mardi 9 janvier 2001 CINÉ-CLUB NORMALE SUP’

Night on earth

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FILM AMERICAIN, 1991, COMÉDIE " DRAMATIQUE " 125 MINUTES ECRIT, PRODUIT ET RÉALISÉ PAR JIM JARMUSH

AVEC

WINONA RYDER, GENA ROWLANDS, GIANCARLO ESPOSITO, ARMIN MUELLER- STAHL, ROSIE PEREZ, ISAACH DE BANKOLÉ, BEATRICE DALLE, , PAOLO BONACELLI, MATTI PELLONPAA

ight on Earth de Jim Jarmush cloue l'homme d'église sur la banquette erait l'engager pour un casting. Winona réunit cinq situations se arrière à la suite d'une crise cardiaque. Ryder réplique " I've got my life all Ndéroulant dans un taxi au Finalement à Helsinki, dans un froid mapped out ", espérant travailler dans même moment dans cinq grandes polaire, tout l'enjeu est de savoir qui un garage. Elle ajoute " There must be villes différentes, en plein milieu de la des passagers ou du chauffeur ont la lotsa girls who want to be in the nuit. La fin du film n'apporte aucune vie la plus déprimante et tragique. movies. Not me! ". Le film ne critique grande leçon, aucune conclusion pas- à aucun instant la décision, peut-être sionnante, seulement nous donne l'im- Jim Jarmush est un poète de la nuit. La insensée, de la jeune fille ; il ne fait pression d'avoir partagé un moment quasi-totalité du film est empreinte de que relater fidèlement une opinion. avec une communauté nocturne, ce même sentiment de solitude, roman- lorsque les gens sont "déboutonnés " et tique et mélancolique que l'on peut Au fur et à mesure que l'on voyage vulnérables, prêts à dévoiler avec trouver dans Mystery Train. La depuis L.A., Jarmush donne au specta- sincérité ce qui mobilise leurs pensées. musique de Tom Wait accompagne teur un sentiment d'emprise sur une parfaitement cette atmosphère, comme planète vide, un sentiment de maîtriser A Los Angeles, un agent de casting si ces villes avaient été vidées de tout un monde pluriel ; on entendra ainsi de tente de convaincre la jeune chauf- ce qui est éveillé. Il semble que les l'espagnol, de l'allemand, du français, feuse de taxi qu'elle peut embrasser pensées et sentiments des protago- de l'italien, du finlandais et même un une carrière cinématographique. A nistes soient affectés par les rêves et peu de latin. Seul le lieu de l'intrigue se New York, un passager noir doit se cauchemars qui les entourent. Jarmush retrouve d'une scène à l'autre à savoir rendre à l'évidence que son chauffeur ne cherche pas à faire de chaque situa- une banquette arrière de taxi, la nuit. de taxi, un immigrant de l'Allemagne tion une histoire bien construite. Il ne Ce sentiment de règne ne rend pas de l'Est, est bien incapable de s'intéresse guère à l'intrigue en elle- pour autant le spectateur omniscient. l'emmener à Brooklyn sans un petit même, mais cherche davantage à met- Bien au contraire le film ne met qu'en coup de pouce. A , un chauffeur tre en relief la psychologie des person- scène des situations presque factices. de la Cote d'Ivoire jette quelques nages et plus encore la confrontation Si le but est de défricher la psycholo- diplomates africains très lourds avant entre eux. Ainsi il orchestre la rencon- gie des personnages on ne sait finale- de charger une passagère aveugle et tre entre une jeune chauffeuse de taxi, ment rien d'eux, même après la confes- blasée. A le chauffeur charge un tatouée, fumant comme un pompier sion. De nombreuses questions par prêtre et insiste pour lui raconter dans () et une dirigeante exemple restent en suspens. Que sait- le détail ses penchants sexuels, ce qui BCBG (Gena Rowlands) qui souhait- on de la femme aveugle (Beatrice Dalle) ? D'où vient-elle ? Pourquoi salle si celui-ci encore sous le choc souhaite-t-elle marcher seul le long romain ne cherchait désespérément la d'un canal ? D'où vient sa cécité ? Son touche humoristique de cette ultime chauffeur (Isaach de Bankolé) lui situation. Un semblant de blague est demande timidement ce que représente discernable lorsque deux des trois le sexe pour elle - quelles sensations hommes plaignant leur copain ivre peut-elle avoir en faisait l'amour avec mort, car malheureux mais non dés- quelqu'un qu'elle ne voit pas. Il lui espéré, le jettent finalement après avoir demande ce qu'elle pense des couleurs. écouté le récit encore plus déprimant Ses réponses sont abruptes et du chauffeur. On peut se demander ce laconiques. Elle en sait sans doute plus qui a poussé Jarmush a privilégier une sur les couleurs et le sexe que lui ne fin glaciale plutôt qu'un " dénouement saura jamais. Son corps entier est " new-yorkais bruyant, coloré, vivant. impliqué. " Je peux faire tout ce que tu peux faire ", lui rétorque-t-elle. " Peux- Jarmush vide les rues pour ses protag- tu conduire ? " lui demande-t-il. Elle onistes nocturnes. Les villes sont lui envoie à la tête " Et toi tu sais con- emprises de solitudes et sont froides ; duire ? ". La naïveté du chauffeur en même à L.A. " it gets dark early in the est presque touchante, mais le réalisme winter ". Ses protagonistes semblent et la lucidité de la jeune femme ne per- avoir divorcé avec la société ordinaire mettent pas ce processus d'attendrisse- de leur ville ; ce sont des solitaires. Le ment amorcé par les propos du chauf- spectateur entre dans leur monde. On feur. sent qu'ils ont plus d'affinités entre eux qu'avec les gens diurnes de leur ville. La tranche new-yorkaise est sans doute Finalement leurs taxis, grondant dans la plus drôle. Armin Mueller-Stahl les rues désertes, sont comme des mis- joue l'allemand de l'Est incompétent au sionnaires perdus ne sachant plus où volant, Giancarlo Esposito est le pas- aller. sager survolté et drôle qui insiste pour conduire lui-même, Rosie Perez (du Frédéric Gabriel film Les blancs ne savent pas sauter) Actualités est la voie stridente répliquant du fond Jeudi 11 janvier : avant-première du du taxi et chacun des bonhommes film “Harrison’s Flowers” de Elie (nommés Helmut et Yo-Yo) pensent Chouraqui, 20h15, salle Dussane. que l'autre possède un nom ridicule et Au programme : projection, puis risible. discussion avec le réalisateur et le producteur. Le passage romain est époustouflant de paroles drôles ou non, mais la Mardi 16 janvier : une deuxième machine Benigni est lancée. Le très avant-première! “Capitaines extraverti acteur - réalisateur (3 oscars d’avril”, le premier long métrage de et prix spécial du Jury en 1999 à Maria de Medeiros, 20h30. Après Cannes pour La vie est belle), un des le film, discussion avec la char- favoris de Jarmush, se lâche dans un mante réalisatrice. flux de paroles qui auront la peau du prêtre qu'il accompagne. Pour accom- Pub : actuellement, une rétrospec- pagner la confession sexuellement tive Wong Kar-wai très sympa au hérétique de Benigni on trouve à Champo... chaque coin de rue un couple baisant à l'arrache. Autant de scènes suffisantes Bonne année à tous! pour planter le décor. Le Ciné-Club vous souhaite de nombreuses émotions ciné- Finalement la scène se déroulant à matographiques pour cette année Helsinki termine le film sur une touche 2001 et fera de son mieux pour véritablement déprimante, une vous contenter. tristesse quasi insoutenable. Cette situ- ation est dangereuse car elle pousserait http://www.eleves.ens.fr/cof/cineclub/ facilement le spectateur à quitter la [email protected]