Histoire De La Grèce
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HISTOIRE DE LA GRÈCE depuis les temps les plus reculés jusqu’à la fin de la génération contemporaine d’Alexandre Le Grand George Grote traduction d’Alfred Sadous DOUZIÈME VOLUME CHAPITRE I — DE LA BATAILLE DES ARGINUSÆ AU RÉTABLISSEMENT DE LA DÉMOCRATIE À ATHÈNES, APRÈS L’EXPULSION DES TRENTE. La victoire des Arginusæ donna pour le moment l’empire décisif des mers asiatiques à la flotte athénienne ; et on dit même qu’elle découragea les Lacédæmoniens au point de les amener à envoyer à Athènes des propositions de paix (406 av. J.-C.). Mais cette assertion est très douteuse, et je regarde comme fort probable qu’il ne fut fait aucune proposition de ce genre1. Toute grande que fût cette victoire, nous cherchons en vain des résultats positifs obtenus par Athènes. Après une tentative malheureuse sur Chios, la flotte victorieuse alla à Samos, où il semble qu’elle resta jusqu’à l’année suivante, sans faire d’autres mouvements que ceux qui lui, étaient nécessaires pour se procurer de l’argent. Dans l’intervalle, Eteonikos, qui recueillait à Chios les restes de la flotte péloponnésienne défaite ; étant laissé par Cyrus sans secours d’argent, se trouva très gêné, et fut forcé de ne pas payer ses marins. Pendant le dernier été et le dernier automne, ces hommes se suffirent à eux-mêmes en travaillant pour un salaire sur les terres de Chios ; mais quand vint l’hiver, cette ressource cessa, de sorte qu’ils se trouvèrent hors d’état de se procurer même des vêtements ou des chaussures. Dans cette condition désespérée, beaucoup d’entre eux formèrent une conspiration pour attaquer et piller la ville de Chios ; un jour fut fixé pour l’entreprise, et on convint que les conspirateurs se reconnaîtraient les uns les autres en portant une paille ou un roseau. Instruit de ce dessein, Eteonikos fut en même temps intimidé par le nombre de ces porteurs de paille : il vit que s’il agissait avec les conspirateurs ouvertement et ostensiblement, il se pourrait faire qu’ils courussent aux armes et réussissent à piller la ville : en tout cas, il s’élèverait un conflit dans lequel beaucoup d’entre les alliés seraient tués, ce qui produirait le plus mauvais effet sur toutes les opérations futures. En conséquence, ayant recours à un stratagème, il prit avec lui une garde de quinze hommes armés de poignards, et traversa la ville de Chios. Bientôt il rencontra un de ces porteurs de paille, — homme qui avait mal aux yeux, et qui sortait de la 1 L’assertion repose sur l’autorité d’Aristote, auquel s’en réfère le Scholiaste sur le dernier vers des Ranæ d’Aristophane. Et c’est là, que je sache, la seule autorité ; car lorsque M. Fynes Clinton (Fast. Hellen, ad ann. 406) dit qu’Æschine (de Fals. Legat., p. 38, c. 24) mentionne les ouvertures de paix, — je pense qu’en examinant le passage, personne n’inclinera à fonder sur lui quelque conclusion. Nous pouvons faire observer contre cette assertion : 1° Xénophon ne la mentionne pas. C’est quelque chose, bien que ce soit loin d’être concluant, quand cela est seul. 2° Diodore ne la mentionne pas. 3° Les conditions que l’on prétend avoir été proposées par les Lacédœmoniens sont exactement les mêmes que l’on dit avoir été proposées par eux après la mort de Mindaros à Kyzikos, savoir : Evacuer Dekeleia — chaque partie belligérante devant rester dans l’état où elle était. Non seulement les conditions sont les mêmes, — mais encore la personne qui était en avant comme s’y opposant est dans les deux cas la même : Kleophôn. Les ouvertures après la bataille des Arginusæ sont en fait une seconde édition de celles qui suivirent la bataille de Kyzikos. Or, la supposition que dans deux occasions différentes les Lacédæmoniens aient fait des propositions de paix, et que Xénophon les laisse toutes deux sans les signaler, me parait extrêmement improbable. Par rapport aux propositions qui suivirent la bataille de Kyzikos, le témoignage de Diodore l’emportait, à mon avis, sur le silence de Xénophon ; mais ici Diodore se tait également. De plus, la ressemblance exacte des deux événements allégués me fait croire que le second n’est qu’une répétition du premier, et que le Scholiaste, en citant d’après Aristote, prenait la bataille des Arginusæ pour celle de Kyzikos, qui fut de beaucoup la plus décisive des deux. maison d’un médecin ; — et il ordonna à ses gardes de le mettre à mort sur-le- champ. Il se rassembla à l’entour une foule, pleine d’étonnement aussi bien que de sympathie, qui demanda pour quelle raison cet homme était mis à mort : alors Eteonikos ordonna a ses gardes de répondre que c’était parce qu’il portait une paille. La nouvelle s’étant répandue, les autres personnes qui portaient des pailles conçurent une telle alarme qu’elles les jetèrent aussitôt1. Eteonikos profita de cette panique pour demander de l’argent aux gens de Chios, comme condition à laquelle il emmènerait son armement affamé et dangereux. Après avoir obtenu d’eux un mois de paye, il embarqua immédiatement ses troupes, et s’appliqua à les encourager et à leur faire croire qu’il ne savait rien de la récente conspiration. Les gens de Chios et les autres alliés de Sparte se réunirent bientôt à Ephesos pour délibérer, et résolurent, conjointement avec Cyrus, de dépêcher des ambassadeurs aux éphores, pour demander que Lysandros fût envoyé une seconde fois comme amiral. Sparte n’était pas dans l’habitude d’envoyer le même homme comme amiral une seconde fois, après son année de service. Néanmoins les éphores accédèrent en substance à la requête ; ils désignèrent Arakos comme amiral, mais avec lui Lysandros sous le titre de secrétaire, investi de tous les pouvoirs réels du commandement. Lysandros, étant arrivé à Ephesos vers le commencement de 405 avant J.-C., s’appliqua immédiatement avec vigueur à faire renaître et le pouvoir lacédæmonien et sa propre influence. Les partisans dans les diverses villes alliées dont il avait assidûment cultivé la faveur pendant sa dernière année de commandement, les associations et les unions factieuses qu’il avait organisées et stimulées au point d’en faire une société d’ambition mutuelle, — saluèrent tous son retour avec transport. Découragés et abattus par le patriotisme généreux de son prédécesseur Kallikratidas, ils se relevèrent alors, reprirent une nouvelle activité, et devinrent jaloux d’aider Lysandros à équiper de nouveau sa flotte et à l’augmenter. Et Cyrus ne fut pas moins sincère dans sa préférence qu’auparavant. En arrivant à Ephesos, Lysandros se hâta d’aller lui rendre visite à Sardes, et sollicita un renouvellement de l’aide pécuniaire. Le jeune prince répondit que tous les fonds qu’il avait reçus de Suse avaient déjà été dépensés, avec beaucoup d’autres en plus ; comme preuve, il présenta une spécification des sommes fournies à chaque officier péloponnésien. Néanmoins sa partialité pour Lysandros était telle, qu’il accorda même la demande additionnelle faite alors, de manière à le renvoyer satisfait. Ce dernier put ainsi retourner à Ephesos avec les ressources nécessaires pour remettre la flotte en état de combattre. Il solda immédiatement tous les arriérés- de paye dus aux marins, établit de nouveaux triérarques, — appela de Chios Eteonikos avec la flotte ainsi que toutes les autres escadres dispersées, — et ordonna qu’on mît immédiatement de nouvelles trirèmes sur les chantiers à Antandros2. Dans aucune des villes grecques l’effet de la seconde arrivée de Lysandros ne se fit sentir avec plus de violence qu’à Milêtos. Il y avait une puissante faction ou association d’amis, qui avaient fait de leur mieux pour embarrasser et molester Kallikratidas dès son arrivée, niais qui avaient été réduits au silence, et même forcés de faire parade de’ zèle, par la résolution sans détour de cet amiral au noble cœur. Impatients de se dédommager de cette humiliation, ils formèrent 1 Xénophon, Helléniques, II, 1, 1-4. 2 Xénophon, Helléniques, II, I, 10-13. alors une conspiration, au su de Lysandros e. avec son concours, afin de s’emparer du gouvernement pour eux-mêmes. Ils se décidèrent (s’il faut en croire Plutarque et Diodore) à renverser la démocratie existante, et à établir une oligarchie à sa place. Mais nous ne pouvons croire qu’il ait pu exister une démocratie à Milêtos, qui avait été pendant cinq ans dans la dépendance de Sparte et des Perses conjointement. Nous devons plutôt comprendre ce mouvement comme un conflit entre deux partis oligarchiques ; les amis de Lysandros étant plus complètement égoïstes et antipopulaires que leurs adversaires, — et peut-être même les décriant, par comparaison, comme étant une démocratie. Lysandros se prêta au projet, — excita l’ambition des conspirateurs, qui étaient à un moment disposés à un compromis, et même trompa le gouvernement en lui inspirant une fausse sécurité, par des promesses d’appui qu’il n’avait pas l’intention de remplir. A la fête des Dionysia, les conspirateurs, se levant en armes, saisirent quarante de leurs principaux adversaires dans leurs maisons, et trois cents en plus dans la place du marché ; tandis que le gouvernement, — confiant dans les promesses de Lysandros, qui affectait de réprouver Ies insurgés, mais qui continuait secrètement à les exciter, — ne fit qu’une faible résistance. Les trois cent quarante chefs saisis ainsi, hommes probablement qui avaient été sincèrement pour Kallikratidas, furent tous mis à mort, et un nombre encore plus considérable de citoyens, pas moins de mille, s’enfuirent en exil. Milêtos passa ainsi complètement dans les mains des amis et partisans de Lysandros1. Il paraîtrait que des mouvements factieux dans d’autres villes, moins révoltants sous le rapport de l’effusion du sang et de la perfidie, toutefois encore d’un caractère semblable à celui de Milêtos, signalèrent la réapparition de Lysandros en Asie, et placèrent les villes plus ou moins entre les mains de ses partisans.