ASPECTS DE LA PORTE DE A MARSAL par

M. Eugène VOLTZ

Par une journée de la fin juin 1814, une forte colonne russe s'avançait de vers Vie. Elle ne semblait pas prêter attention aux remparts qui, sur sa gauche, tapis derrière un rideau d'arbres, se confondaient avec les molles ondulations du terrain. Marsal, devenu, sous l'empire, un lieu d'internement de prisonniers por­ tugais, paraissait s'assoupir dans une douce torpeur. Le tonnerre soudain d'une canonnade déchira l'air, jetant la perturbation dans la marche des Russes. Mais l'ennemi se ressaisit rapidement, mit ses pièces en batterie et n'eut pas de mal à faire taire le feu de la vieille cité fortifiée à peine gardée par quelques éléments légers. Mal accommodé aux réalités nouvelles, Marsal, déjà, ne sur­ vivait que par le souvenir d'un passé glorieux; le glas de son destin militaire avait sonné depuis longtemps. Toutefois, sous Louis-Philippe, d'importantes réparations sont encore effectuées aux fortifications. Le 20 août 1842, S.A.R. le prince Louis d'Orléans pose la première pierre de la « Couronne d'Orléans », qui renforce la défense sur la route de Marsal à . Sous l'Empire, la ville de Marsal est place de guerre de troisième classe. Mais les événements de 1870 allaient démontrer la fragilité des espoirs qu'on pouvait fonder sur cet ensemble fortifié. Cette année, l'étang de Lindre est à sec et toute possibilité d'inonder les prairies autour de la place a ainsi disparu. Quels moyens pourraient opposer à l'ennemi les 252 hommes qui consti­ tuaient la garnison fort disparate de la place, investie par un corps bavarois de 15.000 hommes disposant de 60 canons ? Le 14 août 1870, après un siège de trois jours, le commandant de la place, Leroy, capitule, mais, dans son désespoir, oublie de noyer ses poudres et d'enclouer ses pièces qui, récupérées aussitôt, sont LA POHTE DE FRANGE A MARSAL 13?

traînées devant Toul, assiégée, par les cultivateurs réquisitionnés de la région. Le sort de Marsal est définitivement scellé. Les fortifications sont démantelées. La couronne d'Orléans devient un centre d'expéri­ mentation des nouveaux explosifs : dynamite et nitroglycérine, et se voit transformée en ruines informes. Les bâtiments militaires, les casernes, l'hôpital sont mis à l'encan et sont rachetés par les culti­ vateurs, qui les transforment en séchoirs à houblon, en dépendances de toutes sortes et, peu à peu, les laissent tomber à l'abandon. Que devient la porte de France dans cette lente déchéance ? La ville de Marsal s'en était rendu acquéreur en 1879, suivant un acte administratif passé avec le gouvernement d'Alsace et de Lorraine, mais la céda presque aussitôt aux époux Mayer- Weisgerber, qui se proposaient d'y installer une brasserie. La ville de Marsal s'engageait, à cet effet, à la fourniture de 20 hectolitres d'eau, moyennant quoi, le nouveau propriétaire devait assumer la charge de la réparation et de l'entretien de la conduite passant par la porte; le droit de passage du chemin vicinal sous la voûte était expressément réservé. En outre, aucune modification de la façade principale ne pouvait être effectuée. Les affaires ne devaient pas avoir été très prospères. Au bout de peu d'années, en conclusion d'une procédure d'exécution forcée intentée par les contributions directes d'Alsace-Lorraine, l'immeu­ ble fut adjugé le 31 octobre 1883, pour la somme de 3.500 marks, à la banque J. Renaudin & Cie, à Dieuze (1). La chance ne poursuivait pas les propriétaires de la porte. En 1897, nous la retrouvons dans la masse de la faillite ouverte sur les biens de la banque. L'adjudication judiciaire du 25 août 1897, passée par-devant Me Adolphe Sibille, notaire à Vic-sur-, attribue l'immeuble à M. Prosper Henrion. Le délabrement de la porte progresse rapidement. Une série de photographies, conservées au service des monuments historiques de la , nous la montrent en 1921, sous un aspect déso­ lation, qui en fait présager la ruine prochaine : charpentes pourries, couvertures béantes.

(1) Procès-verbal1 d'adjudication établi le 31 octobre 1883, par Me Gascard, notaire à . 138 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL

La maçonnerie, pourtant, tient encore solidement : mais il semble que le propriétaire ait décidé d'en faire une carrière et de vendre les matériaux pierre par pierre. Devant cette menace, l'administration des monuments his­ toriques fait entamer, avec le propriétaire, des négociations labo­ rieuses, qui aboutissent à l'acquisition de la porte de France par l'Etat. La vente est conclue pour la somme de 13.000 francs, et l'acte est passé le 15 septembre 1927, par-devant le préfet de la

Fig. 1. — La porte de France : le rez-de-chaussée en 1930

Moselle. Les travaux de restauration suivent d'assez près et se poursuivent de 1930 à 1935, sous la direction de M. Herpe, archi­ tecte en chef des monuments historiques : réfection des charpentes et des couvertures, reprises de maçonnerie, aménagement du logement du gardien. L'édifice paraît sauvé (Fig. 1). Pour peu de temps, hélas! 1940 survient. Marsal, encore une fois, se trouve sur la route de l'invasion et se voit entraîné dans LA PORTE DE FRANGE A MARSAL 139

le tourbillon des événements. Le ponceau qui enjambe les eaux croupissantes du vieux fossé est miné et saute. L'arcade extérieure de la porte s'écroule. La toiture du pavillon d'entrée est soufflée et, avec elle, tout le premier étage en bonne et solide maçonnerie. Les couvertures qui subsistent à l'arrière sont fortement désorga­ nisées, mais continueront d'assurer une précaire protection à l'édi­ fice, où la désolation s'installe à nouveau, où- le vent et la pluie poursuivent leur jeu lugubre au travers des fenêtres arrachées et des brèches béantes. Les années passent et ramènent l'espoir. Mais le problème de ïa restauration et de la survie de la porte se trouve posé à nouveau. Le visiteur qui vient d'abandonner la grand'route de Moyen- vie à Dieuze pour diriger ses pas vers Marsal devine, au loin, entre les feuillages et les arbres qui bordent le chemin départemental, la masse de la porte de France, silhouette vigoureuse et nerveuse au milieu des courbes affaissées des anciens remparts couverts de verdures et de jardins. Soudain, au détour du chemin, surgissant droit au-dessus des roseaux du marécage, l'ouvrage se révèle avec son architecture assez curieuse, où le caractère militaire s'allie à quelque chose de plus familier, qui conviendrait davantage à une résidence de gouver­ neur de petite ville plutôt qu'à une porte défensive. En fait, la façade n'arrête pas de surprendre, si on l'examine de plus près. (Fig. 2). Au rez-de-chaussée, une ordonnance de doubles pilastres dori­ ques, aux bossages puissants, enferme deux arcades en anse de panier; celle de gauche est fermée par un épais massif de maçon­ nerie; seule, celle de droite sert de passage à la route étroite. Au-dessus, on devine, bouchées par des pierres non liées au corps du mur, deux rainures étroites où se logeaient les traverses servant à la manœuvre du pont-levis. Aucune indication analogue ne se découvre à l'emplacement de l'autre travée. Les bases du groupe de pilastres, à l'extrême-gauche, sont seules visibles; les autres, cachées dans le sol surélevé, ont été dégagées au cours des récents travaux, mais se trouvaient complè­ tement décomposées par l'humidité. Au-dessus des portes, le cours de l'architrave est coupé; l'entablement est remplacé par un ban­ deau mouluré au-dessus duquel s'ouvrent les cinq fenêtres de l'étage disparu. L'ensemble était couronné par une corniche bien 140 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL accusée qui servait de base à une toiture aux pentes rapides cou­ vertes d'ardoises. Au milieu du groupe central de pilastres, un médaillon ovale, aux armoiries effacées et illisibles. Au-dessus, gravée entre les deux chapiteaux, la date de 1774, assez curieuse, si on la rapproche des caractères stylistiques de l'étage inférieur, qui paraît nette­ ment plus ancien. Côté ville, l'architecture paraît plus homogène. Elle se compose également sur le thème d'un ordre dorique reprenant le rythme de

Fig. 2. — La porte de France en 1939 la façade précédente. Mais, les saillies sont moins fortes, et, surtout, l'ordre est complet : au-dessus des pilastres règne, sur toute la longueur de la façade, et se retourne sur les pavillons d'angle, un entablement complet avec architrave, frise et corniche. L'étage supérieur est analogue à celui côté campagne, un seul LA PORTE DE FRANCE A MARSAL 141

passage ouvert, l'autre fermé par une maçonnerie en pierre appareillée. Aux deux ailes, les deux pavillons de façade sont reliés par des corps de bâtiments plus étroits coupant le rempart. L'ensemble délimite une sorte de cour intérieure de plan rectangulaire, qui est enjambée en son milieu par un arc appareillé, portant une galerie de jonction entre les pavillons extérieur et intérieur. Le tympan de l'arc est bouché par une maçonnerie en pierre de taille percée d'une porte et d'une fenêtre. La cour se trouve ainsi coupée en deux moitiés égales, dont la première, correspondant au passage, est à ciel ouvert, l'autre est voûtée d'arêtes au-dessus du rez-de- chaussée. Les lunettes cylindriques se prolongent sous les bâtiments. Une couverture en tuiles, de construction manifestement récente, désorganisée par l'explosion, protégeait la voûte dont la maçonnerie, en blocage grossier de moellons, s'est révélée fort entamée par les intempéries, au moment du départ de la première campagne de restauration en 1950. Elle dut être abattue et décou­ vrit alors une structure bien curieuse. Il apparut, en effet, qu'elle se trouvait insérée sous des voûtes plus anciennes dont les départs avaient été refouillés pour recevoir l'encastrement des nouvelles culées. Les murs des façades intérieures portent la trace bien évi­ dente de deux campagnes de construction : — A hauteur du rez-de-chaussée : maçonnerie en pierre de taille de bonnes hauteurs d'assises, portant les mêmes marques de tâcherons que sur les parties basses des façades extérieures; — Sur la hauteur de l'étage : maçonnerie en moellons, enduits à la chaux, avec encadrements de fenêtres en pierre de taille. Toutefois, sur la face nord, la maçonnerie se continue en pierre de taille jusqu'au départ de la couverture. Elle est trouée d'une fenêtre plus petite que les autres, dont les proportions se rapprochent de celles des façades extérieures. L'ensemble de l'étage est distribué en une série de pièces dont les cloisons paraissent assez récentes. Les menuiseries très banales ne se distinguent par aucun caractère particulier. Sous sa forme actuelle, l'édifice porte, en définitive, la trace apparente de remaniements nombreux et fort conséquents. Aussi, peut-il être intéressant de rechercher quels ont pu être les aspects successifs du monument au cours des temps et d'acquérir ainsi une 142 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL compréhension plus jufete des restes qui sont parvenus jusqu'à nous. Une des plus anciennes indications, pour la période qui nous intéresse, sur l'allure générale des remparts de Marsal, peut être relevée dans la Topogt-aphia Palatinus Rheni, publiée en 1645 par MERIAN. Le schéma des contours des fortifications avec leurs bastions est esquissé très sommairement en une perspective cava­ lière. La porte apparaît sous la forme d'une tour carrée, assez massive, percée d'une seule ouverture circulaire, et coiffée d'une toiture en pavillon; une demi-lune paraît déjà exister au-devant de l'entrée de la ville. En 1662, Beaulieu, ingénieur ordinaire du roi, signe un « Plan des Villes de Vie, Moyenvic et Marsal en Lorraine avec leurs nouvelles fortifications comme elles sont à présent ». Le cuivre original en est conservé par la Chalcographie du Louvre. Les trois villes sont situées dans leur cadre géographique, dont la topographie est rendue d'une main extrêmement habile. Le systè­ me fortifié de la place de Marsal, épaulé par sept bastions, est couvert par un fossé alimenté par la Seille et renforcé par une contrescarpe. Le marais, qui occupe tout le fond de la vallée jusqu'au-delà de Vie, est franchi par un pont en bois raccordant la ville à la chaussée de Dieuze. La porte s'ouvre au milieu d'un rempart droit reliant les bastions Notre-Dame et Valkay. Elle est précédée d'une demi-lune où s'abrite le moulin. Au sujet de la porte elle-même, aucun détail précis n'est figuré; l'indication à très petite échelle est celle d'un petit carré entouré d'un deuxième; peut-elle être interprétée comme celle d'un corps de bâtiments groupés autour d'une cour intérieure ? Quant aux remparts, une légende nous apprend que « tout le corps de la place est revestu de brique et de pierre de taille ». Ce que furent ces remparts de briques coupées de chaînes en pierre, nous le devinons par une gravure non datée, mais vraisemblablement contemporaine ou légèrement antérieure de Marsal en Lorraine. La porte Notre-Dame se compose de deux pavillons parallèles au rempart reliés par un corps de bâtiment perpendiculaire plus bas et, semble-t-il, assez étroit. Une seule porte en plein cintre est percée dans le pavillon extérieur, dont les parties basses sont cachées par la demi-lune que nous connaissons déjà. Il faut dire que la fidélité du dessin peut paraître quelque LA PORTE DE FRANGE A MARSAL 143

peu douteuse si l'on juge par l'interprétation assez fantaisiste don­ née de certains édifices, en particulier de l'église. A cet égard, le grand « Profil de la ville et Forteresse de Marsal », gravé en 1670 par Israël Silvestre, et conservé également à la Chalcographie du Louvre, possède une valeur documentaire certaine et bien plus précieuse. La cité, située dans son paysage de marécages, est vue des collines qui bordent la vallée au-dessus de la chaussée de Dieuze. Celle-ci se devine à l'avant-plan pour se perdre au lointain. La porte apparaît sous la silhouette qui nous est familière, groupant ses bâtiments autour d'une cour intérieure. Le pavillon d'entrée s'ouvre sur deux portes, dont les ponts-levis sont abaissés. Le caractère militaire de l'architecture est vigoureuse­ ment souligné par l'ordonnance de pilastres doriques que nous connaissons. L'étage d'attique, bas et pesant, est percé de quelques étroites ouvertures seulement disposées en fonction des besoins défensifs de l'ouvrage. Plus de cent ans après, en 1781, nous trouvons pour la pre­ mière fois un plan d'ensemble de Marsal, levé avec le détail des bâtiments civils et militaires. Un exemplaire, tracé à la main, est conservé à la bibliothèque de la ville de . Une réplique en existe à la bibliothèque de la Direction du Génie à Paris. Le dessin est extrêmement précis, et les différents bâtiments sont « distin­ gués par des couleurs différentes, selon l'espèce des fonds aux­ quels appartient leur entretien ». La porte de France est située, par rapport à l'ensemble du système définitif, entre le bastion Notre-Dame et son homologue, qui s'appelle maintenant bastion Saint-Nicolas. Le plan général de la porte, indiqué par un plan des toitures, est celui qui a duré jusqu'à nous. L'entrée dissymétriquement disposée ne se fait plus que par un seul passage. « A droite sous l'ancien passage, précise une légende, est la buanderie royale, à gauche sont les corps de garde et un cachot — au-dessus est un pavillon d'officiers et la prison militaire. » Au-devant de la porte existe toujours la demi-lune Notre-Dame, avec un corps de garde et son moulin, commandé par une écluse. Au débouché intérieur de la porte, et de part et d'autre, quatre corps de casernes, qui n'apparaissaient pas encore sur la gravure d'Israël Silvestre, complètent les installations militaires. Des changements assez conséquents paraissent avoir été opérés 144 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL

depuis un siècle à la structure de la porte. Il s'avérait toutefois difficile d'en suivre le détail, car, malheureusement, les plus anciens documents sur la place de Marsal (1669-1791) conservés à la bibliothèque de l'Inspection générale du Génie à Paris, avaient été emportés en Allemagne lors de l'occupation et n'ont pu être récupérés. Il y a quelque temps, M. Rigault, archiviste en chef du dépar­ tement de la Moselle, eut l'heureuse fortune de découvrir à la mairie de Marsal une grosse liasse de vieux documents, assez bien conservés dans l'ensemble, qui, au dépouillement, se révélaient être les plans et devis des travaux d'entretien et de transformation effectués à la porte de France au cours du xvnie siècle jusqu'à la veille de la Révolution. Comment ces pièces oubliées étaient- elles parvenues dans les archives de la mairie ? Il serait vraisem­ blable de croire qu'il s'agit des fonds de documents du service local du Génie qui, lors de la capitulation de 1870, auraient été remis entre les mains du maire pour ne pas tomber en possession de l'ennemi. Grâce à l'obligeance de notre confrère, il m'a été pos­ sible de compulser les archives récupérées qui, rapidement, se révélèrent riches de renseignements. Un plan du premier étage, du 12 novembre 1711, nous confirme le caractère nettement défensif que possède l'ouvrage encore au début du siècle; du côté de la ville, l'étage ne comprend qu'une salle unique commandant la manœuvre des herses qui bouchent les deux passages voûtés; du côté extérieur, une seule pièce, également sur toute la surface du bâtiment. Il apparaît avec évidence que la circulation de gauche n'est plus utilisée, car seul au-dessus du passage de droite existe encore l'agencement demandé pour le logement des bras du pont-levis. Une galerie relie les deux locaux au-dessus de la cour intérieure. Les fenêtres, tant sur les façades extérieures que sur la cour, sont peu nom­ breuses et de petites dimensions et ne correspondent pas aux perce­ ments d'aujourd'hui. Le pavillon intermédiaire de droite semble occupé par une salle de garde. Celui de gauche est cloisonné, ne communique pas avec les installations et n'est accessible que du rempart (Fig. 3). Dès 1720, on songe à une nouvelle utilisation de l'étage. On rencontre un projet de distribution intérieure du 6 juin de cette année (n° 2.895-2/2), prévoyant : LA PORTE DE FRANGE A MARSAL 145

a) dans le pavillon extérieur, la création d'un logement destiné à l'aide-major; b) dans la moitié nord du pavillon intérieur mis en com­ munication avec l'aile intermédiaire nord, l'aménagement du logement du capitaine de porte.

Fig. 3. — La porte de France : l'étage en 1711

L'aile intermédiaire sud reçoit la prison. Au-dessus de la voûte intérieure du passage, le local de manœuvre de la herse est maintenu. Nous retrouvons ce plan pratiquement inchangé à plusieurs reprises; l'un des exemplaires, non daté, d'ailleurs (n° 2.895-2/5), avec la mention manuscrite: «plan à exécuter suivant projet»; une autre fois (n° 2.895-1/2) avec la date de 1724. Il ne semble pas, toutefois, que l'on soit passé à l'exécution, car, en 1727, on rencontre un nouveau projet (n° 2.895-1/5) indiquant la distribution que l'on peut faire pour pratiquer un logement pour officier.

15 146 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL

L'utilisation du pavillon extérieur est abandonnée. L'appar­ tement se développe sur toute la surface du pavillon intérieur, en empiétant sur la moitié de l'aile intermédiaire nord, dont la super­ ficie restante est réservée à la prison. Au-dessus de la voûte du passage intérieur, l'aménagement de la cuisine demande la sup­ pression de la herse, qui sera déplacée vers le passage extérieur et commandée à partir de la chambre aux orgues à créer au-dessus de la voûte.

L'aile intermédiaire sud est destinée à recevoir une prison, et le corps de garde, les soldats. Mais, ce projet, encore, ne dut pas se réaliser, car, en 1754, nous trouvons un plan du premier étage (n° 2.890-6/1) «pour LA PORTE DE FRANGE A MARSAL 147 faire voir les réparations à y faire ». La distribution et l'indica­ tion des ouvertures est identique à celle du plan de 1711. Un dessin (n° 2.890-5/1) du rez-de-chaussée, également daté de 1754, nous renseigne sur la configuration du rez-de-chaussée (Fig. 4). La circulation commandée par le pont-levis n'emprunte qu'un seul passage. Le deuxième, ouvert vers la ville, est fermé par une maçonnerie du côté du fossé. Sous son sol passe l'égout de la ville et l'amenée d'eau potable. Un mur sans ouvertures sépare les deux passages, qui sont à ciel ouvert dans la partie corres­ pondant à la cour intérieure. Sous le pavillon intermédiaire nord, est installée la cave de l'aide-major, fermée par une maçonnerie du côté du passage condamné. Sous le pavillon sud, est placé le corps de garde des soldats — mais la cloison de séparation vers la circulation ne se trouve pas à son emplacement actuel, mais en retrait de l'arc de décharge supportant le mur intérieur de l'étage. Pendant les années 1757 et suivantes, on travaille à l'entretien de la façade sur campagne, dont les parements se désagrègent et sont repris en sous-œuvre. Ceci nous vaut un dessin extrêmement précieux (n° 2.890-8/1) qui, pour la première fois, nous met en face de l'élévation extérieure de l'ouvrage. La façade en géométral, dessinée avec beaucoup de vigueur, confirme et complète les indi­ cations de la gravure d'Israël Silvestre. L'ordre dorique des pilas­ tres jumelés à bossages s'élève sur un soubassement fortement taluté, vigoureusement appareillé, dans lequel s'ouvrent, dans l'axe des portes, les sorties voûtées et grillagées des égouts. Le pont- levis n'existe que pour la porte de droite; celle de gauche est toujours fermée par une maçonnerie. L'étage d'attique est massif et seulement percé de deux minuscules ouvertures au-dessus des portes (Fig. 5). En 1758, un plan fourni à l'appui du projet de travaux pour l'année suivante (n° 2.890-3/1) apporte la réponse au mystère de la porte fermée grâce à une note inscrite à l'emplacement de la circulation « double passage masqué pour entrer dans la ville, lorsque la saline subsistait ». Or, nous savons que la saline, qui s'élevait au centre de la cité, sur l'un des côtés de la place d'Armes, fut fermée en 1699 (1).

(1) R. PARISOT, Histoire de Lorraine, t. II, p. 212, Paris, 1922. 148 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL

Une retombe, jointe au projet, envisage, enfin, la modifica­ tion du corps de garde des soldats par le déplacement du mur de séparation à son emplacement actuel. En 1771, on commence à envisager les modifications de la façade extérieure. Une élévation et une coupe (n° 2.890 et n° 2.895 — 1/4 et 2/4) proposent, en effet, la démolition de la toiture du

Fig. 5. — La porte de France en 1757 pavillon et de l'entablement qui lui sert d'assiette. Le rez-de- chaussée de la porte est toujours le même, mais l'ancienne cave de l'aide-major est désignée maintenant « buanderie royale ». L'accès côté ville du passage condamné paraît être muré vers 1773. A l'étage, on étudie de nouveau les cloisonnements en vue de la création de logements d'officiers. Le projet mûrit au cours des années suivantes et commence à être mis à exécution. Il s'accom- LA PORTE DE FRANGE A MARSAL 149 pagne d'un relèvement général de la hauteur de l'étage, dont l'arase des maçonneries est remontée d'une hauteur d'assise. Les derniers documents à ce sujet datent de 1774 (n° 2.890 — 1/1 et 5/3) et indiquent, en une note manuscrite, que les travaux sont en partie faits. Le plan indique la nouvelle distri­ bution des locaux. Le dessin de la modification de la façade côté campagne est donné en retombe : il indique la disposition que nous connaissons avec cinq fenêtres placées au-dessus d'un bandeau mouluré, qui remplace l'ancien entablement de la corniche dorique. Du côté de la ville, la transformation paraît terminée. La date de 1774, gravée au-dessus du médaillon de la façade d'entrée, et dont le sens échappe à première vue, devrait corres­ pondre à l'achèvement de la campagne de restauration et d'aména­ gement de l'ouvrage, dont l'aspect général ne changera plus guère. Les relevés de 1819 figurant à Y Atlas des bâtiments militaires (plan n° 1.624 et 1.628 des Archives départementales) reproduisent un état qui nous est désormais familier. Les distributions des locaux sont celles qui existaient à la chute de la royauté; l'aspect extérieur ne s'est pas modifié; au-dessus du passage condamné, la cour à ciel ouvert existe toujours. La fermeture par une voûte massive se trouve ainsi située située à une époque très récente.

H* H* *fc

Il semble, en conclusion, que la construction de la porte de France puisse être située entre les dates extrêmes de 1662, donnée par le plan de Beaulieu, et 1670, fournie par la gravure d'Israël Silvestre montrant une construction entièrement achevée. Celle-ci porte bien la griffe du style de Vauban qui, de 1657 à 1667, commence à fortifier également Nancy et Brisach. Marsal, à cette époque, est un maillon essentiel de la chaîne des fortifications qui couvre la frontière de Montmédy à Brisach, en passant par Thion- ville, Metz, , Sélestat. A partir de 1678, cette ligne se déplace vers l'est pour se stabiliser, après la paix de Ryswijk (1697), sur le tracé Longwy - - Metz - Phalsbourg - Stras­ bourg, avec les deux pointes avancées de Sarrelouis et de Landau. Marsal perd de son intérêt — l'entretien des fortifications et de la porte est toutefois assuré de façon suivie. Les nécessités défensives s'estompent avec le temps. Au dernier tiers du siècle 150 LA PORTE DE FRANGE A MARSAL suivant, intervient un remaniement important, auquel des considé­ rations de confort ne sont pas étrangères. Le tocsin de la Révolu­ tion sonne en même temps le glas de l'importance militaire de Marsal, dont la déchéance est consommée en 1870. Les fiers rem­ parts s'écroulent et s'abîment lentement dans la vase des fossés comblés, où le vent, tristement, se coule, agitant les plumets des roseaux et le feuillage argenté des saules. La porte de France survit à son passé, majestueuse dans sa sobriété et toujours fidèle à la mission de prestige que, dans sa pensée, son créateur avait coutume d'associer avec constance aux buts militaires immédiats de ses ouvrages.