École des Hautes Études en Sciences Sociales

École doctorale de l’EHESS

Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain

Doctorat

Discipline : Sociologie

KOUTS AURITE

Silence on tourne ! Incidences des interactions entre acteurs dans le cadre d’un processus créatif

Thèse dirigée par : Daniel Friedmann

Date de soutenance : le 29 mars 2019

Rapporteurs 1 M. Ouzi Elyada, Université de Haïfa 2 Mme Joyce Sebag, Université d’Évry

Jury 1 M. Stéphane Breton, École des Hautes Études en Sciences Sociales 2 M. Jean-Luc Nahel, Université de Rouen 3 M. François Sarfati, Université d’Évry

1

REMERCIEMENTS

Cette thèse est le fruit de longues années de recherche, de remises en question et de découvertes toujours portées par l’amour du cinéma.

Mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, Daniel Friedmann, pour sa très grande patience, sa disponibilité et ses encouragements tout au long de cette aventure longue et sinueuse.

Je remercie également les rapporteurs et les membres du jury : Mme Joyce Sebag, M. Ouzi Elyada, Messieurs Stéphane Breton, Jean-Luc Nahel et François Sarfati d’avoir accepté de la lire.

Je remercie infiniment Avi Nesher, qui, en plus d’être un réalisateur talentueux, s’est révélé être un homme admirable qui m’a accueillie chaleureusement sur son tournage et s’est rendu disponible pour répondre à toutes mes questions.

Mes remerciements vont à David Silber, producteur du film et à son équipe qui m’ont facilité le travail sur le terrain.

Je remercie toute l’équipe de tournage et les personnes interviewées, les figurants, techniciens, acteurs, qui ont accepté ma présence sur le plateau et se sont rendus disponibles pour me raconter leurs parcours.

Je remercie Dudi Dorham, Dudi Shamir de l’agence Take 2, Jonathan Mesiguish et Mahmoud Salama qui m’ont fait découvrir le monde fascinant de la figuration en Israël.

Enfin, je remercie mes parents, mon père Gideon, premier docteur de la famille, ma mère Yaffa et mon frère Ari, pour leur soutien indéfectible pendant cette période.

2

R É S U M É E T MOTS - C L É S

Résumé

Silence on tourne ! Incidences des interactions entre acteurs dans le cadre d’un processus créatif. La présente thèse se propose d’étudier les ressorts d’un tournage d’un long-métrage de fiction sous l’angle des interactions de ses participants dans un contexte particulier : celui du cinéma israélien. Ma thèse s’inscrit dans la continuité des travaux des sociologues de l’école interactionniste au sens large tels que Howard S. Becker ou Erving Goffman Elle se fonde sur une enquête de terrain de plusieurs mois en observation participante d’un tournage d’un long- métrage de fiction israélien contemporain tourné majoritairement à Jérusalem et une trentaine d’entretiens qui apportent un éclairage inédit sur la manière de faire des films dans le pays. Le tournage est une étape d’action collective intense où différents agents interagissent ensemble dans un processus de création. Il est donc le centre d’interactions sociales riches et particulières dont l’analyse permet de mettre au jour leur influence sur la fabrication du film. La thèse montre également les spécificités d’un tournage d’un long-métrage de fiction dans une ville, Jérusalem, où la religion et le contexte géopolitique altèrent l’organisation codifiée du plateau.

Mots-clés

Sociologie, Ethnographie, Observation participante, Cinéma, Israël, Tournage, Interactions, Film, Judaïsme, Religion, Jérusalem

3

ABSTRACT AND KEYWORDS

Abstract

Silence and action ! Impacts of actors’ interactions in the context of a creative process. This thesis studies the knots and bolts of the filming of a feature film through the interactions of the people working on the set in the particular context of israeli cinema. My thesis follows the works of sociologists of the broader interactionist school of thought such as Howard Becker or Erving Goffman. The thesis is based on several months of fieldwork as a participant observer on the film set of a contemporary israeli feature film filmed mostly in Jerusalem and thirty interviews which bring an unprecedented overview of the way films are being made in the country. Principal photography is the place of intense collective action where different agents interact together in a creative process. Thus, the film set is at the centre of rich and particular social interactions. By analysing those interactions, one can uncover their influence on the making of the film. The thesis also demonstrates the peculiarites of filming a feature film in a city, Jerusalem, where religion and the geopolitical context affect the codified organisation of the film set.

Keywords

Sociology, Ethnography, Participant observation, Cinema, , Principal photography, Interactions, Film, Judaism, Religion, Jerusalem

4

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS ...... 2 RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS ...... 3 ABSTRACT AND KEYWORDS ...... 4 TABLE DES MATIÈRES ...... 5 INTRODUCTION GÉNÉRALE ...... 10 PLAN DE LA THÈSE ...... 14 CHAPITRE 1 : MÉTHODOLOGIE & PRÉSENTATION DU TERRAIN ...... 16 INTRODUCTION AU CHÂPITRE 1 ...... 16 I — MÉTHODOLOGIE CHOISIE ...... 17 1. PERTINENCE D’UNE APPROCHE ETHNOGRAPHIQUE POUR ETUDIER LE TOURNAGE D’UN FILM ...... 17 2. OBSERVATION PARTICIPANTE ET ETHNOGRAPHIE ...... 21 3. CAMERA ET ETHNOGRAPHIE ...... 23 4. ENTRETIENS ...... 27 5. RECUEIL ET ANALYSE DES DONNEES...... 28 II — PLAOT : LE RÉALISATEUR, LE FILM ET LE TOURNAGE ...... 36 1. AVI NESHER : PARCOURS D’UN CINEASTE ISRAELIEN ...... 36 2. PETITE CHRONOLOGIE DE LA FABRICATION DU FILM PLAOT ...... 38 3. ENTREE SUR LE TERRAIN ...... 39 a ) Décembre 2011 ...... 39 b ) Janvier 2012 ...... 39 c ) Février 2012 ...... 40 d ) Mars 2012 ...... 40 e ) 1er jour de tournage : 25 mars 2012 ...... 40 CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ...... 42 CHAPÎTRE 2 CROYANCE, RELIGION ET CINÉMA EN TERRE PROMISE ...... 43 INTRODUCTION DU CHAPITRE 2 ...... 43 I — LE RETOUR DE LA RELIGION DANS LE CINÉMA ISRAÉLIEN ...... 43 1. LE RETOUR DE LA THEMATIQUE RELIGIEUSE AU CINEMA ...... 44 2. DES INSTITUTIONS QUI ENCOURAGENT CETTE THEMATIQUE ...... 46 a ) Des fonds pour mettre en avant la culture juive ...... 46 b ) Ma’aleh: une école qui allie cinéma et Thora ...... 48 II — LA RELIGION AU CŒUR DU FILM ET DE SON TOURNAGE ...... 50 1. ART ET CROYANCE ...... 50 2. RELIGION ET MATERIALISME ...... 52 3. EXPLIQUER LE RETOUR DU RELIGIEUX ...... 54 4. CINEMA ET RELIGION SUR LE PLATEAU ...... 57 CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ...... 59 CHAPÎTRE 3: CRÉER/ORGANISER ...... 60

5

INTRODUCTION DU CHAPITRE 3 ...... 60 I — CRÉER ...... 61 1. L’ARTISTE ET LES MONDES DE L’ART ...... 62 2. LA MULTIPLICITE DE L’ŒUVRE ...... 63 3. LE PROCESSUS DE CREATION ...... 64 4. ARGENT ET CREATION ...... 66 II — TOURNAGE ET ORGANISATION ...... 69 1. LE PLATEAU DE PLAOT, LIEU DE TENSIONS ...... 69 2. ROUTINE ET CREATION ...... 71 3. LES ROUTINES COMME OUTILS DE COORDINATION ...... 73 4. L’ART DE LA ROUTINE ...... 75 5. CONVENTIONS ET MONDES DE L’ART ...... 76 6. CULTURE ET ETIQUETTE ...... 77 7. AVI NESHER ENTRE « FRANC-TIREUR » ET « PROFESSIONNEL INTEGRE » ...... 78 III — TOURNAGE ET IMPROVISATION ...... 82 1. CREATION COLLECTIVE ET CREATIVITE DISTRIBUEE ...... 82 2. IMPROVISATION ET CINEMA ...... 82 3. L’IMPROVISATION ORGANISATIONNELLE : ENTRE REPERTOIRE ET BRICOLAGE ...... 83 4. LA METAPHORE DU JAZZ ...... 85 IV — TOURNAGE ET CRÉATION ...... 89 1. DE LA CREATION SUR LE PLATEAU ...... 89 2. LE « ROLE-COLLE » SUR LE TOURNAGE ...... 90 Le « plan de travail » ...... 91 3. IMPACT DES CONTRAINTES SUR LA CREATION : DIFFICULTES OU OPPORTUNITES ? ...... 93 4. CREATIVITE ET INTERACTIONS ...... 95 CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ...... 97 CHAPITRE 4 INTÉRACTIONS, RÔLES ET CARRIÈRES SUR LE PLATEAU ...... 98 INTRODUCTION DU CHAPITRE 4 ...... 98 I — TRAVAILLER ENSEMBLE SUR LE PLATEAU ...... 100 1. CONFIANCE ET COLLABORATION ...... 100 2 ASSOCIES A LA CREATION ...... 104 II — LE RÉALISATEUR SUR LE TOURNAGE ...... 107 1. REALISATEUR VU COMME « UN ROLE » PLUTOT QU’UN STATUT ...... 107 2. L’AUTEUR REALISATEUR COMME UNE « AUTORITE DOUCE » ...... 108 Le film est un « enfant »...... 111 3. UN TRAVAIL COLLABORATIF ENCADRE PAR LE REALISATEUR ...... 112 4. LE REALISATEUR CONSIDERE COMME L’AUTEUR DU FILM...... 113 5. LE CINEMA D’AUTEUR COMME « IDEOLOGIE PROFESSIONNELLE » ...... 114 6. UN REALISATEUR IMPLIQUE...... 116 III — HIÉRARCHIE ET ORGANISATION DU PLATEAU ...... 120 1. LA DIVISION DU TRAVAIL DANS LE CINEMA ...... 120 2. HIERARCHIE SUR LE TOURNAGE ET SPECIALISATION DES ROLES ...... 123 3. ACCUMULATION DES ROLES ...... 125 IV — TOURNAGE ET QUALITÉ DES INTERACTIONS ...... 129 1. LE TOURNAGE : UNE ORGANISATION TEMPORAIRE ...... 129 2. REPUTATION ET QUALITE DES INTERACTIONS ...... 131 3. CONFLITS SUR LE PLATEAU...... 133 4. STRATEGIES POUR DEJOUER LES TENSIONS SUR LE TOURNAGE : HUMOUR, COMPLIMENTS ET REMONTRANCES ...... 134

6

V — IMPLICATION SUR LE TOURNAGE ...... 138 1. INCERTITUDE ET MOTIVATION ...... 139 2. RESSORTS DE L’IMPLICATION ET DE L’ENGAGEMENT SUR LE TOURNAGE...... 141 Extra mile ...... 142 3. IMPLICATION ET SACRIFICE...... 145 4. DES MOTIVATIONS DIVERSES POUR S’IMPLIQUER SUR UN TOURNAGE ...... 146 5. DE L’IMPLICATION FORTE A L’ADDICTION ...... 148 VI — CARRIÈRES, RÉSEAUX ET RÔLES ...... 149 1. LES APPARIEMENTS SELECTIFS ...... 149 2. L’IMPORTANCE DU RÉSEAU : « YOU’RE NEVER AS GOOD AS YOUR LAST JOB » ...... 150 3. LE PROCESSUS DE RECRUTEMENT SUR PLAOT, LE CAS DE HANNAH, LA COORDINATRICE DE PRODUCTION 152 4. UN APPRENTISSAGE SUR LE TERRAIN ET PAR LES ROLES ET LES CONVENTIONS ...... 155 5. UN TRAVAIL PAR PROJET : INTENSE ET INSTABLE ...... 156 6. DES TRAVAILLEURS TRES PEU PROTEGES ...... 157 7. IMAGE DE LA CARRIERE POUR SOI ET POUR LES PROCHES ...... 158 CONCLUSION DU CHAPITRE 4 ...... 160 CHAPÎTRE 5: LE TOURNAGE, UN MONDE EN SOI ...... 162 INTRODUCTION DU CHAPITRE 5 ...... 162 I — RÉALITÉ ET TOURNAGE ...... 163 1. LES NOTIONS DE CADRES, TRANSFORMATION MODALISATION ET FABRICATION ...... 163 2. LES CADRES SUR LE TOURNAGE DE PLAOT ...... 164 3. USAGE DE LA REALITE PAR LA FICTION ...... 165 4. POROSITE ENTRE LE TOURNAGE ET L’EXTERIEUR ...... 166 II — LE TOURNAGE, UNE INSTITUTION TOTALE ALLÉGÉE ET TEMPORAIRE ...... 169 1. LE TOURNAGE, INSTITUTION TOTALE TEMPORAIRE ...... 169 2. LE TOURNAGE COUPE TEMPORAIREMENT DU MONDE EXTERIEUR ...... 170 3. INTERDEPENDANCE DES ACTIVITES SUR UN TOURNAGE ...... 171 4. VISIBILITE ET CONTROLE DES ACTIVITES ...... 172 5. LA TYRANNIE DU TEMPS ...... 174 6. LA COMPARAISON AVEC L’ARMEE ...... 176 7. LES « ADAPTATIONS PRIMAIRES » ET LES « ADAPTATIONS SECONDAIRES »...... 177 III — TOURNAGE ET SOCIÉTÉ ...... 179 1. UNE MANIERE ISRAELIENNE DE FAIRE DES FILMS ...... 179 Impact des fêtes religieuses et du judaïsme ...... 181 2. REFLETS DE LA SOCIETE ISRAELIENNE ...... 182 3. SIMILITUDES AVEC LES KIBBOUTZIM ...... 183 CONCLUSION DU CHAPITRE 5 ...... 185 CHAPÎTRE 6 TOURNAGE ET AUTHENTICITÉ ...... 187 INTRODUCTION DU CHAPITRE 6 ...... 187 I — RESSORTS DE L’AUTHENTICITÉ SUR LE TOURNAGE ...... 188 II — TOURNER À JÉRUSALEM ET DANS DES ZONES SENSIBLES ...... 191 1. LE ROLE DE LA JERUSALEM FILM FUND...... 191 2. JERUSALEM EST UNE FRONTIERE ...... 192 3. LES DIFFICULTES SPECIFIQUES D’UN TOURNAGE A JERUSALEM ...... 194 4. TOURNAGE DANS DES ZONES SENSIBLES : LES QUARTIERS ULTRA-ORTHODOXES ...... 196 5. TOURNAGE DANS DES ZONES SENSIBLES : JERUSALEM-EST ...... 198 6. TOURNAGE DANS DES ZONES SENSIBLES : TEKOA ...... 201 III — AUTHENTICITÉ DES DÉCORS ...... 204

7

1. DECORS REELS ET RECONSTRUITS ...... 204 2. ARBITRAGE ENTRE CONTRAINTES ET TOURNAGE EN DECORS REELS ...... 205 IV — AUTHENTICITÉ DES FIGURANTS ...... 207 1. VRAISEMBLANCE ET REALISME DES FIGURANTS ...... 208 2. AUTHENTICITE ET RECRUTEMENT DES FIGURANTS ...... 210 3. DES FIGURANTS SINGULIERS : LES « HAREDIM » ET LES « ARABES » ...... 213 4. DES RECRUTEURS DEDIES ...... 214 5. LA REVENDICATION DU STIGMATE COMME ATOUT ...... 216 6. DES CADRES « FABRIQUES » POUR JUSTIFIER LA FIGURATION DES ULTRA-ORTHODOXES ...... 218 7. EFFETS DES FIGURANTS AUTHENTIQUES SUR LE TOURNAGE ...... 219 8. CONTRAINTES ECONOMIQUES ET IMPREVISIBILITE DES FIGURANTS ...... 220 a ) Contraintes économiques ...... 220 b ) L’imprévisibilité des figurants sur Plaot ...... 221 9. DES MOTIVATIONS HOMOGENES PARMI TOUS LES FIGURANTS ...... 223 CONCLUSION DU CHAPITRE 6 ...... 224 CONCLUSION GÉNÉRALE ...... 225 I — ACQUIS DE LA THÈSE ...... 225 1. MONDIALISATION DU CONCEPT DE CINEMA D’AUTEUR ...... 225 2. SPECIFICITES D’UN TOURNAGE ISRAELIEN ...... 226 3. LES FIGURANTS : REFLETS DES TENSIONS DE LA SOCIETE ISRAELIENNE ...... 227 4. IMPACT DE LA RELIGION SUR LA FABRICATION DES FILMS ...... 227 5. UNE EXPERIENCE SUBJECTIVE DU TOURNAGE ...... 228 II — LIMITES, APPORTS ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE ...... 231 BIBLIOGRAPHIE ...... 233 SÉMINAIRES ...... 246 FILMOGRAPHIE ...... 246 ANNEXES ...... 248 ANNEXE 1 ...... 248 LISTE DES PERSONNES INTERVIEWÉES ...... 248 ANNEXE 2 ...... 250 LIVRE DE CODES UTILISÉS POUR L’ANALYSE QUALITATIVE ...... 250 ANNEXE 3 ...... 261 TABLEAU 1 ...... 261 POPULATION JUIVE AGEE DE 20 ANS ET PLUS EN ISRAËL (JERUSALEM, TEL AVIV YAFO ET HAIFA) PAR NIVEAU DE RELIGIOSITE : 2005-2007 & 2010-2012...... 261 ANNEXE 4 ...... 262 SYNOPSIS DU FILM PLAOT ...... 262 ANNEXE 5 ...... 264 BUDGET ET BOX OFFICE ...... 264 1. TABLEAU 2 : DECOMPOSITION DU BUDGET DU FILM ...... 264 2. TABLEAU 3 : NOMBRE D’ENTREES ...... 265 ANNEXE 6 ...... 266 FILMOGRAPHIE D’AVI NESHER ...... 266 ANNEXE 7 ...... 267 ENTRETIEN AVEC AVI NESHER ...... 267

8

ANNEXE 8 ...... 278 TEXTE DE LA LOI SUR LE CINÉMA DÉPOSÉ À LA KNESSET (1999) (TRADUIT DE L’HÉBREU) ...... 278 ANNEXE 9 ...... 285 TEXTE DE LA CONVENTION SIGNÉE ENTRE ACT, L’UNION DES TRAVAILLEURS DU CINÉMA D’ISRAËL ET L’UNION DES PRODUCTEURS DE CINÉMA D’ISRAËL 31 JUILLET 2008 (TRADUIT DE L’HÉBREU)...... 285 ANNEXE 10 ...... 306 JERUSALEM FILM FUND ...... 306 ANNEXE 11 ...... 308 L’INDUSTRIE DU FILM EN ISRAËL : BREF HISTORIQUE, ÉCONOMIE ET RÉGULATION ...... 308 1. HISTORIQUE...... 308 2. ECONOMIE ...... 311 3. L’EVOLUTION DE LA REGULATION ET MISE EN PLACE DE LA LOI SUR LE CINEMA ...... 313 a ) Le cinéma isaélien et son financement en danger ? ...... 317 b ) Note sur la régulation du travail dans le cinéma israélien ...... 318 ANNEXE 12 ...... 319 PRINCIPALES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES ET SYNDICATS DE L’INDUSTRIE CINEMATOGRAPHIQUE EN ISRAËL ...... 319 ANNEXE 13 ...... 320 IMAGES DU STORYBOARD ...... 320 ANNEXE 14 ...... 323 PHOTOS DU TOURNAGE ...... 323 ANNEXE 15 ...... 328 FEUILLE DE SERVICE DU 27 MARS 2012 TRADUITE DE L’HÉBREU ...... 328 ANNEXE 16 ...... 331 EXEMPLE DE LISTES DE FIGURANTS, NOMS, CORDONNÉES, MENSURATIONS ET SCÈNES DANS LESQUELS ILS SONT PRÉSENTS ...... 331 ANNEXE 17 ...... 336 FEUILLE DE CONTINUITÉ UTILISÉE PAR LA SCRIPTE ...... 336

9

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le tournage correspond à l’étape de prises de vues d’un film. Il s’agit de la période qui se situe entre la préparation du film et le montage. Plus précisément, il suit l’écriture du scénario, le casting (si nécessaire) et précède la postproduction (montage, effets spéciaux) et la distribution. Il s’agit de la période où le plus grand nombre de personnes sont impliquées dans la fabrication du film et venant de différentes familles de métiers.

Cette phase, également la plus visible du grand public, fascine depuis longtemps les cinéastes eux-mêmes. Ainsi, François Truffaut raconte que c’est la volonté de montrer les accidents qui se passaient en marge de ses tournages qui le poussèrent à réaliser La Nuit américaine1.

Comme pour Truffaut, mon expérience et ma fascination pour la fabrication des films m’ont mené à m’interroger :

Comment des agents qui travaillent ensemble dans un temps déterminé et pour un

budget limité arrivent-ils à créer ?

L’objectif de ma thèse est d’étudier les interactions entre les participants à un tournage d’un long-métrage de fiction. Ma thèse s’inscrit dans la continuité des travaux des sociologues de l’école interactionniste au sens large tels que Howard Becker ou Erving Goffman en m’inspirant d’un certain nombre de leurs concepts. Je les adapte à mon objet de recherche sans pour autant les considérer comme une vérité absolue mais plutôt comme un premier échafaudage théorique, remis en question si nécessaire, auquel je peux ajouter mes propres outils.

1 Exposition virtuelle Truffaut par Truffaut, « Tournages : 15 déc. » ; Cinémathèque : cinematheque.fr/expositions-virtuelles/truffaut-par-truffaut/ (consulté le 1er août 2017).

10

Plus encore que dans d’autres étapes de fabrication d’un film, le tournage est le moment de fabrication d’une « réalité provisoire » (Grimaud, 2004, p. 225-276) dans un lieu localisé et souvent isolé. Le tournage est le lieu d’une double représentation de la réalité sociale : celle du film (qu’il soit fictionnel ou documentaire) et celle qui entoure l’organisation physique de sa préparation. Il s’agit d’une étape d’action collective intense où différents agents interagissent ensemble dans un processus de création. Le tournage est donc le centre d’interactions sociales riches et particulières. Sur un tournage, plusieurs dizaines de personnes travaillent ensemble en continu et en face-à-face. L’ethnographie et l’observation participante sont des méthodes qui se sont très vite imposées à moi pour pouvoir étudier au mieux l’activité humaine du tournage2.

Au centre du tournage se trouve la figure du réalisateur, du metteur en scène, chargé de donner un sens et de coordonner l’ensemble de l’équipe. Il est l’un des seuls participants qui assistera

à toutes les étapes de la fabrication du film. C’est lui qui en est à l’origine et c’est lui que l’on retrouvera lors des tournées promotionnelles pour défendre son travail. Dans un contexte plus large du cinéma d’auteur, il me semblait pertinent d’étudier la manière dont un réalisateur partage sa vision du film sur le plateau, comment ce travail de création se confronte aux pressions et aléas du tournage.

En effet, comme la thèse le démontre, Avi Nesher et plus généralement une grande partie des acteurs du cinéma israélien actuel s’inscrivent dans ce qu’il est commun d’appeler le film d’auteur. Cette conception du travail du réalisateur vient, à l’origine, d’un mouvement théorique né en France, la politique des auteurs, et est définie pour la première fois par François Truffaut

(alors critique de cinéma) dans un célèbre article des Cahiers du Cinéma en 19543. Truffaut y

2 Voir ci-dessous chapitre I.1 « Pertinence d’une approche ethnographique pour étudier le tournage d’un film », p. 16. 3 « Une certaine tendance du cinéma français », Cahiers du Cinéma, no 31, janvier 1954.

11

critique une certaine manière traditionnelle de faire des films, en général des adaptations d’œuvres littéraires. Truffaut et ses collègues mettent en avant la personnalité du réalisateur considéré dorénavant comme l’auteur du film. Cette thèse prendra de l’ampleur lorsqu’elle sera mise en application par ces mêmes critiques devenus cinéastes. La théorie est également exportée avec succès à l’étranger. Le critique américain Andrew Saris4 élabore une théorie pour distinguer un film d’auteur : le réalisateur doit avoir des compétences techniques, sa personnalité et son style doivent être reconnaissables dans le film. Avi Nesher5 a pu suivre des cours d’Andrew Saris à l’université de Columbia et lui-même a travaillé en tant que critique de film avant de devenir cinéaste, imitant ainsi la carrière des réalisateurs de la Nouvelle Vague française. Le film étudié, comme ses précédents, est pourtant considéré comme populaire et donc « bankable6 » drainant un large public dans les salles.

Le choix de travailler sur un film israélien s’est fait progressivement. J’avais d’abord envisagé de faire mon terrain sur un long-métrage de fiction français. Toutefois, l’opportunité de travailler sur un film réalisé par l’un des réalisateurs les plus populaires en Israël, qui plus est à

Jérusalem et sur un sujet sensible, me semblait idéale. C’était à la fois un terrain lointain et familier car je parlais la langue. Le tournage dans une ville réputée pour être difficile pour les

équipes de film et le sujet, inspiré d’une histoire vraie, me donna l’occasion de confronter mes premières questions de recherche à de nouvelles.

4 Notamment dans son œuvre phare : The American cinema : Directors and directions, 1929-1968. Da Capo Pr, 1996. 5 Il est intéressant de noter qu’en France, un nombre important d’auteurs réalisateurs qui affirment faire du cinéma d’auteur ont un parcours similaire (pas de formation pratique à la réalisation, travail en tant que critique de cinéma). Voir Olivier Alexandre « Comment devient-on auteur de cinéma ? Sociologie de l’accès à l’activité de réalisateur dans le cinéma français », Sociologie de l’Art (OPuS 23 & 24), 2015, p. 71-91. 6 Terme anglo-saxon utilisé pour définir des films qui rapportent de l’argent (utilisé également pour les acteurs).

12

Comment tourner dans un environnement complexe et tendu comme la ville de Jérusalem où la religion tient une place particulièrement importante ? Quels impacts sur la création et le film lui-même ?

Le film en question traitait d’ailleurs de la religion et de la manière dont celle-ci est utilisée pour manipuler et escroquer les gens. Il raconte l’histoire d’un jeune homme laïc vivant à

Jérusalem qui découvre qu’un rabbin connu vit reclus dans son appartement. Il décide de l’aider et s’embarque dans une sombre affaire policière dans la Ville Sainte. Le ton du film est léger mais s’inspire d’un fait divers réel, le kidnapping d’un rabbin chef d’une secte religieuse.

La religion s’est retrouvée donc doublement dans ma thèse à la fois à cause de la thématique du film mais également parce que la majorité des scènes tournées le furent dans la ville « trois fois sainte », Jérusalem. Il était alors impossible de ne pas prendre en compte cet élément et la manière dont il alimente à la fois le statut des personnes interviewées, les lieux, et l’industrie du film du pays dans lequel se passait le tournage.

13

PLAN DE LA THÈSE

La thèse se découpe en six chapitres :

Dans un premier chapitre, nous proposons une revue de la littérature scientifique et nous détaillons la méthodologie adoptée. Enfin, nous revenons sur la genèse du film analysé, le parcours de son réalisateur et le cheminement qui nous a menée à étudier ce tournage.

Dans un deuxième chapitre, nous revenons sur l’influence croissante de la religion dans le cinéma israélien et qui est l’une des thématiques centrales du film étudié. Nous analysons ses origines et la manière dont la thématique de la croyance alimente et influence la fabrication du film.

Le troisième chapitre de notre thèse s’attache à analyser les relations entre créativité et organisation sur un tournage. Nous revenons sur la thématique de la création et l’enjeu qu’elle représente pour l’équipe du film et en premier lieu le réalisateur. Puis, nous nous intéressons aux routines organisationnelles et la manière dont elles coordonnent le tournage.

L’importance des conventions et le statut du réalisateur sont également analysés.

Le quatrième chapitre traite des interactions et des rôles sur le plateau. Nous nous intéressons

à l’existence d’une improvisation ou création collective sur le tournage en utilisant notamment la métaphore du Jazz. Le travail collectif sur le tournage, le statut du réalisateur et les différentes hiérarchies en présence sont également examinés. Nous étudions l’impact

14

de la qualité des interactions en présence et l’implication des différents participants au tournage. Nous analysons les carrières, rôles et trajectoires de quelques participants au film.

Dans le cinquième chapitre, nous explorons le tournage en tant que monde social autonome et sa connexion au contexte extérieur en adaptant les concepts de cadre de l’expérience et d’institution totale de Goffman. Nous nous interrogeons sur la spécificité ou pas d’un tournage en Israël.

Le sixième chapitre traite de la notion d’authenticité mise en avant par les acteurs du film et son influence sur le tournage, notamment dans les choix de réalisation : tournage à

Jérusalem, en décors réels et recrutement de figurants locaux.

15

CHAPITRE 1 : MÉTHODOLOGIE & PRÉSENTATION DU TERRAIN

INTRODUCTION AU CHÂPITRE 1

Dans ce premier chapitre, nous présenterons la méthodologie employée et son intérêt pour l’objet étudié. Nous reviendrons également sur le terrain d’enquête, le tournage du film

Plaot (Les Merveilles en français) d’Avi Nesher et la manière dont il a été choisi.

Après un détour par la littérature scientifique existante, la méthodologie utilisée est détaillée.

Elle est mixte : elle consiste à la fois en une ethnographie du tournage basée sur l’observation participante et des entretiens ; elle est également enrichie de la théorie ancrée telle qu’elle a été développée par les sociologues Barney G. Glaser et Anselm L. Strauss et a servi de grille d’analyse des données. L’usage de la caméra pour le recueil des données est également explicité.

Dans la deuxième sous partie, nous revenons sur l’objet de l’étude, le film Plaot, le parcours du réalisateur, Avi Nesher, ainsi qu’une chronologie de la fabrication du film. Nous terminons cette partie avec une présentation de la manière dont s’est déroulée l’entrée sur le terrain.

16

I — MÉTHODOLOGIE CHOISIE

1. Pertinence d’une approche ethnographique pour étudier le tournage d’un film

L’ethnographie permet d’étudier les interactions en action dans le secteur culturel. De nombreux chercheurs ont loué les vertus d’une recherche ethnographique dans les mondes de l’art tels que le secteur cinématographique. Ainsi, Atkinson note dans son étude ethnographique sur l’opéra que c’est justement grâce au terrain ethnographique que nous pouvons comprendre et documenter les pratiques sociales nécessaires pour la production collective de l’art : « C’est la force et la contribution particulières du travail ethnographique de terrain qui nous permettaient de comprendre et de documenter les pratiques sociales qui sont nécessaires pour la production collective de la culture artistique et du spectacle vivant. » (Atkinson, 2004, p. 977).

L’ethnographie, la recherche qualitative qui utilise des méthodes de recueil de données non numériques, désigne à la fois un processus (la recherche sur le terrain) et le produit de celui-ci

(des articles et des livres), (Sanjek, 2002).

Bronislaw Malinowski, pionnier de l’ethnographie, définit les buts de sa discipline de la manière suivante : « il s’agit de saisir le pont de vue du natif, sa relation à la vie, de rendre compte de sa vision du monde8 ». L’ethnographie implique donc un investissement personnel important de la part du chercheur. Un engagement avec le sujet qui, lui seul, permet de

7 “It is the distinctive strength and contribution of ethnographic fieldwork that allowed us to understand and document those social practices that are necessary for the collective production of art culture and performance” (Atkinson, 2004, p. 94-106). 8 […] “briefly, to grasp the native’s point of view, his relation to life, to realize his vision of his world” (Malinowski, 1963, 224).

17

comprendre une culture donnée qui peut prendre plusieurs années. Beth Bechky a, pour son article sur la coordination des techniciens sur un tournage, travaillé pendant un an sur quatre projets de film différents9.

En ce qui concerne la littérature ethnographique des plateaux de cinéma et de télévision, la première étude anthropologique sur le système des studios d’Hollywood, Hollywood, the

Dream Factory (1950) d’Hortense Powdermarker, offre une analyse critique des rouages du système des studios ; l’art y est absent et le cinéma considéré avant tout comme une industrie.

Un anthropologue français, Emmanuel Grimaud, a entrepris une étude similaire sur le cinéma de Bollywood en Inde : Bollywood film studio ou comment les films se font à Bombay (2004).

Son ouvrage montre l’importance de l’adaptabilité et de l’inventivité dans la conception des films produits dans les studios de Bombay. Ces deux chercheurs, par une description minutieuse, démontent la mécanique de ces systèmes de fabrication de films.

Si la plupart des études sur le cinéma, en tant qu’industrie, notamment au sujet de la production de films10 dans le champ de la sociologie, sont des études anglo-saxonnes, en majorité américaines, elles ont surtout porté sur les carrières et les réseaux relationnels en jeu ou l’organisation du travail11. Certains chercheurs ont plus particulièrement étudié la coordination et les interactions des rôles sur un tournage (Bechky, 2006) ainsi que l’impact de la combinaison des rôles artistiques (réalisateur) et financiers (producteur) sur la réussite d’un film (Baker and

9 Bechky, B. A. “Gaffers, gofers, and grips : Role-based coordination in temporary organizations”. Organization Science, 17 (1), 2006, p. 3-21. 10 Nous laissons volontairement de côté la littérature foisonnante sur les publics des films ; voir notamment les ouvrages d’Emmanuel Ethis. 11 Citons les ouvrages et articles de recherches de Faulkner, Weiss, 1983 ; Faulkner & Anderson, 1987 ; Christopherson & Storper, 1989 ; Faulkner & Anderson, 1987 ; Jones, 1996 ; Jones & DeFilippi, 1996 ; DeFilippi R.J. et Arthur, 1998 ; Lampel & Shamsie, 2003 ; Blair, 2003. Voir la bibliographie en fin de thèse pour les références complètes p. 229.

18

Faulkner, 199112). D’autres encore se sont intéressés aux stratégies déployées par des réalisateurs de renom pour garder leur indépendance et influence sur leurs films (Alvarez,

Mazza, Pedersen & Svejenova, 2005) ainsi que le rôle de la créativité dans l’industrie du film

(Lorenzen, 2007).

En France, Edgar Morin a été l’un des pionniers de la sociologie du cinéma et de son industrie13 et il faut attendre Pierre Sorlin et son ouvrage La sociologie du cinéma (1977) pour une première approche systémique de la matière. De son côté, Yann Darré, issu du monde professionnel du cinéma avant de devenir sociologue, s’intéresse dans ses ouvrages à l’impact de la Nouvelle

Vague sur l’organisation du tournage et notamment sur le rôle des techniciens qui ne se voient plus comme un groupe professionnel indépendant mais au service d’un réalisateur-auteur du film14. Récemment, de nouveaux ouvrages en sociologie décrivant le processus de fabrication d’un film ont été publiés15.

L’intérêt socio-économique pour les problématiques de financement et de gestion dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel a conduit des chercheurs à étudier de manière approfondie les tensions entre l’aspect financier et industriel du cinéma et son identité artistique. À côté d’ouvrages et d’articles traitant de l’économie du cinéma16, on peut citer l’ouvrage de Pierre-

12 Dans leur article “Role as resource in the Hollywood film industry”, Baker et Faulkner montrent comment l’émergence du blockbuster aux États-Unis est due à l’appariement entre un réalisateur qui est également scénariste et un producteur ; en d’autres termes, à la distinction entre un rôle purement artistique et un rôle financier. 13 Nous pouvons citer les ouvrages Le cinéma ou l’Homme imaginaire (1956), Les Stars (1957), et sans oublier le film Chronique d’un été (1960) co-réalisé avec Jean Rouch. 14 Voir son article « Les créateurs dans la division du travail : le cas du cinéma d’auteur » de Raymonde Moulin dans Sociologie de l’art, Paris, La Documentation française, 1986, p. 213-222 et son ouvrage Histoire sociale du cinéma français, Paris, La Découverte, 2000. 15 La Fabrique filmique. Métiers et profession, de Kristian Feigelson (2011), Le cinéma : Travail et organisation de Rot G., & De Verdalle L. (2013) et sur le modèle du cinéma d’auteur français : La règle de l’exception. Écologie du cinéma français par Olivier Alexandre (2015) issue de sa thèse de doctorat ou encore Pierre Mary pour son ouvrage La nouvelle vague et le cinéma d’auteur : socioanalyse d’une révolution artistique. (2006). 16 Aux États-Unis, des économistes comme Arthur S. De Vany ou David A. Garvin ont écrit sur l’économie des films de studio d’Hollywood. En France, nous pouvons citer les ouvrages de Laurent Créton sur l’économie du cinéma et ceux de Claude Fourest sur l’industrie du cinéma en Europe.

19

Jean Benghozi, Le cinéma entre l’art et l’argent (1989), qui a proposé en son temps un premier aperçu de l’ensemble de l’organisation de la production d’un film (de l’écriture à sa diffusion17).

La télévision, plus encore que le cinéma, a fait l’objet de diverses études sociologiques et ethnographiques18.

Nous pouvons retenir celle de Roger Silverstone sur la production d’un documentaire scientifique à la BBC : Framing Science, the making of a BBC documentary (1985). Il y présente les conflits idéologiques existant entre la volonté de l’équipe de production de réaliser un documentaire scientifique rigoureux avec celle des programmateurs : satisfaire le plus large public possible. Sharon Mast (1983) a, de son côté, dans son ethnographie d’une série télévisée britannique, montré comment l’organisation de la production routinisait les interactions entre les participants et allait à l’encontre de l’idéal artistique des comédiens.

En France, plusieurs études ethnographiques concernent les plateaux de télévision et de cinéma19. Dans l’étude faite sur le tournage du film d’Emmanuel Bourdieu, Vert Paradis,

Benjamin Seroussi20 insiste sur la maîtrise de l’œuvre par le réalisateur, seul personnage à avoir

17 D’autres chercheurs ont analysé des professions du cinéma. Nicolas Brigaud-Robert a écrit une monographie Les producteurs de télévision (2014). Gwenaelle Rot (2014) a analysé le rôle de la scripte, Lamberbourg (2010) celui du réalisateur. De nombreuses professions sont décrites dans l’ouvrage collectif Le cinéma : travail et organisation, Rot et De Verdalle (2013). 18 Nous pouvons retenir celle de Roger Silverstone sur la production d’un documentaire scientifique à la BBC : Framing Science, the making of a BBC documentary (1985). Il y présente les conflits idéologiques existant entre la volonté de l’équipe de production de réaliser un documentaire scientifique rigoureux avec celle des programmateurs : satisfaire le plus large public possible. Sharon Mast (1983) a de son côté dans son ethnographie d’une série télévisée britannique a montré comment l’organisation de la production routinisait les interactions entre les participants et allait à l’encontre de l’idéal artistique des comédiens. 19 Ainsi, Jérôme Bourdon a étudié le déclin du groupe professionnel des réalisateurs de télévision (Jérôme Bourdon, 1993) et Dominique Pasquier s’est tour à tour penchée sur les trajectoires des animateurs avec Sabine Chalvon-Demersay (1990) puis sur celles des scénaristes de télévision (1995). Philippe Le Guern (2004) a réalisé une ethnographie du tournage de la série populaire Julie Lescaut. Dominique Pasquier (2008) a étudié les conflits entre professions visibles (animateurs et comédiens) et invisibles (réalisateurs, producteurs) à la télévision française. Camille Gaudy (2008) s’intéresse, elle, à la problématique du genre sur les plateaux de cinéma et comment les femmes sont souvent cantonnées à des métiers similaires sur tous les tournages. Voir la bibliographie en fin de thèse, p. 229 pour les références complètes. 20 Benjamin Seroussi « La création au travail. Le film, produit d’un collectif. » dans Alexandra Bidet, Anni Borzeix, Thierry Pillon, Gwenaële Rot et François Vatin Sociologie du travail et activité, Toulouse, Octarès éditions, 2006, p. 85-100.

20

le privilège de bénéficier d’une vue d’ensemble sur le film, de centraliser toutes les informations le concernant et ainsi de décider en dernier ressort. Le sociologue Antoine Vernet, dans sa thèse de doctorat21, s’intéresse aux caractéristiques et spécificités des réseaux relationnels des techniciens de cinéma et comment ceux-ci arrivent à tirer parti de la flexibilité de leur emploi grâce à la mise en place d’un réseau professionnel. Gaétan Flocco et Réjane Vallée ont réalisé une enquête sociologique sur les machinistes et l’évolution de leur profession (Flocco, Vallée ;

2012). Chalvon-Demersay (2012) s’intéresse au rôle des décors dans une série télévisée et comment leur utilisation impacte le tournage puis au travail des figurants et la manière dont il est perçu par l’équipe du tournage (Chalvon-Demersay, 2013, p. 85-100).

En fin de compte, en observant en détail chaque comportement sur un plateau de tournage et en comparant ces observations à des entretiens et d’autres documents, la méthode ethnographique permet d’avoir une vision exhaustive sur la façon dont les films sont fabriqués et sur la manière dont les interactions influencent le travail sur le plateau.

2. Observation participante et ethnographie

L’Observation participante induit de participer aux activités des sujets que l’on observe.

Ainsi, dans la majorité des ethnographies sur le cinéma citées précédemment, les auteurs tiennent un rôle sur le plateau. Emmanuel Grimaud était, par exemple, assistant sur plusieurs films de Bollywood (Grimaud, 2004). J’ai ainsi moi-même eu des petits travaux d’appoint sur le tournage : de la gestion des figurants, en passant par la photocopie des feuilles de continuité pour la scripte jusqu’à la comptabilité des petites dépenses du tournage.

21 L’ombre et la lumière. Sociologie économique de l’activité cinématographique : travail et carrière chez les techniciens de la lumière (2010).

21

Les rôles effectués ont été choisis en accord avec l’équipe de production et selon la perception qu’elle avait de mon caractère et de mon expérience :

Sivan, l’assistante du réalisateur me recontacte donc et nous convenons d’un entretien sur Skype

avec Keinan Alder, le producteur exécutif. Keinan ne me pose aucune question sur mon travail

de recherche, mais me demande quel genre de job m’intéresserait sur le plateau, je lui dis que je

suis ouverte à tout, avec une préférence pour l’assistanat de réalisation, (que j’ai déjà eu l’occasion

de faire sur des courts-métrages et des documentaires). Keinan me raconte qu’une stagiaire

étrangère avait participé à Paam Aiti (le titre français est Le Marieur), son précédent film, et avait

assisté l’équipe de décoration et qu’elle avait beaucoup aimé son expérience. Puis il me demande

si j’aime « gérer » les gens, il répète cette phrase avec le mot « figurants » (nitsavim en hébreu).

J’hésite : Oui je crois. Keinan dit : « OK, je pense qu’on t’a trouvé un rôle. Pour le moment nous

sommes encore en phase de réécriture mais une fois qu’une date de tournage aura été convenue

nous te recontacterons. » Je n’ai ensuite plus de nouvelles jusqu’à fin janvier. Sivan me contacte

alors pour me dire que le tournage est prévu pour mars22.

La méthode choisie pour mon terrain inclut des observations enregistrées sur caméra, des entretiens et le recueil de documents divers. J’ai tenu pendant mon enquête un journal de terrain où sur la page de droite je notais mes observations et sur celle de gauche toutes les hypothèses, analyses et tentatives de plan. Chaque soir, après le tournage, je reprenais le journal et je copiais les pages sur mon ordinateur ajoutant de nouvelles réflexions sur les pages de gauche si nécessaires après visionnage des rushes.

22 Extrait de mon journal de recherche.

22

3. Caméra et ethnographie

Edgar Morin, dans sa préface à l’ouvrage Cinéma et sciences sociales de Luc De

Heusch23, s’interrogeait sur les effets de l’usage de la caméra sur le terrain ethnographique qui, selon lui, permet de révéler la « comédie » de la vie sociale.

En 2004, comme en écho à cette préface, Christian Lallier consacrait sa thèse au rapport entre filmeur et filmé et l’impact de l’usage de la caméra sur le chercheur qui l’utilise comme sur ses sujets24.

La réflexivité, la prise de conscience de la relation entre l’observateur qui filme et l’observé, est une condition de l’action de recherche ethnographique. Ainsi, il reprend le concept de cadre d’expérience d’Erving Goffman25 en montrant que le tournage devient un « cadre » modalisé ; pour l’observateur qui filme comme pour le filmé. Il définit l’interaction entre l’observateur filmant et le sujet filmé comme une « non-interaction modalisée ». « En intégrant la condition de l’observation filmée dans l’accomplissement de leurs activités, les personnes filmées oublient la présence de la caméra, au sens où celle-ci est incluse dans l’origine même de l’action. » (Lallier, 2009, p. 126).

Timothy et Patsy Hasch (1995, p. 335-362) affirment de leur côté que l’enregistrement sur caméra est plus proche d’une observation objective qu’une description par écrit, car la caméra enregistre forcément des choses que l’œil n’aura pas perçues, car l’être humain ne peut se concentrer que sur une chose à la fois. L’image aurait des vertus « d’indexabilité » qui permettrait de lui donner plusieurs interprétations. Toutefois, le film ne doit pas être vu comme

23 Heusch, L. D. « Cinéma et sciences sociales ». Reports and Papers in the Social Sciences, 16, 1962. 24 Christophe Lallier : L’autre et le regard caméra : Filmer le travail des relations sociales, thèse de doctorat en ethnologie et anthropologie sociale, Paris, EHESS, 2004. 25 Nous explicitons et adaptons nous-même le concept de cadre de l’expérience au chapitre V.I « Réalité et tournage », p. 160.

23

la représentation fidèle d’une réalité intangible mais plutôt comme le fruit d’une construction d’une réalité parmi d’autres. Ils défendent également l’idée d’une réciprocité du regard chère à

Jean Rouch en prenant en compte l’avis et le regard des communautés observées sur le film.

Dans le numéro spécial de la revue Communications consacré à l’usage du film comme outil de recherche ethnographique intitulé « Filmer, chercher », coordonné par Daniel Friedmann

(2006), celui-ci fait une comparaison entre l’écrit et le film sociologique qui sont symétriques dans leur approche de la recherche :

La sociologie textuelle des recherches écrites procède de façon symétrique ; elle s’efforce, par la

construction que Max Weber appelle « l’idéal-type », de concevoir une abstraction rationnelle,

irréelle, sans existence empirique et donc idéale, qui va permettre de comprendre non seulement

les aspects essentiels d’un phénomène social singulier mais aussi en quoi il se distingue d’autres

phénomènes sociaux ressemblants, mais antérieurs ou ultérieurs, et donc typiques. Le pari

documentaire va à rebrousse-poil, il met en scène le personnage pris dans le réel, avec le désir

que le spectateur en comprenne d’abord la singularité puis éventuellement se projette en lui, s’y

identifie et/ou s’en distingue26.

Avec le développement du numérique et des smartphones, il est devenu commun d’utiliser la caméra pour la recherche de terrain. Cet usage de la caméra ne relève pas seulement de ces avancées technologiques mais procède d’un « acte ethnographique […] au sens de recueillir et de rapporter des données du “terrain” pour représenter les manières singulières d’agir, de penser et de vivre ensemble : autrement dit, pour représenter les pratiques sociales sous des “formes culturelles” ». (Lallier, 2010, p. 12).

La réalisatrice et anthropologue Éliane de Latour propose, elle, une définition dynamique du cinéma et voit une filiation directe avec l’anthropologie.

26 Friedmann, 2006, p. 5-18.

24

Le cinéma est fondamentalement ce qui échappe. Quel que soit le genre, il repose sur des relations

vivantes, collectives. Dès la première ligne du projet – scénario de documentaire ou scénario de

fiction – écrite, le cinéaste plonge vers un inconnu tendu par une perspective. La réalisation d’une

fiction ne peut être la consignation d’un scénario. Tout au long du processus de fabrication, des

événements inattendus vont intervenir dans l’écriture ou le déroulement même de l’histoire. Ne

serait-ce que la surprise provoquée par un acteur qui fait glisser un personnage vers quelque chose

d’imprévu que l’on récupère le soir même en réécrivant la scène du lendemain. Plus l’économie

en jeu brasse de l’argent, plus les variations sont grandes, car les interlocuteurs qui influent sur la

réalisation du film sont nombreux : producteur, financiers, lecteurs de scénarios, acteurs, équipe

technique, distributeur. La réalisation est confrontée à la négociation avec d’incessants allers et

retours27.

L’usage de la caméra me semblait indispensable pour capter ces « négociations » et moments

« inattendus ». Pour mener à bien ma recherche de terrain, j’ai demandé l’autorisation au réalisateur et à la maison de production de filmer avec une petite caméra HD pendant toute la période de tournage. J’ai également filmé mes entretiens. Après négociation, j’ai été autorisée

à utiliser la caméra.

Il est aussi des productions audiovisuelles de recherches spécifiques qui ne peuvent être mises en

balance avec des recherches écrites dans la mesure où elles impliquent justement un travail de

collecte et d’enregistrement minutieux de ce qui est vécu sur le terrain observé. Il n’y a alors que

la caméra qui puisse être l’instrument de telles recherches, généralement appliquées à des objets

et des situations précis, grâce à la transposition fidèle du réel qu’elle effectue28.

27 Latour, 2006, p. 183-198. 28 Friedmann, 2006, p. 5-18.

25

En effet, l’usage de la caméra sur le terrain offre de multiples avantages. Tout d’abord, elle facilite le recueil et l’analyse des données et permet de mieux se les remémorer. Ensuite, elle permet, comme l’explique Christian Lallier, d’ajouter un degré de réflexivité à la recherche.

Je filmais un tournage en train de se faire et de ce fait, j’enregistrais une activité vouée à disparaître pour laisser place au film. Il était d’autant plus facile pour moi de passer inaperçue que le cadre même de mon observation était rempli de caméras. Ainsi, on me confondait souvent avec la réalisatrice du making of officiel du film.

Je prenais l’habitude de changer les points de vue selon l’activité que j’avais à faire sur le tournage. Par exemple, un jour je me focalisais sur le travail de l’équipe caméra, un autre sur l’équipe décoration, etc.

Je filmais souvent le rituel de chaque prise d’une scène en isolant le rôle de chacun et les variantes qu’on pouvait identifier d’un jour à l’autre.

Mon travail avec les figurants me permettait également de saisir la manière dont ceux-ci appréhendaient la réalité d’un tournage, parfois pour la première fois et également la manière dont ils interagissaient avec le reste de l’équipe.

Toutefois, il m’est arrivé plusieurs fois de ne pas filmer des personnes que j’interviewais, je ne le faisais qu’avec leur accord explicite. De ce point de vue, l’enregistrement sonore s’est révélé parfois un allié plus efficace que la caméra surtout auprès de certaines catégories de personnes.

Ainsi, certains figurants religieux, de peur d’être identifiés, refusaient de se faire filmer. Ce n’était pas le cas de leur principal recruteur, Jonathan Mesiguish, qui se révéla plutôt bavard et ouvert à la discussion. Chaque jour, après le tournage, je regardais et j’indexais mes rushes. Ce premier dérushage me permettait de compléter mes notes de terrain. J’ai eu l’occasion de montrer ces entretiens et observations de cours et de conférences.

26

Après réflexion, j’ai décidé de ne pas faire de film en tant que tel pour ma thèse mais plutôt d’utiliser de courts extraits pour illustrer mes arguments et mettre en avant certains profils et parcours typiques.

4. Entretiens

Vingt neuf entretiens29 semi-directifs ont été réalisés représentant l’ensemble des métiers que l’on peut trouver sur un tournage. La durée plus courte de certains entretiens s’explique du fait de ma volonté de les réaliser pendant le tournage, période de travail intense, pendant laquelle les participants ont peu de temps pour d’autres activités.

Le choix d’interviewer ces personnes pendant le tournage avait aussi des avantages, elle permettait d’avoir une description à chaud des activités réalisées sur le plateau et de les comparer à mes propres observations. Grâce à ces entretiens dans le feu de l’action, je pouvais corriger mes propres interprétations d’une situation donnée ou me faire conseiller un autre interviewé. Toutefois, il m’était impossible d’interviewer certains postes essentiels durant cette période. J’ai ainsi réalisé mes entretiens avec Avi Nesher, le réalisateur, et Michel Abramowicz le directeur de la photographie, après le tournage. J’ai alors pu réaliser des entretiens plus longs qui permettaient d’avoir une vision de bilan de l’ensemble du tournage.

Le guide d’entretien comportait des thématiques suffisamment larges pour pouvoir laisser à l’interviewé une grande liberté dans les modalités de réponse.

Les grandes questions posées étaient les suivantes :

 Une brève biographie (âge, milieu familial, formation, etc.).

 Comment et pourquoi avoir choisi de travailler dans le cinéma et sur ce poste en

particulier ?

29 Voir la liste complète en annexe, p. 248..

27

 Comment sont-ils arrivés sur le tournage et s’ils ont déjà travaillé avec certains

membres de l’équipe ?

 Une description de leur rôle sur le tournage.

 Leur définition du tournage d’un film.

 La spécificité (ou pas) de tourner à Jérusalem.

 La spécificité (ou pas) d’un tournage en Israël par rapport à l’étranger.

Ce guide était modifié avec des questions complémentaires selon les besoins et les rôles de chacun. Je me permettais également de reposer des questions en cas de doute quand la personne avait quelques disponibilités.

Enfin, j’ai également complété ces entretiens avec une dizaine de « discussions » avec des figurants et d’autres membres de l’équipe de tournage enregistrées lors de mon observation participante.

5. Recueil et analyse des données

Dans une ethnographie, l’analyse des données n’est pas une étape distincte de la

recherche. Elle commence avant le terrain dans la formulation et la clarification des problèmes de

recherche et continue tout au long du processus d’écriture des rapports, articles et livres.

Formellement, elle commence à prendre forme dans les prises de notes et mémos ; de manière

informelle, elle est incarnée dans les idées et les intuitions de l’ethnographe. Et de cette façon,

d’une manière ou d’une autre, l’analyse des données alimente la conception de la recherche et le

recueil des données30.

30 In ethnography, the analysis of data is not a distinct stage of the research. In many ways, it begins in the pre- fieldwork phase, in the formulation and clarification of research problems, and continues through to the process of writing reports, articles, and books. Formally, it starts to take shape in analytic notes and memoranda ; informally, it is embodied in the ethnographer’s ideas and hunches. And in these ways, to one degree or another, the analysis of data feeds into research design and data collection. Hammersley M., & Atkinson, 2007, p. 158.

28

Comme le notent Atkinson et Hammersley, dans une ethnographie, le travail d’analyse se fait tout au long de la recherche et les hypothèses peuvent donc évoluer. La question de départ de mon projet de thèse était la suivante : comment des agents qui travaillent ensemble dans un temps déterminé et pour un budget limité arrivent-ils à créer ? Quels sont les impacts de leur interaction sur la fabrication du film ?

À partir de cette question de départ, j’ai élaboré plusieurs hypothèses que j’ai revues tout au long de ma recherche en m’aidant de modèles théoriques tels que les notions d’institution totale31, de cadres de l’expérience et de mise en scène (backstage/frontstage32) issues de la sociologie de l’interaction d’Erving Goffman. J’ai également repris les arguments de Howard

Becker et ses modèles du monde des arts ainsi que sa conception de l’engagement.

Cet ancrage théorique m’a permis de soulever mes premières hypothèses et d’écrire mes premières analyses.

Pour se simplifier le travail sur un tournage, les participants font appel à des conventions qui facilitent la coordination et leur engagement sur un tournage.

Dans un contexte aussi tendu que le tournage d’un film, la qualité des interactions et de la représentation que les participants ont des uns et des autres est primordiale.

Si l’on considère que le tournage partage certaines caractéristiques avec les institutions totales33, alors ces conditions particulières de travail (temps de travail réglé par la feuille de

31 Voir infra, chapitre 5, II. « Le tournage, une institution totale allégée et temporaire » p. 169. 32 Les concepts de frontstage et backstage sont développés par Goffman dans son ouvrage La Mise en scène de la vie quotidienne (1973, [1956]). En utilisant la métaphore théâtrale, il distingue le « fronstage », la scène, où la personne va adapter son comportement face à son public, du backstage « les coulisses », où personne ne peut la voir. 33 Les institutions totales sont définies par Goffman comme « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et rigoureusement réglées » (Goffman, 1968 [1961], p 41).

29

service34, isolement de l’équipe de tournage etc.) doivent avoir un impact sur les relations entre les participants du tournage : facilitent-elles ou au contraire compliquent-elles le processus de fabrication d’un film ?

Très vite, à partir du moment où j’ai appris que je participerai au tournage de Plaot et notamment que la majorité de mon travail se passerait avec les figurants, j’ai envisagé d’autres questions.

Quel serait l’impact du contexte extérieur sur le tournage et le film fini dans un lieu aussi particulier que Jérusalem ?

Si on admet que le tournage d’un film de fiction est le lieu d’une modalisation ou de fabrication35 telles que définies par Goffman, alors les figurants, souvent issus de la population locale, peuvent être vus comme des vecteurs de réalisme sur le plateau.

Sans remettre en cause mon interrogation initiale, je comprenais que je devais l’adapter au contexte particulier de mon tournage.

J’ai donc recherché une méthodologie assez souple qui me permettrait d’analyser les données de manière efficace tout en renouvelant si nécessaire mes hypothèses.

L’apport méthodologique de la théorie ancrée (grounded theory) développée par Glaser et

Strauss36 est sur ce point particulièrement utile.

Les concepteurs de la théorie ancrée proposent une logique inductive où la théorie et les concepts viendraient directement des données de l’enquête par itérations successives et par des comparaisons constantes entre la conceptualisation et les données du terrain.

34 La feuille de service (ou call sheet en anglais) est un document rédigé par l’assistant-réalisateur et communiqué à toute l’équipe, qui renseigne toutes les informations essentielles par journée de tournage (emploi du temps, ordre des scènes tournées, matériel prévu etc.). 35 Les notions de modalisation et de fabrication renvoient aux cadres transformés. Si les participants sont au courant de leur transformation, on parle de modalisation, si cette transformation est cachée à une partie des participants, on parle alors de fabrication. Cf. infra, chapitre 5, I.1 « Les notions de cadres, transformation, modalisation et fabrication », p. 163 et Ervin Goffman Les cadres de l’expérience, Les éditions de minuit, 1991 (1974). 36 Notamment dans leur ouvrage. La découverte de la théorie ancrée : stratégies pour la recherche qualitative.

30

Pour valider un fait, il s’agit ainsi de relever toutes ses réplications, par un processus de triangulation des sources.

Il ne s’agissait pas de remettre en cause l’approche ethnographique visuelle et minutieuse mais au contraire d’utiliser la théorie ancrée comme un complément à mon travail d’observation, de filmage et de prise de notes.

Jacques Coenen-Huther montre dans son article Le problème de la preuve en recherche sociologique qualitative (2003) que la validité d’une recherche qualitative dépend de la capacité

à démontrer la cohérence à partir d’un ensemble de données hétérogènes. « La recherche sociologique qualitative a une vocation particulière à s’appuyer sur des données hétérogènes et c’est la cohérence d’ensemble offerte par ces données hétérogènes – résultats d’observation, données d’entretien, conversations entendues et notées, indications de témoins privilégiés, documents d’archives, extraits d’œuvres littéraires – qui constitue la meilleure garantie de sérieux37. »

En effet, comme dans toute recherche qualitative, les données collectées étaient à la fois très nombreuses et diverses :

Plus de 30 heures de rushes de mes filmages pendant le tournage (scènes de vie, entretiens).

Descriptions et commentaires de mon journal de terrain.

Photos.

Documents papiers du tournage (feuilles de services, feuilles de continuité38, planning,

scénarios, etc.).

37 Coenen-Huther, 2003, p. 69. 38 La feuille de continuité ou feuille/rapport de scripte recense plan par plan, les raccords et la qualité de chaque prise pour guider ensuite le travail du montage. Un exemple de feuille de continuité est à retrouver en annexe, p. 336..

31

Autres documents : articles de presse sur le film et le tournage, brochures sur les lieux de

tournage du film, etc.

La théorie ancrée me donnait un outillage intellectuel pour arriver à faire sens de l’ensemble de ces éléments.

À partir de toutes ces données et de mes premières analyses sur mon journal de terrain (que je pouvais également comparer à mes rushes), j’ai commencé un processus de codage ouvert des discours et des observations.

À partir de ce premier codage au fil de l’eau, j’ai mis en place une première mise en relation entre les catégories sous la forme d’un codage axial. J’ai utilisé l’induction analytique pour faire émerger des patterns, des motifs de phénomènes et d’occurrences de codes et à partir de ceux-ci d’établir des mises en relations entre différents codes. J’identifiais alors les exceptions qui ne suivaient pas ces patterns et à partir desquelles je reformulais de nouvelles hypothèses et orientais mes nouvelles observations.

Il s’agit de relire tout son matériau, entretiens, observations, archives, etc., d’y repérer des

régularités et de les formuler comme hypothèses provisoires. Lorsque ces régularités sont

repérées, il s’agit de chercher des anomalies, des contre-exemples, pour mettre à l’épreuve la

régularité qu’on a identifiée et les hypothèses provisoires. Si nous n’avons pas de contre-exemples

qui remettent en cause cette hypothèse, alors elle est vérifiée. L’induction analytique consiste à

se concentrer sur les choses qui ne collent pas dans le tableau (Becker, 2002 [1998], p. 329).

Sur mon cahier de terrain, j’ai commencé une première catégorisation de mes observations ; ces catégories évoluaient au fur et à mesure de mes découvertes.

Le codage définitif des données a été réalisé à l’aide de la version lite du logiciel d’analyse de données qualitatives QDA Miner v1.03 de Provalis Research. Ce logiciel permet de regrouper

32

toutes ces ressources (notes de terrain, entretiens, etc.) en un endroit puis d’allouer des codes

à des morceaux de texte facilitant ainsi l’analyse finale.

À partir de cette première catégorisation sur le logiciel QDA Miner, sont ressorties trente- deux grandes thématiques :

 biographie ;

 motivation pour le cinéma ;

 figurants ;

 salaires ;

 implication ;

 activité ;

 spécificités du tournage en Israël ;

 spécificités industrie Israël ;

 géopolitique ;

 auto-représentation ;

 argent ;

 religion ;

 tournage ;

 travail avec Avi Nesher ;

 rôles ;

 réseau ;

 spécificité du tournage ;

 relations ;

 recrutement ;

 spécificités du tournage à Jérusalem ;

 authenticité ;

33

 postproduction ;

 tournage à l’étranger ;

 sortie de carrière au cinéma ;

 rapport au sujet du film ;

 technique ;

 universalité du cinéma ;

 carrière ;

 préproduction ;

 conception du cinéma ;

 réception des films d’Avi Nesher ;

 réflexivité.

Avec ces premières grandes catégories (non exclusives), un 2e codage a permis de les subdiviser en des sous-catégories plus précises.

Comme le prévoit la théorie ancrée, le codage et recodage se sont faits tout au long de la recherche39.

Suite au codage, les thématiques avec les sous codages et occurrences les plus nombreuses ont fait l’objet d’une investigation plus poussée. Comme la manière de travailler de l’équipe avec le réalisateur. Je me suis aperçue lors de mes entretiens avec les membres de l’équipe de tournage comme avec les comédiens que ceux-ci mettaient systématiquement en avant les manières de travailler du réalisateur.

La thématique de l’authenticité est très vite remontée lors de mes entretiens et de mes observations notamment en relation avec le choix de tourner dans des décors naturels et de faire

39 Pour voir l’ensemble des catégories et sous catégories identifiées voir « Le livre de codes » en annexe, p. 250.

34

appel à des figurants issus des communautés juives ultra-orthodoxes et arabes40 pour

« incarner » ces personnages dans le film. J’ai donc axé mes recherches sur cette problématique et les différentes réalités qu’elle recouvrait.

L’impact de la religion était également prépondérant. Tout d’abord parce qu’elle était l’une des thématiques majeures du film41, ensuite et surtout parce que ce choix avait une conséquence pratique sur le choix du lieu de tournage : à Jérusalem, dans des quartiers emblématiques avec une forte population juive orthodoxe, qui, par ailleurs avait en théorie interdiction de regarder ou de participer à des films. Enfin, la religion avait un impact sur les conditions du tournage : la fête de la Pâque juive avait lieu en plein milieu du tournage et supposait une organisation adéquate pour pouvoir tourner dans certains lieux (respecter les interdits alimentaires, etc.).

Dans un pays démocratique comme Israël où, contrairement à la France, la religion n’est pas séparée de l’État, la vie quotidienne des citoyens en est régulièrement affectée (obligation de passer par un tribunal religieux pour se marier ou divorcer, etc.).

Cette domination thématique et contextuelle m’a amenée à m’interroger sur la relation que les différents acteurs du tournage avaient avec la religion (de l’athéisme total à la pratique la plus rigoureuse) et l’impact éventuel sur leur travail sur le plateau.

De même, les activités artistiques comme la réalisation d’un film de fiction sont-elles réalisées dans les mêmes conditions à Tel Aviv, ville « séculière » par excellence comme à Jérusalem

« ville trois fois sainte » ? Quelles sont les spécificités d’un tel tournage

40 Nous avons fait le choix de reprendre la dénomination « arabe » utilisée par l’équipe du film et dans les documents de tournage. Il s’agit de Palestiniens ou de minorités arabes ayant la nationalité israélienne (arabes israéliens) ou ayant un droit de résidence. La majorité de ces figurants sur le tournage habitaient Jérusalem Est. Ils représentaient près de 20,7 % de la population israélienne et 37 % de la population de Jérusalem en 2012- 2013. (Jerusalem : Selected Data (2012-2013) Israel’s Central bureau of Statistics 2012) mfa.gov.il/MFA/AboutIsrael/Spotlight/Pages/Jerusalem-Selected-Data-2012-2013.aspx. (Consulté le 25 novembre 2014). 41 Voir infra 2 : « Plaot : le réalisateur, le film et le tournage » p. 36 et le synopsis du film en annexe, p. 262.

35

II — PLAOT : LE RÉALISATEUR, LE FILM ET LE TOURNAGE

Revenons maintenant sur l’objet de mon terrain, sur le parcours du réalisateur, emblématique d’une génération de cinéastes israéliens, sur le sujet du film et la manière dont je suis entrée sur le terrain.

1. Avi Nesher : parcours d’un cinéaste israélien

Avi Nesher, réalisateur de Plaot (Les Merveilles), 66 ans, né en Israël, déménage avec sa famille aux États-Unis à l’adolescence et suit des cours de relations internationales à l’université de

Columbia à New York. Il y suit également des cours de cinéma notamment du critique américain Andrew Saris, auteur de l’ouvrage American Cinema (et qui popularisa le cinéma d’auteur européen aux États-Unis) et commence à écrire des critiques de film.

Comme il le raconte lui-même, il se voit d’abord plus comme un critique de film qu’un réalisateur :

Je suis rentré de plus en plus dans le cinéma, mais je n’osais pas m’imaginer comme réalisateur,

je trouvais ça trop prétentieux. J’étais critique de cinéma, j’ai écrit des articles pour différentes

publications, et je me considérais comme quelqu’un qui aimait plutôt la théorie, je n’étais pas de

ces enfants qui ont grandi en jouant avec des caméras. J’ai grandi dans un monde d’écriture sur

le cinéma42.

Il revient ensuite en Israël pour faire son service militaire dans une unité d’élite. Alors qu’il est blessé, il réalise, avec le soutien financier de l’armée, son premier court-métrage met al hai

(mort sur vivant en français) qui reçoit plusieurs prix dans des festivals.

Il commence sa carrière à une période où les deux genres de films les plus répandus dans le cinéma israélien sont soit des films d’auteur (issus du mouvement de la « Nouvelle sensibilité »)

42 Entretien avec Avi Nesher.

36

soit des films populaires comme les comédies ethniques bourekas43. Dans les années soixante- dix, il fait partie d’une nouvelle génération de cinéastes qui tente de faire la synthèse entre un cinéma d’auteur et un cinéma plus populaire et inspiré du cinéma américain à côté d’un autre cinéma de plus en plus politique.

À l’âge de 23 ans, il réalise son premier long-métrage A leaka (La troupe), (1978) sur les péripéties d’une troupe musicale militaire, c’est un succès public et critique (le film réunit plus de 600 000 spectateurs) qui lui permet de financer son second film Dizingoff 99 (1979) qui parle de jeunes vivant en colocation à Tel Aviv. Grâce à son film Zaam ve tehila (Rage et gloire),

(1984) sur le groupe paramilitaire sioniste Lehi et leurs combats contre les Britanniques dans les années quarante en Palestine mandataire, il est repéré par des producteurs américains, il part faire carrière à Hollywood.

Toutefois, son expérience américaine n’est pas concluante. En 2002, il revient faire des films en Israël et renoue avec le succès public avec une coproduction française Au bout du monde à gauche, en 2004. Avi Nesher est l’un des rares réalisateurs israéliens à avoir eu un succès public sur la quasi-totalité de ses films. En matière d’audience, ses films réalisés en Israël ont plusieurs fois dépassé les 200 000 spectateurs.

4343 Le nom bourekas vient de bourek, une pâtisserie salée des Balkans et très populaire en Israël qui a donné son nom à un courant de comédies ethniques en Israël. Pour plus d’informations sur ces courants cinématographiques, voir le livre d’Ariel Schweitzer, Le cinéma israélien de la modernité. Éditions L’Harmattan, 1997 et notre chapitre en annexe : « L’industrie du film en Israël : bref historique, économie et régulation » p. 308.

37

2. Petite chronologie de la fabrication du film Plaot

Plaot (Titre international : The Wonders), 18e film d’Avi Nesher, est une comédie policière d’une durée de cent douze minutes qui raconte les aventures d’un jeune graffeur à Jérusalem, qui découvre qu’un rabbin est séquestré dans son quartier44.

La genèse du film date de janvier 2011 : Avi Nesher, qui travaille alors sur plusieurs projets en parallèle, vient voir son producteur Dudi Silber avec l’idée de faire un film à Jérusalem.

L’écriture du scénario en collaboration avec le rappeur Shaanan Street rencontré lors d’un concert dure deux mois. (Le scénario sera réécrit plusieurs fois lors de lectures avec les comédiens.)

Lors de l’été 2011, la société de production de David Silber dépose ses premières demandes de financement auprès des fonds publics.

Courant septembre 2011, Avi Nesher commence à faire les repérages. En décembre 2011, il organise le casting des acteurs puis les répétitions. Parallèlement, l’équipe commence le travail sur les aspects visuels du film (recherches iconographiques et préparation des séquences animées). Celles-ci durent trois mois.

Les repérages se terminent fin janvier, sont alors recrutés les membres de l’équipe technique par chacun des chefs de poste.

Le tournage commence le 25 mars et se termine le 4 mai 2012, soit trente-trois jours avec une majorité de scènes tournées à Jérusalem, quelques scènes à Tel Aviv, Jaffa, la ville de Tkoa et le moshav Tirat Yehuda. Toutes les scènes ont été tournées en décor réel. Le tournage a mobilisé une équipe de cinquante et une personnes (sans compter les comédiens et figurants et assistants ponctuels éventuels).

44 Le synopsis complet du film est à retrouver en annexe, p. 262.

38

Le montage et la postproduction du film ont lieu en Belgique avec la société 58th Century

Entertainment à partir de juillet 2012. L’ajout de la musique composée par Avner Dorman et le mixage ont eu lieu aux studios Galaxy. Le film est sorti en Israël le 6 juin 2013.

3. Entrée sur le terrain

a ) Décembre 2011

Le 11 décembre 2011, j’apprends qu’Avi Nesher travaille sur l’écriture de son prochain film.

Je décide donc de lui écrire après avoir reçu son adresse mail d’un contact commun. Je me présente, je lui explique mon projet et que je voudrais étudier son tournage en observatrice participante pour ma thèse en France. Avi me dit qu’il serait très heureux de m’aider dans mes recherches et me dit que Sivan, son assistante personnelle, prendra bientôt contact avec moi.

Quelques jours plus tard, son assistante, Sivan Glickman, revient vers moi et m’écrit qu’Avi

Nesher n’a pas encore terminé d’écrire le scénario et doit finaliser le casting. Ils reprendront contact début janvier quand ils rentreront en phase de préproduction.

b ) Janvier 2012

Sivan me recontacte donc et nous convenons d’un entretien sur skype avec Keinan Alder, le producteur exécutif. Keinan ne me pose aucune question sur mon travail de recherche, mais me demande quel genre de job m’intéresserait sur le plateau. Je lui dis que je suis ouverte à tout, avec une préférence pour l’assistanat de réalisation, que j’ai déjà eu l’occasion de faire sur des courts-métrages et des documentaires. Keinan me raconte qu’une stagiaire étrangère qui avait participé à Paam Aiti, le film précédent d’Avi Nesher et qui avait assisté l’équipe de décoration avait beaucoup aimé son expérience sur le plateau. Puis il me demande si j’aime « gérer » les gens, il répète cette phrase avec le mot « figurants ». J’hésite. Oui, je crois. Keinan dit :

39

« OK, je pense qu’on t’a trouvé un rôle. Pour le moment, nous sommes encore en phase de réécriture mais une fois qu’une date de tournage aura été convenue, nous te recontacterons. »

Je n’ai ensuite plus de nouvelles jusqu’à fin janvier. Sivan me contacte alors pour me dire que le tournage est prévu pour mars.

c ) Février 2012

Pendant le mois qui précède le tournage, je lis et je m’informe sur les méthodologies ethnographiques, je décide de me procurer une caméra. Je postule pour une aide financière au terrain. Je suis aussi en lien avec Sivan qui me fait suivre les évolutions et les préparations, le casting des comédiens, etc. J’achète également mes billets d’avion pour Israël.

d ) Mars 2012

Je reçois le scénario définitif, ainsi que le planning de tournage à ma demande. Je pars une semaine en Israël avant le début du tournage prévu pour le 25 mars.

e ) 1er jour de tournage : 25 mars 2012

Quand j’arrive à Jérusalem pour le début du tournage, j’apprends de Sivan que je dois rejoindre

Dudi Dorham, le chef de file responsable des figurants, qui m’expliquera mon rôle avec les figurants.

Pendant le tournage, j’officierai également auprès de la coordinatrice de production Sarah de la

Pergola, où je m’occuperai d’imprimer et lister les « petites caisses » du tournage, c’est-à-dire toutes les petites dépenses de l’équipe. Je suis également assistante de la scripte, Liel.

70 % de mon temps passe dans le travail avec les figurants, le reste se divise en assistanat divers

également avec l’équipe de régisseurs et de décoration.

40

Mon travail avec les figurants consiste à m’assurer que ceux-ci ne quittent pas le plateau et à les « dorloter » pendant qu’ils attendent entre les prises. Je dois également leur distribuer un document qu’ils doivent signer et qui autorise la société de production à utiliser leur droit à l’image.

Il m’arrive également de les contacter pour leur rappeler le jour où ils doivent venir pour le tournage et reprendre leurs mensurations pour les costumes. Le travail n’est pas trop prenant et me permet d’observer et de faire des entretiens.

Suite à cet épisode d’observation participante, j’ai compilé près de vingt-neuf entretiens que j’ai menés avec les membres de l’équipe du film. Certains entretiens ont dû être effectués en plusieurs fois ou après la fin du tournage comme celui avec Avi Nesher.

Si l’essentiel de mon travail s’est concentré pendant le tournage, j’ai également suivi de manière plus lointaine la postproduction, la distribution et la sortie en salle.

41

CONCLUSION DU CHAPITRE 1

Dans ce premier chapitre, nous avons pu explorer la littérature existante dans les sciences sociales sur le cinéma et nous apercevoir que les ethnographies de tournage sont encore peu nombreuses.

La méthodologie « plurielle » de cette thèse s’alimente de différentes approches théoriques qui nous paraissaient complémentaires. Ainsi, à côté de l’observation participante, des entretiens et du recueil de données diverses ; nous avons appliqué des outils développés par d’autres sociologues. La théorie ancrée alliée à un logiciel d’analyse qualitative a facilité et accéléré le processus d’identification des problématiques essentielles du terrain. De même, l’usage raisonné et critique de concepts développés par les sociologues de l’interactionnisme (Becker,

Goffman entre autres) permet d’avoir une boîte à outils à portée de main. Cette boîte à outils n’était pas toujours adaptée et a évolué selon nos besoins. Il n’était pas question d’être dogmatique, il est sûr que d’autres outils auraient pu être utilisés sur cette thèse, nous avons choisi ceux qui nous paraissaient les plus adéquats à l’objet d’étude : le tournage qui, comme nous l’avons vu, peut être défini comme un lieu d’interactions multiples.

L’utilisation de la caméra HD sur le terrain a joué deux rôles fondamentaux : nous faciliter le recueil de données et leur analyse mais également légitimer notre présence de chercheuse & d’intervieweuse sur le plateau.

Dans les chapitres suivants, nous analyserons une à une les thématiques ressorties de notre séjour sur le terrain.

42

C H A P Î T R E 2 CROYANCE, RELIGION ET CINÉMA EN TERRE PROMISE

INTRODUCTION DU CHAPITRE 2

Dans ce chapitre, nous nous intéressons à la manière dont la religion irrigue tant le contexte dans lequel le film a été tourné que ses thématiques.

Nous analyserons d’abord l’importance prise par les thématiques religieuses dans le cinéma israélien contemporain, puis la manière dont des institutions encouragent la production de films sur ces thématiques.

Dans une deuxième partie, nous étudierons les liens entre art et croyance et la manière dont ils s’articulent dans le film Plaot. Nous reviendrons également sur les facteurs qui alimentent « la religification45 » de la société et des productions israéliennes, et enfin nous explorerons l’impact de la religion sur le plateau en analysant les témoignages des membres religieux ou croyants de l’équipe de tournage.

I — LE RETOUR DE LA RELIGION DANS LE CINÉMA ISRAÉLIEN

Longtemps mise à l’écart, la religion est revenue au centre des thématiques du cinéma israélien. Ce retour est dû entre autres à l’émergence d’institutions qui œuvrent pour le développement des thématiques liées au judaïsme dans les médias israéliens dans un contexte général de montée de la religiosité au sein de la population israélienne.

45 Nous reprenons à notre compte ce concept anglo-saxon qui peut être traduit par le processus de rendre quelqu’un religieux.

43

1. Le retour de la thématique religieuse au cinéma

Dans les années soixante, l’image du juif orthodoxe était très stéréotypée (la série de films intitulés Kuni Leml46 qui met en scène de manière comique un juif orthodoxe en est une illustration). Ce genre de films que l’on peut comparer aux films bourekas47 a même un nom

« Gefilte Fish48 » (Schweitzer, 2013, p. 36). Le juif orthodoxe est vu comme un être faible et pathétique héritier de l’image de l’ancien juif du shtetl49 par opposition au sioniste conquérant qui travaille la terre. Selon le chercheur Yaron Peleg, cette imagerie a perduré dans le cinéma israélien jusqu’au début des années 2000 (Peleg, 2016, p. 26).

Avec la croissance démographique dans les années 80-90 de la communauté juive orthodoxe en Israël et leur implication plus forte en politique notamment via des partis comme Shas50, le cinéma israélien commence à s’intéresser à cette communauté de manière plus prononcée.

Depuis la défaite du parti travailliste et l’arrivée du parti conservateur du Likud au pouvoir en

1977, les partis religieux ont fait leur entrée dans la Knesset51. Shas est celui qui a acquis la popularité la plus forte. (Peleg, 2016, p. 38). Yaron Peleg note que le premier film israélien à traiter réalistement des religieux en Israël est Kaddosh d’Amos Gitai en 1999, une dénonciation du patriarcat dans la communauté ultra-orthodoxe de Mea Shearim52 à Jérusalem. (Peleg, 2016, p. 34.)

46 Le personnage de Kuni Leml est à l’origine créé par l’auteur de théâtre Yiddish Abraham Goldfaden dans les années 1878-1880 dans une pièce musicale comique. Trois films israéliens reprennent successivement ce personnage : Shenei Kuli Leml (Les deux Kuni Leml) en 1966, Kuni Leml be Tel Aviv (Kuni Leml à Tel Aviv) en 1976 et Kuni Leml be Kahir (Kuni Leml au Caire) en 1983. 47. Voir en annexe « L’industrie du film israélienne : bref historique, économie et régulation ». p. 308. 48 C’est un mot en Yiddish qui désigne un plat emblématique de la cuisine juive d’Europe Centrale, c’est un poisson farci qui se déguste traditionnellement pendant les fêtes juives comme Rosh Ha-Shana ou la Pâque juive. 49 Shtetl est un mot Yiddish qui veut dire « petite ville » et désigne les villages avec une forte population juive en Europe de l’Est avant la Seconde guerre mondiale. 50 Parti politique sépharade ultra-orthodoxe crée en 1984. 51 La Knesset est le nom du Parlement Israélien. 52 Le quartier de Mea Shearim s’est constitué à partir de 1874 par des ultra-orthodoxes. C’est une enclave séparée du reste de la ville de Jérusalem et de son mode de vie laïque. Voir Gutwirth, 2004.

44

Mais à partir du début des années 2000, des films réalisés par des Israéliens religieux proposent une vision moins stéréotypée et plus nuancée de ces communautés. Le premier film qui a été réalisé par un membre d’une communauté religieuse, dans ce cas précis de la communauté sioniste religieuse des colonies, est Time of Favor (2000) de . Le film donne une image toujours critique mais plus nuancée en mettant en scène un soldat sioniste religieux qui doit empêcher l’attentat préparé par un extrémiste juif sur l’esplanade des mosquées.

Le premier film réalisé par un membre de la communauté des ultra-orthodoxes est la comédie

Ushpizin (2004) écrite et jouée par Shuli Rand, un acteur laïque devenu religieux. Ces films montrent les religieux comme faisant partie intégrante de la mosaïque de la société israélienne.

(Peleg 2016, p. 43).

On peut ajouter le premier film de Rama Burshtein (2012), une Israélienne

également revenue dans l’orthodoxie, montré dans de nombreux festivals internationaux et qui a été un véritable succès public et critique en Israël, réunissant plus de 295 000 spectateurs à sa sortie.

Alors, qu’il est théoriquement interdit, le cinéma juif ultra-orthodoxe s’est progressivement développé53 mais circonscrit à l’intérieur de la communauté et répondant à des normes respectant les règles du judaïsme orthodoxe, des films réalisés par les hommes pour un public masculin et des films avec une équipe féminine pour un public de femmes, respectant des principes de modestie, sans nudité, etc. (Peleg, 2016, p. 44).

53 Voir à ce sujet : Yael Friedman, Yohai Hakak, « Jewish revenge : Haredi action in the Zionist sphere ». Jewish Film & New Media : An International Journal, 3 (1), 2015, p. 48-76. et Marlyn Vinig, A kolnoa a haridi [le cinéma ultra-orthodoxe] Tel Aviv : Resling, 2011.

45

2. Des institutions qui encouragent cette thématique

L’influence grandissante de la religion dans les thématiques du cinéma israélien a des raisons institutionnelles.

Des aides publiques et privées pour la culture et les arts servent à mettre en avant des communautés peu visibles dans les médias israéliens (juifs orthodoxes, personnes vivant en périphérie des grandes villes, arabes israéliens). Ces aides passent souvent par des fondations privées qui soutiennent des œuvres qui mettent en avant des personnages issus de ces minorités dans les fictions. L’influence de la religion se manifeste également par la création d’écoles qui mettent en avant la culture juive comme l’école de cinéma Maale’h54.

a ) Des fonds pour mettre en avant la culture juive

Des organisations juives comme la Avi Chai Foundation investissent les secteurs des arts et des médias en finançant des œuvres qui promeuvent leur « cause », influençant ainsi les types de films produits (Dardashti, 2015).

La fondation juive américaine Avi Chai créée en 1984 par le milliardaire juif orthodoxe américain Zalman Chaim Bernstein a, depuis l’assassinat de l’ex-Premier ministre Yitzhak

Rabin en 1995 par Ygal Amir, un extrémiste sioniste religieux, soutenu des projets artistiques dont l’objet est de rapprocher les laïcs et les religieux en Israël et l’inscrit dans un projet plus large appelé « Tsav Pius55 » dont l’objectif à terme est de réconcilier les différentes couches de la société juive israélienne après cet événement traumatisant (Talmon, 2013, p. 67). Depuis le début des années 2000, la fondation soutient plus spécifiquement des programmes télévisés qui

55 Il s’agit d’un jeu de mots avec « Tsav Gius » qui est un document qui est envoyé aux jeunes israéliens pour les mobiliser à l’armée. « Pius » veut dire réconciliation en hébreu.

46

mettent en avant les thématiques juives dans la société israélienne (Peleg, 2016, p. 19). La fondation a trois types d’actions complémentaires : l’organisation de programmes sur le judaïsme à destination d’un public laïque, promouvoir la culture juive dans les médias et améliorer l’étude de la religion dans les écoles publiques. (Dardashti, 2015, p. 82).

Dans ce cadre, le Avi Chai Foundation Film & Television Project (FTP) a été créé en 1999 en réponse au manque de représentation de personnages juifs religieux sur les écrans israéliens

Pour ce faire, et pour contrer les stéréotypes négatifs qui prévalaient dans les années 60-70 sur ce type de personnages, le FTP collabore de manière rapprochée avec des scénaristes israéliens.

(Dardashti, 2015, p. 86).

Le FTP finance jusqu’à 20 % du budget d’une série télévisée et 10 % du budget d’un long- métrage de fiction. La Avi Chai foundation s’est également associée à une autre fondation la

Gesher Multicultural Film Fund (GFF) fondée la même année (1999) pour soutenir des films et programmes de télévision qui représentent des communautés sous-représentées en Israël

(comme les religieux ou les Arabes israéliens). Elle est autorisée à distribuer les fonds publics de soutien au cinéma en accord avec la loi sur le cinéma56. Grâce à cette collaboration, 20 % du budget d’un film pouvait être pris en charge par ces deux fondations.

Avi Chai a organisé et financé des ateliers de création appelés « beit midrash » du nom de la salle d’étude de la Thora57 à destination des professionnels de l’audiovisuel et des médias.

Lors de ces ateliers, les participants étaient invités à écrire des scénarios inspirés des textes et de l’histoire juive. Plusieurs projets imaginés lors d’un atelier organisé en 2006 ont ainsi vu le jour : la série de télévision Mekimi (2013) et un film de fiction : A place in Heaven (2013).

56 Pour un historique et une présentation complète de la loi sur le cinéma en Israël, voir en annexe : « l’évolution de la régulation et mise en place de la loi sur le cinéma » p. 313. 57 La Thora désigne les cinq premiers livres du Tanach, la Bible hébraïque qui donne un cadre et des lois aux croyants.

47

Bien que l’organe régulateur de la télévision israélienne interdise le financement de programmes par des organisations politiques, l’objectif de la fondation Avi Chai, encourager la culture juive et la tolérance religieuse, n’était pas vu comme politique. (Dardashti, 2015, p. 88).

Avi Chai a ainsi financé des films et des séries qui montraient la coexistence possible entre

Israéliens laïques et religieux. L’un des derniers projets financés, la série Shitsel, va même plus loin, elle dépeint uniquement des personnages ultra-orthodoxes démontrant la popularité de ces personnages au sein du public israélien. (Dardashti, 2015, p. 90). Bien que Plaot n’ait pas reçu de financement de l’une de ces fondations, le film a bénéficié de ce contexte favorable pour traiter les thématiques religieuses qu’il met en scène.

b ) Ma’aleh: une école qui allie cinéma et Thora

La création de l’école de cinéma Ma’aleh par la communauté sioniste religieuse en 1989 a deux buts selon le chercheur Yaron Peleg : combiner la Thora avec les arts visuels et éduquer les étudiants pour qu’ils puissent combattre l’image supposée négative de leur communauté dans les médias laïques. (Peleg, 2016, p. 94).

Cette conception religieuse de la formation au cinéma m’est confirmée par Ruvi Komer, un diplômé de l’école qui travaille sur le tournage de Plaot.

Comme la majorité des étudiants viennent d’un cadre religieux, cela veut dire qu’ils traitent

souvent de sujets plus religieux. On fait plus attention à la modestie, il n’y a pas de nu dans les

films. C’est un cinéma plus doux, on ne cherche pas à provoquer. […] À Maaleh, on te prépare

pour un cinéma très personnel, intime, ils veulent développer le style personnel et unique de

chaque personne. […] Il y a un grand investissement dans l’aspect professionnel même s’ils ont

des progrès à faire pour arriver au même niveau qu’à l’étranger. Ce qui est très important pour

48

eux c’est l’aspect raisonnable dans les films même si c’est quelque chose auquel je ne suis pas

très attaché58.

Il est intéressant de noter comme Ariel Schweitzer (2013, p. 39) que des diplômés de l’école

Ma’aleh comme Anat Zuria 59 ou Hadar Friedlich60 ont montré une image plus complexe et critique du judaïsme dans leurs films malgré les injonctions de leurs professeurs. Si les créateurs de la Ma’aleh Film School voulaient avant tout que les diplômés religieux sionistes aient un impact sur les médias laïques à leur sortie, cela n’empêchait pas des débats internes sur la censure comme le rapporte David C Jacobson dans un article fouillé sur le fonctionnement de l’école. Ainsi, la projection d’un court-métrage d’une étudiante qui mettait en scène une femme nue a entraîné son renvoi et, en réponse, la démission d’une partie des professeurs de l’école.

(Jacobson, p. 39, 2004).

Toutefois, l’arrivée de ces diplômés religieux sionistes dans l’industrie du cinéma israélienne a bien eu un impact sur les thématiques des films et séries produits ces dernières années. Ainsi, deux diplômés de cette école Eliezer Shapira et Ori Alon ont réalisé respectivement une série à succès mettant en scène des juifs religieux sionistes (Srugim) et des juifs ultra-orthodoxes

() tout en bénéficiant comme nous l’avons vu des aides financières d’institutions comme la Avi Chai Foundation, faisant entrer dans le courant dominant des personnages qui étaient à la périphérie de la société israélienne.

58 Extrait de l’entretien avec Ruvi Komer. 59 Notamment via sa trilogie documentaire consacrée aux femmes juives orthodoxes : Purity (2002), Sentenced to marriage (2004) et Black bus (2009). 60 Dans son court-métrage Esclaves du Seigneur (2003), une jeune juive orthodoxe sombre progressivement dans la folie.

49

II — LA RELIGION AU CŒUR DU FILM ET DE SON TOURNAGE

1. Art et croyance

Il s’agit maintenant de détailler les thématiques de l’art et de la croyance convoquées par les auteurs du film et son ancrage dans le contexte plus large de la production israélienne.

Le thème principal du film tel qu’il a été communiqué notamment à la presse61 par Avi Nesher

(אמנות) emouna) et art) (אמונה) et son producteur David Silber c’est la relation entre croyance

(omanout). Le film traite comme histoire centrale de la relation entre un artiste laïque et un rabbin ultra-orthodoxe.

Avi Nesher explique dans un entretien que la « croyance en Dieu, c’est la croyance en ce qui ne se voit pas. Et l’œuvre d’art rend visible quelque chose d’invisible. Dans les deux cas, il s’agit d’un processus d’investigation et d’enquête62 ». Dans une autre série d’entretiens accordée au critique de cinéma Pablo Utin, Avi Nesher qui a eu lui-même une éducation religieuse (il a étudié dans une Yeshiva63 lorsqu’il était adolescent à New York) affirme qu’« aller au cinéma équivaut à une prière laïque ». « En allant au cinéma, nous acceptions de croire ce que nous voyons à l’écran, nous acceptons de devenir croyants » (Utin, 2017, p. 191) même si ce que nous voyons est une pure fiction.

Toutefois, comme le rappelle Jean-Louis Comolli, le spectateur n’est pas dupe. Au cinéma, la croyance a comme corollaire le doute : « la croyance du spectateur dans les effets de réel produits par la représentation filmique ne peut complètement se défaire du doute qui l’affecte »

(Comolli, 1997, p. 38).

61 « La tension interne entre création et croyance me semble être une problématique centrale dans l’existence en Israël aujourd’hui. » (Entretien pour le Journal Haaretz, 3 avril 2012). 62 L’opinion de Nesher rejoint d’autres penseurs notamment des philosophes et sociologues comme Émile Durkheim qui voient l’art ou l’expérience esthétique comme une occasion de montrer au spectateur les efforts pour une culture d’atteindre sa dimension sacrée. 63 Une est une école d’étude de la Thora et du Talmud.

50

Dans son ouvrage, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim décrit l’origine religieuse de l’art sous la forme de rites ou de symboles représentatifs qui servent à « entretenir la vitalité des croyances » (Durkheim, 1985 [1912], p. 526 cité par Menger, 2009, p. 177), cette croyance représentant la communauté dans sa totalité. Pour Durkheim, la religion « est avant tout un système de notions au moyen desquelles les individus se représentent la société dont ils sont membres » (Durkheim, 1985 [1912], p. 322-323).

Durkheim ajoute que « le rite a quelque chose d’esthétique » et l’irréel et l’imaginaire qui caractérisent l’art entrent « pour une part dans ce sentiment de réconfort que le fidèle retire du rite accompli » (Durkheim, 1985 [1912], p 547).

Comme le montrent Matthieu Béra et Yvon Lamy dans leur ouvrage de synthèse, La sociologie de la culture, l’analogie entre l’artiste et la notion de création issue du monothéisme est devenue un modèle explicatif pour la sociologie comme pour les artistes. L’artiste, comme le dieu monothéiste, part « d’une table rase » pour créer une œuvre dont il ne sait pas encore à quoi elle finira par ressembler. (Bera, Lamy, 2011, p. 111).

Bourdieu, lui, en a fait son principal point de critique des arts, ce qu’il appelle l’« illusio », ou la croyance, l’adhésion collective au jeu. « L’œuvre d’art comme les biens ou les services religieux, amulettes ou sacrements divers, ne reçoit de valeur que d’une croyance collective comme méconnaissance collective, collectivement produite et reproduite. » (Bourdieu, 1992, p. 244). Il remet en cause la « foi dans le créateur » qui n’est qu’un leurre et doit être déconstruite :

Le principe de l’efficacité des actes de consécration réside dans le champ lui-même et rien en

serait plus vain que de chercher l’origine du pouvoir “créateur”, cette sorte de mana ou de

charisme ineffable, inlassablement célébré par la tradition, ailleurs que dans cet espace de jeu qui

s’est progressivement institué, c’est-à-dire dans le système des relations objectives qui le

constituent, dans les luttes dont il est le lieu et dans la forme spécifique de croyance qui s’y

engendre (Bourdieu, 1992, p. 240).

51

2. Religion et matérialisme

Comme me l’affirmait Avi Nesher lors de notre entretien, la religion et son lien avec l’argent sont une « vérité existentielle » en Israël qui le préoccupe au plus haut point et qui justifiait l’existence du film.

« Nous avons essayé de vivre dans un pays laïque et socialiste et nous avons fini dans un pays qui est capitaliste et religieux. C’est la vérité de notre situation et c’est une vérité existentielle.

Et quand une vérité devient existentielle tu dois absolument t’en occuper pour la comprendre64. »

Le producteur du film, Dudi Silber, me confirme la centralité de ce thème lors de notre entretien : Avi Nesher voulait faire un film « sur comment la religion est devenu un procédé de fabrication d’argent. Sur la nature humaine, la création65. »

Pour Plaot, Avi Nesher s’est en effet inspiré d’une histoire vraie, celle du Rabbin Nir Ben Artzi, qui affirmait détenir des pouvoirs surnaturels et avait créé autour de lui une communauté de croyants, qui avait toutes les caractéristiques d’une secte dans sa forme. Il avait été kidnappé et séquestré par ses anciens donateurs entre 2005 et 2008, ils l’auraient également contraint de rédiger une lettre où il admettait avoir notamment commis des actes pédophiles. L’affaire fut menée devant la justice, les kidnappeurs du rabbin furent finalement condamnés à cinq mois de travaux forcés et 10 000 NIS de dommages et intérêts66. Une ancienne membre de sa communauté avait même coaché la comédienne Yuval Sharf avant le tournage.

64 Extrait de l’Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 65 Extrait de l’entretien avec le producteur, Dudi Silber. 66 Le rabbin Ben Artzi continue à conseiller et animer sa communauté. Un reportage sur le kidnapping diffusé sur la chaîne israélienne privée Arutz 2 le 17 décembre 2009, sous-titré en français, peut être retrouvé sur la page Youtube de la communauté du rabbin : youtube.com/watch?v=GMozqNTw4Ns [consulté le 1er novembre 2018].

52

L’importance de ce sujet, son aspect essentiel, sont rappelés à plusieurs reprises par d’autres membres de l’équipe. « C’est un sujet très chaud dans notre réalité. Cela a un impact important sur la vie en Israël à différents niveaux. Il s’agit d’une contribution dans une bataille contre une conception matérialiste de la religion juive67. »

Excepté la cinquantaine de figurants ultra-orthodoxes68 du film, presque tous les membres de l’équipe de tournage se considèrent comme non-religieux. Seule une minorité d’entre eux revendiquait une pratique religieuse.

Boaz Yaakov, le chef opérateur de la deuxième équipe de tournage, est l’un d’eux. Fils de producteur, il a grandi sur les plateaux de cinéma, adulte, il a commencé à travailler en tant que cadreur et est progressivement revenu vers la religion à la vingtaine. Son avis d’« insider » sur le sujet m’intéressait donc. Pour lui, la religion en elle-même ne pouvait pas être jugée mais plutôt les hommes qui la pratiquent.

« Écoute, le problème principal du Créateur, c’est les relations publiques. Comment on le présente, du moment que tu as une kippa69 une tsisit70 et une barbe, du point de vue des autres tu représentes le Créateur, la question c’est comment tu le représentes. C’est très simple. Parfois ses relations publiques ne sont pas de bonne qualité71. »

Un jeune figurant « ultra-orthodoxe », Izekiel, mais qui prenait le chemin inverse, celui d’un

éloignement de la pratique religieuse dans sa vie personnelle, souligne lui aussi l’importance de montrer les mauvais côtés de la religion auprès des religieux et des laïcs.

67 Entretien avec Dudi Silber, le producteur. 68 Basées sur les estimations du chef de file Dudi Dorham. 69 La kippa est une calotte portée par les juifs pratiquants et portée lors de la prière en signe d’humilité par rapport à la puissance divine. 70 Les Tsisit sont des franges façonnées au coin des vêtements et notamment du Talit, le châle de prière, qui doivent être portés par tout homme juif de plus de treize ans. 71 Entretien avec le chef opérateur, Boaz Yaakov.

53

« La religion doit accepter la critique et une vision réaliste. Il faut montrer les choses qui se passent en vrai : il y a beaucoup de charlatans. Il faut montrer ce qui se passe derrière. Il faut le montrer aux laïcs pour qu’ils les voient et chez les religieux aussi72. »

3. Expliquer le retour du religieux

Comme Avi Nesher, Régine Mihal Friedman fait le constat d’un bouleversement idéologique dans le pays et précise dans son essai sur le cinéma israélien qu’à partir des années quatre-vingt « le développement d’un capitalisme sauvage, sui generis, engendrait un nouveau type de société, consciente de la précarité de son destin, résignée d’avance à la fatalité des guerres et décidée, en conséquence, à tout acquérir tout de suite, avant qu’il ne soit trop tard. »

(Mihal Friedman, 1986, p. 239).

Avi Nesher avait déjà exploré la thématique de la religion dans son film A Sodot (Les Secrets) en 2007 co-écrit avec la scénariste Hadar Galron, une scénariste qui avait quitté sa communauté juive orthodoxe, sur la rébellion de deux jeunes femmes de la communauté orthodoxe de la ville de Safed.

De son côté, le chercheur Yaron Peleg, publie un livre73 qui montre l’importance prise par les thématiques religieuses dans le cinéma et la télévision israélienne dans les années 2000 qui représente pour lui une illustration de l’impact croissant de la religiosité sur la société israélienne. Alors même que le projet sioniste voulait se distinguer de la religiosité juive orthodoxe. Cette « religification » croissante de la société a donné naissance, comme il le souligne, à un nouveau terme en hébreu (Ahadata) pour décrire ce phénomène (Peleg, p. 14,

2016).

72 Entretien avec Izekiel Varsha, figurant « ultra-orthodoxe ». 73 Yaron Peleg, Directed by God : Jewishness in contemporary Israeli film and television. University of Texas Press, 2016.

54

Ronnie Parciak avait déjà remarqué que l’importance prise par cette thématique dans le cinéma israélien par rapport à d’autres sujets était récente (ces vingt dernières années). Elle souligne ainsi qu’entre 1960 et 1990 seuls vingt films sur quatre cents sortis au cinéma avaient centré leur film sur ces thématiques74. Ils sont bien plus nombreux depuis les années 200075.

Selon la chercheuse Yael Munk, jusque dans les années 80-90, la majorité des films réalisés avant les premières « crises » comme la guerre de Kippour, était dénuée de tout lien avec le judaïsme, soit pour des raisons idéologiques, le personnage du Sabra76 laïc du kibboutz77 étant opposé aux juifs religieux de la Diaspora, soit pour des raisons esthétiques, les cinéastes du courant de ce que l’on a appelé la Nouvelle Sensibilité78 étaient des jeunes israéliens laïcs très inspirés du cinéma européen de l’époque et où la religion n’avait pas de place (Munk, 2006).

Cette augmentation de films à thématique religieuse peut être donc lue dans un contexte politique plus large où une l’idéologie sioniste laïque et collective est mise à mal (guerres, intifada) et où parallèlement d’autres voix en Israël se font entendre (minorités ethniques et religieuses, femmes, homosexuels) avec un regain d’intérêt pour des cultures folkloriques ancestrales ou quasi disparues (comme la culture yiddish79). (Mihal-Friedman, 2010, p. 124).

À cela s’ajoute, comme nous l’avons vu, la volonté de représenter les religieux juifs ultra- orthodoxes de manière moins stéréotypée et plus réaliste que dans les films produits pendant les années 60-7080.

74 Ronnie Parciack, Le sentiment religieux dans le cinéma israélien, Thèse de M. A Université Hébraïque de Jérusalem citée par Régine Mihal Friedman, « La rejudaïsation du cinéma israélien ou la désacralisation du Saint » dans Agnès Devictor et Kristian Feigelson, Croyances et sacré au cinéma, CinemAction 2010. 75 Pour se faire une idée du nombre actuellement important de films produits qui traitent du judaïsme, voir la liste des films israéliens (courts et longs métrages) sous l’entrée « Judaism » recensés par Israel Film Center : israelfilmcenter.org/israeli-film-database/subject/Judaism. 76 Un sabra désigne un Israélien né en Israël. 77 Les kibboutz sont des villages collectivistes d’inspiration socialiste. 78 Pour avoir plus d’informations sur ce courant cinématographique, voir Ariel Schweitzer (1997) et le chapitre « L’industrie du film en Israël : bref historique, économie et régulation » en annexe p. 308. 79 Le yiddish est la langue vernaculaire des Juifs d’Europe Centrale et Orientale. 80 Voir Talmon-Bohm M. ; From the land of our forefathers to our mother, the home-land : negotiations of cultural identity in israeli cinema. Où l’auteure analyse ce nouvel intérêt pour les communautés juives orthodoxes comme une volonté de redécouvrir des cultures pré-israéliennes à l’opposé de l’image des premiers films de propagande sionistes et la volonté du pays d’effacer les particularismes culturels.

55

Pour Yael Munk, le retour du judaïsme dans le cinéma israélien des années 2000 serait une

« prise de conscience tardive du prix que l’ensemble du peuple israélien a dû payer pour fonder une nation, notamment l’oubli des racines juives imposé par l’idéologie dominante dans le pays. » (Yael Munk, 2006, p. 7).

Avi Nesher, interrogé par le critique Pablo Utin à ce sujet, et sur sa volonté comme d’autres réalisateurs de faire des films sur la religion, répondit que c’est à partir de la guerre de Kippour de 1973 qu’il observe un retour vers la religion. Selon lui parce que le rêve et la croyance du sionisme socialiste ne sont plus ceux de la possibilité d’un processus de paix mais « également parce que nous avons craint que peut-être cette guerre avait été inutile » (Utin, 2017, p. 193).

Ariel Schweitzer fait un constat similaire en notant que suite à la guerre de Kippour « de nombreuses œuvres littéraires ou théâtrales de l’époque traiteront directement de l’identité culturelle d’Israël et réhabiliteront des valeurs qui avaient été plus ou moins rejetées par le sionisme, telle la tradition juive de la diaspora qu’elle soit européenne ou orientale »

(Schweitzer, 1997, p. 208.).

J’ai pu observer sur le terrain les effets de facteurs structurels qui expliquent ce regain de la thématique religieuse.

Des tournages croissants de films à Jérusalem depuis 2008 avec l’instauration du fonds d’aide au développement du cinéma de la municipalité81, la création en 1989 d’une école de cinéma pour un public religieux (Ma’aleh82), dont d’anciens étudiants travaillaient sur le plateau. Enfin, bien sûr l’intérêt croissant d’un public, comme nous avons vu plus haut, qui lui-même se fait de plus en plus religieux83.

81 The Jerusalem Film and Television Fund sur laquelle nous reviendrons. jerusalemfilmfund.com. Voir également article en annexe p. 308. 82 Voir supra, p. 48 et l’article de David C. Jacobson sur la genèse de l’école et son influence sur la société israélienne : “The Ma’ale school : Catalyst for the entrance of religious Zionists into the world of media production”, Israel Studies, 9(1), 2004, p. 31-60. 83 Ainsi, la part de juifs se déclarant ultra-orthodoxes a augmenté de 2 points au sein de la population israélienne entre les périodes 2005-2007 et 2010-2012 alors que dans le même temps la part de la population se définissant comme laïque a légèrement baissé même si elle reste majoritaire. (Voir tableau 1 p. 261 en annexe).

56

4. Cinéma et Religion sur le plateau

En choisissant de tourner les deux tiers des scènes de son film à Jérusalem, ville sacrée du judaïsme, Avi Nesher, comme d’autres réalisateurs avant lui, semble tomber dans le paradoxe connu d’une ville qui est à la fois un espace sacré du Judaïsme donc en théorie interdit

à la représentation, et qui, pourtant, devient le support d’un film de cinéma.

« La ville de Jérusalem est un espace sacré, pourtant une fois qu’on y entre, sa sainteté recule.

La ville cinématique implique un autre aspect, la qualité abstraite du sacré dans le judaïsme, qui interdit la fabrication des images et qui s’oppose à la passion cinématographique de produire des images concrètes de la ville éternelle84. »

Au-delà des thématiques du film et de la présence de nombreux figurants juifs ultra- orthodoxes85 sur le plateau, j’ai pu moi-même observer l’existence des relations entre ces deux concepts en analysant les discours des membres les plus pratiquants de l’équipe du tournage.

Pour ceux que j’ai pu interroger, et malgré une défiance traditionnelle de la loi juive pour l’image animée86, le cinéma et la foi auraient beaucoup de points communs.

Ruvi, régisseur, ancien étudiant de Ma’aleh, considère le cinéma comme étant proche de la

Thora qu’il compare à la vie. « La vérité ? […] le cinéma est le plus proche de la Thora c’est quelque chose qui contient toute la vie : tu dois construire, filmer, tout va dedans.

L’interprétation par chacun de la Thora est très personnelle pour certains ce sont des règles mais

84 “The city of Jerusalem is a sacred space, yet – once entered – its sacredness recedes. The cinematic city engages yet another aspect – the abstract quality of the sacred in Judaism, which prohibits the making of image – and is set against the cinematic passion to produce concrete images of the eternal city.” (Anat Zanger, 2012 p. 154). 85 Nous analysons le rôle joué par ces figurants et leur influence sur le tournage au chapitre VI. IV. « Authenticité des figurants », p. 202. 86 Le judaïsme orthodoxe n’autorise pas la représentation cinématographique en se basant sur une interprétation stricte du deuxième commandement du Décalogue : « Tu ne feras pour toi ni sculpture ni image, de ce qui est dans les cieux en haut, sur la terre en bas et dans les eaux sous terre ». Il interdit l’idolâtrie ce qui explique selon certains chercheurs l’aversion de la religion du livre pour l’image quelle qu’elle soit. (Régine Mihal-Friedman, 2010, p. 125).

57

en ce qui me concerne, pour moi, c’est comme la vie. Le cinéma est aussi comme la vie. C’est une copie de la vie mais c’est de la vie quand même87. »

Boaz Yaakov, le chef opérateur, revenu vers la religion, va plus loin et considère que le tournage est une expérience spirituelle assimilable à une découverte divine. « Les rires entre eux, les sentiments, leurs personnalités. J’avais l’habitude de m’asseoir des heures à regarder les gens et observer comment ils se comportaient les uns avec les autres. C’est quelque chose qui jusqu’à maintenant m’intéresse le plus dans ce travail. Être là dans cette expérience humaine qui s’apparente selon moi à une découverte divine88. »

Sa description d’un tournage s’apparente à celle de Durkheim sur les rites collectifs « Entraîné par la collectivité, l’individu se désintéresse de lui-même, s’oublie, se donne tout entier aux fins communes. » (Durkheim, 1911).

Ces deux témoignages rejoignent des études sur l’expérience religieuse en psychosociologie.

Batson et Ventis font ainsi une analogie entre le processus de créativité et celui de l’expérience religieuse car elles donneraient lieu toutes les deux à un changement cognitif qui transforme la façon dont les créatifs et les croyants saisissent la réalité. (Batson & Ventis, 1982, p. 63-97).

87 Entretien avec Ruvi Komer, assistant de production. 88 Entretien avec Boaz Yaakov, chef opérateur.

58

CONCLUSION DU CHAPITRE 2

La religion est un élément qui a des influences concrètes sur la vie sociale dans un pays démocratique comme Israël où celle-ci n’a jamais été séparée de l’état. Paradoxalement, le sionisme moderne qui s’est développé dans une opposition à une vision essentialiste et religieuse du judaïsme semble actuellement se rapprocher de ce qu’il avait fui. La popularité croissante pour des thématiques religieuses (ou avec des protagonistes religieux), l’encouragement financier d’institutions ont comme effet le renouvellement de films et séries plus nuancés sur le sujet.

Ce qui transparaît sur le plateau de Plaot, au-delà de la thématique du film, c’est la manière dont la croyance et la religion sont associées à la pratique de la fabrication d’un film. Pour Boaz

Yaakov, le chef opérateur revenu vers la religion, comme pour Rumi Komer l’ancien étudiant de Ma’aleh, faire un film n’est pas seulement compatible avec leur pratique religieuse, elle en est un élément inséparable. Faire un film devient ainsi une expérience spirituelle en soi.

Intéressons-nous maintenant de plus près à l’organisation du tournage et comment elle s’articule avec la créativité nécessaire dans la fabrication d’un film.

59

C H A P Î T R E 3 : CRÉER / ORGANISER

INTRODUCTION DU CHAPITRE 3

Ce chapitre dédié aux relations entre organisation et création est découpé en quatre parties.

Tout d’abord, nous nous interrogeons sur la notion même de création en reprenant le concept de « monde des arts » développé par Howard Becker pour discuter de l’aspect collectif et contingent de la création artistique mais aussi de l’importance du contexte dans lequel l’œuvre d’art est produite et enfin sur la contrainte économique qui est incontournable dans le cinéma.

La deuxième partie s’intéresse à l’organisation du travail sur le plateau et les rapports entre routine et création. Nous nous intéressons aux notions voisines de « conventions » et d’« étiquette » et comment celles-ci régissent les activités artistiques et leur pertinence sur le tournage. Nous clôturons cette partie en nous interrogeant sur le statut artistique du réalisateur

Avi Nesher en reprenant une grille conceptuelle élaborée par Howard Becker.

Dans une troisième partie, nous nous interrogeons sur l’aspect collectif de la création et plus précisément sur le rôle joué par l’improvisation dans l’organisation sur un tournage. Nous revenons sur l’usage de la métaphore du jazz utilisée pour décrire le travail sur le plateau.

Dans la dernière partie de ce chapitre, nous étudions de manière concrète comment la création se construit sur le plateau de tournage. Nous revenons sur le rôle fondamental joué par l’assistante-réalisatrice et sur les contraintes extérieures sur le tournage de Plaot et comment celles-ci sont gérées par les membres de l’équipe. Enfin, nous terminons avec une transition vers le chapitre IV en nous intéressant à l’impact des interactions interpersonnelles sur le processus créatif.

60

I — CRÉER

Dans le recueil Art from Start to finish, Howard Becker et avec lui Robert R Faulkner remarquent que très souvent il est reproché aux sociologues de ne pas vouloir s’intéresser au travail derrière l’œuvre d’art. Faulkner, dans son analyse sociologique du jazz dans l’essai

“Shedding Culture” dans le même ouvrage, ajoute « qu’en s’intéressant au travail derrière l’œuvre d’art, nous faisons un premier pas, bien que préliminaire vers la compréhension d’une organisation d’une imagination organisée et de l’imagination derrière cette organisation89 ».

Ces arguments qui concernent le jazz peuvent très bien être adaptés à l’analyse sociologique de la fabrication et du tournage du film de fiction Plaot d’Avi Nesher. Tout au long de notre analyse, nous tâcherons de suivre ces préceptes en nous intéressant à l’organisation du tournage ainsi qu’à l’imagination derrière cette organisation.

89 “By looking at the work behind the work itself we make a first, if preliminary, step toward understanding the organization of organized imagination and the imagination behind the organization”. Robert R. Faulkner, “Shedding Culture”, dans Howard Becker, Robert R. Faulkner et Barbara Kirshenblatt-Gimblett, Art from start to Finish, University of Chicago Press, 2006 p. 111-112.

61

1. L’artiste et les mondes de l’art

Le mythe d’une créativité indépendante dans les arts n’est plus. Cette créativité est embrigadée dans un contexte (social, économique) particulier et dans un réseau d’acteurs qui ont un impact direct sur la création90.

Pour Bourdieu, la « création » est un acte social qui se réduirait à « la rencontre entre un habitus socialement constitué et une certaine position déjà instituée ou possible dans la division du travail de production culturelle ». (Bourdieu, 1984 (2002), p. 210).

Comme le note Bruno Péquignot dans sa critique de la position de Bourdieu sur l’art dans son livre Pour une sociologie esthétique, la création est vue comme une « production » qui peut être

« déduite de ses conditions de possibilité » ce qui « vide de sens » le concept même de création,

(Péquignot, 1993, p. 13). Bourdieu conclut d’ailleurs sa réflexion avec le constat suivant :

Le “sujet” de la production artistique et de son produit n’est pas l’artiste, mais l’ensemble des

agents qui ont partie liée avec l’art, qui sont intéressés par l’art, qui ont intérêt à l’art et à

l’existence de l’art, qui vivent de l’art et pour l’art, producteurs d’œuvres considérées comme

artistiques (grands, petits ou célèbres, c’est-à-dire célébrés ou inconnus) critiques,

collectionneurs, intermédiaires, conservateurs historiens de l’art etc. (Bourdieu, 1984 (2002),

p. 220).

De même, Howard Becker a montré comment l’art était ancré dans une action collective qui prend la forme d’un réseau de coopération dont l’artiste est certes au centre mais n’en est qu’un maillon.

90 Un exemple parmi d’autres : la nature et la fréquence de collaboration d’artistes ont un impact sur la créativité des projets artistiques comme dans le cas musical de Broadway. Voir Brian Uzzi & Jarrett Spiro, “Collaboration and creativity : The small world Problem”, American journal of sociology, 111(2), 2005, p. 447-504.

62

L’art est le produit d’une action collective, de la coopération de nombreux agents dans le cadre

d’activités variées sans lesquelles des œuvres particulières ne pourraient voir le jour ou continuer

d’exister. Ces agents coopèrent grâce à des présupposés communs, les conventions qui leur

permettent de coordonner ces activités efficacement et sans difficultés. Lorsque de telles

coopérations ont lieu de manière répétée et même habituelle entre les mêmes individus, ou des

individus suffisamment semblables pour être considérés comme identiques, on peut parler de

l’existence d’un « monde de l’art. » (Becker, 1999, p. 99.)

« Bien que nous sélectionnions conventionnellement quelqu’un ou plusieurs personnes comme

“l’artiste” auquel on attribue la responsabilité de l’œuvre, il est plus logique sociologiquement et utile de voir l’œuvre comme la création jointe de toutes ces personnes. » (Becker, 1976, p. 70491).

2. La multiplicité de l’œuvre

À côté de l’image idéalisée du créateur unique, existe celle d’une version unique de l’œuvre qui elle aussi ne résiste pas à l’analyse de la fabrication des œuvres.

Benjamin Seroussi, dans son ethnographie du tournage du premier film d’Emmanuel Bourdieu, avait déjà démontré en appliquant le modèle de la traduction des sociologues Michel Callon et

Bruno Latour92 que l’œuvre d’un cinéaste n’est jamais donnée puis exécutée par les différents participants à la production du film. Mais à l’inverse, les ordres du réalisateur ne sont pas

91 “Although we conventionally select someone or a few of these as ‘the artist’ to whom responsibility for the work is attributed, it is sociologically more sensible and useful to see the work as the joint creation of all these people.” Howard S. Becker, (1976). “Art worlds and social types”, American Behavioral Scientist, 19 (6), 1976, p. 703-718. 92 Selon cette théorie, les relations entre acteurs prennent la forme d’une « traduction » où des acteurs vont se poser comme porte-parole pour mieux relier et rendre intelligibles des faits entre eux. Voir Michel Callon « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins- pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. », L’Année sociologique (1940/1948-) 36, 1986, p. 169-208 et les ouvrages de Bruno Latour.

63

appliqués mais « interprétés » par les membres de l’équipe. Le pouvoir créateur réside parmi tous les participants, même les « personnels de renfort93 » qu’il s’agit de « recruter, rallier et contrôler ». (Seroussi, 2006, p. 90).

Constat que ma thèse met également en avant. Le film se métamorphose tel un papillon, d’une forme écrite (le synopsis et le scénario) maintes fois révisée à celle filmée puis montée et remontée de multiples fois. À chaque étape, le réalisateur est certes à l’origine de ces révisions

(notamment les réécritures du scénario) mais il n’est jamais seul. Il co-écrit le scénario, travaille avec un monteur et doit aussi faire avec les contraintes externes de production.

3. Le processus de création

Becker parle d’editing (ou mise en forme) pour parler du processus des choix successifs

« importants et minimes » pris par tous les participants jusqu’au dernier moment pour mettre en forme et terminer l’œuvre. (Becker, 2010, (1982), p. 209). Pierre-Michel Menger fait le même constat pour l’art lyrique.

L’hypothèse d’une version unique, ou supérieure, de l’œuvre, idéalement fidèle aux intentions du

créateur, et idéalement complète, ne résiste pas à l’accumulation des preuves du caractère

contingent du travail et des choix du créateur. […] Celle-ci peut tout au plus agir comme un

principe régulateur dans la recherche d’efficacité pratique, quand les choix sont nombreux et que

les coûts d’assemblage des ingrédients de la production et de coordination des différentes

catégories de professionnels impliqués sont élevés. (Menger, 2010, p. 784-785).

93 Howard Becker définit le personnel de renfort comme tous les participants à un monde de l’art qui exercent une activité « non cardinale » de l’art mais coopèrent à sa production (Becker, 1982 [2010] p. 41 & p. 96-97).

64

Pour le sociologue Pascal Nicolas-Le Strat, tout spectacle s’alimente d’une « double source de créativité, la créativité propre à la liberté d’expression individuelle et celle propre à la puissance de la coopération ». (Nicolas-le Strat, 1998, p. 45).

Ainsi, il rejoint des psychologues de la créativité qui ont diagnostiqué l’importance de l’impact d’influences parfois contradictoires sur la création :

« L’exposition à des influences différentes même contradictoires mène vers une certaine instabilité et ouvre vers la possibilité, la différence et une différente façon de faire les choses qui peuvent être résolues de manière créative. » Montuori and Purser, 1995, p. 93 94.

Montuori et Purser donnent de nombreux exemples issus de l’univers de la musique comme des musiciens de jazz qui ont incorporé de la musique classique dans leurs morceaux.

Sur Plaot, Avi Nesher a fait le choix de mélanger prises de vues réelles et animation, ce choix ne s’est pas fait d’un coup, mais progressivement, en intégrant des versions du scénario antérieur.

L’animation n’était pas dans la première version du scénario, mais s’est développée petit à petit.

Les passages animés illustrent la pensée du héros, artiste et graffeur. La première version du

scénario c’est “l’invitation à la fête”, le travail réellement créatif se fait à partir de ce point car

arrivent différents éléments ; dans notre cas, le héros du film Arnav est un artiste, c’était important

pour moi de créer un univers visuel spécial, et pour revenir à la métaphore du jazz, je ne voulais

pas le faire seul, j’ai donc invité cinq artistes et nous avons improvisé sur le thème d’Arnav.

C’était génial, nous avons travaillé près de trois mois uniquement sur l’aspect visuel du film. Le

résultat de ce travail a influencé le scénario95.

94 “Exposure to different and perhaps contradictory influences leads to a certain instability, and opening up to possibility, difference, and a different way of doing things than can be resolved creatively”. Alfonso Montuori, Ronald E. Purser, “Deconstructing the lone genius myth : Toward a contextual view of creativity”. Journal of Humanistic Psychology, 35 (3), 1995, p. 69-112. 95 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

65

Concrètement, sur le tournage, cela voulait dire qu’il fallait prendre en compte les besoins de l’animation dans la mise en scène et son impact sur le jeu des comédiens (comme la présence d’écrans verts96). Ainsi, le responsable de la postproduction était présent sur le tournage et dès qu’une scène nécessitait l’ajout d’animations ou d’effets spéciaux particuliers, son avis était

écouté avant toute nouvelle prise.

Ainsi, dans une scène, Ori Hizkiah, l’acteur jouant le personnage principal, Arnav, devait mimer le dessin d’un chat qui avait été auparavant exécuté par l’une des assistantes de l’équipe de décoration et qui allait ensuite être animé en postproduction.

En définitive, les notions d’auteur et d’œuvre unique ne suffisent pas pour définir le tournage d’un film de fiction.

4. Argent et création

« En Israël il n’y a pas de cinéma commercial, faire un film ce n’est pas une affaire, si tu veux investir dans un film je te conseillerai de ne pas le faire, c’est une mauvaise idée97. »

Cette affirmation paradoxale de la part d’un des réalisateurs les plus populaires du pays fait directement écho à l’argumentation de Pierre Bourdieu sur le « commerce d’art ». Ce refus de voir l’aspect économique de toute activité artistique est, pour Bourdieu, une dénégation collective des « intérêts et des profits commerciaux ». Cette dénégation participe selon lui à une

« économie de la mauvaise foi » où prime d’abord l’accumulation d’un « capital symbolique »

(le prestige) comme « se faire un nom », qui elle est la seule « accumulation légitime » et qui permet, in fine, de tirer des profits économiques. Pour résumer, les producteurs de produits artistiques font du commerce tout en le niant. (Bourdieu, 1977, p. 4).

96 Filmer quelqu’un sur fond vert permet ensuite d’incruster à sa place une autre image fixe ou en mouvement lors de la postproduction. 97 Extrait de l’Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

66

Pourtant, l’argent est au cœur de la production cinématographique du fait même de son mode de fabrication à la fois singulier et industriel. L’une des caractéristiques fondamentales du cinéma, c’est la tension entre le projet artistique, le film et sa contrainte industrielle (Pasquier,

1995, p. 14).

En effet, « les impératifs économiques et de gestion, […] suscitent dans presque tous les cas une fragmentation de la réalisation du film en opérations distinctes, comme dans une usine ».

Alors que « l’instinct créatif, au contraire, pousse l’artiste à intervenir dans toutes les phases de l’élaboration ». (Benghozi, 1989, p. 41).

Comme le démontre Raymonde Moulin, dans son article « Champ artistique et société industrielle capitaliste », l’origine de cette tension date de l’invention de l’image romantique de l’artiste au XIXe siècle, où le créateur est « indépendant, auteur de la substance et de la forme de son œuvre » qui elle-même est gratuite pour la différencier de l’objet industriel. Elle suit une première rupture qui a eu lieu à la Renaissance entre l’activité manuelle de l’artisan et l’activité intellectuelle de l’artiste. L’artiste est « un créateur, une sorte d’alter deus soustrait aux normes communes : la représentation charismatique de l’artiste se conjugue avec une image aristocratique de l’œuvre d’art, irremplaçable et irréductible ». (Moulin, 1995, p. 36-37). Or, comme le souligne justement Dominique Pasquier, cette dichotomie intervient « au moment même où commençait l’ère industrielle dans le domaine culturel ». (Pasquier, 1995, p. 16).

L’ère de la « reproductivité technique » telle que définie par Walter Benjamin98. Celle-ci est vue alors comme une menace pour l’intégrité de l’œuvre d’art. Raymonde Moulin montre ainsi que l’autonomisation de l’artiste qui pense faire « de l’art pour l’art » va pourtant mener à une soumission au marché :

« Insérés dans la société capitaliste et aux prises avec la commercialisation grandissante de l’art, artistes, marchands, amateurs d’art vont tenter de se dissimuler et de dissimuler à autrui la

98 Walter Benjamin. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Éditions Payot, 2013.

67

logique économique qui sous-tend leurs attitudes et leurs comportements au moins quand ils agissent en tant qu’acteurs économiques intégrés à un marché. » (Moulin, 1995, p. 43).

Il existe donc un paradoxe entre le principe de production industrielle du cinéma et la labélisation de l’art qui dépend encore de ce critère romantique, le cinéma d’auteur étant un de ses derniers avatars, Avi Nesher se marquant lui-même de cet héritage. Or, le cinéma se fonde avant tout sur un travail collectif et de division de tâches.

Edgar Morin souligne un deuxième paradoxe, spécifique au cinéma : l’œuvre est à la fois un produit unique et un produit standardisé.

« L’industrie culturelle doit donc constamment surmonter une contradiction fondamentale entre ses structures bureaucratisées – standardisées – et l’originalité (individualité et nouveauté) du produit qu’elle doit fournir. » (Morin, 2008 [1962], p. 38). Cette contradiction peut créer une aliénation (telle qu’elle a été vécue par Avi Nesher pendant sa courte carrière à Hollywood)

« L’auteur ne se reconnaît plus dans son œuvre, il ne peut plus y fonder de transcendance. C’est l’auteur honteux. Mais surpayé. » Il s’agit d’un « champ de grande production » (opposé au

« champ de production restreinte ») où « les producteurs de l’œuvre sont dans une position subordonnée par rapport aux détenteurs de moyens de production et de diffusion, et l’offre obéit aux impératifs de la concurrence sur le marché ». (Morin, 2008 [1962]).

Philippe Le Guern, dans son enquête de terrain sur le tournage de la série Julie Lescaut, montre les tensions entre l’objectif de maîtrise des coûts du directeur de production qui est pris en compte dès l’écriture du scénario et les revendications artistiques du réalisateur. Celles-ci doivent être constamment renégociées. (Le Guern, 2004).

68

II — TOURNAGE ET ORGANISATION

1. Le plateau de Plaot, lieu de tensions

Pour la majorité des acteurs, le plateau est d’abord un lieu de travail et plus précisément pour le premier d’entre eux, le réalisateur, c’est un espace bien problématique pour l’exercice de la création.

Hitchcock avait l’habitude de dire que le film se termine un jour avant le début du tournage. Et

que le tournage ce n’est que le résultat de toute la création qui a eu lieu en amont. Cela me paraît

être un peu extrême parce que des choses se passent pendant le tournage mais tu essayes que la

majorité des idées se développent avant le tournage, le plateau n’est pas le meilleur endroit pour

avoir des idées originales99.

Pour Avi Nesher effectivement le tournage est loin d’être un lieu créatif mais de tension.

Je ne fais pas d’improvisation mais je fais beaucoup de répétitions. […] Le tournage n’est pas le

meilleur endroit pour chercher des idées, le plateau de tournage n’est pas un endroit très créatif

par définition, c’est un endroit tendu. […] Je préfère donc utiliser au maximum la période de

préparation100.

Pour Avi Nesher, l’essentiel du processus créatif qu’il imagine d’abord collectif intervient en amont du tournage et prend la forme d’une réécriture incessante du scénario à l’aide des contributions des acteurs et d’autres assistants, tous considérés comme des « associés à la création ».

99 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 100 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

69

Comme un film prend énormément de temps à faire, je n’ai pas envie de précipiter les choses

mais de laisser du temps au film, de cuire lentement, car beaucoup de choses créatives arrivent

sans précipitation. Je déteste aller vite. Pendant les préparations du tournage, je travaille sur

d’autres projets, et je pense qu’il est important de faire des pauses pour s’occuper d’autre chose

que de son film pendant deux heures puis revenir pour revoir son film sous une autre perspective.

C’est un processus qui ne peut qu’enrichir le processus de création. […] Je travaille toujours sur

plusieurs projets en parallèle sans pouvoir dire lequel sera le prochain. Chaque projet a sa logique

interne.

Suite à l’écriture, les répétitions avec les comédiens, qui peuvent prendre plusieurs mois, permettent au réalisateur de tester et de modifier le scénario initial.

« Pendant des mois, j’ai beaucoup changé le scénario après les répétitions, mes scénarios changent de manière drastique du premier jour des répétitions au dernier. »

Pendant cette période d’écriture et de préproduction, l’écriture est donc influencée par divers intervenants qui chacun et chacune auront l’occasion d’influer sur le scénario avant sa finalisation.

Je vois dans chaque acteur un associé à la création, pendant les répétitions le comédien se

rapproche du personnage et le personnage se rapproche du comédien. Il y a un processus

symbiotique. La période des répétitions est l’étape que j’aime le plus dans la fabrication d’un film,

elle est la plus créative. De même, lorsqu’on fait le repérage, je réécris le scénario et également

après les discussions avec les directeurs de la photographie. Chaque chose que tu fais pendant les

préparations fait l’objet d’une réécriture et pendant cette étape je sors un brouillon du scénario

presque chaque semaine […]101.

101 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

70

2. Routine et création

Pour Pierre-Michel Menger, l’incertitude est une « condition nécessaire de l’innovation et de l’accomplissement de soi dans l’acte créateur. » (Menger, 2009, p. 621). Il considère l’activité artistique comme « un travail dont le cours et l’issue sont incertains ». (Menger, 2009, p. 9).

Comme le note Thomas Paris, il est paradoxal, à première vue, que des activités de création, par définition imprévisibles, puissent être conduites dans le cadre d’organisations où existent des contraintes économiques et industrielles. Or c’est ce qui justement caractérise le cinéma et plus spécifiquement le moment du tournage.

Les activités de création constituent, quel que soit le secteur, une catégorie homogène du fait d’un

certain nombre de spécificités partagées qui les distinguent d’autres activités. Il s’agit d’activités

dont le résultat n’est pas évaluable de manière objective et n’est pas exprimable autrement que

par sa réalisation même, des activités dont les caractéristiques rentrent a priori en conflit avec les

contraintes industrielles et économiques des organisations. (Paris, 2007, p. 2).

Paris identifie, comme d’autres chercheurs de la créativité, deux temps dans l’acte de création : un temps de « divergence » où le créateur est libre d’imaginer, de s’inspirer et un temps de

« convergence » où ses idées sont cadrées et organisées pour être réalisées. Les dialectiques entre ces deux mouvements ont un impact sur le processus créatif.

Deux temps, des allers-retours permanents de l’un à l’autre : convergence et divergence traduisent

la dualité entre deux mondes, celui de l’inspiration et celui de l’organisation. L’un est fait de

liberté, l’autre de structures qui sont autant de contraintes. La manière dont leur équilibre est géré,

71

et plus généralement la manière dont les structures des univers organisés sont introduites dans les

processus de création, a un impact sur la production de ces processus. (Paris, 2007, p. 10).

Pour le cinéma, cette question est au cœur même du processus de la fabrication du film. Edgar

Morin, dans son ouvrage l’Esprit du temps a analysé ce qu’il appelle « le double impératif antagoniste et complémentaire de “production/création” à Hollywood et plus généralement dans ce qu’il appelle la “culture de masse”. Selon lui, même le système le plus industriel au monde de fabrication de films n’a pu se passer de création. (Morin, 2008 [1962], p. 18-19, préface à l’édition 2008). Cette contradiction est nécessaire à sa survie. « L’industrie culturelle a besoin d’une électrode négative pour fonctionner positivement. » (Morin, 2008 [1962], p. 41).

Toutefois, la routinisation semble prendre le pas sur la créativité sur un tournage. La sociologue

Sharon Mast, qui a effectué une observation participante sur le tournage d’une série de télévision anglaise dans les années quatre-vingt en tant que comédienne, a montré comment l’organisation de la production de ces séries obéissait à des logiques bureaucratiques en opposition avec les idéaux créatifs issus de l’art dramatique pour les comédiens. Par conséquent, le travail à la télévision avait tendance à routiniser les interactions entre les participants. (Mast, 1983, p. 81).

Elle rejoint le constat fait par Benghozi « Les impératifs économiques et de gestion […] suscitent dans presque tous les cas une fragmentation de la réalisation du film en opérations distinctes, comme dans une usine. » Alors que « l’instinct créatif, au contraire, pousse l’artiste

à intervenir dans toutes les phases de l’élaboration ». (Benghozi, 1989, p. 41).

Comme le décrit lui-même Avi Nesher, en citant Alfred Hitchcock, le tournage ne serait pas le lieu « central » de la création au cinéma. Pour un observateur extérieur, le tournage apparaît effectivement comme un lieu normé où tout est constamment mesuré, comme illustré par

72

l’usage constant des feuilles de service qui détaillent pour chaque jour l’heure à laquelle chacun doit arriver et pour combien de temps, l’emploi du temps précis et la liste des scènes à tourner, jusqu’au temps qu’il fait. À cela s’ajoutent des rôles purement « organisationnels » (mais non dénués de créativité102) comme celui de l’assistant-réalisateur. Il reste que c’est dans ce contexte que sont produits les images et les sons qui seront ensuite retravaillés au montage et où le plus grand nombre de personnes aux activités et aux parcours différents interagissent en ensemble sans toujours se connaître. Voyons maintenant comment le tournage est un espace où les routines facilitent la coordination.

3. Les routines comme outils de coordination

Le tournage peut donc être assimilé à un lieu d’action de routine plutôt que de création donc de rupture.

Les routines organisationnelles peuvent être définies comme des modèles ou motifs reconnaissables et répétitifs qui sont conduits par un grand nombre de personnes (Feldman,

Pentland, 2003, p. 95103).

Marc Breviglieri, dans son article « Perceptions sociologiques du problème de la routine » a montré comment la notion même de routine donne lieu à une interprétation contradictoire : à la fois vue comme un vecteur de « stabilité » où on critique la « standardisation et les déresponsabilisations » du travailleur, et comme un vecteur « d’inventivité », une « manière ingénieuse de bricoler un monde » (Breviglieri, 2006, p. 1399). La routine a longtemps eu une mauvaise image dans les sciences sociales, pour Georges Friedmann104 par exemple elle est une conduite « somnambulique stéréotypée et inexpressive » (Breviglieri, 2006, p. 132). Cette

102 Voir infra, 4. II « Le rôle de colle sur le tournage » p. 90. 103 “There is considerable agreement in the literature that organizational routines can be defined as repetitive, recognizable patterns of interdependent actions, carried out by multiple actors.” 104 George Friedmann, Problèmes humains du machinisme industriel, Paris, Gallimard, 1946.

73

image participait à une critique du machinisme et du taylorisme105 et c’est seulement à partir des années soixante-dix et le développement des théories sociologiques de l’action que la vision de la routine change et devient un élément essentiel de l’action (Breviglieri 2006, p. 134).

Selon Markus C. Becker, il existe un large consensus sur les fonctions et effets des routines sur une organisation. Les routines ont comme fonction la coordination des membres d’une organisation et de leurs activités et réduisent les conflits potentiels. Elles facilitent également une certaine stabilité du comportement en réduisant l’incertitude. La répétition des routines permet d’économiser les ressources cognitives des participants. Enfin, les routines permettent d’agréger des connaissances qui pourront ensuite être transmises à chaque nouvel arrivant dans l’organisation (Markus C. Becker, 2004, p. 662).

Le tournage étant un lieu de travail collectif où les activités des uns et des autres sont interdépendantes, il est évident que la mise en place de routines est nécessaire pour qu’il puisse se dérouler sans heurts.

Le vocabulaire routinier qui permet de commencer et de terminer une scène facilite la coordination (speed, rolling, et cut106). Les feuilles de service servent à prévoir (autant qu’elles le peuvent et en s’adaptant aux changements) l’emploi du temps de chaque journée de tournage pour que les membres de l’équipe aient la même information. Le fait de répéter ces routines permet aux participants de concentrer leur attention en premier sur leur propre travail sans avoir

à réfléchir à ce que font les autres. Enfin, ces différentes routines sont enseignées aux nouveaux arrivants qui apprennent à les reproduire. J’ai ainsi appris à venir en « early call107 » si nécessaire, à préparer les figurants à tel moment précis, etc.

105 Le taylorisme, du nom de Frederick Winslow Taylor qui l’a inventé, est une méthode de travail dans l’industrie qui consiste à la diviser en tâches répétitives pour en augmenter la productivité. La critique du taylorisme a été représentée au cinéma de la manière la plus éclatante par Charlie Chaplin dans son film Les Temps Modernes (1936). 106 En français respectivement « Moteur », « Ça tourne » et « Coupez ». 107 « Early call » ou « Premier appel » est une indication sur la feuille de service qui signifie à une partie de l’équipe de venir plus tôt que le reste du groupe le jour du tournage.

74

4. L’art de la routine

En réalité, la routine est présente dans tous les arts, même ceux qui paraissent les plus inventifs comme l’art contemporain. Ainsi, dans son ethnographie de huit artistes contemporains français, Eric Villagardo montre comment chaque artiste alterne routine et invention, les deux étant inséparables dans la pratique artistique (Villagordo, 2012, p. 258-259).

Pour Anselm Strauss, il n’y a pas de frontière étanche entre action routinière et action créative mais « c’est par un processus cyclique que la routine se transforme en créativité et en innovation et qu’à son tour, celle-ci redevient de la routine » (Strauss, 1994, p. 365).

Les routines, selon Strauss, sont des « schèmes standardisés d’action » (Strauss, 1994, p. 354) qui permettent d’accomplir des actions répétitives. Elles sont à la fois des solutions à des problèmes antérieurs et un « tremplin pour des actions nouvelles importantes ».

Pour Strauss, la majorité des interactions sont des routines, elles sont attendues et répétées guidées par des règles, des régulations. Sans les routines, les mondes sociaux seraient impossibles. Mais il existe également des interactions que Strauss qualifie de

« problématiques », qui ne sont pas entièrement dirigées par des règles (Strauss, 1993, p. 43).

Dans son ethnographie de la fabrication d’un opéra, où il s’intéresse plus particulièrement au rôle du régisseur, Denis Laborde note ce processus cyclique :

« La stabilisation ne vient pas d’un emboîtement idéal d’actions formatées, mais d’une multiplicité d’actions qui se déroulent, certes, selon un plan, mais qui nécessitent de multiples interventions créatrices, qui sont aussi d’incessantes formes de stabilisation. » (Laborde, 2008, p. 126).

75

5. Conventions et mondes de l’art

Howard Becker utilise le terme voisin de « convention » pour parler des « manières régulières » de faire dans les disciplines artistiques. (Par exemple pour la musique l’usage des notes.)

Pour Becker, « chaque œuvre d’art donne le jour à un monde unique, sous certains rapports, qui allie beaucoup de donnes conventionnelles à quelques éléments novateurs ». (Becker, 2010

[1982], p. 85).

En effet, dans sa définition des « mondes des arts », Becker montre que le cœur du problème réside dans la question de la coordination de tous les participants aux activités de ce monde. Le terme de convention est une solution à ce problème. Les conventions permettent aux

« produits » des mondes de l’art d’exister avec un investissement minimal de temps et d’énergie. Pierre-Michel Menger les définit comme des « formes stabilisées d’arrangement entre les acteurs sociaux ». (Menger, 2013, p. 146).

La solution au problème qui fournit la meilleure possibilité d’unir le travail des humanistes et des

chercheurs en sciences sociales, c’est que les gens coordonnent leurs activités en référence à un

corpus de compréhensions conventionnelles incarnées dans les pratiques communes et les

artefacts du monde. […] Ici, il est suffisant de dire que les conventions rendent possibles les

activités coopératives à partir desquelles les produits sont créés et les rendent possibles avec un

investissement faible en temps et énergie (Becker, 1976, p. 704108).

Comme le remarque Alain Pessin dans son ouvrage Un sociologue en liberté. Lecture de

Howard S. Becker, les conventions « sont d’abord un savoir constitutif d’une culture

108 “The solution to the problem which furnishes the best possibility of uniting the work of humanists and social scientists is that people coordinate their activities by reference to a body of conventional understandings embodied in common practice and in the artifacts of the world. […] Here it is sufficient to say that conventions make possible the cooperative activities through which the world’s products come about, and make them possible with a relatively low investment of time and energy”. Howard S. Becker. “Art worlds and social types”. The American Behavioral Scientist (pre-1986), 19 (6), 1976.

76

particulière ». « Tout le monde les connaît peu ou prou pour les avoir apprises par des canaux divers. » (Pessin, 2004, p. 48). Ces conventions facilitent la collaboration et la communication entre tous les agents d’un tournage. Elles sont souvent des savoirs stabilisés lors des interactions passées.

6. Culture et étiquette

Comme le note Alain Pessin, cette conception prend appui sur les notions d’une culture

« comme un processus : c’est la création dans l’interaction des conditions de possibilité de l’harmonisation des comportements » (Pessin, p. 77, 2004). C’est un guide de l’organisation des actions collectives. Les conventions permettent une « compréhension partagée de ce qui se passe, de la manière dont cela devrait se passer, du résultat attendu ». « Les gens peuvent agir ensemble car ils comprennent ce que les autres vont faire et peuvent donc s’y adapter ».

(Becker, p. 12, 1999).

Becker utilise également une autre notion qui vient de sa pratique du jazz « L’Étiquette », c’est-

à-dire un savoir collectif non écrit qui est appris en socialisant lors des séances de concert. En d’autres termes, « l’étiquette est une façon formelle et systématique d’exprimer des rapports hiérarchiques reconnus et acceptés ». (Becker, 1999, p. 119). Cette étiquette facilite paradoxalement l’improvisation en l’organisant.

77

7. Avi Nesher entre « franc-tireur » et « professionnel intégré »

Howard Becker distingue plusieurs types d’artistes selon leur degré d’adhésion aux

« mondes des arts » (les professionnels intégrés, les francs-tireurs, les artistes populaires et les naïfs). (Becker, 1982 [2010], chapitre VIII « Les professionnels intégrés, les francs-tireurs, les artistes populaires et les naïfs », p. 236-276).

Howard Becker définit l’artiste intégré comme celui qui est le plus intégré au « monde des arts », celui qui est prêt et capable de produire, et qui ne pose aucun problème à ses collègues de travail et qui a également un large public. (Becker, 1982 [2010], p. 706).

Le professionnel intégré est celui qui maîtrise parfaitement les conventions de son art et avec qui la coordination de l’activité d’un très grand nombre de personnes se fait facilement et à moindre coût. Le franc-tireur, lui au contraire, est un artiste qui ne souhaite pas se plier aux contraintes et conventions d’un monde de l’art donné et qui apporte des « innovations que le monde de l’art ne peut accepter parce qu’elles sortent du cadre de sa production habituelle »

(Becker, 1982 [2010], p. 242).

Becker note que souvent les participants à un « monde de l’art » préféreront travailler avec un artiste intégré mais que, dans le même temps, ils espèrent que celui-ci ne produise pas exactement les mêmes œuvres. Ils attendent donc des variations dans le respect et la limite des conventions.

« En utilisant et en se conformant aux conventions sur ces sujets, les professionnels intégrés permettent aux œuvres d’art d’être fabriquées efficacement et facilement. La coordination d’activités d’un large groupe d’individus peut se passer avec un minimum d’investissement de

78

temps et d’énergie en identifiant les conventions que tout le monde doit suivre. » (Becker, 1976, p. 706109).

Dans un monde de l’art, chacun, toutes choses égales par ailleurs, préférerait travailler avec des

professionnels intégrés. Cela rend la vie plus facile. Mais chaque personne connectée à un monde

de l’art espère également que ce monde ne produise pas exactement la même œuvre à chaque fois,

mais au moins des variations et des innovations, même si ces différences peuvent être mineures

entre des œuvres successives (Becker, 1976, p. 707110).

Becker note que ces artistes qui produisent des variations marginales par rapport aux conventions, sans mettre à mal la coordination des actions, sont reconnus comme « plus créatifs » par les autres membres du monde de l’art :

« Ces artistes, qui sont vus par les membres du monde [de l’art] comme plus créatifs, ceux qui produisent les variations et les innovations marginales qui ne violent pas suffisamment les conventions pour remettre en cause les actions coordonnées, ne sont, bien sûr, pas appelés des artistes médiocres. » (Becker, 1976, p. 707111).

Si nous nous intéressons aux données biographiques et statistiques concernant le réalisateur Avi

Nesher, force est de constater qu’il semble plutôt correspondre à la définition d’un artiste intégré.

109 “In using and conforming to the conventions in these matters, integrated professionals make it possible for art works to be made relatively efficiently and easily. Coordination of the activities of large numbers of people can occur with a minimum investment of time and energy, simply by identifying the conventions every one should follow.” 110 “Everyone in an art world would, all other things equal, prefer to deal with integrated professionals. It makes life much easier. But everyone connected with an art world also expects that world not to produce exactly the same work over and over, but to produce at least variations and innovations, even though the differences may actually be quite small between successive works.” 111 “Those artists who are seen by members of the world as more creative, those who produce the marginal variations and innovations which do not violate convention sufficiently to disrupt coordinated actions, are, of course, not called hacks.”

79

Il est l’un des réalisateurs israéliens avec le plus de succès commerciaux et critique dans son pays. Certains de ses films sont même devenus cultes comme son premier film Aleaka (La

Troupe) (1979) sur un groupe de musique dans l’armée, qui avait réuni à sa sortie plus de

600 000 spectateurs. Il a également travaillé plusieurs années à Hollywood sur des films de studios.

Les entretiens avec ses collègues de travail sur le tournage montrent qu’il est plutôt apprécié et la collaboration désirée et très souvent régulière avec certains membres de son équipe. Ainsi, sur le tournage, sept personnes avaient déjà travaillé au moins deux fois avec lui. Il travaille avec le même monteur, Ytzak Sehayek, depuis son premier court-métrage et collabore avec

Michel Abramowicz, le directeur de la photographie, depuis 1979.

Les deux acteurs principaux du film m’ont expliqué leur admiration et leur bonheur de pouvoir travailler avec lui. Pour le comédien populaire Adir Miller, il s’agit de la troisième collaboration avec Avi Nesher et il a été prêt à retarder la production d’une nouvelle saison d’une série à succès pour jouer le rôle. Le producteur Dudi Silber, dont c’est le quatrième film avec Avi

Nesher, m’explique également qu’« avec lui, ça va très vite ». Il m’affirme qu’« Avi a presque carte blanche112 » pour me décrire la facilité avec laquelle il arrive à financer les films d’Avi

Nesher en Israël auprès de fonds publics.

Les chercheurs José Luis Álvarez, Carmelo Mazza, Jesper Strandgaard Pedersen, Silviya

Svejenova n’hésitent pas à ajouter une troisième catégorie de réalisateurs située entre professionnel intégré et franc-tireur. Ceux-là arrivent à concilier innovation, particularité artistique et la nécessité d’attirer du public et de faire des entrées113. Pour ce faire, ils arguent

112 Entretien avec le producteur, David Silber. 113 À noter que ce constat se fait sur trois études de cas de trois réalisateurs de cinéma d’auteur européens reconnus : Pedro Almodovar, Nino Moretti et Lars Von Trier. (Alvarez, J. L., Mazza, C., Pedersen, J. S., & Svejenova, S. 2005.)

80

que les réalisateurs correspondant à cette catégorie développent différentes stratégies pour garder le contrôle sur la fabrication du film : soit en mêlant à la fois des rôles artistiques et de production en étant réalisateur, auteur et producteur de leur film, soit en s’associant avec un producteur fidèle, soit, enfin, en établissant eux-mêmes leur société de production. (Alvarez

J. L., Mazza C., Pedersen J. S., & Svejenova S., 2005, p. 872).

La première stratégie est donc de considérer le rôle comme une ressource qui permet de réclamer son appartenance à une communauté et des ressources pour s’accomplir en tant qu’artiste. (Callero, 1994, Baker & Faulkner, 1991). Il s’agit pour un réalisateur, par exemple, d’être à la fois producteur et scénariste comme l’a fait Avi Nesher sur Plaot. Une autre stratégie est d’exercer un autre métier non lié au film, ainsi Nanni Moretti a été directeur de festivals.

(Alvarez, Mazza, Pedersen & Svejenova, S.2005, p. 874). Le réalisateur peut alors à la fois préserver sa liberté artistique et s’insérer dans les cercles professionnels du cinéma.

La troisième stratégie distinguée par ces chercheurs est l’alliance avec un partenaire, Plaot est ainsi le quatrième film qu’Avi Nesher réalise avec le producteur Dudi Silver. Enfin, Avi Nesher possède sa propre société de production (Artomas Communications) qui lui permet à la fois d’être reconnu comme un partenaire financier et d’assurer son indépendance.

81

III — TOURNAGE ET IMPROVISATION

1. Création collective et créativité distribuée

Le tournage peut-il être le lieu d’une créativité distribuée comme sur la scène d’un atelier d’improvisation théâtrale ?

Par créativité distribuée, nous voulons parler d’une situation où un groupe d’individus génère collectivement une création. (Sawyer, DeZutter, 2009, p. 82).

Ce concept désigne un processus de création collective absolue comme l’improvisation théâtrale ; c’est-à-dire une situation d’improvisation totale où aucun des acteurs ne sait à l’avance quel rôle il ou elle va jouer ni même quel sera le sujet de la pièce ou les dialogues. La création est collective car elle se base sur les interactions sociales entre les membres des groupes et surtout sur leurs adaptations aux actions de chacun d’entre eux.

2. Improvisation et cinéma

Gilles Mouëllic a montré comment, à partir des années soixante et plus encore avec le développement récent des caméras vidéo numériques, la pratique du tournage a pu évoluer et donner lieu à de véritables performances.

Ainsi, il note que le moment de la prise est le lieu d’une performance « avec des acteurs qui jouent devant un public constitué de l’équipe du film ». Le tournage a comme principale différence avec le théâtre le fait que le public final assistera, lui, à un film qui aura été préalablement modifié plusieurs fois (après montage, postproduction etc.) et non à une œuvre jouée devant ses yeux.

Malgré ces contraintes et grâce aux évolutions technologiques, certains réalisateurs comme

Jacques Rozier vont révolutionner la manière de faire des films notamment en transformant le tournage en un lieu d’improvisation totale au lieu d’une simple exécution du scénario et du

82

découpage. Rozier n’écrit pas à proprement parler de scénario et en ne donnant qu’un minimum de paramètres pendant le tournage, il utilise plusieurs caméras pour capter la performance de ses acteurs, qui improvisent tous leurs dialogues. Enfin, le monteur est présent sur le plateau pour sélectionner les meilleures prises. Le montage en lui-même est une improvisation à partir des matières filmées. (Mouëllic, 2009, p. 85-93).

À côté de cet exemple total de rupture, le film d’Avi Nesher est, lui, inscrit dans un mode très classique de fabrication, nous pourrions même dire conservateur. Le tournage est donc très balisé, pour autant nous pouvons également y trouver l’existence d’une certaine création distribuée, issue des interactions en cours des participants et non seulement d’un plan défini à l’avance.

3. L’improvisation organisationnelle : entre répertoire et bricolage

Bien que le tournage soit une activité préparée, nous pouvons nous demander à quel point cette action est collective et improvisée en prenant comme modèle les recherches autour de l’organisation improvisationnelle. Celle-ci peut être définie comme une action d’une organisation, qui se déroule en ayant recours à tout matériel disponible, et des ressources sociales, affectives et cognitives. (Cunha, Cunha, Kamoche, 1999, p. 302). Les auteurs de cette conception s’accordent à dire que même en cas d’improvisation, toute organisation doit avoir une structure minimale qui pourra alors subir différentes variations selon les besoins. (Cunha,

Cunha, Kamoche, 1999, p. 318).

Cette structure minimale peut être sociale, technique ou prendre la forme d’un répertoire. La structure sociale inclut les normes et les compréhensions partagées des membres de l’organisation, la structure technique est la connaissance préalable de certains systèmes comme la lecture des notes en musique.

83

Le répertoire est une notion dérivée de l’improvisation musicale, notamment dans le jazz, et désigne un ensemble de morceaux sur lesquels se base l’improvisation. (Gulledge, Greig, Beech

2014, p. 21).

De même, dans une autre discipline basée sur l’improvisation comme la danse contemporaine,

Pierre-Emmanuel Sorignet montre comment les danseurs acquièrent, grâce aux nombreuses répétitions des « routines d’exception » qui leur permettent de se corriger rapidement en cas d’imprévu sur scène et donc d’améliorer leur capacité d’improvisation. « Plus le spectacle est répété et structuré, plus les danseurs ont intériorisé ces schèmes proposés par le chorégraphe, et plus la faculté d’improvisation en situation est développée. » (Sovignet, 2010, p. 191-192).

Atkinson a montré dans son ethnographie comment la création d’un opéra donnait lieu à ce qu’il appelle un bricolage culturel, à la fois physique et motivationnel lors des préparations et des répétitions. (Atkinson, 2010).

Ces structures minimales, loin de limiter la créativité, permettent aux participants d’innover en se basant sur des ressources existantes. Ainsi Bechky et Okhuysen (2011) montrent comment l’équipe de tournage en vient à faire des bricolages organisationnels pour répondre à des imprévus et aux nouvelles demandes du réalisateur. Les participants ont dû revoir certaines de leurs routines, réévaluer la dimension de leurs rôles et restructurer leurs activités. Ainsi, les scriptes qui ont un rôle essentiel sur un tournage, ce sont les gardiens de la continuité et du raccord entre les prises, doivent paradoxalement improviser. Ils sont les médiateurs entre le tournage du film et le montage et doivent donc s’assurer de noter tous les détails d’une scène.

Mais ces demandes peuvent varier tout au long du tournage où notamment des modifications de scénario peuvent arriver. Les scriptes doivent donc s’adapter à ces modifications et les prendre en compte dans leur suivi des raccords. (Gulledge, Greig, Beech 2014, p. 33).

84

L’improvisation peut donc ainsi être vue comme une médiation entre une création pure et les structures sociales dans lesquelles l’activité est embrigadée (Gulledge, Greig, Beech 2014, p. 20).

4. La métaphore du jazz

Le jazz a longtemps servi comme modèle pour expliquer et appliquer l’improvisation dans l’organisation.

Dans leur ouvrage sur le jazz114, les sociologues et musiciens Howard Becker et Robert R.

Faulkner affirment qu’il est complexe de donner une définition précise au terme improvisation.

Toutefois, ils reprennent à leur compte la définition donnée par Paul Berliner dans son livre

Thinking in Jazz. The Infinite Art of Improvisation : (2009).

Un jazzman joue de manière banale et tout à fait routinière des versions de morceaux qu’il connaît

déjà ou dont il devine la structure en substituant à la mélodie originale des mélodies composées

dans le feu de l’action […]. En ce sens, l’improvisation en jazz est (plus ou moins) un mélange

de spontanéité et de conformité vis-à-vis d’une sorte de format préétabli. (Becker, Faulkner, 2011

p. 48-49).

Berliner montre comment cette improvisation n’est jamais spontanée mais dépend de connaissances musicales acquises au cours du temps et d’une myriade de conventions partagées par les musiciens.

114 Howard S. Becker et Robert R. Faulkner. Qu’est-ce qu’on joue, maintenant ? : le répertoire de jazz en action. La Découverte, 2011.

85

Un même constat peut se faire avec le cinéma, si les films de fiction sont différents, force est de constater qu’ils ont souvent comme base des genres que le public reconnaît (comédie, drame) et pour ce qui nous intéresse font appel au même processus de fabrication.

Avi Nesher, lui-même musicien amateur de jazz, comme d’autres avant lui115 utilise le modèle du jazz pour montrer sa volonté de mettre en avant l’aspect avant tout collaboratif de son travail.

Il affirme être une « autorité douce ». Il reprendra cette analogie plusieurs fois pendant l’entretien116.

Comme un musicien de jazz, un bon réalisateur est capable de bien écouter ses collègues pour

« reconnaître qui, dans le groupe, jouait les choses les plus intéressantes ».

Quand j’étais musicien, je jouais du jazz. Et j’aimais beaucoup cette idée de 4-5 personnes jouant

ensemble, où chacun apporte quelque chose, en d’autres termes pas quelque chose qui vient d’une

composition particulière mais d’une création collective. Je n’étais pas un bon musicien mais

j’avais cette habilité à reconnaître qui, dans le groupe, jouait les choses les plus intéressantes. Car

dans le jazz très souvent, quelqu’un a une idée et les autres doivent alors se joindre à lui. Il ne faut

pas que chacun s’obstine à imposer son idée car alors on ne va nulle part. Je suis venu à la

réalisation de ce point de vue similaire où, bien que tu écrives et que tu réalises ton film, tu

collabores en fait avec beaucoup d’autres artistes et tu permets beaucoup d’investissement et de

participation à tout le monde. Ce n’est pas mon idée, ma façon de faire, au contraire, ce qui est le

115 Ainsi, Gilles Mouellic, qui travaille sur le cinéma et le jazz, a très souvent mis en avant les parallélismes entre une certaine manière de faire des films et le jazz : « On distinguera deux manières de faire du cinéma : la première, proche de la musique savante, avec une hiérarchie affirmée sur le plateau, une confiance dans la prédétermination de la composition – ici du scénario et du découpage –, l’acteur étant l’interprète d’une « partition » écrite dans ses moindres détails ; une seconde, proche du jazz, où le scénario n’est qu’une matière qui permettra à l’acteur de participer à l’invention de son personnage. » (Gilles Mouellic, 2011 p. 17.). Benjamin Seroussi décrit ainsi le travail du réalisateur « chef d’orchestre » à l’image du « démiurge » traditionnellement acceptée : « celui-ci ne joue certainement pas de tous les instruments et il laisse les virtuoses de la technique interpréter librement ses partitions ». Seroussi, 2006 p. 92. 116. Pierre-Emmanuel Sorignet dans son ethnographie sur la danse contemporaine montre que même dans cette discipline « improviser ne consiste pas à déformer ou sortir des cadres du jeu fixé par le chorégraphe, mais à développer des propositions dans un registre professionnel, c’est-à-dire dans le respect des consignes données par l’employeur ». (Pierre-Emmanuel Sorignet, 2010, p. 172).

86

plus dur pour moi en tant que réalisateur c’est le fait d’être autoritaire. Je fais partie d’une

génération qui est anti autoritaire. Alors je suppose que je suis une autorité « douce », ça fait partie

des choses que tu apprends. J’ai toujours pris du plaisir à collaborer avec le directeur de la photo

et définir un style visuel au film et travailler avec le compositeur. Donc tu es un peu compositeur,

en fin de compte, tu parles la langue de chacun. C’est ce j’aime le plus au cinéma, c’est le résultat

de la collaboration de beaucoup de personnes117.

Mais d’après les comédiens et d’autres collaborateurs cette « improvisation » avait surtout lieu pendant les répétitions avant le tournage effectif.

« Pendant la préparation il y a eu des improvisations et le texte a subi des changements et des ajouts divers pour prendre sa forme finale118.

Comme nous l’avons vu plus haut, la métaphore du jazz revient aussi pour décrire le travail de collaboration réalisé avec les personnes en charge de l’animation119.

Les paroles d’Avi Nesher rejoignent ainsi celles de Ken Peplowski, musicien de jazz et chef d’entreprise qui promeut le jazz comme méthode d’organisation. Il affirme que le plus important est de savoir s’écouter car si chaque membre du groupe prenait sa propre direction, alors ce serait l’anarchie120.

Ainsi, dans le jazz, l’« autorité » est « douce » et tournante, le leader du groupe change à chaque performance et si les musiciens arrivent à communiquer sans avoir joué ensemble auparavant c’est parce qu’ils partagent le même vocabulaire, le même savoir partagé. Enfin, comme au

117 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 118 Entretien avec le comédien Ori Hizkiah. 119 « Et pour revenir à la métaphore du jazz, je ne voulais pas le faire seul, j’ai donc invité cinq artistes et nous avons improvisé sur le thème d’Arnav » extrait de l’entretien avec Avi Nesher. 120 “But what’s more important is that we’ve also learned how to listen. That’s absolutely essential, because if the four of us climbed up on stage, and I counted off a song, and we all went off in our own direction, this would be musical anarchy. Ken Peplowski. “The process of improvisation.” Organization Science, 9 (5), 1998 p. 560-561.

87

cinéma, un musicien de jazz ne doit pas simplement faire son job, mais aller au-delà en étant créatif :

Faire le minimum est impossible dans un groupe de jazz. Si on le faisait, tout ce qu’on ferait c’est

jouer la mélodie et rentrer à la maison. Au lieu de cela, quand on joue de la musique de jazz, tout

le monde fait son job, mais va au-delà et commence à réfléchir de manière indépendante. Comme

j’ai dit, la meilleure musique ne vient pas d’une personne – le leader – debout et dictant ce que

chacun doit faire. Je mène en écoutant les autres musiciens et en réagissant à ce qu’ils font. Ils

savent qu’ils ont la liberté, dans la structure qui leur est donnée, sur les chansons et les accords.

Au sein de ces structures, ils réalisent qu’ils ont le droit d’être très créatifs et changer mon état

d’esprit pour aller dans des directions différentes. (Peplowski, 1998, p. 560-561121).

Toutefois, en pratique, et contrairement aux réalisateurs improvisateurs étudiés par Gilles

Mouëllic dans son livre Improviser le cinéma, Avi Nesher est plutôt un réalisateur qui se rapproche des « compositeurs savants » (Mouëllic, 2011). Il a, avant le tournage, établi un découpage précis de chaque scène et bien que certaines scènes du scénario aient été modifiées, il s’agit plus d’une exception que d’une règle. Comme un groupe jazz qui jouerait dans un tempo très rapide, le tournage n’est pas le meilleur endroit pour une improvisation totale, tout est donc fait pour que les routines mises en place depuis des années sur ces tournages puissent

être efficaces.

En conclusion, le jazz nous montre, pour reprendre Menger, « le caractère composite du travail artistique » fait de « défis et d’inventions mais aussi d’appuis sur des solutions déjà mises à l’épreuve antérieurement ». (Menger, 2009, p. 11).

121 “Doing the minimum is impossible in a jazz group. If we did that, all we would do is play the melody and go home. Instead, when we make jazz music everybody does their job, but then builds out from that point and starts thinking independently. As I’ve said, the best music doesn’t come from one person-the leader-standing up and dictating what everybody else should do. I lead by listening to the other musicians and reacting to them. They know they have the freedom within the structure that they are given in the songs and the chords. Within those structures, they realize that they have the license to be very creative and to make me change my mind and go into different directions.”

88

IV — TOURNAGE ET CRÉATION

1. De la création sur le plateau

« Presque toutes les œuvres d’art […] sont des combinaisons de routine et de choix inhabituels parmi les possibilités disponibles ». (Howard Becker, 2006 [1960], p. 26122)

Un tournage, aussi normé soit-il, peut donner lieu à la création au moins sporadiquement.

Avi Nesher l’avoue lui-même, il ne lui arrive que rarement de changer le scénario pendant le tournage. Toutefois, nous avons pu l’observer le faire plusieurs fois directement sur le plateau.

Ainsi, certaines scènes ont vu leurs dialogues réécrits pendant le tournage.

Le scénario est quelque chose de dynamique, rien n’est jamais définitif, il arrive des choses, et

pendant les week-ends, je faisais des réécritures, selon ce qui se passait pendant le tournage. Mais

il n’y a pas de grands bouleversements, de scènes complètement modifiées. Je peux, pendant le

week-end écrire une nouvelle scène parce que je sens que quelque chose manque… Donc tu es

très sensible à la dynamique qui se passe sur le plateau. Les répétitions c’est une chose et le plateau

c’en est une autre. Il y a une scène dans mon premier long-métrage, A Leaka (La troupe) qui était

écrite et sur le chemin du tournage j’ai décidé de la changer, pas le contenu de l’histoire mais les

personnages, mais c’est vraiment rare. J’essaie au maximum au moment du tournage que les

choses soient fixées123.

Mais Avi Nesher est également créatif dans sa façon de collaborer avec l’équipe alors même qu’il affirme ne pas vouloir improviser. Ainsi, certains collaborateurs le remarquent comme

Haim Attias :

122 “Almost all works of art and performances of them and readings of them are some combination of routine and unusual choices among available possibilities”. 123 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

89

« Chez Avi, c’est surtout dans la tête, puis on traduit ça en actions. […] On n’a pas vraiment de liste de plans, ce n’est pas très organisé. Et c’est très bien que ça soit comme ça. » […] « Avec

Avi, c’est vraiment de l’instant : on peut faire cette scène comme ça, comme ça ou comme ça et il me dit OK on fait ça comme ça alors. Il me donne des directions fais ça comme ça et pas comme ça, etc.124 »

Toutefois, alors que deux acteurs issus du stand-up, donc familiers de l’improvisation jouaient les rôles principaux, leurs compétences n’étaient pas utilisées sur le tournage et ils devaient s’en tenir au texte.

L’aspect créatif du tournage était surtout ailleurs, parmi les techniciens, les régisseurs, l’équipe de production et même les figurants. Malgré l’aspect routinier, ou pire d’une absence de visibilité (pour les figurants) tous ont eu comme point commun de mettre en place des stratégies créatives pour travailler et justifier leur présence sur le plateau.

2. Le « rôle-colle » sur le tournage

Je reprends à mon compte le concept de glue role introduit par Bolinger, Bonner et Okhuysen

(2009) pour expliquer la créativité collective sur le tournage.

Les glue role (littéralement les « rôles-colle ») sont des individus qui s’occupent des tâches négligées par les autres membres du groupe et qui ont comme effet de faciliter l’efficacité du travail collectif125. Selon ces mêmes chercheurs, ces « rôles-colle » améliorent la performance du groupe en facilitant leur coordination et les relations à l’intérieur du groupe. Souvent ces rôles ne bénéficient pas d’une grande reconnaissance. Cette coordination peut se faire de manière explicite grâce à des routines ou des règles ou de manière implicite, les différents

124 Entretien avec le steadycamer Haim Attias. 125 “Individual enacts a glue role by seeking out and taking on otherwise neglected tasks that have the potential to facilitate group effectiveness, but which often do not receive much recognition or attention.” Bolinger, Bonner, & Okhuysen, 2009, p. 266.

90

membres de l’équipe adaptant leurs comportements à ceux des autres. En prenant à sa charge les problématiques de coordination, le glue role permet aux autres membres de l’équipe de se concentrer sur leur travail sans avoir à réfléchir à ces questions.

Dans le contexte de la fabrication d’un opéra, Denis Laborde met en avant la capacité de création du régisseur dont le rôle est d’ajuster l’exécution de la tâche au plan d’action, lui-même ne se considère pas comme simple exécutant mais comme « auteur » d’une action, quelqu’un qui doit improviser selon les circonstances pour que les choses se passent bien (Laborde, 2008).

Sur un tournage, ce rôle essentiel est dévolu au 1er assistant-réalisateur, qui, aidé du 2e assistant, a comme fonction la préparation, gestion et la coordination au jour le jour du tournage126. (Le scripte peut lui aussi être considéré comme un glue role127) C’est l’assistant-réalisateur qui rédige par exemple, les notes de service et qui s’assure du bon déroulé du tournage et résout les conflits. Alors même que son métier n’est pas considéré comme artistique, il est pourtant essentiel pour la majorité des membres de l’équipe.

Le « plan de travail »

Le premier assistant est également chargé de réaliser le « plan de travail » qui comme le note

Benghozi structure les coûts, mais aussi l’esthétique du travail du réalisateur. En effet, Shuli

Calderon, la 1re assistante-réalisatrice de Plaot, regroupe le tournage des scènes par lieu et par décor, mais également s’arrange pour réduire les délais, faciliter l’emploi du temps des comédiens… Ainsi, ce plan de travail n’est-il pas une « première proposition de réalisation » ?

(Benghozi, 1989, p. 61). Avi Nesher aurait pu choisir de tourner les scènes dans l’ordre

126 Ainsi ACT, la principale association des travailleurs du cinéma et de la télévision en Israël insiste sur le fait que le rôle du 1er assistant-réalisateur est d’abord de décharger le réalisateur du travail d’organisation du tournage et lui permettre de se concentrer sur le travail artistique. 127 Gwenaële Rot montre comment les scriptes, responsables de la continuité du film, assurent une sécurité dans un univers incertain. On ne s’aperçoit de la qualité de leur travail que lorsqu’ils/elles commettent une erreur. (Rot, 2014).

91

chronologique, utiliser plusieurs caméras et faire moins de prises (il n’y avait que deux caméras sur Plaot).

Un plan de travail doit à la fois respecter les contraintes de la production (souvent, des demandes pour réduire le temps de tournage et limiter les dépenses) et combler les désirs du réalisateur

(Feigelson, 2011, p. 155).

Pour ce faire, le premier assistant doit absolument se faire entendre comme une « autorité de référence » sur le plateau pour « contraindre les uns et les autres à coopérer le mieux possible ».

(Feigelson, 2011, p. 156).

Avi Nesher lui-même considère le travail de Shuli, qui pourtant effectue un travail très standardisé, comme créatif. Il souligne l’importance du rôle de Shuli plusieurs fois lors de notre entretien. Il considère qu’elle crée « du temps » sur le tournage. Ainsi, la créativité réside aussi dans la mise en place d’un processus d’organisation sur le tournage et la gestion de l’emploi du temps.

Ce travail de premier assistant n’est pas considéré comme un travail créatif ou artistique, mais

moi, je pense que oui. Je pense que sa contribution au film n’est pas moins importante que celle

de Michel, Adir ou la mienne. […] La première assistante était fabuleuse, elle a beaucoup

contribué au film. Le grand problème du tournage c’est le temps, et chaque personne qui crée un

peu de temps a contribué à la réussite du film, chaque personne qui permet aux choses d’arriver

à temps contribue à la réussite du film128.

128 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

92

D’autres personnes interviewées comme Haïm Assias, le steadycamer soulignent la nécessité de la présence de Shuli pour faire le film.

« Tu ne peux pas faire de film sans Shuli. Aucune possibilité. Tu as besoin d’un certain ordre et Shuli maîtrise cet ordre d’une main de fer, c’est un de ses points forts129 ».

En l’observant travailler, je me rends compte que c’est elle qui trouve des solutions à certains problèmes, imprévus du tournage, il lui arrive très souvent de mettre en scène les figurants et je l’ai vu également une fois mettre en scène des comédiens pour des scènes tournées avec deux caméras. C’est elle aussi qui demande le silence entre les prises, qui crie « action » et « cut ».

3. Impact des contraintes sur la création : difficultés ou opportunités ?

Comme l’a montré Howard Becker dans Les Mondes de l’art, la production artistique dépend de l’offre de ressources disponibles. « La structure de l’offre reflète toujours le fonctionnement d’un certain type d’organisation sociale, et devient l’une des composantes du système de contraintes et de possibilités qui gouverne la production artistique. » (Becker, 2010

[1982], p. 111).

Alain Bergala montre dans son article « Techniques de la Nouvelle Vague » dans le hors-série des Cahiers du cinéma consacré au mouvement en 1997, comment, contrairement, à l’idée reçue qui veut que ce mouvement cinématographique ait profité des révolutions technologiques

(apparues quelques années après) comme les caméras légères, l’enregistrement du son synchrone, ou de nouvelles pellicules plus sensibles, les auteurs ont dû adapter une technologie existante à une esthétique souvent basée sur le manque de moyens et des budgets réduits.

Les contraintes extérieures, comme l’explique Hannah de La Pergola, la coordinatrice de production ont une très grande influence sur les films produits en Israël :

129 Entretien avec Haim Assias, steadycamer.

93

Il y a beaucoup de progrès à faire, mais il y a aussi de bonnes choses. Je pense que beaucoup de

scénaristes et de réalisateurs changent leurs scénarios à cause de contraintes : qu’elles viennent

des acteurs, des lieux etc. Je pense qu’aux États-Unis ce n’est pas comme ça. Là-bas, ça peut

coûter telle somme et on le fait quand même. S’il faut construire tel studio, ou apporter un

hélicoptère. Ici, en Israël, ce n’est pas comme ça s’il n’y a pas de budget alors on abandonne

certaines choses, si l’acteur ne peut pas filmer tels jours, ça a une influence130.

Ainsi, les membres de l’équipe de repérage me racontent comment Avi Nesher a dû remettre en question certaines de ses décisions et trouver des solutions créatives pour adapter son scénario aux contraintes de décor.

Et ce que j’ai appris d’Avi, la grandeur du réalisateur et sa capacité à réussir à faire correspondre

le scénario au lieu, c’est prendre un scénario, chercher les lieux, les trouver et si nécessaire réécrire

le scénario. Ce qui nous est arrivé dans ce film. Je ne peux pas te donner plus de détails. Je sais

que c’est ce qui s’est passé. En gros, nous avions une direction, la sensation vers laquelle on

voulait aller, mais y avait des fois où ce n’était pas exactement comme ce qu’il y avait écrit dans

le scénario et donc Avi devait réécrire le scénario après ça131.

Ceci est confirmé par Ohad Domb, l’un des repéreurs du film.

Par exemple, pour une scène qui devait se dérouler dans l’appartement du personnage principal

Arnav, il devait y avoir un incendie et Avi a changé l’écriture du déroulement de cet incendie par

rapport au lieu choisi, il n’avait pas prévu qu’il y aurait une cour et des escaliers ! Ainsi il a dû

changer la scène dans le scénario définitif132.

130 Entretien avec la coordinatrice de production Hannah de la Pergola. 131 Entretien avec Avi Tov, responsable des repérages. 132 Entretien avec Ohad Domb, repéreur.

94

4. Créativité et interactions

« Ce qui est magnifique dans le cinéma, c’est l’aspect collaboratif entre plusieurs personnes talentueuses. Je n’utilise jamais “je” mais “nous” quand je parle de cinéma. Je dois décider mais j’essaie d’utiliser le “je” le moins possible133 ».

Comme le notent Béra et Lamy, le cinéma est le lieu d’une « démiurgie collective » où « le monde rassemblé à l’initiative » (du réalisateur) « permet au metteur en scène de donner forme et durée à l’idée du film qui le conduit ». (Béra, Lamy, 2011, p. 112). Le « travail cinématographique relève en effet d’un ordre créatif, fruit de négociations et de stratégies d’acteurs à tous les niveaux ». (Feigelson, 2011, p. 136).

Selon les théoriciens de la créativité comme Teresa Amabile134, deux éléments apparaissent comme essentiels pour favoriser la créativité dans une organisation : les motivations intrinsèques et les relations interpersonnelles. Les motivations intrinsèques peuvent être définies comme des « motivations pour la tâche elle-même ». Elles sont traditionnellement considérées comme plus fortes chez les artistes, le registre de l’implication et de la vocation revient en effet souvent pour expliquer leur choix de carrière. Plus la motivation intrinsèque est forte, plus la créativité serait importante. (Chiapello, 1998, p. 139-140). Concernant les relations interpersonnelles, celles qui sont envisagées sont souvent construites sur la base de la confiance et de l’encouragement. (Chiapello, 1998, p. 151-152).

L’extrême motivation et implication des artistes ont comme contrepartie une fragilisation plus forte, puisqu’ils s’exposent à chaque nouvelle œuvre. Ainsi, la logique du « contrôle par le

133 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 134 Voir notamment : Teresa Amabile. The social psychology of creativity. New York : Springer-Verlag, 1983.

95

don » telle que définie par Eve Chiapello135 et la suspension du jugement deviennent nécessaires pour désinhiber la création et assurer la bonne marche du tournage.

Le tournage intervient dans un monde de l’art qui est lui-même un réseau de « petits mondes » au sens de Milgram136. C’est-à-dire que la majorité des collaborateurs sur le tournage avaient déjà travaillé ensemble et si ce n’était pas le cas avaient une ou plusieurs connaissances communes avec les personnes avec lesquelles ils travaillaient. J’ai moi-même pu bénéficier de cette « théorie » puisque j’avais une connaissance en commun avec Avi Nesher.

Beaucoup de chercheurs se sont interrogés sur l’intérêt d’avoir une équipe homogène (faite de personnes qui se connaissent ou qui ont le même parcours) ou hétérogène (avec des nouveaux entrants inconnus) et l’impact sur la création.

Uzzi et Spiro, dans leur article “Collaboration and Creativity” ont montré l’impact de la théorie des petits mondes sur la créativité. Ainsi, en passant par des interconnaissances, les innovations seraient plus crédibles et mieux acceptées, mais une connectivité trop forte risquerait d’homogénéiser la matière première et faire que les groupes d’interconnaissances ne fassent que partager la même information au lieu d’en développer des nouvelles. (Uzzi et Spio, 2005, p. 449).

Le tournage, lieu d’interactions intensives entre des travailleurs familiers les uns des autres et des « outsiders », nouveaux collaborateurs et figurants, devient alors un terrain propice à l’observation et à la vérification de ces théories.

135 « La rétention du jugement, l’orientation bienveillante du travail, la demande d’amour, la recherche d’un climat de confiance renvoient à un certain type de contrôle du travail que nous appelons le contrôle par le don. » Eve Chiaêllo, « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? » Réseaux, Modèles et acteurs de la production audiovisuelle volume 15, no 86, 1997. p. 95. 136 Jeffrey Travers et Stanley Milgram. “The small world problem” Psychology Today, 1967, vol. 1, no 1, p. 61- 67.

96

CONCLUSION DU CHAPITRE 3

Sur le plateau de Plaot, l’organisation du tournage était à première vue bien plus traditionnelle comparée à celle volontairement chaotique d’un film de Jacques Rozier. Le plan de travail suivait le scénario, et les acteurs, même ceux issus du stand-up, suivaient les dialogues

écrits à la lettre. Toutefois, le tournage reste un lieu de création même pour le réalisateur Avi

Nesher. D’abord, d’un point de vue idéologique, en tant que musicien de jazz, Avi Nesher, comme d’autres avant lui, utilise ce style musical pour décrire le travail créatif et collectif sur un tournage. Cette métaphore collective n’empêche pas toutefois le réalisateur de se définir comme un auteur-réalisateur.

Cette créativité se retrouvait dans les glue role, ces personnes comme l’assistante-réalisatrice ou la scripte dont le rôle est de faciliter la coordination sur un plateau. Shuli Calderon, l’assistante-réalisatrice devait jongler avec les contraintes et les imprévus de la production et les désirs du réalisateur et, pour ce faire, « improviser » avec les moyens du bord. Avi Nesher a dû lui-même revoir son scénario et le déroulement des scènes tournées suite à des changements de décors inopinés.

En définitive, sur un tournage, comme sur la scène d’un opéra ou d’un concert de jazz, la création sert l’organisation et vice versa. Les participants doivent user de routines existantes et en créer de nouvelles pour mettre en place leur univers imaginaire et s’assurer de pouvoir terminer leur œuvre.

Le tournage est surtout un lieu d’interactions, voyons dans le prochain chapitre comment celles- ci impactent le travail des membres de l’équipe de tournage.

97

CHAPITRE 4 INTÉRACTIONS , RÔLES ET CARRIÈRE S SUR LE PLATEAU

INTRODUCTION DU CHAPITRE 4

Dans ce chapitre, nous explorons les interactions et les rôles sur le plateau de Plaot.

Dans un premier temps, nous nous intéresserons au travail collectif et à la manière dont la confiance est à la base de la qualité des relations de travail sur un plateau, nous verrons comment le réalisateur conçoit son rapport aux autres participants au tournage.

Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons au rôle du réalisateur sur le tournage dans la manière dont il est perçu par les autres membres de l’équipe et par lui-même. Nous verrons comment le travail collectif du tournage est encadré par celui-ci, comment il s’implique sur différents aspects de la fabrication du film. Enfin, nous verrons comment le cinéma d’auteur sur le plateau de Plaot est vu comme une « idéologie professionnelle » au sens du sociologue

Eliot Freidson et comment elle impacte les interactions sur le plateau.

Dans un troisième temps, nous nous intéresserons à la division du travail et aux hiérarchies sur le plateau. Comment celles-ci prennent place concrètement sur le tournage de Plaot.

Dans un quatrième temps, nous nous intéresserons à la qualité des interactions entre les participants sur le tournage et leur impact sur la bonne marche du plateau. En effet, le plateau est le lieu d’une mise en scène de soi où se construisent ou se détruisent les réputations des participants. Quelles stratégies les participants du tournage et en premier le réalisateur mettent- ils en place pour éviter les conflits sur le tournage ?

Dans un cinquième temps, nous étudierons les ressorts de l’implication et de la motivation sur le tournage. Le travail sur le plateau demande une implication importante comparativement à d’autres activités, comment les participants sur un tournage maintiennent-ils leur haut degré d’implication ? Comment le justifient-ils et à quel prix ?

98

Enfin, nous terminerons ce chapitre en nous intéressant à la carrière des participants sur le tournage. Nous montrerons comment l’apprentissage se fait par le rôle, l’importance du réseau dans le développement de la carrière où la réputation est fondamentale. Nous détaillerons le processus de recrutement sur le tournage en l’illustrant avec la trajectoire de la coordinatrice de production. Nous nous interrogerons sur les caractéristiques de ces carrières en Israël, où ces professions sont beaucoup moins protégées et régulées que dans d’autres secteurs.

99

I — TRAVAILLER ENSEMBLE SUR LE PLATEAU

1. Confiance et collaboration

Sivan, la décoratrice, vient nous voir pour nous demander de l’aider à dessiner des dessins

d’enfants qui seront ensuite utilisés dans le film. Gal Kotzki dessine un petit bonhomme et sa

maison avec papa et maman écrit dessus, nous nous efforçons de le faire en silence pour ne pas

gêner le tournage. Nous entendons le « Roll Sound » de Shuli dont la voix porte même au rez-de-

chaussée137.

Dans son ethnographie de l’opéra de Steve Reich, Three Tales, Denis Laborde met en avant l’importance de la confiance entre les participants dans la coordination des actions qui prend sa source dans une régularité des conduites. Il n’est pas le seul à faire ce constat, c’est la confiance entre les participants qui joue un rôle de « moteur et de lien à la créativité ». (Brunet, 2004, p. 8138). Antoine Vernet, dans sa thèse de doctorat sur les techniciens lumière des plateaux139 montre, lui, comment la confiance assure l’existence d’un marché du travail pour les techniciens qu’il étudie. « Cette régularité pourvoyeuse d’un sentiment partagé de confiance prend sa source dans des situations antérieures similaires où, de place en place, la garantie de la continuité du site a fonctionné, et ce, quel que fût le lieu du concert. » (Laborde, 2008, p. 123).

Ce constat rejoint la théorie des « cercles de collaboration » élaborée par Michael P Farrell140 dans les mondes des arts et de la science141.

137 Extrait du journal de recherche, 9 mai 2012, 30e jour de tournage. 138 “Trust acts as a fuel and as a bond and it stimulates creativity.”. Johanne Brunet, “The social production of creative products in the television and film industry”. International Journal of Arts Management, Vol. 6, No. 2, WINTER 2004, p. 8. 139 Antoine Vernet. L’ombre et la lumière. Sociologie économique de l’activité cinématographique : travail et carrière chez les techniciens de la lumière, thèse de doctorat, Paris 10, 2010. 140 Michael P. Farrell. Collaborative circles : Friendship dynamics and creative work, University of Chicago Press, 2001. 141 À ce propos, Olivier Alexandre a montré l’aspect stucturant des « cercles de collaboration » du cinéma français dans son ouvrage La règle de l’exception. Écologie du cinéma français (Alexandre, 2015, p. 222-226).

100

Un cercle de collaboration est un groupe de pairs (souvent d’amis au départ) qui partage les mêmes perspectives de carrières et qui, pendant de longues périodes de dialogue et de collaboration, négocient une vision commune qui guide leur travail142. Dans le cadre de ces cercles, Farrell argue que l’amitié facilite le processus de création. « Quand deux esprits sont liés dans une relation de confiance, où ils peuvent ouvertement partager des idées et des processus cognitifs, la probabilité de découverte de nouvelles solutions à des problèmes augmente143. » Il note que les membres de ces cercles développent un haut degré de confiance, prennent beaucoup de risques et démontrent l’interdépendance la plus forte dans leurs façons de penser quand ils travaillent à plusieurs144.

Cela est d’autant plus vrai en ce qui nous concerne dans la phase de co-écriture de scénario de

Plaot. Ainsi, Shaanan Street, chanteur de rap, qui n’avait jamais écrit de scénario auparavant, a pu profiter de l’expérience d’Avi Nesher qui, de son côté pouvait renouveler son style.

Avi Nesher, lors de son entretien, revient d’ailleurs plusieurs fois sur l’importance d’avoir des collaborateurs qui sont aussi des « amis » sur lesquels il peut compter.

Il y a une phrase de Godard qui dit que le film c’est la fabrication d’un lien. Tu ne fais pas un film

seul, tu le fais avec d’autres personnes, tu dois donc faire confiance à tes amis bâtisseurs de lien

sinon tu finiras dans les sous-sols d’une prison des services de renseignements. […] J’aime allier

la confiance professionnelle à la confiance personnelle, car un film représente une grande partie

de ta vie. Un film, c’est un voyage exténuant, ce n’est pas aller à la plage. Si on travaille si dur,

autant que cela soit dans une bonne ambiance145.

142 “A collaborative circle is a primary group consisting of peers who share similar occupational goals and who, through long periods of dialogue and collaboration, negotiate a common vision that guides their work.” (Farrell, 2001, p. 11). 143 “When two minds are linked in a trusting relationship, such that they can openly share ideas and cognitive processes, the likelihood of dicovering new solutions to problems increases.” (Farrell, 2001, p. 23.) 144 “Circle members develop the highest degree of trust, take the greatest risks, and demonstrate the most interdependence in thinking when they work in pairs.” (Farrell, 2001, p. 284.) 145 Entretien avec Avi Nesher.

101

La notion de confiance d’ailleurs reviendra souvent dans la bouche de beaucoup de mes interviewés, que cela soit pour le recrutement, le choix de travailler dans tel ou tel film, ou pour souligner l’importance de la confiance que le réalisateur donne à ses collaborateurs.

Comme le note Laurent Lapierre dans sa thèse, Le metteur en scène de théâtre : un gestionnaire

(1984) (cité par Chiapello, 1998, p. 152), la notion de confiance facilite le contrôle et l’influence, notamment du metteur en scène sur le travail des autres membres de l’équipe.

Cette forme de contrôle est appelée « contrôle par le don » par Chiapello (1998, p. 153) c’est un contrôle qui « suppose le respect de l’autre et passe par une certaine forme de gratuité ».

Le paradoxe du contrôle par le don est que le don est un moyen de contrôle d’autant plus fort que

justement il ne veut pas contrôler ; la confiance n’est bénéfique que si elle est véritable et non pas

stimulée ; les « bonnes » relations interpersonnelles ne sont vraiment « bonnes », et par-là même

profitables, que lorsqu’elles sont fondées sur des liens de personne à personne et non seulement

sur les obligations de la situation ou le simple calcul des avantages à bien s’entendre. (Chiapello,

1997, p. 96).

Ainsi, le fait qu’Avi Nesher accorde une confiance entière à ses partenaires était sans cesse mis en avant pendant mes entretiens.

« Il a beaucoup confiance en moi, j’aime qu’il soit près de moi parce qu’on construit et on crée sur place146. »

Certains chercheurs distinguent traditionnellement une confiance généralisée d’une confiance intuitu personæ. Dans le premier cas, la confiance est allouée à un autre individu sans qu’une connaissance intime soit requise, dans le deuxième cas, la connaissance de l’attitude est connue

146 Entretien avec Haim Assias, steadycamer.

102

(que cela soit par des relations antérieures avec ces mêmes individus ou par des tiers les connaissant) (Lorenz, 2003, p. 111).

Dans le cinéma, c’est la confiance intuitu personæ qui prime. Le processus de recrutement par

« interconnaissance accroît les chances d’établir des relations de confiance nécessaires à la bonne coordination des divers intervenants ». (Rot, De Verdalle, 2013, p. 118).

« Les liens forts représentent un avantage comparatif dans la poursuite d’une activité discontinue et hautement concurrentielle. » (Alexandre, 2015, p. 218). Ce phénomène est

également mis en avant par Adeline Lamberbourg dans son article sur la réalisatrice Dominique

Cabrera. « Le fait de bien se connaître et de savoir travailler ensemble contribue à affronter avec sérénité la singularité fondamentalement anxiogène du projet. » (Lamberbourg, 2010, p. 12). Elle permet aussi la « construction d’une identité esthétique ». (Rot, DeVerdalle, 2013, p. 119147).

Dans son étude sur les producteurs de télévision, Nicolas Brigaud-Robert reprend la définition de Mark Granovetter de la confiance comme « fonction de la quantité de temps passée par les agents entre eux, de l’intensité émotionnelle de leur relation » (Brigaud-Robert, 2011, p. 221).

Il montre comment cette confiance contribue et influence le capital symbolique des producteurs auprès de diffuseurs, c’est-à-dire leur réputation. Ainsi, « les chances du producteur de voir son projet trouver sa place à l’antenne dépendent de la croyance qu’il est susceptible de susciter chez les autres » (Brigaud-Robert, 2011, p. 224).

Helen Blair utilise le terme de « groupe de travail semi-permanent » (« semi-permanent work group ») pour décrire les groupes de personnes qui travaillent ensemble de tournage en tournage ce qui leur assure une plus grande stabilité et sécurité (Blair, 2003).

147 Rot, G. & De Verdalle, L. Le cinéma : Travail et organisation. La Dispute, 2013.

103

Avi Nesher l’a bien compris et s’est entouré de collaborateurs fidèles qu’il connaît depuis le début de sa carrière et pour certains depuis son premier court-métrage réalisé lors de son service militaire. Ce type de relation de longue durée à deux, des dyades (monteur, producteur) sont très fréquentes dans le cinéma français comme le remarque Olivier Alexandre dans sa thèse de doctorat (Alexandre, 2014, p. 454-459). Isaac Sheayek, le monteur, est le collaborateur le plus ancien et le plus régulier d’Avi Nesher avec qui il forme une véritable dyade puisqu’il a monté tous les films d’Avi réalisés en Israël depuis son premier court-métrage.

Comme le note Alexandre pour le cinéma français, les « contacts liminaires ont un impact décisif sur la carrière. En ouvrant une chaîne d’opportunités, ils exonèrent leurs bénéficiaires de coûts d’entrée élevés associés à la recherche systématique d’informations et de soutiens dans un milieu saturé par le nombre de sollicitations ». (Alexandre, 2015, p. 220-221). La répétition de la collaboration n’est pas seulement affective mais permet un gain de temps et d’argent.

2 Associés à la création

Du point de vue de l’interactionnisme symbolique, une organisation sociale est vue comme « l’ensemble des actions collectives d’individus occupés qui tentent d’atteindre des buts grâce à des actions coopératives dans des situations sociales constamment réinterprétées par ces mêmes individus148 ».

Comme le note Howard S. Becker dans Les mondes de l’art, « tout travail artistique, de même que toute activité humaine, fait intervenir les activités conjuguées d’un certain nombre, souvent d’un grand nombre de personnes » (1982 [2010], p. 27). Il définit le monde de l’art comme le

148 “The collective actions of minded individuals who are attempting to achieve goals through cooperative actions in social situations that are constantly being interpreted by them” Marvin E Olsen, The process of social organization, Holt, Rinehart and Winston1968, p. 243.

104

« réseau de tous ceux dont les activités coordonnées grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production des œuvres qui font précisément la notoriété du monde de l’art » (1982, (2010), p. 22). Ainsi, dans cette perspective, l’industrie du film est un monde de l’art car il s’agit d’un réseau de personnes qui collaborent fréquemment et qui ont comme point commun de labéliser leur activité dans ce secteur.

Becker montre comment c’est l’interaction entre toutes les parties participantes à un monde de l’art qui produit un sens commun de la valeur du produit de leur travail collectif. C’est donc leur appréciation mutuelle des conventions utilisées et de leur entraide qui les convainc de la valeur et de la validité de leur travail artistique.

Le cinéma, contrairement aux autres arts comme la peinture, la sculpture, ou l’écriture est caractérisé par une large division du travail comme on peut le voir sur le générique de fin d’un film. La production d’un film est divisée en différentes tâches représentées par diverses professions. Cette position se distingue de la « tradition dominante qui place l’artiste et l’œuvre d’art et non le réseau de coopération au centre de ces analyses de l’art comme phénomène social » (Becker, 2010 [1982], p. 23).

L’aspect collectif de la création est ainsi mis en avant par Avi Nesher lui-même qui n’hésite pas à parler des membres de l’équipe de tournage comme des « associés à la création ».

J’encourage la création de chacun, je cherche des personnes qui me proposent des idées. Ce qui

est le plus ennuyeux c’est le terme technicien, je ne les considère pas vraiment comme des

techniciens mais comme des collaborateurs de la création. Je considère également que les

105

comédiens ne doivent pas seulement déclamer des textes mais sont également associés à la

création du film149.

Avi Nesher revient d’ailleurs sur son attachement au travail collectif sur un film plutôt qu’individuel (ce qu’il reproche au cinéma d’auteur) lors d’un congrès, publié sous la forme d’un article dans le magazine de la Cinémathèque de Tel Aviv150.

Les membres de l’équipe de tournage sont assimilés à la « famille » avec laquelle on vit une expérience « émotionnelle » forte.

Je considère les membres de l’équipe du film comme de la famille car ce sont des gens avec qui

on vit une expérience très émotionnelle, ce sont des gens que j’aime beaucoup personnellement

et tu ne les vois que pendant le travail, mais ça fait partie de la nature des choses. Il y a un

événement comme le vernissage d’une exposition, c’est comme une bar-mitzvah, alors bien sûr

que tu les invites. Je ne les vois pas comme mes employés, ce sont des associés à la création151.

Une famille que l’on ne voit que pendant les tournages mais avec qui on noue des liens forts, un rapport particulier, qu’on ne retrouve pas dans les autres milieux professionnels.

Je note d’ailleurs dans mon journal de terrain qu’Avi Nesher aime bien donner des surnoms affectueux à ses acteurs et que les membres de l’équipe de tournage le font entre eux.

Cela crée un sentiment d’appartenance renforcé par la culture et la société israélienne où la famille reste au centre des préoccupations152

149 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. Adeline Lamberbourg, rapporte, elle aussi, que la réalisatrice française Domnique Cabrera appelle les techniciens des collaborateurs artistiques. Adeline Lamberbourg, « Parcours croisés de Dominique Cabrera, cinéaste, et de ses proches collaborateurs ». Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, (11), 2010, p. 12. 150 Cinématheque no 181, mars-avril 2013, p. 22-26. 151 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 152 Ainsi, un récent sondage organisé par le Pew Research center montrait que 97 % des Israéliens valorisaient une bonne relation avec leur famille. Pew Research Center, Israel’s religiously divided society report March 2016.p. 137.

106

II — LE RÉALISATEUR SUR LE TOURNAGE

1. Réalisateur vu comme « un rôle » plutôt qu’un statut

« Et le fait que je sois le réalisateur, c’est simplement parce que c’est mon rôle, je ne suis pas leur boss ni leur commandant153. »

Bruce Kawin, professeur de cinéma, dans son livre How movies work a tenté d’expliquer comment s’élaborait la production d’un film. S’agissant du travail des réalisateurs, il explique que ceux-ci font partie d’un système, et s’ils arrivent à générer une abstraction qui inspire et unifie leurs nombreux collaborateurs, cela pourrait expliquer comment les différentes parties du système de fabrication de film sont assemblées ensemble154. De manière intuitive, Kawin suggère que les interactions jouent un rôle essentiel dans la production de films155.

Comme le remarque Kawin, la magie d’un tournage (et du cinéma) c’est qu’une cohérence personnelle peut émerger d’un projet collaboratif. Il ajoute également que chaque membre de l’équipe de tournage a sa propre « vision » ou représentation du film et qu’ils l’identifient comme le possible « désir du réalisateur » (Kawin, 2008, p. 198). Selon lui, pour s’assurer qu’une vision personnelle émerge du tournage, chaque collaborateur doit se mettre d’accord avant le commencement du tournage sur un style de réalisation précis et s’y conformer pendant toute la période de fabrication du film.

De même, le réalisateur a des attentes quant à la façon dont seront joués certains rôles sur le tournage comme nous l’avons vu, certains membres de l’équipe doivent parfois improviser ou bricoler pour répondre à ces attentes.

153 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 154 “Directors are part of a system, and if they generate an abstraction that proves to inspire and unify the activities of their many collaborators, that is an intriguing explanation of how the parts of the cinematic system […] might be drawn together into a coherent ‘whole’”. (Kawin, 2008 p. 198). 155 “A personal coherence can emerge from a collaborative project” (Kawin, 1992, p. 294).

107

Olivier Alexandre parle de la capacité du cinéaste d’instaurer une « culture commune » au sein de son équipe comme une condition décisive à la continuité de sa carrière et donc de sa réputation. (Alexandre, 2015, p. 238).

Paradoxalement, l’image du réalisateur comme le « point cardinal du processus de production »

(Alexandre, 2015 p. 245) qui est véhiculée lors des entretiens avec la presse notamment et l’individualisation des récompenses conduisent à gommer tous les aspects collectifs et aléatoires inhérents à la fabrication d’un film. Le réalisateur est constamment sollicité pour donner une logique au parcours du film quitte à revoir certains épisodes. Cela a comme effet de poser énormément de pressions sur ses épaules car il devient le seul responsable d’un travail en réalité bien plus collaboratif.

2. L’auteur réalisateur comme une « autorité douce »

Dès l’étape du scénario, Avi Nesher se considère comme un auteur-réalisateur (un réalisateur qui écrit ses scénarios).

Il y a des scénarios que j’aime écrire seul comme Paam Aiti (The Matchmaker), mon précédent film, qui était très personnel, et d’autres où je co-écris avec quelqu’un. Je n’ai jamais réalisé le scénario de quelqu’un d’autre. Je ne sépare pas l’écriture de la réalisation. J’ai écrit beaucoup de scénarios, mais je n’en écris jamais pour les autres156.

Pourtant, comme il le dit lui-même, cela ne l’empêche pas de co-écrire certains de ses scénarios.

Sur vingt et un films réalisés, il a écrit seul onze d’entre eux, co-écrits sept et seulement trois ont été écrits par d’autres scénaristes, ces trois films étant des films de studios tournés aux États-

Unis.

Dans le cas de Plaot, cette collaboration s’est faite avec le chanteur de rap Shaanan Street qui

écrivait un scénario pour la première fois de sa carrière. Il était certes novice en matière

156 Enretien avec le réalisateur Avi Nesher.

108

d’écriture de scénario mais c’est sa connaissance de la ville de la Jérusalem dont il est natif, qui a été des plus utiles. Leurs séances d’écritures débutaient d’ailleurs par une balade dans la ville.

La rencontre avec Shaanan est décrite comme un coup de foudre amical, une envie de travailler avec quelqu’un, « un artiste » et un « musicien ».

J’ai rencontré mon co-scénariste, Shaanan Street (leader du groupe de rap israélien A dag nahash), dans un contexte musical ; j’ai vu un de leurs concerts, je l’ai félicité par SMS et il m’en a renvoyé un en me proposant qu’on se rencontre. Et là, se recrée la même chose qu’au sein d’un groupe de jazz, tu rencontres un inconnu dont tu admires le travail et se crée une sympathie. Shaanan, qui vient de

Jérusalem, m’a proposé de me montrer sa ville et, alors qu’on se baladait, il m’a semblé naturel qu’il participe à l’écriture du scénario alors qu’il n’avait jamais écrit de scénario de sa vie avant celui-ci. Il me l’a dit et je l’ai rassuré, il suffit qu’une des personnes sache écrire des scénarios, c’est quelqu’un de très talentueux et sa contribution au film est unique et originale157.

Le choix de Shaanan Street, a d’ailleurs conforté et appuyé l’aide du fonds d’aide au cinéma de la ville comme me l’a confirmé après le tournage, son directeur, Yoram Honig :

Pour Plaot, ce qui a compté [pour l’obtention de l’aide] c’est le fait qu’Avi Nesher ait choisi d’écrire son film avec un natif de Jérusalem, le chanteur Shaanan Street qui connaît bien tous les recoins de la ville. Très souvent, nous conseillons à des gens qui ne connaissent pas du tout Jérusalem de recruter un conseiller artistique qui connaît bien la ville158.

La participation du rappeur dans l’écriture du film validait d’ailleurs un schéma de collaboration déjà utilisé par Nesher sur ses films précédents : recruter une « autre voix » complémentaire experte du sujet du scénario plutôt que des scénaristes professionnels.

157 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 158 Entretien avec Yoram Honig, directeur de la Jerusalem Film fund.

109

« Je collabore avec quelqu’un toujours à la fin, c’est-à-dire quand je comprends tout mais que je veux une autre voix. » Il donne ainsi l’exemple de sa collaboration avec une femme issue du milieu juif orthodoxe pour l’écriture du film Les Secrets (A Sodot) sorti en 2006.

Cette collaboration à l’écriture avec Shaanan Street était guidée et dirigée par Avi Nesher :

« C’est moi qui dirigeais l’écriture de la structure du scénario mais les personnages, les dialogues, bref, le contenu nous l’avons fait ensemble et il a appris à écrire des scénarios en le faisant. Et sa contribution est très importante. Cela nous a pris deux mois d’écriture159. »

Cette envie de faire participer les autres membres de l’équipe dans la création du film est

également validée par d’autres personnes. Comme par Avi Tov, le responsable des repérages, les comédiens comme Ori Hizkiah me confirment l’importance de cette collaboration pendant les répétitions :

« Pendant la préparation, il y a eu des improvisations et le texte a subi des changements et des ajouts divers pour prendre sa forme finale160. »

Certains, comme Ohad Domb, le repéreur chargé de trouver des décors, mettent en avant leur rôle et l’influence qu’ils auraient eue sur l’écriture du scénario. « Ce qui était le plus gratifiant c’est que j’ai pu changer le scénario grâce aux lieux que j’avais choisis ! J’étais impliqué dans l’écriture du scénario161. »

En effet, Avi Nesher a l’habitude de préparer ses films sur des périodes assez longues (un an dans le cas de Plaot), pendant lesquelles il prend l’habitude d’écrire et réécrire son scénario en prenant en compte l’avis de ses collaborateurs.

La période des répétitions est l’étape que j’aime le plus dans la fabrication d’un film, elle est la plus créative. De même, lorsqu’on fait le repérage, je récris le scénario ainsi qu’après les

159 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 160 Entretien avec le comédien Ori Hizkiah. 161 Entretien avec le repéreur Ohad Domb.

110

discussions avec les directeurs de la photographie. Chaque chose que tu fais pendant les préparations fait l’objet d’une réécriture et pendant cette étape je sors un brouillon du scénario presque chaque semaine162.

Avi Nesher, comme nous l’avons vu, use donc constamment de métaphores pour décrire le travail collectif nécessaire sur un tournage (analogies du « jazz » et de l’« enfant »). Mais cet aspect collectif est limité par l’« autorité douce » du réalisateur seul responsable sur le tournage.

Le film est un « enfant ».

Pour Avi Nesher, l’équipe et le réalisateur sont comme une famille qui doit tout faire pour que le film se réalise dans les meilleures conditions.

« Je vois un film comme un enfant et nous sommes tous associés à son développement. » […]

« C’est ce que tu veux, c’est donner à l’enfant la meilleure probabilité pour réussir163. »

Mais cette création collective doit se faire sous la responsabilité du réalisateur qui l’encadre.

Un film est comme un enfant, il peut être petit, gros, grand, bon ou mauvais élève, mais en tant que parent tu dois lui donner la meilleure vie que tu es en moyen de lui procurer. C’est une grande responsabilité. J’arrive sur le plateau comme responsable de ce qui s’y passe et si quelque chose ne se passe pas comme prévu alors j’en suis responsable et personne d’autre. Si tu n’es pas responsable alors c’est comme si tu trahis la croyance que ton film te donne164.

162 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 163 Ibid. 164 Ibid.

111

3. Un travail collaboratif encadré par le réalisateur

La responsabilité qui incombe au réalisateur notamment sur le résultat explique que le travail collectif, le modèle du jazz a ses limites. Si quelqu’un doit décider en fin de compte c’est bien lui. Pourtant, pour Avi Nesher, cette nécessité va de pair avec une vision égalitariste du travail sur le film, toutes les opinions, du producteur au régisseur, selon lui, se valent.

Tout le monde a son mot à dire. Tous ceux qui veulent commenter le scénario me rendent heureux.

Il y a les bonnes et les mauvaises suggestions, mais chacune permet de réfléchir. Chaque réflexion

est bonne. Même les mauvaises idées peuvent servir, si tu découvres que l’idée originale était

meilleure, c’est en fin de compte une bonne chose. Dudi (le producteur) est quelqu’un de très

intelligent, il est un ancien commissaire et organisateur d’expositions. C’est quelqu’un dont

l’opinion m’est importante mais l’opinion du chauffeur de taxi est également importante à mes

yeux. Les opinions de chacun m’intéressent. […] J’encourage beaucoup, du régisseur au

comédien principal, la créativité de tout le monde. Mais tout le monde n’a pas forcément des

bonnes idées. Je suis très content d’avoir des bonnes idées, j’ai aucun problème avec le fait que

l’idée vienne de quelqu’un d’autre, cela ne m’intéresse pas de savoir si cela vient de moi ou de

toi165.

Comme le dit l’acteur Adir Miller dont c’est la troisième collaboration avec Avi Nesher, « Il te donne l’impression que toi aussi tu fais partie du processus. C’est génial166. »

Toutefois, c’est bien lui qui, à la fin, décide de la marche à suivre. « Je suis, en fin de compte, celui qui décide, car à la fin quelqu’un doit décider. Mais comme j’ai dit précédemment je n’ai aucune préférence quant à l’origine des idées. Je cherche toujours l’idée la meilleure et la plus intéressante167. »

165 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 166 Entretien avec le comédien Adir Miller. 167 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

112

4. Le réalisateur considéré comme l’auteur du film.

Cette mise en avant du travail collaboratif s’accompagne pourtant d’une conception auteuriste du cinéma qui s’illustre en pratique par une liberté et indépendance importante dans la phase de préproduction.

Robert L. Carringer, qui a analysé la production du film Citizen Kane réalisé par Orson Welles, a montré comment la fonction créative du réalisateur était en fait distribuée parmi d’autres collaborateurs du directeur de la photo à la costumière (Carringer, 1996).

Deux visions ainsi cohabitent : celle d’un auteur-réalisateur, issu du courant de la Nouvelle

Vague qui imprègne de sa personnalité le film en train de se faire et celle qui ne met en avant que les structures et les causes sociales qui suppriment toute création individuelle.

Comme Sara Malou Strandvad (2009) et son analyse de la notion d’auteur dans l’industrie du cinéma danoise le suggère, nous nous insérons dans une optique plus pragmatique qui met au centre le film en train de se faire plutôt que son ou ses auteurs.

Alors même qu’il a beaucoup travaillé aux États-Unis pour des Grands Studios Hollywoodiens,

Avi Nesher s’inscrit dans une vision auteuriste du cinéma, celle forgée par le cinéma de la

Nouvelle Vague, où le réalisateur est considéré comme le véritable auteur du film. Une vision qu’il doit notamment à l’enseignement d’Andrew Sarris, critique de cinéma et auteur du livre

The American Cinema et exportateur du cinéma d’auteur aux États-Unis :

J’ai grandi à New York dans une période où le cinéma en tant que mode de vie était à son apogée.

À la même époque, était publié The American Cinema d’Andrew Sarris, un texte qui a mené à la

perspective auteuriste américaine, beaucoup de gens de ma génération ont considéré le cinéma

comme la chose la plus excitante à faire. Grandir à New York m’a également permis de voir un

113

nombre incalculable de films et j’ai étudié à l’université de Columbia et Andrew Sarris, qui était

l’un de mes professeurs, je pense, m’a beaucoup influencé168.

Quand je lui demande comment il définirait le travail du réalisateur, il me répond :

Quand tu es auteur-réalisateur, tout commence et se termine avec toi. […] Comme je fais partie

de cette génération qui considère le réalisateur comme l’auteur du film, pour moi l’écriture et la

réalisation d’un film c’est la même chose. Je ne me vois pas écrire séparément de la réalisation.

Tout me paraît comme un seul acte créatif : comme un peintre peint et un sculpteur sculpte169.

L’autorité du réalisateur sur le tournage est également acceptée et mise en avant par le reste de l’équipe comme me l’explique la première assistante Shuli Calderon : « Le réalisateur a une vision et nous sommes là pour l’aider à concrétiser cette vision170. »

5. Le cinéma d’auteur comme « idéologie professionnelle »

En France, l’auteur est une « idéologie professionnelle » pour Olivier Alexandre (2015, p. 132), concept qu’il emprunte à Eliot Freidson171 c’est-à-dire un « système rhétorique par lequel une profession qualifie et coordonne son organisation ». Sa centralité est le « produit d’une construction collective » (Alexandre, 2012, p. 447).

Je constate que sur Plaot, et malgré l’influence du cinéma américain sur l’industrie israélienne, pour les techniciens, et le premier d’entre eux, le directeur photo, c’est la perspective du cinéma d’auteur qui prime. Le technicien sert d’abord la vision du réalisateur vu comme l’auteur du

168 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 169 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 170 Entretien avec l’assistante-réalisatrice Shuli Calderon. 171 Eliot Freidson, Professionalism, the third logic : On the practice of knowledge. University of Chicago press, 2001.

114

film tout en mettant en valeur sa propre participation créative. Et les opinions des principaux membres de l’équipe de Plaot rejoignent celles analysées par Yann Darré pour illustrer la division du travail dans le cinéma d’auteur.

Les techniciens interrogés sur leur métier tiennent des propos qui permettent de comprendre

comment ils définissent eux-mêmes leur position, leur rôle, comment, alors qu’ils visaient la

réalisation, ils parviennent à retraduire leur vocation dans un emploi défini comme relevant de

l’exécution. Ils tiennent généralement un discours double : d’une part, ils revendiquent une

influence sur le film, entamant implicitement le domaine du metteur en scène ; d’autre part, leur

croyance dans l’auteur omnipotent les conduit à se valoriser en affirmant une proximité avec lui.

La première part est plus importante dans les métiers qui requièrent une compétence technico-

artistique que ne possèdent pas les réalisateurs (chef opérateur surtout), la seconde dans ceux qui

requièrent plutôt une sensibilité, un regard, une disponibilité ou une faculté à anticiper sur les

désirs du metteur en scène. (Darré, 2000, p. 39).

En France, la nouvelle organisation de tournage commencée par la Nouvelle Vague bouleverse le rôle et les relations du réalisateur avec le reste de l’équipe : « au chef cinéaste » se substitue un artiste, aux ordres se substituent les désirs et l’« empathie ». « On est en quelque sorte passé d’un système où un “chef” coordonne tout et donne des ordres, à un système où l’auteur pense, entouré de ses plus proches collaborateurs qui vont aller traduire cette pensée dans leur partie, et essayer de comprendre ce qu’il veut. » Ainsi Darré met en avant le rôle des intermédiaires, surtout les assistants-réalisateurs ceux et celles qui traduisent les paroles du réalisateur qui doit

être capable de « diriger cinquante personnes en parlant à voix basse avec deux trois personnes qui iront ensuite, en criant éventuellement, faire agir cinquante personnes comme il le souhaite. » (Darré, 1986, p. 218).

115

Le technicien doit même comprendre les désirs du réalisateur avant qu’il ne prononce une seule phrase, « aller au-devant du désir du réalisateur » (Darré, 1986, p. 218).

Cette relation suppose donc, selon Darré, que les techniciens et les réalisateurs aient des valeurs en commun : une certaine « compétence culturelle » pour le technicien qui dispenserait en contrepartie du réalisateur un « savoir technique officiellement requis » (Darré, 1986, p. 219).

Darré conclut par le constat d’une dépossession du technicien vers le réalisateur, « auteur » du film. « Le technicien ne peut bénéficier de la reconnaissance que parce que le cinéma est reconnu comme art, ce qui est possible tant qu’il y a “auteur”. La dépossession est la condition de la reconnaissance, autant qu’elle est le “prix”. » (Darré, 1986, p. 221).

Avi Nesher n’a effectivement pas fait une formation en cinéma, il vient, comme les réalisateurs de la Nouvelle Vague de la critique de cinéma et a acquis une image d’auteur au sein de l’équipe et de ses plus proches collaborateurs.

On n’a pas la même conception du cadre, comme je travaille pour lui, je me plie à sa volonté

puisque c’est lui le réalisateur. Mais je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’il fait au cadre,

mais ceci dit comme c’est un gros travailleur il a toujours suffisamment de matériel pour monter.

Il me laisse une entière liberté pour la lumière172.

6. Un réalisateur impliqué

Avi Nesher est impliqué dans tous les aspects de son film, bien au-delà de la réalisation. Il est

à la fois le co-scénariste et le co-producteur de ses films.

172 Entretien avec le directeur de la photographie Michel Abramowicz.

116

Cette centralisation des rôles est, selon Avi Nesher, une « nécessité » plus qu’un choix, il serait indispensable selon lui de connaître tous les autres rôles sur un plateau, car ils peuvent tous avoir un impact sur un tournage.

J’ai produit des films parce que je n’avais pas le choix. Je produis mes films, parce que lorsqu’on

est réalisateur on est impliqué dans tous les postes. Et j’ai appris au cours de ma carrière que la

production a un effet important sur la réalisation d’un film et il est important d’y être impliqué

dès le départ. Un réalisateur est impliqué dans tout, tout a un impact sur la mise en scène, par

conséquent tu acquiers des connaissances dans presque tous les domaines de la fabrication d’un

film173.

Cette implication tous azimuts a également été soulignée par ses collaborateurs, et notamment les premiers d’entre eux, le producteur et le directeur de la photographie.

« Comme vous l’avez vu il est très impliqué, il aime s’occuper de tous les contenus et de l’aspect visuel du film174. »

Pour Avi Nesher, l’aspect très directif de sa méthode de travail se justifie par l’envie de ne pas faire trop travailler son directeur de la photographie, l’un de ses plus anciens collaborateurs.

« Dans notre façon de travailler, c’est moi qui lui explique quel est le prochain plan, parce que j’essaie au maximum de limiter le poids des informations qu’il doit connaître, il a déjà assez de travail comme cela175. »

Michel Abramowicz souligne lui aussi qu’Avi est un « gros travailleur », il emploie même le terme de « bulldozer » qui veut tout contrôler.

173 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 174 Entretien avec Dudi Silber, producteur délégué du film. 175 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

117

Avi est très directif, c’est un gros travailleur, il arrive et il sait ce qu’il veut. On peut lui proposer

des choses, il suffit de proposer au bon moment, il y a toujours des moments pour proposer et des

moments pour se taire. C’est un peu un bulldozer, quand il arrive sur le plateau il a une espèce

d’appétit de plans et de concentration, ça ne laisse pas beaucoup de place pour la vie autour. À

partir du moment où on est sur le plateau, il veut rentabiliser chaque seconde, ce qui est tout à fait

respectable176.

En effet j’observe sur le plateau qu’Avi a l’habitude de regarder directement dans la caméra comme s’il souhaitait cadrer lui-même :

« L’équipe fait plusieurs tests avec Liel la scripte pour voir l’effet du focus et de la lumière sur le comédien et les figurants. Avi Nesher regarde directement dans l’écran de la caméra pendant que Michel et Damien restent en retrait177. »

Selon Benjamin Seroussi, la place du réalisateur est littéralement centrale sur un tournage : il serait le seul relié à tous les autres collaborateurs, le « nœud » central du réseau en quelque sorte. Le travail « d’harmonisation des différentes instances » fait qu’il est « de plus en plus investi dans son statut d’auteur ». (Seroussi, 2006, p. 97).

Il l’est également car il peut (c’était le cas d’Avi Nesher sur Plaot) regarder chaque soir les prises de vues du film et avoir donc une vision que les autres membres de l’équipe n’auront pas.

« Au fil du tournage, le réalisateur s’approprie de plus en plus facilement la rente artistique, alors que les techniciens ne voient pas les prises de vues et continuent de travailler à l’“aveugle”. » (Seroussi, 2006, p. 98). En d’autres termes, « le réalisateur est le seul à avoir une vue d’ensemble de l’œuvre en train de se faire ». (Seroussi, p. 97-98).

176 Entretien avec le directeur de la photographie Michel Abramowicz 177 Extrait du journal de terrain, 14e jour de tournage du 11 avril 2012.

118

Le réalisateur centraliserait ainsi les « espaces-temps éclatés du tournage ». (Seroussi, 2006, p. 98). Nous noterons que Benjamin Seroussi ne semble pas prendre en compte l’importance de la postproduction alors qu’elle aussi fait partie du mouvement de centralisation, où le réalisateur n’est pas le seul à agir. Le rôle créatif du monteur est ici primordial car il peut proposer des lectures différentes et une première centralisation des images du tournage.

En conclusion, il apparaît que l’obéissance au réalisateur n’est pas vue comme liée à la personnalité d’Avi mais plutôt à son rôle de réalisateur. En effet, les rôles sur un tournage ont un impact sur son organisation comme sur les interactions entre les différents collaborateurs.

119

III — HIÉRARCHIE ET ORGANISATION DU PLATEAU

Liel, la scripte, prend en photos certaines dispositions sur l’écran et note ensuite les différentes

informations. Avi dit cut, et redemande certaines précisions à ses acteurs. Pendant ce temps,

Michel vérifie avec Damien la qualité de l’image. Pendant une des prises, la costumière, Nomi

doit reprendre une écharpe qui modifie la continuité d’une scène. Rami Siman Tov, le focus-puller

demande s’il s’agit d’une répétition ou du tournage final178.

Le travail collectif du tournage est la première chose observable sur un plateau, pourtant une division de travail nette apparaît parmi les participants.

1. La division du travail dans le cinéma

Plutôt que « travail collectif », Gilles Mouëllic parle de « travail partagé » sur un tournage, car une hiérarchie très forte existe au sein des différents postes. (Mouëllic, 2011, p. 33).

Une forte interdépendance est liée à cette division des tâches ce qui donne une image assez singulière, « une composition d’affairement et de désœuvrement » où, comme dans un hôpital, différentes catégories hiérarchiques travaillent ensemble sur un même lieu et exercent leur travail sous le regard des autres comme dans une institution totale. (Chalvon-Demersay, 2012, p. 203).

Cette division des tâches a aussi un « effet pacificateur » sur les tournages. « La répartition claire des responsabilités et des attributions permet d’échapper aux accrochages et la négociation permanente ; chacun sait ce qu’il peut et doit faire et ce qu’il appartient à son collègue. » nous dit Pierre-Jean Benghozi (Benghozi, 1989, p. 94). Sabine Chalvon-Demersay fait le même constat : « Un pacte de non-ingérence réciproque, qui ressemble à de l’indifférence

178 Extrait du journal de terrain, 27e jour de tournage du 6 mai 2012.

120

mais qui relève en fait d’un respect de la division du travail et de la spécialisation qui l’accompagne, cherche à limiter les dégâts que provoquerait une intervention incompétente ».

(2012, p. 203).

Enfin, le choix d’un système pyramidal où chaque chef de poste recrute et délègue le travail à des assistants est censé « limiter la gestion incertaine d’un projet filmique toujours limité dans le temps » (Feigelson, 2011, p. 153).

Ce principe est-il toujours mis en pratique ? En réalité, cette division a un caractère contingent et qui change notamment selon les évolutions technologiques. Sur Plaot, l’utilisation d’une caméra numérique plutôt que d’une caméra 35 mm avec des impacts organisationnels conséquents. En plus de son directeur de la photographie attitré, un « ingénieur de la vision » fut recruté, poste qui n’existait pas lorsque les tournages étaient sur pellicule, il est responsable du réglage des caméras numériques.

Howard Becker distingue l’artiste qui « exerce l’activité cardinale » sans quoi l’œuvre ne serait pas une œuvre d’art et les « personnels de renfort » qui, bien qu’ils n’exercent pas d’activité artistique, sont indispensables à la production de l’œuvre d’art. (Becker, 2010, [1982]).

Comme Becker l’a noté, il est très difficile de définir dans le cinéma qui est responsable du film

(ou plutôt comment différents participants arguent qu’ils sont responsables de tel aspect du film).

J’appris comment chaque participant à une œuvre complexe aussi collective qu’un film

considérait que le résultat final était en fait « son » œuvre, les autres n’étant là que comme

assistants : les monteurs « savaient » qu’aucun film ne pouvait être vraiment efficace sans leurs

compétences clefs ; les compositeurs voyaient les films comme des accompagnements visuels de

leurs partitions ; et de la même façon les scénaristes savaient que le cinéma était en réalité un art

littéraire enrichi d’effets visuels. (Becker, 1999, p. 14).

121

En réalité, les rôles de chacun n’avaient pas le même impact sur le film. Nous pouvons reprendre à notre compte les catégories proposées par David Jacobs179 puis James Baron et

David Creps180 cités par Pierre-Michel Menger. (2009, p. 258-260). Les « star jobs », les

« Guardian jobs » et les « foot-soldier jobs ».

Les « star jobs » sont des emplois dont la performance peut procurer des gains considérables à une organisation donnée. Ainsi, sur le tournage, certains comédiens ou le réalisateur en font partie s’ils sont raisonnablement connus. Le « guardian-jobs » sont les emplois dont c’est la mauvaise performance qui risque de détruire l’organisation. Sur un tournage, si un ingénieur du son n’enregistre pas convenablement, il risque de mettre à mal tout le film. Enfin, les « foot- soldier jobs » sont des emplois dont la performance (ou la non-performance) individuelle n’a aucun impact sur l’organisation, leur embauche ne suppose pas de qualification particulière.

Sur le tournage, rentrent dans cette catégorie : les figurants, certains assistants, les régisseurs.

Comme Becker, je tâche de m’intéresser au-delà du réalisateur à ces « foot-soldier jobs » « qui accompagnent le projet et font les basses tâches et, sans qui, bien entendu, presque rien ne se fait dans le domaine de l’art ». (Becker, 1999, p. 143).

Comme nous l’avons vu, le tournage est avant tout un lieu de travail avec une division des tâches. Pour le sociologue Everett Hugues, la division du travail est constituée d’un ensemble d’interactions. Il convient d’étudier le système du travail de tous les points de vue possible des personnes impliquées du haut au bas de l’échelle, du centre à la périphérie. Malgré cette division du travail, les rôles sociaux ne sont jamais permanents et les travailleurs doivent sans cesse les renégocier lors d’interactions. Everett Hugues étudie comment les travailleurs règlent les tensions et conflits qui peuvent exister lors de ces négociations sans perdre leur identité. Comme

179 David Jacobs “Toward a theory of mobility and behavior in organizations : An inquiry into the consequences of some relationships between individual performance and organizational success”. American Journal of Sociology, 87 (3), 1981, p. 684-707. 180 James N. Baron, David M. Kreps Strategic human resources : Frameworks for general managers. Wiley, New York, 1999.

122

Erving Goffman, Everett Hugues utilise la métaphore théâtrale pour qualifier les interactions ayant lieu sur un lieu de travail sous le vocable de « work drama ». À l’intérieur de ce drame, chaque groupe professionnel et individu cherche à imposer son point de vue sur l’action collective. (Hugues, 1996).

Du fait de l’importance des relations et des réseaux sociaux dans la réussite des projets temporaires que sont les films de cinéma, des chercheurs ont montré comment les rôles deviennent une ressource essentielle pour les travailleurs. (Baker, Faulkner, 1991 ; Bechky,

2006). Baker et Faulkner considèrent le rôle comme une ressource qui permet à des individus de réclamer l’appartenance à une communauté ainsi qu’à un capital social, culturel et matériel manquant, ce faisant ils acquièrent l’accès à ce capital. En étudiant l’industrie des films de

Hollywood des années soixante-dix et quatre-vingt, ils montrent l’émergence de cinq combinaisons de distribution des rôles entre producteur, réalisateur et scénariste (P, D et S). et leur impact sur l’émergence des blockbusters181.

Comme nous l’avons vu plus haut, sur Plaot, Avi Nesher était à la fois réalisateur et co- scénariste du film, et dans une moindre mesure, producteur. Cette concentration des pouvoirs lui permet donc de garder son autonomie et de contrôler les propriétés artistiques de son film.

(Baker, Faulkner, 1991).

2. Hiérarchie sur le tournage et spécialisation des rôles

Comme Pierre Sorlin l’a analysé dans sa sociologie du cinéma, sur un tournage « un nombre réduit de personnes domine chacun des postes d’emploi ». Pour rentrer, les nouveaux venus commencent souvent comme des stagiaires non rémunérés, comme assistants de production par

181 Selon Baker et Faulkner, c’est la spécialisation des producteurs et la séparation des rôles artistiques et administratifs qui expliquerait l’émergence des blockbusters, des films à gros budget qui ont un fort succès populaire.

123

exemple, et s’occupent des tâches que personne ne veut faire pour peut-être voir leur nom au générique. (Sorlin, 1977, p. 103).

Cette vision hiérarchique est une nécessité pour la bonne organisation du tournage comme me l’explique Avi Nesher qui construit une intéressante analogie avec l’armée182. Elle semble aller contre le désir d’égalitarisme voulu par le réalisateur mais celui-ci justifie son existence par le fait qu’elle évite l’« anarchie ».

Oui, si je communique mes idées aux techniciens, je crée de l’anarchie sur le tournage. Il y a un

ordre des chefs de poste, tu ne peux pas rentrer sur leur territoire, ils sont chacun en charge de

leur département. Mais d’un point de vue social je suis heureux de parler avec tout le monde. […]

Il y a quelque chose de hiérarchique, militaire dans le cinéma du fait de ses caractéristiques, même

si j’essaie de l’exécuter de la façon la plus démocratique possible. Tu ne peux pas dire quelque

chose à l’officier que son commandant ne peut pas savoir sinon il y aura un accident. Le chef

décorateur a sous sa responsabilité les décorateurs, les accessoiristes. Tu peux vouloir féliciter

l’accessoiriste sur son travail mais ça ne serait pas juste de l’envoyer au marché sans mettre au

courant le décorateur183.

Cette hiérarchie s’illustre spatialement et visuellement notamment lors des déjeuners à la cantine184 :

182 Sabine Chalvon-Demersay (2012) et Gwenaële Rot (2011) font, elles aussi, cette analogie entre l’organisation hiérarchique d’un tournage et l’armée. Voir infra, chapitre 5, II.6 « La comparaison avec l’armée ». p. 176. 183 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 184 Gwenaële Rot fait le même constat dans son article sur les repas de tournage en France : « Les codes de placements à table rappellent et donc entretiennent les hiérarchies professionnelles qui structurent l’organisation sociale du cinéma. » (Rot, 2016 p. 350).

124

« Dans le réfectoire de l’école utilisé pour la cantine, il y existe quand même une certaine organisation : les figurants mangent à part ou avant, les acteurs avec Avi Nesher, le reste de l’équipe se mélange185. »

Enfin, si le cinéma d’auteur reste « l’idéologie professionnelle » des membres de l’équipe, force est de constater que l’organisation et le vocabulaire utilisé sont anglo-saxons (usage des termes

Grips, Call Sheet etc.).

Pourtant, à y regarder de plus près et lors des entretiens, il semble que ce principe de hiérarchie et de spécialisation des rôles ne soit pas toujours respecté.

3. Accumulation des rôles

La division stricte des rôles telle qu’elle apparaît dans le générique n’est qu’apparente comme le note Gwenaële Rot, souvent une même personne peut cumuler plusieurs rôles sur chaque projet ou alors sur un seul et même tournage.

Les participants à un tournage peuvent par exemple choisir de travailler gratuitement pour monter en grade. Cette hétérogénéité des parcours n’est pas sans incidence sur le tournage :

« elle favorise la connaissance des tâches à réaliser en même temps qu’elle peut renforcer les velléités d’intervention sur le travail des autres » (Rot, 2007, p. 9).

J’ai pu moi-même l’observer ; sur le tournage, beaucoup ont plusieurs casquettes, ainsi, l’exemple le plus extrême est Sivan Glickman l’assistante personnelle d’Avi Nesher : elle cumule tout au long de la fabrication du film trois autres rôles : elle travaille sur le casting du film lors de la préproduction ; pendant le tournage, elle est aussi responsable de prendre en photos les acteurs, pour des photos qui seront ensuite réutilisées dans le film ; enfin, c’est elle qui coordonne la postproduction.

185 Extrait du journal de terrain, 2e jour de tournage le 26 mars 2012

125

D’autres cumuls de rôles surviennent souvent par manque de temps ou de moyens. « La maquilleuse Eti remplace temporairement le coiffeur de Yuval pour refaire le chignon de

Yuval186. »

Des conflits, inévitables, peuvent alors arriver lorsque deux personnes se disputent une même compétence qui ferait partie de leur rôle. Ainsi Damien Dufresne, l’ingénieur de la vision187 français n’a pas la même pratique de son rôle sur un tournage israélien comme sur un tournage français.

« Événement : Damien Dufresne, le troisième assistant caméra français sur le tournage est rappelé à l’ordre car il a enregistré les prises sur le moniteur en basse résolution, alors que sur ce tournage c’est le job de la scripte, Liel. Selon Damien, il n’y a pas assez d’assistants sur le tournage, les gens ont toujours plusieurs casquettes188. »

Ces conflits peuvent s’interpréter comme des chevauchements de cadres au sens que Goffman donne à ce terme189. En effet, chaque participant semble avoir sa propre conception du tournage qui peut être différente de celle des autres (Chalvon-Demersay, 2012, p 210) (Feigelson, 2011, p. 153). Damien Dufresne justifie ce cumul des rôles par un manque de moyens ou une mesure d’économie supplémentaire.

Il n’y a pas de différence [entre la France et Israël] dans le tournage en soi, ils sont très

professionnels ici, après c’est plus en termes de production que ça bat un peu de l’aile, régie je

veux dire, ils ne sont pas assez nombreux, je crois. En France, ils sont plus nombreux, ils sont dix

à tout casser. Ici, ils ne sont pas nombreux, y a des couacs de temps en temps. […] Mais ça, c’est

186 Extrait du journal de terrain, 28e jour de tournage le 8 mai 2012. 187 L’ingénieur de la vision (ou Digital Imaging Technician en anglais) est un métier apparu avec le développement du cinéma numérique. Il est chargé des réglages et du bon fonctionnement de la caméra numérique. Il est également responsable de la récupération des données, de les sauvegarder et de les vérifier. 188 Extrait du journal de terrain, 2e jour de tournage le 26 mars 2012. 189 Voir Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Les Éditions. de Minuit, 1991 [1974] et infra, chapitre 5. I.1 « Les notions de cadres, transformation, modalisation et fabrication » p. 163.

126

plus une question de budget, parce qu’ils n’ont pas les moyens ou ils veulent pas engager d’autres

personnes, au détriment du film. Parce que malheureusement, c’est une économie qui est mal

placée190.

Pour le producteur, cela est dû au fait qu’en Israël le pouvoir syndical des techniciens est moins important qu’en France ou aux États-Unis. « En France, l’aspect syndical est très fort : chacun doit faire son rôle et il est interdit de faire celui de quelqu’un d’autre191 ».

Ce phénomène de cumul des rôles a comme corollaire positif un certain égalitarisme, un fonctionnement plus chaleureux que dans d’autres pays et spécifique à la mentalité israélienne selon les membres de l’équipe. « Oui, nous sommes moins dépensiers, plus proches les uns des autres, plus économes, mais on est beaucoup plus bruyants192. » Cela peut être aussi mal perçu, le « désordre » du tournage est souvent rappelé.

« Chez nous, il y a un peu de bordel méditerranéen qu’il n’y a peu ou pas en Europe, qui parfois fait tomber les choses entre deux chaises. Avi, par exemple, souffre beaucoup de ça, qu’il n’ait pas de hiérarchie en Israël193. »

Les membres de l’équipe sont aussi moins obéissants. « Ici chacun est copain avec tout le monde, et personne ne garde le silence quand on dit de se taire, que le preneur de son se casse la tête, mais c’est pas comme ça en Europe : le silence, l’ordre, tout est parfait. Mais on arrive quand même à faire de belles choses194. »

190 Entretien avec Damien Dufresne, ingénieur de la vision. 191 Entretien avec Dudi Silber, producteur délégué. 192 Entretien avec Haim Assias, le steadycamer. 193 Entretien avec Dudi Silber, producteur délégué. 194 Entretien avec Haim Assias, steadycamer.

127

En effet, sur le plateau, il arrive que les membres de l’équipe ne respectent plus l’autorité du réalisateur.

« Je note qu’alors que la répétition n’est pas terminée, le focus puller Rami et Noga la seconde assistante-réalisatrice n’hésitent pas à s’entretenir à voix haute avec leurs collègues sur des questions liées à la scène, sans attendre l’approbation d’Avi195. » C’est alors souvent à Shuli, la première assistante-réalisatrice de les remettre dans le droit chemin.

195 Extrait du journal de terrain, 29e jour de tournage, le 8 mai 2012.

128

IV — TOURNAGE ET QUALITÉ DES INTERACTIONS

Il est intéressant d’observer sur un tournage, lieu d’une représentation fictive les différentes mises en scène de soi qui interviennent et leur impact sur la bonne marche du tournage et inversement.

Quelles sont les relations entre les interactions et le travail des agents sur un tournage, existe-t- il un impact réciproque de l’un sur l’autre ?

Comme l’a noté Bechky, la qualité des interactions sur un tournage est essentielle, pour deux raisons principales : tout d’abord d’un point de vue macro, le tournage comme la production d’un film est une « organisation temporaire qui dépend de réseaux de relations plutôt que d’une autorité hiérarchique » (Bechky, 2006, p. 3). La socialisation et la réputation jouent un rôle clé duquel dépendent les personnes engagées dans ce secteur. D’un point de vue micro, elle considère le tournage comme une « institution totale temporaire » où un important contrôle social rentre en jeu pour influer sur le rôle de chaque personne travaillant sur le tournage

(Bechky, 2006, p. 8).

1. Le tournage : une organisation temporaire

Le tournage est une « organisation temporaire » (Bechky 2006), qui disparaît une fois le film tourné. Ces organisations temporaires fonctionnent grâce à des réseaux de relations horizontales plutôt qu’avec une autorité hiérarchique (Bechky, 2006, Powell, 1990).

Mintzberg définit, lui, une organisation spécifique, l’adhocratie. Prisée de la Silicon Valley, il s’agit d’une forme organisationnelle où le travail n’est pas formalisé, se fait par projet et où la flexibilité et la pluridisciplinarité des membres sont favorisées. L’adhocratie invite à faire appel

129

à des connaissances extérieures et se forme suite à la demande d’un commanditaire dans une optique d’exploration et d’innovation de rupture (Blasi, 2014, p. 37).

En effet, une des grandes particularités de l’industrie du film est d’être une industrie de prototype : chaque film est une organisation temporaire qui se dissout à complétion de son but : la réalisation d’un produit commercial, le film. Cette industrie est caractérisée par une demande incertaine, une division des tâches importante et des productions innovantes. Il s’ensuit que la production est organisée sous forme de projets pour faciliter l’expérimentation. (DePhilippi,

Arthur, 1998), (Faulkner, Anderson, 1987). Les ressources de ces industries résident dans le capital humain et social de leurs collaborateurs. La tension entre ces ambitions créatives et l’existence ou non de stimulation financière détermine le mode de fonctionnement de ces organisations. (Lorenzen, 2009).

De plus, le haut degré d’incertitude lié au succès des films et dans la façon de travailler dans cette industrie explique que la réputation est un facteur primordial pour évaluer la qualité d’un collaborateur. Cette réputation est souvent basée sur les collaborations antérieures et met en avant l’importance d’un capital social important pour réussir dans le milieu. Par conséquent, les personnes travaillant sur les tournages chercheraient, selon ces analyses, à avoir des relations de travail de bonne qualité avec leurs collaborateurs.

130

2. Réputation et qualité des interactions

Les réseaux se constituent en systèmes d’information sur les compétences professionnelles, les dispositions personnelles et les réputations de chacun. Ce dispositif social repose sur la confiance qui vient combler l’asymétrie structurelle d’information entre le recruteur et le recruté, surtout – comme c’est le cas dans les métiers artistiques et technico-artistiques – lorsque les qualités professionnelles ne sont que partiellement objectivées par le diplôme et la formation initiale (Moulin, 1992 ; Rannou, 1997). La confiance qu’inspire la tierce partie explique d’emblée la force du lien qui s’établit ici entre un réalisateur et un nouveau collaborateur.

(Lamberbourg, 2010, p. 3).

En effet, « Quand les qualités individuelles sont incomplètement observables, la réputation réduit l’incertitude sur la valeur individuelle et le statut procuré par une position dans la structure du monde professionnel, selon l’analyse de Podolny, elle renforce la crédibilité de l’information fournie par la réputation. » (Menger, 2009 ; p. 363).

Pour beaucoup, le fait de travailler avec les mêmes employeurs représente une forme de

« stabilité » dans un secteur qui ne l’est pas, par définition, et permet d’« exploiter une rente réputationnelle acquise par spécialisation ». (Menger, 1994, p. 233).

Pour un réalisateur comme Avi Nesher, cette réputation n’est pas née d’hier, elle tient à une carrière longue de quarante et un ans et on peut supposer comme Pierre-Emmanuel Menger que celle-ci agit sur « la perception de qualité de ses nouvelles productions ». (Menger, 2014, p. 533).

Au-delà de la simple réputation, les participants chercheront toujours à avoir des bonnes relations à cause de la forte interdépendance des activités des uns et des autres sur un tournage.

Le travail du directeur photo peut avoir un impact sur le jeu des comédiens, ceux-ci peuvent influer sur celui de l’ingénieur son, etc. (Rot, 2007, p. 12).

131

Dès lors, chacun sur un tournage doit stratégiquement jouer son rôle et gérer l’impression qu’il donne pour pouvoir espérer continuer à collaborer dans le futur, comme m’explique Roy Mano, le chef machiniste :

Y a certains directeurs photo qui font moins de lumière ou plus, des réalisateurs qui sont plus ou

moins ouverts à la collaboration. Si j’ai une bonne relation avec le réalisateur, je peux lui dire

peut-être qu’on peut essayer de filmer d’ici ou de là. Il y a des fois il faut fermer sa bouche, être

un enfant sage et faire ce qu’on te demande196.

Comme le note Gwenaële Rot, les occasions de perdre la face sur un tournage sont plus fréquentes que sur un lieu de travail ordinaire, car les gens travaillent ensemble et à découvert

(Rot, 2014, p. 34). Par conséquent, chaque personne doit « jouer » son rôle de manière stratégique en comblant les attentes des autres. Ils font de la figuration ou « face work », défini par Goffman comme le travail réalisé par les participants lors d’une interaction pour préserver leur face et celle de leur partenaire. Celles-ci sont ritualisées197.

Tout désaccord entre l’apparence et la réalité peut ainsi être fatal. Si ces personnes ne jouent pas leur rôle comme il est attendu, elles risquent non seulement de faire « fausse note » et de perdre la face dans le sens goffmanien, mais également de mettre leur propre carrière professionnelle en danger.

Ces erreurs manifestes peuvent vite stigmatiser celui qui les commet. Véritable « arène d’habiletés techniques » (Nicolas Dodier, 1993, Benjamin Seroussi, 2006), le tournage d’un film peut se lire aussi comme une succession d’épreuves où se joue la construction des

196 Entretien avec le chef machiniste, Roy Mano. 197 « On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier. » (Erving Goffman, Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974 [1967]).

132

réputations professionnelles. (Et par-delà, les recrutements futurs.) Il s’agit de ne pas perdre le

« crédit » (Bourdieu, 1977) ou l’autorité si difficilement acquise.

3. Conflits sur le plateau

Howard Becker note dans Propos sur l’art que « chaque fois que des individus collaborent à la production d’œuvres d’art, des conflits peuvent apparaître résultant de différences de motivation et d’intérêt entre les partenaires ». […] « La plupart des artistes préfèrent créer et même planifier leur œuvre afin qu’elle n’entre pas en conflit avec ceux dont ils ont besoin de la coopération. » (Becker, 1999, p. 101).

Dans le cinéma, ces conflits ne relèvent pas simplement d’antagonismes personnels, ils sont alimentés, construits, renforcés par les procédures même de la collaboration198.

Chacun des agents poursuit des objectifs propres (sa créativité, l’exercice singulier de son art) et

contribue néanmoins à la production du résultat commun. […] Le défi qui est posé à l’organisation

de la production artistique est de parvenir à ajuster le moléculaire et le global, en les renforçant

conjointement. […] À l’encontre de toute théorie de l’équilibre, l’organisation artistique témoigne

que l’efficacité et la réussite peuvent naître d’un déséquilibre perpétuellement ouvert et

retravaillé. Le fonctionnement du collectif artistique […] s’apparente moins à un fonctionnement

commun qu’à un co-fonctionnement. (Nicolas-Le Strat, 1998, p. 44-45).

Malgré son statut sur le tournage, des conflits entre le réalisateur et l’équipe de tournage peuvent arriver. Pour maintenir son influence sur le plateau de tournage, le réalisateur développe donc des stratégies qui l’aident à éviter ou réduire les conflits potentiels. Dans son étude

198 Pierre-Jean Benghozi fait le même constat dans son ouvrage Le cinéma entre l’art et l’argent. Tous les agents participant à la fabrication d’un film « obéissent à leurs propres logiques d’action et tous ont une influence, parfois importante, sur la configuration du produit final. Dans aucun cas, l’œuvre obtenue ne se réduit aux choix artistiques d’un seul homme, le metteur en scène démiurge ». (Benghozi, 1989, p. 26).

133

ethnographique sur la production d’un documentaire scientifique pour la BBC, Roger

Silverstone conclut ainsi son analyse du tournage : « Les idéologies de l’équipe du film et de la production divergent et parfois sont en désaccord. Elles dépendent de leur propre perception de leur statut confrontée à celles des autres membres de l’équipe199. » Il donne ensuite des exemples de conflits arrivés pendant le tournage. Il relève, lui aussi, que la confiance est la clé du fonctionnement d’un tournage. (Chiapello, 1998, p. 151, Morley & Silver, 1977, p. 14.) En plus des conflits de pouvoir, le réalisateur doit sans cesse faire face à des contraintes de toutes sortes.

Becker avait énuméré quelques-unes de ces contraintes « Il y a des acteurs qui ne veulent être photographiés que sous un angle flatteur, des scénaristes qui n’acceptent pas la moindre modification dans leurs dialogues et des opérateurs qui refusent d’utiliser des techniques inhabituelles… » (Becker 2010 [1982], p. 51).

4. Stratégies pour déjouer les tensions sur le tournage : humour, compliments et remontrances

Beth Bechky a montré dans son article comment les acteurs d’un tournage utilisent l’humour, les compliments et les remontrances pour améliorer la coordination sur le tournage et ce qu’ils attendent des rôles joués par chacun. (Bechky, 2006)

Ainsi, sur le tournage comme sur d’autres lieux de travail, l’humour est utilisé de manière stratégique à des fins organisationnelles, c’est-à-dire pour réussir à terminer le tournage du film.

L’humour peut être utilisé comme une « épée pour influencer et persuader, pour motiver et unir,

199. The ideologies of film crew and production diverge and sometimes conflict. They are a function of perception of their own status as measured against others’ […] judgment of that status’ (Silverstone, 1985, p. 101).

134

pour dire l’indicible et faciliter le changement200 » (Barsoux, 1993). Mais également comme un bouclier pour rendre le travail plus supportable.

Les blagues et toutes les autres formes d’humour sont monnaie courante sur le tournage et servent non seulement à réduire le stress mais également à accroître le niveau de familiarité entre les membres de l’équipe et s’assurer ainsi que chacun puisse jouer le rôle qui lui est dévolu

(Bechky, 2006).

Michel Abramowicz est ainsi appelé « sabale » ou « grand-père » par Eli Cohen, le « best boy »

(bras droit du chef électricien201). Cela permet, en utilisant l’ironie, de remettre en question le statut supérieur de Michel (directeur photo et collaborateur fréquent du réalisateur).

Les comédiens principaux étant humoristes à l’origine, ils n’hésitent pas à détendre l’atmosphère tout en respectant scrupuleusement le scénario pendant les prises. Je note

également que très souvent l’humour joue sur les différences linguistiques et culturelles rappelant le creuset de cultures qu’est Israël.

Albert Ilouz [comédien d’origine marocaine et francophone] fait rire Michel, le directeur photo,

en lui demandant comment on dit vaincre au passé composé, il répond : il a vaincu (20 culs), il

explose de rire, le traduit à Yehuda. Chuki, le chef électro est là également et reprend « vin

cou202 ».

Sur le tournage de Plaot, j’ai trouvé que l’usage des compliments incessants décrits par Bechky dans son article, était présent mais beaucoup moins fréquent, peut-être une différence culturelle importante avec les Anglo-Saxons.

200 “A sword, to influence and persuade, to motivate and unite, to say the unspeakable, to facilitate change” Jean- Louis Barsoux, Funny business : Humour, Management and the Business culture, London, Cassell, 1993. 201 Extrait du journal de terrain, 17e jour de tournage le 17 avril 2012. 202 Extrait du journal de terrain, 11e jour de tournage le 8 avril 2012.

135

La déférence, c’est-à-dire « exprimer dans les règles à un bénéficiaire l’appréciation portée sur lui ou sur quelque chose dont il est le symbole, l’extension, ou l’agent » (Goffman 1974 [1967], p. 51) est en revanche très souvent utilisée dans le tournage. Lors de mes entretiens d’ailleurs, les répondants s’empressaient de montrer leur admiration du réalisateur Avi Nesher avant d’aller dans des détails plus critiques de la réalité du tournage.

On tourne la scène d’animation du tatouage mais en filmant la réaction d’Arnav. À l’issue du

tournage de cette scène, Avi dit “C’est parfait, très bien les amis, Ori c’est génial ! ” Une dernière,

les membres de l’équipe se lâchent un peu et commencent à se distraire, Oren chante, l’un dit

qu’« Il n’y croit pas peut-être que le messie va arriver ! » L’amie Shuli veille au grain et leur dit

que ce n’est pas parce que c’est parfait qu’il faut se laisser aller203.

Avi Nesher utilise très souvent les mots en hébreu « metsuan » (parfait) ou « nehedar »

(extraordinaire) après une prise pour montrer sa gratitude, tout en refaisant par ailleurs des nombreuses prises d’une même scène. Ce comportement à la fois ouvert et exigeant avait l’avantage de mettre en confiance les collaborateurs et les comédiens.

Ainsi, sur une autre scène, une autre facette d’Avi Nesher entre en jeu, celle d’un réalisateur perfectionniste et directif.

La scène est tournée un nombre très important de fois (il me semble que c’est l’une qui a le plus

de prises sur ce tournage), à chaque fois un détail importune Avi, Yuval bute sur un mot de son

dialogue, l’un des positionnements des acteurs ou figurants ne lui conviennent pas, etc. Il

invective même Dudu Lis, l’ingénieur du son, pour qu’il prenne soin de bien mettre le volume

plus fort pour les dialogues204.

203 Extrait du journal de terrain, 28e jour de tournage, le 7 mai 2012. 204 Extrait du journal de terrain, 29e jour de tournage, le 8 mai 2012.

136

Les remontrances ont un rôle complémentaire aux compliments, ils améliorent et limitent les rôles de chacun des participants. Ainsi lorsqu’Ohad, le repéreur, croyant bien faire son travail provoque l’ire des producteurs car cela va avoir un coût pour la production, on lui fait comprendre qu’il n’est plus dans son rôle.

Quand Avi est venu pour les repérages dans le bâtiment, il est venu avec un cahier et il n’arrêtait

pas de marquer dessus ! Je lui montrais des salles, et à chaque fois il ajoutait des scènes au

scénario ! Je me faisais engueuler par les producteurs et les assistants-réalisateurs qui me disaient,

ça suffit tu lui as assez montré, on a trop de beaux endroits, ça va compliquer le plan de travail205 !

Il m’est arrivé, moi aussi, en tant qu’observatrice participante débutante de me faire remonter les bretelles par la 2e assistante de réalisation, car j’étais arrivée en retard. Cela fut très mal vu car cela signifiait un manque d’implication et me rappelait en même temps qu’elle était ma supérieure hiérarchique.

« J’arrive un peu en retard sur les lieux du tournage et je me fais un peu sermonner par Noga, qui a dû gérer une partie des figurants toute seule, je n’avais pas compris que je devais venir plus tôt en “early call206”. Au-delà des interactions, intéressons-nous maintenant à ce qui motive les participants à un tournage.

205 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 206 Extrait du journal de terrain 16e jour de tournage le 16 avril 2012.

137

V — IMPLICATION SUR LE TOURNAGE

Comment expliquer l’engagement et l’implication des personnes travaillant sur le tournage de Plaot qui effectuaient pourtant un travail harassant, s’activant parfois douze heures d’affilée par jour ? Les réponses sont complexes et multiples.

« Les personnes qui travaillent sur un tournage ne sont pas seulement motivées par la poursuite du résultat (la réalisation d’un film) qui apparaîtrait à tous comme le but essentiel de leur activité. Au contraire, plus fréquemment, le résultat à atteindre apparaît comme une contrainte

à respecter dans la poursuite de ses propres objectifs qui peuvent être différents : gagner sa vie, garder sa place, faire carrière, etc. » (Benghozi, 1989, p. 39). Comment arrivent-ils à gérer ces contraintes tout en maintenant leur objectif initial ?

Les motivations pour travailler sur le tournage peuvent être tout à fait extrinsèques au tournage du film et même à une carrière dans le cinéma. Philippe Le Guern donne l’exemple d’un machiniste qui s’est retrouvé dans la profession d’abord par nécessité (il était au chômage). (Le

Guern, 2004, p. 50). Ainsi, sur Plaot, Oren Raviv, qui rêvait d’être musicien s’est d’abord retrouvé perchman par nécessité. Avi Tov, le responsable des repérages et Roy Mano le chef machiniste ont également commencé leur carrière par hasard dans le cinéma.

Des chercheurs ont essayé d’identifier le type de motivations qui rentrait en jeu pour travailler dans un secteur hautement incertain et concurrentiel comme le cinéma.

Dans son analyse du fonctionnement des industries culturelles, David Hesmondhalgh explique l’attrait des professions artistiques pour trois raisons principales. La vocation des participants ; beaucoup de personnes travaillant dans ce secteur le font par passion et acceptent plus facilement les risques qui vont avec ce genre d’activité.

138

Une autre explication met en avant le fait que les artistes aiment le risque comme les joueurs de loterie et n’évaluent pas toujours leur risque d’échec.

Une dernière explication (complémentaire des deux autres) est que ces métiers apportent des rétributions psychologiques non monétaires (la reconnaissance, la réalisation de soi, le réseau).

(Hesmondhalgh, 2013, p. 255).

Ainsi, comme l’a montré Celia Bense Ferriera Alves dans son analyse de la vie d’un théâtre prestigieux à Paris, certains travailleurs administratifs acceptent des tâches subalternes pour espérer acquérir un statut d’artiste dans le futur. (Ferriera Alves, 2006, p. 40).

Nous explorerons ces différents postulats et leur implication sur le tournage de Plaot.

1. Incertitude et motivation

De nombreuses études (surtout en économie) ont été faites sur les motivations dans les carrières où existe un fort degré d’incertitude. Selon l’économiste Albert Hirschmann cité par

Pierre-Michel Menger dans son livre Le travail créateur, s’accomplir dans l’incertain, les efforts alloués à une activité où les chances de succès sont « partiellement ou totalement imprévisibles » sont compensés par « les moments exaltants de jouissance anticipée de l’aboutissement et de conviction fugitive de réussite qui jalonnent et soutiennent le cours de l’activité ». Ou comme l’économiste Albert Hirschmann le dit lui-même « cette expérience de savourer à l’avance qui équivaut à la fusion de la recherche et du but207 ». (Menger, 2009, p. 205-

206).

En effet, dans le cinéma, le processus semble aussi important que le résultat pour les personnes qui y travaillent. Même sur un tournage, Avi Nesher tente de prendre du plaisir à ce qu’il fait malgré les difficultés et sa préférence pour les autres étapes de fabrication du film comme l’écriture ou les répétitions avec les comédiens.

207 Albert Hirschmann, Vers une économie politique élargie, Paris, Éditions de Minuit, 1986 p. 97-99.

139

« J’essaye toujours d’apprendre à prendre du plaisir sur un plateau de tournage. C’est quelque chose de compliqué que la fabrication d’un film. Le plateau de tournage vous semble être un endroit agréable208 ? »

D’autres, comme le steadycamer Haim Assias, prennent plaisir justement dans le défi physique que pose le tournage d’une scène difficile en un « plan séquence » avec une steady cam.

Quand il y a cette pression, ça me rappelle pourquoi je fais cette profession. Parce que dans ces

« one shot », ces plans continus, tu es obligé de garder tout le plan, du début à la fin tu ne peux

pas couper, ne prendre qu’une partie, ça doit être parfait. Et toute la période où tu n’y arrives pas,

tout le monde panique : les assistants n’ont rien et le soleil se couche progressivement. Et moi, je

sais que chaque chose a son rythme et que quand le soleil arrive à la bonne position et que tout le

monde se prépare pour la même chose et tout à coup, ça arrive. Et là c’est fabuleux, c’est

indéfinissable. Cette sensation est vraiment géniale.

Ce plaisir du « défi » physique est par ailleurs indépendant d’un désintérêt pour le cinéma revendiqué.

« Le cinéma en tant que loisir ne m’intéresse pas, les films m’ennuient, quand j’ai du temps je préfère lire quelque chose et pas regarder un film. Je m’ennuie, je n’ai pas de télévision chez moi depuis dix ans. Les films de cinéma, j’y vais qu’avec les enfants209. »

Boaz Yaakov, chef opérateur, lie le début de son activité à une « sensation » intime qui a scellé son avenir professionnel.

208 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 209 Entretien avec Haim Assias, steadycamer.

140

Et dans la seconde où j’ai reçu l’exercice de prise de vue et que je devais cadrer, et prendre des

décisions sensibles, parce que, pour moi, le cadre exprime une sensation. Et là de suite quelque

chose en moi s’est enclenché, il n’y avait plus d’autre question. En regardant en arrière, c’est

sûrement lié à mon intimité. C’était ce qui me convenait le plus. Être celui qui soutient, pas celui

qui dirige.

La réussite de sa carrière n’est pas la seule motivation : « Apparemment réussir ma carrière de photographe/cameraman, ne sont pas des raisons suffisantes pour une vie que je ne vis qu’une fois. Le lien sensible au cinéma, aux personnes, c’est des choses qui viennent au-dessus de tout210. »

Ainsi, pour ces deux professionnels de l’image, la motivation est liée aux sensations physiques vécues pendant un tournage plutôt qu’à un plan de carrière défini ou à un lien affectif au cinéma.

Pour d’autres, comme les comédiens décrits par Eikhof et Haunschild (2007, p. 531), l’implication importante dans le travail est liée à une envie de sortir de la routine et d’adhérer à un mode de vie bohème dont tous les aspects même les plus précaires étaient recherchés. Dudi

Silber, le producteur délégué, m’expliquait ainsi que le cinéma était pour lui « un monde un peu aventurier qui l’attirait211 ».

2. Ressorts de l’implication et de l’engagement sur le tournage

Analysons maintenant les ressorts de l’implication sur un tournage.

Meyer et Allen (1991) ont conceptualisé trois modèles d’implication dans l’organisation : affective, de continuité et normative.

La composante affective (« Affective commitment ») se caractérise par un désir personnel à rester dans l’organisation.

210 Entretien avec Boaz Yaakov, chef opérateur. 211 Entretien avec Dudi Silber, producteur.

141

La composante de continuité (« Continuance commitment ») est caractérisée par le besoin de l’individu de rester dans une organisation basée sur la reconnaissance des coûts associés au fait de quitter l’organisation.

La composante normative (« Normative commitment ») reflète le sentiment d’obligation morale de rester dans l’organisation.

Les composantes affectives et normatives semblent évidentes en ce qui concerne l’engagement de la majorité des personnes travaillant sur un tournage. Le travail sur le tournage est souvent désiré et comme nous l’avons vu, les participants ont une obligation morale pour rester afin de ne pas faire « perdre la face » à leur recruteur et risquer de mettre à mal leur carrière future.

Cependant, d’autres éléments extérieurs peuvent être pris en compte dans le choix d’une personne qui souhaite s’engager sur un tournage et continuer à y travailler.

Dans Note sur le concept d’engagement, Howard Becker développe une analyse formelle du concept d’engagement « On parle d’engagement lorsqu’un individu, en prenant un pari subsidiaire, associe à une ligne d’action cohérente des intérêts étrangers à celle-ci ». (Becker,

2006, p. 1).

Par exemple, un homme n’acceptera pas de prendre un nouvel emploi qui correspond à ses attentes, car étant déjà salarié il a fait de sa réputation personnelle un pari, qui est pourtant

étranger à sa décision de prendre ou non un nouvel emploi (Becker, 2006 [1960], p. 7).

Extra mile

Sur le tournage, ces « paris » ont parfois comme conséquence une implication supérieure à l’attente initiale comme me l’explique Avi Tov. Cet « extra mile », une implication importante qui va au-delà de ce qui est attendu est nécessaire pour survivre dans le milieu du cinéma en

Israël.

142

En gros, une personne doit vraiment se distinguer sur le terrain dans ses premiers tournages. Il

doit faire cet extra mile toujours, s’il veut vraiment rester dans cette industrie et avancer. C’est

vrai pour les jeunes femmes que j’ai vu travailler comme assistantes de production/régisseuses,

c’est très important de faire cet “extra mile” car les gens s’en souviennent et ils t’appellent sur

leurs prochains tournages212.

Antoine Vernet fait le même constat auprès des techniciens interviewés pour sa thèse qui citent d’ailleurs la même expression « extra mile ». Cet engagement éthique est d’autant plus facilité selon lui à cause de la nature artistique du film (Vernet, 2010, p. 219).

Parfois les paris sont difficiles à tenir, une personne doit gérer des dilemmes, par exemple rester fidèle à un réalisateur ou travailler avec de nouveaux partenaires au risque de nuire à sa réputation. (Lamberbourg, Rot, De Verdalle, 2013, p. 124).

Avi Nesher donne une grande importance à l’implication de son équipe de tournage qui a, selon lui, une influence essentielle sur le film terminé.

Je pense que, d’une certaine manière, tu te prépares beaucoup et que tu travailles avec des gens

qui sont très impliqués comme par exemple le directeur artistique Ido dans la limite de ce qu’il

pouvait faire, l’a pris très loin, Lee dans les costumes et Michel à la photo… Tu avais cette

impression que chacun allait le plus loin possible compte tenu de ses capacités213.

Cette implication et cet engagement, Avi Nesher l’applique également à lui-même. Il considère le travail de réalisateur comme quelqu’un qui est « impliqué dans tout », il dit lui-même que pendant le tournage on ne peut lui parler de rien sauf du film. Cette image de réalisateur travailleur et impliqué est également partagée par le reste de l’équipe, les termes suivants

212 Entretien avec Avi Tov, responsable des repérages. 213 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

143

reviennent souvent pour le décrire : « il sait ce qu’il veut » « il a une vision » « il est prêt », il est « directif ». Cette implication tous azimuts a aussi ses revers et certains comme la 1re assistante Shuli Calderon considèrent que leur rôle est d’alléger le travail du réalisateur.

« Il est très concentrateur, parfois il faut tirer de force pour lui enlever du poids parce qu’il s’en met de plus en plus. Et ça, c’est le travail du premier assistant : c’est de faciliter la vie du réalisateur. Et c’est ce que j’essaie de faire. Je vois ça comme quelqu’un qui donne un service214. »

J’observe moi-même son haut degré d’implication sur le tournage et sa polyvalence à la fois technique et artistique qui plaît à ses collaborateurs.

Avi commence par une répétition avec Ella (incarnée par Yuval) : un travelling avec un plan serré sur son visage pendant que les danseurs s’approchent d’elles dangereusement ; il dirige à la fois les mouvements de la dolly pilotée par Mano (« Mano maintenant ») et le jeu de la comédienne Yuval Sharf : « Plus la caméra se rapproche de toi, plus tu fais bouger tes yeux »

Yuval (en bougeant ses yeux à droite et à gauche) « quelque chose comme ça ? », Avi « Oui, quelque chose d’énervé215 ».

Pour Avi Nesher, cette implication se justifie car le réalisateur est le seul responsable du résultat du tournage, de la qualité du film « Si tu n’es pas responsable, alors c’est comme si tu trahis la croyance que ton film te donne216. »

L’implication est donc à la fois un vecteur de coordination qui favorise la collaboration avec le réalisateur mais elle assure également sa réputation, qui est le pari subsidiaire, lui seul est

« responsable » de son film.

214 Entretien avec la 1re assistante du réalisateur, Shuli Calderon. 215 Extrait du journal de terrain, 29e jour de tournage, le 8 mai 2012. 216 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

144

3. Implication et sacrifice

L’implication des membres de l’équipe du tournage est si importante que certains parlent même de « sacrifice ». Pour Dudi Silber, le producteur, ce qui caractérise le cinéma en Israël c’est le fait que les gens soient prêts à se sacrifier pour en faire.

« La principale différence entre les productions ici et à l’étranger, c’est qu’ici les gens sont plus engagés et sont prêts à se sacrifier pour le film217. »

Sur le tournage, beaucoup témoignent de la difficulté de concilier vie familiale et travail sur le tournage. Une expérience qu’ils continuent à apprécier mais qui les éloigne pour une période longue de leurs proches.

Pourquoi as-tu décidé de continuer dans le cinéma ?

« L’argent. Non je rigole. Ça me plaît beaucoup, surtout les gens, cette variété de gens et lieux, et tous les jours de travail changent. Mais en tant que père de famille c’est plus dur. J’essaie de trouver la voie de sortie même si c’est un piège doré très dur218. »

Pour Shuli Calderon, la 1re assistante-réalisatrice, cette implication allait très loin. Elle est revenue travailler alors qu’elle avait perdu son père pendant le tournage, mais son éthique de travail a été la plus forte.

« J’ai pensé arrêter de travailler sur ce film, parce que mon père est décédé. Puis j’ai décidé que je revenais travailler. Je pense que j’ai finalement pris la bonne décision de rester. Ça a pris ma tête ailleurs et pas vers l’enfer et la tristesse qui sont là quoi que je fasse. »

Des comédiens aux figurants, j’observe que l’implication est forte chez tous les participants.

Lors de la scène d’incendie, une fumée artificielle est utilisée avec un camion des pompiers. Les

figurants doivent passer les uns après les autres en panique, je rencontre quelques figurantes

217 Entretien avec le producteur Dudil Silber. 218 Extrait de l’entretien avec le chef machiniste Roy Mano.

145

âgées. La scène a été tournée pendant plusieurs heures, de nuit et les figurants sont fatigués et ont

froid. Le chapiteau qui a été spécialement monté pour eux ne suffit pas. Je fais le va-et-vient pour

aller leur chercher des boissons chaudes et de la nourriture […] Une jeune femme de dix-sept ans

et demi est venue avec son mari et son bébé de quelques mois pour faire de la figuration pour

cette scène. Elle veut devenir actrice et elle court les castings. Les figurants les plus âgés sont

libérés en premier. L’une de ces figurantes me raconte que c’est pour que son petit-fils la voie

dans le film qu’elle est venue219.

4. Des motivations diverses pour s’impliquer sur un tournage

Comme l’a montré Alves (2007), pour le monde du théâtre, ce qui motive les participants à rester travailler dans le cinéma, au-delà des rétributions économiques et de l’aspect non routinier de ces professions, c’est l’espérance d’améliorer son statut professionnel. Avi Nesher est l’un des réalisateurs les plus connus du pays, travailler avec lui à tous les niveaux est vu comme un honneur. Comme les comédiens-ouvreurs du théâtre du Cercle (Alves, 2013), pour certains figurants voulant devenir acteurs, l’opportunité d’avoir un rôle même muet sur un film d’Avi Nesher permettait d’étoffer son CV et socialiser avec des personnes qui peut-être les recruteront en tant qu’acteurs sur d’autres films.

Pour une majorité de personnes travaillant sur le tournage, et en premier lieu les figurants, leur motivation tient au fait que le cinéma reste synonyme d’une évasion soit à une routine particulière, à une réalité ou à un mode de vie « rangé ». Comme l’explique Pierre-Emmanuel

Menger les « activités non-routinières ont bien cette propriété combien recherchée d’apprendre sans cesse des choses nouvelles à qui les accomplit ». (Menger, 2009, p. 11).

Pour une autre catégorie de personnes qui, pour des raisons familiales, ont été sensibilisées très tôt à cet art, une carrière dans le cinéma est une évidence dès le plus jeune âge. Ainsi Gal

219 Extrait du Journal de terrain, 4e jour de tournage, le 28 mars 2012.

146

Kodski, régisseur général, lui-même fils de producteur, a toujours voulu travailler dans le cinéma.

D’autres, comme Dudi Dorham, le chef de file, Shuli Calderon, la première assistante ou

Hannah de la Pergola, la coordinatrice de production, ont fait une école de cinéma pour devenir réalisateurs et, en attendant, exercent des métiers périphériques. Pour eux, ce but, même lointain, reste la motivation principale qui justifie leur parcours professionnel et leur choix de rôles sur le tournage.

Ainsi, Shuli Calderon, à 42 ans, a construit toute sa carrière autour de ce désir originel de réalisation.

Mon but depuis longtemps, depuis que j’ai terminé l’école de cinéma, c’est de réaliser. […]

J’espère qu’arrivera pour moi l’âge juste pour réaliser. J’espère que cela va encore arriver. […]

J’ai commencé par être scripte parce que c’était le plus proche de la réalisation selon moi. D’une

façon naturelle, les gens me disaient que je devais être plutôt première assistante et productrice et

ça ne m’intéressait pas au début. Mais première assistante est très proche de la réalisation et j’aime

ça beaucoup220.

Enfin, une dernière catégorie de personnes, comme Avi Tov, le responsable des repérages s’était retrouvé dans ce secteur par hasard et avait fini par apprécier son travail au point de vouloir y faire carrière.

« Je suis parti, j’ai voyagé. Quand je suis rentré, je me suis rendu compte que j’aimais ça. J’ai réfléchi à des manières de rester dans la profession et d’avancer. Je suis resté dans l’industrie, je n’ai jamais étudié le cinéma. Aucune personne de ma famille ne travaille dans le cinéma221. »

220 Entretien avec l’assistante-réalisatrice Shuli Calderon. 221 Entretien avec Avi Tov, responsable des repérages.

147

5. De l’implication forte à l’addiction

Cette forte implication physique et psychologique qui est aussi liée à la nature même du travail sur le plateau, peut aussi glisser vers une addiction. Ainsi, le directeur photo et assistant caméra,

Boaz Yaakov se rappelle comment son père, producteur, passait plus de temps sur les plateaux qu’avec sa famille.

Quand tu te trouves dans un endroit à 100 %, tu y passes beaucoup plus de temps que sur d’autres

choses. La façon dont tu te connectes à quelque chose, si tu t’y connectes de tout ton être, tout ce

que tu peux donner, de toute ta volonté, ce qu’on appelle « kol meotha ». Il n’y a pas d’autre place

pour autre chose car il est utilisé dans ce secteur. Et cette profession, elle a un potentiel fort de

nous prendre tout ce qu’on peut donner. Il y a une limite à ne pas franchir, il y a quelque chose de

dangereux.

Cette forte implication intervient paradoxalement dans un secteur où il est difficile de percer, où l’insécurité de l’emploi est permanente. Comment, dans ce cas, peut-on faire carrière ?

148

VI — CARRIÈRES, RÉSEAUX ET RÔLES

1. Les appariements sélectifs

Comme nous l’avons vu, l’industrie du film est une industrie par projet. L’organisation disparaît aussitôt le projet terminé. La mobilité accrue des travailleurs (techniciens, comédiens) a comme corollaire une instabilité et une incertitude qui les obligent à sans cesse reconstruire un réseau relationnel et à maintenir leur niveau de réputation pour s’assurer un emploi. Dans ce contexte, les rôles sont vus comme des unités de socialisation qui procurent de la continuité dans une organisation.

Comment, dans ce cas, se construisent les carrières ? Comment sont recrutés les membres de l’équipe ?

Beth Bechky montre que sur les tournages, la règle des petits mondes et des recommandations domine. Chaque chef de poste recrute son équipe et les directeurs de production préfèrent recruter des connaissances plutôt que des inconnus. (Bechky, 2006, p. 9).

Il n’est en effet pas rare de les voir limiter leurs recrutements à un cercle relativement étroit de

collaborations déjà éprouvées ou s’en remettre aux recommandations de la part de tierces

personnes pour choisir tant leurs comédiens que leurs techniciens. À Hollywood, expliquent

Faulkner et Weiss (Faulkner, Weiss, 1983222), les réalisateurs travaillent globalement avec des

collaborateurs d’un même niveau de productivité et sur des types de productions similaires. Ainsi,

la structure des appariements fait correspondre entre eux des personnels qui partagent des

caractéristiques communes, appartiennent aux mêmes réseaux et sont unis par des liens

d’obligation et de récompense mutuels. » (Landerbourg, 2010, p. 3).

222 Robert R. Faulkner, Paul R. Weiss, “Credits and craft production : free-lance social organization in the film industry, 1964-1978”, Symbolic Interaction, 1983 vol. 6, 1, p. 111-123.

149

C’est ce qu’on appelle les appariements sélectifs, les meilleurs réalisateurs pourront travailler avec les meilleurs techniciens et ainsi de suite. Selon Gwenaële Rot dans sa note de recherche sur le travail dans le cinéma, « dans une économie de pénurie du marché du travail, ce recrutement par cooptation est de nature à nourrir des dettes de reconnaissance ». (Rot, 2007, p. 8).

Le même phénomène était observable sur Plaot. Le responsable des recrutements de l’équipe technique était Keinan Alder, le producteur exécutif du film. Celui-ci a surtout recruté parmi des connaissances ou des gens qui lui avaient été recommandés. Il recrutait ainsi les chefs de poste sous le contrôle d’Avi Nesher et ceux-ci recrutaient à leur tour les membres de leur équipe.

Si certains étaient des collaborateurs réguliers d’Avi Nesher comme le directeur photo, Michel

Abramowicz ou l’ingénieur du son Dudu Lis, d’autres étaient recrutés pour la première fois.

Dans ce cas, comment ces personnes sont-elles été choisies et recrutées ?

2. L’importance du réseau : « you’re never as good as your last job »

Dans ce marché instable, les employeurs utilisent la réputation comme un moyen d’information rapide et économique sur les compétences des personnes qu’ils embauchent. Comme l’explique

Pierre-Emmanuel Menger « l’échange d’informations à travers un réseau de liens personnels »

[…] « La confiance qu’inspire un artiste à un employeur deviendra une réputation collectivement garantie par les membres du réseau constitué. » (Menger, 2014, p. 335).

« La réputation devient donc une quasi “rente” pour certains, ce qui explique la grande variance qui existe entre les artistes d’une même spécialité dans un secteur où d’autres signaux ne fonctionnent pas, elle est le meilleur signal de qualité dans un univers incertain. » (Menger,

1994, p. 236-237).

150

J’ai pu moi-même vérifier sur le terrain et lors de mes entretiens que le réseau est primordial.

Sur l’ensemble de mes interviewés, une dizaine m’a fait savoir que leur présence sur le film

était due à une recommandation ou à un contact commun avec leur potentiel recruteur223.

Ainsi, Sivan Tseelon, la responsable des accessoires, a été recrutée sur recommandation d’une directrice artistique avec laquelle elle avait collaboré par le passé :

« Sur Plaot, je suis arrivée grâce à une recommandation d’une directrice artistique auprès d’Ido, le directeur artistique du film. Et Zic en avait entendu parler. »

Ceux qui sont passés par des écoles de cinéma mettent en avant le réseau d’interconnaissances qui y existe224.

« Et alors, l’un de mes professeurs de l’école m’a annoncé qu’il faisait un film. Et c’est comme

ça que j’ai commencé. Je suis rentrée dans ce milieu grâce à mon prof225. »

Pour le rôle fondamental de la 1re assistante-réalisatrice, le réalisateur avait décidé de recruter

Shuli Calderon, avec il n’avait jamais travaillé par le passé. Et qui d’ailleurs n’avait pas exercé ce rôle depuis plusieurs années. C’est grâce à Adir Miller, acteur principal et qui tournait là son troisième film avec Nesher que celle-ci fut recrutée.

C’est Adir Miller qui le premier m’a parlé de Shuli. Elle était revenue travailler en tant que

première assistante sur sa série Ramzor. Je lui ai fait passer un entretien, elle est fantastique. Elle

était productrice exécutive sur la version israélienne de Survivor, et n’avait pas travaillé en tant

que première assistante depuis pas mal de temps. Elle n’était plus vraiment sur le marché226.

Shuli a ensuite recruté Noga Ginton comme 2e assistante en suivant les recommandations de

Keinan qui pourtant l’avait vu travailler dans un autre domaine, la production. Comme le notent

223 Voir aussi Helen Blair, “You are only as good as your last job: the labour process and labour market in the British film industry”. Work, Employment & Society, 15 (1) 2001, p. 149-169. 224 Kristian Fiegelson fait le même constat en France où chaque école de cinéma développe son propre réseau d’anciens élèves. (2012, p. 117). 225 Entretien avec Hannah de la Pergola, coordinatrice de la production. 226 Extrait de l’Entretien avec Avi Nesher.

151

les auteurs de l’article « La constitution des équipes techniques » « la parole fonctionne comme assurance qui vaut certificat de qualité » (Rot & De Verdalle 2013, p. 115).

J’ai travaillé sur des longs-métrages. Mais avec Shuli par exemple, en général c’est le premier

assistant-réalisateur qui décide. Shuli m’a appelée, elle avait reçu mon numéro de Keinan, le

producteur exécutif, qui me connaissait pas en tant qu’assistante-réalisatrice mais en tant que

quelqu’un qui avait travaillé dans la production. Et voilà. Nous nous sommes rencontrées, on

parle pendant deux heures, on a vu qu’il y avait une chimie et une bonne connexion et que nous

voyons les choses de la même façon. Et nous avons décidé, parce que je voulais travailler avec

elle et elle avec moi. Ça peut être un échec, ça peut être une réussite, dans ce cas-ci c’est une

réussite à mon avis227.

3. Le processus de recrutement sur Plaot, le cas de Hannah, la coordinatrice de production

Souvent, le recrutement d’une personne novice sur un tournage est un recrutement par défaut, ou plutôt il intervient parce que la personne a un avantage comparatif qui justifie son recrutement malgré son manque d’expérience. Ce n’est qu’après que se met en place un système de recommandations qui permet au recruté de bénéficier de retours positifs et de relais pour trouver un nouvel emploi sur un tournage.

Hannah collabore avec Keinan, le producteur exécutif qui l’a également recrutée pour la troisième fois sur ce film. Au début de sa carrière, elle a d’abord été recrutée sur des tournages parce qu’elle habitait Jérusalem et qu’elle remplissait notamment les quotas de personnels

227 Entretien avec Noga Ginton, 2e assistante réalisateur.

152

demandés par la Jerusalem Film Fund, le fonds de soutien à la production de films de

Jéusalem228. Elle a ensuite progressé jusqu’à devenir le premier choix du recruteur.

Sur le premier tournage, Keinan m’avait prise parce que j’étais de Jérusalem et, avec le fond, il

faut dépenser l’argent à Jérusalem, et avoir quelqu’un de la ville et qui connaît un petit peu et qui

a des relations. Sur le deuxième tournage, il est revenu vers moi après que ses deux premiers choix

ont été indisponibles Il est revenu vers moi finalement, alors qu’il m’a dit que ça serait peut-être

trop compliqué pour moi mais tout s’est bien passé. Et sur cette production, il m’a dit que j’étais

le premier choix. Peut-être qu’il va me prendre pour la prochaine production.

Cependant, comme le notent Patrice Flichy et Dominique Pasquier, à terme, ce système de

« track record » conduit à octroyer les meilleures positions dans la hiérarchie professionnelle à un nombre sans cesse plus restreint d’individus.

De plus, l’élite de chaque groupe professionnel en vient souvent à cumuler des positions dans les

secteurs créatifs, administratifs et financiers : ce sont les comédiens qui produisent et réalisent

leurs films, les réalisateurs qui créent leur maison de production, les scénaristes qui deviennent

aussi producteurs de leurs œuvres, ou, pour prendre un exemple dans un autre secteur, les

journalistes qui se lancent dans une activité d’édition de presse. On assiste donc à un double

processus de raréfaction des positions hautes dans la hiérarchie, ce qui limite d’autant les

opportunités de carrière des autres membres de la profession. (Flichy, Pasquier, 1997, p. 555).

« L’insertion dans des réseaux de sociabilités porteuses et la détention d’information sur les positions disponibles sont devenues des variables déterminantes. Le créatif doit organiser ses

228 Voir Annexes p. 308.

153

propres stratégies de carrière. Il doit, comme un entrepreneur, gérer les prises de risques ».

(Pasquier, 1995, p. 12-13).

Comme le montre Pierre-Emmanuel Menger dans son article « Appariement, risque et capital humain : l’emploi et la carrière dans les professions artistiques », la réussite dans les carrières artistiques dépend de deux éléments : « l’acquisition de compétences et la détention de talents rares ». Ainsi, les fortes disparités de réussite s’expliquent du fait de l’existence de jeunes travailleurs inexpérimentés souhaitant accumuler de l’expérience et qui, en contrepartie, acceptent de n’être pas ou peu payé et de l’autre une minorité d’artistes très expérimentés qui vivent de leur travail. (Menger, 1994,p. 222)

En effet, comme il est très difficile de rentrer dans l’industrie, les débutants préfèrent accepter n’importe quel rôle et ensuite progresser vers le métier qui les intéresse le plus. Ils doivent aussi faire preuve d’un sens entreprenant et volontaire pour pouvoir être repéré.

Hannah de La Pergola, qui a réalisé des courts-métrages, souhaitait au début devenir réalisatrice mais il s’est avéré plus simple d’être recrutée dans la production. Même si elle considère qu’elle ne pourra pas encore devenir réalisatrice à court terme, elle n’a pas complètement abandonné son rêve.

À l’origine, j’étais plus intéressée par le scénario et la réalisation. J’ai fait un court-métrage de fin

d’études de vingt minutes que j’ai écrit et réalisé. La production, c’est un domaine dans lequel il

est plus facile de trouver du travail et ça s’est fait comme ça, quand j’ai commencé sur le film de

mon prof, je n’avais aucune expérience préalable dans ce domaine. Alors la coordination de

production a commencé comme quelque chose de simple qu’on peut faire en apprenant sans trop

d’expérience. Et à partir de cela, les choses se sont développées. […] J’aimerais bien changer de

poste, mais cela voudrait dire que je dois tout recommencer depuis le début. Même si j’ai de

l’expérience dans la production, ça veut dire tout commencer depuis le début. Et dans la

154

réalisation et le scénario, si tu ne t’appelles pas Avi Nesher, on ne peut pas en vivre, à mon avis.

C’est une bonne question, j’espère qu’à un moment oui229.

4. Un apprentissage sur le terrain et par les rôles et les conventions

Pour Howard Becker, ce sont les conventions qui facilitent la coordination des actions collectives dans les mondes des arts (Becker, 1974), mais pour d’autres chercheurs comme Beth

Bechky, cela n’est pas suffisant, il faut aussi que les rôles puissent être reproduits d’un tournage

à l’autre.

Comme le montre Beth Bechky (2006), les membres de l’équipe de tournage apprennent leurs rôles et celui des autres au fur et à mesure des projets et ceux-ci sont stabilisés d’un projet à l’autre (un assistant-réalisateur aura les mêmes types de tâches d’un film à l’autre).

Bechky ajoute que ces organisations, loin d’être éphémères et instables, ont un système de coordination et de continuité des projets et basé sur un système de rôles permanents, qui, bien que négociés, ne varient finalement que très peu. (Behky, 2006, p. 4). Les rôles sont ainsi pérennisés d’un projet à l’autre grâce à l’expérience accumulée des participants qui reproduisent ce qu’ils ont appris sur chacun des tournages.

Plus que dans tout autre environnement de travail, les tournages dépendent des attentes quant au rôle de chacun pour guider les relations et les tâches dévolues à chaque membre de l’équipe.

(Bechky, 2006, p. 14). La forte pression sociale exercée sur les membres de l’équipe de tournage avait comme conséquence que ceux-ci tentaient de se conformer aux attentes des autres membres de l’équipe quant à leur rôle. Du fait de la forte incertitude qui entoure l’industrie du film et « Afin de garder de bonnes relations et d’avancer leur carrière, les

229 Entretien avec Hannah de la Pergola, coordinatrice de production.

155

membres de l’équipe expriment leurs attentes de manière douce tout en acceptant les critiques sur leur propre rôle230. »

Hannah raconte comment ses différentes expériences lui ont permis d’apprendre de nouveaux rôles et de progressivement prendre de plus en plus de responsabilités.

Dans ma première production, je m’occupais simplement d’organiser les déplacements de

l’équipe de tournage. C’est des coordinations : pour réserver les véhicules, le buffet, prévenir la

mairie pour les autorisations de tournages et ce genre de choses. Maintenant, je dois faire ça, plus

préparer des contrats, préparer les petites caisses, m’occuper de l’argent, beaucoup de travail

devant le producteur délégué et le comptable231.

Son rôle a été étoffé au fur et à mesure des tournages et aussi par le fait qu’à chaque fois elle a travaillé face au même producteur exécutif : Keinan Adler.

5. Un travail par projet : intense et instable

Les heures de tournage en Israël sont longues : onze heures et demie par jour en moyenne, le travail demandé est dur et intensif et ce quelle que soit la fonction exercée comme témoignent de nombreux participants : « C’est un poste que je ne pourrai pas faire ad vitam aeternam : les horaires sont impossibles, pas de vie, les périodes longues, un cauchemar232. »

230 “In order to maintain friendships and further careers, people were inclined to express expectations in a soft manner as possible and to accept criticism and try hard to meet those expectations” (Bechky, 2006, p. 14). 231 Entretien avec la coordinatrice de production Hannah de la Pergola. 232 Entretien avec la coordinatrice de production Hannah de la Pergola.

156

« C’est un travail très dur, très addictif. Ça commençait à ne plus m’intéresser. Je n’avais plus le temps de faire autre chose, ni étudier, ni avoir des hobbies, ni aller voir ma psychologue. En gros, tu n’as plus le temps que pour bosser et dormir233. »

À cela s’ajoute un statut précaire, tous les techniciens et assistants de production travaillent en free-lance et le secteur est peu réglementé relativement à d’autres professions. « Je travaille en free-lance, on travaille trois mois puis pendant un mois on reste à la maison, etc.234 » Ce statut précaire engendre une instabilité qui mène souvent à un cumul d’activités dans un contexte où souvent on ne sait pas quel sera le prochain projet sur lequel on va travailler.

Oui, cela constitue une partie du problème, comme tu ne peux pas être sûr de quel travail va

arriver, tu dois prendre d’autres jobs et encore d’autres. Il y a eu trois jours où les deux tournages

étaient simultanés et maintenant il y a une autre série qui se tourne que je vais rejoindre dans deux

semaines, donc Elie l’a commencé et moi je vais le rejoindre235.

6. Des travailleurs très peu protégés

Il existe également une différence de statut entre les professions : certaines se sont organisées et d’autres pas. Ainsi, les techniciens sont regroupés dans des syndicats qui les représentent et peuvent donc négocier des clauses protectrices alors que les employés de la production n’ont pas vraiment d’organisation syndicale spécifique.

On a essayé de le faire, ils essayent encore de le faire. C’est compliqué parce qu’à l’inverse des

machinos qui, s’ils ne savent pas ce qu’ils font alors c’est un problème, dans la production c’est

moins le cas. On peut recruter quelqu’un dans la rue. Alors, si je recrute quelqu’un dans la rue,

233 Entretien avec Sivan Tseelon, responsable des accessoires. 234 Entretien avec Hannah de La Pergola, la coordinatrice de production. 235 Entretien avec le chef machiniste Roy Mano.

157

pourquoi est-ce que je le rémunérerais plus ou est-ce que je recruterais quelqu’un qui serait dans

un syndicat ? Je serais heureuse d’être dans un syndicat. Les conditions de travail des travailleurs

de production, c’est des conditions différentes, il n’y a pas d’heures sup, d’heures de nuit et

d’arrivée. Le revenu minimum, tout ça n’existe pas dans la production. Donc tu travailles quelque

chose comme 15-18 heures par jour et tu reçois un salaire global parce que, dans mon cas, c’est

par semaine. Je peux travailler 3 ou 6 jours, je recevrai le même salaire. Et les autres, les

techniciens, sont payés à la journée et s’ils dépassent 11,5 heures par jour alors ils sont payés à

l’heure supplémentaire, et s’ils arrivent de Tel Aviv, ils reçoivent de l’argent dessus également236.

Il n’existe pas de législation spécifique ou de système de protection sociale particulière comme en France. Les contrats de travail sont donc variés et différents comme me l’explique Hannah.

Ça dépend de la personne, du poste. Il y a les contrats des syndicats qui sont journaliers, les

contrats pour les directeurs artistiques et les costumiers pour lesquels on négocie un salaire global

pour l’ensemble du tournage à l’avance. Il y a ceux qui n’ont pas de syndicat, ce sont alors des

contrats personnalisés237.

7. Image de la carrière pour soi et pour les proches

Le travail dans le cinéma est donc encore un travail précaire et fragile en Israël. Pour autant, comme des chercheurs l’ont analysé dans d’autres pays, malgré cette précarité, les personnes qui s’engagent dans un métier artistique le considèrent d’abord comme une « vocation » plutôt qu’un simple travail.

236 Entretien avec Hannah de la Pergola 237 Entretien avec Hannah de la Pergola

158

Comme le remarque Marie Buscatto, cette « vocation artistique, en créant tension et paradoxe, devient la source de fragilités dont il faut savoir se prémunir pour éviter les dérives qui les menaceraient – échec destructeur, usage de drogues, déprime et dépression, surmenage »

(Buscatto, 2010, p. 104).

Comme les comédiens de théâtre interviewés par Heikhof et Haunshild (2007, p. 531), les membres de l’équipe de Plaot avaient de fortes motivations pour faire ce métier qui les faisaient accepter des désavantages que d’autres employés dans d’autres circonstances n’auraient jamais acceptés, comme la subordination de leur vie privée à leur vie professionnelle.

La plus-value symbolique, travailler avec de célébrités et sur des projets fortement médiatisés joue également énormément dans la reconnaissance des proches d’un travail aussi difficile et précaire comme en témoigne Hanna de la Pergola.

Parce que j’étais la plus jeune, et qu’il y a une grande différence d’âge avec mes autres frères et

sœurs (de 10 à 12 ans) j’ai toujours fait ce que je voulais. Moi, on ne m’a rien dit. Mais je suis

sûre qu’il y avait des inquiétudes si c’est un vrai travail et pourquoi je ne reste pas à la mairie.

Mais ils ont plutôt bien accepté. Ils voient que je travaille et que j’en vis donc ils sont plus

tranquilles. Ils habitent Jérusalem également. Les neveux sont contents parce que je connais des

célébrités. Mes sœurs et mon père également, je l’ai vu découper un article sur un des films, il n’y

a aucune photo de moi, ni mon nom dessus, mais ils ont quand même découpé l’article.

Maintenant ils sont contents de voir que je travaille sur des productions à gros budget238.

238 Entretien avec la coordinatrice de production Hannah de la Pergola.

159

CONCLUSION DU CHAPITRE 4

Sur le tournage de Plaot, la confiance se révèle être le marqueur qui cimente la qualité des interactions entre les participants. Alors même que le réalisateur revendique une conception démocratique et égalitariste de son travail, c’est pourtant la vision auteuriste de la fabrication du film qui domine les discours des participants qui se disent tous au service du réalisateur. On assiste donc là à une globalisation et une application concrète d’une théorie issue de la critique européenne sur un plateau de tournage israélien contemporain. Alors même qu’à première vue le cinéma israélien, par son organisation et le vocabulaire utilisé en anglais semblait plus proche d’une conception plus anglo-saxonne du cinéma où le producteur aurait la place dominante.

Cette mise en valeur du travail du réalisateur est due également à l’importance de l’implication d’Avi Nesher sur le film et la qualité de ses relations avec toute l’équipe. Malgré son statut d’auteur-réalisateur célèbre, il était avant tout respecté et admiré car il connaissait et appréciait les rôles de tous les participants du tournage.

La hiérarchie et la division du travail telle qu’elle est décrite en théorie n’est, dans les faits, pas toujours respectée du fait de contraintes économiques mais aussi d’une conception du travail sur le plateau plus chaotique. L’accumulation des rôles et les conflits qu’elle peut engendrer sont dus aussi à un marché du travail qui n’a été syndicalisé et régulé que très récemment239 (par rapport à la France et aux États-Unis) et à des relations plus horizontales entre les différents acteurs du tournage.

Le plateau de tournage de Plaot reste, comme les plateaux français ou américains, une « arène » temporaire où se construisent les réputations des participants sur lesquelles se font ou se défont les carrières individuelles.

239 Voir Annexe : « L’Industrie du film israélienne : bref historique, économie et régulation » p. 308.

160

Alors qu’en France il existe un statut particulier, celui d’intermittent du spectacle pour protéger les travailleurs du cinéma des aléas de leur métier, il n’y a, en Israël, aucune protection sociale spécifique. Les motivations et l’implication restent fortes cependant parmi les participants du tournage qui trouvent ailleurs les moteurs pour tenir dans une carrière fragile et incertaine. La forte composante vocationnelle (qui revient dans les discours de la majorité des participants interviewés) permet d’expliquer comment certains d’entre eux maintiennent leur implication sur le plateau alors même que ce travail est précaire et encore mal reconnu dans la société israélienne.

Comme cela a été vu dans d’autres travaux sur des tournages aux États-Unis ou en Europe, le réseau, couplé à la réputation restent les deux vecteurs fondamentaux de la réussite d’un individu dans l’industrie du cinéma israélien. Toutefois, la trajectoire de Hannah, la coordinatrice de production, montre que le recrutement et la carrière peuvent aussi dépendre d’éléments extérieurs (comme dans le cas de Hannah d’une contrainte juridique) qui peuvent avoir un effet bénéfique sur l’ouverture du recrutement au-delà des cercles d’initiés et des

« appariements sélectifs ».

Au-delà de la comédie humaine qui s’y joue ; le plateau de tournage est un monde en soi mais aussi un monde inséré dans une société particulière : la société israélienne. C’est ce que nous explorons dans le chapitre cinq.

161

CHA P Î T R E 5 : LE TOURNAGE, UN MONDE E N S O I

INTRODUCTION DU CHAPITRE 5

Nous analyserons dans une première partie les relations entre réalité et fiction sur le tournage en nous basant sur les concepts de cadres de l’expérience de Goffman.

Puis, nous nous interrogerons sur la pertinence de l’usage de l’idéal type d’« institution totale temporaire » utilisé par Beth Bechky (2006) au sujet du tournage en analysant les caractéristiques du tournage de Plaot et sa conformité ou non à ce modèle.

Enfin, nous analyserons l’influence de la société israélienne sur le tournage, y a-t-il une manière israélienne de faire des films ?

162

I — RÉALITÉ ET TOURNAGE

« À Tel Aviv aussi les gens étaient contents d’être sur le plateau. Parce que c’est très sympa de voir comment on fait un film. C’est intéressant, car c’est un peu notre vie à tous qui est jouée, les gens s’amusent240. »

1. Les notions de cadres, transformation modalisation et fabrication

Dans Les cadres de l’expérience241, Erving Goffman argue que toute expérience peut donner lieu à plusieurs versions ou « cadres ». Ces cadres orientent la perception de la réalité des personnes en présence.

Les cadres primaires ne renvoient à aucun autre. Ils peuvent être des cadres naturels (le soleil qui se lève) ou des cadres sociaux (ouvrir ou fermer le store d’une fenêtre).

Les cadres transformés sont ceux qui acquièrent une signification différente de la situation donnée. Par exemple : la répétition pour un concert (qui lui n’a pas encore lieu).

Parmi les cadres transformés, il faut aussi distinguer modalisation et fabrication.

Il y a modalisation lorsque la transformation de cadre n’est pas cachée aux participants : par exemple la répétition d’une pièce de théâtre. Il y a fabrication lorsque cette transformation est cachée pour une partie des participants (par exemple lorsqu’une personne ne sait pas qu’elle est filmée pour une caméra cachée).

Ces cadres peuvent être superposés et donner lieu à plusieurs « strates » comme lorsque

Goffman décrit un film de fiction (Love and Larceny) auquel en plus des fabrications scénaristiques s’ajoute une autre strate, celle du tournage. Le tout faisant partie d’un film, on a

240 Entretien avec Dudi Doram, chef de file. 241 Erving Goffman, Les cadres de l’expérience. Les éditions de minuit 1991 [1974].

163

donc affaire à une machination ludique à laquelle les répétitions avant et pendant le tournage auront encore ajouté une autre strate. (Goffman, 1991 [1974], p. 186).

Certains cadres peuvent être « défaillants » et laisser les participants dans le doute (s’agit-il de la réalité ou est-ce une plaisanterie ?). Beaucoup de films, par exemple, jouent sur l’ambiguïté entre réalité et fiction. Lorsqu’une personne en s’engageant dans une activité ne respecte plus son cadre, par exemple lorsque deux comédiens éclatent de rire au milieu d’une scène tragique et que les spectateurs s’en aperçoivent, ils rompent ainsi le cadre dans lequel ils jouaient. On parle alors de « rupture de cadre ».

2. Les cadres sur le tournage de Plaot

En suivant ce modèle de réflexion, le tournage d’un film de fiction est donc à la fois un lieu de modalisation (pour les participants au tournage) mais il est également le lieu d’une fabrication où les personnages joués par les comédiens sont trahis ou trahissent, etc.

Les cas de ruptures de cadres arrivent ainsi fréquemment, surtout quand les membres de l’équipe rencontrent des personnes extérieures au tournage comme dans cette anecdote :

J’ai la chance de rentrer avec Yehuda Levi, immense star en Israël, qui joue le rabbin Knafo, l’un

des protagonistes du film, dans une voiture conduite par l’un des machinistes. Levi a gardé sa

barbe très sale et son maquillage avec du faux sang. Notre conducteur, tatoué et barbu, semble lui

aussi sorti d’un film. Tout se passe bien jusqu’au moment où nous sortons de Jérusalem pour

prendre l’autoroute principale vers Tel Aviv. Nous sommes arrêtés par un policier. Il fait

descendre Yehuda Levi. Il lui demande sa carte d’identité ; il la lui tend avec un sourire. Le

policier la regarde et semble avoir du mal à le croire. Je n’ose pas filmer la scène. Il nous regarde

164

encore une fois, puis s’excuse. Il commence un peu à discuter avec Yehuda puis nous laisse

continuer la route. Nous éclatons de rire dans la voiture242.

Ainsi, le policier a interprété l’apparence physique du comédien (longue barbe, sale, mal coiffé avec des égratignures) en prenant en compte le cadre primaire dans lequel il travaille : celui d’une menace sécuritaire.

Sabine Chalvon Demersay note qu’observer un tournage c’est voir comment chacun « met en place son propre cadre au sens de Goffman » et remarque que les « tensions » apparaissent lorsque les différents cadres se chevauchent ou entrent en collision. (Chalvon-Dermsay, 2012, p. 210).

Comme nous le verrons, le lien du tournage à la réalité et son cadrage sont fondamentaux pour comprendre l’engagement de certains figurants notamment les personnes issues de la communauté juive ultra-orthodoxe243.

3. Usage de la réalité par la fiction

Dans le cas de Plaot, comme nous l’avons vu, la réalité nourrit la fiction. C’est une histoire vraie qui sert de base au scénario. Le réalisateur a également décidé d’ajouter des éléments réels, non fictionnels pendant le tournage.

La scène se déroule dans un bar de quartier de Jérusalem (comme le décrit la feuille de service),

il est spécifié dans la colonne « décor » qu’un écran de télévision derrière le bar projette des

images de « religieux qui attaquent des policiers + des manifestants palestiniens qui attaquent des

soldats + des manifestations sociales ». Ce qui semble résumer la situation du pays244.

242 Extrait du journal de terrain, 10e jour de tournage, le 10 avril 2012. 243 Voir chapitre VI. IV.6 « Des cadres “fabriqués” pour justifier la figuration des ultra-orthodoxes » p. 220. 244 Extrait du journal de terrain, 27e jour de tournage, le 6 mai 2012.

165

Ainsi, la scène décrite ci-dessus, tournée dans la ville de Jaffa et censée se passer dans un bar à

Jérusalem montre des extraits d’événements réels dans un film de fiction. Cette approche ancre donc le film dans une réalité extérieure à celle se passant sur le tournage qui est par la suite fictionnalisée. Ce choix donne par conséquent l’impression d’un cadrage défaillant pour le spectateur qui peut se demander si ces reportages sont réels ou préparés spécialement pour le film. Les vidéos produites pour présenter les activités du personnage du rabbin Knafo (lui- même basé sur un personnage réel) posent le même problème puisqu’elles mélangent des

éléments de fiction et de réalité245.

Parfois, l’irruption d’éléments réels dans la fabrication du film peut être accidentelle. Ainsi, le tournage a commencé quelques jours seulement après les attentats de Toulouse perpétrés par

Mohamed Merah en mars 2012 et dont les victimes juives ont été enterrées à Jérusalem. Les journaux avec les unes sur l’attentat se retrouvent dans le décor d’une scène.

« J’observe la devanture : certains journaux font leur une sur le drame de Toulouse qui vient tout juste de se dérouler (le 21 mars 2012), avait lieu la fin du siège par le GIGN246. »

4. Porosité entre le tournage et l’extérieur

Le choix du réalisateur de tourner en extérieur dans un lieu réel avait comme conséquence une porosité plus importante entre le réel et le tournage et un plus grand risque de perturbation que dans un studio, isolé et fermé au public. Ainsi, bien que toutes les mesures de sécurité aient été prises pour garder une frontière étanche entre le tournage et les habitants des quartiers, certains n’ont pas hésité à braver les interdits et à perturber le bon déroulement du tournage.

245 Dans un entretien donné au critique de cinéma Pablo Otin et qui apparaît en bonus du DVD du film, Avi Nesher affirme que ces reportages sur les écrans de télévision ne doivent pas être simplement vus comme de simples décors mais comme des sous-entendus sur le contexte de l’intrigue du film. 246 Extrait du journal de terrain, 6e jour de tournage, le 01 avril 2012.

166

Un petit accident est arrivé aujourd’hui sur le tournage, un joueur d’accordéon a refusé de se

déplacer hors champ de la caméra, alors qu’ils étaient sur le point de filmer une scène. Il a annoncé

qu’il refuserait de bouger tant que la police ne viendrait pas. Shuli, sans lever sa voix, a appelé un

policier. Aussitôt que celui-ci est arrivé, l’intrus a quitté le plateau. L’équipe rit aux éclats247.

Avi Nesher lui-même a parfois laissé dans certaines scènes des simples badauds rentrer dans le champ248. L’attraction d’un tournage dans un quartier fait aussi que les membres de l’équipe doivent cohabiter avec les habitants, quitte à leur donner l’autorisation d’y assister ou même d’y participer. Enfin, il arrive que des « intrus », comme les journalistes soient autorisés sur le plateau alors qu’ils pourraient perturber le tournage.

À côté de ces habitants fictifs dirigés par Noga, la 2e assistante-réalisatrice, il y a les vrais habitants

du quartier : une femme américaine qui demande quel genre de film on tourne à l’un des figurants

qui lui répond que c’est un film israélien. Un chat qui se promène, une moto avec un sticker sur

lequel on peut lire « Iran I love you » du nom de la campagne internet lancée depuis peu contre

une possible guerre entre les deux pays. Aujourd’hui, il y a également plusieurs journalistes de

chaînes de télévision qui viennent interviewer les acteurs, Shuli, la première assistante-réalisatrice

gronde les journalistes car ils dérangent le tournage d’une scène249.

En définitive, l’équipe de tournage doit constamment négocier avec le contexte extérieur pour que le film puisse se faire. C’est le rôle de l’équipe régie, assistée par la production, qui a pour objectif de « préserver » les frontières entre le tournage et l’extérieur et est donc dans un va-et- vient constant entre les deux côtés.

247 Extrait du journal de terrain, 6e jour de tournage, le 01 avril 2012. 248 Comme sur la scène 12, tournée le 15 avril 2012 249 Extrait du journal de terrain, 6e jour de tournage, le 01 avril 2012.

167

« L’équipe régie aligne le monde extérieur sur le tournage, mais elle peut aussi aligner le tournage sur le monde extérieur. » (Seroussi, 2006, p. 91). En effet, l’équipe doit constamment s’adapter aux imprévus de l’extérieur et trouver des solutions pour permettre au tournage de continuer.

Dans l’après-midi, Avi, Shuli et Keinan se réunissent. Keinan leur dessine un plan du parking, il

y a un problème car l’équipe occupe trois places de parking sur les six disponibles et ils comptent

filmer là-bas. Cela peut donc poser un problème important de raccord puisque les personnes qui

utilisent le parking pourraient aller et venir dans le champ. Avi et Shuli lui demandent donc de ne

pas permettre à ces véhicules de s’y garer250.

250 Extrait du journal de terrain, 13e jour de tournage, le 10 avril 2012.

168

II — LE TOURNAGE, UNE INSTITUTION TOTALE ALLÉGÉE ET TEMPORAIRE

1. Le tournage, institution totale temporaire

Si le plateau de tournage reste ancré dans un cadre extérieur, où interviendraient d’autres activités, il reste que ses spécificités ont conduit Beth Bechky à le considérer comme une institution totale temporaire. (Bechky 2006, p. 9).

Erving Goffman définit les institutions totales comme « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et rigoureusement réglées » (Goffman, 1968 [1961], p. 41).

L’un des aspects centraux d’une institution totale c’est que les reclus dorment, travaillent et se divertissent dans un même endroit.

Quatre éléments caractérisent ces institutions totales :

 la coupure par rapport au monde extérieur ;

 tous les besoins et toutes les activités sont pris en charge par l’institution ;

 un règlement régit la vie à l’intérieur de l’institution et une surveillance permanente de

ses membres ;

 les contacts entre les reclus et les surveillants sont limités, ce qui crée deux groupes

antagonistes.

À l’exception de la dernière caractéristique, et même si elles ne sont pas poussées à l’extrême comme dans d’autres institutions totales, le tournage semble partager une version très

« allégée » des caractéristiques d’une institution totale, au moins de manière temporaire.

Bien entendu, la « carrière morale du reclus », son cheminement de l’entrée de l’institution à sa sortie, n’est pas marquée par une « mortification du moi », ces procédés de dégradation sociale

169

et morale allant de l’isolement à la perte d’autonomie. Nous ne sommes ni dans une prison ni dans un hôpital psychiatrique et de surcroît les participants à un tournage sont libres.

2. Le tournage coupé temporairement du monde extérieur

Les plateaux de cinéma sont en effet isolés physiquement et temporairement du reste de la société. Comme le note Bechky, même quand un film est tourné dans une ville, le tournage intervient hors de la « vie urbaine » habituelle. Par exemple, pour les besoins d’une scène, le trafic peut être momentanément arrêté. (Bechky, 2006, p. 10).

De même, sur le tournage de Plaot, différents panneaux servaient à interdire l’accès au tournage aux habitants :

« Un panneau en anglais, arabe et hébreu prévient qu’un film est en train de se tourner et que s’ils ne souhaitent pas être filmés les habitants doivent ne pas rentrer dans l’espace du tournage251. »

Pendant le tournage à Jérusalem, la majorité des membres de l’équipe de tournage dormaient tous ensemble dans le même hôtel. Cet isolement avait une double conséquence, non seulement les membres de l’équipe de tournage passaient tout leur temps disponible ensemble pendant le travail mais également hors tournage pendant les week-ends.

Des relations fortes pouvaient donc naître entre les participants, d’autant que, comme nous l’avons vu, une bonne qualité des relations de travail est privilégiée.

251 Extrait du journal de terrain, 16e jour de tournage, le 16 avril 2012.

170

« Je remarque que Rami, le premier assistant caméra, a progressivement développé une relation quasi filiale avec la jeune assistante caméra Zohar Mutain qui s’occupe de tenir le clap avant le tournage et d’installer la caméra et le moniteur252. »

Cependant, cela s’accompagne d’une perte d’intimité et de temps libre, certains membres de l’équipe n’hésitent pas à dire qu’ils n’ont plus de vie privée :

« Non il n’y a pas de vie privée, ça n’existe pas. Je ne connais pas ce concept253. »

« Moi j’ai besoin de revenir à la maison et d’avoir cette séparation entre le tournage et la vie privée, et tu ne la sens pas quand tu filmes et que tu dors à Jérusalem. Ça aurait été la même chose si on avait tourné et dormi autre part en dehors de la maison254. »

3. Interdépendance des activités sur un tournage

Goffman a montré que dans les institutions totales, travail et loisirs étaient mêlés.

Les tournages de film ont également comme caractéristique l’interdépendance de leurs activités.

Les comédiens dépendent des électriciens qui doivent éclairer la scène pour que les directeurs photo puissent les filmer.

Cette interdépendance de tâches, selon Beth Bechky, donne l’impression aux membres de l’équipe que travail et loisir sont mélangés. Ainsi, comme les départements d’un tournage sont interdépendants l’un de l’autre, il arrive fréquemment qu’alors que certains membres de l’équipe sont occupés à travailler, d’autres soient en attente. (Par exemple, les assistants caméras doivent attendre que les machinistes installent une dolly pour pouvoir régler la caméra, etc.).

252 Extrait du journal de terrain, 14e jour de tournage, le 11 avril 2012. 253 Entretien avec Hannah de la Pergola, coordinatrice de production. 254 Entretien avec Noa Ginton, 2e assistante-réalisatrice.

171

Sabine Chalvon-Demersay en a fait le même constat dans son ethnographie de séries de TV françaises « une composition de désœuvrement où, comme dans un hôpital, différentes catégories hiérarchiques travaillent ensemble sur un même lieu et exercent leur travail sous le regard des autres comme dans une institution totale. (Chalvon-Demersay, 2012, p. 203). J’en suis constamment témoin moi-même sur le tournage ».

Je remarque un phénomène observé par d’autres chercheurs en sciences sociales sur les

tournages ; alors que toute une partie de l’équipe est occupée dans ses préparatifs (une dizaine de

personnes), une minorité, comme les assistants caméra, les assistants-réalisateurs (sauf Shuli, la

première assistante) se baladent et attendent ; ils semblent tout à fait étrangers à l’énergie déployée

par le reste de l’équipe. Les figurants, qui sont, eux, en constante attente entre les prises, semblent

se rendre compte de cela. Une figurante âgée vient voir Zohar Mothain, la première assistante

caméra qui attend, clap à la main, et lui demande quand est-ce que le tournage va débuter, pour

de vrai255.

4. Visibilité et contrôle des activités

Un autre point commun avec l’institution totale, relevé par Beth Bechky, est la visibilité et la publicité, non seulement de toutes les actions de travail sur un tournage mais également de la communication. Elle montre ainsi que toutes les actions sont instantanément commentées et communiquées, ce qui fait que celles-ci sont non seulement visibles aux personnes se trouvant sur le plateau physiquement mais aussi par celles qui n’y sont pas (comme la production).

255 Extrait du journal de terrain, 6 e jour de tournage, le 01 avril 2012.

172

Il existe ainsi une séparation entre l’espace du plateau de tournage et les activités parallèles nécessaires au tournage comme la régie ou la production. Un « centre de production », est ainsi monté sur chaque lieu de tournage à proximité du plateau. Il réunit le producteur exécutif,

Keinan Eldar, représentant du producteur délégué sur le tournage qui a la charge de contrôler la bonne tenue et le budget du tournage, parfois le directeur de production Jonathan Alsvel, qui l’assiste dans le recrutement et la gestion du personnel et surtout Hannah de la Pergola, la coordinatrice de production, qui prend en charge les différents problèmes administratifs du tournage (les petites dépenses, la coordination du personnel et des transports). C’est Hannah de la Pergola qui, pendant le tournage, siège en permanence dans le centre.

Trois éléments trônent sur la table de Hannah, l’imprimante, les réserves de papier et le talkie- walkie. C’est dans cet endroit que sont confectionnés et imprimés des documents indispensables

à la bonne marche du tournage comme les feuilles de service, qui sont distribuées par la 2e assistante-réalisatrice à l’ensemble de l’équipe et les rapports de la scripte, que j’ai eu la charge de photocopier. C’est dans ce centre que Damien Dufresne, l’ingénieur de la vision vient transférer sur un disque dur les rushes de la journée qui sont ensuite transportés aux bureaux de la société de production à Tel Aviv.

Enfin, le talkie-walkie qui siège sur le bureau de Hannah de la Pergola lui permet d’écouter et d’être écoutée de l’ensemble de l’équipe. En effet, normalement chaque corps de métier a sa propre fréquence, mais le talkie-walkie du centre de production peut communiquer avec toutes les fréquences des autres talkies-walkies. Ainsi, dès qu’un problème arrive sur le plateau, celui- ci est très vite communiqué au centre de production qui peut dès lors en informer le producteur délégué, absent du plateau256.

256 Dudi Siber, le producteur délégué, n’était présent que trois fois sur la totalité du tournage.

173

Le recueil des dépenses du personnel qui doit venir au centre déclarer chaque facture, fait en temps réel, permet également à Hannah de contrôler le budget du tournage et éviter de dépenser au-delà d’un seuil établi par la production déléguée.

Ainsi, le centre de production est une sorte de « panoptique » du tournage d’où les producteurs peuvent contrôler ce qui s’y passe sans pour autant y mettre les pieds.

Pour Beth Bechky, l’importance du contrôle social exercé sur les interactions lors d’un tournage de film permet aux individus d’assurer la continuité dans la structure générale des rôles et la conformité envers les rôles établis. (Bechky, 2006, p. 11).

Ce contrôle social n’est pas seulement normatif comme dans une prison ou une caserne, mais comme nous l’avons vu d’ordre affectif et lié à l’importance donnée à la réputation des participants.

5. La tyrannie du temps

Sur le tournage, l’activité journalière est gouvernée par la feuille de service élaborée par Shuli, la première assistante-réalisatrice, qui indique les différentes informations concernant les scènes tournées, l’heure d’arrivée, de début et de fin de tournage. (Bechky, 2006, p. 10).

La scripte, Liel, doit également minuter la durée de chaque scène puis en rendre compte à la production.

Sur un tournage, le temps est précieux, il doit sans cesse être réévalué et si possible économisé, car faire travailler des techniciens des heures supplémentaires coûte cher. Cette tyrannie du temps conditionne donc l’organisation même du tournage.

Ainsi, les assistants-réalisateurs doivent élaborer le plan de travail, le programme du tournage, en gagnant le plus de temps possible et ainsi économiser de l’argent.

174

Le premier assistant-réalisateur construit le plan en faisant en sorte qu’il y ait le moins de jours

de tournage pour les acteurs, que cela soit le moins cher, et le plus juste en fonction du temps

disponible et ce qui est le plus confortable pour le réalisateur en ce qui concerne l’ordre du

tournage. […] Le premier assistant-réalisateur doit également préparer le plan de tournage, il

participe à tous les déplacements, il s’assoit avec le réalisateur pour vérifier l’emploi du temps,

combien de temps est nécessaire pour chaque scène, il doit connaître le shooting, comment on

filme chaque scène257.

La pression liée au respect du budget de production oblige à ce que tout soit écrit et préparé et réglé à l’avance comme les déjeuners et dîners de l’équipe :

Sur le tournage, il y a deux pauses déjeuner principales : le petit-déjeuner et le déjeuner lui-même

qui, selon les horaires des journées de tournages, peuvent commencer à 7 heures ou 18 h 30. Le

petit-déjeuner dure 30 minutes et le déjeuner 45 minutes. Le déjeuner doit avoir lieu au plus tard

7 heures après le petit-déjeuner. Ces durées sont inscrites dans l’accord qui lie le syndicat des

professionnels du cinéma israélien (ACT), principale organisation représentative des techniciens

du cinéma et l’association des producteurs israéliens258. Parfois, les équipes des techniciens

notamment les assistants-régie peuvent manger en dehors des horaires généraux. Il n’y a pas

d’alcool servi à table contrairement à ce que j’ai pu voir en France. (Mise à part lors de la petite

célébration de la 1re semaine de tournage259).

Pour Avi Nesher d’ailleurs, cette pression constante nuit à sa créativité, il la lie directement à l’argent. « Le problème du cinéma en tant que forme artistique c’est qu’il coûte très cher,

257 Entretien avec Noga Ginton, 2e assistante-réalisatrice. 258 Voir le texte de la convention signée entre ACT, l’union des travailleurs du cinéma d’Israël et l’union des producteurs de cinéma d’Israël, 31 juillet 2008, p. 282. 259 Extrait du journal de terrain, 1er jour du tournage le 25 mars 2012.

175

chaque minute sur le tournage coûte beaucoup d’argent. […] Je préfère donc utiliser au maximum la période de préproduction où le temps ne vaut pas d’argent260. »

6. La comparaison avec l’armée

L’armée, autre institution totale très présente dans le paysage israélien, reste l’étalon auquel est souvent comparé un tournage de film. L’organisation millimétrée, la hiérarchie et la gestion du temps expliquent cette analogie qui existe également en France. (Chalvon-Demersay

2012, p. 196-197).

La division du travail correspond bien à une organisation de type militaire, au sommet de laquelle

chaque chef de poste exerce un pouvoir disciplinaire fort sur les membres de son équipe, membres

qu’ils ont d’ailleurs recrutés, ce qui renforce les jeux d’obligation à l’égard de la hiérarchie. Ce

qualificatif d’organisation militaire était d’ailleurs utilisé à de multiples reprises par les gens du

cinéma interviewés, quel que soit leur niveau hiérarchique. Une telle organisation, qui repose sur

une division du travail très précise, est aussi une condition de l’efficacité de l’organisation en

projet sur laquelle repose le tournage d’un film, tournage qui se déroule dans un laps de temps

très court (Gwenaële Rot, p. 126, 2011).

En Israël, le service militaire obligatoire a un impact sociétal et culturel qui renforce cette analogie. Ainsi, sur le tournage, certains membres de l’équipe arborent les T-shirts de leurs unités, d’autres utilisent constamment un vocabulaire militaire ; Hannah, la coordinatrice de production, compare son métier à celui d’une « assistante sociale de l’armée »

260 Extrait de l’entretien avec Avi Nesher.

176

7. Les « adaptations primaires » et les « adaptations secondaires »

Goffman appelle « adaptation primaire » tout ce que fait le reclus pour se confirmer aux désirs de l’institution totale alors que l’« adaptation secondaire » désigne toutes les stratégies qui permettent à l’individu de sortir du rôle voulu par l’institution (Goffman, 1968 [1961], p. 245).

Beth Bechky (2006), dans son article, ne vérifie pas l’existence d’adaptations secondaires sur un tournage, mais au contraire comment le contrôle social renforce la définition des rôles. Qu’en est-il réellement, y a-t-il des résistances face à la tyrannie de la feuille de service ?

Les « adaptations secondaires » à la vie du tournage comme dans toute organisation existent.

Certaines « sous cultures261 » émergent. Tout d’abord, je note que cette résistance à l’intensité du rythme du tournage prend très souvent la forme d’une « pause cigarette ».

« [Elle s’arrête pour allumer une cigarette], j’ai commencé à fumer tard. Je fume beaucoup surtout en période de production, c’est le stress et c’est social. C’est les deux raisons, c’est une occupation c’est une raison pour faire une pause262 ».

Je note que beaucoup de membres de l’équipe de tournage fument et que la cigarette facilite effectivement la socialisation, y compris chez les figurants, et surtout elle sert de soupape entre deux prises, alors même que la « pause cigarette » n’est pas inscrite officiellement sur la feuille de service.

Plus rarement, une opposition directe au règlement du tournage peut arriver. Ainsi, alors que l’on tourne dans une institution publique à Jérusalem, en pleine Pâques Juive263, la régisseuse a eu pour consigne de remplacer les pains par des pains faits de farine de pomme de terre. Certains

261 « Tous les systèmes temporaires ont tendance à créer leur propre sous-culture de langage, de plaisanteries et d’expériences communes » (Eileen Morley et Andrew Silver, « Dirigeants et metteurs en scène ». Harvard - L’Expansion, 1977 p. 12). 262 Entretien avec Hannah de la Pergola, la coordinatrice de production. 263 Pessah (ou la Pâque Juive) commémore l’Exode d’Égypte des Hébreux et leur liberté retrouvée. Lors de cette fête, il est interdit de consommer du hametz, c’est-à-dire du pain levé issu de céréales.

177

membres de l’équipe, mécontents, ont donc décidé d’acheter chaque jour des pains au levain à

Jérusalem Est et de les cacher discrètement sous la table de régie pour les manger en cachette.

L’un des assistants de production, un kibbutznik264, exaspéré décide d’en manger un en plein jour.

Yaniv (un kibutznik), l’un des assistants-régie, mange du pain en plein Pessah (Pâque juive), il

ne s’en cache pas. Les membres de l’équipe lui demandent de faire ça plus discrètement pour ne

pas avoir des problèmes avec le propriétaire des lieux qui est religieux. Mais Yaniv, énervé, fait

exprès et continue « al a zayin sheli » (rien à foutre)265.

Cette désobéissance à une règle établie à l’avance par la régie est aussi un rappel aux participants de l’importance du contexte culturel et géopolitique dans lequel est inscrit le tournage et auquel personne ne peut échapper.

264 Désigne un membre d’un kibbbutz. 265 13e jour de tournage, le 10 avril 2012.

178

III — TOURNAGE ET SOCIÉTÉ

1. Une manière israélienne de faire des films

Alors que le plateau de tournage est censé être un lieu fermé et étanche de l’extérieur, en réalité, comme nous l’avons vu, la frontière est poreuse. De même, bien que la technique de fabrication des films soit la même de par le monde, la société dans laquelle un film est produit peut-elle influencer sa fabrication ?

Y a-t-il une manière israélienne de faire des films ? Avi Nesher en est persuadé, pour lui les films en Israël ne sont pas commerciaux, et surtout ils se font dans un esprit collaboratif et solidaire. « En Israël, il n’y a pas de cinéma commercial, faire un film ce n’est pas une affaire, si tu veux investir dans un film, je te conseillerai de ne pas le faire, c’est une mauvaise idée266. »

Dudi Silber parle lui aussi de « sacrifice » dans un contexte de « budgets limités ». « La principale différence entre les productions ici et à l’étranger, c’est qu’ici les gens sont plus engagés et sont prêts à se sacrifier pour le film267. »

Avi considère que la manière de faire des films en Israël est plus démocratique comparée à la tyrannie des studios américains pour lesquels il a travaillé quand il vivait aux États-Unis. Il l’illustre par une anecdote significative.

Moi, je viens d’une tradition israélienne et il n’y a pas ce genre de choses, nous sommes meilleurs

que les autres, on doit le mériter. J’ai dit que je n’étais pas d’accord. Les studios n’ont pas compris

au début et cela les avait même énervés alors que cela leur permettait d’économiser de l’argent.

Moi ça m’avait l’air bizarre de ne pas partir avec les copains le matin. J’ai refusé et je suis donc

resté pendant tout le tournage dans l’hôtel trois étoiles. C’était symptomatique, dans les films de

studios, il y a des statuts, comme dans une royauté.

Cela ne l’a pas empêché d’y adapter sa conception du cinéma.

266 Entretien avec Avi Nesher. 267 Entretien avec le producteur Dudi Silber.

179

Je ne me suis pas vu comme quelqu’un qui pouvait travailler dans le système des studios

américains. À un moment donné, j’ai eu une société production indépendante qui fonctionnait sur

le modèle du Noar A Oved268, avec beaucoup d’ouverture, la façon de faire des films était donc

similaire à la façon de faire des films en Israël269.

Les équipes de tournage israéliennes sont vues comme moins dépensières270 avec une absence de traitement de faveur et une spécialisation des rôles moins accrue.

Oui, nous sommes moins dépensiers, plus proches les uns des autres, plus économes, mais on est

beaucoup plus bruyants. À l’opposé, d’autres productions où tout le monde garde le silence

pendant les prises, personne ne crie. Ici chacun est copain avec tout le monde, et personne ne

garde le silence quand on demande le silence, que le preneur de son se casse la tête mais ce n’est

pas comme ça en Europe : le silence, l’ordre, tout est parfait. Mais on arrive quand même à faire

de belles choses271.

Il y a moins d’autorité et plus de désordre : « Comme je t’ai dit, tout malin est roi ici, un assistant de production peut aller voir le réalisateur et le déranger, se plaindre272. »

« Quand tu parles avec des figurants d’Europe de l’Est et que tu les mets dans une scène alors ils ne bougent pas. Dans un film israélien ils peuvent encore se disperser, se sentir comme à la maison et parler avec les acteurs273. »

la jeunesse qui travaille et qui étudie) est un mouvement de ,הנוער העובד והלומד ) Hanoar Haoved Véhalomed 268 jeunesse socialiste israélien. 269 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 270 Les budgets sont aussi moins importants. Le budget de Plaot était de 7,5 millions de NIS (environ 1,5 million d’euros). En comparaison, le budget moyen d’un long-métrage en France est aux alentours de 4 millions d’euros. (Source : CNC). 271 Entretien avec le steadycamer Haim Asias. 272 Entretien avec le producteur David Silber. 273 Entretien avec Shuli Calderon, première assistante réalisation.

180

Mais pourtant, malgré tout, ce sont les membres étrangers de l’équipe comme Michel

Abramowicz, le directeur de la photographie français qui sont les plus admiratifs de la capacité de ces productions à maximiser leurs ressources malgré le manque de moyens :

Les moyens du film sont cinq à six fois moins importants en matière de budget, mais en Israël

même avec aussi peu d’argent on arrive à faire un film qui se tient très bien à cause du niveau de

l’équipe, à cause du niveau du réalisateur, à cause de la manière de produire des Israéliens :

chaque sous est compté, y a pas de gâchis, ça va très loin pour un Européen, c’est dur274.

Impact des fêtes religieuses et du judaïsme

Une autre influence, qui prend d’autant plus de poids en Israël et spécialement à Jérusalem, c’est l’influence des traditions religieuses et culturelles.

Les jours de travail vont de dimanche à jeudi, le vendredi et le samedi sont libres. Les dates du tournage (mi-mars à mi-mai), font que des fêtes importantes comme la Pâque Juive mais aussi la fête d’indépendance de l’État d’Israël cassent le rythme du tournage et son intensité.

La Pâque Juive, comme nous l’avons déjà vu, a un impact assez inattendu sur le tournage puisque pendant cette fête, la régisseuse doit faire face à des interdits alimentaires et doit s’y adapter.

Plus encore, c’est le tournage dans Jérusalem qui conduit à respecter de manière rigoureuse l’influence religieuse. Le film est tourné près de quartiers juifs orthodoxes et parfois, comme nous allons pouvoir le voir, avec leur participation.

274 Entretien avec Michel Abramowicz, le directeur de la photographie.

181

2. Reflets de la société israélienne

À 12 heures, je rejoins les figurants qui se trouvent dans la cour de la Paulus Haus275, je m’entretiens

rapidement avec deux Israéliens incarnant deux officiers de l’ONU puis trois résidents arabes

(palestiniens) qui jouent des bellboys arabes276.

Les figurants que je dois garder reflètent encore une fois une diversité des habitants du pays :

deux ouvriers palestiniens jouent des ouvriers arabes (amenés par Hassan, souvent, ils ne se

mélangent pas avec les autres), un chanteur d’origine yéménite qui joue de la guitare et chante entre

les prises. De nouveaux immigrants : un de l’ex-URSS, arrivé en 1989 qui fait des études en biologie

et un des États-Unis met en scène l’orchestre symphonique de Jérusalem277.

Sur le tournage, tous les pans de la société israélienne semblent représentés. Ainsi, si les membres de l’équipe, les comédiens, les assistants et les techniciens étaient dans leur grande majorité des juifs laïques, les figurants à Jérusalem étaient surtout religieux. C’est d’ailleurs parmi les figurants que ce creuset se ressentait le plus. L’autre communauté de la ville la plus représentée parmi les figurants était les Arabes, majoritairement issus de Jérusalem-Est.

Les deux communautés (juifs orthodoxes et arabes) représentaient près d’une centaine de personnes soit près de 20 % du contingent total des figurants. Parmi les autres figurants, il y avait également trois réfugiés soudanais, des « olim », nouveaux immigrants, des Israéliens d’origine yéménite, une survivante de la Shoah autrichienne devenue silhouette à la retraite, une femme qui travaille dans l’univers de la High-Tech et qui a repris des cours de théâtre.

275 La Paulus Haus est un hospice et une école pour filles chrétienne allemande située à Jérusalem. Plusieurs scènes ont été tournées dans ses locaux. 276 Extrait du journal de terrain, 16e jour de tournage, le 16 avril 2012. 277 Extrait du journal de terrain, 3e jour de tournage, le 27 mars 2012.

182

Cette grande diversité était due au nombre de figurants, près de 480 en tout sur toute la période du tournage et à la volonté d’Avi Nesher, d’avoir des figurants authentiques qui devaient refléter une certaine réalité, avec la participation des habitants de la ville278.

Cette diversité d’origines a également comme conséquence une diversité de langues qui est parfois compliquée à gérer :

Dans l’hôpital, je m’occupe de faire signer les figurants palestiniens (originaires de Jérusalem-

Est) et de les faire attendre dans le jardin. Très souvent, je dois remplir le formulaire à leur place

car ils n’écrivent pas en hébreu. Mahmoud les accompagne. Un travailleur de l’hôpital Hansen

s’improvise traducteur et aide Shuli à leur expliquer ce qu’ils doivent faire279.

3. Similitudes avec les Kibboutzim

Certains éléments de l’organisation du tournage pouvaient rappeler celle d’un kibboutz, qui lui- même pourrait être analysé comme un type d’« institution totale » Notamment la cantine du plateau où tous les membres de l’équipe et quelque soit leur statut mangeaient le même repas et qui pouvait rappeler le restaurant collectif des membres d’un kibboutz.

Certains techniciens qui travaillaient sur le tournage étaient issus de kibboutzim et ils seraient nombreux sur tous les tournages en Israël, notamment parmi les machinistes selon Roy Mano, chef machiniste et ancien kibboutznik.

278 Voir Chapître VI IV. « Authenticité des figurants » p. 208. 279 Extrait du journal de terrain, 9e jour de tournage, le 4 avril 2012.

183

« Il y a énormément de gens des kibboutz dans ce milieu, sur ce plateau en l’occurrence il n’y en a pas beaucoup, c’est pas représentatif. Le dernier plateau où j’étais, la moitié de l’équipe

était composé de kibboutznik280 ! ».

Cette surreprésentation de kibboutzniks était due, selon lui, à l’expertise technique acquise dans le kibboutz.

Il y a quelque chose lié à l’expérience technique du kibboutz. Moi, j’ai un profil technique. Le

kibboutz m’a donné une base. Au kibboutz, j’ai appris à souder, à encadrer, à travailler le bois et

ici je peux mettre en pratique ces compétences. Ce travail d’équipe, il me convient, et aussi peut-

être l’éducation à “l’ambition” au “succès” est moins importante, par exemple dans ma

génération, il n’y a aucun avocat et aucun médecin. Comme on dit qu’une mère veut que son fils

soit médecin ou avocat. Mais je n’ai pas vraiment d’explication sur l’attirance de ces métiers

auprès des kibboutzniks. […] Beaucoup sont électros, ou dans la régie parce que, dans la plupart

des kibboutz, on fait des permis Gimel (poids lourd) C’est dans l’intérêt du kibboutz d’avoir un

permis pour conduire des camions. Du moins, c’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur

les plateaux parce que j’avais un permis pour conduire un camion281.

Enfin, selon lui, les kibboutzniks auraient également une meilleure éthique de travail qui favoriserait leur recrutement.

« La morale du travail (le travail bien fait) c’est pour moi une des raisons pour lesquelles les kibbutzniks viennent travailler sur les plateaux282. »

280 Extrait de l’entretien avec Roy Mano, chef machiniste. 281 Extrait de l’entretien avec le chef machiniste Roy Mano. 282 Extrait de l’entretien avec le chef machiniste Roy Mano.

184

CONCLUSION DU CHAPITRE 5

Les notions de cadre et d’institution totale nous permettent d’isoler le tournage comme un espace social temporaire particulier avec ses règles et ses caractéristiques propres. Toutefois, en ce qui concerne le tournage de Plaot, aucune scène n’étant tournée en studio, il ne pouvait

être totalement séparé de la réalité extérieure. Ainsi, selon les volontés du réalisateur, le tournage s’alimentait de temps à autre de la réalité qui l’entourait, il s’agissait de négocier notamment via l’équipe régie pour que cette « réalité » ne nuise pas à la bonne marche du tournage.

La question y a-t-il une manière de tourner à l’israélienne que nous posions au début de ce chapitre donne lieu à une diversité de réponses. Ce qui ressort, c’est d’un point de vue objectif, une tendance à faire des tournages avec une économie de moyens (comparativement avec ce qui se fait en France et aux États-Unis) et qui est revendiquée comme une marque de fabrique par ses instigateurs.

Cette économie de moyens s’allie à une implication importante de la part de ses participants mais qui n’évite pas des comportements plus laxistes qui seraient moins tolérés sur les plateaux français ou américains (par exemple ne pas se taire quand on demande le silence sur le plateau) mais qui paradoxalement se justifie par le manque de moyens (et la forte incertitude des carrières) affiché. Elle est caractérisée par une importance donnée à la solidarité, l’aspect collectif du travail, notamment par les membres de l’équipe qui venaient des Kibboutzim mais

également par le réalisateur, qui prône, comme nous l’avons vu, une idéologie collectiviste

(jusqu’à un certain point) du travail de réalisateur.

185

Enfin, sur ce tournage, la forte propension des figurants « locaux », notamment ceux issus des populations ultra-orthodoxes et arabes, également les fêtes religieuses et l’actualité liée à la situation géopolitique de la région accentuaient l’impression d’une spécificité culturelle sur un lieu de travail qui respecte pourtant des normes similaires partout dans le monde.

C’est ce dernier point que nous explorons dans le sixième chapitre de cette thèse en nous intéressant à la notion d’authenticité.

186

C H A P Î T R E 6 TOURNAGE ET AUTHENTICITÉ

INTRODUCTION DU CHAPITRE 6

Dans une première partie, nous nous intéresserons aux ressorts de l’authenticité sur le tournage de Plaot. Comment, partie d’un désir du réalisateur, elle a irrigué tout le tournage du film.

Dans une deuxième partie, nous analyserons le choix de tourner à Jérusalem et les implications de ce choix sur le tournage, notamment le fait de filmer dans des quartiers sensibles de la ville.

Dans une troisième partie, nous verrons comment l’équipe de tournage a interprété la volonté du réalisateur de tourner dans des décors authentiques et les solutions trouvées pour répondre à cette demande.

Enfin, dans une quatrième partie, nous nous intéresserons au rôle essentiel joué par les figurants sur le tournage, vecteurs d’authenticité sur le plateau, et notamment la manière dont sont recrutés les figurants issus de communautés difficilement mobilisables pour le tournage d’un film comme les juifs ultra-orthodoxes.

187

I — RESSORTS DE L’AUTHENTICITÉ SUR LE TOURNAGE

Avi Nesher avait la volonté de réaliser le film le plus authentique possible, ce qualificatif est par ailleurs revenu trente-cinq fois en tout dans les trente entretiens réalisés, il ressortait donc comme un élément essentiel de la fabrication du film.

Dans son article sur l’authenticité dans l’art, « Le faux comme révélateur de l’authenticité »,

Nathalie Heinich développe que « l’un des critères majeurs d’authenticité est l’assurance de la continuité d’un lien entre l’objet et son origine, ici son créateur » (Nathalie Heinich, 2009, p. 68). Elle cite ainsi la définition du Petit Robert : « Ce qui émane réellement de l’auteur auquel on l’attribue. » Elle ajoute que le second sens de l’authenticité est la « qualité d’une personne, d’un sentiment, d’un événement » qui renvoie à la « sincérité, au naturel et à la vérité ». Nous avons donc ici une définition à la fois objective et subjective de l’authenticité.

Des chercheurs comme Richard A. Peterson ont, eux, montré comment l’authenticité était un concept avant tout construit et déclaré par leurs possesseurs. (Peterson, 2005).

La volonté de faire un film authentique pour Avi Nesher avait comme double conséquence le recrutement de figurants issus des communautés qu’il voulait mettre en scène et le tournage en décors réels.

Je pense qu’un lieu doit être un personnage du film à part entière, un peu comme Paris dans le

fabuleux destin d’Amélie Poulain. J’aime beaucoup faire participer des gens du lieu au film ; je

déteste être une sorte d’« organisme colonisateur », j’aime quand les habitants du quartier

participent en étant des figurants ou des assistants283.

Avi Nesher a pris l’habitude d’appliquer ces modalités de tournage dans ses précédents films.

283 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher.

188

Il y a des gens qui ont peur de tourner en extérieur, moi j’adore. Pour Les Secrets, certains m’ont

dit qu’à Safed, les gens ne nous laisseraient pas tourner. C’est un film osé qui parle de féminisme

religieux. Mais cela s’est très bien passé. Sur Au bout du monde à gauche, on avait des figurants

de Dimona, ils étaient formidables. C’était un plaisir, les gens venaient et ils avaient des idées et

des suggestions. Il y a cette magie dans le fait de tourner dans le lieu où l’action est censée se

passer284.

Comme me l’explique Ohad Domb, ce désir d’authenticité s’est illustré dès l’écriture du film qui s’est déroulée dans les lieux même du tournage.

Six mois avant le tournage à peu près, il cherchait un quartier qui pourrait lui donner une bonne

atmosphère pour écrire. Il pensait à Ein Karem, puis il est venu avec Shaanan Street qui lui a

proposé d’aller faire un tour à Nahlaot. Enfin, j’ai suggéré Musrara aux deux et ils sont tombés

d’accord, nous avons donc commencé par ce quartier285.

Les décors ont ainsi influé sur l’écriture et le tournage du film.

Avi Nesher est le premier réalisateur que je connais qui demande des choix de lieux pour écrire.

Pendant la phase de repérages, pendant deux mois, chaque jour il me demandait de trouver

plusieurs lieux puis je revenais et il en choisissait un parmi mes choix. Ce qui était le plus

gratifiant c’est que j’ai pu changer le scénario grâce aux lieux que j’avais choisi ! J’étais impliqué

dans l’écriture du scénario286.

284 Ibid. 285 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 286 Ibid.

189

L’équipe devait donc jongler entre les désirs du réalisateur et ce qu’il était possible de faire en réalité. Comme le note Gwenaële Rot « la recherche de décors suppose un travail de traduction : il s’agit d’établir des correspondances entre une idée et des possibles relativement limités ».

(Gwenaële Rot, 2013, p. 168).

190

II — TOURNER À JÉRUSALEM ET DANS DES ZONES SENSIBLES

1. Le rôle de la Jerusalem Film Fund

Avi Nesher avait le désir de représenter Jérusalem comme un véritable personnage à part entière : « Pour ce film en particulier, je voulais faire quelque chose autour de Jérusalem, certains aspects de cette ville, son côté Lewis Carollien, l’existence d’une ville du haut et d’une ville du bas287. »

Ce désir a été récompensé par l’investissement du fonds d’aide à la production de la ville, qui participe à hauteur de 13 % du budget total du film. Ce fond, la Jerusalem Film Fund appartient

à la municipalité et a été créé en 2008 pour développer la production de films dans la ville et mettre en avant l’« image et la culture de Jérusalem ». Le fonds a financé plus de soixante films et séries depuis sa création. Auparavant, Jérusalem n’était pas le lieu de tournage le plus populaire, Tel Aviv était le centre des sociétés de production et du monde du cinéma.

Le fond a clairement changé la donne avec un nombre croissant de films et de séries produits dans la ville. Yoram Honig, le directeur du fond m’explique son fonctionnement et la raison pour laquelle ils ont choisi de soutenir le film d’Avi Nesher.

Pour obtenir l’aide, « 50 % du scénario doit se passer à Jérusalem, 50 % du tournage et ¼ du budget doivent être dépensés dans la ville. La mairie s’occupe, elle, de la coordination de production, le fond, lui, plutôt de l’aide au scénario et des problématiques créatives. »

Selon Honig, le fond recherche un point de vue « original » sur la ville, dans le cas de Plaot, ce qui était intéressant c’était le « renversement entre le sacré et le non sacré, c’est le jeune homme qui fume des pétards qui se révèle être le personnage le plus juste du film alors que tous les religieux sont fous288. »

287 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 288 Entretien avec Yoram Honig, directeur de la Jerusalem Film Fund.

191

Ce qui a également compté, c’est la collaboration d’Avi Nesher avec un Jérusalémite, le rappeur

Sha’anan Street.

Pour Plaot, ce qui a compté c’est le fait qu’Avi Nesher ait choisi d’écrire son film avec un natif

de Jérusalem le chanteur Shaanan Street qui connaît bien tous les recoins de la ville. Très souvent,

nous conseillons à des gens qui ne connaissent pas du tout Jérusalem de recruter un conseiller

artistique qui connaît bien la ville289.

Le fond intervient également au moment du tournage, il facilite le tournage dans certains lieux mais aussi lors du montage, pour donner des conseils artistiques sans pour autant influencer le montage du film.

Enfin, le fond facilite le tournage dans les zones sensibles de la ville en mettant en contact l’équipe avec des « fixeurs » locaux et la police.

Pour le tournage dans les zones « difficiles » comme la Porte de Damas que nous trouvions

intéressante dans Plaot, l’équipe était en contact avec la police et nous leur donnions des conseils

sur les lieux et dates auxquelles elles pouvaient tourner. Nous leur demandions toujours de tout

revérifier 24 heures avant la date prévue de tournage pour être sûr d’avoir toutes les autorisations

demandées290.

2. Jérusalem est une frontière

« À Jérusalem, tu ne peux pas faire comme à Tel Aviv, il faut parler le « Jérusalémien ». Je le disais à tout le monde, on ne peut pas leur crier dessus, on est des invités291. »

289 Ibid. 290 Entretien avec Yoram Honig, directeur de la Jerusalem Film Fund. 291 Entretien avec Ohad Domb, repéreur.

192

De nombreux chercheurs soulignent le fait que derrière l’image d’une ville unifiée se cachent en fait différentes villes qui correspondent à des populations différentes292.

La ville est également le lieu d’un conflit politique, religieux et territorial. Deux conflits majeurs : les conflits entre Palestiniens et israéliens notamment sur les lieux saints comme l’esplanade des Mosquées ou le mont du Temple et le conflit entre laïcs et religieux au sein même de la population juive de la ville.

Ainsi, le nombre de religieux est de plus en plus important et les laïcs se sentent menacés et quittent la ville. Entre 2011 et 2013, en moyenne 34 % des habitants juifs de Jérusalem de plus de vingt ans se déclaraient être ultra-orthodoxes alors qu’ils représentent 9 % de la population juive en Israël au total. En comparaison, 20 % se considèrent laïcs parmi la population juive de

Jérusalem alors qu’ils représentent 43 % des Israéliens au total. Jérusalem est la ville d’Israël qui compte le pourcentage le plus élevé d’ultra-orthodoxes et le pourcentage le plus bas de laïcs de tout le pays293.

Pour Avi Nesher, l’intérêt de tourner à Jérusalem, résidait ainsi dans ce qu’elle symbolisait : la frontière, le nœud d’un conflit à la fois géopolitique et religieux.

« La religion symbolise un lien de couture dans notre société qui est aussi spécifique à

Jérusalem, on le voit encore dernièrement avec ces religieux qui ne souhaitent pas servir à l’armée et qui protestent. Il est donc important de présenter ces conflits dans les films car c’est inséparable de la réalité, ici294 ».

Le film a été tourné dans des lieux emblématiques comme la place Tsahal, la vieille ville à

Jérusalem-Est, le quartier de Nahlaot. Enfin, pendant une semaine, le tournage se passa dans le quartier de Musrara proche du quartier ultra-orthodoxe de Méa Shaarim295.

292 Voir notamment Menahem Klein, Jerusalem : The contested city, NYU Press, 2001. 293 Maya Choshen, Michal Korach Jerusalem : Facts and Trends 2015, The Jerusalem Institute for Israel Studies, 2015. 294 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 295 Le quartier de Méa Shéarim s’est constitué à partir de 1874 par des ultra-orthodoxes comme une enclave séparée du reste de la ville et de son mode de vie laïque. (Gutwirth, 2004).

193

Ce dernier choix n’était pas innocent mais mûrement réfléchi comme me l’expliquait le réalisateur.

Shaanan Street, le co-scénariste a lui aussi influencé cette géographie en tenant à inscrire la frontière est-ouest entre la ville « juive » et la ville « arabe »/« palestinienne », qui elle, est beaucoup moins visible dans le film.

Dans le scénario, la scène de rencontre entre Ella et Arnav devait se passer dans la partie est de la

ville. C’est quelque chose que Shaanan Street a apporté, l’importance de cette frontière est-ouest

qu’on passe d’un monde à l’autre dans la même ville. Avi voulait au départ que la rencontre se

passe sur un toit d’où l’on pouvait voir la vieille ville, le Dôme du Rocher296.

3. Les difficultés spécifiques d’un tournage à Jérusalem

Malgré l’aide de la Jerusalem Film Fund, le tournage à Jérusalem était vu par la majorité des membres de l’équipe de tournage comme difficile pour de multiples raisons.

Selon Ohad Domb, habitant de Jérusalem et repéreur, cette difficulté était liée à la spécificité de ses habitants. « À Jérusalem, tu ne peux pas faire comme à Tel Aviv, il faut parler le

“jérusalémien”. Je disais à tout le monde on ne peut pas leur crier dessus, on est des invités297. »

Par ailleurs, Jérusalem pose des problèmes spécifiques, liés à son urbanisme dense et au choix du réalisateur de travailler dans des quartiers sensibles avec des populations « difficiles à appréhender ».

Jérusalem est une ville difficile pour un tournage. Tout d’abord parce qu’il n’est pas facile d’y

circuler, et puis parce que les ultra-orthodoxes et les Arabes sont deux communautés qu’il est très

296 Entretien avec Ohad Domb, le repéreur. 297 Ibid.

194

difficile d’appréhender. C’est un challenge plus grand que de tourner dans les environs de Tel

Aviv. Là-bas, il y a d’autres problèmes. Mais, malgré tout, je ne trouve pas qu’il y ait eu de

problèmes particuliers pendant le tournage298.

Filmer à Jérusalem est aussi plus cher et plus compliqué qu’à Tel Aviv.

Oui, tout est plus cher. Oui, il faut faire venir tout le monde de Tel Aviv, le buffet qui vient de

Tel Aviv. C’est un buffet spécialisé dans les productions, qui n’existe pas à Jérusalem. Les gens

ont leur standard dans les productions. Et il faut qu’il y ait des gens qui restent toute la journée et

une nourriture spécifique. Le travail devant la mairie et toutes ces choses, même si ça s’est

beaucoup amélioré, ils sont devenus beaucoup plus productifs. Mais c’est un travail encore

compliqué, chaque chose demande des permis, des procédures, des choses, des fonds et une

procédure compliquée. Et dans le centre (à Tel Aviv) ils sont plus habitués, tu viens, tu demandes

et tu reçois. Bonjour, au revoir299.

Enfin, il y avait ceux, souvent des habitants laïques du centre du pays, qui n’aimaient pas du tout la ville et y tourner. Ils étaient particulièrement irrités à l’idée de devoir dormir loin de chez eux.

J’ai déjà travaillé à Jérusalem. C’était un cauchemar, comme d’habitude. Je n’aime pas Jérusalem.

Il y fait froid, la météo est différente, les choses se gèrent différemment, je l’ai moins senti en tant

qu’assistante-réalisatrice. Mais quand je travaillais dans la production à Jérusalem, parce que chez

eux tout est différent, ils ne comprennent pas. Je ne connais pas Jérusalem. Les nuits à Jérusalem,

ce n’était pas très sympa300.

298 Entretien avec Dudi Silber, producteur. 299 Entretien avec la coordinatrice de production, Hannah de La Pergola. 300 Entretien avec Noah Ginton, assistante-réalisatrice.

195

4. Tournage dans des zones sensibles : les quartiers ultra-orthodoxes

L’un des principaux défis du tournage était de filmer dans des quartiers où la caméra ne semblait pas a priori la bienvenue comme les quartiers ultra-orthodoxes de la ville.

Jonathan Mesiguish, le recruteur de figurants ultra-orthodoxes aime me rappeler combien Méa

Shéarim est un autre monde séparé du reste de la ville.

Parfois, quand je vais au centre-ville j’ai l’impression d’aller dans un autre monde. Quand je

reviens et que je traverse la route pour aller à Mea Shearim, je sens un autre air, d’autres pensées

et d’autres gens le ressentent également. Tu commences à te comporter différemment, c’est

quelque chose que tu vois distinctement. Comme si tu traversais une frontière sauf que tu n’as pas

de tampon dans ton passeport301.

Il était impossible de tourner dans le quartier de Mea Shearim, les tournages y étant interdits.

C’est pour cela que le tournage eut lieu dans le quartier limitrophe de Musrara où la population

était plus mixte mais où vivaient majoritairement des ultra-othodoxes. Une semaine de tournage a été effectuée dans la même rue, qui a été fermée à la circulation. Quelles étaient donc les implications et conséquences d’un tournage dans ces quartiers sensibles ?

Avi Tov, le responsable du repérage m’explique comment il repérait et apprivoisait le voisinage de ces quartiers, souvent hostile à l’idée qu’un film puisse s’y tourner.

Oui, ce sont de lieux sensibles, compliqués. Le but c’est de “vivre” dans le lieu. Ce que je veux

dire par là : être là-bas du matin jusqu’au soir, savoir ce qui s’y passe : si on y fait des travaux,

quand est-ce qu’on vient chercher les poubelles, qui sont les voisins, les boutiques aux alentours.

301 Entretien avec Jonathan Mesiguish, recruteur des figurants ultra-orthodoxes.

196

Toute l’information que tu peux recueillir du terrain : quelles voitures appartiennent à qui, tout

ça, tu dois le connaître et pour gérer le lieu de manière idéale, tu dois y vivre. On a tout simplement

vécu là-bas, plusieurs semaines. Nous sommes également passés par l’intermédiaire de la mairie.

Tout le monde était impliqué dedans302.

Tels des espions, les responsables de repérage ont vécu plusieurs semaines fondus dans la population et ont développé des liens d’amitié avec les habitants.

C’est tout un processus. Tu dois savoir à qui tu as affaire, tu dois étudier la population, étudier le

style de vie, qui ils sont. Rentrer dans le territoire de ces gens, dans leur rue, leur maison ce n’est

pas quelque chose qui se fait comme ça. Il faut toujours respecter l’endroit où tu es et te rappeler

que tu n’es qu’un visiteur. Tu viens, tu filmes quelques jours et tu pars. Mais tu as un poids

important sur la vie de ces gens pendant cette période, tu leur changes la vie, tu dois toujours t’en

souvenir. Ils étaient là avant et ils seront là après, tu n’es qu’un invité303.

Des négociations se mettent en place pour convaincre les habitants du bien-fondé du projet.

Pour la rue Daniel à Musrara, c’était plus compliqué jusqu’au début du tournage, il a fallu

convaincre tous les voisins du bien-fondé du film et notamment un voisin récalcitrant. Finalement,

son fils, qui est venu habiter dans le quartier, a accepté que l’on installe des lumières près de chez

lui304.

On a tourné dans un quartier mixte avec des orthodoxes et des laïcs, l’appartement utilisé

appartenait à des Braslav305, notamment un célibataire de 60 ans. Pendant trois mois, je suis venu

302 Entretien avec Avi Tov, responsable des repérages. 303 Ibid. 304 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 305 Les Braslav sont une branche du mouvement juif hassidique fondé par le rabbin Nahman de Braslav.

197

tous les jours parler avec les voisins et vérifier que rien n’avait changé. C’est ce qui a compté, je

suis devenu leur ami et ça a grandement facilité les choses306.

Pour d’autres membres de l’équipe, c’est la rencontre avec les habitants ultra-orthodoxes de ces quartiers qui semblait être une expérience exotique.

J’ai déjà tourné à Jérusalem sur des petits projets, la rencontre avec les enfants du quartier ultra-

orthodoxe était intéressante. Rencontrer des enfants qui n’ont pas vu de film ou de tournage de

leur vie m’a permis de voir tout ce qu’on faisait, de nouveau, comme si c’était la première fois.

C’était comme apprendre à quelqu’un quelque chose de très basique. Tu ne peux rien leur

expliquer : ce qu’est un close-up, le montage c’était très intéressant. J’ai vu beaucoup de curiosité

et de patience même si les habitants de Jérusalem sont censés être impatients et autour de nous,

j’ai vu beaucoup plus d’intérêt pour ce qui se passait307.

5. Tournage dans des zones sensibles : Jérusalem-Est

Le 16 avril 2012, (16e jour de tournage), quatre scènes sont tournées à Jérusalem-Est près de la

Porte de Damas, à deux pas d’une station de bus centrale d’où partent tous les bus pour la

Cisjordanie. Trois sont tournées à l’extérieur et à l’intérieur de la Paulus Haus, une église, école et maison d’hôte chrétienne allemande construite en 1878. Le centre de production est situé à l’intérieur du bâtiment. La dernière scène tournée l’après-midi est filmée dans la pâtisserie renommée « Eiffel Sweets », sur la rue Sultan Suliman, une longue artère qui longe les murs de la Vieille ville.

Cette journée de tournage a nécessité une préparation sans précédent, une demande d’autorisation deux semaines avant le tournage, avec la présence de la police (deux agents

306 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 307 Entretien avec Sivan Tseelon, responsable des accessoires.

198

armés) et deux gardes privés. Un fixeur arabe israélien a été mis à contribution pour sa connaissance de la population. C’est la première fois qu’autant de mesures de sécurité sont prises sur le tournage.

« Le tournage à Jérusalem-Est. C’est Shaanan Street qui connaissait l’endroit, c’est une pâtisserie très connue à Jérusalem. Avi Tov, le responsable logistique des repérages connaissait un fixeur Rami Hativ, un Arabe israélien citoyen de la ville qui nous a aidés à organiser le tournage sur la rue308. »

Il a fallu également négocier pour utiliser le décor d’une école en activité et convenir d’une date qui convenait à tout le monde. Pour ce faire, l’argument économique a semblé l’emporter sur l’intérêt de préserver la sérénité du lieu.

Finalement, on a trouvé ce Paulus Haus, cet hospice et école chrétienne allemande. La première

fois, ils n’étaient pas vraiment d’accord, ils ne voulaient pas par exemple que l’on filme sur leur

toit. Finalement, ils ont accepté que l’on utilise certaines de leurs salles contre une « donation »

comme on dit aux États-Unis, « Money talk ». C’était compliqué car il fallait trouver une date où

leurs élèves n’étudiaient pas. Nous avons finalement décidé de tourner pendant les vacances de

Pâques, deux mois avant le tournage309.

La scène 33 est aussi l’une des seules qui met en scène un personnage arabe avec une référence aux préjugés que peuvent en avoir les Israéliens.

308 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 309 Ibid.

199

Il s’agit d’une scène où les personnages d’Arnav et de la mystérieuse Ela se promènent dans la

vieille ville lorsqu’un citoyen arabe (une silhouette) court en criant, elle prend peur et prend son

bras. Le résident arabe vient en fait négocier avec un policier qui est en train de mettre une amende

sur sa voiture mal garée310.

C’est aussi pendant le tournage de ces scènes qu’une discussion autour du conflit se fait entendre parmi les participants israéliens et arabes/palestiniens. La discussion a lieu alors que ces figurants portent des vêtements qui eux-mêmes font référence aux images du conflit

(officiers de l’ONU, bellboys arabes, des bonnes sœurs). Le chevauchement des cadres, réalité du tournage et fiction semblent mêlés.

À 12 heures, je rejoins les figurants qui se trouvent dans la cour de Paulus Haus. Je m’entretiens

rapidement avec deux Israéliens incarnant deux officiers de l’ONU puis trois résidents arabes qui

jouent des bellboys arabes. À côté, se trouve Mahmoud que je n’ai pas le temps d’interviewer

mais avec qui je parle rapidement. Il est le patron de Hassan et travaille pour la société de Casting

Take 2, c’est lui qui s’occupe du casting des figurants arabes. Très vite, il se plaint d’un contexte

politique tendu pour les Arabes. La production ne prendrait pas en compte les particularités de

travailler avec des citoyens arabes. La veille de notre premier jour de tournage au-delà de la ligne

verte, a eu lieu l’opération « Bienvenue en Palestine », 15 avril 2012311, des militants pro-

palestiniens ont été refoulés à l’aéroport Ben Gourion. Mahmoud engage ensuite la conversation

avec une figurante juive américaine, il affirme que les Israéliens font passer exprès des armes à

Gaza. La figurante n’en croit pas un seul mot et objecte. Mais ils terminent leur discussion sur

cette phrase : les Juifs et les Arabes sont les pires peuples du monde, ils sont cousins et

continueront à se disputer312.

310 Extrait du journal de terrain, 16e jour de tournage, le 16 avril 2012. 311 Article « Bienvenue en Palestine », Wikipedia, wikipedia.org/wiki/Bienvenue_en_Palestine (consulté le 1er décembre 2012). 312 Extrait du journal de terrain, 16e jour de tournage, le 16 avril 2012.

200

6. Tournage dans des zones sensibles : Tekoa

Le décor de tournage le plus controversé pour une partie de l’équipe était la colonie de Tekoa, située dans les territoires palestiniens, 16 km au sud de Jérusalem. Une journée entière de tournage y est consacrée au lendemain du tournage à Jérusalem-Est.

Sept cents familles vivent à Tekoa. La nature est magnifique : des ruines surplombent un canyon

dessiné dans la roche avec des crevasses. La colonie de Tekoa se trouve en face. Pendant le

tournage, Tal Sherman, l’un des décorateurs, note : « c’est très beau, la Palestine ». (Plus tard lui

et Sivan me raconteront qu’ils ont fait des petites visites à Ramallah). La veille, dans la feuille de

service, une petite note de l’équipe de repérage nous informe des recommandations de tournage

en milieu naturel : apporter de l’eau, de la crème solaire, ne pas jeter des déchets dans la nature,

etc.313.

Dans ces scènes, les héros suivent le rabbin et ses kidnappeurs devant le tombeau du prophète

Amos314. Le vrai tombeau d’Amos ne se trouvait pas exactement dans la colonie de Tekoa mais un peu plus loin, dans le village limitrophe de Takua, qui est en zone A, c’est-à-dire sous contrôle palestinien.

Tekoa était le seul endroit qui présentait une similitude avec l’endroit réel que le réalisateur voulait mettre en scène. Il a fallu donc négocier avec le producteur, Dudi Silber, qui ne souhaitait pas, à l’origine, tourner là-bas. La volonté du réalisateur est passée avant les considérations politiques de chacun.

313 Extrait du journal de terrain, 17e jour de tournage, le 17 avril 2012. 314 Amos fait partie des douze petits prophètes de la Bible, ses prophéties sont réunies dans le livre d’Amos. Il est originaire de Tekoa.

201

Vous avez filmé à Tekoa, qui est une colonie. Est-ce que cela a constitué un quelconque

problème ?

Non. Mais moi, j’avais un problème avec ça, ce n’était pas bien, parce que je considère que c’est

à l’extérieur du territoire israélien.

La décision d’y tourner est venue d’où ?

La tombe du prophète Amos est dans les environs.

Pourquoi n’avez-vous pas tourné près de la tombe ?

Je ne sais pas, je n’ai pas vu cette tombe, peut-être qu’elle n’était pas assez convaincante…J’aurais

préféré ne pas tourner là-bas à titre personnel.

Comment la décision d’y tourner s’est faite ?

C’est ce que le réalisateur voulait315.

En réalité, c’était Ohad Domb, le repéreur, qui avait proposé ce lieu de tournage à Avi Nesher.

Tekoa, c’est moi qui l’ai proposé à Avi. À l’origine, la scène devait se passer dans le vrai tombeau

d’Amos mais celui-ci se trouve dans le village palestinien de Takua qui se trouve en zone A en

face du village Tekoa, et auquel les Israéliens n’ont pas accès. […] J’ai trouvé ce canyon avec ces

ruines d’un couvent sur ceux d’un ancien temple construit par les romains, très bucolique et plein

de fleurs. Il y avait ce pilier et on a décidé qu’on le transformerait en tombeau du prophète Amos.

Le choix d’Amos ne s’est d’ailleurs pas fait par hasard car c’est un prophète qui a un rôle social

important. Personne ne sait vraiment à quoi ressemble le tombeau d’Amos (qui est juste un

tombeau creusé dans la pierre), donc on pouvait se le permettre, ce n’est pas comme s’il s’agissait

du mur des Lamentations ou du Tombeau des Patriarches à Hébron dont tout le monde connaît

l’apparence316.

315 Entretien avec Dudi Silber. 316 Entretien avec Ohad Domb, repéreur.

202

Ainsi, un décor devait être reconstruit pour représenter un autre lieu existant malgré la volonté d’authenticité initiale. Il semblait parfois nécessaire de reconstruire pour satisfaire les désirs du réalisateur ou pour rester dans les limites du budget établi.

203

III — AUTHENTICITÉ DES DÉCORS

1. Décors réels et reconstruits

Parfois, la réalité voulue par le réalisateur n’existe plus. Gwenaële Rot cite un responsable militaire chargé de l’accueil des tournages qui raconte comment la réalité des chambres des sous-officiers ne correspondait plus à celle imaginée par le réalisateur. (Gwenaële Rot, 2011 p. 91).

Malgré le désir initial de réalisme du réalisateur et tous les efforts consentis pour le satisfaire, l’authenticité des décors était souvent artificielle et reconstruite. Ainsi, des scènes censées se passer à l’intérieur d’un bar et une discothèque situés à Jérusalem, ont été tournées dans des bars à Jaffa et à Tel Aviv.

Ce besoin de reconstruction est allé même plus loin, ainsi il s’est avéré plus facile de réaménager un kiosque existant pour que le spectateur ne puisse pas voir qu’il était filmé dans un quartier différent de Jérusalem.

Pour la scène tournée dans le quartier de Nahlaot, je connaissais en fait le directeur du centre

dans lequel on a tourné, c’est un ami à moi. On a tout reconstruit avec l’aide du directeur

artistique pour qu’on ait l’impression qu’on est dans le même quartier à Musrara. Cela fait aussi

partie de mon boulot317.

La reconstruction d’une authenticité défaillante était aussi présente dans la manière d’organiser la direction artistique du tournage, même si plusieurs artistes ont participé à la préparation et à l’écriture, c’est finalement les membres de l’équipe décoration qui devaient souvent réaliser les

317 Entretien avec Ohad Domb, repéreur.

204

œuvres sur le plateau, alors qu’ils n’avaient pas nécessairement les bonnes compétences pour le faire.

Quand j’ai une pause, j’en profite pour aller voir ce que fait l’équipe décoration, Tal Sherman

(que tout le monde appelle Sherman) dessine une sorte de vers de terre censé être dessiné par le

personnage d’Arnav, il avait déjà dessiné des caméras la première semaine de tournage, rue

Daniel. Je lui demande s’il a déjà dessiné des graffitis, il me répond que non318.

2. Arbitrage entre contraintes et tournage en décors réels

« Il [Avi Nesher] cherchait toujours des endroits authentiques, très difficiles à obtenir tandis que le producteur pensait avant tout à l’argent que ça allait coûter…319. » Cette phrase du repéreur Ohad Domb, résume bien les problématiques rencontrées dans le travail de repérage.

Le budget serré du film, bien que relativement important pour un long-métrage en Israël, obligeait les équipes à trouver des astuces pour rester dans les frais. Pour autant, l’équipe de trois personnes qui s’occupait du repérage ne ménageait pas ses efforts pour satisfaire le désir d’authenticité d’un réalisateur qu’ils admiraient.

Il savait déjà en avance quels lieux il voulait utiliser, c’est un réalisateur avec beaucoup

d’expérience, alors qu’il écrivait le scénario, il savait où il voulait filmer ce film. Son point fort

c’est qu’il était prêt, il savait précisément ce qu’il voulait, comment, combien et pourquoi. Et on

le voit sur le terrain320.

318 Extrait du journal de terrain 10e jour de tournage, le 05 avril 2012. 319 Entretien avec Ohad Domb, repéreur. 320 Entretien avec Avi Tov, responsable des repérages.

205

L’équipe de repérage se trouvait donc au cœur des négociations entre le désir d’authenticité, les contraintes économiques du tournage et les demandes des vrais habitants des lieux. Alors qu’ils prennent souvent le parti du réalisateur, ils doivent aussi composer avec les autres acteurs du tournage, ceux qui l’organisent et pour qui un décor additionnel peut mettre à mal un plan de travail déjà préparé depuis longtemps.

Toutefois, le réalisateur lui-même pouvait être flexible, comme souligné par le reste de l’équipe, il était capable de changer le scénario pour l’adapter aux décors et revoir pour ainsi dire sa vision initiale321.

321 Voir chapitre III, IV.3 « Impact des contraintes sur la création : difficultés ou opportunités ? » p. 94.

206

IV — AUTHENTICITÉ DES FIGURANTS

Le réalisateur, Avi Nesher, avait fait le choix de privilégier des figurants « authentiques », c’est-à-dire des figurants non seulement issus des lieux où était tourné le film mais qui étaient eux-mêmes les personnages décrits dans le scénario. Cette conception de l’authenticité a conduit l’équipe à travailler avec des communautés, notamment religieuses, réputées difficiles

à recruter pour le tournage d’un film.

Il s’agissait donc pour l’équipe en charge des figurants de satisfaire à la fois la condition de fidélité de l’émanation de l’imaginaire de l’auteur (contenue dans le scénario) et le film et la condition de naturel et de réalisme nécessaire pour rendre la fiction crédible.

Les figurants symbolisent le bricolage et l’aspect ludique du tournage d’un film. Ils fournissent

« le chaînon manquant dans ce lien qui rattache […] l’imaginaire de la représentation à la réalité qui le produit et le nourrit » (Sanchis Sinisterra, 1999, p. 35). Comme Emmanuel Grimaud le rappelle : « figurer, c’est simplement être là ». En faisant appel aux figurants, le cinéma devient réaliste « parce qu’il fait déplacer une foule qui constitue un morceau de réalité » (Grimaud,

2004, p. 319).

Cependant les figurants, comme certaines ethnographies de plateau l’ont déjà montré, sont une ressource dispensable et le budget est très souvent alloué en priorité à d’autres postes de dépenses (Seroussi, 2006, p. 89). Les figurants se situent tout en bas de l’échelle artistique et sociale du monde du cinéma et sont condamnés à l’anonymat. Ainsi, leur nom n’apparaît pas toujours sur le générique de fin des films.

Alors qu’ils sont au cœur de toutes les discussions dans la préparation du film, il apparaît sur le terrain que la conception d’authenticité dont ils sont censés être l’ultime représentation est beaucoup plus souple et fragile et dépend des ressources disponibles.

207

Le réalisateur souhaitait ancrer le film dans l’atmosphère particulière de Jérusalem où les figurants « étaient » leurs personnages. En pratique, la réalité était souvent bricolée et les figurants déguisés. Ainsi, des figurants israéliens juifs incarnaient des prêtres chrétiens orthodoxes ou des bonnes sœurs car l’équipe n’avait pas pu en trouver des vrais322.

De plus, le budget limité dédié à la figuration obligeait la 2e assistante-réalisatrice et le chargé de figuration à maximiser l’usage de leurs figurants devant la caméra, quitte à les réutiliser plusieurs fois jusqu’à recruter même des membres de l’équipe et leurs proches si besoin323.

Bien qu’ils étaient recrutés pour leur authenticité et donc une certaine singularité, le travail des figurants, en réalité, était répétitif et se faisait presque à la chaîne324.

Les figurants pouvaient rester sur le tournage pendant des journées entières et, contrairement aux acteurs325, n’avaient aucun contrôle sur leur temps et restaient donc dépendants du bon vouloir de l’équipe de tournage. Pour autant, sur le plateau, leur apport symbolique au film a

été salué par toute l’équipe dans un pays où le statut de figurant n’est toujours pas reconnu par la profession ni la législation.

1. Vraisemblance et réalisme des figurants

Le recrutement des figurants obéit à une « stricte application des codes du réalisme » (Cardon et Lizé, 2013, p. 26) et de « vraisemblance » (Chalvon-Demersay, 2013, p. 88), il s’agit d’obéir le plus « fidèlement à la “réalité” que le réalisateur […] entend représenter à l’écran » (Sigalo

Santos, 2014, p. 18).

322 « C’est parce que nous n’en avons pas trouvé de disponibles, mais bien sûr s’ils avaient pu venir on aurait utilisé de vrais prêtre orthodoxes ! » (Entretien avec le chef de file, Dudi Dorham). 323 J’ai ainsi été utilisée moi-même comme figurante sur une scène. 324 Certains figurants m’ont dit se sentir parfois comme du « bétail ». 325 Les acteurs ne sont présents sur le plateau que pour les scènes où ils apparaissent.

208

Dans notre cas, la « réalité » voulue par le réalisateur Avi Nesher sur Plaot correspondait à une certaine conception de la fabrication d’un film de fiction.

Pour Plaot, l’aura symbolique de Jérusalem (à la fois en tant que lieu principal de l’action du film et ville trois fois sainte) allait avoir des répercussions pratiques jusqu’au recrutement des figurants issus de communautés emblématiques de la ville, notamment des membres de la communauté des haredim326 et des citoyens arabes habitant majoritairement Jérusalem-Est.

Cette conception du casting de figurants et de silhouettes est vue par certains comme passéiste et artisanale, comme me l’explique Dudi Shamir directeur de l’agence qui pourvoyait la majorité des figurants pour Plaot.

Il avait aussi une autre conception de la figuration, il cherchait des gens authentiques qui venaient

du lieu où ils filmaient. Avi Nesher a une conception passéiste de la figuration, on pense toujours

que le figurant doit venir de l’endroit où l’on filme mais en réalité ce n’est pas vraiment le cas.

L’authenticité ne dépend pas toujours de ça, cela dépend des productions327.

Mais Dudi Shamir concède que ce niveau d’authenticité est aussi recherché par d’autres sociétés de production étrangères, ce qui a conduit l’agence à développer son propre département de figurants « arabes ».

Il y a des Juifs qui ressemblent à des Arabes, on a eu plusieurs productions américaines par

exemple comme celle de Tyrant et il y avait des juifs marocains qui jouaient des Arabes. Mais

326 Les haredim, en hébreu les « craignants Dieu » sont les Juifs ultra-orthodoxes vivant en Israël qui sont eux même divisés en de multiples mouvances religieuses. Leur mode de vie se caractérise par une « pratique religieuse stricte » et une volonté de séparatisme du monde laïque. Akadem, « Les Haredim » akadem.org/medias/documents/Haredim.pdf (Consulté le 25 novembre 2014). 327 Entretien avec Dudi Shamir, directeur de l’agence de figurants, Take 2.

209

c’est très dur de simuler un vrai vieillard arabe, il faut que cela soit authentique. Donc il y a une

forte demande de figurants arabes328.

En effet, pendant longtemps, dans les productions israéliennes ce sont les juifs orientaux qui jouaient le rôle des Arabes ou Palestiniens. Ainsi, dans son livre Israeli Cinema, East/West and the politics of representation (2010), l’auteure Ella Shohat rappelle une anecdote amusante.

Lors du tournage du film israélien Hill 24 doesn’t answer dans les années cinquante, un figurant juif d’origine arabe, qui devait incarner un soldat jordanien, oublia de jouer son rôle et courut embrasser la Thora alors que l’on filmait une scène de guerre dans Jérusalem-Est en 1948. La scène dut être retournée une nouvelle fois. (Shohat, 2010, p. 257).

Mais comme le montre Ella Shohat, à partir des années quatre-vingt, de nombreux réalisateurs israéliens commencent à choisir des acteurs palestiniens en jouant parfois sur les stéréotypes entre Israéliens et Palestiniens ; par exemple en castant un Palestinien à la peau claire et aux yeux bleus (Muhammad Bakri) et un comédien israélien à la peau mate (Arnon Tzadok) comme dans le film Beyond the Walls (1984) de Uri Barbash. (Shohat, 2010, p. 257).

2. Authenticité et recrutement des figurants

En Israël, ce sont généralement les seconds assistants-réalisateurs qui sont responsables de la distribution et de la gestion des figurants dans un long-métrage329. Pendant la période de préparation du film, a lieu une première phase de travail, dite de dépouillement. Il s’agit d’un travail d’interprétation du scénario et de discussion avec le réalisateur, à partir duquel l’assistant-réalisateur établit différentes listes d’éléments (nombre et description des décors, des

328 Ibid. 329 Toutefois, comme le décrit le site web de l’Union des travailleurs du cinéma et de la télévision en Israël, ce rôle est théoriquement alloué au 3e assistant-réalisateur mais il est rappelé qu’en « Israël, les contraintes budgétaires ne permettent pas l’engagement d’un 3e assistant, le casting et la gestion des figurants est à la charge du 2e assistant-réalisateur ». ACT, act.org.il/ (accédé le 25 novembre 2014). Dans le cas de Plaot, le budget était assez confortable pour qu’un assistant spécialement dédié à cette tâche fût recruté.

210

personnages principaux et leurs acteurs, de figurants, etc.) qui seront ensuite envoyées au directeur de production pour être budgétisées. Ainsi, l’assistant-réalisateur doit comptabiliser le nombre de figurants nécessaires par scène, et les décrire chacun précisément, en prenant en compte leur catégorie ethnique ou religieuse :

« Une voisine marocaine, deux prêtres orthodoxes, un haredi avec une barbe longue, trois travailleurs étrangers, deux jeunes femmes, un voisin marocain330 ».

Une fois identifiés et classés par scène, Noga Ginton, la deuxième assistante du réalisateur, transmet ensuite toutes ces informations à Dudi Dorham, le chef de file, qui s’occupe de recruter les figurants avec l’aide d’un deuxième assistant, Yakir Abrahami. Dudi et Yakir ont ensuite fait appel à différents intermédiaires, agences de figurants ou particuliers pour recruter leurs figurants. Ils ont également prospecté par eux-mêmes. En effet, un grand nombre de figurants

étaient difficiles à recruter, il s’agissait donc de créer pour les premières semaines du tournage une « réserve » de figurants dans laquelle ils pourraient puiser en cas de désistement.

Surtout parce qu’Avi voulait qu’on choisisse chaque figurant avec des pincettes. Il y avait des

figurants, ce n’était pas : je contacte l’agence de casting et je demande trois figurants et ils me

l’envoient. Mais ils devaient se balader dans la rue et trouver des figurants très spécifiques et

authentiques, et moi je n’avais pas la possibilité de le faire à cause du manque du temps331.

L’importance donnée à l’authenticité de chaque figurant, souvent issu d’une communauté spécifique avait donc comme première conséquence concrète de complexifier le processus de recrutement en multipliant les méthodes de recrutement (direct et indirect) et le nombre d’intermédiaires, tout cela dans un budget limité. Au bout du compte, quatre cent quatre-vingts

330 Description des figurants nécessaires pour le tournage de la scène 9, extraite de la feuille de service du 26 mars 2012. 331 Entretien avec Noga Ginton, 2e assistante réalisation.

211

figurants furent utilisés dans le film. Pour Avi Nesher, les figurants apportaient une plus-value essentielle au film :

Oui c’était formidable, je voulais que cela soit le plus authentique possible. Ils étaient formidables,

il y a des choses qu’eux seuls pouvaient improviser, comme des conversations en Yiddish. Tout

cela contribue au film ; par exemple ce que toi et Dudi avez fait, de réussir à obtenir des figurants

ultra-orthodoxes pour le film, vous avez amélioré le film, chaque petit détail est essentiel pour le

film. Chacun peut contribuer au film, deux figurants ultra-orthodoxes changent le film. J’étais

très content de tous les figurants332.

Ainsi, la production n’a pas hésité à faire venir un camion entier de vrais Juifs Loubavitch333 pour qu’ils dansent devant la caméra.

La 4e et dernière scène de nuit (scène 42) fait intervenir le héros Arnav et la mystérieuse Ela qu’il doit aider en pleine discussion devant un camion de Juifs Loubavitch. Ce sont, comme l’a désiré Avi, des vrais qui « jouent leur rôle334 ».

Noga me répète, comme un mantra, la méticulosité des demandes du réalisateur qui justifiaient le recours

à deux assistants additionnels pour le recrutement des figurants. « Avi voulait que tout soit vrai ; que les arabes soient arabes, les haredim des haredim, etc. C’était très important pour lui qu’ils soient authentiques335. »

332 Entretien avec le réalisateur Avi Nesher. 333 Le mouvement Habad-Loubavitch est une branche du mouvement hassidique, qui date du XVIIIe siècle et fondé en Europe de l’Est qui met en avant une pratique joyeuse du judaïsme et s’organise autour de la personnalité d’un rabbin charismatique. 334 Extrait du journal de terrain, 7e jour de tournage, le 02 avril 2012. 335 Entretien avec Noga Ginton, 2e assistante-réalisatrice.

212

3. Des figurants singuliers : les « haredim » et les « Arabes »

La demande de figurants issus des communautés juives ultra-orthodoxes et arabes s’inscrit dans un contexte plus large où ceux-ci sont de plus en plus demandés par l’industrie audiovisuelle israélienne.

Dudi Shamir, directeur de Take 2, une des plus grandes agences de figurants en Israël et la plus ancienne sur le marché, m’explique les raisons de l’évolution de la demande pour ces figurants très particuliers :

La demande pour les figurants arabes existe depuis 1991 [année de création de l’agence], on a

toujours eu besoin de figurants arabes, alors que pour les ultra-orthodoxes, la demande est

vraiment récente, je dirais sur les 2-3 dernières années, nous devons nous adapter à cette demande.

Il y a eu une multiplication de séries sur cette communauté et aussi grâce au fonds d’aide à la

production du cinéma de Jérusalem (Jerusalem Film Fund), on filme de plus en plus là-bas.

Cela a-t-il un impact sur vos figurants à l’agence ?

Oui, bien entendu, à Jérusalem, c’est normal de voir un juif ultra-orthodoxe, un arabe et un laïc à

une station de bus, donc comme on fait plus de films dans cette ville, cette demande de figurants

augmente336.

Cette nouvelle dynamique de production à Jérusalem couplée au succès des thématiques liées au monde des ultra-orthodoxes au cinéma et à la télévision337 a donc eu comme impact indirect une augmentation de la demande pour ce type de figurants.

Pour faire face à cette demande, Shamir n’a pas hésité à créer deux sections réservées uniquement aux figurants de la communauté juive ultra-orthodoxe et à la communauté arabe au sein de son agence. « Il y a une grande différence avec les autres figurants, ce sont des

336 Entretien avec Dudi Shamir, directeur d’agence de figurants. 337 Voir supra, chapitre 2 I. 1. « Le retour de la religion dans le cinéma israélien » p. 43.

213

communautés avec des sensibilités particulières. C’est pour cela que nous avons des responsables qui viennent chacun de ces communautés, qui les connaissent. »

4. Des recruteurs dédiés

En effet, il est devenu commun en Israël de trouver des agents spécialisés dans le recrutement de figurants issus des communautés arabes et juives ultra-orthodoxes. Sur Plaot, si Dudi

Dorham a fait appel à Mahmoud Salama, le responsable de la section des figurants arabes de

Take 2, pour ce qui est des ultra-orthodoxes, il a préféré passer par une recommandation en interne : un recruteur indépendant issu de la communauté des haredim, Jonathan Mesiguish.

Selon lui, le recrutement de ces catégories de figurants, qui à elles deux représentent près de cent personnes, exigeait de passer par des intermédiaires spécifiques.

Il y a plusieurs barrières qui nous empêchent de le faire : la langue, la culture, il y a la question

de la confiance. Il y a aussi une question de lien, de mise en relation […] Moi, personnellement

je ne peux pas aller voir un haredi et lui dire de venir participer à un film, ça l’intéresse pas,

c’est interdit. Mais quand c’est Jonathan qui le fait, parce que c’est son ami et qu’il s’occupe de

lui, c’est différent. Ma manière de faire sera vue comme douteuse et louche338.

Mahmoud Salama, originaire d’un village arabe du nord d’Israël et qui se destinait à devenir comédien, est devenu progressivement le plus grand agent de comédiens et de figurants arabes et palestiniens. Il travaille depuis dix-huit ans avec Dudi Shamir à Take 2 sur des productions israéliennes, palestiniennes et internationales. Sur Plaot, il avait un assistant Hassan, également journaliste, originaire de Jérusalem-Est.

338 Entretien avec Dudi Dorham, chef de file.

214

Take 2 me recommande et moi je recommande Take 2 mais on me connaît aussi sans Take 2.

Parfois, les gens pensent que je travaille sans Take 2 donc je leur demande de passer par Take 2,

comme ça je leur amène du travail. J’apporte aussi du travail de l’étranger, je connais des

réalisateurs étrangers. Tu sais, Take 2 a casté pour le film le Sel de la mer produit par une société

française et un producteur arabe. Comment eux et une réalisatrice des territoires palestiniens

pouvaient connaître Take 2 ? Ils ne connaissaient pas. Mais moi, ils me connaissent, je vais très

souvent dans des écoles de théâtre découvrir des acteurs, je vais voir des pièces de théâtre à

Rammalah, à Jérusalem339.

Jonathan Mesiguich, le recruteur de figurants ultra-orthodoxes que Dudi, le chef de file, a pu recruter grâce à un contact sur une autre production, est un « hozer betshuva340 » issu d’une famille qui est revenue vers la foi et devenue ultra-orthodoxe. Son travail de recruteur de figurants est l’une de ses nombreuses occupations (il est aussi responsable d’un Mikveh341, animateur pour enfants et danseur dans des mariages). C’est après avoir assisté à un tournage par hasard qu’il commence à travailler comme figurant puis à recruter des figurants dans sa communauté.

Il travaille avec un associé, Yosi et prend une commission sur le salaire touché par chacun de ses figurants. Il m’affirme ne pas avoir de besoin d’une base de données écrite, ni de photos, il a toutes ses images dans la tête. Il me dit que pour Plaot, il est arrivé à recruter plus facilement des jeunes que des vieux, qui sont plus ouverts au tournage de cinéma. Jonathan sélectionne des scénarios qui ne contiennent pas de scènes qui puissent heurter sa pratique religieuse, par exemple des scènes de sexe ; une scène de baiser entre le personnage du rabbin et sa petite amie sur Plaot l’a fait douter mais il a décidé de passer outre.

339 Entretien avec Mahmoud Salama, agent de figurants arabes, israéliens et palestiniens. 340 Littéralement, un homme qui revient vers la réponse : Un juf laïque devenu religieux. 341 Le mikveh est le bain rituel utilisé pour les ablutions dans le judaïsme.

215

J’ai un problème avec certains films avec des scènes de nudité, de sexe, etc., quand Dudi m’a

envoyé le scénario, j’ai lu rapidement et je n’ai pas vu de choses comme ça. Il n’y a qu’une scène

où Yehuda Levi et Yuval sharf s’embrassent. Mais bon, elle n’a pas beaucoup d’importance dans

le film, tout est dans le brouillard, donc ça va. Certains “haredim light” n’ont pas de problème

avec ce genre de scènes, mais moi si, les gens qui participent au film ont honte déjà de participer,

ça ne doit pas se savoir, donc je fais attention à mon public et je prends bien soin de choisir des

films où il n’y a pas ce genre de scènes342.

5. La revendication du stigmate comme atout

« Un assistant de production d’origine russe interrompt la discussion : C’est peut-être irrationnel mais quand je vais dans un village arabe, j’ai peur et quand je vais à Bnei Brak343, j’ai peur de la même façon344 ! »

Les figurants arabes et ultra-orthodoxes avaient comme point commun d’être considérés comme différents du reste des autres figurants. Ainsi, très souvent, ils se trouvent séparés spatialement des autres figurants. « Les figurants arabes (Palestiniens de Jérusalem-Est avec une carte d’identité israélienne) sont assis à l’écart, tout comme les religieux. Ils attendent d’être appelés pour la scène345. »

Leur singularité est d’ailleurs sans cesse rappelée par mes interlocuteurs. Le producteur, Dudi

Silber, affirme lors de notre entretien que « les ultra-orthodoxes et les Arabes sont deux communautés qu’il est très difficile d’appréhender346 ».

Comment donc les figurants déconsidérés et mal payés acceptaient-ils de rester sur le tournage ?

Et surtout, comment les figurants ultra-orthodoxes, pour qui cette activité était presque illégale

342 Entretien avec Jonathan Meseguich, recruteur de figurants ultra-orthodoxes. 343 Bnei Brak est une banlieue de Tel Aviv où vivent un nombre important de Juifs ultra-orthodoxes. 344 Extrait du journal de terrain, 18e jour de tournage. le 18 avril 2012. 345 Extrait du journal de terrain, 6e jour de tournage le 1er avril 2012. 346 Entretien avec Dudi Silber, producteur délégué.

216

en regard de leur pratique religieuse, acceptaient malgré tout d’y participer ? Le cinéma est en effet interdit par les rabbins de leur communauté.

Les figurants ultra-orthodoxes et arabes ont comme point de commun d’appartenir à une catégorie de figurants très demandée alors que, par ailleurs, leurs deux communautés ont une image souvent détériorée dans la société israélienne347. Ils pouvaient donc revendiquer et

« arborer leur symbole de stigmate » (Goffman 1975 [1963], p. 122348) comme une ressource, un atout pour intégrer l’industrie du cinéma. C’est ce que ne me cachait pas un figurant haredi, qui avait déjà participé à de nombreuses productions. Sa pratique courante du yiddish349 faisait qu’il avait été élevé au grade de silhouette350 pour quelques scènes. Il faisait alors preuve d’un véritable « savoir-faire » de comédien (Chalvon-Demersay, 2013, p. 91).

Pour autant, Mahmoud Salama ne me cachait pas sa volonté de changer les mentalités en sélectionnant des films qui ne stigmatisent pas sa communauté.

Après plusieurs années dans l’industrie, je me sens comme un artiste, c’est de l’art, je sens

beaucoup de responsabilités parce que dans la majorité des productions, on nous présente comme

des terroristes, des assassins, des débiles. J’ai commencé à sentir une sorte de mission, moi en

tant qu’Arabe, Palestinien, Israélien de changer ce stigmate. Nous ne sommes pas des terroristes,

je refuse de travailler avec des productions qui nous présentent comme des terroristes ou des

assassins. Je sélectionne et je choisis les productions. Par exemple, j’ai refusé de faire une

347 Un exemple, parmi d’autres, des problèmes d’intégration de ces deux catégories de population est l’enrôlement au service militaire obligatoire, qu’ils ne sont pas tenus de faire. Voir Jon Frosh, “Israel’s draft expansion reveals deep rifts”, France 24, france24.com/en/20120712-israel-tsahal-knesset-ultra-orthodox-arab-israeli-military- benjamin-netanyahu-army/, 13 juillet 2012. 348 Notons les nombreuses références aux juifs ultra-orthodoxes dans Stigmate, notamment la citation du livre de Solomon. Poll, The Hassidic Community of Williamsburg. A study in the sociology of religion. New York, Free Press, 1962. (Goffman, 1975 [1963], p. 121-122). 349 Cette aptitude particulière de certains ultra-orthodoxes était particulièrement appréciée par le réalisateur : « Ils étaient formidables, il y a des choses qu’eux seuls pouvaient improviser comme des conversations en Yiddish. » (Entretien avec le réalisateur Avi Nesher). 350 Une silhouette est un figurant qui a une ligne de dialogue, ce qui donne droit à un meilleur niveau de salaire.

217

production américaine, parfois je ne leur dis pas pourquoi, je leur dis que je suis occupé, je ne

leur dis pas que c’est parce qu’ils font de nous des terroristes351.

6. Des cadres « fabriqués » pour justifier la figuration des ultra- orthodoxes

Jonathan Mesiguish, qui a lui-même été figurant, m’explique que pour convaincre ses figurants ultra-orthodoxes de participer à des films faits par des gens en dehors de leur communauté, il leur « fabriquait », au sens goffmanien du terme, un cadre où la figuration n’était finalement pas vue comme une véritable participation au film.

Au début, c’était très difficile pour moi de figurer dans un film. C’était vraiment effrayant. Quand

je suis arrivé, j’y ai réfléchi en profondeur et je me suis dit qu’il n’y avait aucun problème parce

qu’en fin de compte je ne suis qu’un figurant. Je ne fais que passer dans la rue. Disons que j’étais

dans la rue Zurchinstein et que je dois aller à l’épicerie. Alors j’ai marché d’ici à là. Ce n’est pas

que j’ai fait quelque chose qui va contre la Halakha352. Mais il est clair qu’on ne le reçoit pas bien

dans l’opinion orthodoxe et s’ils entendent ça, ils ne vont vraiment pas être contents. […] C’est

quelque chose, c’est une partie minime du film, c’est pas vraiment une participation au film.

Même si ça fait partie du film mais en réalité il ne doit pas se sentir coupable353.

351 Entretien avec Mahmoud Salama, agent et recruteur de figurants arabes israéliens et palestiniens. 352 La Halakha est la loi juive : un ensemble de prescriptions et de normes écrites et orales qui encadrent les rites et la vie quotidienne des juifs pratiquants. 353 Entretien avec Jonathan Mesiguich, recruteur de figurants juifs ultra-orthodoxes.

218

7. Effets des figurants authentiques sur le tournage

Sur le tournage, j’ai pu observer comment cette exigence d’authenticité se confrontait à la gestion, au jour le jour, de ces figurants. Si pour les figurants arabes, la seule particularité qui les différenciait du reste des figurants était parfois la non-maîtrise de l’hébreu354, la gestion des figurants de la communauté ultra-orthodoxe était autrement plus délicate.

Cette communauté considère les juifs laïques comme des déviants par rapport à la Halakha.

Certaines communautés juives orthodoxes interdisent même le visionnage des films ou alors ne le limitent qu’à des films faits par et pour la communauté355. Malgré tout, Noga comme Dudi mettaient en avant la plus-value de ce choix qui en fin de compte justifiait et mettait en valeur

également leur travail d’assistants avant tout centré sur les figurants.

J’ai compris l’importance d’avoir un vrai ultra-orthodoxe quand je l’ai vu marcher. Il y a quelque

chose dans leur façon de marcher [elle fait bouger ses épaules], si j’habille quelqu’un de banal

avec des habits de haredi, il ne marchera pas comme eux, il marchera normalement. Il y a quelque

chose dans le rythme de leur marche. Ils marchent vite, il n’y a que les vrais haredim qui marchent

comme ça356.

Au-delà de donner une impression de « naturel » (Philippe Le Guern, 2004, p. 42), Sabine

Chalvon-Demersay montre également comment la présence de figurants costumés reconfigure les relations sociales avec le reste de l’équipe et facilite le processus du travail collectif sur le

354 Pas une seule personne de l’équipe de tournage ne parlait arabe mais il y avait souvent des interprètes sur le plateau. 355 Il est intéressant de noter la production croissante de films « Haredi », certains ont même eu une carrière internationale comme Fill the Void de Rama Burshtein : Nathalie Hamou, « En Israël, le cinéma « cacher » veut gagner ses lettres de noblesse », l’Express, 1er mai 2013 lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/en-israel-le- cinema-casher-veut-gagner-ses-lettres-de-noblesses_1245117.html. 356 Entretien avec Noga Ginton, 2e assistante-réalisatrice.

219

tournage d’une fiction historique. « Ils contribuent à effranger les cadres en créant une zone intermédiaire entre le jeu et la vie réelle ». (Chalvon-Demersay, 2013, p. 93).

Je n’irai pas jusqu’à arguer que la présence de figurants orthodoxes authentiques facilitait le tournage mais certains voyaient la plus-value à avoir des « vrais » figurants orthodoxes malgré la difficulté de les recruter et les garder sur le tournage. Cette marque d’authenticité et d’effet de réel est ce qui relie le tournage au scénario voulu par le réalisateur et rappelait au reste de l’équipe le but de leur dur labeur : un film de cinéma.

8. Contraintes économiques et imprévisibilité des figurants

Toutefois, en pratique, il était parfois difficile de tenir cette exigence d’authenticité au regard des contraintes de temps et d’argent existantes sur un tournage, mais également à cause de la nature « imprévisible » des figurants.

a ) Contraintes économiques

Lors du choix et du recrutement des figurants, l’exigence artistique d’authenticité du réalisateur doit s’adapter aux contraintes économiques de la production (Cardon et Lizé, 2013, p. 161). En effet, le budget alloué à la figuration était très réduit357. J’ai pu donc observer sur le tournage un ensemble de stratégies pour maximiser l’usage de figurants. Ainsi, les figurants qui n’étaient pas reconnaissables à l’écran dans certaines scènes ont pu être réutilisés plusieurs fois.

Pour Sabine Chalvon-Demersay, certains figurants font « a minima » une expérience de comédien. (Chalvon-Demersay, 2013, p. 91). Ainsi, il est arrivé que deux figurants palestiniens aient été amenés à figurer deux fois le même jour de tournage : une fois en tant que travailleurs

« arabes » et une fois en tant que « policiers israéliens ».

357 2 % du budget total du film, soit environ 30 000 euros sur un budget total de 1,5 million d’euros. (Entretien avec le producteur délégué Dudi Silber.)

220

Sur une autre scène deux figurants palestiniens qui avaient déjà été filmés le même jour, des

travailleurs du bâtiment, l’un originaire du mont des oliviers l’autre d’un village près de la colonie

de Maale Adumim ont incarné deux policiers en remplacement de figurants qui n’ont pas pu

venir358.

Ils ont tellement été pris par l’aspect ludique de leur transformation qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de jouer aux « policiers » pendant toute la journée de tournage et m’ont demandé de les prendre en photo dans leur costume. Une observation similaire a été faite par Philippe Le

Guern sur le tournage d’un épisode de la série Julie Lescaut : « Certains, plantés devant la porte du commissariat, ressemblent à s’y méprendre à de vrais policiers et ils s’amusent parfois, jouant de leurs mimiques et leurs intonations à faire “plus vrai que vrai” » (Le Guern, 2004, p. 43). De plus, pour les personnages de haredim, le degré d’authenticité exigé n’était pas le même si on était un homme ou une femme. Pour les personnages masculins, du fait notamment de leurs costumes si distinctifs, tous les figurants du film étaient recrutés parmi la communauté des ultra-orthodoxes, alors que pour les personnages féminins, moins nombreux, sauf pour de rares exceptions, étaient tous incarnés par des femmes israéliennes laïques. Des membres de l’équipe ont également été sollicités sur plusieurs scènes.

L’actrice Yuval Sharf danse au milieu de cinq figurantes en robe longue. Deux d’entre elles

apparaissaient déjà dans la scène avec le rabbin Knafo. Il y a également Sivan Glickman,

l’assistante d’Avi, qui a déjà été utilisée comme figurante dans une scène précédente et Dana

Naftali, la régisseuse, figure pour la première fois. (Sont également présentes, la mère et des sœurs

de Jonathan Mesiguich, qui est lui aussi utilisé sur une autre scène359).

b ) L’imprévisibilité des figurants sur Plaot

358 Extrait du journal de terrain le 18 avril 2012. 359 Extrait du journal de terrain, 14e jour de tournage, le 11 avril 2012.

221

Un autre problème important rentrait en collision avec l’exigence d’authenticité : l’imprévisibilité des figurants. « Le problème avec les figurants c’est que même si tu as convenu avec tout le monde des mois avant, ça ne tient pas, il y a toujours des gens qui annulent donc il faut toujours les renouveler si besoin360. » Dudi Dorham, le chef de file, avait donc systématiquement, et pour chaque jour de tournage, prévu plus de figurants que le nombre inscrit sur la feuille de service.

Pour éviter de se retrouver sans figurant le jour du tournage, il me demandait de les rappeler par téléphone systématiquement la veille pour confirmer leur venue. Le nombre de figurants annoncé et le nombre de figurants présents sur le plateau pouvaient différer :

Le centre production se trouve sur la place de la mairie. Quand j’arrive, Dudi et certains figurants

ne sont pas là. Noga doit s’occuper des figurants, il y a moins de figurants que prévu, treize au

lieu de dix-huit. Noga n’a pas d’autre choix que de revoir l’usage des figurants pour les scènes

d’aujourd’hui361.

Alors que les figurants ultra-orthodoxes étaient payés un peu plus que les autres figurants362 ils

étaient aussi les plus volatils et les moins dignes de confiance. Beaucoup se désistaient à la dernière minute et Jonathan Mesiguish devait sans cesse les persuader de rester car comme vu précédemment, cette activité était très mal vue dans leur communauté. D’ailleurs, ils n’acceptaient de recevoir l’argent qu’en liquide pour ne pas éveiller de soupçons et c’est

Jonathan lui-même qui s’occupait de leur émargement et signait la feuille de présence à leur place.

360 Entretien avec Dudi Dorham, chef de file. 361 Extrait du journal de terrain, 15e jour de tournage, le 15 avril 2012. 362 Les figurants ultra-orthodoxes recevaient entre 150 NIS pour quelques heures jusqu’à 400 NIS (environ 82 euros) la journée contre 250 NIS la journée (environ 52 euros) pour les autres figurants. (Entretien avec Dudi Dorham).

222

9. Des motivations homogènes parmi tous les figurants

« Nous avons des figurants qui font ce travail pour différentes raisons, pour sortir du quotidien, pour avoir un complément de revenu, pour vivre une expérience différente. Il y en a certains qui deviennent figurants professionnels363. »

Pour le figurant, le plaisir reste l’une des premières motivations pour participer à un tournage de film (Chalvon-Demersay, 2013 ; Guy Margraff, 2000). Ceci est d’autant plus vrai pour les figurants qui découvraient pour la première fois les coulisses de la fabrication des films. Selon

Sabine Chalvon-Demersay, cette dimension ludique étoufferait « toute forme de revendication » de la part des figurants. (Chalvon-Demersay, 2013, p. 95). Il est vrai que les figurants qui se plaignaient ou faisaient des réclamations étaient aussi ceux qui avaient déjà eu des expériences de tournage, étaient déjà un peu « blasés », et qui donc connaissaient un peu les rouages du système.

D’après mes observations et mes entretiens informels, cette envie de sortir de la routine était partagée par tous les figurants de toutes les communautés confondues même parmi les figurants les plus religieux pourtant venus d’abord pour l’argent364. En définitive, la curiosité et le plaisir de la découverte d’un univers éloigné du leur, passaient outre le risque de passer pour des

« déviants » auprès des membres de leur communauté d’origine (Becker, 1985 [1962]).

363 Entretien avec Dudi Shamir, directeur d’agence de figurants. 364 « Ça permet de sortir du quotidien, de connaître de nouvelles personnes. Les gens sont intéressants en général dans cette industrie. Ça m’intéresse tout ce qui est lié à l’art m’intéresse. » (Extrait d’un entretien avec un figurant haredi.)

223

CONCLUSION DU CHAPITRE 6

Nous avons vu que l’authenticité est d’abord un état d’esprit plutôt qu’une doctrine pour

Avi Nesher et son équipe. Elle pouvait être réinterprétée et adaptée selon les ressources disponibles. La ville de Jérusalem, qui participe à cette recherche d’authenticité, s’est révélée

être un lieu de tournage complexe mais qui a également enrichi le film fini. Le choix d’y tourner, associé au financement du fonds d’aide à la production de la ville, ont entraîné le recrutement de fixeurs, d’agents de sécurité et de responsables de casting communautaires. En définitive, la ville jouait à la fois le rôle d’un personnage à part entière dans le film mais également celui d’un décor vivant et imprévisible qui influençait fortement la conduite du tournage.

Le travail avec les figurants qui constituait la majorité de mon temps, m’a permis également de découvrir comment le cinéma israélien gérait cette catégorie de « personnels de renfort » pour reprendre la terminologie d’Howard Becker. Les agences de casting de figurants locales segmentent leur clientèle de sorte à ce qu’elle reflète la réalité d’une société morcelée. (Juif religieux, arabe etc.) telle que s’imaginent les producteurs des séries et films. Toutefois, sur le tournage, la perspective de participer à un film (sauf pour une minorité de figurants ultra- orthodoxes) était suffisante pour faire tenir ensemble ces communautés diverses des journées entières. Pour certains, cette première expérience en tant que figurant devenait une première marche pour une carrière désirée mais souvent mal assumée (surtout quand elle est interdite).

Les stratégies employées notamment pour faire participer « à leur insu » les figurants juifs ultra- orthodoxes récalcitrants semblent, elles, sortir d’un scénario de film. Le but étant de s’assurer qu’on peut voir à l’écran cette masse humaine disciplinée en arrière-plan.

Ainsi, le travail avec les figurants me permettait de mieux saisir les particularités et paradoxes d’une société israélienne mise en scène chaque jour de nouveau pour les besoins d’un film.

224

CONCLUSION GÉNÉRALE

Photo d’un graffiti prise à Tel Aviv : « Le peuple d’Israël vit dans un film ».

I — ACQUIS DE LA THÈSE

Ma thèse proposait d’étudier les ressorts d’un tournage d’un long-métrage de fiction sous l’angle des interactions de ses participants dans un contexte particulier : celui du cinéma israélien.

1. Mondialisation du concept de cinéma d’auteur

Alors que le vocabulaire, le système de production miment ceux des États-Unis, c’est pourtant le cinéma d’auteur européen qui est vu comme un modèle pour le réalisateur, pour les acteurs comme pour l’équipe technique. Tous s’affirment au service du réalisateur vu comme le principal vecteur de la création sur un tournage. Le réalisateur lui-même s’envisage comme auteur de son film et le cinéma est vu comme un art collectif.

En effet, si le système organisationnel en Israël suit celui des États-Unis : unions professionnelles, vocabulaire anglo-saxon ; le modèle du cinéma d’auteur européen a une influence forte à la fois sur les générations de réalisateurs qui ont grandi avec les films de la

225

Nouvelle Vague comme Avi Nesher mais également au sein de la jeune génération (moins de trente ans) qui travaille pourtant de manière croissante sur des émissions de télévision et des séries. Tout au long de mes entretiens et de mes observations, une très grande importance est donnée au respect de l’œuvre de l’auteur-réalisateur et à son idéologie. On assiste donc à une

« mondialisation » du concept de cinéma d’auteur dont ma thèse est l’illustration.

2. Spécificités d’un tournage israélien

Pour Avi Nesher, le cinéma israélien est souvent occupé à tenter de « définir l’identité israélienne » pleine de contradictions365. Existe-t-il des spécificités israéliennes dans la manière de faire des films ? Et quels impacts la société aurait sur le tournage ? Si les modalités d’organisation de tournage sont les mêmes partout dans le monde, on peut noter quelques spécificités à un tournage d’un film israélien.

L’organisation d’un tournage d’un long-métrage israélien est plus chaotique du fait du manque de moyens : puisque le coût moyen d’un long-métrage est inférieur à un million de dollars (il

était de 1,5 million d’euros sur Plaot). Ce manque de moyens se matérialisait notamment par le fait qu’une personne pouvait avoir plusieurs rôles sur le tournage. L’autre particularité d’un tournage en Israël tient dans les parcours de vie des gens qui y travaillent. Le service militaire obligatoire donne une première expérience à certains soit dans le métier qu’ils exercent sur le tournage (ainsi Zohar, l’assistante caméra avait fait son service militaire dans les services cinématographiques de l’armée) soit dans des unités qui permettent d’avoir une meilleure connaissance du terrain. Ainsi, le responsable du repérage, Ohad, avait pu suggérer un lieu de tournage car il y avait été pour son service. Un certain nombre de machinos sont des personnes vivant dans les kibbutz et mettent en pratique les compétences manuelles qu’ils y ont acquises.

365 Propos rapportés de l’entretien donné au critique Pablo Utin (en bonus du DVD du film Plaot).

226

Enfin, dernière spécificité, l’existence d’agences de casting spécialisées pour certaines populations.

3. Les figurants : reflets des tensions de la société israélienne

Dans ma thèse, je décris les modalités d’un tournage en décors réels à Jérusalem dans des quartiers sensibles (quartiers religieux et Jérusalem-Est) dans une ville où doivent être prises en compte des traditions culturelles et religieuses. Cela se matérialisait par le nombre important de figurants juifs ultra-orthodoxes mais également arabes.

Ma thèse montre comment ces deux populations sont devenues convoitées par les sociétés de production locales, malgré les difficultés de recrutement, poussées par l’augmentation du nombre de tournages à Jérusalem et l’intérêt des diffuseurs pour les thématiques géopolitiques et religieuses. Ainsi, ma thèse met en exergue l’existence d’un rapport particulier à ces populations (agents de casting spécialisés, séparation d’avec les autres figurants, etc.) qui reflétait un rapport différencié existant déjà au sein de la société israélienne.

4. Impact de la religion sur la fabrication des films

Ma thèse explore de manière concrète l’influence de la religion sur le cinéma israélien et plus précisément comment celle-ci impacte le tournage lorsque celui-ci a lieu dans des quartiers où habite une forte population juive ultra-orthodoxe. J’utilise la notion de jeu des cadres au sens de Goffman pour expliquer la participation des figurants ultra-orthodoxes sur un tournage alors qu’ils n’ont pas le droit d’y participer. En montrant les stratagèmes utilisés par l’équipe pour recruter et fidéliser les figurants issus de la communauté juive ultra-orthodoxe, ma thèse montre comment une activité artistique interdite peut être acceptée par une communauté religieuse.

227

5. Une expérience subjective du tournage

À la pause de midi, je vais m’asseoir près de l’école d’art Musrara pour prendre les premières

notes sur mon journal de terrain. À côté de moi, est assis un homme asiatique, avec un livre

d’apprentissage de l’hébreu à la main. Visiblement, l’école offre des cours d’hébreu aux étrangers.

Je l’observe et j’ai l’impression d’être comme lui, une étrangère sur le tournage qui tente

d’apprendre la langue366.

Cet extrait de mon journal de terrain illustre parfaitement la position de l’anthropologue sur le terrain telle qu’elle a été décrite par de nombreux chercheurs comme Jean-Pierre Olivier de

Sardan, à la fois « en dedans et en dehors » par rapport à l’environnement étudié (Olivier de

Sardan, 2008).

Comme le décrivent bien les chercheuses Dahlia Naiman et Carolyne Grimard, « Le chercheur en situation d’observation s’inscrit en ce sens délibérément dans une zone grise entre l’engagement et la distance, où s’enchevêtrent son “savoir-faire” et son “savoir-être” ».

(Naiman et Grimard, 2016, p. 28).

Toute recherche de terrain, et plus précisément en observation participante, suppose, en effet, que vous soyez à la fois impliqué dans ce que vous étudiez mais également à distance pour pouvoir l’analyser. Cette ambivalence avait également une autre implication en ce qui me concernait. J’ai choisi d’étudier le tournage d’un film israélien à Jérusalem. Mes parents sont israéliens et je parle couramment hébreu mais je suis née et j’ai grandi en France. Sur le tournage, j’arrivais à me fondre dans la masse mais mes interlocuteurs se rendaient compte que je ne maîtrisais pas tous les codes culturels et que mon hébreu, bien que sans accent, n’était pas aussi parfait que cela.

366 Extrait du journal de terrain, 1er jour de tournage, le 20 mars 2012.

228

Il fallait me faire accepter sur le terrain par l’équipe. Les premières semaines, beaucoup ne comprenaient pas ce que je faisais ou alors me confondaient avec la réalisatrice du making of.

« Certains membres de l’équipe (comme Tal Sherman et Sivan Tzeelon du département de décoration) se posent encore des questions sur mon rôle au sein de l’équipe qui n’a pas été bien défini par Keynan, j’essaie de leur expliquer ma recherche367. »

« Une jeune femme qui filme pour le making of officiel se trouve également ce jour-là sur le tournage, on me confond souvent avec elle368. »

Progressivement, alors que j’étais intégrée à différentes équipes, et que mon travail était plus visible sur le plateau, les questions furent moins fréquentes et beaucoup oublièrent que j’étais là avant tout pour préparer une thèse de doctorat.

De mon côté, j’étais venue avec des certitudes sur un pays que je pensais connaître pour en découvrir de nouveaux aspects. Ainsi, si les juifs ultra-orthodoxes me semblaient être pendant longtemps un bloc homogène, je découvris grâce à mes recherches et mon expérience d’assistante de chef de file que la réalité était plus contrastée avec un spectre large et varié de pratiques. Mon travail avec les figurants ressemblait parfois à celui d’une psychologue qui recueillait les paroles très intimes d’inconnus sur leur vie, leurs rêves et leurs déceptions. C’était

également très plaisant pour moi d’observer des enfants et des adultes découvrir pour la première fois comment les films se faisaient. Je me souviendrai longtemps de cette grand-mère venue spécialement faire de la figuration pour que ses petits-enfants puissent la voir sur le grand

écran.

367 Extrait du journal de terrain, 3e jour de tournage le 27 mars 2012. 368 Extrait du journal de terrain, 6e jour de tournage le 1er avril 2012.

229

Alors que les modalités d’organisation de tournage sont sensiblement les mêmes partout, analyser ce tournage me permettait de découvrir les particularités culturelles qui peuvent

émerger dans un pays comme Israël et leurs impacts sur la fabrication d’un film.

Mon terrain montre que dans une société avec des identités plurielles, l’expérience de tournage permettait de réunir des personnes qui ne se seraient peut-être pas adressé la parole dans la

« vraie vie » (laïcs, religieux, Arabes, travailleurs soudanais, etc.) en leur permettant de prendre le temps de mieux se connaître entre les prises. À l’issue du tournage, j’avais appris à mieux connaître ce pays qui m’était à la fois si familier mais si étranger parfois.

230

II — LIMITES, APPORTS ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

Plusieurs limites de ma thèse doivent être soulignées. Tout d’abord, il conviendrait de comparer les résultats obtenus avec d’autres films israéliens sur des thématiques similaires et, si possible, tournés à Jérusalem.

Ma thèse est également le fruit d’un travail d’étude qualitatif, il conviendrait de pouvoir mener une enquête quantitative auprès d’un échantillon plus important de professionnels du cinéma en Israël et des institutions pour confirmer certaines tendances, notamment l’importance quantitative prise par les thématiques religieuses dans la production de films en Israël.

Ma thèse offre plusieurs apports dans la discipline sociologique : elle est l’une des seules enquêtes de terrain en observation participante d’un tournage d’un long-métrage de fiction israélien contemporain, tourné à Jérusalem, qui apporte un éclairage sur la manière de faire des films dans le pays. Elle offre également une première analyse de la place prépondérante prise par la religion au sein de la population et dans les industries culturelles ces dernières années en complément des articles et de livres qui se basent sur un travail essentiellement historique ou journalistique.

231

Mes entretiens avec les figurants juifs orthodoxes et arabes et mon exploration du travail des figurants offrent une analyse de « personnels de renfort » des mondes de l’art pour reprendre l’expression de Howard Becker qui fait encore défaut de nos jours. Cette thèse, je l’espère donnera à d’autres l’envie d’explorer ce type de travail sur les plateaux de cinéma. Une étude comparative avec d’autres tournages, d’autres pays (France, États-Unis) serait également pertinente.

Enfin, plus largement, ma thèse explore le problème de la création sous contrainte, celle-ci se trouve dans d’autres formes d’art collectif (séries télévisées, pièces de théâtre, chorégraphies).

D’autres recherches au sein de ces activités artistiques pourraient être opérées pour mieux comprendre comment celles-ci s’exercent dans un contexte de tension économique importante.

232

BIBLIOGRAPHIE

ALEXANDRE Olivier, 2012, La règle de l'exception. Sociologie du cinéma français de 1981 à nos jours, thèse de doctorat en Sociologie, sous. la direction de Jean-Louis Fabiani, Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, (EHESS), 498p.

– 2015, La règle de l’exception : écologie du cinéma français. Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), 272p.

–2015, « Comment devient-on auteur de cinéma ? Sociologie de l’accès à l’activité de réalisateur dans le cinéma français », Sociologie de l'Art, 23-24, p. 71-91.

ARTOGZON Ido, 2007 « Kolnoa yehudi hadash » [Le nouveau cinéma juif] Cinématheque 147, Juillet-Août, p.8-12.

ALVAREZ, Jose Luis, MAZZA, Carmelo, PEDERSEN, Jesper Strandgaard, et al., 2005 «Shielding idiosyncrasy from isomorphic pressures: Towards optimal distinctiveness in European filmmaking», Organization, 2005,12(6), p. 863-888.

AMABILE Teresa, 1983. The social psychology of creativity, New York, Springer- Verlag,.245p.

ASCH, Timothy et ASCH, Patsy, 1995, « Film in ethnographic research» dans Paul Hockings (ed.), Principles of visual anthropology, Berlin- New York, Mouton de Gruyter, p. 335-360.

ATKINSON Paul, 2004, «Performance and rehearsal: the ethnographer at the opera », dans David Silverman, Clifford Seale, Giampetro Gobo, Jaber F. Gubrium (eds), Qualitative Research Practice, Londres, Sage Publications, p.94-106.

– 2010, « Making opera work: bricolage and the management of dramaturgy », Music and Arts in Action,3 (1), p.4-19.

BAKER, Wayne E. et FAULKNER, 1991 « Robert R. Role as resource in the Hollywood film industry», American Journal of Sociology, 97(2), p. 279-309.

BARON James N., & KREPS, David. M., 1999. Strategic human resources: Frameworks for general managers. New York, Wiley, 624p.

BARSOUX, Jean-Louis, 1993, Funny business: Humour, management and business culture, Cassell, 208p.

BATSON, Charles Daniel et VENTIS, W. Larry, 1982 The religious experience : A social- psychological perspective. Oxford University Press, 368p.

BEAUD Stéphane et WEBER Florence, 2003, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte.

233

BECKER, Howard S., 1974, « Art as collective action », American sociological review, 39 (6), p. 767-776.

– 1976, « Art worlds and social types », American behavioral scientist, 19 (6), p. 703-718.

– 1985, Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Métailié, Paris, [1963], 256p.

– 2010 Les mondes de l’art. Paris, Flammarion, [1982],382p.

– 2002, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales. Paris, La Découverte, [1998] 352 p.

– 2006, Notes sur le concept d’engagement, Tracés, revue de sciences humaines, n° 11. Version traduite de l’article « Notes on the Concept of Commitment », paru dans The American Journal of Sociology, 66 (1), 1960, [1960], p. 32-40.

BECKER, Howard S., FAULKNER, Robert R.et KIRSHENBLATT-GIMBLETT, Barbara (eds.), 2006, Art from start to finish: Jazz, painting, writing, and other improvisations. University of Chicago Press, 248 p.

BECKER, Howard S. et FAULKNER, Robert R, 2011, Qu'est-ce qu'on joue maintenant... ? Le répertoire de jazz en action. Paris, La Découverte, coll. « Sciences Humaines », 300 p.

BECKER, Howard. S., PESSIN Alain et Peuchlestrade, Gisèle, 1999, Propos sur l'art, Paris, L’Harmattan. 217p.

BECKER, Markus C. 2004, « Organizational routines: a review of the literature », Industrial and corporate change, 13(4), p. 643-678.

BECHKY, Beth A. 2006 «Gaffers, gofers, and grips: Role-based coordination in temporary organizations », Organization science 17(1) p. 3-21.

BECHKY, Beth A. et OKHUYSEN, Gerardo A. 2011 « Expecting the unexpected? How SWAT officers and film crews handle surprises». Academy of Management Journal, 54 (2), p. 239-261.

BEN-AMI, Ilan, 1996, « Government Involvement in the Arts in Israel—Some Structural and Policy Characteristics». The Journal of Arts Management, Law, and Society, 26(3), p. 195-219.

BENGHOZI, Pierre-Jean, 1989, Le cinéma : entre l'art et l'argent. Paris, Editions L’Harmattan, coll. Logiques Sociales, 204p.

BENGHOZI, Pierre-Jean, PARIS, Thomas, et al. 2013 Howard Becker et les mondes de l'art. Colloque de Cerisy, Editions Polytechnique, 346p.

BENJAMIN, Walter 2011, L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique. Éditions Allia, [1939], 96p.

234

BENSE FERREIRA ALVES, Celia, 2006 Précarité en échange. Enquête sur l'implication au travail., Aux Lieux d'être, coll. « Mondes contemporains », 2006, 243 p.

– 2007, « Staging the Social Drama of Work: Ethnography of a Theater Company as a Means of Analyzing Theater Activity » Qualitative Sociology Review. 3(3) p.78-99.

–2013 « Des placeurs sachant se placer : Rétributions indirectes et implication dans un petit boulot du théâtre », Sociétés contemporaines, 91, p. 67-91.

BÉRA, Matthieu et LAMY, Yvon, 2011 Sociologie de la culture, 3e éd. Paris, Armand Colin, 256p.

BERGALA, Alain ; 1998 « Techniques de la Nouvelle Vague » dans Antoine De Baecque et CharlesTesson (eds.) Nouvelle Vague, une légende en question, Cahiers du Cinéma hors série 1998 p. 36-43.

BERLINER, Paul F, 1994. Thinking in jazz: The infinite art of improvisation. University of Chicago Press, 904p.

BLAIR Helen, 2001, « ‘You're only as good as your last job’: the labour process and labour market in the British film industry». Work, employment and society, 15(1), p. 149-169.

– 2003, «Winning and losing in flexible labour markets: the formation and operation of networks of interdependence in the UK film industry». Sociology, 37(4), p. 677-694.

BLASI, Frédéric, 2014. « L’influence du numérique sur les modes de médiation entre le créateur et son public, le cas du réalisateur de films documen-taires confronté au dispositif télévisuel. Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l’épreuve du numérique », Actes du colloque Injonction de créativité et création sous contrainte 82ème Congrès de l’ACFAS, Montréal, mai 2014, en ligne : creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf . BOLINGER, Alexander R., BONNER, Bryan L. et OKHUYSEN, Gerardo A., 2009, « Sticking together: the glue role and group creativity». «Creativity in Groups» Research on Managing Groups and Teams, vol.12, 265–287.

BOURDIEU, Pierre, 1975, « L’invention de la vie d’artiste » Actes de la recherche en sciences sociales 1 (1.2), p. 67-93.

– 1977 « La production de la croyance [contribution à une économie des biens symboliques] ». Actes de la recherche en sciences sociales, ,13(1), p. 3-43.

– 1984 « Mais qui a créé les créateurs ? » dans Pierre Bourdieu Questions de sociologie, Paris, Les Editions de Minuit [1981], p. 207-221.

–1992, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 576p.

BOURDON, Jérôme, 1993, « Les réalisateurs de télévision : le déclin d'un groupe professionnel ». Sociologie du travail, 35(4), p. 431-445.

235

BREVIGLIERI, Marc, 2006. « Perceptions sociologiques du problème de la routine » dans. Alexandra Bidet, Anni Borzeix, hierry Pillon, Gwenaëlle Rot et François Vatin (dir.)., Sociologie du travail et activité. Toulouse : Coll. Le travail en débats, Série colloques et congrès, Octarès Éditions, 2006, p. 131-141.

BRIGAUD-ROBERT, Nicolas, 2011, Les producteurs de télévision. Socio-économie d’une profession, Paris, Presses universitaires de Vincennes, coll. Média, 354 p.

BRUNET, Johanne, 2004 « The social production of creative products in the television and film industry », International Journal of Arts Management, p. 4-10.

BUSCATTO, Marie, 2010. La fabrique de l’ethnographe. Dans les rouages du travail organisé. Toulouse, Octarès Éditions, 182 p.

CALLERO, Peter L., 1994, «From role-playing to role-using: Understanding role as resource », Social psychology quarterly, 57(3), «Special Issue: Conceptualizing Structure in Social Psychology» p. 228-243.

CARMELI Avraham, LEZER Menahem 2014 Kolnoa be Israel sikum apeilut ashnatit 2013[Cinéma en Israël : bilan de l’activité annuelle 2013], Centre Pilat pour le compte du ministère de la culture israélien.

CARRINGER, Robert L., 1996 [1985], The Making of Citizen Kane. University of California Press, 182p.

CNC,2016, Les principaux chiffres du cinéma en 2016, Centre national de la cinématographie (CNC).

CHALVON-DEMERSAY, Sabine, 2012, « La saison des châteaux : Une ethnographie des tournages en « décors réels » pour la télévision », Réseaux, 2 (172), p. 175-213.

– 2013, « Petits rôles, silhouettes et figurants », dans Pierre. -Jean. Benghozi, Thomas. Paris (dir.), Howard Becker et les mondes de l’art, École Polytechnique Éditions, Paris, p. 85-100.

CHALVON-DEMERSAY et Sabine et PASQUIER, Dominique, 1990, Drôles de stars : la télévision des animateurs. Paris, Aubier, 344p.

CHIAPELLO, Ève,1997, « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », Réseaux, 15 (86), p. 77-113.

– 1998 Artistes vs Managers-Le management culturel face à la critique artiste, Paris, Editions Métaillé, 272p.

CHICHEN Maya et KORACH Michal; 2015 Jerusalem: Facts and Trends 2015, The Jerusalem Institute for Israel Studies. 96p. jerusaleminstitute.org.il/.upload/publications/facts-2015- eng.pdf

CHRISTOPHERSON, Susan et STORPER, Michael, 1989, « The effects of flexible specialization on industrial politics and the labor market: The motion picture industry» ILR Review, 42(3), p. 331-347.

236

COENEN-HUTHER, Jacques, 2003, « Le problème de la preuve en recherche sociologique qualitative », Revue européenne des sciences sociales, XLI-128 p.63-74.

COMOLLI JEAN-LOUIS, 1997, « Le miroir à deux faces » dans Jean-Louis Comolli, Jacques Rancière Arrêt sur histoire, Paris, Editions du Centre Pompidou, supplémentaires, p.11-45.

DARDASHTI, Galeet, 2015, «Televised Agendas: How Global Funders Make Israeli TV More"Jewish"», Jewish Film & New Media: An International Journal, 3(1) p. 77-103.

DARRÉ, Yann, 1986, « Les créateurs dans la division du travail : le cas du cinéma d’auteur » dans Raymonde Moulin (dir.), Sociologie de l’art, colloque international, Marseille 13-14 juin 1985 Paris, La Documentation Française, p.213-222.

– 2000, Histoire sociale du cinéma français. Paris, La Découverte, 128 p.

DEFILLIPPI, Robert J. et ARTHUR, Michael B, 1998, « Paradox in project-based enterprise: The case of film making», California management review, 40(2) p. 125-139.

DE HEUSCH, Luc, 1962, Cinéma et sciences sociales : panorama du film ethnographique et sociologique. Unesco, 104p.

DE LATOUR, Éliane, 2006 ; « « Voir dans l’objet » : documentaire, fiction, anthropologie », Communications,80(1) p. 183-198.

DODIER, Nicolas, 1993, « Les arènes des habiletés techniques », Raisons pratiques, n° 4, p. 115. 140.

DIDI-HUBERMAN Georges, 2006 « Figurants », dans Laurent Gervereau (dir) Dictionnaire mondial des images, Paris, Nouveau Monde Editions, p. 398-400.

– 2012 Peuples exposés, peuples figurants, L’œil de l’histoire 4. Paris, Les Editions de Minuit, 288p.

DURAND Rodolphe HADIDA, Allegre, 2009, Prestige, Role combination and Performance, working paper.

DURKHEIM, Emile, 1985 Les formes élémentaires de la vie religieuse., Paris Puf, [1912], 647p. – 1911 « Jugements de valeur et jugements de réalité » Congrès international de Philosophie de Bologne Revue de métaphysique et de morale. p. 99-114.

EIKHOF, Doris Ruth et HAUNSCHILD, Axel, 2007, « For art's sake! Artistic and economic logics in creative production » Journal of organizational behavior, 28(5) p. 523-538.

EYRAUD, Corine et LAMBERT, Guy, 2010, Filmer le travail, films et travail. Cinéma et sciences sociales Université de Provence, coll. « Hors champ », 216 p.

FARRELL, Michael P., 2001, Collaborative circles: Friendship dynamics and creative work. University of Chicago Press, 328p.

237

FAULKNER, Robert R., 2006, «Shedding culture» dans Howard S. Becker, Robert R. Faulkner et Barbara Kirshenblatt-Gimblett, Art from start to finish: jazz, painting, writing, an other improvisation. Chicago/London p. 92-117.

FAULKNER, Robert R. et ANDERSON, Andy B., 1987, «Short-term projects and emergent careers: Evidence from Hollywood», American journal of sociology,92(4) p. 879-909.

FAULKNER, Robert R. et WEISS, Paul R. 1983, «Credits and Crafts Production: Freelance Social Organization in the Hollywood Film Industry» Symbolic interaction,6(1) p. 111-123.

FELDMAN, Martha S. et PENTLAND, Brian T., 2003, «Reconceptualizing organizational routines as a source of flexibility and change» Administrative science quarterly, 48(1) p. 94- 118.

FEIGELSON, Kristian, 2011 ; La fabrique filmique : métiers et professions, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma / Arts visuels », 253p.

FINE, Gary Alan, 2004, Everyday Geniuses: Self-Taught Art and the Culture of Authenticity, Chicago University of Chicago Press, 344p.

FINE Gary Alan ROTHENBERG Julia, 2008 « Art Worlds and Their Ethnographers» Ethnologie française Vol. 38, p.31-37.

FLICHY Patrice et PASQUIER Dominique, 1997 « Introduction à la 5e partie « Programmes et professionnels » dans Paul Beaud, Patrice Flichy, Dominique Pasquier et Louis Quéré, Sociologie de la communication, vol. 1, n°1 Sociologie de la communication. p. 543-565.

FLOCCO, Gaëtan, VALLÉE, Réjane, et al. 2013, « Une sociologie visuelle du travail: filmer les machinistes du cinéma et de l’audiovisuel », Ethnographiques.org, 2013, no 25-décembre 2012 « Filmer le travail: chercher, montrer, démontrer ». [En ligne] ethnographiques.org/2012/Flocco-Vallee

FREIDSON, Eliot, 1986 « Les professions artistiques comme défi à l'analyse sociologique ». Revue française de sociologie, 27 (3) p. 431-443.

–2001, Professionalism, the third logic: On the practice of knowledge. University of Chicago press, 240p.

FRIEDMANN Daniel, 1999, Un Chercheur dans tous ses états, Paris, Métailié, 1999, 213p.

–2006, « Le film, l’écrit et la recherche », Communications, 80 (1), p.5-18.

FRIEDMANN George, 1946, Problèmes humains du machinisme industriel, Paris, Gallimard,424 p.

FRIEDMAN, Michal Régine. 1986, « Les grandes tendances du cinéma Israélien » dans Annie Goldmann, André Hennebelle «Cinéma et judéité», CinemAction, n° 37 p.236-248.

238

–2010 « la rejudalisation du cinéma israélien ou la désacralisation du Saint », dans Agnès DeVictor et Kristian Feigelson « Croyances et sacré au cinéma », CinemAction n°134 p. 123- 130.

FRIEDMAN, Yael et HAKAK, Yohai, 2015, « Jewish revenge: Haredi action in the Zionist sphere» Jewish Film & New Media: An International Journal, 3(1), p. 48-76.

GAUDY, Camille, 2008 « Être une femme » sur un plateau de tournage. Ethnologie française, 38(1), p. 107-117.

GERSTNER David et STAIGER, Janet, 2003, Authorship and film, Londres, Routledge, 308p.

GLASER, Barney G. et STRAUSS, Anselm L., 2010 [1967], La découverte de la théorie ancrée : stratégies pour la recherche qualitative. Paris, Armand Colin 409 p.

GLAYMANN Dominique, 2007, L'intérim, Paris, La Découverte « Repères », 128p.

GOFFMAN, Erving, 1968, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les éditions de minuit [1961], 452p.

–1973 La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1. La présentation de soi. Paris, Les Editions de Minuit[1956], 256p.

–1973, La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 2. Les relations en public. Paris: Minuit [1956], 368p.

– 1974 Les rites d’interaction, Paris : Editions. de minuit, [1967]. 240p.

–1975, Stigmate : les usages sociaux des handicaps. Paris, Les Editions de Minuit, [1963] 176p.

–1991 Les cadres de l'expérience. Les Editions. de Minuit, [1974], 576p.

GOLDBERG, Ben, 2011, La France et l’industrie du cinéma israélien dans la première décennie du 21e siècle (2000-2010). L’implication française dans le cinéma israélien : les coproductions franco-israeliennes et la distribution des films israéliens en France Mémoire de fin de Master (M2) en études hébraïques sous la direction de Gideon Kouts, Université Paris 8, 65p.

GRANT, Barry Keith, 2008, Auteurs and authorship: a film reader. Wiley-Blackwell, 340p.

GRIMAUD, Emmanuel. 2004, Bollywood film studio. Paris, CNRS éditions, 616p.

GULLEDGE, Elizabeth, GREIG, Gail, et BEECH, «2. Improvisational practice and innovation: shock, horror and confounding expectations in film-making» dans Chris Bilton, Stephen Cummings (eds.), Handbook of Management and Creativity, 2014, p. 19-38p.

GUTWIRTH, Jacques, 2004, La renaissance de l’hassidisme : de 1945 à nos jours, Paris, Odile Jacob, 271p.

239

HAMMERSLEY, Martyn et ATKINSON, Paul, 2007, Ethnography : Principles in practice, 3e éd. Routledge, 275p.

HEINICH, Nathalie, 2009 « Le faux comme révélateur de l’authenticité », dans De main de maître. L’artiste et le faux, Paris, Hazan-musée du Louvre, p.53-78.

HESMONDHALGH, David, 2013, The Cultural industries, 3e ed, Sage Publications Ltd., 480p.

HIRSCHMAN, Albert O. 1986, Vers une économie politique élargie. Les éditions.de Minuit, 112p.

HUGHES Everett, 1996, « Le drame social du travail ». Dans Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 115, « Les nouvelles formes de domination dans le travail » (2) pp. 94-99.

– 1997, Le regard sociologique, essais choisis. Textes rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Paris, Éditions de l’EHESS, 344p.

Israel’s central bureau of statistics, 2013, Jerusalem: Selected Data (2012-2013) mfa.gov.il/MFA/AboutIsrael/Spotlight/Pages/Jerusalem-Selected-Data-2012-2013.aspx

Israel Film Fund, 2017 Israel Film & Television Industry Facts and Figures at a Glance 2017, 4p. JACOBS, David, 1981, « Toward a theory of mobility and behavior in organizations: An inquiry into the consequences of some relationships between individual performance and organizational success» American Journal of Sociology, 87(3) p. 684-707.

JACOBSON, David C., 2004, «The Ma'ale school: Catalyst for the entrance of religious Zionists into the world of media production» Israel Studies9(1), p. 31-60.

JONES, Candace, 1996, «Careers in project networks: The case of the film industry» dans Michael B. Arthur, Denise M. Rousseau (eds.) The boundaryless career: A new employment principle for a new organizational era, p.58-75.

JONES, Candace et DEFILLIPPI, Robert J., 1996, «Back to the future in film: Combining industry and self-knowledge to meet the career challenges of the 21st century». The Academy of Management Executive, 10(4) p. 89-103.

KAWIN, Bruce, 1992, How movies work. Londres, University of California press, 608p.

–2008 « Authorship, Design, and Execution » dans Barry Keith Grant (ed.) Auteurs and authorsip: a film reader, Wiley-Blackwell[1987], p. 190-199.

KLEIN, Menachem, 2001, Jerusalem: The contested city. New York, NYU Press, 363p.

LABORDE, Denis, 2008, « L'Opéra et son régisseur », Ethnologie française, 38(1), p. 119- 128.

240

LALLIER Christian, 2004, L’autre et le regard caméra : Filmer le travail des relations sociales, Thèse de doctorat en ethnologie et anthropologie sociale sous la direction de Jean- Paul Colleyn, Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), 536p.

–2009, Pour une anthropologie filmée des interactions sociales, Archives contemporaines,250 p.

LAMBERBOURG, Adeline, 2010, « Parcours croisés de Dominique Cabrera, cinéaste, et de ses proches collaborateurs », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, n° 11 [En ligne].

LAMPEL, Joseph et SHAMSIE, Jamal, 2003, « Capabilities in motion : New organizational forms and the reshaping of the Hollywood movie industry », Journal of Management Studies 40(8) p. 2189-2210.

LE GUERN PHILIPPE, 2004, « Les professionnels de la profession : une enquête sur le tournage de la série" Julie Lescaut" » dans Pierre Beylot, Geneviève Sellier (dir.), Les séries policières, Editions L'Harmattan, p. 37-56.

LORENZ Edward, 2003, « Que savons-nous à propos de la confiance ? Un tour d’horizon des contributions récentes » dans Vincent Mangematin. et Christian Thuderoz. Les mondes de confiance. Un concept à l’épreuve de la réalité sociale, p. 109-118.

LORENZEN, Mark, 2007, Creative Encounters in the Film Industry: Content, Cost, Chance, and Collection. Creative Encounters Working Paper Series 2007 [ En ligne] openarchive. cbs. dk/bitstream/handle/10398/7244/wp03-2007. Pdf.

LOSHBITZKY, Yosefa. 2011, Identity Politics on the Israeli Screen. Austin, University of Texas Press, [2002],246p.

MALINOWSKI, Bronislav, 2002, Argonauts of the Western Pacific: An account of native enterprise and adventure in the archipelagoes of Melanesian New Guinea, Londres, Routledge & Kegan Paul Lt, [1922], 473p.

MANDELBAUM, Jacques, 2009, Anatomie d'un film, Paris, Grasset, 306p.

MARGRAFF, Guy, 2000 Les rôles muets ont la parole : les coulisses de la figuration en Belgique. Liège, Editions Dricot, 319p.

MARY, Philippe, 2006, La nouvelle vague et le cinéma d’auteur : socio-analyse d'une révolution artistique. Seuil, 274p.

MAST, Sharon, 1983, «Working for television: the social organization of TV drama», Symbolic Interaction,6(1), p. 71-83.

MAY, John R. et BIRD, Michael S. (ed.), 1982 Religion in film. Univ. of Tennessee Press, 276p.

MCKENNA Denise, 2011, « The photoplay or the pickaxe: extras, gender, and labour in early Hollywood », Film History, 23(1), p. 5-19.

241

MENGER, Pierre-Michel, 1994, « Appariement, risque et capital humain : l’emploi et la carrière dans les professions artistiques » dans Pierre-Michel Menger, Jean-Claude Passeron,

L’art de la recherche : essais en l’honneur de Raymonde Moulin, Paris, La Documentation Française, p. 219-238.

–2009, Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain. Paris, Gallimard-Seuil-Éditions, 672p.

–2010, « Le travail à l'œuvre . Enquête sur l'autorité contingente du créateur dans l'art lyrique », Annales. Histoire, Sciences Sociales. Éditions de l'EHESS, 2010/3 (65e année). p. 743- 786.

MEYER, John P. et ALLEN, Natalie J., 1991, « A three-component conceptualization of organizational commitment. Human resource management review », 1(1), p. 61-89.

MILLE, Muriel, 2011, « Rendre l'incroyable quotidien ». Réseaux, n° 1, p. 53-81.

MORIN, Edgar.1956, Le cinéma : ou L'homme imaginaire, essai d'anthropologie sociologique. Paris, Éditions de minuit, 272p.

–1957, Les Stars, Paris, Seuil, 192 p.

–2008, L’esprit du temps. Armand Colin [1962], 218p.

MONTUORI, Alfonso, 2003, « The complexity of improvisation and the improvisation of complexity. Social science, art and creativity». Human Relations, 56(2) p. 237-255.

MONTUORI, Alfonso et PURSER, Ronald E. 1995, «Deconstructing the lone genius myth: Toward a contextual view of creativity». Journal of Humanistic Psychology, 35(3) p. 69- 112.

MORLEY, E., & SILVER, A, 1977«A Film Director's Approach to Managing Creativity». Harvard Business Review, 55(2), p.59-70.

MOUËLLIC, Gilles, 2009, « L'improvisation au cinéma : Jacques Rozier, D'Adieu Philippine (1961) à Du côté d'Orouët (1969) ». Dans Emmanuelle André, François Jost, Jean-Luc Lioult, Guillaume Soulez (textes réunis par), Penser la création audiovisuelle, Presses de l’Université de Provence, coll. Hors champ, p.85-93.

–2011, Improviser le cinema, Yellow now, 224p.

MOULIN, Raymonde, 1995 « Champ artistique et société industrielle capitaliste » De la valeur de l’art, Flammarion, p 34-54.

MOULIN, Raymonde et COSTA, Pascaline. L'artiste, l'institution et le marché. Paris : Flammarion, 1992. 423 p.

242

MUNK, Yael, 2006, « Le retour du cinéma israélien vers le Judaisme », Cahiers du Judaisme, Paris, vol. 20, p. 4-10.

NAMIAN, Dahlia et GRIMARD, Carolyne, 2016, « Reconnaître les « zones grises » de l’observation : du trouble à la vigilance ethnographique ». Espaces et sociétés, n°1 p. 19-32.

NICOLAS-LE STRAT, Pascal, 1998, Une sociologie du travail artistique : artistes et créativité diffuse. Editions L'Harmattan, 160p.

OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre, 2008, La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique. Louvain-La-Neuve : Academia-Bruylan, 365p.

OLSEN, Marvin E., 1968, the process of social organization. Holt, Rinehart and Winston, 361p.

PARIS, Thomas, 2007«Organisation, processus et structures de la création». Culture prospective, n°5, p. 1-15.

PASQUIER, Dominique ; 1995, Les scénaristes et la télévision : approche sociologique. Nathan, 220p.

–2008, « Conflits professionnels et luttes pour la visibilité à la télévision française » Ethnologie française, 38 (1), p. 23-30.

PELEG, Yaron, 2015, «Secularity and Its Discontents: Religiosity in Contemporary Israeli Culture», Jewish Film & New Media, 3(1), p. 3-24.

–2016, Directed by God: Jewishness in contemporary Israeli film and television, Austin, University of Texas Press, 200p.

PEPLOWSKI, Ken, 1998, «The process of improvisation» Organization Science, 9(5), p. 560-561.

PÉQUIGNOT, Bruno, 1993, Pour une sociologie esthétique, Paris, l'Harmattan coll. « Logiques sociales », 267p.

PERREAU, Elodie, 2005, Le cycle des télénovelas au Brésil : le jeu de la parole dans l'espace public de la fiction. Thèse de doctorat en ethnologie et antrhopologie sociale sous la direction de Jean-Paul Colleyn, Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), 385 p.

PESSIN, Alain, 2004, Un sociologue en liberté : lecture de Howard S. Becker. Presses Université Laval, 146p.

PETERSON, Richard A., 2005, «In search of authenticity», Journal of management studies, 42(5), p. 1083-1098.

PEW RESEARCH CENTER, March 8, 2016 Israel’s Religiously divided society report pewforum.org/2016/03/08/israels-religiously-divided-society/.

243

PINA E CUNHA, Miguel, VIEIRA DA CUNHA, Joao, et KAMOCHE, Ken, 1999, « Organizational improvisation: What, when, how and why ». International journal of management reviews,1(3), p. 299-341.

PODOLNY, Joel M, 2010, Status signals: A sociological study of market competition. Princeton University Press [2005], 304p.

POWDERMAKER, Hortense, 1950, Hollywood, the dream factory: An anthropologist looks at the movie-makers. Boston: Little, Brown, 195p.

POWELL, Walter W., 1990, «Neither Market nor Hierarchy: Network Forms of Organization», Research in Organizational Behaviour, vol.12. p. 295-336.

RANNOU Janine, 1997, Les carrières des intermittents techniques de l’audiovisuel et des spectacles. De l’individu à la communauté des métiers, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, Département des Études et de la Prospective. 12p.

ROT, Gwenaëlle, 2007, « Le travail dans le cinéma, note de recherche ». Raison présente, n°162, p.7-18.

–2011, Rapport Tournages et territoire L’Ile-de-France, quel(s) territoire(s) de tournage, pour quels enjeux ? Paris, Université Paris Ouest, DGALN/PUCA, 141p.

–2014, « Noter pour ajuster. Le travail de la scripte sur un plateau de tournage », Sociologie du travail, 56(1), p. 16-39.

–2016 « Les repas de tournage. Contraintes productives et commensalité », dans Thomas Bouchet, Stéphane Gacon, François Jarrige. Et.al (dir) La gamelle et l'outil. Manger au travail en France et en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Nancy, Arbre bleu éditions, p. 337-351.

ROT, Gwenaële et DE VERDALLE, Laure, 2013, Le cinéma. Travail et organisation, Paris. La Dispute, 236p.

SANCHIS SINISTERRA José, 1999, Los Figurantes, Les figurants, trad. De l’espagnol par Geneviève Lachery Théron, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 175p.

SANJEK, Roger, 2002, « Ethnography » dans Alan Barnard, Jonthan Spencer (eds.) Encyclopedia of social and cultural anthropology, Routledge, p. 193-198.

SANTOS, Luc Sigalo, 2014, « Le recrutement des figurants de l'audiovisuel. L'ANPE Spectacle, un intermédiaire public sur le marché des images », Revue française de socio- économie, 2(14), p. 15-39.

SARRIS Andrew, 1968, The American cinema: Directors and directions, 1929-1968, New York, Dutton, 383p.

244

SAWYER, R. Keith et DEZUTTER, Stacy, 2009, «Distributed creativity: How collective creations emerge from collaboration». Psychology of aesthetics, creativity, and the arts. 3(2), p. 81-92.

SEGRAVE, Kerry, 2013, Extras of Early Hollywood: A History of the Crowd, 1913-1945. McFarland, 197p.

SEROUSSI Benjamin, 2005, « La création au travail. Le film, produit d'un collectif », dans Alexandra Bidet, Anni Borzeix, Thierry Pillon, Gwenaële Rot et François Vatin (dir.), Sociologie du travail et activité, Toulouse, Octares, p. 85-100.

SHOHAT, Ella, 2010, Israeli cinema: East/West and the politics of representation. Londres, IB Tauris [1989], 416p.

SCHWEITZER, Ariel, 1997, Le cinéma israélien de la modernité. Paris, Editions L'Harmattan, 276p.

–2013, Le nouveau cinéma israélien. Paris, Yellow Now/ Côté cinéma, 176p.

SILVERSTONE, Roger, 1985, Framing science; The making of BBC Documentary. Londres British Film Institute, 239 p.

SLIDE Anthony, 2012, Hollywood Unknowns: A History of Extras, Bit Players and Stand-Ins, Jackson University Press of Mississippi, 256p.

SORIGNET, Pierre-Emmanuel, 2012, Danser : enquête dans les coulisses d'une vocation. Paris, La Découverte, 333p.

SORLIN, Pierre, 1977. Sociologie du cinema : Ouverture pour L'histoire de demain. Aubier Montaigne, 319 p.

STRANDVAD, Sara Malou, 2009, Inspirations for a new sociology of art: A sociomaterial study of development processes in the Danish film industry. Thèse de doctorat, department of Organization sous la direction de Julie Sommerlund and Casper Bruun Jensen, Copenhagen Business School Press, 224p.

STRAUSS, Anselm, 1993, Continual Permutations of Action New York, Aldyne de Gruyter, 280p.

– 1994, « L’influence réciproque de la routine et de la non-routine dans l’action » dans Pierre Michel Menger et Jean-Claude Passeron, J. L’art de la recherche. Essais en l’honneur de R. Moulin. Paris. La documentation Française, p.349-366.

TALMON, Miri, 2009 . From the land of our forefathers to our mother, the home-land: negotiations of cultural identity in israeli cinema, Proceedings of the 2009 Conney Conference on Jewish Arts, University of Wisconsin.

– 2013. «A Touch Away from Cultural Others: Negotiating Israeli Jewish Identity on Television». Shofar, 31(2), p. 55-72.

245

TALMON, Miri et PELEG, Yaron, 2011, Israeli Cinema : Identities in Motion. Austin University of Texas Press, 391p.

TRAVERS, Jeffrey, et MILGRAM Stanley. 1967, «The small world problem. » Psychology Today 1(1), p. 61-67.

TRUFFAUT, François, 1954, « Une certaine tendance du cinéma français ». Cahiers du cinéma, 31(1), p. 15-28.

UTIN Pablo, 2017, The New Israeli Cinema: Conversations with Filmmakers. (shiurim be kolnoa: sihot im yotsrot ve yotsrim israelim) Asia, 191p.

UZZI, Brian et SPIRO, Jarrett. « Collaboration and creativity : The small world problem». American journal of sociology, 2005, vol. 111, no 2, p. 447-504.

VERNET, Antoine, 2010. L'ombre et la lumière. Sociologie économique de l'activité cinématographique : travail et carrière chez les techniciens de la lumière. Thèse de doctorat en sociologie sous la direction de François Vatin, Univesité Paris 10 Nanterre, 368p.

VILLAGORDO, Eric, 2012, L'artiste en action : vers une sociologie de la pratique artistique. Paris, Editions L'Harmattan, coll. « Logiques sociales »,282p.

VINIG, Marylin, 2011, A kolnoa a haridi [le cinéma ultra-orthodoxe] Tel Aviv : Resling, 171p.

WEICK, Karl E, 1998, «Introductory essay—Improvisation as a mindset for organizational analysis», Organization science, 9(5) p. 543-555.

ZANGER, Anat, 2012. Place, memory and myth in contemporary Israeli Cinema. Vallentine Mitchell, 286p.

SÉMINAIRES

FRIEDMANN Daniel, Monique PEYRIERE (coords.) « Filmer le champ social », , Séminaire de Centre, EHESS, Paris,

FILMOGRAPHIE

CASSIGOLI Alessandro et CASTEL Dalia, 2007 Rome, les petits rôles de Cinecitta, 360° - GEO – Arte, 43 minutes.

DICILLIO TOM, 1995, Living in Oblivion, 90 minutes.

FRIEDMANN Daniel, 2006, Lionel’s bar, 59 minutes.

FULTO Keith, PEPE Louis, 2002 Lost in La Mancha, 93 minutes.

246

MORIN Edgar ; ROUCH, Jean, 1961, Chronique d’un été ? 85 minutes.

NADJARI Raphaël, 2009 Une histoire du cinéma israélien - Première partie : 1933-178 - Deuxième partie : 1978-2007, Zadig Productions, ARTE Éditions, 105 minutes.

PERLOV, David, 1963, In Jerusalem, 33 minutes

TRUFFAUT, François, 1973, La nuit américaine, 112 minutes.

247

ANNEXE S

A N N E X E 1

LISTE DES PERSONNES INTERVIEWÉES

Nom F/M Fonction sur le Date de tournage l’entretien Michel M Directeur de la 01/07/2012 Abramowicz photographie Haim Asias M Steadycamer 15/04/2012 Boul M Figurant 13/04/2012 soudanais Shuli F 1ère assistante 7/05/2012 Calderon réalisatrice Hannah F Coordinatrice de 11/04/2012 Della production Pergolla Ohad Domb M Responsable des 06/05/2012 repérages Dudi M Responsable des 1/05/2012 Dorham figurants Damien M Ingénieur de la 28/04/2012 Dufresne vision Noga Ginton F 2e assistante 3/05/2012 réalisatrice Efrat Gosh F Actrice 6/05/2012 Hassan M Responsable 1/04/2012 figurants arabes & palestiniens Ori Hizkiah M Acteur 9/05/2012 Yoam Honig M Directeur de la 20/08/2012 Jerusalem Film Fund Rudi Komer M Assistant de 17/04/2012 production (runner) Dudi Lis M Ingénieur du son 7/05/2012 Roy Mano M Chef machino 7/05/2012 Jonathan M Recruteur de 2/04/2012 Mesiguish figurants religieux /ultra-orthodoxes

248

Adir Miller M Acteur 8/05/2012 Avraham M Figurant juif ultra- 20/04/2012 Nahimtu orthodoxe Avi Nesher M Réalisateur 26/08/2012 Shuki Paz M Chef électricien 6/05/2012 Mahmoud M Recruteur de 1/09/2014 Salama figurants arabes/palestiniens pour Take2 Dudi Shamir M Directeur de 30/08/2014 l’agence de comédiens et figurants Take 2 Dudi Silber M Producteur 25/04/2012 délégué Rosie Star F Figurante 9/05/2012 Avi Tov M Responsable des 06/05/2012 lieux de tournage Sivan F (responsable 2/05/2012 Tseelon accessoires) Boaz M Chef opérateur 08/05/2012 Yaakov Izekiel M Figurant ultra- 10/05/2012 Varsha orthodoxe

249

ANNEXE 2

LIVRE DE CODES UTILISÉS POUR L’ANALYSE QUALITATIVE

Les catégories et codes ont été définis à partir des différentes sources disponibles (vidéo, documents, notes de terrain, entretiens…) et générés grâce au logiciel QDA Miner v1.03 de Provalis Research.

Biographie Entrée cinéma Famille Première expérience Arrivée sur le tournage de Plaot Parcours Cinéma éloigne de la vie familiale Travaille dans le cinéma en secret Choix de la spécialisation Pas planifié à l'avance Avis de la famille sur le travail exercé Intérêt pour l'art Intérêt pour le cinéma depuis l'enfance Changement de carrière Homme connu de sa communauté Arrêter le cinéma

Motivations pour travailler dans le cinéma Pour gagner de l'argent Réalisation d'un fantasme/ « défi de produire » Se développer et apprendre Des gens sympas Confiance Sortir de la routine Aime beaucoup Jérusalem Curiosité Expérience spirituelle Sensation Plaisir Variété des gens et du travail Créer une ambiance Connaître de nouvelles personnes Plus de temps plus d'intérêt Cinéma comme art total Point de rencontre entre contenu et gestion Parce que c'est cool Devenir réalisateur Être invité à l'avant-première du film Faire du bon travail Aller de soi

250

Ne s'intéresse pas au cinéma

Figurants Début de travail dans le secteur Description du travail Recommandation Règles Abus Diversité des profils de figurants Locaux Orthodoxes Avis positif Arabes Motivations pour figurer sur le film Intrigué Figurant professionnel Humour/autodérision Longévité Historique Turnover important Processus de recrutement agence Contrat agence clauses Relation longue avec les figurants Evolution de la demande de figurants pour plus de figurants orthodoxes Déconsidérés dans l'industrie Figurants à l'étranger VS figurants en Israël Instabilité Survivante de la Shoah Ont pris des cours de comédie Organisation Différences entre rôle de Noga et Dudi concernant les figurants 2e assistant responsable de la distribution des figurants Travail de recrutement des figurants pas pour l'argent Plus de facilité à recruter les jeunes orthodoxes Description du travail de choix de figurants Nombre important de figurants Diversité des intermédiaires pour le recrutement Différences modes de paiement et régulation agence et direct Imprévisibilité des figurants Réserve de figurants Recruteurs spécifiques orthodoxes et arabes Importance de la confiance dans le recrutement des figurants Compétition et solidarité entre recruteurs Gestion des figurants Reflets de la société israélienne Silhouettes Problèmes de communication arabe hébreu Membres de l'équipe utilisés comme figurants ou doublures Economie de figurants Mise en scène des figurants

251

Séparés des autres membres de l'équipe Confirmer leur venue par téléphone Casting sauvage Diversité des réactions au téléphone Danger de la figuration Dissipés

Salaire Salaire recruteur figurants Salaire figurants Salaire scouter Commission Agence figurants Statut syndical Différence de salaire avec la france Salaire figurants orthodoxes Salaire figurants arabes

Implication Importance de l'implication dans le travail Risque et prise d'initiative Recrutement des acteurs Implication dans l'écriture du scénario Dangerosité et addiction du plateau Ne connait pas le sujet du film Stress Implication du réalisateur avi Nesher Responsabilité du réalisateur sur le résultat Sacrifice Travailler alors qu'on a perdu un proche Implication des figurants Implication des acteurs Impact du travail sur la vie privée

Activité Types d'activités exercées Importance de la connaissance du terrain pour les repérages Intensité du travail demandé Freelance instabilité Description du travail d'acteur Cumul de plusieurs activités Travail par projet Art et technique Techniciens moins bien protégés Longues heures Comparaison réalisation et production Valeur ajoutée au travail dans le cinéma Activité observée Damien La régie Décoration Centre de production

252

Costumes Société de production Prise de son

Spécificités tournage Israël Désordre Chaleur humaine Kibbutzniks sur le tournage Impact positif de membres de l'équipe étrangers Plus relax Vocabulaire et organisation anglo-saxonne Pas assez de moyen Moins dépensiers Univers militaire Equipe de haut niveau « Vibe » différente « Tout malin est roi » Familiarité Pas de glamour Vêtements de l'armée Fête religieuse Multilinguisme Membres de l'équipe de tournage reflets de la société israélienne Participants susceptibles d'être appelés par l'armée à tout moment

Spécificités industrie Israël Professionnalisation Sections pour figurants orthodoxes et arabes Mentalité israélienne Films « pas terminés » Fait pour l'étranger Problématiques nationalistes Croissance Contraintes extérieures ont un impact sur l'écriture Films pas commerciaux Gens prêts à se sacrifier pour un film

Géopolitique Perception des arabes dans les films israéliens Sécurité Travail avec des palestiniens des territoires Tournage dans les territoires Relations juifs et arabes Conflit israélo- arabe Cinéma rapproche les deux peuples Perception arabes et orthodoxes à l'écart du reste de la société Gauche/droite Sionisme et religion

Argent

253

Coût de faire venir des acteurs des territoires Assurance des figurants Budget Impossible de vivre de la réalisation Cinéma coûte cher Processus de financement du film Petite caisse

Religion Pas religieux mais intéressé Retour à la religion Différence entre foi et religion Refuse de donner son opinion Culte de personnalité des rabbins Perception des religieux par laïc Falsification de la religion Processus d'éloignement de la religion Cinéma chez les ultra-orthodoxes Intérêt pour la culture juive Présentation des ultra-orthodoxes dans le cinéma Parallèle Safed et Jérusalem religion Prise de pouvoir de la religion Pas ma tasse de thé Métier de religieux Religieux gens comme toi et moi Critique Maaleh : école de cinéma pour religieux « Point de couture » source de conflit Importance de la religion Israel socialiste laïque VS Israel religieux capitaliste Place de la religion est une vérité existentielle Conception matérialiste de la religion Contre la religion Corruption Critique d'un courant de la religion Critique sur statut social des orthodoxes pas la religion Présence visible de l'aspect religieux en Israël

Tournage Définition Impact du tournage sur la vie des gens et lieux Processus du choix et confirmation des lieux de tournage Importance du temps Espace tendu Différence entre le tournage et ce qu'on voit à l'écran Description de l'expérience de tournage Importance de la lumière Magie de la 1ère prise Conditions météorologiques Beaucoup de papier

254

Réécriture du scénario Tournage et plaisir Endroit problématique pour les acteurs selon Avi Nesher Importance du rôle de Sivan pour Avi Nesher Importance de la hiérarchie Installation matériel Existence d'une hiérarchie Changements Aide à l'organisation Souder l'équipe Aide scripte Place à part du réalisateur Influences extérieures sur le tournage Interdépendance Nombre de personnes sur le plateau Communication et coordination Organisation du plateau Rôle de Keinan Conflit Gestion des imprévus Making of entretiens Renouvellement des membres de l'équipe Entre les prises Centre de production séparé du plateau Importance du rôle de 1er Réa Shuli

Travail avec Avi Nesher Bonnes relations Méthodologie de travail Flexibilité d'Avi Nesher "Il sait ce qu'il veut" Travail collaboratif Importance du repérage des lieux pour l'écriture du scénario Importance donnée à l'authenticité Unique Elève le niveau du film Bon directeur d'acteurs Confiance en ses collaborateurs Tout dans la tête Gros travailleur Bulldozer Avi Nesher présenté comme le réalisateur de ville Techniciens vus comme « collaborateurs de création » Acteurs associés à la création du film Limite du travail collaboratif Création d'un lien social Modèle du groupe de jazz Co écriture du scénario Métaphore film =enfant Aime s'occuper de tout

255

Avec lui ça va très vite Avi Nesher coproducteur du film Il ne demande rien à personne Accepte des commentaires Cadre des scènes Interactions avec peu de personnes S'amuse avec les acteurs et figurants Dirige les figurants Perfectionniste

Rôle Assignation des rôles sur un tournage Description du rôle Cumuls de rôles sur le tournage Rôle dans le film Risque de changer de rôle Rôle du 1er assistant réalisateur Rôle du 2nd assistant réalisateur Rôle de Dudi Dorham selon Noga Ginton Réalisateur est un rôle Pour Avi Nesher rôle de Shuli Calderon est créatif Importance de la spécialisation des rôles sur l'organisation du tournage Description du rôle de producteur Passage par des rôles intermédiaires pour accéder au rôle que l'on veut Renversement des rôles juif/ arabes

Spécificités du tournage de Plaot Diversité des lieux Chronologie Difficultés de coller au scénario Décisions de tourner à Tkoa Difficultés tournage rue Daniel Bordel Plusieurs intermédiaires pour les figurants Matériel Sensibilité, urgence, hystérie Manque de temps pour la pré-production Beaucoup de personnes Passer beaucoup de temps sur des choses Pas de séparation vie privée tournage AN aime tourner dans les lieux où l'action se passe Figurants difficiles à obtenir Lieux temporaires pour la production Retards Pas de traitement de faveur Majorité de l'équipe dort dans le même hôtel Présence du scénariste sur le tournage Présence de proches sur le tournage Techniciens s'appellent par leurs noms de famille Présence du producteur délégué sur le tournage

256

Problèmes de prise de son Scènes intimes avec équipe réduite Tournage décors réels Making of Tournage en milieu naturel Présence des financiers sur le tournage Acteur connu qui joue un personnage de la bohème de Jérusalem Solidarité collectif

Relations Compliments Remontrances Impact des relations sur le travail Travail avec Avi Nesher et Michel Abramowicz Importance de la morale de travail Collaboration avec Michel Abramowicz Collaborations multiples Relations hors tournage Relations avec les acteurs Relations avec Dudi Silber et Keinan Eldar Relations avec Chuki Relations Shuli Calderon et Noga Ginton Shuli Calderon et Avi Nesher Avi Nesher considère membres de l'équipe comme une famille Relations avec Dudi Silber selon Avi Nesher Relations avec Avi Nesher selon Dudi Silber Humour Chien du tournage Impact du travail sur les relations Relation ingé son/ perchman

Recrutement Qui m'a recruté Expérience passée avec un membre de l'équipe du film Recrutement par défaut Modalités de recrutement des chefs de poste Importance de la chance Importance du réseau pour le recrutement et accès au plateau

Spécificités tournage Jérusalem Lieux sensibles Importance d'avoir des membres de l'équipe du lieu Rôle de la Jerusalem Film Fund Image de la ville Frontière Difficultés spécifiques S'adapter à la vie locale Impact sur recrutement de figurants Membres de l'équipe originaires de Jérusalem Tournage quartier orthodoxe

257

Intérêt des habitants pour le tournage Cauchemar Différence de météo Problèmes de circulation Communautés juives ultra-orthodoxes et arabes Attachement des figurants à leur ville Lieux historiques

Authenticité Reconstruction de lieux et décoration Authenticité & rareté VS coût et considérations économiques Doublures des acteurs principaux Arabes jouant des policiers Laïque jouant religieuse Conception de l'authenticité par Avi Nesher Authenticité des figurants Authenticité du scénario

Postproduction Difficultés lors de la postproduction Son Graff et animation Travail de la production après fin de tournage Animation Postproduction en Belgique Bande originale par Dag Nahash

Tournages étrangers Plus ordonnés Différence de budget Comparaison avec la France Financement Impression management « Tournage le plus dur que j'ai fait dans ma vie » Problèmes de communication interculturelle Demandes irréalistes de tournages étrangers en Israel Opposition réalisateur producteur Comparaison méthodes israéliennes et américaine de faire des films Spécialisation des rôles plus importante Plus « froide » Pas de différence dépend du réalisateur Israël terre de tournages étrangers

Rapport au sujet du film Pas assez critique Marchandisation existe aussi dans le monde des laïcs Du mal à se faire une idée Beaucoup aimé Sujet d'actualité Histoire vraie à l'origine du film

258

Analogie secte et film Avi Nesher ne juge pas les actions de ses personnages

Technique Numérique VS argentique Réduction des coûts des cameras Lumière Utilisation d'une grue Eau sur le trottoir Utilisation dolly Steadycam Beauty shot Réflecteur Effets spéciaux Scène complexe à tourner

Universalité du cinéma Universalité des films Universalité des modalités de fabrication

Carrière Construction de la carrière Saisir opportunité Importance de prendre de l'expérience

Préproduction Réécriture scénario Pour Avi Nesher période de répétition est la plus créative Longue préparation Coécriture du scénario Scénario et animation Avi Nesher travaille sur d'autres projets pendant la préparation Processus de création

Conception du cinéma Vision auteuriste du cinéma Viens de la théorie du cinéma

Réception des films d'Avi Nesher Films ne sont pas compris à l'étranger Réception de Plaot

259

Réflexivité Apprendre une nouvelle langue Place du chercheur dans l'équipe de tournage Utilisation d'une caméra vidéo Réalité rejoint fiction Yom Ashoah Yom Azikaron, Yom Aatzmaout Curiosité des enfants Humour de situation Emotions

260

ANNEXE 3

TABLEAU 1

Population juive agée de 20 ans et plus en Israël (Jérusalem, Tel Aviv Yafo et Haifa) par niveau de religiosité : 2005-2007 & 2010-2012.

Moyenne sur trois ans Haifa Tel Aviv- Yaffo Jerusalem Israël

-2010 -2005 -2010 -2005 -2010 -2005 -2010 -2005 2012 2007 2012 2007 2012 2007 2012 2007 Nombres absolus

Total 162,042 166,993 288,401 276,196 290,01 266,973 3,868,70 3,535,30 7 3 2 Non religieux, 90,819 104,957 177,277 164,671 55,451 61,002 1,681,10 1,559,53 laïques 0 9 Traditionnali 43,287 38,224 65,706 70,593 49,376 50,895 908,560 891,950 stes peu observants Tradtionnalistes- 14,954 11,672 27,474 24,184 32,487 34,870 547,719 480,815 observants Observants )7,315( )7,456( )11,569( )12,946( 61,841 46,154 382,589 342,778 Ultra-orthodoxes 5,666(Ul )4,683( )6,374( )3,802( 90,863 74,052 348,734 260,219 ) Pourcentage (%)

Total 100 100 100 100 100 100 100 100 Non religieux, 56 63 61 60 19 23 43 44 laïques

Traditionnali 27 23 23 26 17 19 23 25 stes peu observants Tradtionnalistes- 9 7 10 9 11 13 14 14 s observan Observants )5( )4( )4( )5( 21 17 10 10 Ultra-orthodoxes )3( )3( )2( )1( 31 28 9 7

Source : The Jerusalem Institute for Israel Studies. en.jerusaleminstitute.org.i

261

ANNEXE 4

SYNOPSIS DU FILM PLAOT

( Adapté de l’hébreu) Ariel Navon, surnommé Arnav (lapin en hébreu) que l’ex et dorénavant pieuse petite amie (Wax) considère comme un poète des rues, (il dessine des graffitis la nuit sur les murs de

Jérusalem) est plutôt un humble barman. Arnav approche l’anniversaire de ses 30 ans sans se presser. Sa vie est bouleversée lorsqu’un homme mystérieux (Knafo), peut être un escroc, peut

être un prophète des temps modernes, est kidnappé et emprisonné dans un appartement à

Jérusalem juste en face du sien par trois individus louches.

Un détective privé (Gittes), recruté par une belle et mystérieuse jeune femme (Ella), veut louer le modeste appartement d’Arnav pour pouvoir surveiller le mystérieux prisonnier. Arnav qui n’est jamais vraiment resté à l’écart des sept Péchés Capitaux, a quand même un sens moral. Il insiste et demande quel est l’enjeu de cette surveillance. Mais cette curiosité risque de coûter la vie à notre poète des rues. Le prisonnier mystérieux et excentrique semble pouvoir s’échapper quand il le souhaite, mais bizarrement, il choisit de ne pas le faire. Pourquoi ? Quel est son jeu ? Est-il un homme saint ou un escroc très intelligent ? La femme mystérieuse semble agir par intérêt personnel plus que par altruisme et le détective privé s’avère avoir plus qu’un intérêt purement professionnel dans cette affaire et cache lui aussi de sombres secrets.

262

De quel côté est-il ? Quel est son jeu ? Les trois hommes, un officier de police, un rabbin et un ex-boxer, qui ont orchestré l’enlèvement du mystérieux prisonnier, ont trois jours pour comprendre ce que cache leur marionnette ou le tuer. Arnav de son côté commence un voyage mystérieux et magique pour rejoindre les bas-fonds du « Saint pays des Merveilles ». Ce voyage changera à jamais la façon dont Arnav conçoit la réalité, la religion, les regrets et la rédemption

à condition qu’il reste vivant pour pouvoir raconter ses aventures.

263

ANNEXE 5

BUDGET ET BOX OFFICE

1. Tableau 2 : Décomposition du budget du film

Plaot était le 5e film le plus cher de l’année 2013 en Israël avec un budget total de 7, 283,904 NIS.

Budget total 7 283 904 100% Fonds Rabinowitch Film 2 400 000 Fund 33% Jerusalem Film Fund 1 000 000 14% Chaînes de télévision Channel 10 1 200 000 16% Investisseurs privés Patel 400 000 5% Mifaal a pais 130 000 2% Sociétés de production United King 1 323 904 18% Galaxie 530 000 7% Autres Auteurs & équipe 300 000 5%

Sources : United King et CARMELI Avraham, LEZER Menahem 2014 Kolnoa be Israel sikum apeilut ashnatit, 2013[Cinéma en Israël : bilan de l’activité annuelle 2013], Centre Pilat pour le compte du ministère de la culture israélien.

264

Exemple d’un poster du film Bande annonce du film :

2. Tableau 3 : Nombre d’entrées

Avec 113 902 entrées, Plaot est le 3e film le plus vu en Israël pour l’année 2013**.

Nombres d’entrées Nombre de cinémas Ventes Budget total du film

où le film est sorti

113,902 38 3, 441,191 NIS 7 283 904 NIS

Source : CARMELI Avraham, LEZER Menahem 2014 Kolnoa be Israel sikum apeilut ashnatit 2013[Cinéma en Israël : bilan de l’activité annuelle 2013], Centre Pilat pour le compte du ministère de la culture israélien.

** Il n’équivaut pas le succès du précédent film d’Avi Nesher Paam Aiti (The Matchmarker) (2010) qui avait fait 200 000 entrées.

265

A N N E X E 6

FILMOGRAPHIE D’AVI NESHER

Longs métrages réalisés et produits :

 1979 : Ha Leahaka,  1979 : Dizengoff 99  1982 : She  1983 : , Ha-v  1985 : Za'am V'Tehilah  1985 : Shovrim  1991 : Timebomb  1993 : Doppelganger  1997 : Mercenary (TV)  1997 : Savage  1998 : Taxman  1999 : Raw Nerve  2001 : Ritual  2004 : Oriental  2004 : Au bout du monde à gauche (Sof Ha'Olam Smola)  2007 : Ha-Sodot (The Secrets)  2010 : Paam Haiti (The Matchmaker)  2013 : Plaot ( The Wonders)  2016 : Ahataim (Past life)  2018: Sipur aher (Another Story)

Longs métrages produits:

 1998 : Mars 2056 (Mars)  1998 : Le Dernier Templier

266

ANNEXE 7

ENTRETIEN AVEC AVI NESHER

Comment avez-vous commencé à travailler dans le cinéma ? Avez-vous quelqu’un de la famille dans le métier ?

Ma mère avait un grand amour du cinéma, j’allais très souvent au cinéma quand j’étais petit. J’étais de ces enfants qui aimaient écrire, font de la musique et aiment le cinéma. Toutes ces choses se connectaient ensemble. L’écriture, la musique etc.

Que faisaient vos parents ?

Mon père était sociologue et ma mère travaillait pour le ministère des affaires étrangères, ma petite sœur travaille à la télévision et son mari est producteur de télévision américain. Elle vit à Los Angeles.

A partir de quel âge avez-vous réellement commencé à faire du cinéma ?

J’ai grandi à New York dans une période où le cinéma en tant que mode de vie était à son apogée. A la même époque, est sorti The American Cinema d’Andrew Sarris, un texte qui a mené la perspective auteuriste américaine, beaucoup de gens de ma génération ont considéré le cinéma comme la chose la plus excitante à faire. Grandir à New York m’a également permis de voir un nombre incalculable de films et j’ai étudié l’université de Columbia et Sarris qui était l’un de mes professeurs, je pense m’a beaucoup influencé. Je connaissais le livre the American Cinema par cœur comme un étudiant de Yeshiva qui apprend par cœur le texte du talmud. Ce n’est qu’au lycée que j’ai appris l’existence du réalisateur qui est l’auteur du film. Aux Etats- Unis on différencie les termes « movies » et « films ». Jusqu’alors, j’avais expérimenté le cinéma comme « movies », c’est-à-dire comme un divertissement, une expérience, et à partir du lycée, j’ai commencé à considérer le film comme une forme d’art qu’un artiste crée, avec la même vision développée en France grâce aux Cahiers du cinéma et les cinéastes de la Nouvelle Vague qui voyaient dans le réalisateur l’auteur du film. Je suis rentré de plus en plus dans le cinéma, mais je n’osais pas m’imaginer comme réalisateur, je trouvais ça trop prétentieux. J’étais critique de cinéma, j’ai écrit des articles pour différentes publications, et je me considérais comme quelqu’un qui aimait plutôt la théorie, je n’étais pas de ces enfants qui ont grandi en jouant avec des caméras. J’ai grandi dans un monde d’écriture sur le cinéma.

A partir de quel moment êtes-vous passé à la pratique, et avez-vous étudié la réalisation de films ?

Quand j’ai étudié à l’université de Columbia avant de faire l’armée, à l’époque il n’y avait pas de licence en cinéma seulement un master donc j’ai pris beaucoup de cours de master. C’était une période où les professeurs étaient beaucoup plus libres et les étudiants plus dominants et j’ai donc pris des cours théoriques en cinéma. A l’armée, j’ai servi dans une unité combattante pendant un an et je me suis blessé. A ce moment là, alors que j’étais emplâtré et que je ne

267

pouvais plus bouger, j’ai recommencé à écrire sur le cinéma. Et alors je me suis dit qu’il serait intéressant de réaliser un court métrage. Et mon premier court métrage expérimental a donc été réalisé pendant que je faisais mon service militaire et s’appelait « met al hai » (mort sur vivant) a été produit par le bureau militaire pour lequel je travaillais et c’est un court métrage qui a reçu pas mal de prix dans des festivals. C’était une première expérimentation de la réalisation.

Et pourquoi avez-vous choisi de devenir spécifiquement réalisateur et pas autre chose, vous avez également produit et écrit des films ?

J’ai produit des films parce que je n’avais pas le choix. Je produis mes films, parce que lorsqu’on est réalisateur, on est impliqué dans tous les postes. Et j’ai appris au cours de ma carrière que la production a un effet important sur la réalisation d’un film et il est important d’y être impliqué dès le départ. Un réalisateur est impliqué dans tout, tout a un impact sur la mise en scène, par conséquent tu acquiers des connaissances dans presque tous les domaines de la fabrication d’un film. Comme je fais partie de cette génération qui considère le réalisateur comme l’auteur du film, pour moi l’écriture et la réalisation d’un film, c’est la même chose. Je ne me vois pas écrire séparément de la réalisation. Tout me paraît comme un seul acte créatif : comme un peintre peint et un sculpteur sculpte. Je ne comprend pas encore tout ce que chaque personne fait sur un tournage mais c’est quelque chose que j’apprends au cours du temps.

Comment décririez-vous le travail d’un réalisateur ?

Cela change d’un réalisateur à l’autre. Quand tu es auteur- réalisateur, tout commence et se termine avec toi. Quand j’étais musicien, je jouais du jazz. Et j’aimais beaucoup cette idée de 4-5 personnes jouant ensemble, où chacun apporte quelque chose, en d’autres termes pas quelque chose qui vient d’une composition particulière mais d’une création collective. Je n’étais pas un bon musicien mais j’avais cette habilité à reconnaître qui dans le groupe jouait les choses les plus intéressantes. Car dans le jazz, très souvent, quelqu’un a une idée et les autres doivent alors se joindre à lui. Il ne faut pas que chacun s’obstine à imposer son idée car alors on ne va nulle part. Je suis venu à la réalisation de ce point de vue similaire où bien que tu écrives et que tu réalises ton film, tu contribues en fait avec beaucoup d’autres artistes et tu dois permettre beaucoup d’investissement et de participation à tout le monde. Ce n’est pas mon idée, ma façon de faire, au contraire, ce qui est le plus dur pour moi en tant que réalisateur c’est le fait d’être autoritaire. Je fais partie d’une génération qui est anti-autoritaire. Alors je suppose que je suis une autorité « douce », ça fait partie des choses que tu apprends. J’ai toujours pris du plaisir à collaborer avec le directeur de la photo et définir un style visuel au film et travailler avec le compositeur. Donc tu es un peu compositeur, en fin de compte du parles la langue de chacun. C’est ce j’aime le plus au cinéma, c’est le résultat de la collaboration de beaucoup de personnes.

Quel type de réalisateur pensez-vous être, comment collaborez-vous avec les autres personnes sur le tournage ?

J’encourage la création de chacun, je cherche des personnes qui me proposent des idées. Ce qui est le plus ennuyeux, c’est le terme technicien, je ne les considère pas vraiment comme des techniciens mais comme des collaborateurs de la création. Je considère également que les comédiens ne doivent pas seulement déclamer des textes mais sont également associés à la création du film. J’encourage beaucoup du régisseur au comédien principal, la créativité de tout le monde. Mais tout le monde n’a pas forcément des bonnes idées. Je suis très content d’avoir des bonnes idées, j’ai aucun problème avec le fait que l’idée vienne de quelqu’un d’autre, cela

268

ne m’intéresse pas si cela vient de moi ou de toi. Je vois un film comme un enfant et nous sommes tous associés à son développement comme a dit Clinton sur le village global. Je suis en fin de compte celui qui décide, car à la fin quelqu’un doit décider. Mais comme j’ai dit précédemment je n’ai aucune préférence quant à l’origine des idées. Je cherche toujours la meilleure et la plus intéressante.

Parlons maintenant du travail avec les comédiens, vous ne semblez pas faire d’improvisation avec les comédiens alors que ce sur ce tournage par exemple, vous aviez deux acteurs issus du stand up…

Je ne fais pas d’improvisation mais je fais beaucoup de répétitions. Le problème du cinéma en tant que forme artistique c’est qu’il coûte très cher, chaque minute sur le tournage coûte beaucoup d’argent. Le tournage n’est pas le meilleur endroit pour chercher des idées, le plateau de tournage n’est pas un endroit très créatif par définition, c’est un endroit tendu car on a cette impression de compteur qui déroule. Je préfère donc utiliser au maximum la période de pré- production où le temps ne vaut pas d’argent.

Combien de temps ont duré ces répétitions ?

Pendant des mois, j’ai beaucoup changé le scénario après les répétitions, mes scénarios changent de manière drastique du premier jour des répétitions au dernier. Je vois dans chaque acteur un associé à la création, pendant les répétitions le comédien se rapproche du personnage et le personnage se rapproche du comédien. Il y a un processus symbiotique. La période des répétitions est l’étape que j’aime le plus dans la fabrication d’un film, elle est la plus créative. De même, lorsqu’on fait le repérage, je réecris le scénario ainsi qu’après les discussions avec les directeurs de la photographie. Chaque chose que tu fais pendant les préparations fait l’objet d’une réécriture et pendant cette étape je sors un brouillon du scénario presque chaque semaine. C’est pour cela que je profite de l’aide de quelqu’un comme Sivan, sans elle ça serait le chaos. Je considère le scénario comme une invitation à une fête, ce n’est pas un écrit sacré, la réécriture hebdomadaire du scénario, prend en compte toutes les choses intéressantes qui sont arrivées pendant la semaine. Je fais des préparations très longues. Hitchcock avait l’habitude de dire que le film se termine un jour avant le début du tournage et que le tournage ce n’est que le résultat de toute la création qui a eu lieu en amont. Cela me paraît être un peu extrême parce que des choses se passent pendant le tournage mais tu essayes que la majorité des idées se développent avant le tournage, le plateau n’est pas le meilleur endroit pour des idées originales.

Cela ne vous arrive donc pas de modifier le scénario pendant le tournage ?

Le scénario est quelque chose de dynamique, rien n’est jamais définitif, il arrive des choses. Et pendant les week ends, je faisais des réécritures, selon ce qui se passait pendant le tournage. Mais il n’y a pas de grands bouleversements, de scènes complètement modifiées. Je peux, pendant le week end écrire une nouvelle scène parce que je sens que quelque chose manque… Donc tu es très sensible à la dynamique de ce qui se passe sur le plateau. Les répétitions c’est une chose et le plateau s’en est une autre. Il y a une scène dans mon premier long métrage, A Leaka (la Troupe) qui a éé réeécrite. Sur le chemin du tournage j’ai décidé de la changer, pas le contenu de l’histoire, mais les personnages, mais c’est vraiment rare. J’essaye au maximum au moment du tournage que les choses soient fixées.

269

Comment décidez avec qui vous travaillez ? Il semble que vous travaillez avec certaines personnes depuis pas mal d’années.

Le monteur de Plaot a monté mon premier court métrage ! Il n’y a pas plus sympathique que de travailler avec des amis. C’est une expérience sociale plus plaisante, une plus grande assurance. Il y une phrase de Godard qui dit que le film c’est la fabrication d’un lien. Tu ne fais pas un film seul, tu le fais avec d’autres personnes, tu dois donc faire confiance à tes amis bâtisseurs de lien sinon tu finiras dans les sous-sols d’une prison. C’est une impression très douce d’avoir Michel [Abramowicz le directeur photo] que je connais depuis des années, cela me rend heureux de le voir dans le taxi qui nous mène au tournage chaque matin. La même chose avec le monteur que je connais depuis l’armée et avec qui j’aime beaucoup travailler. Il y a également Adir Miler [acteur principal du film]. C’est le troisième film sur lequel nous travaillons ensemble. C’est aussi très bien quand quelqu’un de nouveau arrive. Il y a très peu de discours dogmatiques dans le cinéma qui prescrivent la meilleure manière à suivre. Le modèle du groupe de jazz est celui que je préfère, c’est très plaisant de jouer avec des musiciens que tu connais mais c’est très sympa aussi de jouer avec de nouveaux musiciens.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Dudi Silber, le producteur ?

Avec lui aussi ça fait longtemps que je travaille, c’est notre quatrième ou cinquième film ensemble, c’est quelqu’un avec qui j’aime beaucoup travailler, je suis très en confiance avec lui, et il m’est très sympathique. J’aime allier la confiance professionnelle à la confiance personnelle, car un film représente une grande partie de ta vie. Un film, c’est un voyage exténuant ce n’est pas aller à la plage. Si on travaille si dur, autant que cela soit dans une bonne atmosphère.

Vous avez travaillé aux Etats-Unis, où le producteur est plus dominant que le réalisateur comment comparez-vous cette expérience à ce que vous faites en Israël ?

C’est pour cela que je n’ai pas aimé travailler aux Etats-Unis. J’étais un drôle d’oiseau là-bas. Je viens de cette tradition où tout le monde travaille ensemble alors que là-bas le producteur et le réalisateur sont des ennemis naturels. Je ne peux pas accepter ce concept d’opposition qui me paraît fou. Quand j’étais aux Etats-Unis, j’ai réalisé deux films pour des studios, et cela ne m’a pas du tout convenu. Pour le premier film, la productrice était une amie, Raphaella de Laurentis, qui est la fille de Dino De Laurentis, qui vient de l’école européenne qui respecte le réalisateur et n’est pas agressive. J’ai entendu des histoires horribles sur des réalisateurs qu’on oblige à faire certaines choses. Moi je ne peux pas, juste l’idée qu’on t’oblige à faire quelque chose cela me révulse. Je ne me suis pas vu comme quelqu’un qui pouvait travailler à l’intérieur du système des studios américains. A un moment donné, j’ai eu une société production indépendante qui fonctionnait sur le modèle du Noar a oved [“la jeunesse travailleuse”, mouvement de jeunesse socialiste israélien], avec beaucoup d’ouverture, la façon de faire des films était donc similaire à la façon de faire des films en Israël.

Est –ce que Dudi Silber avait son mot à dire sur le scénario ?

Tout le monde a son mot à dire. Tous ceux qui veulent commenter le scénario me rendent heureux. Il y a les bonnes et les mauvaises suggestions, mais chacune permet de réfléchir. Chaque réflexion est bonne. Même les mauvaises idées peuvent servir, si tu découvres que l’idée originale était meilleure, c’est en fin de compte une bonne chose. Dudi est quelqu’un de très intelligent, il est un ancien commissaire et organisateur d’expositions. C’est quelqu’un dont

270

l’opinion est importante pour moi mais l’opinion du chauffeur de taxi est également importante à mes yeux. Les opinions de chacun m’intéressent.

Comment est né Plaot ?

Ça commence toujours comme ça, avant même d’avoir une histoire, j’ai un sujet et je cherche des histoires, je fais des recherches etc. Et comme disait Godard, tu rencontres les créateurs de liens, à un certain point. Il y a des scénarios que j’aime écrire seul comme Paam Aiti , mon précédent film qui était très personnel et d’autres où je coécris avec quelqu’un. Je n’ai jamais réalisé le scénario de quelqu’un d’autre. Je ne sépare pas l’écriture de la réalisation. J’ai écrit beaucoup de scénarios, mais je n’en écris jamais pour les autres. Pour ce film en particulier je voulais faire quelque chose autour de Jérusalem, certains aspects de cette ville, son côté Lewis Carollien, l’existence d’une ville du haut et d’une ville du bas. J’ai découvert l’histoire vraie de ce rabbin qui était pris en otage dans son appartement. J’ai rencontré mon coscénariste, Shaanan Street (leader du groupe de rap A dag nahash) , dans un contexte musical ;j’ai vu un de leur concerts, je l’ai félicité par SMS et il m’en a renvoyé un en me proposant qu’on se rencontre. Et là se recrée la même chose qu’au sein d’un groupe de jazz, tu rencontres un inconnu, dont tu admires le travail et se crée une sympathie. Shaanan, qui vient de Jérusalem, m’a proposé de me montrer sa ville et alors qu’on se baladait, il m’a semblé naturel qu’il participe à l’écriture du scénario alors qu’il n’avait jamais écrit de scénario de sa vie avant celui-ci. Il me l’a dit et je l’ai rassuré, il suffit qu’une des personnes sache écrire des scénarios, c’est quelqu’un de très talentueux et sa contribution au film est unique et originale.

En combien de temps avez-vous co-écrit le scénario ?

En deux mois.

C’est assez court non ?

C’est deux mois après un an de préparation tout de même. Je collabore avec quelqu’un toujours à la fin, c’est-à-dire quand je comprends tout mais que je veux une autre voix. Par exemple, dans les films Les Secrets (A Sodot) je voulais la voix d’une femme religieuse dans l’écriture, dans Au bout du monde à gauche je souhaitais collaborer avec quelqu’un. Je cherche toujours une voix pour représenter un genre scénaristique spécifique.

Quel est votre lien au sujet du film qui est la religion ?

J’ai étudié dans une Yeshiva à New York. C’est un sujet qui m’intéresse énormément et nous vivons quand même en Terre Sainte. Le conflit israélo-palestinien peut être divisé en différents facteurs, et cela commence et se termine par la religion. Il ya un conflit palestino-palestinien qui est lié à la religion et un conflit juif-israélien lui aussi lié à la religion. C’est un lieu dans lequel les gens donnent une grande importance au poids de la religion, car c’est un endroit qui est né d’une vision socialiste et qui après soixante ans est devenu un endroit religieux ; c’est un endroit où il ya de la discrimination envers les femmes, et où les partis religieux sont importants et les premiers ministres vont voir les rabbins pour être conseillés. Nous avons essayé de vivre dans un pays laîque et socialiste et nous avons fini dans un pays qui est capitaliste et religieux. C’est la vérité de notre situation et c’est une vérité existentielle. Et quand une vérité devient existentielle tu dois absolument t’en occuper pour la comprendre.

271

Dans le film vous semblez critiquer une utilisation mercantile de la religion.

Je distingue la foi et la religion. La foi c’est quelque chose qui me convient alors que la religion je la vois comme un processus politique et social avec des aspects plus ou moins positifs. Beaucoup se sont faits tués dans ce pays parce qu’ils n’avaient pas la bonne religion.

Vous vous considérez comme quelqu’un de croyant ?

Je pense que la foi c’est quelque chose de privé et la religion quelque chose de politique, social, économique. Je suis très surpris par la confusion que les gens font entre foi et religion alors que je les considère comme deux concepts différents.

J’ai eu l’impression que sur le plateau, vous étiez très directif et que vous faisiez beaucoup de prises, avec des plans plus compliqués que d’autres. Maintenant que le tournage est terminé comment considérez-vous le travail de réalisation sur ce film ?

J’essaye toujours d’apprendre à prendre du plaisir sur un plateau de tournage. C’est quelque chose de compliqué que la fabrication d’un film. Le plateau de tournage vous semble être un endroit agréable ?

C’était la première fois que j’étais sur un plateau de tournage d’un long métrage du début à la fin et l’ambiance m’a semblé sympathique, car la plupart des personnes semblaient se connaître. Il y a effectivement certaines scènes qui avaient l’air difficiles à tourner sans parler de la tension du temps.

Le problème du manque de temps est très angoissant, Truffaut a eu cette réflexion : un film ne sera jamais exactement comme tu le voulais, la question c’est à quel point. C’est un problème de temps, car si tu avais plus de temps, il y aurait certaines choses qui auraient pu être précisées.

Est-ce qu’il y a des choses que vous auriez faites différemment si vous aviez plus de temps ?

Je ne pense pas à ça de cette façon, car ce n’est pas une pensée constructive, le temps dépend de l’argent possible qui dépend de la réalité. Je le répète un film est comme un enfant, il peut être petit, gros, grand, bon ou mauvais élève, mais en tant que parent tu dois lui donner la meilleure vie que tu es en capacité de lui procurer. C’est une grande responsabilité. J’arrive sur le plateau comme responsable sur ce qui s’y passe et si quelque chose ne se passe pas comme prévu alors j’en suis responsable et personne d’autre, si un comédien est moins bon, ou un plan est mauvais. En fin de compte, tu essayes de tout pousser au meilleur endroit que tu peux dans le cadre des limites du temps imparti et des limites liées aux ressources humaines. Et comme je fais ça depuis très longtemps, je pense que je me suis amélioré dans ma propension à moins souffrir. Quand j’étais jeune, j’avais toujours cette impression que peut être on peut faire mieux et c’est quelque chose d’horrible. Cela te ronge et te rend agressif. Je pense que d’une certaine manière si tu prépares beaucoup et que tu travailles avec des gens qui sont très impliqués comme par exemple le directeur artistique Ido Dolev qui, dans la limite de ce qu’il pouvait faire, l’a pris très loin, Li Alembik pour les costumes et Michel Abramowicz à la photo. Tu avais cette impression que chacun allait le plus loin possible compte tenu de ses capacités. C’est ce que tu veux, c’est donner à l’enfant la meilleure probabilité pour réussir. Et tu ne peux pas te permettre de te plaindre à cause de limite de temps et d’argent. En Israël, il n’y a pas de

272

cinéma commercial, faire un film ce n’est pas une affaire, si tu veux investir dans un film je te conseillerai de ne pas le faire, c’est une mauvaise idée. Nous traitons ici d’un cinéma qui ressemble à l’écriture d’un poème. Si on le fait, autant qu’il sorte bien, autant que faire se peut. Dans le cadre de cette pression importante, on n’y peut rien quand le tournage démarre alors commence un grand stress et on ne peut pas se libérer de cela. Si tu n’es pas responsable alors c’est comme si tu trahis la croyance que ton film te donne.

Comment travaillez-vous avec le directeur de la photographie, Michel Abramowicz ?

Michel a ses propres pressions, ce qui est formidable avec lui, c’est qu’il comprend qu’il ya des limites de temps et que lui aussi veut que le plan soit le meilleur possible et lui aussi s’il avait plus de temps il ferait plus de choses etc. Ce qui est formidable avec Michel, c’est qu’il comprend qu’il n’est pas le seul artiste sur le plateau. Je connais des directeurs photo qui passent quatre heures sur la mise en lumière pour qu’à la fin les comédiens aient seulement deux prises pour leur scène. Michel comprend qu’il faut faire l’éclairage en amont pour que les comédiens aient également le temps de faire leur travail. Michel arrive une ou deux semaines avant le début du tournage et nous parlons de toutes les scènes, de tous les plans et du style visuel du film.

C’était également la première fois qu’il utilisait une caméra numérique et pas du 35mm pour un film ?

C’était une très bonne décision et une très bonne caméra, la lumière reste la même ainsi que l’objectif, le travail n’est donc pas si différent. Comme Michel a déjà beaucoup trop d’information à connaître dans sa tête, je ne lui ajoute pas des informations qu’il n’a pas besoin de connaître. Il n’y a aucune raison, qu’il ait dans la tête chaque plan existant du film. Il connait à peu près l’ensemble du film, mais si pour une scène il ya un besoin technologique important alors je lui en parle pour qu’il s’en occupe. Dans notre façon de travailler c’est moi qui lui explique quel est le prochain plan, parce que j’essaye au maximum de limiter le poids des informations qu’il doit connaître, il a déjà assez de travail comme cela.

Comment avez-vous travaillé avec les assistants réalisateurs ?

La première assistante, était fabuleuse, elle a beaucoup contribué au film. Le grand problème du tournage c’est le temps, et chaque personne qui crée un peu de temps, a contribué à la réussite du film, chaque personne qui permet aux choses d’arriver à temps contribue à la réussite du film. Pour les comédiens, le plateau est un endroit problématique car tu dois atteindre une précision émotionnelle et une profondeur dans un endroit où les gens mâchent du shewing gum et parlent au téléphone.

Et vous aviez déjà travaillé avec cette première assistante ?

Non c’était la première fois. Elle est géniale à mon avis. Je considère les membres de l’équipe du film comme des membres de la famille car ce sont des gens avec qui ont vit une expérience très émotionnelle, ce sont des gens que j’aime beaucoup personnellement et tu ne les vois que pendant le travail, mais ça fait partie de la nature des choses. Il y a un évènement comme le vernissage d’une exposition, c’est comme une bar-mitzvah, alors bien sûr que tu les invites. e ne les vois pas comme mes employés, ce sont des associés à la création. Et le fait que je sois le réalisateur, c’est simplement parce que c’est mon rôle, je ne suis pas leur boss ni leur commandant.

273

Et comment avez-vous recruté Shuli Calderon, la première assistante ?

Elle était productrice exécutive sur la version israélienne de Survivor, et n’avait pas travaillé en tant que première assistante depuis pas mal de temps. Elle n’était plus vraiment sur le marché. Pour mon précédent film, Paam aiti, (The Matchmaker), nous avions recruté un premier assistant britannique, que j’avais connu dans d’autres circonstances. Le rôle du premier assistant réalisateur est primordial. Par exemple, c’est lui qui fait régner le silence, c’est très difficile de demander à cinquante personnes de rester silencieuses, ce n’est pas naturel. On n’est pas à l’école. Le premier assistant britannique était lui aussi très bon. C’est un rôle qui demande beaucoup d’expérience. Tu peux réaliser un premier film et te débrouiller, mais tu ne peux pas être un premier assistant d’un premier film et te débrouiller. C’est Adir Miller, qui, le premier, m’a parlé de Shuli. Elle était revenue travailler en tant que premier assistante sur sa série Ramzor. Je lui ai fait passer un entretien, elle est fantastique. Ce travail de premier assistant n’est pas considéré comme un travail créatif ou artistique, et moi je pense que oui. Je pense que sa contribution au film n’est pas moins importante que celle de Michel, Adir ou la mienne.

C’est donc vous qui recrutez la plupart des chefs de poste sur le tournage et pas le directeur de production ?

Oui, pas exactement chacun a son département, son équipe. Par exemple Michel a son équipe d’assistants et c’est lui qui les choisit. Mais effectivement moi je choisis les chefs de poste.

Il ya également Sivan votre assistante personnelle qui a assisté le travail de la scripte Liel?

Oui son rôle est également primordial, c’est moi qui l’ai recruté. Il ya une importante somme d’information à retenir, il suffit qu’une chose soit oubliée pour que cela remette en cause le film. Le gros problème avec un film c’est que chaque erreur est filmée, et si une erreur est enregistrée c’est trop tard elle le sera pour toujours. Un film existera encore dans cent ans, ça ne disparaît pas. C’est une très grande responsabilité.

Voyez –vous une différence entre les méthodes de tournage à l’étranger, notamment aux Etats-Unis et en France où vous avez tourné, et en Israël ?

Le cinéma indépendant américain ressemble au cinéma israélien et au cinéma européen. La grande différence est plutôt entre le système des studios où les studios ont un statut très dominant, avec des histoires terrifiantes de licenciement, changements forcés etc. pour lequel je ne suis pas fait et dans lequel je ne peux pas fonctionner. Pour moi, c’est le contraire de la créativité. Il y a des gens qui se sentent comme des poissons dans l’eau, comme James Cameron ou Spielberg, c’est un problème de tempérament, je pense. Je ne suis pas fait pour ça. Je vous donne un exemple. En plus de mes deux films que j’ai fait à Hollywood, j’ai fait un troisième film de studio pour Miramax, et nous avons filmé en Jamaïque, le directeur de la photographie était Douglas Milsome qui a reçu deux oscars pour des films de Kubrick. La production nous a mis, les comédiens et moi-même, dans un hôtel cinq étoiles alors que le reste de l’équipe restait elle dans un hôtel trois étoiles. Moi, je viens d’une tradition israélienne et il n’ya pas ce genre de choses, nous sommes meilleurs que les autres, on le mérite. J’ai dit que je n’étais pas d’accord. Les studios n’ont pas compris au début et cela les avait même énervés alors que cela leur permettait d’économiser de l’argent. Moi, ça m’avait l’air bizarre de ne pas partir ensemble avec les copains le matin. J’ai refusé et je suis donc resté pendant tout le tournage dans l’hôtel trois étoiles. C’était symptomatique, dans les films de studios, il y a des statuts, comme dans une royauté.

274

Sur le tournage, il y a également une spécialisation extrême des rôles, car il y a beaucoup plus d’argent et de temps et beaucoup plus de gens. C’est un autre monde. Vous savez, sur le premier film de studio que j’ai réalisé, la question la plus dure qui m’était présentée le matin c’était ce que je voulais manger pour le déjeuner. Et tu peux manger, tout ce que tu veux. Cependant, quelqu’un du studio peut t’appeler et te dire nous sommes très satisfaits de cela mais pas de cela etc. Et le plus grave dans un film de studios c’est que le casting, n’est pas le tien, il t’est imposé.

Comment s’est passé la collaboration avec les Français ? Voyez-vous des différences avec Israel ?

C’était un plaisir, je n’ai pas vu de différences. Fanny Ardant qui a joué dans mon film Les Secrets était « one of us », elle était fantastique. Elle est une amie, c’est une tradition française antiroyaliste. Elle n’a rien demandé de spécial, pas de nourriture ou de traitement particulier, au contraire, elle était un peu comme moi sur le film américain. C’était important pour elle de venir avec tout le monde et revenir avec tout le monde, elle était très proche des jeunes comédiennes. C’était une expérience fantastique. Et Aure Atika et Jean Benguigui dans Au bout du monde à gauche, étaient géniaux. J’aime beaucoup les français et on avait des membres de la production qui étaient français et qui étaient fantastiques. La post –production en France également, s’est très bien passée, et j’avais un très bon mixeur sur ces films avec qui malheureusement je n’ai pas pu travailler cette fois ci. Je pense que les gens du cinéma en France, même si je n’ai pas fait de films en France, ont la même conception du cinéma que moi.

Comment avez-vous trouvé le tournage à Jérusalem ?

C'était fantastique. Je pense qu'un lieu doit être un personnage du film à part entière, un peu comme Paris dans Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. J'aime beaucoup faire participer des gens du lieu au film ; je déteste être une sorte d’"organisme colonisateur", j'aime quand les habitants du quartier participent en étant des figurants ou des assistants. Par exemple, Il y avait cet homme qui nous a loué son appartement dans le quartier de Musrara, c'était un homme formidable. Je suis rentré une fois chez lui pour aller aux toilettes et il m'a demandé si je voulais un thé. Il a reçu son argent mais il a aussi vécu une expérience. C'est ce que j'adore dans le cinéma, c'ést quelque chose de très large. Et cet homme est simple, il travaille à la mairie, et c'était très émouvant de voir comment il avait vécu le tournage. Il ya des gens qui ont peur de tourner en extérieur, moi j'adore. Pour Les Secrets, certains m'ont dit qu'à Safed, les gens ne nous laisseraient pas tourner. C'est un film osé qui parle de féminisme religieux. Mais cela s'est très bien passé, Sur Au bout du monde à gauche, on avait des figurants de Dimona, ils étaient formidables. C'était un plaisir, les gens venaient et ils avaient des idées et des suggestions. Il ya cette magie dans le fait de tourner dans le lieu où l'action est censée se passer. Jérusalem est un personnage du film, le film parle de l'expérience de Jérusalem.

Vous tournez également dans des quartiers très particuliers, comme près de Mea Shearim.

C’est fait exprès, le quartier de Musrara se trouve à la frontière avec le quartier de Mea Shearim et le film traite de cette frontière entre religieux et laïcs. Musrara se trouve à 20 mètres de Jésusalem Est et à 20 mètres de Mea Shearim ét c’est très beau à mes yeux.

Vous n’avez pas rencontré de problèmes spécifiques dans ces quartiers ?

275

Il ya toujours un peu de tension quand on tourne en extérieur, mais rien de spécifique, tu fais attention à ne pas déranger le voisinage, ils étaient tous formidables. Je ne me souviens pas de grands problèmes, les gens étaient très sympathiques.

Vous avez également choisi de faire jouer les ultra-orthodoxes par des « vrais » ultra- orthodoxes ?

Oui c’était formidable, je voulais que cela soit le plus authentique possible. Ils étaient formidables, il ya des choses qu’eux seuls pouvaient improviser : comme des conversations en Yiddish. Tout cela contribue au film ; par exemple ce que vous et Dudi avez fait, réussir à obtenir des figurants ultra-orthodoxes pour le film, vous avez amélioré le film, chaque petit détail est essentiel pour le film. Chacun peut contribuer au film, deux figurants ultra-orthodoxes changent le film. Deux ultra-orthodoxes qui sont des figurants changent le film. J’étais très content de tous les figurants.

Il ya de l’animation dans le film, c’est la première fois que vous l’utilisez ?

Il y a 7 ou 8 scènes comme celles-ci. Oui c’est la première fois. Aux Etats-Unis j’avais fait beaucoup de films avec des effets spéciaux, l’animation ne change pas grand-chose à la méthode de travail. Pour chaque film, il y a toujours quelque chose que tu n’as pas encore fait.

L’animation était déjà dans le scénario ?

L’animation n’était pas dans la première version du scénario, mais s’est développée petit à petit. La première version du scénario c’est « l’invitation à la soirée », le travail réellement créatif se fait à partir de ce point car arrivent différents éléments. Dans notre cas, le héros du film Arnav est un artiste, c’était important pour moi de créer un univers visuel spécial. Et pour revenir à la métaphore du jazz, je ne voulais pas le faire seul, j’ai donc invité cinq artistes et nous avons improvisé sur le thème d’Arnav. C’était génial, nous avons travaillé près de trois mois rien que sur l’aspect visuel du film. Le résultat de ce travail a influencé le scénario. C’est mon mantra, mais ce qui est magnifique dans le cinéma c’est l’aspect collaboratif entre plusieurs personnes talentueuses. Je n’utilise jamais je mais nous, quand je parle de cinéma. Je dois décider mais j’essayer d’utiliser le « je » le moins possible.

Vous travaillez actuellement sur d’autres projets ?

Oui. Pendant le tournage on ne peut me parler de rien sauf du film. Comme un film prend énormément de temps à faire et je n’ai pas envie de précipiter les choses mais laisser du temps au film, pour cuire lentement, car beaucoup de choses créatives arrivent sans précipitation. Je déteste aller vite. Pendant les préparations du tournage, je travaille sur d’autres projets, et je pense qu’il est important de faire des pauses pour s’occuper d’autre chose que de son film pendant deux heures puis revenir pour revoir son film sous une autre perspective. C’est un processus qui ne peut qu’enrichir le processus de création. Je travaille toujours sur plusieurs projets en parallèle sans pouvoir dire lequel sera le prochain. Chaque projet a sa logique interne.

276

Sur le tournage, vous sembliez communiquer seulement avec les chefs de poste et les comédiens, jamais avec les autres membres de l’équipe ?

Oui, si je communique mes idées aux techniciens, je crée de l’anarchie sur le tournage. Il y a un ordre des chefs de poste, tu ne peux pas rentrer sur leur territoire, ils sont chacun en charge de leur département. Mais d’un point de vue social je suis heureux de parler avec tout le monde. Il ya quelque chose de hiérarchique, militaire, dans le cinéma du fait de ses caractéristiques, même si j’essaye de l’exécuter de la façon la plus démocratique possible. Tu ne peux pas dire quelque chose au capitaine que son commandant ne peut pas savoir sinon il y aura un accident. Le chef décorateur a sous sa responsabilité les décorateurs, les accessoiristes. Tu peux vouloir féliciter l’accessoiriste sur son travail mais ça ne serait pas juste de l’envoyer au marché sans mettre au courant le chef décorateur

277

ANNEXE 8

TEXTE DE LA LOI SUR LE CINÉMA DÉPOSÉ À LA KNESSET (1999) (TRADUIT DE L’HÉBREU)

Loi antérieure : Livres de lois 5714-1954, 143 ; 5733-1972, 8 ; 5737-1977, 155 ; 5738-1977, 45. Nouvelle Loi : Livres de lois 5759-1999 53 ; 5760-2000, 99, 250 ; 5765-2004, 27 ; 5769- 2009, 307 ; 5774-2014, 262 815 ; 5775-2014, 47 ; 5777-2016, 656.

Sommaire

Section I : Définitions Le Conseil du Cinéma et l’octroi de subventions : ןן Section Sociétés de gestion des droits d’auteur : ןןן Section Section IV : Dispositions diverses

[AMENDEMENT DE : 5775-2015] Section I : Définitions 1.

Définitions [AMENDEMENT DE : 5774-2014, 2, 5777-2017]

Dans la présente loi – « Film » – Création artistique audiovisuelle, y compris fictionnelle, documentaire, ou expérimentale composée d’une séquence d’images en mouvement, filmées ou enregistrées avec ou sans bande sonore, pouvant être projetée sur un écran, y compris un écran de télévision et dont on peut produire des copies ; « Film israélien » – Film répondant aux conditions de reconnaissance prescrites dans l’article 13 ; « Cinéma » – Réalisation de films, y compris toute action relative à un film, ou y étant liée ; « La Commission – Commission de l’Éducation, de la Culture et du Sport de la Knesset ; « La Loi des finances » – Loi des bases du budget de 5745–1985 ; « La Loi Bezeq » – Loi Bezeq de 5742-1982 ; « La Loi de la Seconde Autorité » – Loi de la Seconde Autorité de télévision et de radio, 5750-1990 ; « La Loi sur la Radiodiffusion publique » – Loi sur la Radiodiffusion publique israélienne de 5774-2014 ; « Le Conseil du Câble et de la Diffusion satellitaire » – Conseil nommé en vertu de l’article 6 de la Loi Bezeq ; « Le Conseil de la Seconde Autorité – Conseil nommé en vertu de l’article 7 de la Loi de la Seconde Autorité ; « Le Ministre. » – Le Ministre de l’Éducation, de la Culture et du Sport.

[AMENDEMENT DE 5775- 2015]

Section II : Le Conseil du Cinéma et l’octroi de subventions

278

2

Nomination du Conseil du Cinéma et Objectifs de ce dernier (I) Le ministre nommera un Conseil du Cinéma (ci-après : le Conseil). (II) Le Conseil s’efforcera d’encourager et de soutenir le cinéma tout en garantissant la liberté de création et d’expression de la diversité culturelle de la société israélienne, de ses valeurs et des différentes opinions au sein de celle-ci. 3. Les fonctions du Conseil. [AMENDEMENT DE : 5775- 2015]

Les fonctions du Conseil sont les suivantes : (1) Conseiller le ministre à propos de toute question touchant à la politique à mener dans le domaine du cinéma et de toute question relative à la mise en œuvre de la présente Loi, à l’exception des dispositions de la Section 3 ; (2) Conseiller le ministre quant à l’établissement de critères de soutien aux institutions publiques comme le stipule l’article 3A de la Loi des bases du budget, afin de promouvoir les objectifs énumérés ci-après, en tenant compte, entre autres, des types d’institutions publiques, des tendances et des mutations qui se produisent de temps à autre dans le domaine du cinéma : (I.) Promouvoir et encourager la création, la production et la distribution de films israéliens, y compris des drames et des documentaires ; (II) Promouvoir la coopération internationale dans le domaine du cinéma ; (III) Promouvoir les films israéliens ; (IV) Offrir des prix aux professionnels du cinéma et aux jeunes créateurs dans le domaine du cinéma ; (V) Promouvoir les festivals de cinéma ;

(VI) Soutenir la conservation du film israélien.

(3) Conseiller sur toute question relative à l’octroi de subventions selon les critères prescrits par Article 12. 4.

Composition du Conseil (I) Le conseil comportera 25 membres nommés par le ministre. (II) Tels sont les membres du Conseil : (1)

279

Treize membres, non-fonctionnaires de l’État, issus du domaine de la création, de l’industrie et des études cinématographiques ; (2) Six membres, non-fonctionnaires de l’État, impliqués dans la vie culturelle et artistique ; (3) Deux fonctionnaires du ministère de l’Éducation, de la Culture et du Sport ; (4) Le fonctionnaire proposé par le ministre des Finances ; (5) Le fonctionnaire proposé par le ministre responsable de l’application de la Loi Bezeq ; (6) Le fonctionnaire proposé par le ministre responsable de l’application de la Loi sur la Seconde Autorité ; (7) Le fonctionnaire proposé par le ministre responsable de l’application de la Loi sur la radiodiffusion publique.

(III) Le ministre choisira le Président du Conseil parmi les membres qui ne sont pas fonctionnaires. (IV) (1) Parmi les membres du Conseil comme stipulé à l’article (II)(1), seront nommées une personne sur proposition du Conseil de la Seconde Autorité et une autre sur proposition du Conseil du Câble et de la Diffusion satellitaire, sous réserve que celle-ci ne soit pas membre de l’un des Conseils en question. (2) Parmi les membres du Conseil comme stipulé à l’article (II)(2), seront nommées deux personnes sur proposition du ministre chargé de l’application de la Loi Bezeq, après consultation du Conseil du Câble et de la Diffusion satellitaire, et deux personnes sur proposition du ministre chargé de l’application de la Loi sur la Seconde autorité après consultation du Conseil de la Seconde autorité.

(3) Nomination des membres du Conseil, conformément aux articles (II) (1) et (2) après consultation avec les organisations représentant les artistes et praticiens dans le domaine du cinéma et des organismes publics dans le cinéma, tel que déterminé par le ministre.

Un avis a été publié à propos des organisations représentant les auteurs et praticiens dans le domaine du cinéma et dans des organismes publics du domaine du cinéma), Journal officiel de 5760-2000 – 1460).

(V)

Un avis faisant état de la nomination au Conseil, de la nomination du Président du Conseil et tout changement dans sa composition sera publié au Journal officiel.

(VI)

Ne pourra être nommé membre du Conseil une personne ayant été déclarée coupable d’une infraction qui, de par sa nature, sa gravité ou les circonstances, la rend indigne de siéger au Conseil.

280

5. Durée du mandat

(I) Les membres du Conseil seront nommés pour une période de quatre ans. (II) Nonobstant les dispositions de l’alinéa (I), le ministre sera en droit de prolonger la durée du mandat des membres du premier Conseil établi, pour une durée supplémentaire de deux ans, à condition toutefois que pour chacun des groupes de membres désignés aux articles 4 (II) (1) à (3), il ne prolonge pas la durée de mandat de plus de la moitié des membres appartenant au même groupe.

6. Expiration du mandat

Un membre du Conseil cessera d’y siéger avant le terme de son mandat dans l’un des cas suivants :

(1) Il aura remis sa démission au ministre en lui envoyant une lettre de démission ; (2)

Lorsque la condition de son admission au Conseil en vertu de l’Article 4 (II) aura cessé d’exister ; (3) Il aura été condamné pour un délit tel que stipulé à l’article 4 (VI) 7. Limogeage

Le ministre pourra limoger un membre du Conseil de ses fonctions avant la fin de son mandat à l’un d'entre eux : (1) Il est dans l’Incapacité permanente d’exercer ses fonctions ; (2) Il s’est absenté sans motif valable de quatre réunions consécutives du Conseil, ou de plus d’un tiers des séances du Conseil tenues au cours de l’année. 8. Validité de l’activité L’existence du Conseil et de ses prérogatives ainsi que la validité de ses décisions et de ses activités ne seront pas affectées par le fait que le siège de l’un de ses membres sera devenu vacant ou en raison d’un vice dans sa nomination, ou dans son éventuel maintien en fonction. 9. Conflits d’intérêt Ne siègera pas en tant que membre du Conseil, toute personne qui pourrait se trouver, directement ou indirectement, dans une situation de conflit entre sa fonction de conseiller et son intérêt personnel ou toute autre fonction de cette dernière. 10. Mode d’action Le Conseil fixera l’ordre du jour des séances et à des séances des comités, qu’il aura désignés, telles qu’établies par la présente Loi. 11.

281

Le budget du cinéma [AMENDEMENT DE : 5760, 5760-2, 5765-2005, , 2009-5769 , , 2014- 5774 , , 2015-5775, ] (I) Le budget annuel de soutien au cinéma dans le présent article (ci-après – le budget du cinéma) sera déterminé dans un programme distinct, dans le cadre de l’attribution par domaine d’activité –Culture, à l’article Budget du ministère de la Culture et des Sports – dans la Loi de finances annuelle (ci-après : domaine de la culture) ; dans ce contexte, « programme », « domaine d’activité » et « article du budget » sont à prendre au sens de la Loi de Finances annuelle. Selon leur acception dans la Loi des bases du budget.

(II) Le présent article ne s’applique pas au cours de la période commençant à la date du 7 Tévet 5764 (1er janvier 2004) et s’achevant le 23 Tévet 5779 (31 décembre 2018).

Dans le cadre du domaine de la culture il sera alloué pour le budget du cinéma un montant équivalent à la somme des deux données suivantes : (1) 50 % du montant de royalties transférées à la trésorerie de l’État en vertu de l’article 100 de la Seconde Autorité ; (2) 50 % du montant des redevances en vertu des articles 6XXXVI (II) et 6LVI(I) de la Loi Bezeq. . 12. Octroi de subventions L’octroi des subventions sur le budget du cinéma doit être effectué selon les critères d’attribution de subventions aux institutions publiques, comme stipulé à l’article 3(2) , fixés par le ministre après consultation avec le Conseil, à condition toutefois qu’au moins 60 % du budget du cinéma soit destiné à la production de films israéliens et un pourcentage supplémentaire de celui-ci soit consacré à la commercialisation de films israéliens sur le marché international du film. [AMENDEMENT DE : 2015-5775, ]

Section 3 : Sociétés de gestion des droits d’auteur 12a. Sociétés de gestion des Droits d’auteur [AMENDEMENT DE : 2015-5775, ]

(I)

Dans le présent article – « Droits d’auteur » est à entendre au sens de l’article 11 de la Loi sur les Droits d’auteur de 5768-2007 ; « Une œuvre cinématographique » – est à entendre au sens dans la Loi sur les Droits d’auteur de 5768-2007 ; « Une œuvre cinématographique israélienne » – chacune des œuvres suivantes : (1) Une œuvre cinématographique dont la majorité des auteurs sont citoyens israéliens ou résidents d’Israël ou qui a été créée principalement par des citoyens ou des résidents, comme stipulé, que ladite création ait été publiée ou non ; à cet effet, « résident » – une personne dont la résidence habituelle était en Israël lors de la création de l’œuvre cinématographique ; (2)

282

Une œuvre cinématographique dont l’un au moins des producteurs au moment de sa création a pour centre de ses activités ou sa résidence habituelle en Israël ; à cet effet, est « producteur » – celui qui est chargé d’exécuter les actions requises pour la création de l’œuvre cinématographique ;

« Gestion » – chacun des cas suivants :

(1)

Fourniture de la licence d’utilisation ; (2) Prise en charge de la négociation avec les utilisateurs ou qui souhaitent en faire usage ; (3) Établissement des conditions d’utilisation ; (4) Calcul des frais d’utilisation ; (5) Suivi de l’utilisation ; (6) Perception des frais d’utilisation ; « Sociétés de gestion des droits d’auteur » – organisme gérant entre autres collectivement, les Droits d’auteur des créateurs, ou des propriétaires des droits des œuvres cinématographiques israéliennes.

(II) Un individu auteur d’une œuvre cinématographique israélienne ou un individu propriétaire des droits d’auteur d’une œuvre cinématographique israélienne et au cas où l’œuvre n’a pas encore été créée – les futurs droits y afférents, par le biais de la société gérant collectivement les droits d’auteur. (III) Les dispositions ne dérogent en rien aux modalités d’application des dispositions de la Loi antitrust de 5748-1988, concernant la gestion collective des droits d’auteur des œuvres cinématographiques israéliennes, à condition toutefois que ne soient pas entravé le droit d’opérer comme stipulé à l’alinéa (II) en vertu des dispositions et des termes de la Loi antitrust. (4) Le ministre de la Justice est responsable de la mise en œuvre de la présente Section et peut, en consultation avec le ministre, fixer les dispositions concernant sa réalisation. [AMENDEMENT DE : 2015-5775, ]

Section 4 : Dispositions diverses

13. Conditions de reconnaissance des films israéliens

Le ministre, en consultation avec le Conseil et avec l’aval de la Commission, déterminera les règles et conditions pour la reconnaissance d’un film réalisé par des protagonistes israéliens en tant que film israélien aux fins de la présente Loi, y compris les conditions de reconnaissance d’une co-production cinématographique réalisée avec des partenaires non israéliens.

283

14. Mise en œuvre et règlement

Le ministre responsable de la présente Loi peut, en consultation avec le Conseil et la Commission, promulguer des règles, notamment l’examen des dispositions concernant les travaux du Conseil.

15. Abrogation de la Loi de promotion du film israélien

La Loi de promotion du film israélien de 1953-1954 – est caduque.

16. Entrée en vigueur

L’entrée en vigueur des articles 11 , 12 et 15 aura lieu à la date du 23 Tévet 5760 (1er janvier 2000).

284

ANNEXE 9

TEXTE DE LA CONVENTION SIGNÉE ENTRE ACT, L’UNION DES TRAVAILLEURS DU CINÉMA D’ISRAËL ET L’UNION DES PRODUCTEURS DE CINÉMA D’ISRAËL 31 JUILLET 2008 (TRADUIT DE L’HÉBREU).

ACCORD

Conclu et signé à Tel-Aviv le 31 juillet 2008

o Entre : L’Association israélienne des Producteurs de Cinéma et de Télévision (n A.R. 3- 000413-58) Du 18, rue Ha-Hashmal Tel Aviv 65117 (ci-après « L’Association des Producteurs ») D’une part, o Et : ACT, L’Association israélienne des Travailleurs de Cinéma et de Télévision (n A.R. 0- 014954-58) Du 2, rue Pinsker Tel Aviv 63322 – ci-après : « ACT ») D'autre part Attendu que : les parties souhaitent réglementer entre elles les modalités d’engagement dans les productions réalisées, directement et indirectement, par différents producteurs membres de l’Association des producteurs, où sont employés les membres d’équipes techniques, membres d’ACT- le tout, tel que stipulé dans les présentes ci-dessous. En foi de quoi, les parties sont convenues par les présentes et s’engagent

comme suit :

Généralités

1. Toutes les dispositions et engagements convenus dans le présent accord se réfèrent à la production réalisée, directement et indirectement, par les différents producteurs membres de l’Association des producteurs, employant des membres d’équipes techniques, membres d’ACT.

L’adoption des termes du présent contrat par le producteur et Le membre d’équipe, selon les dispositions ci-dessous, engage le producteur et/ou la société agissant en son nom, en ce qui concerne l’embauche de membres d’équipes techniques dans différentes productions, membres d’ACT ; et engage les membres d’équipes techniques, membres d’ACT pour tout ce qui touche à la participation à diverses productions, produites par les membres de l’Association des producteurs.

Dans le contrat personnel signé entre le membre de l’équipe et le producteur, on indiquera que le présent accord a été conclu entre l’Association des producteurs et ACT, qui constitue une partie intégrante du contrat personnel en question et, dans tous les cas, où le contrat

285

personnel dérogerait et/ou porterait atteinte aux droits du membre du personnel ou aux droits du producteur en vertu du présent accord ou du droit, les termes du présent accord, les engagent. En conséquence, les conditions et engagements stipulés dans le présent accord seront considérés comme ayant été convenus entre le producteur spécifique, pour chaque production, et les membres d’équipes techniques, membres d’ACT employés dans la production en question.

2. Les titres utilisés en marge du présent accord ne sont utilisés que pour des raisons de commodité et ne doivent nullement servir à son interprétation.

Définitions

Dans le présent accord, les termes suivants ont la signification suivante :

3. « Membre d’équipe » : Un membre de l’équipe technique, membre d’ACT, offrant un service ou occupant dans la production n’importe quelle fonction.

« Production » : La production d’une œuvre audio-visuelle pour le cinéma ou la télévision ou pour tout autre média.

« Journée de production » : Jour, telle que définie dans le présent accord, où un membre de l’équipe travaille pour le producteur.

« Indemnité » : Indemnité convenue et estimée à l’avance, sans nécessité de preuve.

« Le producteur » : La personne physique ou morale ou la Société qui réalise la production spécifique, membre de l’Association des producteurs et a commandé le service ou le travail au membre de l’équipe pour la production.

Devoirs du membre d’équipe.

Devoirs du membre d’équipe dans une production.

4. Devoir de présence et retards : Se présenter sur les lieux et à l’heure spécifiés par le producteur ou le représentant du producteur pour ladite production.

Un retard d’une heure maximum : Pour l’arrivée tardive d’un membre d’équipe sans l’autorisation du producteur ou de son représentant à ladite production, au cours de la première heure de travail de la journée en question, le membre de l’équipe est tenu de payer au producteur pour ce retard une indemnité de 125 % (cent vingt-cinq pour cent) du salaire horaire convenu avec le membre de l’équipe sur la production en question.

Retard de plus d’une heure: Pour l’arrivée tardive d’un membre d’équipe sans l’autorisation du producteur ou de son représentant à ladite production, d’une durée supérieure à une heure pour la journée en question, le membre de l’équipe est tenu de payer au producteur pour ce retard une indemnité de 250 % (deux cent cinquante pour cent) du salaire horaire convenu avec le membre de l’équipe sur la production en question,

286

au titre de chacune des heures de retard, à partir de la seconde heure et des suivantes.

Non-paiement de l’indemnité pour un premier retard : Nonobstant ce qui précède, au titre d’un premier retard d’un membre de l’équipe dans ladite production sans l’autorisation du producteur ou de son représentant, le membre de l’équipe est tenu de payer une indemnité de 125 % (cent vingt-cinq pour cent) du salaire horaire convenu avec le membre de l’équipe sur la production en question, au titre de chacune des heures du premier retard (la journée de grâce), les dispositions du début du présent article 4 s’appliquant uniquement à partir du second retard et les suivants du membre de l’équipe en question pour ladite production.

5. Présence sur le site de tournage : Ne pas quitter le site de tournage sans l’autorisation du producteur ou du représentant du producteur pour ladite production.

Non-paiement d’indemnité au producteur au titre d’un retard ou d’une absence autorisée : Les heures de retard, comme stipulé à l’article 4 ci-dessus, ou les heures d’absence comme stipulé dans le présent article, qui auront été effectuées avec l’accord du producteur ou de son représentant dans ladite production, seront déduites des heures de travail du membre d’équipe dans ladite production, mais le membre de l’équipe ne versera aucune indemnité aux producteurs pour retard ayant été autorisé comme stipulé.

6. Donner le meilleur de ses capacités et aptitudes professionnelles pour toutes les prises de vue de la production.

7. Participation aux reconnaissances : Participer aux visites de reconnaissance avant le début du tournage comme il se doit après coordination préalable.

Paiement pour la participation aux conférences de production sur une base quotidienne :

Pour la participation du personnel aux conférences de production organisées par le producteur, il sera versé au membre de l’équipe embauché en fonction du nombre d’heures cumulées de participation aux conférences de production dans ladite production, le taux de rémunération par heure étant d’un 11ème du salaire journalier convenu avec le membre de l’équipe en question.

Jusqu'à 3 Heures : Si le total cumulé des heures de participation aux conférences du membre de l’équipe de production n’excède pas les 3 (trois) heures durant ladite production, le membre de l’équipe ne percevra aucun salaire ou rémunération pour sa participation aux conférences de production dans ladite production Au-delà de 3 heures : Si le total cumulé des heures de participation aux conférences de production du membre de l’équipe venait à excéder 3 heures au cours de ladite production, le membre de l’équipe percevra, comme stipulé au début du présent article, une rémunération pour sa participation aux conférences de production pour ladite production, et ce à partir de la première heure de conférences de production et les suivantes.

287

Paiement pour la participation aux conférences de production sur une base hebdomadaire :

Jusqu'à 3 Heures : Dans une production sur une base hebdomadaire (telle que définie ci- après), si le total cumulé des heures de participation aux conférences de production pour le membre de l’équipe n’excède pas 3 (trois) heures, pour une production d’une durée de deux semaines (c’est à dire 10 jours de tournage) il ne devra pas dépasser une heure supplémentaire au cours de chaque semaine de travail supplémentaire pendant ladite production hebdomadaire, le membre de l’équipe ne touchera aucun salaire ou de paiement pour sa participation aux conférences de production de ladite production.

Au-delà de 3 heures : Pour chaque dépassement du nombre d’heures de participation à des conférences de production ci-dessus mentionné (qu’il s’agisse des deux premières semaines ou des semaines suivantes), le membre de l’équipe sera payé comme stipulé au début du présent article, à partir de la première heure de sa participation aux conférences de production et aux suivantes.

8. Remise de coordonnées : Remettre au producteur l’adresse, le numéro de téléphone, ou toute autre moyen permettant de le joindre.

9. Préparation d’une liste de matériel : Remettre une liste convenue de matériel de prise de vue, électrique et de machines avant le tournage pour prévoir le budget de production, à condition que le producteur aura fourni au membre de l’équipe le maximum de renseignements nécessaires aux fins d’établissement de ladite liste.

Le membre de l’équipe fera de son mieux pour adapter la liste de matériel qu’il établira aux besoins professionnels pertinents à son métier et à la production.

Le membre de l’équipe informera le producteur du matériel que le membre de l’équipe aura loué ou acheté pour la production aux frais du producteur. Tout l’équipement qui aura été acheté par le membre de l’équipe pour la production, aux frais du producteur, restera propriété du producteur, sauf si cela en a été convenu autrement par le producteur.

10. Comportement approprié : Ne pas boire d’alcool ou consommer de drogues sur le site de tournage. La consommation de ceux-ci est strictement interdite, et la consommation d’alcool ou de drogues sur le site de tournage constituera une cause légitime de la part du producteur de licencier le membre de l’équipe en ne lui payant de salaire que pour les jours de travail effectivement réalisés par le membre de l’équipe jusqu’à la date de résiliation de son engagement. le membre de l’équipe ne fumera pas de cigarettes sur le plateau.

11. Visiteurs : Ne pas amener de visiteur sur le site de tournage sans en avoir obtenu préalablement l’autorisation écrite du producteur ou de son représentant. Perte de matériel et matériel manquant :

288

12.1. À la fin d’une journée de tournage, où il y a eu démontage et regroupage du matériel, le membre de l’équipe rapportera au producteur ou à son représentant, immédiatement après le tournage ou après le démontage du matériel, (au dernier des deux), la perte éventuelle d’équipements ou de matériel manquant, comme stipulé. Si le membre de l’équipe a fourni un tel rapport au producteur ou à un représentant de ce dernier, le membre de l’équipe sera libéré de toute responsabilité pour perte de matériel ou pour un équipement manquant.

12.2. À la fin de la production et du tournage le membre de l’équipe sera présent lors de la restitution du matériel à la société de location de matériel et prendra soin de faire l’inventaire du matériel rendu à la société de location, en présence du représentant de ladite société.

12.3. Au cas où il s’avèrerait que lors de la restitution du matériel à la société de location de matériel, il manque du matériel n’ayant pas été mentionné dans le rapport du membre de l’équipe au producteur comme stipulé dans l’alinéa a ci-dessus, le membre de l’équipe indemnisera le producteur au titre de la perte du matériel et du matériel manquant comme suit :

Si la valeur du matériel manquant est de 1000 NIS, le membre de l’équipe dédommagera le producteur d’un montant équivalent à 50% (cinquante pour cent) de la valeur du matériel manquant, à savoir pas plus de 500 NIS, Si la valeur du matériel manquant excède les 1000 NIS, mais jusqu’à hauteur de la franchise du producteur pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant, le membre de l’équipe dédommagera le producteur d’un montant équivalent à 20% (vingt pour cent) de la valeur du matériel manquant, Si la valeur du matériel manquant excède le montant de la franchise du producteur pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant, le membre de l’équipe dédommagera le producteur d’un montant équivalent à 10% (dix pour cent) de la valeur de la franchise du producteur pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant.

La valeur du matériel, en ce qui concerne le présent article, sera établie en fonction des registres tenus par la société de location de matériel.

12.4. Si le producteur n’a pas permis au membre de l’équipe d’assister à la restitution du matériel à la société de location, le membre de l’équipe sera exempté de toute responsabilité, de toute obligation de dédommagement du producteur, relativement à la perte ou au manque d’un équipement, si cela était le cas, même si celui-ci n’a pas rapporté ceux-ci au producteur comme stipulé à l’alinéa A ci-dessus.

12.5. Lors d’un transfert de site en cours de journée de tournage, au cours duquel le membre de l’équipe n’a pas disposé de suffisamment de temps pour faire l’inventaire des équipements, du fait de contraintes de temps et/ou sur instruction du producteur ou de son représentant, il incombera au membre de l’équipe d’informer le producteur relativement à la perte ou au manque de matériel dans les 24 heures après avoir quitté le site de tournage antérieur au transfert sur l’autre site. Si le membre de l’équipe a fait part au producteur ou à son représentant de la perte ou du manque dans les 24 heures en question, comme stipulé, le membre de l’équipe sera exempté de toute responsabilité, relativement à la perte ou au manque d’un équipement.

289

12.6. Dans la mesure où auraient lieu des restitutions ou des remplacements de matériel au cours d’une journée de tournage, c’est le représentant nommé à cet effet par le chef du département, s’il en a nommé un, qui gérera l’enregistrement en bonne et due forme du matériel restitué ou remplacé comme stipulé, et qu’on les remette au producteur ou à son représentant. Les dispositions du présent alinéa ne s’appliquent pas au matériel quotidien, qui sera fourni spécifiquement pour une journée de tournage précise.

12.6.1. Matériel constituant une propriété personnelle du membre d’équipe : Au cas où le producteur aura demandé ou dit au membre de l’équipe d’amener avec lui sur la production pour les besoins de la production, un matériel dont le membre de l’équipe est le propriétaire, dès lors s’appliqueront à la perte ou au manque du matériel de ce type dans le cadre de la production les règles suivantes :

Si la valeur du matériel manquant excède le montant de la franchise du membre de l’équipe pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant, le producteur dédommagera le membre d’équipe d’un montant équivalent à 90% (quatre-vingt-dix pour cent) de la valeur de la franchise du producteur pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant ; Si la valeur du matériel manquant est inférieure au montant de la franchise du membre de l’équipe pour l’assurance au titre de la perte de l’équipement manquant, le producteur ne dédommagera pas le membre de l’équipe. Les dispositions du présent alinéa ne s’appliqueront qu’au cas où le matériel perdu ou manquant a été assuré par le membre de l’équipe par une compagnie d’assurance, et si la perte ou la disparition du matériel ont eu lieu au cours d’une journée de travail et/ou lors du stationnement d’un véhicule de la production et/ou dans un endroit ou dans un site sous la garde du producteur ou de son fait et/ou dans tout autre lieu situé sous la responsabilité du producteur et ce à condition que le membre de l’équipe aura informé le producteur en temps réel du manque ou de la perte

12.7. En ce qui concerne la perte ou le manque d’un équipement, au service du département artistique de la production, les dispositions s’appliqueront comme suit : le démontage du matériel, sa vérification et son inventaire se feront uniquement après que le site de tournage ou le plateau auront cessé d’être filmés, et également conformément aux contraintes de la production, du calendrier et des considérations logistiques du producteur ou de son représentant et du concepteur artistique. Le rapport du membre de l’équipe au producteur ou à son représentant relativement à la perte ou au manque d’un équipement se fera dans les 24 heures de sa découverte, que ce soit au cours du tournage ou après la fin de celui-ci.

Si le membre de l’équipe n’a pas eu l’occasion ou la possibilité ou le temps suffisant pour faire l’inventaire du matériel ou le remballer de manière suffisamment professionnelle, le membre de l’équipe sera exempté de toute responsabilité pour la perte ou les manques du matériel.

290

12.8. Le producteur sera en droit de déduire du salaire du membre de l’équipe pour ladite production les sommes que le membre de l’équipe devrait au producteur au titre du présent article, ceci toutefois, sous condition que le matériel perdu a été assuré par le producteur, et uniquement après que le producteur aura présenté à ACT et au membre de l’équipe la police d’assurance de la compagnie d’assurance et le montant de la franchise qui y figure, et également sous condition que la responsabilité du membre de l’équipe aura été prouvée au-delà de tout doute raisonnable pour la perte ou le manque en vertu du présent accord.

Dommage causé au matériel :

13. Le producteur s’engage à permettre au membre de l’équipe de préparer le matériel, de le vérifier et de le sortir, un jour au moins avant le début du tournage. Dans la mesure où pour une raison quelle qu’elle soit, la préparation et la vérification du matériel en question n’auraient pas pu être effectuées au moment en question, ladite préparation et vérification du matériel par le membre de l’équipe sera effectuée au cours de la première journée de tournage.

Ce n’est qu’après la vérification du matériel par le membre d’équipe, soit avant le début du tournage, soit au cours de la première journée de tournage que s’appliquera à ce dernier la responsabilité pour d’éventuels dommages causés au matériel qu’il aura vérifié, comme stipulé ci-après.

En cas de dommages au matériel causés par grossière négligence de la part du membre d’équipe, le membre d’équipe dédommagera le producteur d’une somme équivalente à 10% (dix pour cent) du montant de la franchise du producteur pour l’assurance au titre d’un dommage causé à un équipement endommagé, et le producteur assumera le restant du coût occasionné au matériel.

En cas de dommage occasionné au matériel, du fait d’un acte intentionnel et malveillant de la part du membre de l’équipe, le membre de l’équipe dédommagera le producteur d’une somme équivalente à la valeur totale (100% (cent pour cent) du montant du dommage causé à l’équipement endommagé. Le producteur sera en droit de déduire du salaire du membre de l’équipe pour ladite production les sommes que le membre de l’équipe devra au producteur au titre du présent article, ceci toutefois, sous condition que le matériel endommagé a été assuré par le producteur, et uniquement après que le producteur aura présenté à ACT et au membre de l’équipe la police d’assurance de la compagnie d’assurance et le montant de la franchise qui y figure, et également sous condition que la responsabilité du membre de l’équipe aura été prouvée au-delà de tout doute raisonnable pour la perte ou le manque en vertu du présent accord.

Les dispositions du présent article s’appliqueront également à du matériel dont le propriétaire est le membre de l’équipe et que le producteur aura embauché pour les besoins de la production, comme si le matériel avait été loué par le producteur auprès d’un tiers et avait été endommagé.

14. Confidentialité : le membre de l’équipe respectera la confidentialité absolue pour tout travail et/ou information liée à la production dont il aurait pris connaissance de par sa participation à la production, et qui ne tombent pas- et ne sont pas tombés- dans le

291

domaine publique, de toute façon, et il s’engage également à ne transmettre à qui que ce soit aucune information sur le contenu du film ou des modalités de la production ou toute chose ayant eu lieu ou ayant été dite sur les lieux du tournage, ou en dehors de celui-ci, à moins qu’ils ne soient tombés dans le domaine publique.

Les devoirs du producteur

Tels sont les devoirs du producteur sur la production :

15. Hébergement : Si la production a lieu hors de la ville où habite le membre de l’équipe, conformément à la décision du producteur, le membre de l’équipe acceptera d’être hébergé hors de chez lui, à condition toutefois que le producteur lui procure des conditions d’hébergement convenables.

16. Pension : 16.1. Le producteur procurera à ses frais les repas du membre de l’équipe pendant les jours de tournage, sur le site de tournage.

16.2. Lorsque la production a lieu hors de la ville où habite le membre de l’équipe, le membre de l’équipe aura droit à une pension d’un montant de 70 NIS (soixante-dix) par jour + TVA, et ce, en plus de deux repas que le producteur est tenu de lui fournir sur le site de tournage.

16.3. Le producteur sera en droit de fournir au membre de l’équipe sur son lieu d’hébergement un troisième repas chaud convenable, ainsi que des boissons chaudes et fraîches sans limite et des services de blanchisserie, et le tout – en lieu et place du paiement au membre de l’équipe stipulé à l’alinéa 2 ci-dessus.

16.4. Lors des journées de reconnaissance et de préparatifs, hors des bureaux du producteur, le producteur procurera à ses frais, au membre de l’équipe des repas comme détaillé ci-après :

jusqu’à 6 heures de reconnaissance et de préparatifs, - un repas léger ; jusqu’à 12 heures de reconnaissance et de préparatifs, - deux repas ; au-delà de 12 heures de reconnaissance et de préparatifs, - trois repas;

16.5. Le producteur sera en droit de payer au membre de l’équipe au lieu de fournir les repas comme stipulé à l’alinéa 16.4 ci-dessus, le tarif suivant : au lieu du petit- déjeuner, 30 NIS + TVA ; au lieu du déjeuner, 80 NIS + TVA ; au lieu du dîner, 70 NIS + TVA.

16.6. En ce qui concerne le pre-rigging, sur tout site quel qu’il soit, le producteur fournira au membre de l’équipe aux frais du producteur, des repas ou bien il paiera une pension comme stipulé aux alinéas 16.1 à 5 ci-dessus.

16.7. Tout paiement de pension à un membre de l’équipe sera effectué sur présentation d’une facture fiscale avec TVA comme la loi l’exige.

17. Repas et pauses

292

17.1. Le petit-déjeuner durera 30 minutes et débutera jusqu’à une heure après l’appel. Le déjeuner débutera pas plus tard que sept heures après la fin du petit-déjeuner et durera 45 minutes et dans tous les cas ne durera pas moins de 30 minutes.

Le troisième repas débutera après 12½h suivant l’appel et dans tous les cas pas plus tard que 13 ½ h après l’appel, et durera 15 minutes. Le producteur sera en droit de payer au membre de l’équipe au lieu de fournir le troisième repas en question une somme de 25 NIS + TVA.

17.2. Le temps de la pause pour les besoins du repas, débutera à partir de l’annonce de la pause sur le set et durera jusqu’à l’annonce de la fin de la pause sur le lieu du repas.

17.3. Au cas où les besoins de la production imposeraient l’écourtement ou le report d’un repas ou d’une pause quels qu’ils soient, dans ce cas pour chaque écourtement du repas ou de la pause, le membre de l’équipe touchera une somme supplémentaire équivalente au double du temps dont le repas ou la pause ont été écourtés ; et pour tout report d’un repas ou d’une pause, le membre de l’équipe touchera une somme supplémentaire équivalente au temps de report du repas ou de la pause (chaque report étant mesuré en quarts d’heures et arrondi vers le haut) ; le tout selon le tarif du salaire horaire et en fonction du prix convenu pour une heure de travail avec ce même membre de l’équipe.

Le producteur sera en droit de fournir en lieu et place du paiement au membre de l’équipe au titre de l’écourtement ou du report d’un repas ou d’une pause quels qu’ils soient, comme stipulé ci-dessus, d’écourter la journée de travail toute entière, et ce, pour une durée équivalente à celle du report du repas ou de la pause ou du double du temps d’écourtement du repas ou de la pause.

17.4. Le producteur mettra à disposition du membre de l’équipe une boisson chaude l’hiver (thé, café), en quantité illimitée, et en été de l’eau potable propre et/ou des boissons non alcoolisées fraîches, en quantité illimitée. La boisson sera fournie par le producteur tant pour l’activité diurne que l’activité nocturne.

18. Assurance 18.1. Sans porter préjudice à l’engagement du producteur en vertu du présent accord et conformément à la loi, le producteur s’engage à ce qu’avant le début de chaque production, et pendant toute la durée de la production, il possèdera des polices d’assurances en vigueur et payées comme suit :

Une police au tiers, assurant la responsabilité légale du producteur , au titre des dommages corporels et matériels occasionnés à des tiers quels qu’ils soient dans les limites de la responsabilité qui ne sera pas inférieure à 1.500000 NIS par cas et pour la durée de l’assurance, suite à ou en conséquence de l’activité de la production.

Au cas où la production serait filmée en dehors des frontières de l’État d’Israël, le producteur acquerra une assurance voyage élargie pour le membre de l’équipe, incluant : l’hospitalisation dans un hôpital, les opérations chirurgicales immédiates, le transport médical et le transport de la dépouille ainsi que l’assurance des biens du membre de l’équipe, à condition toutefois que ce matériel soit nécessaire et ait été

293

demandé par le producteur pour les besoins du tournage.

18.2. Le membre de l’équipe s’engage à passer tout examen médical et/ou à remplir une déclaration de santé et également à signer un formulaire de renoncement au secret médical, dans la mesure où cela serait nécessaire. Dans la mesure où le membre de l’équipe ne respecterait pas cet engagement en vertu du présent alinéa et/ou si le membre de l’équipe s’avérait inapte médicalement, le producteur sera en droit d’annuler l’accord signé entre lui et le membre de l’équipe (et si l’accord a été signé avant l’examen médical, à moins que l’inaptitude médicale n’ait été occasionnée en relation avec sa participation à la production objet de l’accord entre eux).

Conditions de travail de l’équipe 19. 19.1. La journée de production durera 11½h (onze et demi) heures, brut, y étant inclus le petit-déjeuner, d’une durée de 30 minutes et le déjeuner d’une durée de 45 minutes.

Le prix de l’heure de travail sera le prix de la journée de production ci-dessus mentionnée divisé par 11.

19.2. Au cas où le tournage aurait lieu dans le cadre de la zone libre (telle que définie ci-après), la journée de travail débutera conformément à l’heure d’appel sur le plateau. Dans un tel cas, il n’y aura aucun paiement au membre de l’équipe pour le temps de transport vers le plateau et à partir de celui-ci.

Les frontières de la zone de Tel Aviv seront à cet effet :

 Frontière nord – le carrefour du Country Club  Frontière orientale - le carrefour de Morasha  Frontière sud – l’embranchement Ayalon – Geha, Jaffa Sud La zone en question sera nommée ci-après « la zone libre ».

Il est convenu que les Studios d’Herzliya, situés à l’heure actuelle aux 1-3, rue Hakesem à Herzliya, seront compris dans la zone libre, tant qu’ils se trouveront à l’adresse en question. De même est-il convenu que le trajet vers les Studios de Neveh Ilan aller et retour sera considéré comme une seule heure de déplacement sans relation avec la durée effective du trajet.

Le paiement du temps de trajet

19.3. Lorsque le tournage se déroule en dehors de la zone libre, telle que définie dans l’alinéa 19.2 ci-dessus, le début du décompte du temps de travail se fera à partir du moment de sortie de la zone libre et jusqu’au retour vers celle-ci, à l’exception du paiement en contrepartie d’un travail effectué en heures supplémentaires, au titre des heures de trajet de la frontière de la zone au plateau de tournage et retour qui s’effectuera d’après une heure de travail ordinaire et non pas en vertu des dispositions des articles 21 et 22 ci-après, à l’exception des heures de trajet réduisant les heures de transition qui seront payées comme stipulé à l’article 27.6.

294

19.4. Un membre de l’équipe habitant hors de la zone libre sera considéré comme habitant à l’intérieur de la zone libre, c’est pourquoi il lui sera versé un paiement d’après le salaire convenu avec le membre d’équipe pour le temps de trajet (théorique) de la frontière de la zone libre à l’emplacement du plateau.

19.5. Le producteur n’a pas l’obligation de transporter vers le plateau le membre d’équipe habitant hors de la zone libre, mais c’est au membre d’équipe habitant hors de la zone libre de se rendre sur le plateau de tournage par ses propres moyens, ou bien il lui sera fixé un lieu de ramassage, où le membre de l’équipe se rendra par ses propres moyens. Dans tous les cas, le producteur se chargera de fournir les arrangements pour le stationnement du véhicule du membre de l’équipe sur le lieu fixé (lieu de ramassage ou plateau de tournage).

19.6. Si l’adresse de la Société de production est située en dehors de la zone libre et que le site de tournage (le plateau) se trouve lui aussi à la même adresse que la Société de production (à savoir dans la même ville ou dans la même commune) ; et qu’en plus, le domicile du membre de l’équipe est situé à proximité de 20km du plateau, il ne sera versé au membre de l’équipe aucun paiement pour le temps de trajet entre son domicile et le plateau.

19.7. Le temps de trajet au cours du ramassage, à partir du stationnement déterminé par le producteur jusqu’au plateau, (au cas où un tel temps existerait) ne dépassera pas le quart d’heure. Le ramassage à partir du stationnement sera d’un quart d’heure à partir de l’appel.

Paiement des frais de déplacement

19.8. Le producteur paiera au membre de l’équipe les frais de transport comme suit :

Le membre de l’équipe empruntant les transports publics (autobus ou train) : remboursement du coût du trajet. Au membre de l’équipe se déplaçant avec son propre véhicule : remboursement des frais de carburant, en plus des frais de stationnement sur le parking que le producteur aura fixé comme point de ramassage (si de tels frais existaient).

19.9. Lorsque le membre de l’équipe est hébergé dans un hôtel, et à condition que la durée du trajet de l’hôtel au plateau de tournage n’excède pas la demi-heure pour chaque direction, la journée de travail sera calculée à partir du moment où le membre de l’équipe est arrivé au site de tournage (le plateau), après le petit-déjeuner pris à l’hôtel, jusqu’à la fin du travail. La durée de la journée de travail dans un tel cas sera de 11 heures. Si le temps de trajet de l’hôtel au plateau venait à excéder la demi-heure pour chaque direction, ce temps sera calculé dans le cadre du jour de travail en fonction des heures de trajet.

19.10. La durée de la journée de travail du membre de l’équipe sera fixée sur la base des notes de l’assistant metteur en scène relativement aux heures de travail des membres de l’équipe, et ce, de l’appel au remballage (relativement aux membres de l’équipe qui ne sont pas venus aux préparatifs et/ou ne sont pas restés sur le plateau pour le remballage). Un membre de l’équipe ayant quitté le plateau après le

295

remballage devra informer le représentant du producteur sur le plateau de l’heure de fin de son travail. Au cas où le membre de l’équipe n’aurait pas informé le représentant du producteur de l’heure de fin de son travail, c’est le rapport du représentant du producteur qui fera foi quant au moment de fin du travail dudit membre de l’équipe. En cas d’absence du représentant du producteur sur le plateau au moment de la fin du travail dudit membre de l’équipe, c’est le membre de l’équipe qui informera de la fin de son travail ; soit par téléphone ou par l’envoi d’un texto (message sms) au producteur ou à son représentant relativement à l’heure de fin de son travail et c’est ce message téléphonique ou ce texto (message sms) qui fera foi quant au moment de fin du travail.

19.11. Les vendredis et veilles de fête, la journée de production sera de 10 (dix) heures, brut, y étant inclus le petit-déjeuner d’une durée de 30 minutes et le déjeuner d’une durée de 60 minutes.

Le prix de l’heure de travail sera le prix pour une journée de production comme spécifié ci-dessus divisé par 10.

Travail sur une base hebdomadaire

20. « Le travail sur une base hebdomadaire » et/ou le « travail hebdomadaire » pour les besoins du présent accord, sera considéré comme un travail de plus de 10 (dix) jours de production consécutifs, même lorsque le membre de l’équipe aura bénéficié d’une pause, à condition que la pause ait été préalablement définie et qu’elle soit d’un ou deux jours. Afin d’éviter tout malentendu, seule la durée et l’étendue de la pause comme stipulé, seront les critères pour décider s’il s’agit d’un travail sur une base hebdomadaire ou pas, et sur cette question, le producteur et/ou le membre de l’équipe n’auront pas voix au chapitre.

Dans un travail sur une base hebdomadaire, chaque semaine de travail sera de 5 (cinq) jours, toutefois le producteur sera en droit d’exiger du membre de l’équipe de travailler le sixième jour de cette même semaine, et dans un tel cas – le salaire du membre de l’équipe, pour un travail de 10 (dix) heures lors du sixième jour, sera de 20% (vingt pour cent) du salaire hebdomadaire convenu entre les parties.

Calcul de la contrepartie des heures supplémentaires

21. Les heures supplémentaires :

21.1. Le producteur paiera au membre de l’équipe pour un travail effectué en heures supplémentaires comme suit : 21.1.1.

(1) pour un travail de 12½ : un à un de 125% du convenu entre les parties par 11½ h à h salaire taux prix heure de travail )2( pour un travail de 13½ : un à un de 150% du convenu entre les parties par 12½ h à h salaire taux prix heure de travail )3( pour un travail de 14 ½ : un à un de 200% du convenu entre les parties par 13½ h à h salaire taux prix heure de travail )4( pour un travail de 15 ½ : un à un de 250% du convenu entre les parties par 14½ h à h salaire taux prix heure de travail

296

)5( pour un travail de 16 ½ : un à un de 300% du convenu entre les parties par 15½ h à h salaire taux prix heure de travail )6( pour un travail de et : un à un de 350% du convenu entre les parties par 16½ h plus salaire taux prix heure de travail

21.1.2.

Il est précisé que les heures de travail supplémentaires ci-dessus mentionnées sont des heures de travail brut, à savoir : elles comportent la durée des heures de repas.

21.1.3. Dans une production sur une base hebdomadaire le membre de l’équipe donnera une journée de grâce, au choix du producteur pour toute la durée de la production où le salaire pour la première heure supplémentaire sera de 125% du prix convenu entre les parties pour l’heure de travail, et la rémunération pour toutes les heures supplémentaires au-delà de la seconde et des suivantes sera de 150% du prix convenu entre les parties pour l’heure de travail. La journée de grâce en question ne tombera pas un vendredi, ni une veille de fête.

22. Travail les soirées de shabbat et veilles de fêtes supplémentaires dont :

22.1. Les soirées de shabbat et veilles de fêtes, le congé du shabbat/de la fête débutera une heure avant l’allumage des bougies, mais pas avant 16 heures et pas après 17h30.

22.2. Le producteur paiera au membre de l’équipe pour son travail en heures supplémentaires lors des soirées de shabbat et veilles de fêtes, comme suit : (1 pour un travail 11h : un à un de 200 du prix 23. convenu entre les parties par ) de 10h à salaire taux % heure de travail (2 pour un travail 12h : un à un de 250 du convenu entre les parties par heure ) de 11h à salaire taux % prix de travail (3 pour un travail 13h : un à un de 300 du convenu entre les parties par heure ) de 12h à salaire taux % prix de travail (4 pour un travail 14h : un à un de 350 du convenu entre les parties par heure ) de 13h à salaire taux % prix de travail (5 pour un travail 15h : un à un de 400 du convenu entre les parties par heure ) de 14h à salaire taux % prix de travail (6 pour un travail 16h : un à un de 450 du convenu entre les parties par heure ) de 15h à salaire taux % prix de travail (7 pour un travail Et un : à un de 500 du convenu entre les parties par heure ) de 16h à plus salaire taux % prix de travail

24. Travail le shabbat et jour de fête

24.1. Pour un travail effectué le shabbat et jour de fête, qui ne sera effectué que dans des cas exceptionnels, le producteur versera au membre de l’équipe une rémunération de 200% du prix convenu entre les parties par heure de travail.

24.2. Après avoir travaillé pendant 6 jours de production consécutifs, le membre de l’équipe se verra accordé un congé d’un jour, sans rémunération. Il ne sera pas réalisé

297

de travail pendant plus de 7 jours de production consécutifs, le producteur devra donner au membre de l’équipe un jour de repos rémunéré, qui sera le 8ème jour après 7 jours de production consécutifs.

24.3. Si un travail est effectué le shabbat et qu’il se poursuit également le samedi soir (à savoir après la fin du shabbat dans la soirée du samedi), il sera payé au membre de l’équipe un salaire de 200% du prix convenu entre les parties par heure de travail et pour chaque heure de travail. Pour toutes les heures où le membre de l’équipe aura travaillé ce jour-là, tant celles effectuées le shabbat que celles effectuées à la fin du shabbat. Ceci, à moins que les heures en dehors du shabbat ne soient des heures supplémentaires sur la base d’un salaire de base de 200% du prix convenu entre les parties par heure de travail.

24.4. Si la journée de tournage commence à la fin du shabbat, qui sera définie à cet effet comme une heure minimum après la fin du shabbat, la journée de tournage sera considérée comme le travail de nuit d’un jour ouvrable.

25. Travail de nuit

25.1. Pour chaque heure de travail à partir de 20h00 et suivantes, le producteur paiera au membre de l’équipe un supplément de salaire d’un taux de 20% du prix convenu entre les parties par heure de travail, et ce, jusqu’à la fin effective du jour de travail en question.

25.2. Afin d’éviter tout malentendu, il est précisé que si la journée de travail a commencé avant 20h00 et se poursuit au-delà de 20h00, le producteur paiera au membre de l’équipe le salaire convenu entre les parties par heure de travail, jusqu’à 20h00 et le supplément de salaire horaire mentionné à l’alinéa 24.1 ci-dessus sera payé par le producteur au membre de l’équipe uniquement pour un travail effectué après 20h00 et jusqu’à la fin effective du jour de travail en question.

25.3. Si le jour de travail a commencé après 24h00 mais avant 05h00, le producteur paiera au membre de l’équipe le supplément de salaire horaire mentionné à l’alinéa 24.1 ci-dessus uniquement pour le travail effectué jusqu’à 05h00 de la journée en question.

25.4. Le producteur ne paiera pas de supplément de nuit pour les heures de transport effectuées de nuit.

26. Démontage et Montage

Les heures de démontage et de montage seront calculées comme des heures de travail ordinaires, et le producteur paiera le membre de l’équipe au titre de celles-ci en tant qu’heures supplémentaires comme convenu dans le présent accord, si celles-ci ont eu lieu au cours d’heures supplémentaires.

298

27. Paiement pour le travail lors des reconnaissances, préparatifs etc.

Pour le travail lors des reconnaissances, des collectes, préparatifs, des conférences de production et de démontage du matériel, qui durera jusqu’à 6 heures de travail brut (y compris les repas), il sera payé par le producteur au membre de l’équipe la moitié (50%) du salaire journalier convenu entre les parties. En cas de travail hebdomadaire, le mode de calcul du salaire sera : le salaire hebdomadaire divisé par cinq (5).

Pour le travail lors des reconnaissances, des collectes, préparatifs, des conférences de production et de démontage du matériel, qui durera au-delà de 6 heures de travail brut (y compris les repas), il sera payé par le producteur au membre de l’équipe l’intégralité du salaire journalier convenu entre les parties. En cas de travail hebdomadaire, le mode de calcul du salaire sera : le salaire hebdomadaire divisé par cinq (5).

Lors des jours de reconnaissance et de préparatifs dans les bureaux du producteur, les frais de transports seront payés au membre de l’équipe d’après le tarif du trajet dans les transports publics.

28. Heures de repos et de transition

28.1. Le producteur permettra au membre de l’équipe au moins 11 (onze) heures de repos entre la fin d’une journée de tournage et le début de la journée suivante, à l’exception du vendredi, où le producteur permettra au membre de l’équipe au moins 10 (dix) heures de repos comme stipulé entre la fin d’une journée de tournage et le début de la journée suivante (ci-après : « les heures de transition »), ces dispositions s’appliqueront uniquement s’il s’agit d’un travail continu, avec le même producteur, sur des journées successives.

28.2. Pour la réduction des heures de transition, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité, comme suit :

28.2.1. Pour une réduction des heures de transition jusqu’à une heure, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité à un taux de 100% pour l’heure de réduction, selon le prix convenu entre les parties par heure de travail.

28.2.2. Pour une réduction des heures de transition jusqu’à deux heures, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité à un taux de 125% pour la deuxième heure de réduction, en plus du paiement ci-dessus mentionné pour la première heure, et ce, selon le prix convenu entre les parties par heure de travail.

28.2.3. Pour une réduction des heures de transition jusqu’à trois heures, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité à un taux de 150% pour la troisième heure de réduction, en plus du paiement ci-dessus mentionné pour les heures de réduction supplémentaires, et ce, selon le prix convenu entre les parties par heure de travail.

28.2.4. Pour une réduction des heures de transition jusqu’à quatre heures, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité à un taux de 250% pour la quatrième heure de réduction, en plus du paiement ci-dessus mentionné pour les heures de réduction supplémentaires, et ce, selon le prix convenu entre les parties par heure

299

de travail.

28.2.5. Pour une réduction des heures de transition jusqu’à quatre heures, il sera payé au membre de l’équipe une indemnité à un taux de 500% pour la cinquième heure de réduction, en plus du paiement ci-dessus mentionné pour les heures de réduction supplémentaires, et ce, selon le prix convenu entre les parties par heure de travail.

28.3. Le décompte des heures de transition s’effectuera à partir du remballage jusqu’à l’appel ou jusqu’au petit-déjeuner, selon le premier des deux, à condition que le remballage du membre de l’équipe ne dépasse pas les 20 minutes. Dans la mesure où le remballage dépasserait les 20 minutes, les heures de transition seront calculées dans leur totalité à partir de la fin du remballage, d’après le tableau des taux fixés.

28.4. Pour les productions sur une base hebdomadaire, le membre de l’équipe donnera une journée de grâce, pour laquelle il sera payé au membre de l’équipe une indemnité de 100% seulement pour chaque heure des heures de réduction des heures de transition, à condition toutefois que les des heures de transition ne soient pas réduites de plus de 4 heures. Les dispositions du présent alinéa s’appliqueront une seule fois par production, ou à chaque séance de tournage, pendant toute leur durée.

28.5. En cas de tournage en dehors de la zone libre, les heures de transition seront à partir du retour dans la zone libre jusqu’au début du jour de travail suivant après ce dernier ou jusqu’à la sortie de la zone libre, selon le premier des deux.

28.6. Le paiement au membre de l’équipe pour la réduction des heures de transition au titre du temps de transport sera d’un taux de (50%) seulement du paiement pour la réduction de la première heure de transition, comme stipulé à l’alinéa 27.2.1 ci-dessus, et ce en plus du paiement intégral pour les heures de transport elles-mêmes, de telle sorte que dans un tel cas, il sera payé au membre de l’équipe, 100% pour chaque heure de trajet ; et 150% pour chaque heure de trajet, si les heures de trajet ont occasionné une réduction des heures de transition.

29. Apprenti

Le salaire minimum pour un apprenti sera de 70% (soixante-dix pour cent) du prix minimum recommandé pour la profession à laquelle il appartient. La liste des apprentis sera publiée par ACT de manière identique à la publications pour les autres gens de métier membres d’ACT (par exemple : dans le fascicule d’ACT, et dans tous les cas, sur le site internet d’ACT).

Quoi qu’il en soit, l’apprenti ne pourra, pas occuper la fonction de chef de Département. Le travail de l’apprenti sur la production se fera en coordination avec le chef du Département.

30. Conditions de paiement

30.1. Conditions de paiement sur les productions réalisées pour le cinéma : Le producteur paiera le salaire du membre de l’équipe une fois toutes les deux semaines, par chèque postdaté pour une date qui ne dépassera pas la fin de la semaine d’après. La fin du compte relativement au salaire du membre de l’équipe, et le paiement

300

effectif au membre d’équipe se feront au plus tard, dans les 14 (quatorze) jours suivant la fin du tournage, le tout contre présentation d’une facture fiscale en bonne et due forme ou d’un formulaire de coordination de l’impôt.

30.2. Conditions de paiement sur les productions réalisées pour la télévision : Le producteur paiera au bout de 30 jours après présentation de la facture, à savoir : le paiement au membre de l’équipe une fois toutes les deux semaines, par chèque postdaté pour une date qui ne dépassera pas la fin de la semaine d’après. La fin du compte relativement au salaire du membre de l’équipe, et le paiement effectif au membre d’équipe se feront au plus tard, dans les 14 (quatorze) jours suivant la fin du tournage, le tout contre présentation d’une facture fiscale en bonne et due forme ou d’un formulaire de coordination de l’impôt.

30.3. Retard de paiement : Pour tout retard de paiement du producteur à un membre d’équipe, le producteur paiera au membre de l’équipe une indemnité convenue et évaluée à l’avance d’un taux de 0,25% de la somme due en retard, et ce pour chaque semaine, ou partie de semaine, de retard de paiement, y compris des intérêts composés. Le taux d’indemnité sera mis à jour de temps à autre par un accord entre les parties.

31. Reports et annulations

31.1. Pour un travail sur une base hebdomadaire, le producteur donnera au membre de l’équipe relativement au tournage un préavis de 7 (sept) jours. Si un tel préavis n’a pas été donné au membre de l’équipe, soit qu’il n’en y ait pas eu, soit qu’il n’ait pas été donné dans les temps prévus, le producteur paiera au membre de l’équipe une indemnité à hauteur d’une journée complète de production pour chaque semaine de report du tournage, jusqu’à un plafond de 3 jours d’indemnité comme stipulé.

Au cas où ledit report serait d’un maximum de 3 jours et serait intervenu avant même le début du tournage (à savoir, pendant la période de pré-production), le producteur ne sera pas tenu de payer d’indemnité au membre de l’équipe.

31.2. Pour un travail sur une base journalière, le producteur donnera au membre de l’équipe relativement au tournage un préavis de 24 (vingt-quatre) heures ou jusqu’à 9h00 du matin du jour précédent le tournage, le second des deux faisant loi.

Le taux de l’indemnité au membre de l’équipe pour le report ou l’annulation d’une journée de production pour un travail sur une base journalière, si le temps de préavis relativement à l’annulation ou au report du tournage, était inférieur à 24 heures ou après 9h00 du matin du jour précédent le tournage, sera de la moitié (50%) du salaire convenu pour un jour de travail.

32. Fin de la relation contractuelle avec le membre de l’équipe du fait du producteur ou du membre de l’équipe et annulation de la production

32.1. La fin de la relation contractuelle entre le membre de l’équipe et le producteur, du fait de l’un des deux, au cours du tournage effectif se fera par un préavis de 3 (trois) jours au moins à l’autre partie. En cas d’arrêt de la relation contractuelle de la

301

part du producteur, le membre de l’équipe est tenu de continuer à travailler à la production au cours des trois jours de préavis relatif à l’arrêt de la relation contractuelle, à moins que le producteur ait renoncé au travail du membre de l’équipe au cours de ceux-ci, et dans tous les cas, le producteur est tenu de payer au membre de l’équipe pour les 3 jours en question, même si le producteur a renoncé au travail du membre de l’équipe au cours des jours de préavis.

32.2. Si la production dure 3 mois et plus, la durée du préavis relatif à l’arrêt de la relation contractuelle du producteur ou du membre de l’équipe mentionnée à l’alinéa 31.1 ci-dessus sera prolongée d’un jour pour chaque mois supplémentaire de production ou partie de celui-ci.

32.3. Au cas où la fin de la relation contractuelle entre le membre de l’équipe et le producteur, du fait de l’un des deux, serait antérieure au tournage effectif ou, en cas d’annulation de la production, ou d’avis du membre de l’équipe au producteur l’informant de son désir de ne pas travailler à celle-ci, antérieurement au tournage effectif ; tous se feront par un préavis de 7 (sept) jours au moins. Dans la mesure où le préavis donné au membre de l’équipe relativement à l’arrêt de la relation contractuelle ou de l’annulation aura été inférieure aux 7 (sept) jours ci-dessus mentionnés, le producteur paiera au membre de l’équipe une indemnité du montant d’un salaire de 3 (trois) jours entiers de production.

32.4. Le membre de l’équipe est tenu d’avertir le producteur ou son représentant de son départ/de l’arrêt de la relation contractuelle par un préavis 3 (trois) jours. Le membre de l’équipe est tenu de travailler au cours des trois jours en question, s’il cela lui est demandé par le producteur. Si le membre de l’équipe refusait de travailler au cours des trois jours en question, ou d’une partie d’entre eux, malgré la demande du producteur à cet effet, il paiera au producteur une somme à hauteur du salaire convenu pour les 3 jours de production en question, ou au prorata de ceux-ci, selon le cas.

32.5. Dans la mesure où la durée restante jusqu’à la fin du tournage est inférieure à la durée du préavis, tel que stipulé ci-dessus, la durée du préavis sera de la même longueur que le temps restant jusqu’à la fin du tournage uniquement.

33. Tableau des prix minimums recommandés :

Le tableau des prix minimums recommandés ci-joint en tant qu’annexe I constitue une partie intégrante du présent accord, à toutes fins utiles. La mise à jour des sommes du tableau se fera automatiquement, annuellement, et sera d’un taux de 70% (soixante-dix pour cent) du taux de hausse de l’indice des prix à la consommation pour cette année-là. Relations employeur-employé

34. Il est précisé que le membre de l’équipe produira au producteur une facture fiscale/un reçu ou un formulaire de coordination fiscale au titre du paiement qu’il touchera en vertu du présent accord.

35. Il est précisé et déclaré que les dispositions du présent accord, y compris les tableaux des prix minimums recommandés y afférents, ont été conclues entre les parties et basées sur l’assomption qu’il n’existe pas de relations employeur-employé entre les membres

302

spécifiques de l’équipe et les producteurs spécifiques sur les différentes productions, mais que leurs relations sont celles d’un client (le producteur) face à un entrepreneur indépendant (le membre de l’équipe) ; et c’est pour cela que les prix du tableau recommandé ci-joint sont supérieurs au salaire brut, payé au membre de l’équipe, s’il bénéficiait du statut d’employé.

36. C’est pourquoi, à la lumière des dispositions ci-dessus, il est convenu par les présentes, que si pour une raison quelconque il était décidé par une instance juridique, par un jugement définitif, que sont établies des relations employeur-employé entre le membre de l’équipe et le producteur, dans un tel cas, le membre de l’équipe sera tenu de rembourser au producteur l’intégralité des sommes en surplus et supplémentaires, que le producteur se verrait contraint de payer par l’instance juridique ou l’une des autorités de l’état des suites de la reconnaissance de relations employeur-employé comme stipulé ci-dessus.

37. Le membre de l’équipe accepte par les présentes qu’il sera tenu de rembourser au producteur, et que le producteur sera en droit de déduire à son entière discrétion, et de manière inconditionnelle, les sommes en surplus ou supplémentaires en question qui lui auront été imposées et/ou qu’il aurait à assumer, sur toute somme revenant au membre de l’équipe de la part du producteur.

38. Le membre de l’équipe s’engage à payer les frais d’assurance sociale (le Bitouah Leoumi) qui lui incombent. Le tableau des prix minimums recommandés ci-joint a tenu compte des prélèvements du membre de l’équipe pour son assurance retraite.

Syndicalisation au sein de Départements d’ACT en interne

39. Si l’Association des producteurs venait à penser qu’au moins 66 (soixante-six pour cent) des membres d’un département professionnel spécifique d’ACT s’est syndiqué en interne et ont décidé de conditions d’emploi et de salaire minimales pour eux dans leurs contacts face aux différents producteurs , qui excèderaient les conditions d’emploi et les prix minimum recommandés convenus entre l’Association des producteurs et ACT dans le présent accord, l’Association des producteurs sera alors en droit d’adresser à ACT une lettre de réclamation détaillée à cet effet, comprenant entre autres, les noms des membres dudit département, à propos desquels il aura été soutenu qu’ils se sont syndiqués comme stipulé.

40. ACT sera tenue de donner une réponse à l’Association des producteurs dans les 30 jours suivant la réception de la lettre de réclamation détaillée de l’Association des producteurs où elle pourra contredire et réfuter les allégations et la réclamation de l’Association des producteurs ; ou bien, si ACT est convaincue que les allégations de l’Association des producteurs sont fondées, d’informer des actions à cet effet et du retour à la situation antérieure, si ACT en est capable.

41. Si l’Association des producteurs considère que sa réclamation n’a pas été contredite ou rejetée ou corrigée par ACT, dans le délai de 30 jours, tel que stipulé, (ou dans un délai plus long, au cas où les parties en seraient convenues), dans ce cas, l’Association des producteurs sera en droit d’annoncer à ACT et aux membres des équipes pertinents, par

303

écrit, que le présent accord et ses dispositions ne s’appliqueront plus, à partir de la date de l’avis en question et en avant, aux membres d’équipe en question qui se sont constitués en syndicat interne au département comme stipulé au début du présent article.

Afin d’éviter tout malentendu, il est précisé, qu’un tel avis de l’Association des producteurs ne s’appliquera pas aux membres des équipes du département professionnel spécifique, qui ne participent pas à la syndicalisation en question à l’intérieur du département.

La validité d’un tel avis de l’Association des producteurs expirera immédiatement, s’il s’avère à l’Association des producteurs que l’allégation/la réclamation de l’Association des producteurs relativement à une syndicalisation au sein de Départements d’ACT en interne comme mentionné a été contredite ou rejetée et/ou immédiatement après l’arrêt de ladite syndicalisation à l’intérieur du département et le retour à la situation antérieure, de telle sorte que le présent accord s’appliquera, à partir de cette date et ultérieurement, également aux membres de ACT qui avaient participé à la syndicalisation présumée.

42. L’Association des producteurs sera en droit d’adresser à ACT une lettre de réclamation détaillée, comme stipulé, même si elle venait à penser que moins des 66 (soixante-six pour cent) ci-dessus mentionnés des membres d’un département professionnel quelconque d’ACT se sont syndiqués comme stipulé. ACT sera tenu de vérifier cette allégation et de donner une réponse à l’Association des producteurs dans les 30 jours suivant la réception de la lettre de réclamation de l’Association des producteurs (ou dans un délai plus long, au cas où les parties en seraient convenues).

Il est toutefois convenu que l’avis de l’Association des producteurs, relativement à la non- application du présent accord sur une partie des membres du département professionnel qui se sont syndiqués, comme stipulé à l’article 40 ci-dessus, ne s’appliquera pas et ne sera envoyé par l’Association des producteurs que si l’Association des producteurs pense que la quantité des membres du département professionnel syndiqués comme stipulé, est supérieure aux 66% susmentionnés.

Réclamations d’ACT et de membres d’équipe contre des producteurs spécifiques :

43. ACT sera en droit d’adresser à l’Association des producteurs une lettre de réclamation détaillée, sur un certain nombre de plaintes récurrentes de membres d’équipe contre un producteur ou des producteurs spécifiques à propos de la violation de dispositions du présent accord, y compris le tableau des prix recommandés, et sur la nature des plaintes.

44. L’Association des producteurs sera tenue de donner une réponse à ACT dans les 30 jours suivant la réception de la lettre de réclamation détaillée de l’Association des producteurs où elle pourra contredire et réfuter les allégations et la réclamation d’ACT ou bien, si l’Association des producteurs ; est convaincue que les allégations de l d’ACT sont fondées, d’informer des actions à cet effet et du retour à la situation antérieure, si l’Association des producteurs en est capable.

45. Si ACT considère que sa réclamation n’a pas été contredite ou réfutée ou corrigée par l’Association des producteurs, dans le délai de 30 jours, tel que stipulé, (ou dans un délai plus long, au cas où les parties en seraient convenues), dans ce cas, ACT sera en droit

304

d’annoncer à ses membres l’information en question, et la réponse qu’elle a obtenu de l’Association des producteurs, relativement à sa réclamation, et pour leur part, les membres d’ACT seront en droit de considérer s’ils sont prêts à travailler avec le producteur en question, ou pas, à la lumière de l’information qui leur aura été communiquée comme stipulé.

46. Durée de l’accord et dispositions et au-delà.

46.1. Le présent accord entrera en vigueur et s’appliquera dans les 45 (quarante-cinq) jours suivant sa signature, pour une durée de 3 (trois) ans (ci-après : « la durée de l’accord »).

46.2. Au-delà de la durée de l’accord et après celle-ci, l’accord se verra automatiquement renouvelé, sans besoin d’envoyer un préavis d’une partie à l’autre, pour une année supplémentaire, et ainsi de suite – d’une année à l’autre (ci-après : « les années de prolongation »), à moins que l’une des parties n’avertisse l’autre par écrit et 6 (six) mois au moins à l’avance préalablement à la fin de chaque année des années de prolongation, de son intention de mettre un terme au présent accord.

46.3. La prolongation d’une durée de 45 (quarante-cinq) jours mentionnée à l’alinéa 45.1 ci-dessus, par rapport à des cas exceptionnels et des productions spécifiques, exigera l’accord par écrit des deux parties.

46.4. L’Association des producteurs s’engage à transmettre à ACT dans les deux semaines suivant la signature du présent accord, la liste des productions, qui seront autorisées à travailler, ou à continuer à travailler, en vertu des dispositions de l’ancien accord daté de 1991, entre l’Association des producteurs et ACT.

En foi de quoi, les parties ont signé :

L’Association des Producteurs ACT - L’Association israélienne des Travailleurs de Cinéma et de Télévision (Ass Agr)

305

ANNEXE 10

JERUSALEM FILM FUND

Le fond d’’aide au cinéma de la ville de Jérusalem a été créé le 22 juin 2008 à l’initiative du fond de développement de Jérusalem et avec le soutien de la mairie de la ville. Il est le premier fond d’aide au financement municipal de production de films d’Israël, il suit le modèle des fonds locaux et régionaux d’aide à la production de films que l’on trouve en Europe. Le fond propose des subventions et des réductions d’impôt à des sociétés de production de films et de séries de télévision qui choisissent de tourner ou de réaliser leur post-production dans la ville et qui mettent en avant la ville de Jérusalem dans leur scénario. Il existe plusieurs programmes de soutien différents.

- Programme de soutien de développement d’écriture de longs métrages et de séries de télévision - Programme de soutien à la production de longs métrages israéliens - Programme de soutien à la production de séries israéliennes - Programme de soutien à la production de films et de séries étrangères - Programme de soutien pour des longs métrages israéliens à petit budget - Programme de soutien pour des films et séries d’animation - Programme de soutien à la post-production de films terminés - Programme de soutien pour les projets nouveau média. - Programme de soutien pour les films de fin d’étude - Programme de soutien pour les contenus réalisés par ordinateur

En plus de ces programmes de soutien, il existe également des programmes de soutien avec des partenaires spécifiques.

Selon les programmes de soutien l’aide peut aller de 40 000 à 1,6 million de NIS par projet. Avant la création du fond, seuls 5 % des films tournés en Israël étaient filmés à Jérusalem. Selon Yoram Honig, le directeur du fond, depuis que celui-ci a été créé, plus de 20 % des tournages en Israël ont lieu à Jérusalem. Le but du fond et de développer l’économie et le tourisme en mettant en avant dans les films les lieux caractéristiques de la ville et en favorisant le recrutement de techniciens originaires de Jérusalem. Pour qu’un film puisse bénéficier de l’aide, au moins 50% du scénario et 50% du tournage doit se passer dans la ville, ¼ du budget du film doit être dépensé sur place. Le fond soutient des longs métrages de fictions et des séries mais également les courts métrages d’écoles de cinéma. Une fois le film sélectionné pour l’aide il peut faire appel à un service d’aide à la production spécialement mis en place par la mairie.

306

Yoram Honig et deux conseillers artistiques se réunissent deux fois par an pour sélectionner les films qui sont ensuite présentés en commission. Quinze scénarios en moyenne sont présélectionnés puis entre quatre et six passent devant la commission finale. Le réalisateur et le producteur de chaque projet sont invités à venir les défendre devant la commission. Le fond intervient également au moment du tournage, il facilite le travail des équipes dans certains lieux mais aussi lors du montage, pour donner des conseils artistiques sans pour autant intervenir sur le résultat final. Depuis sa création, le fond a soutenu près d’une soixantaine de projets israéliens et internationaux et investi plus de 27 millions de NIS.1/3 des projets soutenus sont des premiers films.

307

ANNEXE 11

L’INDUSTRIE DU FILM EN ISRAËL : BREF HISTORIQUE, ÉCONOMIE ET RÉGULATION

1. Historique

Comme le remarquent Miri Talmon et Yaron Peleg dans leur introduction à leur ouvrage

Israeli Cinema : Identities in Motion (Talmon, Peleg, 2011, x1), le développement du sionisme moderne en Europe, qui défend la création d’un état pour le peuple juif, coïncide avec la naissance du cinéma.

Dès 1897, les frères Lumière viennent filmer en Palestine mandataire. En 1901 a lieu la première projection d’un film dans le pays et la première salle de cinéma ouvre ses portes en

1908 à Jérusalem.

Avant la création de l’Etat d’Israël, sont produits des films comme Oded the Wanderer de

Chaim Halachmi (1932) ou This is the Land de Baruh Agadati (1934), le premier film produit en langue hébraïque avant la création de l’Etat d’Israël ou encore les documentaires de Nathan

Axelrod, mettant en avant les pionniers sionistes en Palestine et documentant le travail de la terre, et la construction des kibboutzim dans un style rappelant les premiers films soviétiques.

Ainsi, le cinéma devient le médium d’une nouvelle identité culturelle illustrant la création d’une nouvelle nation. (Peleg, Talmon, 2011, x1).

Avec la naissance de l’Etat d’Israël en 1948, le cinéma sert à consolider la communauté israélienne faite d’immigrants de différents pays. C’est un cinéma « réaliste sioniste » (en continuité avec les reportages des années 30) qui se développe commandité par des organes

308

comme le KKL1ou l’Agence Juive2 à visée éducative et qui décrit aux nouveaux migrants la vie dans leur nouveaux pays. En 1960, un courant de cinéma dit des « héros nationaux » se développe : ces films mettent en scène un groupe de héros masculins, des sabras, le plus souvent des soldats censés représenter l’éthos collectiviste de l’époque à l’opposé de l’image des juifs de la Diaspora3. Mais progressivement, ce genre laisse la place à des films plus divers avec l’émergence des comédies bourekas mettant en scène des conflits ethniques et de classes (la plupart entre sépharades et ashkénazes) de manière comique. Ces films rencontrent un très fort succès public. De grands producteurs émergent alors qui dynamisent la production locale comme Menahem Golan et qui n’ont pas peur de financer des projets ambitieux4. A côté de ce cinéma commercial, se développe un cinéma d’auteur inspiré par la nouvelle vague française, connu comme le mouvement de la « Nouvelle sensibilité » représenté par des réalisateurs comme Uri Zohar, Avraham Hefner et Yehuda (Jad) Ne’eman. Ces films, à la fois plus élaborés mais plus personnels, remettent en cause l’idéal socialiste sioniste des premières années du pays. C’est le film Un trou dans la Lune (1965) d’Uri Zohar qui offre une satire radicale des films réalistes sionistes qui est considéré comme le pionnier de ce mouvement selon Ariel

Schweitzer5. Ce cinéma s’intéresse moins à l’exaltation d’un collectif sioniste qu’à l’exploration existentielle de l’individu et sa relation à la société. Ce mouvement a ouvert la voie à un cinéma beaucoup plus critique voir politique à partir des années 70 selon Miri Talmon et Yaron Peleg

(Talmon, Peleg, 2011 p xiv).

1 . Keren Kayemet Le Israel l (KKL), fond crée lors du congrès sioniste de Bâle en 1901 pour financer l’achat des terres et l’installation des juifs en Palestine. Actuellement, le fond gère des terres et des forets en Israël et contribue à leur développement. 2. L’Agence Juive est une organisation sioniste crée en 1929 et qui sert actuellement à accompagner et favoriser l’immigration juive en Israël. 3. Deux exemples typiques de ce genre de films : La colline 24 ne répond plus de Thorold Dickinson, (1955), La colonne de feu de Larry Frisch (1959). 4. Selon l’Israeli FIm Center parmi les 7 films israéliens les plus vus de tous les temps, les trois premiers sont des films bourekas. : Eskimo Lemon (1978), Kazablan (1973) et Salah Shabati (1964) et quatre d’entre eux ont été produits et réalisés par Menahem Golan. 5 Ariel Schweitzer, Le cinéma israélien de la modernité. Editions Le Harmattan, 1997.

309

C’est dans les années 1970, qu’une véritable culture et éducation au cinéma émerge en Israël. En

1971, puis en 1972 s’ouvrent les deux premières formations au cinéma à l’école Bet Zvi et à l’université de Tel Aviv. Les cinémathèques de Jérusalem et de Tel Aviv s’ouvrent en 1973.

Deux revues naissent également autour du cinéma : « Close Up » et « Kolnoa » et proposent des analyses critiques de films israéliens.

Avec la création du fond de soutien aux films de qualité en 1978, un cinéma d’auteur de plus en plus politisé et critique prend sa place dans le paysage avec des documentaires comme Journal de Campagne d’Amos Gitai (1982) ou encore le film de fiction Beyond the walls de Uri Barbash

(1984), ces cinéastes mettent en scène le conflit israélo-palestinien.

En 1989, la Sam Spiegel Film School ouvre ses portes à Jérusalem et devient l’une des écoles de cinéma dominantes dans le pays. La même année s’ouvre dans la même ville l’école Maale’h à destination d’un public juif sioniste religieux ou souhaitant développer un cinéma dans le respect des valeurs du judaïsme. A partir des années 90, les nouvelles chaînes de télévision privées apparaissent et commencent à diffuser des films israéliens dans leurs programmes pour respecter une nouvelle régulation qui leur impose que 33% des programmes diffusés (en dehors des informations et du sport) doivent être israéliens. Durant la même période, le fond de soutien aux films de qualité, qui auparavant finançait des films plutôt artistiques et politiques, se tourne vers des films plus populaires et commerciaux. A partir des années 2000, un cinéma plus multiculturel prend le pas avec des films qui reflètent de manière plus réaliste la diversité du pays ( Talmon,

Peleg, 2011 p. xv-xvi). La télévision comme la nouvelle loi sur le cinéma ouvrent la voie à ce que l’historien du cinéma Ariel Schweitzer appelle « Le nouveau cinéma israélien »6 représenté par des cinéastes comme Ari Folman, Eitan Fox, Keren Yedaya, Dover Kosashvili Samuel Maoz

6 . Voir le livre d’entretiens d’Ariel Schweitzer avec ces cinéastes, Le nouveau cinéma israélien, Yello Now 2013.

310

ou Nadav Lapid, qui traitent d’un ensemble de thématiques (sexualité, statut des femmes, minorités ethniques, traumatismes de guerre, critique sociale…) peu explorées jusque-là.

2. Economie

L’industrie du cinéma en Israël est dynamique selon l’Israel Film Fund, on compte environ

120 sociétés de production, 10 studios de tournage et 30 studios de post-production. 10 sociétés

de distribution, 150 cinémas avec 440 écrans et environ 100 000 sièges. Entre 16 et 26 longs

métrages sont produits par an. Le budget moyen d’un long métrage israélien reste réduit entre

800 000 et 1,200 000 dollars (673 000-925000 euros) en moyenne.

A titre de comparaison, la France a près de 2044 cinémas avec 1 million de sièges, plus de 200

films produits par an. Le coût moyen d’un film est de 4,9 millions d’euros. On dénombre 2 530

sociétés de production audiovisuelle en France. 7

L’offre de formation au cinéma est également très développée et relativement importante pour

un pays de plus de 8 millions d’habitants. Israël compte actuellement 17 écoles et universités

formant au cinéma. Il existe également 250 lycées qui proposent une option cinéma.

Le budget alloué aux aides publiques au cinéma israélien (par la loi sur le cinéma de1999) était

de 79 millions de NIS par an soit 19 millions d’euros par an jusqu’en 20188. Il est beaucoup

plus modeste comparé au aux 355,88 millions d’euros dédiés au soutien du cinéma dépensés

par le CNC en 20169.

7. Source : Centre National de Cinématographie. 8 . Une nouvelle loi sur le cinéma a été votée le 15 octobre 2018 qui revoit les conditions de financement de cette aide. 9. CNC, les principaux chiffres du cinéma en 2016, 2016.

311

Cela n’a rien de surprenant, La France a l’un des systèmes de soutien au cinéma les plus généreux au monde. Les aides publiques au cinémas sont gérées par le Centre National de cinématographie, organisme public qui collecte 75% de son financement grâce à trois taxes spécifiques : la: taxe spéciale additionnelle (11%sur les prix de billets de salles) , la taxe sur les services de télévision que les éditeurs et distributeurs de télévision paient et la taxe sur les ventes et la location de vidéo (2% sur les prix de vente de dvd).

Ces aides sont divisées en aides automatiques (basées sur les recettes des films) ou sélectives

(comme l’avance sur recette pour soutenir les premiers films ou les films d’auteur).

On compte également au-delà du CNC, d’autres dispositifs de financement comme les aides des collectivités territoriales, les sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA) des instruments de financements dont l’objectif est de collecter des fonds privés consacrés au financement de la production cinématographique et audiovisuelle ou des crédits d’impôt cinéma qui permettent à une société de production de déduire de son imposition certaines dépenses. Enfin, l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (l’IFCIC) propose un système de prêts et garanties bancaires aux sociétés de production qui ont des besoins d’avance en trésorerie.

En Israël, le financement disponible est beaucoup plus réduit et les ressources de financement moins diversifiées même si elles se sont développées au cours des dernières années.

Il existe actuellement neuf fonds de financement en Israël qui soutiennent le cinéma local. Cinq d’entre eux sont des organisations non gouvernementales qui gèrent l’allocation du financement de l’Israel Film Council, un organe crée par le gouvernement pour développer le cinéma dans le pays par la loi sur le cinéma de 1999.

312

Selon l’Israel Film Fund10 en 2017, le total des aides publiques utilisées directement pour la production de films équivaut à 22 millions de dollars par an. L‘apport des co-productions

étrangères : entre 4 et 6 millions de dollars par an.

On compte également des aides de collectivité territoriales comme celui de Jérusalem11 qui développent la production de films sur ces territoires en proposant notamment des crédits d’impôt.

Le gouvernement israélien tente depuis quelques années d’attirer des tournages étrangers sur son territoire. En octobre 2008, une nouvelle loi est votée par la Knesset pour encourager le tournage de films et de séries étrangères en Israël via un système de crédits d’impôts : 20 % de l’imposition sur les sociétés de production étrangères qui choisissent de tourner dans le pays est remboursable. Le bénéficiaire doit également s’engager à collaborer avec une société de production israélienne.

3. L’évolution de la régulation et mise en place de la loi sur le Cinéma

La première loi régulant le cinéma en Israël pour « l’encouragement du cinéma israélien » est votée par la Knesset en 1954. Cette loi demandait aux exploitants de salles de cinéma de réserver des heures de projection à des films israéliens et évaluait via un comité si un film produit était israélien ou pas. De plus, pour chaque rentrée d’argent reçue pour un film israélien l’état donnait des subventions équivalentes aux producteurs de films.

Avec l’arrivée du parti de droite, le Likoud, au pouvoir en 1977, la politique liée au cinéma fut transformée. Dorénavant, l’aide allouée était limitée et conditionnée au nombre d’entrées. Un

Kvutsat Kaitz ») appelé le groupe du jeune cinéma » )קבוצת קי"ץ groupe de jeunes cinéastes israélien publie alors un manifeste la même année (1977) où il fustige et critique le soutien

10 . Israel Film Fund, Israel Film & Television Industry Facts and Figures – at a Glance 2017, p.4. 11 . Voir la présentation du Jérusalem Film Fund p. 309.

313

étatique qui lie cinéma et commerce. Ses membres veulent que le cinéma soit considéré comme un art et non comme une industrie.

Trois réalisateurs issus de ce groupe : Jaad Neeman, Yehud Lebanon et Renen Shor vont plus loin et arrivent à convaincre les pouvoirs publics de mettre en place un premier fond pour l’ « encouragement de films de qualité » crée en 1979 sous l’égide du ministère de la culture.

Ce fond encourageait avant tout des films d’auteur et la qualité du projet plutôt que son potentiel commercial.

Dans les années quatre-vingt, le gouvernement israélien se détourne totalement du soutien financier à la culture, ainsi en 1988, seul 0,16% du budget national était alloué à la culture ce qui mettait le pays tout en bas du classement des pays occidentaux (Ben- Ami, 1996, p.212).

A la fin des années quatre-vingt, l’arrivée des chaînes privées puis câblées à la télévision israélienne ont un effet dramatique sur le cinéma israélien, le nombre de films produits par an diminue drastiquement ainsi que celui de ses spectateurs12. Dans le même temps, le ministre de l’industrie et du commerce de l’époque, Nathan Sharanski décide d’arrêter de soutenir le cinéma israélien via son ministère. C’est à ce moment que commencent les premiers appels pour créer une nouvelle loi pour le financement du cinéma israélien comme le décrit Ariel Schweitzer dans son livre Le Nouveau cinéma israélien :

Un noyau de personnalités menées par Katriel Schori [ancien directeur du Fonds du cinéma

israélien – Israel Film Fund] et le producteur Marek Rosenbaum fondent un groupe de pression

dans le but de modifier la politique publique en matière de cinéma. Bientôt rejoints par de

nombreux cinéastes, le groupe mène des actions très médiatisées visant à convaincre le

gouvernement de la nécessité d’une loi garantissant la stabilité du secteur en le rendant

indépendant du bon vouloir d’un ministre. (Schweitzer, 2013 p.15).

12. Ainsi, en 1998, seuls 36000 spectateurs se déplacèrent dans les salles de cinéma pour aller voir des films israéliens. (Goldberg, 2011, p.8.).

314

Concomitant à cette évolution législative, comme le note Ariel Sweitzer c’est à la même période que sont signés de nouveaux accords de co-production notamment avec la France (en 2002) ce qui permet aux films coproduits dans ce cadre de bénéficier des aides publiques israéliennes comme françaises .

La loi sur le cinéma est finalement votée par la Knesset en 1999 et prévoit un budget spécifique pour soutenir le cinéma israélien annuellement avec également la création d’un conseil de vingt- cinq d’experts pour conseiller le ministère de la culture sur la manière de dépenser ce budget

(Le Israeli Film Council ou Conseil israélien du cinéma). Onze des experts qui composent le conseil sont des professionnels du cinéma qui comporte également des fonctionnaires. Le budget collecté vient pour 50% des redevances payées par la 2e chaine de télévision privée et

50 % des redevances sur les chaînes câblées.

Chaque année, l’Israel Film Council avec l’association du conseiller juridique du gouvernement décide du niveau de l’allocation du budget de soutien au cinéma israélien.

Selon le texte de la loi au moins 60% du budget total doit être réservé à l’aide à la production de films israéliens et le reste à leur promotion et leur distribution.

Ainsi, en 2013 voici comment le budget était distribué :

 58,5 % Pour la production de longs métrages de fiction

 13,6% Pour la production de documentaires

 6,9% Pour la production de films israéliens montrant des cultures particulières (arabes,

religieux etc.)

 5,8 % Pour la production de courts métrages

 5,6% Pour l’organisation de festivals et le financement de leurs prix

 2,5% Pour le fonctionnement des cinémathèques

315

 2,4% Pour la promotion de films israéliens localement et à l’étranger

 1,7% Pour la production de courts métrages étudiants

 1,5% Pour soutenir des organisations professionnelles dans le secteur du cinéma

 1,5% Pour soutenir les archives et la préservation du patrimoine cinématographique

israélien.

La part des aides directes à la production est donc très importante (87%) avec près de 59% dédiés à la production de longs métrages de fiction. Ces aides financières sont distribuées via des fonds publics qui sélectionnent les projets grâce à des équipes de lecteurs.

La loi précise que le soutien aux créateurs de films doit se faire dans le respect de la liberté de création et doit permettre l’expression de la diversité de la société israélienne et de la pluralité de ses opinions et de ses valeurs.

Il existe cinq fonds autorisés à distribuer les aides financières délivrées par l’Etat par la loi sur le cinéma: la Israel Film Fund, Yehoshua Rabinovich Foundation for the Arts tous les deux plutôt réservés aux longs métrages, la Makor Foundation plutôt réservé aux séries et films pour la télévision, la Guesher Fund qui soutient des films qui mettent en avant des minorités du pays

( arabes, juifs ultra-orthodoxes) et the New Fund for Cinema and Television qui soutient plutôt des documentaires et des films expérimentaux.

Ces fonds reçoivent chacu un budget annuel qu’ils utilisent en partie pour leurs frais de fonctionnement et qui est ensuite directement utilisé pour soutenir les projets de sociétés de production sélectionnés.

Les producteurs du film envoient leurs dossiers aux fonds et aux aides correspondant au genre et au stade de leurs projets. (Aide au développement, aide à l’écriture etc.). Les projets sont ensuite relus par des lecteurs, puis les projets retenus sont présentés devant une commission qui décide d’allouer la subvention ou pas13. Entre 2002 et 2003, (année de sortie pour les premiers

13. La Israel Film Fund reçoit chaque année en moyenne 300 projets et n’en soutient qu’une douzaine.

316

films financés par la loi sur le cinéma) le nombre de sorties fut doublé : passant de 10 à 20 films par an. Le nombre de spectateurs augmenta également pour atteindre 1 million en 201014.

En 2013, le budget alloué pour le soutien au cinéma israélien était de 79,5 millions de NIS par an pour une durée de cinq ans (une nette augmentation, il était de 67 millions NIS par an lors du cycle précédent). Sur cette somme, 45 millions (soit 56%) ont été finalement consacrées aux aides dédiées aux longs métrages de fiction.

Selon la loi, l’aide ne peut dépasser 80% du budget total d’un film. En réalité, en moyenne, cette aide ne dépasse pas 40% du budget d’un film. Ainsi sur Plaot, l’aide de la Rabinowitz film fund représentait 33% du budget. a ) Le cinéma isaélien et son financement en danger ?

L’actuelle ministre de la culture, Miri Regev, souhaite revoir le financement public du cinéma israélien alors que le cycle des cinq ans vient juste de se terminer. Elle affirme que l’allocation actuelle entre les différents fonds ne permet pas l’émergence de réalisateurs des colonies, ultra- orthodoxes ou arabes. Elle a commandité une commission pour évaluer l’état du système du financement public du cinéma israélien et proposer des réformes.

Derrière cette décision, nombreux sont ceux qui y voient une manière de censurer des films trop ouvertement critiques sur l’état du pays en arrêtant leur financement. La ministre a par exemple condamné le film Foxtrot de Shmuel Maoz (2017) qui selon elle critique injustement l’armée israélienne.

Le projet de loi issu des travaux de la commission prévoit notamment un renouvellement du cercle des lecteurs dans les commissions, ceux-ci ne viendront plus nécessairement du monde du cinéma, et également la décision d’allouer 15% des aides à des réalisateurs dont les films auraient eu un succès en salles et qui n’avaient pas reçu des aides publiques. Avi Nesher comme

14. Voir Goldbderg, 2011, p.11 et chiffres de l’Israeli Film Council.

317

de nombreux cinéastes israéliens s’oppose à cette réforme qui selon lui est « un vrai danger tangible » pour le cinéma israélien.

Après de multiples reports, la nouvelle loi controversée a finalement été votée le 15 octobre

2018 et prévoit également une augmentation de 20 Million NIS par an du budget d’aide au financement du cinéma israélien. Reste à voir quels effets elle aura sur les films produits ces prochaines années. b ) Note sur la régulation du travail dans le cinéma israélien

Contrairement à la France, le travail dans le cinéma en Israël est moins régulé avec une absence totale d’encadrement pour certains rôles comme les figurants qui n’ont aucune reconnaissance juridique en tant que profession (ils ne sont inscrits dans aucune convention collective). Les travailleurs sont moins protégés qu’en France, et n’ont pas d’accès facilité à l’assurance chômage comme le permet par exemple le statut d’intermittent du spectacle. Ils doivent eux même s’inscrire à la sécurité sociale.

Cependant, avec la professionnalisation croissante du secteur, des syndicats ont vu le jour, sur le modèle des unions américaines, pour leur majorité à partir des années quatre-vingt, pour représenter la majorité des professions de l’industrie cinématographique. Certains, comme le syndicat des réalisateurs ont pesé sur la mise en place sur la loi sur le cinéma. Ces différentes associations ont signé des conventions collectives avec les syndicats de producteurs pour obtenir des droits et une grille de salaires15. Certains font partie de la Histadrut, le principal syndicat de travailleurs israélien. Toutefois, il n’est pas obligatoire de rejoindre ces associations pour travailler sur les plateaux de cinéma et de télévision dans le pays.

15. Voir l’exemple de convention entre l’un des principaux syndicats professionnels ACT : association des travailleurs du cinéma et de la télévision et l’union des producteurs de cinéma et de télévision p.288 et la liste des « Principales organisations professionnelles et syndications de l’industrie cinématographique en Israël » p.323.

318

ANNEXE 12

PRINCIPALES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES ET SYNDICATS DE L’INDUSTRIE CINEMATOGRAPHIQUE EN ISRAËL

 ACT Israel Association of Cinema & Television professionals

act.org.il

 EditorsIL Association des travailleurs de la post-production en Israël

facebook.com/pg/EditorsIL

 Cinema Industry Association in Israel

 Film and Television producers’ association

kolnoan.co.il

 Forum of Documentary Israeli filmmakers

fdoc.org.il

 Israel Film & Television Directors guild

directorsguild.org.il

 Scriptwriters’ Guild of Israel

film-e-good.org.il

 Israeli Union of Performing Artists

emi.org.il

 Shaham- The Israeli Screen actors guild

shaham.org.il

,

319

A N N E X E 1 3

IMAGES DU STORYBOARD

Traduction des légendes : 17.1a Plan large Arnav dans la chambre à coucher. 17.1b Arnav marche vers la fenêtre. 17.1c - Mouvement de caméra vers la gauche- Arnav marche près des dessins sur le mur. Soudain les dessins commencent à mouvoir d’eux-mêmes. Arnav ouvre les volets de la fenêtre et regarde vers la cour intérieure.

320

Traduction des légendes : 24B.5 – Gros plan. Arnav et le personnage dessiné en graffiti s’aperçoivent de la voiture de police qui s’approche. 24B.6a –Plan Large – Arnav fuit la scène. 24B. 6b – Les personnages de graffiti se cachent derrière une poubelle.

321

Traduction des légendes : 79B.1 – Plan large, Arnav est assis en face d’un dessin. 79B.2 – Gros plan sur Arnav- il retourne sa main et regarde sur l’écran de l’ordinateur et de nouveau sur le dessin. 79B.3A – Plongée- Arnav ajoute une petite flamme sur le coin du canapé. 79B.3B – Plongée– Zoom avant- Arnav ajoute une petite flamme sur le coin du canapé.

Traduction des légendes : 79B.3C – Plongée– Zoom avant – Le canapé prend feu. 79B.3D- Zoom avant- Knafo s’enflamme. 79B.3 E – Le dessin de Knafo est en train de s’enflammer et il commence à paniquer et courir dans le dessin du salon de l’appartement abandonné en essayant de s’enfuir, mais la porte est fermée à clé. 79B.3F – Knafo tapant désespérément sur la porte de devant.

Source : United King

322

ANNEXE 14

PHOTOS DU TOURNAGE

Le réalisateur Avi Nesher et son coscénariste, le rappeur jerusalemite Shaanan Street. (Source : United King).

Avi Nesher et Michel Abramowicz , le directeur de la photographie ( Source United King).

Photo de l’écran de retour de la caméra.

323

Michel Abramowicz et son équipe autour de la Dolly

Document qui prévient les habitants d’un quartier à Jérusalem qu’un tournage va avoir lieu préparé par le responsable du repérage, Avi Tov.

324

Petites factures du tournage qui sont centralisées dans le centre de production.

Figurants juifs ultra-orthodoxes assis, entre deux scènes.

325

Des figurants israéliens laïques qui jouent des juifs religieux.

Photo de Norbert, un guide de voyage, figurant sur des tournages pour arrondir ses fins de mois qui joue ici un prêtre chrétien orthodoxe et Ezekiel un juif-ultraorthodoxe du mouvement hassisdi gur qui souhaite devenir acteur.

326

Deux figurants arabes jouant des policiers encadrant un figurant juif ultra-orthodoxe.

Un vrai camion des Loubavitch utilisé pour une scène du film.

327

ANNEXE 1 5

FEUILLE DE SERVICE DU 27 MARS 2012 TRADUITE DE L’HÉBREU 3ème jour de tournage - 27/3 – mardi – 3, rue Daniel, Jérusalem Premier appel : 09h30 habillage. 09h45- maquillage des acteurs. Appel général : – 10h30

Scène Jour Décors site I/E Ouverture Description de la Acteurs Silhouettes Grue de Spécial. Accessoires Horaire de travail scénario J/N. scène figurants caméra. Véhicules Steadicam Animaux Lever du soleil Camera 2. Effets Spéciaux 05h34 Éclairage. Maquillage. Coucher du soleil Son. Costumes. 17h55

10h30-11h00 :petit déjeuner. 11h00-11h30 : préparation caméra + éclairage. 52 6. Porte d’un Rue I/E 1 1/8 Arnav voit Arnav. 1 homme ultra- Arnav est Arnav pâlit. Shekels. 11h30-13h30 appartement Daniel Béjérano, Wax. orthodoxe + 2. aveuglé Clé d’un abandonné Assouline et Béjérano. ultra- par le appartement + cour. Baranes Baranes . orthodoxes soleil. Évacuation des véhicules. abandonné. cligne des Assouline. 2 ouvriers Boîte en yeux et ce étrangers, 2 Steadicam plastique sont trois ouvriers arabes, + Caméra jetable. autres Ultra- 1 prêtre haut de Cuillère en orthodoxes, orthodoxe., une niveau 2 à plastique. Wax sort de femme ultra- la Wax chez Knafo, orthodoxe squeezes ravie de ce Bunny. qu’il lui a dit.

24.1 3 8, rue À côté I/E 1 4/8 Arnav n’est Arnav. Un autre Steadicam Gitis avcc un autre chapeau-- Linge pendu 13h30-15h30 Nathan de la toujours pas --Gitis musicien, 2 Une femme ultra-orthodoxe Hanavi rue prêt à aider ouvriers arabes, couverte de la tête aux pieds. Daniel Gitis tant qu’il Rembourrage pour le dos de ne lui dit pas Arnav. la vérité. (De gauche à droite) 10. 2 8, rue À côté I/E 1/8 --Gitis suite Arnav. Une femme Steadicam Caméra de 15h30-16h00 Nathan de la Arnav --Gitis ultra-orthodoxe sécurité du Hanavi rue (De gauche à + 2 enfants. 10, rue Daniel droite) Nathan Hanavi. 59 A 6. 25 , rue 25 , I/E 1/8 Wax continue Wax. 2, prêtres Steadicam Graffiti sur 16h00-17h00 Shivtei rue à suivre Gitis. --Gitis ordinaires, 3 un boîtier Israel Shivtei (Droite- juifs ultra- électrique Israel gauche) orthodoxes, 2 près des fonctionnaires, pylônes. un arabe. 58 6. 32, rue 32, rue I/E 1/8 Wax suit Wax. 2 prêtres Steadicam Portail et porte d’une église + Portable de Shivtei Shivtei Gitis. --Gitis orthodoxes, un ouverts. Wax. Israel Israel (Droite- juif ultra- gauche) orthodoxe., 2 autres musiciens, un arabe.

Scèn 460 Décors Site I/E Ouvert Description de Acteurs Silohouettes Grue de Spécial. Accessoires Horaires de travail e jou U/l. ure la scène figurants caméra. Véhicules rs Steadicam Animaux Lever du soleil Camera 2. Effets Spéciaux 05h34 Éclairage. Maquillage. Coucher du soleil Son. Costumes. 17h55 76 7 32, rue 32, rue I/E 1/8 Gitis se --Gitis 2 prêtres Steadicam Gitis portant un chapeau et des Une petite 17h00-17h30 Shivtei Shivtei rapproche de orthodoxes, habits de tous les jours. valise Gitis. Israel Israel Mousrara.(Ga 2 travailleurs uche droite) étrangers, une mère ultra- Porte et portail église + orthodoxe + ouvert.

— 329 —

enfant. ultra- orthodoxe 17h30 – déjeuner p92 7 Rue Daniel Rue E/N 1/8 Grand --Gitis 2. Steadicam Un break--Gitis 18h30-19h30 Daniel chambouleme 12 curieux non Un tuyau d’arrosage de la nt dans la résidents. chaussée E/N branchement à cour, Arnav l’eau courante. tente de faire gyrophare sortir Knafo Effets Spéciaux Pini–fumée qui ne le laisse noire d’un incendie. pas faire. Gitis n’intervient pas Plan avec le seul Gitis. 83 7 Rue Daniel Rue E/N 1/8 La luxueuse (Béjérano. Steadicam Une voiture de luxe, stationnant 19h30-20h00 Daniel Lexus arrive et Assouline. à portée de vue de la porte de s’arrête près Baranes.) l’appartement de Arnav. de la Cour. 6. 1 Caméra Rue E/N 2/8 Caméra Béjérano. Lumière Une voiture de luxe. 20h00-21h30 subjective Daniel subjective de Assouline. bleue sur la cour Arnav sur Baranes . éclatante. vue de la Baranes L’homme fenêtre de Assouline et couvert de Plan continu l’appartemen Béjérano tête des flashs de t de amenant (Ahmed). lumière Arnav Knafo et bleue. pénétrant dans un appartement abandonné 7pp 1 Caméra Rue E/N 1/8 Caméra Flashs de Fenêtres 21h30-22h00 subjective Daniel subjective vers lumière obstruées par sur la cour l’appartement bleue. des planches vue de la abandonné clouées. fenêtre de d’où sortent l’appartemen des flashs de t de lumière bleue. Arnav

— 330 —

ANNEXE 1 6

EXEMPLE DE LISTES DE FIGURANTS, NOMS, CORDONNÉES, MENSURATIONS ET SCÈNES DANS LESQUELS ILS SONT PRÉSENTS

3e Jour de tournage- 27/03 (Scène 3.4-SB) Lieu : la cour et la rue Daniel, Jérusalem Noms des figurants et des silhouettes*

Tailles & Numéro de Nom Rôle Adresse Heure pointures téléphone d’arrivée d’arrivée (chemises, pantalons, chaussures) Un juif ultra- Centre de 8:45 orthodoxe qui convention ressemble à international, Bidjarno Jérusalem Un juif ultra- Plateau, 5 rue 9 :30 orthodoxe qui Daniel ressemble à Jérusalem Assouline Un juif ultra- Plateau, 5 rue 9 :30 orthodoxe qui Daniel ressemble à Jérusalem Brens Prêtre Plateau, 5 rue 9 :30 orthodoxe/ Daniel travailleur Jérusalem invité Prêtre Plateau, 5 rue 9 :30 orthodoxe / Daniel travailleur Jérusalem invité Ouvrier arabe Plateau, 5 rue 9 :30 Daniel Jérusalem Ouvrier arabe Plateau, 5 rue 9 :30 Daniel Jérusalem Ouvrier Centre de 8 :45 étranger convention international, Jérusalem Ouvrier Centre de 8 :45 étranger convention international, Jérusalem

* . Pour respecter la vie privée des personnes listées je n’ai pas détaillé leurs noms, numéros de téléphone & mensurations. — 331 —

Un autre Plateau, 5 rue 9 :30 musicien Daniel Jérusalem Un autre Plateau, 5 rue 9 :30 musicien Daniel Jérusalem Une maman Plateau, 5 rue 9 :30 juive ultra- Daniel orthodoxe Jérusalem Une fille juive Plateau, 5 rue 14 :00 ultra-orthodoxe Daniel Jérusalem Un garçon juif Plateau, 5 rue 14 :00 ultra-orthodoxe Daniel Jérusalem Pompier/agent Plateau, 5 rue 9 :30 administratif Daniel Jérusalem Pompier/agent Plateau, 5 rue 9 :30 administratif Daniel Jérusalem

3e Jour de tournage 27/3 – scène 3-4 SB Lieu : la cour et la rue Daniel

Commentaires Nombre de Les rôles Rôles des Nombre de Scène

figurants pour ce jour figurants figurants

pour ce

jour

16 3 ultra- Des hommes 3 52

orthodoxes juifs ultra-

(1 orthodoxes

silhouette), 2 (1 silhouette)

ouvriers Ouvriers du 2

arabes,2 bâtiment

prêtres arabes

orthodoxes/ Un prêtre 1

passants avec grec

avec d’autres orthodoxe

— 332 —

vêtements. 2 Travailleurs 2

travailleurs étrangers

étrangers, 2 Femme juive 1

autres ultra- musiciens. 1 orthodoxe

mère juive Autres 2 24.1

ultra- artistes orthodoxe 2 musiciens enfants juifs Ouvrier 1

ultra- arabe orthodoxes. Mère juive 1 10

2 pompiers/ ultra-

agents orthodoxe administratifs Enfants juifs 2

Doublure de ultra-

Knafo orthodoxes

recouverte. Prêtres 2 A59

chrétiens

orthodoxes

Juifs ultra- 3

orthodoxes

Agents 2

administratifs

— 333 —

Ouvrier 1

arabe

Autres 2 58

musiciens

Prêtres grec 2

orthodoxes

Juif ultra- 1

orthodoxe

Arabe 1

Prêtres grecs 2 76

orthodoxes

Juif ultra- 1

orthodoxe

Mère & son 2

enfant juifs

ultra-

orthodoxes

Travailleurs 2

étrangers

voisins

Pompiers 2 P92

Arabes 2

Artistes 2

— 334 —

Juifs ultra- 3

orthodoxes

Juive ultra- 1

orthodoxe

Passants 2

Travailleurs 2

étrangers

— 335 —

A N N E X E 1 7

FEUILLE DE CONTINUITÉ UTILISÉE PAR LA SCRIPTE

— 336 —

Traduction : 1 . Titre du film : Plaot Nom du réalisateur : Avi Nesher Nom du directeur photo : Michel Abramowicz

2. Feuille de continuité n° Clap

3. Date Scène

4. (de droite à gauche) Plateau Jour/Nuit Intérieur/Extérieur

5. Plan : Objectif : Diaphragme

6. (De droite à gauche) Prise Fichier Durée Commentaires /notes : G : Bien, H : correct NG : mauvais

7. Actions et dialogues

8. Commentaires

/

— 337 —