''J'écris Mes Histoires D'amour Et Je Vis Mes Livres
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”J’écris mes histoires d’amour et je vis mes livres.”: étude du journal intime d’Annie Ernaux, ”Se perdre” Myriam Seyt To cite this version: Myriam Seyt. ”J’écris mes histoires d’amour et je vis mes livres.”: étude du journal intime d’Annie Ernaux, ”Se perdre”. Littératures. 2010. dumas-00517163 HAL Id: dumas-00517163 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00517163 Submitted on 13 Sep 2010 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. UNIVERSITÉ DE PAU ET ET DES PAYS DE L'ADOUR UFR des Lettres, Langues et Sciences Humaines. Master 2 : Lettres et Civilisations. Parcours : " Poétique et histoire littéraire." "J' écris mes histoires d'amour et je vis mes livres." Etude du journal intime d'ANNIE ERNAUX, SE PERDRE. Mémoire dirigé par Monsieur Michel BRAUD. Soutenu par Madame Myriam SEYT. 1 Année 2010. " J' écris mes histoires d'amour et 1 je vis mes livres." (Annie Ernaux, Se perdre). 1 Ernaux, Annie, Se perdre, Paris, Gallimard, « Folio », 2001, p. 269. 2 Remerciements Je remercie Monsieur Michel Braud qui m'a aidée et soutenue tout au long de ce travail de recherches et de rédaction. Ses conseils m'ont toujours poussée vers l'exigence et la précision, tout en me laissant une grande liberté de travail. 3 Avertissements : Toutes les citations provenant du journal d'Annie Ernaux Se perdre sont bien évidemment référencées en notes de bas de page ; les dates, correspondant à la date de l'entrée (jour, mois et année), ne sont mentionnées entre parenthèses dans le texte même que lorsqu'elles sont utiles pour situer la note dans la chronologie du journal ou nécessaires à l'analyse d'extraits, pour comprendre par exemple une progression. D'autre part, j'ai employé dans le mémoire le terme de « diariste », revendiqué par Michèle Leleu et communément admis pour désigner celui qui écrit son journal, le plus souvent donc Annie Ernaux elle-même. En revanche, lorsqu'il s'agit de citer l'ouvrage d'Alain Girard Le Journal intime , j'ai gardé le terme « intimiste » qu'il utilise lui-même. 4 Introduction L'œuvre d'Annie Ernaux est en grande partie autobiographique, et en 2001, elle décide de faire paraître l'un de ses journaux intimes : Se perdre , plus de dix ans après l'achèvement de son écriture ; et ce choix n'est pas anodin, puisque publier un journal intime, écrit dans l'espace du secret, ce n'est pas publier un récit autobiographique : les textes ne recèlent ni ne révèlent les mêmes choses. De même, étudier un journal intime ne revient pas à étudier n'importe quel texte. En effet, le journal intime est un genre mal connu, en marge des textes littéraires reconnus. De plus, le journal intime (ou personnel) a longtemps dérangé, a questionné les critiques et les auteurs eux-mêmes : est-il texte littéraire ? Mérite-t-il que l'on s'y intéresse ? Car le problème du journal, c'est qu'il n'obéit à aucune règle, son écriture est une écriture en liberté ; il ne bénéficie, dit Béatrice Didier dans son ouvrage Le Journal intime , d'aucune « loi esthétique fixée à l'avance par quelque art poétique ». 2 Et pourtant, s'il est « un défi à la littérature », s'il résiste à « toute définition précise, il peut cependant être facilement identifié », note dans son étude, Le Journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire 3, Françoise Simonet-Tenant, qui tente tout de même de le définir de façon minimale : le journal intime se présente « sous la forme d'un énoncé fragmenté qui épouse le dispositif du calendrier et qui est constitué d'une succession d'entrées »4. Tout ceux qui s'adonnent à cette pratique peuvent donc entrer dans la catégorie des diaristes, encore faut-il s'astreindre à une discipline, celle de la régularité, car le journal se construit sur une certaine durée et obéit à un désir d'écrire, à un projet personnel : « ce qui définit le diariste, c'est moins la constance de sa pratique que celle 2 Didier, Béatrice, Le Journal intime, Paris, PUF, coll. « Littératures modernes », 1976, p. 7. 3 Simonet-Tenant, Françoise, Le Journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire, Paris, Nathan, coll. « 128 », 2001, p. 119 ; 5. 4 Ibid. , p. 11. 5 de son projet » a écrit Gérard Genette. 5 Il existe donc bien quelques règles et des définitions pour que le journal intime soit identifiable et pour que de simple pratique, il devienne un genre. Mais il est vrai que l'idée de liberté, d'absence de règles et de construction qui l'entoure a alimenté les polémiques qui se sont élevées autour du journal intime ; car « la critique, en général, depuis deux siècles, dénie toute valeur artistique au journal » écrit Michel Braud dans son ouvrage La Forme des jours .6 Ces critiques naissent surtout dans les années 1883-1887, au moment où sont publiés certains journaux, comme ceux d'Henri-Frédéric Amiel, de Marie Bashkirtseff ou des Goncourt. Pour Ernest Renan ou Ferdinand Brunetière par exemple, « le journal n'a aucune valeur, ni psychologique, ni morale, ni esthétique, et n'a donc pas sa place dans la littérature ». 7 Selon Pierre Pachet, les années 1887-1888 représentent une date charnière : « désormais, le journal intime est un genre littéraire établi, qui rend impossible à un écrivain d'en tenir un dans une innocence complète. Il doit savoir que, si son œuvre a quelque valeur, son journal aussi sera attendu. »8 Jules Renard par exemple, conscient de ce changement, commence le sien en 1887, l'année de publication de celui des Goncourt. C'est à partir des années 1910-1920, que le journal intime, d'après Alain Girard, « prend définitivement les caractères d'un genre reconnu comme tel »9, car, de plus en plus, les journaux paraissent du vivant de leur auteur, le cas le plus représentatif étant celui d'André Gide qui veut donner une image contrôlée, et dont le journal sera le premier à paraître, du vivant de son auteur, dans la collection « Bibliothèque de la Pléiade ». Et depuis cette période, la critique s'est faite moins virulente, même si certains tels Paul Valéry, Roger Caillois, Maurice Blanchot ou Roland Barthes ont posé le problème de la littérarité du journal intime. Il faut observer toutefois que sont publiés et donc lus les journaux d'écrivains déjà célèbres ; hormis quelques exemples d'auteurs contemporains comme Renaud Camus, davantage connu pour son journal que pour ses autres œuvres, ou Charles Juliet qui a tenté de publier son journal comme première œuvre, les auteurs dont les journaux sont parus ont en général déjà acquis une certaine notoriété, ce qui donne à leurs journaux un gage de qualité. On remarque enfin que depuis quelques décennies, le journal a affirmé sa présence sur 5 Genette, Gérard, « Le journal, l'anti-journal », Poétique , n° 47, Seuil, septembre 1981, p. 317. 6 Braud, Michel, La Forme des jours, Paris, Éd. du Seuil, 2006, p. 260. 7 Ibid. , p. 261. 8 Pachet, Pierre, Les Baromètres de l'âme. Naissance du journal intime , Paris, Hatier, 1990, p. 125. 9 Girard, Alain, Le Journal intime, Paris, PUF, 1963, p. 88. 6 la scène littéraire et qu'il connaît une certaine reconnaissance et même un certain succès. On observe, écrivent Jacques et Éliane Lecarme, « une multiplication des journaux publiés », qu'ils soient anthumes ou posthumes. C'est, selon eux : « un phénomène en pleine expansion ». 10 Comme le montre Françoise Simonet-Tenant, après avoir été mis en accusation, le journal intime connaît un « retour en grâce »11 : on avoue son diarisme, une exposition a même été consacrée au journal intime à la bibliothèque de Lyon en 1997. D'autre part, le journal commence à être étudié (en sociologie par exemple), l'institution scolaire et universitaire le reconnaît (une page du Journal de Jules Renard apparaît dans un manuel de français, 12 un sujet sur le journal intime est donné en 1986 à l'épreuve du CAPES de Lettres) 13 . Et surtout, le journal intime, comme tous les écrits personnels, suscite l'intérêt du public ; car l'autobiographie est à la mode. « Depuis deux décennies, écrit Sébastien Hubier dans son étude Littératures intimes , les écrits intimes connaissent un retour en force », car le lecteur s'intéresse à l'intimité, « il s'attache à ce qui le désoriente, l'abuse, le séduit – il lit en voyeur ». 14 Des parutions récentes montrent bien ce goût du lecteur pour l'autobiographie en général, et le journal intime en particulier : Charles Juliet publie régulièrement son journal intime, le dernier, Lumières d'automne 15 , est paru en février 2010 ; Marie Billetdoux fait paraître des pages de son journal intime dans son dernier ouvrage autobiographique : C'est encore moi qui vous écris 16 . Éric Chevillard, quant à lui, tient son journal sous forme d'un « blog » sur Internet : « L'Autofictif »17 , alimenté chaque jour de trois paragraphes qui contiennent des pensées, des maximes, au ton souvent humoristique ; et il les publie pour la deuxième fois en version papier (sous la forme d'un livre donc) sous le titre : L'Autofictif voit une loutre .18 Même si ce genre nouveau de journal est plutôt externe qu'intime, il faut voir là une autre façon de parler de soi chaque jour que permet le développement d'Internet.