Institut d’Etudes Politiques de Lyon

LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Antoine VALLAURI ème Mémoire de séminaire- 4 Année Séminaire : Histoire politique des XIX et XXème siècles Directeur de mémoire : M. Bruno BENOIT, Professeur des Universités Mémoire soutenu le 6 septembre 2011

Membre du jury : M. Gilles VERGNON, Maître de Conférences

Table des matières

Remerciements . . 6 Liste des abréviations . . 7 Introduction . . 8 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse . . 14 Chapitre 1 : Réflexions sur la place de La Fayette dans l’opinion et son appréciation dans la presse : . . 14 1.1.La presse face à la mort de La Fayette . . 14 1.2.La Fayette plutôt oublié après sa mort et ponctuellement évoqué : . . 17 1.3.Le renouveau de 1917 . . 21 1.4.1934 et 1957 : la presse nationale et les anniversaires de La Fayette . . 24 1.5.L’opinion des Français à l’approche du bicentenaire de la Révolution française . . 27 1.6.L’histoire du très contemporain : un dualisme de l’opinion sur La Fayette ? . . 30 Chapitre 2 : La mémoire officielle et le symbole persistant de l’amitié franco-américaine . . 39 2.1.Les discours des officiels nationaux français et la mémoire de La Fayette . . 39 2.2.Le mythe La Fayette et les relations franco-américaines . . 46 Chapitre 3 : Mémoires annexes de La Fayette : . . 48 3.1.Le souvenir de La Fayette dans la franc-maçonnerie . . 48 3.2.Des aspects secondaires de l’action de La Fayette ponctuellement évoqués dans la presse . . 51 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes . . 53 Chapitre 1 : Les manifestations inhérentes à la mémoire de La Fayette : . . 53 1.1.L’inauguration de statues et de plaques . . 53 1.2.Les commémorations des anniversaires . . 58 Chapitre 2 : Etude de cas : La manifestation des mémoires locales de La Fayette . . 75 2.1.Le cas emblématique de la Haute-Loire . . 75 2.2.L’exemple de la Seine-et-Marne . . 88 2.3.D’autres mémoires locales . . 90 Chapitre 3 : Un souvenir qui s’exerce : . . 92 3.1 Un travail académique sur La Fayette . . 92 3.2.Objets et symboles relatifs à La Fayette . . 94 3.3.La Fayette mis en scène . . 95 3.4.Une mémoire familiale . . 96 3.5 La reconstruction de l’Hermione : une initiative liée au souvenir de La Fayette . . 98 Partie III : La Fayette face aux jugements . . 100 Chapitre 1 : Admirateurs et opposants à l’époque de La Fayette . . 100 1.1.Les admirateurs contemporains de La Fayette . . 100 1.2.Ses détracteurs . . 102 Chapitre 2 : Réflexion des biographes et jugement des intellectuels sur le général La Fayette . . 105 2.1.Considérations sur les écrits portant sur La Fayette . . 105 2.2.L’opinion des biographes . . 108 2.3. La Fayette à l’épreuve des intellectuels . . 111 Conclusion . . 115 Sources . . 119 Consultation d’archives . . 119 Presse . . 120 Ouvrages utilisés à caractère de sources . . 125 Bibliographie . . 126 Ouvrages généraux . . 126 Biographies de La Fayette . . 126 Catalogues d’expositions . . 127 Ouvrages qui concernent La Fayette . . 127 Ouvrages dans lesquels La Fayette est cité . . 129 Articles . . 129 Périodiques . . 132 Articles de revues d’histoire grand public . . 132 Informations obtenues sur internet . . 133 Travaux académiques . . 133 Travaux universitaires . . 133 Discours . . 133 Emissions radiophoniques . . 134 Annexes . . 135 Annexe 1 : Sondage Sofres-Le Figaro 1988 sur les personnalités de l’époque révolutionnaire . . 135 Annexe 2 : Tribune de Jean-Noël Jeanneney, Le Monde, 09/11/2007, « La Fayette au Panthéon ? Holà ! » . . 136 Annexe 3 : Tribune de Pierre Bercis, Le Monde, 16/11/2007, « La Fayette nous voilà ! » . . 136 Annexe 4 : Tribune de Gonzague Saint-Bris, Le Monde, 05/11/2007, « La Fayette au Panthéon ! » . . 137 Annexe 5 : Article relatif à la commémoration du bicentenaire de La Fayette par la franc-maçonnerie en 1957 . . 138 Annexe 6 : Article Le Figaro, 08/09/1883 : « L’ouragan du Puy » . . 141 Annexe 7 : Emblème du Bicentenaire de La Fayette . . 142 Annexe 8 : La Voie La Fayette . . 143 Annexe 9 : Procès-verbal des délibérations Conseil général de Haute-Loire, Séance du 25 avril 1934 . . 144 Annexe 10 : Procès-verbal des délibérations Conseil général de Haute-Loire, Séance du 26 avril 1939 . . 145 Annexe 11 : Proclamation Solennelle La Fayette 1976 . . 147 Annexe 12 : Brochure Spectacle « La Fayette.. ? Me voici ! », 4, 5 et 6 août 1989 . . 148 ème Annexe 13 : Affiches des manifestations pour le 250 anniversaire de la naissance de La Fayette en Seine-et-Marne . . 150 Annexe 14 : Timbres représentant La Fayette . . 151 Annexe 15 : Invitation à un dîner en l’honneur de la mémoire de La Fayette 14 novembre 1989 . . 153 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Remerciements J’adresse mes remerciements à M. Bruno Benoit, Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, directeur de mémoire, pour m’avoir prodigué ses précieux conseils et m’avoir accompagné tout au long de ce travail. Je remercie également M. Gilles Vergnon, Maître de Conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, membre du jury, pour ses conseils et son suivi lors des séances de séminaire. Je tiens à exprimer ma gratitude à M. Martin de Framond, Conservateur en chef des Archives départementales de Haute-Loire, pour m’avoir orienté dans mes recherches et m’avoir apporté des éclairages précieux à l’occasion de ma venue aux Archives. Je remercie Mme Isabelle-Sophie Grivet de la Fondation Josée et René de Chambrun pour m’avoir reçu et avoir bien voulu répondre à mes questions. J’exprime ma reconnaissance à Mme Irène Mainguy, Bibliothécaire principale au Grand Orient de France, et M. François Rognon, bibliothécaire à la Grande Loge de France, pour leur aide dans ma quête d’informations lors de ma venue aux bibliothèques des Loges respectives. Je témoigne également de ma gratitude à M. Pierre-Alain Tilliette, Conservateur en chef, adjoint du Directeur de la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris, pour son attention et sa contribution à mes recherches. Je remercie Mme Elsa Marguin, du département à l’action culturelle et éducative des Archives Nationales, pour avoir retrouvé des dossiers d’archives relatifs à l’exposition La Fayette organisée par les Archives Nationales en 1957 et m’avoir permis l’accès à ces documents. Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à Mme Monique Samson, du Service Administratif et Comptabilité de France-Amériques-Cercle des Nations Américaines, pour m’avoir bienveillamment accordé du temps lors de ma venue.

6 VALLAURI Antoine - 2011 Liste des abréviations

Liste des abréviations ∙ Arch. Nat. : Archives Nationales ∙ Arch. Dép. 43 : Archives départementales de la Haute-Loire ∙ Arch. Dép. 77 : Archives départementales de la Seine-et-Marne ∙ Ed. : Edition

VALLAURI Antoine - 2011 7 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Introduction

« Je plains quiconque n’aurait pas cinquante pour cent de fayettisme dans son cœur ». Joseph Delteil. Plus de cent soixante-dix ans après sa mort, Marie-Joseph-Yves-Roch-Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, reste, comme il le fut durant la quasi-totalité de son existence, un personnage controversé et contesté. Peu d’hommes publics suscitèrent autant de sentiments et d’impressions, adulation et admiration pour certains, haine pour les autres. La Fayette naît le 6 septembre 1757 au château de Chavaniac, non loin du Puy. Orphelin de père dès l’âge de deux ans, il connaît une enfance rurale et choyée par trois femmes : sa grand-mère et ses deux tantes paternelles, Marguerite-Madeleine du Motier et Louise-Charlotte de Chavaniac. De son enfance, La Fayette gardera toute sa vie une certaine nostalgie pour le monde rural et un intérêt particulier pour l’agriculture. L’envie de retraite qui jalonnera son existence est liée constamment à la campagne. De fait, lorsqu’il est libéré en janvier 1798, il manifeste le désir de se retirer « dans une ferme française ». Quant à la mère de La Fayette, elle vit la plus grande partie de son temps à Paris, au Palais du Luxembourg, auprès de son père et de son grand-père. Elle se montre à la Cour en vue d’assurer à son fils, le jeune marquis, une existence et des relations dignes de son rang. En 1768, à l’âge de onze ans, La Fayette quitte Chavaniac pour la première fois. Il entre à Paris au collège du Plessis, l’actuel Lycée Louis-le-Grand. Au cours de sa scolarité, il révèle certains traits de son caractère qui le caractériseront sa vie durant, notamment l’esprit de révolte contre l’autorité. Un exemple typique de son attitude a souvent été cité : alors qu’un professeur lui demande, dans un devoir, d’imaginer un cheval parfait, La Fayette décrit un cheval qui ne se laisse pas dompter et se débarrasse de son cavalier. Il montre également un certain goût pour le commandement et acquiert de l’ascendant sur ses camarades. L’année 1770 constitue un tournant dans la vie de La Fayette. A la suite de la mort successive de sa mère et de son grand-père, il se retrouve orphelin et à la tête d’une fortune de 120 000 livres. Dans le même temps, parallèlement à sa scolarité, La Fayette entame une éducation militaire à l’Académie de Versailles où il fait la rencontre du comte d’Artois. Du fait de sa fortune considérable, le jeune mousquetaire devenait soudain un très beau parti. C’est assurément pour cette raison que Jean-Paul-François de Noailles, duc d’Ayen, jette son dévolu sur La Fayette pour lui faire épouser sa fille cadette, Marie-Adrienne-Françoise de Noailles. Le mariage est célébré le 11 avril 1774 dans la chapelle de l’hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré. Ce mariage introduit La Fayette dans l’une des familles les plus puissantes de la Cour et les plus proches du roi. Le jeune homme se met alors à mener une vie mondaine inhérente à son rang en fréquentant les bals de la Cour, celui de la reine en particulier. Cependant, il ne possède que de faibles talents pour cette vie. Durant l’été 1775, La Fayette est en garnison à Metz. Deux événements fondamentaux vont le marquer à ce moment : le dîner de Metz qui, d’après tous ses biographes, déclenche son enthousiasme pour la cause des « Insurgents » américains, et son initiation à la franc- maçonnerie qui va jouer un rôle si important tout au long de sa vie. Le 8 août 1775, Le maréchal de Broglie, commandant de l’armée de Metz, donne un souper en l’honneur du duc de Gloucester, le propre frère du Roi d’Angleterre, George III, qui se rendait en Italie. La Fayette fait partie des invités. Il écoute le duc, qui déteste son frère jusqu’à soutenir la cause 8 VALLAURI Antoine - 2011 Introduction

des Américains, critiquer vigoureusement les défauts de la politique britannique, et souligner les qualités des insurgés américains auxquels il prédit victoire et indépendance. Dans ses Mémoires, le marquis de La Fayette affirme que ce souper a été l’élément déclencheur de sa flamme en faveur des Insurgents : « Jamais si belle cause n’avait attiré l’attention des hommes, c’était le dernier combat de la liberté. […] A la première connaissance de cette querelle, mon cœur fut enrôlé, et je ne songeai qu’à joindre mes drapeaux1. » On retrouve déjà ce grand idéal de liberté qui constituera le moteur des actions de La Fayette tout au long de sa vie. Malgré l’interdiction formelle du roi Louis XVI et l’opposition familiale, La Fayette s’embarque dès 1777 pour l’Amérique, sur la frégate « La Victoire » armée à ses frais. Il débarque le 15 juin 1777 à proximité de Georgetown en Caroline du Sud. Le 27 juin 1777, il se présente à Philadelphie devant le Congrès des Etats-Unis, et demande la permission de servir parmi les Insurgents en tant que simple soldat, sans traitement ni indemnité. Le Congrès lui attribue rang et commission de major général au sein de l’armée des Etats-Unis. er Le 1 août 1777, il fait la rencontre du Commandant en chef, George Washington. Cette rencontre est le début d’une amitié indéfectible entre les deux hommes qui éprouveront des rapports filiaux, de fascination et d’estime réciproques. La Fayette devient le proche collaborateur de Washington. La Fayette fait preuve au combat d’un courage et d’une bravoure réels. Le 11 septembre 1777, il est blessé à la bataille de Brandywine puis, après une période de repos, a l’occasion de se distinguer à plusieurs reprises, en pénétrant au Canada avec peu d’hommes et en parvenant à secourir deux mille insurgés pris en siège par les soldats britanniques. En février 1779, le jeune marquis revient en France, où il est accueilli triomphalement, et plaide la cause de l’insurrection auprès du roi. Il obtient l’envoi d’un corps de six mille hommes en Amérique, placés sous les ordres du général-comte de Rochambeau, militaire aguerri, avec le concours d’une flotte navale menée par l’amiral chef d’escadre François de Grasse. La Fayette n’obtient toutefois pas le commandement des troupes de renfort car il est jugé trop jeune et manquant d’expérience. La Fayette devance le corps expéditionnaire, et embarque pour Boston le 20 mars 1780 à bord de l’Hermione. Il combat alors dans l’armée des Etats-Unis directement sous les ordres de Washington, et est nommé à la tête des troupes de Virginie. A ce poste, il harcèle l’armée anglaise dirigée par Cornawallis, et fait la jonction avec les armées de Washington et de Rochambeau. Les troupes britanniques se retrouvent isolées dans la baie de Chesapeake, incapables de recevoir des secours par la mer en raison du blocus maritime imposé par la flotte de l’amiral de Grasse. Les troupes britanniques subissent une lourde défaite à Yorktown le 17 octobre 1781. C’est pratiquement la fin de la guerre d’indépendance. Après son retour en France, et un troisième voyage aux Etats-Unis en 1784-1785, le marquis de La Fayette peut mettre sa popularité et son aura au service de causes humanistes et progressistes. C’est en ce sens qu’on parle parfois de La Fayette comme un homme en avance sur son temps. Comme beaucoup d’hommes éclairés de son époque, il participe à la diffusion des idées nouvelles, hors des réseaux habituels. Il s’intéresse au sort des Noirs et crée avec Brissot et d’autres libéraux la Société des amis des Noirs. Il s’occupe également de la condition des Protestants et, appelé en 1787 à la première Assemblée des notables, se prononce en faveur de la suppression des lettres de cachet et des prisons d’Etat. Il parvient à obtenir un arrêté permettant aux Protestants de jouir de leurs droits civils. 1 Mém. Corresp. T.I, p. 9. VALLAURI Antoine - 2011 9 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

De plus, il « fait la motion expresse de la convocation de la nation représentée par ses mandataires2 ». La seconde Assemblée des notables n’ayant abouti à rien d’autre qu’une opposition au vœu général, il est décidé la convocation des Etats Généraux. La Fayette joue dans les premiers temps de la Révolution française un rôle considérable : « Son nom, dit Sainte-Beuve, est comme la médaille la mieux frappée des hommes de 1789 ». Le 25 mars 1789, La Fayette est élu député de la noblesse de Riom aux Etats Généraux. Son élection apparaît toutefois difficile et montre que sa popularité est plutôt fragile3. Il n’est pas sans ennemis : il n’est guère apprécié à Versailles, où ses actions passées « le font suspecter de démagogie4 ». Ailleurs, sa popularité suscite des inquiétudes car elle semble trop importante. D’emblée, La Fayette se met en avant, et prend la parole pour la première fois le 8 juillet 1789 pour soutenir la motion de Mirabeau, son futur ennemi intime, demandant l’éloignement des troupes. Le 11 juillet, il présente à l’Assemblée Nationale un projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est adopté avec enthousiasme. Le 13 juillet 1789, La Fayette obtient le bénéfice de sa popularité puisqu’il est élu vice-président de l’Assemblée. Il se sert alors de son influence à cette position pour faire décréter la responsabilité des ministres. Le 15 juillet à Paris, il est proclamé commandant de la garde nationale. Son « élection » par acclamation tend à accroître encore davantage sa popularité. Les gardes nationaux ont alors été appelés « les bleuets de La Fayette5 ». Un biographe de La Fayette a écrit : « Jamais homme ne représenta, mieux, il faut le dire, l’esprit de la garde nationale, son besoin d’ordre et son goût d’opposition, son trouble dans les principes, ses idées contradictoires, ses entraînements d’amour-propre, ses instincts d’anarchie honnête et modérée ». Le 16 juillet, La Fayette ordonne la destruction de la Bastille et le 17 juillet, il invite ses troupes à arborer la cocarde tricolore. Mais La Fayette ne tarde pas à prendre peur, à mesure que la Révolution dépasse le programme pacifique de ses débuts. Il est tiraillé entre son devoir d’assurer la protection du roi, et son envie de faire triompher les idées libérales de la Révolution. Le 5 octobre 1789, lorsque les Parisiennes vont à la recherche du roi à Versailles afin de le ramener à Paris, La Fayette fait preuve de maladresse dans la défense du château. Il est surnommé après coup : « le général Morphée ». Il n’en assure pas moins la promesse au roi et à sa famille de les défendre quoi qu’il arrive. Cela n’a pas l’heur de rassurer Marie-Antoinette, qui déteste tant La Fayette. Depuis que La Fayette est présent à la Cour, méfiance et rivalité résument les rapports entre la reine et le marquis. Durant la Révolution, elle dira : « Je vois bien que monsieur de La Fayette veut nous sauver, mais qui va nous sauver de monsieur de La Fayette ? ». Le marquis de La Fayette, surnommé le « Héros des deux mondes », connaît sa véritable heure de gloire le 14 juillet 1790, à l’occasion de la Fête de la Fédération, lorsqu’il prête serment devant le roi au nom de la garde nationale. Cette date correspond à l’apogée de sa popularité. La figure de La Fayette sur son cheval blanc représente alors quelque chose de considérable dans l’imaginaire populaire. Son image décline à partir de l’arrestation du roi dans sa fuite à Varennes le 21 juin 1791. Le roi et sa femme sont arrêtés, sans que La Fayette n’ait pu soupçonner quoi que ce

2 A. Robert, G. Cougny, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 3 Patrice Gueniffey, « La Fayette » dans F. Furet, Dictionnaire critique de la Révolution française, p. 151 4 Ibid. p. 152 5 A. Robert, G. Cougny, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 10 VALLAURI Antoine - 2011 Introduction

soit. Un mois plus tard, le 17 juillet 1791, le peuple se rend en masse au Champ-de-Mars afin de signer une pétition du club des Cordeliers, dans laquelle il demande à l’Assemblée de ne plus prendre de décisions envers le roi jusqu’à ce que les départements se soient prononcés. La garde nationale tire, provoquant la mort d’une cinquantaine de sans-culottes. Cette journée représente la première cassure entre un La Fayette aux idées libérales et la Révolution : « La Fayette se trouve désigné aux rancunes révolutionnaires6 ». Le 8 octobre 1791, il se démet de ses fonctions à la tête de la garde nationale. Après la chute de la monarchie, La Fayette, menacé d’arrestation, quitte la France avec une partie de son état-major. Il est fait prisonnier par les Autrichiens et il reste incarcéré jusqu’en 1797. Il est libéré le 19 septembre 1797 grâce à une clause spécifique du traité de Campo-Formio, négocié par le Premier Consul Napoléon Bonaparte. Son retour fait relativement peu de bruit. La Fayette exprime une opposition discrète à Bonaparte, en refusant à deux reprises un siège au Sénat et en votant contre le consulat à vie. Il refuse également d’être nommé ambassadeur aux Etats-Unis, sous prétexte qu’étant Américain lui-même, il lui est impossible d’être diplomate auprès de son pays. Les rapports entre Bonaparte et La Fayette ne cessent de se détériorer. Bonaparte éprouve du respect pour La Fayette mais dans le même temps, il se méfie de lui, car « il le tient pour un mélange de militaire courageux et de missionnaire laïque, obstiné jusqu’à l’irréalisme7». On peut résumer les relations entre les deux éminents personnages à un double malentendu : le général La Fayette a longtemps eu la conviction qu’il réussirait à convertir à la liberté celui qu’il a connu comme Bonaparte. Napoléon a toujours espéré le ralliement à lui de La Fayette, « tel un grand connétable conscient de ce que l’Empereur avait apporté à la France8 ». La Fayette refait politiquement surface au moment des Cent Jours en 1815. Refusant une nomination par Napoléon à la Chambre des pairs, il se fait élire député à la Chambre des représentants le mai 1815, et en devient le vice-président. Après Waterloo, le Héros des deux mondes introduit une motion qui contraint l’empereur à abdiquer de façon définitive. Face à son refus de la Restauration, La Fayette se retire une nouvelle fois sur ses terres. En 1818, sous le règne de Louis XVIII, La Fayette effectue son retour à la Chambre des députés. Il est alors de tous les combats pour la liberté. Dans le même temps, La Fayette participe à différents complots, notamment ceux de sociétés secrètes, les Carbonari. Battu aux élections de février 1824, ayant besoin de se changer les idées, le marquis choisit un retour aux sources, c’est-à-dire un quatrième voyage aux Etats-Unis, trente-neuf ans après sa dernière venue. Il accomplit une grande tournée triomphale qui le conduit dans 24 Etats. Partout où il passe, La Fayette reçoit un accueil empreint de discours patriotiques et émouvants, de banquets, de cadeaux et de rencontres inattendues. Il est reçu comme un véritable chef d’Etat. Pour les Américains de l’époque, à l’approche des 50 ans de l’Indépendance, La Fayette est un symbole, un acteur encore vivant de l’épopée américaine, de la gloire nationale. Ce voyage résonne en écho en France et contribue à revivifier la popularité de la Fayette auprès du peuple français. Ce regain de popularité produit ses effets puisque La Fayette redevient député, élu par l’arrondissement de Meaux le 21 juin 1827. Il suit alors la même ligne politique que précédemment.

6 A. Robert, G. Cougny, Dictionnaire des parlementaires de 1789 à 1889 7 Gonzague Saint-Bris 8 Ibid. VALLAURI Antoine - 2011 11 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

En juin-juillet 1830, les événements se précipitent à Paris. Défait aux élections législatives, le roi Charles X met en place un coup d’Etat qui a l’apparence de légalité, en établissant des ordonnances liberticides. La Fayette rentre précipitamment à Paris. Dès son retour dans la capitale, sa popularité ne cesse de croître. Son nom se répand à toute vitesse. C’est à lui qu’il revient de réduire à néant la monarchie. Il est conscient de cela, et déclare devant ses collègues députés le 28 juillet qu’il s’agit d’une révolution, et que l’insurrection est bel et bien entamée. Porté par acclamation à la tête de la garde nationale, comme en 1789, il s’avère le chef effectif du gouvernement provisoire. Comme à aucun autre moment de sa vie, La Fayette se trouve en position de décider seul de l’avenir du pays. Il détient la force et la confiance du peuple. C’est l’occasion unique pour lui de devenir le chef d’une authentique démocratie, de devenir le Washington français. Toutefois, malgré les espérances qu’avaient placées sur ses épaules les partisans de la République, le Héros des deux mondes fait le choix de recevoir à l’Hôtel de Ville le duc d’Orléans le 31 juillet 1830. Retrouvant le sens médiatique qui le caractérise, La Fayette se dirige vers le balcon de l’Hôtel de Ville, entraînant le duc d’Orléans par le bras, tenant de l’autre main un drapeau tricolore. La Fayette prend alors le prince dans ses bras et l’enveloppe du drapeau tricolore tout en clamant : « Ce roi est la meilleure de nos républiques ». Nommé par le nouveau roi Commandant général des gardes nationales pour tout le pays, La Fayette est un symbole considérable, une sorte de Statue du commandeur qui tient une place considérable dans le nouveau paysage de la France. Pour Louis-Philippe, La Fayette est à la fois une figure du passé et un allié politique embarrassant. La Fayette réclame en effet des réformes très libérales : il demande la suppression de l’hérédité pour les pairs, l’abolition de la peine de mort, la suppression de l’esclavage…Le 24 décembre 1830, la Chambre approuve un projet de loi qui modifie l’organisation des gardes nationales. La Fayette se retrouve cantonné au simple rang de chef de la garde nationale pour la seule ville de Paris. Il choisit alors de donner sa démission et de reprendre son rôle d’éternel opposant. Il va à présent défendre toutes les causes, en France et dans le monde, qu’il trouve justes. La Fayette meurt à Paris le 21 mai 1834, à 77 ans, en pleine gloire. Ses obsèques nationales se déroulent le 22 mai. Il est inhumé au cimetière de Picpus, et recouvert de la terre qu’il avait ramenée en 1825 des Etats-Unis. Alors qu’en France, le pouvoir avait cherché à contrôler la ferveur populaire, aux Etats-Unis, son deuil, même au plan officiel, prend un registre sentimental. Le 24 juin 1834, la Chambre des Représentants et le Sénat décrètent un deuil de trente jours pour tout le pays. Tous les drapeaux des régiments et des bateaux de guerre sont mis en berne. De nombreuses cérémonies religieuses et maçonniques ont lieu. L’attitude de La Fayette en juillet 1830 montre à quel point il préférait l’amour de la popularité au pouvoir. Son goût pour la gloire et la popularité, et son idéal de liberté, ont constitué les véritables moteurs qui ont accompagné La Fayette dans le cheminement de son existence. Jefferson l’affirmait : « Il a une faim canine pour la popularité ». La Fayette lui-même avouait qu’il préférait « le sourire de la multitude ». La Fayette a consacré sa vie à la liberté. Cela explique aussi sans doute pourquoi il n’a pas pris le pouvoir. C’aurait été aller contre les idées pour lesquelles il a combattu sa vie durant, pour lesquelles il a donné sa fortune et son existence… Depuis sa mort, la mémoire de La Fayette est véritablement vénérée aux Etats-Unis, où il est toujours considéré comme un héros, l’un des Hérauts de la liberté, de l’indépendance. Il est l’un des personnages clés de l’histoire des Etats-Unis, et l’un des Français les plus célèbres là-bas. Beaucoup l’estiment comme un des « pères de la nation », à l’instar des premiers présidents. Il est entouré jusque dans son tombeau de nombreuses marques

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d’attachement et de respect de la part des Etats-Unis. Plus d’une quarantaine de villes, sept comtés, une montagne, une rivière, un parc national et bien d’autres lieux portent son nom. En 2002, le Congrès américain a élevé le marquis de La Fayette à la dignité de citoyen d’honneur des Etats-Unis, si rarement octroyée. Alors que La Fayette suscite beaucoup d’estime aux Etats-Unis, sa place dans l’histoire de France est l’objet des jugements les plus divers. Il ne jouit ni de la même admiration ni de la même notoriété. Pour les uns, dont Joseph Delteil (cf. phrase en exergue) et son récent biographe Gonzague Saint-Bris, La Fayette représente un personnage historique glorieux. Les admirateurs actuels de La Fayette considèrent que, à l’exception des magasins du même nom et des avenues et rues La Fayette dans les grandes villes de France, notre pays n’a pas exprimé sa gratitude au Héros des deux mondes ; il a pourtant porté haut les couleurs de la France et de la Liberté lors de la guerre d’indépendance américaine. Ses détracteurs actuels sont beaucoup plus circonspects vis-à-vis des actions menées par La Fayette au cours de son existence. La Fayette fait parfois l’objet de suspicion, voire de haine auprès de certains. On pourrait parler de légende noire de La Fayette. Mais plus généralement, Gilbert du Motier de La Fayette semble pour un certain nombre de nos concitoyens, oublié de la mémoire collective nationale. Jacques Bainville, de l’Académie Française, résume assez bien le relatif déclin de ce personnage qui a laissé en France une image ambiguë : « Il y a des personnages historiques ennuyeux. La Fayette est le premier de ceux-là. Ce n’est plus qu’un nom de rue ou de bateau, un nom usé par le panégyrique ». Notre objectif est donc à travers ce mémoire de nous interroger sur l’opinion des Français d’hier et d’aujourd’hui sur le Marquis de La Fayette, sur sa place dans la mémoire collective nationale, sur la manière dont son souvenir est mis en pratique, de nous demander si, depuis le XIXème siècle, a perduré une vision unique sur cet éminent personnage qui symbolise l’amitié et les liens franco-américains. Toutefois, il est difficile de pouvoir rendre compte d’une vision absolue de La Fayette au cours de l’Histoire des XIXème et XXème siècle. Il conviendra en premier lieu d’examiner l’opinion des Français sur La Fayette depuis sa mort en 1834, ainsi que la manière dont il a été vu à travers la presse à différentes occasions, reflet de la mémoire collective sur La Fayette. La mémoire collective de La Fayette se matérialise dans la pratique à travers différentes commémorations, inaugurations, réminiscences. Ce souvenir s’exerce aussi bien au niveau national à travers les grands anniversaires (1934, 1957, 2007), qu’au niveau local dans les lieux que La Fayette a marqué de sa présence. Enfin, nous nous intéresserons à tous les jugements qui ont pu être portés sur La Fayette. Ces opinions ont tout d’abord émané de ses contemporains, pour lesquels ses actions ont suscité admirations et critiques. La littérature historique relative au Héros des deux mondes mérite que l’on s’y attache, car les biographes de La Fayette ont été prolifiques en termes de jugements, même s’ils tendent pour la plupart à exprimer une vision monovalente du personnage.

VALLAURI Antoine - 2011 13 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

Chapitre 1 : Réflexions sur la place de La Fayette dans l’opinion et son appréciation dans la presse :

1.1.La presse face à la mort de La Fayette D’entrée de jeu, La Fayette apparaît dans la presse, à l’annonce de sa mort, comme un homme dont il convient de laisser de côté les actions, pour se concentrer sur sa personnalité. Le Journal des débats énonce le 21 mai 1834 : « Laissons dans M. de La Fayette l’homme d’Etat et le citoyen, ne regardons que l’homme9 ». Malgré leurs opinions divergentes sur les actes accomplis par le Héros des deux mondes durant son existence, les différents journaux de l’époque sont quasi unanimes sur le caractère de La Fayette et ses qualités : « de ce côté, c’est un des plus beaux caractères des temps modernes10 ». Ce même journal insiste sur l’honnêteté du personnage : « Ce qui le rend admirable à nos yeux, c’est le respect qu’il avait des devoirs imposés à l’honnête homme, et ce respect il le poussait jusqu’à l’héroïsme11 ». Cet élément se retrouve dans les propos du National du 21 mai 1834 : « Après ce qui s’est passé depuis quatre mois, on pourrait nous crier : “Cachez-vous, Parisiens ! le convoi d’un honnête homme et d’un véritable ami de la liberté va passer ! ”12 ». De même, Le Constitutionnel souligne « quelle arrière-pensée d’honnête homme il y avait au fond de chacune de ses illusions13 ». Quelle que soit leur opinion sur le marquis de La Fayette et le jugement qu’ils portent sur son comportement à l’occasion des grands événements passés, les journaux tendent à lui rendre hommage. Ainsi, le Journal des débats, pourtant peu favorable à La Fayette, car journal d’origine conservatrice, estime qu’il faut honorer sa mémoire : « Nous n’étions point les amis politiques de M. de La Fayette, et nous avons souvent combattu ses principes. Mais il est des adversaires à qui l’on aime à rendre justice…14 ». Le Journal des débats fait preuve de grandeur d’âme en soulignant, malgré ses divergences d’opinion avec La Fayette, certaines grandes qualités du marquis : « Etant gentilhomme il a aimé le peuple…il a eu tous les enthousiasmes qu’a eus la France… ». Le Constitutionnel, quant à lui, organe 9 Journal des débats, 21 mai 1834 10 Ibid. 11 Ibid. 12 Le National, 21 mai 1834 13 Le Constitutionnel, 22 mai 1834 14 Journal des débats, 21 mai 1834 14 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

de ralliement des libéraux à cette époque, est de toute évidence bien plus favorable à La Fayette, et n’est pas le dernier à témoigner de la conduite vertueuse de La Fayette tout au long de sa vie15. Le Constitutionnel, dont le rédacteur en chef fut longtemps le libéral orléaniste Adolphe Thiers, consacre sa une à la mort du marquis de La Fayette trois jours durant, les 21, 22 et 23 mai 1834. Dans l’ensemble de ces articles, le journal encense le souvenir de La Fayette et lui consacre un véritable éloge funèbre. D’emblée, l’accent est mis sur l’aspect le plus imposant de la personne de La Fayette, un grand homme à l’idéal de liberté : « La liberté le regardait comme un interprète qui ne lui manquait jamais dans les grandes circonstances16. » Insister sur le fait que La Fayette fut un homme en avance sur son temps car il préférait la popularité au pouvoir, comme le rappelle si bien son biographe Gonzague Saint-Bris, pourrait constituer un anachronisme, mais Le Constitutionnel mentionne déjà cet amour de La Fayette pour la popularité : « Lafayette souhaitait, espérait les nobles récompenses de l’avenir, mais il voulait aussi les applaudissemens [sic] du siècle. La popularité lui était nécessaire ; après l’avoir conquise par des actes éclatans[sic], il la conservait, il la nourrissait chaque jour avec un soin extrême17 ». En outre, le journal retrace les principaux faits d’armes accomplis par La Fayette au cours de sa glorieuse existence. L’ensemble de sa vie est considéré comme illustre : « cette illustre et noble vie18 ». On évoque son combat pour la liberté dans la guerre d’indépendance américaine19. Par conséquent, notre héraut de la liberté apparaît déjà comme le symbole unissant la France et les Etats-Unis : « Il était le lien de l’Amérique avec la France20 ». Son statut de héros de la guerre d’indépendance américaine est suggéré : « Lafayette est le seul homme dans l’histoire moderne comme dans l’histoire ancienne qui ait obtenu l’insigne honneur d’être l’hôte d’un grand peuple, et de recevoir les bénédictions de tout un continent, qu’il avait contribué à affranchir21. » L’aide que La Fayette a fournie aux combattants de la liberté de peuples étrangers, comme aux Polonais, est également soulignée ici : « Tous les étrangers qui aiment et désirent l’indépendance le saluent comme un drapeau consacré par de glorieux combats22. ». On se souvient également du La Fayette défenseur de la cause du peuple et des droits de l’homme, à l’aulne de la Révolution française23. Le Constitutionnel rappelle de même sa défense de

15 Le Constitutionnel, 22 mai 1834 : « Dans cette longue et honorable carrière qui, pendant quarante ans, s’est comme entrelacée à toute notre histoire, on peut juger diversement le point de vue où l’élève et l’ami de Washington s’est placé pour apprécier les circonstances et les partis ; mais aujourd’hui (et le jugement que nous portons sur lui est déjà de l’histoire), il n’y a qu’une voix pour reconnaître la conviction profonde et le sentiment de moralité politique qui ont inspiré toute sa conduite ». 16 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 17 Ibid. 18 Le Constitutionnel, 21 mai 1834 19 Ibid : « Dans l’âge des plaisirs, Lafayette s’était arraché aux séductions d’une cour pour aller acquérir, au service d’un peuple, la seule illustration qui manquait à ses yeux. Ami de Washington et fils adoptif de l’Amérique, Lafayette rapporta dans son pays le culte de la liberté, à laquelle il avait juré de consacrer toute sa vie. Jamais serment ne fut plus religieusement gardé ». 20 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 21 Le Constitutionnel, 21 mai 1834 22 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 23 Le Constitutionnel, 21 mai 1834 : « A peine eut-on prononcé le nom de réforme en France, que Lafayette l’embrassa avec transport. Dans les premiers débats de l’assemblée constituante, en face des troupes rassemblées par le despotisme pour effrayer les mandataires du peuple, au serment du jeu de paume, Lafayette se montra l’un des plus généreux soutiens de la cause populaire : VALLAURI Antoine - 2011 15 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

la royauté et son rôle de commandant de la garde nationale : « Il lui fut donné de servir avec la même fidélité le peuple qu’il aimait et un roi qu’il croyait fidèle à ses engagemens[sic]. Malgré d’injustes reproches, Lafayette fut sublime de dévouement au 6 octobre, pour le salut de la famille royale. Il eut l’immortel honneur de commander toutes les gardes nationales de France à la fédération de 1790, le plus cher souvenir de sa vie politique24 ». On devine l’évolution des relations entre La Fayette et Bonaparte : « Rendu à la liberté par un grand homme, la reconnaissance et l’admiration ne purent incliner sa tête devant le pouvoir qui se mettait au-dessus des lois25. ». Le Constitutionnel mentionne enfin le rôle de La Fayette dans la Révolution de 183026. En plus des grands actes accomplis par La Fayette, cet éloge funèbre décrit avec précision quelles étaient d’après Le Constitutionnel les principales qualités du Héros de deux mondes dans sa vie privée : « C’était une bonté parfaite, une charmante facilité de mœurs, une bonhomie, une complaisance, un soin du bonheur des autres, que l’on trouve rarement réunis dans le même homme27 ». Dans cet éloge, La Fayette est dépeint comme un homme sincère, fidèle à ses idéaux : « on ne saurait nier qu’il n’y ait eu en lui des convictions, qu’aucune puissance, qu’aucune séduction, qu’aucune menace, aucun danger n’auraient pu déraciner de son cœur28. ». On le décrit comme « patriote et cosmopolite ». Son fidèle combat pour la liberté est assimilé à un « titre d’honneur et de gloire que personne ne lui refuse, et qui lui sera confirmé par la postérité29 ». La presse, et plus précisément Le Constitutionnel, fait cependant état de certains défauts de ce personnage auréolé de gloire, même si ceux-ci sont masqués par l’héroïsme décrit dans les articles. Ainsi, l’édition du 22 mai 1834 évoque « la vie d’un tel homme, dont le seul tort fut peut-être une foi trop ardente à ses convictions, et un courage trop aventureux pour les soutenir30 ». Le fait qu’il ne fût pas un véritable orateur est également souligné : « D’autres avaient plus d’éloquence31 ». Le journal estime aussi que La Fayette n’a pas forcément eut un rôle aussi influent que Mirabeau dans le début de la Révolution française : « Lafayette ne fait pas sans doute le vide immense que Mirabeau laissa en mourant32. » En somme, l’hommage rendu à La Fayette par Le Constitutionnel à travers ses articles des 21, 22 et 23 mai 1834 peut se résumer en peu de mots : La Fayette, au lendemain de sa mort, est considéré comme un Grand Homme33. il avait devancé tous les sacrifices du patriarcat dans la nuit du 4 août. La déclaration des droits de l’homme publiée à la face de la terre comme une protestation en faveur de tous les peuples, est un présent de Lafayette. » 24 Ibid. 25 Ibid. 26 Ibid : « Lafayette n’a point fait la révolution de 1830 ; mais il s’est empressé de l’adopter et de lui offrir le tribut d’un dévouement sans bornes. La fédération de 1790 s’est renouvelée, en quelque sorte, sous ses auspices, et toutes les gardes nationales de France sont venues toucher une seconde fois cette épée qui ne fut jamais employée qu’à la défense de la liberté. » 27 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 28 Le Constitutionnel, 21 mai 1834 29 Ibid. 30 Le Constitutionnel, 22 mai 1834 31 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 32 Le Constitutionnel, 23 mai 1834 33 Le Constitutionnel, 21 mai 1934 : « Une grande destinée » et Le Constitutionnel, 22 mai 1934 : « grand citoyen » 16 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

A sa mort, La Fayette est même considéré par certains comme une légende : « La Fayette était déjà une figure légendaire34. » Jacques Debû-Bridel estime que toute l’histoire de La Fayette était connue de tout le monde. Il cite à cet égard les propos de l’hebdomadaire politique Le Semeur du 4 juin 1834 : « dans les chaumières comme dans les salons, sous le hangar du mendiant et dans le palais des rois, le peuple le sait par cœur et il en gardera la mémoire. Les souvenirs du peuple sont plus fidèles que la reconnaissance des princes et plus durables que les statues d’airain.35 »

1.2.La Fayette plutôt oublié après sa mort et ponctuellement évoqué : Après sa mort, La Fayette tend à être progressivement oublié. Contrairement aux Etats-Unis où il est en permanence vénéré, en France, sauf dans les lieux marqués par son passage, le souvenir du Héros des deux mondes ne fait plus l’objet d’une couverture médiatique intense, à l’exception de quelques articles à certaines occasions. Le 29 mars 1879, Le Figaro, dans sa rubrique « Paris au jour le jour », rapporte un propos du journal Le Français sur La Fayette. Celui-ci, qui fit preuve de modération dans toutes ses actions politiques, y apparaît comme l’initiateur du centre-gauche français36. Nous verrons plus loin dans notre étude que cette analyse sera reprise par Laurent Joffrin en 2006. Cette estimation du Français serait donc toujours actuelle. Le souvenir de la bataille de Yorktown, à l’occasion du centenaire de sa fin, le 15 octobre 1881, fait l’objet d’un article dans Le Figaro. L’article d’Auguste Marcade évoque la participation du jeune marquis de La Fayette à la bataille, un La Fayette jeune, héros de la guerre d’indépendance américaine, véritable homme de guerre, un homme courageux, prévoyant et opiniâtre37. Plusieurs articles sur La Fayette paraissent dans la presse nationale en septembre 1883, lors de l’inauguration de la statue du Héros des deux mondes au Puy-en-Velay. La plupart détaillent le déroulement des cérémonies de l’inauguration, et se font l’écho des discours des éminentes personnalités présentes, à savoir le Ministre de l’Intérieur Waldeck-Rousseau et l’Ambassadeur des Etats-Unis en France, M. Morton38. Certains articles révèlent le sentiment du journaliste sur La Fayette, jugement qui peut, dans certains cas, refléter l’opinion collective. Ainsi, pour Le Gaulois, dans son édition du 6 septembre 1883, l’inauguration de la statue de La Fayette au Puy est l’occasion de se souvenir d’une figure illustre de l’histoire de France. La première phrase de cet article, qui se trouve en une de l’édition du jour, montre d’emblée la place importante accordée par le journal au souvenir de La Fayette : « La Fayette n’avait pas de statue. La Ville du Puy, dans le voisinage de laquelle est né l’illustre général, va combler cette lacune39 ». Cette absence de statue

34 Jacques Debû-Bridel, La Fayette, Paris, Del Duca, 1957 35 Le Semeur, 04 juin 1834, cité dans Jacques Debû-Bridel, La Fayette, 1957 36 Le Figaro, 29 mars 1879, « Paris au jour le jour » 37 Le Figaro, 15 octobre 1881, Auguste Marcade, « Le Centenaire de la Capitulation de Yorktown » : « Toujours aux aguets, infatigable, flairant les ruses, les stratagèmes, déployant, à l’âge de vingt-quatre ans, les qualités de discernement, de patience, de sang-froid, apanage des hommes qui ont surtout une longue expérience des choses de la guerre, et qu’il avait pu admirer chez son maître et ami, le général Washington » 38 Voir infra. Partie I, chap. 2 pour les discours officiels et partie II, chap. 1 pour le déroulement de la cérémonie 39 Le Gaulois, 06 septembre 1883, « Blocs-Notes Parisiens : La Fayette » VALLAURI Antoine - 2011 17 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

est vue comme un manque important, quasiment une irrévérence faite à la mémoire d’un personnage historique grandiose. Cette phrase montre l’accent mis dans cet article sur la place de La Fayette dans l’histoire de France. Pour le journaliste, cette inauguration est l’occasion de rendre un hommage tardif à La Fayette : « apothéose tardive40 ». La Fayette a été trop longtemps oublié, on ne lui a pas assez rendu hommage, on n’a pas assez honoré sa glorieuse mémoire. On l’élève enfin, avec cette statue, à un rang de personnage illustre, légendaire. C’est l’honneur ultime. Le journaliste se souvient aussi de La Fayette comme l’homme de la cocarde tricolore et de son rôle dans la Révolution de 1830. La Justice, journal dont le directeur politique en 1883 est Georges Clémenceau, consacre, dans son édition du 8 septembre 1883, un article au déroulement de la cérémonie ainsi qu’une chronique à la mémoire de La Fayette intitulée : « Chronique : la Statue de La Fayette41 ». Léon Millot, le chroniqueur, brosse un portrait dual de La Fayette et de son action. D’un côté, il souligne son parcours glorieux aux Etats-Unis et son attitude irréprochable au début de la Révolution, à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais, d’un autre côté, La Fayette est critiqué pour son attitude en 1792 : Millot le décrit comme « un de ces personnages qui n’avaient pas volé en 92 que le peuple parisien les brûlât en effigie ». Il affirme : « son rôle en 1792 est plus grave, et ce sera la tâche éternelle de sa mémoire ». Malgré cette incartade de 1792, le journal reconnaît que « le bien l’emporte sur le mal dans cette longue vie d’homme politique ». Ce qui doit primer dans le souvenir que l’on a de lui, c’est son amour pour la liberté, et non l’indécision de son caractère. Toutefois, à l’époque, La Fayette est loin de susciter l’unanimité dans l’opinion et dans la presse. De fait, L’Univers, journal catholique conservateur, le qualifie, dans son édition du 6 septembre 1883, d’imbécile dont les actions n’ont pas été très glorieuses : « Lafayette, une ganache peu héroïque et qu’on pourrait soupçonner de forfaiture, si l’on n’était convaincu de sa sottise42 ». La Fayette est considéré comme un personnage peu digne d’intérêt historique : « Leur héros nous intéresse peu ». Le 26 juillet 1892, le Journal des débats politiques et littéraires consacre un article à La Fayette à l’occasion de la parution du livre de l’ancien ministre de l’Instruction publique Agénor Bardoux, La jeunesse de La Fayette. Cet article, écrit par l’homme de lettres Henri Chantavoine, se veut une analyse critique de la vie de La Fayette, principalement à l’époque révolutionnaire. L’auteur nous explique, en substance, que La Fayette aurait pu, à peu de choses près, être un personnage de premier plan de la Révolution française, s’il avait été moins ingénu et fait preuve de moins d’intégrité: « Il ne lui a peut-être manqué que d’être plus ambitieux et plus résolu, d’avoir moins de droiture et plus d’énergie, moins de vues et plus de coup d’œil, moins de candeur et plus de sens pratique, moins de cœur en un mot et plus de tête43 ». Henri Chantavoine reprend les qualificatifs habituels donnés à La Fayette, « chevaleresque, enthousiaste et sentimental », pour dénoncer les jugements trop sévères qui ont pu être portés à son égard, tels celui de Michelet. Il évoque cependant les erreurs d’appréciation commises par La Fayette durant la Révolution, notamment d’avoir cru que la réalité des événements correspondrait à son « rêve et obéirait à sa volonté », ou que la suite de la Révolution verrait le triomphe des modérés car « ils étaient les plus raisonnables ». Chantavoine critique l’absence de reconnaissance, à son époque, envers les héros aux

40 Ibid. 41 La Justice, 08 septembre 1883, Chronique de Léon Millot, « Chronique : La Statue de La Fayette » 42 L’Univers, 06 septembre 1883 43 Journal des débats politiques et littéraires, 26 juillet 1892, article d’Henri Chantavoine : « Variétés : la Jeunesse de La Fayette par M.A. Bardoux » 18 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

idées libérales, à l’origine de toutes les grandes avancées durant la première phase de la Révolution : « Nous sommes ingrats pour les grands seigneurs libéraux et les bourgeois philosophes qui ont fait la grande Révolution44 ». Cette ingratitude tend à expliquer pourquoi, selon lui, le général La Fayette est plutôt dans l’oubli à la fin du XIXème siècle. Dans les années 1890, on note plusieurs articles traitant des relations entre la France et les Etats-Unis, qui évoquent la figure du marquis de La Fayette comme lien entre les deux Nations. Le 24 mars 1893, Le Petit Parisien souligne ainsi, à l’occasion de l’exposition universelle de Chicago, les liens d’amitié qui existaient entre La Fayette et Washington45. Le Gaulois du 31 mai 1893 relate une cérémonie américaine, ayant eu lieu la veille, sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus46. Le Petit Parisien du 8 juillet 1897 parle de la « Société des Fils de la Révolution américaine » et rappelle le rôle du jeune marquis de La Fayette dans la guerre d’indépendance47. Le Gaulois, le 31 mai 1898, consacre un article à la célébration du « Memorial day » par la communauté américaine de Paris, qui comprend une cérémonie sur la tombe de La Fayette48. Enfin, Le Figaro, dans un article de Jean Régnier le 14 octobre 1898, évoque le financement par les Etats-Unis d’une statue de La Fayette qui sera érigée deux ans plus tard49. Les mois de mars à juillet 1900 voient la presse nationale relater un événement jugé important relatif à la figure de La Fayette. En effet, le 4 juillet 1900, à l’occasion de la fête anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis, la statue de La Fayette, financée par des fonds américains, est inaugurée de manière solennelle à Paris. Profusion d’articles évoquent cet événement. La grande majorité, datés des 4 et 5 juillet 1900, détaillent le déroulement de la cérémonie et exposent les discours du Président de la République Emile Loubet et de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Paris. Il est difficile dans ces articles d’observer un jugement personnel du journal, qui diffère de l’habituelle image de La Fayette comme symbole de l’amitié franco-américaine. Toutefois, certains articles, parus en amont de la cérémonie, témoignent d’une vision subjective du souvenir du marquis de La Fayette. Il ressort de ces articles que La Fayette a été un illustre héros qui a toute sa place comme figure de l’histoire de France. Jean Byno, dans La Presse du 04 juin 1900, qualifie La Fayette d’ « aristocrate très populaire50 », surtout auprès de la communauté américaine de Paris. Byno critique la manque de connaissance des Français sur La Fayette : « Combien de Français savent-ils que La Fayette est enterré à Picpus ? ». Auprès de ceux qui connaissent la figure du marquis, sa mémoire suscite le débat, à l’inverse de l’unanimité qui prévaut aux Etats-Unis : « Discutée en France, sa mémoire est là-bas l’objet d’un culte fidèle. » Pour Jean Byno, La Fayette est un homme plus discuté dans la postérité que de son vivant : « La Fayette est un grand homme pour l’Amérique. Pour la France, c’est un homme qui fut populaire ». Le journaliste estime que, si La Fayette a manifesté de l’incohérence dans sa « destinée » et son action, il n’en a pas moins été « sympathique par son caractère, grand seigneur, républicain, garde

44 Ibid. 45 Le Petit Parisien, 24 mars 1893, Article de Jean Frollo : « Amérique et France » 46 Le Gaulois, 31 mai 1893, Article : « Au Dehors : Au tombeau de La Fayette » 47 Le Petit Parisien, 03 février 1897, Article de Jean Frollo, « Les Etats-Unis et la France » 48 Le Gaulois, 31 mai 1898, Article : « Bloc-Notes Parisiens : The Memorial Day » 49 Le Figaro, 14 octobre 1898, Article de Jean Régnier : « La statue de La Fayette » 50 La Presse, 04 juin 1900, Commentaire-opinion de Jean Byno, « Opinions : Commémoration » VALLAURI Antoine - 2011 19 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

national, ancien régime, amalgame de mille choses inconciliables peut-être, mais aimables, généreuses, libérales et courtoises ». Un article de Jean Frollo, dans Le Petit Parisien du 21 juin 1900, retrace de manière synthétique les trois grandes périodes glorieuses de la vie de La Fayette. Le journaliste qualifie le marquis « d’illustre citoyen51 ». Il insiste par là-même sur la place de La Fayette dans notre histoire nationale, qui « peut [en] être fier justement et sans restriction ». Pour Jean Frollo, la présence dans la plupart des grandes villes françaises d’une rue à son nom, lui le « patriote de 1789 », témoigne de l’importance du héros des deux mondes dans notre mémoire nationale. On retrouve cet idéal de patriotisme chez La Fayette dans La Presse du 04 juin 1900 : La Fayette est un personnage glorieux qui a bien symbolisé la « fibre patrie française ».C’est pour toutes ces raisons qu’en 1900, La Fayette mérite d’être commémoré à sa juste valeur via l’inauguration de sa statue à Paris, pour qu’on ne l’oublie pas. La Croix du 06 mars 1900 paraît plus réservé à l’égard de la figure de La Fayette. Le journal, qui lui consacre sa une, estime que La Fayette a commis des erreurs. L’éditorialiste Le Paysan se demande : « pourquoi La Fayette n’a-t-il pas persévéré dans cette première manière (son illustre action dans la guerre d’indépendance américaine ndlr) ? Pourquoi, dès son retour en France, au lieu de rester un soldat, s’est-il fourvoyé dans la politique ?52 ». On nous explique qu’il est rare que les militaires réussissent en politique, et qu’ils ont tendance à être irrésolu « sur le terrain civil ». L’article évoque les incertitudes de La Fayette, la faiblesse de son caractère, sa candeur, son indécision et son incapacité à savoir lui-même s’il était « républicain sous la monarchie ou monarchiste sous la République ». D’après La Croix, les Français se souviennent essentiellement de « sa fâcheuse influence [qui] les oblige aux plus graves réserves à l’égard de sa mémoire ». La Croix, journal catholique, ne peut s’empêcher d’évoquer les sentiments religieux de La Fayette ou leur absence. Le journal se demande s’il était véritablement un bon chrétien ou s’il n’était pas influencé par une « secte », peut- être la franc-maçonnerie. Pour finir, l’éditorialiste déclare qu’il est préférable d’oublier ce La Fayette homme politique, pour ne se souvenir uniquement que du « jeune et enthousiaste champion des opprimés ». L’action de La Fayette aux Etats-Unis est brièvement évoquée dans l’édition du Figaro du 24 mai 1902, dans une série d’articles consacrés au souvenir du maréchal-comte de Rochambeau. Le Temps du 11 avril 1907 mentionne dans un article la probable construction d’une deuxième statue équestre de La Fayette à Paris. Le journal explique la relation particulière qui existait entre La Fayette et Paris : « [Paris] a tant aimé La Fayette, en cheval blanc d’abord, en cheveux blancs ensuite, ce Paris créateur et dévorateur de renommées. Il l’a tant maudit aussi, en 1792, pour se reprendre à le bénir en 183053. » On évoque également la figure de La Fayette dans l’histoire de France : « La Fayette, c’est l’histoire de toutes les espérances, de toutes les ingratitudes et de tous les repentirs de la France tricolore ». On retrouve l’analyse de l’article du Figaro du 29 mars 1879, dans lequel La Fayette était considéré comme le fondateur du centre-gauche en France. Le journaliste du Temps nous dit, en somme, que la vie de La Fayette, « c’était l’épopée du centre gauche ». L’article continue avec le souvenir de la vie de La Fayette à la Cour, avant son engagement américain. Le Temps mentionne la découverte d’un manuscrit du Comte

51 Le Petit Parisien, 21 juin 1900, Article de Jean Frollo, « La Fayette » 52 La Croix, 06 mars 1900, Editorial : « Lafayette » 53 Le Temps, 11 avril 1907, Article : « En marge » 20 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

d’Espinchal, royaliste ultra, contemporain de La Fayette, qui traite des infidélités du jeune marquis avec la comtesse d’Hunolstein. La Fayette fait l’objet, entre 1909 et 1911, d’évocations à travers différents articles historiques. Ainsi, Valère Fanet, dans l’édition du Figaro du 03 avril 1909, retrace le déroulement du « dimanche des Rameaux 1791 », article dans lequel La Fayette est mentionné54. Le 9 juillet 1910, Le Figaro publie, dans ses colonnes, des extraits d’un 55 nouveau livre écrit par le baron de Batz, Histoire de la Contre-Révolution . L’extrait de cet ouvrage traite de la fuite du roi Louis XVI à Varennes et parle du rôle joué par La Fayette ce jour-là. L’action de La Fayette lors des Journées d’octobre 1789 est rappelée dans une chronique écrite par l’académicien Frédéric Masson, et parue en une du Gaulois le 28 octobre 191156. L’homme politique et écrivain Emile Ollivier, dans Le supplément littéraire du Figaro du17 août 1912, rappelle qu’après Waterloo, La Fayette a poussé Napoléon à l’abdication. Il le dépeint comme ayant « la niaiserie du sectaire57 ». Le Temps du 06 janvier 1914 consacre un article58 à la parution du livre Lettres de prison, lettres d’exil (ou Correspondance inédite de La Fayette). Celui-ci comprend la correspondance de La Fayette pendant ses années hors de France ainsi qu’une étude psychologique de La Fayette réalisée par Jules Thomas, professeur agrégé de philosophie59. Le journal se souvient de La Fayette comme d’un homme doté d’une « haute valeur morale et [d’une] si noble nature ». Il estime que La Fayette a œuvré pour la cause de l’Homme : « N’oublions jamais en parlant de lui l’honneur qu’il a fait à l’humanité ».

1.3.Le renouveau de 1917 Après plusieurs années où La Fayette fut plutôt oublié par l’opinion et guère évoqué dans la presse, le héros des deux mondes est remis au goût du jour en 1917 par le contexte de l’époque, à savoir la France dans la Première guerre mondiale et l’intervention à venir des Etats-Unis au côté de la France. De nombreux discours officiels et articles témoignent de cet engouement pour l’amitié franco-américaine, et La Fayette apparaît alors comme le trait d’union entre les deux pays. Le Gaulois consacre, en 1917, toute une série d’articles au souvenir du marquis de La Fayette. Le 28 janvier 1917, un article de Félicien Pascal relate l’achat de son château natal de Chavaniac par une société américaine. Le marquis est ici mentionné comme « ce tenace lutteur du libéralisme60 ». Plus qu’un combattant de la liberté, La Fayette devient pour la postérité un héraut du libéralisme politique, ce qui renforce encore son prestige historique. Le journal, dans un article relatif au souvenir de l’intervention française dans la guerre d’indépendance américaine paru le 07 avril 191761, assimile La Fayette à un personnage

54 Le Figaro, 03 avril 1909, Valère Fanet, « Le Dimanche des Rameaux 1791 » 55 Le Figaro, 09 juillet 1910, « Le livre du jour : Histoire de la Contre-Révolution » 56 Le Gaulois, 28 octobre 1911, Chronique de Frédéric Masson : « Les Journées d’Octobre 1789 : le 8 octobre » 57 Le Figaro, 17 août 1912, Emile Ollivier, « Thiers après nos premiers revers ; pages inédites » 58 Le Temps, 06 janvier 1914, « Variétés : La Fayette inédit » 59 Cette étude est analysée dans Partie III, chap. 2 sur La Fayette face au jugement des intellectuels 60 Le Gaulois, 28 janvier 1917, Article de Félicien Pascal, « Le Château de Chavaniac » 61 Le Gaulois, 07 avril 1917, Article de Georges Wulff, « Une page d’histoire : La Fayette et Rochambeau » VALLAURI Antoine - 2011 21 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

illustre de l’Histoire. Il insiste sur son héroïsme et son courage. Le 22 avril 1917, dans le même journal, Jenny Bainzac se remémore le départ du jeune marquis de La Fayette pour les Etats-Unis le 21 avril 177762. Ici l’accent est mis sur l’aspect chevaleresque, romanesque du caractère de La Fayette : « L’idée de cette croisade nouvelle naquit un peu à la façon d’un roman de cape et d’épée ». Le 23 avril, un article de Louis de Melville porte sur la famille de La Fayette et ses descendants63. Le fait qu’un article soit consacré à la descendance de La Fayette révèle l’importance du personnage dans la mémoire collective de l’époque. Le 27 avril 1917, dans une brève intitulée « Les cendres de Lafayette aux Invalides », Le Gaulois mentionne les propos du journaliste Georges Berthoulat dans La Liberté, qui rapporte la proposition d’un lecteur du journal de transférer les cendres de La Fayette aux Invalides : « Une digne réponse à l’Alliance et aux manifestations américaines serait le transfert solennel des cendres de La Fayette au Temple des gloires militaires françaises64 ». Cet article montre que La Fayette occupe une certaine place dans la mémoire populaire. De plus, La Fayette est reconnu par certains comme un grand militaire français alors qu’en France, à l’exception du commandement de la Garde nationale et de l’armée du Nord, il a essentiellement eu un rôle civil. Entre le 4 et le 6 juillet 1917, les différents journaux nationaux évoquent, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance américaine, la tenue d’une cérémonie franco-américaine sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus. L’article paru dans La Croix du 4 juillet véhicule le souvenir d’un La Fayette généreux et désintéressé65. Le même journal, le 5 juillet, dépeint La Fayette comme le défenseur et le penseur de l’idéal de liberté. Ce grand dessein de liberté est toujours actuel en 1917 : « La Fayette, dont la pensée, traversant plus d’un siècle, a fécondé le noble mouvement d’aujourd’hui et conquis la véritable immortalité66 ». La Fayette continue d’être en 1917 le parangon de la liberté. Hugues Le Roux, dans son éditorial du Matin le 5 juillet, voit en La Fayette un être intemporel : « Parce que le mort éternellement jeune qui dort sous cette pierre, sous ces fleurs, a aimé la liberté d’une passion chevaleresque67 ». Pour la postérité, La Fayette reste un homme aux idéaux éternels, un être passionné, chevaleresque, dont l’idéal de liberté est permanent. Le journal rappelle que La Fayette a lutté toute sa vie pour la liberté, et qu’il lui a fallu recommencer à plusieurs reprises, un peu comme Sisyphe. Il voulait donner un sens à sa vie, ce fut son engagement pour la liberté. C’est, pour le journal, un acte fondateur qui a orienté toute sa vie : « Il a voulu lui sacrifier toutes ses autres amours ». Entre le 7 et le 9 septembre 1917, Le Figaro, Le Temps, Le Gaulois et Le Progrès consacrent des articles à la célébration du « La Fayette Day » aux Etats-Unis et à l’installation d’un drapeau américain à l’Hôtel de Ville de Paris. Enfin, l’année 1917 est aussi l’occasion pour la presse d’apporter des éclairages historiques différents sur La Fayette et son entourage. Ainsi, Le Figaro, dans son édition du 5 août 1917, fait le portrait historique du vicomte de Noailles, beau-frère de La Fayette. De même, Firmin Roz, dans l’édition du Journal des débats du 23 septembre 1917, retrace l’existence de Pontonnier, le secrétaire de La Fayette de 1790 à 1822.

62 Le Gaulois, 22 avril 1917, Article de Jenny Bainzac, « Un anniversaire : Le départ de La Fayette pour l’Amérique » 63 Le Gaulois, 23 avril 1917, Article de Louis de Melville, « Les La Fayette et leurs descendants » 64 Le Gaulois, 27 avril 1917, Brève, « Les cendres de Lafayette aux Invalides » 65 La Croix, 04 juillet 1917, Article, « A propos d’un anniversaire (4 juillet 1776) » 66 La Croix, 05 juillet 1917, Article, « Les fêtes de l’Indépendance » 67 Le Matin, 05 juillet 1917, Editorial de Hugues Le Roux, « Une date dans l’histoire du monde » 22 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

Le 4 juillet 1918 se tiennent à Paris des cérémonies pour l’Independence Day, la fête nationale américaine. Ces cérémonies sont relatées dans les principaux quotidiens nationaux. Parmi celles-ci, un rassemblement sur la tombe de La Fayette à Picpus honore sa mémoire comme symbole franco-américain. Le Gaulois du 13 juillet 1918 se souvient du départ de La Fayette pour les Etats-Unis, et en développe le déroulement historique68. ème Le 6 septembre 1918, à l’occasion du 161 anniversaire de la naissance du général La Fayette, Henri Welschinger, de l’Institut, rappelle, dans un article publié dans le Journal des débats du 6 septembre 1918, les origines de La Fayette et les raisons qui l’ont poussé à s’engager pour la cause des insurgés américains69. Du 6 au 8 septembre 1918, plusieurs articles relatent les manifestations du « La Fayette Day » aux Etats-Unis et le message envoyé par le Président de la République Raymond Poincaré aux Américains. Un article plutôt atypique paraît dans Le Gaulois du 7 septembre 1918, et présente l’histoire du cimetière de Picpus, dont est à l’origine Adrienne de Noailles, épouse du marquis de La Fayette70. Le 23 décembre 1918, les quotidiens nationaux mentionnent l’inauguration la veille d’un buste de La Fayette au Mans71. Rappelons qu’il fut député de la Sarthe à partir de 1818. Un autre événement en lien avec la mémoire de La Fayette fait l’objet d’une couverture de la presse nationale en 1919. Il s’agit de la pose de la première pierre d’un monument commémoratif de l’intervention américaine dans la première guerre mondiale, à la Pointe- de-Grave en Gironde, à l’endroit où La Fayette embarqua pour les Etats-Unis. Cette cérémonie se déroule le 6 septembre 1919, et coïncide ainsi avec la date de l’anniversaire de La Fayette. La Fayette est donc doublement à l’honneur. La plupart des articles, qui paraissent entre le 6 et le 8 septembre, décrivent le déroulement de la cérémonie, et retranscrivent les discours du Président de la République Raymond Poincaré et de l’Ambassadeur des Etats-Unis, Hugh C. Wallace. Il n’y a donc pas de subjectivité qui transparaît, dans ces articles, à propos de La Fayette. Seul le Journal des débats du 08 septembre 1919 émet une opinion sur le héros des deux mondes, affirmant qu’il a été « le chevalier du droit, le servant de la liberté72 ». Le 21 septembre 1919, Ernest Laut, dans le Supplément illustré du Petit Journal, retrace le parcours de La Fayette aux Etats-Unis, et reprend à son compte le qualificatif souvent employé à l’égard du caractère de La Fayette : « Ce marquis républicain avait, en effet, l’âme chevaleresque d’un preux du temps jadis73 ». Dans les années 1920, La Fayette est peu évoqué dans la presse nationale. En effet, aucun événement commémoratif lié à sa mémoire n’a eu lieu dans cette période. Toutefois, certains articles mentionnent ponctuellement son souvenir. Ainsi, La Presse du 04 avril 1920

68 Le Gaulois, 13 juillet 1918, Article de René d’Aral, « A propos d’un anniversaire : Comment La Fayette partit pour l’Amérique » 69 Journal des débats, 06 septembre 1918, Article d’Henri Welschinger, de l’Institut, « L’Anniversaire de naissance de La Fayette » 70 Le Gaulois, 07 septembre 1918, Article de Georges Drouilly, « Sur la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus » 71 Cf Partie II chap. 1 pour le déroulement de la cérémonie 72 Journal des débats, 08 septembre 1919, Article, « La Première pierre d’un Monument » 73 Supplément illustré du Petit Joirnal, 21 septembre 1919, Article d’Ernest Laut, « En souvenir de La Fayette » VALLAURI Antoine - 2011 23 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

se souvient du départ de La Fayette pour les Etats-Unis en 177774. Le 24 juin 1921, Paul Robiquet, dans le Journal des débats, consacre un article à l’anniversaire de la fuite du roi à Varennes. La Fayette est évoqué dans l’article. Les 7 septembre 1921, 1922 et 1924, de brefs articles font allusion à des festivités aux Etats-Unis relatives à l’anniversaire de la naissance de La Fayette. Le Figaro, le 5 septembre 1926, édite une page spéciale du journal intitulée « Le Figaro aux Etats-Unis ». Parmi les articles parus dans cette page, un se rappelle l’amitié qui existait entre La Fayette et Thomas Jefferson75. Une page similaire est publiée dans l’édition du journal du 16 septembre 1929, où Charles Chassé se remémore les rencontres entre La Fayette et l’écrivain américain Fenimore Cooper76.

1.4.1934 et 1957 : la presse nationale et les anniversaires de La Fayette L’année 1934 marque l’année du centenaire de la mort du Héros des deux mondes. A ce titre, La Fayette est remis au goût du jour par la presse, et de nombreux articles signalent ou détaillent en profondeur les manifestations du centenaire, principalement entre le 6 et le 23 mai 1934. La plupart des articles restent factuels, expliquent le déroulé des commémorations et retranscrivent les discours des éminentes personnalités françaises et américaines présentes aux cérémonies. Certaines analyses reviennent toutefois sur la vie du marquis et ses principaux faits d’armes (héroïques ou non), et tendent à porter un jugement. Ainsi, Roger Vercel, dans L’Ouest-Eclair du 26 mai 1934, retrace de manière synthétique les étapes de la vie de La Fayette, et achève son analyse en versant dans le panégyrique : « c’est un centenaire qui vient à son heure que celui qui nous permet d’évoquer, entre deux séances de la commission Stavisky, la mémoire du plus noble, du plus désintéressé des Français77 ». Ce désintéressement de La Fayette est un trait qui revient souvent dans les termes employés par les apologistes du général. On note, dans l’ensemble, qu’en 1934, les qualificatifs utilisés par ceux qui encensent la mémoire de La Fayette sont plutôt les mêmes que ceux employés lors des commémorations précédentes (en 1883, 1900 et 1917 notamment). De la manière la plus flagrante, cette similitude sémantique s’illustre dans les propos du Temps qui, en première page de son édition du 18 mai 1934, assimile La Fayette à un « être chevaleresque78 ». En outre, le journal met l’accent sur son enthousiasme et son attachement, tout au long de sa vie, aux mêmes principes et idéaux : « [on] reconnaît en lui cette qualité si rare qui s’appelle l’enthousiasme, laquelle fait de ce paladin un apôtre enflammé de son parti. Enfin, on lui est reconnaissant de cette qualité plus rare encore, qui est la fidélité à ses principes ». Ce sont les aspects essentiels de la personnalité de La Fayette dont on se souvient le plus. Le journal n’hésite pas à affirmer que l’action de La Fayette a été très positive et bénéfique pour son temps : « ce fut, en définitive, une figure infiniment sympathique du siècle passé ». En effet, il était associé aux grandes idées pour lesquelles la jeunesse de l’époque combattait : « Son nom était synonyme d’un certain nombre d’idées qui continuaient à soulever la jeunesse de la Restauration comme elles

74 La Presse, 04 avril 1920, Article d’Olivier Pain, « L’Amitié franco-américaine : souvenirs et rapprochements » 75 Le Figaro, 05 septembre 1926, Article d’Antony Ashley, « Le vrai La Fayette » 76 Le Figaro, 16 septembre 1929, Article de Charles Chassé, « La Fayette interviewé par Fenimore Cooper » 77 L’Ouest-Eclair, 26 mai 1934, Article de Roger Vercel, « La Fayette citoyen des deux mondes » 78 Le Temps, 18 mai 1934, Editorial, « Popularité de La Fayette » 24 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

avaient soulevées les générations précédentes : liberté, honneur, patrie, fraternité, égalité des classes ». D’après Le Temps, le fait qu’une semaine entière de commémorations soit consacrée à la mémoire de La Fayette montre qu’il est considéré, en 1934, comme une grande figure de l’Histoire. Le journal estime toutefois qu’en fin de compte, La Fayette, malgré son action héroïque et ses éminentes qualités, a plutôt joué un rôle d’apparence : « ce rôle tout extérieur de parade…, La Fayette l’aura joué toute sa vie : habit de garde national, langage ampoulé, accolade politique, la main sur le cœur et le drapeau tricolore déployé par derrière, c’est une image d’Epinal ». Cette analyse sera corroborée bien plus tard par Gonzague Saint-Bris, biographe de La Fayette qui affirme que « La Fayette marque le début de la politique spectacle79». De même, Régis Debray verra en La Fayette le « précurseur de la politique spectacle ou du bluff médiatique ». Mais cela n’empêche pas, pour Le Temps, de prendre La Fayette pour ce qu’il est et de l’apprécier : « On l’aime ainsi, il fait époque ». Le Temps souligne aussi un autre point faible de La Fayette, son goût pour la popularité : « Pourquoi faut-il qu’à toutes ces qualités se superpose trop souvent chez lui un goût pour la faveur populaire, une passion pour la popularité ? ». Cette ambivalence de jugement sur La Fayette se retrouve dans le point de vue de La Croix : d’une part, dans son édition du 23 mai 1934, le journal évoque « le glorieux centenaire de La Fayette80 », et parle de ce dernier comme d’« un vaillant soldat ». La Croix relate aussi les propos du Journal qui mentionne « la gloire légendaire » de La Fayette, et le considère comme un « vrai héros ». D’autre part, Victor de Clercq, dans La Croix du 22 mai 1934, adopte une posture plus réservée à l’égard de la figure de La Fayette. Il affirme que « pour les Français malheureusement, sa gloire reste moins pure81 ». Il reconnaît certes les bons côtés de La Fayette : « Il convient de louer la dignité de sa vie privée, sa tendre affection pour la noble femme que fut son admirable compagne, son désintéressement, sa générosité, et de reconnaître l’incontestable charme qui émanait de sa personne ». Mais c’est pour mieux mettre en lumière les insuffisances de La Fayette dans son action : « mais à côté d’actes héroïques, combien de regrettables faiblesses chez celui qui voulut être un homme d’Etat sans en avoir les qualités essentielles. » L’auteur critique également le rôle d’éminence grise joué par La Fayette dans les complots des carbonari sous la Restauration : « ce qu’on doit blâmer, ce sont les continuelles conspirations dont il fut l’âme ». Victor de Clercq en vient à citer un éminent contemporain de La Fayette, le chancelier autrichien Metternich : « Il y a deux nobles entêtés dont nous devons également nous méfier, bien qu’ils soient gens d’honneur et nobles gentilshommes, le roi Charles X et le marquis de La Fayette ». Victor de Clercq use de cette citation pour exprimer une critique peu flatteuse envers La Fayette et son éternel combat pour la liberté : La Fayette « rendit stérile son aveugle attachement à la liberté, qu’il adora comme une idole ». Dans les articles dévoilant un point de vue sur le marquis de La Fayette en 1934, on observe une dualité de jugement vis-à-vis de la perception de sa mort en 1834. Ainsi, Victor de Clercq, dans La Croix, estime que La Fayette, au moment de sa mort, était plutôt tombé dans l’oubli : « Quand il mourut presque abandonné le 20 mai 1834, il n’inspirait plus confiance à personne82 ». Cependant, Le Temps écrit que La Fayette, certes dans l’opposition, était populaire à la fin de sa vie : « La popularité de La Fayette dans les

79 Propos tenu dans l’émission de France Inter 2000 ans d’histoire du 5 décembre 2006 consacrée au marquis de La Fayette 80 La Croix, 23 mai 1934, Article, « Ce que disent les journaux : Les leçons d’un centenaire » 81 La Croix, 22 mai 1934, Opinion de Victor de Clercq, « La Fayette » 82 Ibid. VALLAURI Antoine - 2011 25 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

dernières années de sa vie était devenue immense à Paris83 ». Cette dernière opinion est plus proche de la réalité de 1834, si l’on tient compte des hommages rendus par les principaux journaux de l’époque à l’annonce de la mort de La Fayette84. La Croix consacre, dans son édition du 3 août 1934, une chronique artistique relative à l’Exposition du centenaire de La Fayette au Musée de l’Orangerie85. D. de Charnage y évoque les différentes expositions relatives au centenaire de la mort de La Fayette, et détaille plus précisément l’exposition organisée par le Musée de l’Orangerie86. Le Matin, dans son édition du 7 octobre 1937, dédie un article à l’inauguration à Versailles de deux statues équestres en l’honneur de La Fayette et du général Pershing87. La Libération, en 1944, marque un bouleversement fondamental dans l’histoire de la presse française. Les nombreux journaux paraissant avant la guerre ont, pour certains, arrêté de paraître pendant la seconde guerre mondiale, mais la grande majorité ont continué leurs activités. Ces derniers font l’objet à la Libération d’une mesure d’interdiction. Le nombre de journaux se trouve donc considérablement réduit. Certains titres anciens continuent d’exister, de nouvelles publications se créent, mais en nombre moins important qu’avant-guerre. Cela explique qu’en 1957, au moment du bicentenaire de la naissance du marquis de La Fayette, il y ait beaucoup moins d’articles relatifs aux commémorations et cérémonies en tout genre que lors des événements précédents concernant La Fayette, comme en 1934. Les quotidiens nationaux de référence consacrent quand même des articles au déroulement des cérémonies du bicentenaire. Ainsi, Le Monde y fait allusion par des articles factuels dans ses éditions des 4, 7, 8-9 et 10 septembre 1957. Le 3 septembre, une brève88 signale le début à Vichy des « journées d’Auvergne », c’est-à-dire les manifestations franco- américaines des 6, 7 et 8 septembre 1957 organisées, dans le cadre du bicentenaire, sur les terres natales du général en Auvergne, à Chavaniac (Haute-Loire) principalement. Le Monde du 7 septembre mentionne les personnalités présentes aux cérémonies à Chavaniac89. L’édition des 8 et 9 septembre traite de la présence aux cérémonies du Président du Conseil, Maurice Bourgès-Maunoury, et reconstitue son parcours exact lors de ces trois journées de commémoration90. Cet article retranscrit également le message du Président américain Eisenhower à l’occasion du bicentenaire. Dans son édition du 10 septembre, le journal donne le message du Président de la République René Coty en réponse au message d’Eisenhower. Le Figaro du 9 septembre 1957 relate également le

83 Le Temps, 18 mai 1934, Editorial, « Popularité de La Fayette » 84 Cf. 1.1 85 La Croix, 03 août 1934, Article de D. de Charnage, « Chronique artistique : L’Exposition du centenaire de La Fayette à l’Orangerie » 86 Cf Partie II, chap. 1 sur les commémorations des anniversaires de La Fayette 87 Le Matin, 07 octobre 1937, Article, « Deux statues équestres l’une à la mémoire de La Fayette l’autre à la gloire de Pershing perpétueront à Versailles la valeur des armées américaines » 88 Le Monde, 04 septembre 1957, Brève, « La commémoration du bicentenaire de la naissance de La Fayette » 89 Le Monde, 07 septembre 1957, « Les fêtes du bicentenaire de la naissance de La Fayette » 90 Le Monde, 09 septembre 1957, « Les fêtes du bicentenaire de la naissance de La Fayette en Auvergne » 26 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

déroulement des cérémonies du bicentenaire de La Fayette en Auvergne91 et les échanges de télégrammes entre René Coty et Eisenhower. L’Eveil de la Haute-Loire du 5 juillet 1957 consacre un bref article à l’Exposition du Bicentenaire de La Fayette organisée par les Archives Nationales à l’Hôtel de Rohan à Paris. Il s’agit d’un descriptif des principales pièces exposées92. Après 1957, très peu d’articles de la presse nationale font référence au général La Fayette. En 1974, peu avant l’élection présidentielle, l’académicien Pierre Gaxotte publie une chronique dans Le Figaro intitulée « Qu’en dit La Fayette ? »93. Historien monarchiste et nationaliste, ancien collaborateur de L’Action Française, Pierre Gaxotte se remémore La Fayette et montre qu’il n’est plus du tout d’actualité en raison même de son idéal de liberté : « Il fut lui-même étendard, l’étendard du libéralisme. Alors plaignons-le. Son temps est bien révolu. ». Il affirme que ce libéralisme si cher à La Fayette n’a plus cours, à l’heure de l’élection présidentielle de 1974. Gaxotte suggère que le libéralisme est une opinion qu’avaient ceux qui pouvaient se le permettre : « C’est que le libéralisme était une opinion de propriétaire en un temps où la propriété était tenue pour inviolable et sacrée ». On sent pointer la critique à l’égard de La Fayette. Pierre Gaxotte nous dit en substance que si La Fayette a tant défendu la liberté et a refusé de se compromettre avec Napoléon en restant dans l’opposition, c’est parce sa fortune le lui permettait : « La Fayette se vantait d’être resté à l’écart sous l’Empire et de n’avoir pas fléchi le genou devant le tyran comme tant de constituants et de conventionnels. Cette réserve est respectable. Mais elle n’est pas héroïque, car La Fayette possédait la terre de La Grange, et il y pouvait vivre de ses fermages ». Du fait de la disparition de ce que Gaxotte appelle libéralisme, l’héritage de La Fayette est à présent réduit à néant : « La Fayette est bien fini ». Le Monde, dans son édition du 8 septembre 1976, évoque les cérémonies relatives à la mémoire de La Fayette ayant lieu en Haute-Loire à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis94. Maurice Denuzière, l’auteur de l’article, détaille le périple de l’ambassadeur des Etats-Unis Kenneth Rush à travers les différents lieux en lien avec La Fayette en Auvergne. Le journaliste souligne également le sort incertain de son château natal de Chavaniac. Il ressort de cet article essentiellement factuel que La Fayette est encore, 200 ans après l’indépendance américaine, le symbole des liens qui unissent la France et les Etats-Unis. La Fayette est qualifié par Maurice Denuzière d’ « Ulysse atteint d’une “faim canine de la popularité” ». Il évoque le souvenir « du petit marquis à cocarde tricolore, dont l’épée servit si bien la liberté d’un peuple qui, son indépendance acquise, n’a pas manqué de nous prouver au cours de deux guerres mondiales sa gratitude ».

1.5.L’opinion des Français à l’approche du bicentenaire de la Révolution française

91 Le Figaro, 09 septembre 1957, Article d’André Jean, « La “Mission La Fayette” enthousiaste et harassée a terminé son tour d’Auvergne » et « Echanges de télégrammes entre la Maison Blanche et l’Elysée » 92 L’Eveil de la Haute-Loire, 05 juillet 1957, « Réunis aux Archives Nationales : plus de six cents documents permettent de mieux connaître La Fayette » 93 AD 43, fonds 233 J 338 : Le Figaro, 20-21 avril 1974, Chronique de Pierre Gaxotte, « Qu’en dit La Fayette ? » 94 AD 43, fonds 233 J 297 : Le Monde, 08 septembre 1976, Article de Maurice Denuzière, « Le Bicentenaire des Etats-Unis : La Fayette, nous revoilà ! » VALLAURI Antoine - 2011 27 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

ème A l’approche du 200 anniversaire de la Révolution française, les opinions relatives au marquis de La Fayette apparaissent contrastées. Dans un sondage réalisé par l’Institut Sofres pour Le Figaro à la fin de l’année 198895, à la question posée « Pour chacune de ces personnalités de l’époque révolutionnaire, avez-vous plutôt de la sympathie ou plutôt de l’antipathie », La Fayette recueille 57 % d’opinions favorables, contre 53 % à Bonaparte, 35 % à Mirabeau, 34 % à Danton, 33 % à Louis XVI, 32 % à Robespierre, 27 % à Saint-Just et 24 % à Marat. Par comparaison, Bonaparte, qui le suit de près pour la sympathie, se trouve trois fois plus antipathique que lui. Ainsi, d’après ce sondage, La Fayette semblerait être la personnalité historique de la Révolution française la plus populaire et sympathique auprès de l’opinion publique française. Pour Gonzague Saint-Bris, la leçon de ce sondage, dans lequel La Fayette ne recueille que 8 % d’opinions défavorables, est que le bicentenaire de la Révolution française a joué son rôle. La France a cheminé dans sa réflexion sur La Fayette. Toutefois, il convient de prendre ce sondage avec recul, et d’exprimer une certaine réserve à l’égard des sondages à questions fermées. En effet, dans un autre sondage à questions ouvertes réalisé en janvier 1989 par l’institut IPSOS pour le journal Le Monde, La Fayette, « souvent élevé au rang de héros du Bicentenaire96 », semble dans une position très médiocre, cité seulement par 2 % des personnes interrogées. La Fayette n’est pas parmi les personnages de la période révolutionnaire les plus cités. Selon Patrick Garcia, historien spécialiste des commémorations, ce résultat démontre que la popularité de La Fayette n’est pas tant due à son rôle au cours de la Révolution française, qu’à son action aux côtés des Insurgents américains dans la guerre d’indépendance et « au fait qu’un grand magasin porte son nom97. » Selon lui, le contraste entre ces deux sondages est assez indicatif de la position de La Fayette. De ce fait, à l’approche du bicentenaire de la Révolution, la figure de La Fayette en tant que héros révolutionnaire semble susciter des opinions partagées. Il s’agit de la personnalité jugée la plus sympathique par la population française, mais dans le même temps, il n’est pas cité parmi les révolutionnaires les plus emblématiques. En 1989, une pétition avait obtenu de nombreuses signatures pour le transfert des cendres de La Fayette au Panthéon98. Parmi les signatures, des personnalités éminentes de tous bords, telles Laurent Fabius, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Maxime Gremetz, Noël Mamère ou encore le grand maître du Grand Orient de France de l’époque, Jean- Michel Quillardet99. Toutefois, si l’on observe en détail le programme officiel recensant toutes les commémorations liées au Bicentenaire de la Révolution française en 1989, quasiment aucune manifestation honorant directement la mémoire de La Fayette n’a eu lieu, à l’exception du département de la Haute-Loire où la figure du général a constitué le point

95 Sondage Sofres-Le Figaro, 1988 (Cf. Annexe 1), in Le Figaro magazine, 23 janvier 1988 96 Patrick Garcia, Le Bicentenaire de la Révolution française : Pratiques sociales d’une commémoration, Paris : CNRS Editions, 2000, p. 39 97 Ibid., p. 39 98 Elément cité dans émission « Faut-il faire entrer La Fayette au Panthéon ? », Du grain à moudre, France Culture, 11 décembre 2007 99 Le Monde, 16 novembre 2007, Tribune de Pierre Bercis, « La Fayette, nous voilà ! » 28 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

central de la politique commémorative du département100. La mémoire officielle semble alors occulter La Fayette parmi les grandes personnalités de la Révolution jugées dignes d’êtres commémorées. En 1989, même la personnalité la plus apte à ériger les canons de la mémoire officielle, c’est-à-dire le Président de la République François Mitterrand, fait preuve de scepticisme à l’égard d’un La Fayette qui ne trouve guère grâce à ses yeux. Alors que des personnalités ayant joué un rôle dans la Révolution française ont été panthéonisées cette année-là, tels l’abbé Grégoire, Condorcet et Monge, Mitterrand est interrogé par un journaliste américain qui évoque le prestige dont La Fayette jouit en France, et qui lui demande son jugement personnel. Il répond : « Si l’on s’en tient à l’événement dont il a été l’un des acteurs capitaux et qui a conduit à l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, il le mérite bien… »101. Pour Patrick Garcia, dans l’imaginaire du Chef de l’Etat, « La Fayette, le monarchiste constitutionnel tenté par le césarisme, ne peut figurer au rang des “grands ancêtres” 102». Du côté des citoyens ordinaires en 1989, si La Fayette est jugé sympathique à 57 % par l’opinion publique, le point de vue peut parfois être défavorable au marquis. Ainsi cette lettre publiée dans La Ruche (« journal hebdomadaire indépendant de l’arrondissement de Brioude ») du 4 février 1989, d’un lecteur habitant de Haute-Loire, Pierre Badiou103, qui protestait contre un « texte dithyrambique du maire de Chavaniac sur Lafayette ». Ce citoyen réutilise les reproches faits à La Fayette par les révolutionnaires, en affirmant que « Lafayette, naturellement, agissait en conformité avec les intérêts de sa classe sociale ». Il réinterprète les actions de La Fayette à sa façon, en montrant que La Fayette a eu un rôle essentiellement répressif en tant que chef de la Garde nationale, et a fait figure de traître lorsqu’il quitta la France en 1792. Badiou affirme ainsi qu’en 1789-1790, « Lafayette propose à l’assemblée un décret interdisant aux soldats de se réunir pour délibérer104 », ou qu’ « en 1814 il mettra la cocarde blanche pour accueillir Louis XVIII ». Mais l’auteur de cette lettre occulte les actions glorieuses de La Fayette sous la Révolution, telles que la création de la cocarde tricolore ou l’écriture de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La réponse du journal évoque les divisions entre les « artisans chauds, ou tièdes, comme Lafayette, de la Révolution » qui « ne s’aimaient pas entre eux ». A l’opposé, en 1989, La Fayette est loin d’être vu comme un héros historique par les descendants de la contre-révolution, ceux qui remettent en cause l’héritage de la Révolution française. C’est le cas du mensuel l’Anti-89, journal de « l’association du 15 août 1789 » qui parut entre 1987 et 1990. Ce journal ultra-catholique et réactionnaire dénonce avec véhémence, dans chacun de ses numéros, le complot maçonnique qui a œuvré dans la Révolution française avec sa rubrique « Les francs-maçons dans la Révolution française ». Dans certaines des éditions, cette rubrique comporte des références au rôle de La Fayette : par exemple, le numéro de juillet 1989 dénonce le comportement de La Fayette au moment de la prise de la Bastille. Pour L’Anti-89, « Tandis que « [le gouverneur de la Bastille] M. de Launay, a été massacré, décollé, et sa tête promenée à la pointe d’une pique par la populace, […] le vice- président La Fayette dit : “Gardons notre sang-froid. Conservons le calme qui

100 Ibid. , p. 194 et infra sur la mémoire locale de La Fayette en Haute-Loire 101 Cité dans Patrick Garcia, Le Bicentenaire de la Révolution française : Pratiques sociales d’une commémoration, 2000, p. 71 102 Ibid. 103 La Ruche, 4 février 1989, « La tribune des lecteurs : une lettre à propos d’un “texte dithyrambique” sur Lafayette » 104 Ibid. VALLAURI Antoine - 2011 29 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

convient à des représentants du peuple qui délibèrent tandis qu’agissent pour le bien commun les hommes de la rue” »105.

1.6.L’histoire du très contemporain : un dualisme de l’opinion sur La Fayette ? Depuis la célébration du bicentenaire de la Révolution française en 1989, on observe une ambivalence des opinions vis-à-vis de Gilbert de La Fayette. Il y a une dichotomie certaine entre un La Fayette oublié de la mémoire officielle à certaines occasions, notamment en 1989, et un La Fayette honoré lors de ses anniversaires comme en 2007. Ainsi, si l’on tient compte de l’opinion de l’historien Patrick Garcia, des résultats du sondage de 1989 et des propos de François Mitterrand, on peut affirmer que le La Fayette révolutionnaire n’est pas forcément passé à la postérité dans la mémoire populaire et officielle française. Ce serait La Fayette en tant que combattant-héraut de la liberté et symbole de l’amitié franco-américaine qui est commémoré. Toutefois, cette interprétation est mise en doute par l’analyse de l’universitaire franco- américain Serge Bokobza. Celui-ci considère en effet que les Français accordent davantage d’importance à l’action de La Fayette durant la Révolution française, qu’à son engagement en faveur de la liberté : « La majorité des Français s’intéressent davantage au comportement de La Fayette pendant la Révolution Française et considère plutôt avec suspicion son engouement qualifié d’américain pour la liberté ». M. Bokobza explique que la Révolution française a abouti à la mise en place d’un modèle de société éminemment égalitaire en France. Ainsi, d’après lui, « le discrédit de La Fayette dans l’opinion française est dû entre autres à cet amour de la France pour l’égalité ». Depuis la Révolution, la gauche comme la droite se sont détournées de l’héritage du marquis de La Fayette, l’ont minimisé voire ignoré. La Fayette était assurément un modéré, un centriste pourrait-on dire si le terme n’était pas un anachronisme pour l’époque, défenseur d’une monarchie libérale et constitutionnelle. Est-ce un hasard si François Bayrou, pendant la campagne présidentielle de 2007, lors d’un meeting au Puy-en-Velay, déclara : « En terre d’Auvergne et de Haute-Loire, je veux être Vercingétorix pour son courage et La Fayette pour ses victoires106 » ? Pour Gonzague Saint-Bris, La Fayette était dans une position différente en France, « de n’être ni un extrême gauchiste ni un extrême droite. » Il représentait davantage la troisième voie, l’ouverture. La Fayette s’attire encore aujourd’hui une double hostilité : d’un côté, il est détesté par ceux qui préfèrent l’égalité à la liberté. Ceux-ci, qui se situent davantage vers la gauche de l’échiquier politique, considèrent que la Révolution « n’est pas allée assez loin dans les changements politiques et sociaux107 ». Héritiers de ceux qui ont mis en place cette société égalitaire, ils estiment que La Fayette n’en a pas fait assez dans la Révolution, qu’il a trop agi en fonction des intérêts de sa classe. D’un autre côté, La Fayette n’est pas aimé par

105 L’Anti-89, juillet 1989, « les francs-maçons dans la révolution française : L’étrange mort de Mirabeau, qui redoutait les “Illuminés” ». Suite de la citation : « Le 16, le F.·. La Fayette, à la tête d’une délégation de soixante membres arrivait à l’Hôtel de Ville où il était nommé commandant général de la milice parisienne. Il donnait l’ordre de démolir la Bastille avant de recevoir le roi le 17, de le faire passer selon le rite maçonnique sous « la voûte d’acier » et de lui imposer la cocarde aux couleurs – qui le sait ?- du rite écossais. La franc-maçonnerie venait de prendre le pouvoir ». 106 Le Progrès, 27 mars 2007, Article de James Taffoirin, « François Bayrou se pose entre Vercingétorix et La Fayette » 107 L’Eveil de la Haute-Loire, 12 septembre 2007, Opinion d’Auguste Rivet, « Lafayette et la politique » 30 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

ceux qui pensent que « la Révolution a été tout entière un bloc d’erreurs et d’excès108 ». Pour certains d’entre eux, La Fayette a été un traître à sa classe, il a déjà trahi en s’impliquant dans la Révolution. Cette mémoire subsiste. Ce type d’opinions sur La Fayette s’est retrouvé notamment chez les descendants d’anciennes familles aristocratiques, ou même chez certains descendants de La Fayette qui ont renié l’héritage de leur aïeul109. Olivier Bernier, biographe de La Fayette, soutient que la détestation de La Fayette chez ceux qui exècrent la Révolution « subsiste encore aujourd’hui ». Le Conservateur en chef des Archives départementales de Haute-Loire, M. Martin de Framond, nous a informés qu’il avait été en relations avec des correspondants de sensibilité contre-révolutionnaire qui détestaient encore la mémoire de La Fayette ; il nous a aussi fait savoir qu’il avait eu la nette impression, lors de contacts avec des descendants du marquis de Bouillé, cousin de La Fayette, d’une position très réservée de ceux-ci à l’endroit de leur lointain parent La Fayette, même encore aujourd’hui110. D’une manière générale, pour ces familles descendantes de contre-révolutionnaires et de monarchistes, La Fayette pourrait représenter à la fois la figure du traître et de l’imbécile. Ils ne veulent pas entendre parler de la mémoire de cet homme- là. Olivier Bernier, biographe de La Fayette, l’affirme même : « [La Fayette] passe souvent dans son pays pour un imbécile ou un traître voire les deux111 ». Il ajoute que la détestation de La Fayette chez ceux qui exècrent la Révolution « subsiste encore aujourd’hui ». Il ressort de discussions avec des étudiants issus de familles traditionnelles, que cette vision de La Fayette est encore bien ancrée dans les mentalités de jeunes générations aujourd’hui112. Ces jugements sur La Fayette sont également ceux d’intellectuels de type monarchiste- conservateur, tels Jean Tulard, Jacques Bainville ou encore Pierre Gaxotte. On les rencontre aussi dans la presse catholique des XIX et XXème siècle : on se souvient ainsi de ce qualificatif de « ganache peu héroïque » conféré à La Fayette dans le journal L’Univers du 06 septembre 1883113. Cette image de La Fayette trouve aussi un écho au cinéma : dans le film A bout de souffle, de Jean-Luc Godard, le réalisateur compare « le Grand Citoyen », ainsi qu’on a parfois surnommé La Fayette, au collaborateur Maurice Chevalier. Toutefois, ces jugements de l’opinion publique sur La Fayette jusqu’à aujourd’hui, tendent à rester l’apanage d’un nombre restreint d’individus. En effet, il semble que pour la majorité de nos concitoyens, le héros des deux mondes soit plutôt tombé dans l’oubli. Si l’on en croit les propos de certains analystes, à l’heure actuelle en France, à part les galeries du même nom et les squares, places et rues La Fayette, le nom de La Fayette n’évoque plus grand chose114. Ce propos est corroboré par celui de Michel Basse, de l’association L’Hermione-La Fayette, qui affirme, dans une dépêche AFP du 2 septembre 2007, que « La

108 Ibid. 109 Cf. Partie II, chap. 3 sur la mémoire familiale 110 Entretien avec M. de Framond le 27 juin 2011 aux Archives départementales de Haute-Loire au Puy-en-Velay 111 Olivier Bernier, La Fayette, E.P Dutton, Inc. , 1983, traduction française 1988 Editions Payot, p. 12 112 Discussions à bâtons rompus avec des étudiants de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon au cours de l’année 2010-2011 113 Cf. 1 .2 114 Propos tenus par des personnes œuvrant pour la mémoire de La Fayette VALLAURI Antoine - 2011 31 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Fayette ne parle pas beaucoup aux Français115 ». Cette observation est même faite sienne par la presse de la Haute-Loire, département où la figure de La Fayette reste bien vivante : L’Eveil de la Haute-Loire estime ainsi qu’ « en France, la trajectoire incroyable du marquis reste assez floue pour le grand public… »116. Il apparaîtrait donc, qu’exception faite de de la Haute-Loire, « sur l’ensemble territoire, le héros des deux mondes, le héros des deux mondes est quasi un inconnu, en dehors des manuels scolaires »117. Au cours d’échanges avec des personnes « ordinaires », nous avons pu constater la véracité de cette assertion118. En effet, le nom de La Fayette comme personnage historique ne suscite de prime abord guère de réactions auprès des personnes interrogées. Celles-ci mentionnent toutes spontanément les galeries Lafayette, et parfois la station de métro parisienne « Chaussée d’Antin-La Fayette ». Après réflexion, certains en viennent à mentionner « La Fayette le militaire », ou à nous demander « La Fayette a un rapport avec les Etats-Unis, n’est-ce pas ? ». Les étudiants se souviennent vaguement, pour certains, que La Fayette a eu un rôle pendant la Révolution française, mais sans être capable de se remémorer lequel. La Fayette héros de la Révolution de 1830 semble définitivement oublié. Elisabeth Liris, historienne à l’Institut d’Histoire de la Révolution française, raconte qu’elle est surprise du décalage qui peut exister entre l’image de La Fayette aux Etats-Unis, et l’image qu’en ont les étudiants en France. Pour elle, « ce que les étudiants ont retenu, c’est La Fayette la Garde nationale, La Fayette le Champ-de-Mars. Et puis un blanc, les étudiants ne se rappellent de rien d’autre. Dans le meilleur des cas, on voit La Fayette à l’Hôtel de Ville en 1830119 ». A l’inverse, le souvenir de La Fayette suscite l’engouement d’un public d’initiés qui lui rendent un vrai hommage : on retrouve ici les membres de sociétés franco- américaines telles que les Fils de la Révolution américaine, les membres de la société des Cincinnati, ou encore des aristocrates dont les ancêtres ont fait la guerre d’indépendance, des intellectuels, amateurs d’histoire ou individus cultivés. En 1934, Bernard Faye estimait que d’une manière générale, La Fayette était plutôt mal vu : « De nos jours, nous voyons mal M. de La Fayette, car nous l’apercevons dans le brouhaha d’un siècle aussi bruyant que la rue qui porte son nom, et nous le voyons dans l’attitude et le costume sévères qui furent ceux de la fin de sa vie […]120. » La Fayette ne semble donc pas représenter une personnalité très chère aux Français en raison de cette méconnaissance même. On voit donc bien qu’il existe un dualisme réel entre le souvenir d’un La Fayette détesté ou apprécié par un nombre limité de personnes souvent éclairées, et un La Fayette ignoré des citoyens lambda.

115 AFP Infos Françaises, 02 septembre 2007, Article de Marie Camière, « L’Hermione, une frégate pour “faire revivre l’aventure de La Fayette” » [en ligne] : http : //www.bpe.europresse.com (page consultée le 10 juillet 2011) 116 L’Eveil de la Haute-Loire, 04 août 2011, Article, « Haute-Loire : Vincent Cassel dans la peau de La Fayette » 117 Le Progrès, éd. Haute-Loire, 25 octobre 2007, Article, « Geneviève de la Pomélie, une femme libre » 118 Echanges avec des personnes de notre entourage de tous âges et de différentes catégories socioprofessionnelles 119 « Faut-il faire rentrer La Fayette au Panthéon », Du grain à moudre, par Brice Couturier et Julie Clarini, France Culture, émission diffusée le 11/12/2007 à 17h00, 55 min. Avec la participation de G. Saint-Bris, E. Liris, P. Garcia, J.C. Bonnet et L. Ferri 120 Bernard Faye, « Le mystère de La Fayette » dans Le général La Fayette. Catalogue des livres, estampes, autographes et souvenirs composant la collection de M. Blancheteau exposée à l’occasion du centenaire de la mort du général La Fayette (20 mai 1834), Paris, 1934, p. VII : « […] Nous le considérons de face, alors qu’il entre dans la mort, tout paré pour ses funérailles et sa légende, nous ne le voyons pas tel qu’il naquit et vécut, parmi les gloires de Versailles, les forêts de l’Amérique, les futilités de l’Europe d’avant les Révolutions, le tumulte de 89-93, les prisons autrichiennes et la parade impériale. » 32 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

Quant à la presse, elle ne traite que succinctement de La Fayette dans la période qui va de 1989 à aujourd’hui, et essentiellement par le truchement de deux événements : la reconstruction de l’Hermione, bateau sur lequel La Fayette embarqua lors de son second ème voyage aux Etats-Unis, et le 250 anniversaire de sa naissance en 2007. Peu d’articles évoquent le souvenir de La Fayette en dehors de ces deux occasions. Nous pouvons cependant mentionner l’existence en 2003 d’articles relatifs à un roman de Patrick Poivre d’Arvor, J’ai aimé une reine, dans lequel il imagine une relation amoureuse entre la reine Marie-Antoinette et La Fayette. La Croix du 27 mars 2003, L’Express du 13 mars 2003 et Le Nouvel Observateur du 27 mars 2003 réservent une place dans leurs pages littéraires à cet ouvrage de fiction121. Dans ce dernier article, La Fayette est considéré comme « le plus fougueux des ambassadeurs de France dans le Nouveau Monde », et « un être d’une incroyable audace ». Claire Julliard, l’auteur de l’article, estime, à l’inverse de l’opinion proférée par Pierre Gaxotte en 1974, que La Fayette est toujours actuel : « Plus de deux cents ans plus tard, il caracole encore ». Le journal le plus prolifique en termes de références à La Fayette dans cette période, en dehors des deux événements majeurs, est La Croix. Jean-Charles Duquesne, dans les pages « promenades en France 97 » de l’édition du 19 juillet 1997, offre un éclairage intéressant sur le Château de Chavaniac, et en profite pour retracer les origines du marquis de La Fayette122. Le journaliste se souvient d’un « homme d’image », qui occupe une place à part dans la mémoire collective nationale : « S’il est, dans l’histoire de France et dans la mémoire des Français, un homme à la fois populaire et controversé, n’est-ce pas La Fayette ? ». Jean-Christophe Ploquin, dans l’édition du 12 juillet 2007, fait la critique d’une biographie romancée d’Adrienne de La Fayette, intitulée Mémoires imaginaires d’Adrienne de La Fayette et écrite par Sabine Renault-Sablonnière, descendante du célèbre marquis. La Fayette est dit, dans l’article, un « grand homme123 ». La Croix, dans son édition du 23 avril 2011, témoigne du souvenir de La Fayette dans la ville de Metz124. Selon Lucile Gimberg, dans L’Express du 9 novembre 2006, il y aurait été initié dans une loge militaire en 1775125. A partir de 1999, de nombreux articles évoquent le projet mené à bien par l’association Hermione-La Fayette à Rochefort (Seine-Maritime), de reconstruire le bateau à bord duquel La Fayette repartit pour les Etats-Unis en 1780. Il s’agit d’une initiative considérable et sans précédent, liée à la mémoire du marquis de La Fayette126. Tous les grands quotidiens nationaux de référence y ont dédié au moins un article. Toutes les étapes de l’avancement du projet sont mentionnées, du début en 1999 jusqu’à la construction bien avancée du bateau en 2010. ème Le 250 anniversaire de la naissance de La Fayette est l’autre événement lié à sa mémoire de la décennie 2000. Ces célébrations font l’objet d’une importante couverture

121 La Croix, 27 mars 2003, Article de Lucien Guissard, « Feuilleton », L’express, 13 mars 2003, Article de Thierry Gandillot, « Le soupirant de Mme Louis XVI », p. 73 et Le Nouvel Observateur, 27 mars 2003, Article de Claire Julliard, « Les raisons d’un succès : Le Français d’Amérique » 122 La Croix, 19 juillet 1997, Article de Jean-Charles Duquesne, « Promenades en France 97 : Le Château de Chavaniac- Lafayette » 123 La Croix, 12 juillet 2007, Article de Jean-Christophe Plouquin, « Dans l’ombre d’un héros » 124 La Croix, 23 avril 2011, Article de Didier Mereuze, « Metz a fait de La Fayette le héros de l’Amérique » 125 L’Express, 09 novembre 2006, Article de Lucile Gimberg, « Un frère nommé La Fayette », p. 7 126 Voir Partie II, chap. 3 VALLAURI Antoine - 2011 33 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

médiatique de la part de l’Agence France Presse (AFP). Celle-ci émet des dépêches dans une période de temps relativement courte, essentiellement entre le 2 et le 7 septembre 2007. Elles concernent le déroulement des commémorations aux Etats-Unis et à Chavaniac. Une dépêche en date du 2 septembre 2007 retrace brièvement toutes les étapes de la vie de La Fayette127. L’agence d’informations du Ministère des Affaires News Press, quant à elle, retranscrit intégralement le 6 septembre 2007 le discours du Ministre des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, à l’occasion des cérémonies à Chavaniac. Le 12 décembre 2007, deux dépêches de l’AFP s’intéressent à La Fayette : la première se fait l’écho de la visite à Paris des maires de toutes les villes américaines portant le nom de La Fayette, dans ème le cadre des commémorations du 250 anniversaire de la naissance du général ; l’autre mentionne l’achat par la Fondation René de Chambrun, d’une médaille offerte au marquis de La Fayette par la famille de Washington en 1824128. Le 16 août 2007, Le Journal du Dimanche, publie, avant les cérémonies de Chavaniac, un article de Stéphane Joanny, qui s’est intéressé à l’histoire du château depuis son rachat en 1916 par des Américains, et a rencontré les principaux acteurs locaux qui cherchent à faire vivre la mémoire de La Fayette129. La Croix, le 06 septembre 2007, consacre un article au souvenir du général La Fayette, dans lequel le ton élogieux est rapidement donné : La Fayette reste le symbole le plus vivace de l’amitié franco-américaine. La journaliste Hélène Lerivrain rappelle l’héroïsme américain du marquis, pour mieux expliquer sa grande popularité actuelle aux Etats-Unis130. Elle cite Sabine Renault-Sablonnière, descendante de La Fayette, qui résume par ses propos, l’admiration qu’a pu susciter le héros des deux mondes : « Il s’agit d’un personnage de l’histoire de France qui fait un peu rêver. Il symbolise l’aventure, la tolérance. Il a défendu les persécutés et avait les notions de liberté et de démocratie chevillées au corps ». Le même journal, dans son édition du 24 décembre 2007, établit un portrait de Mark Olson, maire de la ville de Fayetteville dans l’Etat de New York, à l’occasion de la visite à Paris des maires de toutes les villes américaines portant le nom de Lafayette131. Cette visite fait également l’objet d’un long papier de Laurent Zecchini, dans Le Monde du 28 décembre 2007. Le journaliste rapporte que La Fayette induit encore de vifs échanges aujourd’hui autour de sa mémoire : « Son souvenir éveille encore des passions dans le pays qui l’a vu naître132 ». Il montre que le débat autour du rôle qu’il a joué sous la Révolution française provoque des réactions assez fortes. Si les cérémonies de Chavaniac du 6 septembre 2007 sont signalées par l’AFP, dans les quotidiens Aujourd’hui en France et La Croix, et dans l’hebdomadaire Le Journal du Dimanche, elles ne sont nullement évoquées le jour même dans les grands quotidiens nationaux de référence que sont Le Monde, Le Figaro et Libération. Ces journaux traitent ème néanmoins du 250 anniversaire de la naissance de La Fayette, mais d’une autre 127 AFP Infos françaises, 02 septembre 2007, Article, « La Fayette : l’Amérique dans le sang » » [en ligne] : http : // www.bpe.europresse.com (page consultée le 10 juillet 2011) 128 AFP Infos françaises, 12 décembre 2007, « Les maires des “Fayetteville” américaines à l’honneur à Paris » et « Une médaille de La Fayette adjugée 5 millions USD à une fondation française » 129 Le Journal du Dimanche, 16 août 2007, Article de Stéphane Joanny, « La dernière bataille de La Fayette » 130 La Croix, 06 septembre 2007, Article d’Hélène Lerivrain, « La Fayette reste le symbole de l’amitié franco-américaine » 131 La Croix, 24 décembre 2007, Article, « Le maire de Fayetteville a découvert le marquis » 132 Le Monde, 28 décembre 2007, Article de Laurent Zecchini, « La Fayette, voilà tes maires ! » 34 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

manière, à travers le prisme de la polémique autour de la proposition de transférer les cendres de La Fayette au Panthéon. L’hypothétique transfert des cendres de La Fayette au Panthéon est une proposition relativement ancienne, et réitérée à de nombreuses reprises par certains admirateurs du général, dont son biographe Gonzague Saint-Bris et Pierre Bercis, président de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme. En 1989 déjà, une pétition avait été lancée pour ce transfert, à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution française133, mais sans succès. Le débat a été relancé lors des commémorations du deux cent cinquantenaire de la naissance de La Fayette à Chavaniac le 6 septembre 2007. Gonzague Saint-Bris, participant à la cérémonie, a demandé « réparation d’une grande injustice. Œuvrons tous ensemble pour qu’en 2007, La Fayette, champion de toutes les libertés, soit inscrit au Temple des grands hommes ». Bernard Kouchner a répondu, dans son discours, que « Le Panthéon, ce n’est pas une mauvaise idée », en ajoutant qu’il « [porterait] cette idée au sommet de l’Etat ». Il s’agit en réalité de propos intentionnellement vagues. Mais il en a fallu peu pour que les partisans de La Fayette trouvent l’idée acquise. En 2007, à l’heure du nouvel esprit transatlantique animé par le Président de la République Nicolas Sarkozy, se réveille une fièvre française bien connue des historiens, la « panthéonite ». La polémique a rapidement pris de l’ampleur, et engendré des réactions passionnées à la gloire ou en défaveur de La Fayette. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde du 9 novembre 2007134, l’historien Jean-Noël Jeannerey, ancien président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution en 1989, exprime son opposition farouche à cette idée : « Il me paraît urgent de mettre en garde contre cette étrange perspective. » Jeannerey ne remet certes pas en cause le combat de La Fayette pour la liberté, et reconnaît qu’il fut « l’un des plus exacts représentants, en somme, du courant libéral dans les premiers moments de la Révolution française. » Mais il affirme qu’il n’est pas incongru de se demander si La Fayette a bien agi pour la République : « Mais enfin il ne messied pas de s’interroger sur ses états de service au regard de la nation et de la République. » M. Jeannerey explique que La Fayette a cherché à protéger la famille royale durant les Journées d’octobre 1789, et a fait tirer sur les partisans de la République lors de la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791. Mais le plus « rédhibitoire » qui prohibe l’entrée de La Fayette au Panthéon, selon lui, est sa fuite le 20 août 1792 quand « La Fayette trahit sa patrie ». Autre critique portée à l’égard de La Fayette : en juillet 1830, il « pesa de tout de son prestige historique pour faire accepter Louis-Philippe comme roi des Français et voler leur victoire aux Républicains. » Pour Jean- Noël Jeannerey, toutes ces raisons conjuguées rendent moralement impossible le transfert de La Fayette au Panthéon : « Les quatre décennies de l’activité politique de La Fayette, après l’engagement romantique et brillant de sa jeunesse américaine, doivent évidemment l’exclure du Panthéon. » Il se demande donc si la patrie peut être reconnaissante à cet homme. Sa présence au Temple des grands hommes, lui le traître à sa patrie et à la République, serait incompatible avec celle de « républicains prestigieux » tels Condorcet, Grégoire ou Monge, et de soldats morts pour la patrie comme La Tour d’Auvergne ou Marceau. La réponse des admirateurs de La Fayette et partisans de son inscription au Panthéon ne s’est pas fait attendre, puisque le 16 novembre 2007, Pierre Bercis déclare dans une tribune au Monde que « le réquisitoire récent de Jean-Noël Jeannerey contre La Fayette

133 Voir 1.5 134 Le Monde, 09 novembre 2007, Tribune de Jean-Noël Jeannerey, « La Fayette au Panthéon ? Holà ! », p. 21 Cf. Annexe 2 VALLAURI Antoine - 2011 35 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

est inacceptable. Le général mérite le Panthéon.135 » Il qualifie le texte de M. Jeannerey de pamphlet, et l’accuse de s’ériger « en tant qu’historien, en juge “républicain” de tous ceux qui auraient la même pensée scélérate », et « d’encenser Bonaparte à tout va ». Pierre Bercis rappelle les grands combats de La Fayette pour les droits humains, et sa proposition « des trois couleurs du drapeau national ». Il justifie la fusillade du Champ-de-Mars, en affirmant que La Fayette « dirigeait la garde nationale et l’ordre constitutionnel était menacé », et sa fuite « pour sauver sa tête ignoblement menacée ». Cette fuite n’avait pas pour dessein de « menacer la France avec les émigrés et les monarques coalisés contre elle ». M. Bercis trouve inacceptable que Napoléon « [ait] les honneurs des Invalides » alors que La Fayette « à entendre Jean-Noël Jeannerey n’aurait pas droit au Panthéon ». Il montre, par comparaison, que ce qu’a fait Bonaparte était le contraire de ce qu’a accompli La Fayette : « que l’on sache, après que [La Fayette] eut fait libérer les esclaves, [Napoléon] rétablit l’esclavage à la suite de son coup d’Etat, provoqua la mort de millions d’hommes jeunes sur les champs de bataille…Est-ce La Fayette ou Bonaparte qui a renversé la République ? La Fayette, lui, n’est pas passé du jacobinisme à la tyrannie. » Pour terminer son propos, Pierre Bercis défend la mémoire de La Fayette : « Nous ne laisserons jamais coller à La Fayette une étiquette infamante », et réclame ardemment son transfert au Panthéon : « Que La Fayette, héros des deux Mondes soit transféré au Panthéon avec son épouse ne serait que justice. » Une autre réponse digne d’intérêt est venue de Gonzague Saint-Bris qui, le 5 décembre 136 2007, publie à son tour une tribune dans Le Monde . Il annonce d’emblée son désir le plus cher : « En 2007, alors qu’on célèbre les 250 ans de la naissance de La Fayette, appuyé par de nombreux élus, je demande au président de la République que son nom soit inscrit au Panthéon ». Précisons que Gonzague Saint-Bris ne réclame alors pas le transfert matériel des cendres de La Fayette, mais son inscription au fronton du Panthéon. M. Saint- Bris évoque les principaux accomplissements du « Grand Citoyen » durant la première partie de sa vie (avant 1792), et considère qu’ « il est de ces aristocrates sans esprit de caste qui ont fait la belle révolution ». Il dresse la liste de tous les peuples que La Fayette a défendus, pour le qualifier de « précurseur de l’idée européenne ». Gonzague Saint- Bris en vient ensuite à expliquer ce qui fait de La Fayette un personnage iconoclaste de l’histoire de France : « Partisan de l’ouverture avant la lettre, il n’est ni un conservateur borné ni un extrême gauchiste. Il est cette figure qui avance dans l’histoire sous le signe de la réconciliation ». Il interpelle alors directement Jean-Noël Jeannerey : « Comment a-t-il pu vous échapper, vous qui fûtes président de la mission du bicentenaire de la Révolution en 1989, que cette année-là justement les Français avaient enfin compris le marquis libertaire jusqu’à le plébisciter… ? ». Gonzague Saint-Bris accuse ensuite Jean-Noël Jeannerey de confondre république et démocratie. Il affirme : « Dans son texte paru dans Le Monde, sa vision de la France paraît étroite et étrangement sectaire de la part d’un universitaire de son niveau. Il ne considère pas l’histoire de France dans sa continuité, à savoir que les hommes d’exception ont toujours servi l’intérêt de la France plus que celui d’un régime, que ce soit au temps de la monarchie ou de la république. » Pour Gonzague Saint-Bris, l’absence de La Fayette du Panthéon est une ingratitude vis-à-vis de celui-ci, alors que certains de ses contemporains y sont. Il s’agit d’une sorte de décalage horaire de l’Histoire. En 2007, ce débat autour de l’hypothétique « panthéonisation » de La Fayette montre que la personnalité de La Fayette et le rôle qu’il a joué dans l’Histoire prêtent le flanc

135 Le Monde, 16 novembre 2007, Tribune de Pierre Bercis, « “La Fayette, nous voilà !” » Cf. Annexe 3 136 Le Monde, 05 décembre 2007, Tribune de Gonzague Saint-Bris, « La Fayette au Panthéon ! » Annexe 4 36 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

à des querelles toujours vives. Cette polémique suscite un certain enthousiasme des commentateurs, qu’ils soient historiens professionnels ou amateurs. Pour Laurent Ferri, Conservateur des collections françaises à la « Cornell University Library », la panthéonisation de La Fayette correspondrait, d’un certain point de vue, à une refrancisation de La Fayette. En effet, La Fayette, au cours de son existence, a eu un activisme très effréné vis-à-vis des étrangers : héraut de la liberté en Amérique, il est le fondateur d’une certaine idée européenne, il a défendu les Grecs, les Polonais, il a correspondu avec Bolivar…Alors qu’il est le symbole extraordinaire de l’amitié franco- américaine, on risquerait avec ce transfert, en le glorifiant dans la mémoire officielle française, de « le renationaliser137 ». Pour l’historien Jean-Claude Bonnet, chercheur au CNRS, ce débat autour de La Fayette se situe dans l’habitude qu’ont les Français de discuter au tribunal des opinions publiques des mérites des grands hommes. Il s’agit d’une histoire qui n’est pas aussi fermée et dans laquelle la logique du Panthéon rentre bien. Pour M. Bonnet, la tribune de Jean- Noël Jeanneney pose le problème suivant : doit-on avoir une vision strictement républicaine du Panthéon ? Le débat autour de La Fayette doit permettre de réviser cette définition ainsi que l’image du héros des deux Mondes : « C’est une chose nécessaire car la Révolution a usé les hommes. La Révolution a été une dévoreuse de popularité de grands hommes qui ont disparu tout à coup138 ». Ce débat est aussi l’occasion de redécouvrir La Fayette. Cela étant, pour lui, « il serait injuste de ne voir que l’homme des popularités. Peut-être faudrait- il en premier lieu redécouvrir le La Fayette écrivain. » D’une certaine manière, le débat autour de l’entrée de La Fayette au Panthéon pose la question des critères de sélections pour y accéder. Faut-il être réellement républicain ? Pour Elisabeth Liris, pour être convoqué au Panthéon, il ne suffit pas d’être républicain. Pour Patrick Garcia, le Panthéon repose sur un principe de sélection qui est basé sur la devise du Panthéon : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Cela pourrait être : la patrie égal un temple républicain. Le point de vue de Jean-Noël Jeanneney, celui d’un Panthéon strictement républicain, correspond au point de vue d’un commémorateur. Patrick Garcia explique que c’est quelqu’un qui s’est posé la question de qui doit-on faire rentrer en fonction de quels critères. Il a raisonné à partir des critères de 1989, et s’est interrogé sur la portée symbolique du Panthéon. Jean-Noel Jeanneney l’affirme lui-même : « Dans la conscience nationale, le Panthéon est le lieu de ceux qui sont inscrits dans la défense et l’illustration de la Nation, de ceux qui ont servi la République139. » La Fayette, pour M. Jeanneney, n’a pas sa place dans cette vision républicaine du Panthéon. Autre élément important à prendre en compte pour les historiens dans une hypothétique panthéonisation de La Fayette, les implications politiques d’une telle forme de commémoration. Pour Patrick Garcia, quand on commémore, on est dans l’opération politique. Une panthéonisation revient à construire la stature de l’homme d’Etat qui commémore. Le dirigeant qui décide une entrée d’un grand homme au Panthéon « utilise le patrimoine immatériel du passé pour construire sa propre stature ». De ce fait, si on faisait rentrer La Fayette au Panthéon, il s’agirait de la commémoration de l’amitié franco- américaine. On retrouve ce point de vue dans l’analyse de Michel Winock : « La liste 137 « Faut-il faire rentrer La Fayette au Panthéon », Du grain à moudre, par Brice Couturier et Julie Clarini, France Culture, émission diffusée le 11/12/2007 à 17h00, 55 min. Avec la participation de G. Saint-Bris, E. Liris, P. Garcia, J.C. Bonnet et L. Ferri 138 Ibid. 139 « Les cendres de La Fayette au Panthéon ? », Le débat du jour, Radio France Internationale, émission diffusée le 26/12/2007 à 19h16, 14 min. Avec la participation de Gonzague Saint-Bris et Jean-Noël Jeanneney VALLAURI Antoine - 2011 37 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

est immense des grands hommes qui ont été enterrés dans leurs villages : de Gaulle ou Clemenceau, qui ne voulaient pas d’obsèques nationales. Le vrai sens d’une mise au Panthéon est politique, c’est pour faire plaisir aux vivants. L’entrée au Panthéon de La Fayette servirait d’abord à vivifier l’amitié franco-américaine140. » En fin de compte, pour Patrick Garcia, la question à se poser est la suivante : dans les possibles panthéonisables, La Fayette est-il le message d’avenir ? Patrick Garcia se demande si on est véritablement en présence d’un homme emblématique de la Révolution. Cette polémique amène en 2007 un nombre élevé de réactions et de commentaires de la part d’acteurs de la sphère internet. Blogs et sites internet traitent de ce débat, et produisent des avis partagés sur la question. Ainsi cet internaute qui publie un article sur un blog d’actualité royaliste « Royauté News » : l’internaute en question juge que ce débat sur l’opportunité de faire rentrer La Fayette au Panthéon relève d’une polémique inutile, emblématique « du style de questions qui peuvent enflammer les esprits tout en les mobilisant artificiellement autour de nécessités surgies de nulle part141. » Il s’oppose à titre personnel à l’entrée de La Fayette au Panthéon. Il affirme en effet qu’un transfert si tardif équivaudrait à offenser la mémoire de La Fayette : « L’homme n’a pas besoin de cette fausse reconnaissance pour briller parmi les gloires immortelles et ce serait lui faire offense que de trouver, si longtemps après, des raisons à cet honneur auquel les presque deux siècles nous séparant de sa mort n’auraient pas eu l’inspiration de songer. » L’auteur de cette opinion invoque également l’inévitable récupération politique d’une telle commémoration : « je condamne d’avance toute tentative dont celle-ci si elle survenait, de récupération par le gouvernement actuel, des gloires nationales et des faits historiques, lesquels ne les concernent en aucun cas. » Certains lecteurs de la version en ligne de la tribune de Jean-Noël Jeanneney n’hésitent pas à exprimer, en commentaires, des opinions très tranchées : « Il ne faut surtout pas mettre La Fayette dans cet antre de francs-maçons et de gens de gauche ». Un autre internaute estime que le Panthéon n’est pas un temple réservé aux Républicains : « Les 65 “ grands hommes” à y être enterrés sont considérés comme des héros de la patrie, peu importe le régime constitutionnel auxquels ils aient cru. En conséquence, l’un des arguments –le fait que La Fayette n’était pas très républicain- de J-N Jeanneney me semble tomber de lui-même142. » Ce débat de 2007 autour de la possibilité de l’entrée de La Fayette au Panthéon est sans objet de l’avis de certains (voir les propos d’un des internautes cités précédemment). Laurent Zecchini, dans Le Monde du 28 décembre 2007, met en exergue la futilité de ce débat cantonné à un cercle restreint d’intellectuels qui « ferraillent » sur la question : il évoque « l’inanité de cette polémique très parisienne sur le transfert au Panthéon des cendres du “marquis”143 ». Il considère que l’entrée de La Fayette au Panthéon « irait contre les vœux des héritiers de ce nom, et contre l’Histoire : La Fayette, c’est Picpus, et vice versa. » Autre critique de ce débat, celle du journaliste et écrivain Stéphane Denis, dans Le Figaro du 15 novembre 2007. Il s’interroge sur l’utilité des questionnements autour du caractère strictement républicain ou non du Panthéon et sur la possibilité ou non d’y faire entrer La Fayette qui en découle. Il doute, en effet, que tous les grands hommes reposant 140 Cité dans Amélie de Bourbon, « La Fayette au Panthéon », in Le Point, 6 décembre 2007, p. 115 141 Anon. « La Fayette et le Panthéon » [en ligne], http://www.royaute-news.com/article-7352079.html (page consultée le 11 mai 2011) 142 Anon., « La Fayette au Panthéon » [en ligne], http://www.frangegenweb.org/index.php?post/2007/12/06/342-la-fayette- au-pantheon (page consultée le 10 mai 2011) 143 Le Monde, 28 décembre 2007, Article de Laurent Zecchini, « La Fayette, voilà tes maires ! » 38 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

au Panthéon soient véritablement des républicains : « Qui aurait dit qu’en 2007 on se demanderait si La Fayette était oui ou non républicain ? Le sont-ils tous, d’ailleurs, les gisants de la rive gauche ? L’ont-ils été tout ce temps ? C’est Victor Hugo qui l’inaugura, ce Panthéon, Hugo qui fut successivement tout ce qu’on pouvait être à une époque qui n’était pas bégueule sur les changements de régime144. » Pour lui, ce n’est pas ce critère républicain qui doit déterminer ou non l’entrée de La Fayette. Depuis 2007, la question du transfert des cendres de La Fayette au Panthéon ou de sa simple inscription au Temple des grands hommes est en suspens. Le sujet n’a plus été évoqué, que ce soit dans les discours officiels ou dans la presse. Cela pourrait nous pousser à affirmer qu’il s’agissait d’une polémique artificielle. Les batailles d’initiés sont présentes. Pour certains analystes, les hommes politiques ont leur idée sur La Fayette mais cette idée date, et les statues sont anciennes.

Chapitre 2 : La mémoire officielle et le symbole persistant de l’amitié franco-américaine

2.1.Les discours des officiels nationaux français et la mémoire de La Fayette A l’occasion des diverses commémorations relatives à la mémoire de La Fayette et à l’amitié franco-américaine, de nombreux discours encensent le souvenir du héros des deux mondes et son rôle posthume de lien permanent entre la France et les Etats-Unis. Ces discours sont l’œuvre de personnalités officielles françaises et de représentants du gouvernement américain, voire parfois de descendants du marquis de La Fayette. L’intérêt ici est d’analyser les déclarations des officiels français relatives à la mémoire de La Fayette, dont certaines sont publiées dans la presse à diverses occasions. Les premier discours notables concernant La Fayette dans sa postérité sont les discours prononcés lors de l’inauguration de la statue du général au Puy-en-Velay, le 6 septembre 1883. Cet événement correspond à la première grande cérémonie liée à la mémoire de La Fayette depuis sa mort. Waldeck-Rousseau, alors Ministre de l’Intérieur, est le représentant officiel du gouvernement français. De tous les discours, il ressort que pour la mémoire officielle, La Fayette occupe une place particulière dans l’histoire de France. Waldeck-Rousseau l’affirme d’entrée de jeu dans son discours de 1883 : « c’est qu’il n’est pas, je crois, de mémoire qui soit restée plus présente à la reconnaissance du peuple français que la sienne ; c’est qu’il n’est peut-être pas de figure historique qui ait plus victorieusement triomphé de l’épreuve du temps et qui ait mieux traversé les âges sans rien perdre de l’incomparable éclat de saine et vraie popularité dont elle apparaît entourée dès l’origine145. » Cette phrase suggère aussi qu’en 1883, on considère La Fayette toujours actuel, toujours présent dans les esprits. Il en est de même en 1934, année du centenaire de la mort de La Fayette. Noël Pinelli, vice-président du Conseil municipal de Paris, affirme, lors d’une cérémonie le 18 mai 1934 devant la statue de La

144 Le Figaro, 15 novembre 2007, Opinion de Stéphane Denis, « Un vrai conseil de révisions » 145 WALDECK ROUSSEAU, Discours à l’inauguration de la statue du général La Fayette au Puy, 1883 VALLAURI Antoine - 2011 39 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Fayette dans les jardins du Carrousel : « Cette chevauchée l’a conduit jusqu’à nous.146 » Cette actualité de La Fayette se retrouve en 2007, dans le discours de Bernard Kouchner, ème à l’occasion des cérémonies à Chavaniac-Lafayette pour le 250 anniversaire de la naissance du marquis : « Car je ne suis d’ailleurs pas sûr que le message de Lafayette, 250 ans après sa naissance, soit à classer parmi les seuls livres d’histoire147. » La figure de La Fayette, depuis sa mort, n’a cessé d’être porteuse d’enseignements, de donner à penser, tant La Fayette était un homme en avance sur son temps : « Un homme en avance sur son temps, en avance aussi sur son pays, et ce bien souvent encore.148 » Le fait que La Fayette soit un personnage supérieur dans l’histoire de France est réaffirmé officiellement en 1957, à l’occasion des festivités du bicentenaire de sa naissance, par Maurice Bourgès-Maunoury, Président du Conseil : « Peu de Français ont reçu de leur vivant autant de témoignages de gratitude, autant d’honneurs149. » On rencontre de nouveau cette idée de supériorité du personnage de La Fayette dans l’histoire de France en 2007 : « Vous connaissez tous ces moments de gloire qui font l’histoire de France et la légende de celui que nous célébrons aujourd’hui. » La Fayette reste à chaque commémoration un grand symbole de la France héroïque. Cela est dit dès 1883 par le Ministre de la Guerre, le général Thibaudin, qui parle de La Fayette comme d’un « grand Français » et d’un « illustre citoyen150 », et réactualisé par Bourgès-Maunoury en 1957 : « La Fayette, pour nous, c’est un nom illustre. » Thibaudin exalte, à travers cette référence, la Nation et le patriotisme, et, en tant que ministre de la guerre, témoigne des qualités militaires de La Fayette : « Il sut constamment faire plier son amour-propre et son ambition sous les principes de la discipline et du dévouement impersonnel à la patrie. » Il affirme également qu’il convient de « rendre à la mémoire de cet illustre citoyen l’hommage que ses vertus civiques et militaires imposent à notre reconnaissance. » Il prophétise par là ce qui va se passer dans les diverses commémorations relatives à la mémoire de La Fayette et à l’amitié franco-américaine. A chacune de ces occasions, le même hommage à la figure de La Fayette sera renouvelé. Le 05 juillet 1917, lors des cérémonies de l’anniversaire de l’indépendance américaine, Paul Painlevé, ministre de la guerre, renforce la mémoire militaire de La Fayette en évoquant les « talents militaires » du jeune marquis dans la guerre d’indépendance américaine151. Pour certains, la figure de La Fayette personnifie, d’une certaine manière, le prestige de la France à l’étranger : de fait, pour Achille Villey, préfet de la Seine en 1934, « Si la France garde ce prestige ineffaçable, si elle-même a toujours gardé la conscience de cette noble mission, si elle a pu, en tant de mémorables occasions, faire passer dans les faits tant de rêves patriotiques épars en Europe, quelle part n’en revient pas à La Fayette, vivant

146 Discours de Noël Pinelli cité dans Journal des débats, 18 mai 1934 147 ème Discours du ministre des Affaires Etrangères et Européennes, Bernard Kouchner, lors du 250 anniversaire de la naissance de Lafayette, 6 septembre 2007, Chavaniac-Lafayette 148 Ibid. 149 Discours de Maurice Bourgès-Maunoury prononcé à Chavaniac le 08 septembre 1957, cité dans L’Eveil de la Haute-Loire, 08 septembre 1957, Article, « M. Bourgès-Maunoury a présidé aujourd’hui les fêtes à Chavaniac-Lafayette » 150 Message de Jean Thibaudin lu par le général Vuillemot le 06 septembre 1883 au Puy-en-Velay, cité dans La Presse, 08 septembre 1883 151 Discours de Paul Painlevé cité dans Le Progrès, 05 juillet 1917, Article, « Devant la Tombe de La Fayette » 40 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

exemple, image populaire entre toutes.152 » Pour Bernard Kouchner, en 2007, La Fayette, « c’est une France qui se grandit en grandissant les autres, une France capable d’efforts et de sacrifices au-delà du raisonnable, pourvu qu’ils soient justes…c’est enfin une France qui parle au monde, qui n’a peur ni de l’avenir, ni de l’inconnu, et s’accomplit en prenant des risques. » Certains discours officiels vont jusqu’à revendiquer une place pour La Fayette dans l’histoire universelle : « Il est, dans l’histoire des peuples, quelques grands hommes, dont le nom est devenu un symbole, non seulement pour leur pays, mais pour tous les hommes, par-delà les frontières. Un enfant d’ici, le marquis de La Fayette, est de ceux-là. » (Maurice Bourgès-Maunoury en 1957). Le rôle de La Fayette sous la Révolution française est consacré par la mémoire officielle. Ainsi, en 1883, Waldeck-Rousseau décrit le héros des deux mondes comme n’ayant pas été seulement « un des hommes de la Révolution [mais ayant été] le signe vivant et comme la preuve de cette Révolution. » Et Waldeck-Rousseau d’ajouter : « ce marquis de La Fayette qui semble avoir été son chevalier. » En 2007, le souvenir du La Fayette de la Révolution française est également marqué dans l’allocution de Bernard Kouchner: « Vous connaissez le révolutionnaire français, rédacteur de la grande déclaration de 1789, commandant de la garde nationale et organisateur du premier 14 juillet- celui de 1790. » Les discours prononcés par les personnalités publiques lors des commémorations font fréquemment état des principales qualités de La Fayette. En 1883, le général Thibaudin, ministre de la guerre, rappelle que « par son courage enthousiaste, par la délicatesse de son esprit, par son amour ardent des grandes causes d’humanité et de liberté, par sa nature passionnée, généreuse et loyale, [La Fayette] a personnifié brillamment les qualités de notre race. » En 1917, Painlevé insiste sur le désintéressement et la détermination de La Fayette : « Devançant les hésitations de son gouvernement, sans autre ambition que de servir une juste cause. » A la même date, le Maréchal Joffre évoque un La Fayette héroïque, généreux et à l’esprit chevaleresque : « dans un magnifique élan de générosité, La Fayette avait mis son âme et son épée au service des Etats-Unis qui luttaient pour conquérir leur indépendance. » Il ajoute : « Il symbolisait la jeunesse de France, éternellement éprise d’héroïsme. » Ce qui reste de La Fayette dans une certaine mémoire officielle à cette époque, c’est ce héro jeune, aux idéaux éternels, illustrant la fraternité franco-américaine. En 1919, à la Pointe-de-Grave, Poincaré dit à propos de La Fayette : « Il rêvait déjà de commencer sa vie par un grand poème en action. » Pour Pinelli, le vice-président du Conseil municipal de Paris en 1934, La Fayette représente « la bravoure française, l’esprit du sacrifice. » En 1957, les éloges fusent quant au souvenir des traits d’esprit de La Fayette : Pour Bourgès-Maunoury, « La Fayette était un homme bon, juste, à l’esprit ouvert, soucieux de la bonne entente entre les peuples, un homme de progrès et de paix. Mais il ne croyait pas à la valeur de ces idées pour lui seul. Il croyait que tous les hommes pouvaient progresser ensemble vers le même idéal de liberté, de fraternité, et de démocratie. » Le Président de la République René Coty, lui, se remémore en La Fayette « le héros du dévouement à la plus noble cause : celle de la dignité humaine. » Michel Soulié, Secrétaire d’Etat à l’information, soutient que « La Fayette est un exemple, un exemple de vie courageuse et de dévouement à des idées généreuses. » En 2007, Bernard Kouchner exalte le souvenir d’un La Fayette dont il voudrait retenir « une prodigieuse capacité de dépassement de soi, d’invention permanente et de projection vers les autres » et dont il loue « le refus d’une vie bornée par les carrières convenues et les horizons du quotidien. »

152 Discours d’Achille Villey, cité dans Journal des débats, 18 mai 1934 VALLAURI Antoine - 2011 41 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Les personnalités officielles citent, dans leurs discours, La Fayette comme un exemple pour la démocratie. Ainsi, en 1934, Paul Bastid, président de la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre des députés le considère comme « l’un des fondateurs de la civilisation politique moderne. » En 1957, Maurice Bourgès-Maunoury montre que pour La Fayette, le modèle démocratique était le seul salut possible : « S’il est devenu le symbole de l’aide que la France toute entière apporta à la grande démocratie américaine en ses débuts, c’est précisément qu’il voyait dans les Etats-Unis une des chances de la démocratie et du progrès pour le monde. » Mais le discours le plus édifiant pour le souvenir de La Fayette démocrate demeure celui de Waldeck-Rousseau en 1883 : « En lui élevant une statue, vous avez montré que la démocratie n’est pas ingrate, qu’elle sait se souvenir, qu’elle aime ceux qui l’ont aimée. Apprenons par cet exemple à servir la démocratie française. » Et il ajoute qu’un hommage solennel à un personnage comme La Fayette est « une fête de la démocratie, une fête de la liberté. » Les discours des personnalités publiques mettent également en évidence l’aspect essentiel de la figure de La Fayette, son moteur tout au long de son existence, son combat pour la liberté. Le général Thibaudin, en 1883, affirme déjà : « Il est resté toujours le serviteur convaincu de la liberté. » En 1916, à l’occasion des fêtes consacrées à l’anniversaire de La Fayette à New York, dans le contexte de la guerre, l’Ambassadeur de France à Washington, M. Jusserand, remet au goût du jour l’idéal de liberté de La Fayette : « Soyons comme La Fayette, de bon courage, certains que nous sommes du triomphe de la liberté153. » De même, en 1918, lors de la célébration de l’anniversaire de La Fayette aux Etats-Unis, Raymond Poincaré, le Président de la République française, dans un message adressé au Congrès américain, se souvient du combat de La Fayette pour la liberté : « C’est également pour la liberté qu’avait combattu La Fayette aux côtés de Washington154. » Le thème de la liberté est une composante essentielle du discours du Président du Conseil Bourgès- Maunoury en 1957 : « La Fayette, pour nous, c’est un nom illustre qui reste à jamais attaché à l’image des Etats-Unis et au mot de liberté, à l’idéal de liberté. » Pour Hervé Alphand, ambassadeur de France aux Etats-Unis, la liberté si chère à La Fayette reste le maître-mot : « Ensemble nous devons rester fidèles à ce généreux idéal de liberté qui a inspiré les fondateurs de la grande République américaine comme il a inspiré les volontaires français155. » A la même date, René Coty, dans un télégramme adressé à son homologue américain Eisenhower, qualifie La Fayette de « soldat de la liberté156 ». Le baron Charles de Pampelonne, Consul général de France à Boston, voit, lui, en La Fayette un « ami de la liberté157. » Pour Bernard Kouchner en 2007, La Fayette, « c’est aussi un patriotisme de la liberté ». Le souvenir le plus récurrent dans les discours officiels exaltant sa mémoire, c’est La Fayette comme symbole perpétuel de l’amitié franco-américaine. Henry Bérenger, Président de la Commission sénatoriale des Affaires Etrangères en 1934, l’affirme, de la manière 153 Discours de Jusserand, ambassadeur de France, cité dans Le Figaro, 08 septembre 1916, Article, « Les fêtes de La Fayette à New York » 154 Message de Raymond Poincaré cité dans Le Gaulois, 06 septembre 1918 155 Discours d’Hervé Alphand, ambassadeur de France aux Etats-Unis, cité dans L’Eveil de la Haute-Loire, 08 septembre 1957, Article, « “La Fayette Day” aux USA » 156 Télégramme de René Coty adressé à Eisenhower, cité dans Le Progrès, 10 septembre 1957, Brève, « M. René Coty répond au président Eisenhower » 157 Discours de Charles de Pampelonne, cité dans « Bicentenaire La Fayette », Bulletin de la Société Historique Franco- Américaine Boston, Massachussets, Vol. III, 1957, p. 45 42 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

la plus criante, dans un message à destination du Congrès des Etats-Unis : il salue « le symbole toujours vivant d’une amitié spirituelle indestructible entre les héritiers de la Révolution américaine et les descendants de la Révolution française pour le développement progressif des libertés individuelles et de la civilisation collective158. » Déjà Waldeck-Rousseau, en 1883, exalte les liens qui unissent la France aux Etats- Unis grâce à la mémoire de La Fayette159. En 1900, à l’occasion de l’inauguration de la Statue de La Fayette place du Carrousel à Paris, le Président de la République Emile Loubet encense cette amitié qui unit la France aux Etats-Unis autour de La Fayette, qualifié d’ancêtre commun : « Ce magnifique monument consacre l’amitié séculaire et l’union de deux grandes nations160 ». En 1917, le souvenir de La Fayette comme symbole vivant de la relation fraternelle franco-américaine est régulièrement invoqué, dans le contexte de l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés de la France. Le 4 juillet 1917, lors d’une cérémonie sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus, le colonel Stanton, aide de camp du général Pershing, commandant en chef des forces américaines en France, prononce cette phrase mythique qui illustre véritablement les liens unissant la France et les Etats-Unis : « La Fayette nous voilà ! ». Par cette lyrique expression, Stanton suggère que c’est au nom de l’héroïsme des combattants français qui ont lutté aux côtés des « Insurgents » américains dans la guerre d’indépendance, que les forces américaines apportent aujourd’hui leurs concours aux Français dans leur combat pour la liberté. La figure de La Fayette personnifie cette aide apportée en retour. A partir de là, tous les discours franco-américains font référence à son nom. C’est le triomphe du mythe de La Fayette comme moteur des relations franco-américaines. Nous verrons cependant que, pour certains, le mythe La Fayette est un trompe-l’œil des relations franco-américaines, et que ce n’est peut-être pas la véritable raison de l’engagement américain en 1917. Lors de la cérémonie du 5 juillet 1917, le ministre de la guerre Paul Painlevé rappelle l’audace et le courage de La Fayette dans son engagement aux côtés des troupes du général Washington : « La Fayette accourait mettre son courage et ses talents militaires au service d’une jeune armée improvisée qui devait affronter des troupes valeureuses et aguerries ». Il témoigne aussi de la réciprocité américaine du moment : « Et voici qu’aujourd’hui, après cent trente-six ans, le passé ressuscite. L’appel adressé par La Fayette à Washington, il semble que le général Pétain pourrait l’adresser au général Pershing. La poignée de volontaires qu’entraînait avec lui le jeune chef français, elle nous revient aujourd’hui multipliée sous l’aspect de ces soldats robustes […]161 ». Le 7 septembre 1917, à l’occasion d’une cérémonie de levée du drapeau américain à l’Hôtel de Ville de Paris, Poiry, vice-président du Conseil municipal de Paris, dans un télégramme adressé à Thomas B. Smith, maire de Philadelphie, qui a offert le drapeau américain à la France, exprime ses

158 Message d’Henry Bérenger au Congrès américain, cité dans Le Temps, 21 mai 1934, Article, « Le centenaire de La Fayette » 159 Discours de Waldeck-Rousseau à l’inauguration de la statue de La Fayette au Puy : « Je tiens à lui dire combien nous sommes heureux, touchés de voir à côté de nous, dans un même sentiment de vénération pour cet homme, le représentant accrédité de cette autre grande démocratie qui est la démocratie américaine, de cette autre grande République qui est la République des Etats- Unis, laborieuse comme la nôtre, pacifique comme la nôtre, et convaincue, comme nous le sommes, que les peuples libres n’achètent ce bienfait inestimable de la paix qu’à la double condition d’être fermement résolus à ne jamais permettre qu’on entreprenne rien contre eux » 160 Discours d’Emile Loubet, cité dans La Presse, 05 juillet 1900, Article, « Une Statue de La Fayette » 161 Discours de Paul Painlevé, cité dans Le Progrès, 05 juillet 1917, Article, « Devant la Tombe de La Fayette » VALLAURI Antoine - 2011 43 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

« vœux pour le resserrement des liens séculaires qui unissent les deux “patries”162 ». De même, ce même jour, le maréchal Joffre, dans une dépêche adressée aux organisateurs d’un banquet donné à New York pour le jour anniversaire de La Fayette, déclare que « Comme aux grands jours de La Fayette, les Etats-Unis et la France viennent d’unir leurs cœurs pour la défense du Droit, dans un même idéal de Liberté163. » Il affirme aussi que « comme à Yorktown, la victoire couronnera nos efforts, et le fraternel esprit qui unissait les compagnons de La Fayette aux combattants américains assurera, par le triomphe de nos armes, l’indépendance du monde. » Le souvenir du combat de La Fayette pour la liberté aux Etats-Unis est également un moyen de revivifier l’amitié franco-américaine. Ainsi, pour Raymond Poincaré, dans son message au Congrès, le 6 septembre 1918, « C’est également pour la liberté qu’avait combattu La Fayette aux côtés de Washington. Les noms de ces deux frères sont inséparables, comme sont à jamais inséparables le cœur de l’Amérique et celui de la France. » On déduit de ce parallélisme que l’image de La Fayette est la métaphore vivante du lien qui unit la France aux Etats-Unis. De ce fait, Poincaré exprime la reconnaissance du peuple français envers les Américains pour avoir honoré la mémoire de La Fayette : « Le peuple français, qui se sent tous les jours plus étroitement uni au peuple américain, est très touché et très reconnaissant d’un chaleureux empressement que, cette année encore, les citoyens des Etats-Unis mettent à honorer le double souvenir de la naissance de La Fayette et de la victoire de la Marne. » Il assimile la commémoration de la mémoire de La Fayette à « la grandeur et l’éclat d’un symbole historique ». A l’issue de la guerre, les officiels français témoignent de leur gratitude envers les Etats-Unis pour avoir rendu la pareille à la France, en étant intervenus à ses côtés durant la guerre. Le 23 décembre 1918, à l’occasion de l’inauguration d’un buste de La Fayette au Mans, Henry Simon, le ministre des colonies, s’exprime en ces termes : « Il paraît que je ne puis rendre à La Fayette hommage plus digne de lui que de dire comment les Etats-Unis ont payés depuis près de deux ans, l’immortel service rendu par lui à leurs libertés naissantes164 ». En 1920, à Metz, le général de Maud’huy a souligné de quelle façon l’Amérique a su montrer sa reconnaissance : « Pour un La Fayette, vous nous avez donné des milliers d’hommes ; pour un geste de sang, vous en avez donné une pinte ; mais la France n’oubliera pas. » En 1934, lors des commémorations du centenaire de la mort du héros des deux mondes, les discours officiels français réactivent le thème de la fraternité franco-américaine symbolisée par sa figure. Ainsi, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, André de Laboulaye, dans un discours à Bethléem en Pennsylvanie : « La Fayette est le symbole même de l’amitié et de la collaboration franco-américaine. Le sang si généreusement versé par La Fayette et ses compagnons à la bataille de Brandywine fut un exemple et un encouragement pour les Américains qui combattirent si courageusement pendant la grande guerre165. » Le même jour, dans une allocution radiodiffusée en l’honneur de La Fayette, le ministre des Affaires Etrangères, Louis Barthou, s’adresse aux Américains et évoque les commémorations éclatantes célébrées aux Etats-Unis d’une « figure légendaire de l’histoire des Etats-Unis et de France ». Il explique que cette initiative a touché le peuple de France. 162 Le Figaro, 07 septembre 1917, Article, « Le drapeau américain à l’Hôtel de Ville » 163 Le Figaro, 07 septembre 1917, Article, « Le jour de La Fayette » 164 Le Gaulois, 23 décembre 1918, Article, « Double commémoration : La Fayette et Wilbur Wright » 165 La Croix, 06 mai 1934, Article, « Les fêtes commémoratives de La Fayette aux Etats-Unis : un discours de l’ambassadeur de France » 44 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

Par conséquent, ces discours tendent à souligner le fait que le sentiment d’amitié entre les deux peuples perdure cent ans après la mort de La Fayette, en partie à travers son souvenir. Le Maréchal Pétain, ministre de la guerre, dans un discours lors de la grande cérémonie organisée à la Sorbonne pour le centenaire de La Fayette, exalte la grande amitié que son souvenir symbolise, et qui renforce encore sa grandeur : « L’histoire offre peu d’exemples de deux nations qui, après cent cinquante ans, sentent encore, au seul souvenir d’un grand nom, vibrer leurs cœurs à l’unisson166. » Le 21 mai 1934, dans un message adressé au Congrès des Etats-Unis, le Président de la République Albert Lebrun souligne l’attachement réciproque à ces liens qui unissent les deux pays : « Vous attestez votre attachement aux traditions et aux principes de civilisation que symbolise la pure figure de La Fayette. Par elle, se trouve affirmée la permanence des liens humains qui font la force de notre solidarité167 . » Le journaliste du Temps estime alors que la cérémonie du centenaire de la mort de La Fayette organisée par le Congrès sera visible en France : « La signification de cette cérémonie qui constitue un témoignage particulièrement émouvant de la pérennité des sentiments qui, sous l’invocation symbolique du grand champion de la liberté dans les deux mondes, unissent la France et les Etats-Unis, ne sera méconnue par aucun Français. » Dans un message envoyé au Congrès à l’occasion de la même cérémonie, Paul Bastid, le président de la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre des députés française, considère La Fayette comme le « héros de la liberté des deux mondes et symbole de la fraternité indestructible qui unit nos deux nations. » En 1957, le Président du Conseil Maurice Bourgès-Maunoury va plus loin sur cette amitié franco-américaine, en affirmant que la solidarité française « n’est pas simplement une alliance militaire, c’est depuis le début une profonde communauté d’idées, la participation à un même idéal. » Cette affirmation se retrouve dans les propos du Secrétaire d’Etat à l’Information Michel Soulié, lors du Banquet Officiel donné à Vichy dans le cadre des manifestations nationales du bicentenaire de la naissance de La Fayette : « Le geste libérateur accompli par La Fayette sur la terre d’Amérique montre assez que cette amitié repose sur le roc d’un idéal commun168. » Pour le Consul général de France à Boston Charles de Pampelonne, La Fayette représente toujours aussi bien les liens qui unissent la France et les Etats-Unis : « Après deux cent ans, La Fayette est encore le symbole de l’amitié et de la solidarité franco-américaine. » En 1976, lors des célébrations du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis à Chavaniac-Lafayette, le représentant du gouvernement, le Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères Christian Taittinger insiste sur le caractère exceptionnel de l’amitié franco- américaine dérivée de l’amitié entre Washington et La Fayette : « Si le souvenir d’une amitié entre deux hommes, devenue une amitié entre deux grandes nations, a survécu à deux siècles d’histoire, c’est bien que cette amitié avait quelque chose d’exceptionnel, voire d’unique dans l’histoire des peuples169. » En 2007, l’amitié franco-américaine est toujours aussi présente dans le discours officiel ème français, dans le cadre de la célébration du 250 anniversaire de la naissance de La

166 Journal des débats, 20 mai 1934, Article, « Le centenaire de la mort de La Fayette : la cérémonie à la Sorbonne » 167 Le Temps, 21 mai 1934, Article, « Le centenaire de La Fayette : le message de M. Albert Lebrun au Congrès et au peuple américain » 168 L’Eveil de la Haute-Loire, 08 septembre 1957 169 L’Eveil de la Haute-Loire, 06 septembre 1976, Article, « L’apothéose des fêtes du bicentenaire à Chavaniac-Lafayette en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis » VALLAURI Antoine - 2011 45 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Fayette. Bernard Kouchner porte aux nues le rôle de La Fayette dans la constitution de cette amitié : « Il aura bâti l’une des plus belles amitiés qui aient jamais existé entre deux nations, une amitié fondée sur des valeurs partagées, une foi commune dans l’humanité et une indéfectible solidarité. » Il affirme aussi : « A travers Lafayette, c’est aussi et surtout cette amitié-là que je suis heureux de célébrer aujourd’hui. » La même année, le 7 novembre, Nicolas Sarkozy, dans son discours devant le Congrès des Etats-Unis, rappelle les liens qui unissaient George Washington et Gilbert de La Fayette170. Il explique que sa visite est l’occasion de réaffirmer cette fraternité franco-américaine : « une France qui vient à la rencontre de l’Amérique pour renouveler ce pacte d’amitié et d’alliance scellé à Yorktown entre Washington et Lafayette. »

2.2.Le mythe La Fayette et les relations franco-américaines L’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 et la fameuse phrase de Stanton « La Fayette nous voilà » illustrent le mythe de La Fayette comme moteur des relations franco- américaines. On se situe alors sur le terrain du sentiment réciproque. Toutefois, d’aucuns estiment que ce mythe n’agirait que comme trompe l’œil dans les rapports entre les deux nations motivés par des raisons davantage intéressées et pragmatiques, qu’idéalisées. Pour Jean-Baptiste Duroselle, le mythe La Fayette n’a pas déterminé les événements politiques qui ont marqué les relations entre la France et les Etats-Unis171. Il explique, dans sa communication devant ses pairs de l’Académie des sciences morales et politiques, qu’on ne peut gratifier cette « pieuse légende » d’un résultat politique quelconque. Ce n’est pas le souvenir de La Fayette qui a empêché les deux peuples de « se combattre, mais l’absence de tout objet de conflit ». La démonstration de Duroselle suggère de surcroît que les mânes de La Fayette ne sont pour rien dans la participation des Etats-Unis dans les deux guerres mondiales aux côtés de la France. La véritable motivation réside dans la défense de leur intérêt national. Il affirme que « la réalité des rapports transatlantiques est beaucoup plus complexe, infiniment plus nuancée ». Les relations franco-américaines peuvent, dans son esprit, être résumées à trois expressions : « dissymétrie, instabilité et incompréhension mutuelle ». En 1917, après l’accueil triomphal du président américain Wilson à Paris, les rapports entre les deux pays passent rapidement du Capitole à la Roche Tarpéienne. L’affaire des dettes de guerre françaises suscite l’exaspération du côté français. Wilson est progressivement insulté, hué, et attaqué dans la presse française, puis tombe dans l’oubli. Et le souvenir de La Fayette n’a pu éviter l’exacerbation de ces tensions. Duroselle met aussi en exergue les mauvaises relations qui existaient entre le peuple et les soldats américains en France en 1917-1918, et qui firent l’objet de plusieurs dépêches de l’ambassadeur de France à Washington Jusserand. Il cite les propos du diplomate britannique Harold Nicolson à l’époque : « La Fayette est en train de devenir un lien d’union bien vague ». 170 Discours de Nicolas Sarkozy devant le Congrès : « Je parle devant le portrait de Washington et celui de Lafayette. Lafayette fut le premier à s’exprimer devant vos deux Chambres. Qu’est-ce qui a rapproché deux hommes si différents par l’âge et par les origines, Lafayette et Washington ? Ce sont des valeurs communes, c’est un même amour de la liberté et de la justice ? Quand Lafayette a rejoint Washington, il lui avait dit : “je viens ici, sur cette terre d’Amérique, pour apprendre et pas pour enseigner”. Il venait du Vieux Monde vers le Nouveau Monde et il a dit : “je viens pour apprendre et pas pour enseigner”. C’était l’esprit nouveau et la jeunesse du Vieux Monde qui venait à la rencontre de la sagesse du Nouveau Monde pour ouvrir ici, en Amérique, une ère nouvelle à l’humanité tout entière. » 171 DUROSELLE Jean-Baptiste, « France-Etats-Unis : du mythe La Fayette à l’incompréhension mutuelle », Séance du 15 novembre 1976, dans Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1976, vol. 129, pp. 529-551 46 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

La thèse de Jean-Baptiste Duroselle est corroborée par l’analyse que porte Claude Moisy, ancien président de l’Agence France-Presse. Selon lui, « l’étude des conditions de l’entrée tardive des Etats-Unis dans les deux conflits mondiaux du XXème siècle détruit un aspect du mythe La Fayette172 ». Il montre que, dans aucun des deux cas, le sort de la France n’a été la préoccupation majeure des autorités américaines. Pour lui, il est faux de croire que l’intervention des Etats-Unis était fondée sur un sentiment de gratitude à l’égard de la France pour son tribut à la guerre d’indépendance. En 1917, le Congrès américain ne décide de l’entrée en guerre que lorsque les sous-marins allemands multiplièrent les offensives contre les navires de commerce américains. Ainsi, pour ces deux auteurs, le mythe de La Fayette n’est qu’un habillage cosmétique de façade des relations franco-américaines qui cache des réalités moins heureuses. Raymond Aron identifie, en réponse à Jean-Baptiste Duroselle, trois niveaux dans les relations franco-américaines. Le premier, celui des stéréotypes nationaux, aboutit à une conclusion sentencieuse : Français et Américains sont condamnés à l’incompréhension réciproque. Il caractérise le deuxième niveau par l’expression suivante : « Les moyens de communication de masse favorisent les explosions de passion ». Ainsi, indépendamment de la figure de La Fayette, l’amitié franco-américaine peut être vouée aux gémonies au gré d’une passion conjoncturelle. De fait, Wilson, acclamé par un déchaînement d’ardeur et d’enthousiasme, se métamorphose quelques mois plus tard, en un ennemi ou un « Don Quichotte aveugle et sourd ». Aux Etats-Unis, la France est alternativement la patrie de La Fayette et le débiteur qui ne paye pas ses dettes. En fin de compte, on est dans une situation où le mythe fayettiste dissimule des « émotions en sommeil qu’un incident suffit à réveiller ». Les passions se déchaînent tout à coup selon des ressorts latents de la légende de La Fayette, ou indépendamment. Dans le troisième niveau des relations franco- américaines, les milieux intellectuels se comprennent les uns les autres. Pour Raymond Aron, les échanges entre les milieux intellectuels importent davantage à la longue que les « stéréotypes nationaux ou les crises déchaînées par la presse ». Ce sont donc ces relations entre les élites respectives des deux pays qui fondent les relations franco-américaines sur le long terme. Ces échanges varient peu structurellement et la figure de La Fayette est alors un bon stimulant des relations à ce niveau. De ce fait, le mythe La Fayette comme fondement des relations franco-américaines n’est pas fondamentalement remis en cause si l’on estime que les relations qui comptent sont celles entre les milieux éclairés des deux pays. Jean-Baptiste Duroselle le reconnaît lui- même : « Mais ce mythe, je suis le premier à le reconnaître, reste vivant, continue d’exister, les Américains sont capables d’une grande sympathie pour notre pays ». Même si des épisodes ponctuels d’affrontements et de tensions entre les deux pays ne correspondent pas à ce modèle, les discours officiels franco-américains encensent tout au long du vingtième siècle l’amitié indéfectible entre la France et les Etats-Unis. En 2002, le Président Bush et le Congrès portèrent La Fayette au zénith de la reconnaissance que le pays pût avoir envers un citoyen étranger, en lui conférant le titre de citoyen d’honneur des Etats-Unis. En novembre 2007, la première visite officielle de Nicolas Sarkozy en tant que Président de la République française à Washington était placée sous les auspices de l’amitié indéfectible entre la France et les Etats-Unis et de La Fayette. Comme l’affirme Claude Moisy, « Nicolas Sarkozy a apporté sa pierre à la perpétuation de ce mythe ». Qui plus est, en 1917, la figure de La Fayette, même si elle ne serait pas la cause effective de l’entrée en guerre américaine, est bien présente dans l’imaginaire des soldats 172 MOISY Claude, « Le mythe de La Fayette ou les relations franco-américaines en trompe-l’œil », dans Politique américaine, numéro 11, été-automne 2008, p. 85 VALLAURI Antoine - 2011 47 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

américains intervenant en France. A l’issue de l’intervention de Jean-Baptiste Duroselle, l’historien Jacques Chastenet, membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques, lui répond en narrant sa propre situation d’officier de liaison auprès de la première division américaine débarquée en France : « Dans leur grande majorité, les officiers et la troupe ignoraient la France. Mais ils connaissaient le nom de La Fayette et se souvenaient que La Fayette avait aidé les Etats-Unis à conquérir leur indépendance. On venait donc au secours du pays de La Fayette. » Du côté français, le mythe positif de La Fayette se réactive quand les Français attendent l’aide des Etats-Unis en 1915-1916. Autour de La Fayette, s’effectue la cristallisation d’un désir d’alliance. René Etiemble parle à cet égard du « mythe hollywoodien de La Fayette173 ». Mais pour ce dernier, ce mythe a aussi servi à masquer ce qui fait également partie de l’histoire franco-américaine : « le dénigrement naturaliste des Etats-Unis en France trente ans avant La Fayette ». Dans cette réactivation du mythe, après-guerre, la figure de La Fayette se voit déférer de nouvelles valences par les officiels français. Gilles Perroy le montre très bien pour la Ville de Paris174 : le sens donné à La Fayette en 1919-1920 à l’Hôtel de Ville, est différent de celui qu’il avait en 1900 : « Désormais, le marquis est introduit comme le Français qui s’engagea pour l’Amérique de manière désintéressée, sans attendre ni retour, ni dédommagement, soit une sorte d’idéal auquel on voudrait que les Etats-Unis se conformassent concernant le problème des paiements ». Cette question des dettes françaises empoisonnent les relations franco-américaines à l’époque, et les références à La Fayette marchent comme une sollicitation d’une suspension des dettes en « renvoyant à l’Amérique l’image de sa propre ingratitude et de sa dureté ».

Chapitre 3 : Mémoires annexes de La Fayette :

3.1.Le souvenir de La Fayette dans la franc-maçonnerie Le marquis de La Fayette fut sans aucun doute, tout au long de sa vie, mû dans toutes ses actions par ses valeurs maçonniques. A l’heure actuelle, la franc-maçonnerie en France se souvient de ce général qui s’illustra pour la liberté dans trois révolutions. Avant d’évoquer la mémoire de La Fayette chez les initiés, rappelons brièvement le parcours maçonnique du Héros des deux mondes. Un doute demeure parmi les historiens sur la date de son initiation. En 1976, Daniel Ligou a écrit à ce sujet : « Nous ignorons le lieu et la date de son initiation175 ». D’après certains, La Fayette aurait été initié le 25 décembre 1775 à la loge La Candeur à Paris. Toutefois, cette hypothèse tend à être mise en doute. Selon d’autres historiens, il apparaît plus probable que La Fayette ait été introduit dans la franc-maçonnerie en 1775, à l’âge de 18 ans, dans une Loge militaire à Metz. Lorsqu’il revient à Paris, il côtoie dans la même loge Benjamin Franklin, envoyé des Américains à Paris, membre puis Vénérable Maître de la « Loge des Neufs Sœurs ». En Amérique, il est reçu en 1777 par la Grande Loge de Pennsylvanie et par la Loge militaire « l’Union

173 Cité dans « Les relations entre la France et les Etats-Unis », Pot au feu, par Jean Lebrun, France culture 174 PERROY Gilles, La Ville de Paris : un lieu capital des relations franco-américaines ?: les relations américano-parisiennes de 1882 à 1940,Mémoire de maîtrise, Université Paris I,1999, 284 p. (sous la direction d’André Kaspi) 175 Humanisme, septembre-octobre 1976, N°112-113, p. 22 48 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

Américaine176 ». De plus, George Washington le convie aux travaux de sa loge en Virginie. On peut penser que son appartenance à la franc-maçonnerie a contribué à renforcer ses liens quasi filiaux avec George Washington. A son retour en France en 1782, La Fayette est accueilli le 24 juin 1782 à la Loge « Mère Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social » à laquelle il s’affilie177. A l’approche de la Révolution française, les réunions en loges s’interrompent. On se réunit plutôt dans des sociétés philanthropiques ou dans des clubs. En 1806, La Fayette reprend le chemin des loges. Il devient Vénérable puis, en 1811-1813, Vénérable d’honneur de la Loge « Les Amis de la Vérité » du Grand Orient de France de Rosoy-en-Brie (Seine- et-Marne)178. Après la Restauration, son activité maçonnique devient consubstantielle à son rôle d’opposant. De nombreux membres de la Loge « Les Amis de la Vérité » participent en effet aux carbonari. En 1825, lors de son retour aux Etats-Unis, il est reçu par la Grande Loge du Tennessee, où il est introduit par le Grand-Maître Andrew Jackson, futur Président des Etats-Unis. En 1830, tandis que les ordres maçonniques participent activement aux Trois Glorieuses, Gilbert de La Fayette est l’un de ses membres les plus en vue. Le 16 octobre 1830, se tient à l’Hôtel de Ville de Paris une grande fête maçonnique en son honneur. Cette fête, présidée par le duc de Choiseul, Pair de France, Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, institue pour la première fois l’union entre le Suprême Conseil et le Grand Orient. Le 21 novembre 1830, La Fayette est nommé membre actif du Suprême Conseil de France179. En 1832, il participe à la fondation de l’éphémère loge « Les Trois Jours ». Depuis sa mort le 20 mai 1834, La Fayette reste présent dans la mémoire collective de la franc-maçonnerie. A l’annonce de sa mort, le « Suprême Conseil uni de l’hémisphère occidental d’Amérique » rédigea un faire-part de deuil. On peut y lire : « …Le 20 mai 1834, à cinq heures et demi du matin, notre bien aimé F.·. le général La Fayette est passé à l’immortalité. Paix à ses cendres. Gloire éternelle à sa mémoire. »180. Lors de ses obsèques, la Loge « La Rose du Parfait Silence » du Grand Orient à Paris lui rend hommage en « déployant sa bannière181 ». Le Grand Orient de France établit le 21 janvier 1930 la Loge « Lafayette » à Paris, en l’honneur de la mémoire d’un des francs-maçons les plus célèbres. Le 28 octobre 1957, le Grand Orient organise une cérémonie pour le bicentenaire de la naissance du marquis de La Fayette dans le temple Arthur Groussier, en présence du Président du Conseil, M. Bourgès-Maunoury, du Ministre des Affaires Etrangères, M. Christian Pineau et de l’Ambassadeur des Etats-Unis, Amory Hougton, ainsi que de personnalités appartenant à tous les corps de l’Etat, de grands noms du monde des Arts et des Lettres et de scientifiques182. Cette commémoration réunit trois mémoires de La Fayette, la mémoire officielle française, la mémoire officielle américaine et la mémoire franc- maçonne. Au cours de cette cérémonie, différents discours ont été prononcés. Un discours officiel « classique » a rappelé que La Fayette constituait le symbole de l’amitié franco-

176 Grande Loge de France- le Journal, N°75, avril 2007, p.6 177 Ibid. 178 Daniel Ligou, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, PUF, p. 679 179 Ibid. 180 Pierre Chevallier, « La carrière maçonnique de La Fayette », dans Almanach de Brioude, 1985, p. 65 181 Marcel Clément, « La Fayette », dans Lafayette franc-maçon, A.M.H.G., 2007, p. 51 182 Brochure « Le Général Marquis de La Fayette Franc-maçon du Grand Orient de France », Foyer philosophique, 1957 VALLAURI Antoine - 2011 49 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

américaine183. Mais le discours le plus emblématique fut celui du Frère Robert Richard, alors Grand Orateur du Grand Orient de France. Dans ce discours, Robert Richard exalte le souvenir d’un Franc-maçon illustre184, retrace son œuvre politique et évoque « le rôle fervent, libéral et rayonnant que La Fayette joua dans l’évolution de la pensée maçonnique185 ». A travers cette cérémonie solennelle, Le Grand Orient de France a voulu « avec éclat186 » honorer la mémoire d’un homme constamment fidèle à la franc-maçonnerie. En 2007, le Grand Orient de France, et plus précisément le Suprême Conseil du ème Rite Ecossais Ancien Accepté du Grand Orient, s’est associé aux festivités du 250 anniversaire de la naissance de La Fayette, en déposant une gerbe sur sa tombe au cimetière de Picpus. Pour Alain de Keghel, à l’époque Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien Accepté du Grand Orient de France, cette association aux cérémonies permettait au Grand Orient de faire son « devoir de mémoire », et de reconnaître le rôle d’un franc-maçon illustre dans la quête de la liberté à l’époque des Lumières187. Dans la même volonté de rappeler le souvenir de La Fayette franc-maçon, une brochure-ouvrage La Fayette franc-maçon a été réalisée en 2007 sous la direction d’Alain de Keghel188. Cette publication évoque également le souvenir des visites de La Fayette aux loges maçonniques de Lyon. Un article intitulé « La Fayette à Lyon » rédigé par Pierre Piovésan, et publié en 2003 dans l’ouvrage Lyon carrefour européen de la Franc-maçonnerie, ème à l’occasion de d’une exposition au Musée des beaux-arts pour marquer le 275 anniversaire de la franc-maçonnerie en France, y est reproduit. En 2002, L’Institut maçonnique de France fonde l’Ordre maçonnique de La Fayette, à dessein de récompenser tout maçon étranger s’étant illustré dans l’accomplissement de ses devoirs maçonniques. Le souvenir de La Fayette dans la franc-maçonnerie s’exerce également à travers la présence d’articles figurant dans les publications internes des différentes Loges et obédiences. On mentionnera par exemple l’article consacré à la cérémonie maçonnique du bicentenaire de la naissance de La Fayette en 1957 dans le Bulletin du centre de documentation du GODF de l’année 1957 ou bien encore l’article intitulé « Histoire maçonnique : Lafayette 1757-1834 » et paru dans Grande Loge de France- le Journal d’avril 2007. Il ressort de cet article que La Fayette, par sa rectitude, son action en faveur de la

183 « Cérémonie du bi-centenaire de la naissance de La Fayette », dans Bulletin du centre de documentation du GODF, N°9, 1957, p. 52 : « Un second orateur exalte l’amitié franco-américaine, et invite les deux grandes démocraties à resserrer les liens qui les unissent par le maintien de la paix et la sauvegarde de la liberté dans le monde. » Cf. Annexe 5 184 Brochure « Le Général Marquis de La Fayette Franc-Maçon du Grand Orient de France », Foyer philosophique, 1957 185 Ibid. 186 Ibid. 187 Alain de Keghel, La Fayette franc-maçon, A.M.G.H., 2007, p. 7 188 Ibid : « Il nous a semblé au Suprême Conseil du R.·. E.·. A.·. A.·. qu’un Maçon prestigieux ayant appartenu à notre Rite et qui avait été si vaillant porteur des grands idéaux de liberté, comme des espoirs d’amélioration de l’Homme et de la société, qui nous sont les plus chers, qui avait su aussi heureusement conjuguer vie maçonnique militante et vie d’action politique et militaire, méritait notre hommage particulier et aussi le devoir de mémoire ». 50 VALLAURI Antoine - 2011 Partie I : La Fayette vu par l’opinion et par la presse

liberté et sa fidélité maçonnique absolue, mérite sa place au Panthéon des grands Francs- Maçons illustres. Signalons que le La Fayette franc-maçon a fait l’objet de biographies telles que La Fayette ou le militant franc-maçon d’André Lebey et La Destinée Secrète de La Fayette, ou Le Messianisme Révolutionnaire en 1973. Enfin, le souvenir maçonnique de La Fayette est accessible aux profanes, puisque les différentes obédiences disposent dans leurs musées respectifs de pièces témoignant de la facette maçonnique du personnage. Ainsi, le Musée du Grand Orient de France renferme une épée aux symboles maçonniques, ayant appartenu au général La Fayette. Le Musée de la Grande Loge de France expose un tableau de loge des « Trois Jours », comportant la signature de La Fayette ainsi qu’une gravure le représentant et intitulée « Lafayette, combattant des droits de l’homme ».

3.2.Des aspects secondaires de l’action de La Fayette ponctuellement évoqués dans la presse Au fil du temps, la presse française se fait l’écho, à diverses reprises, de facettes originales de l’action de La Fayette, qui peuvent paraître annexes par rapport aux grands accomplissements du héros des deux mondes durant trois révolutions. La captivité de La Fayette à Olmütz, en Autriche-Hongrie (République Tchèque actuelle), entre 1794 et 1797, fait l’objet d’articles dans la presse. Ainsi, Le Progrès, dans son édition du 26 mai 1934, retranscrit intégralement un article écrit par le docteur Otto Ernst dans la Revue de Paris évoquant toute la période de captivité de La Fayette, « La Fayette dans les cachots des Habsbourgs189 ». L’Eveil de la Haute-Loire consacre, en décembre 2008, une série d’articles témoignant d’aspects moins connus de la vie du marquis. Son édition du 13 décembre 2008 traite ainsi dans un article de « La Fayette défenseur de la liberté de la presse ». Après la mise en place de la Restauration, une loi du 21 octobre 1814 prévoyait des restrictions drastiques, relatives aux conditions d’exercice des professions de libraire et d’imprimeur. Il s’agissait d’un contrôle encore plus accru de la puissance publique et de l’élargissement du système de brevetage royal, qui permettait l’accès à ses professions. Après le passage de cette loi, La Fayette, originellement complaisant avec le régime qui a mis fin à l’Empire honni, prend conscience du caractère liberticide et pernicieux de cette loi, qui risque d’entraîner des « effets pervers190 ». Le journal se souvient d’un long texte très critique, écrit par le marquis, à propos d’une loi qui, pour lui, allait inévitablement provoquer l’ « arbitraire ». Pour La Fayette, « ce système de brevet, de privilège ou de servitude […], en détruisant chez les ouvriers tout espoir de s’élever dans leur état, détruit chez les maîtres toute crainte de concurrence […]191 ». L’article explique que cette loi ne pouvait que provoquer l’indignation d’un La Fayette parangon des libertés, qui allait rapidement prendre ses distances avec le régime de Louis XVIII. L’édition de L’Eveil de la Haute-Loire du 11 décembre 2008 évoque un aspect méconnu des activités de La Fayette en Amérique, son action en faveur des Indiens, dans un article

189 Le Progrès,26 mai 1934, « A travers les revues : La Fayette dans les cachots des Habsbourgs » 190 L’Eveil de la Haute-Loire, 13 décembre 2008, Article : « Lafayette, défenseur de la liberté de la presse » 191 Ibid. VALLAURI Antoine - 2011 51 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

intitulé « Lafayette et les Indiens ». Cet article relate ses efforts entrepris, dans la guerre d’indépendance en 1778, pour se rallier les tribus indiennes Iroquois et Hurons, jusqu’alors alliées des Anglais. La Fayette réussit à réunir 500 membres de ces tribus et reçut le nom indien de « Kayewla », surnom sous lequel il fut connu par toutes les tribus indiennes. La Fayette parvint également à faire signer à ces tribus un traité d’alliance. En 1784, le général, en invoquant les « souvenirs de 1778192 », permit, par ses efforts, la signature d’un traité de paix entre les Indiens et les Etats-Unis. L’Eveil tend à montrer que cet accomplissement est une preuve de plus des visées de La Fayette en faveur des droits de l’homme : « Une réussite diplomatique qui démontre, une fois de plus, les ambitions humanistes du personnage193 ». C’est le souvenir d’un La Fayette plutôt oublié sous ce jour que nous dévoile le journal. Le souvenir du rôle de La Fayette en tant que défenseur des Protestants est également évoqué. L’Eveil de la Haute-Loire consacre le 14 novembre 1987, à l’occasion du bicentenaire de l’Edit de tolérance, un long article à l’action de La Fayette dans l’élaboration et la promotion de ce texte194. Ce fait est également l’objet d’une analyse historique dans le magazine France-Amérique du 28 novembre 1987195. L’Edit de tolérance de novembre 1787 redonne aux Protestants une existence légale, en leur octroyant le droit de déclarer les mariages et les naissances devant le magistrat civil le plus proche. Auguste Rivet, dans L’Eveil de la Haute-Loire, cite le propos de l’historien du protestantisme Léonard, qui mentionne le rôle de La Fayette à cet égard : « Le gouvernement de Louis XVI, excité par La Fayette et Malesherbes ». Il ressort de cet article que La Fayette, inspiré par la tolérance religieuse observée aux Etats-Unis, profite de la réunion de l’Assemblée des Notables du 24 décembre 1786 pour émettre des propositions relatives à la situation des Protestants. Siégeant parmi les 36 représentants de la noblesse, le marquis présenta deux motions « qui partaient toutes les deux d’un esprit généreux et moderne : il s’agissait “de supplier sa Majesté d’accorder l’état-civil aux protestants et d’ordonner la réforme des lois criminelles”196 ». Le 24 mai 1787, l’assemblée des notables adopta la motion sur les Protestants et la fit présenter au roi Louis XVI. De cette motion sortit l’Edit de tolérance, établi officiellement en novembre 1887. L’Eveil estime que La Fayette, à travers cette action en faveur des protestants, était fidèle à ses idées libérales en faveur des droits humains : « Quant à La Fayette, il était dans la ligne libérale et généreuse qu’il avait suivie, depuis sa prime jeunesse, et qu’il ne devait jamais abandonner pendant sa longue vie197 ». Nous voyons donc ici un La Fayette défenseur de la liberté religieuse.

192 L’Eveil de la Haute-Loire, 11 décembre 2008, Article : « Lafayette et les Indiens » 193 Ibid. 194 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 338 : L’Eveil de la Haute-Loire, 14 novembre 1987, Article d’Auguste Rivet : « Le bicentenaire de l’Edit de tolérance : La Fayette, la constitution américaine et les protestants français » 195 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 338 : France-Amérique, 28 novembre 1987, Article de H. Stein Schneider, « Lafayette, libérateur des Protestants ». 196 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 338 : L’Eveil de la Haute-Loire, 14 novembre 1987 197 Ibid. 52 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Chapitre 1 : Les manifestations inhérentes à la mémoire de La Fayette :

1.1.L’inauguration de statues et de plaques Le souvenir de La Fayette est honoré à plusieurs reprises depuis sa mort, par le biais d’inaugurations de statues et de plaques en son honneur. L’inauguration la plus emblématique reste celle de la statue de La Fayette au Puy-en-Velay le 6 septembre 1883. Cette cérémonie fait la une de tous les journaux de l’époque, qu’ils soient vigoureusement républicains ou catholiques monarchistes. L’inauguration se déroule en présence du ministre de l’intérieur Waldeck-Rousseau, qui représente officiellement le gouvernement, de l’ambassadeur des Etats-Unis, Levy Morton, du colonel Lichstenstein, représentant du Président de la République Jules Grévy, du général Vuillemot, représentant le ministre de la guerre le général Thibaudin, des descendants de La Fayette avec à leur tête le sénateur Edmond de La Fayette, son petit-fils, des personnalités locales et de la presse nationale et locale. De nombreux autres officiels sont présents, parmi lesquels le directeur de l’administration départementale et locale, le chef de cabinet du ministre de l’intérieur, les préfets des départements limitrophes de la Haute-Loire, des parlementaires de ces mêmes départements et le recteur de l’académie de Clermont- Ferrand. Cette cérémonie s’apparente donc à une grande communion dans laquelle s’entremêlent différentes mémoires de La Fayette : la mémoire officielle française, la mémoire américaine, la mémoire militaire française, la mémoire locale en Haute-Loire et la mémoire familiale. Cette conjugaison des mémoires se matérialise à travers les discours des éminentes personnalités présentes, de Waldeck-Rousseau, de l’ambassadeur américain, d’Edmond de La Fayette, des parlementaires locaux, du maire du Puy et d’une lettre du ministre de la guerre lue par son représentant. Si l’amitié franco-américaine est une nouvelle fois réaffirmée, cette cérémonie constitue plutôt une grande manifestation nationale. Elle se veut à l’époque, du point de vue des officiels, une véritable « fête de la démocratie » qui exalte la mémoire de La Fayette mais aussi et surtout la Patrie et la Nation. Cette statue est, pour reprendre l’expression de Morel, le Président du Comité d’érection de la Statue, « une œuvre aussi patriotique ». Idée envisagée depuis plusieurs années par le docteur Morel, également maire du Puy, qui visait à honorer un personnage local exceptionnel, l’érection de cette statue de La Fayette intervient à la suite d’une volonté étatique de perpétuer le souvenir de la

VALLAURI Antoine - 2011 53 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Constituante de 1789198. Ce souhait déboucha sur l’organisation d’un concours national auprès des artistes et statuaires. Un des projets du concours national, réalisé par Houlle, est remarqué en 1882, et fait l’objet d’une commande ferme de la part du conseil municipal du Puy. Le projet bénéficie d’une contribution financière étatique dérivée du concours. L’inauguration est donc l’aboutissement d’un dessein de consacrer enfin un héros national et local. Pour certains, la statue de La Fayette est l’occasion de rompre une injustice, en rendant un hommage tardif « au citoyen qui restera la plus parfaite personnification de l’idéal que la France de 1789 et même la France républicaine a infatigablement poursuivi dans toutes ses métamorphoses : l’ordre dans la liberté et la liberté dans l’ordre199. » Tous les journaux qui s’associent à cet hommage à La Fayette reprennent la même rhétorique et disent, en substance, qu’il était temps de réparer ce qui était vu comme une injustice, à savoir l’absence de statue commémorative en l’honneur de La Fayette. Le discours officiel gouvernemental envisage l’inauguration dans une même logique réparatrice envers un héros national : Waldeck-Rousseau, dans son discours au Puy, l’explique : « Lorsque vous avez songé à élever une statue au général La Fayette, il y a eu comme une surprise : on s’est demandé comment il se faisait qu’il n’en eût pas encore. » Mais plus qu’un hommage tardif à une gloire nationale, la fête du Puy constitue, pour le gouvernement républicain opportuniste, une solennité particulière, la célébration de la patrie. La preuve en est le discours que le ministre de l’intérieur prononce, lors du banquet officiel donné par le préfet de Haute-Loire clôturant les festivités, dans lequel il expose un véritable programme gouvernemental pour le pays. Ce caractère de communion nationale de la cérémonie s’illustre à travers la solennité offerte par le retentissement de l’hymne national français, qui renforce l’officialité de l’événement. Un autre signe, qui peut paraître mineur, est la présence de « trois petites filles vêtues aux couleurs nationales » qui s’en vont, après les discours, remettre des bouquets de fleurs aux responsables nationaux. Cette présence symbolise l’importance de la Nation et de la Patrie. On ne peut manquer d’y voir aussi l’allusion à la cocarde tricolore chère à La Fayette. Il s’agit donc simultanément de l’hommage de la Patrie à La Fayette et de l’hommage à la Patrie elle-même. Cette communion, portant au pinacle la Nation via La Fayette, se prouve à elle-même son aspect solennel et rassembleur avec l’octroi de décorations à des citoyens méritants. Au cours de la cérémonie, Waldeck-Rousseau décore le Docteur Soullé, maire du Puy, de la Croix de la Légion d’honneur et remet les palmes académiques à Marchessou, ancien directeur du journal La Haute-Loire, ainsi qu’au sous- préfet de l’arrondissement d’Yssingeaux. Le général Vuillemot, envoyé du ministre de la défense Thibaudin, en profite pour remettre la Croix de la Légion d’honneur à un Lieutenant militaire et la médaille militaire à un gendarme. Lors de l’inauguration, sont donc mis à l’honneur par les officiels étatiques, différents groupes (les responsables locaux, la presse locale, les militaires…), chacun pourvoyeur d’une certaine mémoire sur La Fayette. Autre preuve de l’aspect rassembleur de cet hommage officiel à La Fayette : la cliométrie (mesure économétrique) des ovations. La subsistance entre parenthèses dans la transcription du discours de Waldeck-Rousseau d’expressions indiquant les applaudissements et les ovations de l’auditoire, nous autorise à émettre l’affirmation suivante : ce discours encensant la République et La Fayette suscite la communion et l’enthousiasme des citoyens présents.

198 Le Jacquemart, Bulletin de liaison de l’association culturelle Le Jacquemart, Arts et traditions en Langeadois, Numéro e spécial, 2007, N° 28, « 1757-2007 250 anniversaire de la naissance du général Lafayette » 199 Journal des débats politiques et littéraires, 06 septembre 1883, éditorial de Paul Boiteau 54 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Toutefois, une telle cérémonie en l’honneur de La Fayette est loin d’être exempte de critiques et de railleries de la part de la presse. Le journal catholique L’Univers qui, on s’en souvient, qualifie La Fayette de « ganache peu héroïque » (ou « ganache prétentieuse »), affirme d’emblée son peu d’intérêt pour l’inauguration de la statue de La Fayette200. Le journal se montre également critique envers Waldeck-Rousseau, ci-nommé « ministre pommadé et flegmatique » et raille le discours du ministre, ce « galimatias officiel ». On sent pointer l’ironie à l’égard des discours de Waldeck-Rousseau et Thibaudin : « ces deux morceaux d’éloquence ne sont rien moins que remarquables201. » Le journal fustige les « journaux républicains [qui] se livrent ce matin en l’honneur de Lafayette à des accès de lyrisme, qui manquent absolument de conviction ». Le Constitutionnel, pourtant plus proche du républicanisme triomphant, évoque la totale insignifiance de la cérémonie202 et n’est pas très élogieux envers le discours de Waldeck-Rousseau : « le déluge de banalités dont M. Waldeck-Rousseau a inondé son auditoire franco-yankee du Puy ». Dans son bulletin politique, l’équivalent d’un éditorial à l’époque, il n’est pas en reste concernant la lettre du général Thibaudin, ministre de la guerre : « Cette lettre de M. Thibaudin est, d’ailleurs, une assez piètre composition historique et qui ne vaudrait pas une boule blanche à un candidat au baccalauréat. » L’Intransigeant estime que Waldeck-Rousseau aurait dû s’abstenir de prononcer un tel discours, tant sa prestation a paru médiocre et ses références incongrues : « M. Waldeck-Rousseau a cru devoir prendre ensuite la parole ; mais son improvisation- est- ce bien une improvisation ?- a été médiocrement heureuse, et ses allusions ont paru tout à fait déplacées dans cette cérémonie toute patriotique203. » Le ministre de l’intérieur reçoit d’ailleurs le sobriquet de « Waldeck-Bredouille ». Albert Millaud, dans Le Figaro, se complait dans une métaphore filée météorologique, qui compare l’ensemble des discours prononcés à un « ouragan204 ». La lecture de la lettre du ministre de la guerre Thibaudin par le général Vuillemot est la première étape de cette « averse oratoire » : le journaliste parle de « la petite pluie fine du général Vuillemot » et évoque le manque d’intérêt de cette lecture : « on s’est lassé assez vite de barboter sans plaisir dans les grandes flaques de rhétorique claire, formée par l’ondée de M. Vuillemot ». Puis, dans cette « véritable tempête d’éloquence », arrive le discours de Waldeck-Rousseau : « Un nuage, de ceux que l’Observatoire désigne sous le nom générique de Waldeck et sous l’épithète scientifique de Rousseau a crevé sur notre malheureuse population […]205 ». Dans les jours précédant l’inauguration de la statue de La Fayette au Puy, l’incertitude a été de mise concernant le représentant du gouvernement à la cérémonie. Ce doute n’a pas échappé à la presse, et certains journaux se sont faits un malin plaisir à en narrer en détail toutes les péripéties, dont la supposée courbature qui empêchait Waldeck-Rousseau de se rendre au Puy et dont il s’est finalement remis. Le Constitutionnel y consacre un article ad hoc, « Histoire d’une courbature », qui laisse transparaître un jeu ministériel autour du

200 L’Univers, 06 septembre 1883 201 L’Univers, 08 septembre 1883 202 Le Constitutionnel, 08 septembre 1883, « Bulletin politique » 203 L’Intransigeant, 08 septembre 1883, Article, « Les fêtes du Puy » 204 Le Figaro, 08 septembre 1883, Opinion d’Albert Millaud, « L’ouragan du Puy » Cf. Annexe 6 205 Ibid : « […] En un moment, toute la place n’a plus été qu’un marais. Les adjectifs tumultueux se précipitaient en cyclone sur les infortunés qui ne trouvaient de refuge nulle part ; les substantifs électriques et foudroyants tournoyaient en sifflant autour de nos têtes. La bourrasque Waldeck marchait à une vitesse de 200 mètres à la seconde, renversant tout sur son passage. » VALLAURI Antoine - 2011 55 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

choix du représentant du gouvernement206. Le Français s’interroge sur les raisons de ces tergiversations, et se demande pourquoi la simple inauguration d’une statue donne lieu à « des incidents si mystérieusement étranges » : « Les ministres seraient-ils embarrassés par le souvenir de la façon dont La Fayette appréciait, à la fin de sa vie, la forme du gouvernement qu’il avait servie à ses débuts dans la vie ?207». L’autre inauguration notable liée à la mémoire de La Fayette est celle de la statue qui lui est dédiée dans les jardins du Carrousel à Paris le 4 juillet 1900. L’érection de cette statue intervient dans le contexte où deux statues de Bartholdi furent données par la France aux Etats-Unis dans les années 1880, une statue de La Fayette et la Statue de la Liberté. Les Etats-Unis sont alors enclins à faire cadeau de monuments à la France afin de répondre à cette bienveillance française. En l’espace de quatre ans, pas moins de quatre statues vont être offertes à la France par des mécènes américains. L’inauguration de deux statues de Washington et La Fayette, ensemble surnommé le « groupe Lafayette Washington », a lieu en 1895. Les deux suivantes sont inaugurées à deux jours d’intervalle, une statue de Washington place d’Iéna le 3 juillet 1900 et donc le 4 juillet, la fameuse statue de La Fayette dans les jardins du Carrousel. Il ne messied pas de remarquer qu’à chaque fois, c’est Paris qui recueille les statues. L’explication tient à la place de la ville dans l’imaginaire des étrangers. Ils voient en Paris bien plus que la simple capitale de la France. A leurs yeux, la ville lumière incarne « tout ce qui est civilisé et chic208 ». D’après June Hargrove, historienne de l’art, « l’absence d’une statue à Paris semble synonyme d’insulte. Le prestige international de Paris fait que l’on essaye d’abord de nouer des liens avec la France par le biais de statues209. » Vers la fin des années 1890, Richard Thomson, un étudiant de Chicago séjournant à Paris, alla visiter le cimetière de Picpus et la tombe de La Fayette. L’idée lui vint d’un projet destiné à glorifier le général. Dans cette volonté d’exprimer sa gratitude à la France pour les statues de Bartholdi, il forma un comité et ouvrit une souscription auprès des écoliers américains en vue d’ériger une statue équestre du Héros des deux mondes. Près de cinq millions d’enfants répondirent à l’appel de Thomson et de son « Comité commémoratif de La Fayette », le 19 octobre 1898, ème jour du 117 anniversaire de la capitulation de Yorktown. La France approuve le projet en 1899, et le sculpteur sélectionné, Paul Wayland Bartlett, a pour mission de réaliser la statue pour qu’elle soit prête à temps pour l’exposition universelle de Paris de 1900. La cérémonie inaugurale se déroule en présence des plus éminentes personnalités de l’Etat, le Président de la République Emile Loubet, le ministre des Affaires Etrangères Théophile Delcassé, de la plupart des membres du gouvernement, du président du Sénat Armand Fallières, du président de la Chambre des députés Paul Deschanel et de notabilités parisiennes et américaines, dont l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Horace Porter et M. Peck, le Commissaire du Pavillon américain de l’exposition universelle. Assistent également à la fête le préfet de la Seine, les descendants de La Fayette et de Rochambeau ainsi que de nombreux généraux, dont le gouverneur militaire de Paris et le commandant de la place d’armes de Paris. Dans le square du Carrousel, qui devient le même jour le

206 Le Constitutionnel, 08 septembre 1883, Article, « Histoire d’une courbature » 207 Le Français, 08 septembre 1883 208 PERROY Gilles, La Ville de Paris : un lieu capital des relations franco-américaines ?: les relations américano-parisiennes de 1882 à 1940,Mémoire de maîtrise, Université Paris I,1999, 284 p. (sous la direction d’André Kaspi) 209 June Hargrove, Les statues de Paris : la représentation des grands hommes dans les rues et sur les places de Paris, Paris : Fonds Mercantor, 1989, p. 185 56 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

square La Fayette, a donc lieu une grande communion franco-américaine, qui, à l’inverse de la cérémonie essentiellement nationale et patriotique du Puy en 1883, tient de l’exaltation de la fraternité entre les deux Républiques. Certes, de manière analogue à l’inauguration du Puy, cette commémoration du souvenir de La Fayette concentre différentes mémoires de ce général : la mémoire franco-américaine, la mémoire américaine, la mémoire officielle française, la mémoire familiale, la mémoire militaire et la mémoire collective parisienne (et non la mémoire officielle parisienne). Mais c’est la mémoire franco-américaine qui prédomine l’esprit et le déroulement de la cérémonie. Ce dernier fonctionne comme symbole même de cette communion entre la France et les Etats-Unis : alors que la statue est recouverte d’un immense voile aux couleurs des Etats-Unis, deux jeunes enfants, l’arrière- petit-fils de La Fayette et le propre fils de Richard Thomson, ceints des couleurs de la France, s’avancent vers le monument et font tomber le voile. Chaque élément des procédés de commémoration semble habilement calculé afin d’y voir à la fois une allusion à La Fayette et à l’amitié franco-américaine. Les discours importants s’avèrent ceux du Président de la République Emile Loubet et de l’ambassadeur américain Horace Porter, mais le véritable discours d’inauguration est prononcé par Mgr Ireland, archevêque de Saint-Paul. Dans son allocution, Emile Loubet évoque deux Républiques réunies autour d’une profonde amitié du cœur210. Exprimant son « remerciement cordial » aux Etats-Unis et à Richard Thomson pour l’offre de la statue, il considère que cette cérémonie constitue un enseignement et une fête à la fois. Les réactions de la presse à l’issue de la cérémonie apparaissent ambivalentes. Le Figaro estime que l’inauguration a été d’une « beauté triomphale » et a permis l’ « affirmation de l’amitié, déjà séculaire et désormais indestructible, des deux grandes Républiques211. » Pour le journal, cette commémoration solennelle acquiert déjà un caractère historique : « Ne semblent-ils pas qu’une solennité semblable soit de celles qui restent historiques, et qui fondent à jamais, indestructible et glorieuse, l’union de deux grands peuples ? ». Il ressort du compte-rendu de la cérémonie, réalisé par le journaliste Serge Basset, l’image d’un « spectacle des plus pittoresques », d’une ambiance solennelle et festive, avec une assistance enthousiaste et joyeuse qui ne modère pas ses acclamations. Le discours d’Emile Loubet semble salué d’une salve d’applaudissements de l’auditoire, cette suprême consécration, et son départ s’effectue « dans les vivats unanimes ». Le Figaro affecte même d’une note positive le discours d’Emile Loubet : « Il a au moins trois mérites son discours. Il est court, fort bien prononcé et d’une grandeur simple dont tout le monde est impressionné. » De même, L’Aurore se fait le témoin des acclamations reçues par Emile Loubet212. La Presse et L’Echo de Paris laissent transparaître, dans leurs analyses de la cérémonie, une mesure (cliométrie) des ovations radicalement opposée. Pour ces deux quotidiens d’orientation conservatrice, le discours d’Emile Loubet n’a suscité aucun écho ni applaudissements auprès de l’assistance : « le discours de M. Loubet, de même que son départ, est accueilli par deux seuls cris de “Vive Loubet” qui n’ont aucun écho. L’assistance reste d’une froideur glaciale. » L’Echo de Paris évoque une foule totalement indifférente à Emile Loubet213. En réalité, cette ambivalence des estimations de la presse à propos des réactions du public à la suite du discours d’Emile Loubet pourrait résulter d’une instrumentalisation 210 Pour les points essentiels du discours d’Emile Loubet, se référer à Partie I, chap. 2 211 Le Figaro, 05 juillet 1900, Article de Serge Basset, « Pour La Fayette ! L’inauguration du monument » 212 L’Aurore, 05 juillet 1900, Article, « Le monument Lafayette » 213 Le Figaro, 05 juillet 1900 et L’Echo de Paris, 05 juillet 1900 VALLAURI Antoine - 2011 57 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

politique. L’inauguration de la statue de La Fayette dans les jardins du Carrousel le 4 juillet 1900 intervient en effet dans un contexte de vives tensions entre la municipalité parisienne à domination nationaliste, nouvellement élue, et le ministère républicain progressiste de Pierre Waldeck-Rousseau, Président du Conseil214. Alors que cette grande manifestation franco-américaine avait obtenu un assentiment mutuel et chaleureux à la fin de la décennie 1890, au moment de la concession par le Ville de Paris d’un terrain pour la statue, son inauguration se situe à l’instant le plus conflictuel de cette période tumultueuse. La crise voit s’affronter l’Hôtel de Ville et le ministère de l’intérieur au sujet d’une réception officielle que la Ville de Paris désire organiser en l’honneur du lieutenant-colonel Jean-Baptiste Marchand215. Dans ces conditions, « les Etats-Unis deviennent un objet de cristallisation des rivalités et de l’agacement parisien ». De fait, puisque les ministres du gouvernement, a fortiori Waldeck-Rousseau, vont témoigner de leur présence à la cérémonie, le conseil municipal n’y envoie aucun représentant, nonobstant tout ce que La Fayette symbolise dans la mémoire collective parisienne. Dans le même temps, aucune invitation officielle n’est envoyée à la Ville par les services gouvernementaux. Par conséquent, la cérémonie est boudée par la municipalité. L’inauguration de la statue de La Fayette est donc indirectement le théâtre d’affrontements politiques. C’est cette logique que l’on retrouve dans les affirmations de la presse conservatrice, qui n’hésite pas à dévaloriser le discours du Président de la République en travestissant ce qui semble une réalité : les ovations à la suite du discours sont sciemment occultées. Au demeurant, cette mauvaise foi est aussi perceptible à travers l’insistance de La Presse sur la non-invitation de la municipalité de Paris à la cérémonie de la statue de La Fayette : « Cet oubli, qui frise la grossièreté, est d’autant plus impardonnable que le sol où les deux monuments furent érigés a été concédé par la Ville. La moindre politesse exigeait donc qu’on fît à celle-ci les honneurs de son propre domaine216. » Léon Bailly se réfugie derrière une explication somme toute simpliste : « Si on cherche le motif de cette exclusion, on le trouve dans le désir qu’avait le gouvernement de paraître seul à ces deux cérémonies. La majorité nationaliste de l’Hôtel de Ville risquait d’y faire mauvaise figure, soit en se livrant à des manifestations redoutées, soit en revendiquant trop bruyamment pour siens les deux héros dont les Etats-Unis nous offrent l’effigie. » Il estime en effet que La Fayette et Washington sont deux nationalistes, et se moque de Delcassé et Loubet qui ont dû célébrer en La Fayette des valeurs opposées à leurs idéaux, car nationalistes. Le discours d’Emile Loubet ne se veut donc, pour le journal conservateur, qu’un « exposé ingénieux de rhétorique ». Léon Bailly critique la duplicité du président Loubet, entre des paroles exaltant les vertus nationalistes de La Fayette, et un positionnement politique antagoniste.

1.2.Les commémorations des anniversaires Les premières grandes manifestations pour un anniversaire de La Fayette interviennent en 1934 à l’occasion du centenaire de sa mort. En France, les commémorations se concentrent sur une période allant des 17-18 mai à la fin de l’été 1934. Les événements du mois de mai se découpent en deux phases : une journée française le 17 mai et une journée américaine le lendemain. La journée française

214 PERROY Gilles, La Ville de Paris : un lieu capital des relations franco-américaines ?: les relations américano-parisiennes de 1882 à 1940,Mémoire de maîtrise, Université Paris I,1999, 284 p. (sous la direction d’André Kaspi) 215 Ibidem 216 La Presse, 05 juillet 1900, Article de Léon Bailly, « Un Discours de M. Loubet » 58 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

correspond en réalité essentiellement à une journée parisienne, les manifestations de ce jour étant organisées à l’initiative de la Ville de Paris. Il s’agit pour elle de rendre ses hommages à un La Fayette dont le souvenir de l’importance symbolique et physique pour l’Hôtel de Ville est prégnant. Comme l’affirme si bien le Conservateur du Musée de la coopération franco-américaine, André Girodie, dans une lettre adressée à Henri Verne, le Directeur des Musées Nationaux, « En France, la Ville de Paris a voulu rappeler ses luttes et ses victoires quand La Fayette tenait le gouvernail de la Nef symbolique217. » La première étape de cette journée française se déroule devant la statue de La Fayette dans le square du Carrousel (également appelé square La Fayette). La municipalisation de la cérémonie apparaît flagrante, les nombreuses personnalités présentes ayant toutes été invitées par la Ville de Paris218. Le gouvernement est représenté par le ministre de la marine, M. Pietri. Parmi les éminences présentes ce jour-là, on compte le colonel Lahn, représentant de l’ambassadeur des Etats-Unis, les représentants d’André Tardieu, ministre d’Etat, de Louis Barthou, ministre des Affaires Etrangères, d’Henri Queuille, ministre de l’agriculture, de Pierre Laval, ministre des colonies et du général Denain, ministre de l’air. Assistent aussi à l’événement les deux principaux orateurs du jour, Pinelli, vice-président du Conseil municipal de Paris et Villey, préfet de la Seine, mais aussi des parlementaires de la Seine, un représentant du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris, des conseillers municipaux, les représentants des sociétés franco-américaines et les descendants du marquis de La Fayette. A l’exception du ministre de la guerre, il est aisément perceptible que tous les ministres importants ne témoignent pas de leur présence à la cérémonie. Cette absence - est-elle volontaire ? -, ajoutée à celle de l’ambassadeur américain, confère à la commémoration un caractère fondamentalement parisien. Malgré tout, le ministre Piétri se devait de saluer les drapeaux de la garde républicaine, puis la Marseillaise a retenti. En cela, cette manifestation n’est pas dénuée d’une touche solennelle et nationale. L’importance symbolique de la note solennelle se reflète aussi dans les hommages rendus, au nom de la Ville de Paris, par Pinelli au Président américain Roosevelt, au Président de la République française Albert Lebrun et à Gaston Doumergue, Président du Conseil. Les sociétés franco- américaines ne sont pas oubliées dans les honneurs, puisque M. de Neveu est appelé à prendre la parole pour rendre à La Fayette et à Paris les hommages des « Fils de la Révolution américaine ». La deuxième étape de la journée française des commémorations du centenaire de la mort de La Fayette consiste en une réception à l’Hôtel de Ville de Paris, donnée en l’honneur des descendants de La Fayette, en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce raout se conjugue avec l’inauguration, dans la grande salle des fêtes de l’Hôtel de Ville, d’une exposition de souvenirs de La Fayette. Le dessein de la municipalité avec cette réception-exposition est double : rendre à La Fayette sa grandeur dans un lieu aussi noble que l’Hôtel de Ville qui le vit à plusieurs reprises au pinacle du pouvoir ; permettre aux différents acteurs de la mémoire de La Fayette de rendre leurs hommages à leur héros en ce lieu si symbolique. Le 18 mai marque la deuxième phase des commémorations, la journée américaine. Celle-ci comprend en premier lieu une cérémonie franco-américaine sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus organisée par la branche française de la Société des Fils de la Révolution américaine (« Society in France of the Sons of the American Revolution »). Participent à la fête de nombreuses personnalités du monde diplomatique, du monde parlementaire et de la « colonie » américaine de Paris. On retrouve donc Jesse I. Strauss,

217 Lettre d’André Gorodie à Henri Verne, dans Exposition du centenaire de La Fayette, 1757-1834. Catalogue par André Girodie, Musée de l’Orangerie, Paris, 1934 218 Journal des débats, 18 mai 1934 VALLAURI Antoine - 2011 59 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Ambassadeur des Etats-Unis en France, le marquis de Chambrun, sénateur, descendant de La Fayette et Président en France de la Société des Fils de la Révolution américaine, le marquis de Rochambeau, vice-président de la société, M. Labonne, sous-directeur des affaires d’Amérique au ministère des Affaires Etrangères, Lucien Hubert, vice-président du Sénat… Assistent également des représentants du ministre de la guerre, du conseil municipal de Paris ainsi que le général Gouraud, gouverneur militaire de Paris. Les allocutions notables de la cérémonie sont celles du marquis de Chambrun, de l’Ambassadeur des Etats-Unis et du professeur Gilmer, du aux Etats- Unis, qui tous trois exaltent l’amitié franco-américaine. Cette commémoration s’apparente à un pieux recueillement à la mémoire d’un grand homme franco-américain, à travers une symbolique liée aux drapeaux et clairons219. Le cortège se compose de porte-drapeaux arborant des étendards du XVIIIème siècle ayant pris part à la guerre d’indépendance américaine : le premier drapeau américain à treize étoiles, le drapeau du Gâtinais, porté par le comte de Rochambeau en tenue de l’époque, les drapeaux des régiments de l’Agenois, de Foix, de Dillon, de Saintonge, de Touraine et de Walsh. A l’issue d’une minute de silence à la mémoire du Héros des deux Mondes, résonnent les clairons de la garde républicaine et de l’American Legion. Ce « Salut aux Morts » retentit comme l’appel des éminences des deux Républiques, la France et les Etats-Unis, à un glorieux mort, La Fayette, dont le souvenir prégnant constitue encore la matrice de cette sororité entre deux Nations, de cette fraternité entre deux pays. Cette intuition se confirme dans les mots d’André Girodie : « Un clairon français, puis un clairon américain, au nom des morts tombés sur les champs de bataille, au nom des vivants assoiffés de la paix fraternelle qui fut le rêve de notre grande et glorieuse France, ces deux clairons firent l’appel des vivants aux morts, Washington, La Fayette, tous les frères d’armes de toutes les luttes pour la défense des libertés des Etats- Unis et de la France220. » Le soir du 18 mai, les célébrations du centenaire de la mort de La Fayette augmentent encore en grandeur solennelle avec une cérémonie commémorative ayant lieu dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, sous la double présidence du maréchal Pétain, Ministre de la guerre et de l’Ambassadeur des Etats-Unis, Jesse I. Straus221. Cette imposante manifestation est organisée par les principales Sociétés américaines à Paris, l’American Chamber of Commerce, l’American Club, l’American Legion, avec le concours de l’Université de Paris et du Comité France-Amérique222. Ce dernier contribue ainsi grandement à la vivification de la figure de La Fayette dans la mémoire collective nationale. Le Comité s’illustrera encore davantage dans les manifestations du bicentenaire de la naissance de La Fayette en 1957223. Cette association privée est fondée en 1908 par l’ancien ministre des Affaires Etrangères Gabriel Hanotaux. Celui-ci, avec cette création, intervenait en réaction au fait qu’au début du XXème siècle, dans la nomenclature des services du ministère des Affaires Etrangères, les Etats-Unis étaient classés dans la catégorie « pays divers ». Le but était donc, avec ce comité, d’informer et d’alerter les dirigeants et l’opinion publique de l’importance que revêtaient les

219 Le Matin, 19 mai 1934 220 Lettre d’André Gorodie à Henri Verne, dans Exposition du centenaire de La Fayette, 1757-1834. Catalogue par André Girodie, Musée de l’Orangerie, Paris, 1934 221 France-Amérique, mai-juin 1934, dossier « Le Centenaire de Lafayette », Tome XXIX, N° 269-270 222 Journal des débats, 18 mai 1934 223 Voir infra p. 80 60 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Etats-Unis dans la vie du monde, et, par-là même, de promouvoir les relations entre la France et les Etats-Unis. Son magazine, France-Amérique, était un puissant relai de toutes les actions visant à faire vivre les relations franco-américaines. Son numéro de mai-juin 1934 consacre un dossier complet au Centenaire de La Fayette, et plus particulièrement à cette grande cérémonie solennelle de la Sorbonne. La présence, lors de cette cérémonie, de son président Resgley Carter aux côtés du Président de la République Albert Lebrun, témoigne du rôle prépondérant joué par le Comité France-Amérique dans cette grande manifestation. La cérémonie de la Sorbonne voit avec beaucoup d’éclat la réception par les Américains de Paris, coordonnés par un comité français, du Président de la République française et des plus hautes personnalités de France et des Etats-Unis. Le programme comprenait un discours de M. Gilmer, professeur au Lafayette College et délégué de la société « Les Amis de La Fayette », en mission en France pour la célébration du centenaire, un « Portrait de La Fayette », par le général de Chambrun, descendant du célèbre marquis, un exposé de M Cestre, professeur à la Sorbonne sur « le rôle de La Fayette », véritable « portrait moral224 », une intervention de l’ambassadeur des Etats-Unis à qui a répondu le ministre de la guerre le maréchal Pétain. La cérémonie s’est terminée par la lecture d’écrits de La Fayette par Denis d’Irès, sociétaire de la Comédie française. Cette cérémonie, empreinte d’un intellectualisme et d’un raffinement certains, est alors considérée comme la plus importante et la plus grandiose des manifestations du centenaire de La Fayette. Le Journal des débats, très élogieux dans son compte-rendu, qualifie l’allocution de l’ambassadeur américain de « péroraison [qui] s’élève vers un idéal de fraternité », à laquelle répond en écho le « noble discours » du maréchal Pétain. Les cérémonies officielles du centenaire de la mort de La Fayette en France ne sont pas les seules, elles sont doublées de nombreux hommages en son honneur aux Etats-Unis. Dans ce cadre, les officiels français sont amenés à intervenir par le biais de messages ou par le truchement diplomatique pour exprimer aux Etats-Unis leur amitié. De fait, le ministre des Affaires Etrangères Louis Barthou s’exprime le 6 mai 1934 dans une allocution radio diffusée en l’honneur de La Fayette instantanément traduite en anglais et qu’il adresse au Congrès des Etats-Unis. Cette allocution fait l’objet de commentaires positifs dans la presse française : « d’une voix claire, bien timbrée, au débit régulier, empreint d’une éloquence convaincante225 ». L’ambassadeur de France à Washington, André de Laboulaye, va jouer un grand rôle dans cette transmission de l’amitié du gouvernement français. Le 6 mai, lors d’une cérémonie à Bethléem en Pennsylvanie à la mémoire de La Fayette, l’ambassadeur prononce un discours au cours d’un déjeuner qui est officiellement donné en son honneur. Il dépose aussi une couronne sur la tombe du Soldat Inconnu de Bethléem. Quelques jours plus tard, il ouvre officiellement à New York l’Exposition du centenaire de la mort de La Fayette à la Maison Française, dont il assure la présidence d’honneur. Le 21 mai 1934, jour anniversaire de la mort de La Fayette, le Congrès américain tient une séance commune en son honneur. A cette occasion, l’ambassadeur français se doit de s’exprimer devant les deux chambres réunies. A la suite de son allocution, il est chargé de la lecture du message adressé par le Président de la République Albert Lebrun au Congrès. A l’occasion de cette séance solennelle du Congrès à la mémoire de La Fayette, les officiels français, outre Albert Lebrun, adressent au Président du Congrès (de droit le Président de la Chambre des Représentants) des télégrammes qui traduisent le sentiment public de la France. Louis Barthou s’associe aux sentiments exprimés par le Président de la République. Jules Jeannerey, le Président du Sénat, adresse le « cordial salut du Sénat français ». Quant

224 Journal des débats, 20 mai 1934 225 Le Matin, 06 mai 1934 VALLAURI Antoine - 2011 61 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

à Ferdinand Buisson, le Président de la Chambre des députés, il associe « le Chambre des députés française à l’émouvant et haut témoignage de fidélité donné par le Congrès américain à la mémoire de La Fayette226 ». L’ensemble de ces cérémonies françaises et américaines montre une implication officielle des responsables nationaux français dans les célébrations du centenaire de la mort de La Fayette, sauf peut-être le Président du Conseil Gaston Doumergue227. Toutefois, les officiels ne s’immiscent pas dans l’organisation opérationnelle des différentes manifestations, à l’exception de la présidence de la cérémonie de la Sorbonne assurée par le maréchal Pétain. Cette gestion pratique reste du ressort d’associations et de sociétés franco-américaines de Paris. On note en outre un grand rôle joué par la municipalité de Paris dans le centenaire de La Fayette. A l’inverse de ce qui sera le cas en 1957, il ne semble pas y avoir existé, en 1934, de programme officiel établi de l’ensemble des cérémonies liées à la mémoire de La Fayette. En dépit de toutes ces fêtes officielles, la célébration du centenaire de la mort de La Fayette en France en 1934 n’est pas le seul apanage des responsables officiels nationaux ou parisiens et des sociétés franco-américaines ; elle peut aussi s’effectuer d’autres manières. Ainsi, Le Journal du 2 juin 1934 se fait le cas d’une initiative des commerçants de la rue Saint-Honoré à Paris de rendre hommage à la mémoire de La Fayette228. Ils ont décidés de faire apposer trois plaques dans cette rue, à des numéros qui évoquent des souvenirs liés à la vie de La Fayette. La première plaque a été posée au 263 rue Saint- Honoré, à l’entrée de l’Hôtel de Noailles, où résidaient les beaux-parents du marquis, dans la chapelle où La Fayette s’est marié. La deuxième plaque se situe au 217 de la rue, dans la cour du jardin de l’ancien Hôtel de Noailles et porte la mention : « Dans cet Hôtel eut lieu le 15 février 1779 l’entrevue du général de La Fayette à son retour d’Amérique avec la reine Marie-Antoinette ». Enfin, la troisième plaque commémorative a été scellée sur le mur de l’église de l’Assomption, dans laquelle se tinrent, le 22 mai 1834, les obsèques de La Fayette. L’inauguration de ces trois plaques est l’occasion d’une cérémonie, où sont présents Henry Kahn, président de l’Union des commerçants de la rue Saint-Honoré, le commandant Leister, représentant l’ambassadeur des Etats-Unis, M. Taittinger, député, M. Lefébure, conseiller municipal, le comte de Lapérouse, le marquis de Rochambeau ainsi que deux descendants de La Fayette, le comte de Chambrun et le comte de Pusy La Fayette. Les brefs discours des participants révèlent différentes mémoires sur La Fayette. M. Lefébure, qui s’exprime au nom de la Ville de Paris, mentionne les différentes figures historiques liées à l’histoire de la rue Saint-Honoré : « Jeanne d’Arc, Maurice Barrès et La Fayette ». Pierre Taittinger a ensuite encensé le « souvenir de La Fayette » et rappelé l’amitié « impérissable » qui unit la France et les Etats-Unis. Quant au comte de Pusy La Fayette, « il a remercié les gouvernements américains et français, la Ville et l’Union des commerçants de la rue Saint- Honoré, pour leur nouveau et fidèle témoignage d’affection et de reconnaissance offert au général français ». L’année 1934 voit aussi la célébration du centenaire de la mort de La Fayette à travers l’organisation d’expositions relatives à son souvenir. Pas moins de quatre expositions consacrées à La Fayette se déroulent à Paris entre mai et septembre 1934, trois préparées

226 Cité dans Le Temps, 21 mai 1934 227 Gaston Doumergue, Président du Conseil, n’est cité nulle part parmi les participants aux différentes cérémonies du centenaire et ne semble pas avoir adressé de message au Congrès américain. Etait-il cantonné à un rôle de politique intérieure ? 228 Arch. Dép. 77, fonds 150 J 211, La Fayette : article de presse : Le Journal, 02 juin 1934, Article, « Les commerçants de la rue Saint-Honoré célèbrent la mémoire de La Fayette » 62 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

par des institutions françaises et une mise en place à l’initiative de la communauté polonaise de Paris. De ce fait, quatre catalogues d’exposition sont édités dans l’année. Outre la présentation de souvenirs liés à La Fayette se tenant concomitamment à la réception de l’Hôtel de Ville, les deux expositions françaises sont celle de la collection Blancheteau et l’Exposition du centenaire de La Fayette au Musée de l’Orangerie. L’exposition Marcel Blancheteau à l’occasion du centième anniversaire de la mort de La Fayette rassemble de nombreux livres, estampes, autographes et souvenirs composant la collection de ce célèbre libraire parisien229. Il s’agit d’une exposition sans précédent au regard des expositions de collections particulières réalisées auparavant. A cet égard, Bernard Fay estime que « M. Blancheteau a réuni l’une des plus curieuses et des plus suggestives collections de papiers, gravures et manuscrits fayettistes que l’on ait vues à Paris depuis bien longtemps230. » Cet assemblage accorde une importance particulière aux biographies parues sur La Fayette. La Fayette est replacé au cœur de ses biographes français et américains. Cet angle d’approche intéressant fut peu repris par la suite dans les autres expositions liées à sa mémoire. Les principales étapes de la vie du général sont retracées par le biais d’objets dont la variété procure un sentiment d’inédit sur La Fayette. La Croix qualifie cette exposition d’ « intéressante collection de souvenirs231 ». Mais le journal prise davantage l’exposition du Musée de l’Orangerie qu’il considère « beaucoup plus intéressante au point de vue artistique ». Cette exposition, qui se tient dans une institution muséologique française de référence, a été préparée par André Girodie, le conservateur en chef du Musée de la coopération franco-américaine de Blérancourt. Après l’exposition Blancheteau, elle se devait de présenter avec force détails et minutie les principaux faits d’armes de La Fayette durant son existence. Le Bulletin des Musées de France affirme d’emblée le but de cette exposition, qui semble avoir été atteint : la réunion des multiples souvenirs « [de la prodigieuse activité de La Fayette] ne fut jamais effectuée à grande échelle. C’est ce qu’avaient entrepris le Conseil et le Directeur des Musées Nationaux dans l’Exposition de l’Orangerie en atteignant le but grâce à la généreuse attitude de l’Amérique et de la famille La Fayette232. » D. de Charnage, dans La Croix, parle de « l’exposition la plus complète qui ait jamais été organisée sur La Fayette, formant un ensemble très vivant ». Pour les initiateurs de l’exposition, celle-ci permet de mieux connaître les parts d’ombres de la vie de La Fayette : « les visiteurs du Musée de l’Orangerie pourront dégager aujourd’hui la mémoire de ce “chevalier”, toujours sans peur et le plus souvent sans reproche, de toutes les obscurités qui l’entourent233. » Pourtant, certains micro-aspects de sa vie semblent avoir été laissés de côté, tels ses rapports avec les Indiens et ses actions en faveur du peuple polonais, pour mieux mettre l’accent sur « les rapports du général avec l’Amérique et sur le rôle qu’il a joué en 1789 et en 1830 ». Dans sa lettre à Henri Verne, Directeur des Musées de France et de l’Ecole du Louvre, André Girodie écrit qu’ « il a paru opportun de limiter 229 La collection de Marcel Blancheteau a été acquise en 1966 par la Cornell University, à Ithaca, dans l’Etat de New York, qui concentre une impressionnante quantité d’objets sur La Fayette 230 Bernard Fay, « Le mystère de La Fayette », dans Le général La Fayette. Catalogue des livres, estampes, autographes et souvenirs composant la collection de M. Blancheteau exposée à l’occasion du centenaire de la mort du général La Fayette (20 mai 1834), Paris, 1934, pp. V-VI 231 La Croix, 03 août 1934, Article de D. de Charnage, « Chronique artistique : L’Exposition du centenaire de La Fayette à l’Orangerie » 232 ème « Salles de l’Orangerie : Exposition du Centenaire de La Fayette » dans Bulletin des Musées de France, 6 année, N° 7, juillet 1934, p. 121 233 André Girodie, « Préface » dans Exposition du centenaire de La Fayette, 1757-1834. Catalogue par André Girodie, Musée de l’Orangerie, Paris, 1934, p. XII VALLAURI Antoine - 2011 63 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

le plan de l’exposition aux relations de la France et des Etats-Unis par l’intermédiaire du Major général des Armées de la République américaine, devenu son mandataire auprès de nos Républiques françaises234. » Cette assertion paraît plutôt inexacte et étrange de la part du conservateur, l’Exposition traitant aussi de la Révolution française et du rôle de La Fayette en 1830. Outre les appréciations favorables sur le caractère complet et novateur de l’exposition, celle-ci suscite des réactions réellement positives : pour La Croix, « elle rappelle avec opportunité à la France et à l’Amérique les liens du passé. » Le Bulletin des Musées de France estime, quant à lui, que se détache « l’intrépide et franc soldat du XVIIIème siècle et le romantique amant de la Liberté. » Les expositions consacrées à La Fayette en 1934 témoignent de sa présence mémorielle, de manière officielle ou informelle, et de sa reconnaissance par des institutions françaises. Ceci montre l’importance qui lui est accordée par une certaine mémoire nationale. L’année 1957 est marquée par le bicentenaire de la naissance du marquis de La Fayette. De nombreuses manifestations se déroulent dans ce cadre, et l’organisation du bicentenaire est fortement institutionnalisée. L’objectif est que les cérémonies soient les plus solennelles possibles235. Le bicentenaire de La Fayette trouve son origine dans une initiative de trois Auvergnats, Dousset, Verneau et Julien-Pagès236. Ce dernier, président du syndicat d’initiative du Puy- en-Velay, entreprit, dès 1955, les démarches nécessaires. Le Comité France-Amérique se montra rapidement intéressé par le projet, et se groupa avec les autres organisations franco- américaines de Paris, telle que le Comité Français du Souvenir de La Fayette, en vue de « commémorer l’an prochain, avec la plus grande solennité possible, le deuxième centenaire de la naissance de La Fayette237». Dans ce but, ces organisations ont constitué un « Comité National Français pour la célébration du Bicentenaire de la naissance de La Fayette » La création de ce comité spécial, chargé d’organiser les différentes manifestations nationales, illustre le rôle fondamental que va jouer le Comité France-Amérique dans le Bicentenaire de La Fayette. Son président, Jean Marie, également Président de la Compagnie Générale Transatlantique, devient Président du Comité National pour le Bicentenaire de La Fayette et sa secrétaire générale, Mercedes Cusset, est appelée à exercer des fonctions similaires au sein du Comité National. En outre, le siège du Comité National est situé au sein du Comité France-Amérique. Celui-ci se trouve donc au cœur même de l’organisation du bicentenaire de la naissance de La Fayette. Le Comité National pour le Bicentenaire de La Fayette se compose d’une association d’acteurs privés et de responsables publics de premier plan. Il s’agit là de mettre en place les cérémonies officielles nationales de commémoration de sa mémoire. La préparation du Bicentenaire implique jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat, puisqu’au Président de la République René Coty, échoit la présidence du Comité de patronage du Comité National. Le Comité travaille d’ailleurs, tout au long des années 1956 et 1957, en liaison étroite avec les services de la Présidence de la République ainsi qu’avec ceux de la Présidence du 234 Lettre d’André Gorodie à Henri Verne, dans Exposition du centenaire de La Fayette, 1757-1834. Catalogue par André Girodie, Musée de l’Orangerie, Paris, 1934 235 AN, Archives du département à l’action culturelle et éducative, lettre de Charles Braibant à Jean Marie : « la solennité qu’il convient d’attribuer au deuxième centenaire de La Fayette » 236 Conférence de Dominique Audollent, Président du Comité du Puy-de-Dôme pour la célébration du bicentenaire de la naissance de La Fayette. Séance publique de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, 20 avril 1958 237 AN, Archives du département à l’action culturelle et éducative, lettre de Jean Marie, Président du Comité France-Amérique, à Charles Braibant, Directeur des Archives Nationales, en date du 13 juin 1956 64 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Conseil238. La préparation des manifestations s’effectue au plus haut niveau de l’Etat : le président de la République ne prend pas uniquement part aux cérémonies, il est consulté. Le Comité de patronage regroupe les personnalités officielles concernées en premier chef par le Bicentenaire et a pour rôle de parrainer l’organisation des différentes cérémonies. Outre le Président Coty, ses membres en sont le Président du Conseil, les ministres intéressés (Affaires Etrangères, Education Nationale et Défense Nationale), le préfet de la Seine, le président du Conseil Général de la Seine, le président du Conseil municipal de Paris, le gouverneur militaire de Paris, les préfets de la Haute-Loire, de l’Allier et du Puy-de- Dôme, et les représentants de la famille de La Fayette. La composition du Comité de patronage (également appelé Comité d’honneur) témoigne donc de l’importance accordée au bicentenaire de La Fayette par les plus hauts personnages de l’Etat. Un Bureau est chargé de la supervision et de la coordination de l’organisation des manifestations. Un Comité exécutif vise, quant à lui, la gestion opérationnelle de la préparation des manifestations. Ces deux instances constituent, en quelque sorte, un très large comité d’action qui « associe toute la France239 » en groupant les représentants des grandes institutions tant intellectuelles qu’artistiques, économiques, sociales, etc. Le Bureau se compose, outre le président du Comité National Jean Marie, d’anciens ambassadeurs de France aux Etats-Unis, André de Laboulaye (1933-1937), le comte René de Saint- Quentin (1938-1940) et Henri Bonnet (1944-1954), de Firmin Roz, de l’Institut, du marquis de Messey, président de la Commission Exécutive du Comité France-Amérique, de Charles Braibant, le Directeur des Archives Nationales, de M. Boucouran, Directeur général du Tourisme, de Julien Cairn, Conservateur en chef de la Bibliothèque Nationale et de Georges Salle, Directeur des Musées Nationaux. En sont également membres Henry Jay Kahn, président du Comité français du Souvenir de La Fayette, Dominique Audollent, ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Clermont-Ferrand, Raymond Julien-Pagès, Président de la Fédération des Syndicats d’Initiative de la Haute-Loire, Ivan Loiseau, Administrateur de la Compagnie fermière de Vichy et Jean Dufour, Directeur Général au Crédit Lyonnais. Le Bureau rassemble donc des anciens ambassadeurs, fins connaisseurs de la vision de La Fayette aux Etats-Unis, les responsables d’institutions nationales impliquées dans les manifestations du bicentenaire de La Fayette, les responsables de sociétés franco- américaines, des intellectuels et les représentants des territoires d’Auvergne intéressés par la commémoration de la mémoire d’un héros local. La présence du Directeur Général du Tourisme au sein du bureau du Comité révèle un objectif sous-jacent du bicentenaire : développer, avec certaines manifestations, un tourisme local. Le général Billotte, ancien ministre de la Défense Nationale (dans le gouvernement Edgar Faure, entre 1954 et 1955), s’est, quant à lui, vu confier la présidence du Comité exécutif du Comité National français. Il était associé, dans ce comité en charge de la préparation effective des manifestations, au général Bertrand, au comte Pierre Baruzy, Président exécutif du Conseil international de l’Organisation scientifique, au jeune Valéry Giscard d’Estaing, à M. Gouineau, Administrateur de l’Association Professionnelle des rédacteurs en chef des Journaux et des Revues français, à Jean Lecanuet, ancien ministre de l’Information, à Y. Guillot, Chef du Service des Editions de la Direction Générale du Tourisme et au baron Christian de Waldner, Président d’IBM France. La presse occupe même une place dans ce comité, la perception médiatique et la visibilité de ce type de célébrations étant fondamentale dans une logique de communion franco-américaine et

238 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, Lettre de Charles Braibant au général Billotte, Président du Comité Exécutif du Comité National français pour le bicentenaire de La Fayette, en date du 24 avril 1957 239 France-Amérique magazine, mai-juin 1957 VALLAURI Antoine - 2011 65 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

d’exaltation de la mémoire d’une grande figure de l’Histoire de France. On note ainsi, dans ce comité exécutif, une diversité à même de concevoir des manifestations honorant les différentes mémoires de La Fayette. Les grandes institutions et sociétés américaines de Paris sont également représentées dans un comité de liaison et d’action américain, sous la présidence de l’ambassadeur Douglas Dillon. Outre le regroupement des personnalités concernées dans ces différents comités du Comité National, les préparatifs des manifestations du bicentenaire de La Fayette montrent une collaboration étroite entre les institutions participant aux commémorations. On note ainsi cet échange fréquent de correspondances entre le bureau du Comité National et le Directeur des Archives Nationales, qui prévoit d’organiser une grande exposition sur La Fayette pour l’été 1957. Dans un courrier du 13 juin 1956, Jean Marie sollicite de Charles Braibant son concours et celui des Archives Nationales pour l’organisation des manifestations et l’invite à participer au bureau du Comité National en tant que « Délégué pour la Section Intellectuelle et Artistique240 ». Ces relations étroites entre le Comité National français du bicentenaire de La Fayette et les Archives Nationales sont exprimées clairement dans les propos du général Billotte dans une lettre à Charles Braibant241 : « Vous avez bien voulu apporter votre bon concours à l’organisation du notre Comité National Français du Bicentenaire de La Fayette, en acceptant de faire partie de ses conseils ». La collaboration se manifeste aussi, du côté des Archives Nationales, au niveau de la préparation de l’Exposition La Fayette. Bien qu’elle soit uniquement du ressort des Archives Nationales, le général Billotte et Jean Marie sont amenés à dialoguer avec Charles Braibant concernant l’intérêt de certaines pièces ou la prospection d’objets. Au terme d’un travail colossal réalisé par le comité exécutif, un programme officiel des manifestations du Bicentenaire est établi. Dominique Audollent affirme clairement l’ampleur du travail accompli : « On peut imaginer combien d’efforts, de démarches, de prévisions, d’échanges de vues furent nécessaires pour mettre au point et réaliser le vaste programme élaboré. Le succès en fut la récompense. » Cette satisfaction devant le succès ressenti est évoquée directement par les organisateurs du bicentenaire au cours de l’année 1957 : « Vous connaissez le succès qui, depuis le début de l’année, a accueilli chacune des manifestations de notre Comité National en France et du Comité américain242. » Dominique Audollent témoigne, dans sa conférence, de l’ampleur des manifestations du bicentenaire de La Fayette en France. Après avoir relaté l’importance et la grandeur des célébrations aux Etats-Unis, il ajoute : « Notre pays ne demeura pas en reste pour le déroulement des manifestations d’ensemble de l’année La Fayette. » L’ouverture des commémorations du Bicentenaire a lieu le 6 février 1957, date anniversaire de la signature du Traité d’Alliance entre la France et les Etats-Unis, le 6 février 1778, dont La Fayette fut le premier promoteur. Cette commémoration se passe au Comité France-Amérique, et s’accompagne d’une commémoration célébrée simultanément par la « France-America Society of New York » et les Comités France-Amérique des Etats-Unis et de province en France. A cette occasion, Maurice Hutin, du Comité France-Amérique, représentant du gouvernement français à l’inauguration de l’année La Fayette, appose déjà la marque officielle aux célébrations de la mémoire de La Fayette : il explique la

240 AN, Archives du département à l’action culturelle et éducative, lettre de Jean Marie à Charles Braibant, 13 juin 1956 241 AN, Archives du département à l’action culturelle et éducative, lettre du général Billotte à Charles Braibant, 17 juillet 1957 242 Ibid. 66 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

« reconnaissance [de la France] à La Fayette d’avoir jeté l’amorce de cette amitié franco- américaine jamais démentie depuis243. » Le même jour, une exposition est inaugurée dans le hall du Comité France-Amérique sur le thème de « La Fayette et les Etats-Unis par l’image ». Mais il s’agit là d’une manifestation peu visible, peu emblématique des cérémonies du bicentenaire. Le 11 avril, anniversaire du mariage de La Fayette, un dîner de gala se tient à l’Hôtel de Noailles, où avaient été célébrées ses noces et où il vécut, qui réunit les plus hautes personnalités. Cet événement ne figure pas au programme officiel des manifestations du bicentenaire organisées par le Comité National. Le mois de mai 1957 est le mois anniversaire de la mort de La Fayette. Le 20 mai, jour anniversaire, est l’occasion d’une prise d’Armes autour de la statue de La Fayette au square du Carrousel, suivie d’une réception à l’Hôtel de Noailles. C’est la première manifestation du Comité National français du Bicentenaire à laquelle participe l’Ambassadeur des Etats-Unis, Amory Houghton. Le 22 mai, Mgr Blanchet, Recteur de l’Institut Catholique de Paris, célèbre un Service Solennel à l’Eglise de l’Assomption, où eurent lieu en 1834 les obsèques nationales de La Fayette. On en profite alors pour honorer la mémoire du maréchal-comte de Rochambeau, dont le mois de mai marque également l’anniversaire de la mort, le 12 mai 1807. Pour France-Amérique Magazine, « cette cérémonie unissait dans cette même manifestation spirituelle la mémoire du même officier qui se lança à 20 ans dans la glorieuse aventure et celle du grand militaire chevronné dont la compétence décida du sort des armées244. » Entre le 28 juin et le 4 juillet 1957, se tient à Paris la « Semaine La Fayette » dans le cadre de la Saison de Paris. Cette semaine permet de commémorer, à travers un défilé militaire parcourant les rues de Paris, le premier débarquement de La Fayette sur le sol américain le 13 juin 1777. Le 28 juin, un grand dîner ouvre « la Semaine La Fayette » au Comité France-Amérique. Les organisateurs avaient tenu à organiser cette manifestation à cette date afin qu’elle coïncidât avec la clôture du Congrès de l’Organisation Scientifique, qui se tenait du 13 au 28 juin dans la capitale. De fait, quarante éminentes personnalités américaines qui participaient au Congrès ont saisi cette occasion pour participer au dîner et, par-là même, pour exprimer leur adhésion à la « Commémoration de ce grand anniversaire franco-américain ». Est également présent au dîner le maire de la ville de Lafayette en Louisiane, Jerome E. Domengeaux. Il représente les maires de toutes les villes portant le nom de La Fayette aux Etats-Unis, et qui ont été invités à participer aux célébrations de la naissance de La Fayette en Auvergne en septembre 1957. Le 3 juillet voit l’inauguration par le Président de la République, René Coty, de l’Exposition La Fayette organisée par les Archives Nationales. La soirée d’inauguration, qui est l’initiative du Comité France-Amérique, est décrite comme « une belle soirée, très élégante ». L’Exposition La Fayette, réalisée, sous la direction de Jacques Moncat, Conservateur en chef aux Archives Nationales, par Chantal de Tourtier, Conservateur aux Archives, se déroule du 4 juillet au 10 octobre 1957. Tableaux, bustes, souvenirs et documents retracent la vie de La Fayette et ses principaux combats et faits d’armes en fonction du plan de classification suivant : L’indépendance américaine ; le rôle de La Fayette dans la Révolution Française ; Lafayette et la Révolution de 1830 ; La Fayette et sa légende. Le catalogue de l’Exposition, préfacé par Charles Braibant, fait appel à d’éminents historiens qui retracent, avant chaque partie de l’exposition, les actions du général durant la période. Le rôle de La Fayette durant la guerre d’indépendance américaine est dépeint par le professeur américain Louis Gottschalk, l’un des plus grands spécialistes du personnage. La Fayette sous la Révolution Française est appréhendé par Marcel Reinhard, Directeur de

243 « L’inauguration de l’année La Fayette », Paris Inter, émission diffusée le 06 février 1957 244 « L’année La Fayette en France », dans France-Amérique magazine, avril-mai-juin 1957, p. 57 VALLAURI Antoine - 2011 67 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

l’Institut d’Histoire de la Révolution Française à la Sorbonne. Enfin, l’attitude de La Fayette en 1830 fait l’objet d’une brève étude de Charles H. Pouthas, Professeur honoraire à la Sorbonne245. L’utilisation de spécialistes dans le catalogue de l’exposition met d’emblée en lumière son caractère hautement intellectuel, et montre qu’il s’agit d’une exposition de haute volée. Elle est bien digne de figurer au programme si solennel des manifestations du bicentenaire de la naissance de La Fayette. Qui plus est, l’Exposition La Fayette souligne la reconnaissance de La Fayette par une institution française si fondamentale, garante du patrimoine documentaire français. Elle rejoint par-là les expositions La Fayette organisées en 1934 par l’Hôtel de Ville de Paris et le Musée de l’Orangerie. Ces expositions, montrées dans des bâtiments nationaux, achèvent de sceller l’appartenance de La Fayette à l’Histoire de la France. L’Exposition La Fayette des Archives Nationales attire des commentaires unanimement élogieux en sa faveur. Déjà la Direction des Archives de France, dans une note interne en date du 28 septembre 1957, estimait que « chacun devrait avoir à cœur de visiter aux Archives Nationales l’exposition consacrée au Héros des Deux-Mondes […] Après avoir tant entendu parler de La Fayette au cours de cette année, français et américains pourront, à l’Hôtel de Rohan, connaître mieux la vie de celui qui fut le plus grand artisan de l’amitié entre les deux peuples246. » Cette note immanquablement subjective et favorable à l’exposition, à destinataire inconnu -s’agit-il d’un document de promotion de l’exposition, d’un document de travail… ?- révèle la grande importance accordée à l’exposition au sein même des Archives Nationales en 1957247. L’Eveil de la Haute-Loire consacre sa Une à l’ouverture de l’exposition le 5 juillet 1957248. On pourrait certes présumer du caractère biaisé de cette couverture étant donné l’attachement de la Haute-Loire à tout ce qui concerne la figure de La Fayette, mais cette Une suggère le retentissement local d’une exposition qui se voit, dès lors, octroyer un caractère véritablement national. Cet article met l’accent sur les pièces « locales » liées à La Fayette, telles son acte de baptême, établi le 6 septembre 1757 à Chavaniac ou bien encore le registre des procès-verbaux des délibérations de l’Assemblée provinciale d’Auvergne. Pour le journal, cette exposition permet une meilleure connaissance du personnage de La Fayette et de sa vie. Le magazine Phy-Elec, La Gazette des Arts de juillet-août 1957 met en avant l’ingéniosité et la sagacité des conservateurs qui ont préparé une exposition qui éclaire sur le marquis : « les documents d’archives, souvenirs et objets rassemblés avec beaucoup d’intelligence et de goût […]249 » Dominique Audollent, dans sa conférence, évoque une exposition « rassemblant documents, lettres et souvenirs d’une richesse inestimable ». France-Amérique magazine est le plus élogieux de tous quant à l’Exposition La Fayette : « Jamais encore n’ont été réunis sous le vocable de La Fayette, autant de tableaux, d’objets et de documents qui forment un ensemble très complet, d’une

245 La Fayette. Exposition organisée par les Archives nationales du 4 juillet au 10 octobre 1957. Catalogue par Chantal de Tourtier, avec la collaboration de Jean-Pierre Babelon et de Monique Sarotte, Paris, 1957 246 AN, Archives du département à l’action culturelle et éducative (non cotées), Dossier Lafayette 1957 : Note Direction des Archives de France, 28 septembre 1957, « Un Saint-Exupéry combattait pour l’Amérique » 247 Les Archives Nationales organisent régulièrement des expositions. Toutefois, celle de La Fayette semble occuper une place à part, si l’on considère le degré d’implication du Directeur des Archives Nationales, son inauguration par le Président de la République, les nombreux échanges de préparation de l’exposition avec des organismes de haute importance (Comité National Français du Bicentenaire de La Fayette) et sa couverture médiatique. 248 L’Eveil de la Haute-Loire, 05 juillet 1957, Article, « Réunis aux Archives Nationales : Plus de six cents documents permettent de mieux connaître La Fayette » 249 Phy-Elec, La Gazette des Arts, N°46, juillet-août 1957, rubrique « Manifestations » 68 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

extrême variété250. » Il évoque aussi une exposition « d’un intérêt exceptionnel ». Et le magazine d’inciter le grand public (on sent là le manque d’objectivité) à visiter l’exposition : « Sa visite devrait figurer au programme de tous ceux qui habitent ou séjournent à Paris. Elle ne montrerait pas seulement l’actualité de La Fayette, mais aussi le très remarquable ensemble architectural du vieux Paris, formé par les Hôtels de Soubise et Rohan. » Le 4 juillet 1957 connaît la traditionnelle cérémonie sur la tombe du général La Fayette au cimetière de Picpus. La commémoration réunit, autour du Président de la République René Coty et de l’Ambassadeur des Etats-Unis Amory Houghton, les descendants de La Fayette, des ambassadeurs, des généraux et de hautes personnalités françaises et américaines. On note la présence de Jean Marie, président du Comité National du Bicentenaire, et du général Billotte, président du Comité exécutif et du Commandant Suprême des Forces Alliés en Europe, le général Norstadt. On retrouve également des détachements de troupes américaines et françaises. Cette cérémonie, organisée par la Société des Fils de la Révolution américaine en partenariat avec le Comité France- Amérique, est dotée d’un fort caractère d’officialité, en raison même de la venue du Président de la République. C’est en effet la première fois qu’un chef de l’Etat français se rend à cette commémoration mémorielle annuelle, qui possède déjà cette année-là un goût particulier. Au cours de cet hommage à La Fayette, le président Coty et l’ambassadeur Houghton s’inclinent sur sa tombe et déposent solennellement leurs couronnes. Puis a lieu la traditionnelle relève du drapeau de l’Union, qui flotte toute l’année sur la tombe de La Fayette. Intervient alors une minute de silence à sa mémoire, ouverte par la sonnerie aux Morts des clairons français, et fermée par la sonnerie aux morts des clairons des forces de l’Otan. On sent là toute la solennité de l’hommage. Orateur de la cérémonie, René de Chambrun, président de la Société des « Fils de la Révolution américaine », descendant de La Fayette, met en évidence la majesté de cette grande communion officielle franco- américaine, en s’adressant au Président de la République : « Votre présence ici est pour nous tous un symbole. La présence à vos côtés de toutes ces personnalités américaines, civiles et militaires, est une démonstration. » La cérémonie de Picpus, en dépit de sa solennité éclatante, n’est rien en termes d’importance comparée aux manifestations qui se déroulent en Auvergne du 6 au 8 septembre 1957. Ces journées constituent le point d’orgue des célébrations du bicentenaire de la naissance de La Fayette. Elles ont été préparées par le Comité National français en lien avec les comités départementaux de la Haute-Loire, de l’Allier et du Puy-de-Dôme. Ces événements à caractère national, local et franco-américain se voient honorés de la présence de nombreuses personnalités françaises et américaines. A l’inverse des cérémonies précédentes, c’est cette fois le Président du Conseil, Maurice Bourgès-Maunoury, qui est la personnalité officielle française marquante. Assistent à la plupart des événements de ces journées d’Auvergne Yost, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis, représentant de l’ambassadeur Amory Houghton, plusieurs membres du gouvernement, Marcel Laroque, président du Conseil municipal de Paris, Roger Menager, président du Conseil général de la Seine, les membres éminents du Comité National français du Bicentenaire de La Fayette, les membres du Comité France-Amérique, les descendants de La Fayette et moult autres sommités. Les principaux notables du département de la Haute-Loire sont également là. Côté américain, on note parmi les nombreux présents, les maires des villes américaines portant le nom de La Fayette, officiellement conviés par le Comité National ainsi que le milliardaire américain francophile Abraham Spanel, très connu en France à l’époque.

250 France-Amérique magazine, « L’année La Fayette en France », pp. 57-58 VALLAURI Antoine - 2011 69 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Spanel s’est illustré en achetant des pages entières de publicité à la gloire de la France dans les grands journaux américains. Il publie aussi des encarts à la gloire de La Fayette et de son rôle dans la création des Etats-Unis. A l’initiative de Pierre Bellemare, qui animait alors une émission sur Europe 1, « Vous êtes formidables », plus d’un million d’auditeurs français écrivirent une carte postale à Mr Spanel. L’appel lancé par Pierre Bellemare était qu’on envoie à Abraham Spanel des cartes postales de chaque ville et village de France. Bellemare contacte alors, en direct à l’antenne, le facteur de Chavaniac-Lafayette, Abel Charbonnier, lui demande d’emmener le courrier à New York et de le remettre en main propre à M. Spanel. Il part pour une durée de trois mois aux Etats-Unis au printemps 1957. Reçu comme un héros par les Américains, Abel Charbonnier fut largement médiatisé tant du côté américain que français et fit connaître un temps le village de Chavaniac des deux côtés de l’Atlantique. Abel Charbonnier est également présent aux cérémonies de Chavaniac le 7 septembre 1957. Le traitement médiatique de cet événement anecdotique montre l’apparition d’une figure populaire (Abel Charbonnier) autour du bicentenaire de la naissance de La Fayette. Celui-ci ne recèle pas uniquement d’initiatives officielles, mais aussi d’autres plus informelles, comme le prouve cet exemple. Le versant officiel des Journées d’Auvergne débute par une réception des personnalités françaises à la Préfecture de la Haute-Loire le 6 septembre, où se mêlent responsables publics nationaux, notables locaux, parlementaires et anciens ministres originaires du département, ainsi que les invités américains. Un Banquet Officiel sous la présidence du Secrétaire d’Etat à l’Information Michel Soulié termine la réception. Ce raout à caractère national et franco-américain met en relief la place de La Fayette dans la mémoire officielle nationale : La Fayette, est, pour les personnalités publiques, avant tout un personnage de l’histoire de France et de la Haute-Loire. Cette réception révèle de surcroît un but plus pragmatique : la commémoration du bicentenaire de La Fayette en Haute-Loire est l’occasion de rappeler l’unité nationale, de faire le lien entre le pouvoir central et les élus locaux. Le signe le plus patent de cela est le retentissement de la Marseillaise pendant la réception. Mais l’exaltation de l’amitié franco-américaine est également de mise avec les discours du général Billotte, de M. Yost, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis et de Soulié lui-même. Ce dernier témoigne de l’attachement des responsables nationaux à la commémoration du bicentenaire de La Fayette : il transmet les remerciements du gouvernement français à tous ceux qui se sont associés aux cérémonies. Les festivités d’Auvergne atteignent leur zénith avec les événements de Chavaniac le 7 septembre 1957. Paradoxalement, le début de la cérémonie est décrit comme très simple, champêtre, populaire même251, même si du déroulement se dégage progressivement une forte solennité. De toutes parts sont venus des curieux, ruraux ou citadins, se mêlant aux habitants du village, aux enfants du préventorium La Fayette, aux visiteurs français et américains. Après le dépôt d’une gerbe par le Président du Conseil et le ministre plénipotentiaire des Etats-Unis, une minute de silence est observée, puis les hymnes français et américains retentissent. Après la première touche solennelle, l’aspect champêtre se met en route avec un spectacle historique devant le château. Puis avec les discours officiels, la cérémonie franco-américaine se poursuit. Les différents orateurs, Bourgès Maunoury, Yost, Jean Marie et John Moffat, propriétaire du château et président du Mémorial La Fayette, ont établi une lecture nouvelle de la signification profonde du rôle joué par La Fayette dans la guerre d’indépendance américaine, puis ont exprimé la nécessité de maintenir les liens entre la France et les Etats-Unis « pour assurer la permanence d’une civilisation commune ». Les festivités d’Auvergne dans le cadre du Bicentenaire se sont

251 L’Eveil de la Haute-Loire, 08 septembre 1957 70 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

achevées sur une note mondaine, à travers un grand banquet à Vichy le 8 septembre252. Le 8 septembre 1957, la radio Paris Inter met en évidence le premier résultat observable des manifestations des Journées d’Auvergne : « établir des contacts humains très simples, chaleureux entre les visiteurs américains et la population d’Auvergne »253. Parallèlement aux cérémonies de Chavaniac, les officiels français ont exprimé leur vision de la mémoire de La Fayette dans le cadre de la célébration du bicentenaire de sa naissance aux Etats-Unis. Le 6 septembre 1957, une cérémonie s’est tenue à Washington en présence de l’ambassadeur de France Hervé Alphand. Au cours de la manifestation, un message du président américain Eisenhower magnifiant l’amitié franco-américaine a été lu par un secrétaire de la Maison Blanche254. En réponse à ce message adressé au peuple français, René Coty a télégraphié un message à Eisenhower dans lequel il remercie Eisenhower de son « attachement pour la France ». Au cours de la cérémonie, Hervé Alphand a pris la parole pour expliquer la nécessité de veiller à maintenir l’alliance atlantique et de rester fidèle à l’idéal de liberté. De même, lors de manifestations du bicentenaire en Nouvelle-Angleterre, le Consul général de France à Boston Charles de Pampelonne a été amené à s’exprimer. On observe ainsi que les diplomates français aux Etats-Unis, comme en 1934, ont eu une part importante dans l’expression d’une mémoire officielle française sur La Fayette, dans le cadre des commémorations américaines le concernant. Le Président de la République René Coty s’est fortement impliqué dans le bicentenaire de la naissance de La Fayette. Ce rôle prépondérant s’est illustré à travers son parrainage officiel du Comité National, son inauguration de l’Exposition La Fayette aux Archives Nationales, sa présence et son allocution au cimetière de Picpus le 4 juillet 1957 et son message à Eisenhower. Les services de l’Elysée ont apporté leur contribution au Comité National. Coty n’a pas hésité à adresser un courrier le 30 avril 1957 à la Revue Historique de l’Armée au sujet d’un numéro spécial concernant la « fraternité d’armes franco-américaine ». Le président félicite le magazine pour son rappel d’une forte amitié entre deux pays liée au souvenir de La Fayette : « En cette année où nos deux pays fêtent le second centenaire de La Fayette, il est bon de relire l’histoire loyale et noble d’une alliance née du même irrépressible goût de la liberté255. » L’implication de René Coty dans le bicentenaire de La Fayette contraste réellement avec l’effacement du président Albert Lebrun en 1934 lors du centenaire de la mort du héros des deux mondes. L’implication du Président de la République est-elle révélatrice d’une volonté des responsables publics nationaux de prendre une part active dans le Bicentenaire d’un personnage davantage honoré par les officiels aux Etats-Unis qu’en France ? Nous pouvons émettre cette hypothèse, tant l’organisation des manifestations fait l’objet d’une forte institutionnalisation. Peut-être pouvons-nous y voir un réflexe utilitariste : les officiels français useraient-ils du bicentenaire de La Fayette à dessein de renforcer les accointances, les relations franco- américaines ? Ian Forbes Fraser, Directeur de la Bibliothèque américaine de Paris, semble aller dans ce sens : « Pour la France, cet anniversaire est une occasion unique de parler

252 Le Monde, 10 septembre 1957 253 « Bicentenaire de la naissance de La Fayette à Vichy », Paris Inter, émission diffusée le 08 septembre 1957 254 Le Figaro, 07 septembre 1957 255 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, Dossier Lafayette 1957 (non côté) : lettre de René Coty à la Revue Historique de l’Armée en date du 30 avril 1957 VALLAURI Antoine - 2011 71 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

directement au cœur du peuple américain et de rétablir ainsi des liens que les années de faux jugement et les divergences de politique ont failli détruire256. » La Ville de Paris a également été très présente dans l’organisation et le déroulement des manifestations du bicentenaire de la naissance de La Fayette, même si elle ne semble avoir été l’initiatrice d’aucun événement. Le Président du Conseil municipal de Paris, le Préfet de la Seine et le Président du Conseil général de la Seine sont membres du Comité de patronage du Comité National français du Bicentenaire. Celui-ci, tout au long des préparatifs de l’organisation du bicentenaire, attache une importance particulière aux relations avec la municipalité. Ainsi, un membre du comité exécutif est-il dévolu aux relations avec la Ville257. Des représentants de la municipalité assistent à la quasi-totalité des manifestations, même aux Etats-Unis. Le 6 février 1957, le Président du Conseil municipal de Paris, M. Lévêque, se rend aux Etats-Unis où a lieu une grande réception pour la célébration de l’anniversaire du traité d’alliance et d’amitié entre la France et les Etats-Unis, sous l’égide du er général Grunther, Président de la Croix-Rouge américaine. Le 1 juillet, Lévêque assure la présidence d’un dîner sur la Seine, à bord du « Borde Frétigny », donnée à l’initiative du Comité France-Amérique pour présenter Paris aux hôtes américains de la Semaine La Fayette. Lors des Journées d’Auvergne, Le Président du Conseil municipal de Paris, le Préfet de la Seine et le Président du Conseil général de la Seine font partie intégrantes des personnalités conviées aux cérémonies. Il faut souligner aussi que la logique éducative n’a pas été absente du Bicentenaire, tant en France et aux Etats-Unis. Dans sa volonté d’associer les jeunes générations à la commémoration du bicentenaire et de « les préparer à assurer la relève », le Comité National du Bicentenaire, en partenariat avec le comité américain chargé de préparer les manifestations américaines, a organisé un concours dans les lycées et universités en France et aux Etats-Unis autour du thème « actualité de La Fayette ». Un jury national a désigné, parmi mille concurrents ayant pris part au concours, dix lauréats français qui se sont vus offrir un voyage de deux mois aux Etats-Unis et dix autres jeunes qui ont obtenu un voyage de participation aux Journées d’Auvergne. Aux Etats-Unis, un jury de professeurs français, sous la présidence du Conseiller culturel de l’Ambassade de France, a décerné dix voyages d’une durée similaire en France aux lauréats américains, agrémentés d’une participation aux Journées d’Auvergne. Ils furent reçus à l’Elysée, au Conseil municipal de Paris, au Comité France-Amérique et visitèrent l’Opéra, le Louvre et le château de Versailles. Ce concours témoigne de l’importance accordée à l’enrichissement intellectuel des jeunes, étudiants et élèves à travers le personnage de La Fayette. Il s’agissait de promouvoir la mémoire de La Fayette à travers l’éducation. La présence de Jacques Boucoiran, Directeur Général du Tourisme, parmi les membres du bureau du Comité National français du Bicentenaire, atteste d’un objectif secondaire lié à la célébration du bicentenaire : encourager un certain tourisme autour des lieux que La Fayette marqua de sa présence, notamment en Auvergne. Ce circuit est appelé la « Voie La Fayette ». Au cours de l’été 1957, sont mis en place un circuit permanent de la « Voie La Fayette » des Etats-Unis au château de Chavaniac258, ainsi que des circuits La Fayette à Paris et en Ile-de-France.

256 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 293 : France-Amérique magazine, Numéro spécial Bicentenaire La Fayette, décembre 1956 257 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, Dossier Lafayette 1957 (non côté) : document « Comité exécutif : répartition des travaux conforme aux décisions de la réunion du 7 août 1956 » 258 Cf. Annexe 8 : parcours de la « Voie La Fayette » en Auvergne 72 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Enfin signalons que les galeries Lafayette n’ont pas été totalement absentes des manifestations du bicentenaire de la naissance du général. Ainsi, Roger Meyer, son PDG, est l’une des personnalités du monde économique conviées aux Journées d’Auvergne. Le Vieux Papier évoque une initiative atypique des galeries de reconstituer un exemplaire de la Gazette de France du 10 septembre 1830, qui est supposé rendre compte des événements précédant la formation du Gouvernement Provisoire : « Pour cette circonstance, […] certain grand magasin, soucieux de justifier son image, a eu l’idée ingénieuse de reconstituer avec un “grain de fantaisie” un authentique exemplaire de la Gazette de France […]259 ». A partir de 1917, la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus, à l’époque fermé à l’année au public, devient l’objet de cérémonies ponctuelles à sa mémoire. La première a lieu le 4 juillet 1917, et c’est à cette occasion que le colonel Stanton prononce la si célèbre phrase « La Fayette nous voilà ». La manifestation est renouvelée en 1918. Mais, après le départ des troupes américaines, même si La Fayette est désormais l’incarnation même de l’amitié franco-américaine, la tombe de La Fayette est oubliée, et plus aucune manifestation à sa mémoire ne se déroule en France. La seule exception constitue le 18 mai 1934 dans le cadre des cérémonies du centenaire de la mort du marquis, où la Société des Fils de la Révolution américaine organise une manifestation sur la tombe du général La Fayette. La fin de la Seconde Guerre mondiale voit la remise au gout du jour de cette cérémonie à Picpus, dans un contexte de réaffirmation d’une amitié franco-américaine renouvelée avec l’intervention américaine. A partir de 1945, a lieu chaque année, le 4 juillet, une cérémonie à la mémoire de La Fayette sur sa tombe, en présence d’officiels de l’ambassade américaine, de descendants du marquis et d’admirateurs. 1946 est considérée, sous ce rapport, comme une année particulièrement fervente en la matière, puisque deux cérémonies à Picpus se tiennent durant l’année260. Le 20 mai, date anniversaire de la mort du héros des deux mondes, le Comité Français du Souvenir de La Fayette, présidé par Henry Kahn, le président de l’association des commerçants de la rue Saint-Honoré qui sera membre en 1957 du bureau du Comité National français du Bicentenaire, fait célébrer à Paris un office en l’Eglise de l’Assomption, où se déroulèrent les obsèques de La Fayette, suivi d’une revue militaire franco-américaine à proximité de sa statue au Carrousel. Le même jour, dans l’après-midi, un dépôt de gerbe est organisé au cimetière de Picpus. A la demande des autorités françaises, la Société des Amis Américains de Lafayette organise une deuxième cérémonie le 4 juillet à Picpus. Le Commander J. Bernett Nolan, son président, prend la parole et dépose une gerbe sur la tombe du général. Lui répondent Jefferson Caffery, Ambassadeur des Etats-Unis, le comte Xavier de Rochambeau et les représentants du gouvernement français. A partir de 1948, cette cérémonie, désormais habituelle, se déroule en présence de descendants du marquis, dont le plus en vue est le comte René de Chambrun, président des Fils de la Révolution américaine, chapitre français. Le 22 mai 1950, le Comité français du Souvenir de La Fayette d’Henry Kahn, qui s’est donné pour mission de commémorer chaque année le souvenir du héros des deux mondes, ème convie diverses personnalités à se retrouver pour deux cérémonies du 116 anniversaire de sa mort. La première permet à l’ambassadeur américain de remettre une gerbe au pied de la statue de La Fayette. Puis, l’assistance se déplace à l’Hôtel de Noailles où Henry Kahn

259 Pierre Gobion, « Le bicentenaire de La Fayette » dans Le Vieux Papier, 1957, tome 21, fasc. 181, pp. 439-440 260 OLIVIER Philippe, Bibliographie des travaux relatifs à Gilbert du Motier, Marquis de La Fayette et à Adrienne de Noailles, Clermont-Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1979, p. 67 VALLAURI Antoine - 2011 73 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

prononce une allocution261. Dans celle-ci, il rappelle la mission première de son comité, qui réside dans le rappel régulier à cette date anniversaire du souvenir de La Fayette. Il ajoute que la guerre n’a pas interrompu les commémorations qui ont perduré à New York où Kahn s’était exilé : « Les temps sombres de la dernière guerre ne nous ont pas empêché à New York de respecter cette tradition. » Kahn en vient à se remémorer l’époque où La Fayette vécut en ce lieu : « Cette vieille rue de Paris avait conquis ses lettres de noblesse. La Fayette connut cette atmosphère si parisienne. » Il achève son développement oratoire en insistant sur la reconnaissance qu’il est de bon ton d’adopter envers un La Fayette à l’origine d’une amitié « actuellement scellée par l’entente profonde qui unit nos grandes Républiques ». Le 4 juillet 1966 voit se réunir à Picpus Louis Joxe, ministre de la Réforme administrative, représentant le Premier ministre, René de Chambrun, le général Lyman L. Lemnitzer, commandant suprême des Forces Alliés en Europe ainsi que divers généraux et officiers supérieurs français. Le 4 juillet 1974, la traditionnelle cérémonie débute par un hommage à Washington et à Rochambeau. Se rassemblent à Picpus René de Chambrun, John Irwin II, Ambassadeur des Etats-Unis, l’Amiral Harold E. Shear, commandant la flotte américaine en Europe et des représentants du Président de la République, Premier ministre, Président du Sénat, Président de l’Assemblée Nationale et Président du Conseil municipal de Paris. Des manifestations franco-américaines semblables se tiennent les années suivantes, en présence en 1977 du général Alexander Haig262 et de l’épouse du Président de la République Valéry Giscard d’Estaing en 1978. La cérémonie de 1976 revêt un éclat particulier, puisqu’elle se déroule dans le cadre des manifestations du bicentenaire de l’Indépendance des Etats-Unis263. De nombreuses personnalités étaient présentes, parmi lesquelles l’ambassadeur des Etats-Unis Kenneth Rush, Jean François-Poncet, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, George Brown, commandant en chef des forces américaines, le général Méry, chef d’Etat-Major des Armées et Bernard Lafay, président du Conseil de Paris. Le comte René de Chambrun, descendant de La Fayette, prononça l’allocution principale, et évoqua le souvenir du héros, et les liens étroits d’amitié unissant la France et les Etats-Unis. ème Le 250 anniversaire de la mort de La Fayette est son dernier anniversaire emblématique solennellement commémoré à ce jour, si l’on fait exception des cérémonies annuelles de Picpus. Une grande cérémonie se déroule à Chavaniac le 6 septembre 2007, en présence de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, Craig Stappleton, l’ambassadeur des Etats-Unis, du biographe de La Fayette Gonzague Saint-Bris et de nombreuses personnalités françaises (dont des descendants de La Fayette), américaines et locales. A l’image des autres célébrations de la mémoire de La Fayette, cette cérémonie très solennelle est ouverte par une fanfare militaire jouant la Marseillaise et l’hymne national américain. Le souvenir militaire de La Fayette est souligné au cours de la cérémonie à travers le survol, par quatre Mirage de l’Escadron La Fayette basé à Luxeuil-les-Bains, du château de Chavaniac. Puis MM. Kouchner et Stappleton inaugurent une stèle en dalles de céramiques émaillées, représentant La Fayette et Washington, érigée à la mémoire

261 « Commémoration La Fayette », radio non déterminée, émission, diffusée le 22 mai 1950 (enregistrement écouté à l’Inathèque de France le 21 juillet 2011) 262 Le Figaro, 5 juillet 1977 263 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 297 74 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

du marquis264. Cette stèle rappelle noblement le rôle éminent joué par le héros des deux mondes dans la guerre d’indépendance américaine, rôle qui marqua le début de son combat pour la liberté: « Passage et alliance entre deux mondes, fenêtre ouverte sur l’aventure, elle évoque l’appel au large et à la liberté qui saisit le jeune seigneur de Chavaniac ». L’exaltation de son souvenir se voit rehaussée par le survol du château par la montgolfière à l’effigie de La Fayette créée à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française en 1989. Cette communion franco-américaine se traduit bien évidemment en discours qui encensent l’amitié réciproque entre les deux pays. Gonzague Saint-Bris en profite pour demander solennellement à Bernard Kouchner l’entrée de La Fayette au Panthéon : « Œuvrons tous ensembles pour qu’en 2007, La Fayette, champion de toutes les libertés, soit inscrit au Temple des grands hommes ». Kouchner lui répond qu’il va « porter cette idée au sommet de l’Etat ». Toutefois, ces commémorations officielles à caractère franco-américain, si elles furent riches en personnalités présentes, événements et symboles, n’ont pas réellement vu leur écho dépasser le cadre départemental. Il n’y a pas eu de traitement simultané de l’événement dans les grands quotidiens nationaux, à l’exception de La Croix, du Journal du Dimanche et de l’AFP. En outre, à part la traditionnelle cérémonie du 4 juillet à Picpus et la visite des maires des villes américaines portant le nom de La Fayette, aucun événement notable ne s’est tenu à Paris, à l’inverse de 1957. En réalité, hormis le cadre limité du ème département de la Haute-Loire, le 250 anniversaire de la naissance de La Fayette est passé plutôt inaperçu en France. Des quotidiens nationaux de référence tels que Le Monde et Le Figaro se sont contentés de traiter d’évoquer cet anniversaire à travers le prisme de la polémique déclenchée par la proposition de Gonzague Saint-Bris d’inscrire La Fayette au Panthéon et de la reconstruction de l’Hermione. Cela signifie-t-il un déclin de l’engouement suscité par la figure de La Fayette, alors que l’élection de Nicolas Sarkozy marqua en 2007 un nouvel élan donné à la relation transatlantique ? Le doute persiste. Il semble aussi que l’événement ait souffert de n’être qu’un cinquantenaire plutôt qu’un siècle plein, d’où l’impact beaucoup plus limité.

Chapitre 2 : Etude de cas : La manifestation des mémoires locales de La Fayette

2.1.Le cas emblématique de la Haute-Loire La Haute-Loire se situe à contre-exemple de l’opinion nationale concernant le marquis de La Fayette. Alors qu’au niveau national, sa figure n’évoque que très peu de souvenirs dans l’opinion publique, la grande majorité des Altiligériens ( habitants du département de la Haute-Loire) connaissent le personnage et l’estiment. Il y fait partie de l’imaginaire collectif. La Fayette est considéré comme un héros départemental, et tous les responsables publics départementaux ne manquent pas d’organiser des célébrations importantes à sa mémoire dans différentes occasions. Après sa mort, le souvenir de La Fayette reste vif dans le département. Le nom de famille et les grandes actions du général furent longtemps cités par les orateurs et les

264 L’Eveil de la Haute-Loire, 07 septembre 2007 VALLAURI Antoine - 2011 75 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

propagandistes républicains. En 1899, lorsque la commune de Langeac inaugure son hôtel de ville, le maire rappelle qu’en 1787, sa ville « avait reçu avec des transports de joie le promoteur de l’indépendance américaine qui représentait les principes libéraux »265. En 1903, un professeur de lettres du lycée du Puy fait, dans un discours à l’occasion d’une remise de Prix, l’éloge du général La Fayette qui avait tiré « dans l’amitié de Washington » deux idées fondamentales : « que la liberté doit être inscrite dans les mœurs autant que dans les lois » et que « la liberté ne se fonde que dans la légalité et par le sacrifice des ambitions personnelles »266. En 1904, la commune natale de La Fayette, Chavaniac, célèbre le 14 juillet à la manière des communes républicaines par « un banquet républicain » où le maire consacre en quasi-totalité un court discours à La Fayette, « homme intègre et libéral qui n’a pas craint de se mettre à la tête de la masse du peuple, que l’amour de la Patrie avait rendu farouche »267. En 1883, l’inauguration de la statue de La Fayette au Puy-en-Velay est vue au niveau local comme l’exaltation d’ « un des grands souvenirs historiques de notre ville »268. Rappelons que cette statue a été voulue par la municipalité qui souhaitait commémorer ce « personnage exceptionnel issu de notre région ». Le conseil municipal du Puy avalise la commande de la statue le 13 février 1882. L’érection du monument n’est pas uniquement le produit d’un processus local stricto sensu, car l’Etat a souhaité conférer à la statue un caractère national et républicain en apportant un important concours financier. Cette double volonté se reflète dans la cérémonie d’inauguration. Au niveau départemental, la statue mobilise largement en dehors du cadre municipal, puisqu’un arrêté préfectoral permet l’ouverture d’une souscription départementale. De même, toutes les communes de l’arrondissement de Brioude, « pays » d’origine de La Fayette, fournissent une contribution financière. Ces communes n’hésitent pas, elles aussi, à s’associer à la célébration de la mémoire du général La Fayette par leur apport financier269, tant son personnage est ancré dans leur histoire respective. L’organisation de la cérémonie d’inauguration est également jugée, au niveau municipal, d’une grande importance. Dès le début du mois de juillet 1883, un comité d’organisation est mis en place, afin d’assurer le succès d’un événement qui se doit d’être solennel. Au sein de ce comité, des commissions sont mises en place et chargées de la décoration de la ville ainsi que de la mobilisation des sociétés musicales du département ; d’autres commissions s’occupent de l’organisation du banquet et de l’inauguration du square où va être placée la statue… La cérémonie du 06 septembre 1883 s’avère effectivement solennelle. La ville du Puy a organisé cet événement en grande pompe, elle « qui n’avait connu pareille fête » depuis l’érection d’une statue de Notre-Dame-de-France en 1860. Les monuments sont richement décorés et les rues pavoisées des couleurs françaises et américaines. Le discours d’ouverture du maire du Puy retentit comme l’appel du local au national, comme l’expression d’une gratitude envers les autorités nationales d’avoir conféré à la cérémonie un caractère national pour un projet procédant initialement d’une volonté uniquement locale. S’adressant à Waldeck-Rousseau, le maire du Puy affirme : « M. le ministre, au nom de la 265 La Haute-Loire, 30 octobre 1899 266 La Haute-Loire, 20 juillet 1903 267 La Haute-Loire, 21 juillet 1904 268 La Haute-Loire, 08 septembre 1883 269 Lettre de M. Jourdaux, maire de Langeac à M. le maire du Puy, reprise dans Le Jacquemart, Bulletin de liaison de e l’association culturelle Le Jacquemart, Arts et traditions en Langeadois, Numéro spécial, 2007, N° 28, « 1757-2007 250 anniversaire de la naissance du général Lafayette » 76 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Ville du Puy, au nom du conseil municipal tout entier voué aux institutions républicaines, je viens vous souhaiter la bienvenue et vous remercier de l’honneur que vous nous faites en rehaussant par votre présence l’éclat de cette solennité ». Il ajoute : « Depuis longtemps, nous n’avions eu un pareil honneur, perdus pour ainsi dire et comme oubliés au milieu de nos montagnes ». On sent là la fierté locale de la présence d’un membre éminent du gouvernement à l’hommage rendu à un héros local et national. Dans les différents discours, les personnalités départementales mettent l’accent sur l’importance des origines locales du héros. De fait, M. Maigne, député de la Haute-Loire, rappelle le souvenir « de l’illustre enfant du département ». Le docteur Morel, maire du Puy à l’époque de la décision d’élévation de la statue, et Président du Comité d’érection de la statue, remercie la population « qui est venue rendre hommage à un de ses enfants les plus illustres ». Le sénateur Vissaguet glorifie les racines locales du personnage et sa relation privilégiée avec le département : « Le nom que portait La Fayette […] appartient également aux fastes de l’Auvergne et du Velay ; lui-même a présidé à la création du département et a signé cette première carte de la Haute-Loire […] A toutes les grandes dates de sa vie, […] il a voulu revenir parmi nous et même adresser au Conseil général de ce département le seul compte public qu’il ait jamais, dit-il, rendu de sa conduite ». L’hommage à La Fayette n’est pas qu’officiel, il intéresse aussi les populations locales à travers l’appel aux sociétés musicales et le défilé des sapeurs-pompiers du Puy et des délégations des divers corps de métiers avec leur bannière. La cérémonie est aussi l’occasion de promouvoir auprès des responsables nationaux les réussites économiques du département ; Théodore Paul, Président de la Chambre syndicale des dentelles offre à Waldeck-Rousseau un objet en dentelles et lui demande d’accepter « un souvenir du passage au Puy et de la fête patriotique ». Il ajoute : « L’écusson en dentelles que je vous remets est un produit de l’industrie dont la Haute-Loire s’enorgueillit à juste titre ». Ainsi, l’inauguration de la statue de La Fayette, grande fête patriotique, nationale et démocratique, permet d’assurer la promotion du département de la Haute-Loire, de son histoire et de ses savoir-faire, ainsi que de la ville du Puy auprès des autorités nationales. L’idée sous-jacente de l’inauguration comme lien entre la Haute-Loire et l’échelon national est illustrée aussi par le rôle joué par le préfet de la Haute-Loire. Le journal La Haute-Loire lui rend à cet égard hommage : « M. le préfet de la Haute-Loire a été l’âme de notre fête. Il s’est multiplié, il a fait preuve d’un dévouement que nous avons constaté à chaque heure et c’est bien à lui que revenait, non seulement par ses hautes fonctions, mais encore par l’unanime accord de tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre, l’honneur de porter le premier toast »270. Au début du XXème siècle, l’image de La Fayette, les conséquences de sa popularité n’atteignent que marginalement le département de la Haute-Loire, qui reste toutefois un héros local. Son prestige demeure avec l’incarnation de son souvenir dans le château de Chavaniac. Celui-ci, mis en vente en 1917 par des descendants du marquis, fait l’objet d’un rachat par des fonds américains. Un Mémorial Lafayette y est installé, dirigé par le nouveau propriétaire du château, l’homme d’affaires John Moffat, et œuvre à rendre vivant le souvenir du héros des deux mondes, en liaison avec les Etats-Unis. Puis, pour reprendre l’expression de Martin de Framond, « les péripéties politiques font à nouveau surgir la figure [intrinsèque] de La Fayette »271, auprès des populations locales, dont le souvenir du marquis se voit rehaussé même s’il n’avait pas vraiment disparu. En août 1917, le Conseil municipal de Brioude formule la demande que sa ville s’appelle désormais Brioude-La Fayette. La délibération indiquait que « par son origine, sa famille,

270 La Haute-Loire, 08 septembre 1883 271 Martin de Framond, in « Exposition Lafayette chemins de vie », Petit Journal, Conseil général de la Haute-Loire, 30 juin au 10 septembre 2007 VALLAURI Antoine - 2011 77 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

ses attaches, le nom de La Fayette appartient plutôt à l’arrondissement de Brioude qu’à l’arrondissement du Puy »272. En 1918, le Conseil général de Haute-Loire se contente d’émettre un avis défavorable à la requête brivadoise273. En septembre 1919, la ville du Puy met une nouvelle fois La Fayette à l’honneur, en organisant un double hommage au marquis et au général Fayolle, natif du Puy qui s’illustra dans la Grande Guerre274. La Haute-Loire, qui dédie un numéro spécial à l’événement, parle des « deux illustres enfants de la Petite Patrie, La Fayette et le général Fayolle, qui tous deux, l’un par le souvenir, l’autre par ses actes, comptent parmi les principaux artisans de la Victoire »275. Le journal estime alors que La Fayette est toujours actuel : « La Fayette ! C’est l’évocation du passé, c’est aussi le présent ». En 1934, la célébration du centenaire de la mort du général La Fayette ne se traduit pas par des manifestations grandioses et fastes. Le Conseil général, par souci d’économie, refuse d’organiser les fêtes du Centenaire276, prouvant par-là qu’il ne revendique pas, en 1934, La Fayette avec la même ferveur que les communes. Une cérémonie se déroule malgré tout, rassemblant le maire et le conseil municipal du Puy, le préfet de la Haute-Loire et Pagès, le président du Conseil général, malgré le refus de son assemblée de s’associer aux fêtes. Le conseil municipal, précédé des écoles, des sociétés d’anciens combattants et des sociétés sportives, ainsi que de l’harmonie du Velay, se rend en cortège, avec le préfet et les autorités civiles et militaires, devant la statue du général277. A l’issue des hymnes français et américain, un dépôt de gerbe est effectué au nom du Conseil général, du Conseil municipal, et de l’association des anciens prisonniers de guerre. La commémoration du centenaire de la mort de La Fayette en Haute-Loire se résume donc en une manifestation locale, à un hommage modeste mais « sincère »278. Il est à noter que les responsables nationaux et les autorités américaines s’appliquent au même moment à donner un éclat particulier aux cérémonies ayant lieu à Paris, ce qui rend la cérémonie du Puy peu visible en dehors du cadre départemental. En outre, si les personnalités locales se devaient d’honorer la mémoire d’un héros local à l’occasion du centenaire de sa mort, ce n’est pas tant la fin de sa vie qui intéresse en Haute-Loire. Il est mort à Paris, il est donc logique que l’attention soit tournée sur des cérémonies parisiennes. Nous pouvons comprendre ainsi le refus du Conseil général d’organiser les commémorations du centenaire. L’année 1939 permet à la mémoire de La Fayette de retrouver de sa vigueur en Haute- ème Loire à travers le 150 anniversaire de la Révolution française. A l’inverse de 1934, le Conseil général est à l’initiative des manifestations. Il est décidé, lors de la séance du 26 avril 1939, de procéder à la commémoration solennelle de cet anniversaire, en honorant particulièrement dans cette manifestation la mémoire d’une « gloire locale »279,

272 La Haute-Loire, 28 août 1917 273 La Haute-Loire, 28 avril 1918 274 Le général Fayolle se voit décerner le titre de Maréchal de France le 19 février 1921 275 La Haute-Loire, 08 septembre 1919, numéro spécial 276 Arch. Dép. 43, fonds 1 N 136 : Procès-Verbal des délibérations du Conseil général, 25 avril 1934. Cf. Annexe 9 277 Journal des débats, 22 mai 1934 278 La Haute-Loire, 22-23 mai 1934 279 Arch. Dép. 43, fonds 1 N 136 : Procès-Verbal Conseil général Haute-Loire de la séance du 26 avril 1939 Cf. Annexe 10 78 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

« dans un sentiment d’unité et de solidarité nationale »280. Les célébrations se déroulent le 14 juillet 1939 en trois temps. Le Conseil Général y a convié l’ensemble des maires du département ; ce rassemblement des représentants des communes symbolise « l’unité morale de la nation réalisée il y a cent cinquante ans »281. Témoignent aussi de leurs présences aux festivités M. de Chambrun, ambassadeur de France, descendant de La Fayette et représentant du Ministre des Affaires étrangères, ainsi que l’attaché naval de l’Ambassade des Etats-Unis en France, représentant l’ambassadeur américain. L’ensemble des cérémonies est placé sous leur double patronage. Par conséquent, ces manifestations, essentiellement locales, se voient décerner un caractère national et franco-américain. D’après La Haute-Loire, cette double présence « a donné à cette commémoration un éclat particulier et une signification profonde ». Assistent également aux manifestations toutes les personnalités départementales ainsi que M. de Pusy de La Fayette, autre descendant de La Fayette, représentant la famille, M. de Chambrun représentant le ministre. Le premier temps des cérémonies correspond à une réception à la préfecture de la Haute-Loire. Elle est marquée par le discours d’Alexandre Boyer, le président du Conseil général, qui exprime sa « cordiale bienvenue aux hôtes éminents du département ». Il explique que l’ensemble de ces cérémonies locales « répondront aux sentiments du vif intérêt que le gouvernement de la République et M. l’ambassadeur des Etats-Unis ont manifesté pour notre pays, en vous envoyant ici parmi nous ». Ainsi, d’une manière analogue à l’inauguration de la statue de La Fayette en 1883, quoique dans une moindre mesure, cette journée au Puy est un moyen de faire le lien entre le département et l’échelon national, et d’offrir encore une nouvelle preuve de l’amitié franco-américaine autour du souvenir de La Fayette. Nous pouvons également observer, derrière ce rassemblement de l’ensemble des maires de la Haute-Loire, une cohésion officielle forte entre tous les responsables départementaux (Conseil général, préfet, maires). Cette affirmation se ressent dans un hommage appuyé rendu dans son discours à l’administration préfectorale par Alexandre Boyer. A l’issue de la réception, le cortège se rend à la statue de La Fayette, précédé d’un défilé « des batteries sportives de l’Union Sportive du Velay, de l’Amicale Saint-Michel, de l’Harmonie du Velay ». Les populations ne sont par conséquent pas oubliées des cérémonies. A travers le défilé « populaire », une autre cohésion particulière est recherchée : Auguste Rivet, qui consacre dans l’Eveil de la Haute Loire du 10 août 2007 un article au souvenir historique de ces ème manifestations du 150 anniversaire de la Révolution autour de la statue de La Fayette, constate : « Ce qui est remarquable, c’est que d’après le compte-rendu, ces cérémonies associèrent l’Union sportive du Velay laïque et républicaine et l’Amicale Saint Michel, ouvertement et fermement catholique »282. Ce qui aujourd’hui paraîtrait sans importance, n’était pas anodin en 1939. Autour de la statue, après l’exécution d’une marche militaire par les harmonies locales, l’hommage à La Fayette s’exerce par le dépôt de deux gerbes de fleurs offertes par George Bonnet, ministre des Affaires étrangères et William Bullit, ambassadeur des Etats-Unis. Comme en 1883, les discours insistent sur les origines locales de La Fayette. Pour Pebellier, député-maire du Puy, « C’est avec fierté que le Velay compte La Fayette au nombre de ses enfants ». Laurent Eynac, ancien ministre, parle du général comme « ce fils des confins d’Auvergne et du Velay dont les origines et les racines plongent profondément à même notre terre de la Haute-Loire ». M. de Pusy La Fayette évoque « l’impérissable souvenir que le général de La Fayette a laissé dans la Haute-Loire ». M. de

280 Discours d’Alexandre Boyer, Président du Conseil général, à la cérémonie du 14 juillet 1939 au Puy, La Haute-Loire, 16-17 juillet 1939 281 Ibid. 282 L’Eveil de la Haute-Loire, 10 août 2007 VALLAURI Antoine - 2011 79 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Chambrun énonce, lui, sa réjouissance de se trouver là parmi les « enfants de l’Auvergne volcanique et du Velay industrieux, qui ont une mémoire fidèle, une volonté tenace, une constance inébranlable. Ces qualités françaises de votre race dont je me flatte d’avoir un peu de sang dans ses veines […] ». Les cérémonies s’achèvent par un banquet commémoratif à l’Hôtel de Ville offert par le Conseil général de la Haute-Loire aux maires du département, sous la présidence de M. de Chambrun. A l’issue des manifestations, la presse locale, ème dans le compte-rendu qu’elle fait de cette journée, affirme que la célébration du 150 anniversaire de la Révolution française et de la mémoire de La Fayette laissera une trace durable dans le département : « La Haute-Loire a su avec ferveur, dans l’union des cœurs, célébrer un grand anniversaire. Cette fête marquera dans les annales de la petite patrie »283. La mémoire de La Fayette est rehaussée encore davantage en Haute-Loire à travers l’action héroïque des résistants pendant la Seconde guerre mondiale. Au début de l’année 1943, la ville du Puy est envahie par les forces de la Wehrmacht. Les responsables allemands décident d’ôter la statue de son socle et souhaitent la faire fondre pour fabriquer des armes. Cette décision provoque beaucoup d’émoi dans la ville. La Voix républicaine de la Haute-Loire du 3-4 décembre 1945 se remémore les réactions de la population : « On se souvient encore de l’émotion causée par ce sacrilège des barbares germains et de la rage qu’éprouvèrent alors nos concitoyens impuissants »284. Dans la nuit du 22 au 23 décembre, un groupe de soixante-dix résistants parviennent à enlever la statue des jardins de la préfecture pour la transporter dans une bergerie à onze kilomètres au sud du Puy285. D’aucuns résument alors parfaitement cet enlèvement sous cette dénomination qui perdurera : « La Statue a pris le maquis ». La statue de La Fayette est secrètement enfouie et reste cachée durant deux ans. Cette opération trouve alors un retentissement auprès de la résistance nationale, puisqu’elle est citée peu après par la BBC, en la personne de Maurice Schumann dans l’émission « Honneur et Patrie » : « Patriotes de la Haute-Loire, il faut que vous le sachiez, les échos de votre exploit ont retenti jusqu’au-delà de l’Atlantique »286. Le groupe de résistants se fait alors appeler le « groupe ou bataillon Lafayette ». A la Libération, la statue de La Fayette constitue un médiateur pour exalter le patriotisme au niveau local. La Voix républicaine de la Haute-Loire du 3-4 décembre 1945 titre son édition spéciale consacrée au retour de la statue, « Une statue que les boches n’ont pas eu ». La statue du « premier résistant de France » est remise sur son socle le 2 décembre 1945, au cours d’une cérémonie patriotique informelle qui rassemble six mille manifestants enthousiastes. Il s’agit d’un « cérémonial à la hauteur de l’héroïsme du libérateur de l’Amérique et des sauveurs de son symbole ». Le 17 décembre 1988, une plaque est apposée au bas du socle de la statue portant l’effigie de La Fayette, rappelant l’exploit des résistants287. Cette opération est régulièrement rappelée dans la presse locale, à l’occasion du bicentenaire de 288 ème la naissance du général en 1957 ainsi qu’en 2007, pour son 250 anniversaire.

283 La Haute-Loire, 16-17 juillet 1939 284 La Voix républicaine de la Haute-Loire, 3-4 décembre 1945 285 Le Jacquemart, Bulletin de liaison de l’association culturelle Le Jacquemart, Arts et traditions en Langeadois, Numéro e spécial, 2007, N° 28, « 1757-2007 250 anniversaire de la naissance du général Lafayette », p. 54 286 Cité par Jean-Luc Barré, dans « Exposition Lafayette chemins de vie », Petit Journal, Conseil général de la Haute-Loire, 30 juin au 10 septembre 2007 287 L’Eveil de la Haute-Loire, 10 janvier 2001 288 L’Eveil de la Haute-Loire, 07 septembre 1957 80 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

A la Libération, La Fayette semble tiré dans tous les sens289 : un communiste lui consacre une conférence et l’ancien député socialiste Maurice Thiolas, devenu pétainiste puis poujadiste, le range parmi les ennemis de la IVème République290. En 1957, la Haute-Loire occupe une place de choix dans les célébrations du bicentenaire de la naissance du général La Fayette. En outre, les acteurs du département sont fortement impliqués dans la préparation des manifestations. L’organisation du bicentenaire procède à l’origine d’une initiative de trois Auvergnats, dont Raymond Julien- Pagès, Président de l’Office du Tourisme du Puy-en-Velay qui entreprend les démarches dès 1955. Après l’installation d’un Comité National français du Bicentenaire, sous la présidence de Jean Marie, Président de la Compagnie Générale Transatlantique, des comités départementaux sont mis en place dans les départements auvergnats. Raymond Julien-Pagès se voit confier La Présidence du Comité départemental du bicentenaire en Haute-Loire, et fait office de représentant de l’Auvergne au Comité National. Le Préfet de la Haute-Loire est membre du Comité de patronage du Comité National français du Bicentenaire. D’éminentes personnalités départementales sont sollicitées pour faire partie du comité départemental. Dès le mois de juin 1956, John Moffat, le propriétaire du château de Chavaniac et président du Lafayette Memorial, est sollicité par Jean Marie pour prendre part au comité du bicentenaire en Haute-Loire, au nom de l’ « influence et l’autorité qui s’attache à [son] nom dans la région »291. Au final, ce sera M. Durand, président du « La Fayette preventorium », et président du syndicat d’initiative de Chavaniac-Lafayette, qui représentera M. Moffat au comité. Des réunions se tiennent à la préfecture de Haute- Loire afin d’accompagner les travaux du comité départemental. Le compte-rendu d’une réunion organisée le 12 juin 1957292 atteste de plusieurs points : le Conseil général de la Haute-Loire a octroyé une importante contribution financière (3 millions de Francs) pour le financement des journées La Fayette en Haute-Loire des 6, 7 et 8 septembre 1957, ainsi qu’à la Fédération des syndicats d’initiative du département dans le but de promouvoir l’Année La Fayette. Il ressort donc que, derrière les cérémonies du bicentenaire en Haute- Loire, la volonté ne réside pas seulement dans la célébration d’un grand anniversaire, mais aussi qu’elle serve la cause du tourisme dans le département, grâce aux visites effectuées à cette occasion. Raymond Julien-Pagès exprime, dans une lettre à M. Durand en date du 12 janvier 1957, son espoir que les manifestations du bicentenaire en Haute- Loire rejailliront « d’abord sur notre région mais aussi sur la belle œuvre à laquelle vous vous attachez avec tant de dévouements »293. De plus, ce compte-rendu témoigne de l’institutionnalisation de l’organisation du bicentenaire, à l’image de ce qui se passe au niveau national. L’organisation des journées de septembre 1957 en Haute-Loire s’effectue en collaboration entre le Comité départemental et le Comité National. Enfin, on note une volonté au niveau départemental de mettre en place également des manifestations populaires locales, indépendantes des journées officielles. La première journée du bicentenaire en Haute-Loire, le 6 septembre 1957, se compose d’une réception officielle à la préfecture du Puy puis d’un dîner offert par la municipalité. Outre les personnalités nationales et américaines, tous les responsables 289 L’Eveil de la Haute-Loire, 12 juin 1976, Article d’Auguste Rivet, « Les La Fayette et la Haute-Loire au XIXe et XXe siècles » 290 La Voie républicaine de la Haute-Loire, 21 mars 1947 et La Ruche, 05 août 1950 291 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 293 : lettre de Jean Marie à John Moffat, en date du 28 juin 1956 292 L’Eveil de la Haute-Loire, 13 juin 1957, « Un “comité d’action” a été désigné pour coordonner les manifestations du bi- centenaire La Fayette » 293 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 293 : lettre de Raymond Julien-Pagès à M. Durand, en date du 12 janvier 1957 VALLAURI Antoine - 2011 81 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

publics départementaux sont présents. Au cours du banquet, parmi les discours des nombreuses personnalités officielles présentes, Raymond Julien-Pagès rappelle la naissance de La Fayette à Chavaniac et « vante les charmes de notre pays ». Pebellier, le maire du Puy, indique sa fierté que La Fayette soit originaire de Haute-Loire. Il profite de l’occasion pour s’adresser aux maires américains présents et signer un jumelage entre le Puy et la ville de Lafayette dans l’Indiana, qu’il qualifie du « témoignage permanent de cette association fraternelle ». Derrière ce jumelage, la figure de La Fayette est sous-jacente, et devient un objet culturel, voire touristique. Ce dîner et le discours du maire du Puy illustrent la forte implication de la municipalité du Puy dans le bicentenaire d’un « héros légendaire local ». Au cours du même banquet, Abraham Spanel, le milliardaire américain francophile, se voit conférer la qualité de « citoyen d’honneur » de la ville du Puy. Ces réjouissances officielles s’accompagnent, le même jour, de manifestations populaires et folkloriques, avec un grand défilé historique à travers les rues du Puy et des danses traditionnelles locales. Toutefois, la presse locale estime que « les cérémonies qui se sont déroulées au Puy auraient sans doute gagné à être plus populaires encore, nos concitoyens n’ayant vraiment été associés aux manifestations qu’en fin de journée, massés sur le parcours du cortège historique »294. Le 7 septembre représente la journée phare de Chavaniac. Au niveau officiel, le maire de Chavaniac s’attache à déposer une gerbe au monument La Fayette, situé dans le village. Une reconstitution historique dans la cour du château donne un trait populaire à des cérémonies très solennelles et officielles. La journée du 8 septembre est l’exclusivement locale, avec des « grandes fêtes folkloriques populaires ». La dimension culturelle du bicentenaire de la naissance de La Fayette en Haute-Loire n’est pas écartée, avec l’organisation de deux expositions La Fayette, l’une organisée au Puy-en-Velay par les conservateurs des Archives départementales de la Haute-Loire, de la Bibliothèque municipale et du Musée Crozatier du Puy (juillet-septembre 1957), l’autre à er 295 Langeac, intitulée « Exposition La Fayette-Washington » (14 juillet-1 octobre 1957) . En Haute-Loire, de nombreuses occasions sont mises à profit pour saluer la mémoire du héros des deux mondes. Il lui est rendu gloire lors de célébrations qui ne sont pas stricto sensu connexes à ses anniversaires. Le personnage de La Fayette constitue le meilleur truchement pour le département aux fins de célébrer le bicentenaire de l’Indépendance américaine en 1976. La genèse des manifestations locales intervient par le biais administratif. Au cours d’une réunion des chefs de services départementaux et des responsables d’associations ou de sociétés, se déroulant le 8 mars 1976 sous la présidence du préfet de Haute-Loire Max Lavigne, celui-ci fit part à ses interlocuteurs des importantes manifestations devant se tenir dans l’année en France et aux Etats-Unis dans le cadre du bicentenaire de l’Indépendance américaine. Différents protagonistes de la réunion, et particulièrement Raymond Julien-Pagès, l’ancien président du Comité départemental La Fayette en 1957, à l’époque président du La Fayette Memorial à Chavaniac, y virent un intérêt pour la Haute-Loire. Mettant en exergue la situation privilégiée du département, ils ne se firent pas désirer pour montrer que ce dernier se devait de profiter de cette circonstance. Il y avait là matière à développer une meilleure connaissance des terres altiligériennes, « en organisant ces fêtes avec un éclat particulier »296. Un comité départemental est installé,

294 L’Eveil de la Haute-Loire, 08 septembre 1957 295 er Exposition Langeac. La Fayette-Washington, Hôtel de Ville, du 14 juillet au 1 octobre 1957. Catalogue 296 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 297 : Rapport de Michel Cambon sur le bilan des commémorations locales du bicentenaire de l’Indépendance américaine, Comité d’Organisation ces cérémonies du Bicentenaire, Commémoration Lafayette, daté du 05 octobre 1976 82 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

sous la présidence de François Gibert. Il est décidé de mettre en place des cérémonies commémoratives, tournant autour du souvenir du général La Fayette. L’ouverture de l’année du bicentenaire en Haute-Loire s’effectue le 10 mai 1976 avec une réception par le maire du Puy du Consul général des Etats-Unis à Lyon, M. Verschuur, devant un drapeau américain de 1917. S’adressant au Conseil, le maire M. Quincieu rappelle à son hôte que c’est celui-ci qui a souhaité que la première manifestation ait lieu au Puy dans une double volonté : « associer notre province aux fêtes du bicentenaire ; apporter votre témoignage de reconnaissance à La Fayette […] »297. Les deux événements les plus marquants se tiennent le 4 juillet et le 6 septembre 1976. L’organisation du 4 juillet mobilise les sommités départementales. L’enjeu est jugé important pour le département. Il convient donc de rendre les festivités les plus visibles possibles à l’échelle locale. Il est donc pertinent pour nous d’entendre en ce sens la rencontre à laquelle les membres du comité d’organisation, dont François Gibert, et Raymond Julien- Pagès, convient les représentants de la presse locale et régionale298 le 30 juin 1976. Il est impératif pour le département d’assurer avec ces cérémonies : « La Haute-Loire, sa terre de vie, […] ne pouvait pas ne pas mettre beaucoup d’éclat et de drapeaux autour de cette fête qui symbolise, à plus d’un titre, la liberté »299. Cette phrase journalistique pourrait nous donner à penser que cette nécessité relève d’une obligation morale, comme si chaque lieu français de mémoire de La Fayette était tenu de s’associer à toutes les commémorations le touchant même de loin. Si cette motivation est en partie véridique, car La Fayette, le héros local, est aussi LE symbole de l’amitié franco-américaine, l’objectif premier reste avant tout d’accroître la visibilité du département. Pourtant, la manifestation du 4 juillet doit demeurer, suivant le souhait du préfet Lavigne, dans un cadre purement départemental. Les grandes solennités franco-américaines seront pour septembre. La cérémonie du 4 juillet est prioritairement une cérémonie populaire permettant d’attirer de nombreux visiteurs. L’accueil est prévu en conséquence, avec des attractions de tous les instants. D’où le « Village de la liberté », immense chapiteau servant de vitrine « de la Haute- Loire dans tout ce qu’elle a de bon et de pittoresque aux niveaux commercial, artisanal, industriel, touristique et culturel ». Cependant, la cérémonie conserve une dominante fastueuse exceptionnelle, d’après les ressentis de la presse locale. D’après La Montagne, « Chavaniac-Lafayette, terre natale du célèbre général, a honoré sa réputation de haut- lieu de l’amitié franco-américaine »300. Chavaniac reçoit ce jour le Secrétaire d’Etat au logement, Jacques Barrot, élu du département, et M. Larke, attaché culturel au consulat des Etats-Unis à Lyon. Cette faible représentation américaine pourrait tendre à infirmer l’opinion de La Montagne, mais on comprend aisément l’unique présence d’un attaché culturel par le déroulement simultané de grandes festivités dans la capitale ainsi qu’à Lyon. Après l’arrivée de Jacques Barrot et du préfet de la Haute-Loire, accueillis devant le château ème natal du marquis de La Fayette par les personnalités et la musique du 92 régiment d’infanterie, puis l’envoi des couleurs françaises et américaines, l’assistance se dirige vers le fond du jardin pour l’inauguration d’une stèle portant les effigies de La Fayette et de Washington. Jacques Barrot dévoile la stèle, puis s’en suit le retentissement des hymnes français et américains, et une proclamation quintessentielle de la pensée de La Fayette sur

297 L’Eveil de la Haute-Loire, 12-13 avril 1976, Article, « Devant un drapeau américain : échange de paroles d’amitié en mairie » 298 er L’Eveil de la Haute-Loire, 1 juillet 1976 299 Ibid. 300 La Montagne, 05 juillet 1976 VALLAURI Antoine - 2011 83 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

la liberté301. Cette stèle représente la caution franco-américaine de la cérémonie. Plusieurs allocutions prennent le relais. De ces dernières, nous pouvons retenir celle du préfet Max Lavigne, qui réitère le devoir –moral ou pragmatique ?- de la Haute-Loire de procéder noblement à cet hommage à La Fayette : « Dans le concert des célébrations du bicentenaire de l’Indépendance des Etats-Unis, la Haute-Loire, berceau du marquis de La Fayette, se devait d’apporter une note éclatante »302. Il évoque les efforts entrepris par tous les hauts lieux portant la marque du « héros-gentilhomme auvergnat » pour « faire revivre l’esprit de 1776, celui de l’honneur, du service, du désintéressement ». François Gibert se fait le véritable avocat du département et de Chavaniac, rappelant dans un premier temps l’enfance de La Fayette au pays, pour mieux ensuite mettre l’accent sur l’objectif affiché de ces commémorations : « Nous espérons que tout au long de cet été, Chavaniac-Lafayette et son château […] recevra un grand nombre de visiteurs et en particulier des visiteurs américains ». Gibert explique qu’il a eu l’impression, lors d’un voyage aux Etats-Unis, que le département de la Haute-Loire, jouissait, à travers La Fayette, d’un réel prestige là- bas. Cela rend donc légitime pour lui l’association locale aux souvenirs américains par ces célébrations. En outre, la légitimité de Chavaniac pour celles-ci tient, outre La Fayette, de ce qu’il s’agit d’un haut lieu de l’amitié américaine : la transformation du château en Mémorial et orphelinat de guerre est partie d’une volonté américaine. La cérémonie de Chavaniac du 6 septembre 1976 se veut davantage solennelle, avec la présence de nombreuses hautes personnalités françaises et américaines. Elle scelle la part fondamentale jouée par La Fayette dans la lutte pour l’indépendance américaine. Déjà, s’était tenue deux jours plus tôt une grande journée d’amitié rotarienne au château, honorée de la présence de « nombreux gouverneurs et personnalités rotariennes »303. Cette journée rotarienne contribue ainsi à célébrer la mémoire du marquis. Le 6 septembre, la solennité du moment est mise en avant par des signes symboliques : les véhicules officiels de l’assistance sont ceins de la cocarde tricolore304. Le faste de la cérémonie s’exprime par cette présence de hautes personnalités des deux pays, qui témoignent de leur attachement à la figure de La Fayette. Elle s’accomplit sous la double présidence de Christian Taittinger, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, et de Kenneth Rush, l’Ambassadeur des Etats-Unis en France. Outre cette coprésidence génératrice d’officialité franco-américaine, l’hommage à La Fayette est grandi par la participation d’un deuxième membre du gouvernement, en l’occurrence Jacques Barrot, de M. de Folin, ministre plénipotentiaire chargé des Affaires d’Amérique au ministère des Affaires étrangères, représentant Hervé Alphand, président du comité du bicentenaire, et ambassadeur en fonction à Washington au moment du bicentenaire de la naissance de La Fayette en 1957. Encore plus notable est la venue d’un membre de l’Administration Johnson, M. Anderson, le secrétaire américain à l’information305. On observe aussi la venue de nombreux membres du Comité France-Amérique, de Kenny Bowen, maire de la ville de Lafayette en Louisiane, et du comte René de Chambrun, membre de la famille de La Fayette et propriétaire du château de La Grange, qui avoue à la surprise générale se rendre pour la première fois à Chavaniac. Il devait rappeler quelques souvenirs, qualifiés d’ « inédits » sur la vie du général. Mais à trop se mouvoir en faste et solennité franco-américaine, la cérémonie en perd son aspect local,

301 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 297 Cf. Annexe 11 302 L’Eveil de la Haute-Loire, 05 juillet 1976 303 Ibid. 304 L’Espoir, 07 septembre 1976 305 L’Eveil, 06 septembre 1976 84 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

à l’inverse de celle du 4 juillet. Mais, dans le même temps, la conversion de la cérémonie en grandiose manifestation de l’amitié franco-américaine rend évident l’accomplissement des objectifs initiaux fixés par les organisateurs départementaux. Sur les considérations locales, retenons simplement les propos de François Gibert lors de la manifestation, qui résument clairement la réussite de l’objectif affiché : « Le succès le plus doux au cœur de M. Gibert ? Celui d’avoir fait connaître la Haute-Loire à ceux qui l’ignoraient ou la connaissaient mal. »306. La réussite ne trompe pas : Raymond Julien-Pagès, le président du La Fayette Memorial de Chavaniac, qui dépasse le cadre local dans son discours en mettant en avant l’ouverture du château aux relations franco-américaines, se voit remettre par Mlle de Randia, déléguée de l’organisation des « Vieilles maisons de France », une coupe « le remerciant de son action en faveur du rayonnement culturel national et international de la France ». Notons aussi la présence populaire à cette cérémonie du 6 septembre, avec une reconstitution du marquis et de sa famille, et des manifestations folkloriques à l’issue du départ des personnalités officielles. La mise en valeur du souvenir de La Fayette à l’échelon local, dans le cadre du bicentenaire de l’Indépendance américaine, est également perceptible à travers l’organisation d’expositions le concernant, sous le patronage du préfet et du comité départemental. Le Puy-en-Velay consacre ainsi une exposition aux « Compagnons de La Fayette », tandis que la mairie de Brioude s’intéresse à « La Fayette et son temps ». Cette dernière exposition détient une valeur éducative autour de La Fayette car le lycée de Brioude la co-organise. Sur le plan intellectuel et historiographique, signalons enfin la tenue d’un colloque « La Fayette » à Chavaniac les 28 et 30 mai 1976, réunissant plusieurs spécialistes français et américains du général. Le général de La Fayette représente le personnage central des commémorations du bicentenaire de La Révolution française en Haute-Loire en 1989. La volonté, affichée au niveau départemental quant aux célébrations du Bicentenaire, est que « L’esprit du Bicentenaire de la Révolution française en Haute-Loire soit sans parti-pris et sans polémique. En Haute-Loire nous ne nous querellons pas autour de la Révolution et de la Contre-révolution. […] Nous prendrons la Révolution telle qu’elle a été chez nous, avec ses grandeurs et ses cruautés, ses partisans et ses adversaires, ses mérites et ses excès307. » L’orientation est promptement fixée et la figure de La Fayette apparaît comme la solution toute trouvée pour ce département qui l’a vu naître. Un Comité départemental d’organisation du Bicentenaire est constitué, sous la férule de l’universitaire local Auguste Rivet. Un Comité d’honneur est établi, sous la co-présidence de Pierre Breuil, préfet de la Haute-Loire, et de Jacques Barrot, ancien ministre, président du Conseil général. Le comité d’honneur regroupe les maires des principales communes du département, plusieurs parlementaires, plusieurs responsables départementaux, ainsi que François Gibert, président du Mémorial La Fayette de Chavaniac (ancien président du comité départemental du bicentenaire de l’Indépendance américaine en 1976) et le comte de Pusy La Fayette, descendant du marquis, et président du comité français du souvenir de La Fayette308. La place accordée à ses deux dernières personnes est un signe qui ne trompe pas : elle témoigne de la volonté d’accorder à la figure de La Fayette une place de choix dans les manifestations locales du Bicentenaire de la Révolution. Jacques Barrot le suggère dans sa préface du programme des manifestations locales du Bicentenaire : « Vivons ces riches heures de 306 L’Eveil, 08 septembre 1976 307 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 298 : Note d’information sur le sens de la commémoration de la Révolution française en Haute- Loire, rédigée par Auguste Rivet, président du comité départemental d’organisation du Bicentenaire 308 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 298 : Programme des manifestations La Haute-Loire du Bicentenaire VALLAURI Antoine - 2011 85 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

1789 sans passéisme, sans esprit partisan ; retrouvons au cours de ces fêtes, le bonheur d’être ensemble, porteurs d’un message universel ». Et ce message universel, ce sont les idées si chères à La Fayette de liberté et de fraternité qu’il convient de célébrer dignement dans ce bicentenaire en Haute-Loire. Une lettre de Jacques Barrot à Francis Gibert, datée du 12 octobre 1987, est on ne peut plus explicite sur cette intention départementale : « Le département de la Haute-Loire entend réserver au général de La Fayette et à son château de Chavaniac une place importante dans les manifestations de toute nature qui marqueront, en 1989, le bicentenaire de la Révolution française »309. Un objectif latent de ce bicentenaire est encore, comme à chaque grande cérémonie commémorative dans le département, d’assurer sa promotion : « Ce sera une occasion de plus de mieux faire connaître la Haute-Loire à la Haute-Loire et la Haute-Loire à toute la France ». Et La Fayette permet d’ « attirer des visiteurs dans notre département ». En 1989, dans la bouche des responsables départementaux, La Fayette, « figure la plus incontestée de cette aube de 1789 » (Jacques Barrot) est la raison la plus frappante qui légitime l’insertion de la Haute- Loire dans le souvenir de cette grande et tragique période. Pour le préfet Breuil, il est le « fils le plus célèbre du département ». Par conséquent, le bicentenaire en Haute-Loire tourne autour d’un grand spectacle sur la vie de La Fayette intitulé « La Fayette.. ? Me voici ! ». Avant cela, les célébrations s’ouvrent avec l’envol d’une montgolfière tricolore à l’effigie de er 310 La Fayette au Puy-en-Velay le 1 janvier 1989 , montgolfière qui servira d’emblème du bicentenaire au niveau national. Cette reconstitution historique de la vie de La Fayette, sous la forme d’une pièce de théâtre, se déroule les 4, 5 et 6 août 1989 dans le parc du château de Chavaniac. La pièce fut écrite par Auguste Rivet, docteur ès lettres et président du Comité d’organisation. L’histoire se noue autour de la comparution de La Fayette devant Clio. Celle- ci, muse de l’Histoire, interpelle le général : « La Fayette ? » et celui-ci répond : « Me voici ! ». Il est apostrophé par deux « procureurs », l’un jacobin et l’autre royaliste, lui reprochant tous deux de les avoir trahis. Il se doit alors de se justifier devant ces deux accusateurs et devant l’Histoire. Clio lui dit : « Pour découvrir la vérité de ton histoire, je veux t’entendre, et aussi ceux qui t’ont combattu, ceux qui continuent à te détester, les révolutionnaires impatients de ta prudence et exaspérés par ta modération, les royalistes qui condamnent ton adhésion aux idées révolutionnaires et ce qu’ils appellent ta faiblesse devant les violences populaires311. » Le spectacle se divise en six tableaux, qui retracent les grandes étapes de l’existence du héros des deux mondes312. Dans l’esprit des organisateurs, ce n’est pas un spectacle parmi tant d’autres à vocation purement festive, mais bien d’un spectacle qui doit permettre l’exaltation, à travers la mémoire de La Fayette, des « valeurs qui fondèrent notre démocratie »313. A leurs yeux, ce spectacle détient également une visée éducative, puisqu’il « est l’occasion de montrer aux jeunes l’engagement de notre compatriote pour être repris et continué ». Pour les officiels du département, ce spectacle correspond aussi à l’expression de la personnalité du département, et se doit, par-delà le côté festif, « de rappeler un patrimoine, de souligner une valeur morale ». Chacune des trois soirées possède une envergure particulière. La soirée du 4 août se voulait une soirée de gala de la Haute-

309 Arch. Dép.43, fonds 233 J 298 : Lettre de Jacques Barrot à Francis Gibert en date du 12 octobre 1987 310 Cette manifestation n’est pas à proprement parler locale, elle fait partie du programme de la Mission Nationale du Bicentenaire 311 Les Cahiers de la Haute-Loire, 1989, cité dans Patrick Garcia, Le Bicentenaire de la Révolution française. Pratiques d’une commémoration, Paris : CNRS Editions, 2000, p. 194-195 312 Cf Annexe 12 : Brochure du spectacle et descriptif des différents tableaux 313 Arch. Dép. 43, fonds 233 J 298 : Conférence de presse au Crédit agricole mutuel de la Haute-Loire le 10 juin 1989 86 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

Loire et « tournée vers la jeunesse », placée sous l’égide du Conseil général, qui n’a d’ailleurs pas manqué de s’impliquer largement dans la préparation et la réalisation de cette rétrospective. La soirée du 5 août était placée sous le patronage de la région Auvergne qui s’associa à part entière dans cette manifestation. Enfin, la soirée du 6 août avait revêtu un caractère d’amitié franco-américaine, avec la présence du vice-consul des Etats-Unis à Lyon. L’accueil favorable auprès des populations locales à l’annonce du projet se confirme lors des représentations qui rassemblent plusieurs milliers de spectateurs. Pour L’Eveil, ce spectacle de Chavaniac-Lafayette est une création « à la dimension du héros des deux mondes »314. La Ruche considère que ce spectacle « est appelé à faire date en matière de création dans notre département ». Et l’Eveil d’ajouter que ce spectacle aura permis à plusieurs milliers de personnes de mieux connaître La Fayette, « de mieux le juger aussi ». En sus de ce spectacle mettant le marquis de La Fayette face à l’Histoire, La Fayette est honoré dans les célébrations altiligériennes du bicentenaire de la Révolution française à travers plusieurs publications scientifiques. L’ouvrage du professeur Paul Pialloux consacré à la vie de La Fayette, Trois révolutions pour la liberté, reçoit le concours du Conseil général et paraît en octobre 1989. Une renommée société savante locale, L’Almanach de Brioude, profite du cadre du bicentenaire pour rendre hommage au marquis libertaire, en lui consacrant une de ses séances, traduite ensuite en publication. Le même Paul Pialloux s’applique à disserter devant ses pairs de « La Fayette, esquisse d’un portrait »315. ème La Haute Loire accueille en 2007 des festivités dans le cadre du 250 anniversaire de la naissance du général La Fayette. Le 4 juillet 2007, une délégation du département, sous la conduite de Gérard Roche, est présente aux côtés de l’ambassadeur des Etats-Unis, lors de la traditionnelle cérémonie organisée au cimetière de Picpus en l’honneur de La Fayette. Les représentants de la Haute-Loire procèdent au dépôt d’une gerbe sur la tombe du célèbre général. La manifestation la plus notable se situe à Chavaniac le 6 septembre 2007, avec la venue du Ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, de l’Ambassadeur des Etats-Unis, Craig R. Stapleton ainsi que de nombreuses personnalités américaines, nationales et départementales. Au cours de la cérémonie, le Président du Conseil général de Haute Loire, Gérard Roche exprime sa fierté des origines départementales de ce glorieux héros des deux mondes « qui traversa trois révolutions et dont la destinée exceptionnelle montre combien l’enthousiasme, le courage et la ténacité propres aux grandes âmes contribuent à transformer le monde »316. Les cérémonies du ème 250 anniversaire de la naissance de La Fayette s’accompagnent aussi en Haute- Loire d’un spectacle historique, « Les Chemins de la Liberté », consacré aux divers épisodes de la vie du général marquis de La Fayette et joué à Chavaniac les 24,25 et 26 août 2007. Le cheminement du spectacle se réalise à travers les réflexions d’une jeune étudiante en histoire qui s’interroge sur le général et qui, avançant dans ses investigations, s’enthousiasme pour le général317. Dans le même temps, plusieurs villes ont organisé diverses expositions. Le Conseil général de Haute-Loire est à l’initiative d’une exposition, « Lafayette, chemins de vie », qui se tint du 30 juin au 15 septembre 2007 au Puy. Cette exposition constitue un hommage de plus du département à La Fayette, présentant une vision « Haute-Loire » du héros des deux mondes. L’exposition s’articulait autour de quatre thèmes centraux : « les origines familiales de La Fayette, ses possessions et ses séjours 314 L’Eveil de la Haute-Loire, 06 août 1989 315 PIALOUX Paul, « La Fayette, esquisse d’un portrait », dans Almanach de Brioude, 1989, vol. 69, pp. 161-201 316 L’Eveil, 08 septembre 2007 317 L’Eveil, 24 août 2007 et La Montagne, 25 août 2007 VALLAURI Antoine - 2011 87 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

en Haute-Loire » ; « L’aventure politique de La Fayette, de la Révolution américaine à la Révolution française, la carrière nationale de La Fayette et de ses descendants, leurs retombées en Haute-Loire » ; « la fondation du mémorial Lafayette » à Chavaniac ; l’action héroïque des résistants du « groupe Lafayette » qui enlevèrent la statue du général au Puy en décembre 1943318. Malgré l’absence de visibilité nationale des cérémonies de ce deux cent cinquantenaire de La Fayette, les responsables départementaux expriment leur satisfaction devant le « succès » des célébrations et estiment qu’il leur faut à présent porter l’élan au-delà de la seule année 2007. Il s’agit de faire en sorte que les nombreuses commémorations locales ayant eu lieu constituent le point de départ d’une action de sensibilisation d’envergure : « L’hommage que nous lui rendons, loin d’être seulement tourné vers le passé, doit être comme un souffle stimulant pour les projets que nous voulons mener à bien »319. L’habituel objectif de promotion du département à travers la figure de La Fayette est atteint, puisque le nombre de visiteurs du château de Chavaniac s’accroît fortement. Il faut noter que, pour la première fois pour ce type de grandes manifestations, le Conseil général de la Haute Loire organise directement les célébrations, sans passer par le truchement d’un Comité départemental d’organisation. Cela tend à s’expliquer par l’absence de cadre national d’organisation. L’institution départementale édite aussi une plaquette rassemblant ème l’ensemble des manifestations du 250 anniversaire de la naissance de La Fayette, qui tient lieu de programme officiel. Enfin, signalons que la commune de Langeac fête depuis 1976 « La Belle Journée », qui commémore la venue du marquis de La Fayette dans la ville le 13 août 1786, quand il prit possession du marquisat de la ville. La constance de cette manifestation illustre la vivacité de la mémoire du général La Fayette en Haute-Loire, qu’elle soit institutionnelle ou à caractère populaire.

2.2.L’exemple de la Seine-et-Marne La Seine-et-Marne est le département où se situe le château de La Grange dans lequel La Fayette vécut quasiment sans discontinuer entre 1800 et 1834. Au cours de sa vie, ce dernier exerce à cinq reprises le mandat de député de la circonscription de Meaux, et est Président du Conseil général de Seine-et-Marne ainsi que maire de Courpalay. Il subsiste dans le département un souvenir certain du marquis, mais il se traduit en peu d’événements et manifestations à l’inverse de la Haute-Loire. Le château de La Grange est devenu, à la mort du dernier occupant, le comte René de Chambrun, descendant de La Fayette, la propriété de la Fondation de Chambrun, qui est chargé de la gestion du château et des archives historiques liées à La Fayette et conservées au château. La Fondation vise également à entretenir la mémoire de La Fayette, en dépassant le cadre familial. Le château n’est toutefois accessible qu’à des visites privées, le but étant de se sentir invité comme si on était ami de La Fayette320. Le Parisien consacre en janvier 2007 un article à la visite du

318 Renouveau, 09 août 2007 319 Préface de Gérard Roche, Président du Conseil général de Haute-Loire dans Exposition Lafayette Chemins de vie. Petit Journal. Conseil Général de la Haute-Loire- 30 juin au 10 septembre 2007 320 Propos recueillis lors d’un entretien à la Fondation de Chambrun 88 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

château de La Grange par Laura Bush en compagnie de l’Ambassadeur des Etats-Unis321. L’article évoque le caractère confidentiel de la visite, et met en avant la faible visibilité du château au niveau local : « “Cet endroit est tellement secret…On ne sait jamais ce qui s’y passe”, sourit la gérante du café-presse de Courpalay ». En 1957, au moment du bicentenaire de sa naissance, La Fayette est peu commémoré en Seine-et-Marne. Si le comte de Chambrun participe pleinement aux cérémonies à Paris à travers l’organisation de la manifestation de Picpus par la Société des Fils de la Révolution américaine qu’il préside, aucun événement officiel notable ne se déroule dans le département. Nous avons malgré tout recensé la tenue d’une soirée en l’honneur du bicentenaire de La Fayette à Coulommiers le 19 juin 1957322. Cette manifestation donnée par l’Association France-Etats-Unis rassemble les élus locaux, les maires de Courpalay et de Coulommiers, et un certain nombre de citoyens locaux. La soirée consiste en une conférence prononcée par Albert Krebs, conservateur à la Bibliothèque Nationale : « Cette causerie, qui illustrera l’élan généreux du général de La Fayette pour la cause de la Liberté, sera aussi consacrée à l’amitié personnelle entre La Fayette et Washington ». L’exposé est suivi d’un film « La Fayette, le voici » qui retrace la carrière du général. Mais cet événement relève seulement d’une logique associative, et n’est pas frappé du sceau d’officialité. Autre élément qui témoigne de ce faible écho du bicentenaire de La Fayette en Seine-et-Marne, les autorités départementales ou préfectorales n’ont pas été conviées à participer au Comité National français du Bicentenaire. Par conséquent, il n’y a aucune institutionnalisation des commémorations en Seine-et-Marne en 1957. La presse locale traite ponctuellement du souvenir du « grand citoyen ». La Liberté du 3 avril 1951 se remémore ainsi La Fayette en tant que député de Meaux et maire de Courpalay323. Le 12 juin 2005, un bref article dans Le Parisien rappelle son combat dans la guerre d’indépendance américaine324. Plusieurs articles paraissent dans le même journalen 2007, à l’occasion du deux cent cinquantenaire de la naissance du héros des deux mondes. Le 17 janvier et le 31 décembre 2007, le journal s’attache à faire connaître le château de La Grange325. La même année, afin d’honorer la mémoire de La Fayette, la mairie de Courpalay organise une exposition « Sur les traces de La Fayette à Courpalay » à l’occasion des journées du patrimoine les 15 et 16 septembre326. Lors du même événement, un spectacle intitulé « La Fayette, l’homme au regard d’étoiles » joué par la troupe théâtrale « Mots en 327 ème scène » retracent son existence . La Ville de Meaux célèbre aussi le 250 anniversaire de sa naissance à travers une conférence de Gonzague Saint-Bris le 07 décembre 2007, ainsi qu’une exposition à la médiathèque de la ville sur « l’amitié franco-américaine de la guerre d’indépendance à la Grande Guerre »328. D’une manière analogue à 1957, ces 321 Le Parisien, 17 janvier 2007, édition Courpalay-Villeneuve-le-Comte, Article de Marie Linton et Sébastien Blondé, « Laura Bush rend visite aux descendants de La Fayette » 322 Le Pays Briard, 05 février 1957, Article, « France-Etats-Unis : en l’honneur du général La Fayette » 323 La Liberté, éd. Coulommiers, 03 avril 1951, Article de Louis Huillier, « La Fayette, député de Meaux et maire de Courpalay » 324 Le Parisien, 12 juin 2005, « Un héros de 20 ans » 325 Le Parisien, 17 janvier 2007, « Un château méconnu » et 31 décembre 2007, « Des aïeux aussi à Courpalay » 326 Le Parisien, 17 septembre 2007, « 200 amateurs de La Fayette à la Grange » 327 Voir l’affiche de ces deux événements en annexe 13 328 Le Parisien, 07 décembre 2007, « La Fayette était député de Meaux » VALLAURI Antoine - 2011 89 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

manifestations célébrant La Fayette sont très localisées et ne semblent pas profiter d’une forte visibilité. A l’inverse du bicentenaire de la naissance de La Fayette, elles paraissent davantage institutionnalisées car elles sont le fruit d’une organisation municipale avec le concours du Conseil général pour l’événement de Courpalay. En 2010, Le Parisien relate le classement au titre des monuments historiques d’un arbre de la Liberté, planté par La Fayette en personne, sur le parvis de l’église de Bernay-Vilbert, au centre de la Seine-et-Marne329. Le marquis de La Fayette a fait l’objet, depuis sa mort, de plusieurs publications relatives à sa présence et à ses activités en Seine-et-Marne. L’ouvrage le plus emblématique sur la question est celui de Léopold Olivier paru en 1901, La Fayette en Seine-et-Marne 330. Nonobstant le nombre relativement restreint d’événements relatifs au souvenir de La Fayette en Seine-et-Marne, sa présence mémorielle et sa reconnaissance institutionnelles sont bien établies du fait même du travail mené par les Archives départementales. Celles- ci ont réalisé un dossier historique très détaillé sur les liens entre le marquis et la Seine-et- Marne. Ce dossier retrace, avec l’appui de documents authentiques d’époque, la première intervention de La Fayette en Seine-et-Marne avec l’organisation des Gardes Nationales, ses activités politiques avec le département comme « refuge et observatoire », et les mandats politiques de la dynastie La Fayette dans le département. Les archivistes traitent également de « la vie au domaine de La Grange » et de « La Fayette agriculteur (1800-1834) : l’agriculture au domaine de La Grange. Faire d’une demeure seigneuriale une exploitation agricole moderne »331.

2.3.D’autres mémoires locales La Fayette a été mis à l’honneur au Havre en 1921. A cette date, l’Association des Amis du Vieux Havre a souhaité consacrer le souvenir historique du séjour de La Fayette au Havre en 1779. Le marquis, rentré en France le 3 février 1779, avait reçu un commandement dans un régime de dragons, d’abord à Saint-Jean d’Angély, puis au Havre. La Fayette y reçut des mains du petit-fils de Benjamin Franklin, une épée d’honneur offerte par le Congrès américain. Une plaque commémorative est installée en 1921 pour se souvenir de cet épisode historique. Un livret fut écrit à la suite de l’inauguration par l’Association des Amis du Vieux Havre. Il ressort de ce livret que « cette plaque […] rappelle pour nous, Havrais, le plus beau fait historique de la vie de La Fayette, et l’Association des Amis du Vieux Havre est fière de la remettre à la Ville du Havre et de la placer sous la sauvegarde de ses habitants »332. Le souvenir de La Fayette continue d’être prégnant à Saint-Jean-de-Luz. Ce dernier, se rendant à Pasajes, près de San Sebastian, afin d’embarquer pour l’Amérique en 1777, s’arrêta à Saint-Jean-de-Luz le 16 avril 1777. Dans le cadre de manifestations organisées annuellement sur un thème historique, la municipalité décide en 1962 de rendre hommage à La Fayette. Ce dernier fait donc l’objet d’une série de manifestations culturelles, théâtrales,

329 Le Parisien, 17 janvier 2010, Article, « Un arbre classé monument historique » 330 OLIVIER Léopold, Le général La Fayette en Seine-et-Marne, Paris : H. Leclerc, 1901, 61 p. 331 « Le marquis de La Fayette », Dossier historique Arch. Dép. 77 [en ligne], http://www.archives.seine-et-marne.fr/la-fayette (dossier consulté le 27 juillet 2011) 332 Association des Amis du vieux Havre, La Fayette au Havre. Hommage à sa mémoire, Le Havre : Impr. du Journal du Havre, 1921, 18 p. 90 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

musicales, ainsi que d’une exposition. Celle-ci s’intitule « Le Temps de Monsieur de La Fayette ». Des échanges de courriers témoignent de l’aide procurée par les conservateurs des Archives Nationales ayant organisé l’Exposition La Fayette de 1957 aux organisateurs de l’exposition de Saint-Jean-de-Luz333. Cette exposition retrace toutes les facettes, les grandes périodes de la vie du marquis. Son existence est aussi replacée dans un contexte plus large qui permet à l’exposition de présenter des thèmes englobant La Fayette mais ne se limitant pas à son personnage. Ainsi, des thèmes tels que « La vie locale à l’heure de La Fayette » ou « La Marine au temps de M. de La Fayette » apparaissent dans le catalogue de l’exposition334. Contrairement aux prétentions habituellement modestes d’une petite exposition, celle de Saint-Jean-de-Luz savoure la reconnaissance d’un descendant de La Fayette, le comte René de Chambrun, qui apporte sa contribution en rédigeant l’avant- propos du catalogue de l’exposition. Le souvenir de l’embarquement de La Fayette pour l’Amérique est également consacré de manière officielle à la même époque, à travers la tenue d’une cérémonie franco-espagnole à Pasaje en septembre 1963. Le maire de Pasajes dévoila à cette occasion une plaque à l’effigie de La Fayette335. La Fayette est à l’honneur à Metz à travers une statue équestre le représentant qui trône devant le Palais de Justice de la Ville. Une première statue avait été érigée le 6 septembre 1920, à la suite d’une souscription d’une organisation catholique de bienfaisance américaine, les Chevaliers de Colomb. Mais cette statue fut détruite par les Allemands sous l’Occupation. Une deuxième statue est inaugurée en 2004. Elle célèbre le soutien apporté par la France aux insurgés américains336, dans la ville où La Fayette fut illuminé lorsqu’il entendit parler de cette lutte. En 1920, Jean-Julien Barbe publie un livre La Fayette à Metz consacrée à la présence de La Fayette en garnison dans la ville. Du 3 octobre au 5 novembre 2007, la ville de Saint-Etienne a vu son Musée d’art et d’industrie dédier une exposition à La Fayette et à son combat pour la liberté aux côtés des insurgés américains. L’intitulé de l’exposition est, à cet égard, évocateur : « La Fayette et les armes de la liberté américaine ». Cette exposition correspond à une forme de mémoire locale sur le marquis, car elle rappelle l’apport en fusils stéphanois lors de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Les mémoires locales sur La Fayette s’exercent aussi à travers un certain nombre d’articles dans des publications locales ; la présence ou le passage de La Fayette dans différents territoires et villes de France est remémorée dans des revues d’histoire locale. A titre d’exemple on peut citer G.N. Thomas qui évoque en 1965 les rapports entre La Fayette 337 et la Bretagne dans Les Cahiers de l’Iroise . Le Dr Autier traite en 1959 de « La Fayette à Maubeuge338 ». Arsène Bonnefoi, quant à lui, s’attache en 1956 à retracer le passage de

333 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, dossier Lafayette 1957 (non côté) : lettre de M. P. Oyampe, Président de la Commission municipale de la grande semaine de Saint-Jean-de-Luz, datée du 16 octobre 1961 ; réponse du 6 novembre 1961 334 FLOTTES Pierre, Le Temps de M. de La Fayette, exposition organisée pour la ville de Saint-Jean-de-Luz par le Dr Pialloux, 1962, 40 p. 335 La Croix, septembre 1963, « Cérémonie franco-hispanique près de Saint Sébastien » 336 La Croix, 23 avril 2011, Article de Didier Mereuze, « Metz a fait de La Fayette le héros de l’Amérique » 337 ème G.N. Thomas, « La Fayette en Bretagne », dans Les Cahiers de l’Iroise, Brest, 1965, 12 année, n°1, p. 65 338 Dr. Autier, « La Fayette à Maubeuge », dans Bulletin de la Commission Historique du Département du Nord, 1959, séance du 25 novembre 1957, vol. 37, pp. 97-98 VALLAURI Antoine - 2011 91 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

La Fayette à Sedan339. Dernier exemple, l’article du colonel Jean Chabanier dans La Revue Historique de l’Armée en 1961, qui s’exprime sur le passage de La Fayette à Bordeaux en 1777340.

Chapitre 3 : Un souvenir qui s’exerce :

3.1 Un travail académique sur La Fayette La Fayette, depuis sa mort, a fait l’objet de travaux académiques et de colloques. De fait, La Fayette a été évoqué à plusieurs reprises dans les travaux de l’Académie des sciences morales et politiques. En 1883, Henri Doniol a fait une intervention devant ses pairs sur le thème « Le Marquis de La Fayette, préliminaires de l’intervention de la France dans l’établissement des Etats-Unis d’Amérique341 ». Le même Henri Doniol a également évoqué devant l’Académie en 1886 « Le départ du Marquis de La Fayette pour les Etats-Unis en 1777342 ». Avant de présenter les conclusions de ses travaux devant l’Académie, Henri Doniol a effectué de grandes recherches sur le départ de La Fayette pour l’Amérique, auquel d’après lui, « on a attribué une grande influence sur la détermination prise par Louis XVI de soutenir les Etats-Unis343 ». Le 15 novembre 1976 Jean-Baptiste Duroselle traite devant l’Académie, réunie sous la présidence de Raymond Aron, du thème « France-Etats-Unis : du mythe La Fayette à l’incompréhension mutuelle »344. En 1917, à l’occasion des fêtes commémoratives de la naissance de La Fayette, s’est tenue une conférence de Louis de Royaumont, l’un des biographes de La Fayette, sur le sujet « La gloire et le martyr de La Fayette ». L’historienne Elisabeth Liris, de l’Institut d’Histoire de la Révolution française à la Sorbonne, s’est intéressée à la figure du marquis de La Fayette à travers plusieurs interventions dans différents colloques. En octobre 2007, elle donne une conférence sur le thème « La Fayette Héros des deux Mondes, un engagement maçonnique entre mythe et réalité » dans le cadre d’un colloque sur le bicentenaire de la naissance de La Fayette à l’Université Lafayette College en Pennsylvanie. Le 23 septembre 2010, elle intervient à Vizille (Isère) dans un colloque autour de « La République en voyage 1770-1830 », organisé par le Musée de la Révolution française de Vizille, le CRHIPA de Grenoble et l’Institut d’Histoire de la Révolution française. Dans une section intitulée « Les Républiques visitées,

339 ème Arsène Bonnefoi, « A Sedan sur les traces de Lafayette », dans Auvergne Littéraire, Artistique et Historique, 1956, 33 année, n°151, pp. 33-39 340 ème Colonel Jean Chabanier, « La Fayette et Bordeaux », dans Revue Historique de l’Armée, 1961, 17 année, pp. 103-106 341 DONIOL Henri, « Le Marquis de La Fayette, préliminaires de l’intervention de la France dans l’établissement des Etats-Unis er d’Amérique », dans Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, t. 19, 1883, 1 semestre, p. 769-820 342 DONIOL Henri, « Le départ du Marquis de La Fayette pour les Etats-Unis en 1777 », dans Séances et travaux de l’Académie er des sciences morales et politiques, 1 semestre 1886, Orléans : impr. de Cola 343 Ibid., p. 41 344 Cf supra p. 52 92 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

les Républiques comparées », E. Liris traite de « La Fayette ou le long périple du Héros des deux mondes. Entre Républicanisme et Démocratie royale 1777-1832 ». Le 7 septembre 2007, dans le cadre du deux cent cinquantenaire de la naissance de La Fayette, le Conseil général de la Haute-Loire et le Centre d’histoire « Espaces& Cultures » de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand ont co-organisé une journée d’étude consacrée au héros des deux mondes, « La Fayette entre deux mondes ». Ce colloque a permis de revenir sur l’aventure américaine de La Fayette et ses prolongements au XIXème siècle, « de s’interroger sur l’élaboration de son image et la puissance de ses réseaux locaux ou internationaux, sur son rôle militaire de part et d’autre de l’Atlantique, sur la rupture de l’émigration, sur le sens du “fayettisme” dans les années 1830 »345. Ce colloque, de portée relativement locale, s’est penché sur un homme considéré comme perpétuellement entre deux mondes. Il visait aussi à déconstruire et reconstruire la figure de La Fayette, à lui « redonner chair et complexité ». Dans le même cadre, afin de clore les célébrations, Actu-PresseCom, société de Sabine Renault-Sablonnière, descendante de La Fayette, et la French American Foundation ont organisé un colloque franco-américain sur le thème « Modernité transatlantique : En quoi sommes-nous les héritiers de La Fayette ? ». Ces rencontres, qui se sont déroulées les 12, 13 et 14 décembre 2007 ont permis des échanges de vues entre chefs d’entreprise et universitaires. A cette occasion, les maires de plusieurs villes américaines portant le nom de La Fayette avaient effectué le déplacement à Paris. Au cours de ces journées, plusieurs débats eurent lieu au Château de Vincennes, à l’ambassade des Etats-Unis, à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris ainsi qu’au Sénat. Le débat s’appuyait sur une contradiction fondamentale : les relations transatlantiques dans le domaine des affaires, de la recherche, de l’éducation et de la culture n’ont jamais aussi bien marché, alors que dans le même temps, « la connaissance des Etats-Unis en France reste caricaturale ». La présence de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et de Craig Stapleton, Ambassadeur des Etats-Unis en France a été remarquée. Sous la présidence de l’historien André Kaspi, « ces rencontres ont examiné la réalité franco-américaine sous un jour nouveau pour s’interroger sur l’esprit transatlantique au XXIème siècle »346. Une partie de la journée du 14 décembre 2007 au Sénat fut consacrée à la partie à proprement parler historique du colloque, intitulée « Portrait de La Fayette ». Laurent Ferri, Conservateur des collections françaises à la Bibliothèque de la Cornell University, à Ithaca dans l’Etat de New York, a traité de « La Fayette, un héros américain », tandis qu’Evelyne Lever, chercheuse au CNRS, s’est concentrée sur les aspects français de la vie du général : « La Fayette, un héros français ». La Fayette s’avère aussi un personnage étudié par les amateurs passionnés d’histoire. Ainsi, en juillet 2010, Jean Pasquier, professeur honoraire de médecine, prononce une conférence au Rotary Club de Lyon sur le thème « Gilbert de La Fayette, l’homme de trois révolutions »347. Dans son très minutieux et analytique exposé, Pasquier se veut l’interprète de la vie d’un grand personnage qui joue à trois reprises un rôle très important.

345 BOURDIN Philippe (dir.), La Fayette, entre deux mondes, Clermont, Presses Universitaires Blaise Pascal/Conseil général de la Haute-Loire, 2009, 227 p. 346 Marie-Thérèse Belmont, « La Fayette et Rochambeau fêtés en France », dans France-Amérique, le journal français des Etats-Unis, 6 au 19 février 2008 347 Jean Pasquier, « Gilbert de La Fayette, l’homme de trois révolutions », Rotary Francophone [en ligne],http://www.rotary- francophone.org (page consultée le 10 mars 2011) VALLAURI Antoine - 2011 93 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

3.2.Objets et symboles relatifs à La Fayette Le souvenir du marquis de La Fayette agrémente un certain nombre d’objets et symboles plus ou moins officiels ; le général donne aussi son nom à certains éléments. Sa mémoire a été ainsi honorée à travers des timbres à son effigie émis par la poste française et certaines postes étrangères. Si le Ministère des Postes refuse la création d’un timbre à l’effigie de La Fayette à l’occasion du bicentenaire de sa naissance en 1957 malgré l’intervention du Comité National français du Bicentenaire348, il n’en est pas de même en 1989. En effet, dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution française, un timbre La Fayette, le représentant sur son cheval blanc tendant la cocarde tricolore devant les soldats de la Garde Nationale, est émis349. Ce lancement paraît toutefois contradictoire avec l’attitude affichée par les autorités françaises dans la mise en œuvre du programme du bicentenaire. On se souvient des propos de François Mitterrand estimant que La Fayette n’avait guère sa place au Panthéon des grands hommes français sous l’angle de son action révolutionnaire350, et de l’absence de manifestations honorant directement la mémoire de La Fayette dans le programme officiel du Bicentenaire. On pourrait, par conséquent, se laisser tenter par dire que La Fayette s’avère, malgré tout, célébré dans le bicentenaire de la Révolution. Mais ce timbre ne semble pas viser la personne intrinsèque de La Fayette, mais plutôt le symbole qu’il représente à travers la cocarde tricolore. La figure de La Fayette est aussi présente sur un timbre datant de 1927, à côté de la figure de Washington. Ce timbre-poste français symbolise la Légion américaine et véhicule une image d’amitié franco-américaine. En 1938, le nom de La Fayette apparaît sur des timbres de cartes postales du monument américain à la Pointe de Grave avec la légende : « La Fayette part à bord de “La Victoire” le 26 mars 1777 ». Ces cartes furent émises à l’occasion de l’inauguration du Mémorial. Le timbre en question possède deux valeurs faciales, 55 centimes (timbres en bleu) et 1 franc (timbre en rouge). D’anciennes colonies françaises d’Afrique émirent des timbres à l’effigie de La Fayette en lien avec la Révolution française à l’approche du bicentenaire. Ainsi, le combat conjoint de Washington et de La Fayette pour la liberté est représenté sur un timbre de la République de Guinée de 1987 portant la mention : « La Fayette et Washington, valeur symbole de la liberté ». Le Togo, en 1989, publie un timbre sur le thème « Serment de La Fayette à la Fête de la Fédération et portrait de Talleyrand-Périgord ». A la même date, un timbre- poste des Maldives est émis, représentant un « Extrait d’un tableau anonyme “Serment de La Fayette” ». A la meêm période, Madagascar s’intéresse aussi au même thème. Enfin, toujours en 1989, la Guinée-Bissau reproduit un tableau dénommé “La Fête de la Fédération” sur un timbre où l’on peut apercevoir La Fayette. L’iconographie métallique sied à la mémoire de La Fayette. Un ouvrage de Philippe Olivier, Iconographie métallique du général Lafayette : essai de répertoire des médailles, médaillons et jetons frappés à son nom ou à son effigie tant en France qu’en Amérique, paraît à ce sujet en 1933. Parmi les médailles le représentant, on peut citer les deux médailles relatives à l’inauguration de sa statue au Puy-en-Velay en 1883 et portant

348 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, Dossier Lafayette 1957 349 Cf. Annexe 14 350 Voir Supra p. 29-30 94 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

l’inscription : « Souvenir du festival, honneur aux sociétés et visiteurs. Inauguration de la statue du général Lafayette né le 6 sep. 1757, mort le 20 mai 1834. Le Puy 6 sep. 1883 »351. Dans les années 1950, à l’approche du bicentenaire de sa naissance, le général apparaît dans les carnets de voyages du train PLM, vantant les mérites des régions traversées, à travers un document « Au pays de La Fayette ». Depuis le milieu des années 2000 à Paris, un Atelier, bien nommé « Atelier Marquis de La Fayette », honore la mémoire du général par le biais de créations d’objets de collection le représentant ou ayant trait aux objets de son époque. Il s’agit, en somme, d’un atelier d’art dédié au personnage de La Fayette. Il a pour vocation de faire découvrir son histoire par des créations contemporaines qui interprètent « le siècle des Lumières, son action civilisatrice, la lutte contre l’esclavage, l’amitié franco-américaine et les droits du peuple indien d’Amérique »352.

3.3.La Fayette mis en scène Le souvenir du « héros des deux mondes » s’exerce également par le truchement de la mise en scène du personnage. Cette mise en scène est le fait de romans qui relatent un aspect de la vie de La Fayette. A cet égard, il convient d’évoquer le livre de Patrick Poivre d’Arvor J’ai aimé une reine paru en 2003. Ce portrait enflammé de La Fayette imagine une intrigue amoureuse entre notre héros et la reine Marie-Antoinette. Mentionnons aussi l’ouvrage de Sabine Renault- Sablonnière, descendante de La Fayette, et auteure des Mémoires imaginaires d’Adrienne de La Fayette. Le cinéma est aussi une forme pourvoyeuse de mémoire sur La Fayette, pouvant indiquer une vision collective. En 1962, Jean Dréville réalise ainsi La Fayette, avec Michel Le Royer dans le rôle de Gilbert de La Fayette. Le film se concentre essentiellement sur la période américaine du général, faisant débuter l’intrigue au moment où La Fayette se marie puis découvre le combat des insurgés américains lors du fameux dîner de Metz en 1775. A noter qu’un film sur La Fayette est actuellement en préparation, sous la réalisation de Jean- François Richet, avec Vincent Cassel dans le rôle-titre. Il s’agirait d’un dyptique, le premier volet étant consacré à La Fayette et la Révolution américaine et le second opus revenant sur son implication dans la Révolution française. D’après L’Eveil de la Haute-Loire, l’intérêt de ce long métrage pourrait être de « dépoussiérer l’image de ce personnage trop méconnu et le populariser »353. Dans les années 1950 et 70, plusieurs fictions radiophoniques relatent le parcours glorieux de La Fayette. On peut signaler « La Fayette le voici » de Gisèle Assailly en 1957, « La Fayette, pionnier de la liberté » d’Alain Decaux et « La Fayette d’André Castellot », toutes deux diffusées dans l’émission La Tribune de l’histoire sur France Inter, respectivement en 1975 et 1976. En 1995, Marie Laforêt sort une chanson intitulée « Monsieur de La Fayette ».

351 OLIVIER Dr. P., Iconographie métallique du général Lafayette : essai de répertoire des médailles, médaillons et jetons frappés à son nom ou à son effigie tant en France qu’en Amérique, Paris : 1933, 352 Atelier Marquis de La Fayette [en ligne], http://www.marquis-de-la-fayette.com (page consultée le 18 juin 2011) 353 L’Eveil de la Haute-Loire, 04 août 2011, Article, « Haute-Loire : Vincent Cassel dans la peau de La Fayette » VALLAURI Antoine - 2011 95 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

3.4.Une mémoire familiale La mémoire des descendants de La Fayette sur leur ancêtre est l’une des mémoires les plus vives qui soit sur le héros des deux mondes. A la suite de La Fayette, son fils George Washington de La Fayette, et ses petits-fils, Oscar et Edmond de La Fayette, poursuivent une carrière politique. Ils se revendiquent de son héritage et n’hésitent pas à honorer la mémoire de leur aïeul. En témoigne cette lettre d’Edmond de La Fayette au maire de Paulhaguet (Haute-Loire) qui désirait élever un monument au héros de l’Indépendance américaine en date du 14 juin 1878354. Toutefois, au XIXème siècle, tous les descendants de La Fayette ne sont pas unanimes quant à la mémoire de leur ancêtre. Olivier Bernier, biographe de La Fayette, estime, à cet égard, que la vision de La Fayette comme un traitre à sa classe et un imbécile « aux yeux de ceux qui exècrent la Révolution » s’applique bien à certains descendants de La Fayette à l’époque : « Cette attitude étrange, adoptée par les descendants de Lafayette pendant la plus grande partie du XIXème siècle […] »355. Ainsi, ces descendants disaient pis que pendre de La Fayette et ne faisaient rien pour conserver son souvenir. Le duc de Castries, de l’Académie française, descendant de la nièce de La Fayette, Euphémie de Noailles, évoque, en 1974, le peu de considération à l’égard de la figure du marquis dans sa famille : « De l’ensemble des souvenirs qui me furent rapportés dans mon enfance par les petits-enfants de celle qui, nièce de La Fayette, l’avait fort bien connu, se dégageait un sentiment nettement défavorable, voire presque hostile. »356Quelques années après la mort de La Fayette, son petit-fils Jules de Lasteyrie, héritier du château de La Grange, épousait une jeune Anglaise, Olivia de Rohan- Chabot, issue d’une famille d’émigrés qui avait combattu la Révolution française et La Fayette. Préférant les livres, les objets anglais aux éléments lui rappelant « l’homme qui avait contribué à la ruine de l’empire colonial de son pays »357, elle entreprend, à la mort de son mari, de reléguer minutieusement tout ce qui avait appartenu à La Fayette dans des pièces isolées du château, tout ce qui constituait le décor dans lequel il avait vécu. Le fils d’Olivia de Rohan-Chabot et de Jules de Lasteyrie épouse à son tour une Anglaise, miss Goodlake. Autant dire que La Fayette continuait à être oublié de la mémoire du château. Leur fils, Louis de Lasteyrie, « considérait, lui aussi, Lagrange comme un héritage qu’il tenait de sa mère et de sa grand-mère, bien plus que de La Fayette ». Il mura même l’accès aux endroits renfermant ces souvenirs. Il meurt en 1955, sans héritiers directs, et le château devient la propriété du comte René de Chambrun, également descendant de La Fayette et cousin de Louis de Lasteyrie. M. de Chambrun et son épouse tombent en 1956 sur les souvenirs oubliés. Nous voyons bien, à travers cette relégation, que La Fayette n’était guère apprécié chez ces descendants. Autre preuve du peu d’intérêt qu’accordent certains descendants du héros des deux mondes à sa mémoire, la mise en vente du château de Chavaniac en 1917 par les héritiers. Certains objets ayant appartenu à La Fayette furent également cédés au début du XXème siècle par les descendants. A l’opposé, une grande partie des descendants du marquis de La Fayette font grand cas de son souvenir, et se veulent même les ardents défenseurs de sa mémoire. Rappelons que tous les descendants de La Fayette jouissent d’un statut privilégié, puisque 354 Arch. Dép. 43 355 Olivier Bernier, La Fayette, E.P Dutton, Inc. New York, 1983, traduction française 1988 Editions Payot, p. 12 356 Duc de Castries, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974, p. 12 357 René de Chambrun, « La Fayette et “l’âme de Lagrange” »,dans Revue des deux mondes, mars 1976, p. 636 96 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

la citoyenneté américaine leur est automatiquement accordée. René de Chambrun, l’un de ses descendants les plus en vue, entreprit d’honorer sa mémoire en s’évertuant à classer toutes les pièces inédites d’archives retrouvées dans le château de La Grange358. M. de Chambrun se revendiquait, au demeurant, très fier de son ancêtre359. Ces descendants sont ainsi présents à tous les hommages à sa mémoire. Dès 1883, lors de l’inauguration de la statue de La Fayette au Puy, ils participaient aux cérémonies afin d’honorer le souvenir d’un ascendant héroïque. Le journal La Haute-Loire du 8 septembre 1883 nous renseigne sur les membres de la famille de La Fayette témoignant de leur présence360. On retrouve bien évidemment le sénateur de Haute-Loire, son petit-fils Edmond de La Fayette, M. de Pusy, M. de Sahune, M. Gaston de Sahune, M. de Lasteyrie et M. d’Assailly. Nous avons donc des représentants des différentes branches des descendants du marquis, à commencer par son petit-fils direct, mais aussi des Sahune, la branche qui héritera du château de Chavaniac après la mort d’Edmond de La Fayette et qui finira par le vendre, ainsi qu’un membre de la famille de Lasteyrie (un descendant de Jules de Lasteyrie ?). En 1900, l’importance des descendants de La Fayette dans les cérémonies officielles à sa mémoire est illustrée, lors de l’inauguration de sa statue le 4 juillet, par un enfant, arrière- petit-fils de La Fayette, qui reçoit l’insigne honneur, en compagnie d’un enfant américain, de retirer le voile de la statue ; cet acte, tout en glorifiant le souvenir d’un héros franco- américain, magnifie avant tout la mémoire de La Fayette chez ses descendants. Il cristallise la part de la cérémonie accordée à la mémoire familiale. En 1934, les descendants de La Fayette consacrent le souvenir du marquis dans le cadre du centenaire de sa mort. Le marquis de Chambrun, sénateur de la Lozère, descendant du général, président de la branche française de la Société des Fils de la Révolution américaine, représente la famille lors de l’hommage rendu devant la statue de La Fayette, place du Carrousel et y prononce une allocution. Son frère, le général Jacques de Chambrun, père de René de Chambrun, fait partie des orateurs de la grande cérémonie de la Sorbonne présidée par le maréchal Pétain. Les descendants de La Fayette occupent donc un rôle substantiel dans les cérémonies du centenaire de sa mort. Ils sont véritablement mis en avant à travers la réception de l’Hôtel de Ville qui est donnée en leur honneur. En 1957, la famille de La Fayette est associée au plus haut niveau de l’organisation du bicentenaire de sa naissance, à travers la présence des descendants au Comité d’honneur (Comité de patronage) du Comité National français du Bicentenaire. René de Chambrun, qui a repris le flambeau de son oncle à la tête du chapitre français de la Société des Fils de la Révolution française, prend la parole lors de la cérémonie du 4 juillet au cimetière de Picpus. Toutefois, à l’époque, il semblerait qu’il y eût eu des dissensions parmi les descendants de La Fayette. De fait, une lettre portant la mention « confidentiel » de Charles Braibant, directeur des Archives Nationales, à Jean Marie, Président du Comité National, fait état de ces mésintelligences : « […] certains dissentiments se sont produits entre plusieurs de ces personnes. Je crois même savoir qu’un incident a éclaté lors d’une manifestation organisée en l’honneur de La Fayette. »361. Qu’en est-il de ces désaccords ? Etaient-ils liés à des

358 Arch. Dép. 77, fonds 150 J 211 : La Liberté, 22 mars 1957 359 Propos recueilli à la Fondation de Chambrun le 08 juillet 2011 360 La Haute-Loire, 08 septembre 1883 361 Arch. Nat., Archives du département à l’action culturelle et éducative, dossier Lafayette 1957 (non côté) : lettre de Charles Braibant à Jean Marie en date du 12 décembre 1956 VALLAURI Antoine - 2011 97 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

querelles inhérentes à la mémoire de La Fayette, entre des défenseurs de son souvenir et des descendants éprouvant une certaine réserve envers la figure de leur aïeul ? Ou sont- ce plutôt des querelles au sein même des descendants célébrant la mémoire du marquis ? Ou simplement des querelles externes ne touchant en rien à la célébration de La Fayette ? Depuis, les descendants ont continué de prendre une large part aux hommages à la mémoire du marquis de La Fayette, avec leur présence continuelle aux cérémonies de Picpus. René de Chambrun, et M. de Pusy La Fayette, autre descendant, ont été les plus grands acteurs de cette mémoire familiale qui perdure. René de Chambrun crée dans les années 1950, en compagnie de sa femme, la Fondation Josée-et-Renée-de-Chambrun aux fins de permettre la conservation du château de La Grange et la conservation des collections historiques se rapportant à la mémoire de La Fayette. Ces dernières années, certains descendants de La Fayette œuvrent encore pour la ème mémoire de leur ancêtre. En 2007, à l’occasion du 250 anniversaire de la naissance du marquis, Sabine-Renault-Sablonnière, descendante par sa mère de la branche Pusy de La Fayette, publie une biographie romancée de la marquise de La Fayette, Mémoires imaginaires d’Adrienne de La Fayette. La même année, elle est l’initiatrice, en compagnie de la French-American Foundation, d’un colloque se déroulant au Sénat et mettant en lumière l’actualité de l’héritage de La Fayette au niveau du mondes des affaires, « La modernité transatlantique : en quoi sommes-nous les héritiers de La Fayette ? ». En 2007 toujours, Geneviève de la Pomélie, descendante du marquis de La Fayette à la septième génération, crée une association visant à promouvoir les valeurs du héros des deux mondes, le Cercle des Amis de La Fayette. Elle affirme clairement sa volonté de faire renaître les convictions de son aïeul: « Comment ne pas être fière et ne pas vouloir, même modestement, porter les idéaux de liberté, de culture, de culte, d’abolition de l’esclavage, de respect des autres, de don et de partage, que prônait le marquis de La Fayette »362. L’association célèbre chaque année l’Independence Day en déposant une gerbe sur la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus. Un certain nombre de conférences sont aussi organisées, sur des thèmes ayant trait à la figure de La Fayette363. En 2007, le Cercle, à commencer par sa présidente, prit part aux commémorations du deux cent cinquantenaire de La Fayette à Chavaniac.

3.5 La reconstruction de l’Hermione : une initiative liée au souvenir de La Fayette Depuis juillet 1997, l’Association Hermione-La Fayette s’est lancée dans une aventure atypique, la reconstruction de la frégate Hermione, navire, qui, en 1780, permit à La Fayette de se diriger vers l’Amérique afin d’y retrouver les insurgés en lutte pour leur indépendance. La reconstruction s’effectue à Rochefort, en Seine-Maritime, là où fut mis en chantier en 1778 le bateau d’origine. L’Hermione est donc intimement liée à la légende de La Fayette. L’objectif en est, à travers cette initiative, de « faire revivre l’aventure de La Fayette [tout en faisant] partager ses idées, ses valeurs, comme la démocratie, la liberté, les droits de l’homme, l’amitié entre les peuples », pour reprendre les propos d’Isabelle Georget, chargée de mission au sein de l’Association Hermione-La Fayette364. L’attrait touristique n’est pas

362 Le Progrès, 25 octobre 2007, édition Haute-Loire, Article, « Geneviève de la Pomélie, une femme libre » 363 Cercle des Amis de La Fayette [en ligne], http://www.cercledesamisdelafayette.org (page consultée le 13 avril 2011) 364 Dépêche AFP, 02 septembre 2007, « L’Hermione, une frégate pour “faire revivre l’aventure de La Fayette” » 98 VALLAURI Antoine - 2011 Partie II : La mise en pratique du souvenir du Héros des Deux Mondes

oublié : depuis 14 ans, le chantier colossal de l’Hermione a accueilli plus de trois millions de visiteurs. L’histoire de cette ville du XVIIème siècle, Rochefort-sur-Mer, se confond avec celle de la construction navale. En 1666, Colbert cherchait un lieu où implanter un arsenal sur la façade atlantique et donner la réplique à Brest. Le XVIIIème siècle est l’âge d’or de la ville : quatre cent bateaux sortent de ses chantiers. Puis, au XIXème siècle, l’acier, qui remplace le bois, la vapeur, qui succède à la voile, la chaîne, qui démode le cordage, signent le déclin de Rochefort. L’arsenal ferme en 1927. Dans les années 1980, la mairie part à la reconquête de l’arsenal, en y installant le Centre International de la Mer (CIM), lieu d’expositions et de colloques. Puis intervient la remise au jour des radoubs (cales sèches). Il ne manque alors qu’un bateau « pour faire revenir l’Atlantique dans la ville ». Le choix se porte sur l’Hermione. Pourquoi ? « Les bateaux enfantés par Rochefort sont pléthore à avoir grands destins et belles histoires. Cela aurait pu être les navires de Bougainville, mais il n’y a plus à explorer ni à nommer. Cela aurait pu être des bâtiments napoléoniens, mais trop de morts, trop de sang. Cela aurait pu être la Méduse, mais le radeau… »365. En outre, l’Hermione présente d’autres intérêts, pour les marins. Pour Emmanuel de Fontenieu, directeur de la Corderie royale de Rochefort, « L’Hermione incarne la meilleure période de l’histoire de la marine, la plus avancée techniquement, la plus glorieuse au combat ». Véritable modèle économique, le chantier est en cours depuis onze ans et la reconstitution de la frégate vit au rythme des dons et de ses mécènes. L’association, qui regroupe des personnalités éminentes telles Jean d’Ormesson et Erik Orsenna, membres fondateurs, a dû, pour mener à bien le projet, rassembler 17 millions d’euros. Une vingtaine de personnes, pour la plupart des charpentiers de marine, travaillent en permanence sur la frégate. La mise à l’eau, sans cesse reportée, est pour l’instant prévue pour 2012. L’Hermione partira alors pour une grande traversée en direction des Etats-Unis, avec une arrivée prévue dans le port de Boston un 4 juillet, jour anniversaire de l’indépendance américaine. Déjà une association, Friends of Hermione, a été créée pour préparer l’arrivée en Amérique et des galas de levée de fonds sont organisés à Boston et New York. Une fois le navire revenu des Etats-Unis, une nouvelle structure et un nouveau modèle économique seront à mettre en place, en transformant la frégate en musée flottant, attraction touristique qui contribuera, sans doute, à ne pas oublier la mémoire du marquis Gilbert de La Fayette.

365 Libération, 03 juillet 1999 VALLAURI Antoine - 2011 99 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Partie III : La Fayette face aux jugements

Chapitre 1 : Admirateurs et opposants à l’époque de La Fayette

1.1.Les admirateurs contemporains de La Fayette Germaine de Stael, amie de La Fayette, est l’une de ses plus ferventes inconditionnelles. La fille de Necker estime qu’il est nécessaire de considérer La Fayette comme « un véritable Républicain » qui n’est atteint par aucune des « vanités de sa classe ». Elle le présente comme un homme totalement désintéressé dont la conduite est franche et directe. Elle ajoute : « Rien n’a jamais modifié ses opinions, et sa confiance dans le triomphe de la liberté est la même que celle d’un homme pieux dans la vie à venir »366. Pour Mme de Staël, « la puissance, dont l’effet est si grand en France, n’a point d’ascendant sur lui ; il a sacrifié toute sa fortune à ses opinions avec la plus généreuse indifférence ». Dans ses Mémoires, son ami, le comte de Ségur, estime que La Fayette, sous son apparence « si froide aux regards, il cachait l’esprit le plus actif, le caractère le plus ferme, l’âme la plus brûlante »367. A propos de son esprit, l’écrivain Jean-Yves Noiret dira : « C’est l’étoffe même des grands hommes ». Il existe de fortes divergences d’appréciation globale sur la dimension politique du La Fayette révolutionnaire parmi les historiens du XIXème siècle, en fonction de leurs appartenances sociales ou de leurs préférences idéologiques. Le révolutionnaire Barère de Vieuzac parle dans ses Mémoires de La Fayette avec un véritable enthousiasme. Il reconnaît que le marquis a pu commettre des fautes en politique, faire preuve parfois d’injustice en étant défiant à l’égard de certaines formes de gouvernement, mais qu’il s’agit d’un homme « d’une droiture exceptionnelle, généreux dans ses opinions et toujours sincère »368. Certains, contemporains de La Fayette, ont écrit leur Histoire de la Révolution alors même que La Fayette les y encourageait ; ils ne tarissent donc pas d’éloge à son sujet. De fait, Adolphe Thiers est débordant de louages envers La Fayette : « le héros des deux mondes, issu d’une famille ancienne et demeurée pure au milieu de la corruption des grands, doué d’un esprit droit, d’une âme ferme, et amoureux de la vrai gloire »369.

366 Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, p. 143 367 Cité par André Lebey, La Fayette ou le militant franc-maçon, Paris : Librairie Mercure, 1937, t. I, p. 19 368 Cité dans Duc de Castries, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974 369 Thiers cité par Abel Poitreneau, Le « héros des deux mondes » et la Révolution française devant l’historiographie française du XIXème siècle, p. 119 100 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

Alexandre Dumas est l’un des admirateurs fervents du général La Fayette et l’a personnellement connu. Dans ses Mémoires, il le cite à de nombreuses reprises, voulant le décrire, écrit-il « sans que le respect du jeune homme et la sympathie de l’ami nuisent à l’impartialité de l’historien370 ». Chaque fois qu’il en parle, en 1830 comme en 1833, il l’évoque principalement comme un « témoin du passé371 », comme un semblant de figure commémorative, et non comme un « entraîneur d’hommes ». En 1830, relatant un déjeuner où il fut l’invité de La Fayette : « Jugez ce que c’était pour moi, jeune homme, que causer face à face, pour ainsi dire, avec l’histoire d’un demi-siècle : avec l’homme qui avait connu Richelieu, serré la main du major André, discuté avec Franklin, été l’ami de Washington, l’allié des sauvages du Canada, le frère de Bailly, le proscripteur de Marat, le sauveur de la reine, l’antagoniste de Mirabeau, le prisonnier d’Olmütz, le représentant de la chevalerie française à l’étranger, le soutien de la liberté en France ; avec l’homme qui, après avoir été le héros de la révolution de 1789, en proclamant les droits de l’homme, venait d’être celui de la révolution de 1830 en rédigeant le programme de l’Hôtel de Ville. » En 1833, Dumas père qualifie La Fayette de l’expression suivante : « le bon, l’élégant, le courtois vieillard372 ». Thiers, Guizot et Odilon Barrot, qui côtoyèrent La Fayette dans sa vieillesse et dans sa période d’opposition, sont fort élogieux. Thiers, pourtant de nature peu indulgente, affirme : « Adoré de ses troupes sans les avoir captivées par la victoire, plein de ressources au milieu des fureurs de la multitude, il maintenait l’ordre avec une vigilance infatigable […] il ne se trompait pas sur les événements et les hommes, il luttait souvent sans espoir contre les factions mais avec une constance d’un homme qui ne doit jamais abandonner la chose publique […] »373 Pour Thiers, La Fayette est assurément un grand citoyen au service de sa patrie, « avec un caractère désintéressé d’une trempe assez rare ». Guizot allègue, pour sa part, qu’ « il n’a point connu de caractère plus généreux, plus bienveillant pour tous, plus ami de la justice envers tous, plus prêt à risquer sa foi pour sa cause. […] Son courage et son dévouement étaient faciles, empressés, sérieux, sous des apparences quelquefois légères et d’aussi bon aloi que de bonne grâce […] Mais il manquait de jugement politique, de discernement dans l’appréciation des circonstances et des hommes […] »374 Odilon Barrot, ami de La Fayette et protagoniste à ses côtés de la Révolution de 1930, fait montre de dithyrambe à son endroit : « Je n’ai jamais rencontré un homme de plus de grandeur d’âme, unie à plus de bonté et de simplicité, une foi plus entière dans les droits du peuple, unie à un dévouement plus absolu, à un courage plus héroïque pour les faire

370 Alexandre Dumas, Mes Mémoires, t. III, Paris, 1966, p. 251 371 Chantal de Tourtier-Bonazzi, « La Fayette vu par ses contemporains », dans Comité des travaux historiques et scientifiques. Bulletin d’histoire moderne et contemporaine, fasc. 19, Paris, 1989, p. 55 372 Alexandre Dumas, Mes Mémoires, t. IV, Paris, 1967, p. 55 373 Thiers, Histoire de la Révolution française, pp. 123-124 374 Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. II VALLAURI Antoine - 2011 101 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

triompher ; et si même on peut adresser un reproche à cette noble nature, c’est l’exagération de ses qualités »375. A la toute fin de la vie du héros des deux mondes, au commencement de l’ère du romantisme, la figure de La Fayette en tant qu’homme-symbole de la liberté s’adapte à « ces nouveaux courants ». Charles de Montalembert caractérise alors La Fayette : « Il a un véritable instinct de liberté bien que son âge l’empêche de voir très loin dans l’avenir ». L’abbé Lamennais estime, quant à lui : « Il a le génie de la droiture et il sera grand par là dans la postérité »376. Certains jugements se situent à la frontière de l’admiration et de la désaffection pour La Fayette. Ainsi, le jugement porté par Stendhal varie en fonction de son évolution personnelle. Sous la Restauration, Stendhal semble amusé par la figure de La Fayette. En 1830, il est charmé par le commandant de la garde nationale. Il écrit : « L’admirable La Fayette est l’ancre de notre liberté » et fait preuve d’indignation quant au renvoi de La Fayette : « Rien n’est égal à la bêtise d’avoir renvoyé le great citizen »377. Mais par la suite, « un certain désenchantement de l’opinion publique à l’égard des Etats-Unis » atteindra en partie le prestige de La Fayette à ses yeux, à l’instar de nombreux Français de cette époque.

1.2.Ses détracteurs Les jugements sévères des contemporains à l’égard de La Fayette sont nombreux. Il est fréquent, dans ces fortes périodes de tensions, que les hommes politiques se détestent. L’inimitié entre La Fayette et Mirabeau était connue de tous. Comme l’explique Etienne Dumont, qui fut un temps collaborateur de Mirabeau, celui-ci « aimait beaucoup à donner des surnoms composés à partir de noms connus dans l’histoire : “Il voulait être un Grandisson-Cromwell”, disait-il en parlant de M. de La Fayette, qu’il voyait comme un ambitieux impuissant, “qui veut jouir du suprême pouvoir sans oser le saisir, ni sans en avoir les moyens”378 ». Mirabeau accusait La Fayette de ne désirer que la gloire des gazettes, en un mot il fustigeait le goût du marquis pour la popularité et l’image. Le Vicomte de Mirabeau surnommait également La Fayette « Le héros municipal ». Hébert le révolutionnaire appelait, quant à lui, La Fayette le « Général Courtois ». L’un des plus sévères dans ses opinions sur La Fayette est le comte d’Espinchal. Il accuse La Fayette d’avoir été poussé uniquement par l’ambition et prétend qu’il avait cherché à son retour d’Amérique à être fait duc, hypothèse qui paraît peu plausible. D’Espinchal fait preuve de davantage d’exactitude lorsqu’il met en avant le goût immodéré de La Fayette pour la popularité et son « amour de la foule qui lui faisait toujours annoncé

375 ème Odilon Barrot, Mémoires posthumes, 2 édition, 1876, t. I, p. 273 376 er Montamembert à Lamennais, Paris, 2 février 1833, et Lamennais à Montalembert, La Chenis, 1 mars 1833, in Lamennais, Correspondance générale, 1974, cité par Zofia Libiszowska, « La Fayette, homme-symbole », dans Bicentenaire de la Révolution française. L’image de la Révolution française, dirigé par Michel Vovelle, Communications présentées lors du Congrès mondial pour le Bicentenaire de la Révolution, Sorbonne, Paris, 6-12 juillet 1989, Vol. III 377 Cité dans TOURTIER-BONAZZI Chantal de, « La Fayette vu par ses contemporains », dans Comité des travaux historiques et scientifiques. Orientations de recherches, Bulletin d’histoire moderne et contemporaine, fasc. 13, Paris, 1989, p. 37 378 Etienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, PUF, 1961, p. 164 102 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

d’avance son arrivée pour que la réception pût être digne de lui379 ». Les jugements de d’Espinchal sur La Fayette au début de la Révolution, quand il le décrit comme hypocrite, vil, attaché à la perte du roi s’apparentent à des simples ressentiments « d’un émigré qui juge de l’extérieur avec amertume et partialité ». Le jugement du marquis de Bouillé, cousin de La Fayette, n’est guère plus magnanime : « Je redoutais son caractère méfiant et dissimulé plus que son ambition […] ; mais il avait de l’ambition sans le caractère et le génie nécessaire pour la diriger ; elle se réduisait au désir de faire du bruit dans le monde et de faire parler de lui. Ce n’était pas un homme méchant et encore moins un scélérat ; mais il était au-dessous, je pense, de la grande circonstance où il se trouvait… »380. On est ici en présence des impressions d’un royaliste exalté, meurtri par son échec à Varennes. Napoléon se montre aussi d’une sévérité extrême à l’égard d’un homme qu’il avait toute raison de détester : « C’était un niais ; il n’était nullement taillé pour le haut rôle qu’il avait voulu jouer. Sa bonhomie politique devait le rendre constamment dupe des hommes et des choses. Son insurrection des Chambres au retour de Waterloo avait tout perdu. Qui dont avait pu lui persuader que je n’arrivais que pour les dissoudre, moi qui n’avais de salut que par elles381. » Cette opinion paraît tout à fait instructive puisque Napoléon, tout en étant dédaigneux vis-à-vis de La Fayette, est néanmoins obligé d’admettre qu’il a été l’un des protagonistes de son abdication, « résultat qu’un niais aurait pu malaisément obtenir382 ». La Fayette, en tant que commandant de la Garde nationale, fit l’objet de nombreuses attaques et accusations de la part de l’opinion durant la Révolution. En effet, la Garde qu’il dirige est dans son essence même une milice bourgeoise, intrinsèquement liée au maintien de l’ordre. Pour cette raison, les éléments les plus radicaux de la Révolution détestent La Fayette et l’accusent d’avoir utilisé la Garde nationale pour faire tirer sur la foule sur les manifestants du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791. On le considère alors comme un « héros très taré des Deux Mondes383 ». A l’époque, un tract anonyme, Le cheval blanc et les frères bleus, le fustige comme « le plus adroit des tyrans, un Cromwell ». L’auteur de ce tract affirme que La Fayette occupait déjà une fonction « traditionnelle » sous la monarchie : « Vous avez vu sous Louis XV, prince né pour être grand roi, puis devenu crapuleux et indigne du trône, vous avez vu, dis-je, s’élever vingt tirans subalternes à qui vous avez dû des chaînes et vos malheurs. Louis XVI et son peuple furent pendant quinze ans les jouets de leur ministre. Enfin nous avons brisé nos fers, et sous le règne nouveau de notre liberté, l’Homme au Cheval Blanc essaye d’usurper un empire qu’il ne réussira pas à établir384 » Le pamphlétaire explique comment La Fayette y parvient : « Il partage la milice en divers corps pour mieux la gouverner. » Déjà la stratégie de diviser pour mieux régner. Il poursuit : « Placé entre la cour et nous, il entretient le premier parti 379 Comte d’Espinchal cité par Duc de Castries, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974, p. 383 380 Marquis de Bouillé cité par Jacques Arlet, Le général La Fayette : gentilhomme d’honneur, Paris : l’Harmattan, 2008 381 Las Cases, Mémorial de Saint-Hélène, 1883, cité dans Duc de Castries, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974, p. 384 382 Duc de Castries, idem 383 Alain Forrest, « La mémoire de la Garde nationale “révolutionnaire” au XIXème siècle » in Serge Bianchi (dir.), La Garde nationale entre nations et peuples en armes, p. 51° 384 Anon., Le cheval blanc et les frères bleus, Paris, 1791, p. 1 cité dans Alain Forrest, p. 510 VALLAURI Antoine - 2011 103 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

dans ses principes détestables, et il applaudit, il seconde même, nos entreprises et devient sous ce point de vue l’homme le plus dangereux de France. Enfin, les frères bleus deviennent sous ses ordres les frères rouges de Cromwel385. » Marat le décrit en homme corrompu par la monarchie qui a placé des agents parmi les gardes nationaux, prêts à se transformer en soldats au service du roi. Un autre pamphlet, qui prend la forme d’un dialogue entre « un charretier et un cocher de fiacre386 », vise à la fois La Fayette – « La Fayette est l’âme de tous les complots aristocratiques, c’est lui qui a fait mouvoir les troupes qui étaient à la disposition de Bouillé »- et les simples gardes. Le charretier dit : « c’est un tas de pauvres diables qui vont, parce que La Fayette leur a dit, voir célébrer une messe des morts dans le Champ de Mars ». « Les malheureux ! Ils ne savent pas qu’un même sort les attend, ils ne sentent pas que ceux qui les commandent sont voués à la cour, à l’aristocratie, que le chien qui les garde n’est qu’un loup prêt à les dévorer387 ». Un autre auteur, l’ultra baron de Frénilly, surnommé par Louis XVIII le baron de Frénésie, abomine La Fayette, qu’il décrit en 1793 comme « le plus infatué et le plus pédant des étourdis ». Il se montre très acerbe, à propos de la pusillanimité et de la niaiserie de La Fayette : « La Fayette, pâle comme son grand cheval blanc, était effrayé de la responsabilité dont il supportait tout le poids d’un côté et tout l’odieux de l’autre ; il était comme tous les imbéciles qui ont créé la révolution, il n’en savait que faire388. » Il parle aussi de ce « héros fat et niais…ridicule et burlesque ». La marquise de la Tour du Pin évoque, elle, l’ingénuité de La Fayette au moment des Trois Glorieuses et à l’époque de la Révolution française : « M. de La Fayette se pavanait sur son cheval blanc, et ne se doutait pas, dans sa niaiserie, que le duc d’Orléans conspirait et rêvait de monter sur le trône- c’est une absurde injustice de croire que M. de La Fayette ait été l’auteur des affaires des 5 et 6 octobre 1789. Il croyait régner à Paris, et son règne cessa le jour où le roi et l’Assemblée y vinrent résider […]389 ». La comtesse de Maillé, fait, elle, preuve de nuance à l’égard du général La Fayette : « Il est brouillon, mais pas méchant, léger. Cette légèreté paraît incompatible avec la fixité de ses opinions, qui ne se sont pas démenties depuis quarante ans. Elle est cependant réelle, mais la légèreté n’est pas l’inconséquence. Cela explique comment il est éminemment propre à détruire et incapable de rien fonder390. »

385 Ibid., p 7 cité dans Alain Forrest, p. 510 386 Alain Forrest, p. 511 387 Anon., Ah ! Qu’ils sont bêtes, les Gardes Nationales. Dialogue entre un cocher de fiacre et un charretier du Quai de la Tourelle,Paris, 1791, p. 4, 7, cité dans Alain Forrest, p. 511 388 Mémoires du baron de Frénilly, Perrin, 1987, p. 52 cité par Robert Legrand, La guerre d’indépendance américaine et La Fayette, 2006, p. 55 389 Marquise de la Tour du Pin, Mémoires d’une femme de cinquante ans, t. I, p. 211 390 er Comtesse de Maillé, Souvenirs de deux Restaurations, 1 vol., Librairie Académique Perrin, 1984, p. 410 104 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

Chapitre 2 : Réflexion des biographes et jugement des intellectuels sur le général La Fayette

2.1.Considérations sur les écrits portant sur La Fayette De nombreux écrits ont été consacrés à La Fayette dans sa postérité, que ce soient des biographies ou des articles. Notre analyse se porte sur les différents angles par lesquels le général La Fayette est introduit dans les écrits qui lui sont voués. Nous nous appuyons, entre autres, sur le très utile ouvrage de Philippe Olivier, Bibliographie des travaux relatifs à Gilbert du Motier, Marquis de Lafayette (1757-1834) et à Adrienne de Noailles, Marquise 391 de Lafayette (1759-1807) Les biographies, par définition les ouvrages les plus généraux et exhaustifs à propos de la vie du marquis de La Fayette, rattachent pour certaines le parcours du héros des deux mondes à un moteur existentiel unique, son combat pour la liberté. Plusieurs biographes l’expriment clairement dans leur titre : en 1933, Charles Quinel et André de Montgon consacrent un ouvrage à la personne de La Fayette intitulé La Fayette, l’ami de la liberté 392.En 1945, paraît La Fayette. Une vie au service de la liberté de Jacques Debû-Bridel393. En 1974, c’est au tour du duc de Castries, de l’Académie française, de publier sa biographie de La Fayette, La Fayette, pionnier de la liberté 394. Le mot « liberté » apparaît, enfin, dans l’ouvrage de René Belin paru en 2007, La Fayette, La passion de la liberté 395. La plupart des biographies, en tant que concentrations quasi exhaustives de la vie de La Fayette, sont assez classiques dans leurs titres, qui se résument au simple nom de La Fayette. Les titres d’autres biographies soulignent la double existence de La Fayette, son combat aux côtés des « Insurgents » d’Amérique et son rôle de premier plan en France à partir de la Révolution française. On peut citer Lafayette en Amérique et en France du comte Privat-Joseph-Claramond Pelet de la Lozère396 ou encore l’ouvrage La Fayette, soldat de deux patries écrit par Maurice de la Fuye et Emile-Albert Babeau397. Enfin, certaines biographies de la vie de La Fayette adoptent un angle particulier dans le choix de leur titre. André Lebey publie ainsi, en 1937 ; l’ouvrage La Fayette ou le militant 398 franc- maçon . Marion Vandal est l’auteur en 1976 avec Paul Lesourd de La Fayette ou le sortilège de l’Amérique 399.

391 OLIVIER Philippe, Bibliographie des travaux relatifs à Gilbert du Motier, Marquis de La Fayette et à Adrienne de Noailles, Clermont- Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1979, 87 p. 392 QUINEL Charles et MONTGON A. de, La Fayette, Fernard Nathan Editeur, Paris, 1937, 393 DEBU-BRIDEL Jacques, La Fayette, Paris, Editions de la Nouvelle France, 1945, 272 p. 394 CASTRIES, Duc de, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974, 405 p. 395 BELIN René, La Fayette, La passion de la liberté, Timée-Editions, 2007, 141 p. 396 PELET DE LA LOZERE, Comte, La Fayette en Amérique et en France, Paris : Grassart, 1867, In-18 , 210 p. 397 LA FUYE, Maurice de et BABEAU A., La Fayette, soldat de deux patries, Paris : Amiot-Dumont, 1953, 292 p. 398 LEBEY André, La Fayette ou le militant franc-maçon, 2 vol., Paris : Librairie Mercure, 1937, 2 vol., 571 p. 399 VANDAL Marion et LESOURD Paul, La Fayette, le sortilège de l’Amérique, France-Empire 1976 VALLAURI Antoine - 2011 105 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Plusieurs ouvrages s’apparentent à l’étude de certaines périodes de la vie de La Fayette. Aliénor Bardoux, en 1892 et 1893, deux biographies distinctes l’une consacrée à La Jeunesse de La Fayette (1757-1792), l’autre aux Dernières années de La Fayette (1792-1834). Henri Doniol publie, en 1904, un libre biographique intitulé Politiques d’autrefois. La Fayette dans la Révolution. Années d’Amérique. Années de pouvoir et années de geôle. La veille de Consulat, 1775-99. Au fil du temps, La Fayette a fait l’objet de moult articles qui le présentent sous des aspects divers. Les origines de La Fayette sont évoquées dans des revues historiques locales et nationales, de même que ses différentes demeures. Pierre Paul consacre ainsi en 1957 une publication, dans la Revue Historique de l’Armée, aux « ancêtres et au berceau de La Fayette400 ». La vie de La Fayette au Château de La Grange, en Seine-et-Marne, est développée à deux reprises dans la Revue des Deux Mondes par le comte Charles de Rémusat en 1859 et par le comte René de Chambrun en 1976401. La présence ou le passage de La Fayette dans différents territoires et villes de France est remémorée dans des revues d’histoire locale. Il s’agit des lieux où La Fayette a vécu, dans lesquels il s’est illustré ou bien où il est simplement passé. En Haute-Loire, l’Almanach de Brioude, société savante d’histoire locale et revue du même nom, est la revue propice à la publication d’articles en relation avec le souvenir du marquis de La Fayette et ses liens avec le territoire. Paul Pialoux, historien altiligérien, y publie ainsi, en 1976, un article sur les rapports entre La Fayette et la ville de Brioude La Fayette est également étudié à travers le prisme de sa vie privée. Bernard Fay s’intéresse en 1955 aux rapports entre La Fayette et les femmes dans la revue Miroir de l’Histoire 402. Paul Chanson, quant à lui, publie en 1947 un ouvrage consacré à La Fayette et à Adrienne de Noailles403. On observe aussi un découpage des publications sur La Fayette selon les différents événements historiques auxquels il a participé. Son action dès l’Ancien Régime est étudiée, à travers sa participation à l’Assemblée provinciale d’Auvergne et à l’Assemblée des Notables en 1787. Jean Egret est l’auteur, en 1952, d’un article « Lafayette dans la première Assemblée des Notables (février-mai 1787) » paru dans les Annales Historiques de la Révolution Française 404. La Fayette dans la Révolution française est bien évidemment analysé dans les articles historiques, que ce soit à travers ses idées politiques de l’époque ou ses rôles dans les événements de la Révolution. Un des articles les plus emblématiques sur la question est celui écrit par l’historien Marcel Reinhard, de l’institut d’Histoire de la Révolution Française de la Sorbonne, dans le Catalogue de l’exposition La Fayette organisée par les Archives Nationales en 1957405. Mentionnons également l’article de Louis

400 Pierre Paul, « Les ancêtres et le berceau de La Fayette », dans Revue Hist. de l’Armée, 1957, n° 2, p. 29-36 401 Charles de Rémusat, « La Fayette au Château de La Grange », dans Revue des Deux Mondes, n° 7, avril 1859, p. 428-443 ; René de Chambrun, « La Fayette et “l’âme de Lagrange”, dans Revue des Deux Mondes, mars 1976, p. 627-639 402 ème Bernard Fay, « Le Marquis de La Fayette et les femmes », dans Miroir de l’Histoire, 1955, 6 année, décembre, p. 677-686 403 Paul Chanson, La Fayette et sa femme, Paris : les Editions familiales de France, 1947, 239 p. 404 Jean Egret, « Lafayette dans la première Assemblée des Notables (février-mai 1787), dans Annales Historiques de la Révolution Française, tome 24, n° 125, 1952, pp. 16-32 405 Marcel Reinhard, « Le rôle de Lafayette dans la Révolution Française », 106 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

Hastier « La Fayette et la fuite du Roi » paru dans la Revue des Deux-Mondes 406 en 1955. Les années d’exil et de captivité de La Fayette ne sont pas oubliées, puisque son descendant, le comte René de Chambrun, publie, en 1977, un livre consacrée à la question, Les prisons de La Fayette. Dix ans de courage et d’amour 407. De même, l’académicien André Maurois évoque, en 1960, dans la Revue de Paris, la captivité de La Fayette à Olmütz408. Paul Chanson s’intéresse, en 1958, aux relations compliquées entre La Fayette et Napoléon409. Enfin, le dernier fait d’arme de La Fayette, son rôle dans la Révolution de 1830, fait l’objet de plusieurs publications, parmi lesquelles on peut citer l’article de Charles Pouthas, « La Fayette et la Révolution de 1830 », paru dans le catalogue de l’exposition des Archives Nationales410. Outre les biographies portant l’expression dans leur titre, de nombreux écrits sur La Fayette peuvent être regroupés sous le thème de « La Fayette le libéral ». Cela apparaît de manière flagrante dans un article de Jacques de Bénac, « La Fayette, héros de la liberté » paru dans France-Amérique Magazine en 1956411. Mais, on peut aussi ranger sous cette appellation les articles concernant les liens entre La Fayette et la Franc-Maçonnerie (à titre d’exemple, l’article de Pierre Chevallier, « La carrière maçonnique de La Fayette », paru dans l’Almanach de Brioude en 1985412), ses liens avec les Juifs413, son action en faveur de l’abolition de l’esclavage414 et son soutien à l’amélioration de la situation des Protestants415. Les liens entre La Fayette et les Etats-Unis constituent un des thèmes centraux des publications le concernant, même si la grande majorité des écrits sont issus d’auteurs américains. Parmi les ouvrages généraux sur ce thème, on note celui d’Henri Marguy, La Fayette et les Etats-Unis, paru en 1918416. En 1926, Albert Mathiez publie un article « Lafayette et le commerce franco-américain à la veille de la Révolution417 », qui s’efforce de montrer le rôle joué par La Fayette dans le développement des échanges commerciaux franco-américains. On peut ranger dans cette catégorie également un livre du vicomte Hugues de Montbas sur les rapports entre La Fayette et les Indiens, Histoires de France. Avec Lafayette chez les Iroquois 418.

406 Louis Hastier, « La Fayette et la fuite du Roi »,dans Revue des Deux-Mondes, 1955, n° 4, février, pp. 674-697 407 René de Chambrun, Les prisons de La Fayette, Librairie académique Perrin 1977, 341 p. 408 André Maurois, « La Fayette à la prison d’Olmütz », dans Revue de Paris, 1960, n° 12, pp. 15-32 409 Paul Chanson, La Fayette et Napoléon, Lyon : Les Editions de Lyon, 1958, 346 p. 410 Charles H. Pouthas, « La Fayette et la Révolution de 1830 », pp. 134-139 du Catalogue Hôtel de Rohan, 1957 411 ème Jacques de Bénac, « La Fayette, héros de la liberté », dans France-Amérique Magazine, 1956, 46 année, n° 10-12, pp. 139-140 412 Pierre Chevallier, « La carrière maçonnique de La Fayette », dans Almanach de Brioude, 1985, pp. 43-66 413 ème Henri Jay Kahn, « La Fayette et les Juifs », dans Journal des Communautés, 1957, 7 année, n° 184, p. 2 414 Albert Krebs, « La Fayette et l’abolition de l’esclavage », dans Les cahiers français, décembre 1957, pp. 24-29 415 Charles Read, « Lafayette, Washington et les Protestants de France 1785-1787 », dans Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1898, 36 p. 416 Henri Marguy, Lafayette et les Etats-Unis , Paris : Figuières, 1918, 64 p. 417 Albert Mathiez, « Lafayette et le commerce franco-américain à la veille de la Révolution », dans Annales Historiques de la Révolution Française, III, 1926, pp. 474-484 418 Hugues de Montbas, Histoires de France. Avec Lafayette chez les Iroquois.Paris : Firmin-Didot, 135 p. VALLAURI Antoine - 2011 107 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

2.2.L’opinion des biographes Depuis sa mort, La Fayette a fait l’objet de nombreuses biographies en France et aux Etats- Unis. Ces biographies, de valeur inégale, mettent en scène un héros analysé sous toutes les facettes, qu’elles soient glorieuses ou obscures. Le reproche qu’on peut leur adresser est leur manque d’objectivité, la tendance à l’idéalisation de La Fayette étant supérieure aux biographies critiques du personnage. Les biographes reconnaissent les défauts et les erreurs de La Fayette tout au long de son existence, pour mieux mettre en lumière ses grandes qualités et ses actions glorieuses. L’intérêt de notre étude se concentre sur les jugements portés par les biographes français sur la personne de La Fayette. Tous les biographes considèrent La Fayette comme un personnage historique ayant joué un rôle majeur. Ils montrent combien La Fayette a été présent dans de nombreux événements cruciaux sur une période longue. Le duc de Castries, de l’Académie française, explique que, bien qu’il n’ait jamais fait partie du gouvernement, La Fayette a influé sur le cours de l’Histoire de France : il « a infléchi l’histoire plus profondément que ceux qui paraissaient l’avoir conduite. Trois fois au moins dans sa vie il a été un moment le maître de la destinée française, et il n’a pas toujours été malheureux dans ses réalisations […]419. » Il qualifie la vie de La Fayette de « l’une des plus extraordinaires de l’Histoire. » En 1976, Jacques Debû-Bridel met également en évidence cette importance de La Fayette dans toutes les grandes crises : « Dans toutes les grandes crises politiques, 1789, 1815, 1830, le peuple s’est rallié autour de lui spontanément, comme par instinct. Il exerça sa domination aux heures décisives, sans consécration des suffrages, sans titres, sans fonction420. » Eugène Cornuel, déjà en 1905, estimait que La Fayette avait eu un « destin extraordinaire421 ». Pour Louis Pons, en 1918, La Fayette, « en travaillant pour la France de Louis XVI, a été le bon serviteur de la France immortelle qui lui doit à lui, plus qu’à tout autre dans le passé, l’alliance des fils de Washington422. » L’ancien ministre de l’Instruction Publique Agénor Bardoux insiste aussi sur la prééminence de La Fayette dans les grandes révolutions de la période 1770-1830 : « Les quatre révolutions auxquelles La Fayette a assisté l’ont vu jouer un rôle considérable, sinon le premier423. » Les biographes témoignent par ailleurs de la popularité de La Fayette et tendent à en expliquer les raisons. Jacques Debû-Bridel l’affirme d’entrée de jeu : « La Fayette si longtemps et universellement populaire ». Il explique sa popularité si longue dans le temps par son désintéressement et son refus du pouvoir : « A ce refus même sans doute. Il est aux heures tragiques le sauveur. Celui qui indique à la Nation la voie à suivre. Il ne s’installe pas au pouvoir […] La Fayette s’impose par une autorité morale plus que politique. » Alfred Mazières, en 1896, évoque les « enivrements de la popularité » que La Fayette a connu au début et à la fin de sa longue carrière héroïque424. Pour Etienne Charavay, dont la biographie de La Fayette est considérée comme l’une des références en la matière, le héros des

419 Duc de Castries, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littératures, 1974, p. 13 420 Jacques Debû-Bridel, La Fayette, Paris : Del Duca, 1976, p. 10 421 Eugène Cornuel, Histoire populaire d’un homme de la Révolution : La Vie et les Aventures du général La Fayette, Paris : Ch. Delegrave, 1905 422 Louis Pons, La Fayette aux Etats-Unis, Paris : P. Téqui,1918, 423 Agénor Bardoux, La jeunesse de La Fayette (1717-1792), Paris : Calmann-Lévy, 1892, 424 Alfred Mazières, Morts et vivants, 1897, p. 156 108 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

deux mondes occupe, en raison même de sa popularité, une place particulière parmi les grands personnages français, ce qui lui confère le statut de héros romanesque : « Parmi les illustrations françaises, La Fayette est resté un des plus populaires. Sa longue et laborieuse carrière semble appartenir plutôt au domaine du roman qu’à celui de l’histoire425. » Etienne Taillemite, quant à lui, montre, en 1989, que La Fayette n’agissait qu’en fonction des hypothétiques conséquences de ses actes sur sa popularité : « Amoureux éperdu de la gloire, atteint de cette “faim canine pour la popularité et la renommée”, de même que les politiques d’aujourd’hui vivent l’œil fixé sur les sondages, il ne concevait son action qu’en fonction de son image populaire426. » Le même auteur souligne que la popularité de La Fayette a perduré dans la postérité : « De tous les hommes de son temps, La Fayette reste l’un des plus populaires chez les Français d’aujourd’hui. » Etienne Taillemite cherche à expliquer les raisons qui expliquent, selon lui, le maintien post-mortem de la popularité de La Fayette : « A la persistance de la gloire fayettiste, on peut trouver plusieurs causes attachées aux principaux épisodes de sa vie […]427 ». Il ajoute : « S’il garde aujourd’hui une telle popularité, c’est sans doute parce qu’il a attaché son nom aux aspects positifs de cette époque, à cette déclaration des droits de l’homme à laquelle il tenait tant. » Pour Hadelin Donnet, en 1990, « Lafayette reste une des figures les plus populaires de notre histoire428. » Les différents biographes de La Fayette sont forcés de reconnaître les erreurs et les insuffisances du marquis tout au long de son existence, même s’ils tendent à les justifier pour les écarter et ainsi mieux mettre en avant ses principaux faits d’armes et qualités. Eugène Cornuel l’affirme en 1905 : « Il eut ses erreurs, de graves erreurs parfois ; il commit des imprudences, jamais une lâcheté429. » Cornuel en vient à s’interroger sur les errements de La Fayette en 1791 : « Pourquoi La Fayette n’a-t-il pas su se contenter de la gloire déjà très haute d’avoir réorganisé une armée compromise et de la mener à l’ennemi ? […] Pourquoi ? Parce qu’en temps de révolution, plus qu’à aucun autre moment, il est encore bien plus difficile de connaître son devoir que de le remplir […]430 » L’auteur reconnaît de même que La Fayette a commis des erreurs eu égard à son idéal de liberté : « Je sais bien qu’on peut rappeler au moins trois occasions où il en comprit mal les intérêts : au 10 août, au 18 brumaire et au 30 juillet. Ces erreurs restent au compte de son défaut de perspicacité, mais non d’un défaut de loyauté. » Il tente enfin de minimiser d’autres erreurs imputés à La Fayette, notamment son prétendu manque de volonté démocratique431. Cornuel est aussi forcé de reconnaître qu’il manquait à La Fayette certaines grandes vertus qu’on les grands

425 Etienne Charavay, Le général La Fayette 1757-1834, Paris, Société d’Histoire de la Révolution française, 1898, 426 Etienne Taillemite, La Fayette, Fayard, 1989, p. 526 427 Ibid, P. 535 : « […] L’indépendance américaine en premier lieu, et le rôle joué dans la fondation d’une amitié qui, à deux reprises, sauvera la France de l’effondrement. Bien qu’il n’ait pas joué dans cette naissance d’une nouvelle puissance le rôle essentiel, il a su avec une grande habileté s’en créer l’image symbolique. » 428 Hadelin Donnet, Chavaniac-Lafayette : le manoir des deux mondes, Paris : le Cherche-Midi éditions, 1990 429 Eugène Cornuel, p. 8 430 Ibid : « […] La Fayette n’a pas été un malhonnête homme. S’il fut ambitieux, et cela n’est pas contestable, il eut seulement l’ambition de faire le bonheur de sa patrie ; mais il s’est lourdement trompé sur les moyens de l’assurer. Pour lui, le vrai moyen, c’était de maintenir la constitution de 1791 et la royauté telle que cet acte l’avait définie. » 431 Ibid : « D’aucuns lui ont durement reproché de n’avoir pas été assez démocrate. S’ils veulent dire que son système politique était tout à fait insuffisant pour le temps où nous vivons nous-mêmes, cela est assurément vrai. Mais il faut penser au mérite immense qu’eut cet homme, sorti d’une noble famille, à s’élever à la haine de tout despotisme, au culte des institutions monarchiques libérales, puis, par un dernier effort d’esprit, à la conception de la République et du suffrage universel. » VALLAURI Antoine - 2011 109 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

hommes : « Il ne fut ni un grand homme de guerre, ni un grand homme d’Etat, ni un grand orateur ni un grand penseur ». Cette analyse est aussi faite sienne par le duc de Castries : « Certes il ne fut pas un grand penseur, on ne peut le ranger parmi les grands orateurs politiques bien qu’il s’exprimât avec élégance ; il ne fut en rien un homme d’Etat ». De même, pour Etienne Charavay, « il ne faut pas chercher dans La Fayette un penseur ou un homme d’Etat ». Dans la plume d’Etienne Taillemite, cela donne : « La Fayette, ni penseur politique, ni homme d’Etat, ni véritable homme d’action ». Maurice de La Fuye, considère, lui, que La Fayette a fauté dans son interprétation de la Révolution française : « la plus grave erreur de La Fayette est de n’avoir pas saisi, comme Mirabeau, le rythme de la révolution, une course de vitesse dans laquelle il ne peut être que distancé432. » Il estime que La Fayette a péché dans ses actions par manque de prudence, empressement et « méconnaissance de la réalité ». Ces insuffisances l’ont conduit à une perte de « la maîtrise des événements ». Henri Chérot soutient que La Fayette « a eu des faiblesses, il a aimé la popularité, il a fait des sacrifices pour la conserver. » Certains biographes font allusion aux défauts qui ont pu affecter les actions de La Fayette. Henri Chérot met l’index sur son indécision : « Que voulait La Fayette ? Il ne paraît pas l’avoir bien su lui-même. L’indécision est un des fâcheux côtés de son caractère. Seul Louis XVI ignorait encore plus que lui l’art de poursuivre un but ou de tenir une résolution433. » La comparaison avec Louis XVI révèle l’importance de ce défaut. Le duc de Castries évoque la constance de La Fayette dans ses idées comme l’unique facteur ayant empêché La Fayette d’accomplir une grande carrière : « La fidélité à un idéal assure rarement une grande carrière politique et l’on peut même dire qu’elle ne l’assure jamais si elle n’est complétée par une profonde connaissance des hommes »434. Pour Gonzague Saint-Bris, la fidélité de La Fayette à ses convictions était au contraire une grande qualité : « Si agité que fut sa vie, une passion constante la domine, et c’est peut-être là son paradoxe. On s’acharne à le trouver hésitant, sinueux, incapable de jouer les grands rôles que le destin lui offre plus d’une fois […] et pourtant, il fut un personnage d’une seule pièce. Il est difficile de trouver un homme moins versatile que lui »435. Pour Eugène Cornuel, La Fayette « était d’une candeur et d’une franchise que les politiques retors ont pu appeler de la niaiserie ». Il ajoute : « Il reste que La Fayette était trop confiant, trop crédule, et il compromit souvent les causes qu’il voulait servir. Le cœur parlait chez lui plus haut que la raison ». Son ingénuité et sa trop grande sensibilité sont reprises dans l’analyse d’Etienne Charavay : « Il se laissait prendre trop souvent à la fantasmagorie des mots plutôt qu’à la logique des faits. Aussi, que de fois il fut meurtri dans les aventures où le lançait sa noble et imprévoyante nature ! De là, des étonnements naïfs, des reculs soudains, des contradictions déconcertantes ». Henri Doniol souligne un manque d’esprit politique chez La Fayette : « Chez La Fayette, l’esprit politique au sens courant du mot fut absent. L’adresse ou l’art tactique qui savent de soi prévoir, qui réduisent d’avance les écueils ou les écartent et qui font aboutir, lui manquait ». Etienne Taillemite est l’un de ceux qui résument le mieux les insuffisances fondamentales du fonctionnement de La Fayette : « Optimiste impénitent, constamment dupe de lui-même et des autres, atteint de ce terrible dérèglement de l’esprit qui fait, selon Bossuet, que l’on voit les choses non comme elles

432 Maurice de La Fuye, La Fayette, soldat de deux patries, Paris : Amiot-Dumont, 1953, p. 109 433 Henri Chérot, Figures de soldats : Olivier de Clisson, La Fayette, La Tour d’Auvergne…, Lille : Société de Saint- Augustin,1900 434 Duc de Castries, p. 12 435 Gonzague Saint Bris, La Fayette, Taillemaque, 2006 110 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

sont mais comme on voudrait qu’elles soient, le génie chimérique de La Fayette le conduisit constamment à prendre son désir pour la réalité, à se nourrir d’illusions et à négliger ce qui aurait pu être les enseignements de l’expérience ». Joseph Delteil, biographe, s’il en est, de La Fayette, davantage enjoliveur et lyrique que soucieux d’exactitude minutieuse, auteur d’un ouvrage qui n’est que louanges, doit reconnaître les manques de son héros : « Son vrai, son grand crime, c’est l’imagination. Jamais il ne perçut, ne sentit la réalité, jamais il n’y crut. Il vivait en plein irréel logique et irrisé, en plein surréel […] Peu fait, c’est entendu, pour le maniement des hommes et des faits, pour l’art de gouverner, qui est tout objectivité […] Il vivait dans un univers fayettiste, clos de cristal»436. Le comte Pelet de la Lozère trouve une explication au nombre considérable de contempteurs et de critiques envers La Fayette : « La conduite de La Fayette dans ces événements a trouvé plus de détracteurs que de panégyristes parce qu’elle a toujours manqué un peu de connaissance des hommes et des conditions nécessaires du gouvernement »437. Il trouve une explication à ce manque de connaissances : « Où aurait-il puisé ces connaissances à l’âge où se forment les hommes d’Etat, quand il n’y avait dans l’ancienne monarchie aucune institution […] pour préparer la jeune noblesse à la vie politique ? ». Ce manque de connaissances sur les conditions nécessaires de gouvernement aura des conséquences sur sa carrière : « De là vint qu’il ne fut jamais appelé en France à gouverner, comme ministre et ne passa point l’épreuve du pouvoir comme Washington. Il resta toujours en dehors, et fut pour ceux qui gouvernèrent un obstacle, jamais une aide et un appui ». Jacques Debû-Bridel explique qu’il convient de laisser de côté les critiques sur les insuffisances de La Fayette et justifie les attitudes de La Fayette : « Laissons donc là les critiques et les reproches aveugles des réalistes bornés. Il était impossible à un héros de pureté, à La Fayette de s’user et de se prostituer dans les roueries du gouvernement, comme il était impossible à Jeanne d’Arc de veiller à la cour de Valais ». Le débat règne parmi ses biographes sur le fait de savoir s’il était un homme en avance sur son temps ou non. Etienne Taillemite confirme cette idée bien répandue : « Par son état d’esprit, La Fayette participe largement à ce qu’Ernest Labrousse appelait “la révolution des anticipations”. Il anticipe sur les idées de son temps ». Selon Joseph Delteil, le général est un train d’union entre son époque sortant de l’Ancien Régime et la modernité : « Il fut un vrai chevalier du Moyen-Age, le dernier chevalier de France. Et en même temps le premier homme moderne. Il fait ainsi le pont entre l’ancienne France (celle des Croisades) et la nouvelle ».

2.3. La Fayette à l’épreuve des intellectuels Jules Thomas, agrégé de philosophie, publie en 1898 une édition de la Correspondance inédite de La Fayette, agrémentée d’une étude psychologique du personnage qu’il a réalisée. Il considère que « la vie de la Fayette est un cas psychologique à éléments très simples et à durée exceptionnellement longue »438. Il distingue deux périodes dans sa vie qui correspondent toutes deux à des états psychologiques différents. D’après Jules Thomas, il

436 Joseph Delteil, La Fayette, Paris : Grasset, 1928 437 Comte Pelet de la Lozère, La Fayette en Amérique et en France, Paris : Grassart, 1867, p. 204 438 Jules Thomas, Correspondance inédite de La Fayette, précédée d’une étude psychologique, p. 7 VALLAURI Antoine - 2011 111 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

y a dans l’existence de La Fayette une phase qu’il qualifie « d’ascendante » qui dure dix- sept ans, « depuis une première crise d’enthousiasme à l’âge de dix-huit ans (8 août 1775) jusqu’à une crise de dépression morale le 19 août 1792439 ». Il y a ensuite une période « d’immobilité relative » qui dure quelques quarante-deux ans. La Fayette, pour Jules Thomas, est un homme dévoré par le désir d’agir lors des révolutions qui ont été les plus déterminantes de l’histoire. Il a d’abord connu toute une série improbable de succès, puis « en une heure, rebuté et passé à l’état de souvenir et de type héroïque440 ». La Fayette est jugé incapable de faire des calculs politiques, comme quelqu’un qui navigue à vue, mû par les « circonstances » jusqu’à se retrouver en position de jouer les rôles principaux dans la constitution des régimes politiques républicains aux Etats- Unis et en France. Son attitude, portée par son incapacité aux combinaisons politiques, est même devenue d’après Jules Thomas un modèle de référence pour « la classe d’hommes la plus considérable issue de la secousse de 1789441 ». Jules Thomas estime que durant la première phase de la Révolution française, de 1789 à 1792, La Fayette n’a pas véritablement été un vrai « gouvernant ». Il en était incapable car cette position était trop élevée pour lui. Se préoccupant à la fois de la défense de l’intérêt général, mais aussi de son intérêt individuel, il a plutôt suivi les événements et ne les a pas maîtrisés. L’abandon de son poste de général en chef à l’armée du Nord, le 19 août 1792, est le point « culminant442 » de sa vie. « Tout le développement antérieur de sa nature l’a conduit, par une série de conflits avec la réalité et de coups de tête, jusqu’à ce moment de folie, et tout le reste de sa vie s’en est ressenti. » La Fayette, mû par son goût pour la popularité, par une trop grande opinion de sa propre « influence » et de son rôle, a longtemps pensé qu’il pourrait dominer la Révolution, « la terminer au point où [sa] propre conception politique s’arrêtait, et se faire le sauveur de la chose publique443 ». Il n’est pas allé jusqu’au « bout d’une évolution morale qui l’eût mené à un coup d’Etat achevé, parce que la nature n’avait pas fait de lui un homme d’action, et parce que sa délicatesse de sentiment l’arrêta devant certains moyens ». Pour Thomas, c’est le goût de La Fayette pour la gloire qui, stimulé par les événements successifs, a été son moteur durant cette phase essentielle de son existence jusqu’à la « crise » du 19 août 1792, avant la deuxième période de sa vie qui n’a été qu’un « effacement relatif ». Jules Thomas achève son étude en affirmant que le cas de La Fayette « relève plus des curiosités de la psychologie que des sévérités de la conscience444 ». Marcel Reinhard, ancien directeur de l’Institut d’Histoire de la Révolution française à la Sorbonne, témoigne de l’importance du rôle joué par La Fayette dans la Révolution : « Finalement, La Fayette, avec le recul du temps, apparaît comme un auteur important de la Révolution de 1789, comme un précurseur de la monarchie bourgeoise. On peut le 439 Ibid., p. 7 440 Ibid., p. 8 441 Ibid. p. 8 : « une volonté médiocre, bornée, réduite aux coups de tête de l’impulsion psychique, provoquant des mouvements sociaux incroyables d’élan et de réaction, mais impuissante à diriger sa personnalité même : voilà ce qu’offre La Fayette pour une étude de psychologie biographique. » 442 Ibid., p. 61 443 Ibid., p. 80 444 Ibid., p. 104 112 VALLAURI Antoine - 2011 Partie III : La Fayette face aux jugements

considérer comme une grande figure de la noblesse libérale, une figure équestre incarnant un idéal immuable445 » Les historiens, loin s’en faut, ne sont pas tous tendres avec le champion des droits de l’homme. Ainsi, d’après Marc Ferro, co-directeur des Annales, « s’il correspond bien à un symbole, La Fayette jouit d’un éclat un peu faux, c’est un adepte des changements de pied opportunistes. Il a été le flambeau de régimes qu’il n’a pas soutenus jusqu’au bout.446 » A la fin de XIXème siècle, l’historien Anatole de Gallier, président de la Société d’archéologie, d’histoire et de géographie de la Drôme, se montre très critique envers La er Fayette, dans un article qu’il publie dans Le Contemporain du 1 juillet 1882. Gallier estime que La Fayette a laissé une trace néfaste et durable pour la France : « Ce fut sans contredit un des hommes qui ont fait à leur pays le plus de mal et de mal durable447. » Le diplomate et historien de la Révolution française Emile Dard est très virulent contre l’action de La Fayette à la fin de sa vie : « Le vieux La Fayette, toujours assoiffé de popularité, leur servait de trait d’union (aux républicains et aux bonapartistes) et ourdissait dans l’ombre maçonnique des séditions militaires448. » L’historien d’inspiration conservatrice Jean Tulard, de l’Institut, auteur d’une Histoire et d’un Dictionnaire de la Révolution française, est catégorique sur ce qui fait qu’aujourd’hui encore, La Fayette est détesté des nostalgiques de la monarchie : « Personnage stupide et nain politique, La Fayette est l’un des principaux responsables de la chute de la monarchie française »449. Sur cette figure de La Fayette comme traître à sa classe, le journaliste Laurent Joffrin émet un point de vue intéressant. Dans son ouvrage Histoire de la gauche caviar, il place La Fayette en tête des illustrations de la « gauche caviar » car, très noble et très riche, il a fait beaucoup de mal à sa classe450. Dans la catégorie des précurseurs de la gauche caviar, Joffrin range La Fayette, Talleyrand et Philippe d’Orléans. Il estime que La Fayette a agi « dans la gloire, le panache, la candeur de l’idéal », alors que Talleyrand fut « tortueux, corrompu, cynique ». Mais, en fin de compte, pour Joffrin, c’est La Fayette qui a le plus nui à son rang. La Fayette commença par conduire les jeunes nobles pleins d’espérance qui allaient participer à la fondation des Etats-Unis. « C’était le premier système politique fondé sur l’égalité civile : il représentait un précédent dangereux pour la noblesse française dont La Fayette était le fils ». Ainsi, pour Joffrin, « La Fayette incarne à merveille le rôle que va tenir la “gauche caviar”, si anachronique que soit le terme, aux temps du grand chambardement révolutionnaire ». La Fayette aurait dû demeurer « fidèle » à son rang noble. Et pourtant, il fit le choix de « l’ordre nouveau… ou le désordre ». Au moment de la fête de la Fédération, il « parade » sur son cheval

445 Cité dans Ribadeau-Dumas, p. 436 446 Cité dans Amélie de Bourbon, « La Fayette au Panthéon », in Le Point, 6 décembre 2007, p. 115 447 Anatole de Gallier, « Les Hommes de la Constituante : le Général La Fayette », in Le Contemporain, Revue Universelle, er 1 juillet 1882, vol. 24, p. 22-61 448 Emile Dard, La chute de la monarchie, Paris : Hachette, 1950, p. 191 cité dans LEGRAND Robert, La guerre d’indépendance américaine et La Fayette, 2006, p. 55 449 Cité par BOKOBZA Serge, “Franco-American Perspectives on La Fayette’s Legacy”, dans Federation of Alliances françaises of USA-le Magazine, automne 2010, p. 26 450 Laurent Joffrin, Histoire de la gauche caviar, Paris : R. Laffont, 2006, p. 43-52 VALLAURI Antoine - 2011 113 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

blanc « dans un grand concours populaire ». Cette fête correspond, dans l’esprit de Joffrin à une « apothéose parfaitement accordée à la nature profonde des élites progressistes [qui] rêvent d’une réconciliation du peuple sur l’autel de nouveaux principes […] ». En cela, La Fayette personnifie parfaitement la gauche caviar avant l’heure, dont il est un précurseur. Cette analyse rejoint d’une certaine manière celle du Figaro du 29 mars 1879 dans laquelle La Fayette était figuré comme l’initiateur du centre gauche en France451. D’une manière générale, il semblerait que parmi les historiens s’étant penchés sur la Révolution française, il n’y en eût pas d’inconditionnels de La Fayette. Dans Un jury pour une Révolution, paru en 1974, Jacques Godechot s’est efforcé de montrer comment, tout au long du XIXème siècle, quatre générations d’historiens se sont attachés à mieux comprendre la Révolution. Parmi ces historiens, on remarquait des Dantonistes, Robespierristes, Babouvistes, Bonapartistes, voire Brissotistes ou admirateurs de Mirabeau, mais on observe en vain aucun Fayettiste, ce qui est significatif à son sens452. En effet, dans l’esprit de Jacques Godechot, La Fayette n’est « pas un grand ancêtre, il est un second rôle ».

451 Voir supra p. 14 452 Jacques Godechot, Un jury pour la Révolution française, Paris : Laffont, 1974, p. 221 114 VALLAURI Antoine - 2011 Conclusion

Conclusion

Déterminer la place de Gilbert de La Fayette dans l’Histoire de France, rendre compte de sa vision dans la mémoire collective nationale française semble relever d’une gageure, étant donnés les nombreux jugements et opinions exprimés à son égard depuis sa mort. Il faut reconnaître que La Fayette a laissé peu de monde indifférent parmi les personnes éclairées. Toutefois, ces derniers sont loin de refléter l’opinion publique et les populations françaises dans leur ensemble. D’emblée, dès sa mort, une réelle dichotomie apparaît quant au souvenir que La Fayette laisse dans sa postérité. Pour la majorité des Français, la figure de La Fayette s’efface progressivement, comme pour tous les personnages importants de l’Histoire de France qui jouèrent un rôle prépondérant à leur époque, sans être les meilleurs de leur temps. Rappelons que s’il fut éminemment populaire en 1830, il fait face dans les dernières années de sa vie à un certain sentiment de lassitude d’une partie de la population, dû sans doute à sa trop longue présence sur la scène publique. Stendhal fait partie de ceux qui ressentirent cette impression. D’aucuns parleront de lui comme un « vieillard vaniteux et dépassé ». Par conséquent, les nombreux hommages qui lui sont rendus à sa mort, le 21 mai 1834, dans la presse, font l’écho de sa popularité de 1830 et non de sa situation au moment de sa mort. Ainsi, dès avant sa mort, certains avaient commencé à l’oublier. A l’inverse, le souvenir de La Fayette ne laisse pas indifférent les personnes éclairées. Parmi ceux-ci, une ambivalence de jugement se manifeste très clairement. La Fayette est apprécié par un certain nombre, tels que certains de ses descendants ou des républicains l’ayant côtoyé en 1830. Il est mal considéré par d’autres, les descendants de républicains de la première heure, qui pensent que La Fayette n’en avait pas fait assez en faveur de la république en 1791, ou qu’il est un traître car il a fui, ou au contraire par des descendants des monarchistes et contre- révolutionnaires, pour qui La Fayette est un traître à sa classe, voire un des principaux responsables de la chute de la monarchie française. Un exemple typique de ce type de jugement envers La Fayette est le fameux « ganache peu héroïque » employé par le journal ultra catholique L’Univers à son égard, au moment de l’inauguration de sa statue au Puy en 1883. D’une manière symétrique à la réalité de l’opinion française majoritaire de l’époque, la presse française ne médiatise que très peu le souvenir du général. Il en découlerait que cette presse n’est pas à l’époque l’expression d’une véritable opinion, n’a pas de finalité en soi, qu’elle ne fait que suivre l’opinion générale. Elle est réellement le reflet de l’opinion collective sur La Fayette, c’est-à-dire l’indifférence. Son souvenir est présent uniquement dans des mémoires spécifiques, telles que familiale, locale, franc-maçonne… Son image réapparaît une première fois en 1883, lorsque le département de la Haute- Loire, qui fait partie de ces mémoires spécifiques, décide d’honorer enfin ce héros local. Le soudain regain d’intérêt pour La Fayette se situe dans une vague républicaine opportuniste qui exalte le patriotisme. Waldeck-Rousseau, l’un des chefs de file de cette mouvance, se montre, de concert avec les notables de Haute-Loire, très élogieux envers un La Fayette dont l’inauguration de la statue au Puy devient tout à coup une grande fête de la démocratie et patriotique. En 1900, le souvenir de La Fayette est réemployé dans une première tentative réelle de promouvoir l’amitié entre la France et les Etats-Unis. L’image du héros des deux mondes ressurgit véritablement avec force en 1917 avec l’aide américaine symbolisée par « La Fayette nous voilà ! ». Dès lors, la figure de La Fayette devient un mythe qui VALLAURI Antoine - 2011 115 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

gouverne sous son nom les relations franco-américaines. Lors de ses grands anniversaires en 1934 et 1957, son souvenir renouvelé est l’occasion d’une grande communion nationale et franco-américaine. La Fayette est certes davantage présent dans les esprits qu’avant 1917, on se souvient de lui comme d’un personnage d’envergure nationale et moteur de l’amitié franco-américaine, mais l’utilisation de sa mémoire n’est pas désintéressée ; on le commémore de manière officielle, à l’échelle nationale, pas uniquement parce que c’est le centenaire de sa mort ou le bicentenaire de sa naissance. La presse traduit l’opinion officielle, et ne propose que très peu d’articles de fond sur La Fayette. En dehors des périodes de commémoration, sa mémoire est souvent passée sous silence, à l’exception de ses admirateurs les plus fidèles. Elle ne suscite l’intérêt de la plupart des citoyens qu’à l’occasion de ces commémorations. On ressent, autour de la figure de La Fayette, un objectif pragmatique, qui consiste à faire perdurer une grande amitié franco-américaine, comme en 1934, 1957, 1976 et 2007, à permettre une grande communion nationale ainsi qu’à renforcer des liens entre les autorités nationales et des territoires locaux, tel en 1883, 1957, 1976, avec les déplacement des officiels nationaux en Haute Loire. Autour d’une commémoration, c’est un cadre politique qui se construit : la figure de La Fayette est utilisée, en plus de la simple célébration de sa mémoire en tant que héros national ou franco-américain, dans un dessein précis, on lui construit une image par le discours officiel et la symbolique de la commémoration, pour la faire coller au plus près de l’objectif souhaité. A l’échelon local, en Haute Loire notamment, se cache, derrière l’organisation de célébrations autour du souvenir de La Fayette, le dessein d’assurer la promotion du territoire local. Mais, dans le sens inverse, l’ensemble de ces commémorations officielles achève de sceller l’appartenance de La Fayette à l’Histoire de la France. Nous pouvons nous laisser à affirmer que c’est ce double mouvement qui détermine l’intérêt de commémorer un personnage tel que La Fayette. Se pose alors la question de la mémoire collective. Il s’agit, en termes historiographiques, de l’interaction entre la mémoire historique, c’est-à-dire les politiques de la mémoire décidées par les acteurs décisionnels, et les souvenirs, ou la mémoire commune. La mémoire collective se situe au niveau de l’intersection entre l’individuel et le collectif. Ainsi, parler de La Fayette dans la mémoire collective revient à voir à la fois le souvenir et les opinions individuelles ou collectives d’un groupe particulier sur La Fayette, par exemple la mémoire des descendants de La Fayette, ou la mémoire des habitants de la Haute-Loire, ou l’opinion d’un individu, un biographe par exemple, et la mémoire historique officielle. En d’autre terme, la mémoire collective sur La Fayette se constitue dans un double travail d’homogénéisation des représentations passées sur le marquis et de réduction de la diversité des souvenirs sur sa figure. Ainsi, pour reprendre l’expression de l’historien Philippe Bourdin, qui coordonne le colloque La Fayette qui se tient au Puy en septembre 2007, « les vertus rassembleuses des commémorations » tendent à lisser l’image de La Fayette dans sa postérité. Les différents souvenirs, mémoires communes liées à La Fayette (la mémoire nationale française, la mémoire américaine, franc-maçonne, locale) s’homogénéisent dans une mémoire collective qui aboutit à l’exaltation de la Nation et de la Patrie en 1883 au Puy et à l’évocation de La Fayette comme symbole encore actuel de l’amitié entre la France et les Etats-Unis. C’est en cela que les différents discours sur sa personne, qu’ils soient prononcés par des responsables nationaux, des descendants ou même de personnalités de Haute Loire, évoquent les mêmes références au combat de La Fayette pour la liberté, à son rôle dans la guerre d’indépendance américaine et à son action au début de la Révolution française. Les autres aspects de son action ne sont pas tous oubliés, mais il leur est accordé moins de place qu’à ceux cités auparavant. On se souvient donc essentiellement de La Fayette comme l’homme de la cocarde tricolore en 1789 et

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de la liberté, en ayant tendance à oublier le reste de son parcours. La presse ne fait que reprendre ces aspects vertueux du héros des deux mondes. Du côté des jugements portés sur La Fayette, il y a un contraste intéressant. Chez les intellectuels, la réflexion est de mise et les mauvais côtés tant décriés de La Fayette sont toujours là, à l’inverse de l’effet que voudraient produire les vertus rassembleuses des commémorations d’un héros national, La Fayette, délivré de ses actions peu glorieuses. Ce type d’hommages à la mémoire de La Fayette implique donc des dénégations. Par exemple, lors du bicentenaire de la Révolution française en Haute Loire, il est affirmé que le spectacle historique qui place La Fayette face à ses procureurs est détenteur de l’impartialité de l’historien. Or, le fait même de commémorer est déjà un parti pris. A l’opposé des orateurs officiels, les historiens peuvent évaluer les réussites et les échecs dans le parcours de La Fayette. C’est ce que fait Jean-Noël Jeanneney dans la polémique sur l’hypothétique transfert de ces cendres au Panthéon. Il trouve de bons côtés dans l’action de La Fayette, mais il juge tout simplement qu’en fonction des critères républicains d’admission préexistants il y a incompatibilité entre La Fayette et le Panthéon. L’historien, même s’il peut relever d’une école particulière, se situe dans l’objectivité. Evelyne Lever est dans ce cas. Dans un colloque se déroulant, en décembre 2007 au Sénat sur le thème de « la modernité transatlantique : en quoi sommes-nous les héritiers de La Fayette ? », elle estime que le général « semble jouir d’un éclat un peu faux et d’une popularité surfaite ». Elle réalise un portrait de La Fayette dans ses aspects français. Les intellectuels présentent donc cet intérêt de pouvoir exprimer des jugements balancés sur La Fayette, sur tous les aspects de sa vie, à la différence des discours lissés prononcés lors des cérémonies commémoratives. Les biographes de La Fayette mettent, eux, à peu près tous en avant la même vision monovalente du général, certains étant toutefois plus élogieux que d’autres. Ils reconnaissent tous les défauts du personnage pour mieux porter l’accent sur ses meilleurs traits de caractères et ses actions glorieuses (son combat pour la liberté, les droits de l’homme, la cocarde tricolore…), et affirmer qu’il est un homme en avance sur son temps. Abel Pointrineau affirme que sur les écrits portant sur La Fayette, « il est juste de reconnaître que les tendances hagiographiques l’ont généralement emporté sur les intentions détractrices ». Devenir le biographe de La Fayette, c’est déjà être captivé par son personnage. ème Au regard des cérémonies du 250 anniversaire de La Fayette, nous pouvons constater qu’il n’est pas forcément évident de provoquer un nouvel engouement pour sa mémoire. Les vertus rassembleuses sont encore présentes avec l’amitié franco-américaine et l’exaltation d’un héros local en Haute Loire, mais la célébration de sa mémoire a paru avoir une audience nationale limitée. De plus, des tentatives récentes de prolonger le souvenir de La Fayette par la création d’une base commune, appelée Convention La Fayette, entre les différentes associations œuvrant pour la mémoire du général, se sont soldées sur un échec (« une velléité »). Faut-il y voir une querelle de chapelles fayettistes ? Toutefois, la mise à l’eau prochaine de l’Hermione, le bateau reconstitué de La Fayette, pourrait rendre possible un renouveau autour de sa mémoire. En définitive, La Fayette, s’il possède une place particulière dans l’histoire de France, ne semble pas faire partie des personnages les plus éminents de l’épopée française pour une bonne partie de nos concitoyens. Ceux-ci l’ont tout bonnement oublié, laissant le soin à la mémoire officielle d’affirmer son importance, et à des groupes plus restreints d’individus de discuter des mérites et des erreurs de son action.

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A l’inverse des jugements contrastés qu’il suscite en France et de l’oubli dans lequel il semble être pour une bonne partie des Français depuis sa mort, La Fayette est généralement considéré comme un véritable héros aux Etats-Unis. Pourtant, certaines visions émises semblent aller à l’encontre de cette opinion établie. Ainsi, Tocqueville remarquait qu’aux Etats-Unis, « les classes éclairés jugent M. de Lafayette sans aucune espèce d’engouement ». De plus, l’historien Tangi Villerbu estime que La Fayette est absent de l’historiographie américaine sur la Guerre d’indépendance au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Il affirme : « Jusqu’au début de la guerre froide, les Américains ne regardent leur passé qu’à travers des lunettes américaines. Ceux qui mentionnent son nom l’intègrent dans des groupes d’insurgents ».

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Sources

Consultation d’archives

Archives Nationales : -Archives du département à l’action culturelle et éducative, dossier « Lafayette 1957 » (non référencé) : documents relatifs à l’organisation de l’exposition La Fayette par les Archives nationales en 1957 et aux échanges de correspondances et relations de travail entre la Direction des Archives nationales et le Comité français pour le bicentenaire de la naissance de La Fayette. Archives départementales de Haute-Loire : Archives publiques : -Fonds 1 N 136 : Conseil Général-Rapport du Préfet. Procès-Verbal des délibérations Archives privées : -Fonds 233 J : archives Lafayette Memorial Château de Chavaniac -233 J 293 : Bicentenaire de la naissance de La Fayette -233 J 297 : Bicentenaire de l’indépendance américaine -233 J 298 : Bicentenaire de la Révolution française -233 J 338 : Biographie de La Fayette, de ses descendants, accompagnateurs et collaborateurs, extraits, notes de lectures, copies de pièces -Dossier de presse/Dossier documentaire sur La Fayette Archives départementales Seine-et-Marne : -Fonds 150 J 211 : La Fayette : -coupures de presse sur le centenaire de la naissance de La Fayette -Article sur les fêtes du centenaire de la mort de La Fayette -Fonds 24 J 120 : Dossier La Fayette : documentation, correspondance contemporaine, brochure Au pays de La Fayette Archives historiques-Bibliothèque du Grand Orient de France : -Brochure « Le Général Marquis de La Fayette Franc-Maçon du Grand Orient de France », Foyer philosophique, 1957 -Brochure : KEGHEL Alain de (dir.), La Fayette franc-maçon : Le Suprême Conseil ème célèbre un maçon et héros des deux mondes : 250 anniversaire de la naissance du Frère Gilbert du Motier, marquis de Lafayette, A.M.H.G., 2007

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-Article : « Cérémonie du bi-centenaire de la naissance de La Fayette », dans Bulletin du centre de documentation du GODF, N°9, 1957, pp. 51-52 (utilisé en tant que source)

Presse

Agences de presse : Agence France-Presse : 02 septembre 2007, 06 septembre, 12 décembre 2007 -Presse Nationale : 1834 : Journal des débats : 21 mai Le National : 21 mai Le Constitutionnel : 21, 22 et 23 mai 1879 : Le Figaro : 29 mars 1881 : Le Figaro : 15 octobre 1883 : Journal des débats : 06 septembre La Justice : 08 septembre La Presse : 08 septembre Le Constitutionnel : 08 septembre Le Figaro : 08 septembre Le Français : 08 septembre Le Gaulois : 06 septembre L’Intransigeant : 08 septembre L’Univers : 06 septembre, 08 septembre 1892 : Journal des débats : 26 juillet 1893 : Le Gaulois : 31 mai Le Petit Parisien : 04 mars 1897 : Le Petit Parisien : 03 février 1898 : Le Figaro : 14 octobre

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Le Gaulois : 31 mai 1900 : La Croix : 06 mars La Presse : 04 juin, 05 juillet Le Figaro : 05 juillet Le Petit Parisien : 21 juin L’Aurore : 05 juillet L’Echo de Paris : 05 juillet 1907 : Le Temps : 11 avril 1909 : Le Figaro : 03 avril 1910 : Le Figaro : 09 juillet 1911 : Le Gaulois : 28 octobre 1912 : Le Figaro : 17 août 1914 : Le Temps : 06 janvier 1916 : Le Figaro : 08 septembre 1917 : La Croix : 04 juillet, 05 juillet Le Figaro : 07 septembre Le Gaulois : 13 janvier, 28 janvier, 07 avril, 22 avril, 23 avril, 27 avril, 04 mai, 12 juin, 04 juillet, Le Matin : 05 juillet 1918 : Journal des débats : 06 septembre Le Gaulois : 06 septembre, 07 septembre, 23 décembre 1919 : Journal des débats : 08 septembre Supplément illustré du Petit Journal : 21 septembre 1920 : La Presse : 04 avril

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1926 : Le Figaro : 05 septembre 1929 : Le Figaro : 16 septembre 1934 : Journal des débats : 18 mai, 20 mai, 22 mai La Croix : 06 mai, 22 mai, 23 mai, 03 août Le Journal : 02 juin Le Matin : 06 mai, 19 mai Le Temps : 18 mai, 21 mai L’Ouest-Eclair : 26 mai 1937 : Le Matin : 07 octobre 1957 : Le Figaro : 07 septembre, 09 septembre Le Monde : 04 septembre, 07 septembre, 09 septembre 1963 : La Croix : septembre 1963 (jour manquant) 1974 : Le Figaro : 20-21 avril 1976 : Le Monde : 08 septembre 1977 : Le Figaro : 05 juillet 1988 : Le Figaro Magazine : 23 janvier 1997 : La Croix : 19 juillet 1999 : Libération : 03 juillet 2003 : La Croix : 27 mars L’Express : 13 mars Le Nouvel Observateur : 27 mars 2006 : L’Express : 09 novembre

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2007 : Aujourd’hui en France : 06 septembre La Croix : 12 juillet, 04 septembre, 06 septembre, 24 décembre Le Figaro : 15 décembre Le Journal du Dimanche : 16 août Le Monde : 09 novembre, 16 novembre, 05 décembre, 28 décembre Le Point : 06 décembre 2011 : La Croix : 23 avril Presse locale : 1883 : La Haute-Loire : 08 septembre 1899 : La Haute-Loire : 30 octobre 1903 : La Haute-Loire : 20 juillet 1917 : Le Progrès : 05 juillet 1919 : La Haute-Loire : 08 septembre (numéro spécial) 1934 : La Haute-Loire : 22-23 mai Le Progrès : 26 mai 1939 : La Haute-Loire : 16-17 juillet, 19 juillet 1945 : La voix républicaine de la Haute-Loire : 3-4 décembre 1947 : La voie républicaine de la Haute-Loire : 21 mars 1950 : La Ruche : 08 août 1957 : L’Eveil de la Haute-Loire : 13 juin, 05 juillet, 04 septembre, 06 septembre, 07 septembre, 08 septembre, 09 septembre, 13 septembre Le Progrès : 10 septembre 1976 :

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La Montagne : 05 juillet L’Espoir : 07 septembre er L’Eveil de la Haute-Loire : 12-13 avril, 12 juin, 01 juillet, 02 juillet, 05-06 juillet, 05 septembre, 06 septembre 1987 : er L’Eveil de la Haute-Loire : 01 février, 14 novembre 1988 : L’Eveil de la Haute-Loire : 08 février, 03 avril 1989 : La Montagne : 06 août La Ruche : 28 janvier, 04 février, 12 août L’Eveil de la Haute-Loire, 02 mai, 12 mai, 12-13 juin, 14 juillet, 06 août 2007 : La Montagne : 05 août, 03 septembre, 06 septembre, 07 septembre, 10 septembre, L’Eveil de la Haute-Loire : 28 juin, 02-03 juillet, 03 août, 10 août, 14 août, 26 août, 02 septembre, 07 septembre, 12 septembre, 20 décembre Le Progrès : 27 mars, 21 juin, 25 septembre, 27 septembre, 25 octobre (édition Haute- Loire), 19 décembre (édition Haute-Loire) Renouveau : 09 août 2008 : L’Eveil de la Haute-Loire : 11 décembre, 13 décembre 2011 : L’Eveil de la Haute-Loire : 04 août Seine-et-Marne : 1951 : La Liberté : 03 avril 1957 : La Liberté : 22 mars Le Pays Briard : 05 février 2005 : Le Parisien : 12 juin 2007 : Le Parisien : 17 janvier, 17 septembre, 07 décembre 2010 : Le Parisien : 17 janvier

124 VALLAURI Antoine - 2011 Sources

Ouvrages utilisés à caractère de sources

BARDOUX Agénor, La jeunesse de La Fayette (1717-1792), Paris : Calmann-Lévy, 1892, 409 p. ème BARROT Odilon, Mémoires posthumes, 2 édition, 1876, t. I, 344 p. CASTRIES, Duc de, La Fayette pionnier de la liberté, Paris : Hachette Littérature, 1974, 405 p. CHARAVAY Etienne, Le général La Fayette 1757-1834, Paris, Société d’Histoire de la Révolution française, 1898, 653 p. CORNUEL Eugène, Histoire populaire d’un homme de la Révolution : La Vie et les Aventures du général La Fayette, Paris : Ch. Delegrave, 1905, 238 p. DEBU-BRIDEL Jacques, La Fayette, Paris, Editions de la Nouvelle France, 1945, 272 p. DELTEIL Joseph, La Fayette, Paris : Grasset, 1928, 283 p. DUMAS Alexandre, Mes Mémoires, t. III, Paris, 1966 DUMONT Etienne, Souvenirs sur Mirabeau, PUF, 1961 GUIZOT François, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Poissy : impr. de A. Bouret, 1865, 2 vol. KAYSER Jacques, La vie de La Fayette, Paris : Gallimard, 1928, 248 p. LA FUYE, Maurice de et BABEAU A., La Fayette, soldat de deux patries, Paris : Amiot- Dumont, 1953, 292 p. LA TOUR DU PIN Marquise de, Mémoires d’une femme de cinquante ans, t. I LEBEY André, La Fayette ou le militant franc-maçon, 2 vol., Paris : Librairie Mercure, 1937, 2 vol., 571 p. er MAILLE Comtesse de, Souvenirs de deux Restaurations, 1 vol., Librairie Académique Perrin, 1984 MARCHOU Gaston, La Fayette, le cavalier de la chimère, Paris : Letouzey et Ané, 1959, 168 p PELET DE LA LOZERE, Comte, La Fayette en Amérique et en France, Paris : Grassart, 1867, In-18°, 210 p. RIBADEAU-DUMAS François, La destinée secrète de La Fayette ou le messianisme révolutionnaire, Paris, Robert-Laffont, 1972, 461 p. SAINT-BRIS Gonzague, La Fayette, Taillemaque, 2006, 404 p. STAEL Germaine de, Considérations sur la Révolution française, t. I TAILLEMITE Etienne, La Fayette, Paris : Fayard, 1989, 623 p. THIERS Adolphe, Histoire de la Révolution française, Paris : au Bureau des Publications illustrées, 1845, 2 vol.

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Bibliographie

Ouvrages généraux

FURET François, OZOUF Mona, Dictionnaire critique de la Révolution française, LIGOU Daniel, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, PUF ROBERT A. et COUGNY G., Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 SIX Georges, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire (1792-1815), pp. 27-30 Les publications concernant La Fayette ont fait l’objet d’un recensement : OLIVIER Philippe, Bibliographie des travaux relatifs à Gilbert du Motier, Marquis de La Fayette et à Adrienne de Noailles, Clermont-Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1979, 87 p.

Biographies de La Fayette

ARLET Jacques, Le général La Fayette : gentilhomme d’honneur, Paris : l’Harmattan, 2008, 262 p. BELIN René, La Fayette, La passion de la liberté, Timée-Editions, 2007, 141 p. BINAUD Daniel, L’épopée américaine de La Fayette : Washington me voici, La Rochelle : La Découvrance Ed., 2007, 364 p. BERNIER Olivier, La Fayette hero of two worlds, E.P. Dutton, 1988 CASTELLOT André, My friend La Fayette, mon ami Washington, Paris : Union générale d’éditions, 1975, 316 p. DONIOL Henri, La famille, l’enfance, la première jeunesse du marquis de La Fayette, Orléans, Ernest Colas, 1876 DONIOL Henri, La Fayette dans la Révolution : années d’Amérique, années de pouvoir et années de geôle, la veille du Consulat, 1775-1799, Paris : Armand Colin, 1904, 139 p. GANIERE Paul, La Fayette compagnon de la Liberté, Le Puy : Ed. Jeanne d’Arc, 1977, 126 p. MARGUY Henri, Lafayette et les Etats-Unis, Paris : E. Figuière, 1918, 64 p. 126 VALLAURI Antoine - 2011 Bibliographie

PONS Louis, La Fayette aux Etats-Unis, Paris : P. Téqui, 1918, 198 p. QUINEL Charles et MONTGON A. de, La Fayette, Fernard Nathan Editeur, Paris, 1937, ROUSSELOT Jean, La vie passionnée de La Fayette, Paris : Intercontinentale du livre, 1957, 329 p. TOWER Charlemagne, Le marquis de La Fayette et la Révolution d’Amérique, traduit de l’Anglais par Mme Gaston Paris, 2 vol., Paris, Plon, 1902 VANDAL Marion et LESOURD Paul, La Fayette, le sortilège de l’Amérique, France- Empire 1976

Catalogues d’expositions

Le général La Fayette. Catalogue des livres, estampes, autographes et souvenirs composant la collection de M. Blancheteau exposée à l’occasion du centenaire de la mort du général La Fayette (20 mai 1834), Paris, 1934 Exposition du centenaire de La Fayette, 1757-1834. Catalogue par André Girodie, Musée de l’Orangerie, Paris, 1934 Hôtel de Ville de Paris. Réception à l’occasion du centenaire de la mort de La Fayette 17 mai 1934. Tableaux, souvenirs et documents se rapportant au marquis de La Fayette Bicentenaire de la Fayette. Catalogue de l’exposition La Fayette à Clermont-Ferrand, Bibliothèque municipale. Préfacé par Jacques Droz, 1957 La Fayette. Exposition organisée par les Archives nationales du 4 juillet au 10 octobre 1957. Catalogue par Chantal de Tourtier, avec la collaboration de Jean-Pierre Babelon et de Monique Sarotte, Paris, 1957 er Exposition Langeac. La Fayette-Washington, Hôtel de Ville, du 14 juillet au 1 octobre 1957. Catalogue FLOTTES Pierre, Le Temps de M. de La Fayette, exposition organisée pour la ville de Saint-Jean-de-Luz par le Dr Pialloux, 1962, 40 p. La Fayette et son temps : exposition 3 juillet-6 septembre 1976, Mairie de Brioude. Catalogue par Josiane Pothier, 1977 Compagnons de La Fayette. Catalogue de l’exposition Le Puy 3 juillet- 15 septembre 1976

Ouvrages qui concernent La Fayette

Association des Amis du vieux Havre, La Fayette au Havre. Hommage à sa mémoire, Le Havre : Impr. du Journal du Havre , 1921, 18 p. VALLAURI Antoine - 2011 127 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Bicentenaire de La Fayette, Clermont-Ferrand : G. de Bussac, 1957, n° spécial de La Revue d’Auvergne, tome 71. BARBE Jean-Julien, La Fayette à Metz, 1920, BOURDIN Philippe (dir.), La Fayette, entre deux mondes, Clermont, Presses Universitaires Blaise Pascal/Conseil général de la Haute-Loire, 2009, 227 p. CANTAREL Janine, Gilbert du Motier de La Fayette et Adrienne de Noailles, un couple au destin extraordinaire, Cournon d’Auvergne : Orianis, 1990, 68 p. CHAFFANJON Arnaud, La Fayette et sa descendance, Paris : Berger-Levrault, 1976, 326 p. CHAMBRUN, René de, Les prisons de La Fayette, Librairie académique Perrin 1977, 341 p. CHANSON Paul, La Fayette et sa femme, Paris : les Editions familiales de France, 1947, 239 p. CHEROT Henri, Figures de soldats : Olivier de Clisson, La Fayette, La Tour d’Auvergne…,Lille : Société de Saint-Augustin,1900, 283 p. CONRAD Philippe, De La Fayette au débarquement : deux siècles d’amitié franco- américaine, Paris : Editions Italiques, 1994, 64 p. DANSAERT G., Le Vrai Visage de La Fayette, Bruxelles : Editions L’Avenir, 1943, 319 p. DONNET Hadelin, Chavaniac-Lafayette : le manoir des deux mondes, Paris : le Cherche-Midi éditions, 1990, 141 p. KALBACH Robert, Les porteurs de lumière : La Fayette, art royal et indépendance américaine, Paris : Séguier, 2007, 388 p. KEGHEL Alain de (dir.), Le Suprême Conseil célèbre un maçon et héros des deux ème mondes : 250 anniversaire de la naissance du Frère Gilbert du Motier, marquis de Lafayette, A.M. H.G., 2007 LARQUIER Bernard de, La Fayette, usurpateur du vaisseau La Victoire, Surgères, 1987 LEGRAND Robert, La guerre d’indépendance américaine et La Fayette, 2006 MADELIN Louis, Les hommes de la Révolution : conférences prononcées à la Société des conférences en 1928, 1928 MARTIN Germain, La Fayette et l’école pratique de tissage de Chavaniac, 1898 MONTBAS Hugues de, Histoires de France. Avec Lafayette chez les Iroquois.Paris : Firmin-Didot, 135 p. OLIVIER Léopold, Le général La Fayette en Seine-et-Marne, 1901 OLIVIER Dr. P., Iconographie métallique du général Lafayette : essai de répertoire des médailles, médaillons et jetons frappés à son nom ou à son effigie tant en France qu’en Amérique, Paris : 1933, PIALLOUX Paul, La Fayette, trois révolutions pour la liberté, 1989 128 VALLAURI Antoine - 2011 Bibliographie

REBOURSET Marcel, La Fayette, causerie faite le 7 septembre 1932 au studio de l’esplanade de Metz, 1933 ROMEUF Louis de, Au pays de Lafayette, 1921 ROYAUMONT Louis de, La Fayette et Rochambeau au pays de Washington. La guerre d’indépendance américaine, 1776-1783,Grenoble, 1919 THOMAS Jules, Correspondance inédite de La Fayette, Paris : Delegrave, 1914 TOURTIER-BONAZZI Chantal, Lafayette. Documents conservés en France, Paris : Archives Nationales, 1976

Ouvrages dans lesquels La Fayette est cité

JOFFRIN Laurent, Histoire de la gauche caviar, Paris : R. Laffont, 2006, 208 p. BIANCHI Serge (dir.), La Garde Nationale entre nation et peuples en armes : mythes et réalités (1789-1871) : actes du colloque Rennes 24-25 mars 2005, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, 560 p. CAILLOT Bernard, La guerre d’indépendance américaine : protocole des guerres de libération nationale ?, Paris : l’Harmattan, DL2009, 283 p. DONIOL Henri, Politiques d’autrefois : la France dans la Révolution, 1904 DU BLED Victor, La Société française du XVIème siècle au XXème siècle, Paris : Perrin, 1909, 9 vol. GODECHOT Jacques, Un jury pour la Révolution française, Paris : Laffont, 1974 GARCIA Patrick, Le Bicentenaire de la Révolution française. Pratiques d’une commémoration, Paris : CNRS Editions, 2000 HARGROVE June, Les statues de Paris : la représentation des grands hommes dans les rues et sur les places de Paris, Paris : Fonds Mercantor, 1989 MAZIERES Alfred, Morts et vivants, 1897

Articles

AUDOLLENT Dominique, « La célébration, en France et aux Etats-Unis, du bicentenaire de la naissance de La Fayette », dans Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 1960, pp. 32 AUDOUARD Marie-Françoise, sous la dir., La Fayette, dans Grands personnages de l’histoire de France, 1988 AUTIER Dr, « La Fayette à Maubeuge », dans Bulletin de la Commission Historique du Département du Nord, 1959, séance du 25 novembre 1957, vol. 37, pp. 97-98 VALLAURI Antoine - 2011 129 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

BELMONT Marie-Thérèse, « La Fayette et Rochambeau fêtés en France », dans France-Amérique, le journal français des Etats-Unis, 6 au 19 février 2008 BODELLE Jacques, « Ces Français qui ont « fait » l’Amérique », dans Bulletin de la Sabix, Numéro 38, 2005 BONNEFOI Arsène, « A Sedan sur les traces de Lafayette », dans Auvergne Littéraire, ème Artistique et Historique, 1956, 33 année, n°151, pp. 33-39 BOKOBZA Serge, “Liberty versus Equality. The Marquis de La Fayette and France”, dans The French Review, octobre 2009 BOKOBZA Serge, “Franco-American Perspectives on La Fayette’s Legacy”, dans Federation of Alliances françaises of USA-le Magazine, automne 2010, p. 24-31 BRENGUES Jacques, « Les francs-maçons français et les Etats-Unis d’Amérique à la fin du XVIIIème siècle », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest.Tome 84, numéro 3, 1977. De l’Armorique à l’Amérique de l’indépendance. Deuxième partie du colloque du bicentenaire de l’indépendance américaine 1776-1976, pp. 293-301 CHABANIER Jean, Colonel, La Fayette et Bordeaux, dans Revue historique de l’armée, décembre 1964, numéro 4, p. 103-106 CHAMBRUN René de, « La Fayette et “l’âme de Lagrange” »,dans Revue des deux mondes, mars 1976, p. 627-639 CHEVALLIER Pierre, « La carrière maçonnique de La Fayette », dans Almanach de Brioude, 1985, pp. 43-66 DUROSELLE Jean-Baptiste, « France-Etats-Unis : du mythe La Fayette à l’incompréhension mutuelle », Séance du 15 novembre 1976, dans Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1976, vol. 129, pp. 529-551 EGRET Jean, « Lafayette dans la première Assemblée des Notables (février-mai 1787), dans Annales Historiques de la Révolution Française, tome 24, n° 125, 1952, pp. 16-32 FAY Bernard, « Le Marquis de La Fayette et les femmes », dans Miroir de l’Histoire, ème 1955, 6 année, décembre, p. 677-686 GALLIER Anatole de, Les Hommes de la Constituante. Le général La Fayette, dans Le er Contemporain du 1 juillet 1882 GAYOT Gérard, « Les sans-culottes de Sedan, le brave soldat Hernandez, le manufacturier millionnaire et le général La Fayette », dans Annales historiques de la Révolution française. N° 306, 1996. Pp. 704-711 GOEAU-BRISONNIERE Jean-Yves, « Histoire maçonnique : Lafayette 1757-1834 », dans Grande Loge de France-le Journal, N°75, avril 2007, pp.6-7 GOBION Pierre, « Le bicentenaire de La Fayette », dans Le Vieux Papier, 1957, tome 21, fasc. 181, pp. 439-440 GRAPPE Georges, « Figures du XVIIIème siècle. Les idées politiques du Marquis de Lafayette », dans La Quinzaine, 1903, t. 54, p. 391-404 130 VALLAURI Antoine - 2011 Bibliographie

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THOMAS G.N., « La Fayette en Bretagne », dans Les Cahiers de l’Iroise, Brest, 1965, ème 12 année, n°1, p. 65 TOURTIER-BONAZZI Chantal de, « La Fayette vu par ses contemporains », dans Comité des travaux historiques et scientifiques. Orientations de recherches, Bulletin d’histoire moderne et contemporaine, fasc. 13, Paris, 1989 « Cérémonie du Bi-centenaire de la naissance de La Fayette », dans Bulletin du centre de documentation du GODF, N°9, 1957, pp. 51-52 er « Les ancêtres et le berceau de La Fayette », dans Revue historique de l’armée, 1 semestre 1957, p. 29-36 « Exposition du Centenaire de La Fayette », dans Bulletin des Musées de France, N°7, juillet 1934 « Le Centenaire de La Fayette », dans France-Amérique, mai-juin 1934, Tome XXIX, N ° 269-270 « Il ne fut pas le premier Français, mais il est resté le plus célèbre : la Fayette et l’indépendance américaine », dans Sources. Paroisses de Lagny, N°195 ? avril-mai 1975 « La Fayette », dans Grandes figures de France à travers l’Histoire,

Périodiques

ème Bulletin des Musées de France, 6 année, N° 7, juillet 1934 France-Amérique magazine, décembre 1956, Numéro spécial « 1757-1957 : Bicentenaire de la naissance de La Fayette » France-Amérique magazine, mai-juin 1957 Phy-Elec, La Gazette des Arts, N°46, juillet-août 1957, rubrique « Manifestations » Le Jacquemart, Bulletin de liaison de l’association culturelle Le Jacquemart, Arts e et traditions en Langeadois, Numéro spécial, 2007, N° 28, « 1757-2007 250 anniversaire de la naissance du général Lafayette »

Articles de revues d’histoire grand public

BAELEN Jean, « Les hautes cartes du jeu de juillet 1789 », dans Historia numéro 440, juillet 1983, p. 49-56 CHAUSSINAND-NOGARET Guy, « La Fayette : le faux héros de la Révolution française 1789 », dans Historama-Histoire magazine, numéro 67, septembre 1989, p. 66-71 132 VALLAURI Antoine - 2011 Bibliographie

ème CLEM René, « L’épopée américaine de La Fayette », dans Historia, 2 semestre 1935 VANDAL Marion, « Comment La Fayette gagna l’amitié des Indiens », dans Histoire magazine, numéro 26, avril 1982

Informations obtenues sur internet

Atelier Marquis de La Fayette [en ligne], http://www.marquis-de-la-fayette.com (page consultée le 18 juin 2011) Cercle des Amis de La Fayette [en ligne], http://www.cercledesamisdelafayette.org (page consultée le 13 avril 2011) Jean Pasquier, « Gilbert de La Fayette, l’homme de trois révolutions », Rotary Francophone [en ligne],http://www.rotary-francophone.org (page consultée le 10 mars 2011) « Le marquis de La Fayette », Dossier historique Arch. Dép. 77 [en ligne], http:// www.archives.seine-et-marne.fr/la-fayette (dossier consulté le 27 juillet 2011)

Travaux académiques

DONIOL Henri, « Le Marquis de La Fayette, préliminaires de l’intervention de la France dans l’établissement des Etats-Unis d’Amérique », dans Séances et travaux de er l’Académie des sciences morales et politiques, t. 19, 1883, 1 semestre, p. 769-820 DONIOL Henri, « Le départ du Marquis de La Fayette pour les Etats-Unis en 1777 », er dans Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1 semestre 1886, Orléans : impr. de Colas

Travaux universitaires

PERROY Gilles, La Ville de Paris : un lieu capital des relations franco-américaines ?: les relations américano-parisiennes de 1882 à 1940,Mémoire de maîtrise, Université Paris I,1999, 284 p. (sous la direction d’André Kaspi)

Discours VALLAURI Antoine - 2011 133 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

IRELAND John, La Fayette : un trait d’union entre l’Amérique et la France : discours prononcé par monseigneur Ireland…à l’inauguration du monument La Fayette (Paris, 4 juillet 1900), 1900 WALDECK ROUSSEAU, Discours à l’inauguration de la statue du général La Fayette au Puy, 1883

Emissions radiophoniques

« Commémoration La Fayette », radio non déterminée, émission, diffusée le 22 mai 1050 « L’inauguration de l’année La Fayette », Paris Inter, émission diffusée le 06 février 1957 « Bicentenaire de la naissance de La Fayette à Vichy », Paris Inter, émission diffusée le 08 septembre 1957 « La Fayette et son temps », Jacques Pradel, Europe 1, émission diffusée le 22/11/2006 à 9h10, 1h20. Avec la participation de Gonzague Saint-Bris « Gonzague Saint-Bris », Tous ensemble, France Bleu, émission diffusée le 05/01/2007 à 12h30, 1h30. Avec la participation de Gonzague Saint-Bris « Faut-il faire rentrer La Fayette au Panthéon », Du grain à moudre, par Brice Couturier et Julie Clarini, France Culture, émission diffusée le 11/12/2007 à 17h00, 55 min. Avec la participation de G. Saint-Bris, E. Liris, P. Garcia, J.C. Bonnet et L. Ferri « Les cendres de La Fayette au Panthéon ? », Le débat du jour, Radio France Internationale, émission diffusée le 26/12/2007 à 19h16, 14 min. Avec la participation de Gonzague Saint-Bris et Jean-Noël Jeanneney

134 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Annexes

Annexe 1 : Sondage Sofres-Le Figaro 1988 sur les personnalités de l’époque révolutionnaire

Source : Le Figaro Magazine, 23 janvier 1988

VALLAURI Antoine - 2011 135 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Annexe 2 : Tribune de Jean-Noël Jeanneney, Le Monde, 09/11/2007, « La Fayette au Panthéon ? Holà ! »

Annexe 3 : Tribune de Pierre Bercis, Le Monde, 16/11/2007, « La Fayette nous voilà ! »

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Source : Le Monde- Edition du vendredi 16 novembre 2007- page 22

Annexe 4 : Tribune de Gonzague Saint-Bris, Le Monde, 05/11/2007, « La Fayette au Panthéon ! »

VALLAURI Antoine - 2011 137 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Annexe 5 : Article relatif à la commémoration du bicentenaire de La Fayette par la franc-maçonnerie en 1957

138 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

VALLAURI Antoine - 2011 139 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

140 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Source : Article : « Cérémonie du bi-centenaire de la naissance de La Fayette », dans Bulletin du centre de documentation du GODF, N°9, 1957, pp. 51-52

Annexe 6 : Article Le Figaro, 08/09/1883 : « L’ouragan du Puy »

VALLAURI Antoine - 2011 141 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Annexe 7 : Emblème du Bicentenaire de La Fayette

142 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Source : France-Amérique magazine, décembre 1956, Numéro spécial « 1757-1957 : Bicentenaire de la naissance de La Fayette »

Annexe 8 : La Voie La Fayette

VALLAURI Antoine - 2011 143 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Source : Arch. Dép. 43, fonds 233 J 293

Annexe 9 : Procès-verbal des délibérations Conseil général de Haute-Loire, Séance du 25 avril 1934

144 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Source : Arch. Dép. 43, fonds 1 N 136

Annexe 10 : Procès-verbal des délibérations Conseil général de Haute-Loire, Séance du 26 avril 1939

VALLAURI Antoine - 2011 145 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

146 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Source : Arch. Dép. 43, fonds 1 N 136

Annexe 11 : Proclamation Solennelle La Fayette 1976

VALLAURI Antoine - 2011 147 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Source : Arch. Dép. 43, fonds 233 J 297

Annexe 12 : Brochure Spectacle « La Fayette.. ? Me voici ! », 4, 5 et 6 août 1989

148 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

VALLAURI Antoine - 2011 149 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Source : Arch. Dép. 43, fonds 233 J 298

Annexe 13 : Affiches des manifestations pour le ème 250 anniversaire de la naissance de La Fayette en Seine-et-Marne

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Annexe 14 : Timbres représentant La Fayette

VALLAURI Antoine - 2011 151 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

152 VALLAURI Antoine - 2011 Annexes

Annexe 15 : Invitation à un dîner en l’honneur de la mémoire de La Fayette 14 novembre 1989

VALLAURI Antoine - 2011 153 LA FAYETTE DANS LA MEMOIRE COLLECTIVE NATIONALE

Source : Arch. Dép. 43, fonds 233 J 298

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