LA CRYPTE DE SAINTS-GEOSMES (HAUTE-) ET SON DÉCOR

Connue de nombreux archéologues et Au V ile siècle, une nouvelle version du historiens de l'art, la crypte de Saints-Geosmes, martyre des supposés saints langrois donne à quatre kilomètres au sud de Langres, n'a lieu à une description de l'inhumation des cependant guère été l'objet de travaux consé­ frères martyrs à deux milles de la ville, là quents au cours de ce siècle. Située aussi bien où se séparent les voies vers Besançon et vers au Xe qu'au XIle siècle par les premières Chalon; ce texte évoque une basilique: Vel recherches, cette crypte mérite aujourd'hui dedicatio basilicae sanctorum Geminorum toute notre attention pour son architecture exolenda est.4 De cette période et du siècle et le décor sculpté qu'elle conserve. En outre, suivant pourraient dater la plupart des sépul­ elle comporte plusieurs éléments qui en font tures et sarcophages retrouvés aux abords de un témoin des pratiques culturelles dans la l'église actuelle. Si aucun des textes des Vile longue durée du haut Moyen Age. ou V ille siècles ne confirment l'existence A l'occasion de travaux destinés à dégager d'une communauté monastique, vers 830, des la zone orientale, reconnue en partie au XIXe chanoines desservent le sanctuaire sous l'auto­ siècle, travaux dont l'initiative revient à rité d'un prévôt.5 plusieurs personnes de Saints-Geosmes,1 nous Cinquante ans plus tard, en 886, c'est un avons pu mener une première campagne archéo­ abbé que l'évêque Geilon, ancien abbé de logique.2 D'autres interventions de ce type res­ Tournus, établit à Saints-Geosmes. Abbés au Xe tent envisagées avant que ne soit entreprise la siècle, puis à nouveau prévôts au Xle siècle se restauration même de la crypte. Avant ces succèdent à la tête de la communauté de Saints- travaux, qui porteront surtout sur l'origine du Geosmes. Enfin, de la fin du XI le siècle à la fin site, nous avons voulu présenter ici, à la lumière du X V IIle siècle, des prieurs réguliers et des de découvertes récentes, un nouvel éclairage sur prieurs commendataires assurent la continuité. cette crypte et sa structure romane. Durant toute cette période aucun texte ne nous informe sur la construction ou la restauration de la crypte, pas plus que sur l'édification de Sources historiques l'église gothique au X IIle siècle.6 Un examen rapide de la crypte et de sa L'origine position permet de comprendre que celle-ci n'avait plus de fonction importante à l'époque Le culte aux trois Jumeaux est à l'origine gothique et que la dernière construction de l'occupation chrétienne du site. Des reliques rompait complètement avec les proportions des trois saints Cappadociens dont l'historicité antérieurs. Jusqu'à présent cependant rien n'est pas assurée,parvinrentà Langresau plustard n'indique que la crypte ait été complètement à la fin du Ve siècle, peu de temps avant que l'au­ comblée; les sources récentes du XIXe siècle teur du cycle hagiographique de S. Benigne les semblent montrer que les trois premières fasse figurer dans sa composition et qu'ils soient travées ne l'ont jamais été.7 considérés comme des martyrs locaux.3 4 Passio sanctorum G em inorum ... BHL 7829, A A SS, lan., Il, p. 76-80; 3 éd., p. 440-444. 1 MM. Journiac et Maillefert, un groupe de jeunes, avec 5 J.C. Picard, op. cit., et L. Renault, Abbés, prévôts et prieurs l'appui de la Municipalité de Saints-Geosmes. de Saint-Geosmes, Bull. soc. Hist. Arch. Langres, T . 17, 2 Menée en septembre 1985, avec l'aide de Benjamin Saint- n° 263, 1981, p. 446-458. Jean-Vitus et Olivier Juffard, archéologue et dessinateurs, 6 C. Daguin, Église de Saint-Geosmes; R .H . Brocard, M ono­ et les étudiants: C. Allard, O. Daussy, F. Fournet, D. Garcin, graphie de l'église de Saint-Geosmes, Mém. Soc. Hist, et M. Koelher, M. Pat, P. Siegfried, et C. Journiac pour les archeo. de Langres, II, 1862-77, p. 191-215 et 215-222. photographies. Ce chantier a pu avoir lieu grâce à l'aide de 7 Dans la chronique du premier volume de (1847-60) Mémoi­ la Direction des Antiquités historiques de - res de la Société historique et archéologique de Langres, Ardennes, de l'URA26 du CNRS, de l'association Burgondie on écrivait (p. 24): «A l'époque de la Révolution de 1789, du Foyer et de la Municipalité de Saints-Geosmes que nous la crypte de l'église de Saint-Geosmes qui est considérée tenons particulièrement à remercier. comme le lieu de la sépulture des Saints-Jumeaux a été en 3 J.C. Picard, notice Langres, dans laTopographie chrétienne partie remplie de déblais». Aucun autre témoignage plus des cités de 1a Gaule des origines au milieu du Ville siècle, ancien ne vient jusqu'à présent préciser cette date et T . IV , Province ecclésiastique de Lyon, Paris, 1986, p. l'ampleur de ce comblement. Certains auteurs (cf. Laurent 47-54, Saints-Geosmes p. 53. On y trouvera l'ensemble des et Claudon) mentionnent par ailleurs une lithographie d’un références bibliographiques concernant les sources. Biblio­ certain Vessiot, de 1816, représentant la crypte. Nous graphie avant 1940 dans J. Laurent et F. Claudon,Abbayes n'avons pas retrouvé ce document, qui constituerait, s'il et Prieurés de l'ancienne , Diocèse de Langres et de n'y a pas d'erreur de date, une des toutes premières repré­ D ijon, Paris-Ligugé, 1941, p. 410-415. sentations par cette technique.

77 La documentation moderne En janvier 1850, la curiosité pousse le curé de l'époque à fouiller dans la partie occiden­ Les premiers devis importants concernant tale de l'église pour retrouver l'emplacement l'église et mentionnant la crypte datent de d'un tombeau déjà repéré à l'époque de la 1837-1840. Le plan du 16 mars 18378 situe les construction du clocher.11 trois premières travées de la crypte dans la Aucun des éléments du dossier concernant construction gothique, sans restituer les parties les devis et travaux de 1850-5112 où l'on se plaint disparues. A l'ouest est indiquée l'ouverture surtout de l'état de détérioration de l'église, ne en tant que «passage obstrué», et au sud porte sur cet aspect archéologique, pas plus que l'accès est précisé ainsi: «dalle couvrant l'en­ sur la crypte. En 1860, c'est la Société historique trée de la crypte». L'accès est donc possible et archéologique de Langres qui entreprend sous mais sans doute peu aisé. Le devis du 16 août la direction d'Henri Brocard, architecte, la pre­ 1840 qui porte essentiellement sur la remise mière campagne de fouilles. Ellepermet de recon­ en état de l'église (charpente, contreforts, naître les dimensions exactes et la forme de la vitreries), comporte une des descriptions les crypte. Renonçant à travailler derrière le mur de plus anciennes pour la crypte: «La crypte, bouchage, il entreprend la fouille plus à l'est qui est la partie la plus intéressante de l'église, et rencontre la forme demi-circulaire du sous le rapport de l'antiquité, est composée mur de l'abside. C'est à cette occasion que de trois nefs égales voûtées à voûte d'arête, l'on retrouva deux bases «de colonnes sem­ et séparées par des colonnes monocylin­ blables à celles qui existent encore dans la driques; un rang de colonnes supportant la partie accessible de la crypte» qui furent retombée des voûtes latérales règne aussi le enlevées comme n'étant pas en place. Toujours long de chaque mur; trois travées seulement dans la partie orientale, «un sondage fut sont encore intactes; le reste, dont les voûtes fait au fond de la fouille et il amena la paraissent ruinées, est séparé de la partie découverte d'un tombeau en pierre enfoui conservée par un mur qui étant percé laisse à quelques centimètres au-dessous du sol apercevoir deux colonnes et par conséquent de la crypte. Ce tombeau fut ouvert avec indique le prolongement de la crypte du les plus grandes précautions dans l'espoir côté du chœur. qu'il pourrait renfermer des objets qui Les colonnes sont ornées de bases et mettraient sur la voie de l'époque de la chapiteaux et ceux-ci diffèrent tous par le construction de la crypte; mais il ne ren­ genre de leur ornementation, généralement fermait que des débris de pierre blanche, d'un style incorrect. La hauteur des colonnes, provenant d'un autre tombeau.» Ces consta­ base et chapiteau compris, est d'un mètre tations seront publiées quelques années plus soixante treize centimètres et celle de la voûte tard13 avec un monographie complète de sous clef au-dessus du sol de deux mètres l'histoire de l'église et de nombreuses illus­ cinquante trois centimètres. La longueur totale trations. La nouvelle forme de l'abside et la de la crypte est de six mètres vingt sept centi­ position du tombeau sont à ce moment-là mètres». reportées sur le plan de la crypte positionnée Le même texte précise en note que «les dans l'église gothique. Mais l'entrée se fait dépenses de la crypte ne sont pas indiquées toujours par l'accès provisoire sud-ouest; plus spécialement parce qu'il n'y a qu'une l'ouverture occidentale est désignée alors fouille qui puisse indiquer les travaux à exé­ comme «ancienne porte dans la crypte». cuter; cependant d'après les proportions déjà Une coupe donne la position et le niveau connues cette crypte ne pouvait avoir une bien de la construction et une lithographie de grande étendue, nous estimons que la somme Sagot14 montre l'espace conservé, sans de neuf cent trente neuf francs trente deux souci de représentation réaliste des matériaux centimes pourra suffire». Signé P. Pechinet.9 ni des proportions. Il faudra attendre encore vingt ans pour En novembre 1879, à la suite de nou­ que des travaux reconnaissent cette étendue veaux plans et devis de restauration de la complète de la crypte. Entre temps Prosper crypte dressés par H. Brocard, une nouvelle Mérimée se basant sur un rapport de Boeswill- campagne de fouille et de travaux est entreprise. wald prétend en 1846 que «l'église de Saint- Elle porte essentiellement sur la partie occiden­ Geosmes ne présente qu'un médiocre intérêt».10 tale où doit être aménagé le vestibule d'accès

8 Arch. Dép. Haute-Marne, série V 35 V 15. Devis et plan. 11 Registre Paroissial de Saints-Geosmes, notes manuscrites Plusieurs auteurs locaux du X IX e siècle pensaient que la de l'Abbé Favrel. crypte avait été classée vers cette date, en réalité elle ne le 12 Arch, des Mon. Hist. op. cit. sera que le 7 septembre 1892 (Arch. Mon. Hist.). 13 C. Daguin et R.H. Brocard,op. cit. 1862. 9 Arch, des Mon. Hist. Dossier Saints-Geosmes. Carton n ° 14 H. Brocard, La crypte de l'église de Saints-Geosmes, Bull, 849. Devis, plan, coupe. soc. hist, e t archeo. de Langres, II, 1882 (écrit en fév. 10 Ibid. 1 881). p. 114-123.

78 de l'escalier actuel créé le long du mur sud.15 étroites et non ébrasées dans les parties Aucune trace d'anciens escaliers ne fu t décou­ droites par exemple. Les travaux récents verte, mais plusieurs sarcophages de pierre ont d'autre part mis en évidence, avant «sans orientation». Plus bas furent également l'ouverture de l'abside et de chaque côté, retrouvés des ossements et «surtout un cercueil deux exèdres semblant correspondre à des entièrement en plomb» près de l'ouverture de accès bouchés. Ils sont en grandes maçon­ la crypte et cinq fioles de verre.16 neries et pierres de réemploi qui tranchent Ces découvertes de 1879-1880 donnèrent avec le calcaire et le tu f employés dans le lieu à un second article de H. Brocard. Mais reste de la construction. Ces éléments et dans les mentions successives de ces travaux et d'autres détails aujourd'hui visibles permet­ dans les plans reproduits par la suite, l'accès tent de renouveller désormais considérable­ actuel n'est pratiquement jamais figuré. Ce ment l'analyse du monument. seront les derniers travaux portant sur la crypte. L'étude monographique manuscrite de l'Abbé Bigolet, curé de Saints-Geosmes datée de 1891,17 et les différents rapports et devis Analyse archéologique suivants (entre 1902 et 1929) n'apportent pas d'éléments nouveaux. Seuls un rapport et un Nous ne décrirons pas ici l'ensem­ devis de 1942 prévoient «l'enlèvement de la ble de la campagne archéologique récen­ maçonnerie qui bouche le fond de la crypte te19 mais nous insisterons d'une part pour dégager la 4ème travée».18 C'est seule­ sur la constitution d'un nouveau plan et ment en 1984-1985 que le dégagement complet d'autre part sur les observations qui ont de la crypte sera réalisé. permis l'établissement d'une chronologie relative. Le nouveau plan de la crypte a été établi au 1/20e. Nous y avons porté les struc­ Description de l'état actuel de la crypte tures en élévation, les colonnes et les bases en place, les emplacements ou négatifs recon­ Aujourd'hui, on accède toujours à la nus, enfin les limites et les éléments apparus crypte depuis l'escalier latéral créé en 1880 dans les zones fouillées. Sa précision permet le long du mur goutterot sud, dans l'avant- de mieux apprécier le positionnement des dernière travée de la nef (unique), avant le structures les unes par rapport aux autres. transept. Le vestibule, créé avant l'ouverture Ainsi on constate que certains murs ne sont de la crypte, comporte le même type de pas orthogonaux et que l'ensemble est désaxé colonnes sans qu'aucun vestige d'origine n'ait vers l'est. Ce changement accusé par la position été conservé dans la reconstruction des murs. des bases et des murs semble se produire au Dans la crypte elle-même, partagée en trois niveau des retraits latéraux et de la naissance nefs égales, on reconnaît les trois premières de l'abside. Si on reporte le plan de la crypte travées connues et décrites au XIXe siècle avec avec son désaxement dans le plan de l'édifice les colonnes et les chapiteaux sur lesquels nous supérieur20, on s'aperçoit de l'alignement reviendrons et, au-delà, vers l'est, quatre également irrégulier des murs de la construc­ travées qui ont perdu leur voûtement, mais tion gothique, qui s'infléchissent aux mêmes pour lesquelles ont été retrouvées soit les bases, endroits. Ceci tend à indiquer, comme en soit les emplacements des bases. Le long du d'autres exemples, une césure de campagnes pourtour intérieur de l'abside, on retrouve différentes tenant compte de contraintes également soit des bases, soit, dans les enduits, antérieures. la trace des colonnes plaquées contre ce mur. L'alignement des bases s'incline légè­ Malgré la disposition apparemment régulière rement dans l'abside et semble tenir du système de voûtement, on découvre aisé­ compte de la position du sarcophage. Celui- ment des disparités que nous analyserons plus ci correspond à la tombe retrouvée dans les loin dans la position des baies: à double premières fouilles du XIXe siècle. Elle avait ébrasement et basses dans l'abside, hautes, été alors protégée par une petite construc­ tion de pierres sèches que nous avons pu

15 Ibid. pl. 20. Les proportions données par la perspective et un personnage adossé à une colonne sont très éloignées de la réalité. 19 Recherches archéologiques à Saints-Geosmes, bilan à 16 Ibid. p. 117. E t pour ce détail, registre paroissial de l'Abbé paraître dans le Bull. Soc. Archéo. et Historique de Langres. Favrel, p. 328. 20 Les vérifications du plan de l'édifice gothique n'ont porté 17 Abbé Bigolet, Monographie de la crypte et de l'église de dans cette première campagne que sur la partie de la nef Saints-Geosmes prés de Langres, Manuscrit, 1891. Arch. aux abords de la crypte; le graphisme du plan distingue M.H. en traits gras cette partie corrigée. (Relevés et plans O. 18 Arch. Mon. Hist. op. cit. Juffard).

79 démonter.21 Cette redécouverte a permis de droit longeant l'extérieur des murs goutterots. préciser la forme du sarcophage qui n'est pas Des différences irrégulières de niveau des blocs rectangulaire mais trapézoïdal, et étant donné au sol évoquent le départ d'escaliers d'accès. son niveau d'inhumation sous le sol de la L'ensemble a été considérablement modifié par crypte, peu de terre devait en recouvrir le la construction gothique, la fondation des piles couvercle. Comme on peut le voir sur le plan, étant venue boucher l'accès et la descente des les pieds approchaient d'une vingtaine de cen­ escaliers. D'autre part la construction elle- timètres la ligne intérieure de l'abside. On a même est faite de grands blocs laissant voir la retrouvé à cet endroit les traces des coups de taille antique et les trous de louves caractéris­ pics qui avaient permis l'inhumation du sarco­ tiques.23 On a décelé dans l'angle sud des traces phage dans l'argile, vierge à cet endroit. Le de mortier de tuileaux, que l'on rencontre couvercle était brisé et le contenu de la cuve fragmentairement dans le mobilier de fouille, consistait en un amas de pierres. Ce sarco­ mais pas ailleurs dans la construction, en place. phage est d'un type bien connu en Champagne Un premier examen des maçonneries de et dans le nord de la Bourgogne,22 caractérisé l'abside en partie arasée montre une certaine par un décor de stries parallèles, exécuté à hétérogénéité, en particulier dans les mortiers la broche, limité sur les bords par un encadre­ utilisés, mais on ne peut suivre de reprises ment lisse; il apparaît à la fin du Vie siècle et manifestes ni dans l'installation des baies à se répand surtout au V ile siècle. double ébrasement, ni dans la liaison avec les A la tête de ce sarcophage, vers l'ouest, accès de grands blocs. On peut noter par une plate-forme de mortier, lisse et bien déli­ ailleurs l'absence de fondations visibles sous les mitée, a été reconnue; elle se distinguait maçonneries de l'abside qui se trouvent étran­ du sol environnant et s'arrêtait en retrait de gement presque au même niveau que le dernier la sixième rangée de colonnes centrales. Cet sol d'occupation; on peut imaginer à partir emplacement suggère le soubassement d'un de là: soit un premier niveau d'occupation autel. Dans les allées latérales, la fouille a beaucoup plus haut, soit une fondation peut- montré un changement de niveaux et des être plus ancienne existant en retrait et qu'il y traces longitudinales de mortier qui évoquent ait eu devant une sorte de chemisage. à cet endroit des marches permettant d'accéder Dans la partie occidentale et les travées à cette zone plus privilégiée. droites de la crypte on peut observer des d if­ C'est également là qu'apparaissent les férences encore plus manifestes dans la mise deux retraits latéraux. Leur construction ne en place des structures. Le recul que l'on peut se trouvent pas véritablement dans le prolonge­ avoir désormais depuis l'est permet de bien ment des murs goutterots des parties droites distinguer comment l'ensemble des voûtes de la nef, ni dans la courbe de l'abside. On s'appuie contre les murs goutterots; elles sont pourrait penser que la mise en œuvre des grands venues apparemment s'insérer dans un second blocs qui les composent n'a pas permis une temps. Colonnes et chapiteaux du pourtour telle régularité, mais cette différence avec les sont appuyés contre des murs préexistants et parties occidentales s'accroît quand on observe les voûtes masquent une partie des baies leur soubassement. En particulier au nord, antérieures qui deviennent ici des soupiraux. plusieurs blocs débordent et ne peuvent avoir Un autre phénomène à souligner, caractéris­ été placés là en même temps que l'édification tique d'une non-homogénéité des construc­ de la partie voûtée de la crypte. Ces retraits tions, est la position irrégulière de la fondation sont l'extrémité de couloirs coudés à angle des murs du pourtour qui varie du niveau de la base des colonnes à 50cm au-dessus. La 21 Le premier article d'H. Brocard,op. cit., précise à propos terre argileuse visible aujourd'hui sous ces murs des premières fouilles de 1860 (p. 218) qu'il a «fait établir un m ur autour du tombeau pour l'isoler des déblais qui devait être cachée à un moment donné par des l'entourent. Cette construction est assez spacieuse pour planches ou une banquette, car les enduits qu'on puisse y pénétrer et ouvrir le tombeau s'il est néces­ saire». Cette précaution révèle sans doute la vénération s'arrêtent partout à un niveau net et constant que l'on pouvait encore avoir pour ce lieu et le souvenir avant même la fin irrégulière des maçonneries. des tombeaux des Saints. L'auteur donnait également des précisions sur les caractères du sarcophage, mais que ne Les enduits en place dans l'ensemble de la reflétait pas le plan alors publié, et encore moins ses copies crypte sont de trois types: principalement une qui donnèrent au tombeau une forme rectangulaire (cf. Revue de l'Art Chrétien, 1904, p. 4 6 2 et le D.A.C.L., couche d'enduit beige clair sur un mortier de p. 1274.). même nature ou par endroit plus ocre, en 22 Cf. études récentes et bibliographie dans G.R. Delahaye, les sarcophages de pierre, annexe III du Catalogue des collections mérovingiennes du Musée Carnavalet, sous la 23 Les faces très différentes offertes par le montage de ces direction de P. Perin, Paris, 1985, p. 689-699. Et carte de blocs démontrent le caractère de leur réutilisation; dans la répartition de ce type par H. Gaillard de Sémainville dans: construction nord un bloc aux bords réguliers pourrait M. Chevalier, H. Gaillard de Semainville, J.P. Michaut, La appartenir à un fond de cuve de sarcophage. Au sud une des nécropole mérovingienne de la Verrerie à Velars sur Ouche marches est constituée d'un bloc avec les restes d'une (Côte-d'Or), Revue archéologique de l'Est, T . X X X V , fasc. Inscription en grandes capitales dédiée à Mars et Bellone 3-4, Déc. 1984, p. 319-356. datable du le-l le siècle (étude en cours).

80 particulier pour les voûtes. Il est en général taillée en cuvette offrant une partie de cadre couvert d'une couche picturale blanche; on et une partie de croix inscrite dans un cercle peut trouver deux couches sur les voûtes du pourrait appartenir à la table de cet autel côté sud, où il y a assurément des reprises avant disparu ou d'un autel antérieur. l'arrivée de l'escalier. Également dans le mobiliser découvert, il Les piédroits de l'ouverture occidentale nous faut signaler en-dehors des fragments d'en­ sont de nature différente: celui du sud est duits ou de mortiers divers, un mortier de chaux restauré, mais celui du nord qui a conservé une incrusté de graviers et de charbons de bois qui a partie de ses enduits doit être d'origine; cette conservé les négatifs du bois lui ayant servi de même portion nord du mur occidental vient support. Ces fragments de dimensions impor­ s'appuyer contre le mur goutterot nord. tantes parfois pourraient appartenir à un L'étude des sols dans les zones ouest et clayonnage de parois, ou plus probablement, est de la crypte n'a pas bénéficié de beaucoup d'après les formes, à une première voûte sur d'épaisseur d'occupation : les coupes strati- lattis d'une construction antérieure. graphiques relevées en particulier dans les sondages occidentaux montrent des couches souvent très fines et limitées dans leur étendue. Sous le niveau actuel s'étend un sol brun-noir jusqu'à une distance de cinquante centimètres Les phases d'occupation et de construction à un mètre des murs goutterots. Ce sol d'oc­ cupation fonctionne assez bien avec un certain Avant de détailler les étapes encore décela­ nombre de bases de colonnes mais doit être bles de la construction il est possible de souligner postérieur à leur installation d'après le mobilier quelques points concernant l'occupation anté­ découvert. rieure du site, et d'avancer quelques hypothèses Plus bas un sol de mortier jaune couvre qui pourront être prochainement confirmées. l'argile rouge d'origine et délimite des trous Nos prédécesseurs du XIXe siècle avaient de poteaux. Il peut s'agir des vestiges de struc­ lié la construction de la crypte à l'origine tures permettant la construction des voûtes, chrétienne qu'ils donnaient au site, ou aux dates ou d'éléments d'une construction antérieure.24 connues de son occupation. L'édification en Le mobilier archéologique découvert était donc datée soit du Ile siècle soit du IXe, à depuis le début des travaux de 1984 est inven­ cause de la présence attestée des chanoines à torié; il appartient dans sa majorité aux phases cette époque. Dans son premier article R.H. de remblais de la zone orientale de la crypte. Brocard écrit: «La crypte de Saints-Geosmes... La céramique est surtout représentée par des doit remonter vers la fin du Ile siècle, époque types médiévaux à cuisson oxydante, fond, assez rapprochée du martyre des saints Ju­ anses, cols de formes fermées, essentiellement meaux».26 Il ajoute, «on ne saurait assigner une des pichets caractéristiques des formes locales date plus récente au style grossier du monu­ des X IIl-X IV e siècles. Le matériel très épars ment» et il cite l'Abbé Bougaud qui écrivait pour les siècles antérieurs est représenté par des dans le même sens: «Le travail incorrect des fragments de céramiques communes que l'on bases et des chapiteaux, la grossièreté des peut situer d'après les lèvres et les pâtes, au moulures, l'absence de proportions et de goût Xe-XIe siècles et par un autre ensemble, à dans les lignes accusent un âge reculé, permet­ mettre en rapport avec des types carolingiens tent de croire que cette crypte est un monu­ repérés récemment à Langres ou connus en ment de la période romane primitive».27 Dans Allemagne.25 son second article H. Brocard s'appuyant sur Le matériel lapidaire également important la découverte des sarcophages, insistera pour retrouvé dans ces fouilles récentes appartient une datation haute.28 Il sera contesté quelques aux phases romanes ou aux phases gothiques temps après, entre autre par J. Quicherat qui (fragments de tailloirs, de bases ou de chapi­ rajeunira la construction jusqu'au XI le siècle.29 teaux). Un chapiteau cubique trouvé dans les 26 H. Brocard, op. cit., 1862-77, p. 216. remblais de l'arrivée de l'escalier sud se rac­ 27 E. Bougaud, Étude historique et critique sur Saint Bonigne, Dijon, 1859. A cette époque les travaux de dégagement corde tout à fait avec le fût et la base mono­ de la crypte romane commencés quinze ans auparavant lithe découverts en fin de comblement de étaient pratiquem ent achevés. 28 H. Brocard,op. cit. 1882, p. 121 : «l'époque de sa construc­ l'abside quelques mètres plus loin. Cette tion ne peut être mise en doute, en présence de l'histoire colonnette pourrait être mise en relation avec des saints Jumeaux, parfaitem ent établie par des textes authentiques et dont le m artyre a eu lieu vers l'an 168. Dès le décor de l'autel dont nous avons retrouvé le IV e et le V e siècle la crypte était couverte par une l'emplacement; de même un angle de dalle magnifique église... ». 29 J. Quicherat,Mélanges d'archéologie et d'histoire. II, 1886, 24 Cf. Rapport de fouille et publication à paraître dans le p. 167-170. Une date moins basse est encore aujourd'hui Bull. Soc. Hist, et archéo. de Langres. proposée par certains auteurs: dernier tiers Xle siècle 2 5 Ibid, et cf. Fouilles récentes aux abords de Saint-Oidier de pour Dr. Henri Ronot dans la Champagne Romane, éd. Langres. Zodiaque, 1981.

81 Aujourd'hui, les arguments sont d'une secondaire: limiter un terre-plein central et autre nature et l'étude archéologique récente la descente d'escaliers latéraux. Cette hypo­ apporte en plus une chronologie relative qu'il thèse pourrait expliquer le peu de fondement n'était guère possible d'établir sans le dégage­ de ces murs. Par ailleurs les pierres en retour ment complet de la crypte. On ne peut pas liées à ceux-ci (surtout au nord) et aux maçon­ cependant mettre en relation les sarcophages neries des arrivées d'escalier, dans leurs parties découverts au XIXe siècle avec les structures de coudées, pourraient appartenir à un mur en la crypte qui a été complètement reprise dans retour nord-sud délimitant le terre-plein vers cette zone ouest, ni avoir de certitudes sur l'est. Ainsi se définit le plan d'une première l'occupation antique du site. Si le sarcophage crypte, à laquelle on accéderait déjà par les en plomb avec fiole était apparenté au type escaliers coudés, et qui aurait une surface bien connu qui se répand à la fin du II le et au représentée par les trois dernières travées. La IVe siècle, il pourrait être l'indice d'une disparition quasi-complète des traces de fonda­ occupation de longue durée. Les couvercles tion du murs ouest de cette première crypte33 de sarcophages, conservés dans le cimetière et des supports centraux, du fait de l'implan­ actuel, pourraient être un témoignage plus tation du dernier état de la crypte rend difficile tardif de cette continuité. En l'absence d'une une restitution précise. Cela expliquerait description précise du contexte de leur décou­ d'autres points en particulier le désaxement verte, on peut seulement souligner, compte de l'ensemble oriental de la crypte depuis tenu de la mise à jour d'un caveau en 1850, l'amorce des escaliers d'accès. Dans une seconde l'importance de l'occupation funéraire de la phase de ce premier état, il a pu y avoir un zone occidentale de l'église actuelle, à l'ouest premier agrandissement vers l'ouest avec une de la crypte.30 Le sarcophage subsistant dans première réalisation de voûtes, ou une dispo­ la crypte peut contribuer à situer cette occu­ sition tenant compte du développement pation funéraire au moins aux Vle-VIle siècles. funéraire de ce côté. Mais aucun élément ne permet jusqu'à présent Le plan décrit plus haut, qu'il conviendra de le mettre en relation des structures conser­ de préciser lors d'une prochaine campagne, vées.31 Rappelons que le sarcophage vénéré peut se rattacher assez aisément, par l'organi­ peut très bien avoir été déplacé au IXe comme sation de l'espace qu'il propose, aux premières au Xle siècle. Enfin aucun argument ne peut cryptes carolingiennes constituées pour l'ap­ encore décider de l'occupation ou de la réuti­ proche du tombeau ou des reliques vénérées. lisation de ce site dès l'Antiquité.32 Il n'est pas nécessaire d'imaginer une circu­ On peut tenter de reconstituer un pre­ lation annulaire comme à la fin du V IIle siècle mier état de la crypte, en tenant compte des à Saint-Denis ou à Coire, mais une petite remarques sur la chronologie relative des crypte avec deux maçonneries centrales ou maçonneries, ce qui conduit à privilégier quatre piles suivant une disposition proche d'abord l'ensemble des murs sans tenir compte des solutions adoptées à Werden vers 840-50, du voûtement, mais en donnant un rôle dif­ ou plus tard à Meschede dans le sud de la férent à ceux des parties droites et des parties Westphalie.34 orientales. Il n'y a pas en effet de commune Le nivellement du sol dans la partie orien­ mesure entre l'épaisseur du mur absidial et tale ne nous permet plus de reconnaître dans celle des murs goutterots. Ces derniers ne cette zone des couches archéologiques anté­ peuvent avoir été conçus que dans un rôle rieures au voûtement, et ainsi aucun mobilier n'a pu aider à l'établissement d'une datation 30 H. Brocard précise dans sa seconde publication(op. cit. 1882, p. 117) que le terrain avait été déjà remué et que les absolue; on peut malgré tout retenir du mobi­ sarcophages «étaient placés dans toutes les directions et lier céramique hors contexte l'existence d'un sans orientation». On peut penser que les aménagements successifs de cette partie de la crypte ont occasionné ces type haut Moyen Age, proche de la céramique bouleversements, et que même l'escalier recherché par H. carolingienne. Brocard avait en grande partie disparu lors de la recons­ truction gothique de la nef. On peut encore voir aujour­ L'existence au IXe siècle d'une première d'hui à l'ouest de la crypte de Saint-Germain d'Auxerre, disposition carolingienne de la crypte ne comm ent la reconstruction du chevet au X IIle siècle a conduit les constructeurs à placer sans orientation les nous étonnerait pas dans le cadre du contexte sarcophages antérieurs. langrois et particulièrement à Saints-Geosmes 31 C. Oaguin, op. cit., p. 197 et J. Marilier (article Les saints Jumeaux, Catholicisme VI, Paris, 1967, c.1253), rappelle où les reliques des saints jumeaux sont attestées l'existence au nord de l'église d'un tertre disparu aujour­ depuis le Vie siècle. Comment la vénération d'hui dont la tradition avait gardé l'appellation de «Marty- ra». J.C. Picard,op. cit., p. 53, remarque que ce toponyme des reliques de ces saints, connues bien au-delà «signale généralement des cimetières du haut Moyen Age». 32 Tous les éléments retrouvés avant et pendant notre inter­ 33 Quelques pierres et mortiers retrouvés à cet endroit dans vention (Éléments sculptés, colonnes, inscriptions) provien­ l'argile pourraient subsister des fondations de ce mur. nent de constructions antiques conséquentes mais dont 34 Cf. L. Schafer und H. Claussen, Neue Funde zur frühen nous ne pouvons affirmer le caractère in situ d'origine. Baugeschichte der Abteikirche Werden,Beitrage zur rhei- Quant au m obilier archéologique: céramiques ou tesselles, il nischen Kunstgeschichte und Denkmalpflege, II, Beiheft 20, est pour le m om ent infim e dans les couches de remblais. Düsseldorf, 1974, p. 293-319, ill.

82 de la région, aurait-elle pu échapper à la recru­ évolution des espaces liturgiques encore liés descence des nouvelles présentations de corps à la vénération des corps saints qu'à un problè­ saints constatée en Bourgogne durant cette me de niveau à créer, comme on le voit souvent période ?35 L'influence de constructionsd'outre- pour les cryptes tardives. L'importance de cette Rhin ne surprend pas par ailleurs dans une ville mise en œuvre est également traduite par un où se sont affirmées depuis la fin du V ille programme assez conséquent de création de siècle des personnalités germaniques venues, bases et de chapiteaux que nous décrirons il est vrai, plutôt du sud de l'Allemagne.36 plus loin. L'étude des maçonneries montre Ce premier état doit-il être situé plutôt également une certaine maîtrise des techniques: dans les années 830-50 alors que le chapitre les voûtes d'arêtes subsistantes sont réalisées, trouve ses premières assises et que des moyens d'après ce qu'on peut voir quand l'enduit a nouveaux apparaissent avec la constitution disparu, par un système de doubleaux non d'un patrimoine?37 Ou doit-il être déplacé apparents bloquant chaque voûtain et reposant plus tard vers la fin du IXe et le Xe siècle à sur les chapiteaux, ceci dans les deux axes un moment où les influences monastiques entre chaque travée. On note également un se font plus sentir? Les données ne nous choix particulier dans l'emploi des matériaux: permettent pas encore de trancher mais la un calcaire tendre est utilisé pour la taille des première possibilité nous parait envisageable claveaux des doubleaux, un tu f léger est em­ en attendant d'autres apports archéologiques.38 ployé pour la construction des voûtains; ces Le second état proposé, après sans doute deux matériaux peuvent être extraits dans un une ou deux phases intermédiaires, correspond rayon de 15/20 km.40 au plan reconstituable aujourd'hui, avec les Ce choix particulier dans la mise en œuvre derniers éléments découverts au sol (cf. Axono- des matériaux peut étonner si on le compare métrie). En plan, cette crypte déterminée en à la disparité des maçonneries des murs de grande partie par les structures antérieures que la crypte. Dans l'abside nous avons constaté nous avons vues, définit un espace de type cependant que, malgré l'hétérogénéité des crypte-halle. Le développement vers l'ouest mortiers, les deux baies à double ébrasement permet d 'o ffrir une vaste étendue de 12m sur formaient un ensemble relativement cohérent un peu plus de 6m. Trois nefs régulières avec les maçonneries de parement qui pou­ entièrement voûtées à l'origine contribuent vaient appartenir au second état. La poursuite à produire une nouvelle unité de l'espace. prévue des fouilles devrait apporter des réponses Seule la légère surélévation de la zone absi­ sur l'absence de fondations apparentes, et sur diale désigne avec l'autel le caractère plus les niveaux extérieurs en correspondance avec privilégié de cette partie. Les escaliers latéraux les baies retrouvées, niveau beaucoup plus bas continuent d'y conduire. L'arrivée des accès que celui offert par les ouvertures bouchées à ce niveau pourrait d'ailleurs suprendre si des murs goutterots. ne nous les considérions pas comme antérieurs Nous avons vu dans la description que à la conception de ce deuxième état de la l'organisation générale de la crypte est encore crypte. L'ouverture occidentale, peut être aujourd'hui surtout marquée par les éléments créée auparavant, fonctionne dans ce deuxième de soutènement des voûtes: bases, colonnes, état sans qu'on puisse dire comment on y chapiteaux. Ce système que nous avons pu arrivait depuis l'ouest.39 reconstituer pour les parties détruites à partir Cet ensemble révèle une mise en œuvre des négatifs de bases et des prolongements importante, répondant sans doute plus à une de voûtes, nous apparaît complètement cohé­ rent dans le second état de la crypte; si les 35 Sur ces nouvelles présentations, C. Sapin, La Bourgogne directions des files de colonnes semblent préromane, Paris, 1986, p. 165 e.s. 36 J. Marilier, Quelques aspects du diocèse de Langres au V ille impliquer l'existence ou la conservation d'une siècle. Bull. Soc. hist, et archéo. Langres, 1965, p. 22-23, et structure antérieure, la disposition générale synthèse des recherches récentes dans «A u x origines d'une seigneurie écclesiastique, Langres et ses évéques V llle -IX e est homogène. Face à cette homogénéité, siècles». Actes du colloque Langres-, Langres on note une absence de rigueur dans la réparti­ 28 juin, 1985, Langres, S.H.A.L. 1986. Voir les commu­ nications de J. Semmler, W. Stormer, J. Marilier, R. Folz, tion exacte des supports/bases, dans l'emploi J. Richard. des colonnes, dans l'expression et la mise en 37 H. Flammarion, le chapitre cathédral de Langres du IX au X le siècle, Colloque de Langres, 1985, op. cit., p. 135-148. place du décor sculpté. 38 La présence en réemploi d'une grande plaque de chancel à Le plan archéologique nous montre d'une décor d'entrelacs signalé pour la première fois par J. Hubert (Art préroman, Paris, 1938, PL. XXXIX), et qui corres­ part des bases placées dans des alignements pond à un type qui se développe depuis la vallée du Rhône réguliers mais dans des positions plus ou moins dans le troisième quart du IXe siècle et peut être dans ce cas quelques temps avant à la Reichenau. (C. Sapin,Bourgogne parallèles entre elles, d'autre part des colonnes préromane, op. cit.), pourrait témoigner de l'existence préalable d'un édifice important. C'est dans celui-ci que l'on situe le concile provincial réunit en 854. 40 Le calcaire à 20 km, et le Tuf à 15 km d'après les indica­ 39 Cf. note 30. tions de M. Mailefert, entrepreneur.

83 de diamètres irréguliers (les plus petites étant chapiteau qui comporte aussi les mêmes situées surtout sur les pourtours) correspon­ feuilles épannelées aux angles, possède un dant plus ou moins au diamètre des bases. Cela motif central figurant très schématiquement suggère un programme relativement pensé pour comme dans la crypte de Cruas des volutes et l'installation et la taille d'une série importante leur départ. Ce même schématisme se retrouve de bases (27 conservées sur 38 mises en places sur un chapiteau de la file centrale nord où un à l'origine), mais qui utilise en remploi des m otif très en relief représente apparemment colonnes antiques de récupération, et des un orant, dans un raccourci qui peut rappeler colonnes certainement taillées pour cet usage. les chapiteaux de Saint-Bénigne de Dijon. A Les bases ont toutes un profil qui suit la même côté de ces références, le traitement des feuilles formule, ce qui prouve l'unité de cette campa­ d'angle renvoie aux chapiteaux italiens: angle gne de voûtement (cf. fig. des profils). On ou nervures prononcées — comme à Aoste — remarque un cavet peu prononcé mais très mais sans la souplesse de l'expression. On développé, sans affirmation de tore dans la est plus près de la raideur des chapiteaux à partie inférieure. On pourrait les rapprocher angles abattus de Cavour ou de Saint-Jean-de- de bases également irrégulières de la crypte Maurienne dont la formulation sommaire se de la cathédrale d'Auxerre ou de bases de retrouve à Notre-Dame d'Etampes et loin de la Saint-Benoit-sur-Loire.41 complication et de la réinvention des formes Les chapiteaux de la crypte de Saints- que l'on constate à . Un des chapiteaux Geosmes conservés in situ montrent également d'entrée, de forme plus cubique, comporte à la fois une diversité et une unité, une diversité pour seule décoration sur la corbeille des traits dans l'exécution et la mise en œuvre, et une en creux accusant le caractère trapézoïdal parenté dans de nombreux détails. Sur les 17 des côtés. chapiteaux, on pourrait définir jusqu'à douze L'ensemble de ce décor sculpté montre types différents, mais si on réunit certains une volonté d'occuper l'espace de la corbeille aspects le nombre se réduit, trois chapiteaux sans grand souci de régularité ou d'harmonie.45 ayant déjà leur double. Leurs dimensions Par maints détails on comprend que le ou les varient en hauteur entre 0,21 m et 0,27 m, mais sculpteurs connaissent plus ou moins bien cette différence peut être accentuée par l'im ­ le vocabulaire ornemental apparu dans le portance plus ou moins grande donnée à la premier tiers du Xle siècle. Si aucun rappro­ corbeille, à l'astragale, ou au tailloir mouluré chement ne s'impose avec un édifice ou un faisant corps avec le chapiteau. Leur caractère atelier particulier, de nombreux motifs de mais également leur facture sont moins régu­ cette époque sont ici présents, jusqu'à la liers que ne laissait croire la lithographie représentation du visage humain qui avec le illustrant au XIXe siècle le premier article de H. même rythme que les feuilles décore un des Brocard,42 ce qui a d'ailleurs pu contribuer à chapiteaux. La baguette formant après un la datation quelquefois tardive de ceux-ci. décrochement la limite haute de la corbeille Sauf dans un cas, le décor de la cor­ comme sur de nombreux tailloirs du Xle siècle beille est composé d'une seule rangée de laisse la place en quelques cas à une recherche feuilles simplement épannelées, la compo­ plus élaborée de mouluration. Il ne nous sition et les proportions changeant d'un semble pas pour autant qu'une date tardive chapiteau à l'autre, surtout en ce qui concerne doive être retenue pour l'ensemble du décor,46 le m otif central. Celui-ci peut être une qui d'après les rapprochements évoqués et le feuille se détachant d'une façon plus marquée décalage éventuel de l'exécution pourrait se sur le nu de la corbeille43 ou bien, traité situer dans le deuxième quart et plus probable­ avec un relief plus naturel et plus expressif, ment à la fin de la première moitié du Xle il paraît figurer une palmette inversée. C'est siècle. le cas du deuxième chapiteau de la file sud,

dont seul ce détail pourrait évoquer le 45 On retrouve une même expression très accentuée du relief renouveau du feuillage exprimé au Xle à Saint-Vincent-des-Prés (Saône-et-Loire). La corbeille très ramassée et certains aspects du traitem ent peuvent siècle par la sculpture de Saint-Benoit- être rapprochés du groupe de chapiteaux à angles abattus sur Loire.44 A côté de ce type, un autre étudié par J. Cabanot, Les débuts de la sculpture romane en Navarre: San Salvador de Leyre, Les Cahiers de Saint- Michel de Cuxa, Juin 1978, p. 21-50 ill. et «Aux origines 41 E. Vergnolle, Saint-Benoit-Sur-Loire et ta sculpture du Xle de la sculpture romane: contribution à l'étude d'un type siècle, Paris, 1985, p. 144. de chapiteau du Xle siècle», Romanico padano, romanico 42 H. Brocard,op. cit., 1862, 77, pl. 21. europeo, Convegno internazionaie di studi, Modena- 4 3 La feuille ainsi traitée évoque le traitem ent réservé aux Parma, 26 ottobre-ler novembre 1977, Parme, 1982, feuilles dans la même position des chapiteaux de la tour p. 351-362. de croisée de Perrecy-les-Forges (vers 1020-30 au plus tô t). 46 On pourrait penser à un remontage tardif des voûtes et 4 4 Les découvertes ces dernières décennies des chapiteaux de une nouvelle décoration sculptée à ce moment là, mais Dyé (), et de Pothières (Côte-d'Or) nous ont montré l'examen des maçonneries visibles des doubleaux n'indique combien se mêlent dans la Bourgogne du nord les apports pas de reprise, et la taille au layage irrégulier mais étroit extérieurs. autorise une date, même haute, dans le Xle siècle.

84 Datation et contexte de la crypte actuelle expliquer cette particularité par l'imbrication des deux états: d'une part, la conservation Dans l'analyse archéologique de ce de l'espace oriental et des escaliers d'accès second état de la crypte nous devons souligner pour lui conserver un caractère privilégié l'intérêt des «traces liturgiques». Au sol, et, d'autre part, une extension occidentale la zone d'enduit bien délimitée nous paraît à partir de murs préexistant et en conservant devoir correspondre à un autel47 situé entre la les dimensions anciennes. Si l'on observe la sépulture orientale conservée, ou remise en plupart des plans de cryptes de cette période, place à cette époque, et la zone ouest large­ et notamment en Italie, on peut remarquer ment agrandie. Il est rare que l'on puisse trou­ que l'accès se fait toujours, soit depuis l'ouest, ver les traces ainsi marquées d'un emplacement soit dans les deux premiers tiers de la partie privilégié qui semble bien définir de par sa droite de la nef (on le voit par exemple à la position le rôle moins circulatoire et beaucoup cathédrale d'Aoste, ou dans une crypte plus plus «basilical» de la crypte telle qu'elle se proche, à Lons-le-Saunier), parfois les deux développe après l'époque carolingienne. coexistant, mais pratiquement jamais au Cet état liturgique de la deuxième période niveau du presbytérium. Elle constitue d'autre de la crypte de Saints-Geosmes constitue déjà part une des plus longues cryptes sans inter­ un premier contexte d'élaboration de la cons­ ruption comme à Saint-Jean de Maurienne.50 truction. Le besoin de circuler et de s'appro­ Par son décor et son développement, cher des reliques propres au haut Moyen Age le second état de la crypte nous conduit en et à l'époque carolingienne laisse place à un grande partie vers les cryptes salles qui s'im­ espace plus unitaire et homogène bien attesté posent comme modèle en Italie du nord.sl en Italie à la fin du Xe et au début du Xle Certaines particularités y sont cependant siècle48. Comme dans l'église haute cet espace absentes comme les pilastres de support que tend à réunir plusieurs fonctions: culte des l'on rencontre dans les absides (à Brème) ou reliques et prière communautaire d'un clergé dans les murs latéraux ou occidentaux comme en pleine réforme. Ainsi n'étant pas une crypte à Galliano (dans les premières années du Xle de niveau, la crypte de Saints-Geosmes peut siècle) ou à Cavour (après 1037). On peut être située — dans l'attente d'autres données penser, comme pour la sculpture, que l'influence fournies par l'extension de l'étude de terrain — n'est pas directe, mais surtout on peut supposer par la chronologie relative déduite de l'analyse que la réutilisation de murs antérieurs a con­ archéologique, par l'étude du décor sculpté, duit le constructeur à adopter ce dispositif de et par sa disposition générale parmi les cryptes colonnes adossées. S'il n'y a pas élaboration du Xle siècle. d'un système complexe de retombée des Elle appartient à son échelle à ce grand voûtes comme aux cryptes de Saint-Étienne renouvellement des dispositions qui se répand d'Auxerre ou de Saint-Philibert de Tournus, au début du Xle siècle. Au plus près et dans élaborées également dans le deuxième quart le même diocèse, à la même époque, Guillaume du Xle siècle52, on peut rappeler le choix de Volpiano, à Saint-Benigne de Dijon, éla­ des matériaux et la qualité d'ajustement des bore un dispositif approprié et extrêmement voûtes, et se demander s'il n'y a pas eu comme complexe où l'on retrouve la même volonté à Flavigny à la même époque,53 un choix de voûter et donc de mettre en valeur couloir, plastique, qui, peut-être sous la même influence accès, et espace halle devant les autels, avec un de Saint-Bénigne, aurait conduit à privilégier décor de colonnes et de chapiteaux.49 Si une les colonnes comme expression d'une unité telle volonté se retrouve également plus de l'espace. tard à Spire ou dans les cryptes mosanes, L'évêque de Langres, Brun de Roucy, à nous restons ici dans un espace plus mesuré qui on a attribué une part importante dans le bien que relativement très allongé. On peut mouvement des réformes et des restaurations

47 La faible emprise sur le sol de m ortier, e t les éléments lapi­ 50 E. Stephens, Fouilles archéologiques dans la Cathédrale daires retrouvés nous ont invité à reconstituer plutôt une Saint-Jean de Maurienne, Les monuments historiques de table sur colonnettes avec socle, qu'un massif maçonné. la France, 1960, p. 89-101; J. Hubert, La crypte de la 48 M. Magni, Cryptes du haut Moyen Age en Italie: problèmes Cathédrale de Saint-Jean de Maurienne, Bull. Soc. Nat. de typologie du IXe jusqu'au début du Xle siècle. Cahiers Ant. de France, 1961, p. 40-51. Située entre 1041 et archéologiques, T. 28, 1979, p. 41 -85. 1075 par J. Hubert, la crypte a été plus précisément datée 49 Pour les derniers travaux sur la liturgie et l'architecture à des années 1045-50 dans la dernière étude parue de A. Saint-Bénigne de Dijon: C. Heitz, Lumières anciennes et Charriêre-Bresson, Nouvelles recherches sur la crypte nouvelles sur Saint-Benigne de Dijon, du V ille au X le de Saint-Jean de Maurienne et le groupe épiscopal primi­ siècle: édifices monastiques et cultes en Lorraine et en tif, Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne, Bourgogne, Cahier il du Centre de recherches sur l'Anti­ T. XXI, 1984, p. 13-24. quité tardive et le haut Moyen Age, Nanterre, 1977, p. 63- 51 M. Magni, op. cit., p. 81 s. 106. C. Malone, Les fouilles de Saint-Bénigne de Dijon 52 Bibliographie et dernières propositions de datation dans (1976-78) et le problème de l'église de l'an mil., Bulletin le paysage monumental de la France de l'an Mil, à paraître. Monumental, T. 138, III, 1980, p. 253-292. W. Schlink, 53 C. Sapin, Bourgogne préromane, op. cit., p. 184, n. 794 et Saint-Bénigne in Dijon, Berlin, 1978. 112, fig. 67.

85 de la fin du Xe siècle a sans doute joué un rôle peut-être terminée sous son successeur. dans le relèvement du monastère de Saints- Geosmes, si près de son siège d'évêque;54 Par la présence et l'imbrication de ses par sa politique et ses liens avec la Lorraine deux états, et par le développement aisément et l'Empire, et par ses amitiés avec Cluny, reconstituable de sa reprise au Xle siècle, la il a certainement contribué à développer un crypte de Saints-Geosmes constitue avec axe Nord-Sud, renforcé sous Otte-Guillaume,55 l'origine de son site un enjeu important dans mais c'est plus probablement sous ses succes­ l'histoire de l'espace architectural et de la seurs qu'il convient de situer notre construc­ liturgie du haut Moyen Age. Aux confins des tion. L'existence à nouveau de prévôts à diocèses de Langres et d'Autun où nous conser­ Saints-Geosmes à partir de 1025 pourrait vons d'autres témoins importants de cette correspondre à cette période de renouveau ; évolution, comme à Flavigny ou à Saint- la crypte ayant pu être établie ou commencée Bénigne, elle permet de mesurer encore mieux sous Odolric II (archidiacre et chanoine de les changements qui se sont opérés dans des Langres, prévôt de 1025 à 1041 environ, édifices de dimensions plus limitées. avant de devenir archevêque de Lyon56 ) et Christian SAPIN

54 Diet. Hist. Geog. Ecc. T . X . fasc. L V -V I, Paris, 1937, c. 960, article Bruno de Roucy. 55 M. Chaume, Origines du Duché de Bourgogne, Dijon, 1925, p. 463s. 56 L. Renault, op. cit. 1981, p. 448.

86 Fig. 1 - Plan de l’église de Saints-Geosmes et de la crypte par H. Brocard, vers 1860 (Pl. 24 de la 1ére publication de 1877).

Fig 2 - Coupe de l’église, par H. Brocard vers 1860 (Pl. 23 de la 1èr8publication). j I il II J Fig. 3 - Plan archéologique de la crypte, état 1986 (Dess. O. Juffard/ass. Burgondie). Fig. 4 - Axonométrie restituant ia crypte dans son état au XIe siècle (Dess. B. Saint-Jean-Vitus/ass. Burgondie).

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Fig. 5 - Coupe nord - sud sur la partie occidentale de la crypte (Dess. A. Allard-F. Fournet/ass. Burgondie). Fig. 6 - Plan de situation des structures étudiées (Dess. 1985. O. Juffard/ass. Burgondie).

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Fig. 10 à 14 - Cinq chapiteaux de la partie occidentale de la crypte (phot. C. Journiac).