C.I.E.H. Certificat International d’Ecologie Humaine. Université 1. U.F.R de Sciences biologiques.

LA ROUTE FRANCOIS MAURIAC. « Une si jolie route »

Le 20 septembre 2001

LIEVRE Colette RIBEYRE Francis. Professeur Université Bordeaux 3 Directeur de mémoire

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LA ROUTE FRANCOIS MAURIAC

Une si jolie route.

«… Si jamais je ne fus voyageur, si je le suis moins que jamais en ce soir de ma vie, c’est que comme tous les hommes qui ont reçu la grâce de vivre durant leurs vacances loin des villes, et dont la maison est bâtie sur une colline, j’ai à ma porte ces jeux de la lumière et du brouillard que je préfère à tout. Que trouverais – je ailleurs ? Il n’est pour chacun de nous qu’un endroit du monde où nous ayons part au secret du monde. Le pittoresque n’existe pas. Si nous ne sommes que des spectateurs d’un paysage étranger, si illustre soit-il, il ne nous apporte rien, hors la fatigue et le sentiment du temps perdu… »

François Mauriac. (Nouveaux mémoires intérieurs.p.24-25 Flammarion 1965.)

2 Insertion lettre de Jean Mauriac en A3.

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En souvenir de Dany LUSSEAU - REYNAUD qui, jusqu’à son dernier souffle , a défendu, à Beguey, l’intégrité de La Route François Mauriac. Le présent mémoire se situe dans la continuité de l’expression de sa volonté.

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REMERCIEMENTS.

Je tiens à remercier d’abord : Monsieur le Professeur R.MARTY fondateur du CIEH, Monsieur le Professeur M.LAMY ainsi que leurs collaborateurs qui nous ont fait bénéficier de leur enseignement en première année. Mes remerciements vont aussi à : Monsieur le Professeur LESBATS (I.U.T.A. Université Bordeaux 1) notre Directeur des Etudes en seconde année, Monsieur le Professeur F. RIBEYRE (EGID. Université Bordeaux 3) mon Directeur de mémoire pour sa bienveillante assistance, Madame MM GERVAIS (ingénieur de recherche à l’Université Montesquieu Bordeaux 4) Tous trois pour leurs conseils éclairés. Que soient remerciés également : Monsieur le Professeur P. ARAGUAS (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3) pour sa précieuse collaboration « historique », Monsieur M.LENOIR (Institut du Quaternaire .CNRS Université Bordeaux 1) pour m’avoir servi de guide dans la Préhistoire, Monsieur J.M NATTES qui n’hésite jamais à partager son érudition sur l’histoire locale. Mes remerciements vont également à : Madame PUGNERE, responsable du service documentation de la D.D.E , Madame Marie-Pierre RECALDE, Secrétaire Générale du SY-SDAU., Toutes deux pour m’avoir facilité l’accès à leurs archives. Enfin j’ai une pensée particulière pour mes proches : Henry R. CHIDLER pour sa patience à relire cette prose, Mes enfants et petits enfants qui m’ont soutenue dans ce travail, Mes amis qui m’ont encouragée et pour certains apporté leur assistance technique dans la maîtrise de l’outil informatique : François DRY, Alain Gross, ce dernier plus particulièrement pour sa contribution permanente à « La Route François Mauriac », et merci à tout ce monde associatif riverain de cette « si jolie route » pour son aide morale.

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AVERTISSEMENT.

Le sujet de ce mémoire a été une opportunité pour remonter dans le temps et essayer de retrouver au cours des grandes périodes préhistoriques, puis historiques les vestiges laissés par l’Homme tout le long des 35 kilomètres de ce microcosme qu’est « La Route François Mauriac ». Cette quête de traces tangibles de cette occupation humaine au cours des millénaires, explique que seules ont été retenues les périodes historiques les plus marquantes et prégnantes sur ce territoire.

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AVANT-PROPOS

LA ROUTE FRANCOIS MAURIAC.

« Une si jolie route ».

POURQUOI vouloir s’intéresser à cette route ? Et d’ailleurs, qu’est ce qu’une route ? Plus particulièrement une route départementale qui n’est ni une route nationale, ni une autoroute et qui n’est plus, non plus, un chemin. Une route est ce seulement un axe de communication pour aller d’un point à un autre ? Ou encore un itinéraire quotidien ou emprunté épisodiquement, inopinément ? Une route est-ce uniquement une voie avec des virages, des bifurcations, des carrefours, des giratoires, des embranchements, des pattes d’oies, des côtes et des pentes ? Ou encore une chaussée, des bas côtés, des trottoirs, du goudron, des pavages, des nids de poules… ou est-ce beaucoup plus ? La campagne, la forêt, les villages, les fermes, les animaux dans les champs, les poules qui la traversent, les chiens qui divaguent, les routards qui l’arpentent, les pelotons de cyclistes du dimanche, les automobiles qui filent, les poids lourds qui l’encombrent, les accidents qui surviennent, les ambulances qui interviennent, les gendarmes qui verbalisent, les ouvriers qui la réparent, les aménageurs qui la modèlent, les élus qui en font un enjeu ? La route est prégnante dans l’espace paysage qu’elle traverse ; elle l’est aussi dans l’espace temps. Elle change de dimensions, de couleurs, selon les saisons, selon le temps qu’il fait, selon l’heure du jour. On croit l’emprunter ou la prendre, mais en réalité c’est elle qui nous piège, nous prend en otage, nous possède, car elle est incontournable, irremplaçable. Que l’on veuille se déplacer à pied, à bicyclette, en rollers, en voiture, voire en trottinette, en car, en autobus, on est obligé d’en passer par elle. Elle fait partie intégrante de la vie, la nôtre. Mais une route comment naît-elle ? Pourquoi là, plutôt qu’ailleurs ? Qu’est ce qu’il y avait avant que cette si jolie petite route n’existe là, à cet endroit précis ? Que s’est- il passé depuis qu’elle existe ? Quels sont les enjeux qui la menacent ? Que deviendra-t-elle demain ? Les pages qui suivent sont une invitation à remonter le temps aux origines de cet espace traversé par « la si jolie route » pour en connaître l’histoire, pour en comprendre les évolutions et les modifications au cours des millénaires, pour faire le point sur aujourd’hui et à partir de là essayer d’envisager ce que peut être demain !

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Figure 1 carte routière et administrative 33 .I G N

8 INTRODUCTION

UNE HISTOIRE QUI A COMMENCE IL Y A BIEN LONGTEMPS.

C’est l’histoire d’une route, ou plutôt d’une portion de route : 35 kilomètres d’une départementale dont la nomenclature est CD10 sur les cartes I.G.N., située au sud est en amont de Bordeaux, entre et Saint Maixant, sur la rive droite de la Garonne. C’est une histoire d’aujourd’hui mais qui, pour être comprise, nécessite que l’on remonte le cours du temps, au plus loin des millénaires, ce qui peut paraître étonnant : cette route n’est-elle pas relativement jeune ? A peine un peu plus d’un siècle ! Alors, pourquoi vouloir remonter si loin ? C’est que cette route n’est pas située n’importe où (mais n’importe où existe t-il ?). Cette route est en Entre-deux-Mers, cet espace atypique du plat pays qu’est la Gironde. Sur ce trajet, elle épouse étroitement les sinuosités de la Garonne, comme pour se faire pardonner d’avoir volé à cette dernière le premier rôle. Il est vrai que sur l’autre flanc elle est souvent contrainte par le coteau qui la borde. Cette route est indissociable de son environnement, de son décor. D’abord tributaire de sa morphologie géologique puis, dès que l’homme apparaît, des changements générés par ses multiples activités. Ces dernières, du « paléolithique au numérique », s’accélérant sans cesse pour atteindre aujourd’hui des vitesses vertigineuses entraînant des bouleversements qui ne le sont pas moins. Dans ce troisième millénaire tout nouveau qu’adviendra t-il de cette si jolie petite route ? Tout est prévisible, le meilleur comme le pire. Parions sur le meilleur et acceptons en l’augure.

9 1 LE TEMPS GEOLOGIQUE.

1.1 Il y a 75 millions d’années…

Depuis la fin de l’ère secondaire, au Crétacé supérieur, il y a 75 millions d’années, et encore de nos jours, des formations sédimentaires se déposent pour constituer la géologie du grand bassin Aquitain auquel appartient la Gironde. Ces sédiments ont subi des déformations à la suite de failles et de mouvements de l’écorce terrestre : mouvements qui restent actifs puisque l’espace entre Bordeaux et continue à se soulever de 1 à 2 mm par an. Pour ce qui est plus particulièrement de l’Entre-deux-Mers1, ce sont des formations de l’ère tertiaire qui dominent de part et d’autre des deux grands axes fluviaux, la Garonne et la Dordogne qui l’encadrent. Certaines de ces formations se sont mises en place sur le continent : d’une part, des nappes de sables et d’argiles venues principalement du Massif Central se sont accumulées essentiellement sur les marges nord est du département ; d’autre part, des mollasses ou grès argilo-calcaires ont dévalé à plusieurs reprises des Pyrénées pour venir « s’échouer » jusqu’au nord de la région de Fronsac. En alternance, la mer qui va et vient, dépose des calcaires au cours de ses multiples incursions, dont l’importante masse de calcaire à Astéries qui forme l’ossature du plateau de l’Entre-deux-Mers2 (ce calcaire est facilement observable au sommet du tertre de Fronsac). C’est à lui que nous devons la lumineuse blondeur des magnifiques édifices bordelais du XVIIIème siècle, car il servira de matériau privilégié pour leur construction et générera par là même une intense activité économique sur l’ensemble de l’Entre-deux-Mers3. Le milieu marin contribuera à former d’autres sédiments calcaires constitués de débris coquilliers appelés faluns, dont il existe de surprenants vestiges à Sainte Croix du Mont sous forme de bancs d’huîtres fossiles.

1.ROUDIE P. L’Entre deux Mers à la recherche de son identité. Actes du second colloque tenu dans le Canton de Créon les 16 et 17 septembre 1989. Avant-propos Editions William Blake and C° Bordeaux : « …L’ENTRE-DEUX-MERS situé entre Garonne et Dordogne se termine vers le nord ouest par le Bec d’Ambès… Ces deux limites fluviales portent le nom de « Mers ». Dans un pays de civilisation océanique, l’homme a toujours utilisé les marées. Les Mers de l’Entre-deux-Mers sont les rivières atlantiques soumises au mouvement incessant de montée et descente des marées qui en inversent temporairement le courant… ». 2 MARQUETTE J.B L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du Premier colloque tenu en Pays de Branne, les 19 et 20 septembre 1987. p22-24. Editions William Blake and C° Bordeaux. 3 LENOIR M. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du premier Colloque tenu en Pays de Branne, les 19 et 20 septembre 1987. Préhistoire Ancienne en Entre-deux-Mers. P.9-17. Editions William Blake and Co Bordeaux.

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Figure 2 Carte morphologique de la Gironde .Source Carte archéologique de la Gaule . La Gironde 33 .SION.H. Introduction.

L’ERE QUATERNAIRE ( - 1 million d’années environ) sera celle des grandes variations climatiques et de glaciation. Le climat très froid provoquera un abaissement de la mer à – 120 mètres par rapport à son niveau actuel, mettant à nu d’immenses surfaces de sable. Celles-ci seront déplacées au pléistocène supérieur par de forts vents d’ouest et constitueront la vaste formation de sables fins des Landes. Il y a 10.000 ans (autant dire hier !) la fin des temps glaciaires provoque une remontée progressive des eaux, ce qui favorise le comblement des marais littoraux, la mise en place des alluvions des basses vallées marécageuses ou palus. L’absence de résistance des roches girondines explique le peu de relief existant sur le département. Seuls les plateaux calcaires de l’est de la Gironde - Blayais Bourgeais et Entre-deux-Mers - ont conservé une situation dominante : près de 100 mètres pour l’Entre-deux-Mers occidental. Les deux grandes vallées fluviales de la Garonne et de la Dordogne situées de part et d’autre de l’Entre-deux mers avant de s’unir au Bec d’Ambès et de prendre dans l’estuaire le nom de Gironde, se sont installées par phases alternantes de creusements et de comblements, générant des terrasses alluviales, autant de témoins des glaciations successives.

11 Ce sont d’importantes déformations tectoniques du socle, en profondeur, qui ont conditionné leur orientation. L’influence de la marée, la pente réduite et la nature des roches font que les deux rivières dessinent de larges méandres avant de rejoindre l’estuaire. Sur leurs rives, d’imperceptibles bourrelets alluviaux créent en retrait une zone dépressive de marais et palus4 où stagne l’eau douce descendue des versants. Eau douce véhiculée aussi par des ruisseaux qui ont creusé des vallées de part et d’autre du plateau de l’Entre-deux-Mers pour se déverser dans la Dordogne et la Garonne. Sur le secteur géographique qui nous intéresse, quatre ruisseaux dévalent du coteau pour se jeter dans les eaux de la Garonne. Ils ont nom Pimpine, Lubert, Gaillardon et Leuille et auront par la suite une fonction économique essentielle. L’Ere Quaternaire, au Pléistocène il y a environ – 1,64 millions d’années, voit débuter la formation de nos futurs espaces, formation qui se poursuivra dans la vallée de la Garonne jusqu’à environ – 200.000 ans pour se parachever lentement au cours de millénaires suivants. Le décor planté, l’acteur principal, l’Homme, pouvait entrer en scène. Pendant longtemps, espèce parmi les espèces, il se contentera de s’adapter au milieu souvent hostile, n’apportant que peu de changements aux écosystèmes. Et pourtant, là comme ailleurs, l’aventure de l’écologie humaine avait bien commencé5.

4 Dictionnaire alphabétique et analytique de la langue française Le Petit Robert éd 1981 p.1346.« …Palud ou palude ou palus (1564, palu XIIème siècle, latin palus, paludis) = marais. Dans le Bordelais, terre d’alluvions ou ancien marais littoral asséché, planté de vignobles… ». 5 LENOIR M. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du premier Colloque tenu en Pays de Branne les 19 et 20 septembre 1987. Préhistoire ancienne en Entre-deux-Mers. p 9-11. Editions William Blake and C°. Bordeaux.

12 Planche 1

illustration 1 Ligne de coteaux à

illustration 2 Méandres de la Garonne vus du coteau de Langoiran

illustration 3 Faluns à Saint Croix du Mont

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2 LE TEMPS PREHISTORIQUE

Qu’est ce qui a poussé l’homme, dès qu’il a accédé à la bipédie (- 4 millions d’années), à parcourir les espaces, les continents ? La faim ? la peur ? la curiosité ? Dans l’Entre-deux-Mers, l’Homme Magdalénien est venu s’installer il y a environ - 15.000 ans. Il semble bien qu’il soit venu de régions limitrophes, dont le Périgord. Il aurait alors suivi les voies de pénétration constituées par les grandes vallées fluviales de la Dordogne et de la Garonne, les vallées secondaires des affluents lui permettant d’avoir accès à l’intérieur des terres. La ligne de partage des eaux des bassins versants de la Garonne et de la Dordogne semble être aussi la ligne de partage de son installation en Entre-deux-Mers. C’est à partir du Magdalénien que la présence humaine s’est faite plus prégnante et que s’installe une véritable civilisation préhistorique. L’Homme Magdalénien a fait suite à une occupation plus ancienne, occupation d’abord timide. Dans un premier temps, et malgré un froid glaciaire, les hommes vivent surtout en plein air. Ils choisissent des points hauts, des pentes bien exposées, plutôt que des sites au pied des falaises ou des cavités, ces dernières servant plutôt de repères à des animaux prédateurs tels que la hyène qui y apporte ses proies, ainsi qu’en témoignent les vestiges retrouvés d’ossements de gros herbivores. Pour les stades les plus anciens du Magdalénien, ces sites de plein air, à situation dominante et interfluve, situés à proximité des vallées majeures et de leurs affluents ont été fréquentés par l’Homme à plusieurs périodes successives. Il s’agissait vraisemblablement de lieux propices à l’habitat dont la situation élevée devait permettre l’observation du terrain environnant. Bien que peu étendus, on a retrouvé sur la plupart de ces sites un outillage abondant et diversifié, avec de grandes similitudes, ce qui permet de penser que toute cette industrie lithique était le fait d’un même groupe humain qui se déplaçait6. Dans la période suivante, au Magdalénien moyen, l’homme s’installe à l’abri dans les cavités creusées dans le calcaire à Astéries et son mode de vie semble très dépendant de la présence de troupeaux d’antilopes Saïga. En ces temps là, la steppe recouvre la région, et l’homme vit dans un univers végétal relativement pauvre, avec des pins sylvestres, des armoises. Le loup, le renard des neiges, la chouette des neiges sont présents. Les troupeaux sont nombreux, et l’homme chasse le bison, le cheval, le renne. Les cartes de peuplement paléolithique et magdalénien, laissent apparaître que les sites occupés ne se répartissent pas uniformément sur l’Entre-deux-Mers en dépit d’une composition géologique calcaire quasiment constante. C’est ainsi que les sites recensés par les chercheurs sont beaucoup plus nombreux sur les rives de la Dordogne et plus particulièrement le long de ses petits affluents de la rive gauche : La Canedonne, l’Engranne, la Gamage.

6 .LENOIR M. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du second colloque tenu dans le canton de Créon les 16 et 17 septembre 1989. La fin des temps glaciaires en Entre-deux-Mers. p.7- 14. Editions William Blake and C° Bordeaux..

14 Est ce à dire que l’homme magdalénien venu du Périgord s’est arrêté en cours de route sur le haut du plateau ? Ou est ce parce que les chercheurs qui se sont succédés depuis près de 150 ans ont essentiellement prospecté dans la partie nord de l’Entre- deux-Mers ? Sur la rive droite de la Garonne de à Saint Maixant, seuls quatre sites ont été découverts et plus ou moins explorés, tous ayant subi de fortes dégradations au cours des âges ou même ayant complètement disparu depuis leur découverte. Il s’agit de la grotte de l’Ermitage à Bouliac, de la Caverne de la Mothe à Cénac, de la grotte du Mammouth à Haux, et de la grotte de Lavison à Saint Maixant.

La grotte de l’Ermitage : Située à Bouliac et dominant la vallée cette grotte a été explorée par R.Cousté et M.Magne (1948) qui y ont trouvé : « … une industrie lithique peu abondante associée à l’antilope Saïga, au renne, au cerf et aux grands bovidés, ainsi qu’une industrie osseuses composée de sagaies décorées et d’aiguilles… » (environ- 15.000ans). La caverne de la Mothe : Celle-ci fut découverte par J. Labrie (1923). Cette caverne creusée dans le calcaire à Astéries est situées sur la rive gauche de la Pimpine, affluent de la Garonne. Il y fut retrouvé des ossements de rhinocéros Tichorrhinus, hyène, grand ours, cheval et bœuf.(environ – 40.000 ans) La grotte du Mammouth : Découverte tout à fait par hasard à la suite d’un éboulement de terrain. Sa découverte fit grand bruit à l’époque : il semblerait que le gisement d’ossements qu’elle recelait était celui d’un mammouth6. La grotte de Lavison : Découverte en 1826 par Billaudel, cette grotte a été ensuite malheureusement complètement détruite en raison de l’exploitation d’une carrière. Elle se situait en contrebas du domaine de Malagar, à proximité du Château de Lavison, sur la commune de Saint Maixant. Creusée dans le calcaire à Asteries, elle surplombait d’une vingtaine de mètres le niveau des basses eaux de la Garonne. Il y fut retrouvé des restes de hyène, blaireau, campagnol, sanglier, cheval, bœuf, cerf, musaraigne, mollusques terrestres. Mais il est vraisemblable que ces animaux se sont succédés à des périodes différentes. Ce que nous pouvons retenir de cette longue période préhistorique en Entre-deux- Mers, ce sont les phases climatiques glaciaires alternant avec des périodes plus douces, entraînant des variations végétales et par là même des occupations fauniques différenciées. Ainsi le mammouth (-70.000 -35.000 ans) avait pour compagnon de route les bisons, les loups, les renards polaires, les chouettes des neiges, et plus tard les antilopes Saïg. Quant à l’Homme Magdalénien, lorsqu’il fait son apparition

6 A notre connaissance il n’y a pas eu de datation des éléments retrouvés dans cette grotte.

15 (environ –15.000 b.p), s’il a à subir encore des variations climatiques que l’on qualifierait aujourd’hui d’extrêmes, il bénéficie néanmoins de périodes plus douces. Il faudra attendre -10.000 ans pour que le climat devienne vraiment plus clément et par voie de conséquence l’Entre-deux-Mers plus boisé ; que d’autres animaux apparaissent, comme les chevreuils encore très présents de nos jours, remplaçant des espèces aujourd’hui disparues ou qui ne vivent que sous d’autres latitudes. Si l’Homme a survécu à ces périodes climatiques hostiles c’est bien grâce à son intelligence adaptative ; parvenu à des périodes plus favorables il va pouvoir se multiplier et mettre en œuvre son génie inventif et créatif et commencer à avoir une influence sur les éco-systèmes existants.

Figure 3 Le peuplement magdalénien des basses vallées de la Dordogne et de la Garonne. Sources : Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du ler colloque tenu à Branne les 19-20 septembre 1987 p.11.

3 AU DEUXIÈME MILLÉNAIRE AVANT J.C… Lentement l’Homme va quitter la civilisation néolithique. D’abord il « croît et se multiplie ». Cette expansion démographique est due vraisemblablement à des conditions de vie rendues plus douces par un climat plus clément mais également à la domestication des animaux et à la mise en œuvre et au développement de l’agriculture. L’habitat se disperse et se densifie. L’homme conquiert de nouveaux espaces en défrichant la forêt pour dégager des terres nécessaires à l’activité agro-pastorale. Un événement majeur va marquer cette période, celui de la domestication du cheval. Dorénavant ce dernier va accompagner son Maître pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : dans les champs comme force de travail, sur les chemins comme moyen de transport ; pour le pire, dans de multiples campagnes guerrières qui ne cesseront jamais au cours des millénaires.

16 L’autre révolution sera la maîtrise du bronze qui va permettre à l’Homme peu à peu de concevoir outils, armes et parures. Les outils sont d’abord des haches plates en cuivre coulées dans des moules de pierre ou d’argile. Mais 2300 ans avant J.C, cet Homme là découvre qu’en alliant l’étain au cuivre le point de fusion est abaissé, facilitant ainsi la coulée dans les moules. Il avait découvert la fabrication du Bronze ! Dans les années 1500 à 800 avant J C, dites du Bronze final, cet alliage remplacera le cuivre, ce qui permettra encore des coulées plus aisées et donc une plus grande variété de formes dans les objets, autant de témoins de l’esprit créatif de l’Homme. Mais d’où provenaient ces métaux ? par quelles voies et comment 7 ? Les voies de communication : C’est sans doute grâce à des réseaux socio-économiques et d’échanges déjà existants dus à des facilités de circulation que la Gironde a eu un rôle prépondérant dans la fabrication d’objets en bronze et ce dès le début de la métallurgie et malgré l’absence de matières premières. D’où arrivaient le cuivre, l’étain et ensuite le plomb ? Les bronziers, nombreux en Gironde, ont utilisé vraisemblablement d’abord les minerais de cuivre locaux provenant de Dordogne. Quant à l’étain indispensable pour la fabrication du bronze, il devait provenir de Corrèze ou de Haute Vienne. Ces filons épuisés, il a fallu que l’Homme aille chercher au loin les métaux : jusqu’au Portugal, pense-t-on, pour le cuivre ; quant à l’étain, c’est jusqu’en Galice, au Morbihan, ou en Cornouailles qu’il serait allé le récupérer. Ceci explique que ces bronziers, déjà artisans d’art, se soient installés à proximité de la Garonne. Les minerais et lingots arrivaient par voie maritime, aboutissant à l’estuaire, après un transport par cabotage le long des côtes de l’Atlantique, de la Manche et de la Méditerranée. Grand navigateur, l’Homme de l’âge de bronze l’était déjà ! Il parcourait de longues distances sur des bateaux d’assez fort tonnage si l’on en juge par les cargaisons transportées, ainsi qu’en témoignent rupestres de Cadix qui en sont de fidèles représentations. Parallèlement de grandes voies terrestres existent. Elles relient Marseille à la Grande Bretagne par les vallées du Rhône, de la Saône, de la Seine et de la Loire. Pour relier Nabo (Narbonne) à Corbilo (près de Nantes), c’est la voie Aude - Garonne qui est empruntée par les convois transportant minerais mais aussi « produits manufacturés ». Si les convois sont attelés d’animaux de bât, les hommes qui les accompagnent colportent techniques et idées nouvelles. L’âge du Bronze est aussi celui des échanges ! En Gironde la grande voie de communication longe la rive droite de l’estuaire puis la vallée de la Dordogne !

7 . COFFYN .A. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité, actes du premier colloque tenu en Pays de Branne les 19 et 20 septembre 1987. « Occupation des sols de l’Entre-deux-Mers à l’âge du Bronze » pp.31-33. Editions William Blake and Co Bordeaux.

17 18 En ce temps là … La Gironde étant devenue un pôle important pour la maîtrise du cuivre d’abord, du bronze ensuite, elle va de ce fait, et particulièrement au Bronze moyen ( milieu du deuxième millénaire avant J.C), avoir une occupation intense de son sol, surtout dans le Médoc mais également sur la rive droite de l’estuaire : région bordelaise, Libournais, Entre-deux-Mers, vallée de la Leyre et Landes girondines. Le Médoc se distingue par une longue phase de prospérité due à sa situation géographique favorable qui devait faciliter les échanges8. Celle-ci va diminuer à l’époque du Bronze final et le Médoc perdra peu à peu de sa suprématie. Il semble qu’alors les populations affluent sur les rives de la Dordogne et de la Garonne. Elles s’installent à Bordeaux, mais aussi à Bouliac, à Cambes et à Langoiran. A Bouliac, une hache (de type inconnu) a été retrouvée attestant de leur présence. A Cambes c’est une épée de bronze - du type Gündlingen - unique dans tout le département qui a été mise à jour lors d’extractions de graves dans la Garonne9. A Beguey, une hache plate est signalée sur un site10. Au Bronze final, la société s’organise. Une hiérarchie de castes et classes sociales se met en place. Les objets en métal, les armes, les éléments de harnachement du cheval et de son utilisation témoignent d'une aristocratie guerrière exerçant son autorité sur une masse d'agriculteurs et d'éleveurs. Ceux-ci vivent modestement, utilisent toujours des outils de silex, peu de métal, ils se servent de poteries grossières. En réalité ils doivent être assez misérables ! Y a t-il déjà là, semés, les germes qui serviront de levain, quelques milliers d’années plus tard, à la lutte des classes ? Par contre le « bronzier », l’homme qui maîtrise le feu et le métal, jouit d’un statut particulier : proche des « princes », il semblerait qu’il n’ait pas été assujetti aux tâches communales. (Tel est encore le statut dont bénéficient les forgerons dans certaines parties d’Afrique )11.

8 SION H. La Gironde 33/1 Carte archéologique de la Gaule. Introduction « …au débouché de l’isthme européen de l’océan atlantique, en relation avec les grands centres de l’Europe Centrale, des côtes atlantiques, des îles britanniques, de la péninsule Ibérique, et des région de la Méditerranée… » p.49. Pré inventaire archéologique publié sous la responsabilité de Michel Provost .Editions Général de la Gironde- Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. 1994. 9 L’épée draguée dans la Garonne à Cambes est visible au Musée d’Aquitaine. D’une longueur de 76cm, cette belle épée est du type en langue de carpe à cause de la forme caractéristique de sa pointe. Elle date de la fin du bronze final soit 800 à 700 ans avant J.C. Plusieurs épées du même type ont été trouvées lors de dragages dans la Garonne, en particulier, en amont de Bordeaux jusqu’à Langoiran. Dans toute l’Europe occidentale la plupart des épées entières trouvées à la fin de l’âge de bronze, ont été retirées des fleuves, rivières ou tourbières. On pense qu’elles y avaient été jetées volontairement en offrandes rituelles probablement liées à un culte des eaux. Plusieurs siècles plus tard, André Berry, originaire de Quinsac publiera « Les Esprits de Garonne ».Ces esprits sont-ils les mêmes que ceux honorés par nos ancêtres de l’âge du Bronze déjà établis sur les rives de notre rivière Garonne ? 10 BEYNEIX A. « Les cultures de l’âge du bronze en Pays de Moyenne Garonne » et MERGAIL M. « Distribution de haches plates à sommet ogival dans le Sud Ouest de la ».Gironde Préhistorique : L’âge du Bronze. Edition Horizon Chimérique et Conseil Général.1992.

19 Ainsi devait être la vie à Bouliac, Cambes, Langoiran, Beguey et ailleurs…en ces temps là. « …Malheureusement peu d’éléments, témoignant de l’occupation du sol en Entre- deux-Mers sur la rive droite de la Garonne pendant la période de l’âge du Bronze, ont été retrouvés et étudiés. Seule la région proche de la Dordogne a fait l’objet d’investigations relativement fines. Cette situation semble surtout liée à l’absence de chercheurs. Il est vraisemblable que la rareté des découvertes en objets de bronze est due au fait que de nombreuses pièces ont été fondues puis ensuite remaniées au fil du temps, d’autres sont inaccessibles car elles appartiennent à des collections privées… »12.

Figure 4 L'Etat des découvertes de l'âge du bronze en Gironde en 1992. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde 33 H.Sion.

12 COFFYN.A L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité, Actes du premier Colloque tenu en Pays de Branne les 19 et 20 septembre 1987. « Occupation des sols en Entre-deux-Mers à l’âge du bronze » p 31-33. Editions William Blake and C° Bordeaux.

20 4 LE TEMPS GALLO ROMAIN. Du premier siècle avant notre ère au Vème siècle après…

La situation géographique tout à fait particulière de l’Entre-deux-Mers balisé de part et d’autre par ses deux fleuves, a certainement joué un rôle prépondérant dans le choix de l’implantation de l’habitat gallo-romain. Beaucoup plus semble t-il que la proximité de Bordeaux dont on aurait pu penser que l’attraction aurait été primordiale13. En réalité ce sont, peut être le pragmatisme, peut-être aussi l’esthétisme ( pourquoi pas ?), qui semblent avoir été prépondérants dans le choix des sites sur l’Entre-deux- Mers . Peut être aussi l’Homme a t-il une prescience des qualités intrinsèques d’un environnement encore à l’état de nature à être transformé par lui en agro-système. Agro-système qui au fil du temps transformera la nature en paysages. Ces paysages qui n’en finiront pas d’évoluer au gré de l’agriculture et de l’économie. Cela d’autant plus vite qu’au fur et à mesure de l’évolution technicienne de l’Homme, ce dernier se transformera, à terme et quelques milliers d’années plus tard, «en ingénieur de la nature »14 faisant de plus en plus fi des écosystèmes existants. Pour l’heure c’est cette prescience alliée au bon sens qui préside au choix des terrains à mettre en culture. N’oublions pas que l’Entre-deux-Mers est un espace riche en sols variés, plus ou moins fertiles, sillonné par un important réseau de petits cours d’eau. Ces sols sont tributaires du relief : plateaux, vallées, bassins versants et de ce fait supportent souvent des excès d’eau préjudiciables à leur fertilité. De la nature même de ces sols dépendra donc l’agro-système qui s’installe à cette période gallo-romaine, et la corrélation entre ce dernier et la mise en œuvre de l’habitat antique. Car si notre ancêtre gallo-romain privilégiait avant tout la fertilité du sol - « En Gaulle, les Villae sont systématiquement installées au-milieu des terres les plus riches… »15 - ce qui prouve qu’il connaissait particulièrement bien la nature des sols et savait en utiliser les qualités intrinsèques pour ses cultures, il savait aussi ce que représente la prépondérance d’un fleuve, axe naturel de communication. Ceci explique la multiplicité de l’habitat gallo-romain sur la rive droite de la Garonne, particulièrement bien desservie par de nombreux petits ports situés aux embouchures des rivières qui descendent du coteau. Les vallonnements, comme de nos jours encore, sont particulièrement prisés à l’époque Antique. Ils ont « une valeur scénographique très nette dans l’implantation de l’habitat gallo-romain »16. Celui-ci est souvent construit sur la partie postérieure du versant ce qui laisse le champ à une vision panoramique sur l’autre rive du fleuve. Outre le fait d’avoir une large perspective paysagère cette situation offre l’avantage

13 REGALDO SAINT BLANCARD P. Occupation Romaine de l ‘Entre - deux – Mers. 14 MOURIER P.F Les cicatrices du paysages. Après la tempête, essai d’écologie scientifique.p.30 –50 Editions Actes Sud. 2000. 15 LE GLAY . La Gaule romanisée. 16 SION.H. La Gironde 33/1. Carte archéologique de la Gaule, pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de PROVOST M. p.54. Edition Conseil Général et Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. 1994.

21 pratique de mettre les constructions à l’abri des ruissellements d’eau intempestifs ainsi que de les garder des zones inondables. C’était en quelque sorte une application avant la lettre du fameux principe de précaution qui fait tellement parler de lui actuellement .Il est vrai que les sols non drainés devaient être des bourbiers infranchissables17!

Figure 5 L'état des découvertes gallo-romaines en Gironde en 1992. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde33 H.SION p.53.

Les territoires des villae étaient très étendus. Il semblerait - mais il n’en existe pas la preuve - que certains d’entre eux aient pu avoir des superficies équivalentes à celles d’une commune (de 240 ha à 1600 ha). L’Homme gallo-romain va donc investir la rive droite de la Garonne et de Latresne à Saint Maixant nombreux sont les vestiges qui seront trouvés, autant de preuves d’existence d’habitat.

17 WILBERT.J. L’Entre deux Mers à la recherche de son identité. Acte du premier colloque en Pays de Branne,19 et 20 septembre 1987. « Les sols de l’Entre-deux-Mers » p.140. Editions William Blake and C°. Bordeaux.

22 Au lVème siècle, le poète Ausone venait en villégiature dans sa magnifique villa de Loupiac18. Pour ce faire, il arrivait en bateau car il n’y avait pas de voie carrossable continue le long de la rive droite en provenance de Bordeaux. Ausone allait sur ses terres, vraisemblablement aussi pour y surveiller ses vignes et, au moment des vendanges, peut être se régaler de Bourru, ce vin nouveau qui accompagné de châtaignes est encore le délice de nos palais. Les Villae girondines seront occupées pendant près de quatre siècles et ce malgré les grandes invasions (406 ans après J.C). Celles-ci ne semblent pas avoir eu d’incidence ni sur les campagnes, ni sur les grands domaines si l’on en croit certains écrits littéraires et vestiges archéologiques. Au Haut Moyen Age, les sites détruits des Villae sont occupés par des nécropoles, lieux d’inhumation, ce qui tend à prouver une continuité19de l’occupation du sol à l’époque mérovingienne. « …A priori un bel exemple de cette permanence est celui fourni par la superposition d’une « villa »romaine et d’une église romane, l’église symbolisant le centre d’un habitat maintenant disparu. Ce constat est relativement fréquent en Entre-deux-Mers et observable à Camblanes… ». Si cet espace de l’Entre-deux-Mers a bien été fortement structuré par l’occupation gallo-romaine et si cette structure a résisté au temps, aux phénomènes d’alternances historiques de flux et reflux ( implantation romaine, récession mérovingienne, reconquête romane ) et a pu se pérenniser (on retrouve actuellement à peu près les mêmes centres d’habitat sur le terroir qu’au XIIIème siècle), c’est bien parce que celle-ci épousait étroitement les réalités physique du terroir20. Autant dire de son écologie !

18 REGALDO SAINT BLANCARD P. Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique de Bordeaux. Tome LXXXIV p 95-101 1983. « Aperçu sur le paysage antique de l’Entre-deux-Mers et sa permanence ». 19 REGALDO SAINT BLANCARD P. préfère parler : « …de permanence (latin manere) qui implique une référence spatiale, par opposition à continuité = référence humaine. A permanence s’oppose abandon et à continuité, rupture… » 20 DIAMOND J. « Vers un matérialisme écologique » Le Monde du 17.02.2001. L’auteur de l’ouvrage « De l’inégalité parmi les sociétés » démontre l’importance fondamentale du raisonnement géographique dans l’explication de l’histoire humaine et reconnaît que l’espace est un élément actif de la dynamique des sociétés, notamment quand on se penche sur la longue durée historique. Il pose aussi la question suivante : « …Dans la mutation vers l’agriculture l’environnement a t-il joué un rôle essentiel ou l’homme est-il le seul acteur de son destin ? » Sans nier la part d’inventivité de l’homme, il insiste sur le poids des données environnementales.

23 4.1 Le vin : une longue maturation de 1000 ans.

L’histoire du vin en Gironde et plus particulièrement son implantation en Entre- deux-Mers ne peut que conforter les thèses de Jared Diamond. Ce vin, qui aujourd’hui est non seulement le fer de lance de l ‘économie girondine, mais encore, souvent, l’acteur principal de ses paysages, l’artisan de son patrimoine bâti. Aurait- t - il pu perdurer depuis plus de 2000 ans si ce terroir n’avait pas été ce qu’il est, si la configuration géographique du pays n’avait pas été ponctuée par ses deux rivières et par l’Isthme gaulois devenu ensuite estuaire de la Gironde ? L’implantation du premier vignoble aurait-elle pu s’adapter et proliférer si la composition des sols avait été différente, si le climat avait été autre ? Toutes choses qui, par ailleurs, n’ont pu que favoriser le développement constant du savoir faire de l’Homme jusqu’à amener ce vin, au cours des millénaires, à l’excellence qui lui est reconnue mondialement aujourd’hui ! Son histoire remonte au Vème et lVème siècles avant J.C et est liée, déjà, aux réseaux de communication. A cette époque, en effet, le vin est d’importation et arrive en provenance de la Marseille grecque et d’Italie. Ces importations sont le fait des Bituriges qui habitent ce que nous appelons aujourd’hui l’Entre-deux-Mers bordelais ; elles remplacent peu à peu le trafic d’étain venu d’Angleterre qui s’épuise faute de filons. Elles ne cesseront de se développer jusqu’au I er siècle avant J.C. Ce sont les vestiges de quelques panses d’amphores qui ont permis de dater les premières importations en provenance de la région de Marseille au V ème siècle avant J.C, c’est à dire au second Age de fer ! Il est difficile, par contre, de quantifier l’importance de ce trafic, compte tenu du peu d’éléments dont disposent actuellement les chercheurs. Dès la fin du IIIème siècle avant notre ère, l’Italie aura monopolisé le trafic avec la Gaule et naturellement avec notre région. Cette prépondérance durera jusqu’au Ier siècle 21. Le commerce s’effectue par voie fluviale mais aussi terrestre, par les voies de communication qui, traversant tout le sud de la France, contribuent à faciliter le cheminement de ces échanges quantitativement très importants. Il est vrai que les Gaulois, dont la réputation de bons vivants ne semble pas usurpée, usent et semble - t- il abusent de la « dive bouteille », en l’occurrence amphore ou cruche ! C’est Diodore de Sicile, historien grec, qui l’affirme et rapporte : « …que le naturel cupide de beaucoup de marchands italiens exploite la passion du vin des Gaulois. Sur des bateaux qui suivent le cours des eaux navigables ou sur des chariots qui roulent dans les plaines, ils transportent leur vin, allant jusqu’à troquer une

21 SIREIX C. BERTHAULT F. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du second Colloque tenu dans le Canton de Créon les 16 et 17 septembre 1989 « Le vin dans l’Entre-deux-Mers du Vème siècle avant notre ère au Vème siècle après ». p.31-36 . Editions William Blake and C°. Bordeaux.

24 amphore contre un esclave, en sorte que l’acheteur livre son serviteur pour payer la boisson 22 ». Diodore confirme bien que le vin arrivait par voies navigables et terrestres. Et ce en quantité, transporté dans des amphores fabriquées en Italie, principalement dans la région de Naples. Ces amphores vinaires ont certainement inspiré les potiers locaux qui se sont mis à façonner des gobelets à flanc droit ou concave. Il est vrai que lorsque « le vin est tiré il faut le boire » et le Gaulois de l’époque, inventif, industrieux mais aussi « grande et fine gueule » alliait là , peut-être, l’utile à l’agréable ! C’est par l’étude des différents restes d’amphores trouvés ça et là en Entre-deux- Mers qu’ont pu être reconstitués l’histoire et le parcours de la vigne et du vin malgré le peu de publications consacrées au sujet, ce que déplorent les chercheurs ; ces derniers ont pu établir, selon leurs formes, qu’elles étaient leurs origines et leurs successions chronologiques. Il apparaît que sous les règnes d’Auguste et de Tibère, (Ier siècle après J.C) des amphores espagnoles ( dites de type Pascual I ) succèdent aux amphores italiennes (type Dressel). Elles arrivent de la Catalogne Espagnole et naturellement contiennent le vin catalan qui va rapidement prendre la suprématie sur le vin italien. Ce commerce aurait pu perdurer. Et pourtant un jour, il faiblit de façon importante. On constate une baisse sensible des quantités importées d’environ la moitié, et dans le même temps apparaît une amphore de type gaulois à fond plat .

Figure 6 Les peuples du Sud Ouest de la Gaule du temps de César. Sources : Carte Archéologique de la Gaule. La Gironde 33. H.Sion.

22 ETIENNE.R Bordeaux Antique.« Diodore de Sicile » p.100. Editions Fédération Historique du Sud-Ouest (Bordeaux) 1962.

25 Planche 2

illustration 4 Vignes dans les palus en hiver

illustration 5 Atelier de tonnellerie Demptos à Cambes en 1914. Sources : « Vues de Cambes » Ass. Agato. 1986

26 Pourquoi ? Il semble bien qu’alors une production locale de vin se soit développée et ait peu à peu remplacé l’importation du vin catalan. Les Gaulois étant les inventeurs du tonneau, c’est donc en tonneaux qu’ils mettent leur vin23. La production suffit peu à peu à la consommation de la population et il est vraisemblable que l’apparition de l’amphore gauloise ait été induite par une tentative d’exportation de ce vin local vers les populations méditerranéennes habituées à ce type de conditionnement. Toutefois cette production locale de vin n’aurait pu se faire si un cépage, La Biturica, originaire d’Albanie, n’avait été importé dans la région après la romanisation. On peut rendre ici hommage à l’Homme qui a eu l’idée d’apporter sur nos terres ce nouveau plant acclimaté aux pays non méditerranéens ; il s’adapte au climat froid et humide, il donne une production abondante, et celle-ci se conserve et se bonifie avec le temps 24. Et si ce plant ne s’était pas adapté à ce nouvel environnement ? Il est vraisemblable que « la face » de la Gironde en eut été changée : paysages, patrimoine bâti, sociologie, artisanat, négoce, échanges, relations internationales, art de vivre, gastronomie, tout eut été différent ! Ce n’est pourtant qu’au IVème siècle que le poète Ausone fera, le premier, référence au vignoble bordelais (il était lui-même propriétaire de 350 hectares de vignobles) alors même que de nombreuses villae de l’Entre-deux-Mers ont des installations qui paraissent liées aux techniques viticoles, comme par exemple à Cadillac (Annexe II). Car « … il est vraisemblable que la vigne introduite dans le bordelais dès le milieu du Ier siècle de notre ère, a été la principale culture de rapport capable de dégager les profits nécessaires aux notables pour payer les dépenses de leur train de vie et celles qu’ils consacraient, à l’époque, aux grands travaux urbains 25… ». Quoiqu’il en soit, avec l’implantation du cépage «la biturica », l’aventure du vin dans le Bordelais allait devenir une véritable saga qui dure depuis plus de 2000 ans. Malgré les guerres militaires, religieuses, civiles, les épidémies de peste, les disettes, le phylloxéra, la vigne restera, ses racines enfouie au plus profond de cette terre qu’elle semble avoir faite sienne à tout jamais. En osmose avec l’Homme qui élaborera, au fil des siècles, ce vin mythique, enjeux de convoitise, objet de spéculations, mais aussi source de culture, de plaisir, et qui continue toujours à faire parler de lui dans le monde entier. A l’origine c’est naturellement dans la plaine de la Garonne, favorisée par la présence de l’eau que seront complantés les vignobles souvent avec des céréales et des arbres fruitiers, essentiellement dans les palus (ou paluds ). Il est vrai qu’à l’époque la forêt reste dominante sur l’ensemble des coteaux. En Entre-deux-Mers, c’est la Grande Forêt (Sylva Major) qui domine et répond à la forêt des graves sur la

23 La fabrication des tonneaux constituera pendant des siècles une activité économique importante sur les bords de la Garonne comme à Cambes et, encore de nos jours, il existe plusieurs tonnelleries en Entre-deux-Mers dont l’une à Saint Caprais de Bordeaux. 24 ,Aquitaine 2000 ans d’histoire, sous la direction de COCULA A-M . p.31 Ed du Sud Ouest. 2000. 25 Aquitaine 2000 ans d’histoire, sous la direction de COCULA A- M. p.31 Ed du Sud Ouest. 2000.

27 rive opposée de la Garonne26. Son défrichage sera une autre grande aventure liée au sacré mais néanmoins économique et qui ne sera pas sans incidence majeure sur l’écologie de l’Entre-deux-Mers.

4.2 Les voies de communication d’alors… Point d’échanges, point de commerces sans voies de communication. En Aquitaine les routes sont nées avant la conquête romaine, puisqu’au deuxième âge de fer environ, il y avait déjà un réseau assez dense de grandes pistes, qui par la suite, utilisé par les Romains, sera aménagé et complété de façon à constituer des réseaux entre les différentes cités. Cependant les grandes voies romaines de la Gironde oublieront l’Entre-deux-Mers, puisque, si la route Bordeaux Lyon suit de près la Garonne, elle le fait sur la rive gauche : c’est aujourd’hui l’actuelle N.113. En direction du nord, la voie romaine de Bordeaux à Saintes passe par ; un troisième itinéraire de Bordeaux à Autun est en fait la continuation de la route Saintes, Poitiers, Argenton27.

Figure 7 Les routes romaines. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde 33. SION H.p.65

26 Rivières et Vallées de France – La Garonne, sous la direction de BERNARD C. p.67. Ed Privat. 1993. 27 Aquitaine 2000 ans d’histoire, sous la direction de COCULA A-M. p.21 Ed du Sud Ouest. 2000.

28 Est-ce parce que les voies fluviales, et plus particulièrement la Garonne, étaient alors prépondérantes pour les populations demeurant sur la rive droite que l’on constate ce déficit en Entre-deux-Mers ? Ou bien est-ce la configuration du terrain marécageux de cette rive droite qui explique que la voie unique de communication vers Lyon se soit installée sur la rive gauche ? C’est en effet à partir des petits ports situés aux embouchures des ruisseaux descendant du coteau (comme à Langoiran) ou des embarcadères que possédaient les villae (telles, celles de Latresne ou Loupiac) que s’embarquaient voyageurs et marchandises : matières pondéreuses telles que le bois de chauffage ou de construction, produits agricoles tels que céréales et surtout le vin. Cette rivière, flux de transit, était aussi et restera jusqu’au XIX ème siècle une frontière entre les hommes de la rive gauche et ceux de la rive droite. Aujourd’hui encore, on ressent cette discrimination entre les gens des Graves et les gens de l’Entre-deux-Mers, tout au moins pour ceux qui sont là depuis plusieurs générations. Mais est-ce si étonnant ? « …La Garonne n’est devenue frontière que par la volonté des hommes. Dès les Celtes, elle sépare aussi les Gaulois de la rive droite des Aquitains de la rive gauche. Malgré les atouts commerciaux, elle n’a jamais pu être l’axe d’une entité politique digne de ce nom28 ». Aujourd’hui encore, les élus des deux rives n’arrivent pas à s’entendre pour mettre en œuvre des projets communs d’aménagement, comme si chacune des deux rives était une entité dissociable de ce qui les sépare, c’est à dire l’eau !

28 Rivières et vallées de France. La Garonne, sous la direction de BERNARD C.p.61 Ed Privat. 1993.

29 5 LE TEMPS DES MOINES. Douce devait être la vie en Entre-deux-Mers, pendant cette longue période de paix, donc sans histoire, tout au moins pour les plus nantis. Quand, brutalement, au 3ème siècle, la Gaule est assiégée par les Alamans et les Francs. Et même si l’Aquitaine semble avoir été relativement préservée ( bien qu’en 276 des troupes de Germains étaient venus jusqu’en Bordelais) elle en ressentira néanmoins à terme les effets. Comme toujours en période de conflits il y a ceux qui subissent et ceux qui prospèrent. Ces profiteurs étaient des propriétaires fonciers qui, en pratiquant le commerce de produits agricoles à destination des garnisons du Rhin, ont fait des fortunes. Celles-ci, bien assises, continueront de croître au siècle suivant. N’oublions pas que Bordeaux, compte tenu de sa situation géographique particulière, est devenue et reste un grand port29. Il s’ensuivra ensuite, sur l’ensemble du territoire, une longue période chaotique, pendant laquelle alterneront invasions et guerres civiles, prises et partages de pouvoirs, alliances et coups de théâtre politiques…Et ce n’est qu’à la fin du IIIème siècle que la situation militaire de l’empire romain est rétablie. Pour restaurer l’autorité de l’Etat, Dioclétien met en place « …une série de réformes dont certaines ont eu des prolongements inattendus jusqu’à nos jours ». En effet, cette nouvelle organisation administrative du territoire va avoir un rôle prépondérant, car quelques décennies plus tard, elle servira de base aux circonscriptions ecclésiastiques chrétiennes : diocèses et paroisses. En 1790, la Révolution Française reprendra pratiquement partout ces limites pour créer les départements, les anciennes paroisses devenant les communes30. Au Vème siècle le calme est revenu. Ausone célèbre « la riante Aquitaine » et le prêtre Salvien fait une description idyllique du paysage qui en dit long sur le travail effectué par l’Homme. Il parle d’un pays-plaisir « …entremêlé de vignobles, émaillé de prairies, parsemé de champs cultivés comme assaisonnés d’arbres fruitiers, ombragé de bosquets, arrosé de sources, entrecoupé de rivières ou couvert de moissons, de sorte que les propriétaires de cette terre semblaient posséder moins une portion de ce sol qu’une image du Paradis31 ». Paradis où l’on chasse dans les forêts profondes et proches, où l’on pêche dans la Garonne. La lamproie dont l’origine remonte à la nuit des temps : 420 millions

29 Aquitaine 2000 ans d’histoire, sous la direction de COCULA A-M. « …Bref, pour les contemporains, l’Aquitaine est le pays de la douceur de vivre et le pays de Cocagne qui produit tout en quantité, depuis les collines où verdoie Bacchus, jusqu’aux vallées fluviales animées où s’activent les bateliers… » p.35-39 Ed du Sud Ouest. 2000. 30 Sur la Route François Mauriac, les communes du Tourne et de Langoiran, juste séparées par l’estey du Gaillardon, paraissent être un seul et même bourg pour celui qui n’est pas averti. La première (601 habitants) est située sur le canton de Créon, la seconde (2024 habitants) appartient au canton de Cadillac. Ce qui correspond aux anciens diocèses de Bordeaux et de Benauge Cette séparation administrative qui nous vient du Vème siècle, a contribué à créer une situation de compétition entre les deux bourgs, depuis toujours. Conflits larvés qui perdurent encore et qui bloquent des projets de bon sens soit culturels soit de protection de l’environnement, comme par exemple la mise en œuvre d’une Z. P. P. A. U. P. (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) qui compte tenu de la situation spécifique du Tourne et de Langoiran devrait s’imposer de facto.

31 Aquitaine 2000 d’histoire, sous la direction de COCULA A-M. p.35. Ed du Sud Ouest. 2000.

30 d’années. L’esturgeon ou créac, aujourd’hui disparu pour cause de non gestion de l’espèce et de destruction des frayères par les extracteurs de graves, mais toujours pêché à Cambes vers 1950. L’alose, unique sujet de plaisir et de commentaires, encore de nos jours, dès que le printemps arrive. C’est alors l’invitation aux agapes villageoises à Esconac, au Tourne, à La Garonnelle à . L’alose, superbe poisson, pêchée dans la nuit, achetée le matin aux pêcheurs de Cambes ou aux pêcheries du Cap Horn à Lestiac, habillée de feuilles fraîches et odorantes de lauriers, grillera sur la braise des sarments, embaumant tout, y compris les conversations. Car, au printemps, il n’est pas de sujet plus important que l’alose sur les rives de la Garonne riveraine de la Route François Mauriac ! Mais revenons au Paradis ! Est-ce lui qui a séduit l’Empereur Constantin au seuil du IVème siècle, le décidant à décréter que l’Eglise ne serait plus une secte clandestine ? Par sa conversion, l’Empereur Constantin donne un statut officiel et institutionnel à l’Eglise qui aussitôt s’installe en position dominante, calquant sa hiérarchie sur celle de l’administration romaine. Forte de ce statut, l’Eglise part à la conquête de l’Europe, intermédiaire obligé entre le peuple et la puissance divine. Elle ira, endoctrinant, convertissant, administrant, et lorsque l’empire romain s’effondrera elle triomphera. Elle perdurera malgré les dernières invasions et les hordes de pillards qui font fuir les moines avec livres, reliquaires, chants et psaumes. Mais là où les moines s’installent, ils enrichissent les coutumes locales de leur savoir32. Au début du 2ème millénaire, une phase de stabilité s’amorce. Elle génère un essor démographique et une certaine prospérité malgré les aléas catastrophiques et imprévisibles que sont les famines et épidémies avec leur cortège de morts. Cette embellie est vraisemblablement due à un renforcement de la cellule familiale liée à la cellule paroissiale, en même temps que se mettent en place des structures politiques mieux adaptées à une société devenue presqu’ entièrement campagnarde. En 1030, les Prélats du nord de la France déclarent que, selon le droit divin, les hommes se répartissent en trois catégories : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. Ces derniers, plus ou moins consentants, vont entretenir par les fruits de leur labeur les guerriers qui doivent les protéger et les hommes d’église qui ont mission de les conduire au Salut. De cette organisation l’église tirera une grande part de ses richesses. Les paysans, de plus en plus nombreux, remettent en valeur des terres laissées à l’abandon en raison des guerres et désordres multiples survenus pendant des siècles. Ils défrichent, augmentent les surfaces de culture et ce d’autant mieux que l’outillage plus performant permet une hausse des rendements ! Nous pouvons imaginer les bouleversements sur l’environnement naturel : l’espace se structure, les paysages se façonnent au gré de l’agriculture : défrichements, mises en cultures, pacages … etc. Le surcroît de richesse, ou tout au moins ce qui est désigné comme tel par décision des bénéficiaires de fait, va aux gens de guerre et gens de prière. Ceci explique pourquoi, au XIème siècle, les monastères d’Europe seront au cœur de l’essor économique. Et, en Entre-deux-Mers, Saint Gérard est arrivé !

32 DUBY G. Art et société au Moyen âge p.29. Editions du Seuil. 1997.

31 5.1 Gérard de Corbie 33 Il arrive « plein d’usage et raison ». Il a déjà près de 60 ans, un grand âge pour l’époque, peut être même est-il un peu fatigué ! Il a l’expérience de plusieurs pèlerinages successifs et quelques échecs à son actif : il n’a pas vraiment réussi à la tête des illustres communautés de Saint Vincent de Laon et de Saint Médard de Soissons. C’est probablement ce qui le décide à reprendre la route. Mais, auparavant, avec cinq compagnons-chevaliers, il demande audience au puissant Duc d’Aquitaine Guillaume VIII et lui exprime son désir de s’installer sur son Duché. Cela se passe à Poitiers en 1077 ou 1079. Le Duc d’Aquitaine lui promet son aide. Après avoir consulté ses conseillers et le prévôt de Bordeaux, un certain Raoul, il lui indique le lieu où il pourra s’installer : dans la forêt de Majeure (la sylva major) au cœur de l’Entre-deux-Mers (inter-dos-Mars) . Gérard de Corbie et ses compagnons partent pour Bordeaux et y retrouvent Raoul le Prévôt. Guidés par celui-ci, les voyageurs se rendent sur le lieu. Pour ce faire, ils traversent vraisemblablement la Garonne à Floirac ou à Bouliac, bien que cela ne soit pas précisé dans les écrits de l’époque, tout comme il n’est pas fait état de difficultés particulières rencontrées pendant ce voyage . Ce qui laisserait à penser qu’une voie de communication existait depuis la Garonne jusqu’au lieu choisi34. En ce temps là qu’en était-il des routes et des chemins de l’Entre-deux-Mers ? Les travaux de référence pour l’époque antique restent ceux de Camille Jullian35. Ce dernier supposait l’existence d’une voie antique de direction ouest / est coupant transversalement cette région en son centre. Cette voie partait de Bordeaux, se dirigeait vers Floirac, puis Bouliac, remontait à travers le coteau jusqu’à la crête, suivait alors la ligne de partage des eaux des bassins versants de la Garonne et de la Dordogne.

33 Saint Gérard né dans les années 1020 est placé dès son plus jeune âge comme oblat dans un monastère à Corbie. De santé fragile, il n’en devient pas moins grand voyageur et pèlerin ; il ira à Rome et en Terre Sainte. Appelé à diriger d’illustres abbayes, il va essayer d’y apporter des réformes qui ne seront pas admises par les moines entrés en résistance ! Il part alors, vraisemblablement frustré et déçu, décidé d’entreprendre de nouveaux voyages : pèlerinages vers de vénérés sanctuaires, recherche d’un désert pour y vivre en ermite, ou encore recherche d’un lieu pour y fonder une communauté respectueuse de la règle de Saint Benoît. C’est cette dernière alternative qui prévaudra et l’amènera à fonder l’Abbaye de la Sauve Majeure. 34 ARAGUAS P. L’abbaye de la Sauve Majeure.p.1-27. Editions du patrimoine. 2001. 35 JULLIAN C. Description romaine de Bordeaux T 2 p 135. Bibliothèque Municipale Bordeaux.

32

Figure 8. Aperçu du réseau routier de l'Entre-deux-Mers bordelais du Haut Moyen âge. Sources : L'Entre-deux-Mers à la recherche de sonidentité. Véme colloque tenu à La Sauve Majeure . septembre 1996.p 46 .

Il est probable que cette route ait été celle empruntée par Gérard de Corbie et son guide à condition que cet itinéraire antique ait encore existé au XIème siècle ! Et pourquoi pas ? La carte de Cassini qui date du XVIIème siècle laisse apparaître une route qui va de La Sauve à Bordeaux en passant par Créon, Bouliac et Floirac. De nos jours encore cet itinéraire existe et la partie située entre Bouliac et Floirac, soit en amont de Latresne, appartient à la départementale 10. Indépendamment de cette voie « structurante » il existait tout un réseau de chemins. Ces derniers ont souvent été utilisés pour servir de limites entre les paroisses lors de leur constitution qui s’est échelonnée du VIème au XIIIème siècle. C’est à dire pendant près de 700 ans ! Tout ceci tend à prouver que contrairement à ce qui a été affirmé quelquefois, le lieu d’implantation de la nouvelle abbaye n’était pas inaccessible ni si isolé du reste du Bordelais. En fait l’abbaye va se situer à proximité de la croisée de deux axes, l’un ouest / est, la reliant à Bordeaux, l’autre nord / sud, la plaçant au cœur de l’Entre-

33 deux-Mers entre Dordogne et Garonne. Situation stratégique, on le verra par la suite, pour le transit et le commerce des productions et marchandises provenant ou allant à l’abbaye36. Par contre au XIème siècle et encore pendant longtemps, il n’est fait référence à aucune voie longeant la Garonne sur sa rive droite. Seul le fleuve reste la voie de communication et d’échanges entre les hommes.

5.2 L’Abbaye de la Sauve Majeure. Arrivé à bon port et à pied d’œuvre, Gérard de Corbie découvre un espace qui n’est plus tout à fait vierge, car ici comme ailleurs, les Romains auront été « …les premiers à ouvrir des clairières de civilisation … » en colonisant les parties les mieux exposées du plateau. Cependant, rien de comparable avec les riches villas construites en bordure de Garonne et de Dordogne. Il s’agit de pauvres établissements qui seront abandonnés dans la panique vers 270 lors des premières invasions barbares, les malheureux fugitifs prenant toutefois la peine d’enfouir leur trésor avant de s’enfuir, espérant sans doute pouvoir les récupérer un jour37. Cependant la donation consentie à Gérard de Corbie est confirmée en 1079 par le Concile de Bordeaux et garantie l’année suivante par le Duc d’Aquitaine Guillaume VIII. Celui-ci accorde au nouveau monastère l’immunité 38 qui octroie de fait à son abbé les prérogatives d’un Comte . Ayant tous les pouvoirs et présentant toutes les garanties, la Sauveté va attirer des colons venant défricher les terres et regrouper les familles éparses installées autour de quelques petits sanctuaires .

36 BOUTOULLE F.- GUIET H.- PIAT J-L. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Vème Colloque tenu à la Sauve Majeure en 1996 « La Sauve Majeure lors de l’arrivée de Gérard de Corbie » p45- 47 et 62. Editions du C.L.E.M Camiac Saint Denis (Gironde). 37 Mais ce sont les chercheurs qui, quelques siècles plus tard, trouveront ces petits magots de monnaies à , Camiac, Créon, bourgs situés alentours de la Sauve. Autant de vestiges témoignant de l’occupation de l’Homme dans la Sylva Major au IIIème siècle. Cet Homme qui ne devait pas revenir avant longtemps. Ici, le silence, la végétation ont du retrouver leur prééminence, car aucun autre vestige n’a permis de prouver qu’il y avait eu une continuité de l’occupation du sol à l’époque carolingienne et mérovingienne. Lorsque Gérard de Corbie arrive, il ne trouve sur place qu’une pauvre chapelle de terre et bois construite par un ermite qui dépendait plus ou moins d’une lointaine abbaye de Maillezais. Modeste occupation qui a pourtant occasionné quelques désagréments provoqués par une revendication de droit de propriété de la part des titulaires.

38 Abbaye immune : l’Abbaye de la Sauve Majeure bénéficie du statut d’abbaye immune, c’est à dire indépendante tant du pouvoir ducal que de celui des évêques. En même temps que du statut de « sauveté », c’est à dire un territoire soustrait (en principe) aux mauvais usages et aux violences des gens de guerre, un havre bénéficiant de tous les avantages institutionnels et juridiques.

34 Planche 3

illustration 6 Vue générale de la Grande Sauve du chemin de Blézignac. Album de la Grande Sauve (1851). Eau forte n° 315 de Léo Drouyn. Léo Drouyn. Les albums de dessins de l’Entre-deux-Mers de à la Sauve Majeure. Vol. 4 p. 138. Editions du CLEM. Camiac Saint Denis.

illustration 7 L’abbaye vue des vignes. 2000.

35

Figure 9 Les mouvements migratoires à longue distance en direction de la Sauve Majeure d'après les noms d'origine de ses habitants (fin du XIIème siècle). Sources : L'Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Vème colloque tenu à La Sauve Majeure. sept.96. Durant les deux premiers siècles de son existence l’Abbaye va constituer un patrimoine foncier et étendre son influence non seulement en Aquitaine, mais aussi en Picardie, Champagne, Angleterre, Castille et Aragon. A la fin du XIIème siècle , elle est au sommet de sa puissance avec une congrégation forte de 76 établissements monastiques répartis sur 17 diocèses . Son rayonnement sur l’Entre-deux-Mers est considérable et il est facile d’imaginer non seulement quelle est l’importance de son influence sur l’économie régionale mais aussi quel rôle essentiel elle a eu sur les modifications apportées à l’environnement et au paysage. Peu à peu la forêt laisse la place aux cultures, à l’époque diversifiées : la vigne bien sûr ( bien qu’elle n’ait pas du tout l’importance qu’elle a de nos jours) mais aussi les prairies avec l’élevage, les champs de céréales avec l’établissement de moulins à eau au bord des ruisseaux versants de la Dordogne et Garonne, de moulins à vent sur le plateau ; la forêt devient productive, elle est exploitée pour le bois de charpente et de chauffage ; également, les cultures du lin et du chanvre, plutôt dans la vallée de la Garonne à Cambes et au lieu dit Les Barthes au Tourne, qui permettront le développement de l’activité de tisserands.… Dès sa création, les dons des seigneurs et pèlerins affluent vers la congrégation religieuse. Donations foncières, vignes, près, bois et autres biens ruraux éparpillés sur un vaste territoire. Pour assurer une bonne gestion de ce patrimoine foncier, des établissement prioraux sont créés. Les moines qui en ont la charge doivent mettre en valeur les biens et contribuer en quelque sorte, déjà, à améliorer la productivité !

36 Vingt cinq prieurés sont créés, dont la plupart sur le plateau calcaire, occupant une terre laissée vierge par les monastères bénédictins de Saint Jean d’Angely et de Sainte Croix de Bordeaux, dont les établissements prioraux se situent essentiellement dans les vallées de la Dordogne et de la Garonne, c’est à dire en des points éminemment stratégiques. L’Abbaye de la Sauve Majeure n’hésite pas à installer ses propres prieurés, pour les concurrencer, face à ceux que possèdent les autres abbayes, entre autre au Tourne et à Loupiac, sur l’actuelle Route François Mauriac ! Car si la localisation des propriétés foncières est un facteur à prendre en compte pour l’installation d’un prieuré, la situation de ce dernier par rapport à un axe de communication, routes ou fleuves, en était un autre ! Comme tous les établissements monastiques de l’époque, l’Abbaye de la Sauve Majeure est non seulement un lieu de culte et de prières, mais aussi (surtout ?) une extraordinaire entreprise économique39. Entreprise qui a besoin de contrôler les axes de communication pour écouler, faire transiter les marchandises mais aussi les hommes : ceux qui viennent s’installer dans la Sauveté, assurés d’y trouver du travail et la sécurité ; ceux qui y font commerce (les marchés et foires sont nombreux et renommés : il existe entre autre un important commerce de boucherie avec Bordeaux). Enfin les prieurés sont des étapes où le voyageur, le pèlerin, peuvent trouver refuge et couvert.

5.3 Les pèlerins. Depuis le début de son histoire, l’Homme a été en mouvement. Seul, en groupe, il part en quête, car tout déplacement répond à un besoin économique, politique. Recherche d’une vie meilleure (… de nourriture, de travail, de paix…) Il n’est que de voir les flux migratoires actuels en provenance des pays pauvres et en partance vers un « Eldorado » qui s’avère, souvent, en fin de parcours, aussi virtuel que le monde des nouvelles technologies ! L’Homme part aussi en quête spirituelle, gage d’une survivance paradisiaque dans l’au-delà ; ce qui a donné lieu à la pratique du pèlerinage et des grands rassemblements religieux. Cela existe depuis toujours, sur tous les continents, dans toutes les religions et n’est pas près de cesser. En ce qui concerne les Chrétiens, c’est dès le Vème siècle qu’ils prennent l’habitude de se rendre en Palestine sur les lieux Saints. Cet éveil spirituel va se poursuivre pendant plusieurs siècles et se manifester par des déplacements incessants vers Rome, Jérusalem et Saint Jacques de Compostelle. Et ce malgré les nombreux périls : la faim, la fatigue, mais aussi le brigandage. Les monastères et prieurés constituent des étapes, havres de paix, de prières, de recueillement où le pèlerin reprend des forces, voire, épuisé, finit sa vie. L’Abbaye de la Sauve Majeure ne déroge pas à la règle. Devenue l‘un des plus importants centres monastiques du Sud Ouest, elle est sans nul doute une étape pour le pèlerin qui parcourt le Chemin de Saint Jacques de Compostelle. Et même si l’Abbaye n’est pas située sur l’une des quatre grandes routes signalées dans le Guide

39 Les documents relatifs à l’implantation de Gérard de Corbie et à la fondation de l’Abbaye de la Sauve Majeure sont nombreux. Parmi eux, les deux cartulaires conservés à la Bibliothèque municipale de Bordeaux : le Petit et le Grand Cartulaires transcrivent des actes de la constitution de l’Abbaye et de son temporel.

37 du Pèlerin d’Amaury Pacaud, de nombreux documents attestent de son rôle d’étape. Les cartulaires consignent les nombreuses chartes de donation des pèlerins en reconnaissance de l’hospitalité reçue au monastère.

Figure 10 Les chemins de Saint Jacques de Compostelle. Sources : Atlas historique des routes de France. Presse Ponts et Chaussées.

Bien que par sa situation l’Abbaye soit à l’écart des deux grandes voies jacobites de la région, elle est néanmoins implantée à proximité d’un chemin rejoignant la Dordogne à la Garonne : « …située au débouché de la voie secondaire venant d’Angoulème et d’Aubeterre, ce fut incontestablement l’élément déterminant dans son insertion dans le réseau jacobite. Progressivement néanmoins, les Bénédictins modifièrent le tracé de cet itinéraire allant d’ à Cadillac en fonction de la géographie de leurs prieurés . Ainsi ils (les moines)favorisèrent le port de Génissac comme point de passage sur la Dordogne et celui du Tourne pour le franchissement de la Garonne … »40. « On va de La Grande Sauve à Saint Jacques par deux voies.. le chemin tracé par Saint Gérard jusqu’au Tourne, et qui en s’écartant de la ligne qu’il suivait autrefois

40 GUIET H. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité.Vème colloque tenu à La Sauve Majeure les 9-10-16-17 septembre 1996 « L ‘agglomération de la Sauve Majeure de la fin du XIème siècle au début du XIVème siècle, naissance et apogée d’une ville monastique ».p 86. Editions C.L.E.M à Camiac Saint Denis (Gironde).

38 et aujourd’hui encore passait par Langoiran. Il y avait dans cette dernière localité un hospice pour les pèlerins, dépendant de la Sauve… » Le Port du Tourne à l kilomètre de Langoiran ; possessions à l’abbaye ; passage libre en sa faveur accordé par plusieurs rois. . A 2 kilomètres du port du Tourne, en traversant la Garonne ; prieuré et hospice dit de Saint Vincent, dépendants de La Sauve41. La deuxième voie est la route de crête dont il a été question au moment du voyage de Saint Gérard : après être passé par Créon, Calamiac (sic) , , le pèlerin arrivait à Port Trajet, à un « myriam et demi »(environ 15 km) de Sadirac. Monastère sauvetat, hôpital du temps de Saint Gérard, le port en 1273 appartient à des citoyens bordelais. C’est par là que pour aller de Bordeaux en Entre deux Mers, on traversait la Garonne avant que le port de La Bastide n’existe. Tout ou partie des terres du prieuré du Tourne proviennent du legs suivant42 : Guillaume-Bernard de La Ferrière, chevalier, s’est consacré au service de Dieu en l’état religieux ans le monastère de Notre Dame de La Sauve Majeure et a donné des terres au Tourne en neuf endroits, sur le port, près le port, entre l’étang et le chemin par lequel on descend de l’église de Langoiran vers le port, et de plus une esquarte de froment de rente sur le moulin de Fontairaud, et tous les fonds allodiaux dont il jouissait dans les paroisses de Langoiran, Sescas, Sainte Croix du Mont, Loupiac, Escoussan et Camblanes. Toutes lesquelles choses l’abbé neuvième (Raymond de Laubesc, 9ème abbé de La Sauve de 1183 à 1194) nommé Raymond, a inféodé à ses deux filles, excepté les terres du Tourne. Un chemin est construit à l’époque de l’abbé Gérard pour aller du domaine de l’abbaye au port du Tourne. Le second bienfait temporel fut de faire des grands chemins où il en manquait. « Ainsi Guillaume Raymond de Saint-Hilaire et ses deux frères, disent nos cartulaires, permirent à dom Gérard abbé de la Sauve Majeure, de faire faire dans tout leur domaine un chemin public de dix- huit pieds de large pour aller au port du Tourne . Je n’apporte qu’un exemple de ces choses pour n’être pas trop long… ». 5.4 L’économie en marche par la grâce de Dieu. « …Au XIème siècle, alors que le Christianisme concevait le rapport des hommes avec le Ciel sous forme de dons et de contre-dons, finissait ainsi par confluer dans les Monastères, ces antichambres du Paradis, la majeure partie du luxe de la terre. Car la majeure partie du pouvoir terrestre appartenait en fait aux hommes qui vivaient là, entremetteurs indispensables entre le peuple et les forces du bien. A la tête de seigneuries prospères, bien gérées et qui ne cessaient de s’étendre, comblées par les pèlerins, par tous ceux riches et pauvres, qui désiraient que l’on sollicitât spécialement pour eux la faveur des saints, les moines voyaient parvenir entre leurs mains l’essentiel de la croissance … »43.

41 Abbé CIROT DE LA VILLE. Histoire de la Grande Sauve. 1844.Bibliothèque Municipale de Bordeaux. 42 Dom DULAURA E. « Histoire de l’Abbaye de la Sauve Majour » p.175. Bibliothèque de Bordeaux ms.1870. 43 DUBY G. Art et Société au Moyen Age .p.42. Editions du seuil 1997.

39 Tout est dit ! Comme ailleurs, l’Abbaye de la Sauve Majeure est dans la logique de ce système économique. Au début du XIVème siècle les moines possèdent des biens fonciers dans environ 27 paroisses de l’Entre-deux-Mers. Dès la fin du XIIème siècle, 11 prieurés étaient sous son autorité en Agenais, 9 en Périgord, 2 en Saintonge, 4 dans les diocèses d’Aire et de Dax. L’ Abbaye est propriétaire en outre de puissants prieurés situés dans le nord du Royaume de France, dans les diocèses de Cambrais, Soissons, Laon, Reims, Châlons, Sens, Orléans. Grâce aux relations étroites entretenues par Gérard de Corbie avec la Navarre et l’Aragon, des prieurés sont installés dans les évêchés de Saragosse et de Pampelune. Quant à l’Angleterre, c’est dans le diocèse de Lincoln que le moine installera des établissements prioraux. Bien entendu les moines sont riches grâce à cet important patrimoine dont ils tirent de substantiels revenus fonciers, mais ils le sont d’autant plus qu’ils perçoivent également les « cens » versés par les établissements monastiques qui sont liés à l’Abbaye. Enfin les donations multiples et pieuses effectuées en numéraires en échange de prières et indulgences, contribuent à alimenter cette accumulation de richesses. Richesses, qui, pour partie, sont redistribuées dans l’économie locale (pendant plusieurs siècles l’Abbaye est un chantier permanent) et contribuent à assurer une croissance urbaine, élément primordial pour le développement démographique et pour la multiplicité des échanges, y compris sur de longues distances. Echanges qui s’effectuent par le port de Bordeaux via les petits ports fluviaux de Dordogne et Garonne. On comprend là l’importance des ports de et de Langoiran, mais aussi de Cadillac et vraisemblablement de , de Cambes et de Camblanes. Par eux transitaient en provenance de l’Abbaye, non seulement les pèlerins, mais aussi les commerçants et les marchandises : le bois, les céréales, le vin, les fruits et légumes, les produits de la pêche, mais encore les produits manufacturés fabriqués par les artisans tisserands, forgerons … L’Abbaye, au cœur de l’Entre-deux-Mers, irriguait tout le pays et au-delà par le biais de ses voies de communication terrestres et fluviales, alimentait toute une activité vitale non seulement pour la population vivant sur le coteau mais aussi pour celle riveraine de la rive droite de la Garonne .

40

Figure 11 Les établissements prieurés de l’Entre-deux-Mers bordelais au Moyen Age. Sources : L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Vème colloque. Septembre 1996. p. 175.

5.5 Grandeur et décadence de l’abbaye.

Dès la création du monastère par Gérard de Corbie, les moines avaient souhaité favoriser la naissance d’une agglomération. C’était pour eux un moyen d’exercer leur influence sur l’Entre-deux-Mers. Au fur et à mesure du rayonnement et du développement économique de l’abbaye, la bourgade de la Sauve Majeure, par effet de synergie, devient la seule petite ville importante de l’Entre-deux-Mers bordelais. Au milieu du XIVème siècle sa population est forte de 200 feux. Cependant le statut même d’abbaye « immune » qui implique une impossibilité juridique pour le Duc d’Aquitaine d’appliquer ses principes sur les terres de l’Abbé, va à terme, causer la perte de l’Abbaye 44. En effet les « bourgeois » de la petite ville de la Sauve Majeure (aussi bien ceux qui y habitent que les Bordelais qui y ont des intérêts) supportent de plus en plus mal l’intransigeance du pouvoir seigneurial de l’Abbé. Ce qui occasionne pendant plusieurs années et à plusieurs reprises troubles et conflits, auxquels il y a lieu d’ajouter les luttes d’influence politique entre le Roi-Duc Edouard II (Anglais) et Philippe le Bel, Roi de France.

44 GUIET H. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du Vème Colloque tenu à La Sauve Majeure les 9.10.16 et 17 septembre 1996.L’agglomération de la Sauve Majeure à la fin du XIème siècle, naissance et apogée d’une ville monastique.p.101 Editions du C L E M Camiac Saint Denis (Gironde).

41 La rigidité et le conservatisme des Abbés successifs aboutissent à la création, en 1313, de la bastide de Créon. Là se fixent les Bourgeois qui bénéficient de plus larges libertés : celles qui étaient revendiquées depuis près d’un siècle. La bastide de Créon, soutenue par les éléments dynamiques de la population sauvoise et par l’administration du Roi-Duc, non seulement prend rapidement une certaine dimension, mais encore va marquer le déclin de la ville monastique. Les crises du XIVème et XVème siècles, guerre de cent ans, épidémie de la grande peste, causent de tels dégâts - dépopulation, désertification, déstructuration de l’espace rural - qu’il s’ensuit un affaiblissement sans précédent de ce qui était « la tête et le cœur » de la vitalité de l’Entre-deux-Mers. L’Abbaye de la Sauve Majeure, malgré plusieurs tentatives de redressement au cours des siècles, ne s’en remettra jamais ! Elle poursuivra une lente agonie. Au XVème siècle les prieurés sont démantelés, les possessions étrangères redistribuées. En 1650, il ne reste plus que sept moines ! A la Révolution Française, en 1793, elle est nationalisée. Les bâtiments monastiques servent de maison d’arrêt ; puis la mairie et trois fermiers y prennent leurs quartiers et pillent ce qui peut l’être encore ! En 1808, les voûtes s’effondrent ; en 1818, les bâtiments sont vendus et la démolition pierre à pierre commence ! Aujourd’hui, après quelques avatars et vicissitudes supplémentaires, l’abbaye est classée au titre des Monuments Historiques (1840) et bénéficie depuis quelques années de toute la sollicitude de l’Etat ! De nos jours,10.000 touristes, ces pèlerins des temps modernes, visitent chaque année ce qui fut l’un des sommets de l’architecture romane. Du haut de la tour du clocher, ils peuvent admirer cette magnifique campagne de l’Entre-deux-Mers. Pratiquement partout, les rais de vignes ont remplacé les multi-cultures, conférant au paysage des airs de jardins à la française, ponctués par quelques vestiges de bois qui puisent leurs racines dans les vallons creux. Là, coulent toujours les petits ruisseaux versants. Mais ceux-ci, souvent nettoyés, faucardés de façon intensive par les engins mécaniques, perdent peu à peu leur âme, quand ils ne sont pas tout simplement négligés par l’Homme ! Les touristes après avoir côtoyé l’espace céleste, redescendent et peuvent se rendre à la grange abbatiale ou Maison dîmière devenue depuis le début du troisième millénaire la Maison des Vins de l’Entre-deux-Mers. Là ils goûtent, achètent ces vins qui n’ont plus rien à voir avec le vin de messe d’antan, mais qui continuent d’être le fer de lance de l’économie locale. Sur le parking de l’abbaye, où sont rangés les « chevaux-vapeur », une pancarte invite à la vigilance. De petits malfrats visitent de temps à autre les voitures de préférence étrangères, remplaçant en cela les brigands de grands chemins qui dépouillaient les pèlerins.

42 Notre pèlerin moderne, qui poursuit son voyage, traverse le bourg de la Sauve qui paraît s’être figé, comme terrassé par « …le sortilège des ruines et leur véhémence tragique …» 45 et arrive à Créon. Créon, ville nouvelle en 1313, devenue rapidement le siège de la prévôté. Petite merveille architecturale avec sa place carrée entourée d’arcades où les commerçants à l’abri sous les couverts continuent d’attirer le chaland. Créon, cité d’hommes libres, a remplacé la cité monastique, est devenue un lieu d’animation et d’échanges qui depuis près de sept siècles ne s’est jamais démenti. Il n’est que de voir le marché le mercredi, haut lieu de rencontres des autochtones, des touristes .On y refait toujours le monde sous les « couverts », les producteurs locaux y vendent les produits du terroir : volailles, fromages, charcutailles … Mais il ne faut pas se leurrer, en dehors de cet aspect « folklorique » Créon subit de plus en plus l’influence de la métropole bordelaise. Aujourd’hui, cité péri-urbaine, elle est soumise aux aléas et dangers que présuppose l’aménagement du territoire et les enjeux d’échanges trans-européens ! Quittant Créon, le touriste-pèlerin souhaitant se rendre sur la rive de la Garonne, donc sur la Route François Mauriac, emprunte ce qui fut peut être le chemin de Saint Gérard et qui allait jusqu’au port du Tourne, c’est à dire aujourd’hui la départementale 20. Il peut souhaiter s’arrêter à Saint Genès de Lombaud pour admirer l’ancien prieuré. Mais il en sera peut-être dissuadé par la puanteur ambiante de l’air générée par la plus grosse distillerie traitant les effluents viticoles de l’Entre- deux-Mers, qui fait tache dans le paysage de la magnifique petite vallée du Lubert46. Revers de la médaille d’une économie triomphante qui n’a pas encore compris que la qualité totale implique aussi le respect des normes de protection environnementale ! En passant son chemin, arrivé à Langoiran / Le Tourne, notre pèlerin moderne n’oubliera sûrement pas de faire étape dans la grande surface installée à l’entrée du bourg. Nouveau prieuré où des panneaux incantatoires lui rappellent que la vertu première de l’homo-economicus est d’acheter au moindre coût des nourritures terrestres venues de nulle part ! A ce point de son voyage, le touriste aura peut être déjà oublié l’Abbaye de la Sauve Majeure. Et pourtant, pendant près de 250 ans, elle aura étendu sa spiritualité, son influence économique bien au-delà des frontières de la sauveté. Et si aujourd’hui le visiteur est encore saisi par l’arrogance de ses ruines, comme si quoiqu’il fut arrivé, l’Abbaye n’avait jamais voulu s’éteindre, que dire du spectacle offert la nuit. La tour du clocher mise en lumière, est comme un phare, vu à des kilomètres à la ronde, qui continue d’éclairer l’Entre-deux-Mers.

45 HOULET J – SARRADET M. L’abbaye de la Sauve Majeure p.16 Edition Caisse des Monuments Historiques. 1966. 46 La petite vallée du Lubert est classée en zone Z. N. I. E. F. F. ( Zone Naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistisque).

43 6 LE TEMPS DES SEIGNEURS… 6.1 Cherchez la femme.

Le rayonnement de l’Abbaye de la Sauve est toujours présent. Il n’est que de voir le nombre d’églises romanes qui ponctuent le paysage, au cœur de pratiquement tous les villages de la Route François Mauriac. Certaines d’entre elles ont bien été, plus ou moins heureusement, améliorées par le Cardinal Donnet au XIXème siècle. Qu’il lui soit beaucoup pardonné ! N’est- ce pas lui qui a fait classer l’Abbaye au titre des Monuments historiques ? Les moines ont modifié durablement le paysage de l’Entre-deux-Mers, lui conférant une distinction humaniste, transformant un espace hostile en une sorte d’œuvre d’art. Mais si le paysage de l’Entre-deux-Mers est devenu ce qu’il est encore aujourd’hui, on ne peut que s’incliner devant le travail de ces hommes : laboureurs, viticulteurs, paysans, qui pendant plusieurs générations ont domestiqué la nature : débroussaillé, élagué, creusé, rectifié, aménagé, ensemencé, planté, sélectionné…Pour eux il s’agissait de parachever l’œuvre du Créateur et en cela, sans le savoir, ils ont aussi modifié durablement les écosystèmes existants au bénéfice de l’Homme. Si l’Abbaye a pu avoir cette domination c’est aussi parce que le contexte politique s’y prêtait. L’Entre-deux-Mers est en Aquitaine et en l’an 1000 on voit poindre une nouvelle société où les « chefs » tiennent les châteaux47. Et même si sous le règne de Hugues Capet, les Ducs restent puissants en ayant comme assise l’Eglise, c’est aussi l’époque où les territoires se morcellent, où vicomtes, seigneurs, châtelains édifient leurs propres seigneuries avec châteaux et forteresses où se regroupent les guerriers cavaliers. Ces derniers devenus « chevaliers » par la force du verbe, se doivent aussi d’être porteurs d’un nouveau système de valeurs. C’est dans ces circonstances de morcellement politique que les familles princières soutiennent les initiatives de réforme des ecclésiastiques, dont les monastères, telle l’abbaye de la Sauve Majeure. Les Seigneurs en tirent avantages, honneur et puissance, et les institutions religieuses permettent aussi de quadriller le territoire et d’encadrer les populations !

47 Aquitaine 2000 ans d’histoire, sous la direction de COCULA A-.M. p.59-73. Ed du Sud Ouest. 2000.

44 Planche 4

illustration 8 Extrait de La Tapisserie d’Anor d’André Berry. Bois de Pierre Jean Mathan, aquarelle de Jacques Fabrège. Edition Aux dépens d’un amateur. 1969.

45

Ce qui n’empêche pas les aléas des alliances et successions, compliquées et contestées, entre les grandes familles comtales d’aboutir en 1058 à la constitution de la Grande Aquitaine qui s’étend de la Loire aux Pyrénées jusqu’aux confins de l’Auvergne et Toulouse, et dont la responsabilité est dévolue à Gui-Geoffroi sous la dénomination de Guillaume VIII. Près de 80 ans plus tard, ce sera Guillaume X, l’un de ses successeurs, qui part en état de repentance faire un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle où il mourra, espérons en état de grâce! Cette mort aura un retentissement considérable sur le devenir de notre région. Guillaume X laisse une orpheline, Aliénor, âgée alors de 13 ans. Elle hérite de l’Aquitaine et 4 mois après la mort de son père elle est mariée à Louis VII, le fils de Louis VI (la jeune enfant lui avait été confiée par Guillaume X avant son départ pour l’éternité). La jeune épouse a du caractère et semble t-il aussi du tempérament. Le mariage est orageux et Aliénor, rebelle, féministe avant l’heure, refuse « les soumissions que l’on impose aux épouses instituées par la volonté divine »48. Quelques années passent et elle demande le divorce, prétextant une « consanguinité », l’obtient et deux mois après s’être séparée de son Roi de France, scandale, elle épouse le Duc de Normandie, comte d’Anjou et du Maine, qui devient en 1154 Henri II roi d’Angleterre. Outre l’Aquitaine, qu’Aliénor apporte en dot, elle donnera au roi de nombreux enfants dont Richard Cœur de Lion qui deviendra lui-même Duc d’Aquitaine en 1172. Par son mariage, Aliénor va sceller le destin de l’Aquitaine à celui de l’Angleterre pour près de trois siècles. Cette alliance sera propice au développement économique, mais aussi génératrice de turbulences territoriales marquées par de multiples conflits anglo-français ainsi qu’entre les grands seigneurs. Ce qui finalement se traduira par une annexion au Royaume de France. Jusqu’au dernier moment, le noyau dur, le cœur des pouvoirs politique et militaire se situe à Bordeaux et dans son arrière pays. En 1450 ceux-ci constituent encore le maillon le plus solide des liens entre l’Aquitaine et l’Angleterre. Il est vrai que les enjeux commerciaux ne sont peut être pas étrangers à des liens aussi indéfectibles.

6.2 La guerre de Cent ans.

Cette guerre franco-française, dont l’enjeu est pour le Roi de France de parfaire son royaume en annexant cette province qui lui échappe depuis si longtemps, commence en 1337 et finit en 1453, avec de longues périodes d’accalmie (par exemple au Moyen âge les opérations militaires n’ont lieu que pendant les mois d’été). Cela n’exclut ni la misère, ni les épidémies, en alternance avec des périodes de reconstruction et de prospérité.

48 Aquitaine 2000 ans d’histoire , sous la direction de COCULA A-.M. p59-73. Ed du Sud Ouest. 2000.

46 Quoiqu’il en soit, l’Entre-deux Mers paiera un lourd tribut. La guerre sera un facteur important de dépeuplement. Il est vrai que, passage obligé vers Bordeaux, l’Entre- deux-Mers de 1337 à 1453 sera traversé de nombreuses fois par les armées de féodaux et de mercenaires49. Ajoutons à ce désastre qu’est toujours une guerre, la grande épidémie de peste en 1348 et l’on comprend l’importance des atteintes faites à des structures démographiques déjà fragilisées. D’autant plus que 1363 sera aussi l’année d’une grande famine, et que de 1407 à 1442 les hivers seront particulièrement rigoureux. Peu à peu l’Entre-deux-Mers se vide de sa population et plonge dans le marasme. L’activité agricole est en jachère sur des superficies considérables. C’est d’ailleurs à partir du XIVème siècle que l’on voit apparaître dans le cartulaire de l’Abbaye de la Sauve le terme de « désert » associé à l’état général de la « tenure » dont il est question « …ces déserts étalés en de larges nappes…sont la carte de visite laissée par la guerre dans un des pays les plus riches d’occident… ». Au bout d’un certain temps la nature a repris ses droits et les bois, les genêts envahissent les terres cultivées en céréales et vignes. Il semble que la vallée de la Garonne et le centre du plateau soient beaucoup plus touchés que la partie occidentale. C’est là où l’on trouve les principaux chemins qui convergent vers la Sauve, se poursuivent jusqu’à Bordeaux et que parcourent les militaires. En 1453, la Bataille de Castillon met enfin un terme à la guerre. Une page de l’histoire de l’Aquitaine est tournée, une autre commence, solidaire désormais de celle du Royaume de France.

49 BOUTTOULE F. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du premier colloque tenu en Pays de Branne les 19-20 septembre 1987. Le dépeuplement de l’Entre-deux-Mers pendant la guerre de Cent ans à travers le fonds de la Sauve. p 59-68. Editions William Blake and C° Bordeaux.

47 Figure 12 Les paroisses au Moyen Age d'après le plan de Bordeaux vers 1450 (A.M.de Bordeaux 1874) La situation de l’Entre-deux-Mers est dramatique. Pratiquement vidé de ses habitants, ce sont des immigrants50 venus du Poitou, de l’Angoumois, de Saintonge, mais aussi de Touraine et de Bretagne, qui colonisent dès 1470 cet espace ruiné : habitations, villages, hameaux sont complètement détruits et les terroirs sont devenus stériles. Certains d’ailleurs ne s’en remettront jamais. Bien entendu les échanges commerciaux régionaux sont perturbés, particulièrement ceux qui concernent le grand commerce du vin.

L’après-guerre. Il est une constante dans les guerres : elles suscitent toujours des bouleversements durables de la société et paradoxalement ensuite une dynamique. Car l’Homme est ainsi fait, destructeur, n’est-il pas aussi un infatigable bâtisseur, impulsé en cela par l’instinct de survie de l’espèce ? La Guerre de Cent ans ne dérogera pas à la règle. Après ces années de crises, l’appauvrissement est général, mais c’est la petite noblesse rurale qui paie le prix fort. Elle a beaucoup donné, perdu de nombreux hommes, est souvent ruinée, et quand elle ne l’est pas complètement ses terres sont confisquées. Par contre cette fin de guerre est une occasion inespérée pour les profiteurs que sont les patriciens, les marchands des villes, les bourgeois enrichis par le négoce : soucieux de respectabilité, d’honneurs, ils investissent dans les biens fonciers et construisent des domaines dans l’arrière pays bordelais. Ils redécouvrent les charmes des bords de Garonne, sans savoir qu’ils sont en quelque sorte revenus sur les traces des villae des riches romains. 6.3 Un siècle plus tard… Après la guerre de Cent ans il s’ensuit une période de prospérité qui durera près d’un siècle jusqu’au moment où le Royaume de France connaît la pire des guerres, la guerre civile, la guerre fratricide : depuis 1648 la Fronde fait rage et durera cinq ans. L’Entre-deux-Mers en subit les effets qui laisseront des traces irréversibles sur la démographie et sur l’emprise de certaines terres agricoles 51, tout comme l’avait fait la guerre de Cent ans auparavant. Le peuple a faim, il sera affamé. Des villages entiers sont décimés ; les habitants subissent tueries, tortures, viols, pillages de la part de cohortes de combattants, en

50 Ces immigrants étaient recrutés par les seigneurs pour favoriser le repeuplement. Les Gascons leur donnent le nom péjoratif de « gavaches » (ou Gaulois, car ils ne parlent pas la langue d’Oc). 51 SOUQUE H. L’Entre- deux- Mers à la recherche de son identité. Actes du 1er Colloque à Branne les 19 et 20 septembre 1987. « …par exemple Baurech comptait en 1648, 940 habitants, puis les registres paroissiaux en indiquent 110, ensuite 469 et aujourd’hui au dernier recensement 633. Quinsac en comptait 1730 puis 440 et aujourd’hui 1868 soit à peine plus qu’au XVIIème siècle. Quant à Langoiran, Léonard Roby, procureur d’office et témoin de l’époque, déclare nombreuses maisons brûlées ; il ne restait au moment de l’enquête que 23 personnes au lieu de 250…sans compter le château de Langoiran bâti au début du XIVème siècle par le Pape Clément et démantelé par le Duc d’Epernon en 1649… ». p107. Editions William Blake and C°.

48 alternance selon les combats. Ceux-ci ont lieu sur terre et sur le fleuve entre les « Epernonistes et Royalistes » et les « Frondeurs ». Planche 5

illustration 9 Château de Langoiran. XIIIème siècle. Mai 2001.

illustration 10 Château de Cadillac. Mai 2001.

49 Il faut attendre que le jeune roi Louis XIV grandisse pour qu’enfin le calme revienne et avec lui Colbert : l’infatigable Colbert, qui entre autre tâche s’emploie à remettre de l’ordre civil et administratif.

6.4 Le dernier des grands féodaux. C’est à cette époque qu’un personnage célèbre, oublié de nos jours, entre en scène. Son nom est Jean Louis de Nogaret de la Valette (1554-1642). Originaire du Gers, il entre au service d’Henri de Navarre et est remarqué par Henri III. En faveur à la cour ( ne fait-il pas partie des « mignons » du Roi ?), cela lui vaut d’être fait Duc d’Epernon et Pair de France, de se retrouver à la tête de l’armée, de la marine et d’un bon tiers du Royaume. En 1587, il est immensément riche et épouse Marguerite de Foix, comtesse de Candale et d’Astaffort, nièce du connétable de Montmorency. En dot, elle apporte la vicomté de Benauges comprenant la Seigneurie de Cadillac. Comme tout puissant seigneur de cette époque, le Duc d’Epernon se doit d’être un rude et valeureux guerrier. Et il l’est ! Il apprendra le décès de son épouse alors qu’il guerroie en Provence. Il a un rôle déterminant dans notre région. Le bon roi Henri IV, ayant remplacé son père, ne s’y trompe pas d’ailleurs et va s’employer à limiter la puissance du Duc en l’incitant à dépenser sa fortune en investissant dans la construction d’un château. Et quel château ! Celui de Cadillac. Sa construction commence en 1598 après la démolition du vieux château médiéval. Elle va durer pratiquement trente ans et le résultat sera considéré comme le plus beau château de France ainsi qu’en témoigne en 1659 un certain Jean Le Laboureur dans son carnet de « Voyage en Bordelais et à Cadillac »52. L’édifice qui est aussi l’un des premiers châteaux de l’architecture à la française incarne non seulement la toute puissance du premier Duc d’Epernon mais est aussi le témoin du pouvoir de l’un des derniers grands féodaux.

52LE LABOUREUR J. Carnet de Voyage en Bordelais et à Cadillac « …Le château est un très grand corps de logis avec deux ailes qui font deux galeries, et flanqué de quatre gros pavillons qui font chacun un appartement complet. Au milieu du corps de logis est un fort grand escalier, qui n’est point à jour, à cause du poids qu’il a à soutenir, mais qui est large ; tout en pierres dures : il finit en dôme et fait comme un cinquième pavillon, sinon qu’il est un peu plus en clocher. Il y a trois pièces de canons de fer qui ont servi à la défense de la place dans les dernières guerres. La cour est carrée et pavée, et le long de deux ailes sont deux galeries soutenues de colonnes par lesquelles on peut aller sur les deux terrasses qui règnent au dehors des deux ailes. Il faut avouer qu’il n’y a rien en France ni de si beau, ni de si hardi, car il n’y a point de particulier qu’on crût capable de fournir à l’accomplissement d’un si grand dessein comme est celui de faire deux pièces de cette qualité, longues de plus de trente toises et larges de seize pas, toutes de pierre de taille et pavées de même, élevées depuis les fondements qui sont très profonds, parce que la situation du château est fort basse, jusqu’à la hauteur de la cour et des galeries, d’où l’on y entre de plain pied… Ce château ne pouvait être que l’entreprise d’un homme de la qualité du duc d’Epernon, qui eut un grand mariage, qui posséda longtemps les bonnes grâces d’un roi prodigue, et eut l’adresse et le bonheur de se maintenir dans ses biens et dans ses emplois de gouvernement… » Extrait de la Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde . Cadillac en MDCLIX. Edition 1954.

50 Lorsqu’il meurt, son fils, le second Duc d’Epernon, poursuit mollement les travaux : il fait construire une orangerie en 1644 et une glacière en 1661. (Auparavant, pendant la Fronde, c’est lui qui avait démantelé le château de Langoiran en raison de son imposante masse et surtout de sa capacité militaire de nuisance due à la force de frappe de son équipement en artillerie). Après sa mort sans descendance en 1661, le château de Cadillac va connaître des fortunes diverses qui sont plutôt de mauvaises fortunes ! Il est démoli en partie, remanié de multiples manières, pillé à la Révolution et lorsque Napoléon Ier le restitue en 1808 à son propriétaire d’alors, le Comte de Preissac, il est assez délabré. Ce dernier s’empresse donc de s’en débarrasser et le revend en 1818 à l’Etat qui le transforme illico en prison de femmes. Devenu Maison Centrale de Force et de correction pour femmes, le château va subir les modifications nécessaires à sa nouvelle fonction (1819-1822). Des bâtiments sont surajoutés car il faut faire face à l’accroissement de la population carcérale. Les conditions de vie des malheureuses prisonnières sont extrêmement dures. La mortalité annuelle y est très élevée : le double de celle constatée ailleurs en France, soit pour Cadillac, 8.48 % de la population considérée53. Les causes en sont : le manque d’hygiène, la nourriture, la promiscuité, la tuberculose, les maladies digestives. Les condamnées sont sous la surveillance de l’ordre religieux Des Filles de la Sagesse, les religieuses étant à peine mieux loties que celles dont elles ont la garde. Mais il est vrai que Dieu les assiste ! Sous la IIIème République, la population carcérale diminue et l’établissement est transformé en « Ecole de préservation pour jeunes filles mineures délinquantes ou considérées en situation familiale et sociale à risques ». Les conditions de vie manquent toujours autant d’humanité alors que des jeunes filles de 13 ans, autant dire des enfants, sont prises en charge. Pas étonnant dans ces conditions qu’en 1928, elles se révoltent et mettent le feu. Celui-ci va embraser toute l’aile royale du château et provoquer des dommages irréparables. Pourtant ce n’est qu’en 1952 que ferme l’Ecole de préservation. Le château est alors repris par le secrétariat d’Etat aux Beaux Arts et depuis, les services des Monuments historiques s’emploient à lui restituer son caractère du XVIIème siècle. « …Fortement marquée par plus de cent ans d’occupation carcérale, du début du XIXème siècle aux années 1950, cette demeure continue néanmoins d’illustrer avec éclat la devise du duc d’Epernon : Adversis clarius ardet : C’est dans l’adversité qu’il brille le plus… » . Nombreuses étaient les malheureuses qui sortaient d’un enfermement pour entrer dans un autre : l’Hôpital psychiatrique de Cadillac. Aujourd’hui l’un des plus importants établissements hospitaliers spécialisés de France et dont les origines remontent au XIème siècle . A cette époque, au même emplacement, existe l’hôpital Saint Léonard, petite structure d’accueil et relais pour les Pèlerins de Saint Jacques . Au XVIIème siècle, le Duc d’Epernon, en souvenir de son épouse, transforme cet établissement qui devient l’hôpital Sainte Marguerite. Il a pour vocation d’accueillir

53 PERRIN J. Le Château de Cadillac. Editions du patrimoine . Paris 1999.

51 les pèlerins, les pauvres et les indigents. Mais un siècle plus tard la ville de Cadillac se plaint de ne pouvoir y faire recevoir les pauvres et malades de la cité, tant il est vrai que les religieux reçoivent plus volontiers « les déments » dont les familles paient les pensions ! L’hôpital s’acquitte alors de cette charge humanitaire et sociale mais deviendra ultérieurement un établissement purement psychiatrique.

7 DE LA VILLE AUX CHAMPS ! En ces périodes troublées, il peut paraître paradoxal de parler des Maisons de campagne ? La mode des citadins aux champs a pourtant commencé dès le XVIIème siècle, (elle était déjà bien établie en 1678), sera à son apogée au XVIIIème siècle et se prolongera jusqu’au début du XIXème siècle, laissant ensuite la place à la mode des bains de mer et à l’engouement pour les stations balnéaires ! Si toutes les villes de France et d’Europe ont connu dès le Moyen âge cette passion pour les résidences de campagne, plus ou moins somptueuses, construites à la demande de citadins aisés, il semble bien que le phénomène se soit manifesté aux environs de Bordeaux avec une continuité et une force particulière54. Ces maisons de campagne construites alentours de Bordeaux, dans un rayon d’environ 20 kilomètres, ne répondent pas seulement à un désir de paraître (tout au moins au XVIIème siècle) mais constituent certainement aussi un refuge en cas d’épidémies et permettent de fuir à certaines périodes de « peste » les miasmes de la ville. Nombre de ces résidences champêtres sont construites tout près du Bordeaux d’alors (, Caudéran, , Bègles sont en pleine campagne). Quand il n’est pas possible d’être aux portes de la ville, les maisons sont construites aux bords des chemins carrossables (routes actuelles de Bayonne et de Toulouse). Mais la proximité de la voie fluviale est aussi un atout, car elle permet d’accéder facilement et directement à sa résidence secondaire, ce qui explique le nombre important de maisons qui sont construites en Entre-deux-Mers, le long de la Garonne55,comme l’attestent les nombreux exemples qui subsistent le long de la route François Mauriac. Le propriétaire accoste directement sur les rives de la berge où finit le parc- jardin. Cette situation lui permet de jouir d’un plaisir sans cesse renouvelé : celui de la vision du fleuve, de l’alternance des marées, des effets de lumière et de l’incessant trafic des navires qui vont et qui viennent. Certains préfèrent une vue plus panoramique et installent leurs demeures sur le plateau de l’Entre-deux-Mers. De là ils embrasent du regard la plaine du fleuve, les palus, jusqu’aux confins des Landes !

54 ROUDIE P. Maisons de campagne en Bordelais.(XVIème siècle – XIXème siècle)Introduction. P.19. Editeur CERCAM Université Michel de Montaigne Bordeaux III. Arts & Arts. 1994. 55 FAVREAU M.. Maisons de Campagne en Bordelais (XVIème siècle – XIXème siècle) Les Bordelais du XVIIème siècle aux champs. « …La beauté de la saison les invita à voir le reste du Päys du Médoc & le château de M. de Candale, la Maison de Foix dont il étoit, possédoit autrefois tout ce païs là. Ils le trouvèrent à Castelnau où il s’était rendu depuis peu, où il avait accoutumé de séjourner jusqu’à l’automne, à moins qu’il n’allat à Cadillac & à Bachevel, deux châteaux sur la Garonne, & où il allait & revenait par eau commodément… » .p 57. Editeur CERCAM Université Michel de Montaigne Bordeaux III. Arts & Arts. 1994.

52 Ces Maisons de campagne ne sont pas seulement des lieux de détente, de plaisir où l’on aime à recevoir en toute simplicité mais avec un certain art de vivre : « …la maison de campagne est bien l’affaire du citadin et la villégiature un art de vivre ailleurs56.Ce sont toutes pratiquement des propriétés de rapport, car elles sont souvent associées à un vignoble plus ou moins important mais toujours sources de revenus. A la fin du XVIIIème siècle, la carte de Belleyme (dressée de 1772 à 1778) donne une idée assez précise du paysage bordelais d’alors. Le vignoble est particulièrement développé sur la rive gauche de la Garonne, terre des graves propice à la culture de la vigne. Sur la rive droite, les vignobles restent présents surtout dans les parties basses le long de la Garonne. Ces palus ont fait l’objet au début du XVIIème siècle de travaux considérables menés par des Hollandais qui ont modifié de façon durable tout le paysage des marais. Ces derniers ( à l’exception de celui de Monferrand) n’existent plus à l’état naturel. Ils ont été changés par l’Homme, aménagés, drainés, quadrillés par un système astucieux et compliqué de canaux, de vannes, de petites écluses, bordés de chemins arborés. Il est certain que l’écosystème de ces espaces a été largement modifié car ces zones assainies sont occupées ensuite par des prairies qui deviennent alors des pâtures pour l’élevage de troupeaux de bovins. C’est dans ces paysages bordelais que les maisons de campagne vont s’insérer et contribuer à les enrichir. La multiplication de ces maisons, dénommées bourdieux57, maisons nobles ou châteaux selon leur importance, est particulièrement intense lorsque reviennent la stabilité politique, la sûreté dans les campagnes (à partir du règne de Louis XIV). L’impulsion est telle que même sous la Révolution, les constructions ainsi que les aménagements extérieurs se poursuivent avec intensité. L’art de bâtir s’inspire beaucoup de l’art antique et ce qui caractérise ces maisons de campagne c’est la constante qualité du bâti et pour certaines une élégance naturelle faite de simplicité et d’harmonie ; pour d’autres, la richesse et la profusion d’éléments d’architecture tels colonnes, pilastres, corniches, frontons, portails… La maison de campagne ne peut être dissociée de son environnement extérieur. Le jardin qui avait à l’origine une fonction de potager et verger, donc essentiellement utilitaire, devient à partir de 1770, jardin de plaisance, jardin d’agrément et s’enrichit de multiples plantations. Les arbres : tilleuls, peupliers, ormeaux, charmes ; certains

56 Aujourd’hui ces prairies sont devenues champs de maïs, peupleraies, noyeraies, purs produits de l’agriculture productiviste, toutefois il reste encore à Latresne, entre zone commerciale et zone d’activités industrielles, un espace d’herbage destiné à l’engraissement de bovins, en danger de disparition : il est question de construire là dans les prochaines années un nouveau pont. ROUDIE P. Maisons de Campagne en Bordelais (XVIème siècle et XIXème siècle). Un territoire diversifié. 57 ROUDIE P. Maisons de campagne en Bordelais (XVIèsiècle - XIXèsiècle) Le Bourdieu « …En 1610, entre ces deux (Bourdeaux et le petit Bourdeaux), on trouve force de lieux de plaisance et fermes qu’ils appellent bordieux et qui appartiennent aux habitants de Bordeaux. A une époque où la propriété foncière est très protégée et représente le principal symbole de la richesse, ils témoignent de l’aisance des bourgeois, des marchands et artisans…De façon générale, le bourdieu est une maison meublée très simplement et équipée de communs. Les vignes et les jardins restent les objets d’attention des possesseurs…le bourdieu avant tout une exploitation agricole doit être rentable… » p.26. Ed CERCAM Université Michel de Montaigne. Bordeaux III. Art &Arts. 1994.

53 Planche 6

illustration 11 et illustration 12 Système de vannes et de canaux d’irrigation. Février 2001.

illustration 13 Palus de , polyculture. Mai 2001.

54 sont des marqueurs sociaux, tel le magnolia grandiflora58. Les glycines surplombent balustres et balcons, les lilas, jasmins, lauriers apportent leurs parfums ; les orangers prennent place en été sur les terrasses, rejoignent en hiver les bâtiments d’orangerie. Toute une architecture connexe se met en place : fontaines, viviers, pièces d’eau, cabinets de verdure, labyrinthes, portails, bancs, art statuaire. Si le jardin enserre le bourdieu, il est alors intime, avec des espaces secrets, et toujours une part utilitaire ; le jardin des châteaux est lui largement ouvert avec des allées perspectives sur la façade, une esthétique très ornementée et ordonnancée qui reste classique.

De la construction de ces maisons de campagne… La construction de ces maisons de campagne ainsi que de la ville de Bordeaux nécessite un apport de pierres considérables dont beaucoup proviennent de l’Entre- deux-Mers. C’est pourquoi ces constructions vont laisser des cicatrices indélébiles, car les coteaux, à partir du XVème siècle, ont été largement pourvoyeurs de cette pierre à la blondeur lumineuse qui caractérise le bâti bordelais59. Parmi les sites de carrières les plus anciens, la zone de Langoiran avec des carrières situées à Baurech, à Langoiran - Le Tourne, à Beguey et Verdelais . Pendant longtemps l’acheminement des matériaux vers Bordeaux se fait par le fleuve. Plus tard au XIXème siècle, lorsque les voies de communication internes se modernisent par l’adjonction d’une ligne de chemin de fer de Sauveterre vers Bordeaux60, le transport des pierres s’opère plus rapidement. S’il n’y a plus que deux carrières en exploitation en Entre-deux-Mers (à Frontenac) il n’en reste pas moins un labyrinthe de souterrains qui jalonne son sous-sol et fragilise la structure profonde des coteaux. La conséquence en est que certaines conditions

58 ALLEMANS Jeanne, alias Jean Balde. La maison au bord du fleuve (Souvenirs bordelais) p.178- 179. 1937 réédition 1990 Bordeaux L’Horizon Chilérique. Ecrivain contemporain et amie de François Mauriac, venait fréquemment à Latresne, dans la demeure familiale qu’elle affectionnait et qu’elle a largement décrite dans son roman. « …Dans cette longue chartreuse, largement imprégnée de nous que ma pensée ne peut la dissocier de notre vie, et où nous couchions dans les chais –selon la tradition girondine – mon père se fit une retraite. Depuis un siècle, les siens peu à peu l’avaient transformée. Du côté des coteaux, c’était un perron, et, dans le jardins, ces magnolias que son grand- père avait apportés dans de petits pots. L’un, au clair feuillage vernissé et au tronc fourchu, élevait très haut dans le ciel sa tête exotique ; l’autre trapu, couleur de laque sombre, laissait traîner ses basses branches sur une pelouse. Mais entre tous les arbres, un acacia frémissant à la moindre brise arrondissait au-dessus d’une allée une palme parfaite. Modeste jardin qui fut pour nous un éden caché ! Une large ceinture de lilas et de lauriers, oppressant la longue maison, la protège de l’embrasement de l’été. Et la guirlande de la glycine, le jasmin haussé jusqu’à ma fenêtre, gardent pour mon cœur des parfums que je n’ai jamais respirés ailleurs ».

59 FAUGEREJ-G – JALLAIS P. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du second Colloque tenu dans le canton de Créon les 16 et 17 septembre 1989.Carrières de l’Entre-deux-Mers et Bâti ancien .« …les édifices les plus prestigieux de Bordeaux, bâtis avec le plus grand panel de pierres de l’Entre-deux-Mers, il y a : Le grand Théâtre, la Flèche Saint Michel, La Basilique Saint Michel, La Porte des Salinières, le Palais Justice… ». Editions William Blake and C° 60 La piste cyclable actuelle de Latresne à Sauveterre via Créon occupe l’emprise de cette ancienne voie ferrée.

55 climatiques (pluviométrie abondante par exemple) provoquent des accidents : effondrements de voûtes, glissements de terrains, coulées de boues. C’est pourquoi depuis quelques années de nombreuses zones sont classées inconstructibles, assurant ainsi de fait une protection inattendue et imprescriptible du paysage le protégeant de la spéculation immobilière de plus en plus intense.

7.1 Malagar. En venant de Bordeaux, lorsqu’il emprunte la Route François Mauriac, le quidam, en général automobiliste, à moins que par extraordinaire il n’ait pris l’un des rares cars qui dessert la ligne, arrive 35 kilomètres plus loin à Saint Maixant, autant dire au bout de la route. Depuis quelques mois, celle-ci semble buter contre un giratoire nouvellement installé, surmonté de ce que d’aucuns doivent appeler une œuvre d’art ou plasticienne représentant un leurre de Malagar ! Les amateurs de « vrai », les nostalgiques de Mauriac ou les simples curieux poursuivront leur route en prenant la voie sur la gauche qui serpente le long du coteau à travers les vignobles, après être passée devant le château Lavison, là où il y a bien longtemps, le premier Homme des lieux avait trouvé refuge. Et ils arrivent à Malagar. Site qui « …à lui seul suggère l’harmonie et invite à la réflexion. Loin derrière la rivière, la ligne sombre des landes girondines évoque Saint Symphorien et Argelouse et une promesse infinie naît dans le lointain. Plus près, simple et familière, la plaine langonnaise arrête le regard avant que de la terrasse on ne se retourne vers la maison derrière les charmilles… l’équilibre des maisons et des chais (la) symétrie des charmilles (la) ligne stricte de la terrasse entre ses deux cyprès… font de Malagar un lieu d’harmonie et de beauté, merveilleusement accordé à la douceur des maisons girondines… »61. Si aujourd’hui, Malagar et François Mauriac sont indissociables, tant l’écrivain a investi cette maison et y a laissé son empreinte, l’histoire du domaine remonte bien en-deçà du 18 septembre 1843, date à laquelle Jean Mauriac en est devenu le premier des Mauriac propriétaires. Par héritage en 1927, François sera le quatrième Mauriac et le seul a véritablement habiter la demeure. Bien que conscient que celle-ci n’a jamais été celle de ses ascendants (ce n’est pas le berceau de la famille) il va s’employer à s’inscrire dans une continuité, aidé en cela par le livre de comptes ouvert par son aïeul lors de l’achat de Malagar. Il s’agit d’un registre (sorte de cartulaire de Malagar) dans lequel sont consignés tous les actes répertoriés de la vie du domaine : cultures, terres labourables, vignes pleines, prés en oseraies ; dépenses et revenus sur le Domaine de Malagar mais aussi achats, reventes de propriétés, maisons voisines, fermages … etc62. En 1936, François Mauriac, aidé en cela par son fils Claude initiateur de l’idée, va remonter le fil du temps et inscrire l’histoire de Malagar dans ce qui deviendra « Le livre de raison ». Ce livre est un lieu de mémoire, un espace «… où le temps du domaine rencontre le temps d’une famille… »63. Ce livre de raison est aussi un témoignage tout à fait probant, non seulement de la vie du domaine, mais plus

61 MONFERIER J. Mauriac Malagar . « Le sens de Malagar ». Editions Confluences. 1997 62 Mauriac Malagar. « Malagar avant Mauriac. Le livre de raison de Malagar comme lieu de mémoire. » p.21 Editions Confluences. 1997 63 MAURIAC C. Le temps de Malagar. p.9 Ed Grasset 1977.

56 Planche 7

illustration 14 Malagar. Demeure de François Mauriac. Saint Maixant. Septembre 2000.

illustration 15 Maison noble à Esconac. Février 2000.

illustration 16 Petit Bourdieu, Le Tourne. Mai 2001.

57 largement d’une sociologie et d’une économie terriennes locales au XIXème et XXème siècles. Au-delà de la saga des Mauriac, Malagar est aussi une preuve historique de la survivance de ces maisons de campagne, nées au XVIème et XVIIéme siècles. En effet, l’histoire du toponyme « Malagar » remonte à la fin du XVIème siècle (selon les recherches les plus anciennes). Il est signalé dans les actes d’exporle64 la double nature du tênement du domaine, du bourdieu, dépendant d’un seigneur, d’une maison noble, mais « tenu » travaillé par un « tenancier » qui peut être noble aussi bien que bourgeois et autorisé à le vendre à son aise, à condition d’avoir acquitté les redevances dues au seigneur. En juin 1632, un acte de vente donne une description assez précise du lieu appelé « Malagarre », consistant en une maison, sol, grange, pigeonnier, terres labourables, bois, pré, pâturages , vignes, le tout en un seul tenant… L’état des lieux pratiqué le 17 juillet suivant rend compte des rites de possession : « ayant pris une poignée de terre, coupé les branches des arbres, ouvert et fermé les portes des maisons et granges, allumé et éteint le feu, fait puiser l’eau dans le puits … ». Cet acte laisse apparaître aussi une grande vétusté des lieux65. Il s’ensuit une liste des dégradations qui affligent les bâtiments et les vignes faute d’entretien 66. En 1695, en période de réforme catholique, dans un diocèse sensible (la seule ville de tout le Bordelais où les protestants peuvent exercer leur culte est Saint Macaire), Arnaud Dutoya, bourgeois de Saint Macaire, propriétaire depuis 1680, décide de faire de… « Malgarre » (sic) une fondation à perpétuité à la chapelle de Notre Dame de Verdelais dans laquelle sont installés les Célestins depuis 1626, qui se retrouvent, par cet acte, titulaires des droits du seigneur sur Malagarre ainsi que de ceux du tenancier.. »67. Cet acte de fondation donne une nouvelle description précise du Malagarre d’alors. Ou l’on apprend qu’il y a une maison carrée avec une cour et un puits au centre, des « appartenances » propres à loger, des terres d’une contenance de 60 journaux dont les 2/3 en vignes et le reste en terres à grains, jardin, bois, taillis. Arnaud Dutoya qui a acheté le domaine en assez mauvais état va en faire un lieu de résidence qu’il occupe bourgeoisement. Il le remet en état, agrandit et cultive les terres à vignes. Malagarre devient un château viticole de rapport. La configuration générale des bâtiments est celle que connaîtra François Mauriac et que le visiteur parcourt de nos jours, peut être à la recherche d’un temps immobile ! Dans la première page du livre de raison de Malagar François Mauriac se réfère à cette page de l’histoire des Célestins : « …jusqu’en 1695 Malagar appartenait à un bourgeois de Saint Macaire, Arnaud Dutoya, qui le donna aux Célestins en 1695, avec beaucoup de conditions …Les biens des Célestins avaient été inventoriés en 1772, et les premiers lots sont mis aux enchères publiques en 1779. On remplace les religieux par quatre prêtres séculiers

64 Actes d’exporle = actes d’autorisation d’exploitation. 65 Ces prises de possession sont tout à fait rituelles, ne nous renvoient-elles pas à un comportement archaïque d’appropriation spatiale ? 66 Mauriac Malagar. « Le Mayne de bel aspect autrement « Malegare » au XVIème siècle et au XVIIème siècle, fief d’une maison noble de Saint Macaire. » p.23 Editions Confluences. 1997 67 Mauriac Malagar. « Malgarre au XVIIIème siècle » p.28 Editions Confluences.1997

58 qui assurent le service de la chapelle et acquittent les fondations. Enfin en 1784 et 1788, on pense incorporer des biens au séminaire de Saint Raphaël de Bordeaux, ce ne fut pas fait ! La tourmente révolutionnaire imprimera un autre destin à Malagar … »68. Tous les biens de la communauté des moines Célestins vont faire partie des ventes de biens nationaux. Malagar sera donc vendu aux enchères et adjugé à un certain Jean- François Moulinie, courtier en vin, habitant Bordeaux. Il s’ensuit une succession de propriétaires (on en compte cinq entre 1792 et 1817). De 1817 à 1843, Malagar appartient à la même famille Moulis-Grenier, jusqu’au moment où la propriété restée en indivision entre quatre enfants est mise de nouveau en vente aux enchères publiques. Le 18 septembre 1843 elle est rachetée par Jean Mauriac qui en sera propriétaire jusqu’à sa mort en 1869. Il n’habitera jamais Malagar ; par contre il s’attachera à entretenir, rénover, réaménager, agrandir l’ensemble du domaine. Tous les frais engagés à la réhabilitation des bâtiments, aux achats d’arbres fruitiers, renouvellement de matériel de vendanges, achats de bétail sont consignés dans le précieux livre de comptes. En avril 1844, Jean Mauriac vend à Bordeaux la première récolte de sa nouvelle propriété, soit dix tonneaux et demi de vin rouge logés en barriques. A l’examen du livre de comptes, ce Jean Mauriac apparaît comme un gestionnaire doublé d’un organisateur de grande compétence. Sous son impulsion Malagar va croître et embellir ! Le troupeau de bétail prendre de l’importance, le vignoble s’agrandir, les plantations d’arbres s’enrichir d’acacias, buissons de jardins, charmes, tilleuls, châtaigniers, noyers, arbres fruitiers : pommiers, poiriers, pêchers, pruniers, raisins chasselas pour le bonheur de la table. Par ses plantations Jean Mauriac marque le paysage . Quelques décennies plus tard, les charmes devenus charmilles contribuent à parfaire l’harmonie de Malagar. François Mauriac plantera l’allée de cyprès, la considérant comme « son apport personnel »69. Ces cyprès verts, presque noirs, au garde à vous sur la crête du coteau, visibles de la plaine à des kilomètres, sont les gardiens du temple et comme un signal. Pour combien de temps encore70 ? Avec la mort de Jean Mauriac, c’est le dernier propriétaire marchand vivant en symbiose avec le fleuve qui s’éteint. Après lui, Malagar allait vivre d’une autre vie aux fortunes diverses selon les époques, mais toujours intimement liée à la famille Mauriac, spécialement avec son membre le plus célèbre, François, prix Nobel de littérature et dont l’œuvre n’aurait sûrement pas été la même s’il avait vécu ailleurs qu’en Gironde, d’abord dans les Landes puis ensuite à Malagar dont il disait :

68 Mauriac Malagar. « Une fondation en faveur des Célestins de Verdelais. Malagarre au XVIIIème ».p.29. Editions Confluences. 1997. 69 Mauriac Malagar « Malagar du temps de Jean Mauriac (843-1869) p.30-33 Editions Confluences. 1997.

70 Les cyprès vieillissants sont pratiquement tous malades ; un plan de restauration de l’ensemble du parc est prévu par le Conseil régional d’Aquitaine, propriétaire des lieux.

59 « Ce n’est plus une propriété comme des milliers d’autres, mais une symphonie écrite pour moi seul et que j’écoute depuis l’enfance, et dont le dernier accord sera mon dernier souffle »71. Aujourd’hui, sur la Route François Mauriac… Et alentours, les signes de reconnaissance de cette histoire de l’Homme dans son environnement qui a duré plusieurs siècles sont toujours là, tangibles, permanents, habités, donc vivants ! De la villa romaine à la bastide de Cadillac née au XIIIème siècle, enserrée dans ses remparts avec l’imposante présence du château des Ducs d’Epernon, en passant par Rions village médiéval classé, en traversant Langoiran dominé par son château fort du XIIIème siècle, en entrant dans les églises rurales dont beaucoup sont de petits bijoux d’art roman, en suivant les traces des Pèlerins de Saint Jacques, sans oublier le lieu cultuel qu’est toujours Verdelais, en se promenant le long des esteys bordés d’anciennes maisons de pêcheurs, en admirant les maisons de campagne, bourdieux et châteaux viticoles sertis dans leurs parcs-jardins et vignobles…on prend conscience à quel point ces abbés, moines, seigneurs, Anglais de Guyenne, Vassaux des capétiens et des Valois, bourgeois, paysans, vignerons, artisans laborieux et inventifs, ont marqué ce territoire et ce malgré les multiples calamités naturelles, désordres, conflits, prises de pouvoirs qui ont émaillés ces siècles. Ils ont mis en place une civilisation faite de cultures des terroirs, de nouveaux types d’urbanisation avec les bastides, les maisons de campagne, d’échanges commerciaux accrus dont le vin assurait la primauté et contribuait à rendre ce pays si aimable. Il est vrai avec toujours le contrôle d’un pouvoir. D’abord celui de la domination romaine, relayé par le pouvoir de l’Eglise qui codifie les règles de vie de toutes les strates de la société pendant toute la période médiévale. Affaibli, il laissera la place ensuite à un pouvoir régalien qui perdurera malgré la Révolution, l’Empire et l’instauration de la République et jusqu’à une période récente où la décentralisation revient au goût du jour. Mais il est vrai aussi, qu’aujourd’hui, les enjeux se situent ailleurs à des niveaux européens et mondiaux !

71 Mauriac Malagar « Malagar ou la colline inspiratrice » Petite ébauche pour une cosmogonie littéraire.p.177. Editions Confluences. 1997.

60 8 LES TEMPS MODERNES. 8.1 Du XIXème au XXIème siècles. A l’aube du XIXème siècle, la route de Latresne à Saint Maixant n’existe toujours pas. Seul un chemin dit de grande communication rejoint Cadillac à Langon. Le voyageur qui se rend à Bordeaux privilégie toujours la voie fluviale qui continue à jouer un rôle essentiel jusqu’au milieu du siècle72. Mais nos ancêtres ont bâti au fil des siècles les pièces d’un puzzle qui constituent les éléments majeurs d’un décor paysager dans lequel, plus tard, va s’inscrire ce qui sera à terme « La Route François Mauriac ». Ce siècle va bouleverser fondamentalement toutes les couches de la société française. Des pans entiers d’une économie basée sur la ruralité vont peu à peu disparaître générant l’exode rural vers les villes. Ce XIXème siècle est aussi prémonitoire d’une société qui sera de plus en plus technicienne ; c’est celui également où l’on commence à ressentir une accélération des échanges économiques rendue possible grâce à la découverte de nouvelles techniques de transports comme le bateau à vapeur ou le chemin de fer. La société entre insidieusement dans une course sans fin où la notion de temps devient de plus en plus primordiale. Elle finira par occulter tout le reste ! Certains esprits chagrins prétendent que Bordeaux et sa région en ont fini avec l’âge d’or du XVIIIème siècle, car à trop de distances des lieux où se créé un nouveau monde fait de fer, d’acier et de vapeur ! Pour la région les enjeux sont ailleurs. Le port de Bordeaux devient de plus en plus international, les échanges de plus en plus intenses avec l’Europe du nord, avec l’Afrique, les Antilles… Les marchandises arrivent toujours de l’arrière pays : la pierre, le marbre des Pyrénées, le bois des Landes et naturellement les vins, eaux de vie et autres produits de distillation, en provenance, non seulement du Bordelais, mais aussi des vignobles de Cahors(Lot), Clairac (Lot et Garonne), Gaillac (Tarn)73. Les petits ports de l’Entre-deux-Mers, Cadillac et surtout Langoiran, contribuent largement à cette activité. Des milliers de barriques changent de mains : chargées sur les gabares, elles sont transposées ensuite sur les navires de haut bord dans le port de Bordeaux. Et pourtant deux épidémies catastrophiques touchant l’ensemble des vignobles a failli avoir raison de l’or rouge. Celle de l’oïdium (1852-1860) puis celle du phylloxera qui fait sa première apparition en Entre-deux-Mers en 186974.En provenance des Etats Unis, vraisemblablement véhiculé par un cépage qu’un collectionneur avait fait venir, le puceron « dévastateur » va rapidement infester l’ensemble du territoire et ce d’autant plus qu’il affectionne les terrains calcaires. Il en fallait davantage pour décourager ces gens de l’Entre-deux-Mers et du Bordelais. Dans ce pays où l’homme, les terroirs et la vigne constituent une trilogie

72 La Garonne .Rivières et vallées de France,. Sous la direction de BERNARD C.p.95 Editions Privat 1993. 73 En 1776, TURGOT, ministre et partisan de la libre circulation des denrées, supprime les privilèges attachés aux vins de Bordeaux et accordés au temps des Sauvetés par le Roi–Duc pour s’attacher les bonnes grâces de ses sujets.

74 ROUDIE Ph.. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du premier Colloque tenu en Pays de Branne les 19 et 20 septembre 1987. « Esquisse d’une histoire viticole contemporaine de l’Entre-deux-Mers » p.146-147. Editions William Blake and C° Bordeaux.

61 indissociable depuis des siècles. Grâce à leurs recherches et après quelques tâtonnements, le vignoble revit avec un nouveau mode de plantation (il s’agit de défoncer plus profondément le sol) de porte-greffes américains. Il n’est point de désastres qui ne laissent de cicatrices. Les conséquences du phylloxera causeront un déclin démographique important, une modification durable du paysage et de l’économie agraire. Sur les zones calcaires les plus touchées, des propriétaires arrachent leurs vignes et plantent des pins maritimes qui paraissent, pour l’heure, plus rentables ! « …Après la première guerre mondiale, les Bordelais s’avisent que l’Entre-deux- Mers a de nombreux espaces non colonisés par la vigne, des terres calcaires qui peuvent être reconquises pour la production de vins blancs et rouges – S’ensuit alors une politique de plantation de vignobles de masse. » Cette monoculture uniformise le paysage des coteaux, car céréales, bois, pâturages sont sacrifiés au profit de nouveaux vignobles ! Le paysage change sur les coteaux, il va aussi se modifier dans la plaine de la Garonne. Jusqu’au cœur du XIXème siècle, le fleuve joue toujours un rôle essentiel, mais le danger survient de l’Atlantique avec les bateaux à vapeur qui entrent en concurrence sauvage avec la batellerie à voile75. La loi du plus vite plus fort prévaut ! Cependant, au delà de l’anecdote « Pousse toi de là que je m’y mette », le pouvoir en place, celui de la Restauration76, essaie de créer des conditions de navigation plus favorables. Des travaux de régularisation pour limiter les flux de cette Garonne si impétueuse et imprévisible sont entrepris et modifient considérablement la configuration du fleuve. Dans les ports, les quais et les appontements en dur remplacent les aménagements sommaires existants 8.2 Une fausse bonne idée : le canal latéral ! Les bateaux à vapeur ont besoin d’une profondeur de chenal, de zones d’évitement plus importantes que les bateaux à voile, c’est la raison pour laquelle leur navigation est limitée en amont de Langon jusqu’à Toulouse. Or la Ville rose constitue, à cette époque, un point de rupture de charge des marchandises en provenance du canal du midi, ou de la Haute Garonne. C’est pourquoi il est décidé de reprendre une vieille idée chère à Vauban : doubler la Garonne par un canal dit « canal latéral ». Il est terminé en 1856 et s’avère déjà caduque avant d’avoir servi véritablement. En effet, dans le même temps, La Compagnie du Midi construit la voie ferrée Bordeaux Toulouse. Le chemin de fer est un dispositif hautement concurrentiel : le temps est maîtrisé (on part et on arrive à l’heure), la distance est plus courte (donc c’est plus rapide), les tarifs sont compétitifs par rapport au service fluvial. Ce, d’autant plus que la concession du canal a été allouée à La Compagnie du Midi !

75 La Garonne. Rivières et vallées de France « …on remarque alors à Bordeaux une très forte proportion de bateaux à vapeur anglais … » Par exemple au port de Langon il faut instituer un tour qui distribue les accostages .« …en plus, les nouveaux venus en prenaient à leur aise avec la clientèle traditionnelle, bateaux à fond plat de la vallée, qu’ils écrasaient facilement de leur masse ; entre eux les vapeurs ne sont pas plus tendres, se livrent comme à Langon, à une lutte serrée pour l’obtention des meilleurs emplacements menés par l’intérêt particulier le plus aveugle .. » p.116-117 Editions

Privat 1993. 76 Restauration : Louis XVIII 1814 – 1815. Charles X 1824 – 1830.

62 Le chemin de fer devient le fossoyeur de la Garonne. Entre 1853 et 1858, le trafic fluvio-maritime diminue des 2/3 entraînant dans son sillage la mort de tout le peuple des « Gens de Garonne » : charpentiers de marine, maîtres et patrons de bateaux, marins, transitaires de marchandises, débardeurs, portefaix, bouviers, charretiers, haleurs… supprimant du même coup toute vie dans les petits ports de Garonne. Il s’ensuit un long processus de désamour entre l’Homme et le fleuve nourricier, celui-là même qui a tant contribué à faire la fortune de ce beau pays. L’Homme, oublieux, se désintéresse de ses rives, n’entretient plus les berges, finit par perdre « le respect de son fleuve ». Après le chemin de fer, la route va devenir incontournable. Pour se construire, elle va dévorer les bas fonds graveleux du fleuve ! L’automobile lui donne l’occasion rêvée d’annihiler le chemin de fer. L’Homme finit par n’avoir de considération que pour elle, ignorant qu’il va aussi devenir son esclave. La Garonne ne pouvant être un axe de développement industriel est progressivement abandonnée à tous les appétits et à l’inconscience généralisée. Les communes riveraines puisent des cubages croissants et rejettent leurs pollutions non moins croissantes ; les industriels l’utilisent pour refroidir leurs systèmes et réchauffent le milieu en expulsant ensuite leurs effluents ; les électriciens convoitent de capter l’énergie de millions de mètres cubes d’eau ; les agriculteurs puisent jusqu’à plus soif pour irriguer les cultures productivistes de maïs ; les extracteurs de graves raclent et creusent les fonds du lit mineur pour répondre aux besoins infinis du bâtiment et des travaux publics. Ce faisant ils détruisent irrémédiablement le milieu nécessaire à la vie des grands poissons migrateurs dont le plus mythique d’entre eux « le créac », l’esturgeon européen, qui a pratiquement disparu et est aujourd’hui sous hautes protections et perfusions financières européennes! Tout l’équilibre fluvio-dynamique est perturbé. Mais la Garonne n’en finit pas de se venger. Elle continue à aller et venir, s’enfle et se gonfle au passage, à son tour creuse et démolit les berges rendues fragiles, rogne sur le territoire de l’Homme et vient lécher les bases de ses anciennes maisons de campagne ! En ce début de XXIème siècle, il semble que l’Homme se retourne à nouveau pour regarder son fleuve en face ! Il redécouvre la Garonne, non pas comme un objet de désir, ce serait trop beau, mais comme un nouveau potentiel économique basé sur une autre type d’économie : le tourisme fluvial de découverte… Ce tourisme là a besoin d’une Garonne vivante, propre, et pourquoi pas, de Latresne à Saint Maixant, réconciliée aussi avec sa route, La Route François Mauriac .

63 Planche 8

illustration 17 Débarquement des excursionnistes à Langoiran.

illustration 18 Bateau à vapeur à cheminée basculante passant sous le pont de Langoiran, vers 1850.

64 8.3 Les Chantiers Tramasset. Le long de la Route François Mauriac que reste t-il comme témoin majeur de cette période ? Essentiellement les Chantiers Tramasset au Tourne. Ils sont nés sous l’impulsion de Pierre Tramasset, héritier d’une famille de bateliers et de mariniers (au XVIIème siècle déjà on connaît un Tramasset marinier). Lui même est marin pendant la belle saison et charpentier de marine le reste du temps. En 1837, les Chantiers ne comportent qu’un bâtiment de pierre, auquel s’adjoignent par la suite un hangar et une cale d’accès. L’ensemble constitue «le petit chantier ». Quelques années après, un second bâtiment beaucoup plus vaste, tel une nef de pierres et de bois, précédé par une cale qui permet d’accueillir des bateaux importants, est construit. C’est le « grand chantier ». Une étuve, sorte de four à cintrer le bois (qui est vraisemblablement l’unique exemplaire encore en état en France) vient compléter les installations. Après la seconde guerre mondiale, les chantiers se modernisent avec tout un équipement dont une scierie et vraisemblablement une forge. Pendant près de 150 ans, les Tramasset de père en fils vont se succéder sur ces chantiers. Après Pierre, ce sera Mathieu, puis Urbain. Au début du XXème siècle, c’est ce dernier qui assure la renommée des chantiers bien au delà du petit village du Tourne. Il est aidé en cela par ses cinq fils, tous charpentiers. Dans les années 70, faute de commandes et peut être de successeurs pour reprendre le flambeau, les Chantiers Tramasset s’arrêtent définitivement77. Rachetés par la commune ils sont actuellement gérés et progressivement remis en état par l’association « Les Chantiers Tramasset » qui a également relancé une activité de charpente de marine, répare, restaure et construit des bateaux en bois : gabare, yole… C’est aussi un lieu convivial où les habitants du village aiment se retrouver régulièrement pour faire la fête, ou simplement discuter, ou venir admirer le mascaret qui déferle . Un peu plus loin, à Lestiac, une enseigne « Les pêcheries du Cap Horn » attire l’attention. Elle incite à aller rendre visite à la famille Pénichon, marins pêcheurs depuis 6 générations. Elle rappelle aussi le temps où les gens d’ici partaient chercher le cuivre jusqu’au Chili en passant par le Cap Horn78. Aujourd’hui, c’est là que les riverains vont acheter l’alose ou la lamproie pêchées de la nuit, à moins qu’ils n’aillent à ou Cambes.

77 Sources : BARIOU C. Les nuits de patrimoine du 14 septembre 1996. Fiche « Le Chantier Tramasset ». Renaissance des Cités de France. 78 DUMAS J. « Bordeaux, ville paradoxale. » « …C’est dès 1816 que les premiers navires bordelais, bravant le monopole anglais, prennent la route du Cap Horn, pour emporter des marchandises au Chili et en ramener du cuivre…dès 1830 arrivent les premiers chargements de nitrates, puis en 1841 la découverte de l’or de Californie renforce la route en la prolongeant jusqu’à San Francisco. Bordeaux est alors le premier port Cap Hornier de France. Mais dès les années 1860, le déclin survient, par concurrence des steamers à vapeur… » p.60. Ed Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. 2000.

65 Planche 9 Les chantiers Tramasset. Le Tourne.

illustration 19 Les chantiers Tramasset en 1882

illustration 20 Dessin d’Henri Maignan 1880. Coll. Particulière.

illustration 21 Chantier naval. Mai 2001.

illustration 22 Les Rencontres de la Route François Mauriac. Mai 2001.

66

9 TOUT L’ART DES ROUTES. Les temps modernes sont d’abord ceux de la technique et des communications. Communications par voies routières, ferrées, fluviales, maritimes, aériennes et de nos jours numériques. Les temps modernes sont ceux de l’accélération des échanges de marchandises, des hommes, des idées, de l’argent. Accélération dont la germination a commencé dès que l’homme a su maîtriser l’outil, ce qui a généré quelques siècles plus tard ce que Jacques Ellul a appelé « la société technicienne ». Société technicienne, société productiviste, dont on commence peut être aujourd’hui à mesurer les limites. Le temps des routes a commencé avec les voies romaines. Celles-ci, ayant besoin de soins constants, n’ont pas résisté à la négligence de l’entretien des fossés, des ponts et aqueducs lorsque l’Empire Romain s’est mis à décliner. Elles ont quasiment disparu, ce qui explique les difficultés qu’éprouvent les chercheurs à les repérer. La fin de l’Empire romain étant suivie par une période de désordres dus aux invasions, aux luttes de pouvoirs de petits « seigneurs », il va s’ensuivre une longue période de désintérêt pour les chemins. Ceux-ci, mal entretenus, remplissent mal leur office d’échanges. Il est vrai qu’alors les voies de communication sont construites et entretenues soit par les monastères, soit par les communautés locales ou professionnelles, qui sont le plus souvent concessionnaires de péages. Ce qui explique d’une part l’implantation relativement anarchique des chemins et d’autre part, pour l’Entre-deux-Mers, la prééminence de la voie fluviale, essentiellement la Garonne, pour les transports des hommes et marchandises. Quand la route va…tout va ! Il faut attendre le XVIème siècle pour que le Roi Henri IV, entre Edit de Nantes, quelques galanteries et poules au pot, crée l’Office de Grand Voyer de France. Il charge le Duc de Sully, grand ami et grand ministre, de voir de plus près ce qu’il en est des routes et chemins en son royaume. Pour la première fois des ressources sont affectées aux dépenses de voiries. Sully, devenu Premier Grand Voyer de France, découvre que la plupart des communautés et villes ont pour habitude de se servir en fonction de leurs besoins dans la caisse des octrois et péages. Il envoie dans les provinces des commissaires-députés chargés de surveiller la façon dont est gérée la voirie et notamment les « adjudications aux moins disant » ! Ce faisant, les commissaires-députés sont, en quelque sorte, les précurseurs des services préfectoraux actuels en charge de la « Commission des marchés ». Avec Sully, les premières routes plantées font leur apparition, pour cause d’impératifs militaires, mais rapidement elles vont s’avérer indispensables pour l’activité commerciale. Et pourtant, par la suite, pendant près d’un demi-siècle, il ne sera plus guère question de routes (construction et entretien) dans ce pays, tant il est vrai qu’il est difficile de se battre et de bâtir ! La guerre de Trente ans fait rage et La Fronde ravage le Royaume de France.

67 Lorsque Louis XIV accède au pouvoir le réseau des voies de communication est au plus mal. C’est à Colbert, dont l’une des préoccupations principales reste le bâtiment et la marine, mais qui s’intéresse également aux ouvrages d’art comme les ponts et les canaux (dont le canal du midi aujourd’hui classé patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO), que l’on doit les prémices d’une réflexion sur les voies de communication . Il est décidé que : -« les chemins seront conduits du plus droit alignement que faire se peut ». Cet axiome restera l’un des piliers fondateurs de la philosophie des futurs ingénieurs des Ponts et Chaussées. Il est précisé aussi que pour toute construction de route, il est permis de prendre …« les pierres, grès, sable en quelque lieu qu’il soit, non muni de clôture et en ne payant au propriétaire du fond que le prix du dommage causé » (arrêté de 1706) . En 1716, Louis XV crée « Les Ponts et Chaussée » dont la mission essentielle est « d’adapter les ponts et les routes au besoin du siècle ». Ce sont d’abord les ingénieurs militaires et surtout les architectes qui président aux travaux. Ce sont les paysans, les paysannes, qui sont astreints à la « corvée » (en ce temps là la parité ne posait pas question !). Ils construisent les routes à coups de pioches et de barre à mines : creusant, empierrant, nivelant, damant. Une fois de plus, à la sueur de leur front, les paysans contribuent à façonner les paysages de France. Trente ans plus tard est instituée l’ ECOLE ROYALE DES PONTS ET CHAUSSEE par Trudaine79. Cette fois elle est dirigée par un ingénieur, Perronet, et les architectes, peut être trop enclins à la poésie, disparaîtront du paysage de la route. Mais dans le même temps il est prévu un fonds pour rémunérer les ouvriers paysans80. Peu à peu les spécialistes de l’administration des Ponts et Chaussées vont investir de nombreux domaines : phares et balises, ports, plans d’alignement, aménagements de voies nouvelles. Lorsque la Révolution éclate, 30.000 kilomètres de routes sont déjà construits. Placés sous la responsabilité de l’Etat central, la gestion et l’entretien en sont assurés par les Ponts et Chaussées. Au début du XIXème siècle, les cantonniers sont salariés et le Service Central d’études techniques est créé. Les départements qui ont remplacé les généralités dès 1790 ont alors un rôle mineur : ils doivent simplement prendre en charge l’outillage des cantonniers ! Depuis près de trois siècles et sous des appellations diverses le grand corps d’Etat n’a jamais failli à sa mission et continue de présider aux destinées de nos routes, autoroutes et autres infrastructures. Il est indéniable que le paysage routier français naît au XVIIIème siècle81.

79 REVERDY G. Historique des Routes. p.30 Presses de l’Ecole nationale française des Ponts et Chaussées. 80 Sources : Service documentation D.D.E Gironde « Les siècles d’histoire du Ministère de l’Equipement du XVIème siècle au XIXème siècle » du 7.05.1999. 81 GUILLERME A. Paysages pour demain. « Les différents paysages routiers » p.78 Actes du colloque du 2.11.1994. L’Environnement Magazine n° Hors série.

68 « …Avec ses plantations d’alignement en peupliers près des rivières et des abreuvoirs pour se signaler aux charretiers, en marronniers le long des propriétés aristocratiques, en ormes pour le reste et la maintenance des essieux des engins de guerre. Le tilleul s’implante à la fin du XVIIIème siècle, aux entrées de ville, sur les mails, sur les boulevards arasés des anciennes fortifications pour parfumer l’air et ombrager ces promenades… »

Figure 13 Le réseau routier et ses transformations. 1780-1850

69 Je t’aime moi non plus… ! L’histoire des routes de France est indissociable de celle des Ponts et Chaussées et des relations que cette grande Administration va entretenir au cours des siècles avec les pouvoirs en place : l’Etat, les collectivités territoriales. Tant il est vrai qu’avoir la maîtrise de la voirie et plus largement par la suite celle de l’aménagement du territoire constitue un enjeu majeur de pouvoir. En 1791, en ces temps révolutionnaires, le réseau routier existant est conçu en étoile autour de Paris : par conséquent la campagne est mal desservie. Il est donc enjoint aux départements de développer les « chemins vicinaux » qui rapidement formeront une catégorie particulière de voies. La même année d’ailleurs, les Ponts et Chaussées investissent ces départements et s’y organisent82. En 1824 une classification des routes s’opère en même temps qu’est défini le partage des compétences entre l’Etat et les départements. Le premier finance la construction et l’entretien des routes royales (impériales) et départementales, tandis que communes et conseils généraux ont la charge du réseau vicinal. C’est en quelque sorte une première tentative de décentralisation face au centralisme impérial. Les communes peuvent engager des travaux ; quant aux Préfets, ils nomment des agents voyers (ingénieurs départementaux) des piqueurs (conducteurs de travaux) ayant en charge les chemins vicinaux dans chaque département. En 1837, 71 départements disposent d’un service vicinal… au grand dam de l’Administration Centrale qui voit d’un mauvais œil ce nouveau corps lui échapper et devenir en quelque sorte son concurrent. En 1871 une loi est promulguée proposant aux Conseils généraux de choisir le service qui va s’occuper des routes départementales. Le débat est houleux : les enjeux politiques, financiers, corporatistes s’affrontent et, même si peu à peu l’approche technique et l’approche locale se concilient, deux départements sur trois choisissent le service des agents voyers. Ce qui est quand même un camouflet pour l’Administration Centrale. Par la suite, l’organisation générale des services, des financements, de la domanialité des voies, va connaître des fortunes diverses. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que la situation évolue sous la pression de l'expansion économique industrielle et surtout la venue du chemin de fer. Les enjeux concernent l’ensemble du territoire national et nécessitent une incontestable efficacité technique. La classification des routes est simplifiée, le partage des responsabilités aussi : entre le ministère de l’intérieur, celui des travaux publics, l’Etat et les collectivités locales. Les Ponts et Chaussées se voient dotés de compétences nouvelles : les transports, les postes et télégraphes, tandis que dans le

65 « … En 1747, Daniel Trudaine Intendant des finances chargé du détail des Ponts et Chaussées donne à Jean Rodolphe Perronet la direction du bureau spécial : pour la conduite et l’inspection des géographes et dessinateurs de plans et de cartes des routes et grands chemins du Royaume et pour les instruire de sciences et pratiques nécessaire pour parvenir à remplir avec efficacité les différents emplois des Ponts et Chaussées… ».

70 même temps de nombreux départements se déchargent de leur réseau de voirie à leur profit. En 1930 la France a un réseau national de 40.000 kilomètres de routes. C’est en juin 1938 qu’un décret de loi réforme la voirie départementale en créant les CD (chemins départementaux). Ce texte affecte les CG (Chemin de grande communication). Par conséquence on retrouve là l’origine du C.D.10 qui pour la partie qui nous intéresse, de Latresne à Saint Maixant , est notre « Si jolie petite route » : La Route François Mauriac. Pendant la dernière guerre mondiale, une loi redonne les services de la voirie départementale et vicinale à l’Administration des Ponts et Chaussées réintégrant du même coup les agents voyers des chemins vicinaux 83. C’en est fini de la décentralisation, tout au moins pour un temps ! En 1966, le Ministère de la Construction et celui des Travaux Publics fusionnent pour devenir le Ministère de l’Equipement, afin de pouvoir répondre aux multiples interactions que génèrent les problèmes de circulation et de logement. Un an après, les Directions Départementales de l’Equipement regroupent en une même unité les études, les programmes, la route, l’urbanisme opérationnel, faisant appel du même coup à des spécialistes : urbanistes, architectes, juristes, administratifs spécialistes des questions financières qui viennent compléter les équipes de techniciens de la route84. La notion d’équipement prend là toute sa dimension. En 1970 le nouveau code de l’urbanisme a d’énormes conséquences aussi bien sur la planification du développement que sur le processus relationnel avec les élus. Avec la déconcentration de l’urbanisme, les Subdivisions de la D.D.E instruisent dorénavant les permis de construire ! De 1981 à 1984, sous l’impulsion de l’Etat, l’Equipement se partage en plusieurs pôles : mer, logement, équipement, transports. Cet épisode ne dure que quatre ans, et

83 « … En 1738 le contrôleur général Dry demande aux ingénieurs des Ponts et Chaussées de dresser par département une carte qui ne contiendrait que les grandes routes, les chemins et les rivières. En même temps d’étendre la corvée à l’ensemble du Royaume pour la construction de grands chemins, mesure impopulaire s’il en fut mais ce fut certainement l’élément principal de la construction de notre réseau de base au milieux du XVIIIème siècle… ».

84 DUBY S. Histoire des grandes liaisons françaises et atlas géographique des routes. « …L’empreinte Napoléonienne sur les routes va durer jusqu’au XIX ème siècle, car ensuite l’invasion de l’automobile va modifier de fond en comble la circulation et la conception de la chaussée. Le réseau des routes royales, puis impériales et enfin nationales est resté pratiquement inchangé jusqu'au XX ème siècle. Napoléon portait un grand attachement aux routes, il en avait besoin pour que ses armées se déplacent rapidement… » « …C’est en 1870 qu’apparaît officiellement l’appellation routes nationales, elles se substituent aux routes impériales elles mêmes issues des routes royales. Des grands chantiers entrepris dans notre région à cette époque on retiendra essentiellement la route rendue enfin carrossable de Bordeaux à Bayonne en passant par Mont de Marsan , après le lancement de la construction du premier pont sur la Garonne, le Pont de Pierre précisément par Napoléon… ». Editions Presse de l’Ecole des Ponts et Chaussées.

71 l’Equipement se reconstitue paradoxalement au moment où les élus sont particulièrement critiques sur son omnipotence et sa tutelle technique. Il est vrai que la décentralisation est dans l’air, puisqu’elle devient effective en 1984 et s’établit sur deux principes primordiaux : « Les collectivités territoriales sont de plein exercice et aucun droit de tutelle ne peut s’exercer de l’une à l’autre ». Par ailleurs l’Etat ne conserve plus qu’un contrôle de légalité perdant sa tutelle administrative et financière. En 1992, la loi d’orientation de l’Administration territoriale de la République clarifie la mise à disposition d’une partie des services de l’Equipement aux collectivités territoriales, règle la prise en charge des dépenses de fonctionnement et d’équipement des services mis à disposition. Ainsi, depuis le XVIème siècle, l’histoire des routes est aussi celle des relations du pouvoir central avec les communes et les départements. Ces derniers ayant au XXème siècle retrouvé leur suprématie sur les routes départementales 85. Cela ne sera pas sans incidence pour « La Route François Mauriac ».

85 Sources : SAG/Documentation D.D.E la Gironde- Repères chronologiques : « Institutions et grandes réformes de l’urbanisme et de la voirie ». Histoire du Ministère de l’Equipement disponible sur internet : www.equipement.gouv.fr/ministere/histoire .

72 10 L’AVENEMENT DE LA ROUTE…. Après ce long périple dans le temps, en ce début de XIXème siècle, la route se précise et va devenir une réalité. D’abord très lentement, puis de plus en plus vite . Elle va s’installer et modifier la vie des gens mais aussi s’inscrire dans le paysage, dans ce décor construit par des générations d’hommes depuis des millénaires. Ce sont aussi deux logiques parallèles et concomitantes, avec des interférences qui cheminent ensemble au fur et à mesure de la mise en œuvre de la route. D’une part celles des hommes qui d’abord subissent l’arrivée de cette route qui bouleverse leur cadre de vie, leur mode de déplacement et à terme leur système relationnel, d’autre part celle des hommes qui l’imaginent, la conçoivent, la construisent, investis de leur mission d’intérêt général et de service public, possédant de ce fait tous les pouvoirs. Ce 13 janvier 1813, par décret, il est décidé de classer parmi les départementales du département de la Gironde sous le n°10 la (future) route de Bordeaux à Saint Macaire. C’est en quelque sorte l’acte procréateur d’une route, dont la gestation durera plusieurs années et l’accouchement s’avérera douloureux. Cette année 1813 est celle de la déroute de Napoléon à Leipzig. Les « alliés » envahissent la France, l’année suivante Napoléon est prié d’aller se ressourcer à l’Ile d’Elbe, et c’est l’avènement de Louis XVIII. Les turbulences guerrières n’empêchent manifestement pas le petit monde de l’Entre- deux-Mers de continuer à gérer son quotidien. Il faut bien vivre vaille que vaille ! Le 18 décembre 1813, un habitant de , au lieu dit Rouquey, demande l’autorisation de construire un mur. Cette autorisation lui est accordée avec la réserve suivante « …dans le cas où par la suite des changements qui pourront avoir lieu lorsqu’on s’occupera de la route de Bordeaux à Saint Macaire, il sera nécessaire d’abattre ledit mur, il ne serait alloué au pétitionnaire aucune indemnité à ce sujet… ». A la lecture de ce texte anecdotique on apprend que d’une part la route est loin d’être entreprise et d’autre part on découvre la prudence de l’administration des Ponts et Chaussées qui subodore déjà que la construction de la future route risque de susciter des protestations donnant lieu à demandes d’indemnisation ! C’est pourquoi aussi, dès 1815, les demandes d’autorisation de constructions riveraines de la future route sont déjà soumises à alignement. Mais ce n’est qu’en 1820, par ordonnance royale de Louis XVIII, que la fixation des alignements de la route est approuvée définitivement. Cela ne signifie pas toutefois que le tracé de la route de Bordeaux à Saint Macaire soit arrêté. A cette époque il n’existe qu’un Chemin de grande communication de Langon à Cadillac (via Saint Macaire et Saint Maixant) qui n’est vraisemblablement pas en l’état d’une route telle que l’on peut l’imaginer aujourd’hui. A partir de Cadillac, la liaison se fait en remontant sur le plateau pour rejoindre l’ancienne voie de communication qui passe par La Sauve, puis Créon et Bordeaux. Mais il n’y a toujours pas de cheminement continu reliant Cadillac à Bordeaux en passant par Beguey, Rions ,Paillet, Lestiac ,Langoiran, Le Tourne, Baurech, Cambes, Quinsac, et Latresne, c’est à dire longeant le fleuve qui reste la voie majeure pour le déplacement des hommes et des marchandises. Il y a donc une multitude de petits chemins qui finissent en culs de sac car ils sont arrêtés par les esteys, ces ruisseaux descendant

73 des coteaux :l’Euille à Cadillac, l’Artolie à Paillet, le Gaillardon au Tourne/Langoiran, la Pimpine à Latresne, qui constituent toujours autant de voies de transport pour amener vins, céréales, farines, pierres de construction jusqu’à la Garonne et par là même autant d’obstacles à franchir « horizontalement ». Les liaisons continuent à se faire par le truchement de bacs et de passeurs car il n’existe pas de ponts pour relier les berges de ces petits cours d’eau.

10.1 Suivez la ligne rouge… Il faut faire un effort d’imagination pour se resituer dans la dimension spatiale de l’époque : Floirac, Bouliac, Latresne et les autres…ne sont encore que des villages avec de vastes propriétés (les maisons de campagne), des maisons de village construites au cours des temps, bien évidemment sans plan d’urbanisme, des espaces de prés, de vignes en rase campagne. Les ingénieurs et techniciens des Ponts et Chaussées ayant en charge la conception et la mise en œuvre de la future route vont appliquer le fameux précepte consistant à conduire le tracé « au plus droit alignement que faire se peut ». Si plusieurs parcours sont étudiés pour pouvoir retenir celui qui présentera les meilleures performances par rapport à des contraintes financières, de faisabilité quant à la configuration géographique (les coteaux , la Garonne, les esteys constituant autant d’obstacles) ou à la distance kilométrique du parcours, il ne semble pas que le bâti existant ait été une contrainte prise en compte ! D’ailleurs le tracé définitivement retenu privera des propriétés de leurs parcs et jardins, rabotera murs et clôtures, tranchera dans le vif des maisons qui seront amputées, pour certaines de leur façade et d’une partie des pièces habitables, tandis que d’autres disparaîtront complètement pour cause d’utilité publique. Il faut que la route se fasse et elle se fera suivant en cela « la ligne rouge » rejoignant un point A à un point B. Cette ligne rouge sera celle sur laquelle les Hommes des Ponts et Chaussées s’arc-bouteront, en vertu de l’intérêt général, tandis que les propriétaires devenus pour la circonstance « pétitionnaires » essaieront souvent de la faire bouger pour préserver leurs intérêts particuliers.

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Figure 14 Extrait du plan de la traversée de Lestiac sur Garonne. Sources : AD 33

75 On peut imaginer les bouleversements engendrés par la mise en place de cette voie nouvelle de communication adaptée aux nouveaux modes de déplacements modernes : d’abord au chemin de fer (petit train) et ensuite à l’automobile. Pendant des années se succèdent procès verbaux, constats, arrêtés, portant sur des contestations, des refus, des demandes d’autorisation de reconstruction de façades, de murs et clôtures, d’escaliers, de trottoirs. Mais par la suite, au fur et à mesure de l’avancement et de la finalisation des travaux, les demandes changent de nature. A partir de 1852 (soit près de quarante ans après le décret de 1813) elles portent davantage sur des demandes de constructions d’habitations le long de la route, comme si les habitants avaient enfin intégré l’impact de cette voie nouvelle et entendaient aussi en tirer parti, en profiter. C’est par les datations de tous ces actes que l’on peut suivre le déroulement et l’avancement des travaux d’année en année. Ainsi en janvier 1852, un pétitionnaire fait une demande de construction de trottoirs et dit « …considérant qu’il résulte des renseignements fournis par les ingénieurs que ce projet d’alignement de la traverse de Cadillac est définitivement arrêté… ». La même année, le 29 novembre, le décret suivant est pris concernant la construction du pont au lieu dit Castera à Latresne : « …Louis Napoléon, Président de la République française, sur le rapport du Ministère des travaux publics, Vu les plans d’alignement des traverses de Castera. Vu les pièces de l’enquête constatant que les plans ont été soumis aux formalités de dépôt et de publications prescrites par les articles 5 et 6 de la loi du 3 mai 1841, la section des travaux publics, de l’agriculture et du commerce, du Conseil d’Etat entendue, décrète : Art.1 sont et demeurent fixés conformément aux lignes rouges des plans ci-annexés, les alignements des traverses désignées ci-après à savoir : de Castera (fr) route départementale n° 10 de Bordeaux à Saint Macaire. Art.2 l’administration est autorisée à faire l’acquisition des terrains et bâtiments nécessaires pour exécution de ce projet d’alignement en se conformant aux dispositions des tiers et suivants de la loi du 3 novembre 1841 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique. Art.3 Le Ministère des Travaux Publics est chargé de l’exécution du présent décret ». La date de ce décret laisse à penser que les ouvrages d’art ont été effectués en dernier ressort après achèvement des tronçons de route. En 1840 (soit 12 ans auparavant) un habitant de Langoiran demande l’autorisation de reconstruire la façade de sa maison située sur le côté droit de la départementale 10. En l849 à Lestiac, un propriétaire est autorisé à reconstruire sa maison en respectant toujours la fameuse ligne rouge, mais il lui est interdit de le « laisser établir des trottoirs, car dans cette partie la route a moins de 8 mètres de largeur ! » (ce qui laisse supposer que l’entrée de la maison donnera directement sur la chaussée !). Ces exemples, retenus parmi d’autres, multiples, font apparaître l’importance des échanges épistolaires et contentieux entre la population et l’administration des Ponts et Chaussées. Celle-ci, bien après que la route ait été terminée, non seulement

76 continue de gérer les diverses demandes des pétitionnaires, mais assure aussi une certaine police comme en témoigne un procès verbal de contravention dressé pour délit de grande voie, le 7 janvier 1858, par l’agent des Ponts et Chaussées au sieur Porcheron. Ce dernier habite une maison située sur le côté gauche de la départementale 10 au lieu dit Lamothe, commune du canton de Cadillac . L’objet de la contravention ? La maison a été recrépie au lieu d’être badigeonnée comme il est prescrit par arrêté préfectoral du 4 juin 1857. L’agent fait remarquer également que « ladite maison présente une saillie de 1,50 m à l’angle amont… »86. Ce procès verbal est intéressant car il fait apparaître : • que la départementale 10 est considérée comme « grande voie ». • qu’il existe des contraintes légales concernant les enduits de façades.

Une fois la route construite et compte tenu de sa situation au pied des coteaux, donc en contrebas du bassin versant, il s’ensuit des contraintes et désagréments liés aux eaux pluviales et de ruissellement. Sur ce point également ce sont les réclamations des pétitionnaires qui apportent un éclairage. De nombreuses réclamations concernent la construction d’aqueducs, de vannes pour éliminer, retenir l’eau. Il semble bien que l’Administration refuse de participer au financement de ces frais, comme en témoigne cet ordre de service du 22 décembre 1856, en réponse à une plainte d’un Sieur Lalinau. « …Le Sieur Lalinau, propriétaire sur la commune de Rions, côté gauche de la départementale n° 10 se plaint de ce que les cours d’eau qui viennent de la côte n’ont plus d’écoulements arrivés près de la route, séjournent sur son terrain et lui causent des dommages considérables. Il demande, en conséquence, que l’Administration fasse construire un aqueduc pour les jeter du côté opposé et leur rendre le cours qu’elles avaient avant la construction de la route. Il est vrai (reconnaît l’Administration) que le terrain est parfois complètement inondé…mais aujourd’hui l’Administration ne peut s’imposer une dépense dont les avantages seraient presque toujours en faveur du réclamant (sic !). Cependant elle admet par ailleurs « …que la route a , à souffrir, par intervalles des eaux qui arrivent en trop grande abondance, se répandent sur la chaussée, et que la stagnation des eaux rend la route un peu humide, sur ce point elle fait user la chaussée plus vite qu’ailleurs…propose que l’Administration participe pour 1/3 aux dépenses occasionnées par la construction d’un aqueduc et l’ouverture d’un fossé bordant la route, laissant à la charge du réclamant en plus des 2/3 des frais, l’obligation d’approfondir, à ses frais le fossé qui longe le chemin Dogeais ou de s’adresser à la commune… ». Il s’ensuit des indications techniques à respecter sur la façon d’approfondir le fossé ainsi qu’un devis de 249 francs dont 83 francs à la charge éventuelle de l’Administration, le solde étant à la charge du réclamant.

86 Sources A.D.33 SP.1838 – 142.

77 Planche 10 illustration 23 Mur de soutènement du cimetière. Cambes. Juin 2001.

illustration 24 Escalier bourg de Langoiran. Juin 2001.

illustration 25 Effondrement du mur du château Champcenet à Baurech à la suite des pluies diluviennes du printemps 2001.

78 Et pendant ce temps là ? Il y a ce qui se passe sur le terrain dès que la phase de matérialisation de la route est engagée. Il est vraisemblable que dès 1813 l’ensemble des services études des Ponts et chaussées concernés s’est mis à l’ouvrage. C’est à partir de l’examen de l’ensemble des documents techniques, tracés, plans et profils, mais aussi rapports et notes des différents ingénieurs et agents voyers qu’il est possible d’avoir une appréhension de la mise en œuvre de la départementale n°10. Celle-ci, sur de nombreux documents et pendant plusieurs années, continue à être dénommée sur la portion de Latresne à Saint Maixant, chemin vicinal n° 45, alors que de Langoiran à Saint Macaire il est toujours question du Chemin de Grande Communication. L’arrêté de 1813 est en quelque sorte l’acte fondateur de la départementale n° 10 de Bordeaux à Saint Macaire cependant il faudra presqu’un siècle avant que cette voie ne soit terminée et véritablement opérationnelle. Non pas définitivement. Une route est par nature destinée à évoluer entre autre en fonction de l’environnement économique. La départementale n° 10 est donc conçue pour faciliter les échanges entre la ville centre et cet espace de l’Entre-deux-Mers. Elle va bouleverser en quelques années les flux d’échanges des marchandises liés à l’économie locale et au fleuve ainsi que les relations humaines entre les différents villages riverains, reliés enfin par la terre et non plus tributaires des bacs pour franchir la frontière de l’eau. Il faut se souvenir qu’alors, la totalité des transports effectués par voie de terre se fait à l’aide d’attelages. Lorsque le grand chantier de création de routes pour doter la France d’un réseau de communication moderne est entrepris, au début du siècle (Loi du 18 septembre 1824)87, les voies, si elles sont tracées « au plus droit que faire se peut », tiennent compte également des contraintes techniques inhérentes au matériel existant. Par exemple, les pentes trop raides offrent des difficultés à la remontée et à la descente pour les chevaux, les virages trop serrés sont redoutables pour les essieux des attelages pour peu que ces derniers les abordent trop rapidement. Ces éléments et bien d’autres, géologiques, géographiques, mais aussi économiques et financiers, sont pris en compte par les ingénieurs des Ponts et Chaussées lorsqu’ils établissent le cheminement de la future départementale. Ils vont étudier au moins deux itinéraires. Le premier va partir de Latresne, remonter sur le plateau et suivre la ligne de crête du coteau de Saint Caprais au lieu dit Larroudey /Tabanac. De là, il plonge brutalement vers le vallon du ruisseau du Gaillardon pour rejoindre la Garonne via Le Tourne. Le terrain est particulièrement accidenté, et implique une succession de virages rapprochés et très serrés compte tenu de la forte pente. Autant de points qui font que ce trajet ne sera pas retenu pour être celui de la départementale n°10. Il sera cependant matérialisé plus tard, vers 1842 (il s’agit de l’actuelle D 240). L’étude de la seconde option se profile le long du pied du coteau. Selon la configuration du terrain le tracé suit de plus ou moins près la Garonne, (comme un plan daté du 2 mai 1828 en témoigne). Mais sur ce projet, la future route se contente

87 La loi du 18.07.1824 précise la classification des routes et le partage des compétences entre l’Etat et le Département. L’Etat finance la construction des routes royales (et impériales) et des départementales ; les communes, puis les conseils généraux prennent en charge le réseau vicinal.

79 de relier entre eux, au mieux, dans les villages, les chemins existants, et de créer dans la campagne des liaisons «au plus droit » au travers des vignes et prairies. Toutefois elle s’arrête au Tourne88encore empêchée par l’Estey qu’elle n’ose franchir pour rejoindre Langoiran. A Cambes, village corseté entre le coteau et le fleuve, il est prévu d’inscrire la route carrément sur la rive de la Garonne, c’est à dire en lieu et place du chemin de halage ! Il est possible que les ingénieurs aient recherché une solution plus facile quant à la faisabilité de la construction de la voie, donc plus économique ; mais cette éventualité est abandonnée. L’un des aléas que les Hommes des Ponts et Chaussées doivent prendre en compte est celui des inondations, multiples et quelquefois très importantes. Cela va les obliger à faire en sorte que la route soit hors d’eau (sauf en cas de crues tout à fait exceptionnelles, comme en 1981 par exemple). De Latresne à Langoiran, le coteau soit affleure les palus, soit plonge directement jusqu’aux rives de la Garonne. Il va donc falloir incruster la route dans cette morphologie géographique, à flanc de coteau : niveler, terrasser, soutenir, rehausser, remblayer, creuser, attaquer la roche, endiguer les eaux de ruissellement, faire des ponts, d’abord sur les esteys, ensuite sur la Garonne, déplacer des tonnes de pierres, de moellons, de remblais89. Ceci explique le temps de réalisation pour mener à bien ce vaste chantier. Les nombreux graphiques de nivellement en travers et profils qui accompagnent les plans du tracé de la route témoignent de l’importance de ces travaux : par exemple, un rapport de 1833 fait état d’un plan de projet d’un mur de soutènement à construire d’une épaisseur moyenne de l,46 m et d’une hauteur de 4,70 m! En 1851, le plan de traverse du village de Baurech ne fait plus mention du Chemin vicinal n° 45, ce qui signifie que les Ponts et Chaussées ont définitivement entériné la dénomination de Départementale n° 10 et ce de Latresne à Saint Maixant. La route bien que constituant un projet global sur les 35 kilomètres de Latresne à Saint Maixant est construite tronçon par tronçon, en commençant, semble t-il, par les parties qui posent le moins de problèmes techniques, la plus accidentée se situant entre Esconac / Cambes et Langoiran. L’Administration des Ponts et Chaussée est peut être aussi contrainte à cette stratégie par la résolution de différents contentieux concernant les expropriations, à moins que ce ne soit par le déblocage des financements90. A partir de 1865 les ingénieurs et agents voyers ayant en charge la route mentionnent des travaux concernant soit des améliorations de l’existant (à Latresne on installe

88 Selon les différents plans, celui-ci est dénommé tantôt ruisseau du Tourne, tantôt ruisseau de Langoiran. Aujourd’hui on parle de l’estey du Gaillardon ou du Grand estey. 89 Sources A.D.33.335P.1842 – Plans et Profils. Un rapport des Ponts et Chaussées du 22 juin 1837 intitulé « Chemin vicinal de Latresne à Langoiran par Baurech, état des ressources en nature , emploi des prestations » recense sur les communes de Camblanes, Quinsac, Baurech, Tabanac, Le Tourne, la nature des prestations en attelage; chevaux ; ânes ; hommes et nombre de journées pour transporter des matériaux, pierres et moellons, terres, déblais. Il semble bien que tous, hommes et animaux soient destinés à la corvée. 90 Ce qui peut étayer cette thèse c’est que l’on voit dans les années 1850/52 apparaître des demandes de reconstruction de façades à Cadillac, alors qu’un document de 1862 (soit dix ans après) précise la fameuse ligne rouge d’alignement sur des terres et vignes situées entre Cambes et Baurech, donc bien en amont de Cadillac.

80 caniveaux et trottoirs en 1869), soit le renforcement de murs de soutènement comme à Cambes, ou d’exhaussement de la route en 1873 à Langoiran où la route s’est affaissée sur une longueur de 291 mètres. Elle est tributaire de son environnement géologique, située entre un coteau argilo-calcaire fragilisé par de multiples carrières, bassin versant qui plus est, ce qui le prédispose à des glissements de terrains, et les zones humides, qui sont de véritables éponges et par conséquent particulièrement instables à certaines périodes de l’année, tout particulièrement en hiver et au printemps. De nos jours encore, assez fréquemment, il y a des effondrements de murs de soutènement (comme le mur du cimetière de Cambes en 1970), des coulées de boue qui dévalent le coteau (comme à Langoiran dans les années 1980), des affaissements de la chaussée.

10.2 Le franchissement des esteys. C’est en 1830 que l’on voit apparaître les premiers plans de franchissements des esteys. A Latresne celui du pont sur le ruisseau de Castera. En 1831, la construction du pont de Paillet sur l’Artolie commence. Elle fait suite à une étude entreprise en…1819 et qui concernait, déjà, le remplacement d’un pont existant devenu obsolète. (Ce pont sur l’Artolie sera à nouveau élargi en 1851 et en 2001 il vient d’être revu et consolidé.) En 1840, il est enfin question de construire un pont sur l’estey entre Le Tourne et Langoiran, mais il faut encore attendre 1842 pour voir apparaître sur les plans un tracé préfigurant le futur franchissement. Ce n’est qu’en 1849 que ce dernier est matérialisé. Sur un plan datant du 26 février apparaissent les abords du pont de Langoiran côté du Tourne. En 1850 les terrassements commencent ! Pour la vie locale, la construction de ce pont est un événement considérable, car voilà des siècles que les habitants des deux rives, distantes de 20 mètres au plus, ne pouvaient communiquer que par bac ; brutalement ils vont pouvoir aller et venir entre ce qui demeure encore de nos jours deux communes différentes, situées sur deux cantons distincts (séparation… reliquat du Vème siècle). Il s’agit aussi d’un ouvrage aux proportions exceptionnelles par rapport au ruisseau qu’il enjambe, mais il faut se souvenir de l’importance à ce moment encore du trafic de batellerie provenant par voie d’eau du coteau jusqu’au port de Langoiran. Il faut donc que les bateaux puissent passer sous le pont sans démâter, ce qui explique la hauteur de la voûte. Quelques trente ans plus tard la vie locale sera d’autant plus chamboulée par la concrétisation de projets de traversée de la Garonne. D’une part à Cadillac, en reconstruisant un nouveau pont plus adapté au trafic qui va croissant, d’autre part à Langoiran en mettant en œuvre le pont actuel. L’objectif est essentiellement économique. Il s’agit d’assurer un meilleur transit des hommes mais surtout des marchandises entre l’Entre-deux-Mers et la nouvelle ligne de chemin de fer Bordeaux Toulouse concédée à la Compagnie du Midi depuis le 31 mai 1855 et située sur la rive gauche de la rivière. Cette ligne de chemin de fer et ces deux ponts contribueront pour une large part à enterrer la navigation fluviale.

81 10.3 Les ponts en question. Le pont de Cadillac. En 1870 entre Bordeaux et Saint Maixant il n’existe qu’un pont sur La Garonne, celui de Cadillac. Il s’agit d’un pont suspendu, construit en 1843, à voie unique, assujetti à l’astreinte d’un péage pour chaque usager et attelage (péage prévu sur une période de 30 ans soit jusqu’au 5 août 1873). Comme le souligne l’Agent Voyer en chef de la Gironde, en 1876, cette voie unique n’est pas sans poser quelques problèmes de coexistence : « …le pont actuel est insuffisant pour la circulation journalière de 229 colliers avec des heures de pointe - aux heures de départ des trains de Cérons - par suite de la voie unique des rixes et accidents pour les hommes et les animaux surviennent… ». En fait la circulation s’accroît sans cesse en raison de la mise en circulation sur la rive gauche de la Garonne de la voie de Chemin de fer Bordeaux Toulouse qui assure et assurera de plus en plus le trafic des voyageurs et des marchandises. C’est pourquoi dès 1874, le Département de la Gironde envisage la construction d’un nouveau pont et fait une demande de financement au Ministère de l’Intérieur, reçue plutôt fraîchement par celui-ci, si l’on en juge par la réponse du 6 novembre 1874 : « … le Conseil général des Ponts et Chaussées persistant dans sa première manière de voir estime que l’Etat ne saurait être appelé à contribuer à l’exécution du nouveau pont de Cadillac. Ce pont fait partie dune route départementale et c’est le Département qui doit pourvoir à la dépense. Vous remarquerez par ailleurs que le Département n’a pas cru devoir aborder l’étude technique du projet qui devra, s’il y a lieu, être examiné dans une conférence entre les ingénieurs du service ordinaire et ceux de la navigation… ». Après cette mise au point, le dossier est retourné au Conseil Général auquel il est stipulé « ..qu’en présence de deux refus formulés par Monsieur le Ministre des Travaux publics, le Département doit renoncer à l’espoir d’obtenir le concours de l’Etat ». Il est possible que ce mouvement d’humeur de l’Etat soit alimenté par les rivalités qui existent alors entre les services des Ponts et Chaussées et les services vicinaux du Conseil Général. Quoiqu’il en soit, l’Institution départementale ne renoncera pas au projet qui finira par recevoir une contribution financière de l’Etat, il est vrai relativement modeste. Et le 3 novembre 1875 un arrêté préfectoral lance enfin l’enquête publique. Celle-ci porte sur la construction d’un pont métallique, seul réalisable compte tenu des contraintes techniques ; la municipalité qui souhaitait que son pont soit de pierres, doit s’incliner compte tenu du coût. Ce 30 décembre 1875, l’Ingénieur en Chef du Service maritime P.Laroche s’assoit à sa table de travail et de sa belle écriture aux pleins et déliés commence un rapport concernant la reconstruction du pont de Cadillac. S’il aborde de nombreux points techniques liés aux exigences de la navigation fluviale d’alors, avec une description précise des différents types de bateaux en activité, il se livre également à une analyse économique critique du transport maritime et de la concurrence sauvage qu’il supporte de la part du chemin de fer.

82 C’est en fait un véritable plaidoyer pour la survie de la navigation maritime, et bien qu’il reconnaisse l’augmentation toujours croissante de la circulation par les voies de terre, l’ingénieur demande à l’Etat de prendre en charge, à titre de subvention, une augmentation de 120.000 Francs par rapport au budget initial de construction, de façon à ce que les ouvertures des arches du pont soient compatibles avec les différents types de bateaux.. Ces travaux constitueraient « une amélioration bien utile pour la navigation ». Le plaidoyer de Monsieur l’Ingénieur en Chef des affaires Maritimes ne sera pas suffisant pour enrayer l’inéluctable déroute de la navigation fluviale. Le rapport du 21 janvier 1876 de l’ingénieur des Ponts et chaussée constate qu’à la suite de l’enquête publique il n’y a eu aucune observation de la part de la population. Par contre, 2 membres de la commission d’enquête sur 7 ont voté contre ! Ce sont le Directeur de la Compagnie de navigation de la Gironde et le représentant du Syndicat des gabariers de Bordeaux. Ce qui fait dire à Monsieur l’ingénieur des Ponts et Chaussés : « …tout en reconnaissant la compétences de ces deux membres de la commissions, nous croyons qu’il faut accueillir leur opinion, dans la question actuelle, qu’avec une grande réserve , car ils sont portés malgré eux à se préoccuper exclusivement des intérêts de la navigation et à faire bon marché de ceux de la circulation par voies de terre. Nous voyons une preuve évidente de cette préoccupation exclusive des intérêts de la navigation dans l’exagération des demandes formulées par ces deux membres de commissions. Ils voudraient que le nouveau pont présentât pour les piles les mêmes dispositions que le pont actuel. C’est à dire qu’il y eut trois travées, l’une de 100 mètres, les deux autres de 70 mètres. L’adoption de semblables dispositions équivaudraient en raison de la dépense énorme qu’elles entraîneraient à l’ajournement indéfini de tout projet de reconstruction… »91. On voit bien là que deux logiques économiques s’affrontent. Le 2 septembre 1876, le Conseil général adopte à l’unanimité le nouveau projet de reconstruction du pont de Cadillac. Accepté enfin par les Services de l’Etat, ce dernier apporte sa contribution financière à hauteur de 100.000 francs, celle du Conseil Général sera de 210.000 francs et celle de la Commune de Cadillac et des particuliers de 125.000 francs ; la récupération de matériaux de l’ancien pont est estimée à 15.000 francs. Au total ce nouveau pont devrait coûter 450.000 francs ! Un mois plus tard. Le 28 octobre le nouveau projet est présenté comportant plusieurs modifications techniques tenant compte du débit de l’eau, de l’étiage, du facteur inondation, du remous au pied des piles92.

91 Source A.D.33 SP 517 – 5 Reconstruction du Pont de Cadillac (1875-1881) 92 Le calcul du remous produit par les piles prend en compte la hauteur maximale des eaux au-dessus du fond du lit c’est à dire 12 mètres environ et le débit d’eau correspondant sous le pont. Il est fait mention également qu’au point de vue de l’écoulement des eaux en période de crue, que l’échelle hygrométrique de Cadillac n’a jamais marqué plus de 11,34 m au dessus de l’étiage et que le tablier du pont se trouve installé à la cote de 15,74 m. Il reste donc une hauteur libre de 4,45 m au dessous du tablier. Par conséquent l’effet remous des 4 piles ne peut exercer qu’une action insignifiante sur le régime de la rivière.

83 Finalement le pont comportera 7 arches métalliques de 29 mètres à 33 mètres d’ouverture (on est loin des 100 mètres souhaités par les gens de la navigation) dont trois porteront sur les piles et culées de l’ancien pont, les autres seront supportées par quatre nouvelles piles formées de tubes de fonte de 2 mètres de diamètre. Les avis de soumission sont lancés auprès des entreprises françaises spécialisées dans la construction métallique. Parmi celles qui répondent, il y a quelques noms bien connus comme l’entreprise Gustave Eiffel, la Société des Batignolles, Creusot, mais finalement c’est l’entreprise Gabriel Louis Lebrun qui est retenue le 17 avril 1877 en fonction de la règle bien connue du « mieux disant ». Les travaux peuvent commencer. Le 25 juillet 1878 la navigation de commerce et voyageurs est stoppée pendant un mois pour permettre la mise en place dans la Garonne du bloc de fondation de la pile centrale du pont. Arrivé à la construction du tablier du pont, il faut pouvoir assurer le transport des hommes et des marchandises pendant les travaux. C’est alors la mise en place d’un bac avec camuse pour le passage des charrettes, ce qui nécessite la construction de cales d’accès, et ce n’est pas simple en raison de la force du courant ! Le bac est opérationnel en mars 1879 puisqu’un arrêté préfectoral en fixe les modalités d’usage. Il y a alors deux camuses pour les attelages, 2 batelets ou yoles pour les piétons. Dans le même temps, un rapport de l’Ingénieur des Ponts et Chaussées déplore «… un mauvais temps continuel que nous avons depuis plusieurs mois et qui retarde l’exécution des travaux. Mais les motifs tirés des intérêts des communications ont plus d’importance…il est certain que de nouvelles inondations peuvent se produire, mais aucune saison n’en est à l’abri et on ne peut espérer exécuter des travaux aussi importants que ceux du pont de Cadillac sans avoir à surmonter des difficultés. Les inconvénients que de nouvelles crues pourraient entraîner pour les travaux ne nous paraissent pas pouvoir être mis en parallèles avec les dommages certains qui résulteraient d’un ajournement. Nous devons ajouter d’ailleurs que c’est pour les fondations que le danger des débordements était le plus à redouter et qu’heureusement cette partie des travaux est complètement terminée… ». Bref, cette année là, le temps est pourri et le chantier doit continuer quoi qu’il arrive ! Quant aux inondations, elles semblent être considérées comme inéluctables et par conséquent normales ! En dehors des intempéries, les rapports relatent des incidents de parcours dans l’accomplissement du pont concernant soit des relations avec les entreprises sous- traitantes, soit des appels réguliers lancées par l’agent voyer chargé de la bonne fin des travaux pour réclamer l’argent provenant du Département ou de l’Etat, pour régler ces entreprises alors même précise t-il « … que les travaux sont menés avec la plus grande activité … ». Prévu pour être livré fin 1879, le pont sera opérationnel en 1881, tout comme celui de Langoiran.

84 Planche 11

illustration 26 Pont de Cadillac, 1881. Mai 2001.

illustration 28 Quais du port de illustration 27 Estey du Gaillardon, Langoiran, 1885. Mai 2001. crue. Février 2001

illustration 29 Pont de Langoiran 1881, pont métallique de Five Lille. Mai 2001.

85

Le pont de Langoiran93. Déjà en 1868, certains membres du Conseil Général émettent le vœu qu’un pont soit construit sur la Garonne en amont de Bordeaux reliant Langoiran à Portets. Des études sont entreprises ; les 73 communes concernées votent même des fonds pour la future construction, estimée à 310.000 francs. Un avant projet est terminé en 1871 ; une première enquête publique a lieu deux ans après, et puis… c’est le silence ! Il faut attendre 1877 pour voir resurgir une nouvelle enquête publique au cours de laquelle vont apparaître quelques dissensions. Car si nul ne conteste le bien fondé d’un nouveau pont, les élus et les habitants de la commune de située sur la rive gauche protestent avec véhémence, n’étant pas d’accord sur le choix de l’emplacement du futur pont. Ils souhaiteraient que celui-ci aille de Tabanac (rive droite) à Beautiran.. Il font valoir, entre autre, que Beautiran est prévue pour être la tête de la future ligne de chemin de fer des Landes, et que le jour où la ligne arrivera jusqu’aux ports de Castres et Beautiran, ce sera là seulement qu’auront lieu les échanges de produits des Landes (le bois essentiellement ) avec ceux de l’Entre - deux - Mers. Enfin, ils font allusion au palus de Tabanac beaucoup moins submersible que celui de Portets. Il ne serait pas nécessaire de construire, pour la traverse, une levée considérable94. Bien entendu les Langoiranais ne l’entendent pas de cette même oreille ni même d’ailleurs leur conseiller général95 qui a par ailleurs la responsabilité de la politique des routes au sein de l’Assemblée départementale. Il se félicite donc de l’emplacement choisi et le fait savoir : « …Il n’est pas douteux que d’ici peu d’années les transferts par tramway auront pris une franche extension, par conséquent il est essentiel de mettre en rapport les lignes ferrées avec les communes voisines qui ne sont pas directement reliées au chemin de fer. Donc il serait souhaitable que le tramway puisse emprunter le pont, soit avec des wagons traînés par des chevaux, soit avec des voitures légères … ». « …Langoiran fait un important commerce de fruits destinés à l’expédition vers Paris et l’Angleterre, il est très manifeste que le chargement sur charrettes pour partir à la gare, le rechargement sur wagons sont des opérations coûteuses et surtout très préjudiciables à la conservation d’une marchandises très délicate entre toute…c’est que les fruits, les pêches, par exemple, mises ainsi à l’abri des manipulations dangereuses pourraient être cueillies en état plus voisin de leur absolue maturité, condition avantageuses à la fois pour le consommateur et pour la culture… »96. Heureux temps, où l’on se souvenait que les palus étaient submersibles, et qu’un fruit cueilli et dégusté à maturité est un plaisir vrai !

93 Source A.D 33 S P 519 – 12 Pont suspendu de Langoiran ,service maritime 1866 – 1880. 94 En l’an 2000, lors de la présentation des projets du Schéma Directeur d’aménagement urbain de l’agglomération bordelaise ( S.D.A.U.), l’éventualité d’un pont à cet emplacement précis entre Tabanac et Beautiran a été envisagée. 95 Il s’agit de Monsieur R. Dezeimeris. 96 Aujourd’hui, le long de la Route François Mauriac, il ne reste plus qu’un seul verger producteur de pommes et de poires dans le palus de Sainte Croix du Mont.

86 Un si beau pont… Il a un tablier métallique prévu pour être placé à 9,66m au dessus de l’étiage de 1870. Il comporte trois grandes travées de 64 mètres d’ouverture libre et deux plus petites de 19 mètres, pour pouvoir répondre aux besoins de la navigation. Les ingénieurs doivent tenir compte également du terrain ainsi que le souligne l’agent voyer chef adjoint, dans un rapport du 30 octobre 1877 : « …si d’ailleurs on examine le plan de la Garonne aux environs du pont de Langoiran, on voit que la rivière forme dans cette partie une courbe très prononcée, et, comme dans toute l’étendue de cette courbe les terrains cultivés de la rive gauche se trouvent à une faible hauteur au- dessus de l’étiage (5 à 6 mètres environ), il en résulte qu’une partie considérable des eaux de débordements s’écoule en dehors du lit ordinaire sur une largeur de plus d’un kilomètre en suivant la corde de l’arc formé par la courbe. Afin de ne pas modifier cette situation, le chemin destiné à relier le pont projeté à la station de Portets sera établi au niveau des terrains naturels et de cette façon l’écoulement des crues se trouvera assuré dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui ». Par conséquent il n’y aura pas d’exhaussement ! En ce temps là la sagesse prévaut encore97. Le 9 novembre 1878, le Président de la République, le Maréchal de Mac Mahon, déclare d’utilité publique la construction d’un pont à péage, à établir sur la Garonne entre Langoiran et Portets. La dépense est évaluée à 530.000 francs, dont 20.000 francs fournis par le Ministère de l’Intérieur, 20.000 francs par le Ministère des Travaux Publics, et 490.000 francs qui doivent être couverts par un emprunt à 4 % sur trente ans, contracté par le Conseil général auprès de la Caisse des chemins vicinaux, qui se substitue ainsi aux communes de Langoiran et Portets. En fait, le péage qui sera concédé à Langoiran devra servir à rembourser les intérêts de l’emprunt. La construction du pont sera adjugée à la société Fives Lille en 1879 98. Le 29 juillet 1880, alors que le pont est quasiment terminé, l’ingénieur en chef du Service Maritime signale que la hauteur libre de 10,66 m qui a été fixée entre l’étiage de la Garonne et le dessous du tablier, lui paraît insuffisante et qu’il y a lieu d’exhausser le tablier du pont de 1,64 m. Il n’oublie pas de rappeler qu’il avait déjà émis des réserves sur ce point lors de la présentation du pré–projet mais que les Ponts et Chaussées n’en n’avaient pas tenu compte. Bonjour l’ambiance ! Il en coûtera pour cette bévue quelque 58.000 francs supplémentaires qui vont obérer lourdement les remboursements futurs.

Du péage au phylloxéra. En mars 1878 le cahier des charges pour la concession du péage à la commune de Langoiran est établi sur les bases suivantes :

97 Il est fréquent de nos jours qu’en hiver ou au printemps, au moment des crues, les vignes des palus et la route qui va du Pont à Portets soient inondées. 98 Et non à la société Eiffel alors que la population locale parle toujours du Pont Eiffel.

87 La concession est accordée pour 30 ans, la commune n’aura pas à faire face aux dépenses d’entretien ; par contre elle reversera annuellement 12.000 francs en règlement des intérêts de l’emprunt . En avril 1883 un tarif de péage extrêmement complexe est officialisé. Il ne compte pas moins de 32 prix différents. Tous les cas de figures sont envisagés depuis la personne seule chargée ou non chargée, accompagnée d’une brouette, jusqu’aux mulet, cheval, âne, bœuf, veau, porc voyageant soit à pied (sic) soit transporté à dos d’animal, en brouette, en voiture (sic). Les moutons, agneaux, brebis, boucs, chèvres, cochons de lait ou pas, paires d’oies ou de dindons, ne sont pas oubliés, ni bien entendu les charrettes, traîneaux, diligences, voitures de postes… etc. Cette inflation de prix n’empêche nullement les déficits. En août 1885, le préfet fait état de déficits annuels constants dans les recettes de péage du pont. Interpellée, la commune de Langoiran répond qu’il lui est impossible de payer par suite de l’amoindrissement de ses ressources, par le fait de l’invasion du phylloxera et ses conséquences sur les marchés. Il est vrai que l’évaluation qui avait été faite par les ingénieurs et le service vicinal, sur une base de 12.000francs, était valable à une époque de prospérité mais était impossible à tenir à la suite de la destruction du vignoble. Dans l’immédiat, le Conseil Général décide d’imposer d’office la commune de Langoiran afin qu’elle rembourse sa dette, mais la question pour l’avenir n’est pas résolue ! L’histoire ne dit pas pendant combien d’années encore les Langoirannais ont du se serrer un peu plus la ceinture pour payer leur pont, mais ceci explique peut être l’attachement viscéral que les générations suivantes lui portent toujours !

10.4 Le port de Langoiran . Pratiquement dans le même temps les Langoirannais ont eu à supporter la construction du port approuvée par le Préfet le 8 avril 1869. En Août 1884, le conseil municipal de la ville s’étonne et demande à l’Administration de faire en sorte que les travaux soient terminés au plus vite alors que les plans ont été approuvés en 1869. Ce même conseil, deux ans auparavant, avait demandé l’autorisation de faire une plantations d’arbres sur le quai et d’y placer quelques bancs99. Parallèlement, les travaux tout à fait remarquables du port (empierrement et maçonnerie des quai et cales) sont prolongés le long du cours de l’estey du Gaillardon ( jusqu’au pont de Roses) qui bénéficie lui aussi d’un traitement architecturé, existant encore de nos jours mais qu’il est malheureusement difficile d’admirer étant donné son envasement permanent et son manque d’entretien.

99 Ces arbres existent toujours. Ils ont failli disparaître dans les années 1990 pour faire place nette au bénéfice d’un parking, ce qui a suscité un tollé de la part des habitants. Le parking a été construit mais les arbres sont restés !

88 Ces importants travaux sur le port de Langoiran n’empêchent pas les murs du quai de s’effondrer quelques années plus tard. En juin 1889 il faut réparer, consolider par des enrochements : la Garonne est toujours aussi présente et rebelle à toutes contraintes ! Quant aux riverains ils se plaignent, demandent la suppression des cales dont l’entretien n’est jamais fait, et qui « puent » en été. L’Administration répond que le nettoiement est prévu une fois par mois et que l’exiguïté des crédits ne lui permet pas de faire davantage ! Ce qu’il faut noter aussi, c’est que certains riverains de la route le sont aussi du port, et ont leurs biens immobiliers pris en sandwich entre les deux lignes rouges d’alignement. La construction du port suscite aussi des drames personnels ! Ainsi ce Maître charpentier de navire qui écrit sa détresse : « …car le quai qui va être construit devant le pont de Langoiran fera disparaître sa cale, rendra inutile le chantier et plongera celui-ci et sa famille dans la misère, anéantissant le fruit de 25 années de privation, d’activité et de travail soutenu. Atterré par l’approche du malheur je me permets de vous écrire, Monsieur le Préfet … »100. Mais qui s’en soucie? Le progrès est en marche. Il faut qu’il passe, même s’il est en retard d’une guerre économique : celle qui est en train de se livrer entre les nouvelles voies de communication et la voie maritime fluviale !

10.5 Un train sur la route.101 « …de Latresne à Saint Macaire, la rive droite de la Garonne est privée de voie ferrée ; et alors que les contrées les plus reculées et les plus désertes du département en sont, ou vont en être pourvues, pourrait-on en déshériter une région où la population est si dense, le trafic est si important ? Pourrait-on condamner une région à n’avoir jamais d’autres moyens de transports que ceux du passé et tenir perpétuellement hors de sa portée l’instrument le plus fécond et le plus merveilleux de la prospérité moderne ? Il s’agit de desservir vingt cinq communes situées dans une zone de 5 kilomètres de largeur seulement, et renfermant une population de vingt sept mille habitants, populations aisée, active, et essentiellement commerçante, et de plus, cultivant le sol le plus fécond de la Gironde… »102. Depuis le début du XIXème siècle il n’est question que du formidable progrès que constitue l’avènement du chemin de fer et l’objectif est de l’installer partout où cela est possible. Le Conseil Général de la Gironde s’est lancé dans un vaste programme de mise en œuvre de Voies Ferrées d’Intérêt Local (V.I.F.L) dont la construction et la gestion

100 Source A.D.33 S.P 1169 – 8. 101 Source A .D SP 2577. Extrait de la séance du 5 septembre 1876 du Conseil Général – Chemin de fer de La Tresne à Saint - Macaire . Mr Ferbos, rapporteur - commission des routes.

89 sont concédées à des entreprises privées après que celles-ci aient soumissionné (six millions lui ont déjà été consacrés) 103. Il n’est donc pas étonnant que le 12 août 1875, le Préfet de la Gironde reçoive un dossier avec proposition d’étude d’un chemin de fer de banlieue, émanant de MM Duthil de la Tuque et Jay, destiné à relier la ville de Bordeaux aux diverses localités de la rive droite jusqu’à Saint Macaire, avec une demande de concession pour une durée de 99 ans. Les demandeurs précisent qu’ils ne sollicitent aucune subvention ni garantie d’intérêt de la part du Conseil Général, persuadés qu’ils sont de la rentabilité économique de la future exploitation, ce qui est pour le moins surprenant. Ils se sont d’ailleurs livrés à une étude sur le potentiel de clients le long du trajet. Trente trois communes sont situées dans une zone de 5 kilomètres de largeur seulement, ce qui représente environ 28.500 personnes104. Après plusieurs propositions de tracé, dont un courant à travers champ au lieu d’utiliser les accotements de la route qui ne sera pas retenu, ils sont encouragés à poursuivre les études mais uniquement à partir de La Tresne jusqu’à Saint Maixant, de façon à ne pas causer de concurrence à la ligne existante de Bordeaux à La Sauve, car l’entreprise concessionnaire vient d’être mise en liquidation judiciaire. Lors de l’établissement du projet définitif, les concepteurs achoppent sur les deux points durs du trajet : c’est à dire Cambes et Le Tourne/Langoiran, là où le coteau et la rivière se rejoignent. A Cambes, ils décident que la ligne sera établie hors de la route et reportée du côté de la rivière, vraisemblablement sur l’accotement, mais ils ne parlent pas de la pente qui est très importante à cet endroit. Cependant les difficultés les plus grandes se trouvent à Langoiran. Ils envisagent deux options, soit que « …le tracé soit établi derrière le bourg à flanc de coteau et sur un mur de soutènement dans une partie de la longueur du bourg…Peut être sera -t-il indispensable, pour épargner quelques maisons, d’entrer dans le promontoire que forme l’avancement du coteau et de construire un tunnel dont la longueur n’atteindra pas cent mètres… ».

103 A cette époque les Ponts et Chaussées croient fermement que les routes nationales finiront par disparaître au profit du train. Ils ignorent encore que l’automobile qui pointe son capot en 1895 deviendra rapidement une rivale redoutable. 104 Sources A.D.33 S P 2577 « …la rive droite est à peu près aussi peuplée que la rive gauche, mais sa fertilité est beaucoup plus importante n’étant pas comme cette dernière limitée dans son territoire productif par les sables des Landes. Si l’on considère en outre que la rive droite avec ses nombreux coteaux est d’un aspect et d’un séjour plus agréable que la rive gauche, on peut conclure, sans crainte de se tromper, que le mouvement de voyageurs sera aussi actif sur le chemin de fer de la rive droite que sur la ligne du Midi qui dessert spécialement la rive opposée. En terminant nous ferons remarquer que la rive droite de la Garonne n’est desservie aujourd’hui, sur une partie de sa longueur, que par des bateaux à vapeur dont le service lent, insuffisant, incommode ne répond pas aux besoins de la contrée. Malgré cela, les recettes annuelles de cette navigation atteignent 300.000 francs. Le chiffre de recettes est une nouvelle preuve du trafic important que provoquera la ligne de chemin de fer… » 1877. Extrait du mémoire de l’avant-projet de Messieurs Duthil de la Tuque et Jay.

90 Un autre tracé, variante du précédent, prévoit de traverser le ruisseau du Tourne (estey du Gaillardon) en aval du pont de la route, de placer la ligne entre la route et la Garonne à l’aide d’un viaduc105 ! Les études définitives doivent démontrer quel sera, des deux tracés, celui qui devra être préféré. Tout comme lors de la construction de la route, les concepteurs du projet sont confrontés aux aspérités du milieu : la rivière et son champ d’expansion si fréquemment inondé ; le coteau, son instabilité chronique et ses fortes déclivités. Lors de sa première cession de 1878, après un vibrant exposé de Monsieur Ferbos rapporteur de la commission des routes, le Conseil Général ordonne de lancer une enquête publique pour l’établissement d’un Chemin de Fer d’Intérêt Local de La Tresne à Saint Maixant. Et pourtant ce projet déjà si bien avancé ne verra pas le jour. Il est vraisemblable que les concepteurs ont renoncé à partir du moment où il leur fut signifié que leur ligne de chemin de fer ne pourrait aller jusqu’à Bordeaux. Elle perdait alors beaucoup de son intérêt économique, la zone de chalandise située entre La Tresne et Bordeaux étant la plus importante. Or les demandeurs s’étaient engagés à ne recevoir aucune subvention. Ils ne pouvaient envisager d’exploiter la ligne à perte 106.

105 On voit par ses propositions, que les moyens techniques existants de l’époque permettent, déjà, d’envisager des solutions aussi radicales que celles de creuser un tunnel à Langoiran ou de prévoir un viaduc au Tourne. 106 Ceci n’est qu’une hypothèse, étant donné que rien n’a été retrouvé aux Archives Départementales pouvant expliquer pourquoi ce projet n’a pas eu de suite.

91 La population

En 1875 nombre d’habitants En 2001 La Tresne 1619 3142 Camblanes 1185 932 Quinsac 1180 1866 Cambes 853 1035 Baurech 654 633 Tabanac 643 889 Le Tourne 756 698 Langoiran 2113 2024 Lestiac 604 594 Paillet 1027 934 Rions 1253 1379 Beguey 959 910 Cadillac 1862 2582 Loupiac 390 990 Ste Croix du Mont 1013 804 St Maixant 1868 1349 ______Total 107 18079 20761

107 On constate que seules les communes de Latresne et Cadillac ont eu, en près de 130 ans, une augmentation significative de leur population, la première en raison de la proximité de Bordeaux, la seconde en raison de la présence de l’hôpital de Cadillac. Quant aux petites communes qui vivaient essentiellement de la viticulture, de l’agriculture et surtout du fleuve, elles ont subi d’abord l’émigration due au phylloxéra, mais c’est essentiellement l’abandon progressif des activités liées à la Garonne qui a fait que nombre de personnes ont quitté les lieux puisqu’il n’y avait plus de travail. Après la seconde guerre on assiste, comme partout en France, à l’exode rural provoqué par un changement de type d’agriculture qui a de moins en moins eu besoin de journaliers et d’ouvriers agricoles, et plus particulièrement pour notre région viticole, à partir des années 1970, lorsque sont apparues les machines à vendanger.

92 10.6 Bonjour le tramway. C’est le 1er juin 1890 que la loi relative aux chemins de fer d’intérêt local et aux tramways est votée, afin d’en réglementer l’administration publique. L’engouement suscité par la mise en œuvre de ces nouveaux moyens de communication a aiguisé l’appétit de certaines compagnies, peut être plus affairistes que bonnes gestionnaires, d’où le nombre important de faillites, ce qui a contraint le législateur à fixer un cadre juridique pour éviter certaines dérives108. Bordeaux, 1890. La Compagnie Bordelaise de tramway et chemins de fer est créée pour 99 ans. Elle a pour objet la concession, la construction et l’exploitation de lignes de tramway et chemin de fer à traction mécanique dans la ville de Bordeaux et dans les communes environnantes. Cette compagnie demande a exploiter essentiellement les futures lignes de la banlieue de Bordeaux situées sur la rive gauche de la Garonne. Pour justifier sa demande, elle joint une analyse de la situation du transport suburbain tout à fait intéressante : « … une simple inspection de la carte ci-annexée (il s’agit d’un plan de Bordeaux et banlieue ) permet de reconnaître les limites dans lesquelles évolue la population de Bordeaux. Disposée en éventail largement ouvert autour d’un port semi-circulaire, sur la rive gauche de la Garonne, cette ville a subi plus que toute autre la loi qui pousse les agglomérations vers l’ouest. Un seul pont, en effet, la relie à la rive droite (le Pont de pierre) au quartier dit de La Bastide, relativement peu peuplé et en majeure partie sillonné par les chemins de fer d’Orléans et de l’Etat. En ce temps là, la diligence est encore son seul trait d’union avec elle – non pas l’omnibus qui, par ses chevaux de trait vigoureux et son confort relatif, répondrait à une partie des exigences du public, mais la diligence lourde de nos ancêtres, tirée par des chevaux étiques ou surmenés avec son exiguïté de places et toutes ses difficultés d’ascension. Plus d’un étranger serait étonné d’apprendre que cette patache transporte journellement 2000 voyageurs entre la ville et les quartiers suburbains…109. Mais en ce temps là les riverains de la départementale 10 pour se rendre à Bordeaux utilisent toujours le bateau à vapeur. Il existe deux services quotidiens, l’un assuré par la gondole qui passe très tôt le matin -vers 5 à 6 heures- et l’autre par le grand bateau à vapeur qui passe en général vers 8 heures, lorsqu’il n’est pas empêché par le brouillard, auquel cas il faut attendre une éclaircie pour pouvoir être embarqué110. C’est le 24 juillet 1894 qu’un nouveau décret d’utilité publique est publié concernant la future ligne de tramway Bordeaux Cadillac. Le Préfet, le 22 janvier 1895, donne son accord pour que soit exécuté le projet présenté par Messieurs Faugère et Bernard en 1890. Cette fois est la bonne, dès novembre 1894 il est notifié : « …la voie de tramway de Bordeaux à Cadillac qui doit commencer prochainement nécessite le déplacement

108 Source A.D.33 - S.P 2794.2.

109 CAILLARD A. « La belle époque de Louis Abaud » p.38 Editions du C.L.E.M. Collection Mémoire Contemporaine. 1999.

93 d’un nombre de poteaux télégraphiques de La Tresne à Langoiran et de Langoiran à Cadillac… »111. Mais l’installation de la voie ne nécessite pas que le déplacement de quelques poteaux électriques, ni même que la coupe de certains arbres malencontreusement placés sur l’accotement qu’elle va occuper en certains endroits. Une fois de plus il faut recalibrer et aligner certaines habitations selon le principe de la fameuse « ligne rouge ». Car il faut partager l’espace entre une zone réservée sur la chaussée pour la circulation générale et pour la circulation des riverains. La route doit avoir au moins 10 mètres de large ; sur les parties n’ayant que 8,50 m, il est proposé de supprimer la saillie du trottoir de façon à ce que deux voitures puissent se croiser lorsque le train ne passe pas. Déjà la priorité semble accordée au confort de l’automobiliste au détriment de celui du piéton ! Le milieu environnant n’ayant pas changé, les mêmes difficultés vont être rencontrées aux mêmes endroits pour installer la nouvelle voie : à Cambes à cause de la « déclivité considérable », au Tourne et à Langoiran en raison du coteau et de la rivière. Mais cette fois il n’est plus question ni de tunnel, ni de viaduc : leur coût a peut être eu un effet dissuasif ? Simplement, il est prévu au Tourne que le pont sur l’Estey soit élargi en le dotant d’un trottoir en encorbellement de 1,10 m de large ; à Langoiran, que la voie reste sur la route. Cependant, en face de l’immeuble appartenant à un sieur Charrier, pharmacien, celle-ci tourne pratiquement à angle droit, ce qui empêche le tramway de prendre le virage. Les transactions d’achat de l’immeuble n’ayant pas abouti en raison du prix prohibitif demandé par le propriétaire la maison sera finalement amputée d’un angle112.

Les différents travaux prévus pour l’écoulement des eaux (au nombre de 125), les fossés, les ponceaux, les débouchés des ouvrages à établir sur des ruisseaux classés, devant être soumis à l’approbation du service hydraulique, les exhaussements pour éviter autant que possible les futurs débordements des crues, témoignent que si l’homme a de plus en plus la maîtrise technique, la nature du terrain est toujours là et dicte sa loi, tout comme la rivière si proche et si prompte à sortir de son lit pour se rappeler à son bon souvenir.

111 . Sources : A.D. 33 S P 2793.

112 La maison est encore occupée par une pharmacie. Comme à cette époque ce virage reste une sinécure pour les chauffeurs de poids lourds qui n’ont pratiquement pas de marge pour le négocier, ce qui bien entendu provoque des embouteillages. Le tableau des indemnités réglées pour les expropriations (7.01.1897) fait état, dans chaque village, des métiers des propriétaires expropriés. Par exemple pour Le Tourne et Langoiran il y a des : serrurier, quincaillier, charpentier de marine, charron, peintre, marchand de fer, marchande de rouennerie (tissus de laine et coton), ferblantier, marchand de charbon, aubergiste, cordonnier, vitrier, cafetier, menuisier, épicier…ce qui donne une idée de la richesse de l’activité artisanale et commerçante en ce temps là. Certains de ces commerces étaient encore en activité en 1970, puis peu à peu s’en sont allés en raison de l’installation du commerce de la grande distribution.

94 La gare de départ est celle de Bordeaux-Passerelle113 ; jusqu’à Cadillac elle va desservir huit gares et huit stations114. La Tresne est une gare importante : d’abord désignée gare de transit, elle reçoit aussi la ligne de chemin de fer qui dessert Créon, La Sauve, Sauveterre115 et est exploitée par la Compagnie Paris-Orléans. En 1896, un accord intervient entre les deux compagnies qui règle les problèmes de gestion de la ligne et le partage de la gare de La Tresne . Le choix des stations a été fait selon une répartition judicieuse en fonction de l’accueil des marchandises qui sont beaucoup plus importantes pour aller vers Bordeaux que dans l’autre sens. Ce qui est normal, l’Entre deux Mers étant toujours - et restant encore - un gros pourvoyeur de fruits et marchandises diverses pour la grande ville. Le tramway de Cadillac, que le poète André Berry appelait « le petit train de Benauges » est inauguré le 12 avril 1897. Il parcourt les 32 kilomètres de Bordeaux à Cadillac en deux heures et il fera le trajet pendant 38 ans…jusqu’au 30 juin 1935. Ce jour là il sera conduit à sa dernière demeure en grandes pompes, couvert de couronnes mortuaires, accompagné par l’émotion de toute la foule. Celle-ci ne se méprend pas, c’est la fin d’une époque ! Dès 1936, le service public des bus prend le relais. Mais avant d’effectuer son dernier voyage avec tous les honneurs dus à ses services, le tramway, qui ressemblait fort à un petit train à vapeur, avait participé pendant presque quarante ans à la vie locale, contribué à la vie économique et subi aussi les crues inopinées de la Garonne, comme en témoignent les différents compte rendus au cours des années.

113 DURBAIN P. Le chemin de fer de l’Entre-deux-Mers. Le tramway de Bordeaux à Cadillac- (1890- 1896) « …La gare était située sur le quai de la Souys près de la passerelle de chemin de fer. .. ».p.71 Editions C.L.E.M. Collection Mémoire Contemporaine. 1998. 114 Il s’agit des : halte de Monte Cristo, halte des Collines, station de La Tresne, halte de Camblanes, station de Quinsac, halte d’Esconac, station de Cambes, halte de Baurech -Tabanac, station du Tourne - Langiran, halte du Pied du château , station de Lestiac - Paillet , station de Rions, halte de Beguey, station de Cadillac. 115 L’emprise de la voie ferrée a été transformée en piste cyclable touristique de Latresne à Sauveterre de Guyenne.

95

Figure 15 Plan de la traverse du tramway dans le virage de Langoiran. Sources AD 33.

96

Le petit train de Cadillac

O toi, petit train de Benauges ! Bêlant comme un chevreau perdu, A travers les thyms et les sauges, Au creux de ton sentier ardu, Grinçant aux courbes de ta ligne Brûlant l’herbe et les liserons De la Bastide jusqu’au Tourne, Et jusqu’aux rives de Cérons. Juste effroi de la mère poule Qui souvent après tes convois Trouve ses chers poussins en foule Méchamment broyés sous ton poids,

J’ai du courir à ta poursuite, Planche 12 Ou, d’un signe de mon mouchoir, illustration 30 Ancienne gare du petit train de Bordeaux à Cadillac à Latresne. Août 2001. T’arrêter piaffant à ta suite Près du tourniquet du lavoir C’est grâce à toi, crache fumée, Que j’ai pu si souvent revoir, Bordeaux, ma ville bien aimée Et Quinsac, mon plaisant terroir. André Berry.

97 10.7 Les crues de la Garonne116. En avril 1897, le conducteur du service maritime en résidence à Cadillac rappelle que « …généralement la crue de Cadillac atteint une hauteur de 0,15 mètre à 0,20 mètre supérieure à la hauteur d’eau de la Réole ; toutefois par suite de l’influence des marées, cette règle n’a rien d’absolu ; on a observé quelquefois mais très rarement que la hauteur d’eau à Cadillac est un peu inférieure à celle de la Réole notamment en février 1897…l’étale se manifeste à Cadillac généralement 12 heures après la Réole, mais là aussi aucune règle ne peut être établie, quelquefois l’étale s’est produit à Cadillac 24 ou 48 heures et même une fois 72 heures après la Réole… Généralement lorsque les dépêches annonceront 7m85 d’eau à la Réole, la crue atteindra le niveau des rails à Cadillac… ». Le 3 avril 1898, ce jour là à Cadillac, il y a 9,12 m d’eau, autant dire que les rails du petit train sont sous un mètre d’eau ! Et la route est inondée, malgré son rehaussement, sur près de 2,500 km entre Langoiran et Lestiac. Lorsque l’eau se retire il faut réparer les dommages : remettre la voie sur ses rails, revoir les terrassements, refaire le ballast, un mur de soutènement, les carrelages, les pavages, nettoyer et remettre en l’état les machines et voitures… Si en avril 1898, la hauteur de la crue est de 7,55 m, évitant de peu la gare, il n’en est pas de même en février 1904 : l’eau arrive à 8,37 m noyant les rails, pénétrant les trottoirs de la station, empêchant les trains de circuler. En 1930, les 4 et 5 mars, des orages violents associés à la montée des eaux occasionnent de nouveau d’importants dommages, évalués par le concessionnaire à 64.800 francs, auxquels il y a lieu d’ajouter l’interruption du service qui a entraîné une perte de recettes de 14.600 francs. Suit un résumé des dégâts occasionnés aux stations de Baurech, Le Tourne, Langoiran, Lestiac, Cadillac. A Baurech, le puits a été rempli par les eaux d’inondation : il faut le vider, le désinfecter ; au Tourne la hauteur d’eau au-dessus du plancher est de 0,40 m mais à Langoiran elle est de 1,26 m, à Lestiac de 1,40 m ; quant à la gare de Cadillac, le dortoir des mécaniciens est à reconstruire.

L’alerte. L’alerte est donnée par une série de dépêches télégraphiques qui préviennent le Préfet, lequel à son tour alerte les maires qui doivent derechef informer la population. Chaque année pour chaque crue, les télégrammes se suivent et relatent avec précision l’état de la situation à Agen, La Réole, Langon, Cadillac. Ils sont en général libellés comme suit : dépêche du 14.01.1889, le Préfet au maire de Langoiran … « …d’après les renseignements fournis par Messieurs les ingénieurs du service de la Garonne, la crue du fleuve est en décroissance, invitez toutefois les populations riveraines à prendre des précautions contre les débordements … ». Le 16 février 1889, le Préfet prévient l’ensemble des maires des communes riveraines droite et gauche de la Garonne situées en amont de Bordeaux : « … il résulte des renseignements fournis par Messieurs les ingénieurs qu’une crue qui paraît devoir être assez importante est déclarée sur la Garonne à la suite de la fonte des neiges. Les eaux atteignaient hier soir devant Agen la hauteur de 4,5 mètres. Prévenez de cette situation les populations concernées… ». C’est en 1899 qu’une liaison spéciale télégraphique reliant directement Agen à la Réole et à Langon est installée pour activer la transmission des avis de crues de la Garonne.

116 Sources : A. D. 33 S. P. 2238.

98 Planche 13

illustration 31 Inondation de la D10 dans le bourg de Langoiran, crue de décembre 1981. Photo R et M. Schenegg

illustration 32 Echelle de crues, Porte de la mer. Cadillac. 2001.

99 Un siècle après, à l’heure d’internet, il n’est pas sûr que les systèmes d’alerte et de prévision des crues soient plus performants, tout au moins si l’on en juge par les réclamations constantes des riverains. 10.8 Le service public117. Ainsi ce petit train est condamné à vivre avec la Garonne et ses humeurs fantasques. Les crues vont et viennent et si elles perturbent momentanément la marche du tramway, celui- ci n’en continue pas moins à assurer sa mission de service public et à s’adapter aux nouvelles exigences de la population. Par exemple, dès le mois d’octobre 1931 les bicyclettes sont acceptées avec les voyageurs118, assurant ainsi un surcroît d’autonomie et de liberté de déplacements pour ces derniers ( à cette date le front populaire n’est pas loin !). Des trains spéciaux sont mis en place pour les événements extraordinaires, comme par exemple en 1934 lors de la venue à Bordeaux du Président de la République Albert Lebrun, mais aussi chaque année lors des courses de chevaux qui ont lieu à Cadillac en juillet119 ou encore pour se rendre à la foire de Bordeaux qui se passe traditionnellement en mars. Mais au delà de ce service public assuré par le concessionnaire la Compagnie de tramway de Bordeaux à Cadillac, ce qu’il est intéressant de constater c’est la cohérence et la complémentarité qui a fini par s’installer entre les différents moyens de transports suburbains et urbains : tramway de Cadillac à Bordeaux, puis ensuite service fluvial pour traverser la Garonne, assuré par les gondoles appartenant à la Compagnie des Hirondelles, d’abord toutes les demie heures et ensuite toutes les cinq minutes à partir de 1899. Reportons nous donc dans ces années 1930. Au départ de Cadillac le voyageur charge son vélo et monte dans le tramway qui le conduit jusqu’au terminus de la gare d’Orléans120; de là il enfourche son vélo et emprunte le pont de pierre. Si ce même voyageur est sans bicyclette, il peut arriver au terminus, prendre la gondole pour franchir le fleuve et poursuivre sa route en ville en prenant à nouveau le tramway. Quelques décennies plus tard, la disparition des gondoles contribuera encore un peu plus à ce que le fleuve soit délaissé ! 10.9 La suprématie du bus 121. Le 15 mai 1934, le Conseil Général a mis à l’ordre du jour de sa séance : « L’approbation du cahier des charges et le programme d’un concours devant permettre le choix d’un exploitant de service public automobile destiné à remplacer après déclassement, le tramway de Bordeaux à Cadillac». La commission transport de l’Assemblée départementale souhaite faire cesser au plus tôt l’exploitation du tramway afin d’alléger les charges financières que ce dernier lui impose. Cette délibération est transmise au Ministre des transports pour accord, via le Préfet de la

117 A.D.33 S.P 2266- 50. 118 La bicyclette à fait son apparition vers 1888. 119 Le champ de course était situé près de la gare. Aujourd’hui il y a un terrain de foot-ball. 120 Où est installé actuellement le complexe cinématographique Megarama. 121 sources A.D 33 S P 2267 – 51 et 52.

100 Gironde. Le Ministre répond, avec une grande logique, que cette question doit être liée à l’étude du plan général de coordination des transports de la Gironde ! Néanmoins, pendant ce temps, le tramway continue à faire ses allers et retours entre Bordeaux et Cadillac avec toujours autant de succès, puisqu’en 1935 le Président du Syndicat des Usagers du Tramway de Bordeaux à Cadillac précise que le nombre d’abonnés voyageurs a augmenté de 50 % en un an ; par conséquent, il réclame une augmentation du nombre de voitures et surtout que les gares où le service a été supprimé (parce que vraisemblablement fermées pour cause de non rentabilité) soient rouvertes au public. Il proteste aussi contre les tarifs qu’il juge trop élevés. Déjà, les pétitions circulent et accompagnent les réclamations. Quelques mois plus tard le Maire de Paillet se plaint auprès du Préfet en ces termes : « …de l’insuffisance de places ; les ouvriers sont debout, les horaires inadaptés ; la fatigue d’un voyage debout sur une route non encore préparée à un important trafic doit être évitée à des ouvriers qui vont et viennent d’accomplir une journée de travail… ». Quoiqu’il en soit, la ligne de tramway sera déclassée fin 1935 et tout le personnel sera licencié, avec déjà, une demande de reclassement ! Le 18 mars 1936 dans le cadre de la coordination des transports ferroviaires et routiers des services publics de transports en commun de la Gironde, il est prévu que la Compagnie C I T R A M ( Compagnie de l’Industrie et des Transports Automobiles des Charentes) soit substituée à la Compagnie Française des Tramways Electriques et Omnibus de Bordeaux (alors concessionnaire du tramway), dans l’entreprise de service public des transports en commun par automobile de voyageurs, de messageries, de marchandises, entre Bordeaux et Cadillac et ce à partir du ler juin 1936. Une subvention forfaitaire et mensuelle de 6240 francs est allouée par le département. Le cahier des charges stipule : « …que chaque voiture doit comporter au minimum 20 voyageurs et porter 400 kilos de bagages et messageries. Pour assurer le confort des voyageurs, il y aura un éclairage de nuit et du chauffage lorsque le thermomètre descendra en dessous de 6° .La protection des bagages et messageries doit être assurée ». Les tarifs concernent les voyageurs, les chiens, les bagages (les enfants de moins de 5 ans ne paient pas). Des cartes d’abonnement sont prévues pour les travailleurs, les mutilés et réformés (réminiscences de la guerre de 14-18) et naturellement pour les scolaires. Le règlement prévoit des interdictions spéciales pour les personnes en état d’ivresse, de maladies contagieuses, ou d’aliénation (l’hôpital psychiatrique de Cadillac a t- il inspiré ce dernier point ?). Il est interdit de fumer, d’introduire des matières malodorantes, d’y pousser des cris, d’y faire du bruit, d’y tenir des propos malsonnants ! En bref, ce règlement ressemble à un petit précis de civilités ! Les bagages, colis et en particulier les bicyclettes ne seront admis que jusqu’à concurrence de l’emplacement disponible et de la limite de chargement autorisé122. Mais du ler mai au ler septembre, les primeurs doivent être enlevés tous les soirs (sauf dimanches et jours fériés). Cette partie de l’Entre-deux-Mers continue d’alimenter la grande ville en fruits et légumes !

122 Cette limitation au transport des bicyclettes va se transformer par la suite en interdiction pure et simple, privant ainsi le voyageur d’une certaine autonomie de déplacement.

101 En 1936, c’est l’arrivée triomphante du transport automobile par bus de Bordeaux à Cadillac. C’est partout en France la liesse du Front Populaire avec son cortège de réformes, dont les congés payés. C’est aussi le temps où l’exultation rend sourd. Personne ne semble entendre les premiers bruits de bottes de la guerre qui, ailleurs, se prépare.

1939, A NOUVEAU LA GUERRE Celle de 14-18 devait être la « der des der » ! Vingt et un ans plus tard, la guerre est à nouveau tristement d’actualité et va se répandre sur tous les continents. C’est une première ! Ce qui n’en est pas une, par contre, c’est l’installation provisoire le 14 juin 1940, comme en 1870 et en 1914, du gouvernement à Bordeaux redevenue « Capitale tragique »123. Trois jours après, le Général de Gaulle s’envole de Mérignac vers Londres124. C’est la radio d’Etat Bordeaux-Lafayette qui transmet au peuple de France le discours du Maréchal Pétain annonçant l’armistice. Quant au Maire de Bordeaux, Adrien Marquet, il devient Ministre de l’Intérieur. Et pendant ce temps là en Entre-deux-Mers, à l’autre bout de la route François Mauriac, les Allemands débarquent dans le Langonnais le 28 juin, face à Malagar. Malagar où un officier Allemand et sa suite s’installent dans le courant du mois de décembre. Malagar où François Mauriac est entré « en résistance épistolaire ». En 1942 il écrit son désespoir dans « Lettre à un désespéré pour qu’il espère » qui deviendra « Le cahier noir » (imprimé en 1943 ). L’écrivain fait là non seulement « …le procès du nazisme, mais aussi celui de la longue suite de lâchetés dont l’ont fortifié les démocraties…. ». Vingt cinq ans plus tard, il écrira dans ses mémoires politiques : «…l’occupation fut ce bain qui révéla à chaque Français son vrai visage… »125. Jusqu’en 1943, François Mauriac fait des allers retours entre Paris et Malagar126 et « dissémine les germes de sa libre méditation ». Jusqu’au jour où il doit se cacher et entrer dans une semi-clandestinité, accueilli alternativement par des amis127, et ce jusqu’à la libération. Aujourd’hui, qui se souvient encore que pendant cette douloureuse période, la ligne de démarcation scinde le vignoble de l’Entre-deux-Mers en deux ; une partie est en zone libre (aux alentours de Sauveterre de Guyenne), l ‘autre, la plus proche de Bordeaux, est en zone occupée128. De 1940 à 1944, les habitants riverains du microcosme que constitue l’espace routier de Latresne à Saint Maixant vont, comme beaucoup de Français, vivre au rythme

123 HIGOUNET CH. Histoire de Bordeaux, p.351 –Edition Privat. 1980. 124 Dans la nuit du 19 au 20 juin, Bordeaux subit un bombardement qui fit 63 morts et 185 blessés. 125 MAURIAC F. « Le cahier noir ». Présentation de HERPE N. p.8-9.Ed Desclée de Brouwer 1994. 126 Malagar sera pillé par deux soldats Allemands en 1944. 127 Il s’agit des Duhamel et de Jean Blanzat. 128 Cette situation durera jusqu’au moment où les Allemands annexeront la zone libre en 1942.

102 d’événements qui les dépassent, et faire avec ! Avec peut être une certaine résignation lorsqu’ils voient arriver les cohortes de réfugiés venus de l’est de la France. Ces Français avec un accent qui ressemble étrangement à celui de l’ennemi sont hébergés pour un temps à Baurech, au château Pressac 129. A la libération, l’arrivée de Chaban Delmas à Bordeaux est bienvenue et une aubaine. Jeune (il a trente trois ans), auréolé de gloire (plus jeune général de France), sportif (joueur international de rugby et champion de France de tennis), diplômé (il est inspecteur des finances), il est de surcroît, ce qui ne gâte rien, beau et charmeur ! D’un coup il efface le « naufrage politique »des années précédentes. « … Dans une région qui attache plus d’importance aux hommes qu’aux idéologies… »130, il va prendre ses marques et les garder pendant près de cinquante ans, contribuer aussi à cette formidable mutation que va vivre la France, naturellement Bordeaux et concentriquement la départementale 10 et son environnement proche. Presqu’un demi-siècle qui va être fertile en bouleversements socio-économiques de tous ordres transformant irrémédiablement la physionomie d’une France rurale. Et puis les nouvelles organisations spatiales politico-administratives sont mises en place, avec sous- jacente, une volonté d’aménagement du territoire. Lors des années 60, la C.U.B. (communauté urbaine de Bordeaux)131 émerge, forte de ses 27 communes dont Bordeaux voudrait bien être l’épicentre ! En vérité la ville devient agglomération avec un centre (historique) et des centres : ceux des villes périphériques importantes comme Mérignac, , Talence… En 1984 la décentralisation est institutionnalisée, accordant de nouvelles compétences aux collectivités territoriales : région et département. Il faudra encore quelques années avant que notre petit territoire ressente l’onde de choc de ces nouvelles organisations. Jusque dans les années 70, Bordeaux, vue de Latresne, est encore tellement loin !

129 Ce château fut occupé ensuite par l’armée allemande. Il est actuellement en état de délabrement avancé, sa toiture ayant été démantelée il y a quelques années ; quant au parc qui était magnifique il est l’ombre de lui- même faute d’entretien ! 130 HIGOUNET Ch. Histoire de Bordeaux..p.363 Edition Privat. 1980. 131 La loi du 19 février 1966 met en place les communautés urbaines. Les villes concernées sont Lille, Strasbourg, Lyon, et Bordeaux (27 communes). Désormais, pour tout projet d’aménagement et de développement de l’espace bordelais, la communauté urbaine est le principal interlocuteur des autorités départementales et régionales.

103 Planche 14

illustration 33 Château de Pressac à Baurech en 1858.

illustration 34 Château de Pressac, état actuel. Août 2001.

104 11 LES GRANDES MUTATIONS. Elles commencent au milieu du XIXème siècle et cette révolution industrielle sera aussi celle de l’avènement d’une nouvelle société. Nouvelle société en devenir d’autant plus que deux guerres épouvantables vont ponctuer le XXème siècle. Rien ne sera plus comme avant ! En ce milieu du XIXème siècle, Bordeaux connaît sa période industrielle qui s’appuie sur deux pôles de développement importants : la métallurgie, liée au secteur du chemin de fer et de la navigation maritime, ensuite à l’aéronautique et dans une moindre mesure à l’automobile ; l’alimentation, surtout de luxe. Ces deux secteurs contribuent à l’organisation du développement économique bordelais. A la fin du siècle, Bordeaux est au cœur du système productif français en biens d’équipement (machines, constructions navales …)132. Dès 1905, la ville sera également leader en fabrication de matériel viti- vinicole, profitant précisément du savoir faire technique des mécaniciens de la construction navale. Tandis que le port, ouvert sur la façade atlantique, continue d’avoir une intense activité et à faire illusion grâce au commerce toujours soutenu avec les colonies. C’est aussi grâce à lui que l’industrie alimentaire de luxe peut se développer car elle a besoin d’une diversité d’approvisionnement (vanille, rhum, épices…). A ces deux secteurs il faut ajouter ceux de la chimie et du bois, notamment l’exportation vers l’Angleterre de pins des Landes transformés en poteaux de mines. Dès après le conflit de 1914-1918, l’industrie bordelaise commence à décliner et ce pour plusieurs raisons découlant de l’incapacité à structurer un espace régional : l’arrière pays bordelais est resté essentiellement agri-viticole ; le milieu industriel est composé d’ingénieurs, de directeurs parachutés par les entreprises dont le siège est ailleurs. Les pouvoirs de décision sont chez Schneider, aux Forges d’Homécourt à Paris, en Lorraine…les capitaux sont belges ou étrangers. Quant à la sous-traitance, elle est le fruit de l’essaimage d’ouvriers et de contremaîtres qui se sont mis à leur compte. Tous ces gens d’industries n’arrivent pas à créer un groupe social cohérent, homogène, reconnu. Du fait de leur culture basée sur le labeur, leur efficacité est différente de celle des négociants. Il leur est difficile de « faire le poids » face à une suprématie marchande qui dure depuis des siècles ! Il faut d’ailleurs attendre 1920 pour qu’un industriel entre à la chambre de commerce de Bordeaux et encore c’est un « lessivier ». Il s’agit du patron de l’entreprise Saint Marc qui fabrique des produits de ménage dérivés de la résine du pin maritime. Cette expansion industrielle se fait au moment où la région - l’Entre-deux-Mers tout particulièrement - souffre des atteintes du phylloxera, entraînant un véritable marasme dans la population ouvrière agricole qui naturellement se reconvertit dans l’industrie. Ce faisant, elle change de statut, elle quitte le prolétariat agricole pour venir enrichir le prolétariat industriel. Les plus importantes industries métallurgiques sont installées sur la rive droite à la Bastide et à Floirac. Le petit tramway à vapeur joue un rôle majeur. Il assure quotidiennement, matin et soir, les migrations alternantes des ouvriers : enfin, pour ceux qui n’ont pas quitté

132 Illustration économique et financière « La Gironde et les Grands vins de Bordeaux » . En 1882 la S.A Les Chantiers et Ateliers de la Gironde est capable, sur la rive droite, de construire paquebots et navires de guerre du plus fort tonnage. En 1890 la construction navale occupe 3500 personnes. Jusqu’en 1914 Bordeaux contribuera largement à l’équipement de la Marine Nationale. p.369. Numéro spécial Illustration du 2.10.1924.

105 leurs lieux de vie au bord de la Garonne. Pour les autres, ils s’installent dans ces espaces à la frange du Bordeaux historique, à Bègles pour la rive gauche, à Bassens, Lormont, La Bastide, Floirac pour la rive droite133. 1920. La puissance industrielle s’effondre, il est vrai en raison de la forte diminution de l’intervention de l’état mais il y a surtout un désengagement de l’esprit d’entreprise bordelais : « … l’innovation fait davantage appel à une formation scientifique. Les possibilités d’innovation à partir de l’humus local ne suffisent pas… » et il n’y a pas de relève, pas de groupe de famille qui sur 4 à 5 générations génère de grands capitaines d’entreprise. Cette année 20 est aussi funeste pour les élites négociantes. Cette « aristocratie » ne sait pas alors s’adapter aux nouvelles situations monétaires, aux variations des taux de change. Dès la fin de la guerre ce sont, déjà, les finances et la bourse qui mènent le jeu ; or, nos négociants en sont restés à leurs pratiques coloniales : « on fait des coups, on paie comptant ! ». Dans ces conditions, ce n’est pas étonnant que les centres de courtage et de cacao passent au Havre ! « …le déclin de l’emporium bordelais (comptoir commercial en pays étranger) s’inscrit dans la tendance longue de l’effacement progressif de la façade atlantique de l’Europe alors même que la puissance marchande de celle-ci se maintient dans l’échange mondial… »134. Et pour ne rien arranger, en 1929, il y a une crise mondiale sans précédent, dont les effets ne se feront sentir que trois ans plus tard dans la Gironde rurale. A partir de 1932 les cours des vins sont en baisse, ainsi que le prix des terres ; bien entendu, les exportations subissent un ralentissement important et l’Entre-deux-Mers accuse le coup ! L’adversité pouvant aussi donner des idées, et l’union faisant la force, les viticulteurs vont instituer un puissant système de coopératives, avant même l’instauration des appellations contrôlées. Le réseau de coopératives se renforcera au cours des années comme en témoignent, sur notre route, la coopérative de Quinsac « capitale du clairet », le Cellier de Graman à Langoiran et la dernière née, La Maison des vins « La Closière » à Cadillac qui regroupe les appellations de Bordeaux supérieur et vins de Cadillac, grains nobles135.

11.1 La fée électricité. Le 21 mai 1908, la Société Energie Electrique du Sud Ouest est constituée dans le but de produire, transporter et distribuer dans la région du Sud Ouest de la France l’énergie

133 Ceci explique que politiquement toutes ces communes seront et sont encore majoritairement de gauche. Ce qui n’est pas étranger à la mauvaise image de cette partie de la rive droite auprès des Bordelais de la ville centre qui ont une certaine défiance à son endroit. Phénomène qui a encore été accentué par la création des ZUP dans les années 50/60 avec la construction des grands ensembles qui s’est opérée, comme partout en France, surtout dans les communes communistes et socialistes, pour l’espace qui nous intéresse : La Bastide, Floirac, . Et enfin, à cette époque, le fleuve est encore une barrière. 134 DUMAS J. Bordeaux ville paradoxale. Activités industrielles dans la communauté de Bordeaux p.67 Editions Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine. 1978. 135 ROUDIE P. L’entre deux Mers à la recherche de son identité. Actes du premier colloque en Pays de Branne les 19 et 20 septembre 1987 « Esquisse d’une histoire viticole contemporaine de l’Entre-deux- Mers ». p.151 Editions William Blake and C°.

106 électrique produite par l’usine de Taillère en Dordogne1. Pour alimenter la métropole et au- delà, une partie du réseau de distribution traverse tout l’Entre-deux-Mers. Les énormes pylônes d’acier sont ancrés dans les palus de Latresne et défigurent toute cette partie de la vallée136. Ainsi va la fée électricité, campée sur ces jambes de fer, véhiculée par un réseau de fils qui encagent le ciel, apportant au plus droit le progrès, la modernité pour tous . Quelques décennies plus tard, la ligne de haute tension transportant l’électricité provenant de la centrale nucléaire de Blaye viendra tenir compagnie au réseau existant, le faisant paraître ridicule, tant les nouveaux pylônes sont plus grands, plus hauts, plus larges, plus arrogants ! Le progrès pour tous justifie-t-il la destruction insidieuse et permanente du paysage ? Cette nouvelle société industrielle qui se met en place laisse de moins en moins de repères architecturaux. Sur cette Route François Mauriac, dont chaque siècle précédent a apporté sa pierre et ciselé le décor, on ne verra plus qu’une détérioration de ses paysages, au nom de l’efficacité, de la rationalité, de la rentabilité. Autant de doctrines prenant le pas sur l’esthétisme. L’esthétisme valeur bourgeoise, élitiste, élitaire …ou élément majeur d’une écologie du paysage ? Si tant est qu’il soit admis de parler d’écologie du paysage !

136 BALDE J. L’écrivaine (Prix Femina) écrit alors « Le pylône et la maison ». Elle raconte ce qui fut pour elle un drame : l’installation d’un de ces pylônes dans le jardin de la maison familiale « Le Casin », située dans la palus de Latresne. Après sa mort, en 1938, la maison est abandonnée . Elle n’existe plus aujourd’hui. « …Mais quand il s’agit du Casin, c’est à dire d’un domaine qui a surtout rapporté à celle qui s’en est fait l’historienne des moissons littéraires de lauriers ! De ce tout petit royaume, l’auteur de « La vigne et la maison » a tout décrit, les enfants, les hommes, les arbres et les herbes. Elle a tout prévu, sauf le pylône !… » extrait du « Pylône et la maison ». Ed Plon 1936.

107 12 LE TEMPS DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE. 1950. De Latresne à Saint Maixant la route suit son bonhomme de chemin. De temps en temps elle subit bien un « lifting » pour réparer les outrages du temps, rectifier un virage, améliorer la visibilité. Rien de très important. L’agitation est ailleurs. Partout en France il faut construire, reconstruire. On manque de bras, on importe de la main d’œuvre, quelquefois à son corps défendant137… mais le bâtiment va ! Ce n’est d’ailleurs pas le seul secteur économique qui tourne à plein régime. Les usines d’automobiles s’équipent de chaînes de montage qui fonctionnent en 3/8 avec les O.S (ouvriers spécialisés). Il faut produire des voitures, maintenant à la portée de tous grâce au crédit, cette panacée qui va permettre à « l’homo économicus » de se transformer en consommateur plus ou moins averti. Les facilités de crédit, la mobilité de la voiture vont être les socles sur lesquels va s’asseoir le commerce revu et corrigé par la grande distribution. Ce commerce « …à l’origine de nouveaux signes urbains et qui provoque une formidable dilatation de l’espace… »138 va s’installer aux périphéries de la ville-centre, « …sur des lieux sans passé, identiques puisqu’ils sont banalisés dans la même unifonctionnalité ». La périphérie bordelaise est balisée aux quatre coins cardinaux par d’importants centres commerciaux ; Auchan colonise la rive droite en s’établissant au Lac, les Quatre Pavillons à Lormont, puis se construisent les hangars à vendre du centre commercial de Bouliac. Ensuite en vis à vis, de l’autre côté du fleuve, à Bègles, s’établit un dernier né, le centre régional commercial des Rives d’. Parallèlement à cette inflation d’hyper-centres et de galeries marchandes, de multiples super-marchés vont occuper l’espace marchand à la lisière des bourgs péri-urbains, éliminant petit à petit le commerce alimentaire traditionnel mais aussi les petits commerces spécialisés tels que laverie-teinturerie, cordonnerie, mercerie … et les cafés, bref tout un réseau de points de rencontres et de convivialité qui constitue l’âme de ces villages. Jusque dans les années 70, l’espace riverain de notre route n’est pas encore atteint par ce phénomène de « dilatation spatiale ». Bordeaux demeure toujours une ville de la rive gauche du fleuve. Il est vrai que jusqu’en 1965, pour franchir la Garonne, il n’y a toujours que le pont de Pierre (1823) et la passerelle Eiffel du chemin de fer (1860), et plus en amont, les ponts de Langoiran et de Cadillac. La situation change à partir de l965, avec la construction du Pont Saint Jean, suivie deux ans après par celle du pont d’Aquitaine et l’ouverture de la première section de l’autoroute A10 (Bordeaux-Paris) . L’année 1974 voit l’ouverture du premier tronçon de la rocade. Dans les années 90 ce sera la construction en amont du Pont de Beguey, puis en 1993 du pont d’Arcins permettant aux usagers de la rocade bordelaise d’avoir un accès direct vers l’A10. La plaine de Bouliac qui est aussi une zone d’expansion des eaux de la Garonne est remblayée en partie et sacrifiée et se transforme en zone d’expansion de surfaces commerciales et d’activités. Elle est traversée par une voie dite « express » qui part du pont d’Arcins et pour l’instant aboutit à la zone industrielle de Latresne139.

137 Une grande partie de la main d’œuvre algérienne a été recrutée parmi les paysans dans les douars . 138 .DUMAS J. « Bordeaux Ville paradoxale » p.93 Editions Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. 1998. 139 Cette route est actuellement à deux voies, mais est prévue pour être doublée.

108 Dans cette mouvance, la commune de Latresne reste le poste avancé qui sert de transition entre ce « no man’s land » marchand et le commencement de la Route François Mauriac. Bien que les premiers effets de la standardisation de l’espace ne soient perceptibles qu’à partir des années 70, voilà déjà quelques lustres que certains élus des communes riveraines de la D10 se plaignent de l’accroissement du trafic. Ainsi, en 1952, se constitue à Baurech un syndicat de défense des eaux de la Garonne englobant les communes de Latresne, Camblanes, Quinsac, Baurech, Tabanac et Le Tourne. Curieusement, l’idée maîtresse du syndicat n’est pas de s’occuper d’abord du fleuve mais de proposer la construction d’une route sur digue partant de Latresne et aboutissant à Langoiran, « …réalisant ainsi la double condition de protection contre les eaux et de dégorgement de la Grande Communication 10 (CG10) actuellement insuffisante… »140. Le syndicat précise l’agrément touristique que représenterait une telle route à la sortie de Bordeaux. En fait, les touristes n’attendent pas cette réalisation pour visiter « le coin », puisque ce même conseil municipal, dans une séance de 1956, se plaint de ce que la chaussée soit continuellement salie par les carrières Sanz et Solanilla « …ce qui constitue pour la circulation un très grave danger. Que si cette route, qui est fréquentée par un très grand nombre de touristes ne correspond plus à cette destination, sera de ce fait désertée par eux, assurant ainsi un préjudice considérable à toute la région s’étendant de Bordeaux à Cadillac… »141. A partir de 1964, et ce pratiquement chaque année, pendant 10 ans, les élus de Baurech s’inquiètent de l’augmentation constante de la circulation et du danger permanent qu’elle représente pour les riverains, piétons surtout, dans la traversée du bourg. Le Maire qui est aussi conseiller général fait part à plusieurs reprises de son mécontentement à l’Assemblée départementale qui ne le suit pas dans ses demandes réitérées d’alignement et de dégagement de la traversée de sa commune. Le 19 septembre 1970, le conseil municipal constate à nouveau une surcharge de circulation liée non seulement aux voitures de tourisme mais surtout aux poids lourds. Quatre ans après, la situation est toujours la même, les aménagements n’ont toujours pas été traités142, le maire lance presqu’un S.O.S : « …en plus de la circulation, les risques d’accidents s’intensifient et il faut mettre un terme à l’angoisse des habitants de Baurech qui n’osent plus traverser n’ayant aucune visibilité en direction de Bordeaux… ». En 1986, à l’ombre du clocher de Baurech rien ne change, ni en amont, ni en aval d’ailleurs, si ce n’est que le trafic des poids lourds va aller croissant. Il est vrai qu’un épisode tout à fait inattendu va en être la cause ! L’autoroute A62 (Bordeaux - Toulouse) a été mise en service, ce qui est le prétexte pour l’ensemble des maires des communes riveraines de la nationale 113 (ancienne route royale et parallèle à l’autoroute) de s’unir pour demander au Préfet la suppression pure et simple du passage des poids lourds sur leur route, arguant du fait que ceux-ci n’ont qu’à désormais emprunter l’autoroute. C’est alors que le Préfet prend un arrêté interdisant aux poids lourds l’usage de la RN113 et déclare la D10 de Latresne à Saint Maixant, itinéraire de délestage…car il en faut bien un ! Ainsi, dorénavant, une route départementale, dont on connaît la tortueuse morphologie, va devoir assurer le service dévolu initialement à une route nationale avec toutes les nuisances et dégradations qui en découlent !

140 Sources : compte rendu de séance du conseil municipal de Baurech du 19.07.1952. 141 Sources : compte rendu de séance du conseil municipal de Baurech du 5.02.1956. 142 Les travaux seront enfin réalisés en 2000.

109 Le Maire de Baurech et son conseil municipal auront beau protester énergiquement, ils seront les seuls, ce sera donc peine perdue. Deux ans plus tard, on peut lire dans le compte rendu de séance du 3 octobre 1986, « …pour faire suite à l’arrêté municipal interdisant le passage de poids lourds de plus de 12 tonnes dans la traversée du bourg, Monsieur le Maire rend compte au Conseil Municipal de sa décision : étant seul à se battre pour cette cause, il n’a pas eu le soutien des maires des communes également concernés par le passage des poids lourds qui rend dangereuse la vie des habitants. Seul je n’ai pas eu grande force pour pouvoir faire remettre une déviation… »143. Insidieusement, mais assez rapidement, la qualité de vie des riverains de Latresne à Saint Maixant s’est dégradée. L’automobile d’abord, les camions ensuite, en croissance perpétuelle, ont apporté nuisances - bruits, pollution de l’air, accidents multiples - et supprimé toute convivialité. Quelques élus ont bien protesté mais toujours pour demander plus d’aménagements. Jamais l’un d’entre eux n’a mis en avant la question des transports collectifs. Il est vrai que ceux-ci ne sont plus dans l’air du temps ! Le bus continue bien sûr à assurer une offre de service qui ne correspond plus aux attentes : les circuits n’ont pas été revus en fonction des nouveaux pôles d’attraction (zones commerciales et d’activités), les horaires sont inadaptés aux nouveaux modes de vie, les tarifs sont très onéreux, les voitures inconfortables, de sorte que leur fonction essentielle consiste à assurer le transport scolaire ! Enfin la décision du préfet de transformer notre route en itinéraire de délestage entre dans une logique, celle du premier schéma directeur d’aménagement urbain de l’agglomération bordelaise de 1972.

12.1 Le premier S .D .A .U entre en scène… Dans les années 60 tout se passe à Paris, plus que jamais ! L’attraction de la région parisienne est telle que l’on voit apparaître la notion de « désert français » qui s’applique à ces départements ruraux, principalement situés au sud et au centre de la France, qui peu à peu ont perdu toutes leurs substances vitales. L’Etat va donc essayer de compenser cette hypertrophie de la capitale en mettant en place des mesures d’accompagnement destinées à compenser le déséquilibre territorial. Il crée le « Schéma d’armature urbaine de la France »144 dont Bordeaux est l’une des métropoles d’équilibre. Les Organismes de Recherches d’Etudes d’Aménagement des Aires Métropolitaines (O.R.E.A.M.) sont chargés d’accompagner la mise en œuvre des politiques spatiales définies par l’Etat dont l’une d’entre elles concerne le « Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme » ( S.D.A.U.). A Bordeaux, un groupe d’initiés composé d’élus et d’experts techniciens, urbanistes, économistes, juristes, géographes, va se pencher sur le berceau du S.D.A.U.145 qui « …se veut être une ouverture sur le troisième millénaire, aménageant les rapports entre l’urbanisation et les espaces dits naturels, avec une perspective de large ouverture

143 Des travaux d’aménagement de la chaussée ont enfin été réalisés en 2000. 144 DUMAS J. Bordeaux Ville paradoxale. p.123. Editons Maison des sciences de l’Homme d’Aquitaine. 1998. 145 Le 25 octobre 1972, le Préfet de la région Aquitaine et de la Gironde prescrit par arrêté la mise en œuvre du SDAU.

110 océane… »146. C’est l’euphorie, la France est en pleine période de forte croissance. Tout le monde est persuadé que cela va durer…ad vitam aeternam ! Hélas, il y aura le fameux choc pétrolier ! En dehors des gens du sérail, qui s’intéresse aux enjeux du S.D.A.U. ? Quels élus de base, quels chefs d’entreprise, quels citoyens « ordinaires » se posent des questions ? Combien sont-ils à se sentir concernés ? Alors que le S.D.A.U. couvre une surface géographique de 1692 km2, soit les 96 communes correspondant à une agglomération bordelaise ainsi définie. De Latresne à Saint Maixant, qui s’inquiète de savoir ce qui se prépare sur la D10 ? Mais qui peut imaginer que là bas, quelque part à Bordeaux, quelques techniciens tout à leur souci d’ordonnancement de l’espace et à la nécessité d’écouler des flux routiers toujours croissants, un œil rivé sur les statistiques prévisionnelles, un autre braqué sur la cartographie, ont quelques visées sur la rive droite en amont de la métropole ? De nouveaux franchissements du fleuve sont prévus.Il est vrai qu’il faut pouvoir faciliter le transit de flux qui va toujours croissant entre l’Europe du nord et la péninsule ibérique car l’Europe économique est enfin en marche. Dans ce grand marché, la France occupe la place privilégiée de gigantesque carrefour, par lequel l’Europe des marchandises et des stocks roulants, pour cause de flux tendus, transite. L’Aquitaine, l’agglomération bordelaise supportent déjà en 1972 une inflation autoroutière, encore amplifiée au moment des migrations vacancières. De façon concomitante, si « l’espace se dilate » le temps semble se rétrécir : la mobilité, la vitesse commencent à devenir des valeurs économiques, sociales, individuelles prévalantes147 et le temps va aussi devenir de plus en plus un instrument de stratégie économique. Dans ce contexte les Hommes du S.D.A.U. projettent à l’amont d’un futur pont Jean Jacques Bosc à Bordeaux, un sixième franchissement « …destiné à améliorer les relations entre la rive droite et la banlieue sud de Bordeaux, un emplacement convenable pourrait être trouvé au droit de l’île d’Arcins dans le prolongement de la voie des mairies… »148. Il s’agit là du futur pont François Mitterrand. Mais ce qu’il y a d’étonnant c’est que ce franchissement n’est pas inscrit sur la carte du S.D.A.U., par contre apparaît clairement l’emprise d’un pont à la hauteur de Camblanes sur la rive droite via ! Dans ce même rapport, à propos de la liaison Bordeaux Toulouse, il est écrit : « …Malgré l’autoroute A 61 des trafics importants persisteront et même pourront s’accroître tant sur le CD10 que sur la N113 ». Le CD 10 devra être élargi ( l’élargissement est prévu à deux fois deux voies) et les agglomérations desservies devront être déviées ! Juste une petite phrase, à terme lourde de conséquence, mais pour l’instant sans précision aucune ni sur la densité du trafic qui puisse justifier une telle décision, ni sur les perspectives de sa progression et surtout rien sur le comment sera mené à bien ce projet

146 DUMAS J. Bordeaux, ville paradoxale. « … Etait prévu également la mise en œuvre du développement touristique de la côte Aquitaine … » p.125. Editions Maison des sciences de l’Homme. 1998. 147 BALANDIER G. « La vitesse. Des vies piétonnes. » p.60-61 Numéro hors série du Nouvel Observateur. .Avril 2001. 148 Rapport du SDAU 1972. Les grands équipements p.23. Il s’agit d’un projet qui remonte à la surface régulièrement, mais le pont n’est toujours pas construit !

111 compte tenu de l’écologie du terrain et de la proximité du fleuve. Qu’importe, « les égalisateurs hygiénistes d’espace » n’en sont pas encore à se poser ces questions et puis la technique ne peut-elle pas tout ? Ce SDAU qui fixe les grandes orientations spatiales de l’agglomération bordelaise jusqu’en l’an 2000, mettra huit ans avant d’être approuvé par décret le 6 mars 1980. Conçu en période de vaches grasses, il est déjà obsolète lors de son entérinement par l’Etat (l’Europe est alors en pleine dépression). Mais ainsi va l’Administration, avec prudence et circonspection, même si par ailleurs le temps se rétrécit !

12.2 Banlieusards, rurbains, ou néo-ruraux ? c’est selon . Après les années 60 qui ont vu pousser, comme partout en France, les grands ensembles dits « résidentiels », fruits d’un urbanisme fonctionnaliste149, la périphérie bordelaise est confrontée dans les années 70 à la multiplication de l’habitat individuel. Celle-ci s’effectue dans le cadre volontariste d’une politique de relance et de soutien du bâtiment ; par conséquent, les aides financières à l’accession à la propriété concernent uniquement le bâti neuf. Le coût du foncier intervient pour une bonne part dans le choix de l’implantation périphérique de ces maisons et lotissements. Ces derniers sont d’ailleurs fortement encouragés par les élus qui rêvent de voir augmenter leur population avec de jeunes couples, promesses d’enfants à venir quand ils ne sont pas déjà là. Et c’est ainsi que progressivement s’est installé un urbanisme basé sur le zonage (zoning). « …les logements en périphérie, les emplois tertiaires en centre ville, les emplois industriels en banlieue éloignée, les commerces de grande distribution dans d’autres banlieues… ». Qu’il soit citadin, banlieusard, rurbain voire néo-rural, c’est selon qu’il réside plus ou moins près de la ville centre, l’Homme se doit de gérer, de s’adapter, de faire avec, de subir une augmentation des distances de parcours et participe de fait à l’accroissement des déplacements quotidiens. Parallèlement l’évolution du pouvoir d’achat, l’accessibilité au crédit (parfois jusqu’au surendettement) permettent une motorisation de masse qui répond parfaitement à ce type d’urbanisation, d’autant plus que les dessertes de ces nouveaux lieux de vie par les transports publics, ainsi d’ailleurs que les équipements nécessaires à la vie quotidienne (commerces de proximité, établissements scolaire et publics), sont inexistants. Le S.D.A.U. de 1972 prend en compte ce phénomène et essaie, après avoir fait un examen « clinique » de la situation, de proposer quelques remèdes afin de limiter les effets de cette maladie urbaine plus ou moins endémique qui étiole la ville centre. Cette dernière perd chaque année un peu plus de sa substance, désertée qu’elle est par sa population. Des recommandations sont émises : « Il convient donc d’assurer à la fois la protection et la mise en valeur en distinguant toutefois les diverses catégories constituées par les espaces péri-urbains (massifs forestiers, vignobles, sites divers et notamment l’Entre-deux- Mers… ». Les dispositions préconisées sont : « …les bourgs et les hameaux auront une croissance normale, conforme aux prévisions en matière de démographie et d’activités économiques. Cependant cette croissance ne devra pas s’effectuer au dépens des massifs boisés ou des secteurs qu’il conviendra de protéger ou de mettre en valeur en raison notamment des sites et paysages et de la valeur agricole des terres… ne pas se faire non

149 DRON.D. COHEN de LARA..M « Pour une politique soutenable du transport. Mobilité et urbanisme, la ville à portée de main » Rapport du ministre de l’environnement – cellule de perspective et stratégie- p.227- 228. Editions La Documentation Française. Février 2000.

112 plus par une extension démesurée le long des axes routiers… il y aura lieu d’éviter en dehors des bourgs et hameaux une urbanisation diffuse et anarchique dommageable pour les sites et paysages… ».

113 Planche 15

illustration 35 Sur l’ancien chemin des pélerins de Saint Jacques de Compostelle, l’entrée de Lagoiran. Juin 2001.

illustration 36 Mobilier urbain et panneau d’affichage à Lestiac sur Garonne en bordure de D10. Mai 2001.

illustration 37 Traitement sécuritaire de la chaussée : traversée de Baurech. Août 2001.

114

Autant de proclamations qui s’avèrent être des vœux pieux, car le mal court toujours plus vite que la mise en place effective du S.D.A.U., ce dernier étant en décalage temporel ! Lorsqu’il est enfin opérationnel, les lotissements et les maisons individuelles sont dispersées sur tout le territoire de la grande agglomération. En Entre-deux-Mers, le mitage a lieu surtout sur le plateau, là où il y avait prairies et petits bois. Heureusement la vigne, enracinée sur ce terroir depuis si longtemps, continue à conserver le privilège de ne pouvoir en être délogée et reste le meilleur remède contre une prolifération incontrôlable. Quoiqu’il en soit, le plateau devient le bassin versant de flots incessants d’automobilistes affairés par des occupations quotidiennes qui les mènent toujours à plusieurs kilomètres de leur « sweet home ». Et si la vallée de la Garonne de Latresne à Saint Maixant reste relativement protégée des bâtisseurs de maisons clés en mains, c’est bien grâce à sa géographie. Mais la route reçoit, aux heures de pointes des fameuses migrations pendulaires, un afflux de voitures. Personne n’a d’ailleurs le choix puisque la politique locale de transports collectif n’est absolument pas à l’ordre du jour. Elle n’a même pas été évoquée dans le S.D.A.U..

12.3 La boîte de Pandore. 1980. Le premier S.D.A.U. est enfin entériné, signé, enregistré et devient immédiatement opérationnel, tout au moins pour ce qui concerne l’avenir de la départementale 10. Du 20 octobre au 8 novembre de cette même année, se déroule la première enquête d’utilité publique concernant la déviation de Beguey à Cadillac. Cette déviation est corrélée à la construction du pont de Beguey qui rejoint sur l’autre rive. Longue de 1,850 km, elle aura dans un premier temps deux fois une voie, mais l’emprise est déjà prévue pour une future deux fois deux voies. Large de 7 mètres, elle longe une partie de la Garonne et traverse ensuite le palus, c’est à dire le champ d’expansion de la rivière en cas de crue. Pour cette raison, elle doit être surélevée d’au moins 2,50 m en moyenne, constituant ainsi une véritable digue. Au passage, la future route élimine sans vergogne quelques maisons qui font partie du paysage depuis des siècles. Ce paysage de la conche, ainsi nommé parce qu’à cet endroit la Garonne dessine une large boucle enserrant un vaste espace privilégié de cultures mais aussi de promenade pour les habitants du village. Avec cette enquête publique, ces derniers réalisent brutalement que cette déviation répond à des enjeux qui ne servent pas vraiment leur intérêt et qui les dépassent. Ils ont beau jeu de faire valoir que cette déviation fait partie d’un projet global d’aménagement du CD10 de Bordeaux à Langon ; niant l’évidence, le Conseil général, seul maître des routes départementales, et l’Administration vont prétendre le contraire. Une jeune femme prend alors l’initiative de créer une association de « Défense de Beguey »150 et mobilise une bonne partie de la population. De recours en annulation, de D.U.P. remises en D.U.P avortées pour causes diverses, le projet revient sans cesse sur la place publique jusqu’à nos jours encore et toujours. Car malgré les ans qui passent, malgré les nouvelles lois concernant la protection de l’environnement sur l’eau, sur l’air, sur le paysage, ce projet de plus de vingt ans, bien qu’obsolète, est toujours d’actualité, toujours émaillé de recours, de procédures

150 Il s’agit de Danie Lusseau – Reynaud qui, jusqu’à son dernier souffle, s’opposera à ce projet.

115 judiciaires151. La présidente de l’association « Défense de Beguey » a abandonné cette cause à son corps défendant : celui-ci ayant été laminé par la maladie, elle s’en est allée vers d’autres horizons moins terre à terre. L’association a été maintenue par l’ensemble des adhérents et fait maintenant partie d’un collectif qui s’est constitué avec toutes les associations créées au fil des enquêtes publiques portant sur les différentes sections du projet global d’aménagement de la D10.

Figure 16. Projet de déviation de la D10 à Beguey. DDE 33. Novembre 1990.

151 Les procédures d’expropriation sont actuellement en cours, mais deux recours ayant été déposés contre l’Etat pour excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif n’ayant pas encore été jugés, il est vraisemblable que le juge des expropriations ne pourra pas statuer et mener à bien ces expropriations que refusent les propriétaires.

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Figure 17. Le projet de cette déviation traverse en plein le champ d'expansion des crues de la Garonne. Sources : DDE 33. Novembre 1990.

117 En 1991, du 16 septembre au 17 octobre, une autre enquête préalable à la Déclaration d’utilité Publique est lancée. Cette fois, elle porte sur deux sections de la route, l’une allant de Latresne à Quinsac, et l’autre de Quinsac à Langoiran : ce qui constitue bien la preuve qu’il y a un projet global d’aménagement, quoiqu’en disent les élus et les techniciens . Cette consultation suscite une forte mobilisation de la population riveraine, d’autant plus que l’on se rapproche de Bordeaux, et elle comprend bien que tout son environnement va être bousculé, sans lui apporter de mieux-être, bien au contraire. Elle sera privée de son fleuve, car cette voie sera érigée telle une barrière au travers des palus ; elle sera soumise à des nuisances et pollutions supplémentaires dues à un accroissement prévisible du trafic. Et puis rien n’est dit sur la façon dont sera traitée la route pour passer « les noyaux durs » que sont les passages de Cambes et Langoiran ! C’est vraisemblablement en raison de ce dernier point que le Commissaire enquêteur conclue à un avis favorable pour la première section de Latresne à Quinsac et à un avis défavorable pour la seconde de Quinsac à Langoiran. Cependant, hasard ou nécessité, l’arrêté préfectoral n’ayant pas été pris dans le délai réglementaire d’un an à partir de l’enquête publique, un nouveau dossier de D.U.P s’avère nécessaire. Celle-ci démarre le 20 novembre 1995, porte sur la section de Latresne à Quinsac et va se conclure par un avis défavorable du Commissaire enquêteur, tel qu’il en fait état dans ses conclusions et avis, le 5 février 1996152 : « …considérant que le projet présenté à l’enquête a mobilisé un nombre importants d’habitants des communes concernées par le tracé, mais aussi par ceux des villages des bords de Garonne, usagers habituels de cet itinéraire et concernés par cet axe. Que le vrai problème de trafic routier qui ressort de l’étude est celui posé par le raccordement dans Camblanes et Meynac de la R.D 10 et de la R.D 14 au carrefour de Bellevue. Que la presque totalité des partisans du projet sont des Camblanais particulièrement des riverains de la R.D 10, fortement motivés par des problèmes sécuritaires, qui sont tout à fait légitimes, mais qui relèvent plus de problèmes de circulation routière et d’aménagements urbains, à régler à court terme, que d’infrastructures lourdes. Que les observations formulées par les opposants au projet concernent surtout des problèmes de fond, dépassant souvent le cadre local, mais qui mettent l’accent sur des engagements souvent irréversibles à long terme, alors qu’au même moment des commissions se penchent sur les mêmes problèmes ( S.D.A.U. et P.P.R.I.)153. Que les observations sur le tracé et les problèmes techniques qu’il pose, peuvent toujours trouver une solution, tout dépend du prix que l’on veut y mettre. Considérant toutes les observations notées dans mes conclusions ci-dessus, j’émets un avis défavorable à la déclaration d’utilité publique du projet de travaux de la déviation de la R.D10 entre Latresne et Quinsac, tel qu’il est présenté… ». Il y a eu toutes ces péripéties mais il y a eu surtout toute une population qui s’est brusquement réveillée, citoyenne, et avec une maturité « écologique » que personne n’aurait pu soupçonner, d’où la pertinence des questions posées : sur le choix du projet et sa validité,

152. Sources : Enquête préalable à la déclaration d’utilité publique des travaux de déviation de la R D 10 entre Latresne et Quinsac et mise en compatibilité du P.O.S. des communes de Latresne, Quinsac et Camblanes et Meynac sur le trajet. P 10 . Villain F. 1995. 153 P. P. R .I = Plan de Prévention des Risques d’inondation.

118 sur son coût, sur les risques liés aux problèmes hydrauliques (l’écoulement des eaux, leur libre circulation, la restauration ou l’extension des champs d’expansion), sur l’impact des travaux sur l’environnement, sur les nuisances sonores, sur les risques liés au paysage, sur les mesures de trafic, sur les réserves constructibles … etc. Mais pendant ce temps là, à l’autre bout, la déviation de Loupiac s’est réalisée, toujours en zone inondable. La voie n’ayant pas été surélevée n’est donc pas hors d’eau en cas de crue de la Garonne qui à cet endroit la tutoie. La chaussée se déforme progressivement, travaillée par un sous sol en zone humide. L’espace vacant entre la nouvelle route et le village est phagocyté par les panneaux publicitaires des viticulteurs qui ne savent plus comment rameuter le chaland. Personne ne passe plus dans le village où plusieurs commerces ont fermé. Les voitures roulent toujours plus vite sur cette portion de route rectiligne, quitte à s’accidenter en fin de course lorsqu’ils retrouvent la route initiale. Tels les maux sortant de la boîte de Pandore, ce projet global d’aménagement de la D.10 s’est échappé de la boîte d’aménageurs et de techniciens qui s’inscrivent dans cette démarche fonctionnaliste qui prévaut partout : « …en termes d’aménagement du territoire le « schéma fonctionnaliste » privilégie les approches structurelles globales volontaristes dans une perspective macro-économique, au détriment de la maîtrise localisée du développement. Cette disfonction produit des conséquences parfaitement visibles à travers les effets de fragmentation sociale, de densité, de dispersion géographiques, irrépressibles, de nuisances et de pollutions locales caractérisées. C’est pourquoi il est indispensable de revoir les logiques fonctionnalistes et d’examiner d’une façon moins volontariste la relation entre les perspectives globales de croissance et la réalité globale du développement… »154. La légende dit qu’au fond de la boîte de Pandore, l’espérance était restée. L’espérance qui fait vivre et peut être aussi fait éclore les projets, en l’occurrence celui de « La Route François Mauriac ».

12.4 La route François Mauriac, une utopie ? De cette espérance est née ce que d’aucuns vont appeler une utopie155. « La Route François Mauriac », une réflexion née spontanément du monde associatif, donc des citoyens, pour proposer un projet alternatif basé sur une forme d’aménagement de la D10 de Latresne à Saint Maixant autre que celle envisagée par les « fonctionnalistes ». Inscrire la Route François Mauriac dans la dynamique d’un véritable « développement durable »156 s’appuyant sur, prenant en compte, valorisant toutes ses spécificités :ses dimensions naturelles, géographiques, paysagères, historiques, patrimoniales mais aussi économiques. Cette économie locale basée sur l’agriculture, essentiellement viticole, les activités halieutiques, les commerces, l’artisanat, les services de proximité et pourquoi pas à terme sur les nouvelles technologies.

154.DRON.D – COHEN de LARA. « Pour une politique soutenable des transports – Instrument d’orientation du transport vers une meilleure prise en compte de l’environnement » Quatrième partie .p.728-729 Cellule de prospective et stratégie. Editions La Documentation Française. Février 2000. 155 « Pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux ». Le Robert. 156 Ce concept de développement durable a depuis été récupéré, galvaudé, mais il a au moins le mérite aujourd’hui d’être signifiant pour le plus grand nombre.

119 Redonner du sens, une humanité à cette route transformée insidieusement en voie à grande circulation. Ecouter les riverains, entendre leurs aspirations à conserver une qualité de cadre de vie. Cette préoccupation répondant, aujourd’hui, à une forte demande sociale. Tous les épisodes qui ont accompagné les enquêtes publiques, ont mobilisé quelques énergies qui vont s’employer à faire avancer ce projet, à lui donner une justification. Car au bout de la route il y a Saint Maixant, et à Saint Maixant il y a Malagar, la demeure de François Mauriac, devenue en 1985, grâce à la générosité de ses héritiers, la propriété du Conseil Régional d’Aquitaine. Celui-ci a entrepris d’en faire un haut lieu de la culture régionale en s’appuyant sur la notoriété internationale de l’écrivain mais aussi en recherchant un ancrage dans le terroir qui a été si souvent source d’inspiration et terreau fertile pour ce dernier. C’est en tenant compte aussi de cette dimension que le projet de requalification de la route a été envisagé : que celle-ci reste, redevienne (c’est selon) un axe vert, sorte de cordon ombilical naturel entre la grande ville et Malagar. Un itinéraire en harmonie avec ce lieu magnifique et en même temps une sorte d’hommage au grand écrivain qui empruntait si souvent cet itinéraire en venant de Bordeaux et l’appelait « La jolie route ». Plus largement, que la Route François Mauriac soit une vitrine de l’identité de l’Entre-deux- Mers. La route de la vallée de la Garonne à partir de laquelle on peut remonter le coteau et partir à la découverte de la bastide de Créon, de l’Abbaye de la Sauve Majeure et du Haut Entre-deux-Mers, ou encore, dépassant Saint Maixant retrouver via Saint Macaire, et Saint Symphorien, le Pays d’enfance de François Mauriac. Vouloir redonner du sens, une humanité, c’est aussi préserver, développer, enrichir l’économie locale, notamment en l’associant étroitement à la Garonne, l’une et l’autre se mettant en valeur, le fleuve retrouvant sa place d’acteur majeur, en développant un tourisme fluvial adapté à sa configuration et à ses humeurs, en corrélation avec les autres activités touristiques : randonnées pédestres, en vélo, découvertes des vignobles, du patrimoine… etc. Mettre en exergue les aspects purement culturels de cet axe. Sans conteste route d’écrivains ! Ils sont nombreux, en dehors de François Mauriac, ceux qui se sont installés en ces lieux et à s’en être imprégnés ; ils sont nombreux tous ces peintres, tels Rosa Bonheur, Toulouse Lautrec, y compris du dimanche, qui viennent rechercher la transparence de la lumière ; ils sont encore plus nombreux tous ces gens modestes, artisans, commerçants, pêcheurs, viticulteur qui font vivre ce « petit pays » de la Route François Mauriac ! Ainsi va la réflexion des membres du collectif d’associations « Vivre en Entre-deux-Mers » et chemine dans les têtes cette « utopie » qu’est la Route François Mauriac, objet d’une véritable stratégie de rupture par rapport au schéma antérieur d’aménagement de la RD10. Il ne s’agit que de remonter aux sources. Se souvenir du trésor constitué par ces dons naturels et culturels déposés au cours des millénaires, d’abord grâce à un accident géologique ensuite par toute une chaîne humaine qui n’a jamais cessé d’occuper les lieux ; capitaliser cet héritage en l’enrichissant d’un modernisme éclairé ! Partant de ce postulat, munis de ce viatique, les « utopistes » vont prêcher la bonne parole auprès des instances institutionnelles : élus, administrations ; organiser des réunions publiques pour convaincre du bien fondé de cette approche différente d’aménagement du territoire.

120 Tout paraît si simple ! Démontrer aux dix sept maires des communes riveraines que ces derniers ont partie liée avec cette route. Que la réhabilitation des villages doit être concertée, en cohérence et ne doit pas faire l’économie d’une analyse globale de l’existant ; que la priorité doit être donnée à l’Homme dans son environnement et non plus à la sacro sainte voiture ; qu’il est urgent de se réunir pour réfléchir ensemble ! C’était oublier que cette route considérée par les « utopistes » comme un élément déterminant de la vie sociale n’est en réalité pour les techniciens du Conseil Général qu’un axe du réseau des routes départementales situé à un point stratégique de la périphérie bordelaise. Par là même c’est la négation de l’identité tout à fait spécifique de cette route. Elle est réduite à n’être qu’un « outil technique », une liaison destinée à réguler, fluidifier un flux de véhicules non seulement entre la métropole et le Langonnais, mais aussi à opérer, à terme, un dégagement de l’A10 (Paris Bordeaux) pour le transit Nord / Sud des poids lourds qui se dirigent vers Pau et Sarragosse. Contre toute logique, ce réaménagement de la route ( en fait son doublement en passant dans le palus, toujours en raison des contraintes du coteau et du fleuve) est présenté par le politique à la population comme une démarche sécuritaire pour répondre à sa dangerosité, alors qu’en réalité c’est la réponse à des extrapolations d’un accroissement permanent dans le temps du tout automobile et des flux transitaires de fret, considéré comme inéluctable par les experts-techniciens. Or ces extrapolations sont réalisées à partir de modèles mathématiques basés sur des données uniquement quantitatives et n’intégrant jamais ( et pour cause ) les aléas qui peuvent survenir à tout instant, ou l’alternative de mise en œuvre d’autres moyens complémentaires de déplacements. Mais présentées par ces oracles des temps modernes, elles ont valeur d’évangile et ne sont ni discutables, ni discutées ! « …les élus et services administratifs sont ainsi encadrés et conduits à prendre comme contrainte de la vie urbaine ce qui n’est, somme toute, même avec des chances sérieuses d’approximation, qu’une mise en scène quantifiable à un instant donné sur une scène mathématique précise…une représentation des évolutions non pas souhaitables ou discutables, mais « naturalisées » dans des relations de type déterministes. L’expertise produit des anticipations qui résultent, plus que des diagnostics sur lesquels le non- spécialiste peut toujours trouver à dire, des modalités d’agencement et de combinaisons induites de l’outil lui-même…Il va de soi que ces combinaisons rationalisées qui définissent des manière d’équiper ne sont tolérables que dans la mesure où leur coût est supportable, tant financièrement que socialement…la modernisation trouve ses limites dans une acceptabilité qui est au cœur de la décision finale… »157.

Nul n’étant prophète en son pays, c’est de l’extérieur que le projet « La Route François Mauriac » reçoit une première reconnaissance. Il obtient en décembre 1998 le prix pour la France de la Fondation Ford Europe158 qui récompense ainsi chaque année des projets de développements économiques intégrant l’écologie du milieu.

157 DUMAS J. « Bordeaux ville paradoxale – Question de modèle » p 186 Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine.1998. 158 Cette année là, 22 projets français avaient été présentés.

121 Paradoxalement, c’est par une multinationale, qui plus est deuxième constructeur mondial d’automobiles, que La Route François Mauriac est distinguée ! Cette distinction lui donne aussitôt une aura à laquelle sont sensibles quelques uns des maires concernés mais surtout dynamise la population locale. Dès 1999, cette dernière s’investit sur le terrain, avec les associations culturelles des 17 bourgs et villages, lorsque sont créées « Les premières Rencontres de la Route François Mauriac », conçues en partenariat avec le Centre culturel de Malagar. Cette manifestation a pour objet essentiel de faire connaître et découvrir toutes les richesses paysagères, patrimoniales, humaines situées le long des rives de la route et de la Garonne, non seulement à la population locale mais aussi aux citadins de la C.U.B.. C’est immédiatement un succès159 ! Sur ces bords de Garonne la vie pourrait continuer comme un long fleuve tranquille, si ce n’est que comme le mascaret, le projet de la Route François Mauriac oscille de flux en reflux, se heurtant à la résistance aux changements, aux à priori, aux enjeux de pouvoirs locaux, et, comme le bouchon vaseux du fleuve, le projet d’aménagement routier « fonctionnaliste » continue d’obscurcir le débat entre les différents acteurs. Et puis le temps passe, le troisième millénaire est là, et avec lui arrive le S.D.A.U. nouvelle cuvée.

12.5 Le S.D.A.U. nouveau est arrivé ! Un S.D.A.U. chasse l’autre. Celui de 1972 arrive en fin de course, sans avoir rempli ses engagements. Il a achoppé entre autre, sur le volet « maîtrise de l’urbanisation ». L’étalement extrême de l’habitat a provoqué cette « dilatation démesurée de l’espace ». Il n’a pas su éviter la dégradation des paysages due à l’effet vitrine des grands axes de circulation où s’agglutinent commerces de grande distribution, industries avec en corollaire cette lèpre engendrée par l’envahissement des panneaux publicitaires. Pour ce qui est de la rive droite, le grand changement aura été provoqué par la construction du pont d’Arcins (1993). Ce nouveau franchissement vaguement évoqué dans le schéma directeur s’est substitué au franchissement initialement envisagé entre Floirac et Bègles, finalement contesté par ces deux communes160. Ce nouveau pont en prise directe avec la rocade dont il assure le bouclage161, destiné à faciliter la liaison entre les autoroutes A10, A62 et A63,. est situé au débouché de l’Entre- deux-Mers bordelais, en limites des communes de Floirac et Bouliac. Par la succession des échangeurs et sorties, il contribue à favoriser une expansion urbanisée qui se fait sentir essentiellement sur le plateau des coteaux. Bien entendu, cette pression se fait d’autant plus sentir que l’on se rapproche de la ville centre. C’est le 10 février 1996, par arrêté préfectoral, qu’est mis en place un syndicat mixte le SY- SDAU. chargé de lancer la mise en révision du précédent S.D.A.U. et de redéfinir une nouvelle stratégie tenant compte des décalages existants entre les options initiales et la réalité de l’agglomération.

159 Les Troisièmes Rencontres de la Route François Mauriac ont eu lieu du 5 au 20 mai 2001 sur le thème « Regards et Paysages ». 160 Il s’agit toujours du projet du pont dit Jean Jacques Bosc qui, comme l’arlésienne, va et vient selon les courants. Il semble de nouveau d’actualité ! 161 La rocade circulaire, longue de 45 kilomètres a été initiée 30 ans auparavant.

122 Le trait qui fâche. Ce jour là, le 14 décembre 1998 lors d’un forum organisé par le SY-SDAU.162, sont présentées les grandes orientations stratégiques du nouveau schéma directeur, fruit de leurs analyses, réflexions, accompagnées de la cartographie, à l’ensemble des maires des communes concernées, ainsi qu’aux représentants d’associations agréées au titre de la protection de l’environnement. Ce second S.D.A.U. doit définir l’avenir de 91 communes : 27 appartenant à la C.U.B. et 64 hors C.U.B. (Cinq communes du périmètre ancien n’ont pas adhéré, dont Langoiran qui se retrouve coincée entre 2 communes adhérentes : Le Tourne et Lestiac). L’ensemble de ce vaste périmètre est découpé en secteurs, une partie de La Route François Mauriac (soit sensiblement la moitié) se retrouve dans le secteur 3 B qui englobe une bonne partie de l’Entre-deux-Mers bordelais ( le reste de la voie est située hors S.D.A.U. !). C’est la carte de présentation du réseau d’infrastructures routières qui interpelle immédiatement les associations présentes du secteur 3 B. Sur cette carte apparaissent deux petits traits dans une zone hachurées qui symbolisent les deux futures emprises des franchissements de la Garonne prévus en amont de Bordeaux. Le premier, situé à Camblanes - Port Neuf, atterrit à Cadaujac en pleine zone Natura 2000 : il s’agit de la reprise d’un projet qui apparaissait déjà dans le S.D.A.U. précédent. Le deuxième, s’ancrant dans le palus aux limites de Tabanac et du Tourne, doit déboucher sur la rive gauche entre Portets et Beautiran163, contournant, de facto, l’actuel Pont de Langoiran jugé vétuste et inadapté à la circulation future et par conséquent condamné à disparaître ! Circulation en accroissement constant prévisible, dès lors que ces deux ponts envisagés se trouvent au débouché des départementales 14 et 20 qui doivent être confortées et améliorées pour constituer des voies de liaison et de distribution entre les autoroutes A10 (toujours) mais surtout l’A89164 en phase d’être opérationnelle, et les autoroutes A62 et A63 qui mènent vers la péninsule ibérique et le Maghreb. Ces voies de liaison constituant des arcs de décharge si l’on se réfère aux subtilités du langage technocratique. L’objectif étant, à terme, de faire en sorte que la rocade de contournement de Bordeaux soit désengorgée, autant faire se peut, d’une partie du flux incessant de poids lourds du trafic Nord / Sud européen165. Cette rocade remplit actuellement deux fonctions : celle de

162 SY-SDAU. syndicat mixte chargé de la mise en œuvre du S.D.A.U., il est composé d’élus nommés par leurs pairs pour représenter chacun des secteurs définis, du Conseil Général et d’experts techniciens de A’URBA. : agence d’urbanisme de la C.U.B. Les élus du Conseil général sont au nombre de 6 : 3 titulaires et 3 suppléants ; ceux de la C.U.B. sont 22 : 11 titulaires et 11 suppléants. Secteurs de l’Entre-deux Mers : sous- secteur 3 A: 4 dont 2 titulaires et 2 suppléants ; sous-secteur 3B : 4 dont 2 titulaires, 2 suppléants. Secteur 4 Cubzacais : 1 titulaire, 1 suppléant. Secteur 1 Médoc : 2 titulaires, 2 suppléants. Secteurs SUD : sous-secteur 2A : 2 titulaires, 2 suppléants ; sous-secteur 2 B : 2 titulaires, 2 suppléants. Le bureau comporte un Président et vice-président représentant chacun des secteurs, un secrétaire et trois membres. Tous ont un dénominateur commun : ils sont Maires ou Maires adjoints, même si par ailleurs ils remplissent d’autres fonctions d’élu comme conseiller général ou député. Quant aux études, elles sont menées par les techniciens de A’URBA. Agence d’Urbanisme Bordeaux Aquitaine. 163 L’histoire bégaie-t-elle ? Ce pont est prévu exactement à l’emplacement déjà envisagé en 1848 lorsqu’il était question de construire le pont de Langoiran. 164 A89, il s’agit de l’autoroute Lyon, Clermont-Ferrand, Bordeaux qui est prévue pour capter une partie du transit en provenance d’Allemagne et de l’Europe de l’Est vers la péninsule ibérique. . 165 Environ 11.000 poids lourds/jour en 2001 ; prévisions à 5 ans : 14.000/jour ?

123 boulevard périphérique urbain, et celle de voie de liaison entre les infrastructures autoroutières. Telle l’anneau de Saturne, elle enserre l’agglomération dans un cordon, non pas sanitaire, mais qui véhicule les nuisances d’une pollution multi-factorielle ayant des incidences sur la qualité de l’air, générant du bruit, des accidents… etc. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’un des objectifs du SY-SDAU. soit de vouloir limiter une expansion décrêtée mathématiquement irrésistible par les experts. La solution proposée est de créer plus au large les conditions favorables à la réception d’une partie du trafic, par conséquent de se servir dans la mesure du possible des voies existantes – les départementales – qui, recalibrées, constitueront ces fameux arcs de décharge. Cette solution présente également l’avantage aux yeux des techniciens d’être plus économique qu’un grand contournement166. Dans ce contexte, les associations de protection de l’Entre-deux-Mers du secteur 3 B vont jouer les trouble-fête et une fois de plus, pour mieux se faire entendre, s’appuyer sur la population locale. De réunions publiques en réunions publiques où les élus invités doivent s’expliquer sur la pertinence des orientations préconisées, le débat s’installe et les questions fusent et contestent avec vigueur ces orientations. Il est reproché un manque d’imagination dans la conception de ce nouveau schéma : • qui ressemble assez à un schéma bis et reste marqué par la logique du totalitarisme automobile. • qui ne tient pas compte de toute une série de réglementations nouvelles, telles les lois sur l’air, sur l’eau, sur le paysage, ni de la préservation des espaces naturels, ni des risques d’inondation167. • qui n’envisage pas l’adéquation et la complémentarité des transports péri-urbains avec le plan de déplacement de la ville centre (P.D.U). • qui n’intègre pas les « mutations sociétales » prévisibles, découlant des nouveaux modes de travail (les 35 heures), des loisirs, d’achats ; ni les effets des nouvelles techniques de communications ; ni les modes « doux et alternatifs » de déplacements (vélo, marche à pied). Quant au fleuve, il est le grand oublié, tout comme le patrimoine bâti. • Ce qui est le plus violemment contesté, c’est la nouvelle approche systémique du transfert des flux auto-routiers, particulièrement sur le secteur Le Tourne-Langoiran168. Les autochtones ont bien compris que si elle se réalise les deux villages et le pont sont condamnés.Et justement, ce pont va aussi être vecteur de contestations de la part des habitants de Portets qui vont faire front commun avec la rive droite, refusant le futur franchissement. Quant à l’Etat dans son « Porter à connaissance » intitulé « AVIS DE L’ETAT » il conforte en partie ces analyses et interrogations des associations. Il est donc demandé au SY-SDAU. de revoir sa copie.

166 Ce Grand contournement prévu au Nord de l’agglomération passerait sur la presqu’île d’Ambès. Il est actuellement en cours d’études . 167 A ce moment là les P.P.R.I - plans de prévention des risques d’inondation - sont toujours à l’étude. 168 Plus tard, deux maires refuseront de signer le S.D.A.U., Madame Théron maire de Portets, Monsieur Merlaut Maire de Baurech.

124 Le rapport final. Ce n’est que le 9 février 2001 que le Rapport final de présentation de la Révision du Schéma Directeur de l’aire métropolitaine bordelaise est approuvé par l’ensemble des élus169. Dans son préambule cinq enjeux essentiels sont retenus pour le devenir de l’agglomération : « …L’enjeu majeur de développement durable de l’agglomération qui passe à la fois par une maîtrise de l’urbanisation et par une gestion plus durable de l’espace. L’enjeu de la sauvegarde des grandes structures paysagères et viticoles et de la mise en valeur des patrimoines naturels. L’enjeu du fonctionnement de l’agglomération par une meilleure gestion et répartition des déplacements dans l’espace et par mode. L’enjeu de l’organisation et du développement économique pour répondre aux attentes de la population et des entreprises. L’enjeu des protections contre les risques naturels et technologiques et contre les pollutions et nuisances … »170. Pour la première fois le terme de « développement durable » est évoqué . Il est vrai aussi qu’il est dans l’air du temps. Ce rapport final de présentation est le résultat de quelques trois années d’études de la part des techniciens d’A’URBA. sous la responsabilité des élus du SY-SDAU. Il a été également l’objet de transactions, de composition entre l’Etat, le Conseil Général, les élus de la ville centre et ceux de la périphérie. Chacun bien décidé à défendre d’abord ce qu’il pense être les intérêts de son pré carré et qui ne sont pas forcément compatibles avec ceux d'un « développement durable ». C’est pourquoi, par exemple pour le secteur 3 B, sont autorisés les remblaiements dans le champ d’expansion de la Garonne en amont de Bordeaux jusqu’à Camblanes afin de créer des espaces dits « espaces de respiration » : dénomination euphémique pour désigner ce qui ne sera, somme toute, que de nouvelles Z.A.C. (zone d’activités concertée)171. Ce qui laisse présager qu’à terme, une de ces Z.A.C. couvrira toute la plaine de Bouliac jusqu’à Port Neuf-Camblanes. Il s’agit là d’un espace tout à fait stratégique situé entre le pont François Mitterrand et le futur franchissement prévu entre Camblanes-Latresne et Cadaujac-Villenave d’Ornon172, ce qui annonce la continuation de ces espaces incertains173 et peut faire douter du souhait exprimé de «… stopper l’urbanisation linéaire inféodée aux grandes voies de desserte de l’agglomération… ». En amont, le long de la Route François Mauriac, les palus sont prévus pour être conservés comme champs d’expansion des crues, donc interdits de constructions (sauf pour les bâtiments agricoles sous certaines conditions) mais au-delà de la frontière du S.D.A.U., le

169 Au mois d’août 2001, il n’est toujours pas entériné par le Préfet. 170 . Sources : Révision du schéma Directeur de l’aire métropolitaine bordelaise :.Rapport de présentation. p.12-13 SY-SDAU. - A’URBA. 171 La commune de Floirac a déjà remblayé quelques 40 hectares. 172 Sources : Rapport final du S.D.A.U. p 119. SY-.SDAU. - A’URBA. 2001. 173 Dumas J. « Bordeaux ville paradoxale ». Ed Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. 1998.

125 long de la Route François Mauriac, les P.P.R.I. qui viennent de faire l’objet d’une enquête publique (du Tourne à Saint Maixant) autorisent l’extraction des granulats ! En ce qui concerne le réseau d’infrastructures routières le Pont de Camblanes–Latresne / Cadaujac–Villenave d’Ornon, la D14 de Créon à Camblanes transformée en « voie de liaison » restent toujours d’actualité et cela d’autant plus que plusieurs zones d’activités sont en cours d’installation tout le long de cet axe (Sadirac, Saint Caprais, Cénac, Camblanes) mais il est vrai aussi que le S.D.A.U. prévoit « …que dans le cadre de l’optimisation d’autres pôles de développement péri-urbain ou intercommunaux, il s’agit de rompre avec le déséquilibre croissant d’offres d’emploi péri-urbain par rapport à la population active résidante . Il s’agit de la zone (entre autre) …de l’Entre-deux-Mers (Créon – Latresne) … »174. Par contre le nouveau pont prévu initialement au Tourne-Tabanac/ Portets et devant remplacer l’actuel pont de Langoiran a disparu de la carte. Cependant dans le texte du rapport il est à nouveau précisé que compte tenu de la vétusté du pont existant, il faudra bien, un jour, le supprimer. Le pont de Langoiran bénéficie donc pour l’heure d’un sursis dont la durée dépend de la « …capacité d’intégration de la métropole bordelaise à des réseaux et des systèmes de communication performant à l’échelle européenne, nationale, régionale…Ce qui passe par une amélioration de l’accès aux grands réseaux et couloirs de communication routiers et ferroviaires. En outre le développement économique de la péninsule Ibérique et du Maghreb génère une forte croissance des trafics Nord-Sud d’échanges, dont le transit en France se répartit entre les passages à l’ouest et à l’est des Pyrénées175. Il a de plus en plus de mal à s’insérer dans un couloir rhodanien, déjà largement saturé. La façade atlantique, dès lors, constitue une alternative certaine pour les échanges de l’Europe du Sud et du Nord, l’espace urbain de Bordeaux est dans ce contexte le point nodal d’échange stratégique entre le nord et le sud, l’est vers Toulouse et Lyon et l’océan Atlantique par son port. »176. Il y a bien là confirmation que les aménagements de confortement du réseau routier départemental de l’Entre-deux-Mers, présentés initialement à la population par les élus, comme uniquement destinés à améliorer les liaisons locales et à les sécuriser, entrent dans une logique d’organisation spatiale de dimension européenne des flux autoroutiers ! La grande déception viendra du chapitre intitulé « Déplacements et transports en commun », car à l’exception d’un hypothétique prolongement de la ligne de tramway de Bordeaux jusqu’à Latresne, il n’y a aucune proposition concrète, sur ce secteur 3 B, concernant « …une offre de transports en commun alternative et complémentaire à l’automobile… », alors même qu’une forte expansion de l’urbanisation est prévue (+25%) ; alors même que les Z.A.C. se multiplient ; alors même que ne sont toujours pas envisagés les équipements structurants qui font défaut depuis près de 20 ans : lycée d’enseignement général, troisième collège177, plaine des Sports, stade nautique… ; alors même que les équipements souhaités pour la mise en place de modes de déplacements doux et alternatifs ne sont même pas évoqués !

174 . Sources : Rapport final du S.D.A.U. p.119 SY-SDAU. – A’URBA. 2001. 175 Une réflexion est menée au niveau européen sur l’éventuelle possibilité d’un franchissement des Pyrénées dans leur partie centrale, plutôt réservé à une voie ferroviaire destinée au ferroutage. 176. Sources : Rapport final du S.D.A.U. p.42 . SY-SDAU. – A’URBA. 2001. 177 Il y a actuellement deux collèges sur ce secteur l’un à Latresne, l’autre à Créon prévus chacun pour accueillir 500 élèves, mais qui sont en surcapacité, chacun d’entre eux en recevant près du double !

126 Par contre, divine surprise et contre toute attente, un paragraphe est consacré aux routes - paysage et le Schéma Directeur formule, pour ces routes, les prescriptions suivantes, à préciser dans les P.O.S : « …limitation de la constructibilité de part et d’autre de l’infrastructure avec établissement de règles dans l’esprit de l’amendement Dupont (L.111.1.4 ) pour les zones les plus urbanisables. C’est entre autre l’exemple de valorisation à mener sur la RD10 (Route François Mauriac) qui présente en matière de tourisme culturel et de loisirs de proximité, un fort potentiel. Cet axe offre, en effet, une grande diversité de paysages, traverse des communes de caractère et mène au site du Château Malagar / Saint Maixant (domaine du Conseil Régional) et nécessite par ailleurs une action générale d’aménagement et d’embellissement de l’axe retenu comme tel au Schéma Directeur. Ces travaux devront parallèlement s’inscrire dans un objectif de sécurisation des déplacements domicile - travail qui pourra être complété par une forte réduction du trafic des poids lourds de transit… »178.

178. Sources : Rapport final du Schéma directeur de l’aire bordelaise. P.144. SY-SDAU. – A’URBA. 2001.

127 Planche 16.

Illustration 38. Extrait de la carte des orientations stratégiques, réseau d’infrastructures routières. Les portions jaunes sont à améliorer ou élargir (mise à 2x3 ou 2x4 voies, mise aux normes autoroutières), les portions rouges, voies à caractéristiques autoroutières à créer. La zone hachurée est un franchissement possible amont et aval. Sources : SY-SDAU. - A’URBA. – 09/02/2001.

128 13 ET DEMAIN, LA ROUTE FRANÇOIS MAURIAC ? Demain, cette route sera ce que les élus en feront ! Sa chance est peut être l’intercommunalité qui se met en place et qui oblige enfin les maires des petites communes à regarder au-delà de leur clocher. Elle sera aussi ce que le Conseil Général, Maître des lieux, voudra bien en faire, ce qui implique l’abandon d’une logique technicienne pour entrer dans une véritable démarche de développement durable. Elle sera encore ce que l’Etat voudra bien lui concéder. Ainsi la suppression du péage de l’autoroute A62 entre Bordeaux et Langon : péage qui aurait du déjà être supprimé dans les années 90 .Celui-ci constitue une injuste pénalité pour tous les usagers de ce tronçon autoroutier. Ils sont nombreux, voitures particulières et camions de desserte locale, à s’évader sur les deux axes parallèles, soit la N113 (ancienne route royale) et la Route François Mauriac. Ainsi, également, la mise en place réglementaire d’une limitation de vitesse de 70km/heure, hors villages, sur ces 35 kilomètres de la Route François Mauriac.Il est à noter qu’il existe déjà en aval de Bouliac à Latresne une limitation de vitesse à 70 km/h. et une interdiction de passage des poids lourds de plus de 15 tonnes, alors pourquoi ne pas prolonger ces mesures jusqu’à Saint Maixant ? Ainsi, encore, lui enlever son statut de route à grande circulation qui lui confère le privilège de recevoir des panneaux publicitaires de 12 et 16m2,véritables verrues paysagères179. Sa requalification dépendra de la façon dont : • Sera traité et redistribué l’espace de la voirie de façon à ce qu’il soit partagé entre tous : piétons, cyclistes et automobilistes. (Un traitement de la chaussée a déjà été réalisé dans le centre bourg de Baurech pour limiter la vitesse excessive des voitures, mais une fois de plus les cyclistes ont été oubliés !). • Seront aménagés les bourgs et maîtrisée la construction, y compris au-delà de la frontière du S.D.A.U. qui s’arrête aux limites de Lestiac. C’est pourquoi, l’intercommunalité peut être, dans ce cas, particulièrement bien venue. L’exemple de Beguey, commune située entre Rions, village classé, et Cadillac, bastide et cité du château des Ducs d’Epernon, est tout à fait édifiant. Cette commune développe actuellement une zone d’activités avec bâti linéaire en bordure de la Route François Mauriac, véritable verrue qui se juxtapose dans un des plus beaux paysages de coteaux de l’Entre-deux-Mers. Il suffirait que les bâtiments soient en retrait de la voie, qu’un traitement végétal accompagne l’aménagement de cette zone, que les entreprises respectent la législation sur les enseignes et pré enseignes, pour que cette Z.A.C. soit mieux intégrée dans son environnement ! • Seront revus et repensés les transports en commun en intermodalité avec la ligne de chemin de fer Bordeaux - Langon située sur la rive gauche ; avec la future plate-forme de tramway à Latresne ; avec des nouveaux flux générés par une urbanisation accrue et de nouvelles zones d’activité sur le plateau180 et sans oublier d’apporter une réponse à

179 Au lieu de 6 m2 pour une route départementale normale, selon la loi sur la publicité de décembre 1979. 180 Ces flux seront d’autant plus intenses lorsque le pont prévu entre Camblanes-Latresne / Cadaujac- Villenave d’Ornon sera réalisé.

129 une demande de modes doux alternatifs de déplacements, pour les courtes distances de village à village, à pied ou en vélo. • Sera mise en place une véritable politique de préservation des palus qui par leur spécificité contribuent à la préservation du biotope de la rivière. Ces zones humides, champs d’expansion de la Garonne, qui préservent aussi une activité agricole avec des hommes qui entretiennent l’environnement, notamment les digues, devraient être classées en zones naturelles. Cela signifie que ces palus doivent être formellement interdits aux extracteurs de granulats. Ces extractions qui ont tôt fait de transformer un site en paysage lunaire, laissent en fin d’activités des espaces ingérables dont la remise en état est impossible compte tenu du coût prohibitif que cela représente et qu’aucune collectivité locale ne peut assumer181. Sur la Route François Mauriac, face à Quinsac, l’Ile de Lalande est devenue un véritable atoll grâce à la société G.M.S (Société des gravières, sables et matériaux). Il n’est pas impossible que, lors d’une crue majeure, l’île soit captée, happée par le fleuve, disparaisse à jamais et aille rejoindre les Esprits de Garonne, avec le risque évident de créer une incidence sur la courantologie, l’eau n’étant plus freinée par l’obstacle naturel que constitue une île. • Sera mis en scène son exceptionnel patrimoine paysager (le fleuve, les coteaux, les zones humides, les vignobles), architectural (grand et petit patrimoine, villages de caractère ou classés, châteaux et maisons nobles…), son économie locale encore si spécifique, ses richesses culturelles, humaines … tout ce qui fait le charme de cette « si jolie route ».

Si tout va pour le mieux, dans le meilleurs des mondes… Il sera peut être possible de convaincre les acteurs - l’Etat, le Conseil Général, les Maires, les représentants des milieux économiques et le monde associatif - de se pencher sur le cas de « la Route François Mauriac » afin que chacun apporte sa contribution à la composition de la même partition. Faire en sorte que les participants soient aussi producteurs d’idées, faisant preuve d’imagination associée au discernement pour identifier les faits porteurs d’avenir. En effet « …la prospective régionale, locale ne doit pas être désincarnée, ne s’intéressant qu’aux grandes questions, elle doit se mettre à l’écoute de la société civile locale et des problèmes concrets qu’elle pose. Il s’agit en fait, de défricher des idées, d’instituer un véritable débat public, de construire un discours autonome, original, éloigné des conformismes ambiants et des idées reçues. La prospective, parce qu’elle fait appel à l’imaginaire et à l’intuition des acteurs impliqués, exige une totale liberté d’esprit : il ne doit y avoir ni arrière pensée politique, ni tabous, ni domaine réservé… »182.

181 L’exemple de Baurech est là pour étayer cette assertion. Un projet existe de transformation de l’ancienne gravière en base de loisirs, à quel prix ? et avec quelle rentabilité à terme ? 182 Sources : Prospective et territoire : avril 1993. P.15 D.A.T.A.R. - Ministère de l’aménagement du territoire et des reconversions.

130 La création d’un groupe de travail pour mettre en œuvre quelques mesures simples permettrait de réfléchir ensemble sur la mise en place, par exemple, d’une charte paysagère adoptée par les 17 communes. Cette charte pourrait être l’assise sur laquelle se baseraient les futurs P.L.U.(plans de localisation urbaine qui remplacent désormais les P.O.S) et être intégrée par les divers cabinets d’études qui actuellement travaillent sur certaines réhabilitations de centre-bourgs sans directives spatiales élargies. Cette charte comporterait certaines recommandations à respecter, portant sur la construction (couleurs des crépis, matériaux…183, sur les plantations à faire ou refaire ). Elle rappellerait le « volet paysage » que les élus ne font pratiquement jamais respecter lorsqu’ils accordent un permis de construire. En fait elle aurait aussi une valeur pédagogique, cette pédagogie étant véhiculée par une véritable information dispensée auprès des habitants afin qu’ils comprennent combien le projet de la Route François Mauriac est porteur de bénéfices pour leur qualité de vivre. La réflexion porterait : • sur les cheminements à prévoir pour vélos et piétons ( il est possible d’utiliser une partie des chemins de palus dont certains sont parallèles et à proximité de la Route François Mauriac), cheminements qui devraient aussi être systématiquement intégrés dans toutes nouvelles implantations de lotissements, de façon à ce que les enfants, par exemple, puissent se rendre seuls à l’école du village ou au terrain de foot sans risquer leur vie (ce qui explique que les parents passent leur temps à les accompagner avec en corollaire un accroissement du trafic automobile et une perte de temps !). • Sur les aménagements d’espaces de promenades, de pique–niques le long du fleuve, chaque fois que cela est possible. Ce fleuve sur lequel une attention particulière serait portée pour remettre en état des berges souvent délabrées qui pourraient en outre bénéficier, en certains lieux, d’un programme de revégétalisation comme il en existe un actuellement en cours sur la rive droite ( pour le moment à partir de Cadaujac et jusqu’à Portets ). • La multiplication des pontons pour accueillir les bateaux et permettre non seulement d’accoster mais aussi de se déplacer ensuite sur la terre ferme, en installant, par exemple, des points location vélos.

13.1 Mobilité, déplacements… La mobilité est la grande préoccupation de notre siècle, devenue en quelque sorte « …une exigence existentielle telle que son entrave est le signe d’un amoindrissement individuel mal supportable … » 184. Toutefois, si la Route François Mauriac doit retrouver sa place en tant que lien social, axe de liaison de lieux anciens issus d’une histoire185, il est indiscutable que le point prioritaire

183 Une charte de ce type a été mise en place dans la Vallée de Chevreuse il y a déjà plusieurs dizaines d’années, ce qui a permis de limiter les dégâts malgré la pression considérable du développement de la région Ile de France. 184. BALANDIER G. « La vitesse - Donner du temps au temps - les vies piétonnes. » p.61. Le Nouvel Observateur. no hors série. mars/avril 2001. 185. BALANDIER G « La vitesse –donner du temps au temps- les vies piétonnes. » « …nombre de lieux anciens, issus d’une histoire qui y porta ses inscriptions et y façonna les identités, s’effacent, se transforment, deviennent des sortes d’îles simplement préservées, afin de laisser la place aux flux de

131 à traiter, c’est bien celui de la mobilité et l’approche qui sera faite des transports en commun et des modes de déplacements alternatifs complémentaires mis à la disposition des habitants de cette partie de l’Entre-deux-Mers. Ce qui, bien entendu, oblige à prendre en considération l’espace situé au-delà de l’emprise de la route, cet espace péri-urbain en extension continuelle. Cet espace de l’Entre-deux-Mers en déficit majeur d’équipements structurants qui permettent de fixer une partie de la population près de leurs lieux d’habitation et évitent des déplacements multiples vers la ville-centre de Bordeaux. Le meilleur exemple, déjà mentionné, est l’absence de lycée d’enseignement général alors que le potentiel d’élèves existe ! 13.2 Les raisons d’espérer ? Elles viendront, peut être, de la reconnaissance accrue de l’importance des lieux historiques. L’Abbaye de la Sauve Majeure vient d’être classée Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’U.N.E.S.C.O., car située sur les Chemins de Saint Jacques de Compostelle. Il est possible d’espérer que dans son sillage, la D.20, l’ancien chemin emprunté par les pèlerins faisant halte au prieuré du Tourne, sera aussi reconsidérée autrement que comme une voie potentiellement à recalibrer, avec tout ce que recouvre ce terme pour les fonctionnalistes. A Cadillac, le Château des Ducs d’Epernon fait l’objet d’importants travaux de la part de l’Etat et est en train de devenir dans le même temps, un pôle culturel vivant.. Et à Saint Maixant, le Centre culturel de Malagar est en train de gagner son pari et de devenir un lieu incontournable d’animations culturelles littéraires, musicales, théâtrales. Autant de signes d’espérance, d’encouragement… cependant le risque est grand que La Route François Mauriac ne devienne un îlot alibi, vitrine pour la Gironde et plus particulièrement pour l’Entre-deux-Mers d’un développement durable dans un espace entièrement livré aux contraintes de la vitesse, de l’accélération, de la mobilité exigée par une mondialisation que rien n’arrête plus.

circulation toujours prioritaires. L’encombrement est d’ailleurs une des pathologies de notre société dont les activités sont régies par le mouvement… » p.63 . Le Nouvel Observateur. no hors série. mars/avril 2001.

132 Planche 17

illustration 39 Cabane de pêche avec son carrelet au Tourne. Mai 2001.

illustration 40 Maison dans le village médiéval classé de Rions. Mai 2001.

illustration 41 Créac de 80 kg pêché à Cambes par Gaëtan dans les années 1950. Sources : Chroniques de Cambes de 1950 à 1965. MORERE M. F. p. 15.

illustration 42 Anciennes maisons de pêcheurs sur les bords de l’estey de Langoiran. Hiver 2000.

133 14 EPILOGUE.

Nous voilà parvenus au terme d’un long périple dans le temps et dans l’espace, au cœur même de ce qui fait l’écologie humaine. Aller aux sources des origines de ce microcosme, aujourd’hui parcouru par la Route François Mauriac et depuis des millénaires toujours irrigué par son fleuve la Garonne, c’est aussi comprendre pourquoi et comment l’homme a utilisé, influé, manipulé, enrichi et hélas détruit aussi cet environnement. Nous avons découvert que depuis les premiers hommes en transhumance et jusqu’à nos jours, il y a toujours eu interdépendance entre eux et leur environnement, non seulement proche mais aussi avec les autres régions du monde ; interdépendance avec une organisation systémique qui fait que lorsque l’on modifie un élément si minime soit-il, les conséquences peuvent en être irrémédiables ( la quasi disparition de l’esturgeon en est un exemple). La configuration géologique, géographique et la présence d’un fleuve largement ouvert sur l’Atlantique ont conditionné dés avant le Vème siècle avant J.C. son destin économique. Une économie qui a toujours été l’enjeu de tous les pouvoirs : religieux, féodaux, régaliens, et plus tard politiques et technocratiques. Une économie qui a d’abord généré un ordonnancement des paysages, une culture, un art de vivre et une aura internationalement reconnue pendant des siècles. A partir de son fleuve si largement ouvert sur des horizons atlantiques, donc sur le monde, les hommes de ces rives ont participé à la richesse de ce « pays si aimable », faisant vivre par là même tout le petit peuple riverain et de l’arrière pays. Avec le XIXème siècle, le temps et l’espace ont commencé à prendre d’autres dimensions en raison d’exigence de mobilité toujours plus grande, toujours plus vite pour les hommes et les marchandises. Le temps a paru se rétrécir alors que l’espace à conquérir semble devoir être toujours plus vaste ! Cela n’a pu être possible qu’avec l’avènement d’une société technicienne fonctionnaliste, générant de plus en plus « d ‘outils » au service de l’homme mais qui peu à peu finissent par l’asservir, car ils ne lui laissent plus le temps d’être lui-même, si occupé qu’il est à produire et à consommer. Ce dernier siècle aura vu naître plus de bouleversements écologiques et sociétaux que pendant les dix siècles précédents car cette société de techno-science, si elle est capable du meilleur, porte en elle les germes du pire dont le mépris avec en corollaire la brutalité. Le mépris se traduit par la négation de la place non seulement de l’Homme mais aussi de la biodiversité dans leur environnement. La brutalité est justifiée par l’efficacité sans cesse accrue des « outils » de tous ordres créés par la techno-science et par la globalisation d’un monde régi par la finance et le profit à tout prix. En raison de cette logique économico- financière alliée à la puissance de la technique une catégorie d’individus - politiques, technocrates, financiers - s’arroge le droit de se comporter en démiurge et de décider du bonheur de chacun. Qu’importe si celui-ci passe par une destruction insidieuse, institutionnalisée de tout ce qui fait justement la richesse de l’Homme, sa capacité de mémorisation, la conscience qu’il a de n’être qu’un maillon d’une longue chaîne et qu’à ce

134 titre il est de son devoir de transmettre aux générations suivantes le patrimoine qui lui a été légué par ses ancêtres. Cette mondialisation abhorre ce qui est local, petit, atypique, car, n’en déplaise aux Maîtres du monde, c’est souvent là qu’il y a les ferments de la contestation et la réflexion sur d’autres approches sociétales que celles qui sont imposées par les multinationales. La Route François Mauriac participe bien de ce type de réflexion. N’est-elle pas au centre d’un environnement toujours aussi riche de promesses et de potentialités de développement économique pour les hommes qui y vivent ? Hier la route départementale 10 a eu raison de la Garonne, mais le fleuve abandonné continue à participer à la beauté ambiante, essayant de combler ses cicatrices de flux en reflux ; le mascaret éternel enchante toujours ceux qui viennent l’admirer. Demain, dans un cybermonde qui s’installe, la Route François Mauriac sera peut être une nouvelle chance pour devenir un vecteur permanent entre la population et le milieu environnant. Rêve, utopie … ou bien réalité qui fera qu’elle pourra aussi se réconcilier - enfin - avec son alter ego La Garonne, avec son histoire, avec sa culture, bref avec tout ce qui fait son identité dont l’un des points d’orgue est Malagar, à Saint Maixant, au bout de « la jolie route » si aimée de François Mauriac.

135 15 BIBLIOGRAPHIE.

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138 16 SOURCES.

• A.D.33 SP.1838 – 142. A.D.33.335P.1842 – Plans et Profils A.D.33.335P.1842 A.D.33 SP 517 – 5 Reconstruction du Pont de Cadillac (1875-1881) - A.D 33 S P 519 – 12 Pont suspendu de Langoiran,service maritime 1866 – 1880. A.D.33 S.P 1169 – 8 - A .D SP 2577 A.D. 33 S P 2793 - A.D.33 S.P2238. :A.D.33 S.P 2266- 50 A.D 33 S P 2267 – 51 et 52 - A.D.33 S P 2577. A.D.33 - S.P 2794.2. • Compte rendu de séance du conseil municipal de Baurech du 19.07.1952. Compte rendu de séance du conseil municipal de Baurech du 5.02.1956. • Mauriac Malagar. Editions Confluences.. • Enquête préalable à la déclaration d’utilité publique des travaux de déviation de la R D 10 entre Latresne et Quinsac et mise en compatibilité du POS des communes de Latresne, Quinsac et Camblanes et Meynac sur le trajet.. Commissaire enquêteur :Villain.

• Extrait de la séance du 5 septembre 1876 du Conseil Général de la Gironde – Chemin de fer de La Tresne à Saint - Macaire . Mr Ferbos, rapporteur - commission des routes.

• Illustration économique et financière « La Gironde et les grands vins de Bordeaux » Numéro spécial Illustration du 2.10.1924. • Prospective et territoire avril 1993. D.A.T.A.R. - Ministère de l’aménagement du territoire et des reconversions. • Renaissance des Cités de France. Les nuits de patrimoine du 14 septembre 1996. Fiche « Le Chantier Tramasset ». BARIOU C. • Révision du schéma Directeur de l’aire métropolitaine bordelaise :.Rapport de présentation. SY-SDAU. – A’URBA. S.D.A.U. Rapport final du schéma Directeur de l’aire bordelaise .SY-SDAU.- A’URBA. • SAG/Documentation D.D.E la Gironde- Repères chronologiques : Institutions et grandes réformes de l’urbanisme et de la voirie. Histoire du Ministère de l’Equipement disponible sur internet : www.equipement.gouv.fr/ministere/histoire . • Service documentation D.D.E Gironde « Les siècles d’histoire du Ministère de l’Equipement du XVIème au XIXème siècle » du 7.05.1999.

139 17 ANNEXE

LA ROUTE DES ECRIVAINS et DES ARTISTES.

Il y eut François Mauriac (1885-1970), le plus célèbre, Prix Nobel de littérature en 1952 ; il a laissé une œuvre immense qui est toujours d’actualité et marqué à jamais de sa présence Malagar au bout de la Route François Mauriac. Son célèbre roman Thérèse Desqueyroux est en fait l’histoire de Henriette Canaby, née Sabourin à Cambes où elle vécut jeune fille et où elle passa les dernières années de sa vie. Ses restes reposent dans le vieux cimetière de Cambes.

Mais tout le long de cette route, d’autres écrivains, un peu oubliés de nos jours, ont vécu dans ces villages riverains, également inspirés par la beauté des lieux, le fleuve, la vie locale. A Langoiran : Arnaud BERQUIN (1747-1791). Celui-ci était né sans doute à Bordeaux en 1747, mais sa famille possédant « une campagne » dans ce village, il y vint sans doute souvent dans sa jeunesse. On pense qu’ il est monté à Paris dans les années 177-1772. Il fut le précepteur des enfants de CH.J. PANCKOUCKE, célèbre imprimeur-libraire. Il travailla au Moniteur Universel et fut proposé pour être le précepteur du Dauphin. En 1775, il publie « Idylles et Romances », puis il écrit « L’ami des enfants » que l’Académie Française couronne, suivi de « Lectures pour les Enfants » - « L’Ami de l’Adolescence » - « Introduction familière à la connaissance de la nature ».

A Baurech : L’Abbé FERRAND (18491907) Né à Saint Pierre – de – Mons le 20 avril 1849, il est mort à Baurech le 4 février 1907. Ordonné prêtre en 1873, il fut professeur au Petit séminaire de Bordeaux. Curé de Baurech de 1883 à 1907. Poète gascon il a écrit « La Rabacossade « (Rabagos, était le surnom donné à Gambetta par Victorien Sardou) Pierre - Louis Berthaud dans sa « Littérature gasconne du Bordelais s » affirme : « … c’est l’œuvre la plus marquante, la plus puissante et la plus intéressante de toute la littérature gasconne du Bordelais pendant la seconde moitié du XIXème siècle… », ainsi que de nombreux poèmes et notamment « Autour de mon clocher » Il fut membre de l’Acédémie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Bordeaux.

A Latresne : Jean BALDE (1885-1938) Née à Bordeaux, de son vrai nom Jeanne ALLEMAN, elle était issue d’un milieu de négociants et sa famille possédait à Latresne le domaine du Casin. En 1908, elle publie son premier recueil de poèmes « Amer d’artistes » et ensuite l’ensemble des son œuvre : « Mausolées » - « Les liens » - « La vigne et la Maison » qui

140 lui vaut le prix Femina - « La survivante » - « Le Goêland » - « Reine d’Arbieux » Grand prix du roman de l’Académie Française - « L’arêne brûlante » - La Maison au bord du fleuve » « Les rogations »- « La maison Marbuzet » - « Le pylone et la maison » pour défendre son cher Casin ! Elle écrivit également plusieurs biographies, fut une amie de François Mauriac, Lamande, Lafon… Morte à Latresne elle est enterrée dans le cimetière de la commune.

A Quinsac : André BERRY (1902-1986). Né à Bordeaux le ler Août 1902, il fut baptisé à Quinsac le 28 juin 1903. Il est connu pour son œuvre majeure « Les Esprits de Garonne » - Geste champêtre, tout en vers, commencé en 1929 termine en 1941, édité en novembre 1941 par Julliard. Ces autres œuvres sont : « Le rappel d’Enfance » - « Chantefable de Murielle et d’Alain »- « Les Amants de Quinsac » (roman des Esprits de Garonne).- « La course entre deux ports » ainsi que de nombreux poèmes, sans oublier les biographies : de Ronsard, Pey de Garros poète Gascon et une anthologie de la poésie occitane. Il a été enterré dans le vieux cimetière de Quinsac. Sa maison d’enfance « Piveteau » est située sur la Route François Mauriac, proche de la coopérative de Quinsac.

A Tabanac : Pierre LUCCIN (1909-2001). Grand voyageur, il fut connu pour son roman « La Taupe » qui fut adapté à la télévision, et pour son roman « Le marin en smoking ». Il a fini ses jours sur le coteau à Tabanac où il vivait dans une petite propriété viticole. Il est mort le 3 janvier 2001.

Il y a eu aussi des artistes dont les plus célèbres sont : A Quinsac : Rosa BONHEUR (1822 – 1899). Elle était née à Bordeaux, mais très tôt est venue à Quinsac où le père « adoptif » de sa mère avait une propriété le Château de Grimmont. Devenue peintre animalier, Rosa Bonheur connut une grande notoriété au XIXème siècle. Son chef d’œuvre fut le célèbre tableau « Marché aux chevaux », actuellement au Métropolitan Museum of Art de New York (le musée de Bordeaux n’ayant pas voulu l’acquérir en 1853). Un autre tableau célèbre « Labourage nivernais » est lui au Musée d’Orsay à Paris. Elle fut la première femme peintre décorée par l’Impératrice Eugènie de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Sa statue, œuvre de Gaston Leroux-Veneuvot, est au Jardin Public de Bordeaux.

141 A Cambes : Robert CAUMONT (1881 – 1966). C’était un dessinateur et un graveur de grand talent. La plupart de ses œuvres sont au Cabinet des dessins du Musée des beaux Arts de Bordeaux et au Musée Victor Hugo de Paris. Mais il a écrit également un très long poème en vers « Les Grelots – ou Impuissance du Verbe » qui ne fut pas édité mais est conservé aux Archives Municipales de Bordeaux. A Verdelais : Henri de TOULOUSE LAUTREC (1864-1901). Né à Albi, il a vécu une partie de son enfance au Château de Malromé qui appartenait à sa mère, à Saint-André-du-Bois (33). Peintre et lithographe Française, il est célèbre pour ses tableaux représentant la vie parisienne de son époque. Il est enterré dans le caveau familial avec sa mère, dans le petit cimetière de Verdelais.

142 18 TABLE DES ILLUSTRATIONS illustration 1 Ligne de coteaux à Langoiran ______13 illustration 2 Méandres de la Garonne vus du coteau de Langoiran ______13 illustration 3 Faluns à Saint Croix du Mont ______13 illustration 4 Vignes dans les palus en hiver______26 illustration 5 Atelier de tonnellerie Demptos à Cambes en 1914. Sources : « Vues de Cambes » Ass. Agato. 1986 ______26 illustration 6 Vue générale de la Grande Sauve du chemin de Blézignac. Album de la Grande Sauve (1851). Eau forte n° 315 de Léo Drouyn. Léo Drouyn. Les albums de dessins de l’Entre-deux-Mers de Lormont à la Sauve Majeure. Vol. 4 p. 138. Editions du CLEM. Camiac Saint Denis. ______35 illustration 7 L’abbaye vue des vignes. 2000. ______35 illustration 8 Extrait de La Tapisserie d’Anor d’André Berry. Bois de Pierre Jean Mathan, aquarelle de Jacques Fabrège. Edition Aux dépens d’un amateur. 1969. ______45 illustration 9 Château de Langoiran. XIIIème siècle. Mai 2001. ______49 illustration 10 Château de Cadillac. Mai 2001. ______49 illustration 11 et illustration 12 Système de vannes et de canaux d’irrigation. Février 2001.______54 illustration 13 Palus de Rions, polyculture. Mai 2001.______54 illustration 14 Malagar. Demeure de François Mauriac. Saint Maixant. Septembre 2000. ______57 illustration 15 Maison noble à Esconac. Février 2000. ______57 illustration 16 Petit Bourdieu, Le Tourne. Mai 2001. ______57 illustration 17 Débarquement des excursionnistes à Langoiran. ______64 illustration 18 Bateau à vapeur à cheminée basculante passant sous le pont de Langoiran, vers 1850.____ 64 illustration 23 Mur de soutènement du cimetière. Cambes. Juin 2001. ______78 illustration 24 Escalier bourg de Langoiran. Juin 2001. ______78 illustration 25 Effondrement du mur du château Champcenent à Baurech à la suite des pluies diluviennes du printemps 2001. ______78 illustration 26 Pont de Cadillac, 1881. Mai 2001. ______85 illustration 29 Pont de Langoiran 1881, pont métallique de Five Lille. Mai 2001. ______85 illustration 31 Inondation de la D10 dans le bourg de Langoiran, crue de décembre 1981. Photo R et M. Schenegg ______99 illustration 32 Echelle de crues, Porte de la mer. Cadillac. 2001. ______99 illustration 33 Château de Pressac à Baurech en 1858. ______104 illustration 34 Château de Pressac, état actuel. Août 2001. ______104 illustration 36 Mobilier urbain et panneau d’affichage à Lestiac sur Garonne en bordure de D10. Mai 2001. ______114 illustration 38 Extrait de la carte des orientations stratégiques, réseau d’infrastructures routières. Les portions jaunes sont à améliorer ou élargir (mise à 2x3 ou 2x4 voies, mise aux normes autoroutières), les portions rouges, voies à caractéristiques autoroutières à créer. La zone hachurée est un franchissement possible amon et aval. Sources : SY-SDAU.- A’URBA. – 09/02/2001. ______128 illustration 41 Créac de 80 kg pêché à Cambes par Gaëtan dans les années 1950. Sources : Chroniques de Cambes de 1950 à 1965. MORERE M. F. p. 15.______133

143 19 TABLE DES FIGURES

Figure 1 carte routière et administrative 33 .I G N ______8 Figure 2 Carte morphologique de la Gironde .Source Carte archéologique de la Gaule . La Gironde 33 .SION.H. Introduction. ______11 Figure 3 Le peuplement magdalénien des basses vallées de la Dordogne et de la Garonne. Sources : Entre- deux-Mers à la recherche de son identité. Actes du ler colloque tenu à Branne les 19-20 septembre 1987 p.11 ______16 Figure 4 L'Etat des découvertes de l'âge du bronze en Gironde en 1992. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde 33 H.Sion ______20 Figure 5 L'état des découvertes gallo-romaines en Gironde en 1992. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde33 H.SION p.53. ______22 Figure 6 Les peuples du Sud Ouest de la Gaule du temps de César. Sources : Carte Archéologique de la Gaule. La Gironde 33. H.Sion______25 Figure 7 Les routes romaines. Sources : Carte archéologique de la Gaule. La Gironde 33. SIONH.p.65 __ 28 Figure 8. Aperçu du réseau routier de l'Entre-deux-Mers bordelais du Haut Moyen âge. Sources : L'Entre- deux-Mers à la recherche de sonidentité. ème colloque tenu à La Sauve Majeure . septembre 1996.p 46 . _ 33 Figure 9 Les mouvements migratoires à longue distance en direction de la Sauve Majeure d'après les noms d'origine de ses habitants (fin du XIIème siècle). Sources : L'Entre-deux-Mers à la recherche de son identité. 5ème colloque tenu à La Sauve Majeure .sept.96. ______36 Figure 10 Les chemins de Saint Jacques de Compostelle. Sources : Atlas historique des routes de France. Presse Ponts et Chaussées. ______38 Figure 11 Les établissements prieurés de l’Entre-deux-Mers bordelais au Moyen Age. Sources : L’Entre- deux-Mers à la recherche de son identité. 5ème colloque. Septembre 1996. p. 175. ______41 Figure 12 Les paroisses au Moyen Age d'après le plan de Bordeaux vers 1450 (A.M.de Bordeaux 1874) _ 48 Figure 13 Le réseau routier et ses transformations. 1780-1850______69 Figure 14 Extrait du plan de la traversée de Lestiac sur Garonne. Sources : AD 33 ______75 Figure 15 Plan de la traverse du tramway dans le virage de Langoiran. Sources AD 33 ______96 Figure 16 Projet de déviation de la D10 à Beguey. DDE 33.______116 Figure 17 Le projet de cette déviation traverse en plein le champ d'expansion des crues de la Garonne. Sources : DDE 33. ______117

144

Table des matières

1 LE TEMPS GEOLOGIQUE. 10 1.1 Il y a 75 millions d’années… 10

2 LE TEMPS PREHISTORIQUE 14

3 AU DEUXIÈME MILLÉNAIRE AVANT J.C… 16

4 LE TEMPS GALLO ROMAIN. 21 4.1 Le vin : une longue maturation de 1000 ans. 24 4.2 Les voies de communication d’alors… 28

5 LE TEMPS DES MOINES. 30 5.1 Gérard de Corbie 32 5.2 L’Abbaye de la Sauve Majeure. 34 5.3 Les pèlerins. 37 5.4 L’économie en marche par la grâce de Dieu. 39 5.5 Grandeur et décadence de l’abbaye. 41

6 LE TEMPS DES SEIGNEURS… 44 6.1 Cherchez la femme. 44 6.2 La guerre de Cent ans. 46 6.3 Un siècle plus tard… 48 6.4 Le dernier des grands féodaux. 50

7 DE LA VILLE AUX CHAMPS ! 52 7.1 Malagar. 56

8 LES TEMPS MODERNES. 61 8.1 Du XIXème au XXIème siècles. 61 8.2 Une fausse bonne idée : le canal latéral ! 62 8.3 Les Chantiers Tramasset. 65

9 TOUT L’ART DES ROUTES. 67

145

10 L’AVENEMENT DE LA ROUTE…. 73 10.1 Suivez la ligne rouge… 74 10.2 Le franchissement des esteys. 81 10.3 Les ponts en question. 82 10.4 Le port de Langoiran . 88 10.5 Un train sur la route. 89 10.6 Bonjour le tramway. 93 10.7 Les crues de la Garonne. 98 10.8 Le service public. 100 10.9 La suprématie du bus . 100

11 LES GRANDES MUTATIONS. 105 11.1 La fée électricité. 106

12 LE TEMPS DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE. 108 12.1 Le premier S .D .A .U. entre en scène… 110 12.2 Banlieusards, rurbains, ou néo-ruraux ? c’est selon . 112 12.3 La boîte de Pandore. 115 12.4 La route François Mauriac, une utopie ? 119 12.5 Le S.D.A.U. nouveau est arrivé ! 122

13 ET DEMAIN, LA ROUTE FRANÇOIS MAURIAC ? 129 13.1 Mobilité, déplacements… 131 13.2 Les raisons d’espérer ? 132

14 EPILOGUE. 134

15 BIBLIOGRAPHIE. 136

16 SOURCES. 139

17 ANNEXE 140

18 TABLE DES ILLUSTRATIONS 143

19 TABLE DES FIGURES 144

146