le TEMKIIS

le larousse du 1 Open... par Denis Lalanne 10 III Tennis actuel 44 La révolution du tennis du deuxième âge 10 1966, 1967 : À la veille du chambardement 44 L'intrusion des « hommes de coin » 10 Les grands événements des années 1968 à 1983 - 48 Les limites des apports de l'Open 19 Laver et Rosewall ennoblissent l'Open 19 Bjôrn Borg, symbole du tennis Open 22 IV Le pouvoir en question 66 Vers un compromis historique 70 V Le grand combat du tennis féminin 76 La rébellion des joueuses 76 Création de structures autonomes 81 L'attrait du jeu féminin 83

Il Les origines 28 L'importance du jeu de paume 28 Apparition du squash et du « field tennis » 33 L'esprit d'entreprise du Major Wingfield 34 Naissance du tournoi de Wimbledon 34 L'âge d'or du tennis francais 35 Tilden face à tous les défis 38 Amateurs et professionnels séparés 41

VI Les gardiens de la tradition 84 Les métamorphoses du stade Roland-Garros 84 Les aménagements de Wimbledon 84 Les tribulations de la coupe Davis 93

® Librairie Larousse, 1984. Librairie Larousse (Canada) limitée. propriétaire, pour le Canada des droits d'auteur et des marques de commerce Larousse. — Distributeur exclusif au Canada : les Éditions Françaises Inc. licencié quant au droits d'auteur et usager inscrit des marques pour le Canada. t; by S P A D E. M et A D A G P . 1984 ISBN 2-03-512114-0 VII Les nouvelles frontières 96 IX Milliardaires à 20 ans 112 34 millions de joueurs aux États-Unis 96 Des dollars par millions 112 La croissance accélérée du tennis français 96 L'extravagante partie cachée de l'iceberg 117 Quand l'Asie s'éveillera -- 101 Des tarifs exorbitants - 118 L'Afrique reste à la traîne 102

X Évolution technique et matérielle 124 Borg, instigateur d'un jeu nouveau 124 Les modifications profondes du matériel 129 VIII La folie collective 104 Le tennis, sport de toute une vie 104 Le boom des courts couverts -- 109 Les vertus de l'école française 109

XI Le monde du tennis Open 132

XII Palmarès 152 par Denis Lalanne

Sans évoquer sa propre action, qui fut d'abord patiente et pelouse de Maracana pour interpeller « à chaud » les héros du souterraine, Philippe Chatrier connaît au moins deux raisons à match en train de se jouer. l'explosion du jeu de tennis dans les années 60, phénomène Il faut comprendre la colère de John McEnroe lorsqu'il s'est qu'il eut à contrôler au titre de président de la Fédération aperçu que des micros lui dérobaient à lui, monstre sacré, française de tennis et, bientôt, de président de la Fédération l'ultime intimité à laquelle il pensait avoir droit. Si un joueur n'est internationale. pas comme chez lui dans le rectangle de jeu, alors où ? Et si La première raison, à son sens, est liée au discours que McEnroe « chez lui » ne peut dire deux mots à un arbitre sans prononce J. F. Kennedy, alors président des États-Unis, pour que le monde entier écoute aux portes, alors pourquoi l'exhibi- exhorter ses concitoyens à se donner plus d'exercice, à brûler tionnisme ne serait-il pas à la mesure de tant de voyeurisme ? leurs kilos en trop, signes extérieurs d'une abondance alors à Imagine-t-on, sous une mêlée de rugby, un micro baladeur son « top-niveau ». C'est de ce jour, approximativement, que se répercutant aux quatre coins du stade les petits mots doux des mirent à courir les obèses de tous âges et de toutes conditions. combattants entre eux ? Ce fut bientôt le « boom » sur les survêtements de sport, les Mais il a fait long feu, le procès que le père de John McEnroe chaussures de jogging, les courts de tennis en matière synthé- prétendait tout d'abord intenter, sur ce thème, à la chaîne CBS tique à proximité des bureaux et des résidences. La vogue du et à la direction du tournoi ! Un simple temps de réflexion, et tennis aux États-Unis allait dépasser celle du golf ; celle-ci n'importe quel champion actuel doit aussi convenir que le exigeait plus d'espace et donc, ne pouvait se pratiquer qu'assez tennis, en perdant son innocence, en vendant même son âme loin du centre-ville. au diable, n'a pas fait que le malheur des siens ! La deuxième raison tient à l'avènement de la télévision en Il viendra peut-être un jour où, intoxiqué par son succès et sa couleurs. démesure, le sport demandera des comptes à la déesse Télé. La couleur, en attendant le relief, était sans doute ce qu'il Quoi qu'il en soit, on est entré dans le deuxième âge du jeu de fallait au sport pour qu'il crève le petit écran, et c'est particuliè- tennis : par le moyen magique du petit écran et par le battage rement vrai des jeux de balles, qui offraient sans le savoir la qui entoure l'open, institutionnalisé en 1968, le tennis s'est plus évidente définition d'une « dramatique en direct ». L'antique introduit dans ces chaumières modernes que sont les HLM, tenue blanche de rigueur n'allait pas, on s'en doute, survivre dans ces millions de foyers sans aucune culture sportive longtemps au passage à la couleur, ni même la traditionnelle sérieuse, où il était même rejeté comme bourgeois. balle blanche de feutre, devenue jaune à mesure que les Ainsi Bjôrn Borg est-il déjà un champion du deuxième type. premiers téléviseurs en noir et blanc allaient à la casse. Pour N'a-t-on pas dit « d'une autre planète » ? Car rien n'est trop mieux s'inscrire dans les programmes, le tennis irait jusqu'à exagéré pour l'open et son tam-tam, pour un jeu désormais lié modifier son règlement, et ce fut tout spécialement l'adoption à l'universelle jobardise des sondages et des pourcentages du tie-break, habile disposition pour limiter, autant que possible, d'écoute, un jeu qui ne s'interprète plus qu'en termes de la durée d'un combat qui, jusque-là ne se souciait pas des mondiovision. Voici une époque où l'épaisseur d'un événement horaires. est surtout déterminée par son traitement à l'antenne, parfois même par la popularité et l'humeur du commentateur. Le contenu d'une information ne compte pas tant que sa représen- tation par le filtre imagé et parlé qui fait l'opinion et la mode. Il L'indiscrétion y a donc des risques, craignons-le, qu'on nous ait quelquefois servi, à l'égal d'un événement, une simple anecdote ressortis- sant à la chronique du bouton sur le nez ou bien à la pure mondanité. Allez donc faire, après cela, la différence entre un de la télévision tournoi sérieux et une exhibition à 50 000 dollars ! C'est à se demander si les médias de la civilisation audiovisuelle ne sont en couleurs pas, de temps à autre, les meilleurs avaleurs de leurs propres boniments, auquel cas il ne faudrait plus hésiter à classer les chroniqueurs, avec les ramasseurs de balles, au nombre des Au vrai, le tennis allait consentir à bien des faiblesses, à derniers amateurs de l'open. Un open qui, sans eux, ne beaucoup plus qu'un simple compromis, pour réussir son mériterait plus son nom... mariage avec la télévision. Il est allé très loin, par exemple, lorsqu'il a autorisé pour la première fois, en 1982, à Flushing Meadow, trois techniciens de la télévision, deux d'entre eux munis de micros géants baladeurs, à s'installer au pied de la chaise d'arbitre pour toute la durée du match. L'US Open, il est La révolution du tennis vrai, est un événement, littéralement « vendu » à la chaîne de télévision CBS. Mais, si l'on veut bien admettre que le court de tennis lui-même est un lieu appartenant aux joueurs, qui ont déjà du deuxième âge fort à faire avec le jeu, le règlement, le filet et les lignes, l'arbitre, les juges de lignes et, éventuellement, le juge-arbitre et les deux Jimmy Connors, accessoirement vainqueur de 100 tournois capitaines de la coupe Davis — ce qui fait déjà beaucoup de open à la fin de 1983, dont 5 US Open et 2 Wimbledon, est monde sur le court —, force est de convenir que la présence de l'animal de métier, la bête de court qui a le mieux compris à qui ces trois intrus et de leurs micros espions dans le champ de jeu est une grave entorse à l'éthique et à la tradition d'un Ci-contre : Avec l'Américain McEnroe, c'est tout le talent et la exercice réputé des plus courtois pendant un siècle d'existence. fureur du tennis des années 1980. Page suivante : Son compa- Les radioreporters brésiliens n'ont pas fait pire en violant la triote Connors figure parmi les meilleurs depuis 1974.

s'adressait le tennis du deuxième âge. « Jimbo » est non seulement, selon le mot de Tim Mayotte, « comme un requin qui renifle le sang », bel hommage rendu à un supercompétiteur sur L'intrusion le court ; il est aussi le professionnel qui a su le mieux « vendre » ses faits et gestes par des rodomontades dignes de Cassius Clay. des « hommes de coin » « Je sais ce qu'aime le public de New York. Il veut voir couler le sang. Je vous garantis qu'il sera servi », déclare-t-il un jour, Un court de tennis aujourd'hui n'évoquerait pas tant un ring en pleine exaltation — et en plein US Open. de boxe sans l'intrusion dans le paysage d'un personnage Ce n'est donc pas en vain que l'on a tant parlé, à propos nouveau, que Philippe Chatrier a justement pris en point de mire, des premiers champions de l'open, des « cannibales » et du pour le cas où l'activité d'un « homme de coin », car c'est de « killer instinct » ! Connors n'est pas loin d'avoir entièrement lui qu'il s'agit, passerait les justes attributions d'un entraîneur raison, du moins pour le public de Flushing Meadow, qui évoque pour s'octroyer un pouvoir plus ou moins équivoque et occulte. assez bien celui des arènes antiques, se complaît dans le Aurait-il même les dons d'un sorcier, d'un gourou que la tumulte, se délecte du triomphe des uns et de la mort des autres chronique a tôt fait de lui prêter, le zèle d'un coach honnête doit en suçant ou en grignotant tout ce qui lui tombe de sucré sous évidemment s'arrêter où commencerait de sa part l'injure aux la main. institutions. Pour n'évoquer que les deux plus célèbres de À la réflexion, John McEnroe, s'il veut bien faire la balance l'espèce à ce jour, Lennart Bergelin et Ion Tiriac, il est bien avec tant de passion, de gloire et de fortune à ses pieds, sera certain que l'on a déjà été aussi loin dans le rôle que le tennis déjà moins indisposé par deux ou trois micros indiscrets sous pouvait le tolérer. le nez. Qui l'a fait prince et milliardaire si ce n'est, plus encore Pour le Suédois Bergelin, il n'y eut jamais nécessité, Dieu que son génie, le temps où il a vécu, celui des outrances et merci, d'agir sur un « mental » qui, chez Borg, était plus élevé peut-être des impostures ? par nature que chez quiconque. Au reste, s'il était exigé un certificat de bonne moralité pour accéder à la fonction, nul doute que Bergelin eût présenté toutes les garanties souhaitables. Les rares familiers de BjÓrn Borg à son zénith peuvent porter Les abus certains témoignage du rôle décisif tenu par le coach, jour après jour, tournoi après tournoi, dans cette réussite sans précédent. On des temps nouveaux peut parler de réussite collective tellement l'association fonc- tionna jusque dans le plus infime de l'errance perpétuelle à La tentation est grande d'imaginer la fortune d'un Tilden, d'un laquelle est astreint un premier mondial. Porte-coton, garde du , d'un Donald Budge, s'ils ne s'étaient point corps, agence de voyage, réveille-matin, sparring-partner, secré- trompés d'un demi-siècle, eux qui ne se sont guère trompés taire et enfin ami, Lennart Bergelin fut aussi l'homme qui, mieux d'un pouce dans la trajectoire d'un lob ou d'un passing-shot. qu'un masseur aveugle, finit par connaître le traitement subtil, Songeons que ces champions d'autrefois n'ont même pas eu le d'ordinaire biquotidien, que le muscle de Borg exigeait en loisir de prendre aimablement leur temps, et même « des profondeur. siècles » comme Vilas ou Connors, pour servir ou s'essuyer le C'est dans son rôle de bouclier entre son champion et le reste front et les mains, ressaisir leur concentration et leur souffle. On de l'univers que Lennart Bergelin exerça peut-être tout le « vice » criait au chiqué quand seulement Borotra se baissait pour relacer permis. On songe à quelques légères campagnes d'intoxication ses sandales. On s'impatientait quand les Mousquetaires profi- pour égarer l'opinion, quelques mystérieuses blessures à Wim- taient d'un changement de côté pour boire une gorgée debout, bledon, quelques récriminations sur les balles de Roland-Garros à la sauvette, en évitant surtout de se reposer contre les ou la lumière électrique de Flushing Meadow. Mais, pour deux montants de la chaise d'arbitre, ce qui eût été le comble de la raisons au moins, le couple Borg-Bergelin reste à citer en déloyauté. « Alors, quoi ! s'écriait Henri Desgrange. Ils prennent exemple. La première est que Bjôrn Borg, dans ces conditions, le thé ? » Oui, un petit effort de mémoire ou d'imagination n'est ne s'est jamais départi d'un&'bouteversante sportivité, d'une pas inutile pour méditer valablement sur les « cadences infer- irréprochable tenue au stade et à la ville, cela en pleine montée nales » des milliardaires du tennis open. de l'invective et de la provocation, depuis jusqu'à Quand il était seulement un jeune journaliste militant, et McEnroe en passant par Nastase, Tiriac et Connors. En ce seulement un ami personnel de Jack Kramer, sorte de pape du temps de bruit et de fureur, ce sont des champions comme Stan tennis pro, Philippe Chatrier rêvait d'un tennis open, tennis idéal Smith, et Bjôrn Borg qui ont sauvegardé l'étiquette où simplement le vainqueur gagnerait plus d'argent que le du tennis, jeu noble. La deuxième raison est que toute vaincu, sans pouvoir encore imaginer les dimensions et les honorabilité sportive était sauve dans un attelage Borg-Bergelin excès que lui apporterait la révolution télévisuelle. au sens où le joueur là-dedans était le patron, non l'esclave. Chatrier a voulu cette gloire, à la rigueur ce gigantisme pour On aimerait en dire autant de l'association Vilas-Tiriac, mais le tennis moderne, à cause précisément de la vénération qu'il trop souvent, en l'occurrence, le joueur passait entièrement, nourrit à l'endroit des héros du passé, qui ont enchanté son corps et âme, sous l'influence de « l'homme de coin ». Combien enfance. Il n'a pas voulu l'imposture, l'escalade forcenée des de fois, en effet, Guillermo Vilas ne nous fit-il pas l'effet d'un tournois et des exhibitions à tout bout de champ, l'argent facile, zombie manipulé par le sorcier du bord du court ! Cette perte la mort des matches en cinq sets et des virtuoses du double, tragique de personnalité chez un joueur courageux et résistant la fin de l'étiquette, du fair-play et des traditions. Au contraire, à l'extrême allait en somme à l'opposé du but recherché par il s'est ingénié à relancer la coupe Davis, survivance du premier l'association, qui était sans doute un surcroît de mordant, de âge de l'amateurisme et de la chevalerie, et aussi un champion- méchanceté, dans un jeu présumé trop conforme jusque-là. nat australien tombé en désuétude. Si peu qu'il y ait en lui de Mais, enfin, voilà bien l'affaire de deux hommes résolus à l'apprenti sorcier, alors Chatrier jure qu'il assumera les dégâts. s'entendre pour le meilleur et pour le pire. Il en irait autrement Présidant à son succès, il se déclare prêt à gérer éventuellement d'un coach qui jouerait avec les institutions et les mœurs du la crise d'un tennis saisi par la folie des temps. Il veille à la tennis comme on joue avec une âme à sa merci. tentation des dessous de table, de la violence et de la vulgarité. Septembre 1977 à New York. C'est la dernière fois que l'US Open se joue à Forest Hills, et c'est, à notre idée, la victoire la plus probante de toute la carrière de Guillermo Vilas, qui bat Ci-contre : Sa splendide victoire à Roland-Garros en 1983, Jimmy Connors en finale par 2-6, 6-3, 7-5, 6-0. L'exploit s'inscrit 37 ans après la dernière victoire francaise, a transformé Yannick entre deux finales de l'US Open gagnées par Connors sur Borg, Noah en héros populaire. On en attend beaucoup, voire trop. ce qui lui donne encore plus de lustre. Cette fois, l'Argentin a seulement bénéficié de l'abandon au quatrième tour, contre Dick Stockton, de Borg blessé à l'épaule. Une victoire par 6-0 au quatrième set ne se discute évidemment pas, et, pourtant, celle de Vilas restera entachée d'une balle de match gagnée dans la confusion et la gêne. Ce jour-là, Jimmy Connors est tombé sur plus roublard que lui, car, regagnant sa ligne de fond pour servir une deuxième balle, il est surpris par un gros tumulte dans son dos. C'est Tiriac, qui n'a pas attendu l'annonce classique : « Jeu, set et match, Vilas » pour bondir dans le rectangle de jeu en criant victoire, entraînant après lui plusieurs dizaines de fanatiques et forçant ainsi la conviction d'un arbitre encore fort perplexe sur la validité de la première balle. On n'a guère fait mieux, un jour de coupe Davis, à Bucarest ! Encore y a-t-il dans l'anecdote un aspect folklorique et exubérant, quelque peu sud-américain, qui passerait aisément l'éponge sur l'aspect douteux de la manœuvre. Mais l'on passe carrément de la bande dessinée à l'incident diplomatique sitôt qu'on évoque le rôle trouble joué par Tiriac, coach étranger, dans la révolution de palais qui secoua en 1982 la remarquable équipe argentine de coupe Davis et sa fédération. Entendons- nous bien : c'est le principe même de l'irruption d'un gourou personnel dans les affaires d'une équipe nationale que le tennis ne saurait tolérer, sous peine de devoir accepter à l'avenir une pénible confusion des pouvoirs ; problème numéro un, en réalité, depuis que l'open est né, avec ses énormes intérêts en jeu. Une sorte de veau d'or itinérant Voici, semble-t-il, une peinture sans complaisance du milieu qui est celui du tennis de haute compétition depuis que les dollars par millions et son audience universelle en ont fait, de tournoi en tournoi, une sorte de veau d'or itinérant. C'est un tennis qui a changé de genre. À son crédit, il a suscité le progrès du plus grand nombre par des innovations telles que la prise à deux mains, la raquette à grand tamis, mais l'on n'en dira pas autant du maudit lift à répétition ; quant à l'extraordinaire service de McEnroe, il n'est malheureusement pas à l'usage de la multitude. Il a promu des athlètes de grande race, de format « olympique », ainsi Bjôrn Borg ou , le premier avec son dos de surfer, ses jambes de miler nordique, le second avec sa musculature et sa détente de tigre, sorte de Beamon des courts. Mais ces deux noms ne pouvaient pas mieux nous tomber sous la plume pour illustrer aussi la « difficulté d'être » que la folie de l'open inflige à ses milliardaires précoces, et parmi les meilleures santés qu'on eût crues. C'est à l'âge de vingt-cinq ans que Bjôrn Borg, présumé indéracinable, insensible aux émotions et à la fameuse « pression », a tout envoyé promener ; il prit Marianna par la main et ils partirent pour un long voyage, qui ne fut pas sans évoquer, aux yeux de maintes ladies de Wimbledon, la fugue des Windsor après l'abdication. Et c'est à l'âge de vingt-trois ans que Yannick Noah, vainqueur de Roland- Garros, adulé et riche, ressentit les premières atteintes d'une gloire exagérée ; il décida de quitter Paris pour tenter de trouver refuge dans une sorte d'anonymat new-yorkais. Les fortunes exorbitantes que procure le tennis féminin, les premières allusions, à mots couverts, à deux ou trois champions faisant usage de la drogue : voilà qui fait aussi partie du paysage. Pour contrôler le « changement de genre », autant que faire se peut, l'autorité suprême du tennis a instauré un barème d'amendes financières, adapté à un barème des offenses, dont il faut craindre cependant qu'elles affectent de pareils comptes en banque à la manière d'une compresse sur une jambe de bois. C'est à Wembley, à l'automne 1983, que Jimmy Connors, recordman des amendes pour obscénité, s'est enfin écrié : 16

« Au diable, leur règlement, leur bonne tenue et tout ça ! Ce titres remportés dans les tournois du Grand Chelem, épreuve du que les gens veulent, c'est de la bagarre, et je ne suis bon qu'à simple messieurs, avec avantage à Borg dans l'ordre de la ça. » précocité mais avantage à Laver dans l'ordre de la longévité. C'est si vrai que l'Australien, exploit inouï, a réussi deux fois le Grand Chelem à sept ans d'intervalle, la première fois en 1962 à titre d'amateur, la deuxième fois en 1969 à l'ère du tennis open. Professionnel en 1963, il s'est passé cinq années, au plus Les limites des apports fort du talent et de l'âge, pendant lesquelles il se mit hors course pour les tournois du Grand Chelem. Sans quoi il eût porté son palmarès à des sommets inaccessibles. de l'open L'Australien était quatrième de ce classement à travers le temps, voire entre ciel et terre, dont étaient toutefois Il reste donc à dégager cette époque tumutueuse de son écartés des joueurs encore en pleine activité, comme John poids d'affectation, de snobisme populaire, de vice et de McEnroe. C'était peut-être injuste pour le premier grand chelem niaiserie, pour tenter d'établir, non certes une expertise, mais sa de tous les temps, celui de Donald Budge en 1938, ou pour le juste contribution à la grande histoire du tennis à travers le talent à l'état pur d'un Hoad, d'un Gonzalès, d'un Cochet, d'un temps. Le progrès en nombre des pratiquants est le moins Kramer, le palmarès d'un Perry, d'un Connors, d'un Newcombe. contestable. Le progrès en rythme de jeu paraît évident aussi, Mais quoi de plus juste pour un champion qui gagne son premier contrairement à la variété des échanges. Il faut toutefois se titre majeur en 1953 à Roland-Garros, son huitième et dernier en garder de trop généraliser, car l'instantanéité du coup de patte, 1972 en Australie, soit dix-neuf ans plus tard ! Rosewall est, chez Henri Cochet, annonçait en quelque sorte celle d'un avec Tilden, le joueur qui s'est le plus longtemps maintenu au McEnroe, sans compter qu'on retrouve chez ce dernier, imitée plus haut niveau. du célèbre mousquetaire, une gamme d'invention qui délivre rarement deux fois de suite le même coup. À n'en pas douter, la préparation athlétique d'un champion actuel dépasse d'assez loin celle d'un champion de l'amateurisme et de la tenue blanche Laver et Rosewall de rigueur ; Bjôrn Borg, en particulier, a porté à un degré sans précédent l'intensité de l'entraînement quotidien. En revanche, il est hautement probable que la fraîcheur mentale, inévitablement affectée par l'accumulation des tournois à travers le monde, ennoblissent l'open n'est plus toujours ce qu'elle était à l'attaque des championnats majeurs. Rien que cet argument suffirait à mettre en valeur la première Le plus important, à notre idée, est que Bjôrn Borg, six fois grosse rivalité qui se déclara à l'avènement de l'open en 1968, champion de Roland-Garros et cinq fois champion de Wimble- la rivalité entre et Ken Rosewall, qui fut un enchan- don, n'a jamais pu remporter l'US Open et que John McEnroe, tement, en particulier, pour le public de Roland-Garros. En effet, champion de Wimbledon et de Flushing Meadow, est comme quinze ans après son premier triomphe dans les Internationaux frappé d'impuissance à Roland-Garros. Autrement dit, la réussite de France, c'est une vague de bonheur qui submerge le public achevée du grand chelem, qui fut celle de Donald Budge entre parisien lorsque Rosewall, en ce mois de mai, historique à bien les deux guerres mondiales et deux fois celle de Rod Laver par des égards, inaugure l'ère de l'open par une victoire en finale la suite, se dérobe de plus en plus à l'ambition d'un numéro un (6-3, 6-1, 2-6, 6-2) sur Rod Laver, lequel a battu en demi-finale mondial à l'heure actuelle, à la fois pour l'épreuve d'endurance le grand Pancho Gonzalès, lui-même vainqueur de qu'un champion du tennis non-stop s'inflige à lui-même et pour en quart de finale, ce qui dit bien la qualité et le prestige de la l'épreuve supplémentaire qu'apportent le monde particulier et le participation. L'année suivante, 1969, celle de son second grand décoturf de Flushing Meadow. chelem, c'est la revanche en finale de Rod Laver par 6-3, 6-4, Cela prouve — c'est réellement le plus important, et tout à 6-4. l'honneur enfin de l'époque en question — que le jeu reste Le tennis open ne pouvait pas mieux conquérir son monde, plus fort que les joueurs. et même le monde entier, que par l'affrontement de deux champions aussi braves, aussi nobles, dans un champ de compétiteurs aussi relevé. Qu'il suffise, à ce sujet, de relever les noms des quatre dernières victimes de Rod Laver à chacune des quatre levées de son grand chelem de 1969. À Roland- L'histoire en question Garros, Smith, Gimeno, Okker et Rosewall. À Wimbledon, Smith, Drysdale, Ashe et Newcombe. À Forest Hills, Ralston, Emerson, 1. Rodney Laver, 42 p. 100 ; Ashe et Roche. À l'Open d'Australie, Emerson, Stolle, Roche et 2. Bjôrn Borg, 40,75 p. 100 ; Gimeno. C'est un tableau de chasse tout simplement fantas- 3. William Tilden, 5,25 p. 100, etc. tique. C'est le tiercé vainqueur en pourcentage de citations qui se dégage d'une consultation organisée par le journal /'Fqu/pe auprès de ses lecteurs sur un thème aussi vain qu'éternel : quel est le plus fort joueur de tennis de tous les temps ? La consultation se situant à l'époque de la retraite anticipée L'extraordinaire longévité de Bjôrn Borg (et même sous ce prétexte), avec toute la mélancolie qui s'y attachait, tout le sentiment populaire en faveur du champion le plus récent, il faut admirer que l'impres- de l'Australien Rosewall sion laissée quinze ans plus tôt par le rouquin australien Rod Laver, le gaucher de Rockhampton, ait été plus forte encore Dans l'arsenal tout terrain de Rod Laver, armé de surcroît d'un dans l'appréciation de l'amateur moyen. bras gauche d'airain et d'une densité athlétique exceptionnelle, Laver et Borg sont strictement à égalité (1-1) au nombre des on relève au moins un coup qui, chez Rosewall, ne supporte pas la comparaison : c'est le service. Mais qu'est-ce qu'un seul En 1953, l'Australien Ken Rosewall, âgé de 18 ans, avait coup moins bon que celui du plus fort joueur de tous les temps ! remporté les Internationaux de France. Il était encore finaliste En réalité, le service chez Rosewall, toujours admirablement à Wimbledon et à l'US Open 21 ans plus tard. placé et allongé, ne l'empêche nullement de briller sur surface rapide, particulièrement sur gazon. C'est si vrai que, cinq ans la route du premier grand chelem de Laver en 1962. Dans la après le dernier titre majeur de Laver, le vieux Rosewall est finale de Roland-Garros, Emerson mena même par deux sets à toujours là, en finale de Wimbledon et de Forest Hills, les deux rien et j'ai gardé un souvenir assez vif de la dernière levée, à fois contre le jeune Connors ! Forest Hills, où Laver, en réalité, fut sur le point de vaciller, à Entre-temps, en 1970, il est en finale de Wimbledon contre 3 jeux partout du quatrième set, sous la double pression d'un Newcombe et bat Roche en finale de Forest Hills. Il gagne événement historique et d'un rival qui, dans la finale de l'année encore l'Open d'Australie en 1971 et 1972, ne perdant pas un précédente, ne lui avait pas laissé un set. set contre Emerson, Okker et Ashe la première fois, contre Mal Rodney Laver, joueur et athlète complet, gaucher de surcroît, Anderson en finale la deuxième fois. d'une sportivité et d'une tenue dignes d'un Borg, ce qui était C'est son huitième titre majeur. Et c'est à ne pas croire encore monnaie courante, ne fut peut-être pas le joueur le plus lorsque, en 1974, soit vingt ans exactement après sa première doué qu'on ait vu. Dans ce rôle, on verrait plutôt Lewis Hoad finale de Wimbledon contre Drobny, il s'y retrouve encore contre — un Australien de plus — dont le bon caprice, la puissance, la Connors, ayant éliminé au passage Roscoe Tanner, John vitesse étaient certains jours imbattables. Mais, avec cette Newcombe et Stan Smith ! C'est pourtant loin d'être une illusion suprême faculté d'accélérer encore sur un point stratégique, Rod puisqu'il confirme sur le gazon de Forest Hills, dix-neuf ans Laver fut celui qui domina l'époque la plus riche, la plus diverse après sa première finale ici, perdue contre Trabert, dix-huit ans en joueurs de haute classe mondiale et de type moderne. après sa première victoire, aux dépens de Hoad. Cette fois, il Tel n'allait pas être le cas d'un BjÓrn Borg, faisant plutôt le bat Ramirez, Amritraj et Newcombe avant d'échouer encore en vide autour de lui, tant sur la terre battue de Roland-Garros que finale contre Connors. sur le gazon de Wimbledon. H. Hopman rendit le tennis australien invincible, ce qui lui valut son surnom de « sorcier », N. Bollettieri est le dernier en date des gourous du tennis.

Tanner n'avait pas deux ans, Connors n'avait pas un an et Amritraj n'était pas né lorsque Ken Rosewall remportait au printemps 1953 son premier titre de Roland-Garros ! La seule La monotonie a succédé ombre à son palmarès, véritable plaie au cœur de Wimbledon, c'est la somme de ses quatre finales perdues en vingt ans, contre Drobny, Hoad, Newcombe et Connors, dans ce haut lieu à la vanité du tennis sur herbe, en fin de compte sa surface de prédilection. Plus encore que Laver, Rosewall a été l'exemplaire victime de Ce qui distingue le plus profondément, semble-t-il, le premier ces longues saisons restées dans l'attente du tennis open, pour temps de l'open de l'époque la plus récente, c'est qu'un lui et quelques autres professionnels de haute volée, si l'on peut Rosewall, un Okker, un Gonzalès, un Laver, à l'imitation du dire. Tant et si bien qu'un tiercé Laver-Rosewall-Borg, au dernier grand artiste du tennis amateur, l'Espagnol Manuel classement à travers le temps, ne nous aurait point choqués. Santana, avaient un souci de variété diamétralement opposé à C'est l'honneur de Rod Laver, en effet, que de s'être imposé, la systématisation qui allait suivre, celle du lift en particulier. Là non seulement à un Rosewall, mais à un champ de compétiteurs où ces maîtres s'ingéniaient à ne pas livrer deux fois de suite incomparablement supérieur à celui d'aujourd'hui, ne fût-ce que la même balle, un Connors, un Borg, un Vilas au contraire le champ australien, avec ses Fraser, Stolle, Emerson, Anderson, allaient s'affirmer capables de remettre cinquante fois de suite Newcombe, Roche. Champions plus récents, Connors, Borg et le même coup. Il faudrait le génie gaucher et tout personnel de McEnroe n'ont jamais rencontré l'ombre d'un Australien capable John McEnroe pour rompre cet assaut de monotonie et c'est à de leur barrer la route de la suprématie mondiale, ce qui modifiait tout le vieux paysage de la confrontation au sommet. Ci-contre : L'Australien Rod Laver est le seul joueur de toute Au lieu qu'un Roy Emerson à lui seul (douze titres majeurs en l'histoire du tennis qui réussit deux fois le Grand Chelem. Il bou- simple et maître absolu du double) était un danger perpétuel sur cla le premier en 1962, en tant qu'amateur, et le second en 1969. Le 25 mai 1875, un Code officiel du tennis voyait le jour en Grande-Bretagne. Dès le premier tournoi de Wimbledon, en 1877, la finale est suivie par deux cents spectateurs ! Clubs et compétitions se multiplient et la Fédération internationale de lawn-tennis existe déjà lorsque, à la veille du premier conflit mondial, apparent une championne de quinze ans, Suzanne Lenglen. Puis, c'est l'épopée des "Mousquetaires" et celle de l'Américain Bill Tilden. Le tennis se caractérise rapidement comme un sport spectacle - avec tous les à-côtés financiers que cela implique. Ce n'est pourtant qu'en 1968 que la révolution éclate : la cloison étanche entre amateurs et professionnels s'écroule, le tennis open triomphe des vertus de l'amateurisme, à grand renfort de télévision le star system impose sa loi. En évoquant toutes les étapes et tous les aspects du tennis d'hier et surtout d'aujourd'hui, ce livre présente une synthèse du jeu actuel et des principales rencontres internationales, leur calendrier et leur palmarès. Avec, naturellement, les portraits des grandes vedettes des courts, on y découvre aussi le monde des entraîneurs et des décideurs de contrats, dont le box-office répercute les victoires des monstres sacrés.

... Phot. de couverture , Tennis de France - Gamma. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.