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DeDe LosLos AngelesAngeles àà HelsinkiHelsinki (1932-1952)(1932-1952) ::

lesles quotidiensquotidiens sportifssportifs françaisfrançais devantdevant l'Olympismel'Olympisme

présenté par TOM BUSSEUIL

Doctorant au Centre Georges Chevrier (UMR 7366 – CNRS UB) de l'Université de Bourgogne-Franche-Comté

PROGRAMME DE BOURSES DE RECHERCHE POUR DOCTORANTS CENTRE D’ETUDES OLYMPIQUES DU CIO ANNEE 2015 Résumé analytique :

L'étude vise à mettre en lumière le traitement médiatique du mouvement olympique dans la presse sportive française, des Jeux de Los Angeles en 1932 aux Jeux d'Helsinki en 1952. Crise économique, montée des régimes totalitaires, Seconde Guerre mondiale, débuts de la Guerre froide... au cours de ces deux décennies, les bouleversements internationaux ne manquent pas d'ébranler le monde sportif. Dès lors, la diffusion et la défense des valeurs et des idéaux olympiques dans la presse spécialisée revêtent un caractère crucial pour le Comité International Olympique. Sa crédibilité et la pérennité de son projet sont en jeu. Pour saisir les discours, l'examen des quotidiens sportifs L'Auto jusqu'en 1944 et L'Equipe à partir de 1946 est complété par l'exploitation des archives liées à l'Olympisme. En abordant conjointement l'histoire des médias sportifs et de celle du mouvement olympique, cette recherche doit informer sur la nature des ententes, des désaccords et des divergences qui rythment les relations entre ces deux protagonistes de la scène sportive.

Mots-clefs : L'Auto, L'Equipe, médias, mouvement olympique, CIO, nationalisme, politique, amateurisme.

2 Table des matières

Résumé analytique ------p. 2

Table des matières ------p. 3

Introduction ------p. 4

Première partie : Une prétention politique mise à rude épreuve ------p. 8

Politique et nationalisme en terre olympique : L'Auto en pourfendeur ------p. 8 Entre apolitisme originel, pragmatisme sportif et réalisme économique ------p. 11 L'idée olympique convoitée et ballottée ------p. 14 La réintégration allemande dans le mouvement olympique : une sensibilité française ------p. 16 L'Equipe moteur d'une URSS olympique ------p. 19

Seconde partie : L'amateurisme olympique dans le viseur médiatique ------p. 23

L'Auto « bille en tête » : une dénonciation acharnée du parjure olympique ------p. 23 De la résignation à la nécessaire adaptation ------p. 26 L'Equipe, fidèle héritier détracteur de l'amateurisme olympique ------p. 30 Le hockey aux Jeux de Londres : une bataille glaciale ------p. 32 La formule soviétique de l'amateurisme : les concessions de L'Equipe ------p. 34

Troisième partie : Le CIO, L'Auto et L'Equipe : entre aversion et adoration ------p. 36

L'institution olympique et les quotidiens sportifs : une animosité profondément ancrée ------p. 36 L'Auto à l'assaut du système olympique ------p. 39 L'Olympisme revisité : le grand écart de L'Auto occupé ------p. 40 L'Equipe en arbitre intransigeant ------p. 42 Jeux régionaux et universitaires : une filiation inégalement marquée aux Jeux Olympiques - p. 44 Pour le meilleur et pour le pire : l'attachement indéfectible de L'Auto et L'Equipe ------p. 47

Conclusion ------p. 51

Bibliographie ------p. 53

Annexes ------p. 56

3 Introduction

Depuis deux décennies, l’association des thématiques du sport et de la presse retient une attention croissante de la part des historiens. Successeurs des journalistes-mémorialistes Edouard Seidler et Jacques Marchand1, les spécialistes des journaux sportifs ont investi un champ historiographique qui a aujourd’hui acquis toute sa légitimité2. Sur le territoire français, les quotidiens L’Auto (1900- 1944) et L’Équipe (depuis 1946) occupent une position monopolistique dans le paysage médiatique. Leurs conditions d’apparition ont alimenté de nombreuses productions. Ainsi Gilles Montérémal cerne-t-il les enjeux de la naissance du journal L’Equipe dans l’immédiat après-guerre3. Par ailleurs, les contributions se multiplient pour tenter de décrypter les discours sportifs. Depuis 2011, un groupe composé d'enseignants et de doctorants étudie tout particulièrement l'histoire du journal L'Auto4. Dans la conclusion à son Histoire du sport, Philippe Tétart remarque toutefois que la connaissance de l’histoire des médias sportifs demeure lacunaire5. A ce titre, il est frappant de noter que l’Olympisme n’attise pas la curiosité des chercheurs travaillant sur la presse spécialisée. Les Jeux Olympiques, manifestations sportives d’envergure font pourtant apparaître une pluralité d’objectifs clamés et de résultats en termes d’actions, de popularisation et de performances sportives depuis 1896. La diffusion et la défense des valeurs et idéaux olympiques dans la presse spécialisée revêtent alors un caractère fondamental. L'ambition de ce travail est de fournir des éléments sur l’intérêt que l'Olympisme suscite dans les journaux sportifs, les discours qu’il produit et les représentations qu’il véhicule. La problématique touche un point sensible, dans le sens où depuis leurs origines respectives, le Comité International Olympique (CIO) et la presse sportive ont tous deux à cœur de promouvoir les activités sportives. Peut-on alors observer une complicité allant jusqu’à une totale uniformité des discours ? Existe-t-il des objectifs divergents, des thématiques conflictuelles ? Déterminer le poids du mouvement olympique dans les pages sportives, c’est le penser à l’intérieur d’une orientation éditoriale pluridimensionnelle. Si les conditions d’apparition du journal L’Auto et la ligne éditoriale adoptée à ses débuts valident une profession de foi coubertienne - la défense de l’amateurisme en est un socle -, il n’est pas question d’exclure la possibilité de voir des rapports de force s’établir.

En 1932, Jacques Goddet est le seul envoyé spécial de la presse sportive française à couvrir les Jeux Olympiques de Los Angeles. Le jeune rédacteur en chef est le témoin privilégié de la conquête sportive du continent américain, encore profondément marqué par le krach boursier de 1929. Désormais, l’actualité est directement soumise à un lectorat impatient de retrouver les moindres indiscrétions du mouvement olympique. L’enjeu est capital si l’on considère que les relais d’opinion, les modèles diffusés et leurs effets peuvent servir les missions de l’Olympisme, mais

1 Seidler Edouard, Le sport et la presse, , Armand Colin, 1964 et Marchand Jacques, Les défricheurs de la presse sportive, Biarritz, Editions Atlantica, 1999. 2 Dans l'historiographie récente, se reporter aux ouvrages de Clastres Patrick et Meadel Cécile (dir.), Le temps des médias. La fabrique des sports, Paris, Nouveau Monde Editions, n°9, 2007/2, Combeau-Mari Evelyne (dir.), Sport et presse en (XIXe-XXe siècles), Paris, Le Publieur, 2007, Attali Michaël (dir.), Sports et médias. Du XIXe siècle à nos jours, Biarritz, Editions Atlantica, 2010, Tétart Philippe et Villaret Sylvain (dir.), Les voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Epoque, Biarritz, Editions Atlantica, 2010, Attali Michaël et Combeau-Mari Evelyne (dir.), Le sport dans la presse communiste, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. 3 Montérémal Gilles, « L’Equipe entre mythe et réalité (1944-1948) », in Attali Michaël (dir.), op. cit, p. 61-91. 4 Travaux du groupe de recherches « Histoire du quotidien sportif L'Auto (1900-1944) » dirigé par Benoît Caritey au sein du Centre Georges Chevrier de l'Université de Bourgogne-Franche-Comté. 5 Tétart Philippe, « Les historiens et l’histoire du sport (1962-2005) », in Tétart Philippe (dir.), Histoire du sport en France. De la Libération à nos jours, Paris, Editions Vuibert, 2007, p. 393-442.

4 aussi potentiellement leur nuire. Analyser l’approche médiatique du mouvement olympique entre 1932 et 1952, c’est l’inscrire dans un contexte international prégnant – crise économique des années 1930 et montée des régimes totalitaires, Seconde Guerre mondiale, débuts de la Guerre Froide. Le principe d’apolitisme6 qui anime ces deux acteurs de la vie sportive conduit le chercheur à s’interroger sur la transcription médiatique du mouvement olympique en temps de crise. Les travaux historiques peuvent parfois abonder de références faites aux quotidiens spécialisés7. Dans la littérature indiquée, Fabrice Auger8 et Florence Carpentier9 identifient clairement les courants de pensée et les concurrences que le CIO et Henri de Baillet-Latour, président de 1925 à 1942, voient se dresser. La manière dont l'institution olympique s'affirme, au détriment parfois de son propre projet pédagogique, est mise en exergue. Pour autant, il reste à mettre au jour les réponses médiatiques que les dirigeants du CIO apportent quand l’Olympisme est secoué, voire accablé aux yeux de l’opinion publique. Les rapports entre le mouvement olympique et la presse sont un véritable enjeu de recherche, dans la mesure où ses scansions alimentent des discours qui de 1932 à 1952, prennent parfois une tonalité politique. Dès lors, la presse sportive prend-elle position ou reste-t-elle totalement neutre ? De quels moyens, quels relais, quels hommes et quels discours le Comité International Olympique use-t-il pour faire entendre sa voix, défendre ses vues et assurer la viabilité de l'idéal olympique ? Quelles valeurs sont prônées quand les manifestations sportives se font le reflet de l’actualité politique ?

Sous l’angle historique, cette recherche entend donc livrer des enseignements sur la médiatisation du mouvement olympique, thématique largement inexplorée à ce jour. Pour ce faire, il s'agit d'aborder conjointement et de manière inédite l’histoire des médias sportifs et celle du mouvement olympique. Analyser comment L’Auto et L’Equipe donnent à voir les initiatives, les transformations et les luttes du mouvement olympique, permet d’envisager la construction d’une nouvelle grille de lecture du phénomène. Retranscrit et diffusé auprès de millions de personnes à travers le monde, l’Olympisme est sans cesse en quête de légitimation de ses visées clamées depuis 1896, de « détentes » et de résolutions sportives face aux querelles politiques. Le sujet prend un peu plus d’épaisseur lorsque l’on souligne que les Jeux Olympiques peuvent devenir un instrument de propagande et servir des intérêts détachés de la cause du sport. Les dangers que recouvrent pareilles instrumentalisations et cristallisations, et le rôle diplomatique que les Jeux s’efforcent à remplir devant elles, sont au centre de nos attentions. Inscrire ces problématiques dans une histoire politique du sport s’avère indispensable pour en comprendre les tenants et les aboutissants, les enjeux et les effets. Veiller à l'acquisition, la préservation et la diffusion du patrimoine olympique, c’est prendre en considération le contexte de réalisation de ses œuvres, contre lesquelles peuvent s’élever des voix et des discours dissonants, ou des formes concurrentielles de compétitions. C’est ainsi à la lumière des moments passionnés et heurtés que la promotion de l'idéal olympique doit se réaliser. La célébration du sport international estampillé « J.O. » passe irrémédiablement par la connaissance des obstacles rencontrés par l’institution sportive. Les enseignements tirés de cette recherche ne manqueront pas de nourrir des réflexions sur les médias contemporains. Premiers supports de diffusion des Jeux, ils constituent de puissants facteurs de modelage des représentations. La crédibilité et la pérennité des valeurs historiquement défendues par le mouvement olympique sont ici en jeu. Soupçons de corruption, droit des femmes, accueil des athlètes homosexuels, retrait

6 Sur le sport « apolitique » présenté comme une valeur cardinale, voir l'article fondateur de Defrance Jacques, « La politique de l’apolitisme. Sur l'autonomisation du champ sportif », Politix, vol. 13, n° 50, 2000, p. 13-27. 7 Pour la période de l'Entre-deux-guerres et les Jeux de Berlin, voir Abgrall Fabrice et Thomazeau François, La France à l’épreuve des Jeux Olympiques de Berlin, Paris, Alvik Editions, 2006. 8 Auger Fabrice, Une histoire politique du mouvement olympique : l’exemple de l’entre-deux-guerres, thèse de doctorat en histoire, Université Paris X Nanterre La Défense, 1998. 9 Carpentier Florence, Le Comité International Olympique en crises : la présidence de Henri de Baillet-Latour (1925- 1940), Paris, Editions L’Harmattan, 2004. 5 d’athlètes ukrainiens lors des combats de Kiev… les derniers Jeux d’hiver de Sotchi ont montré que la réaffirmation des vertus universelles et pacifiques de l’Olympisme demeure essentielle, et relance la nécessité pour le CIO d’appréhender les médias de masse. A cet instant, deux options s’offrent au chercheur. L’une considérerait la presse comme source unique et s’engagerait vers une histoire des représentations du sport olympique à travers L’Auto et L’Equipe ; l’autre ferait l’histoire politique de ces quotidiens par l’intermédiaire des archives de l’organe de presse, les témoignages de ses contributeurs, et les données issues du monde olympique. Ici, c’est une histoire totale qui est visée. Selon François Furet, l’idée d’une « histoire totale » traduit « l’ambition d’avoir, sur un objet ou sur un problème donné, une perspective plus complète, une description plus exhaustive, une explication plus globale que les sciences sociales dont elle utilise les apports conceptuels et méthodologiques »10. Dans un premier temps, le cas impose de procéder au dépouillement de la presse sportive : L’Auto entre 1932 et 1944, et L’Equipe de 1946 à 1952. Le premier est conservé sous format numérique au Centre Georges Chevrier à Dijon, tandis que le second est consultable en version microfilms à la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Tous deux font l’objet d’un traitement systématique, numéro après numéro, durant l’ensemble de la période d’étude. L’accès aux connaissances se fait par le recueil de discours, qui constituent les principales sources de données exploitables pour l’approche engagée dans ce projet. La place accordée à l’information sportive olympique dans les quotidiens et le traitement médiatique qui lui est conféré peuvent être évalués à partir de la surface rédactionnelle, des titres sportifs à la une, de la couverture des épreuves et des journalistes qui animent le service. L’aspect quantitatif - nombre, longueur, mots-clés de parution des articles - et la nature des informations apportées - organisation, résultats, bilans - sont concernés. D’entrefilets en articles, en passant par des éditoriaux et des dossiers, il s’agit d’étudier les phases de changements et de ruptures perceptibles à travers les quotidiens, de façon à en dégager les hypothétiques prises de position. Le corpus sélectionné, d'abord vaste, s'affine en identifiant des thématiques directrices. Il est ainsi possible d'isoler la question des nationalismes et de la politique, les débats sur l'amateurisme et le professionnalisme, et les discours transversaux sur le système et l'action du Comité International Olympique. Chacune de ces problématiques est plus ou moins empreinte de coutumes, valeurs, idéaux et symboles, qu'il convient de capter quand un quotidien sportif les met en relief ou en fait la critique.

Si les rubriques de la presse nous concernent au premier tenant, il n’est néanmoins pas question de s’y restreindre. A ses côtés, les cadres historiques - idéologiques et institutionnels – renseignent sur les stratégies et les mécanismes de communication. Si le développement des médias renvoie aux besoins d’information, il reste que la ligne éditoriale diffère selon les supports, les titres et les journalistes. Cette posture souligne la relativité qui caractérise toute information, liée à l’engagement dont les rédacteurs peuvent faire preuve. Il faut indiquer ici que le contenu d’un journal est tributaire des rapports que le quotidien et ses rédacteurs entretiennent avec les acteurs du monde sportif. Dans le paysage médiatique français, un vaste travail prosopographique reste à mener. Les rares recherches engagées dans ce sens soulignent combien la connaissance biographique de l’ensemble des individus qui prêtent leur plume aux rubriques sportives s’avère parcellaire. La difficulté d’accès aux sources l’explique largement. Au regard des signataires des articles examinés, des intervenants ponctuels ou réguliers et des personnalités citées, il est possible de mettre au jour des réseaux et des concurrences qui animent cette société médiatique. Dans ce cadre, la consultation des Archives nationales du monde du travail à Roubaix est nécessaire. Les fonds de l’Association des journalistes sportifs fondée en 1905, du Comité Pierre de Coubertin créé en 1950, et de la Fédération sportive et gymnique du travail constituée en 1934 qui se rallie tardivement à la cause olympique, y sont conservés. Le site des Archives nationales de Pierrefitte- sur-Seine dispose d'archives privées émanant de quotidiens et d'agences de presse, de documents

10 Furet François, L’atelier de l’histoire, Paris, Editions Flammarion, 1982, p. 11. 6 épars sur des journalistes sportifs, et des versements de Ministères. Le Musée national du sport à Nice renferme des fonds privés relatifs à l'activité de L'Auto pendant la Seconde Guerre mondiale. De plus, sa bibliothèque est riche en ouvrages à caractère de sources. Enfin, les ressources internes du CIO précisent ses activités et son influence dans le domaine médiatique. Dans cette optique, l’examen des archives liées aux dirigeants historiques du Comité International Olympique et de celles qui concernent l’organisation des Jeux Olympiques de Los Angeles à Helsinki, a une grande importance. Ces fonds conservés à Lausanne possèdent un caractère crucial puisqu’ils informent sur les fonctionnements et les logiques de l’institution en rapport avec ses engagements, ses missions, leurs concrétisations et leurs médiatisations. Dans cette mesure, la problématique de la stratégie de « propagande » adoptée par l’institution olympique pour le sport qu’elle plébiscite et défend, via les moyens dominants de communication de l’époque et en premier la presse, affleure.

7 Une prétention apolitique mise à rude épreuve

Après la Grande Guerre, le sport devient en Europe un enjeu de prestige engagé par les gouvernements, et un vecteur privilégié de l’exaltation des identités d'une nation11. S'il n'est pas la cause des nationalismes, il est susceptible de les révéler et de les exacerber. Le sport constitue ainsi un « monde imaginé » dans lequel les nations peuvent être vues comme des « communautés imaginées »12. A usage le plus souvent interne, l'effort entrepris trouve dans les journaux une résonance internationale à l'occasion des grandes manifestations du sport. La presse comme source offre un corpus de textes révélateur des degrés d’enracinement du politique dans l'arène sportive. Fabrice Auger considère que dès les années 1920, le CIO s'autoproclame pacifique mais « ravive les nationalismes », si bien que l'histoire de l'Olympisme serait une « anticipation de l'histoire tout court »13. Quant à Jeff Millié, il identifie deux postures adoptées par les dirigeants sportifs du CIO après guerre14. Ils adopteraient d'une part une position « utopique » qui situe le sport au-delà des contraintes de la géopolitique, et d'autre part une position pacifiste qui le définit comme une solution de dépassement de la montée des périls. L'intérêt de ce chapitre réside dans l'analyse du message porté par L'Auto et L'Equipe devant des enjeux politiques et les réponses que les tenants du mouvement olympique apportent. Il faut garder à l'esprit que les médias peuvent être soumis à l'influence exercée par la sphère politique. A contrario, la presse est aussi « engagée, actrice, tactique et intéressé » et « contribue à faire des manifestations sportives des moments politiques auxquels elle appartient »15. William Murray observe dans cette mesure que dans la France des années 1930, les journaux de droite ne tardent pas à embrasser la cause sportive pour servir leurs desseins16. L'Humanité (communiste), Le Populaire (socialiste) et L'Oeuvre (radical) se dotent également d'une rubrique sportive et s'arment de spécialistes. Dans ce cadre, L'Auto et L'Equipe ne peuvent ignorer la dimension politique qui saisit l'enceinte sportive.

Politique et nationalisme en terre olympique : L'Auto en pourfendeur

Au cours des Jeux Olympiques américains de 1932, L'Auto manifeste avec force sa désaffection pour un sport à caractère nationaliste. Dans le contexte de la « Grande Dépression », ces Jeux marquent le passage d'un événement marginal et élitiste à une manifestation populaire d'ampleur internationale. Barbara Keys remarque toutefois que dans la presse française, l'enthousiasme reste mesuré17. L'éloignement géographique, le coût élevé pour envoyer une équipe tricolore compétitive,

11 Voir les numéros spéciaux de la revue Relations internationales, Sports et relations internationales, n°38, 1984 et le numéro double n°111-112, Sports et relations internationales, 2002. Sur le sport comme outil de construction de l'idée nationale, voir Liotard Philippe, « Le sport au secours des imaginaires nationaux », Quasimodo, n°3-4, 1997, p. 9-31, et du même auteur, « Questions pour des champions. Projet d’étude des symboliques sportives », Quasimodo, n°1, octobre 1996, p. 8-12. 12 Keys Barbara, Globalizing sport. National Rivalry and International Community in the 1930s, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2006, p. 2. 13 Auger Fabrice, op. cit., p. 463. 14 Millié Jeff, La presse française et la médiatisation des enjeux de la guerre froide dans l’information sportive (1946- 1956), thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris 3-Sorbonne nouvelle, 2007, p. 70-71. 15 Arnaud Pierre et Riordan James (dir.), Sport et relations internationales (1900-1941), Paris, Editions L’Harmattan, 1998, p. 225. 16 Murray William, « France : Liberty, Equality, and the Pursuit of Fraternity », p. 90, in Krüger Arnd et Murray William (dir.), The Nazi Olympics : Sport, Politics ans Appeasement in the 1930s, Chicago, University of Illinois Press, 2003, p. 87-112. 17 Keys Barbara, op. cit., p. 99. 8 et les conditions de vie sur place expliquent ce désenchantement. Dans L'Auto, les vices de l'Amérique sportive sont listés. Au retour de Lake Placid où se sont déroulées les épreuves hivernales, le chef de la délégation française François Lacq livre son sentiment sur un « public insuffisant et chauvin »18. Commentant l'effort financier consenti par les Etats-Unis, L'Auto juge l'action d'un « pays orgueilleux » et ajoute :

« L’Américain se distingue particulièrement par son esprit de mutualité, quand on lui demande un effort par lequel son pays peut tirer une notoriété plus grande, il le donne avec passion, dans une collaboration spontanée, souvent commerciale, quelquefois anonyme. »19

Aussi le journal relate-t-il l'ignorance des « cinq cents confrères américains » au sujet des performances accomplies par les Européens20. Même si l'on semble échapper à une hostilité à l'encontre des sportifs japonais - redoutée après l'invasion japonaise de la Mandchourie -, la préférence marquée du public pour ses compatriotes exaspère. Par ailleurs, deux occasions au cours desquelles le quotidien sportif affiche clairement sa volonté de chasser la politique de la scène sportive sont à relever. Lors de la cérémonie d'ouverture, l’ordre alphabétique doit placer les Allemands - « » - derrière les Français - « France » -. Or, les organisateurs décident d'intercaler les Anglais - « Great-Britain » - entre les deux Etats voisins. A ce sujet, Jacques Goddet évoque une « crainte maladroite » et relègue l'information au statut d'anecdote21. En revanche, dans les dernières dépêches transmises par câble, le rédacteur en chef relate un incident qui se produit à la fin de la cérémonie de clôture :

« Six énergumènes – femmes et hommes déguisés en athlètes – sautèrent sur le terrain et, avec des pancartes sur la poitrine, traînant des banderoles portant l'inscription : « Liberty for Mooney ! », hurlèrent en courant sur la piste pour réclamer la liberté de ce Mooney, enfermé en prison depuis seize ans. Cette manifestation ridicule, qui se termina par l'arrestation des énergumènes, ne réussit pas à détruire l'atmosphère de recueillement que créait la cérémonie réellement solennelle du protocole olympique. »22

Dans les faits, cette manifestation constitue le point d'orgue d'une campagne menée par le Parti communiste des Etats-Unis (CPUSA) et le mouvement sportif ouvrier américain. Comme en Europe, ce dernier s'élève contre l'élitisme, le chauvinisme, le militarisme, et l'exploitation commerciale du sport bourgeois. Du 28 juillet au 1er août, une contre-Olympiade est organisée à Chicago23. Au cours de cette manifestation sportive, l'attention se focalise sur une décision de justice datant de 1916, avec la condamnation de l'activiste radical-socialiste Thomas Mooney, convaincu de meurtre dans un attentat à la bombe à San Francisco. Emprisonné à perpétuité, il appelle en octobre 1931 à un boycott des Jeux de Los Angeles, et reçoit un soutien actif du mouvement travailliste qui œuvre pour sa libération. Aux Etats-Unis, cette imbrication du sport et de la politique est inédite. Jacques Goddet la condamne fermement. Deux semaines après sa première montée au front, il offre, en usant des mêmes termes, une vision répulsive des revendications politiques dans l'enceinte sportive24.

18 L'Auto, 24 février 1932, p. 1. 19 L'Auto, 5 août 1932, p. 3. 20 L'Auto, 6 août 1932, p. 3. 21 L'Auto, 11 août 1932, p. 3. 22 L'Auto, 17 août 1932, p. 5. 23 Baker William J., « Muscular Marxism and the Chicago Counter-Olympics of 1932 », in Pope S.W., The New American Sport History. Recent Approaches and Perspectives, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1996, p. 284-298. 24 L'Auto, 2 septembre 1932, p. 1 et 5. Voir annexe p. 57. 9 Avec l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, de nouvelles interrogations émergent en prévision des Jeux de Berlin. En avril 1933, l’association de football de l’Allemagne du Sud prononce l’exclusion des joueurs juifs25. Si le Commissaire aux sports allemands Hans von Tschammer und Osten affirme que les dirigeants allemands « feront (leur) possible pour réserver aux athlètes étrangers sans distinction de race ou de nationalité un accueil chaleureux »26, L'Auto estime que « le Reich émet des prétentions inacceptables »27. Dans ce même article, le journal fait état de la situation tendue entre le CIO et l'Allemagne, consécutive à la prétention allemande de faire organiser les Jeux de 1936 non pas par son Comité national olympique, mais par le Commissariat aux sports. Il est précisé qu'à ce sujet, Henri de Baillet-Latour a adressé une lettre « courtoise mais ferme » au gouvernement du Reich. Au congrès de Vienne, une déclaration officielle de Theodor Lewald, président du Comité d'organisation, donne tous apaisements au CIO, qui déclare l’incident clos28. Pour autant, L'Auto pousse ses investigations. En septembre 1934, photo à l'appui, il publie l'information suivante :

« Une personne qui revient d’Allemagne nous signale qu’elle a lu à l’entrée de la piscine de Pegniz, dans la région de Bayreuth, la pancarte suivante : « Juden Eintritt verboten » (« Entrée interdite aux Juifs »). »29

Marcel Oger, chef des services de la rédaction, enjoint les dirigeants du Comité olympique allemand à faire disparaître ces pancartes, de façon à concrétiser la bonne volonté affichée. La vigilance de L'Auto est sans faille. Ainsi approuve-t-il la décision du CIO de ne pas accepter le canoë au programme des Jeux de Berlin. La demande formulée par l'Allemagne consistait en l'organisation d'une multitude d'épreuves pour ce seul sport, dans lequel elle excelle. Le quotidien français, dans une analyse toute politique de l'épisode, saisit que « le IIIe Reich voulait voir hisser une dizaine de fois son pavillon au mât olympique… et triompher sans péril sinon sans fausse gloire »30. Ici, la portée nationaliste que les dirigeants allemands entendent insuffler est identifiée comme un danger. A l'été 1935, le conflit s'aggrave entre les Etats-Unis et l'Allemagne. Jeremiah Mahoney, président de l’Amateur athletic union (AAU), appelle au boycott. Au moment où en Allemagne, une équipe féminine de handball est exclue de son groupement après avoir joué un match contre une équipe israélite, L'Auto met la pression sur l'instance olympique, non sans égratigner Henri de Baillet-Latour31. Dans ce contexte tumultueux, les réponses fusent. Le président du CIO dit envisager de déplacer le théâtre des Jeux de 1936 si l'Allemagne ne respectait pas les contrats signés32. Tour à tour, le marquis de Polignac, membre français du CIO, et Armand Massard, président du Comité olympique français, rappellent à L'Auto les garanties écrites données par Hitler33. A côté de ces interventions, le quotidien sportif reprend à deux reprises l'exposé intégral des arguments du Reich publié dans un organe officiel germanique34. Guido von Mengden, chef du bureau de presse du Führer des sports allemands, y dénonce l'acharnement dont l'Allemagne serait victime. S'emparant du problème de la ségrégation raciale aux Etats-Unis et de l'influence du sport ouvrier au début des années 1930, il argue de l'inaction des États et du mouvement olympique pour

25 L'Auto, 20 avril 1933, p. 1. 26 L'Auto, 17 mai 1933, p. 4. 27L'Auto, 19 mai 1933, p. 1. 28 L'Auto, 8 juin 1933, p. 1. 29 L'Auto, 2 septembre 1934, p. 4. Voir annexe p. 58. 30 L'Auto, 1er mars 1935, p. 5. 31 L'Auto, 16 juillet 1935, p. 1 et 7 et 30 juillet 1935, p. 5. 32 L'Auto, 9 août 1935, p. 1. 33 L'Auto, 23 juillet 1935, p. 1 et 1er août 1935, p. 5. 34 L'Auto, 31 août 1935, p. 7 et 14 septembre 1935, p. 5. 10 marteler que l'engagement des pays aux Jeux ne doit pas dépendre de la politique intérieure du pays hôte. Le propos ne convainc nullement L'Auto. Dans une réaction « à deux plumes », le journal corrige :

« Ce n’est certes pas l’étranger qui cherche à mêler l’une et l’autre, mais bien l’Allemagne qui continue à écarter des rangs du sport national d’impeccables sportifs dont le seul crime est de n’être pas Aryens. »35

William Murray révèle que les vues hostiles exposées dans L'Auto suscitent la crainte du bureau de presse allemand36. Ces observations faites, il n'est pas aisé de classer la pensée du correspondant en Allemagne Walter Bing. Ce dernier s'évertue à rassurer sur le traitement accordé aux athlètes israélites pour la préparation aux Jeux37, fournit des exemples de l'« impartialité » allemande38, et certifie qu'il n'y a « plus de raisons de douter de la loyauté des dirigeants du sport allemand »39. L'hypothèse de la nécessaire proximité d'un professionnel de presse en prise directe avec les dirigeants sportifs allemands peut être avancée40.

Entre apolitisme originel, pragmatisme sportif et réalisme économique

Au tournant de l'année 1936, mettre fin aux velléités de boycott relève de l'urgence pour le CIO. Dans une interview accordée à L'Auto, Henri de Baillet-Latour, se reposant sur un rapport d'enquêtes, assure que les sportifs juifs ne souffrent d'aucune discrimination41. A la suite de sa rencontre avec Adolf Hitler en novembre 1935, il conclut que la campagne menée contre le choix de Berlin pour les Jeux Olympiques « n’a aucune valeur puisqu’elle n’est pas basée sur une argumentation sérieuse, mais sur des renseignements controversés »42. Dans ce cadre, les voyages en France et en Angleterre effectués par les pontes du sport allemand, Hans von Tschammer und Osten et Carl Diem, prennent des allures de déplacements diplomatiques. Dès l’atterrissage au Bourget, le premier a pour L'Auto des paroles flatteuses :

« J’éprouve pour votre journal une très vive sympathie. Je sais qu’il joue, pour le développement du sport en France, un rôle immense, mais je sais aussi le poids qu’il représente dans le concert sportif européen. Nous suivons avec intérêt, en Allemagne, ses chroniques si documentées et nous sommes très favorablement impressionnés par son impartialité et sa compréhension des grands problèmes sportifs. »43

Alors que la menace d'un boycott pèse lourdement, la chaleureuse réception organisée par L'Auto et les souhaits adressés par son directeur pour la réussite des Jeux de Berlin témoignent d'une sympathie pour l'Allemagne sportive44. A Garmisch-Partenkirchen, quand la presse américaine déplore l'hostilité du public allemand manifestée à l'encontre des Américains lors

35 L'Auto, 2 septembre 1935, p. 4. Voir annexe p. 59 et 60. 36 Murray William, « France... », p. 92, in Krüger Arnd et Murray William (dir.), op. cit., p. 87-112. 37 L'Auto, 23 octobre 1934, p. 5. 38 L'Auto, 2 août 1935, p. 4. 39 L'Auto, 18 septembre 1935, p. 1 et 4. 40 Après ses articles rédigés dans Paris-Soir pendant les Jeux, Walter Bing se verra expulsé d'Allemagne (Paris-Soir, 6 décembre 1936. Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. 11AR 675. Coupure de presse). 41 L'Auto, 19 septembre 1935, p. 1 et 7. 42 L'Auto, 7 novembre 1935, p. 7. 43 L'Auto, 29 novembre 1935, p. 1 et 5. Voir annexe p. 61 et 62. 44 L'Auto, 1er décembre 1935, p. 1 et 3. 11 de la cérémonie d'ouverture des Jeux d'hiver45, L'Auto s'émeut de l'accueil fait aux Français46. Adolf Hitler est décrié en spectateur avisé, l’œuvre du Comité olympique allemand comme une réussite prodigieuse :

« On pense à un caravansérail monstrueux, à un pèlerinage où toutes les races, toutes les langues, toutes les civilisations se croisent, sans se heurter. C’est un cocktail de peuples, dont le barman - toute référence gardée - serait le chancelier Hitler. »47

Le cliché réunissant Robert Perrier – un des plus fidèles contributeurs du journal - et von Tschammer und Osten, et les compliments du second pour L'Auto, scellent cette entente48. Après les Jeux, Wilheilm Harster, chef du bureau de la presse olympique, ne manque pas de remercier le journal pour sa propagande sportive49.

Les Jeux d'hiver ne constituent qu'une trêve dans les débats. La remilitarisation de la Rhénanie impacte inéluctablement le discours des commentateurs sportifs, qui ne peuvent plus se cacher derrière un apolitisme de façade. En mars 1936, Marcel Oger estime que « la participation de la France aux prochains Jeux Olympiques ne peut être isolée du cadre international »50. Jacques Goddet renchérit lorsqu'il écrit que le sport « ne peut ignorer les relations de pays à pays et ne pas suivre le cours des règlements internationaux »51. Il ne peut cependant pas devancer le politique. A l'approche des Jeux, un argumentaire nouveau émerge dans les colonnes de L'Auto. En effet, la crainte d'un forfait de la France est analysée par Fernand Lomazzi à l'aune des répercussions politiques potentielles qu'une telle décision engendrerait52. Dans cette logique, l'envoyé spécial à Berlin Lucien Dubech, après un entretien avec Carl Diem, certifie que l' « absence à Berlin serait considérée en Allemagne comme une offense grave »53. Autant d'interventions qui, venant agiter le spectre d'une déflagration sportive, sonnent comme un avertissement. Dès lors, un véritable assaut médiatique est lancé pour inciter le gouvernement à financer l'envoi des athlètes français à Berlin. Là, le quotidien s'appuie tant sur le principe de l'apolitisme et « une forme de légitimisme vis-à-vis des décisions du Comité International Olympique »54, que sur la nécessité économique de couvrir un événement d'envergure internationale. L'examen des discours du quotidien vis-à-vis du mouvement sportif ouvrier - qui promeut une Olympiade populaire organisée à Barcelone pour contrer les Jeux Olympiques -, met toutefois en exergue le double-jeu auquel L'Auto se prête55. A la veille des Jeux, Fernand Lomazzi ne cache pas qu'en dépit des apaisements officiels, l'optimisme est terni par la question juive56. La mise en garde de Robert Perrier est à ce titre éloquente :

« Ne nous laissons pas éblouir. Ne perdons pas de vue, une fois pour toutes, que l’Allemagne considère les Jeux Olympiques 1936 (…) comme la plus éclatante manifestation de son redressement national. »57

45 L'Auto, 11 février 1936, p. 5. 46 L'Auto, 7 février 1936, p. 1, 6 et 7. 47 L'Auto, 14 février 1936, p. 1 et 6. 48 L'Auto, 11 février 1936, p. 1 et 4. 49 L'Auto, 17 février 1936, p. 6. 50 L'Auto, 11 mars 1936, p. 1. 51 L'Auto, 12 mars 1936, p. 1 et 7. 52 L'Auto, 16 mai 1936, p. 4. Voir annexe p. 63 et 64. 53 L'Auto, 20 mai 1936, p. 1 et 2. 54 Abgrall Fabrice et Thomazeau François, op. cit., p. 435. 55 Busseuil Tom, L'Auto et le sport ouvrier (1918-1939). Une prétention apolitique mise à l'épreuve, à paraître dans le cadre des travaux du groupe de recherche « Histoire du quotidien sportif L'Auto ». 56 L'Auto, 29 juillet 1936, p. 6. 57 L'Auto, 31 juillet 1936, p. 1 et 6. 12 Quand sonne l'heure de vérité, L'Auto s'emploie à défendre le sport contre les excès. Avec « Les Jeux défigurés », Jacques Goddet signe un article passé à la postérité :

« Ainsi, triomphe populaire, triomphe musculaire, les Jeux de Berlin semblent avoir servi merveilleusement la cause du sport. Hélas ! Jamais encore le sport n’y avait été aussi profondément défiguré. Nous quittons Berlin et sa pluie de drapeaux, bouleversés et inquiets. On s’est servi du sport. On ne l’a pas servi. »58

Les dirigeants du mouvement olympique sont mis à l'index, dans la mesure où loin de contrer pareilles instrumentalisations, ils les permettent et les entretiennent :

« Les Jeux ne sont plus un but, ils sont devenus un moyen, un agent. Les membres du Comité International Olympique ne sont plus des gentilshommes du sport, libres d’esprit, ils sont des représentants des gouvernements. »59

Henri de Baillet-Latour réagit sans s’élever frontalement contre le décorum excessif des Jeux de Berlin. Il le fait avec diplomatie en soutenant la candidature de « petites nations » pour l'organisation des Jeux Olympiques à venir60. En revanche, les sorties tapageuses de Pierre de Coubertin lancent une troisième mi-temps des plus acharnées. Dans une interview accordée à André Lang, correspondant suisse à Le Journal, le rénovateur des Jeux Olympiques considère qu' « il faut laisser s’épanouir librement l’idée olympique, et savoir ne craindre ni la passion ni l’excès, qui créent la fièvre olympique »61. Le rénovateur des Jeux Olympiques se félicite de l'organisation proposée par les Allemands, et balaie l'idée d'une manifestation sportive associée à une propagande d'ordre politique. Avide d'explications, L'Auto dépêche Fernand Lomazzi à Genève pour le rencontrer. Le baron conserve sa ligne de conduite :

« Entendons-nous, les Jeux Olympiques sont une lutte rude, farouche, ne convenant qu’à des êtres rudes et farouches. Les entourer d’une atmosphère débilitante de conformisme, sans passion ni excès, c’est les défigurer, leur enlever toute espèce de signification. »62

Au sortir des Jeux de Berlin, la virulence des échanges entre les deux parties glace la relation entre la presse sportive française et le rénovateur. A la mort de Pierre de Coubertin en septembre 1937, Henri Desgrange revient sur l'épisode berlinois, regrette que la pensée olympique s'y soit évaporée sous l'action des nationalismes, et tire la sonnette d'alarme :

« (Pierre de Coubertin) ne verra pas ce que nos enfants verront sûrement, si les peuples olympiques ne font pas machine arrière, il ne verra pas les victoires olympiques obtenues par des révoltes populaires, appuyées par des mitrailleuses. »63

Après les Jeux, les milieux officiels allemands se refusaient à répondre aux sollicitations de

58 L'Auto, 17 août 1936, p. 1 et 5. Voir annexe p. 65 et 66. 59 Idem. 60 L'Auto, 19 août 1936, p. 1. A la session plénière de Varsovie en 1937, le CIO se montrera plus entreprenant en condamnant officiellement tout contrôle gouvernemental de la pratique sportive des jeunes. En visant l'Italie et l'Allemagne, il s'agira de se réaligner sur les valeurs initiales de l'Olympisme. 61 L'Auto, 28 août 1936, p. 1. 62 L'Auto, 4 septembre 1936, p. 4. Voir annexe p. 67. 63 L'Auto, 6 septembre 1937, p. 2. 13 L'Auto64. En mars 1937, von Tschammer und Osten vient enterrer la hache de guerre65. L'amnésie semble alors frapper le quotidien. Dans une série d'articles parus en novembre 1937, Ernest Loisel, directeur de l'Ecole Normale d’Education Physique, associe étroitement le parti au nazi à une popularisation du sport réussie66. Henri Desgrange y va de son verbe en insistant sur la manière dont l'Allemagne nationale-socialiste a su résoudre la question sociale67. Dans un dossier sur le sport en Allemagne après cinq ans de régime hitlérien, Robert Perrier célèbre la marche sportive allemande. A la lecture de la conclusion publiée vingt ans jour pour jour après l'armistice de 1918, le lecteur peut ressentir la portée militaire qu'un tel bilan recouvre, et le retard pris par les Français dans ce domaine68. En 1937, les actions militaires engagées par le Japon remettent en question la célébration des Olympiades en terre nippone69. Dans un premier temps, L'Auto se cantonne à un rôle d'observateur des défections, résistances et soutiens en vue des Jeux de Tokyo70, tout en rendant les débats intelligibles par des références à la charte olympique71. Par la suite, Marcel Oger prend parti et sollicite la désignation de Londres pour se substituer à Tokyo. Prônant la mesure, il juge que l' « on n’a pas besoin de donner à cette manifestation le caractère « national » de Los Angeles, Berlin ou Tokyo »72. Après le retrait du Japon, le CIO accorde les Jeux d’hiver à Garmisch- Partenkirchen, une décision prise après l’invasion de la Tchécoslovaquie. Pour les épreuves d'été, le choix se porte sur Helsinki. Si le quotidien français n'émet pas de commentaire à tonalité politique sur la première résolution, il transcrit l'enthousiasme finlandais qui dépasse le cercle sportif 73. Il reste que l'actualité internationale jette une ombre sur la participation de tous les Comité nationaux. L'Auto s'engage significativement en suggérant l'organisation d'une grande « Fête Sportive de la Paix » au forum Mussolini74. Aux lendemains de la signature des accords de Munich, l'objectif est de célébrer l' « heureuse conclusion » des événements tragiques qui viennent de se dérouler en Europe. L'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la France sont conviées à se manifester. L'appel restera sans réponse.

L'idée olympique convoitée et ballottée

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ramène Jacques Goddet au douloureux souvenir de Berlin. Le sport est décrit comme un facteur plein de la montée du nazisme et de l'engourdissement des consciences75. L'Auto devenu L'Auto-Soldat s'engage pleinement dans l'entreprise de diabolisation de l'ennemi allemand. L'opportunisme d'Avery Brundage - président du Comité olympique américain - et de la corporation du cinéma, désireux d'organiser « à tout prix » des Jeux Olympiques devant l'annulation programmée de ceux d'Helsinki, remporte l'adhésion de Bernard Musnik76. Plus que de perpétuer la tradition olympique, il importe de réunir les sportifs du « nouveau monde » en dépassant largement le cadre du sport. Seulement, dès le mois de septembre 1939, Henri de Baillet-Latour saisit que la pax olympica est obsolète77. La Belgique occupée et les

64 L'Auto, 18 août 1936, p. 1 et 4. 65 L'Auto, 23 mars 1937, p. 5. 66 L'Auto, 16 novembre 1937, p. 1 et 3. 67 L'Auto, 21 novembre 1937, p. 2. 68 L'Auto, 11 novembre 1938, p. 1 et 4. 69 L'Auto, 28 décembre 1937, p. 1. 70 L'Auto, 12 février 1938, p. 1, 2 avril 1938, p. 6 et 10 juin 1938, p. 6. 71 L'Auto, 10 mars 1938, p. 1. 72 L'Auto, 15 juillet 1938, p. 1. 73 L'Auto, 29 juillet 1938, p. 1 et 7 juin 1939, p. 1. 74 L'Auto, 1er octobre 1938, p. 1. 75 L'Auto, 8 septembre 1939, p. 2. 76 L'Auto, 7 novembre 1939, p. 1, 4 et 5. 77 Carpentier Florence, op. cit., p. 367. 14 correspondances systématiquement interceptées, il ne peut plus rentrer en contact avec ses collègues78. Sigfrid Edström joue pourtant la carte de l'optimisme. Gaston Bénac, chef des services sportifs de Paris-Soir, rapporte la conversation qu'il a eue le membre du CIO. Rejoignant l'avis d'Henri Desgrange, le journaliste commente :

« Personnage olympique sourd à la voix du canon, des torpilles, des mines, M. Edstrom est persuadé que l’idée des Jeux doit s’élever et peut vivre au-dessus du bruit des armes. Douce illusion, généreuse, mais chimérique pensée… »79

Le net ralentissement de l'activité du CIO va de paire avec une influence allemande croissante en son sein. Gaston Frémont dénonce l'accaparement du Comité par les puissances de l'Axe – l’Institut olympique aménagé à Berlin, la Revue olympique éditée par les Allemands, la nomination de Werner Klindeberg à la préparation des Jeux de 194080. L'Allemand est le successeur désigné au secrétariat du CIO pour remplacer le colonel André Berdez, décédé81. Plus de deux mois avant la capitulation française de Rethondes, le journaliste met un point d'honneur à analyser l'annulation à venir des Jeux d'Helsinki comme un cuisant revers pour l'ennemi. En exil à Lyon pour échapper à l'invasion allemande, L'Auto revient à Paris en septembre 1940 afin de poursuivre sa publication. Si les conditions exactes de la cession des actions de la société L'Auto-Sports sont mal connues, il est établi que le journal passe aux mains de l'occupant82. Les archives de l'immédiat après-guerre mettent en lumière les relations étroites noués par Gerhard Hibbelen, homme d'affaires et patron de presse au service de l'ambassade d'Allemagne, avec les administrateurs de la société Maurice Bigot et Jacques Goddet83. Durant toute la durée du conflit, le discours reste ainsi tributaire des rebondissements politiques et militaires. Dans la conquête politique de l'Olympisme, von Tschammer und Osten s'oppose à la tenue des Jeux de 1944 à Londres, bastion de la Résistance84. Au cours d'une conférence à Paris donnée en mai 1941, Carl Diem se propose de renouveler « l'idée olympique dans l'Europe nouvelle »85. Devant un Maurice Blein admiratif, le secrétaire général du Comité olympique insiste sur le fait que « les Jeux Olympiques, s’ils sont un rendez-vous mondial, sont et demeureront d’essence européenne »86. Pour Jacques Goddet, propulsé directeur du quotidien à la mort d'Henri Desgrange en août 1940, ces intentions fournissent la preuve que les idées de Pierre de Coubertin n’ont été recueillies par aucune nation avec plus de ferveur que par l’Allemagne. Le directeur présentent ses arguments :

« Les Jeux restent une réplique de nos besoins naturels de lutte pour la suprématie Leur grande idée, s’opposant à celle de la guerre, est que le résultat importe beaucoup moins que n’importent le caractère de la lutte, les sentiments qui l’ont inspirée et surtout sans doute les raisons de l’effort fourni. »87 78 Senn Alfred E., Power, Politics, and the Olympic Games, A history of the power brokers, events, and controversies that shaped the Games, United States, Human Kinetics, 1999, p. 73. 79 L'Auto, 9 avril 1940, p. 1 et 3. 80 L'Auto, 2 avril 1940, p. 1 et 3. 81 Morath Pierre, Le CIO à Lausanne. 1939-1999, Yens sur Morges, Editions Cabédita, 2000, p. 35-36. 82 Van Doren Olivier, L’Auto pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise, Université de Saint-Quentin en Yvelines, 1997, p. 36-40. 83 Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. 20020563/8 dossier 8448 : « L'emprise allemande sur l'édition et la presse française pendant l'occupation. La personnalité de l'agent nazi Hibbelen ; ses méthodes et ses complicités françaises » et Archives de la Préfecture de Police. 77W2141 406750 : « Points succincts sur Monsieur Hibbelen ». 84 L'Auto, 18 décembre 1940, p. 1. 85 L'Auto, 15 mai 1941, p. 1. 86 L'Auto, 16 mai 1941, p. 1 et 3. Un an plus tard, aux réunions de la jeunesse à Vienne, von Tschammer und Osten renouvelle le souhait de créer des Jeux européens qui « transmettraient aux jeunes de l'Europe nouvelle, l'idée magnifique des Jeux Olympiques » (L'Auto, 19 septembre 1942, p. 1). 87 L'Auto, 17, 18 mai 1941, p. 1. Voir annexe p. 68 et 69. 15 Ces propos rompent drastiquement avec ceux affichés aux lendemains des décriés Jeux de Berlin, quand la porosité de la frontière entre l'univers sportif et le champ politique était condamnée. Selon Fabrice Auger, le décès d'Henri de Baillet-Latour en janvier 1942 tourne à l'entreprise de récupération du mouvement olympique par les Allemands88. En annonçant la mort du comte, L'Auto ne procède qu'à un rappel de son œuvre. Durant les années 1942 et 1943, le quotidien sportif se fait tout aussi discret sur l'actualité olympique. C'est lors du cinquantenaire de la rénovation des Jeux Olympiques modernes que Jacques Goddet s'interroge de savoir « où va l'idée olympique »89. S'il met au passif des Jeux l'exacerbation des rivalités internationales, il croit en la réincarnation de l'esprit olympique. Son propos est appuyé par l'intervention de Sigfrid Edström90. Le président par intérim du CIO s'émeut de voir les Jeux Olympiques contrariés en temps de guerre, livre un sentiment mitigé sur l'action du mouvement olympique et émet le souhait qu'à l'avenir, « la concorde », « la consolidation de la paix » et « la réconciliation des peuples dans le monde entier » marquent son œuvre.

La réintégration allemande dans le mouvement olympique : une sensibilité française

A la Libération, L'Auto accusé de collaboration est frappé d'interdiction de parution. L’Equipe reprend le flambeau de l’actualité sportive en février 1946 non sans devoir batailler contre une concurrence qui s'essouffle finalement91. Si le quotidien renouvelle ses vœux d'apolitisme, il est rapidement question de la reprise des relations sportives franco-allemandes. Le journaliste Constantin Brive suggère aux coureurs français :

« Attendez donc que les grands blessés de guerre soient guéris et quelques-unes de nos villes reconstruites pour rénover la camaraderie sportive sur les vélodromes allemands. »92

Ainsi le journal salue-t-il le « sens des réalités » du coureur de demi-fond allemand Ludwig Kaindl, qui approuve l'absence de son pays aux Jeux Olympiques de Londres93. Alors que le CIO entend s'écarter des enjeux politiques – il reconnaît ainsi pleinement le CNO italien et entreprend d'intégrer l'URSS dans le giron olympique -, Marcel Oger ne digère pas les conséquences de la dernière guerre :

« Heureusement que l'Allemagne n'a pas songé, par un artifice de procédure bien dans son genre, à recréer son Comité National Olympique. M. Edström l'eût avalé les yeux fermés ! »94

Cette ligne de conduite reflète celle affichée par la diplomatie française. Au Quai d'Orsay, il paraît inconcevable que l'on puisse « fournir aux Allemands l’occasion de manifester leur nationalisme »95. Au moment de couvrir les Jeux d'hiver, L'Equipe loue la « sobre et admirable organisation de Saint-Moritz », qui vient rompre avec le « faste provocateur de Garmisch-

88 Auger Fabrice, op. cit., p. 380. 89 L'Auto, 23 juin 1944, p. 1. 90 L'Auto, 27 juin 1944, p. 1. 91 Les statistiques de l'Inspection générale des services de police administrative à Vichy avant 1945 et les rapports sur l'activité de la presse dans l'après-guerre démontrent qu'au cours de ces périodes, L'Auto puis L'Equipe doivent composer avec de sérieux rivaux (Archives de la Préfecture de Police. BA1713 : Tirage moyen des journaux). 92 L'Equipe, 21 novembre 1946, p. 1 et 2. 93 L'Equipe, 25 avril 1947, p. 3. 94 L'Equipe, 4 septembre 1947, p. 1. 95 Diestchy Paul et Clastres Patrick, Sport, société et culture du XIXe siècle à nos jours, Paris, Editions Hachette, 2006, p. 152. 16 Partenkirchen »96. L'allusion à l'olympiade berlinoise est systématique, comme pour mieux panser les plaies et se projeter dans un futur sportif rédempteur. En second lieu, les Jeux Olympiques de Londres sont appréhendés comme la possibilité sportive d'une régénérescence française et de sa réaffirmation sur l'échiquier européen. Dans une grande enquête, L'Equipe milite pour une participation française parce qu'elle serait l'indicateur de la vitalité du pays97. En ce sens, le quotidien opte pour une participation limitée à quelques sports, en prenant en considération des données économiques qui n'incitent pas à l'optimisme. Michaël Attali et Jean Saint-Martin mesurent l’omniprésence des analyses politiques au cours des Jeux et le dépassement des discours convenus sur l’apolitisme olympique alors que l'opportunité d'un renforcement de l'alliance franco- britannique se présente98. Aussi le choix symbolique d'une ville martyre, capitale d'un pays allié et cœur de la Résistance pendant la guerre, est-il approuvé par Gaston Meyer99. Dans sa chronique « Les faits et les hommes », Jacques Goddet, face au souvenir d'un sport piétiné par l'idéologie politique, réclame « un retour à la nature, une cure de pureté naturelle loin des capitales soumises à des influences tentaculaires, à l'abri des régimes intentionnés »100. Jusqu'en 1952, la réintégration de la RDA et de la RFA, ou d'une entité unifiée au sein du mouvement olympique soulève des interrogations tant sportives que politiques. Sans cesse repoussée, la décision de la réadmission de l'Allemagne est laborieuse. Otto Mayer, délégué de la Suisse, chancelier du CIO et chargé des relations avec la presse, expose nettement la position de principe du CIO :

« Nous tenons à rassembler dans un but de mutuelle compréhension, de luttes loyales et de paix le plus de nations possibles. »101

Interrogé par L'Equipe en janvier 1950, Carl Diem, secrétaire général du Comité olympique d'Allemagne occidentale fondé le 24 septembre 1949 - un jour après l'établissement de son État fédéral -, nourrit l'espoir de participer aux Jeux. Il se dit toutefois conscient « qu'il faut attendre que le ressentiment français soit passé »102. Dans les pays occidentaux, les avis sont partagés, du consentement américain à la réserve de l'Italie. A l'occasion du congrès du CIO en mai 1950, Otto Mayer déclare que l'Allemagne peut participer aux Jeux d'Helsinki « à condition qu'elle soit réadmise dans les différentes fédérations internationales »103. Le lendemain, une invitation lui est adressée et un statut de reconnaissance provisoire accordé. Vico Rigassi, correspondant suisse de L'Equipe attitré au mouvement olympique, s'emporte contre cet immobilisme relatif :

« Le CIO s'est un peu conduit en Normand, faisant semblant de prendre des décisions, mais en fait en retardant d'un an le moment de les appliquer. »104

Un sondage effectué par le journal révèle que parmi les fédérations internationales, la plupart acceptent le principe de la réintégration105. Se référant aux valeurs pacifistes antiques de l'Olympisme, L'Equipe veut voir dans cette « trêve sacrée » un retour à la tradition106. Cette marche

96 L'Equipe, 30 janvier 1948, p. 1 et 4. 97 L'Equipe, 30 avril 1947, p. 1. 98 Attali Michaël et Saint-Martin Jean, « Les Jeux olympiques de Londres de 1948 au prisme du nouvel échiquier politique et sportif international », in Terret Thierry (dir.), Histoire du sport et géopolitique, Paris, Editions L’Harmattan, 2001, p. 289-308. 99 L'Equipe, 17 juillet 1948, p. 5. 100 L'Equipe, 29 juillet 1948. 101 L'Equipe, 20 octobre 1949, p. 4. 102 L'Equipe, 6 janvier 1950, p. 1 et 2. 103 L'Equipe, 16 mai 1950, p. 6. 104 L'Equipe, 17 mai 1950, p. 2. 105 L'Equipe, 19 mai 1950, p. 8. 106 L'Equipe, 25 mai 1950, p. 6. 17 vers la réintégration doit toutefois se réaliser sous l'égide d'une haute-commission alliée. L'Equipe informe que ce groupement fait part au chancelier Adenauer de ses objections concernant la renaissance de l'organisation de gymnastique Deutscher Turner-Band, en raison de ses attaches historiques avec le mouvement national-socialiste107. Les idées politiques qui s'y développent alors sont pourtant diamétralement opposées108. En outre, réadmission dans les fédérations internationales ne rime pas toujours avec pleine approbation des autres nations affiliées et comités organisateurs. Le refus de la Norvège d'inviter l'Allemagne aux Jeux Olympiques d'hiver à Oslo en 1948, alors même que l'ennemi d'hier est réintégré à la Fédération internationale de ski (FIS), l'illustre109. Pour le quotidien, ce choix est dicté par la crainte qu'une reprise trop brusque de la participation des skieurs allemands aux Jeux d'hiver d'Oslo ne soit mal accueillie par une certaine partie du public. Dans L'Equipe du 18 octobre, Otto Mayer rappelle que conformément à l'article 31 des règles olympiques, « les invitations à prendre part aux Jeux sont adressées par le comité organisateur conformément aux instructions reçues par le CIO »110. Si Marcel Oger rétorque que d'autres pays ayant connu de semblables souffrances adoptent une position d'ouverture, L'Equipe fait le trait d'union entre les deux postures en suggérant l'organisation d'un référendum au sein de la nation hôte111. Les problématiques de la réintégration définitive du Comité olympique de l'Allemagne occidentale et de la reconnaissance d'un Comité oriental deviennent plus pressantes encore au début de l'année 1951. Le CIO tarde à prendre position parce qu'il est espéré que l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest puissent coopérer ; selon ses statuts, il ne peut reconnaître qu'un seul Comité olympique par pays. Sur ce point, L'Equipe se réjouit de l'opportunité de voir le sport « manifester sa force universelle » en triomphant de difficultés que le politique, dans sa sphère, ne peut surmonter112. L'admission de l'Allemagne de l'Ouest à l'unanimité est une démonstration du détachement du CIO de toute contingence politique. Dans cette logique, Otto Mayer relève le cas du délégué soviétique nouvellement admis Constantin Andrianov, qui lors du congrès de Vienne, vote pour l'adhésion de l'Allemagne de l'Ouest et contre celle de l'Allemagne orientale113. Un accord de principe est d'abord trouvé pour envoyer une sélection commune aux Jeux de 1952114. Les représentants des deux régions doivent sélectionner les meilleurs athlètes allemands amateurs sans tenir compte de leur lieu de résidence, en vertu des seules règles olympiques115. Seulement, quelques semaines plus tard, les dirigeants sportifs de la RDA accusent leurs homologues de s'abstenir de toute démarche de coopération. Selon une dépêche de l'AFP, ils formulent la demande au CIO de reconnaître le Comité de la RDA comme « représentation suprême olympique du territoire et de la RDA »116. Vico Rigassi s'agace devant ces revirements d'ordre politique :

« Les délégués du Comité Olympique oriental n'auraient rien contre une présidence de M. Ritter von Halt, mais ils veulent à tout prix exclure du mouvement l'ancien conseiller de Hitler et Goebbels. La patience du CIO – qui a tout fait preuve d'une grande indulgence à l'égard des Allemands – est à bout, nous a-t-on assuré. »117

Quand en février 1952, les délégués de l'Est manquent d'honorer un rendez-vous avec le président

107 L'Equipe, 25 mai 1950, p. 7. 108 Krüger Arnd, « Allemagne », p. 100-101, in Riordan James, Krüger Arnd et Terret Thierry, Histoire du sport en Europe, Paris, Editions L’Harmattan, 2004, p. 75-111. 109 L'Equipe, 5 octobre 1950, p. 7. 110 L'Equipe, 18 octobre 1950, p. 6. 111 L'Equipe, 24 novembre 1950, p. 4. 112 L'Equipe, 16 février 1951, p. 4. 113 L'Equipe, 9 mai 1951, p. 3. 114 L'Equipe, 22 mai 1951, p. 6. 115 Mayer Otto, A travers les anneaux olympiques, Genève, Pierre Cailler, 1960, p. 205. 116 L'Equipe, 11 septembre 1951, p. 3. 117 L'Equipe, 31 janvier 1952, p. 1. 18 du CIO et les dirigeants ouest-allemands118, le CIO décide de ne plus s'engager dans la « Guerre froide » qui oppose les deux parties119. L'interview d'Otto Mayer, publiée le 13 mai 1952, le confirme. Les prétentions de l'Allemagne de l'Est, parmi lesquelles la création d'un Comité allemand réunissant Ouest, Est et Sarre, sont reçues défavorablement120. Pour L'Equipe, malgré les négociations entre Ritter Von Halt et Kurt Edel, une réconciliation avant les Jeux d'Helsinki relève de la gageure. La participation espérée de l'Allemagne toute entière transpire pourtant à travers l'article de Paul Dupont, lequel s'enthousiasme pour un territoire comptant 800.000 licenciés en athlétisme et considère « Helsinki comme un point de départ »121. Seule, la RFA envoie ses sportifs à Oslo et à Helsinki, avec un bilan positif de trente-quatre médailles pour les Jeux d'été122. A leur suite, la Ligue allemande des sports, à l'instar de la Ligue des sports de Berlin-Ouest, rompt ses relations avec les dirigeants sportifs de zone soviétique. La mesure serait motivée par une déclaration selon laquelle « il est impossible de dissocier le sport de ses buts politiques »123.

L'Equipe moteur d'une URSS olympique

A partir de 1946, le cas soviétique suscite une attention accrue de la part de L'Equipe. Avec le retour en grâce de l'URSS sur l'échiquier politique européen, son entrée dans le sport international est attendue. Dirigeants sportifs et journalistes, porte-drapeaux du pacifisme ou thuriféraires de l'apolitisme, appellent de leurs vœux l'affiliation de l'URSS aux fédérations internationales et son intégration au CIO. Avant guerre, avec la dissolution de l’Internationale rouge sportive (IRS) – organisation auxiliaire de l'Internationale communiste -, le mouvement sportif ouvrier soviétique abandonnait sa lutte farouche contre les Jeux Olympiques124. L'ambition soviétique s’affirme davantage en 1948, lorsque le Comité central du Parti communiste transforme massivement l’organisation du sport afin que « les sportifs soviétiques, dans les années à venir, puissent dépasser les records du monde dans tous les principaux sports »125. Les affiliations de l'URSS à la Fédération internationale des poids et haltères (FIPH) en octobre 1946126 et à la Fédération internationale de football association (FIFA) en novembre127 sont un premier pas en avant. Sans s'encombrer d'appliquer son filtre politique, L’Equipe ne manque pas de louer ce grand pays devenu sportif grâce à « la volonté toute puissante de ses responsables depuis la Révolution d’Octobre »128. La fraternisation sportive illustrée par l'image de l'URSS, du Chili, de la Tchécoslovaquie et de l'Angleterre siégeant côte à côte à la FIFA ravit le quotidien129. La problématique politique de l'intégration de l'URSS et des pays de l'Est est prégnante, de même que la confrontation programmée avec les sportifs occidentaux. La division du monde en deux blocs aux orientations politiques et économiques différentes marque « le début d’une nouvelle ère où les armes sont en

118 L'Equipe, 9, 10 février 1952, p. 8. 119 L'Equipe, 12 février 1952, p. 5. 120 L'Equipe, 13 mai 1952, p. 6. 121 L'Equipe, 27 mai 1952, p. 1 et 3. 122 Gehrmann Siegfried, « Le sport comme moyen de réhabilitation nationale au début de la République Fédérale d’Allemagne. Les Jeux Olympiques de 1952 et la Coupe du Monde de football de 1954 », p. 237, in Arnaud Pierre et Wahl Alfred (dir.), Sports et relations internationales, Metz, actes du Colloque de Metz-Verdun de septembre 1993, 1994, p. 231-243. 123 L'Equipe, 23 septembre 1952, p. 5. 124 Gounot André, « Face au sport moderne. 1919-1939 », in Vigreux Jean et Wolikow Serge (dir.), Cultures communistes au XXe siècle, Paris, La Dispute, 2003, p. 203-218. 125 Résolution du Comité central du Parti communiste, 27 décembre 1948, citée par Riordan James et Cantelon Hart, « Europe de l’Est et URSS », p. 253, in Riordan James, Krüger Arnd et Terret Thierry, op. cit., p. 239-262. 126 L'Equipe, 16 octobre 1946, p. 3. 127 L'Equipe, 21 novembre 1946, p. 1 et 3. 128 L'Equipe, 10, 11 août 1946, p. 1 et 2. 129 L'Equipe, 21 avril 1948, p. 1 et 3. 19 réalité essentiellement diplomatiques, culturelles et scientifiques »130. Dans ce cadre, il est essentiel de noter qu’à travers les articles du journal L’Equipe, les Américains semblent plébisciter l’arrivée de l’URSS sur la scène olympique. C'est en tout cas ce que le journal veut donner à penser en citant Eddie Eagan, président de la Commission d’athlétisme de l’État de New-York, qui parle de « l’établissement de la compréhension mutuelle et (du) développement de l’amitié entre nations face aux dangers atomiques »131 . L'Equipe craint pourtant que l'exclusion de la Chine continentale des Jeux d'Helsinki n'écarte l'URSS de la route d'Helsinki132. A la lecture des commentaires peu tendres de la presse soviétique, laquelle accorde une large place aux événements sportifs chinois, le quotidien français place le CIO au pied sur mur en l'appelant à jouer un grand rôle de médiateur :

« Espérons que (les disciples de Pierre de Coubertin) déploieront tout leur courage, toute leur diplomatie, qu'ils ne ménageront pas leurs efforts pour parvenir à une entente. Leur succès serait la plus belle victoire jamais remportée, le plus beau de tous les records du monde. »133

Dans son entreprise de dévoilement d'une nation sportive hier largement méconnue, le journal doit d'abord lorgner sur les journaux étrangers et l'United Press, l’agence de presse américaine. Par ce biais, il apparaît très clairement aux yeux des journalistes de L’Equipe que l'URSS promeut un sport caractère propagandiste, et « comme la femme de César, elle ne doit pas être soupçonnée »134. A partir de 1949, les articles signés des journalistes de L'Equipe sont élogieux à l'égard du sport soviétique. C’est le sens d’un premier reportage publié à l’été 1951 intitulé « L’Equipe derrière le rideau de fer » où l’organisation sportive en URSS prend la forme d’un laboratoire travaillant à plein rendement135. Surtout, à la veille des Jeux, le riche dossier « L’URSS, l’inconnue d’Helsinki » signé Raymond Meyer analyse une structure sportive entièrement tournée vers ses travailleurs136. En décrivant les conditions techniques des performances sportives soviétiques, il peut d'une part s'agir de légitimer et de promouvoir l'intégration d'un pays dans le mouvement olympique. D'autre part, attiser la curiosité du lecteur en exposant un nouveau modèle sportif d'un pays amené à se frotter aux meilleures nations occidentales pourrait relever de la pure stratégie éditoriale. Il est intéressant de relever que le voyage du journaliste de L'Equipe en URSS attire l'attention des Renseignements Généraux français, qui recueillent des informations sur sa personne et cherchent à savoir si des sujets communistes occupent la rédaction du quotidien sportif137. Dans L'Equipe du 25 avril 1951, Otto Mayer confirme la constitution du Comité olympique soviétique et la demande d'affiliation parvenue au CIO ; selon Marcel Oger, il faut parler d'un « succès éclatant pour le mouvement olympique »138. Signe avant-coureur d'un « dégel » ou opération de propagande, « détente ou compétition idéologique »139, il reste qu'un nouveau terrain d’affrontement de la Guerre froide s'ouvre. A ce titre, le choix de la Finlande est doublement symbolique. Le sport est en effet un élément de sa rénovation nationale, en même temps que la ville d'Helsinki « apparaît comme un pont entre l’Est et l’Ouest »140. Au crépuscule de l'année olympique, L'Equipe entend donner un

130 Terret Thierry, op.cit., p. 81. 131 L'Equipe, 30 décembre 1948, p. 1 et 3. 132 L'Equipe, 6 mars 1952, p. 8. Voir annexe p. 70. 133 Idem. 134 L'Equipe, 29 octobre 1947, p. 4. 135 L'Equipe, 27 août, p. 8 et 13 septembre 1951, p. 3. 136 L'Equipe, du 18 juin au 16 juillet 1952. 137 Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. 19860510/6 1647. Note d'information du Service départemental des RG à Montpellier. 138 L'Equipe, 25 avril 1951, p. 1 et 4. 139 Milza Pierre, « Un siècle de jeux olympiques », p. 33, in Milza Pierre, Jequier François et Tétart Philippe (dir.), Le pouvoir des anneaux. Les Jeux Olympiques à la lumière de la politique 1896-2004, Paris, Editions Vuibert, 2004, p. 25- 37. 140 Augustin Jean-Pierre et Gillon Pascal, L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques, Paris, Editions Armand Colin, 20 relief tout politique à l'événement sportif :

« Ces Jeux de 1952 seront ceux de l'espérance. Ils ne suspendront ni les armements ni les féroces batailles économiques, mais ils marqueront une halte et donneront à penser que le sport est en avance sur les autres activités humaines. »141

La participation de l'URSS rendue officielle142, le journal redouble d’attention concernant l’attitude des Russes. La visite d'Helsinki par les dirigeants soviétiques est décortiquée143, tandis que l’impasse faite sur les Jeux d’hiver est interrogée144. Une enquête poussée sur une piste soviétique de patinage de vitesse, sur laquelle des records mondiaux auraient été largement battus, est menée145. La mise en résonance du sport à son environnement passe par la chronique « 24 heures de sport » qui témoigne d'une lucidité quant à la valeur heuristique des Jeux :

« Helsinki sera-t-il la première grande manifestation pacifique mondiale ? Ou au contraire la dernière et la plus grandiose tentative de rassemblement des peuples, unis en un idéal commun : celui du sport ? (…) Puissions-nous savoir lire les résultats ; ils classeront impitoyablement les races et les nations. Et le sport, n'en doutons pas, est un reflet. »146

A cet instant, trois angles journalistiques sont privilégiés. Dans un premier temps, l’isolement dans le camp d'Otaniemi, la méfiance et le silence des Soviétiques sont analysés comme la crainte qu’on leur prête des déclarations fantaisistes147. Tout au long des Jeux, en établissant un suivi des qualifications et les éliminations des Etats-Unis et de l'URSS, en mettant à jour un classement des médailles, ou en proposant des résumés exhaustifs de leurs confrontations directes - avec la finale de basket en point d'orgue -, L'Equipe construit la concurrence symbolique de deux références sportives. Cette rivalité que le quotidien sportif français veut saine s'oppose à la stratégie des presses soviétique et américaine, qui placent des attaques dénonçant le caractère prétendument guerrier et antisportif du rival « de façon à se poser en défenseur inconditionnel de l'esprit olympique »148. En outre, dans L’Humanité, le commentaire sur les Jeux est explicitement relié à la situation internationale - guerre de Corée et réarmement allemand - et à la campagne pour la paix149. Le dernier thème concerne la lueur d’espoir sportive qui doit éclairer le politique. Les félicitations adressées par un athlète russe à un athlète américain après sa victoire aux 3000 mètres steeple150 et l’invitation d'Emil Zatopek et de sa femme aux Etats-Unis151 sont commentées en des termes dithyrambiques. Aux lendemains des Jeux, L'Equipe publie un éditorial dans lequel le quotidien transcrit la puissance de l'Olympisme et célèbre le pacifisme sportif qui doit faire figure d'exemple :

« En somme, le rideau de fer est en passe de se lever... Sans que l’on puisse rien affirmer avec une totale certitude, on peut tout de même penser que les deux semaines d’Helsinki ont fait davantage

2004, p. 28. 141 L'Equipe, 1er janvier 1952, p. 1. 142 L'Equipe, 28 décembre 1951, p. 1. 143 L'Equipe, 21 novembre 1951, p. 8. 144 L'Equipe, 12, 13 janvier 1952, p. 6 et 12 février 1952, p. 5. 145 L'Equipe, 30 janvier 1952, p. 1, 19 février 1952, p. 8 et 20 février 1952, p. 1. 146 L'Equipe, 10 juillet 1952, p. 1. Cet éditorial intitulé « Le grand jeu » suit « Le grand match » du 3 juillet (p. 1) et précède « Fraternité d'armes » proposé le 16 juillet (p. 1), à chaque fois en une du quotidien. 147 L'Equipe, 17 juillet 1952, p. 1 et 8. 148 Niggli Nicholas, « Helsinki 1952 : les « Jeux olympiques de la guerre froide » ? », p. 223, in Milza Pierre, Jequier François et Tétart Philippe (dir.), op. cit., p. 219-238. 149 Milza Pierre, introduction au n° 38 de Relations internationales, op. cit., p. 168. 150 L'Equipe, 20 août 1952, p. 6. 151 L'Equipe, 9, 10 août 1952, p. 5. 21 pour le rapprochement des clans que sept années de palabres et de calomnies réciproques. »152

Le respect de cette ligne éditoriale, vision idyllique d'un sport capable de précéder le politique, s'accompagne d'omissions. Ainsi le journal passe-t-il sous silence la campagne menée par les journaux américains et Avery Brundage après l'intervention engagée du coureur tchécoslovaque lors d'un meeting communiste organisé à Helsinki le jour de la cérémonie de clôture153. Lorsque Zatopek est promu commandant, L'Equipe ne fait que s'interroger sur la liberté de mouvements et du choix des compétitions par le coureur154.

152 L'Equipe, 22 août 1952, p. 1. Voir annexe p. 71. 153 Archives du CIO. JO-1952S-CORR. San Francisco Chronicle, 5 août 1952, p. 14, article « New Marathon For Zatopek » (voir annexe p. 72 et 73), lettre de Brundage à Ketseas du 10 octobre 1952 et lettre de Brundage à Massard du 21 octobre 1952. 154 L'Equipe, 11 septembre 1952, p. 1. 22 L'amateurisme olympique dans le viseur médiatique

Depuis les débuts de la presse sportive, une thématique épineuse touche directement le sport promu par l'institution olympique. En effet, le sujet de l'amateurisme et de la tendance au professionnalisme alimente abondamment les colonnes du quotidien sportif L'Auto. La fin de la décennie 1920 marque un tournant dans le sens où le football et le tennis, soumis à de vifs courants antagonistes sur la question de l'amateurisme, quittent la scène olympique avec fracas. En France, les pratiques de racolage et d'amateurisme marron affectent également le rugby. En 1932, année des Jeux de Los Angeles, le championnat français de football passe au professionnalisme. Dans le journal, le sujet est sous toutes les plumes. La problématique recouvre une dimension sociale et politique dont L'Auto et L'Equipe s'emparent successivement pour (in)former un lectorat auquel ils entendent enseigner un modèle sportif.

L'Auto « bille en tête » : une dénonciation acharnée du parjure olympique

Au mois de février 1932, une série d'articles intitulée « La comédie du serment olympique » est publiée. Elle illustre parfaitement l'état d'esprit du quotidien concernant l'amateurisme olympique. Les interviews de Jules Rimet, président du Comité national des sports (CNS), de la Fédération française de football association (FFA), de la Fédération internationale du football association (FIFA), et du comte Clary, président du Comité olympique français depuis 1913, servent un but commun. Il s'agit de libérer la parole autour d'une hypocrisie généralisée que pointent les journalistes de L'Auto depuis plusieurs années déjà. Le premier se fait le porte-voix du quotidien, lorsqu'il déclare :

« La seule chose répréhensible, ce sont les pratiques secrètes, les fraudes, les arrangements incontrôlables auxquels le serment olympique a contraint tant de monde. »155

Le comte Clary, se référant au passé pour mieux faire admettre l'inéluctable, indique que « dans l’ancienne Grèce, les Jeux Olympiques étaient disputés par des professionnels »156. La fonction du personnage, première personnalité française et en lien direct avec les grands décideurs de l'Olympisme, donne du poids à la charge de L'Auto. Les propos tenus par les dirigeants allemands157 et hollandais158 contestent un peu plus la base définitive que certains veulent bien encore prêter à l'amateurisme. A cet instant, l'espoir demeure quant à sa redéfinition au sein du courant olympique. Après la publication des Mémoires Olympiques de Pierre de Coubertin dans L'Auto, Henri Desgrange acclame les vues que le rénovateur porte « avec la proposition d'un « amateurisme démocratisé »159. Les travaux effectués par la Commission exécutive du CIO en juin 1932 augurent de concrétisations rapides, dans le sens où la volonté de Sigfrid Edström, alors membre éminent du CIO, fait écho au projet défendu par L'Auto, à savoir « le statut de l'athlète de classe internationale »160. Seulement, le problème est reporté à la session de 1933. Florence Carpentier émet l’hypothèse que cette volonté affichée de travailler sur l’amateurisme, avec des séances communes régulières entre le CIO et les fédérations internationales, « n’est peut-être qu’un prétexte

155 L'Auto, 23 février 1932, p. 1 et 4. 156 L'Auto, 25 février 1932, p. 1 et 4. 157 L'Auto, 31 mars 1932, p. 1 et 4. 158 L'Auto, 8 avril 1932, p. 1 et 6. 159 L'Auto, 7 avril 1932, p. 1. 160 L'Auto, 16 juin 1932, p. 1. 23 pour détourner l’attention des fédérations qui pourraient choisir de se joindre aux contestataires »161. Dans le même temps, la participation du célèbre athlète finlandais Paavo Nurmi aux Jeux Olympiques de Los Angeles semble actée. Les preuves sur les rémunérations touchées à l'occasion de meetings sportifs l'accablent pourtant. La colère de Marcel Oger est vive :

« On croirait que les dirigeants du CIO veulent, eux-mêmes, tuer leurs Jeux Olympiques modernes. »162

Quelques jours plus tard, une rencontre avec le colonel Berdez, secrétaire général du CIO, vient apporter un éclairage nouveau sur le problème163. L'attachement à une « formule périmée de l'amateurisme » est perçue par Fernand Lomazzi comme le moyen de ne pas acter sa suppression, car le CIO craindrait d'aboutir à une rupture avec les pays anglo-saxons, plus fervents défenseurs de l'amateurisme intégral. En effet, Américains et Anglais, dans le sillage d'Avery Brundage, disent chasser l'amateurisme marron et s'élèvent contre toute forme d'intéressement dans le sport. L'analyse du quotidien est fine, d'autant plus que le jour de l'ouverture des Jeux de Los Angeles, au Congrès de la Fédération internationale d'athlétisme (FIA), ces deux pays, contre tout attente, se rallient aux autres voix pour voter contre la participation de Paavo Nurmi. Interrogé à Los Angeles, Henri de Baillet-Latour ne cache pas sa satisfaction :

« Le sport ne doit pas être confondu avec une profession, le sport ne doit pas être une spéculation. Et ce n'est pas ici le lieu où l'on puisse et l'on doive chercher à faire fortune. »164

Considérée comme une modeste victoire, cette exclusion toute symbolique laisse entrevoir une évolution prochaine. Dès lors, le journal se veut plus pressant. Dans la couverture médiatique de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques, Jacques Goddet, en forme de vœu, s'interroge au moment où un escrimeur prête le serment olympique :

« N’est-ce pas la dernière fois que nous admirons la célébration d’une hypocrisie qui arrache au sport sa pureté antique ? »165

Dans ce cadre, l'intervention d'Henri de Baillet-Latour au cours d'une réunion du Comité International Olympique, où il prévoit « qu’un jour viendra où les professionnels pourront participer aux Jeux Olympiques en même temps que les amateurs » ne manque pas de déconcerter Jacques Goddet166. Un mois après la clôture des Jeux, sous la plume d'Henri Desgrange, le ton se durcit :

« Les Jeux Olympiques seront la plus grandiose, la plus belle et la plus noble des manifestations mondiales quand ils ne seront plus un malhonnête mensonge répété et perpétré tous les quatre ans. »167.

Les chroniques signées Lucien Dubech et intitulées « Le mensonge olympique » s'inscrivent dans cette nouvelle campagne active menée contre l'amateurisme olympique. En juin 1933, l'échec observé à la session annuelle du CIO à Vienne provoque un regain d'hostilité. Marcel Oger émet l'idée de la rédaction d'une proposition visant à « l'éducation des dirigeants internationaux qui

161 Carpentier Florence, op. cit., p. 206. 162 L'Auto, 13 juillet 1932, p. 1 et 5. 163 L'Auto, 14 juillet 1932, p. 1 et 4. Voir annexe p. 74 et 75. 164 L'Auto, 29 juillet 1932, p. 4. 165 L'Auto, 31 juillet 1932, p. 1 et 5. 166 L'Auto, 13 août 1932, p. 2. 167 L'Auto, 19 septembre 1932, p. 1. 24 mettent des œillères pour ne rien voir »168. Au cœur de cette lutte, le Comité olympique français se place aux côtés de L'Auto. En mai, les membres du COF avait fustigé « l'hypocrisie du serment olympique »169. Alors que dans la capitale autrichienne, le CIO refuse de recommander aux fédérations internationales la création de sections professionnelles et se contente d’affirmer que le faux serment olympique déshonore celui qui s’en rend coupable, le comte Clary estime que l' « on a tué l’idée olympique »170. Fort de ce soutien de marque, le quotidien sportif français en vient aux menaces :

« Un seul moyen subsiste de sauver l’honnêteté du serment : fermer les Jeux au public et n’en pas publier les résultats ! »171

L'élection d'Armand Massard à la tête du COF est porteuse d'espoir pour Henri Desgrange, d'autant plus que le COF continue de protester contre la légèreté du CIO. En 1935, son Bureau adresse au CIO une lettre condamnant une « politique de la corde raide et de jeux de mots »172. Sans relâche, Marcel Oger fustige l'(in)action du comte de Baillet-Latour et de prédire la disparition des Jeux Olympiques modernes173. Henri Desgrange, en chef modéré, s'interroge toutefois de savoir si les Jeux Olympiques « ont déterminé, provoqué ou, plus simplement, favorisé le développement de l'amateurisme marron »174. Sur le banc des accusés figurent, au premier rang, les fédérations et les clubs. L’Etat, pour son indifférence vis-à-vis de l'éducation physique du pays et la mainmise laissée à l'entreprise privée et aux producteurs de spectacles sportifs, est aussi visé. A l'intérieur de ce procès, le mouvement olympique ne tient qu'un rôle originellement suiviste, puis effacé :

« La grosse faute des Jeux Olympiques ne fut pas de créer le faux amateurisme, mais bien de ne pas le répudier dès que sa naissance fut devenue indubitable. »175

La vindicte prend une autre tournure après la publication en février et mars 1935 d'un dossier en plusieurs volets sur le « Sport à l'Américaine », fruit d'un voyage de Robert Perrier. L'Auto démasque l'état d'hypocrisie dans lequel se complaisent certains dirigeants américains et leurs universitaires, injustement baptisés « amateurs ». De cette enquête, le CIO ne sort pas indemne. Jules Rimet, Paul Rousseau, président de la Fédération française de boxe176, le marquis de Polignac, membre français du CIO, Joseph Genet, président de la Fédération française d'athlétisme 177, le docteur Bellin du Coteau, président de la Fédération française de hockey sur glace178, le coureur de fond Jules Ladoumègue179 et Georges Bruni, président de la Fédération française de basket-ball180, livrent successivement leur impression. A chacune de ces interventions, la pureté des Jeux Olympiques est remise en cause, et leur raison d'exister réinterroger. L'Auto demande de suivre plus particulièrement la réflexion du docteur Bellin du Coteau. Ce dernier invite les fédérations internationales à organiser le sport international, « y compris (les) manifestations de l'envergure des Jeux Olympiques », afin de forcer la main aux dirigeants olympiques pour n'ouvrir les stade qu'au

168 L'Auto, 10 juin 1933, p. 1 et 2. 169 L'Auto, 19 mai 1933, p. 1. 170 L'Auto, 9 juin 1933, p. 1 et 4. 171 L'Auto, 14 juin 1933, p. 1 et 4. 172 L'Auto, 6 juin 1935, p. 1. 173 L'Auto, 25 novembre 1934, p. 5. 174 L'Auto, 30 août 1934, p. 1 et 2. Voir annexe p. 76 et 77. 175 Idem. 176 L'Auto, 3 avril 1935, p. 1 et 2. 177 L'Auto, 10 avril 1935, p. 1. 178 L'Auto, 24 avril 1935, 1 et 2. Voir annexe p. 78 et 79. 179 L'Auto, 26 avril 1935, p. 1. 180 L'Auto, 14 juin 1935, p. 5. 25 seul amateurisme intégral « selon la formule du baron Pierre de Coubertin et ses conceptions traditionnelles ». Dans L'Auto, l'université américaine devient le symbole de la fragile résistance de l'amateurisme face à l'entreprise capitaliste. Dans une lettre de William May Garland à Baillet- Latour en janvier 1937, les déclarations du directeur athlétique d'une université américaine au quotidien français soulèvent le problème181. Le membre américain du CIO désigne les promoteurs du sport, les « écrivains du sensationnel » - comprendre, les journalistes - et le public servile comme responsables de la déviance inéluctable de l'amateurisme, que seule une organisation puissante et centralisée pourrait endiguer.

De la résignation à la nécessaire adaptation

De 1932 à 1936, un débat représentatif de la ligne de conduite adoptée par L'Auto fait rage. Il concerne l'organisation d'un tournoi de football en 1936, gage du succès financier des Jeux de Berlin. La « comédie d'Amsterdam », quand le football avait été accepté au programme des Jeux de 1928 avec le manque à gagner, est dans toutes les têtes182. Le problème posé est celui de la représentation des pays qui admettent le professionnalisme, à l'instar de la France. L'incisif Jules Rimet ironise et déclarant que « le Comité International Olympique trouverait bien une formule pour arranger tout cela »183, sous-entend que l’habitude diplomatique des pontifes internationaux de l’Olympisme comporte une grande part d’opportunisme. Maurice Pefferkorn, en charge de la rubrique football de L'Auto, reste sceptique sur la conciliation que CIO et FIFA entament, et se montre révolté :

« Que les amateurs français ou autrichiens soient battus par l’équipe des amateurs allemands qui sera vraisemblablement l’équipe nationale elle-même, qu’est-ce que cela peut signifier ? »184

En 1935, le forfait l'équipe de France de football est rendu officiel, et « cause en Allemagne une vive émotion »185. Les journalistes français n'en éprouvent pas moins une certaine fierté, similaire à celle exprimée quand l'athlétisme français avait empêché Jules Ladoumègue de participer aux Jeux de Los Angeles pour fait de professionnalisme. Le coup est double : sur le plan éthique, le football français marque une sortie remarquée, tout en évitant de perdre la face sur le rectangle vert. A l'approche des Jeux, le quotidien se place dans le sillage d'Armand Massard et soutient activement l'envoi d'une délégation française en Allemagne. Lors d'un repas donné au cours des Jeux d'hiver disputés à Garmisch-Partenkirchen, Jacques Goddet, entendant Avery Brundage attaquer le professionnalisme déguisé de quelques médaillés olympiques, se serait écrié :

« Quant à moi, quand j'entends un champion affirmer qu'il est amateur, je regrette de n'être pas sourd. »186

Quant à Henri Desgrange, quelques jours avant l'ouverture des Jeux de Berlin, il livre sur le ton de la confession :

« Nous irons donc à Berlin pour ramasser les casquettes réservées aux amateurs bon teint et aux idiots que nous sommes. (…) Nous sommes dans le camp des honnêtes gens, et il faudra bien qu'on

181 Archives du CIO. PT-BRUND-CORR. Lettre de Garland à Baillet-Latour du 22 janvier 1937. Voir annexe p. 80. 182 L'Auto, 26 juin 1933, p. 1. 183 L'Auto, 28 août 1932, p. 5. 184 L'Auto, 27 septembre 1934, p. 1 et 5. 185 L'Auto, 16 octobre 1935, p. 1 et 5. 186 Berlioux Monique, Des Jeux et des crimes. 1936 : le piège blanc olympique, Biarritz, Editions Atlantica, 2007, p. 357-358. 26 finisse par nous entendre, et on nous entendra beaucoup mieux et beaucoup plus vite si c'est le gouvernement français qui grogne comme Lebret, au lieu de laisser ce soin aux petits sportifs que nous sommes. »187

Au moment où le gouvernement du Front Populaire ampute la dotation de 1 600 000 francs prévue pour Berlin d’un montant de 600 000 francs pour financer l’envoi des athlètes à l’Olympiade populaire de Barcelone, Henri Desgrange y voit la marque d’ « une très compréhensible préférence pour le désintéressement du sport ouvrier en opposition avec le sport professionnel qui va se pratiquer à Berlin »188. Sous une autre forme, la même critique émane du Comité international pour le respect de l'esprit olympique « Fair-Play » présidé par Justin Godart, sénateur et ancien ministre du gouvernement Edouard Herriot. En juillet 1936, il adresse au CIO et aux CNO une lettre dénonçant, au cas par cas, les manquements d'athlètes allemands aux premiers paragraphes des règles olympiques de l'amateurisme189. Si L'Auto ne reprend pas de volée cette attaque, c'est parce que ce mouvement de contestation aux Jeux de Berlin revêt un caractère politique affirmé. Aux lendemains des Jeux de Berlin, le journal use d'une liberté d'expression poussée. L'offensive menée contre le conservatisme du CIO en matière d'amateurisme est proportionnelle au volume des accusations portées sur le mouvement olympique. Dans son réquisitoire dénonçant les responsables de la défiguration de l’idée olympique, Jacques Goddet tonne :

« L’idée d’amateurisme a disparu du jour où il y a eu un champion qui n’était pas millionnaire. Il n’est plus besoin de prendre d’exemple pour convaincre. Une preuve entre mille, la plus solide, est qu’on accepte aux Jeux de M. de Coubertin des athlètes qui, avant d’y participer, annoncent la date à laquelle ils comptent ensuite passer professionnels… Le professionnalisme est inévitable. Qu’on le reconnaisse pour en limiter les effets. »190

La critique se veut plus acerbe encore envers les organisateurs des Jeux Olympiques :

« Ils sont trop beaux, voyez-vous, les pontifes du Comité international olympique. Ils admettent encore, la chaîne d’or au cou, que la formule olympique est d’une honnêteté absolue, et quand ils entendent prononcer le serment au drapeau, ils y croyent… Ma parole ! Ils doivent croire encore - ou de nouveau – au Père Noël. »191

Les déclarations de Pierre de Coubertin à André Lang font grand bruit. Sur la question de l'amateurisme, Fernand Lomazzi recueille des propos tout aussi polémiques :

« Quelle vieille et stupide histoire que celle de l’amateurisme olympique ! Et comme on m’a reproché souvent – et toujours à tort – la prétendue hypocrisie du serment olympique. Mais lisez-le, ce fameux serment dont je suis le père heureux et fier. Où voyez-vous qu’il exige des athlètes descendus sur le stade olympique un amateurisme absolu que je suis le premier à reconnaître comme impossible ? (…) Cet amateurisme-là ce n’est pas moi qui l’ai voulu, ce sont les fédérations internationales qui l’ont imposé. Ce n’est donc plus un problème olympique. »192

Pointant les carences du discours du baron, Fernand Lomazzi s'oppose au « rigorisme anglo-saxo- asiatique » et à l' « amateurisme totalitaire » du CIO. Il réclame l'adoption du manque à gagner,

187 L'Auto, 29 juin 1936, p. 6. Voir annexe p. 81 et 82. 188 Idem. 189 Archives du CIO. JO-1936S-CORR. Lettre de juillet 1936 de Justin Godart au CIO et aux CNO. 190 L'Auto, 17 août 1936, p. 1 et 5. Voir annexe p. 65 et 66. 191 L'Auto, 18 août 1936, p. 1 et 4. 192 L'Auto, 4 septembre 1936, p. 4. Voir annexe p. 67. 27 « seul adoucissement que l’on puisse apporter à l’amateurisme afin de le rendre supportable »193. Aussi, l'occasion est belle pour L'Auto de réfuter, par les textes officiels de la charte olympique, la thèse soutenue par Pierre de Coubertin194. Henri Desgrange rappelle lui-même comment Coubertin faisait l'apologie de l'amateurisme intégral dans ses Mémoires Olympiques195. Plaçant le père des Jeux modernes face à ses contradictions, le journal saborde un peu plus un édifice olympique à la dérive. La mort du rénovateur laisse vive cette « incompréhension devant la passivité de Coubertin face à cette déformation du projet initial »196.

Dans l'argumentaire du président Henri de Baillet-Latour, le choix du Japon pour l'organisation des Jeux de 1940 se réalise à la lumière de l'esprit sportif du pays. De retour d'un voyage réalisé en terre nippone en 1936, il affirme :

« On ne rencontre au Japon aucune des difficultés causées en Europe par l’amateurisme marron. (…) On fait ici du sport pour l’amour du sport, tout esprit de lucre étant écarté. »197

En faisant pénétrer l'Olympisme sur le continent asiatique, le CIO entend renouer avec une tradition pédagogique et l'amateurisme hérité des valeurs coubertiennes, fortement contrariés en Europe et en Amérique. C'est aussi le sens de la modification de la charte de 1938 qui confère au CIO un contrôle croissant sur le statut de l'amateur, aux dépens des fédérations internationales. Par cette décision, le CIO veut se situer « au cœur des problèmes concrets liés à l’impossibilité d’une définition claire et précise des statuts de l’amateur et du professionnel »198. Toutefois, la reconnaissance du manque à gagner « pour les athlètes soutiens de famille » lors de la session du Caire en mars 1938 ouvre une nouvelle brèche. Le journaliste qui traite l'information parle d' « une largeur d'esprit qu'on n'attendait pas de la rigidité de ses principes »199. Dans son ouvrage publié en 1960, Otto Mayer, à propos de ce cas particulier, n'hésite pas à faire apparaître cette décision comme une erreur :

« Une telle tolérance n’ouvrait-elle pas la porte à des exagérations ? »200

Le CIO est rattrapé par ses vieux démons lorsque se pose de manière accrue la question des professeurs de sport dans l'optique des Jeux d'hiver201. La Fédération internationale de ski les assimile depuis longtemps à des amateurs et leur a permis de participer aux Jeux de Garmisch- Partenkirchen. Lors de la session d'Oslo en février 1935, le CIO refuse de les « absoudre », ce qui marque le début du conflit entre les deux institutions. La tenue de cette épreuve et l'équilibre financier des Jeux d'hiver sont liés. Dès lors, L'Auto s'amuse de voir le CIO « surpris » de l'annulation du ski aux Jeux de Sapporo202, fait état de l'avancée des négociations qui, du changement de ville hôte des Jeux de 1940 aux pressions exercées par l'Allemagne auprès de la FIS pour l'organisation d'une épreuve de ski, se crispent.

A l'examen des articles consacrés au monde olympique dans son rapport avec l'amateurisme, un

193 L'Auto, 5 septembre 1936, p. 4. 194 L'Auto, 8 septembre 1936, p. 1 et 5. 195 L'Auto, 10 septembre 1936, p. 6. 196 L'Auto, 6 septembre 1937, p. 2. 197 L'Auto, 21 avril 1936, p. 1 et 4. 198 Carpentier Florence, op. cit, p. 160. 199 L'Auto, 19 mars 1938, p. 1. 200 Mayer Otto, op. cit., p. 165. 201 L'Auto, 15 août 1936, p. 1 et 9 septembre, p. 4. 202 L'Auto, 14 mars 1938, p. 3. 28 constat clair s'impose. Sous la présidence de Henri de Baillet-Latour, le CIO est naturellement placé au cœur du débat entre le sport amateur et le sport professionnel, alors même que les fédérations internationales contestent son monopole et exigent des droits de décisions sur le mouvement sportif. Jusqu'aux Jeux de Berlin, le CIO semble quelque peu délaisser la problématique de l'amateurisme au profit des fédérations internationales. A ce titre, dans les colonnes de L'Auto, la responsabilité de ces dernières dans l'échec d'une définition universelle de l'amateurisme est également engagée. Si l'institution olympique reprend la main juste avant la guerre, les débats de fond ne donnent lieu à aucune avancée significative. Le manque à gagner n'est toujours pas réglementé ; prendre en compte une (trop) large diversité de pratiques sportives pour s'accorder sur une définition unique semble relever de la gageure. Durant l'ensemble de la période, le ton du quotidien se veut éminemment critique face à l'immobilisme avéré du Comité exécutif du CIO sur la question. Au cours des années 1930, Henri Desgrange, Jacques Goddet, Marcel Oger et Fernand Lomazzi s'expriment sans détour afin de souligner l'incompatibilité de l'idée d'amateurisme intégral avec la formule moderne des Jeux Olympiques. Selon eux, le maintien de ce principe dans le cadre de compétitions internationalisées n'est plus tenable, d'autant plus que le postulat du CIO et des fédérations internationales sur l'égalité sociale des pratiquants est purement fictif. Les principaux rédacteurs du quotidien sportif estiment que la résistance de l'institution olympique sur ce point est vaine, et se place contre l'évolution naturelle du sport. Les attaques sont par ailleurs l’œuvre d'autres dirigeants du sport en France. Le rôle d'hommes tels que Gaston Vidal et Frantz Reichel dans les années 1920 était déjà central. Dans la décennie suivante, Jules Rimet est le premier pourfendeur de l'Olympisme. Il faut dire que les desseins des deux grandes organisations internationales diffèrent, entre un CIO qui « tente de maintenir un rapport de force inégalitaire au profit des grands pays », et une FIFA qui se propose de « réaliser la promotion du continentalisme et de la conscience géographique et ethnique »203. Paul Rousseau fait figure de seconde lame et signe des sorties tout aussi fracassantes204. Il n'est pas anodin que pour le numéro célébrant son « tiers de siècle », L'Auto lui confie la rubrique acidulée « De l'amateurisme de 1900 à l'amateurisme de 1934 »205. Les raisons de l’existence d'un « lobby français anti-olympique », explique Florence Carpentier, est en outre « à chercher dans l’histoire du sport institutionnel en France au XXe siècle, mais aussi dans l’imbrication du système sportif et du système politique »206.

En 1939, Henri Desgrange poursuit sur la lancée d'avant-guerre en désignant la « décadence morale » de « Jeux modernes méprisables »207. En revanche, en temps de disette (sportive), les discours de L'Auto sur l'amateurisme olympique disparaissent inéluctablement. Si Jacques Goddet distingue le « racolage-situation », le « racolage-séduction » et le « racolage-sportif », il ne fait plus du mouvement olympique une cible privilégiée208. En 1944, la célébration des cinquante ans de la rénovation des Jeux relance le propos, conciliant209. L'appel à de nouvelles discussions pour la réforme de l'amateurisme est lancé. La fracture observée avec les Jeux de 1936 entre l'opinion publique - et son représentant, le journal L'Auto - et Pierre de Coubertin est perçue par Jacques Goddet comme le point d'orgue d'un long malentendu sur la doctrine de l'amateurisme, et l'injustice que pouvait ressentir le sport français210. L'analyse prend corps dans un processus global quand le

203 Charoin Pascal et Saint-Martin Jean, « Entre internationalisme et universalisme : la trajectoire géopolitique du football (1924-1938) », p. 33, in Terret Thierry (dir.), op. cit., p. 33-58. 204 En 1935, il propose par exemple de n'ouvrir les Jeux Olympiques qu’aux athlètes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans (L'Auto, 6 juin 1935, p. 1). 205 L'Auto, 16 février 1934, p. 11. Voir annexe p. 83. 206 Carpentier Florence, op. cit., p. 47-48. 207 L'Auto, 17 octobre 1939, p. 4. 208 L'Auto, 9 octobre 1941, p. 1. 209 L'Auto, 15 mars 1944, p. 1. 210 L'Auto, 23 juin 1944, p. 1. 29 directeur du journal identifie, dans ce même article, l'exacerbation des rivalités internationales et le culte de la performance comme les déclencheurs du mouvement de l'amateurisme marron.

L'Equipe, fidèle héritier détracteur de l'amateurisme olympique

Après la Seconde Guerre mondiale, les plumes de L'Auto renouent avec leurs habitudes. Dans un contexte de relance de l'activité olympique, la nouvelle référence de l'information n'abandonne aucunement le thème de l'amateurisme, toujours à l'ordre du jour. Le journal ne saurait éliminer cet élément sportif majeur de ses discours, et continue de pointer l'incompatibilité de ses formes, la multiplicité de ses définitions et l'intensité de ses heurts. L'Equipe stipule ainsi qu'à la session du Congrès sportif français en juin 1946, le CIO est saisi d'un vœu lui demandant de modifier sa conception surannée de l'amateurisme211 alors qu'un nouveau « scandale » vient toucher des athlètes scandinaves212. Au moment où le CIO laisse aux fédérations internationales la responsabilité technique des Jeux de Londres213, le statut de l'amateur reste vague. En avril 1947, l'optimisme de Sigfrid Edström pour résoudre le problème de l'amateurisme laisse le journal perplexe214. L'Equipe l'illustre à travers l'affaire qui concerne l'équipe nationale portugaise de football. Ses joueurs protestent en raison de l'absence de prime pour un match remporté. L'imbroglio trouve son origine dans le statut de l'amateurisme adopté par le Ministère de l'éducation nationale qui diffère de celui reconnu par le Ministère des finances. Le cas annonce un problème éthique à venir pour désigner les représentants aux Jeux Olympiques de Londres. Maurice Pefferkorn considère que la volonté de maintenir un « amateurisme à tout prix » conduit irrémédiablement à ces complications215. Au congrès du CIO qui se tient en juin 1947 à Stockholm, le marquis de Polignac prononce un discours « atomique » que le quotidien relaie avec ferveur. Le membre éminent du COF se veut cinglant et pour ce faire, cite les paroles du baron Pierre de Coubertin :

« Nous savons que les professionnels, même les acrobates de cirque, font preuve d'un esprit sportif que les amateurs parfois leur envient. Seul le véritable esprit sportif m'intéresse et non pas ces considérations ridicules dont le résultat est de permettre aux seuls millionnaires de faire d.u sport. Je ne veux pas d'un tel amateurisme. »216

Si le Congrès décide que la définition de l'amateur serait celle des fédérations internationales, l'ancien serment olympique, « si justement décrié » précise le quotidien217, subsiste pour 1948. L'interview de Lord Burghley, président du Comité d'organisation des Jeux de Londres, ne saurait rassurer Victor Breyer. Concernant le code de l'amateurisme, le premier déclare qu'il faut « laisser le temps faire son œuvre »218.

Les Jeux d'hiver et d'été fournissent l'occasion pour le journal de se prononcer sur la déchéance de l'esprit olympique. C'est le cas lorsqu'un professionnel, de sa « main anonyme et mercenaire », prononce le serment à Saint-Moritz219. A la veille des Jeux de Londres, le ton est donné par l'emblématique Jules Rimet, qui demande aux fédérations de reprendre le texte définissant

211 L'Equipe, 22, 23 juin 1946, p. 2. 212 L'Equipe, 10 avril 1946, p. 1. 213 L'Equipe, 4 septembre 1946, p. 1 et 2. 214 L'Equipe, 2 avril 1947, p. 1 et 2. 215 L'Equipe, 1 juin 1947, p. 3. 216 L'Equipe, 21, 22 juin 1947, p. 2. 217 L'Equipe, 5 novembre 1947, p. 1 et 3. 218 L'Equipe, 18 septembre 1947, p. 4. 219 L'Equipe, 31 janvier, 1er février 1948, p. 1 et 3. 30 l'amateurisme olympique220. Pis. Le football lance un défi au CIO. A propos du serment olympique, Arthur Kolisch, sélectionneur de l'équipe d'Autriche, déclare :

« Oh ! Nous nous abstiendrons de le prêter. Les Jeux Olympiques sont une vaste supercherie ; à mon avis, ils devraient disparaître ou être ouverts à tous, sans distinction de qualification. »221

Au cours des Jeux, L'Equipe critique assidûment l'amateurisme intégral prôné par les dirigeants olympiques. Le quotidien espère ainsi voir l'institution olympique s'aligner sur le « progrès social » qui se manifeste dans le monde des sports222. Le conservatisme du CIO devant la nouvelle donne sportive, avec le rejet partagé de l'amateurisme intégral, cristallise les attentions. L'événement londonien, que le quotidien désigne comme les « Jeux de l'austérité », fait rejaillir un courant d'hostilité qui emprunte le discours du journal L'Auto au cours des années 1930. En ce sens, quand L'Equipe s'exprime, les attaques atteignent directement les décideurs du mouvement olympique :

« Engoncés dans le carcan de leur col cassé et de leur snobisme olympique (respect de la tradition, dévotion au sport soi-disant désintéressé), un lot de dirigeants rassis ne s'aperçoit pas que les conceptions dont ils se sont déclarés les gardiens prennent du retard sur l'évolution de la vie moderne, et que tout retard, au moment où le monde plonge dans une civilisation nouvelle, porte la mort en lui. »223

Au cours des deux décennies passées, il est clair que du régime restrictif et solennel, l'Olympisme est passé au régime de tolérance tacite. Dans ce même article, Jacques Goddet lance un appel :

« Il va falloir libérer totalement le sport de compétition d'exception de l'hypothèque morale qui pèse encore sur lui trop lourdement, et qui en fausse les données techniques. »

Débordés par l'évolution du sport, les Jeux auraient ainsi perdu leur âme et rendu une révolution nécessaire. Elle ne sera pas statutaire, la formule de l'amateurisme olympique étant conservée pour 1952224. A l'approche des Jeux d'Helsinki, le CIO n'en finit pas de perdre la face. A l'heure où Sigfrid Edström fête ses quatre-vingt ans, Marcel Oger ternit le bilan de l’œuvre du dirigeant suédois au regard de « sa conception périmée des règles de l'amateurisme »225. Comme en 1936 à Berlin, la question du football divise, et le quotidien sportif se désole de voir la Hongrie envoyer son équipe nationale226. Il appuie sa vindicte en des termes très clairs :

« Notre football s'exprime régulièrement face aux meilleures formations étrangères et il tient une place enviable dans la hiérarchie mondiale. Il s'agit du football professionnel qui représente le vrai visage de la France dans ce domaine. Notre football amateur n'exprime guère que des espérances. Il n'a donc pas sa place aux Jeux Olympiques. »227

En France, dans le cadre de la préparation olympique, l'amateurisme est également soumis à des

220 L'Equipe, 21 avril 1948, p. 1 et 3. 221 L'Equipe, 22 juin 1948, p. 4. 222 L'Equipe, 30 juillet 1948, p. 1. 223 L'Equipe, 9 août 1948, p. 1, 2, 3 et 4. 224 L'Equipe, 18 mai 1950, p. 4. 225 L'Equipe, 15 novembre 1950, p. 7. 226 L'Equipe, 22 février 1952, p. 8. 227 L'Equipe, 17 juin 1952, p. 1. Après les Jeux d'Helsinki, Jacques de Ryswick militera pour l'organisation d'un « vrai tournoi mondial pendant les JO et en marge de ceux-ci » (L'Equipe, 5 août 1952, p. 5). 31 interprétations diverses. Le nageur Alex Jany s'en émeut en faisant remarquer à un rédacteur de L'Equipe que les nageurs en stage ne perçoivent pas le « manque à gagner » alors que les internationaux du basket bénéficient de cet avantage228. Dans ce cas, si le CIO estime que le manque à gagner est contraire à l'esprit amateur et n'admet une exception que pendant la quinzaine des Jeux, le quotidien précise :

« Les fédérations indépendantes sont libres d'utiliser comme bon leur semble les crédits qui leur sont alloués. »229

Cette ambivalence coutumière n'est pas appelée à disparaître, même si en juillet 1952, le nouveau vice-président du CIO, Armand Massard, préconise de réviser les règles de l'amateurisme et d' « abandonner l'intransigeance d'antan »230. Lors des Jeux d'Helsinki, le chancelier du CIO Otto Mayer donne du grain à moudre au journal, lorsqu'il dit « vivement regretter que la flamme olympique ait été allumée par Paavo Nurmi »231. Le coureur de fond finlandais avait été persuadé de professionnalisme et disqualifié quatre ans auparavant à Los Angeles. Dans sa chronique, Jacques Goddet engage une bataille pour établir une nouvelle doctrine du sport et faire admettre l'institution sociale du sport-métier :

« Impossible désormais de réclamer d'un petit gars non issu de la famille Rothschild de se préparer à une compétition de l'envergure des Jeux Olympiques tout en continuant à pointer à l'usine. »232

Renvoyant les « puristes » à la figure de « sectaires » ou d' « hypocrites », il tire ainsi un trait sur une phraséologie héritée d'un mouvement sportif né dans les milieux aristocratiques.

Le hockey aux Jeux de Londres : une bataille glaciale

Dans le contexte de la préparation aux Jeux de 1948, une passe d'armes s'engage dans le milieu du hockey sur glace américain. L'Amateur hockey association (AHA), fédération considérée comme professionnelle, prend les rênes de ce sport face à l'Amateur athletic union (AAU) gérée par Avery Brundage, qui préside également le Comité olympique américain. La situation rend la question des engagements olympiques épineuse puisque la première fédération est affiliée à la Ligue internationale de hockey sur glace (LIHG). Selon la charte Olympique, c'est l'affiliation à la fédération internationale reconnue qui est décisive pour la participation d'une fédération nationale aux Jeux Olympiques233. Toutefois, la fédération sportive nationale doit être reconnue par le Comité national olympique, ce qui est le cas pour l'AAU mais pas pour l'AHA. Le Comité olympique suisse accepte l'inscription de l'AHA, provoquant l'ire d'Avery Brundage. Ce dernier brandit la menace de retirer les inscriptions des compétiteurs américains pour tous les sports. Les ultimatums qu'il lance mettent donc d'une part en danger la participation américaine aux Jeux d'hiver et d'autre part, ouvrent le conflit avec la LIGH. L'Equipe parle d'abord d'« intimidations », et sous-estime la portée du conflit :

« Au fond, tout le monde s'en moque. Le serment olympique, constamment bafoué depuis une vingtaine d'années, le sera une olympiade de plus. Personne n'en mourra ; les Jeux auront quand

228 L'Equipe, 21 mai 1952, p. 1. 229 Idem. 230 L'Equipe, 18 juillet 1952, p. 8. 231 L'Equipe, 22 juillet 1952, p. 8. 232 L'Equipe, 2, 3 août 1952, p. 1. 233 Archives du CIO. JO-1948W-PRESS. Communiqué de presse officiel numéro 8. 32 même lieu ! Et avec les Américains immaculés de M. Brundage, soyez-en persuadés ! »234

Le cas juridique est en fait inédit, prouvant par là-même qu'il existe encore des lacunes dans les règlements sportifs internationaux et qu'une révision de certains paragraphes s'impose. Dans le journal, la personnalité d'Avery Brundage n'est pas épargnée, parce qu'on juge qu'il « a tendance à confondre trop étroitement ses deux fonctions bien différentes »235. En août 1947, Marcel Oger, à propos de l'abstention des Etats-Unis aux Jeux universitaires à Paris, ironisait déjà sur la défense de l'amateurisme intégral et la répudiation du manque à gagner par les Américains et le plus éminent d'entre eux, Avery Brundage. Le journaliste taclait alors :

« Cette attitude de la grande nation américaine nous confond. Elle qui, dans son comportement quotidien, fait preuve de tant de réalisme. »236

Ici, entre une fédération « très active », et « l'autre fort peu achalandée »237, L'Equipe prend clairement parti pour l'AHA. L' « état d'esprit de certains pontifes olympiques, qui ne se réveillent pour officier que tous les quatre ans »238 est également mis en cause. Si en forme de conciliation, Avery Brundage propose la constitution d'une troisième équipe comprenant les meilleurs amateurs des deux groupements239, le Comité olympique suisse campe sur ses positions. Au fil du mois de janvier 1948, la tension monte. Le débat prend une toute autre envergure dans les colonnes de L'Equipe. Plaçant les épreuves de Saint-Moritz sous le signe de l'imprévisible, le journal considère que les Jeux Olympiques sont à un tournant de leur histoire :

« Leur importance est devenue si « monstrueuse » qu'on finit par se demander si l'on ne devrait pas leur préférer des Championnats du Monde annuels et dans tous les sports. Le CIO ne doit plus commettre une seule erreur »240.

L'institution olympique prend la décision de refuser l'engagement des deux équipes américaines, mais le Comité suisse refuse la compétence du CIO et agrée l'AHA par le canal de la LIHG. A l'instar du football pour les Jeux d'été, le tournoi de hockey sur glace doit assurer au Comité organisateur les recettes de l'organisation. L'Equipe y voit un pas de plus « vers la disparition des Jeux d'hiver »241, et se demande si le CIO va « faire intervenir la police pour interrompre le tournoi de hockey »242. En dernier ressort, les hauts-dirigeants olympiques se résolvent à tolérer la participation de l'AHA, et à valider le classement final si la fédération américaine ne figure pas sur le podium243. Aussi le CIO ne reconnaît-il plus la LIHG comme étant l'organisme international qualifié pour contrôler le sport amateur du hockey sur glace. Jusqu'en 1952 et les Jeux Olympiques d'Oslo, l'accord sur la question du hockey sur glace tarde à se réaliser244. Une entente intervient finalement en Amérique entre les deux fédérations de hockey sur glace, ouvrant la voie à la reconnaissance de la LIHG par le CIO. Ce sport fait donc partie du programme de 1952 à Oslo, non sans déclencher des réactions animées. A la suite de la disqualification du patineur olympique « amateur » de dix-sept ans Michaël Carrington, le président de la LIHG Fritz Kraatz considère que 234 L'Equipe, 5 novembre 1947, p. 1 et 3. 235 L'Equipe, 20 novembre 1947, p. 4. 236 L'Equipe, 26 août 1947, p. 1 et 3. 237 L'Equipe, 20 novembre 1947, p. 4. 238 Idem. 239 L'Equipe, 5 décembre 1947, p. 1. 240 L'Equipe, 8 janvier 1948, p. 4. 241 L'Equipe, 29 janvier 1948, p. 1 et 4. 242 L'Equipe, 31 janvier, 1er février 1948, p. 1 et 3. 243 C'est le cas puisque le Canada remporte le tournoi devant la Tchécoslovaquie et la Suisse. 244 L'Equipe, 18 mai 1950, p. 4. 33 la médiocrité technique est le plus sûr garant de l'amateurisme. L'Equipe formule à ce propos une interrogation :

« Le hockey sur glace est-il trop médiocre pour rester inscrit au programme olympique, ou mérite-t-il d'y figurer précisément en raison d'une faiblesse qui garantit le pur esprit olympique de ses pratiquants ? »245

Le dilemme est savamment posé, la problématique de l'amateur au sein du mouvement olympique relancée.

La formule soviétique de l'amateurisme : les concessions de L'Equipe

De 1946 à 1952, les interrogations quant à la venue de l'URSS au sein du mouvement sportif international constituent un fil rouge de la période. Sa participation escomptée aux Jeux Olympiques est notamment soumise au respect du code de l'amateurisme. En ce sens, les pratiques soviétiques sont scrutées de près. Michaël Attali et Jean Saint-Martin analysent comment la presse française, pour des arguments tant politiques - les alliances tissées pendant la Seconde Guerre mondiale - que sportifs - la présence de tous les athlètes attestant la qualité des titres olympiques -, se montre encline à accueillir les sportifs soviétiques dans les grandes compétitions internationales246. Pour le quotidien sportif L'Equipe, il s'agit de trouver un terrain d'entente à propos du statut de l'amateur. Marcel Oger prévient que « pour quelques sports, la définition russe de l'amateurisme pourra prêter à controverse ». Pour autant, cette définition ne saurait gêner le journaliste ; selon lui, en certains cas, elle est « plus humaine que celle de la plupart des fédérations internationales »247. En 1945, la FIA invite les athlètes soviétiques à participer aux premiers championnats d’Europe d’athlétisme d’après-guerre, qui doivent se dérouler à Oslo en août 1946. L’URSS n’est pourtant pas affiliée à la fédération internationale officielle. Après sa participation, une première polémique éclate parce que les athlètes russes reçoivent des primes de leur gouvernement248. Sur ce point, L’Equipe appelle les dirigeants de l’URSS à se conformer aux pratiques des fédérations internationales qu’elle a rejointes. Alexei Tchikine, président de la Commission centrale des sports, dans une interview à l'United Press reprise par L'Equipe, défend le point de vue russe. Le dirigeant soviétique est persuadé que « la participation de l'URSS aux Jeux Olympiques n'a pas d'autre obstacle que la différence de définition du sport amateur en URSS et dans le reste du monde »249. Dans ce sens, l'attitude des dirigeants sportifs des puissances occidentales à l'égard des principes qui régissent le sport soviétique est engagée. Déjà, nombre d'observateurs attribuent les premiers succès soviétiques au fait que sous couleur d'amateurisme, l’URSS utiliserait une forme de professionnalisme, celle de l’athlète d’État. Grâce à l’aide reçue et aux facilités offertes, le champion pourrait ainsi consacrer tout son temps à l’entraînement250. Avery Brundage, dans une lettre adressée dès octobre 1945 à Sigfrid Edström, attire l'attention du président du CIO sur deux articles publiés dans le New-York Times à propos des primes et récompenses soviétiques pour les sportifs251. Les dirigeants orientaux contestent ces allégations et déclarent, avec l’acquiescement du président du CIO, se conformer strictement à la réglementation

245 L'Equipe, 23, 24 février 1952, p. 1 et 8. 246 Attali Michaël et Saint-Martin Jean, op. cit., p. 289-308. 247 L'Equipe, 31 juillet 1946, p. 1 et 3. 248 L'Equipe, 25 octobre 1948, p. 1. 249 L'Equipe, 20 juin 1947, p. 1 et 3. Le jour même, L'Equipe publie la nouvelle définition de l'amateur adoptée par la Commission spéciale du CIO, et considère que le texte n'est « pas très clair ». 250 Meynaud Jean, Sport et politique, Paris, Editions Payot, 1966, p. 168. 251 Archives du CIO. Fonds Avery Brundage. Box 42. IOC presidents and secretariat : Baillet-Latour, Edström. 004 – 203. 34 olympique. Jusqu'en 1952, la ligne de défense affichée par l’URSS restera inchangée : il n’y a pas de rémunération fixe et régulière, et les primes sont seulement distribuées en cas de séries d’exploits retentissants. A ce titre, les athlètes sont considérés comme des « serviteurs de l’État, au même titre que les savants ou les littérateurs »252. L'Equipe n'est point choqué par ces méthodes. Gaston Meyer, dans la chronique « Le pouls de l'opinion », prend lui-même position pour l’amateurisme à la soviétique basé sur la sincérité du champion253. De ce point de vue, le journal sportif se rapproche davantage de l'attitude pragmatique de L'Humanité que des positions conservatrices défendues par Le Figaro, à l'ancrage coubertien fort et « farouche opposant à un professionnalisme tournant le dos à la nature du sport qu'il souhaite promouvoir »254. Dans l'affaire, le CIO est tantôt discrédité pour des prises de position peu tranchées, tantôt salué pour les efforts publiquement entrepris pour permettre à l'URSS de rejoindre la scène olympique, quitte à fermer les yeux sur ses agissements en matière d'amateurisme. La lecture de la correspondance échangée par les principaux protagonistes du mouvement olympique, renseigne Jeff Millié, révèle « des positions qui témoignent du sentiment qu’ont les dirigeants sportifs de la nécessité d’admettre l’URSS dans les structures du sport international pour renforcer l’universalité du sport »255. Aussi l'attitude de Lord Burghley doit-elle être mise en exergue pour comprendre cette politique de la porte-ouverte. Son interprétation de l'athlète d’État dans la structure socialiste – qui élimine le financement par des promoteurs et balaie toute autre ingérence d'entreprises privées dans le domaine sportif – convainc le CIO de poser moins de contraintes à l'adhésion de l'URSS256. Dans cette optique, il octroie une dérogation spéciale pour inciter les Russes à concourir aux Jeux universitaires de Paris en août 1947257. Pour autant, il n'est pas question pour les fédérations internationales et les organisations sportives occidentales de se soumettre au diktat soviétique en matière d'amateurisme. E.-J. Holt, secrétaire de la FIA, déclare à L'Equipe que la seule condition à l'affiliation de l'URSS est la suppression des récompenses en espèces258. Dans les faits, l'immobilisme est parfait, et il est aisé de comprendre que l'URSS bénéficie d'un passe-droit afin de procéder au rassemblement mondial dans le domaine sportif, en forme de coup d'éclat pour le CIO. Cette concession n'est pas au goût de tous. L'Equipe rapporte que dans une lettre adressée au Times, le maréchal Montgoméry écrit que l' « on ne peut pas concevoir deux types d'amateurisme : l'occidental et l'oriental » et qu' « il convient donc d'ouvrir les Jeux aux professionnels ». Le quotidien sportif français saisit l'opportunité pour rappeler la position russe, et lancer une pique à destination des dirigeants américains, en jugeant qu' « il est trop facile d'être sévère envers les autres et indulgent envers les siens »259. Ayant par le passé dénoncé l'amateurisme marron dans l'université américaine260, ainsi que l'impossibilité d'une union internationale du sport « parce que le sport « pro » aux Etats-Unis n'est qu'un spectacle »261, L'Equipe garde le cap en conservant cette même ligne éditoriale jusqu'aux Jeux d'Helsinki.

252 L'Equipe, 17 novembre 1950, p. 6. Voir annexe p. 84 et 85. 253 L'Equipe, 19 mai 1950, p. 8. 254 Attali Michaël et Chapron Tony, « Le sport au carrefour des idéologies : le cas du Figaro et de L’Humanité (1945- 1952) », p. 272, in Combeau-Mari Evelyne (dir.), op. cit., p. 265-283. 255 Millié Jeff, La presse française... (1946-1956), op. cit., p. 97. 256 Senn Alfred E., op. cit., p. 90. 257 L'Equipe, 19 août 1947, p. 1 et 3. 258 L'Equipe, 26 août 1947, p. 1. 259 L'Equipe, 31 janvier 1952, p. 1. 260 L'Equipe, 19 juin 1949, p. 5. 261 L'Equipe, 14 octobre 1949, p. 1 et 3. 35 Le CIO, L'Auto et L'Equipe : entre aversion et adoration

En face des missions que le mouvement olympique s'est historiquement assignées, il reste à construire une chronologie précise des discours promus, des changements de cap et de postures médiatiques. De 1932 à 1952, la mésentente entre le mouvement olympique et la presse sportive française est profonde. Qu'ils concernent directement le CIO, impliquent des événements auxquels il est associé ou fassent jouer une concurrence, les discours placent toujours le mouvement olympique devant ses limites et ses manquements. Les Jeux Olympiques, dont le contenu idéologique est dense et la résonance internationale, sont naturellement soumis à une expertise poussée. Toutefois, l'intérêt sans cesse renouvelé que les quotidiens L'Auto et L'Equipe portent publiquement pour l’œuvre de Pierre de Coubertin participe de l'affirmation de l'Olympisme « comme une religion séculière à vocation universelle avec ses mythes et ses rites »262.

L'institution olympique et les quotidiens sportifs : une animosité profondément ancrée

Depuis le début des années 1920, les relations entre la presse sportive et le monde olympique se dégradent. La méfiance et le peu d'estime que les dirigeants olympiques éprouvent à son égard sont parlants. Dans une conférence donnée à la Ligue française à Lausanne en novembre 1924, Pierre de Coubertin expose ses vues sur la responsabilité du journaliste, en exprimant la nécessité d'une formation universitaire pour ceux qui aspirent à pratiquer le métier :

« C'est alors que (l'étudiant) aura le plus de chances de se débarrasser du microbe qui est déjà en lui comme il est d'ailleurs en chacun de nous, le microbe du cancer contemporain dont l'art, les lettres, les sciences elles-mêmes sont les victimes et auquel la presse est en quelque sorte le bouillon de culture, je veux dire le microbe du sensationnel. C'est là un cadeau que l'esprit américain fît à l'univers. Triste cadeau ! »263

Le même mois, Henri de Baillet-Latour procède à un « recadrage » en règle de Reginald John Kentish. Dans une interview accordée à L'Auto une semaine plus tôt, le membre anglais de la Commission exécutive du CIO avait livré, sur de nombreux points, un avis plus personnel et national que collectif et international264. Faisant état des larges remous que la parution provoque en interne, Henri de Baillet-Latour se fend d'une pique à destination de la presse :

« Those declarations taken for granted by those who are looking for trouble, are uneasy to disprove, because it would be worse to let them believe that the six leading members of the IOC disagreee. »265

Ici, le potentiel explosif d'une parole individuelle et non-concertée est appréhendé à la lumière de la nature d'une presse à l'affût de la moindre erreur. En 1928, Frantz Reichel, dirigeant français historique, journaliste sportif au Figaro et collaborateur occasionnel à L'Auto, complète la description dépréciative de la profession :

262 Augustin Jean-Pierre et Gillon Pascal, op. cit., p. 26. 263 Archives du CIO. PT-PDC-CONF. Brochure « Les responsabilités et la réforme de la presse » sur la conférence donnée par Pierre de Coubertin à la Ligue française à Lausanne le 8 novembre 1924. 264 L'Auto, 11 novembre 1924, p. 1 et 4. 265 Archives du CIO. PT-BAILL-CORR. Lettre de Baillet-Latour à Kentish du 19 novembre 1924. Voir annexe p. 86 et 87. 36 « A l’heure actuelle, la presse sportive est dépourvue de conceptions générales ; elle est débordée par l’information sportive et le souci de la compétition, le récit de la manifestation. Le côté moral, le côté éducateur, le côté social du sport lui échappe totalement. »266

Il n'en demeure pas moins que L'Auto endosse le costume d'un puissant média capable de relayer le message que les tenants de l'Olympisme entendent diffuser. Dès lors, la parution au début de l'année 1932 des Mémoires olympiques de Pierre de Coubertin sert pleinement la cause du mouvement olympique. Si Henri Desgrange croit bon de les publier, c'est parce qu'il juge qu'il s'agit d' « une œuvre solide, documentée », composée en vue « d'une humanité meilleure »267. En coulisses, les échanges entre la direction du quotidien sportif - Jacques May, secrétaire général de L'Auto et Henri Desgrange - et le rénovateur des Jeux Olympiques, relatifs aux conditions de parution, sont d'abord cordiaux268. La consultation de ces documents indique que l'idée de soumettre ces écrits aux lecteurs français vient de Pierre de Coubertin. Honoré de la sollicitation, Henri Desgrange s'y prête volontiers, non sans essuyer parfois quelque remontrance d'un interlocuteur intransigeant. Dans la lettre manuscrite qu'il rédige le 2 septembre 1932, Henri Desgrange se dit navré d'une réaction que l'on peut imaginer vive de la part du baron, et produit une véritable « profession de foi » :

« Les Jeux Olympiques constituent la plus importante et la plus belle et la plus noble des manifestations. Ils perfectionnent incontestablement la mécanique humaine. Si j'ai écrit le contraire, c'est que j'étais loufoque. Je ne leur reproche qu'une chose : c'est qu'ils nous présentent tous les quatre ans, sous le signe d'un serment d'amateurisme pur, un fort contingent de menteurs et de parjures qui sont des professionnels. »269

Les solutions afin de régler ce problème suivent et concluent la lettre. En fait, l'échange témoigne d'une relation au caractère purement médiatique qu'entretiennent les deux hommes. La nécessaire diffusion de l’œuvre olympique pour l'un, l'information et la formation d'un lectorat pour l'autre, scellent cette union sans mettre fin à un désaccord de fond. Dans ce mariage de raison, l'impératif de la spectacularisation du sport et d'une mise en récit médiatique porté par des intérêts d'entreprise, s'opposerait dès lors au projet éducationnel du mouvement olympique. Au début des années 1930, la rupture entre le père des Jeux Olympiques modernes et la presse sportive française semble consommée. A la session de juin 1933, Marcel Oger s'offusque à l'annonce de l'adoption d'une proposition du délégué de la Finlande tendant à faire reprendre l’étude de la question de l’éducation sportive du public et de la presse . « La presse sait fort bien ce qu'elle a à faire » se braque-t-il270. Le quotidien L'Auto est parfois directement ciblé par l'état-major olympique. Une lettre d'Henri de Baillet-Latour adressée à Pierre de Coubertin laisse apparaître une vive inquiétude consécutive à la disparition du comte de Clary à la présidence du COF :

« Ce qui importait surtout c'est qu'il occupait la place et lui parti toutes les convoitises se donnent libre cours. Rimet pose sa candidature. S'il devenait président du Comité Olympique Français, ce serait une calamité. L'on parlait de lui opposer Castellane ou Piétri. L'Auto y a fait allusion et a laissé percer la rage de Rimet ainsi que le témoignage de son esprit anti

266 Archives du CIO. Série Média. Associations de presse, journalistes, journaux. Lettre de Frantz Reichel à Pierre de Coubertin du 20 février 1928. 267 L'Auto, 7 avril 1932, p. 1. 268 Archives du CIO. PT-PDC-ECRIT. Corpus de lettres envoyées par L'Auto du 22 décembre 1930 au 2 septembre 1932. 269 Archives du CIO. PT-PDC-ECRIT. Lettre de Desgrange à Coubertin du 2 septembre 1932. Voir annexe p. 88. 270 L'Auto, 10 juin 1933, p. 1 et 2. 37 olympique. »271

Florence Carpentier et Fabrice Auger soulignent cette profonde méfiance du président belge pour les hommes de presse, qu'il n'hésite pas à considérer comme les principaux ennemis du CIO272. En 1934, le propos est plus acerbe encore quand le baron de Pierre de Coubertin livre son sentiment sur le quotidien français. Suite à un article du 27 mars faisant courir le bruit d'un conflit entre le président du CIO et son prédécesseur, le baron écrit à Henri de Baillet-Latour :

« Je méprise trop L'Auto depuis qu'il a échappé à Desgrange. »273

Au-delà du démenti formel d'une information erronée, la phrase exprime le désamour de Pierre de Coubertin pour un journal qui ne sert plus exclusivement ses intérêts. Au vu du mutisme de L'Auto lorsque le mouvement olympique entame des démarches pour que Pierre de Coubertin obtienne le prix Nobel en 1936, puis lance une souscription pour lui venir en aide274, la réciprocité de cette désaffection est certifiée. Il faut attendre les lendemains de la guerre pour observer un changement dans les relations entre le quotidien français et l'institution olympique. Au milieu du flot de critiques qui éclaboussent le CIO, une personnalité surnage. Otto Mayer s'attire en effet une sympathie sans faille de la part de L'Equipe. Le rôle de chancelier qu'il assume à partir du mois de juillet 1946 se conjugue à des rapports noués plus étroitement avec la sphère médiatique. Comme il l'écrit dans son ouvrage, les relations avec la presse entrent alors « dans une phase de coopération », une telle collaboration étant « non seulement utile, mais nécessaire »275. Ses apparitions dans le quotidien sportif français, et les réactions qu'elles suscitent, assoient sa fonction. Quand il intervient en faveur du Comité national norvégien et de sa liberté de ne pas inviter l'Allemagne aux Jeux d'Oslo, Marcel Oger, pourtant sceptique, apprécie la « lumineuse mise au point » du chancelier à l' « autorité incontestée »276. Les précisions qu'Otto Mayer formule à la veille du Congrès de 1952 ont une même portée. Prenant connaissance de l'intention française de diriger sa délégation par un délégué du gouvernement ou du ministère, il s'érige avec lucidité contre ce manquement à la tradition :

« Nous ne devons pas oublier que le Comité national olympique est seul responsable envers le Comité international olympique et que par conséquent, le CIO n'entretient pas et ne doit pas entretenir des rapports avec les gouvernements ou les autorités d'un pays (si ce n'est des rapports d'amitié et de courtoisie). »277

Quelques mois plus tard, c'est avec la même vigueur que le chancelier se prête à une interview. Allemagne de l'Est, Chine communiste, Liechtenstein, syndicats australiens … le chancelier n'y élude aucune interrogation et fait preuve d'une concision usuelle. La proximité physique du correspondant suisse Vico Rigassi, interlocuteur régulier de l’indéboulonnable Otto Mayer, bijoutier-joaillier devenu serviteur bénévole de la cause olympique278, tend certainement à lisser les

271 Archives du CIO. CNO France. D-RM01-FRANC/001. Bureau exécutif du CNO de France (FRA). Correspondance 1911-1938. Lettre de Baillet-Latour à Coubertin du 4 juillet 1933. 272 Carpentier Florence, op. cit., p. 126 et Auger Fabrice, op. cit., p. 86-87. 273 Archives du CIO. PT-PDC-CORR. Lettre de Coubertin à Baillet-Latour du 31 mars 1934. 274 « Au point de vue matériel, sa situation est presque désespérée » écrit Henri de Baillet-Latour au baron Godefroy de Blonay après l'échec du prix Nobel et le lancement de la souscription (Archives du CIO. PT-PDC-PRNOB. Lettre de Baillet-Latour à Blonay du 28 dédembre 1936). Dès 1934, Sigfrid Edström informait le président du CIO sur l'état des finances d'un baron désargenté (Archives du CIO. JO-1936S-CORR. Lettre d’Edström à Baillet-Latour du 18 septembre 1934). 275 Mayer Otto, op. cit., p. 170. 276 L'Equipe, 18 octobre 1950, p. 6. 277 L'Equipe, 24 janvier 1952, p. 1 et 6. Voir annexe p. 89. 278 Archives du CIO. Fonctionnement et organisation de l'administration du CIO – Direction, secrétariat et conseiller. F- 38 relations entre les deux parties.

L'Auto à l'assaut du système olympique

Tout au long des années 1930, le quotidien français exerce une pression permanente et protéiforme sur le mouvement olympique et ses décisionnaires. Au sujet des conciliabules olympiques qui doivent se tenir à Paris en novembre 1934, L'Auto ironise sur la (mé)connaissance de l'ordre du jour par les membres du Comité. Marcel Oger apostrophe directement le président du CIO :

« Que M. de Baillet-Latour, président du Comité International Olympique, nous permette de lui dire que les méthodes du travail du groupement qu’il dirige sont détestables et que si, un jour, les Jeux Olympiques modernes disparaissent, il devra s’en prendre à lui, et à ses collaborateurs. »279

Dès l'instant où L'Auto cible un illogisme déconcertant, il emploie tous les moyens médiatiques pour le contrer. Ainsi en est-il avec le rejet du CIO d'accéder à la demande « raisonnable et justifiée » de l’Égypte qui réclame la nomination d'un second délégué280. Son premier représentant, Angelo Bolanaki, nommé en 1908, est de nationalité grecque. Le CIO se retranche derrière le fait que ses membres sont élus à vie et qu'aucune place n'est vacante. La semaine suivante, pour mieux souligner son agacement face au raisonnement du CIO, le journal publie un tableau listant le nombre de représentants par pays, de façon à montrer que plusieurs nations de l'importance sportive de l'Égypte ont déjà deux délégués281. L'enjeu prend une dimension supérieure à partir du moment où le pays lance un ultimatum à l'institution olympique et menace de ne pas prendre part aux Jeux de Los Angeles. Dans sa séance du 28 juillet 1932, le CIO prend la décision de nommer exceptionnellement, et à titre provisoire, un second délégué en Égypte. Lorsque Angelo Bolonaki se retirera du CIO, la situation reviendra à la normale. La décision du CIO réexaminée, L'Auto écrit :

« M. de Baillet-Latour a compris que seuls des esprits attardés pouvaient lui conseiller de ne jamais changer une virgule à des décisions prises voilà trente-six ans. »282

Une lettre confidentielle conservée aux archives du CIO dévoile que l'épisode recouvre une intervention gouvernementale. Le silence de Hussein Sabry Pacha, frère de la reine, gouverneur général d'Alexandrie, président de plusieurs fédérations et pressenti pour le second poste, serait ainsi « le signe précurseur d'une nouvelle campagne en vue de forcer M. Bolanaki à donner sa démission »283. Un écrit d'Henri d'Henri de Baillet-Latour témoigne de la volonté du CIO de défendre son membre historique face à « un nationalisme exagéré »284. Quand le Comité olympique égyptien émet publiquement la nouvelle prétention de voir son premier délégué démissionner, L'Auto doit revoir sa position, et Marcel Oger confier son scepticisme285. Malgré ce revirement et le retrait d'Angelo Bolanaki en janvier 1933286, L'Auto ne se montre pas plus tendre avec l'institution

A01-DS/002. Article « Hommage à un grand sportif : Otto Mayer, un homme auquel le sport doit beaucoup », par Frédéric Schlatter. 279 L'Auto, 25 novembre 1934, p. 5. 280 L'Auto, 13 juillet 1932, p. 1 et 5. Voir annexe p. 90 et 91. La demande est envoyée par une lettre du 19 février 1932 signée du ministre de l'Instruction publique et des présidents et délégués des fédérations égyptiennes (Archives du CIO. JO-1932S-CORR. Lettre à Baillet-Latour du 19 février 1932). 281 L'Auto, 19 juillet 1932, p. 4. 282 L'Auto, 3 août 1932, p. 4. 283 Archives du CIO. JO-1932S-CORR. Lettre « confidentielle » du Prince Omar Toussoun à « Monseigneur » du 6 août 1932. 284 Archives du CIO. PT-BAILL-CORR. Lettre de Baillet-Latour du 11 août 1932. 285 L'Auto, 25 août 1932, p. 5. 286 L'Auto, 24 janvier 1933, p. 2. 39 olympique. Ainsi, L'Auto est désemparé quand en visite au Caire, Henri de Baillet-Latour prend tout juste connaissance de la récente dissolution du Comité olympique égyptien287. Or, le reconstituer est une condition indispensable à la résolution définitive du conflit en même temps qu'une nécessité pour l’Égypte si elle désire participer aux prochains Jeux Olympiques.

Le quotidien sportif pointe les carences d'un système qu'il veut voir disparaître. Dans cette optique, il relate l'épisode du congrès d'Oslo, au cours duquel la proposition venue du Comité olympique belge invite le CIO à tenir des séances à époques fixes288. Prenant acte du rejet expéditif de la mesure par l'institution olympique, L'Auto s'indigne de la voir prendre des décisions sans consultation préalable de l'ensemble des Comités nationaux chargés de les appliquer. L'Auto en vient à signaler que face à l' « omnipotence » et la « dictature » du CIO, la révolte couve. Alors que les accusations politiques s'abattent sur le mouvement olympique à l'aube des Jeux de Berlin, le CIO se place sur le plan sportif pour placer une lourde charge :

« Dans ces réunions (d’opposition aux Jeux Olympiques), on reproche au Comité International Olympique son omnipotence, son recrutement aristocratique et l’élection de ses membres par lui-même sans consultation des comités olympiques nationaux ; on lui reproche encore son mépris pour les fédérations sportives internationales, les manquements répétés aux règles de l’amateurisme qu’il couvre par un serment olympique qui n’est qu’un parjure, des fautes techniques comme l’organisation en août d’un tournoi de hockey sur gazon et d’un tournoi de football. Sur toutes ces choses, il est inutile de dire que nous sommes d’accord. »289

De plus, l'« esprit d’initiative, l’intelligence ouverte, la liberté des vues » manqueraient au CIO à l'heure d'organiser les épreuves qu'il gère290. Voici formulés, en l'espace de quelques mois, la quasi- intégralité des griefs adressés au CIO par L'Auto. En octobre 1939, Henri Desgrange reprend les mêmes arguments pour noter la conversion d'« une idée magnifique dans sa conception » en « une effroyable machine à mal faire »291. Face à l'absence de résultats tangibles et de tout signe d'évolution, le quotidien sportif procède à un véritable harcèlement de l'institution olympique.

L'Olympisme revisité : le grand écart de L'Auto occupé

Grâce à la mainmise allemande sur le titre, Carl Diem se pose librement en défenseur de l'esprit olympique. Son voyage à Paris en mai 1941 bénéficie d'un traitement médiatique conciliant. Au cours d'une conférence donnée à la Maison de la Chimie, où il affirme sa volonté d'« européaniser » les Jeux, il décrit son amitié avec Pierre de Coubertin de façon à s'inscrire dans une filiation :

« En prônant la nécessité de poursuivre l’idée olympique même pendant la guerre, poursuit le docteur Diem, je suis, au reste, intimement persuadé de me conformer à l’esprit du baron de Coubertin. »292

L'adhésion de Jacques Goddet au discours porté par Carl Diem comporte deux facteurs d'explication. D'une part, le caractère historique des Jeux Olympiques signifierait qu'il doit

287 L'Auto, 17 février 1933, p. 1. 288 L'Auto, 1er mars 1935, p. 5. Dans un courrier de janvier 1939, Marcel Oger interpellera directement Henri de Baillet- Latour sur l'absence de congrès olympique en 1933 et 1937 (Archives du CIO. PT-BAILL-CORR. Lettre de Oger à Baillet-Latour et article de L'Auto joint). 289 L'Auto, 8 avril 1936, p. 5. 290 L'Auto, 10 mai 1936, p. 1 et 2. 291 L'Auto, 17 octobre 1939, p. 4. 292 L'Auto, 16 mai 1941, p. 1 et 3. 40 « s’intégrer dans tous les moments de la vie moderne ». D'autre part, Jacques Goddet développe un raisonnement qui sonne comme une métaphore maladroite dans le contexte de l'occupation :

« Les Jeux modernes apportent, au surplus, l’espérance magnifique de la suppression de toute espèce de rancune chez le vaincu, de l’enseignement du respect constant que se doivent ceux qui ont affronté leur talent et leurs dons dans un idéal et avec une loyauté identiques. »293

Dans ce cas particulier, poursuivre le développement de la pensée olympique s'effectue au prix d'une déformation du projet initial. Les thèses de la pacification par la compréhension et l'union de l'effort sont mis à contribution pour servir des buts qui dépassent la seule promotion de l'idée olympique. Les fouilles sur l'emplacement d'Olympie sous la conduite de Carl Diem matérialise l'emprise allemande sur le mouvement olympique. L'Auto détaille avec bienveillance cette mission dirigée par les professeurs Kuntze et Schleiff, qui comprend cinq savants et une centaine d’ouvriers spécialisés294. En mars 1943, le décès de von Tschammer und Osten est suivi d'un cérémonial singulier - ses cendres reposent au Stade Olympique – et d'un hommage chaleureux de L'Auto295.

En 1944, le cinquantenaire de la rénovation des Jeux Olympiques modernes alimente un discours médiatique inédit. Il ne s'agit plus, pour désigner les Jeux Olympiques, de « foire quadriennale »296, mais de « plus grande manifestation mondiale de l'intelligence et du muscle »297. L'acte majeur des festivités olympiques se déroule à Lausanne, un choix que le quotidien approuve avec force :

« La capitale vaudoise, qu’un romancier qui en connaissait l’âme baptisa du nom de « Cité de l’idéalisme », a conservé jalousement le culte des traditions antiques. »298

Le programme culturel et sportif proposé pendant près d'un mois s'apparenterait à un « pèlerinage »299. Dans les faits, la Suisse doit composer avec les circonstances internationales et ne peut donner l'éclat souhaité à un événement censé promouvoir la ville de Lausanne au rang de favori pour l'organisation des Jeux Olympiques d'après-guerre. L'Auto regrette d'ailleurs l'absence des représentants de la France lors du « vibrant hommage » à la mémoire de Pierre de Coubertin300. A l'instigation de L'Auto, le Comité olympique français s'engage dans l'organisation d'une « célébration intime et secrète » à Paris301. Armand Massard, qui se fait là étroit collaborateur du journal, s'engage dans la voie d'une réhabilitation de la figure du baron, en listant les réalisations à produire pour le célébrer302. Louis Dedet, interviewé par Robert Cusin, classe le rénovateur dans la catégorie des personnages de légende et loue les qualités de son ancien ami :

« Coubertin, homme à la personnalité attachante, sachant être chef autoritaire et subtil diplomate, novateur hardi et causeur disert et spirituel, a d’ailleurs laissé une empreinte profonde chez ceux qui l’ont connu. »303

Pierre de Coubertin est décrit en « penseur et en sociologue » parce que son œuvre devait conduire à 293 L'Auto, 17, 18 mai 1941, p. 1. Voir annexe p. 68 et 69. 294 L'Auto, 15 décembre 1942, p. 1. 295 L'Auto, 27 mars 1943, p. 1 et 31 mars 1943, p. 1. 296 L'Auto, 11 avril 1937, p. 1. 297 L'Auto, 15 mars 1944, p. 1. 298 L'Auto, 8 juin 1944, p. 1. 299 L'Auto, 5 juillet 1944, p. 2. 300 L'Auto, 20 juin 1944, p. 1 et 2. 301 L'Auto, 10 juin 1944, p. 1. 302 L'Auto, 21 juin 1944, p. 1. 303 L'Auto, 22 juin 1944, p. 1. Voir annexe p. 92. 41 des modifications profondes dans les sociétés modernes. Le fait que la France ne lui ait jamais confié de fonction publique de premier plan est ainsi perçu comme une anomalie. Dans un éditorial publié le lendemain, Jacques Goddet abonde. Évoquant le malentendu existant sur la question de l'amateurisme, il préfère, une fois n'est pas coutume, rejeter entièrement la faute sur les fédérations internationales, gardiennes des réglementations imposées par elles aux Jeux. Le but avoué de ces déclarations est de tendre à ce que « le souvenir de Pierre de Coubertin, grand Français, s’inscrive en lettres indélébiles sur le Registre du Temps »304. Si L'Auto note la modestie des célébrations organisées à Paris et l'auditoire réduit dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne305, il juge que la perpétuation du souvenir de Pierre de Coubertin est assurée306. Ce fort engagement médiatique de L'Auto va dans le sens d'une totale résurrection de la figure de Coubertin. A la fin des années 1930, l'homme souffrait pourtant d'une image entachée de déclarations tapageuses, celle d'un personnage historique devenu médiocre et suscitant l'antipathie. A l'examen de ce virage médiatique détonnant, l'hypothèse de la recherche par L'Auto de gloires nationales, d'étendards sportifs porteurs du pacifisme dans une France meurtrie et à l'intérieur d'une presse dépossédée de ses repères patriotiques, a du poids.

L'Equipe en arbitre intransigeant

Après-guerre, une évolution significative marque la reprise de l'activité olympique. En effet, la responsabilité technique des Jeux de Londres revient aux fédérations internationales de chaque sport, quand le protocole reste à la charge du CIO. L'Equipe voit d'un bon œil ce retrait partiel de l'institution olympique307. Victor Breyer, devant la disparition observée des divergences d'avant- guerre et l'établissement d''un « front unique de l'olympisme moderne », donne le mérite de cette réalisation « à la fine et souriante diplomatie de M. Edström »308. Seulement, Jacques Goddet, frappé par la déception des Jeux de Londres, identifie une fronde qui s'organiserait dans l'ombre du CIO, sanctionne l'inaction du Comité exécutif et lance un avertissement à ses représentants :

« Attention ! Les fédérations nationales et internationales grondent contre les notions périmées des pontifes olympiques en gibus, que l'on sort de leurs fauteuils à roulettes tous les quatre ans – au mieux -, quand la terre n'est pas en folie. »309

Une semaine plus tard, le directeur de L'Equipe se penche sur trois aspects qui auraient perdu leur signification de base310. Il appelle d'abord les dirigeants olympiques à réexaminer la périodicité des Jeux. Pour lui, le fait que l'athlète « joue sa carrière sur un coup de dés » tous les quatre ans serait « un péril », tandis que l'espoir de pouvoir revenir sur la ligne de départ constituerait « un apaisement ». Sa seconde revendication concerne le mélange hétéroclite des différents sports et le choix des spécialités. L'importance grandissante de la Coupe Jules Rimet pour le football et les premières « convulsions » du basket sur la scène olympique l'invitent à penser que le programme des Jeux Olympiques doit être réactualisé. En dernier lieu, la qualité qualificative est ciblée, dans le fil de la lutte du quotidien contre l'amateurisme marron en réaction au parjure du serment olympique. Du point de vue organisationnel, conserver ces pratiques héritées de l'Antiquité ne serait plus tenable :

304 L'Auto, 23 juin 1944, p. 1. 305 L'Auto, 24 juin 1944, p. 1. 306 L'Auto, 26 juin 1944, p. 1. 307 L'Equipe, 4 septembre 1946, p. 1 et 2. 308 L'Equipe, 6 novembre 1946, p. 3. Voir annexe p. 93. 309 L'Equipe, 2 août 1948, p. 1 et 4. 310 L'Equipe, 9 août 1948, p. 1, 2, 3 et 4. Voir annexe p. 94, 95 et 96. 42 « S'obstiner à calquer des rites vieux de 2000 ans, c'est seulement une coupable vanité d'humanistes de pacotille. »311

Progressivement, L'Equipe adopte un registre particulier dont il use pleinement. Au cours de l'épisode qui agite le monde du hockey sur glace, Gaston Meyer s'indigne de voir le CIO ne rien changer aux lois, et appuie la vindicte du président de la LIHG :

« M. Kraatz a traité les membres du CIO de « vieux fossiles », ce qui est un pléonasme. Le tort de M. Kraatz, c'est d'avoir exprimé à haute voix ce que chacun pense au fond soi. »312

Ainsi la raillerie quant à l'âge des décideurs olympiques devient-elle en effet un outil de dénigrement de l'institution. En août 1948, une pétition rédigée par les membres du CIO réaffirmait leur opposition à tout changement de cet ordre :

« Une limite d'âge détruirait la structure du CIO en le privant de ses membres les plus expérimentés et nuirait au travail futur et à la diffusion de l'idéal olympique. Cette limite d'âge est en outre contraire à la volonté du Baron de Coubertin, qui n'a jamais voulu en introduire le principe dans les règles. »313

Ce traitement médiatique n'est pas une spécificité française, comme l'illustre la retranscription intégrale de l'article d'un journaliste scandinave par Gaston Meyer314. Le Français considère qu'il n'y a pas une ligne à changer à l'écrit de son confrère, qui fait du Congrès de Copenhague un tournant de l'histoire du sport. Dans cet article, il faut relever trois messages. La distinction opérée entre le CIO d' « essence aristocratique » et les fédérations internationales au fonctionnement plus démocratique vient d'abord souligner l'archaïsme d'un système dans lequel l' « auto-désignation » et l' « inamovibilité » prévalent315. La nature du recrutement des délégués basée sur la cooptation « qui lui confère un pouvoir d’action et d’autorité »316 est ici décriée. La métaphore politique qui octroie au CIO le rôle d'un « Sénat » et aux fédérations internationales celui d'une « Chambre des députés » sert ensuite la démonstration d'un basculement vers un pouvoir croissant de la seconde entité. Dans ce sens, une « révolution olympique » serait en marche. L'auteur de l'article prend clairement le parti de ce « souffle libéral » qui frappe le mouvement olympique. Pour finir, la critique de l'âge avancé des membres du CIO, au premier rang desquels le président Sigfrid Edström, se décline sous toutes les formes. En février 1952, L'Equipe reprend avec ironie l'information du départ prochain de l'octogénaire Sigfrid Edström de la présidence du CIO317. Sous sa casquette de correspondant au cours des Jeux d'Helsinki, Marcel Hansenne, ancien athlète entraîné par Gaston Meyer reconverti dans le journalisme, fait lui-même rejaillir le contraste d'une « fête de la jeunesse » dirigée « par de vieilles barbes »318. En définitive, la continuité et la persistance des écrits entre L'Auto et L'Equipe, de même que la concurrence exercée par les fédérations internationales dont le poids dans l'organisation du sport mondial s'affirme davantage, sont perceptibles. C'est dans ce sens qu'un éditorial publié en juin 1952 prône l'abandon des sports d'équipes lors des Jeux Olympiques – au profit de championnats du monde organisés par les fédérations internationales - afin de renouer avec

311 Idem. 312 L'Equipe, 19 mai 1950, p. 8. 313 Archives du CIO. JO-1948S-CORR. Pétition. 314 L'Equipe, 31 mai 1950, p. 6. Voir annexe p. 97. 315 Lorsqu'en février 1952, Sigfrid Edström exprimera le vœu de voir Avery Brundage lui succéder à la présidence du CIO, Marcel Oger le comparera à un « roi » désignant son successeur (L'Equipe, 14 février 1952, p. 1.). 316 Auger Fabrice, op. cit., p. 408. 317 L'Equipe, 14 février 1952, p. 1. 318 L'Equipe, 22 juillet 1952, p. 1, 5, 6, 7 et 8. 43 l' « exaltation de l'individu » en forme de sauvegarde de la « raison d'être des Jeux »319.

Jeux régionaux et universitaires : une filiation inégalement marquée aux Jeux Olympiques

Tandis que le propos se fait véhément sur le mouvement olympique, les Jeux régionaux d'une part, et universitaires de l'autre, tous deux reconnus et patronnés par le CIO, alimentent des discours d'un autre genre. Au cours des années 1930, L'Auto procède à une couverture médiatique minimal des Jeux régionaux. En 1934, le quotidien s'intéresse aux Jeux d'Extrême-Orient essentiellement par le détail de la participation de l'Indochine française320. En ce qui concerne les Jeux de l'Empire britannique, le quotidien observe comment les hôtes « ont ordonné l’ordre des épreuves de façon très rationnelle »321. Aussi considère-t-il les cinquièmes Jeux balkaniques qui se tiennent à Zagreb comme une « manifestation sportive de premier ordre »322. En avril 1935, la deuxième Olympiade juive fait l'objet d'un intérêt plus poussé. Dès janvier, L'Auto remarque :

« Surprenant est le vif intérêt pour ces Jeux Olympiques juifs dans les pays anglo-saxons, et surtout dans les Etats-Unis, d’où l’on annonce des expéditions de centaines de sportifs et supporters. »323

A Tel-Aviv, Alfred Nakache, célèbre nageur français de confession juive, livre ses impressions pour le journal324. Après-guerre, le quotidien L'Equipe confère aux Jeux régionaux une attention plus marquée. Il en est ainsi avec les Jeux maccabiques organisés en Israël, à Jérusalem et Haïffa, et pour lesquels les responsables français sont en quête d'athlètes performants325. Au cours des mois de février et mars 1951, la première édition des Jeux panaméricains est l'objet d'une rubrique quotidienne326. Plus singulièrement encore, les premiers Jeux méditerranéens de 1951 provoquent dans la presse sportive française une campagne des plus frénétiques. Le quotidien se montre plus précis sur l'objectif visé par ces Jeux :

« Le CIO en recommandant des Jeux régionaux a songé à l'inévitable réforme qu'entraînent à bref délai les complications d'organisation des Jeux Olympiques. Dans trois ou quatre olympiades au plus tard, il faudra nécessairement envisager l'organisation d'éliminatoires préalables par continents ou même par groupes de continents sous peine d'asphyxie... »327

Là-encore, c'est en prenant compte l'évolution naturelle du sport que l'institution olympique est appelée à (ré)agir. Alors que les Turcs déplorent l'abstention de la France aux Jeux méditerranéens, L'Equipe met toutes ses forces pour imposer sa participation328. Gaston Meyer adopte un ton réprobateur au moment de dénoncer l'opposition des fédérations qui prennent d'abord prétexte d'une date inopportune avant de brandir le coût du voyage à Alexandrie329. Armand Massard intervient

319 L'Equipe, 11 juin 1952, p. 1. 320 L'Auto, 8 février 1934, p. 5. 321 L'Auto, 4 août 1934, p. 4. 322 L'Auto, 30 août 1934, p. 5. Le délégué autrichien du CIO, dans le rapport qu'il envoie au retour de Zagreb, est aussi enjoué (Archives du CIO. H-FC03-BALKA/001. Rapport du 10 octobre 1934 par Théodore Schmidt). 323 L'Auto, 4 janvier 1935, p. 5. 324 L'Auto, 20 avril 1935, p. 6. 325 L'Equipe, 11 mai 1950, p. 6 et 27 juillet 1950, p. 6. 326 L'Equipe, du 27 février au 10, 11 mars 1951, p. 5. L'importance des Jeux panaméricains est considérable si l'on juge de la qualité des personnalités olympiques qui y assistent (Archives du CIO. H-FC02-PANAM/002. Correspondance). 327 L'Equipe, 27 février 1951, p. 5. 328 L'Equipe, 20 juillet 1949, p. 3. 329 L'Equipe, 27 février 1951, p. 5. 44 directement pour assurer de la volonté des fédérations à voir la France participer 330. Les propositions égyptiennes soumises à la Direction des sports, relatives à la question financière et des transports, tendent à démontrer que les initiatives sont à mettre au crédit du pays hôte. Au vu de l'attitude visiblement passive des dirigeants français, L'Equipe s'insurge :

« Il est regrettable que notre pays soit éternellement en retard dans la pensée et dans l'action, même et surtout quand il s'agit d'une cause qui ne met point en jeu son seul prestige, mais encore son intérêt culturel. »331

La participation de la France aux Jeux méditerranéens est rendue officielle après le règlement du dernier point litigieux, celui du complément de crédits332. Au cours des Jeux, L'Equipe continue à émettre toute une série de jugements péjoratifs sur la délégation française, alors que la couverture médiatique globale reste fortement attrayante sous la plume de Fernand Albaret et Gaston Meyer. Ce dernier, dans un article intitulé « La France a failli oublier qu'elle était riveraine de la Méditerranée », tempête contre l'envoi d' « une délégation misérable et improvisée » en Égypte, indigne selon lui du « pays de Coubertin, rénovateur de l'idée olympique »333. Suite à la cérémonie d'ouverture, une polémique éclate pour une histoire de survêtements portés par les Français, dont l'esthétique ne sied pas aux deux journalistes334. A contrario, l' « esprit de coopération internationale » dans le contexte tendu de la dénonciation du traité anglo-égyptien de 1936335, ainsi que la « réussite à la fois sportive et spectaculaire »336 des compétitions sont plébiscités. En définitive, L'Equipe établit que « l'idée olympique, basée sur l'éclectisme, a maintenant gagné l’Égypte et sa seconde capitale »337.

Le propos sur les Jeux universitaires prend lui le contre-pied de valeurs attribuées aux Jeux classiques. Pour L'Auto, ils mettent en compétition une jeunesse dans une « quintessence de l'esprit amateur »338. Le contraste est marqué lorsque Fernand Lomazzi cite les paroles des dirigeants de l'Office international du sport universitaire (OISU), prononcées lors de la cérémonie inaugurale des troisièmes Jeux universitaires de Turin en septembre 1933 :

« Étudiants de toutes les nations : vous êtes la promesse la plus belle de l’avenir, vous êtes purifiés par le sport, rigoureusement amateurs ; partant, vous pouvez affirmer sans crainte que vous êtes les héritiers affectifs de la tradition olympique. »339

Henri de Baillet-Latour se déclare « partisan fervent des Jeux universitaires »340 et ne cache pas « son émerveillement pour l'organisation matérielle »341. Deux plus tard à Budapest, Lucien Dubech subit la même attraction pour ces Jeux :

330 L'Equipe, 7 mars 1951, p. 5. 331 L'Equipe, 11 septembre 1951, p. 1. 332 L'Equipe, 21 septembre 1951, p. 1. 333 L'Equipe, 2 octobre 1951, p. 6. Voir annexe p. 98 et 99. 334 L'Equipe, 6, 7 octobre 1951, p. 1, 11 octobre 1951, p. 1 et 6 et 17 octobre 1951, p. 1 et 4. 335 Ces Jeux s’inscrivent dans un contexte géopolitique de Guerre froide « marqué par une volonté de développer des relations harmonieuses autour du bassin, et par un panarabisme naissant » (Bernasconi Gabriel, « Les Jeux régionaux, manifestations de proximité », p. 280, in Terret Thierry (dir.), op. cit., p. 271-287). 336 L'Equipe, 19 octobre 1951, p. 1, 5 et 8. 337 L'Equipe, 15 octobre 1951, p. 5. 338 L'Auto, 2 septembre 1933, p. 1 et 5. 339 L'Auto, 6 septembre 1933, p. 1 et 4. 340 L'Auto, 2 septembre 1933, p. 1 et 4. 341 L'Auto, 7 septembre 1933, p. 1 et 2. 45 « Il ne s’agit ni d’un spectacle forain ni d’une furieuse empoignade nationale. Il s’agit d’une élite de jeunes gens qui font du sport pour le bien et pour le plaisir. Nous allons assister aux Jeux Olympiques des amateurs. »342

La correspondance entre Henri de Baillet-Latour et les dirigeants de la Confédération internationale des étudiants (CIE) témoigne de la proximité entre les deux mouvements. En ce sens, le Belge assure au dirigeant Paul de Rocca-Serra que « le CIO considère les universitaires comme étant la meilleure pépinière de recrutement pour les Jeux Olympiques »343. A la session d'Oslo, le Comité reconnaît publiquement l'utilité du sport universitaire344. A l'occasion de l'édition de Paris en 1937, le quotidien s'investit fortement dans la promotion des Jeux comme manifestation de l'Exposition universelle. A l'occasion de ce carrefour du sport universel, c'est au tour du directeur de L'Auto Henri Desgrange de tacler les Jeux Olympiques à la lumière des Jeux universitaires. Se plaçant du point de vue de la sincérité de l'amateurisme des participants, il déclare :

« Je tiens à dire que la Confédération Internationale des Étudiants m’apporte des apaisements que ne me donne pas la machinerie compliquée de la manifestation de M. Baillet-Latour. »345

A Monaco en 1939, le quotidien exhibe plutôt la fierté de la paternité française de l'idée des Jeux estudiantins346. L'attitude de L'Auto qui consiste à présenter les Jeux universitaires comme le garant de la morale sportive, est une flèche supplémentaire à l'arc tendu en direction du CIO. Après la guerre, l'imbrication de la politique dans le sport universitaire condamne progressivement ses événements dans L'Equipe. Dans un premier temps, les neuvièmes Jeux universitaires, qui se tiennent à Paris en 1947 sous l'égide d'une nouvelle Confédération internationale des étudiants, revêtent un caractère de paix. Pierre Rostini, président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), délivre un message concentré :

« A la différence de la conception des Jeux Olympiques, dans les Jeux universitaires, le sport n'est pas une fin, mais un mouvement, l'occasion d'une grande réunion d'étudiants qui échangent, après la compétition, leurs expériences intellectuelles, politiques ou sociales : un concours à la cause de la paix et une meilleure entente entre les hommes. »347

En conclusion à ces Jeux universitaires, Jacques Goddet, contre toute attente, place une attaque :

« Il est difficile de concevoir que des Jeux soumis à d'aventureuses et fort diverses classifications, lesquelles aboutissent ou bien à des grotesques insuffisances, ou bien à de scandaleux excès (...) aient une action efficace sur l'esprit des futurs ingénieurs, médecins, diplomates, philosophes. (…) Où ira le sport, et à quelles besognes sera-t-il utile s'il continue à être découpé en tranches ? »348

Dans les propos du directeur de L'Equipe, la rupture avec la vision de son prédécesseur apparaît nettement. L'année 1949 est marquée par la naissance d'une seconde fédération estudiantine, la Fédération internationale du sport universitaire (FISU), en marge de la Fédération internationale des

342 L'Auto, 11 août 1935, p. 1 et 2. 343 Archives du CIO. H-FC04-FISU/022. Lettre de Baillet-Latour à Rocca-Serra du 20 septembre 1934. 344 Mayer Otto, op. cit., p. 147. 345 L'Auto, 28 août 1937, p. 1. 346 L'Auto, 19 août 1939, p. 1 et 7. 347 L'Equipe, 24 juillet 1947, p. 2. 348 L'Equipe, 2 septembre 1947, p. 1. 46 étudiants (FIE) qui organise les Jeux de Budapest. Simultanément, dans la même ville, le Festival mondial de la jeunesse démocratique doit se dérouler. Le chef de la délégation française Jacques Flouret veut chasser toute confusion en affirmant ne pas vouloir « faire le succès de cette manifestation qui a toutes apparences politiques »349. L'alignement politique de ce mouvement sportif universitaire sur l'Union soviétique suscite les inquiétudes. Au sortir des épreuves, L'Equipe, au regard des réformes déjà réclamées avant 1939, décrète que « les Jeux universitaires mondiaux sont morts à Budapest »350.

Pour le meilleur et pour le pire : l'attachement indéfectible de L'Auto et L'Equipe

Les Jeux Olympiques, concrétisations ultimes de l'idéal porté par le CIO, sont soumis à la régulière et nécessaire appréciation des journaux sportifs. L'enjeu est déterminant dans le sens où ils produisent la densité et sont l'indicateur de la viabilité du message olympique. Le traitement médiatique que leur confèrent les journaux généralistes et spécialisés met en jeu leur reconnaissance auprès du lectorat, et ce faisant, garantit leur pérennité. Les Jeux d'hiver de Lake Placid, disputés en février 1932 sur le continent américain, fournissent dans L'Auto leur lot d'inquiétudes. Les conditions climatiques - des températures hautes et une neige rare - rendent difficile la tenue des épreuves de plein-air351. L'Auto ajoute une couverture peu complaisante de l'événement. Établissant le constat d'irrégularités observées au cours des épreuves de patinage, le journal critique directement une organisation générale prétendument déficiente :

« Disons-le carrément, les Américains n’ont pas mis sur pied une organisation comparable à celles de Saint-Moritz ou de Chamonix. »352

Réactions de la délégation française à l'appui, les méthodes américaines sont condamnées. Ainsi le fourrier du Comité olympique français décrit-il le « mercantilisme » des hôteliers de Lake Placid353. Les propos sont orientés vers un rejet unanime des conditions d'accueil proposées par les Américains mais épargnent le mouvement olympique. Le bilan financier des Jeux, largement déficitaire en raison d'une affluence insuffisante, est soumis à l'examen du quotidien354. Les Jeux d'été de Los Angeles laissent toutefois entrevoir une pleine réussite355. L'accent mis sur le retour à « d'antiques usages »356 et la satisfaction qu'éprouve Henri Desgrange en mesurant la volonté des promoteurs de l'Olympisme de « faire revivre les Jeux de l'Antiquité »357 servent la cause olympique. La perception enchantée de l'empressement des pays à faire concourir « le plus beau et le meilleur de leur jeunesse »358 et la contribution bienvenue des Jeux Olympiques à l'amélioration des records mondiaux359 prédominent. Elles sont toutefois atténuées par l'attitude des athlètes américains professionnels, maintes fois décriée, alors même que les résultats des athlètes français sont en demi-teinte. Sur ce point, L'Auto suit une ligne éditoriale éminemment critique. La lettre adressée par le colonel Berdez au baron Pierre de Coubertin en septembre 1932 ne laisse aucun doute sur l'avis des dirigeants du CIO concernant la couverture des Jeux par L'Auto :

349 L'Equipe, 29 juillet 1949, p. 1 et 3. 350 L'Equipe, 22 août 1949, p. 1 et 5. 351 L'Auto, 7 février 1932, p. 1 et 4. 352 Idem. 353 L'Auto, 27 février 1932, p. 1 et 4. 354 L'Auto, 7 février 1932, p. 1 et 4, 18 février 1932, p. 1 et 19 février 1932, p. 1. 355 L'Auto, 4 août 1932, p. 3. 356 L'Auto, 11 août 1932, p. 3. 357 L'Auto, 19 septembre 1932, p. 1. Voir annexe p. 100 et 101. 358 Idem. 359 L'Auto, 16 août 1932, p. 5. 47 « La campagne de L'Auto, puisque campagne il y eut, a passé complètement inaperçue et ne peut être que ridicule : déception, mauvais esprit sportif. »360

Le « prodigieux succès » des Jeux - installations, participation, résultats - est pour le dirigeant olympique à brandir devant l'influence néfaste mais anticipée des médias. Enfin, l'imbroglio financier entre le Comité olympique américain, le Comité organisateur et la ville de Los Angeles pour l'attribution du bénéfice des Jeux en écorne aussi l'image et en ternit le bilan dans L'Auto361. Il est certain qu'a posteriori, l'empreinte laissée dans les esprits est déshonorante. En août 1936, Pierre de Coubertin caractérisera les Jeux de Los Angeles comme l'exemple d'une « propagande touristique »362. Surtout, au début des hostilités entre la France et l'Allemagne, Jacques Goddet, exaltant les caractères originels des Jeux modernes - vœux communs pour la paix, passion sportive, désintéressement –, les confrontera à un souvenir bien moins enjolivé des Jeux de 1932 :

« Los Angeles vît, dans cette énorme manifestation sportive, l’occasion d’une publicité exceptionnelle pour son climat, pour les plages de l’Océan Pacifique, pour ses ciels immuablement bleus. Los Angeles en fit une pure affaire – et fructueuse – de publicité commerciale. »363

En 1936, le constat de L'Auto à propos du déroulement des épreuves est formel. Le quotidien sportif fait l'éloge d'une organisation sans précédent. A Garmisch-Partenkirchen, « il ne fait pas bon de laisser glisser son crayon à terre si l’on veut le récupérer »364. Pour L'Auto, cette affluence parfaitement gérée se conjugue à un agenda sportif minutieusement pensé :

« Nous avons peut-être l’air de rabâcher, en répétant, jour après jour, que le Comité olympique allemand a réalisé une réussite prodigieuse. »365

En guise de bilan, le quotidien inscrit ces Jeux d'hiver « dans les annales du sport international »366. Les Jeux d'été y figurent aussi, parce que L'Auto ne veut pas nier qu'à Berlin, le sport « atteint les cimes du vertige »367. Un incident sportif émaille toutefois la quinzaine. Après un envahissement du terrain par ses supporters, le Pérou refuse de rejouer sa rencontre de football contre l'Autriche et se retire des Jeux. Dans son sillage, les pays de l'Amérique du Sud sont susceptibles de l'imiter. L'Auto indique que l'intervention des « diplomates du CIO » permet de limiter les dégâts368. En outre, la bataille des chiffres autour des dépenses et des recettes des Jeux fait rage :

« Lorsque les statistiques officielles annoncent sept millions et demi de marks de recettes et six millions et demi de dépenses, laissez-moi sourire. (…) Il est inouï de vouloir faire admettre que les

360 Archives du CIO. PT-PDC-CORR. Lettre de Berdez à Coubertin du 14 septembre 1932. 361 L'Auto, 16 août 1932, p. 5, 9 janvier 1934, p. 1 et 4, 6 mars 1934, p. 1 et 14 mars 1934, p. 6. Une lettre de W. M. Garland à Henri de Baillet-Latour montre que le différend ne laisse pas le CIO insensible, dans la mesure où le président aurait émis des suggestions en faveur d'une réutilisation coordonnée de ce surplus (Archives du CIO. JO- 1932S-COJO. Lettre de Garland à Baillet-Latour du 10 mars 1933). 362 Le Journal, 27 août 1936, cité par Keys Barbara, op.cit, p. 94. 363 L'Auto, 18 octobre 1939, p. 4. Sur le contexte américain des Jeux de 1932, voir la contribution de Tomlinson Alan, « Los Angeles 1984 and 1932. Commercializing the American Dream », in Tomlinson Alan et Young Christopher (dir.), National identity and global sports events. Culture, politics, and spectacle in the olympics and the football world cup, New-York, State University of New York Press, 2006, p. 163-176. 364 L'Auto, 10 février 1936, p. 1 et 5. 365 L'Auto, 14 février 1936, p. 1 et 6. 366 L'Auto, 17 février 1936, p. 1 et 6. 367 L'Auto, 4 août 1936, p. 4. 368 L'Auto, 11 août 1936, p. 1 et 12 août 1936, p. 4. 48 dépenses ne se sont élevées qu’à trente-neuf millions de nos francs. »369

L'Auto, dans le fil d'une attaque en règle contre les organisateurs du sport allemand, se montre soucieux de présenter une organisation largement déficitaire. L'absence de commentaires sur une quelconque faillite du modèle économique des Jeux Olympiques prouve que l'enjeu est ailleurs. Après la guerre, le message se fait en faveur d'un retour à l' « atmosphère antique » et à l'abandon d'une course malsaine au gigantisme. Quand en septembre 1946, les Américains tentent de ressusciter l'ambiance olympique en organisant les Jeux interalliés en Allemagne, Fernand Albaret juge qu'ils « n'ont pas fait oublier les JO »370. La chronique « L'Olympe attend ses dieux » signée Armand Lafitte371 contribue à élever l'Olympisme et le place au rang de priorité médiatique. Les Jeux de 1948 constituent pour L'Equipe le premier événement sportif d'envergure international à couvrir depuis son lancement. Le sport doit se montrer sain. En ce sens, les Jeux d'hiver de Saint- Moritz correspondent à ses attentes en ayant tenu toutes leurs promesses372. En revanche, l'étonnement est de mise au moment d'observer comment Gaston Meyer appréhende les Jeux sur le territoire britannique :

« Ce pays est victime de sa tradition sportive ; le sport y est solidement ancré mais sous une forme empirique, aiguillonnée par l'amour du jeu, des spectacles de kermesse populaire. Nous sommes loin ici de la conception quasi scientifique, en tout cas rigoureuse, dont l'Allemagne avait donné l'exemple il y a douze ans. »373

Le choix sportif de la ville de Londres est discuté. Le parcours cycliste s'apparente à une « promenade sentimentale pour « ladies » et « misses » »374. Jacques Goddet détaille les manquements de l'organisation londonienne. Le programme « bâti de manière aussi désordonnée, aussi illogique » est ciblé, avec une incompréhension du cumul de l'athlétisme et de la natation dans la même semaine375. Le directeur évoque une mise en péril des Jeux Olympiques. Pierre About, écrivain sportif qui prête sa plume à L'Equipe au cours de ces Jeux, adopte la même résignation :

« La masse des charges qui accablent les organisateurs des Jeux 1948 se fait chaque jour plus lourde. Il est temps que vienne la cérémonie de clôture. On l'accueillera avec plus de soulagement que de regrets. »376

Dans ce contexte, l'interview d'Erik von Franckell - président du Comité organisateur des Jeux d'Helsinki - en septembre 1949 est de nature à rassurer377. Au cours des mois précédant les épreuves devant réunir Etats-Unis et URSS, L'Equipe met à bas la théorie pacifiste des Jeux et s'évertue à démontrer que la trêve olympique n'est qu'un vague souvenir de la démocratie grecque378. Ces articles semblent porter la marque d'une médiatisation aux contours purement sportifs. Si le

369 L'Auto, 18 août 1936, p. 1 et 4. 370 L'Equipe, 10 septembre 1946, p. 2. 371 L'Equipe, 2 juin 1948, p. 4 et 17 juin 1948, p. 4. 372 L'Equipe, 10 février 1948, p. 1 et 3. 373 L'Equipe, 17 juillet 1948, p. 5. 374 L'Equipe, 10 juin 1948, p. 4. 375 L'Equipe, 2 août 1948, p. 1 et 4. 376 L'Equipe, 13 août 1948, p. 1, 2, 3 et 4. 377 L'Equipe, 23 septembre 1949, p. 1 et 4. Le rapport sur la visite de Sigfrid Edström et du chancelier Otto Mayer à Helsinki en mars 1949 mobilise cet enthousiasme. Seul le logement des visiteurs préoccupe les dirigeants (Archives du CIO. JO-1952S-RAPPO). 378 L'Equipe, 1er janvier 1952, p. 1 et 29 janvier 1952, p. 5. Le journal emprunte là le discours asséné au début de la Seconde Guerre mondiale, quand L'Auto mettait en contradiction état de guerre et idée olympique (L'Auto, 23 novembre 1939, p. 4 et 2 avril 1940, p. 1 et 3). 49 discours sur l'intégration de l'URSS doit nuancer cette constatation, il reste que la couverture des Jeux d'hiver à Oslo et d'été à Helsinki est particulièrement voluptueuse. Pierre About, commentant la journée finale des Jeux d'hiver autour du tremplin norvégien, interpelle son lecteur :

« Vous qui verrez au cinéma ou dans les journaux illustrés des photos d'Holmenkollen, ne dites pas que vous savez ce que c'est. Vous qui lisez nos articles, ne nous faites pas l'honneur immérité de croire que nous avons été capables de traduire avec de pauvres mots la ferveur de la foule, la profondeur de ses sentiments, la beauté pure des batailles olympiques qui s'achèveront ce lundi soir par une cérémonie rituelle. (…) Les plus blasés d'entre nous avaient la gorge serrée ou les yeux humides. Nous pouvions quitter Oslo sans regret, nous y avions trouvé la vraie signification du sport. L'esprit olympique était dans l'air pur de Norvège. Pour le rencontrer, il fallait respirer avec son cœur. »379

Marcel Hansenne traduit ce même enthousiasme lorsqu'il réalise un reportage sur les préparatifs olympiques à Helsinki :

« La Finlande, c'est la patrie de l'exercice pur, c'est le dernier coin de terre où l'idée olympique peut encore s'exprimer avec force et vérité. »380

L'Equipe voit Helsinki dépasser Londres tant dans l'organisation méticuleuse des épreuves que dans la ferveur et le climat inédits dans lesquels les Jeux sont célébrés381. Jacques Goddet s'emploie à formuler la domination du versant sportif sur tout autre domaine :

« On célébrera l'esprit olympique et tout ce qu'il a vraiment permis durant ces deux semaines : fraternité des représentants des différentes nations ayant participé aux Jeux, qu'il ne faudra pas confondre entièrement avec la fraternité des peuples et surtout avec celle de leurs gouvernements, loyauté des athlètes, qualité des performances, donc avancée nouvelle très prononcée de l'homme physique au siècle du progrès scientifique. »382

Dans cette logique, le soin confié à Paavo Nurmi de faire pénétrer la flamme olympique dans le stade est interprété comme la seule intervention du plus grand champion du pays, en évacuant la confusion que cet acte peut engendrer sur le thème de l'amateurisme383. La seule interrogation qu'Erik von Franckell et Armand Massard soulèvent successivement concerne les réformes potentielles à mener dans le but d'aménager le programme et comprimer les frais384. Dans les moments de crise comme en temps d'apaisement, les journaux sportifs français ne négligent jamais la couverture médiatique des Jeux Olympiques, oscillant entre alarmisme forcé et béatitude.

379 L'Equipe, 26 février 1952, p. 8. 380 L'Equipe, 7 septembre 1951, p. 6. 381 L'Equipe, 21 juillet 1952, p. 1, 8, 9, 10 et 11. 382 L'Equipe, 2, 3 août 1952, p.1 , 4, 5, 6 et 7. 383 L'Equipe, 2, 3 août 1952, p. 1. 384 L'Equipe, 18 juillet 1952, p. 8 et 5 août 1952, p. 8. En avril 1949, une diminution du programme des Jeux Olympiques d'Helsinki avait été évoquée (L'Equipe, 8 avril 1949, p. 1 et 3). 50 Conclusion

Durant l'ensemble de la période étudiée, L'Auto et L'Equipe, aux côtés des dirigeants sportifs de la sphère olympique, ne cessent de clamer leur attachement à l’apolitisme sportif. Leurs discours trahissent pourtant cette prétention originelle, en mettant au jour des prises de position dépendantes du contexte politique auquel les journaux spécialisés ne peuvent échapper. En des temps de bouleversements profonds, l'Olympisme prend une part active dans des débats vifs et profonds. Quand L’Auto exige des éclaircissements de la part de Pierre de Coubertin après les « Jeux défigurés » de 1936, ou lorsque L’Equipe sacralise l’idéal pacifique porté par les Jeux de 1952, les quotidiens sportifs livrent, de manière antagoniste, un regard politique sur les épreuves organisées par le Comité International Olympique. En puisant dans un répertoire de représentations, l'information sportive manifeste sa force de construction et d'activation d'images et symboles partagés ou disputés avec le monde olympique. La distorsion des idéaux olympiques pendant la guerre et au moment de la réintégration allemande témoigne toutefois des contradictions internes qui peuvent animer ces journaux à l'attitude souvent « suiviste » au gouvernement en place. Aussi n'est-il pas toujours possible d'identifier une ligne éditoriale précise dans L'Auto et L'Equipe. Les valeurs et les modèles prônés sont parfois sujets à l'interprétation personnelle des journalistes qui dispensent l’information.

En revanche, il apparaît nettement que le discours concernant l'amateurisme olympique est univoque. Le sujet cristallise les attentions au point de devenir le point de discorde majeur entre les quotidiens sportifs et le CIO. La main gardée par l'institution olympique dans ce domaine, qui lui permet d'asseoir son pouvoir sur les fédérations sportives internationales à la conception plus libérale, a tout d'une stratégie politique. La dénonciation acharnée et moralisante du parjure olympique, de même que l'indignation systématique devant un amateurisme intégral parfois adouci mais jamais menacé, inondent les colonnes. Parce qu'elle se place contre une évolution « naturelle » du sport que L'Auto puis L'Equipe entendent accompagner, cette attitude conservatrice met en péril les rapports entre la presse sportive française et le mouvement olympique. Au cours des années 1930, la direction de L'Auto, confortée par la position du Comité olympique français et l'engagement de Jules Rimet et Paul Rousseau, mène une campagne soutenue et durable contre le CIO. Après-guerre, le rôle actif joué par les fédérations sportives internationales et l'approbation de L'Equipe au passe-droit accordé aux athlètes soviétiques, peinent à éclipser le différend. La médiatisation du bras de fer engagé entre le hockey sur glace américain, le Comité olympique suisse et le CIO à l'aube des Jeux d'hiver de Saint-Moritz en 1948 est symptomatique d'une ligne éditoriale obsessionnelle.

Dans ce cadre, l'animosité entre L'Auto et le CIO est patente. Entre 1932 et 1942, Pierre de Coubertin et Henri de Baillet-Latour cultivent un désamour croissant pour la presse sportive, tandis que la vindicte des journalistes français contre les dirigeants du Comité exécutif se fait toujours plus violente. Après 1946, les inquiétudes demeurent et les griefs persistent en dépit des interventions régulières et estimées du chancelier Otto Mayer, au caractère ouvertement positif. L'utilité technique anticipée des Jeux régionaux est reconnue, mais les Jeux universitaires permettent, par la comparaison, de déprécier les Jeux Olympiques modernes. Pour autant, si l'ombre des fédérations internationales plane inlassablement, il n'est aucunement question pour ces journaux d'entamer une rupture définitive. La fidélité de la presse sportive au mouvement olympique est à placer à l'intérieur d'un raisonnement économique. Un quotidien sportif est avant tout une entreprise de presse et à ce titre, se montre friand des grandes scansions. Le maintien des Jeux Olympiques, à 51 l'aura internationale, est aussi gage de sa pérennité financière. Au cours des années 1930, les ventes de L'Auto chutent irrémédiablement alors que le quotidien d'informations générales Paris-Soir et les journaux politiques publient des pages sportives. Pour des raisons aussi vitales, L'Equipe se soucie de la permanence de l'action olympique. En ce sens, le soutien affiché à la venue de l'URSS dans le concert olympique peut être interprété tant comme la captation des lecteurs du concurrent communiste déchu Sports, que comme l'affirmation internationaliste et pacifique du sport.

Objectif commun aux dirigeants du sport international et aux titres sportifs, la promotion des activités sportives ne fait donc pas l'objet d'un consensus total. Sur des points particuliers, l'incompatibilité entre le modèle sportif que L'Auto et L'Equipe inculquent au lectorat français et le projet olympique historiquement défendu par le CIO est criante. Après l'élection d'Avery Brundage à la présidence du CIO, le climat de défiance mis en évidence dans ce travail trouvera une autre expression. En 1953, les attaques personnelles de L'Equipe sur sa prétendue « vie dorée » seront de nature à assombrir les relations entre le nouvel homme fort du CIO et le quotidien sportif385.

385 Archives du CIO. Fonds Avery Brundage. Box 46, 47 et 48. IOC presidents and secretariat : Otto Mayer. 27 – 008, 137, 138, 167, 205 et 206 (Lettres échangées entre Otto Mayer et Avery Brundage). Voir aussi le commentaire sur une conférence de presse donnée à Lausanne en septembre 1953, dans Mayer Otto, op. cit., p. 245. 52 Bibliographie

Histoire du sport olympique :

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- Terret Thierry et Froissart Tony (dir.), Le sport, l’historien et l’histoire, Editions et Presses universitaires de Reims, 2013.

55 ANNEXESANNEXES

DeDe LosLos AngelesAngeles àà HelsinkiHelsinki (1932-1952)(1932-1952) ::

lesles quotidiensquotidiens sportifssportifs françaisfrançais devantdevant l'Olympismel'Olympisme

présentées par TOM BUSSEUIL

Doctorant au Centre Georges Chevrier (UMR 7366 – CNRS UB) de l'Université de Bourgogne-Franche-Comté

PROGRAMME DE BOURSES DE RECHERCHE POUR DOCTORANTS CENTRE D’ETUDES OLYMPIQUES DU CIO ANNEE 2015 L'Auto, 2 septembre 1932, p. 5.

La cérémonie de clôture des Jeux fut solennelle, mais trop affligeante

(suite de notre article de première page)

(…) L'incident Mooney !

Ce fut quelques instant avant que le défilé des drapeaux commençât que des énergumènes, quatre très jeunes gens et deux très jeunes filles surgirent sur la piste, ayant sauté du premier rang des tribunes. Déguisés en athlètes d'opérette, ils portaient écrit sur leur poitrine : « Free Tom Mooney », ce qui réclamait la liberté pour Tom Mooney, jeté en prison depuis 1916, protestant depuis de son innocence, affaire qui est l'objet de grosses controverses aux Etats-Unis.

Le plus curieux fut que cette exhibition parjure laisse le public sans réaction. Un peu de brouhaha, tandis que, sans que personne se fût interposé, les manifestants couraient à travers le terrain, autour de la piste, passant à côté des officiels dont un seul se jeta sur une banderole que brandissaient deux des garçons, et la leur arracha. Les policemen ne bougèrent pas. Et les six garnements eussent tranquillement regagné leur place si les organisateurs n'avaient prié la police d'intervenir. Alors les arrestations se firent dans le plus grand calme, les six trouble-fête reprenant les vêtements qu'ils avaient quittés dans les tribunes mêmes, sous les regards passifs des spectateurs voisins...

(…)

Jacques GODDET.

57 L'Auto, 2 septembre 1934, p. 4.

Les Jeux Olympiques

L'entraînement pour les J. O. est-il permis, en Allemagne, aux sportifs non-aryens ?

Nous avons dit récemment que le docteur Karl Ritter von Halt, parlant à Athènes, au nom du Comité Olympique allemand chargé de l'organisation des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, avait déclaré aux membres du C.I.O :

« … L'engagement pris à Vienne en juin 1933 est loyalement tenu. La possibilité de prendre part aux Jeux et de s'entraîner est donnée aux non-aryens. Des athlètes israélites de qualité ont été invités à prendre part aux Jeux de 1936.

[Photo prise au commencement du mois d'août entre Drükelsbuhl et Rotenburg : « Les israélites ne sont pas désirables ici.]

Bien plus, les organisations juives en Allemagne ont été invitées à faire des propositions et ont annoncé de nombreux athlètes pour les épreuves de sélection. La préparation des non-aryens est rendue possible... »

Une personne qui revient d'Allemagne nous signale qu'elle a lu à l'entrée de la piscine de Pegniz, dans la région de Bayreuth, la pancarte suivante :

« Juden Eintritt Verboten » (Entrée interdite aux israélites)

Voilà comment l'on permet aux non-aryens de pouvoir s'entraîner au sport de la natation », nous écrit notre ami, qui ajoute :

« Du reste, dans tous les petits villages de la région de Bayreuth, on lit les mêmes défenses, affichées à l'entrée et à la sortie des villages :

« Juden sind hier nicht erwunscht » (Les israélites sont indésirables ici)

« Juden sind unser Unglück » (Les israélites sont notre malheur), etc.

Nous ne voulons point prendre parti dans cette affaire. Mais si les dirigeants du Comité Olympique allemand veulent qu'on croie à leur volonté de permettre aux « non-aryens » de s'entraîner pour les Jeux prochains, il serait convenable que disparût de l'entrée des piscines – notamment celle de Pegniz – la pancarte : « Entrée interdite aux israélites ». C'est un raisonnement logique. - O. »

58 L'Auto, 2 septembre 1935, p. 4.

La question israélite aux J. O. peut faire rebondir le conflit Etats-Unis-Allemagne

Ainsi que nous l'avons écrit hier, en publiant d'ailleurs des extraits de l'article en question, M. Von Mengden, chef du service du führer des sports du Reich, vient d'établir un distinguo sur la question juive aux Jeux Olympiques de Berlin.

Distinguo qui résulte d'un article de ce même M. Von Mengden, paru dans l'Angriff, article par lequel l'auteur se plaint de la campagne anti-nazi faite à l'occasion des Jeux Olympiques, campagne politique, dit-il.

Mais à qui la faute ? Que lit-on entre les lignes de cet article qui va soulever quelque émotion aux Etats-Unis ? Que le 3e Reich n'aurait pas l'intention d'appliquer les mêmes mesures aux Israélites étrangers qui participeront ou assisteront aux Jeux Olympiques de Berlin qu'aux Israélites allemands.

Ce qui signifierait que les Jeux Olympiques de Berlin sont radicalement fermés aux Israélites d'Allemagne.

Or, comme c'est contre cette mesure invraisemblable, parce que radicalement opposée à l'esprit des Jeux Olympiques, ouverts à tout amateur, qu'il soit blanc, rouge, jaune ou noir, qu'il soit catholique, protestant, juif, musulman, bouddhiste, mormon ou athée, que les Etats-Unis ont protesté, plus ou moins officiellement, on se demande si l'article du sous-führer des sports ne va pas déclencher une nouvelle et vive campagne, tendant à l'abstention des Américains à Berlin.

Et cependant toute assurance avait été donnée à M. de Baillet-Latour, lors de son passage à Berlin... Alors que va faire M. de Baillet-Latour, président du Comité International Olympique ? - R. G.

×

De son côté, un de nos correspondants en Allemagne, nous écrit ce qui suit :

Berlin. 31 août – L'article de M. Von Mengden, paru dans le Reichsportblatt, organe officiel du führer des sports allemands, M. Von Tschammer-Osten, dont L'Auto donne aujourd'hui de larges extraits, a pour but de répondre aux attaques dirigées actuellement à l'étranger contre l'Allemagne sportive officielle à la suite des incidents racistes.

M. Von Mengden insiste sur le fait, d'ailleurs indéniable, que les sportsmen juifs n'ont joué, jusqu'à présent, aucun rôle notable dans le sport olympique du Reich. En ce qui concerne l'entraînement des membres des clubs non-aryens, l'auteur fait remarquer qu'il leur est loisible de disputer des matches entre eux et « qu'il ne leur est pas interdit par la loi » d'entretenir des relations sportives avec des clubs aryens. Toutefois, M. Von Mengden oublie de noter que la conclusion de matches entre Aryens et non-Aryens est pratiquement interdite par les dirigeants nationaux- socialistes et que M. le Reichssportführer a officiellement approuvé l'exclusion d'une section féminine des rangs d'un club berlinois parce qu'il avait joué au handball contre une équipe israélite.

59 Si l'auteur fait remarquer que la Fédération Allemande d'Athlétisme n'a pu admettre à ses championnats nationaux les athlètes non-aryens « parce que les clubs juifs ne font pas partie de la FAA », il sera certainement permis de lui demander pourquoi Mlle Bergmann (RF Stuttgart) et M. Schattmann (Maccabi-Berlin), ont été admis sans restriction aucune aux championnats régionaux organisés à Stuttgart et à Berlin par cette même fédération.

M. Von Mengden rappelle encore qu'il n'existe aucune loi interdisant aux clubs allemands d'accepter des membres juifs. Et comme aucun club français ou anglais ne pourrait être obligé d'accueillir des Allemands, on ne saurait contraindre les clubs allemands d'accepter des Israélites. M. Von Mengden nous paraît là confondre la question de « l'exclusivité nationale » avec celle du boycottage raciste.

Et lorsqu'il cite les paroles du Comte de Baillet-Latour pour défendre la thèse d'après laquelle « la politique n'a rien à voir dans le sport », nous lui répondrons tout doucement que ce n'est certes pas l'étranger qui cherche à mêler l'une et l'autre, mais bien l'Allemagne qui continue à écarter des rangs du sport national d'impeccables sportifs dont le seul crime est de n'être pas Aryens. - C. A. »

60 L'Auto, 29 novembre 1935, p. 1 et 5.

61 62 L'Auto, 16 mai 1935, p. 4.

Raisonnons

Avec ou sans crédits d'Etat, la France doit être représentée aux Jeux Olympiques de Berlin

Le forfait de la France aurait, en effet, des répercussions très graves

Irons-nous à Berlin ?

M. Paul Faure, secrétaire général du parti S.F.I.O., nous a déclaré déjà que le parti qui prendra le pouvoir le 2 juin – le sien – n'a pas encore étudié la question. Et il a ajouté :

« Politique et diplomatie sont deux choses différentes. »

Officiellement donc, la chose reste en suspens. Néanmoins, la presse politique s'est emparée de la question, et de nombreux confrères ont étudié le problème de notre participation aux Jeux de Berlin en fonction des sentiments qu'on prête généralement au futur gouvernement.

Pour nous, notre conviction est faite : la France sera représentée à la grande manifestation internationale du mois d'août. Avec ou sans l'aide du gouvernement...

Examinons, en effet, la question sous son angle réel. Et supposons – tout à fait gratuitement, d'ailleurs – que le gouvernement de demain refuse les crédits nécessaires au déplacement de nos athlètes.

Quelle signification attachera-t-il à ce refus ? Economie ? Tant pis. Il restera au Comité National des Sports, au Comité Olympique Français et aux fédérations olympiques le soin de trouver la somme nécessaire pour envoyer à Berlin une représentation fantôme dont le mérite essentiel sera de remplir les engagements que les sportifs français ont contractés envers le Comité Olympique Allemand.

Mais si le gouvernement attache à son refus de crédits la signification de désapprobation du déplacement de nos athlètes ? Tout d'abord, le Comité National des Sports et le Comité Olympique Français demanderont au gouvernement que la chose leur soit signifiée officiellement. Car, ne l'oublions pas, en 1932, le Comité Olympique Français n'a accepté l'invitation du Comité Olympique Allemand, organisateur des Jeux de 1936, qu'après accord du gouvernement du moment. Il voudra donc motiver la décision qu'il sera contraint de prendre par l'expression, précisément, de cette contrainte.

On imagine aisément le retentissement politique et diplomatique d'une semblable déclaration officielle.

Et puis, si une fédération olympique, un club, voire un seul athlète – comme Taris le déclare – veut faire le déplacement à ses frais (avec l'accord que le Comité Olympique Français ne saurait lui refuser), le gouvernement aura-t-il les moyens de s'y opposer sans sortir de la légalité ? Non...

63 ×

D'ailleurs, y a-t-il lieu de s'alarmer à l'avance ? « Politique et diplomatie sont deux choses différentes ». Et M. Blum, futur président du Conseil, n'a-t-il pas déclaré hier, au déjeuner de l'American Club : « Nous entendons vivre en paix avec toutes les nations du monde, quels que soient leur politique intérieure et leur régime » ?

N'est-il pas, au surplus, absurde de dire que les Jeux de 1936 seront des Jeux... hitlériens (!?). Comme c'est méconnaître le statut du sport international, neutre par essence !

On a fait également état de la question juive. Mais le Comité Olympique Allemand, auquel le CIO, maître des Jeux, a seul, délégué ses pouvoirs pour la célébration de la XIe Olympiade, n'a-t-il pas promis d'organiser les Jeux de 1936 sans aucune considération de religion ou de race ? Et n'a-t- il pas tenu scrupuleusement sa promesse, comme on a pu le constater cet hiver à Garmisch ?

Avons-nous, d'autre part, à juger le régime que se sont donné nos voisins quand ce régime n'est pas en cause ?

Allons. Faisons confiance à nos gouvernants. Il n'est pas un homme d'Etat, chez nous, qui envisagerait sérieusement de laisser protester la signature de la France pour une question de doctrine de parti.

Nous devons aller à Berlin...

Et très vraisemblablement nous irons avec la subvention gouvernementale. C'est le bon sens qui le veut.

Fernand Lomazzi.

64 L'Auto, 17 août 1936, p. 1 et 5.

65 66 L'Auto, 4 septembre 1936, p. 4.

67 L'Auto, 17, 18 mai 1941, p. 1 et 5.

Olympisme

Non : aborder en pleine guerre les problèmes d'olympisme ne constitue pas une « fuite dans l'oubli ». Nous sommes amplement d'accord là-dessus avec le docteur Carl Diem, dont la conférence sur le sujet vient de nous apporter, avec des vues claires et profondes, la preuve que les idées de Pierre de Coubertin n'ont été recueillies par aucune nation avec plus de ferveur que par l'Allemagne.

L'olympisme appartient à l'Histoire et, comme tel, s'intègre dans tous les moments de la vie moderne. Les hostilités peuvent suspendre la réalisation des Jeux. Mais point arrêter le développement de la pensée olympique.

Le docteur Carl Diem, retraçant la vie antique des Jeux Olympiques, nous rappela de quels principes originels ils étaient nés. Il est important d'en retenir le sens, afin de rechercher les liens qui les unissent avec les Jeux contemporains, dont l'essence même semble apparemment être en contradiction avec les Jeux primitifs.

L'encouragement aux exercices et aux compétitions physiques n'avait d'autre but, parmi la race intrépide des Doriens, initiateurs du mouvement, que de développer la virilité de leurs fils, tous destinés à la guerre. Les Jeux n'ont pas été fondés dans une atmosphère pacifique, bien au contraire. Ils étaient, en somme, un championnat de soldats, une démonstration publique des vertus de force physique, de caractère, d'héroïsme, nécessaires à la conduite victorieuse des batailles.

Coubertin ne l'oublia jamais. Le docteur Carl Diem en témoignait, rapportant la véritable intention du rénovateur en ce qui concerne la création du pentathlon : figurer un brave cavalier combattant, tirant au pistolet, puis, privé de sa monture, astreint à courir à travers la campagne, à passer des cours d'eau à la nage

Comment rejoindre de tels faits, de telles intentions aux buts pacificateurs, trop souvent prononcés pour être reniés, des Jeux de l'ère moderne ? Voilà la question que nous nous posions plus crânement encore après avoir revu les images cinématographiques essentielles des cérémonies protocolaires des Jeux de Berlin, cérémonies au cours desquelles la jeunesse du monde, défilant derrière ses drapeaux, réunissait sur un champ de bataille pacifique ses ambitions réciproques et aussi son idéal commun.

Déjà, ces images comportaient en elles-mêmes leur réponse. Les Jeux restent une réplique de nos besoins naturels de lutte pour la suprématie. Leur grande idée, s'opposant à celle de la guerre, est que le résultat importe beaucoup moins que n'importent le caractère de la lutte, les sentiments qui l'ont inspirée et surtout sans doute les raisons de l'effort fourni.

Les êtres humains doivent être constamment prêts à la bataille, à toutes les batailles. Sans cette perspective, la vie émolliente, lorsque vidée de tout souci et par conséquent de la nécessité de l'effort, crée la débauche et la corruption des mœurs. Dans les excès spartiates repose la volonté farouche de se placer sous l'esclavage de l'effort, également de la douleur, afin de devenir maître de son existence.

68 De telles théories, qui ont donné naissance aux Jeux Olympiques à l'aspect guerrier, ne s'opposent en aucune manière à la thèse de pacification par la compréhension et l'union de l'effort. Les Jeux modernes apportent, au surplus, l'espérance magnifique de la suppression de toute espèce de rancune chez le vaincu, de l'enseignement du respect constant que se doivent ceux qui ont affronté leur talent et leurs dons dans un idéal et avec une loyauté identique.

Jacques GODDET.

69 L'Equipe, 6 mars 1952, p. 8.

70 L'Equipe, 22 août 1952, p. 1.

24 HEURES DE SPORT

Une grande lueur d'espoir

Les politiciens professionnels jugent le monde à travers des rapports et des chiffres. Ont-ils pleinement apprécié l'importance de ce qui s'est passé à Helsinki pendant deux semaines ?

On voudrait ne pas en douter... D'abord, les premiers jours, les deux camps s'observaient avec méfiance ; les journaux et les agences – surtout américaines – avaient délégué leurs meilleurs reporters et photographes à l'affût du moindre incident... Sur le stade, ils observaient les moindres faits et gestes des athlètes soviétiques, parfois d'une façon assez agaçante...

Les athlètes de l'Est réagissaient sur la cendrée avec la même spontanéité que tous les autres athlètes du monde... Il se créait, jour après jour, une sorte de communauté du stade d'où toute arrière-pensée était bannie ; à la fin de la première semaine, la plupart des reporters spécialisés dans le sensationnel avaient quitté la capitale finnoise...

Dans le même temps, les champions soviétiques découvraient, eux aussi, leurs adversaires ; loin des slogans de propagande, ils semblaient apprécier la gentillesse de tous, des Américains surtout, grands enfants joyeux et libres sur le stade.

Mais les Jeux terminés, qu'allait-il rester de tout cela ?

Une conclusion provisoire

Si nous croyons devoir revenir sur ce sujet, c'est parce que nous venons de recevoir les extraits de la presse soviétique et ses conclusions...

La « Pravda » et les « Izvestia » ont consacré des colonnes entières à l'événement : « Sovietszky Sport » a doublé son format... et son tirage.

Mais le plus important n'est-ce pas l'interview finale accordée par M. Romanov, président du Comité Olympique Soviétique ? M. Romanov a insisté « sur la fraternité qui a uni les compétiteurs de tous les pays ». Il a souligné « que les Jeux avaient fait énormément pour la paix et qu'il fallait souhaiter que des contacts étroits et réguliers s'établissent entre les sportifs de l'Est et de l'Ouest ».

En somme, le rideau de fer est en passe de se lever...

Sans que l'on puisse rien affirmer avec une totale certitude, on peut tout de même penser que les deux semaines d'Helsinki ont fait davantage pour le rapprochement des clans que sept années de palabres et de calomnies réciproques...

Les sportifs ne peuvent encore crier victoire, mais ils ont fait surgir la première lueur d'espoir !

L'É 71 Archives du CIO. JO-1952S-CORR. San Francisco Chronicle, 5 août 1952, p. 14.

72 73 L'Auto, 14 juillet 1932, p. 1 et 4.

Les Jeux Olympiques

L'esprit d'indépendance qui préside à l'existence du C.I.O.

Et la raison vraisemblable pour laquelle l'aréopage olympique est attaché à une formule périmée de l'amateurisme

Lausanne, juillet. - Le colonel Berdez, secrétaire général du C.I.O., nous accueille la main largement tendue.

« L'Auto est ici chez lui, mais je dois vous dire tout de suite que toute interview m'est formellement défendue. Tout au plus puis-je vous donner des renseignements d'ordre courant.

- Eh bien, nous nous contenterons de renseignements d'ordre courant. C'est bien ici que s'est réunie la Commission Exécutive du C.I.O. ? Dites-moi, quelle a été l'attitude des délégués devant la proposition de création du statut amateur à l'usage des athlètes de classe internationale ?

- L'affaire a été renvoyée à la session de Vienne. C'est tout ce que je puis vous dire. Tout le reste serait interview, je vous saurais gré de ne pas insister.

- Je n'insiste pas, mais tout de même j'attendais quelque chose de plus positif. Dame ! N'êtes- vous pas un organisme officiel ?

La personnalité civile et morale du C.I.O.

- Eh bien ! Puisque vous me tendez involontairement la perche, je vais essayer de vous donner satisfaction. Ce que je vais vous dire est assez important pour justifier un papier et est assez « courant » pour ne pas me valoir l'accusation de donner une interview. Je voudrais faire une simple mise au point que j'estime au surplus nécessaire. Car on ignore, généralement, quelle est le rôle exact, la personnalité du C.I.O. On a dit et écrit de nombreuses inexactitudes à notre sujet. Tout d'abord, c'est notre titre qui prête à confusion. On pense trop souvent que nous sommes l'émanation des comités olympiques nationaux. C'est faux. Les C.O. nationaux dépendent du C.I.O., mais celui- ci ne leur est rien, matériellement parlant. Notre groupement désigne ses membres, à raison d'un nombre proportionnel à l'importance de chaque pays. Il a seul qualité pour ce faire, il n'a pas à tenir compte d'intérêts nationaux, politiques, sportifs, sentimentaux ou autres. Cette indépendance de ses membres est voulue, elle est un acte moral à la base même de l'idée qui préside à notre existence. Le C.I.O. a pour but essentiel d'organiser et de légiférer les Jeux modernes. C'est là une tâche si délicate, si importante qu'elle ne saurait s'accommoder de pressions nationales, si honorables soient- elles. Le C.I.O. plane sur les nations. Il ne dépend d'elles à aucun titre.

74 Le C.I.O. et les Comité Olympiques nationaux

« D'ailleurs, le même esprit de liberté anime ses membres qui, non seulement, ne reçoivent aucune indemnité, mais encore paient eux-mêmes leurs déplacements. C'est l'aréopage, l'instance dernière des Jeux Olympiques.

- Mais alors, les Comités Nationaux ?

- Le C.I.O. leur a donné un mandat exécutif déterminé très exactement. S'ils doivent tenir compte des indications du C.I.O., celui-ci n'est tenu à aucun titre à examiner leurs suggestions. Nos membres, dans chaque pays, sont simplement des agents de transmission de nos décisions.

- Une dictature , alors ?

- Le mot ne change rien à la chose. D'ailleurs, l'intégrité, le dévouement et le désintéressement de nos membres de nos membres nous mettent à l'abri de toute interprétation péjorative de notre statut.

- Mais alors faut-il trouver dans cet esprit désintéressé du C.I.O., dans cet amateurisme rigide, l'explication de l'attachement indéfectible du C.I.O. à l'amateurisme intégral ?

- Déduisez ce que vous voulez, je n'ai pas le droit de répondre.

- Car, enfin, un jour ou l'autre, l'amateurisme devra se moderniser à son tour. Ce jour-là, le C.I.O. abandonnera-t-il la lutte et – conséquence paradoxale peut-être – viendra-t-il à une constitution démocratique ?

- Comment voulez-vous que je vous réponde ? Je suis un agent d'exécution, c'est tout. »

Le bout de l'oreille

C'est sur ces paroles que prit fin notre entretien. Nous n'avions pas appris grand-chose. Néanmoins, notre esprit avait été éveillé par les données du problème. Ce fut assez pour nous inciter à pousser plus avant la question. La vérité semble être ceci : Le C.I.O. craint tout simplement, en supprimant l'amateurisme, d'aboutir à une rupture avec les pays anglo-saxons.

Cette vérité, il est bon qu'on la connaisse, car le jour viendra où, envers et contre les pays anglo- saxons, il faudra arriver à assouplir nos doctrines.

Fernand Lomazzi.

75 L'Auto, 30 août 1934, p. 1 et 2.

D'UN JOUR A L'AUTRE

Epuisons le sujet !

Par HENRI DESGRANGE

Les Jeux Olympiques ont-ils déterminé, provoqué ou, plus simplement, favorisé le développement de l'amateurisme marron ? Telle est la question que l'on pose en ce moment à un certain nombre de personnalités sportives, dont l'une s'est prononcée pour la négative et l'autre pour l'affirmative.

Tout mauvais cas est niable : c'est trop évident, mais il faut avoir bien « du vice » quand même pour penser que le serment obligatoire des Jeux Olympiques prêté par des jeunes gens que rien ne prédisposait à l'amateurisme, n'a pas mis ces jeunes gens en nécessité de se parjurer.

Ce qui est vrai aussi, c'est qu'au moment où la résurrection des Jeux Olympiques est acquise ; c'est-à-dire en 1896, si ma mémoire est bonne, nous avons adopté, déjà, une doctrine d'amateurisme telle qu'elle va nous conduire fatalement à l'amateurisme marron le jour où le sport, se développant, sortira des milieux scolaires pour déborder sur les milieux populaires.

Voulez-vous vous imaginer quelle était la situation sportive à ces époques lointaines ? Le sport était essentiellement universitaire, essentiellement scolaire : il était pratiqué par les mêmes éléments sociaux qu'en Angleterre.

Vers quelque sport que l'on portât ses regards en France, il n'y avait que des amateurs. Le premier Bordeaux-Paris cycliste se courut « amateurs ». Les quelques professionnels français avérés n'y purent participer et s'ils s'engagèrent dans Paris-Brest et retour, 3 mois plus tard, on peut dire qu'ils ne comptaient que quelques unités et que les quatre cinquièmes des partants étaient de parfaits amateurs.

En athlétisme, l'Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques continue à la fois la tradition de Paschal Grousset et des Lendits scolaires, et l'impulsion donnée à la jeunesse d'enseignement secondaire par le Père Didon au Lycée Lakanal.

Qu'est-ce qui vient ensuite gâter cette excellente situation sociale ? Les Jeux Olympiques ? Pas du tout : au moins dans le début, puisqu'il n'y a vraiment en sport que des amateurs indiscutables.

Mais comment naît l'amateurisme marron ? Qui va le faire naître ? Qui va le couvrir, le défendre, le couver ? Tâchons de l'expliquer et si nous l'expliquons clairement, il devra apparaître que la grosse faute des Jeux Olympiques ne fut pas de créer le faux amateurisme, mais bien de ne pas le répudier dès que sa naissance fut devenue indubitable.

L'amateurisme marron naît le jour où un club offre à l'un de ses membres son maillot ou ses souliers à pointes, ou bien le dispense de payer sa cotisation sous prétexte qu'il ne peut assumer ces dépenses légères, ou sous le prétexte encore plus défavorable qu'il a de la qualité et qu'il faut 76 l'attacher à son club.

L'amateurisme marron naît de la criminelle indifférence de l'Etat vis-à-vis de l'éducation physique de la Nation, indifférence qui laisse aux entreprises privées, nous parlons ici des clubs, le soin d'édifier des stades, et d'en chercher l'amortissement dans une exploitation inévitablement commerciale. Le stade construit, la maison commerciale est née. A cette exploitation il faut des artistes, puisqu'elle est contrainte de faire des recettes. Et comment avoir, sans les payer, des artistes d'autant plus intéressés qu'on les recrute dans les milieux les moins riches et qu'ils ne sont pas assez naïfs pour ne pas savoir que ce sont eux qui font venir cette recette indispensable.

L'amateurisme marron est né, enfin, du premier spectacle sportif donné guichets ouverts, par une fédération.

J'ai eu souvent occasion de bien dire que, dans l'ordre des responsabilités, la Fédération en portait de beaucoup plus lourdes que le club, d'abord, parce que, en principe, la fédération n'a pas construit de stades et ensuite, et surtout, parce que c'est la fédération qui est chargée de la morale du sport qu'elle régit et point du tout de l'exploiter.

Et c'est ce qu'ont parfaitement compris, et l'Union Vélocipédique de France et la Fédération Française de Boxe, qui n'organisent jamais aucun spectacle sportif au profit de leur caisse.

On dit, très justement, que la fédération dont l'Etat ne s'est jamais occupé, à laquelle il donne une subvention annuelle presque toujours aussi misérable, est bien contrainte de faire des recettes si elle veut développer le sport qu'elle dirige, en augmenter les adeptes, etc.

Adoptons ce postulat, encore qu'il nous serait facile de citer les deux Fédérations ci-dessus qui vivent fort bien sans recettes de guichets ; et disons que les autres, en ouvrant leurs guichets, obéissent à des nécessités inéluctables. Mais si cela est admis, qu'elles aillent jusqu'au bout de la franchise. Qu'elles paient leurs artistes ; qu'elles ne continuent pas à appeler amateurs purs tous les amateurs marrons qu'elles emploient ; qu'elles n'envoient pas ses amateurs marrons aux Jeux Olympiques ; que les Jeux Olympiques qui eux, n'ouvrent pas leurs guichets, ne les acceptent pas au serment olympique.

Cela paraît d'une simple honnêteté, d'une enfantine facilité. Eh bien ! il paraît que c'est très difficile, pour ne pas dire : impossible, puisque seule, notre 2 F.A. y est arrivée pour le cas Ladoumègue.

Et c'est parce que la chose semble finalement impossible, que beaucoup de bons bougres, lassés d'avoir tant et si inutilement combattu pour le triomphe de la simple honnêteté, en arrivent à se dire que le mieux serait peut-être de ne pas insister, de faire comme en Italie, c'est-à-dire : pas de distinction entre les amateurs et les professionnels et de laisser à chacun le soin de toucher ou de ne pas toucher ce qui ne changera rien d'ailleurs à la situation actuelle, puisque comme avant c'est toujours le fils de ma concierge qui touchera et c'est toujours le baron de Rothschild que ne touchera pas.

Nous y aurons gagné, ce qui est appréciable, de la bonne et honnête franchise et la disparition définitive de l'amateurisme marron, qui est bien, en sport, la plus dégoûtante chose que l'on puisse imaginer.

77 L'Auto, 24 avril 1935, p. 1 et 2.

78 79 Archives du CIO. PT-BRUND-CORR. Lettre de Garland à Baillet-Latour du 22 janvier 1937.

80 L'Auto, 29 juin 1936, p. 6.

UNE BELLE OCCASION

Par Henri DESGRANGE

Notre collaborateur Robert Perrier, en ce moment en mission pour notre journal aux Etats-Unis, nous apprend que Gene Venzke, ouvrier maçon, a été embauché par l'Université de Philadelphie pour représenter son pays aux prochains Jeux Olympiques de Berlin. Il touche, de ce fait, tout ce qu'il faut pour vivre et n'a plus que le souci de s'entraîner.

Perrier nous apprend aussi qu'un quarteron de nègres, recrutés dans des conditions à peu près identiques, seront chargés, dans les épreuves de vitesse pure, de faire monter le drapeau étoilé en haut du mât olympique.

Nous savions déjà depuis deux ans, par une enquête du même collaborateur, que ces pratiques étaient courantes aux Etats-Unis ; ce ne sont donc que des détails qui viennent s'ajouter à ce que nous savions de la malpropreté du serment olympique.

L'invraisemblable est que cette malhonnêteté dure encore et que le fondateur des Jeux Olympiques n'hésite pas à avouer que c'est la nation américaine qui a le mieux compris l'esprit des Jeux Olympiques.

Nous avons en France un nouveau gouvernement, duquel, sans faire de politique, on peut dire qu'il est le premier à s'être présenté à l'opinion publique avec des idées sur la portée éducative du sport et avec des projets de belles réalisations.

Si nous ne nous abusons, toutes les formations sportives françaises ralliées à la politique du gouvernement actuel pratiquent le sport pour les joies qu'il impartit à ses pratiquants. Courent-elles seulement pour des médailles ?

Eh bien ! voilà précisément pour ce gouvernement une magnifique occasion de dire de belles vérités et de faire un noble effort pour ramener le sport olympique vers un peu plus de pudeur.

Qu'il empoigne vigoureusement la question pour les Jeux de 1940 et il aura fait ainsi l’œuvre sportive la plus noble et la plus honnête. Le bon sens français n'aurait pas compris que nous n'allions pas à Berlin sous le prétexte purement politique que la formule de gouvernement des Allemands est l'opposé de la nôtre. Par contre, nous aurions tous applaudi si la France, une fois de plus sur le chemin de l'honneur, avait refusé d'envoyer à Berlin ses amateurs pour lutter contre les Gene Venzke et autres Metcalfe. A vrai dire, il était bien tard pour adopter une semblable attitude : mais ce qui est différé n'est pas perdu et ce qui ne se put pas en 1936 sera parfaitement possible en 1940.

En attendant, rien ne nous empêche, du seul point de vue sportif, de considérer que les 600.000 francs retirés aux Jeux de Berlin pour être attribués aux Jeux de Barcelone ont marqué une très compréhensible préférence pour le désintéressement du sport ouvrier en opposition avec le sport

81 professionnel qui va se pratiquer à Berlin.

Nous irons donc à Berlin pour ramasser les casquettes réservées aux amateurs bon teint et aux idiots que nous sommes. Avouerai-je qu'en pareille matière je préfère être dans le camp des idiots et que je suis beaucoup plus fier d'appartenir au pays à et la fédération qui ont disqualifié Ladoumègue en 1932 que si j'avais appartenu à celui qui a présenté Metcalfe et autres professionnels.

Mais non, nous ne sommes pas dans le camp des idiots, nous sommes dans le camp des honnêtes gens, et il faudra bien qu'on finisse par nous entendre, et on nous entendra beaucoup mieux et beaucoup plus vite si c'est le gouvernement français qui grogne comme Lebret, au lieu de laisser ce soin aux petits sportifs que nous sommes.

82 L'Auto, 16 février 1934, p. 11.

83 L'Equipe, 17 novembre 1950, p. 6.

UN DOCUMENT INEDIT SUR L'AMATEURISME

L'U.R.S.S. accorde toujours à ses sportifs d'importantes primes en espèces

Elle les considère comme « serviteurs de l'Etat » au même titre que les savants ou les littérateurs et les récompense à ce titre

Nous publions à titre documentaire un rapport scandinave publié par plusieurs journaux suédois. Etablis d'après des documents soviétiques d'origine esthonienne (journaux et écoutes de radio) les faits exposés paraissent indiscutables. Nous les exposons en faisant observer que la solution proposée par les Russes au problème sur l'amateurisme ne nous choque pas.

Les champions sont des « serviteurs de l'Etat » comme les savants et les littérateurs et récompensés à ce titre. Certes les règlements du CIO s'opposent encore à une formule aussi claire. Mais même dans les pays très respectueux des lois de l'amateurisme, il y a des fissures. Des polémiques récentes l'ont démontré en tout cas en ce qui concerne la France...

Voici le texte diffusé en Suède :

« Au Congrès Olympique du printemps de 1950, à Copenhague, M. Otto Mayer, chancelier du CIO annonça aux membres du Congrès que, depuis 1947, l'Union Soviétique n'avait pas répondu à trois demandes de participation aux Jeux Olympiques. La dernière fois, on avait même adressé la demande sur une machine à écrire à caractères russes, afin d'avoir la certitude que la lettre serait comprise. La même bonne volonté fut témoignée par le CIO au cours de l'été de 1947, avant les Jeux Olympiques de 1948. Le CIO annonça que les prix en espèces attribuées aux sportifs soviétiques ne serait plus toléré.

L'Union Soviétique parut accepter ces décisions et fit savoir par la radio et dans la presse que les sportifs soviétiques recevraient dorénavant des médailles pour les records, les championnats et les performances remarquables.

La situation a-t-elle changé au courant de ces années, conformément aux règlements du CIO ?

Le journal officiel esthonien-soviétique « Rahva Haâl » du 20 juillet 1949 donne une réponse à ce sujet. Ce journal est l'organe du parti communiste esthonien : sa circulation est purement intérieure, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible de s'y abonner ou de l'acheter en dehors de l'U.R.S.S., comme par exemple les journaux moscovites « Pravda » et « Isvestia ». Ce journal publie un règlement esthonien-soviétique : pour l'attribution des prix en espèces esthoniens-soviétiques, pour performances au cours de l'année 1948 : conformément aux décrets du président du Soviet suprête esthonien, en date du 6 novembre 1946 et du 16 juillet 1948. Les noms des bénéficiaires et le montant des prix en espèces se trouvent dans la liste suivante :

1. Sciences. 2. Inventions et Rationalisations. 3. Hauts faits accomplis dans l'industrie. 4. Hauts faits dans l'agriculture. 5. Littérature. 6. Théâtre et cinéma. 7. Musique. 8. Peinture et architecture. 9. Education. 10. Education culturelle. 11. Activités artistiques indépendantes. 12. Santé publique. 13. CULTURE PHYSIQUE ET SPORTS.

84 Les prix attribués aux meilleurs sportifs étaient les suivants :

Un prix de 1.500 roubles (4 roubles soviétiques sont l'équivalent d'un dollar), attribuée à E. Edasi pour avoir battu les records esthoniens-soviétiques de brasse homme de 100 mètres en 1' 14'' 4 ; de 200 mètres en 2' 51'' ; de 400 mètres en 6' 8'' 7.

Un prix de 1.000 roubles à :

1' A. Reintam, pour avoir battu le record esthonien-soviétique de 400 mètres brasse féminin en 6' 50'' 4 ;

2' E. Veetousme, pour le record esthonien de 1.000 mètres course à pied hommes en 2' 22'' 4 ;

3' B. Jung, pour le record esthonien-soviétique et soviétique des 3 kilomètres et 5 kilomètres marche pour juniors en 13' 26'' 6 et 23' 51'' 4.

(Suivent huit autres attributions...)

Pour son jet de 16 m. 72 au poids, Heine Lipp a touché 3.000 roubles en tant que recordman d'Esthonie. Les primes sont plus élevées sur le plan national... Rappelons que quatre roubles soviétiques sont légalement équivalents à un dollar (le rouble vaut donc 85 francs environ, mais son pouvoir d'achat est largement inférieur à ce chiffre).

Après le match d'athlétisme U.R.S.S.-Hongrie en juillet 1950, les officiels soviétiques, l'entraîneur général Homenkov et la championne Romanova ont informé leurs collègues hongrois que les meilleurs athlètes soviétiques s'entraînent toute l'année, que de janvier à mai ils sont dans l'obligation de s'entraîner cinq fois par semaine, et que de juin à septembre ils disputent en moyenne 40 compétitions. Ils dirent également que l'équipe nationale soviétique et ses remplaçants passent environ trois mois dans des camps d'entraînement : six semaines en mars et avril et le reste du temps avant les matches internationaux et intersoviétiques.

Les dépenses des athlètes soviétiques sont payées par le gouvernement et spécialement par les ministères de l'Intérieur (M.V.D.) et de la Sécurité Nationale (M.G.B.). Le « Rahva Haâl » (6 août 1950), porte-parole du parti communiste esthonien, précise qu'il n'y avait, dans l'Esthonie bourgeoise, que 9.000 sportifs : aujourd'hui, l'Esthonie soviétique dispose d'une armée de 120.000 sportifs.

Le Comité International Olympique International et la Fédération Internationale ont le choix entre trois solutions :

1' Légaliser la situation actuelle lorsque la conception de l'amateurisme est interprétée d'une façon différente en Europe occidentale qu'en Union Soviétique, c'est-à-dire autoriser chaque nation à faire ce qu'il lui plaît ;

2' Modifier les règlements existants et les adopter à ceux pratiqués par l'U.R.S.S. ;

3' Exclure l'U.R.S.S. de la participation dans les Championnats internationaux et supprimer les records des athlètes soviétiques des tables de records. (Traduit par O. KRUYT)

85 Archives du CIO. PT-BAILL-CORR. Lettre de Baillet-Latour à Kentish du 19 novembre 1924.

86 87 Archives du CIO. PT-PDC-ECRIT. Lettre de Desgrange à Coubertin du 2 septembre 1932.

88 L'Equipe, 24 janvier 1952, p. 1 et 6.

Précisions avant le congrès olympique d'Oslo M. OTTO MAYER Chancelier du CIO ne veut pas connaître les gouvernements

« En matière d'olympisme, nous ne reconnaissons qu'une seule autorité : celle des Comités olympiques nationaux » (De notre correspondant général Vico RIGASSI)

LAUSANNE. - Lorsque nous avons lu que la Fédération Française de Ski faisait opposition à la sélection du jeune fondeur Mermet, du fait qu'il n'avait pas encore vingt ans, nous sommes allés voir M. Otto Mayer, chancelier du CIO, providence des journalistes.

« L'art. 40 des règles générales applicables à la célébration des Jeux Olympiques est clair – nous a-t-il précisé – car il dit textuellement : il n'y a pas de limite d'âge pour les concurrents aux J.O., mais nous laissons le soin à chaque fédération internationale d'appliquer ses propres règlements techniques et sportifs.

Car si les Fédérations internationales ont leur mot à dire, les Comités olympiques nationaux – que le CIO réunira à Oslo – doivent sauvegarder leur autorité en matière olympique. J'ai lu avec stupéfaction – ajoute M. Mayer – un article dans un grand quotidien parisien, par lequel j'ai appris que la délégation française aux J.O. d'Oslo et de Helsinki sera dirigée ou conseillée par une délégué du gouvernement ou d'un ministère. Or, s'il est vivement souhaitable que les gouvernements ou les pouvoirs publics de tous les pays mettent les sommes nécessaires à la participation aux J.O. à la disposition des Fédérations et des athlètes, la tradition et nos statuts veulent que le Comité olympique national ait la haute direction aussi bien sur la répartition de ces sommes – qui doivent être dépensées à bon escient et contrôlées par les autorités – et sur la désignation des accompagnateurs officiels.

Conflits à résoudre

Nous ne devons pas oublier que le Comité olympique national est seul responsable envers le CIO et que, par conséquent, le CIO n'entretient pas et ne doit pas entretenir des rapports avec les gouvernements ou les autorités d'un pays (si ce n'est des rapport d'amitié et de courtoisie). Ce point et d'autres seront soulevés et examinés lors de la session à Oslo, où le CIO recevra les délégués des Comités olympiques nationaux.

- Avez-vous d'autres problèmes à résoudre, monsieur le chancelier ?

- Il y en a tous les jours. Ainsi un nouveau conflit a éclaté entre les deux Irlandes au sujet de la sélection des escrimeurs : les deux Comités olympiques allemands ne sont pas encore d'accord, mais nous ne reconnaissons que le CO de l'Allemagne occidentale ; le Liban a un nouveau délégué au CIO ; les Russes ne manifestent jamais d'une façon précise leurs intentions, bien qu'au congrès de 1951 à Vienne, ils nous aient donné toutes les assurances et manifesté leur vif désir de collaborer étroitement avec le CIO. Enfin, les nombreux pourparlers que nous aurons à Oslo contribueront à éclaircir l'horizon olympique et à renforcer la lutte pour l'idéal si cher à Pierre de Coubertin. »

Auparavant, M. Mayer nous avait indiqué qu'il importait qu'en matière de logement et de nourriture chacun soit à égalité de traitement et qu'à cet égard la Finlande n'avantagera personne.

89 L'Auto, 13 juillet 1932, p. 1 et 5.

L'Egypte veut être représentée au C.I.O. par un Egyptien

Le C.I.O. rejette brutalement cette demande raisonnable et justifiée

Les Egyptiens ne participeront pas aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Nous avons donné cette information. D'Egypte, nous recevons une brochure envoyée à tous les membres du Comité International Olympique.

Représentée depuis 1908 au sein du C.I.O. par un délégué qui n'a point sa nationalité, l'Egypte, dit la brochure, veut se délivrer d'une tutelle qui lui pèse, en confiant à un Egyptien le soin de parler en son nom.

Le délégué de l'Egypte au C.I.O. est, depuis 1908, M. Bolanachi, de nationalité grecque.

Autant que nous nous rappelons les Jeux Olympiques de 1924 – ceux de Paris -, M. Bolanachi est une personnalité sympathique et dévouée. Aussi bien, les Egyptiens la proclament :

Il est indéniable, lit-on dans la brochure, que M. Bolanachi a rendu à la cause sportive de grands services durant les 24 années pendant lesquelles il eut l'honneur de représenter l'Egypte au sein du C.I.O.

Mais les Egyptiens pensent, raisonnablement, qu'ils peuvent maintenant être représentés au Comité International Olympique par l'un des leurs.

Comme ils connaissent les statuts du C.I.O. qui veulent qu'un délégué est élu à vie, ils demandent – toujours raisonnablement – que l'Egypte ait droit à un second délégué, lequel serait de nationalité égyptienne.

L'intransigeance du C.I.O.

M. de Baillet-Latour, président du Comité International Olympique, fut avisé de cette demande logique par le ministre de l'Instruction Publique d'Egypte qui lui fit part de ce vœu, au nom de toutes les fédérations sportives égyptiennes.

Le président du C.I.O. se contenta d'une réponse désinvolte, tranchante dans la forme, négative quant au fond : Nos membres étant nommés à vie, écrit-il, il n'y a pas de place vacante, parce que l'importance sportive ne justifie pas la nomination d'un second délégué.

90 Où va-t-on ?

Cette réponse est inadmissible.

Certes, voilà 24 ans, l'Egypte n'était pas même une nation, politique parlant. Sportivement ? Elle n'existait pour ainsi dire point. Et nous ne faisons aux dirigeants du C.I.O. d'alors aucun reproche d'avoir accepté un représentant qui ne fût pas de nationalité égyptienne.

Mais depuis 24 ans, alors que la terre a tourné dans le même sens, les Egyptiens ont évolué dans un autre sens : il sont devenus sportifs ; il se sont organisés ; leurs fédérations existent ; les pouvoirs publics égyptiens s'intéressent à la chose sportive au moins autant que de nombreux pays du continent.

Peut-être que la valeur sportive de l'Egypte ne mériterait pas deux délégués au sein du C.I.O., mais il y a là un cas particulier, puisque le premier délégué fut, pour des raisons d'espèce, choisi parmi des étrangers.

Là, nous ne comprenons plus : que le C.I.O. ne veuille pas débarquer son délégué « égyptien » de 24 ans, passe encore, mais qu'il ne veuille pas placer à côté de lui, même si l'importance du sport égyptien ne le méritait pas, un second délégué égyptien, nous sommes désemparés !

Le C.I.O. accumule erreurs sur erreurs.

Serment olympique prêté, mais non tenu ; problème de l'amateurisme reporté à 1933 au lieu d'être réglé en 1932 ; présence de Nurmi à Los Angeles, ce qui est un défi au bon sens ; refus brutal donné à la demande si raisonnable des sportifs d'Egypte. Vraiment, on croirait que les dirigeants du C.I.O. veulent, eux-mêmes, tuer leurs Jeux Olympiques modernes... - Marcel Oger.

91 L'Auto, 22 juin 1944, p. 1.

92 L'Equipe, 6 novembre 1946, p. 3.

En vue des Jeux de Londres

par Victor BREYER

Le moment approche où les pouvoirs sportifs intéressés se pencheront sur l'organisation technique et matérielle des prochains Jeux Olympiques qui auront lieu, on le sait, à Londres en 1948.

Il semble que jamais cette organisation ne se sera présentée sous les meilleurs auspices grâce à l'état d'esprit qui se dégagea des réunions tenues l'autre mois à Lausanne.

Pour la première fois depuis 1938, les délégués des fédérations internationales de chaque sport, et ceux du Comité International Olympique avaient été convoqués conjointement pour discuter des modalités d'organisation du meeting quadriennal. Or, ce n'est un secret pour personne qu'à plusieurs reprises, au cours des années qui précédèrent la guerre, de sérieuses divergences de vues s'étaient révélées, assez graves pour faire craindre une rupture entre les organismes intéressés.

A Lausanne, les observateurs quelque peu avertis pouvaient ainsi redouter un choc, voire un conflit. Rien de pareil ne s'est produit. Bien au contraire, du congrès est sorti l'établissement d'un « ordre nouveau » que je désignerai volontiers sous le nom de front unique, réalisé grâce à l'entente des dirigeants olympiques et fédératifs. J'ajoute qu'à mon avis le mérite de cette réalisation revient pour une large part à la fine et souriante diplomatie de M. Edström.

Ainsi, le résultat désirable a été obtenu. La base de la façon de traité de paix réalisé repose sur une collaboration que tout permet de prévoir à la fois confiante et durable entre les deux parties. C'est en quelque sorte une séparation amiable des pouvoirs. D'une part, le CIO conserve la haute main sur la direction administrative et protocolaire de la gigantesque entreprise ; de l'autre, les fédérations se trouvent habilitées comme agents d'exécution de la partie sportive proprement dite.

Ce Congrès, chargé de promesses flatteuses pour la survivance de l’œuvre de Pierre de Coubertin, permet d'espérer que l'organisation des Jeux de 1948 se fera dans l'harmonie des intérêts en présence.

93 L'Equipe, 9 août 1948, p. 3.

LES FAITS ET LES HOMMES

LES JEUX DEBORDES par l'évolution du sport

LONDRES. - On conçoit que la périodicité quadriennale des Olympiades, au temps de la Grèce antique, était une nécessité pratique. Pour les athlètes désignés à l'honneur de participer, la traversée de quelques provinces exigeait plus de temps et d'effort qu'il n'en faut aujourd'hui pour monter dans l'avion New-York-London. Engoncés dans le carcan de leur col cassé et de leur snobisme olympique (respect de la tradition, dévotion au sport soi-disant désintéressé), un lot de dirigeants rassis ne s'aperçoit pas que les conceptions dont ils se sont déclarés les gardiens prennent du retard sur l'évolution de la vie moderne, et que tout retard, au moment où le monde plonge dans une civilisation nouvelle, parle la mort en lui.

Sur trois plans, au moins, solidaires les uns des autres, les Jeux Olympiques, tels qu'ils ont été répétés à Londres, ont perdu leur signification de base :

1. - Périodicité : un athlète de classe ne peut plus attendre quatre ans pour participer au combat suprême ;

2. - Qualité qualificative : une seule règle possible, l'entrée aux meilleurs ;

3. - Mélange hétéroclite des différents sports et choix des spécialités : le tournoi de football ressemble à un concours de chant auquel participeraient en même temps les vedettes du bel canto et les débutants des crochets radiophoniques.

S'obstiner à calquer des rites vieux de 2.000 ans, c'est seulement une coupable vanité d'humanistes de pacotille.

La vie d'un athlète est si courte...

Le sport est devenu un monstre dévorant. Il est si haut, il a tellement d'appétit, il exige de chacun de ses fidèles tant de renoncements que, à l'échelon international, il abrège la carrière du champion. Il faut, à l'homme de classe, le ressort de la pleine jeunesse, la flamme irradiante de cette foi aveugle, qui n'appartient guère qu'aux novices, parce qu'ils n'ont pas encore été rebutés.

Voyez le matériel américain. Sa force, c'est son renouvellement. Le gosse qui vient est, par principe, préféré à la vieille gloire qui dure. La morale sportive n'en est pas éprouvée. Il s'agit uniquement, rappelons-le, de compétition, donc d'expérience et de propagande. Peu importe le moyen pourvu que le but soit atteint. Le succès devient un élément procréateur.

Alors, cette longue césure de quatre années, cela ne veut plus rien dire, non vraiment, plus rien dans un monde tourmenté qui se heurte, se brise et combat la vie même. Combien d'Hansenne sont

94 les victimes du respect stupide de la périodicité ?

Évidemment, si ces grands tournois deviennent biennaux ou même – pourquoi pas ? - annuels, s'ils perdent la marque essentielle des foules helléniques, alors perdront-ils aussi leur joli titre ? Et qu'importe, qu'il s'agisse des Jeux Olympiques ou de Championnats du monde ! La terminologie n'est rien. La vie ardente du sport seule compte.

La multiplication des chances influencera heureusement, à mon sens, l'esprit de la compétition. L'espoir de pouvoir revenir sur la ligne de départ est un apaisement. La volonté de conquête, lorsqu'elle s'exprime en absolu, porte en elle les pires dangers. L'athlète qui joue sa carrière sur un coup de dés tous les quatre ans (quatre ans, quand tout va bien) est un péril.

La doctrine unique : honnêteté sur le stade

On ne se bat pas à Londres pour les insolubles problèmes de qualification des athlètes. On s'est résigné, uniquement, à respecter les décisions de chaque fédération nationale. Chacune d'elles étant bien décidée à présenter ses meilleurs athlètes, d'où qu'ils sortent. On évite ainsi l'hypocrisie des discussions et des jugements. Ce fut donc une sorte de pacte, cette complicité un peu lâche, mais rendue nécessaire tant que les textes et les coutumes resteront inchangés.

C'est ainsi que Jieino, professionnel avéré, a pu courir (bien lentement d'ailleurs) son marathon, que les pompiers suédois, en permission illimitée, ont pris tout leur temps pour éteindre l'incendie de la bataille, que le jeune Bruce Harland, professeur de culture physique (au bord de sa piscine californienne), s'est aisément trouvé dans sa meilleure forme afin de remporter le titre d'acrobate du plongeon, que Harris, sprinter cycliste fort expérimenté de la classe de Van Vliet, Scherens, Gérardin, continue à piétiner les plates bandes de gamins qui viennent à peine de finir de sucer leur première valve.

A côté d'eux, au cœur de ce méli-mélo, le lieutenant grimaçant Zatopek jette son cœur immense dans le tabernacle du stade. Finlay projette, dans sa chute dramatique, l'hommage de son long sacerdoce. Un point de rencontre pour tous : le désir de vaincre. Chacun s'est servi de moyens différents afin d'y parvenir, chacun porte en soi l'insondable de ses intentions.

Mais ces hommes sont aussi des mécaniques expérimentales. Leurs essais valent pour le bien de la masse. Leurs exemples sont de toute manière des encouragements. La vertu sportive ne se trouve pas seulement dans l'état d'âme, mais aussi dans le comportement. Le professionnel de fait ne serait- il, à priori, aussi honnête que l'amateur de pensée ?

Du régime restrictif et solennel, on est déjà passé au régime de tolérance tacite. Il va falloir libérer totalement le sport de compétition de l'hypothèque morale qui pèse encore sur lui trop lourdement, et qui en fausse les données techniques.

L'olympisme ne peut être de toutes les saisons

Les Jeux de la neige et de la glace, auxquels la Grèce n'avait pas songé, n'ont pas été maintenus pour le mois d'août à Londres, Berlin ou Los Angeles. C'est assez raisonnable.

Alors, pourquoi jouer au football en plein été ? Et que signifie ce tournoi dont le sort dépend uniquement, de l'étiquette attachée au joueur dans chaque pays ?

95 La plus puissante fédération internationale du monde, la FIFA, a déjà commencé son évasion. La Coupe Jules Rimet, quadriennale, à raison de l'existence des Jeux réduira, parions-le, sa périodicité dès que le ballon rond se sera envolé de l'hémicycle olympique où il tient une place anachronique et choquante.

Nous prenons l'exemple du football, parce que nous tenons en lui le sport à l'organisation la plus évoluée et qu'il apparaît d'une manière éclatante qu'il n'est plus à son aise sur le champ olympique. Les convulsions qui ont récemment agité le basket français, un débutant d'avenir, prouvent que ce frère cadet du football aura, lui aussi, tôt ou tard, à larguer les amarres.

Ainsi, quand les Jeux modernes seront dépossédés des grands sports publics – football, basket, tennis – qui a précédé le mouvement – cyclisme et boxe professionnels rejetés avec dégoût, et qu'il ne restera plus à côté des deux sports olympiques majeurs, athlétisme et natation, que le yachting, le tir, l'équitation, il faudra tout de même reconsidérer le cas des coureurs à pied et des nageurs et reclasser leur compétition dans le cadre bien établi de la société telle qu'elle fonctionne aux approches de l'an deux mille.

96 L'Equipe, 31 mai 1950, p. 6.

97 L'Equipe, 2 octobre 1951, p. 6.

AVANT LES PREMIERS JEUX MEDITERRANEENS A ALEXANDRIE

LA FRANCE A FAILLI OUBLIER qu'elle était riveraine DE LA MEDITERRANEENS

Une délégation misérable et improvisée avec 25 % de dirigeants représentera en Egypte le pays de Coubertin, rénovateur de l'idée olympique

Les 1ers Jeux Méditerranéens commenceront vendredi prochain et se poursuivront jusqu'au 20 octobre, à Alexandrie. Le prestige de la France justifiait de grands sacrifices. Hélas ! notre pays avait oublié qu'il était riverain de la Méditerranée et qu'il fallait une intervention pressante des Egyptiens pour qu'une misérable délégation (misérable quant au nombre...) représente en Egypte le pays de Coubertin.

Par Gaston MEYER

Pourquoi ces premiers Jeux Méditerranéens, qui vont commencer, le 5 octobre, à Alexandrie (Egypte) ?

L'idée directrice du Comité Olympique International, quand il décida de patronner avec des Jeux régionaux, pour s'expliquer de la façon suivante :

Les Jeux Olympiques sont, depuis 1936, sortis du cadre des réalisations normales. Le sport est à ce point généralisé dans le monde que bientôt – en 1956 probablement, après les Jeux de Melbourne – ils deviendra absolument nécessaire de modifier la charte olympique. En 1960, en effet (et surtout si les Jeux sont accordés à une ville d'Europe), on enregistrera l'inscription de 20.000 concurrents ! Organisation gigantesque si monstrueuse que de très rares cités pourront mener à bonne fin...

Les Finlandais, pour 1952, se sont efforcés de réduire le nombre de sports et le nombre de concurrents par sports. Ils n'y sont point parvenus tout à fait, car ils se sont heurtés aux fédérations internationales jalouses de leurs privilèges et fort peu soucieuses de se faire « hara-kiri ».

Même si l'on supprimait des Jeux Olympiques les sports secondaires et notamment les sports d'équipe, dont la plupart organisent des Championnats mondiaux ; même si l'on ne conservait dans les Jeux d'été que l'athlétisme, la natation, les haltères, la lutte, la boxe, l'escrime, l'aviron et la gymnastique, les organisations techniques demeureraient difficiles, car le monde entier porterait ses efforts sur ces sports sélectionnés.

La solution peut résider en l'organisation de Jeux Régionaux appelés à servir d'éliminatoires. Il

98 existe des Jeux Panaméricains et Panasiatiques... Les Jeux méditerranéens s'inscrivent dans ce cadre.

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Le bassin méditerranéen est celui de la plus vieille civilisation du monde ; il touche l'Europe, l'Afrique et l'Asie. L'Egypte est en outre un pays de vieille culture française et celle-ci reste vivace en ce pays malgré nos fautes.

Toutefois ces considérations auraient dû alerter de longue date les pouvoirs... Hélas ! les pouvoirs publics ignorent l'importance du sport dans la vie moderne, sa puissance de séduction, sa force de percussion. C'est avec vigueur que les hommes d'Etats ont appris que les déclarations de Ray Robinson, à propos de la France démocratique, avaient fait infiniment plus d'impression sur la majorité du peuple américain que les discours des politiciens.

Mais la responsabilité totale de notre carence incombe aux pouvoirs sportifs, passifs et résignés, incapables même de se hausser à la hauteur d'une pensée quelque peu élevée ! Que l'on ait pu, de gaîté de cœur, admettre avec tant de légèreté que la France puisse être absente de la Méditerranée, donne l'exacte mesure de l'ampleur de vue de nos représentants. Il était pourtant facile de prévoir que nous irions à Alexandrie dès LA PREMIERE INTERVENTION DU GOUVERNEMENT EGYPTIEN ! C'est ce qui s'est produit...

A la honte d'une participation misérable s'est simplement ajoutée celle d'en accepter l'aumône...

Du moins le principe de notre présence reste sauf. L'essentiel est sauvegardé, dans l'improvisation, l'impréparation, les batailles sordides de dirigeants dont quelques-uns, naguère hostiles publiquement au principe de ces Jeux, n'ont eu de cesse, sachant que les frais en incombaient à d'autres, de solliciter un bon de passage ! La France sera le seul pays représenté par 25 % de dirigeants ! Et je ne parle que des accompagnateurs officiels et non point des invités personnels du comité organisateur qui sont hors de cause, bien entendu.

Bien qu'ils aient réuni l'inscription de toutes les nations riveraines, ces premiers Jeux Méditerranéens seront peut-être, sportivement parlant, un peu creux. Qu'importe. L'Egypte conservera le grand mérite d'avoir, LA PREMIERE, MISE SUR PIED CETTE ORGANISATION. Plus tard – après Barcelone en 1953 – la France sollicitera sans doute pour Marseille ou pour Nice le droit de présenter ces Jeux aux sportifs français. Il faudra alors rappeler quelle fût, en 1950 et 1951, l'attitude de la France, de la France de Coubertin, le rénovateur des Jeux Olympiques modernes, de la France jadis à l'avant-garde des idées...

99 L'Auto, 19 septembre 1932, p. 1.

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