Énergie, du Développement durable et locales (1960-2005), sous la direction de de la Mer, novembre 2009, pp. 67-72 Loïc Vadelorge, Programme interministé-  « L’habitat collectif en Europe septen- riel et d’évaluation des villes nouvelles, Le trionale au temps des Trente Glorieuses : Manuscrit, 2005 de l’institutionnalisation à la remise  Paul Reynaud. Un indépendant en poli- en cause », sous la direction de Jean- tique, Paris, Fayard, « Pour une histoire François Eck et Thibault Tellier, Revue du du XXe siècle », 2005 (Prix d’histoire de Nord, tome 91, juillet-septembre 2009, l’Académie Française en 2006) pp. 523-672  « La mémoire politique d’une ville  « L’habitat collectif en Europe du nouvelle : Villeneuve d’Ascq », Ethnologie Nord Ouest des origines à la veille de la française, numéro spécial sur “La mémoire Seconde guerre mondiale », Revue du des villes nouvelles”, 2003-1. Nord, tome 90, janvier-mars 2008, pp.  9-194  « Transformer les villes, une affaire de générations. Les enseignements du renouveau de l’histoire urbaine contem- poraine », in La ville stratégique, changer l’urbanisme pour répondre aux défi s urbains mondiaux. Strategic City, plan- ners for the twenty-fi rst century, sous la direction de Nicolas Buchoud, CERTU, 2008, pp. 81-91  « Le fonds Valéry Giscard d’Estaing aux Archives nationales : la présidence de la République et l’urbanisme de 1974 à 1981 », Histoire urbaine, n°21, avril 2008, pp. 127-136  « Les jeunes des ZUP : nouvelle catégo- rie sociale de l’action publique durant les Trente Glorieuses », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°4, janvier- avril 2008, pp. 1-14

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 134 lecture Denis Hannotin et Christine Moissinac Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) Un homme Libre, un ingénieur au parcours éclectique Paris : Presses des ponts, 2011

Préface de Claude Martinand, vice-prési- une confi ance sans faille en un progrès dent honoraire du CGEDD ; publié avec le toujours possible s’est aussi intéressé à soutien du comité d’Histoire du MEDDTL l’irrigation, à l’élevage, à la gestion des voies d’eau, canaux ou rivières, au tracé Né en 1778, Antoine-Rémy Polonceau a et à l’entretien des routes et à la forma- appartenu aux générations pour lesquelles tion des maîtres. Dans cette période de l’accession de Bonaparte au pouvoir et foisonnement scientifi que et de fortes la première révolution industrielle ont mutations économiques et sociales, ouvert de multiples voies d’action. Formé cet homme rigoureux et méthodique, dans les meilleurs lieux d’enseignement, éclectique et perpétuellement inventif a la toute nouvelle École polytechnique, manifesté sa grande liberté d’esprit, en puis celle de Ponts et Chaussées, haut n’hésitant jamais à prendre les risques fonctionnaire aux larges responsabilités, qu’il jugeait nécessaires, même s’il en il a multiplié, hors de sa compétence pavait le prix par un relatif isolement initiale et de son propre chef, expériences jusqu’à la fi n de sa vie, en 1847. Membre et initiatives les plus innovantes, dont la actif de diverses sociétés savantes, il a création en 1826 de l’Institution royale toujours voulu par l’écriture, la parole, agronomique de Grignon, l’érection en le dépôt de brevets, partager ses idées 1834 d’un remarquable pont fi xe en fonte, et les rendre accessibles à ses contem- le premier véritablement en France, celui porains. Retracer son parcours devrait du Carrousel, et, un peu plus tard, le contribuer à rendre justice à sa créativité tracé de certaines des premières voies de en évoquant certaines de ses réalisations chemins de fer, de Paris vers Versailles qui ont perduré, sous d’autres formes par la rive gauche, puis vers Rouen et, bien évidemment, jusqu’à nos jours. (note enfi n, vers Dijon. Cet esprit animé par de l’éditeur) n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 135

Presse des Ponts - 15 rue de la Fontaine au Roi - 75127 Paris cedex - 01 44 58 27 40

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 136

Créé par un arrêté du 9 mai 1995, le Le comité d’Histoire comité d’Histoire a développé des activités dans le champ du ministère de l’Équipement, des Transports, du Logement et de la Mer ainsi que, à partir de 2007, dans celui de l’Écolo- du ministère gie, du Développement durable, du Climat et de l’Énergie. Pour certaines de ces compétences, les interven- tions publiques ont été très variées au L’ ORGANISATION DU cours des siècles passés, en fonction SECRÉTARIAT notamment de l’évolution des champs de compétence ministérielle. DU COMITÉ D’HISTOIRE  Secrétaire  Accueil, assistance Dans une perspective de valorisation du patrimoine historique du ministère, Louis-Michel SANCHE à la coordination et secrétariat il s’appuie sur un Conseil scientifi que ingénieur général des Ponts et Chaussées, Marie LACOR composé de chercheurs et de spé- secrétaire général du Conseil général de assistante cialistes reconnus pour défi nir ses l’Environnement et du Développement Tél. : 01 40 81 36 75 interventions en matière d’histoire des durable marie.lacor administrations et de leurs politiques, des techniques, des métiers et des tél. 01 40 81 68 23 @developpement-durable.gouv.fr pratiques professionnelles correspon- fax. 01 40 81 23 24 dant aux compétences ministérielles louis-michel.sanche  Secteur documentation présentes et passées ainsi qu’aux @developpement-durable.gouv.fr communication électronique attentes exprimées par les services, Françoise PORCHET les opérateurs et les partenaires du ministère. Secrétaire-délégué chargée d’études documentaires Patrick FÉVRIER Tél. : 01 40 81 36 83 Le comité soutient et accompagne administrateur civil hors classe francoise.porchet scientifi quement et fi nancièrement des Tél : 01 40 81 21 73 @developpement-durable.gouv.fr études et des recherches historiques, patrick.fevrier organise des conférences et des journées d’études dont il peut diffuser @developpement-durable.gouv.fr  Secteur études-recherches les actes et favorise la publication d’ou- Stève BERNARDIN vrages de référence. Il constitue aussi Adjointe au secrétaire délégué chargé de mission un fonds d’archives orales d’acteurs mission recueil de témoignages oraux Tél. : 01 40 81 36 47 des politiques ministérielles, publie la Christiane CHANLIAU steve.bernardin revue semestrielle « Pour mémoire » et, en tant que de besoin, des numéros chargée de mission @developpement-durable.gouv.fr spéciaux. Il gère un centre documen- tél. 01 40 81 82 05 taire ouvert au public doté de plus de christiane.chanliau  Secteur animation-diffusion 4 000 ouvrages et diffuse un guide des @developpement-durable.gouv.fr Marie-Thérèse RIEU sources accessibles sur internet et sur chargée de mission intranet. Il peut participer à des mani- festations avec des partenaires publics Tél. : 01 40 81 15 38 ou privés ». marie-therese.rieu @developpement-durable.gouv.fr n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 137

LE CONSEIL SCIENTIFIQUE

Dominique BARJOT Gabriel DUPUY Geneviève MASSARD-GUILBAUD Professeur d’histoire contemporaine Professeur émérite à l’Université Directrice d’études à l’EHESS à l’Université Paris IV de Paris I Alain MONFERRAND Bernard BARRAQUÉ Philippe GENESTIER Ancien secrétaire-délégué du comité Directeur de recherche au CNRS, Professeur à l’ENTPE, chercheur au d’Histoire CIRED-AgroParisTech laboratoire RIVES-CNRS Antoine PICON Alain BILLON Vincent GUIGUENO Professeur à l’Université de Harvard, Ancien secrétaire délégué du comité Chargé de mission à la direction des enseignant-chercheur à l’École des Ponts d’Histoire Affaires Maritimes, chercheur associé ParisTech, LATTS au LATTS-CNRS François CARON Anne QUERRIEN Professeur émérite à l’Université André GUILLERME Ancienne directrice de la rédaction de Paris IV Professeur au CNAM, directeur du la revue « Les Annales de la Recherche Centre d’histoire des techniques et urbaine » Florian CHARVOLIN l’environnement Chargé de recherche au CNRS, MODYS- Thibault TELLIER Université Jean Monnet de Saint-Etienne Bertrand LEMOINE Maître de conférences en histoire Directeur de recherche au CNRS, contemporaine à l’Université Lille III Viviane CLAUDE directeur de l’atelier international du Professeur à l’Institut d’Urbanisme de Grand Paris Hélène VACHER Paris, Université Paris XII Professeur à l’ENSA de Nancy Claude MARTINAND Florence CONTENAY Membre de l’ARAF, vice-président Loïc VADELORGE Inspectrice générale de l’Équipement honoraire du CGEDD Professeur d’histoire contemporaine honoraire à l’Université Paris XIII

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 138

L’ACTIVITÉ DU COMITÉ En 2012, ces manifestations devraient LES OUTILS D’HISTOIRE porter sur la résorption de l’habitat insalubre, les missions de prospective,  La bibliothèque, ouverte au public, Depuis 2006, 10 numéros de la revue la restauration des terrains en comprend plus de 4 000 volumes, ouvrages semestrielle « Pour mémoire » ont montagne et les politiques publiques de spécialisés ou usuels. Elle est accessible au commencé à présenter un panorama l’architecture. Des numéros spéciaux public du lundi au vendredi, sur rendez-vous diversifi é d’articles sur l’histoire de la revue peuvent servir à diffuser les de l’administration et des cultures actes de ces manifestations : en 2012, ils  Les sites consultables professionnelles : le code de la concernent les 100 ans d’administration internet : www.developpement-durable. route, l’histoire du climat, les villes du Tourisme, le 40 e anniversaire gouv.fr/(le ministère/Histoire et archives) nouvelles, la création du ministère de la naissance du ministère de intranet : intra.comite-histoire.cgpc.i2/ de l’Équipement, l’action outre- l’Environnement et la création en 1972 mer et en Afrique des ingénieurs, le des établissements régionaux.  Le guide des sources, accessible sur lagunage, la Grande Arche, les risques www.developpement-durable.gouv.fr/ l’internet et l’intranet, a été conçu pour naturels, la protection de la nature, les Prochaines-manifestations-du.html faciliter le repérage des sources historiques plaques minéralogiques, les services dans les domaines de compétence du déconcentrés de l’Équipement ou Le comité peut apporter son soutien à ministère ; de l’Environnement, la construction l’édition d’ouvrages tels que, en 2010, des tours, la viabilité hivernale, le « Les ingénieurs des ponts au service  Des dossiers bibliographiques et paysage, les travaux maritimes, les de l’Afrique : témoignages 1945-1975 biographiques à consulter sur place ; plateformes aériennes, les barrages, les (L’Harmattan) et en 2011, « Jean-Eudes parcs nationaux… La revue comprend Roullier, un pionnier des politiques de  La revue « pour mémoire » (semestriel + aussi des témoignages d’acteurs des l’espace urbain » (La Documentation numéros spéciaux) ; politiques publiques et de chercheurs. française). www.developpement-durable.gouv.fr/ www.developpement-durable.gouv.fr/  La consultation d’archives orales. Pour-memoire-la-revue-du-Comite-d.html Des-publications-en-partenariat.html

Depuis 1995, le comité d’histoire a Depuis sa création, le comité a recueilli organisé des journées d’études, des plus de 80 témoignages oraux destinés conférences et des colloques, avec les à préserver la mémoire des réalisations directions d’administration centrale, professionnelles et des métiers dans le le réseau scientifi que et technique et ministère. les opérateurs, les universitaires et les chercheurs ainsi que des partenaires. n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » 139

Vous souhaitez consulter les ressources du secrétariat du comité d’Histoire… Vous pensez N’HÉSITEZ PAS À NOUS CONTACTER que votre témoignage peut éclairer l’histoire du ministère de l’Écologie, du Développement Secrétariat du comité d’Histoire durable, des Transports et du Logement et des Conseil général de l’Environnement et administrations dont il est l’héritier… Vous avez connaissance d’archives, de documents du Développement durable divers, d’objets intéressant l’histoire de ces 7e section - 20e étage - bureau 20.20 administrations, alors... Tour Pascal B - 92055 La Défense cedex tél : 33 (0) 01 40 81 15 38 ou 36 83 fax : 33 (0)1 40 81 23 24 courriel : [email protected]

« pour mémoire » l n°10 hiver 2011-2012 140

« pour mémoire » la revue du comité d’Histoire rédaction Tour Pascal B 20.20 92 055 La Défense Cedex téléphone : 01 40 81 15 38 ou 36 83 télécopie : 01 40 81 23 24 [email protected] fondateurs de la publication Pierre Chantereau et Alain Billon directeur de la publication Louis-Michel Sanche rédacteur en chef Patrick Février suivi de fabrication Marie-Thérèse Rieu conception graphique Éric Louis réalisation graphique  Annick Samy ISSN 1955-9550 impression couverture  ETOILE imprim/PNK Graphic Intérieur  SG/SPSSI/ATL 2

imprimé sur du papier certifi é écolabel européen n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire »

hiver 2011-2012 n°10 hiver 2011-2012 l « pour mémoire » mémoirecomité » d’histoire

...

Conseil général de l’Environnement et du Développement durable comité d’Histoire Tour Pascal B 92055 La Défense cedex http://www.developpement-durable.gouv.fr

• revue du ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement • • revue du ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement •