Janvier 2012 ISSN 1254-5171
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N°3 - Janvier 2012 ISSN 1254-5171 www.echo62.com p. 18-19 1900 2012 1924 1952 2004 À nos Olympiques Le Pas-de-Calais & les J.O. Jules Noël, le discobole Photo © Collection privée Bruno Decrock 2 L’Écho du Pas-de-Calais – Janvier 2012 À nos Olympiques • 1900-2012 Capitaine « hors-classe » Gaudin: la légende de l’escrime France de nationale ©Bibliothèque UIN 1905, un jeune homme de dix-huit ans fait une entrée fracassante dans le monde de l’escrime, aux Tuileries, à Paris. Sûr de lui, survolté, Jpresque invincible déjà, Lucien Gaudin devient champion du monde d’épée. La légende est en marche. L’histoire de Lucien Gaudin est peu banale, forcément. Amateur de bonne chère et de dîners mondains, fumeur invétéré à la classe inégalée, il est aujourd’hui encore considéré par certains comme le plus grand escrimeur de sa génération. Pour d’autres, il restera le plus grand de tous les temps. Son histoire est à la fois belle et tragique, sans doute l’une des plus poignantes des Jeux olympiques. Né en 1886 rue des Capucins à Arras, infaillible de Gaudin ne seront pas à Lucien Gaudin est le fils d’un militaire Stockholm en 1912, la faute à un règle- de carrière, un jeune loup au caractère ment jugé inacceptable par la fédération bien trempé qui découvre l’escrime à tricolore. Ironie du sort, l’Histoire l’âge de 12 ans, à Angers, un des nom- amène Lucien Gaudin à prendre le breux points de chute du paternel. chemin de sa région natale pour un tout L’escrime oui, mais entre autres sports. autre combat… la première guerre mon- Lucien est un touche-à-tout. Il va allè- diale éclate, le capitaine de l’équipe de grement de la raquette de tennis à la selle France est mobilisé: les Jeux de 1916 de cheval en passant par quelques mou- n’auront pas lieu. vements de brasse. L’escrime n’est pas son fer de lance, jusqu’à ce que l’orgueil Désillusions du jeune Gaudin soit piqué au vif. et consécration Lycéen, Neuilléen depuis peu, il s’incline Sorti de cet épisode tragique, le désor- dans un assaut aux airs de défi face à mais maréchal des logis-chef se remet en l’un de ses « camarades » de classe un quête du graal olympique avec un tout peu trop présomptueux à son goût. autre grade, celui de « hors-classe » qui Lucien veut sa revanche, il l’aura, peu le dispense de toute épreuve qualifica- de temps après, en finale du cham- tive. Gaudin est au-dessus du lot. Les pionnat scolaire. Il pousse les portes de Jeux d’Anvers en 1920 sont annoncés la salle d’armes de son lycée, rencontre comme les siens et ceux d’une équipe de son premier mentor, le maître Carrichon France archifavorite. Mais le sort Aussi à l’aise au fleuret qu’à l’épée, Lucien Gaudin est un des rares tireurs à avoir conquis l’or olym- qui flaire là un diamant brut qui ne s’acharne sur Gaudin qui se blesse au pique dans les deux disciplines. demande qu’à être taillé. Nous sommes pied juste avant la finale du fleuret par en 1903 et déjà aux yeux de tous, il est équipe. Valeureux combattant, il tente De la gloire aux déboires à l’épée cette fois. Le triomphe est évident que le jeune gaucher deviendra de masquer la douleur et se lance à l’as- Nouvelle chance, sans doute la der- total, juste retour pour celui qui aura grand. saut de l’Italie, l’autre grande nation de nière pour Lucien Gaudin à tant donné à l’escrime française, l’escrime mondiale. Sur sa route, une Amsterdam en 1928. Les observateurs récompense justifiée pour un homme Les prémices autre star de l’escrime, le jeune et fou- sont sceptiques quant à ses chances de au sommet de son art pendant 25 belles d’une malédiction gueux Aldo Nadi. Le transalpin ne fait victoires… mais le hors-classe Gaudin années. Mais en 1934, six ans à peine L’escrime, sport de combat, à la fois pas de sentiment et s’impose. Malgré un n’en a que faire. Il veut aller au bout après le sacre tant espéré, une légende fluide, rapide et violent. Un sport de sursaut d’orgueil de Gaudin, l’Italie de son rêve, boucler la boucle en s’en est allée. Lucien Gaudin, escri- gentleman sans pitié sur la piste, mais triomphe. Première distinction olym- quelque sorte. Le fleuret par équipe est meur amateur* à la classe naturelle est courtois en dehors, en apparence du pique pour Gaudin, mais cruelle désillu- enlevé par l’Italie aux dépens d’une ruiné. Riche banquier dans le civil, moins. Un sport dont la langue officielle sion: ses Jeux s’arrêtent là. équipe de France revancharde, mais investisseur hors-pair**, la crise des est le français… son plus bel ambassa- Deux ans plus tard, Lucien Gaudin a inférieure ce jour-là. Gaudin remporte années trente fait son chemin. Le 23 deur le sera lui aussi! Lucien Gaudin l’occasion de prendre sa revanche sur ici sa quatrième médaille olympique. septembre 1934, il est dit que Lucien collectionne les titres nationaux au Nadi, dans un assaut au fleuret déchaî- Le lendemain, place au tournoi indivi- Gaudin ne se délectera plus de ces fleuret, avec sept victoires aux cham- nant les passions, et que certains duel et à une finale épique entre dîners mondains qu’il aimait tant. Il pionnats de France entre 1904 et 1913. Il jugeaient alors comme le combat du l’Allemand Casmir, Gaudini l’Italien s’est éteint dans son sommeil, à l’aube devient champion du monde en 1905 et siècle. Face-à-face, deux des meilleures et… Gaudin, transcendé, transfiguré de ses 48 ans, la faute à une syncope aussi bizarre que cela puisse paraître, le lames de la planète. Aldo Nadi, pétri de même. Il surclasse le Germanique, 5 officiellement… ou à un excès de médi- champion n’est pas retenu pour les Jeux talent, plus grand mais aussi beaucoup touches à 1, avant de se présenter face caments. olympiques de Londres en 1908. Au plus jeune que Lucien Gaudin. À Paris, au géant Gaudini… qui mène 3 touches Christophe Vincent jeune prodige, la Fédération française devant un public acquis à sa cause, le à 2 dans ce dernier assaut. La qua- * L’ensemble des primes remportées par Lucien d’escrime préfère des tireurs plus expé- champion d’Europe d’épée ne laisse pas trième est refusée à l’Italien, pourtant Gaudin grâce à son art ont été reversées à des rimentés, des têtes d’affiche incontesta- passer sa chance, surclasse l’Italien et Gaudin, grand seigneur, se tourne vers œuvres, clubs d’escrime ou à la fédération fran- bles et incontestées, des noms comme lave « l’affront » des jeux. 1924, Jeux de les juges: « je suis touché »… 4-2. À çaise, ce qui lui permettra par ailleurs de rester Allibert, Lippmann, Dillon-Kavanagh Paris, Lucien Gaudin conquiert à 38 ans une touche, une seule, d’un nouveau amateur, condition sine qua none de l’olympisme ou encore Gravier de la Falaise. ses deux premiers titres olympiques à coup de poignard, Lucien Gaudin à l’époque. Première cartouche gâchée puis une l’épée et au fleuret par équipe… mais la montre alors ce qu’il fait de mieux. Il ** Il a activement contribué à l’essor de la station seconde, une olympiade plus tard alors malédiction frappe à nouveau: une égalise à 4 partout et dans un ultime balnéaire d’Hossegor. que d’aucuns considèrent qu’il est au névrite lui paralyse la main gauche, il ne effort, remporte à 42 ans cette médaille Bibliographie: Lucien Gaudin le maître des sommet de son art. Non, la vivacité, la défendra pas ses chances en individuel. d’or qui le fuyait tant. Deux jours plus armes par Laurent-Frédéric Bollée, éditions classe, l’anticipation et le coup d’œil Cruel, encore. tard, Lucien Gaudin remet le couvert, Cristel. À nos Olympiques • 1900-2012 L’Écho du Pas-de-Calais – Janvier-2012 3 Fines lames et destins tragiques EUX champions partis beaucoup trop tôt. Lucien Gaudin, l’Arrageois installé à Paris, et Jacques Dimont, le Carvinois exilé en Avignon ont connu la reconnaissance sportive et une descente Daux enfers. Deux champions olympiques du fleuret natifs du Pas-de-Calais, deux destins diamétralement opposés, mais à tout juste soixante années d’intervalle, les deux tireurs en terminent avec la vie. Ils n’avaient pas cinquante ans. Champion du monde junior en l’équipe de France, elle aussi en l’année suivante, il est fait cheva- 1964, Jacques Dimont était issu de partance pour les Jeux mexicains. lier de la Légion d’honneur. 1923, Collection Cercle d’escrime Hénin-Beaumont Cercle d’escrime Collection la grande école d’escrime héni- Installé en Avignon en fin de car- Lucien Gaudin entreprend une noise, la même école qui forma rière, Jacques Dimont connaît des tournée en Italie, écumant les d’autres tireurs d’envergure inter- déboires sentimentaux. Sa sépara- dîners mondains pour des matches nationale, des noms comme tion est le point de départ d’une exhibition sans vainqueur. Lors de Franck Boidin ou encore Laurence descente vertigineuse vers la son passage dans la capitale ita- Modaine (voir encadré). Jacques misère sociale. Il décède tragique- lienne, il fait la rencontre du Duce, Dimont, lui, participe aux Jeux ment en Avignon le 31 décembre un certain Benito Mussolini qu’il olympiques de Mexico en 1968 en 1994… il n’a pas encore 50 ans.