Geri Allen, La Gardienne Du Feu Stanley Péan
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Document generated on 10/01/2021 6:41 a.m. L'Inconvénient Geri Allen, la gardienne du feu Stanley Péan Les nouveaux romanciers mexicains Number 71, Winter 2018 URI: https://id.erudit.org/iderudit/86967ac See table of contents Publisher(s) L'Inconvénient ISSN 1492-1197 (print) 2369-2359 (digital) Explore this journal Cite this review Péan, S. (2018). Review of [Geri Allen, la gardienne du feu]. L'Inconvénient, (71), 55–57. Tous droits réservés © L’inconvénient, 2018 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Jazz GERI ALLEN LA GARDIENNE DU FEU Stanley Péan n arrivant sur la scène de la et d’exprimer ma musique, Maison symphonique le 30 juin ma propre voix en tant Edernier, le vétéran saxophoniste que soliste et compositrice. américain Charles Lloyd a d’abord cité J’imagine que chaque l’élégant euphémisme de Lester Young créateur en arrive à vouloir pour saluer un compagnon de route exprimer son point de vue. récemment décédé. « Untel a quitté la Être leader de son propre ville », avait coutume de dire celui que ensemble est la meilleure Billie Holiday avait surnommé en son manière d’y parvenir, je temps « Prez », comme dans « président crois1. » des saxos ténors ». Lloyd tenait à prendre un moment pour signaler le • décès de la pianiste Geri Allen, qui ancien troupier de l’orchestre de Ray l’avait accompagné en tournée et sur Geri Antoinette Allen venait Charles. Sous la houlette de Belgrave, deux disques majeurs, Lift Every Voice tout juste d’avoir soixante ans lorsque qui la propulse dans le circuit des boîtes et Jumping the Creek (ECM, 2002 et la Faucheuse l’a ravie. Née à Pontiac, de nuit, la jeune Geri approfondit sa 2005). Elle avait été emportée par le Michigan le 12 juin 1957, d’une mère connaissance des maîtres du piano cancer trois jours plus tôt. administratrice dans l’industrie militaire jazz moderne, de Thelonious Monk et Allez savoir pourquoi, tandis que le et d’un père directeur de collège et Bud Powell à Herbie Hancock. Après saxophoniste réclamait un peu de silence également pianiste, elle a grandi à avoir gradué de l’Université Howard pour honorer sa consœur disparue, à la Detroit, haut-lieu de la musique soul de Washington, où elle a bénéficié de mémoire de qui il voulait dédier son qui a vu naître et prospérer le mythique l’enseignement de Kenny Barron et concert, les festivaliers montréalais se label Motown, fondé par Berry Gordy, côtoyé son futur époux, le trompettiste sont mis à applaudir à tout rompre, mais également creuset d’un certain jazz Wallace Roney, Geri Allen obtient en comme sourds au deuil du musicien qui au carrefour d’influences multiples. La 1979 un diplôme en ethnomusicologie a donc dû se reprendre pour obtenir le première artiste de jazz récipiendaire du de l’Université de Pittsburgh, au terme recueillement de mise. prix Lady of Soul, en 1995, ne manquera d’études sous la tutelle du saxophoniste Déficit d’attention, quand tu nous d’ailleurs pas de rendre un vibrant Nathan Davis et du réputé musicologue tiens ! hommage aux musiques populaires qui ghanéen Joseph Hanson Kwabena L’admiration de Charles Lloyd ont bercé ses années d’apprentissage sur Nketia. En 2012, l’établissement offrira pour la pianiste et compositrice défunte, son excellent et hélas dernier album, d’ailleurs à Allen le poste de directrice il va sans dire, était réciproque. À Alain Grand River Crossings: Motown & Motor du Département des études jazz. Brunet de La Presse, Geri Allen avait City Inspirations (Motéma, 2012). Installée à New York au début des confié en mars 2011 : « Pourquoi avoir Soutenue par sa famille, Geri années 1980, Allen s’engage dans le laissé le quartette de Charles ? D’abord, Allen commence son apprentissage du mouvement M-Base, qui met de l’avant je dois dire que ce fut pour moi une piano à sept ans. Dès l’adolescence, elle une fusion inédite entre les rythmes expérience merveilleuse. Charles est croise la route de deux trompettistes des musiques des diasporas africaines un leader extraordinaire, il accorde et pédagogues qui l’encourageront à et l’improvisation expérimentale. À ce beaucoup de liberté à ses musiciens. Or, développer son talent déjà évident, titre, la pianiste contribue à Motherland il était temps pour moi d’aller de l’avant Donald Byrd et Marcus Belgrave, Pulse ( JMT, 1985), premier album d’une L’INCONVÉNIENT • no 71, hiver 2017-2018 55 Carter (Feed the Fire, Verve, 1994) et, est également ponctué par un thème plus récemment, avec la chanteuse emblématique (« Feed the Fire »), que la française d’origine gréco-guinéenne pianiste revisitera bientôt en compagnie Elisabeth Kontomanou (Secret of the de la chanteuse Betty Carter, qui n’a Wind, Outnote/Effendi, 2011). jamais craint de défricher des territoires Après ses expérimentations avec harmoniques et mélodiques méconnus. les artisans du M-Base, sa collaboration À la faveur de sa réputation déjà avec le contrebassiste Charlie Haden et enviable, nul ne s’étonne que le jury le batteur Paul Motian, vétérans du free du prix Jazzpar lui décerne, en 1996, jazz, ne tarde pas à attirer l’attention cette prestigieuse distinction danoise, des critiques et des mélomanes. Sur attribuée entre 1990 et 2005 à des le premier opus du trio, Etude (Soul artistes d’envergure internationale et du Note, 1988), Allen donne à entendre plus haut niveau. Ses concerts en trio et un nouvel hommage à Eric Dolphy en nonette présentés à Copenhague dans (« Dolphy’s Dance »), qui décidément la la foulée de la cérémonie honorifique des figures de proue de cette fascine et auquel elle ne cesse de revenir ; font l’objet d’une captation, Some Aspects école esthétique, le saxophoniste sur les autres plages, le combo explore of Water (Storyville, 1996), dont la suite Steve Coleman. Elle-même s’est des thèmes signés Motian et offre éponyme d’une durée d’une vingtaine déjà commise sur disque avec The deux relectures des plus intéressantes, de minutes vaut à elle seule le détour. Printmakers (Minor Music, 1984), un « Lonely Woman » d’Ornette Coleman C’est à cette époque que le amalgame habile et (d)étonnant de et « Shuffle Montgomery » du sous- saxophoniste et violoniste à ses heures musiques africaines et de jazz post- estimé Herbie Nichols. Cet opus initial Ornette Coleman la recrute pour bop (et même free par moments), aura plusieurs suites, toutes captivantes. l’enregistrement de Sound Museum enregistré en trio avec Anthony Cox à À compter du milieu des années (Harmolodic/Verve, 1996), son premier la contrebasse et Andrew Cyrille aux 80, Geri Allen multiplie les rencontres disque avec piano depuis plus de percussions. Magistral coup d’envoi fructueuses avec les têtes d’affiche de trente ans. Ce rendez-vous s’imposait, dont on retient le thème « Eric », l’avant-garde new-yorkaise, dont les manifestement, tellement le parcours dédié à la mémoire du saxophoniste saxophonistes Arthur Blythe, Dewey d’Allen semblait la diriger vers le et clarinettiste révolutionnaire Eric Redman et Wayne Shorter. On peut gourou du free jazz : l’approche de la Dolphy, sur l’œuvre duquel avait porté également la voir et l’entendre aux côtés musicienne s’inscrit dans le sillage de son mémoire de maîtrise. du trompettiste Woody Shaw, hélas en figures tutélaires telles que Thelonious Échange de bons procédés, Steve fin de carrière (sur le jubilatoireBemsha Monk, Mary Lou Williams, Paul Bley et Coleman accepte son invitation à jouer Swing, la captation d’un concert présenté Herbie Hancock, tout en faisant siennes sur Open on All Sides (Minor Music, à Detroit en 1986, parue cependant les propositions les moins orthodoxes 1987), le troisième album d’Allen, dont en 1997 sous étiquette Blue Note), et d’Ornette. En retour, Ornette Coleman le titre traduit l’ouverture revendiquée même avec les musiciens du groupe rock prend part à l’album Eyes... in the Back par l’artiste. Au piano et aux claviers afro-américain Living Colour. Toutes of Your Head (Blue Note, 1997), auquel électriques, elle accueille également son ces aventures témoignent autant de son contribue également le trompettiste mentor Marcus Belgrave (sur une plage), travail éclectique que de sa polyvalence. Wallace Roney, désormais marié à ainsi que Rayse Biggs aux trompettes, En pleine possession de ses la pianiste. À propos de ce disque Robin Eubanks au trombone, David considérables moyens, Allen fait exigeant, Willard Jenkins de Jazz Times McMurray au saxophone, de même paraître en 1992 Maroons (Blue Note), écrit : « Dans la conversation, [Allen] que le bassiste Jaribu Shahid, le batteur un album charnière dont l’illustration est une femme aux assises bien solides ; Tani Tabbal et le percussionniste Mino de couverture (un portrait de la pianiste dans sa musique, elle garde cet ancrage Cinelu. On ne peut passer sous silence vêtue d’une élégante robe de l’époque et apporte aussi un sens de la narration la participation de la chanteuse Shahida victorienne) suggère un attachement au et de la peinture qui refuse la préciosité. Nurullah, notamment à la chanson « I passé qui, paradoxalement, ne contredit Cet enregistrement est du pur Geri Sang a Bright Green Tear for All of Us pas les audacieuses avancées contenues Allen, toujours gratifiant2. » This Year… », véritable tour de force qui dans sa musique.