Relire L'altitude
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(DIR.) LUIGI LORENZETTI, YANN DECORZANT, ANNE-LISE HEAD-KÖNIG (DIR.) Historien et docteur ès sciences écono- Lorsqu’il parcourt le Val d’Illiez dans les années 1770, l’artiste miques et sociales, Luigi Lorenzetti genevois Marc-Théodore Bourrit, compagnon d’excursions LORENZETTI DECORZANT est professeur à l’Accademia di archi- d’Horace-Bénédict de Saussure, s’émerveille à la vue de cette LUIGI LUIGI tettura (Università della Svizzera vallée « embellie de champs et de pâturages […] YANN italiana) de Mendrisio où il coordonne ont été cultivés jusqu’à la plus grande hauteur ». Or, rien de HEAD-KÖNIG le Laboratorio di Storia delle Alpi et tout cela ne subsiste aujourd’hui. Le paysage agraire décrit enseigne l’histoire de l’espace alpin à par Bourrit a disparu : les champs cultivés ont laissé la place travers ses dynamiques territoriales. aux prés de fauche et, dans les hauteurs, il ne reste aucune ANNE-LISE trace des cultures d’autrefois. Inspiré par ce témoignage, ce livre réunit une série d’études Yann Decorzant a obtenu un doctorat qui, dans une perspective historique, analysent le rôle de l’al- ès sciences économiques et sociales, titude dans les formes d’appropriation et de mise en valeur du mention histoire économique, à l’Uni- sol, aussi bien dans les hautes terres de montagne que dans versité de Genève. Actuellement, il les basses terres des fonds de vallée de l’espace helvétique siècles dirige le Centre régional d’études e et de ses régions avoisinantes. des populations alpines (CREPA) ; ses -xxI recherches portent sur l’étude des En conjuguant les approches de l’histoire environnemen- e populations alpines. tale, de l’histoire du territoire et de l’histoire économique et sociale, les auteur·e·s s’interrogent sur le rapport entre l’altitude et les formes de propriété et d’usage des terres à Anne-Lise Head-König est profes- travers diverses perspectives dont la variété des systèmes seure émérite d’histoire économique de l’Université de Genève. Ses recherches que les cadres et les variables politiques et institutionnelles. portent notamment sur l’histoire comparée de l’évolution du monde rural du xvIe au xxI e siècle (accès à la contrainte qu’une opportunité que certaines sociétés ont su terre, transmission des patrimoines, usage collectif des ressources, etc.). La terre et ses usages. Suisse et espaces avoisinants, xII avoisinants, et espaces Suisse usages. et ses La terre RELIRE L’ALTITUDE E ISBN 978-2-88930-207-9 RELIRE L’ALTITUDE IR La terre et ses usages. STO Suisse et espaces avoisinants, xe-xx e siècles 9 782889 302079 HI RELIRE L’ALTITUDE : LA TERRE ET SES USAGES SUISSE ET ESPACES AVOISINANTS, XIIe-XXIe SIÈCLES LUIGI LORENZETTI, YANN DECORZANT, ANNE-LISE HEAD-KÖNIG (SOUS LA DIR. DE) RELIRE L’ALTITUDE : LA TERRE ET SES USAGES SUISSE ET ESPACES AVOISINANTS, XIIe-XXIe SIÈCLES ÉDITIONS ALPHIL-PRESSES UNIVERSITAIRES SUISSES © Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2019 Case postale 5 2002 Neuchâtel 2 Suisse www.alphil.ch Alphil Diffusion [email protected] ISBN Papier : 978-2-88930-206-2 ISBN PDF : 978-2-88930-207-9 ISBN EPUB : 978-2-88930-208-6 Publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique. La publication du livre a été soutenue par Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020. Illustration de couverture : © Albert Emonet, fonds Beattie, CREPA, Médiathèque Valais Ce livre est sous licence : Ce texte est sous licence Creative Commons : elle vous oblige, si vous utilisez cet écrit, à en citer l’auteur, la source et l’éditeur original, sans modifications du texte ou de l’extrait et sans utilisation commerciale. Responsable d’édition : Anne-Caroline Le Coultre Remerciements es éditeurs remercient Jon Mathieu et Nadine Vivier d’avoir contribué à l’expertise scientifique de cet ouvrage. Ils remercient également Marisa Furci Macchione de son aide à la révision des Ltextes en allemand, ainsi que Vanessa Giannò Talamona de son travail d’uniformisation des contributions de cet ouvrage. 7 Introduction. Les usages de la terre : une question d’altitude ?* Luigi Lorenzetti (Università della Svizzera italiana) a mise en relation de l’altitude avec les formes d’appropriation et d’usage de la terre semble suggérer un retour à la géographie du xixe siècle, à Alexander von Humboldt, au déterminisme de CarlL Ritter et de Friedrich Ratzel, mais aussi à Paul Vidal de la Blache et Lucien Febvre qui, en énonçant les principes du possibilisme, avaient souligné les limites d’une approche qui voyait l’environnement physique à l’origine de formes anthropiques et de modèles socioéconomiques spécifiques. Dans le cas de la montagne en particulier, Febvre estimait qu’« il n’y a point une sorte d’unité de la montagne qui se retrouverait avec constance partout où se rencontrent sur le globe des reliefs montagneux […]. Simplement, de place en place, se rencontrent des possibilités analogues qui ont été exploitées de la même façon et des civilisations par suite comparables […] »1. D’une certaine manière, le possibilisme de Febvre ne s’écartait pas outre mesure du « déterminisme doux » de John Cole et Eric Wolf, pour qui les variables ethniques et culturelles ne gommaient pas entièrement les * Ce texte émane des activités de recherche menées dans le cadre du projet FNS Propriété, ressources et construction territoriale. Les fonds de vallées dans l’espace alpin, 1700-2000. Projet FNS n. 100011_165604 / 1. 1 Febvre Lucien, La terre et l’évolution humaine. Introduction géographique à l’histoire, Paris : La Renaissance du livre, 1922, p. 240. 9 Relire l’altitude : la terre et ses usages influences environnementales qui, en dernier ressort, étaient en mesure d’infléchir les dynamiques sociales2. Dans les faits, la juxtaposition entre déterminisme et possibilisme était moins abrupte que ce que les épigones de Febvre ont voulu croire. En évoquant les migrations comme stratégie de recherche des meilleures conditions de vie, Ratzel admettait que les comportements humains étaient aussi dictés par le choix. D’autre part, dans sa tentative d’expliquer la présence sur le globe de genres de vie particuliers, Febvre ne faisait que chercher les facteurs environnementaux qui en avaient permis l’éclosion. Loin de vouloir proposer une lecture épistémologique du débat entre déterminisme et possibilisme et des relations entre homme et milieu – des relations qui, comme le rappelle d’ailleurs Jon Mathieu, doivent être conçues dans la diachronie et dans leur nature changeante3 –, ce livre essaye d’explorer la valeur euristique d’une catégorie – l’altitude – qui est enracinée dans les dynamiques économiques et territoriales de l’espace helvétique et de ses régions proches. En particulier, les contributions de ce livre, inspiré d’une rencontre qui s’est tenue en octobre 2016 au Châble (Valais) sous l’égide de la Société suisse d’histoire rurale et qu’ont organisée conjointement le Centre régional d’études des populations alpines (CREPA) de Sembrancher, le Laboratorio di Storia delle Alpi de l’Università della Svizzera italiana et le Musée de Bagnes, essayent d’analyser dans une perspective historique les manifestations de l’altitude en tant qu’épiphénomène des dynamiques d’appropriation et de mise en valeur du sol, aussi bien dans les hautes terres que dans les basses terres des plaines de la Suisse et des espaces limitrophes. Le sujet n’est pas exempt de pièges, en premier lieu en raison de la difficulté de définir les montagnes par leur altitude. En outre, si la variable altitudinale détermine le gradient thermique vertical, ce dernier relève aussi d’autres facteurs, dont la latitude, que K.V. von Bonstetten a mis au cœur de son déterminisme climatique et de son explication des 2 Cole John W., Wolf Eric R., The Hidden Frontier. Ecology and Ethnicity in an Alpine Valley, New York & London : Academic Press, 1974. 3 Dans cette perspective, voir le rappel de J. Mathieu sur l’historicité et la nature changeante dans le temps des relations entre homme et nature. Mathieu Jon, The Third Dimension. A Comparative History of Mountains in the Modern Era, Cambridge : White Horse Press, 2011, p. 85-86. 10 Introduction différences entre la civilisation de l’Europe méditerranéenne et celle de l’Europe continentale4. Enfin, la notion d’altitude est indissociable de celle de dénivellement qui connote les aires de montagne et sur lequel se base l’articulation entre les terres hautes et les terres basses. Des études historiques récentes ont décrit ce dualisme à travers les rapports de complémentarité qui se sont établis entre ces deux espaces, de même qu’à travers les trajectoires (divergentes ou convergentes) qu’ils ont connues au cours de l’histoire5. Dans le cadre de cet ouvrage, l’attention des contributions porte aussi bien sur les disparités entre le haut et le bas – et sur les relations de dépendance (prétendues ou réelles) qui en sont issues – que sur les interactions entre les facteurs physiques et les facteurs anthropiques. Sans vouloir s’assimiler à l’histoire environnementale, mais en intégrant ses questionnements6, les contributions de ce livre abordent et discutent des thèmes et des trajectoires territoriales où l’altitude et ses liens avec les formes d’appropriation et d’usages du sol sont présentés selon trois diverses perspectives : à travers les connexions avec le cadre environnemental et avec les systèmes agro-pastoraux (Partie I), par rapport aux dynamiques de l’économie de marché (Partie II) et, enfin, en fonction des cadres et des variables politiques (Partie III). Le livre se termine avec une contribution de G. Béaur qui, en guise de postface, propose une lecture qui, en partant de la perspective des plats pays, interroge la portée réelle de la spécificité des zones de montagne.