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Prof. Christophe Den Tandt Université Libre de Bruxelles

MUSI-B-425 Méthodologie de la culture et de la musique populaires

Volume II.2 Histoire culturelle de la musique rock et du rhythm and blues anglo-américains

Les années 1960 : Du surf rock au psychédélisme

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Table des matières

Méthodologie de la culture et de la musique populaires

VOLUME II : Histoire culturelle de la musique rock et du rhythm and blues

2.1 Les musiques populaires récentes se prêtent-elles à la méthodologie académique ? ...... 92 2.1.1 La musique a-t-elle une signification culturelle et sociale? ...... 92 1 Un signifiant sans signifié ...... 92 2 L’analyse des pratiques paramusicales ...... 93 2.1.2 Le discours académique peut-il rendre justice à une culture vivante? ...... 93 1. Un champ académique encore jeune ...... 93 2. Le voisinage délicat des discours journalistique et publicitaire ...... 95 3. Distinguer le fan du chercheur académique ...... 96 4. Un discours pédagogique qui met en question l’habitus de ses auteurs et destinataires ...... 97

2.2 Vers une périodisation raisonnée de l’histoire de la musique rock et du rhythm and blues ...... 99

2.3 1948-60: Du rhythm and blues au rock and roll ...... 107 2.3.1 La rébellion adolescente des années 1950 ...... 107 2.3.2 La scène musicale des années 1950 ...... 111 2.3.2.1 Kings of Rock and Roll ...... 111 1. Elvis Presley ...... 111 2. Fats Domino ...... 111 3. Bill Haley and His Comets ...... 111 4. ...... 112 5. Eddie Cochran ...... 112 6. Gene Vincent ...... 112 7. Little Richard ...... 113 8. Jerry Lee Lewis ...... 113 9. Buddy Holly ...... 113 10. Bo Diddley ...... 113 11. Carl Perkins ...... 113 2.3.2.2 Le contexte de l’industrie du disque...... 114 1. Alan Freed ...... 115 2. Sam Phillips ...... 115 3. Leonard et Phil Chess ...... 115 4. Ahmet et Nehusi Ertegün ...... 116 5. Dick Clark ...... 116 2.3.2.3 Le déclin de la première génération ...... 117 2.3.3 Politique culturelle du rock and roll dans les années 1950 ...... 118 2.3.3.1 La question de la canonicité : comment établit-on le canon du rock and roll ? ...... 118 2.3.3.2 La question des origines : un sentiment de nouveauté à la fois légitime et surévalué ...... 122 2.3.3.3 Une rébellion en marge de la politique ...... 124 2.3.3.4 Déségrégation culturelle et désir d’africanité ...... 126 2.3.3.4.1 Les paradoxes d’un stéréotype ethnique valorisant ...... 126 2.3.3.4.2. Typologie de l’afro-américanité musicale ...... 128 1. « Une perception du temps légèrement différente » ...... 128 2. Structure rythmique : rythmes syncopés et polyrythmes ...... 129 3. Tonalité et mélodie : « blue notes » et inflexions vocales ...... 130 4. Des textes aux connotations transgressives ...... 132

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2.3.3.4.3 Rock and roll et déségrégation: ombres et lumières ...... 134

2.4 1960-63 : Dance crazes, twist et surf music: les variantes mineures du rock and roll ...... 136 1. Le twist et les « dance crazes » ...... 136 2. La surf music ...... 137

2.5 1963-1965 : L’ère de la Beatlemania : folk, soul et British Invasion ...... 138 2.5.1 La scène folk : une communauté musicale organique ...... 138 2.5.2 La soul music : les nouveaux accents du rhythm and blues ...... 140 2.5.3 Beatlemania, British Invasion et Swinging ...... 143 2.5.3.1 La scène musicale britannique au tournant des années 1960...... 143 2.5.3.2 Les acteurs principaux de la British Invasion ...... 146 1. ...... 146 2. The Rolling Stones ...... 148 3. The Animals ...... 150 4. ...... 151 5. The Kinks ...... 151 6. The Spencer Davis Group ...... 151 7. Them ...... 152 8. The Yardbirds ...... 152 9. Managers et producteurs...... 153 2.5.3.3 Caractéristiques musicales et culturelles de la British Invasion ...... 153 1. Un registre stylistique allant de la pop mélodique au rock dur...... 153 2. Le concept de groupe musical ...... 154 3. Des musiciens qui s’imposent comme auteur.e.s-compositeur.e.s ...... 155 4. Une musique indirectement liée à des revendications de classe sociale ...... 156 5. L’expansion du public et de la part de marché du rock and roll ...... 158

2.6 1965-1970: Rock progressif et psychédélisme: le moment moderniste de la musique rock ...... 160 2.6.1 Contexte historique et social de la culture psychédélique ...... 160 2.6.1.1 Le tumulte historique et politique des années 1960 ...... 160 1. Une décennie de violence, d’espoir, de contestation et de révolutions ...... 160 2. La lutte des minorités : droits civils, nationalisme ethnique et décolonisation ...... 161 3. Guerre Froide et Guerre du Viêt Nam ...... 165 4. La société de consommation comme utopie et objet de contestation ...... 168 2.6.1.2 La contre-culture ...... 170 1. Un mouvement de contestation multiforme ...... 170 2. Gauchisme et nouvelle gauche ...... 170 3. Le mouvement hippie : le pastoralisme anti-consumériste ...... 175 4. Le psychédélisme : la culture de la drogue comme utopie contestataire ...... 177 5. Révolution sexuelle, féminisme et gay rights ...... 180 6. La culture rock comme consumérisme alternatif ...... 183 2.6.2. Historique du rock progressif psychédélique ...... 186 2.6.2.1 Rupture moderniste ou évolution graduelle ? ...... 186 2.6.2.2 Les pionniers du rock progressif et de la musique psychédélique ...... 188 1. : ...... 188 2. The Beatles ...... 191 3. ...... 194 2.6.2.3 La scène psychédélique américaine ...... 198 2.6.2.3.1 Surf rock et folk rock virent au psychédélisme ...... 198 1. The Beach Boys...... 198 2. The Byrds ...... 198

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3. Autres figures de transition ...... 199 2.6.2.3.2 San Francisco, Los Angeles, New York ...... 199 1. The ...... 200 2. The ...... 201 3. ...... 202 4. Santana ...... 203 5. ...... 204 6. The Doors ...... 206 7. Frank Zappa ...... 207 8. The Velvet Underground ...... 209 2.6.2.4 La scène psychédélique en Grande Bretagne ...... 212 2.6.2.4.1 Le Swinging London à l’ère du psychédélisme ...... 212 2.6.2.4.2 Les acteurs principaux de la scène psychédélique britannique ...... 213 1. Cream ...... 213 2. ...... 215 3. Soft Machine ...... 216 4. Jethro Tull ...... 217 5. King Crimson ...... 217 6. Autres figures du psychédélisme britannique ...... 218 2.6.3. Les stratégies musicales du rock progressif ...... 220 2.6.3.1 Comment cartographier la diversité de l’époque psychédélique ? ...... 221 2.6.3.2 La texture sonore ...... 218 2.6.3.2.1 L’érosion des contours ...... 221 1. Effets de glissement ...... 221 2. Effets d’expansion ...... 223 3. Effets de rupture ...... 224 2.6.3.2.2 La spatialisation du son ...... 225 1. Les effets d’ambiance ...... 227 2. L’enregistrement multipiste ...... 227 3. La stéréo ...... 228 2.6.3.3. L’intertextualité transgressive ...... 231 1. Intertextualité générique et transgressive ...... 231 2. Le « raga rock » : le psychédélisme orientalisant ...... 232 3. L’apport du classique : suites orchestrales et albums-concept ...... 233 4. L’apport du jazz et de la musique contemporaine ...... 237 5. Le psychédélisme carnavalesque ...... 240 2.6.4 Une avant-garde populaire: le cauchemar d’Adorno ...... 242 1. La rupture de la standardisation ...... 242 2. Le rapport à l’avant-garde : modernisme ou postmodernisme ? ...... 243

2.7 1970-1976 : le rock classique ; l’ère de la consolidation industrielle ...... 247 2.7.1 Le virage discret de la professionnalisation ...... 247 2.7.2 La production musicale du rock classique ...... 252 2.7.2.1 La réorientation musicale de la génération des années 1960 ...... 252 1. La maturité des Rolling Stones (1968-1972) ...... 252 2. The Who, de Tommy à Quadrophenia ...... 254 3. Pink Floyd: le chemin du post-psychédélisme ...... 256 4. La starification problématique de Lou Reed ...... 260 2.7.2.2 Les genres musicaux du rock classique ...... 262 2.7.2.2.1 Genres musicaux, normes professionnelles et construction de l’habitus ...... 262 2.7.2.2.2 Le heavy metal classique ...... 265 2.7.2.2.2.1 Origines et traits spécifiques du heavy metal classique ...... 265

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2.7.2.2.2.2 Figures majeures du heavy metal classique ...... 269 1. ...... 269 2. Deep Purple ...... 272 3. Black Sabbath ...... 274 2.7.2.2.2.3 Au-delà du heavy metal classique ...... 276

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2.4 1960-1963 Prélude aux années 1960 : les variantes mineures du rock and roll

2.4.1 Le twist et les « dance crazes »

J’ai indiqué dans le volume précédent que l’élan musical qui a caractérisé les années 1950 s’épuisa vers la fin de la décennie. Ce déclin, nous l’avons vu, était dû à la disparition de certains artistes, à l’incapacité des autres à se renouveler, ainsi qu’aux stratégies de l’industrie du disque visant à endiguer les aspects les plus provocateurs du rock and roll. Dans ce contexte, le début des années 1960 fut caractérisé par le succès de ce que l’on pourrait appeler, au prix d’un jugement de valeur négatif, des variantes mineures du rock and roll. Ce terme désigne des courants musicaux directement inspirés du rock and roll, mais dotés d’un gimmick qui leur conférait une nouveauté seulement passagère.

Dans le champ de la musique noire, le début des années 1960 fut marqué par l’émergence des « dance crazes »—des innovations chorégraphiques provoquant un enthousiasme en général d’assez courte durée. A titre d’exemple, nous avons déjà mentionné « the Loco-Motion », basée sur le morceau interprété par Little Eva ainsi que les danses citées dans « Land of the Thousand Dances » de Bobby Freeman—« the pony », « the twist », « the alligator », « the jerk » (voir 2.2.5.2.4).1 Il s’agissait dans certains cas de simples gimmicks promotionnels lancés pour faire la publicité d’artistes individuels. Cependant, d’autres artistes—en particulier James Brown, dont la carrière débuta au début des années 1960— réussirent à transcender ces phénomènes de mode et à se les approprier afin de créer des chorégraphies remarquables.

Figure II.126 : Chubby Checker, apôtre du twist. Le succès du twist était notamment dû au fait qu’il était beaucoup plus simple à danser que l’acrobatique rock and roll.

Parmi toutes les danses du début des années 1960, le twist a connu le succès le plus durable, dû notamment au fait qu’il était assez simple à danser. La musique qui servait de support au twist était un dérivé direct du rock and roll : le twist se distingue du style des années 1950 uniquement par un rythme binaire plus mécanique, au tempo légèrement plus lent. De nombreux morceaux de rock and roll préexistants pouvaient d’ailleurs se prêter à la nouvelle danse. Cette dernière présentait l’énorme avantage d’être beaucoup plus simple à exécuter que les acrobaties chorégraphiques associées initialement au rock and roll. Cette simplicité garantit son succès international.

1 Autres exemples : « the fly », «the hucklebuck » et, dans les années 1970, le « kung fu ».

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Chubby Checker est le chanteur dont la carrière fut le plus directement liée à la vogue du twist (« The Twist » [1960] ; « Let’s Twist Again » [1961]). Après lui, la terminologie, l’imagerie et les chorégraphies du twist se sont rapidement introduites dans le répertoire des artistes de rock and roll qui ont survécu aux années 1950—Elvis Presley (« Rock-a-Hula Baby » 1961), Gene Vincent (Twist Crazy Times 1962). Le twist a aussi constitué un élément important dans l’exportation du rock and roll en dehors des Etats-Unis. Les chanteurs « yé-yés » français— Johnny Hallyday, Claude François—ont souvent utilisé ce terme pour faire référence à des morceaux qui musicalement parlant étaient en fait très proche du rock and roll.

2.4.2 La surf music

Figure II.127 : Les surf movies du début des années 1960, un des phénomènes les plus superficiels de la culture adolescente américaine

La surf music (ou « surf rock ») est une variante du rock and roll qui s’adressait initialement au public californien dont une des activités principales était la pratique du surf. La surf music s’est exprimée en grande partie sous la forme de morceaux instrumentaux. Le son caractéristique du surf rock était obtenu grâce à deux techniques rendues possibles par les guitares électriques : l’effet de réverbération (« reverb ») dont disposaient certains amplificateurs et l’utilisation généreuse de glissandos produits par la barre de vibrato de la guitare (la « whammy bar »). Ce type de son avait été mis au point par The Ventures (« Walk Don’t Run » 1958) et fut développé sous le label de la surf music par Dick Dale and the Del Tones (« Miserlou » 1962). La surf music a souvent souffert d’être associée à des films consacrés au surf (« surf movies »), très commerciaux et superficiels, et qui offraient donc du mouvement une image aseptisée. Aujourd’hui, les guitaristes de surf rock—Nokie Edwards des Ventures et Dick Dale—sont considérés comme des pionniers ayant influencé plusieurs mouvements ultérieurs. Ils ont trouvé leur place dans la généalogie des guitar heroes.

Figures II. 128 et 129 : The Ventures, avec Nokie Edwards ; Dick Dale and His Del Tones. Initialement considéré comme un gimmick, le style guitaristique du surf rock est maintenant reconnu comme une étape important du développement des techniques de guitare en musique rock.

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Après des débuts caractérisés par la prédominance des instrumentaux, la surf music s’est également exprimée sous la forme de groupes vocaux. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste les Beach Boys. Formés autour des frères Brian, Dennis et Carl Wilson, les Beach Boys se firent connaître par une musique dont le son fut rapidement considéré comme l’expression de la joie de vivre de la jeunesse californienne. Parmi leurs influences, il faut citer Chuck Berry et Buddy Holly ainsi que, en particulier, les nombreux groupes de doo-wop des années 1950. L’influence du doo-wop est sensible dans les harmonies vocales complexes qui ont dès le départ été la marque de fabrique du groupe. Après leurs premières années de carrière menées sous la bannière de la surf music (« Surfin’ USA » 1963 ; « I Get Around » 1964), les Beach Boys ont réussi à adapter leur style à l’influence du rock psychédélique. Ils ont ainsi produit des morceaux remarquables qui parviennent à concilier le format accessible et mélodieux de la musique pop aux accents du rock expérimental (« Good Vibrations » 1966 ; « Wouldn’t It Be Nice » 1966 ; « Sloop John B. » 1966; « Heroes and Villains » 1967). C’est à ce titre qu’ils ont été un des seuls groupes américains du début des années 1960 à résister à l’énorme vague de créativité venant de Grande Bretagne à partir de 1963.

Figure II : Surfin’ Safari, premier album des Beach Boys

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2.5 1963-1965 L’ère de la Beatlemania : folk, soul, et British Invasion

Pour le rock and roll, bientôt renommé « musique rock », la période centrale de la décennie des années 1960 représente un moment d’expansion spectaculaire à la fois du point de vue de la croissance de l’audience et de la créativité musicale. De manière schématique, il serait possible d’attribuer cette accélération à l’impact des nouveaux groupes issus de Grande Bretagne—en particulier les Beatles. Même si cette explication a un certain mérite, il serait plus exact de chercher les causes de ce phénomène dans l’interaction de trois courants principaux—la British Invasion (dont l’expression la plus marquante fut effectivement la Beatlemania), la mutation de la scène folk américaine (avec des artistes tels que Bob Dylan et The Byrds) et la transformation du rhythm and blues en soul music (représentée par des figures telles qu’Aretha Franklin, James Brown et Marvin Gaye).

2.5.1 La scène folk : préserver une communauté musicale organique.

Il convient de situer la scène folk américaine des années 1960 dans une évolution qui remonte au 19ème siècle. C’est en effet à cette époque que la musique folklorique est devenue un sujet d’étude pour les musicologues. Cette période correspond au moment où la pression de la musique populaire commerciale est devenue une menace capable d’effacer la musique des traditions folkloriques. C’est dans cet esprit que les musicologues britanniques Francis James Child, Sabine Baring- Gould et Cecil Sharp récoltèrent un grand nombre de balades anglaises et écossaises. Un mouvement similaire se développa aux Etats-Unis à partir du début du 20ème siècle à l’initiative de Cecil Sharp, Maud Karpeles, Robert Winslow Gordon, et, en particulier, Alan Lomax. Les régions des Etats-Unis que ces musicologues jugeaient les plus dignes d’intérêt étaient les états du Sud et la région des Appalaches (la chaîne de montagnes traversant la Virginie, le Kentucky, la Caroline du Nord, le Tennessee). Ces efforts menèrent aux alentours des années 1930 et 1940 à ce que l’on appelle « the first folk revival »—le mouvement qui, par le biais de concerts et de festivals, cherchait à faire renaître ces musiques régionales du passé.

La philosophie qui inspirait le first folk revival allait plus loin que la simple préservation du patrimoine musical. Alan Lomax était un progressiste qui voulait faire de la musique folk une culture populaire de résistance. A ce titre, le folk peut être considéré comme le versant progressiste de la hillbilly music. Cette dernière lui est musicalement très proche, mais a souvent été porteuse de valeurs conservatrices. Le projet politique de la musique folk correspond donc assez bien à l’utopie d’une culture populaire de la gauche envisagée par Antonio Gramsci dans ses réflexions au sujet de certains genres de la culture populaire (voir VOL. I : 1.3.4). Le contexte de la grande crise économique des années 1930 donnait tout son sens à ce mouvement progressiste : le Président Franklin Delano Roosevelt lui-même se profilait comme un amateur de musique folk. Les musiciens les plus connus qui s’inspirèrent du first folk revival sont Woody Guthrie et Pete Seeger. A partir des années 1930 et 1940, Guthrie et Seeger (ce dernier au sein du groupe The Weavers) chantèrent et composèrent un grand nombre de chansons folk destinées à un public populaire, mais cependant teintées d’idéaux progressistes et de conscience critique anticapitaliste. Assez logiquement, ce projet musical fut contrecarré par l’atmosphère anti-

168 communiste qui caractérisa les années 1950 aux Etats-Unis (le maccarthysme, les « chasses aux sorcières) (voir 2.1.1).

A travers les années 1940 et 1950, les efforts de musiciens tels que Guthrie et Seeger menèrent au développement du « second folk revival »—une scène folk engagée qui se développa notamment à New York à partir de la fin des années 1950. Les musiciens qui participèrent à ce second folk revival—les américains , Judy Collins, The Seekers, Peter, Paul and Mary, et Bob Dylan, ainsi que les canadiens Leonard Cohen, et Buffy Sainte Marie—ont tous mené leur carrière dans un environnement qui venait d’être remanié par l’émergence du rock and roll. La plupart d’entre eux—en particulier Bob Dylan—y apportèrent d’ailleurs une contribution essentielle. Cependant, la scène folk fut au départ caractérisée par une intense méfiance vis-à-vis de toute concession à la musique commerciale—une catégorie dont, selon les fans de folk, le rock and roll faisait intégralement partie.

A ce titre, la scène folk essayait de maintenir dans le contexte peu favorable de la société de consommation une forme de culture populaire organique (voir VOL I : 1.3.1). La rupture avec le consumérisme était indissociable du positionnement politique progressiste des musiciens : c’est dans le contexte du second folk revival qu’est apparu le concept de « protest song ». Les causes politiques défendues par les musiciens de folk au début des années 1960 étaient principalement la lutte pour les droits civiques des afro-américains, le pacifisme et, à partir de 1965, l’opposition à la Guerre du Vietnam (cf. la version de l’hymne contestataire « We Shall Overcome » par Joan Baez [1963] ; les morceaux de Dylan tels que « Blowin’ in the Wind » [1962, 63], « The Lonesome Death of Hattie Carroll » [1964]) ainsi que « Masters of War » [1963]). Il faut contraster cet engagement explicite au positionnement politique beaucoup plus oblique du rock and roll et du rhythm and blues (voir 2.3.3.3).

En pratique, l’orientation anti-commerciale de la scène folk se manifestait par un grand nombre de choix musicaux et culturels mûrement définis : le privilège conféré aux prestations en direct, de préférence dans de petits clubs ou dans le contexte convivial des festivals ; la publication discographique par de petites maisons de disque spécialisées (Folkways, Tradition Records). La hantise de la récupération par l’industrie des loisirs menait parfois la scène folk à suivre des principes exagérément sourcilleux. Puisque le folk essayait de préserver le legs du passé, il accueillait toute innovation avec méfiance. Par exemple, l’utilisation de guitares acoustiques aux cordes intégralement en métal ou de guitares à douze cordes fut au départ considérée comme une tentative malencontreuse de s’adresser à un public plus large que les cénacles restreints du folk traditionnel (ironiquement, ces instruments sont aujourd’hui considérés comme typiques de l’esthétique du folk). L’opposition farouche du public folk à tout commercialisme mena ce dernier à accueillir de manière hostile les efforts de Bob Dylan pour effectuer une fusion entre folk et rock and roll partir de 1965 (voir 2.4.2).

Cependant, tous les membres du Second Folk Revival ne purent pas durablement se maintenir à l’écart du marché de la musique populaire. Joan Baez, sans perdre l’intégrité de son engagement initial, devint une vedette significative des années 1960 et 1970. Dans un registre

169 légèrement différent, la musique de Peter, Paul and Mary était faite dès le départ pour attirer un public dépassant les puristes de la scène folk. Des artistes des années 1960 tels que Simon and Garfunkel et Leonard Cohen parvinrent également à s’approprier l’héritage de la scène folk pour se construire un profil d’auteurs compositeurs semi-acoustiques, posant ainsi les bases de ce qui devint un genre à part entière—les singers-songwriters—dans le paysage du rock classique du début des années 1970 (voir 2.7.2.2.6). Ce faisant, les artistes originaires de la scène folk créèrent une position dans le champ culturel qui répondait aux besoins du public des classes moyennes (supérieures). En effet, même s’il n’est pas toujours facile d’évaluer l’origine sociale du public de la musique populaire, il est évident que la scène du second folk revival attirait particulièrement les membres de la classe moyenne progressiste ayant souvent bénéficié d’une éducation supérieure. Par comparaison, le rock and roll, aussi peu politisé qu’il soit, s’adressait à un public qui comportait une frange plus importante de la classe ouvrière.

2.5.2 La soul music : les nouveaux accents du rhythm and blues

La soul music désigne l’ensemble des courants du rhythm and blues tels qu’ils ont évolué au-delà du début des années 1960. Il n’y a en fait pas eu de coupure nette entre le rhythm and blues du début des années 1960 et la soul music du milieu de la décennie. Le spectre stylistique la soul music est tout aussi large que ne l’était celui de la musique noire des années 1950: la soul des années 1960 s’étend de musiques à vocation explicitement commerciale (en particulier, les productions de la maison de disque Tamla Motown, décrites ci-dessous) jusqu’à des musiques plus radicales (Aretha Franklin, James Brown).

S’il s’agit de caractériser la nouveauté de la scène soul par rapport à ses précurseurs immédiats, il convient de citer certains changements qui ont affecté, d’une part, le personnel musical et, d’autre part, l’orientation culturelle et politique de la musique noire. La soul music se caractérise en partie par l’apport de chanteurs et chanteuses—Sam Cooke, Aretha Franklin, Wilson Pickett, James Brown—issus des églises afro-américaines et de la tradition du gospel. Avant les années 1960, les églises noires se tenaient scrupuleusement à l’écart du rhythm and blues, qu’elles considéraient comme vulgaire et impie. Elles essayaient de préserver leurs musiciens, souvent très doués, de tout contact avec cette scène populaire.2 Dans les années 1960, cette ligne de démarcation s’estompa légèrement. D’autre part, en réponse au contexte politique de la décennie, certains pans de la soul music affichèrent un certain degré d’engagement politique. Alors que le rhythm and blues des années 1950 était, tout comme le rock and roll, essentiellement une musique de divertissement, la soul de la fin des années 1960 avait la capacité de faire allusion à des événements tels que le combat pour les droits civils (de plus en plus violent au fil de la décennie), le nationalisme culturel afro-américain et le développement de revendications féministes. Enfin, à partir du milieu des années 1960, les musiciens soul—en particulier, les musiciens de James Brown—développèrent de nouveaux schémas rythmiques ainsi qu’un

2 Cette distinction au sein de la musique noire est donc fonctionnellement équivalente au fossé qui séparait le folk du rock and roll.

170 nouveau son qui servirent de base à des courants importants de la musique noire (et blanche) des années 1970 et 1980—le funk et le disco.

Un grand nombre d’artistes noirs des années 1960 et 1970—The Supremes (avec Diana Ross), The Four Tops, Martha and the Vandellas (avec Martha Reeves), The Jackson 5 (avec ), , Marvin Gaye, The Miracles (avec Smokey Robinson), The Commodores (avec Lionel Ritchie)—connurent le succès au sein de la maison de disque Motown (diffusée également sous le nom de « Tamla Motown »). Motown fut créée à Detroit en 1959 par l’entrepreneur noir Berry Gordy, Jr.3 D’un point de vue musical, Motown représentait le versant commercial de la musique soul. Une bonne partie de sa production (The Supremes, Martha and the Vandellas, The Miracles) s’inscrivait dans la continuité directe des groupes vocaux de doo- wop des années 1950. Le projet de Berry Gordy consistait à former et produire des artistes et des groupes afro-américains qui pouvaient récolter le plus large succès possible auprès du public (et en particulier du public blanc). Afin de produire ce que l’on pourrait appeler de la pop afro- américaine, Gordy avait rassemblé une équipe de professionnels qui comprenait des auteurs- compositeurs—Brian Holland, Lamont Dozier, Norman Whitfield—, des chorégraphes, et même des professeurs de comportement (en particulier Maxine Powell) chargés de formater les manières des chanteurs et musiciens, souvent issus de milieux défavorisés.

Cependant, en plus de cette dimension ouvertement orientée vers le marché, le projet de Motown avait une dimension politique et sociale. Même si le label n’était pas la toute première maison de disque gérée par des afro-américains, il fut le premier à conquérir une part significative du marché de la musique : Motown parvint à placer des dizaines de chansons en tête des hit- parades. A ce titre, Motown répondait au désir d’émancipation économique de la communauté afro-américaine. Ce projet ne connut son plein aboutissement que plusieurs dizaines d’années plus tard, avec le succès mondial de Michael Jackson dans les années 1980 et le développement des maisons de productions liées au hip hop à partir des années 1990 et 2000. Elle culmine à l’époque actuelle avec l’apparition de businessmen afro-américains très influents comme Jay Z et Kanye West.

En plus de Motown (basée d’abord à Detroit puis à Los Angeles), la soul music s’est développée dans des centres de créativité tels que les labels Stax (et sa filiale Volt) à Memphis Tennessee, Atlantic Records (sous la direction du fan de jazz Ahmet Ertegün), et les studios FAME de Muscle Shoals, Alabama, où travaillaient le groupe de musiciens de session appelés The Muscle Shoals Rhythm Section. La musique produite par ces labels était très variée : elle allait des balades soul de Percy Sledge (« When a Man Loves a Woman » 1966), Otis Redding (« Try a Little Tenderness » 1966) et, occasionnellement, James Brown (« It’s a Man’s Man’s World » 1965) jusqu’aux morceaux beaucoup plus vigoureux de James Brown lui-même (« Papa’s Got a Brand New Bag » 1965 ; «Get Up (I Feel like Being a) Sex Machine » 1970), de Wilson Pickett (« Mustang Sally » 1965) ou d’Aretha Franklin (« Respect » 1967).

3 « Motown »est une apocope de « Motor Town », la ville des voitures, c’est-à-dire Detroit, Michigan.

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Il serait agréable, mais trompeur d’espérer que la frange de la music soul qui ne suivait pas le programme ouvertement commercial de la Motown ait pu se profiler intégralement comme une musique de résistance. En fait, les morceaux de Sam Cooke, Aretha Franklin, Otis Redding, et James Brown restaient soumis à la censure implicite portant sur toute œuvre diffusée par les médias de masse. Cependant, les artistes de musique soul disposaient de plusieurs canaux par lesquels ils ou elles pouvaient exprimer leur positionnement politique en dépit des contraintes du commercialisme. En premier lieu, il était possible de poser des gestes de subversion s’exprimant à travers les paroles des chansons. En particulier, les chanteurs et chanteuses soul pouvaient utiliser à des fins politiques les mécanismes de connotations subversives qui, nous l’avons vu plus haut (2.1.3.4.2.4), avaient depuis longtemps permis à la musique noire de développer des thématiques sexuelles dans des morceaux dont le message littéral semblait innocent. Ce mécanisme de subversion politique avait déjà été utilisé par des artistes des années 1950, notamment Chuck Berry. Dans « Brown-Eyed Handsome Man » (1956), Berry chante les louanges des “hommes aux yeux bruns—une référence assez transparente aux afro-américains; “You Never Can Tell” (1964) décrit un jeune couple qui a bien réussi dans la vie, malgré les réticences de leur entourage ; on peut y lire le récit de jeunes noirs ayant surmonté les obstacles de la ségrégation ; « Promised Land » (1964) raconte le périple d’un protagoniste qui essaie par tous les moyens de s’éloigner des états du Sud pour rejoindre la Californie, moins inégalitaire.

De la même manière, dans le champ de la soul music, « A Change Is Gonna Come » (1964) de Sam Cooke fait allusion à la perspective de la fin de l’inégalité raciale. Dans le contexte du début des années 1960, la teneur politique de ce morceau était évidente bien que les paroles ne contiennent aucune allusion politique explicite.4 « (Sittin’ on) The Dock of the Bay » (1967) d’Otis Redding reprend la thématique de « A Change Is Gonna Come » sur un mode plus pessimiste : il décrit un protagoniste qui a quitté le Sud et atteint la Californie—le pays de toutes les promesses—mais se sent encore exclu, désespérant de voir pointer des jours meilleurs (« Look out, nothing’s gonna change / Everything remains the same »). Ce pessimisme s’exprime aussi dans « The Track sof My Tears » (1965) des Miracles où le chanteur Smokey Robinson fait allusion à la situation d’artistes (noirs) censés amuser leur public (blanc) alors qu’ils se trouvent eux-mêmes dans une situation qui incite aux larmes. Comme souvent, ces accents politiques sont camouflés sous un récit sentimental : la chanson prétend faire allusion à un amour déçu. Enfin, « Respect » (1965) d’Otis Redding, dont la version la plus célèbre fut enregistrée par Aretha Franklin en 1967, exprime une revendication de respect et de dignité que le chanteur (ou chanteuse) adresse en apparence au partenaire de son couple, mais qui de manière implicite s’adresse à des interlocuteurs politiques et sociaux.

Le deuxième champ d’émancipation dont ont pu se servir les chanteurs et chanteuses soul se situe au niveau de leur style de performance. Le style vocal et chorégraphique des artistes soul était particulièrement puissant et varié. La personnalité qui incarne le mieux ce désir d’émancipation s’exprimant par la danse et la performance est sans conteste James Brown, dont

4 De manière symptomatique, ce morceau, aujourd’hui considéré comme un classique des protest songs, a été repris par la chanteuse noire Bettye Lavette et le chanteur blanc Jon Bon Jovi lors du concert célébrant l’élection de Barack Obama en 2004.

172 le jeu de scène particulièrement inventif a servi d’inspiration à la plupart des artistes de rhythm and blues et de rock ultérieurs.5 Dès la fin des années 1950, Brown, au sein du groupe vocal The Famous Flames, s’était imposé comme un danseur virtuose. En tant qu’artiste solo, il déploya ses talents dans des spectacles au déroulement savamment ritualisé—interactions avec les musiciens et les danseuses ; utilisation d’accessoires (canne, cape). Ces gestes de performance sont importants dans la mesure où ils ont permis, aux artistes d’infléchir le contenu de chansons aux textes en apparence anodins (nous avons vu quelles inflexions Wilson Pickett parvient à rajouter à « Land of 1000 Dances » [voir 2.3.3.4.2.4]). Au total, ces performances ont permis aux artistes de projeter une image d’émancipation confiante et assumée, en rupture avec le positionnement beaucoup plus passif et conciliateur qui caractérisait les groupes de doo-wop des années 1950 (The Platters, par exemple). Le morceau de James Brown qui illustre le plus clairement ce gain de confiance est certainement « Say It Loud – I’m Black and I’m Proud » (1968). Son texte est explicitement politique. Il s’accompagne d’une performance vocale qui évoque une revendication d’émancipation particulièrement ambitieuse. Il est clair que le contexte politique de la fin des années 1960—« Say It Loud » est sorti en 1968, l’année des assassinats de Martin Luther King et de Bobby Kennedy ainsi que des révoltes étudiantes (voir 2.4.1.1)—permettait une libération de la parole qui ne trouvera son équivalent que deux décennies plus tard dans le hip-hop.6

2.5.3 British Invasion, Beatlemania et Swinging London

2.5.3.1 La scène musicale britannique au tournant des années 1960

De par ses liens culturels et linguistiques avec les Etats-Unis, il était logique que le Royaume Uni ait été le premier pays dans lequel le rock and roll se soit développé en dehors du territoire américain. Cependant, le contexte dans lequel est apparu le rock anglais était très différent de la situation américaine, caractérisée, nous l’avons vu, par une grande prospérité économique et par des interactions interethniques qui, malgré les injustices politiques, se sont révélées fructueuses musicalement (2.3.3.4). Dans la décennie succédant à la Deuxième Guerre Mondiale, les conditions historiques et sociales spécifiques du Royaume Uni étaient relativement difficiles. Le rationnement alimentaire introduit pendant la guerre ne fut aboli qu’en 1954. Les destructions causées par les bombardements allemands laissèrent des trace dans les villes anglaises jusqu’aux années 1960. De plus, dès la fin du conflit, il devint clair que le Royaume Uni allait perdre son empire colonial : l’Inde devint indépendante en 1947 ; la plupart des colonies africaines suivirent son exemple à partir de 1960. Paradoxalement, le fait d’avoir participé à l’alliance victorieuse contre l’Allemagne et le Japon n’avait pas permis au Royaume Uni d’aborder l’après-guerre dans la prospérité. La société de consommation—un facteur qui, nous l’avons vu, est directement lié à l’émergence du rock and roll (2.3.1)—s’y est donc développée environ dix ans plus tard qu’aux

5 Mick Jagger, front man des Rolling Stones, ne fait pas mystère du fait qu’il doit beaucoup au jeu de scène de James Brown. 6 De manière symptomatique, « Say It Loud » a influencé l’usage linguistique aux Etats-Unis, incitant les afro- américains à se désigner au moyen du terme « black », considéré jusque-là comme péjoratif, à la place du terme « negro ». Depuis les années 1980, « black » a été à son tour évincé en partie par « African American ».

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Etats-Unis. L’apparition de la prospérité consumériste donna lieu notamment aux phénomènes de mode caractéristiques de ce que l’on appela le Swinging London. Cette époque correspond à la Beatlemania—l’énorme vague de succès planétaire dont bénéficièrent The Beatles à partir de 1964.

Comme l’existence même de la Beatlemania l’indique, ces circonstances en apparence défavorables n’empêchèrent pas l’éclosion d’une culture musicale adolescente (ou, plus précisément, une culture des jeunes adultes). Dans des circonstances similaires, une culture populaire revendiquée par la jeunesse s’était d’ailleurs déjà développée en France au sortir de la Deuxième Guerre mondiale—la scène culturelle de Saint Germain des Prés, centrée sur le jazz. De manière compréhensible, le rock and roll anglais se profila de manière légèrement différente de ses modèles américains. En particulier, nous indiquons plus bas que le rock anglais fut dès le départ plus directement affecté par les différences de classes sociales (voir 2.3.2.3.3.3). L’empreinte de la stratification sociale s’est exprimée par le fait que les nouvelles musiques (qu’elles soient empruntées directement aux Etats-Unis ou créées par des musiciens britanniques) ont été appropriées par des mouvements de jeunesses—des « subcultures » comme les Rockers, les Teddy Boys et les Mods—ancrés de manière directe ou indirecte dans des groupes sociaux identifiables.

Les subcultures des années 1960 ont supplanté une scène musicale qui, dans les années 1950, était dominée par des courants musicaux qui reproduisaient de manière assez sage et contrôlée certains aspects de la musique populaire américaine. Dans le domaine du jazz, la scène musicale britannique s’était distinguée par un intérêt considérable pour le « traditional jazz »—le jazz des années 1920, en particulier le style nommé « dixieland ».7 Ce mouvement, appelé le « trad boom » ou « trad jazz revival » s’était développé en réaction à l’émergence du modern jazz (bebop, cool, et hard bop) que certains fans et musiciens de jazz trouvaient trop élitiste (voir 2.3.3.2). Il attirait surtout un public recruté dans la classe moyenne. De prime abord, son développement semble tout à fait distinct de l’émergence du rock and roll. Cependant, nous verrons plus bas que le trad jazz entretenait avec ce dernier certains points de contact : les groupes de rhythm and blues anglais tels que les Rolling Stones ont débuté leur carrière dans des clubs de jazz.

Plus proche de la culture du rock and roll, le Royaume Uni des années 1950 a vu se développer un équivalent britannique de la country and western et du folk: le skiffle, dont la vedette principale était Lonnie Donegan. Malgré ses aspects traditionalistes, le skiffle, a joué un rôle important dans le développement du rock anglais car un bon nombre de futures vedettes (The Beatles ; Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin) ont fait leur apprentissage au sein de ce mouvement. Enfin, le Royaume Uni a dès la fin des années 1950 vu apparaître ses propres vedettes de rock and roll—Cliff Richard and the Shadows, Adam Faith, Billy Fury et Marty Wilde.8 Cette génération de musiciens se caractérisait par son incapacité à dépasser les modèles

7 On peut comparer le succès du trad boom à l’enthousiasme du public de Saint Germain des Prés pour le jazz de la Nouvelle Orléans. 8 Marty Wilde est le père de Kim Wilde, vedette d’électro-pop des années 1980.

174 américains. A part Cliff Richard, qui devint célèbre comme chanteur de variété, et ses musiciens accompagnateurs, les Shadows, qui s’imposèrent comme groupe instrumental comparable aux Ventures, ces premiers chanteurs de rock britannique ne parvinrent pas à s’assurer une réputation internationale durable. Leur popularité fut en grande partie éclipsée par le déferlement de la Beatlemania.

La Beatlemania est en effet le phénomène qui affecta de manière décisive non seulement le développement du rock anglais mais aussi toute la musique populaire au niveau mondial. Dans le paysage musical actuel, caractérisé par un grand degré de fragmentation des publics, il est difficile de se représenter l’ampleur et le caractère soudain de la popularité des Beatles au milieu des années 1960. Non seulement les musiciens de Liverpool captivèrent l’attention du paysage médiatique (beaucoup moins diversifié qu’aujourd’hui, il est vrai, ce qui rendait l’impact des Beatles encore plus perceptible), mais ils déclenchèrent aussi des réactions de foule proches de l’émeute. Aussi étonnant que cela puisse paraître, en quelques années, les taxes prélevées sur la vente des disques des Beatles en vinrent à constituer une part significative des revenus du Royaume Uni. De tels phénomènes de popularité extrême s’étaient déjà manifestés bien avant le rock anglais des années 1960. Les divas de l’opéra classique en étaient déjà l’objet au 19ème siècle ainsi que des acteurs hollywoodiens au 20ème (la mort prématurée de l’idole du cinéma muet Rudolph Valentino provoqua des réactions d’hystérie collective parmi ses fans). En musique populaire américaine, le début de carrière de dans les années 1940 avait déclenché un enthousiasme du même ordre. Cependant, dans le domaine de la musique rock, du rhythm and blues et de la pop, il est raisonnable de penser qu’aucun groupe ou artiste n’a pu dépasser le succès qu’ont connu les Beatles vers le milieu des années 1960. Elvis Presley et Michael Jackson sont sans doute les seuls à pouvoir rivaliser avec le groupe anglais dans ce classement de popularité.

Dans le cas des Beatles, popularité et créativité se sont mutuellement renforcés : le talent des musiciens de Liverpool était évident pour tous. D’un point de vue musical, la Beatlemania a donc joué un rôle décisif. Elle a permis à toute une génération de musiciens anglais—The Rolling Stones, The Animals, The Who, The Kinks—d’accéder durablement au marché américain et de s’assurer par là-même une carrière internationale. Du point de vue des fans et des musiciens américains, cette vague de créativité fut perçue (de manière ironique et en général bienveillante) comme une invasion, et donc surnommée « The British Invasion ». Pendant quelques années (de 1964 à 1967), les musiciens de rock américains n’ont pu faire autre chose que de s’aligner sur la musique provenant de Grande Bretagne. Tout comme Elvis dans les années 1950, l’exemple des Beatles a permis à de jeunes musiciens de définir leur propre identité.

L’impact de la British Invasion et de la Beatlemania ne se limita pas à la musique : ces phénomènes firent de Londres le pivot d’un renouveau culturel dont les manifestations se déployèrent aussi dans le domaine de la mode et des arts graphiques. Alors que Londres était dans les années 1950 une ville portant encore les séquelles de la guerre, elle devint au cœur des années 1960 le « Swinging London »—un centre de créativité de réputation planétaire. L’épicentre du Swinging London était Carnaby Street dans le quartier de Soho, la rue où se concentraient les magasins de mode underground qui vendaient les styles de vêtements associés à la nouvelle

175 culture rock. L’innovation vestimentaire la plus célèbre émanant du Swinging London est sans conteste la minijupe inventée par Mary Quant au début des années 1960 et commercialisée en 1965. La minijupe était un des accessoires emblématiques du London Look un style vestimentaire résolument moderniste. Pour les femmes, le London look se composait par exemple d’une minijupe ou d’une robe mini, ainsi que de bottes et d’un chemisier moulant (voir les tenues que portait Twiggy, le mannequin vedette du London look). Pour les hommes, il imposait des chemises colorées avec motifs floraux et jabot. Ces tenues firent scandale à l’époque mais eurent un succès fulgurant. On les remarque dans les séries télévisées de l’époque—l’actrice Diana Rigg dans The Avengers [Chapeau melon et bottes de cuir]—et sur les pochettes de disque des Beatles, des Rolling Stones et des Who. Comme le Swinging London est un phénomène qui concerne tout autant la période psychédélique que la British Invasion, nous y reviendrons dans le chapitre consacré à la deuxième moitié des années 1960 (voir 2.6.2.3.2).

2.5.3.2 Les acteurs principaux de la British Invasion

The Beatles (Premier enregistrement : 1962). Après plus de cinquante ans, la renommée des Beatles n’a pas faibli : ils sont considérés aujourd’hui comme le groupe le plus important de la musique rock, toutes générations confondues. The Beatles définirent le son de la musique populaire des années 1960. Ils anticipèrent les orientations d’une décennie qui, pour la musique rock, fut d’une créativité inégalée. Originaires de Liverpool, The Beatles sont le fruit de la rencontre de Paul McCartney, et , trois musiciens issus de la classe ouvrière (McCartney, Harrison) et de la petite bourgeoisie (Lennon). A la fin des années 1950, ils formèrent un groupe de skiffle baptisé d’après le nom de l’école secondaire qu’ils fréquentaient tous les trois. Le groupe adopta le nom The Beatles en 1960 et atteignit sa composition définitive en 1962 avec l’arrivée de à la batterie.

Dans leurs toutes premières années, The Beatles se profilèrent comme un groupe de rock and roll vigoureux, principalement influencé par Elvis Presley. C’est ce style de musique qu’ils pratiquèrent dans leurs nombreux concerts au Cavern Club de Liverpool et lors de leurs séjours dans des clubs de Hambourg en 1960 et 1961. Avec l’aide de leur manager Brian Epstein, propriétaire d’un magasin de disque à Liverpool, The Beatles obtinrent un contrat d’enregistrement. Selon une anecdote célèbre, ils furent d’abord rejetés par un directeur artistique peu clairvoyant de la maison de disque Decca.9 The Beatles furent ensuite signés par Parlophone, où ils purent bénéficier de la collaboration inspirée du producteur , surnommé parfois « le cinquième Beatle ». Leur premier single (« Love Me Do ») fut commercialisé en 1962 et obtint un succès honorable. Le deuxième (« Please Please Me »), commercialisé en janvier 1963, atteignit le sommet des hit-parades (numéro un ou numéro deux selon les classements) et fit du groupe une

9 Echaudé par cette maladresse, Decca s’empressa ensuite de signer les Rolling Stones, alors que ces derniers paraissaient encore beaucoup moins compatibles que The Beatles avec les normes du marché du disque.

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nouvelle sensation musicale d’abord en Europe puis, à partir de 1964, aux Etats Unis. Jusqu’à la séparation du groupe à la fin de 1969, The Beatles produisirent une longue série de morceaux qui dominèrent les hit-parades des deux côtés de l’Atlantique, établissant des records de ventes qui n’ont pas encore été battus. Les tournées des Beatles, notamment aux Etats-Unis, connurent un succès tel qu’elles en devinrent ingérables. En 1966, le groupe décida de ne plus se produire en public pour ne plus être confronté au chaos provoqué par l’enthousiasme de leurs fans.

La carrière des Beatles, pourtant relativement courte, se divise en deux parties, avant et après 1966. Cette année-là, le groupe décida non seulement d’abandonner la scène mais aussi de s’engager dans une expérimentation musicale qui révolutionna l’ensemble de la musique populaire. Nous y reviendrons dans le chapitre consacré au psychédélisme et au modernisme populaire de la musique rock (voir 2.3.2). A ce stade-ci, notons que le style de musique qui rendit The Beatles célèbres avant 1966 n’était pas tout à fait le rock and roll rugueux qu’ils jouaient avant d’enregistrer leurs premiers disques. Les premiers succès des Beatles mélangeaient en effet l’énergie du rock and roll des années 1950 avec les accents plus doux de la musique folk (par l’intermédiaire du skiffle britannique) et du doo-wop afro-américain (voir 2.3.2). Au-delà des Beatles, cette combinaison sonore fut la marque de fabrique du mouvement baptisé le British Beat, rassemblant des groupes anglais ayant émergé dans le sillage de Lennon et McCartney (Herman’s Hermits, The Hollies, The Dave Clarke Five) et en particulier des groupes de Liverpool (Gerry & the Pacemakers et The Searchers). Vu l’importance de Liverpool pour l’émergence de ce style, on parle parfois de Mersey Beat (souvent orthographié Merseybeat), en référence à la rivière qui traverse la grande ville portuaire.10

D’un point de vue musical, le British Beat ou Merseybeat donna lieu à des morceaux structurés selon des suites d’accords plus variées que les schémas habituels du rock and roll et du rhythm and blues. Au lieu de se limiter aux suites d’accord simples du rhythm and blues (tonique, sous-dominante, dominante ; voir 2.3.3.4.2.3), le Merseybeat insère dans ses structures harmoniques des accords mineurs—une technique inspirée du doo-wop et du folk (par l’intermédiaire du skiffle). Ceci rend les morceaux des Beatles plus policés d’un point de vue sonore que les œuvres plus abruptes du rock and roll et de ce que l’on appelait à l’époque le « British rhythm and blues ». On pourrait dans une certaine mesure considérer ce choix stylistique comme une concession commerciale, infléchissant l’énergie transgressive du rock and roll vers le sentimentalisme de ce que l’on appelle péjorativement la pop. Les Beatles de 1964—les figures de proue du Merseybeat—étaient un produit plus consensuel que le jeune groupe qui s’était produit au Cavern Club et à Hambourg. Ce positionnement commercial s’exprimait également au niveau de leur image. Dans leurs toutes premières photos, The Beatles apparaissent en blouson de cuir avec des coiffures inspirées d’Elvis Presley. En 1963 au contraire, lorsqu’ils firent la promotion de leurs

10 Cette variété de rock and roll fut notamment le centre d’intérêt du périodique bimensuel Mersey Beat, publié par un condisciple de John Lennon. Mersey Beat aida a consolider la réputation de nombreux groupes de Liverpool, certains maintenant tombés dans l’oubli.

177 premiers disques, ils adoptèrent une image qui maintenait un savant équilibre entre provocation et cooptation commerciale—d’une part des cheveux mi-longs (un scandale pour l’époque), d’autre part de sages complets vestons d’un modèle identique pour chaque musicien.

Le désir apparent de plaire à un public large était cependant transcendé par le talent vocal et musical des membres du groupe. Le duo de compositeurs formés par Lennon et McCartney s’imposa rapidement comme une des collaborations les plus talentueuses de l’histoire de la musique populaire, mêlant dans une parfaite complémentarité le sens de la provocation ironique du premier avec les talents mélodiques du second. Le groupe se distinguait aussi de ses contemporains par la qualité de ses harmonies vocales (inspirées en partie de Little Richard, elles furent imitées par la plupart des groupes anglais et américains de l’époque) et par sa capacité à utiliser la musique pour projeter une image d’optimisme et d’énergie positive. Ils exprimaient ainsi parfaitement l’esprit d’émancipation peut-être exagérément insouciant de la première moitié des années soixante. Parmi les morceaux les plus représentatifs de cette époque, citons « I Wanna Hold Your Hand », (1964), « She Loves You » (1964), « Can’t Buy Me Love” (1964), “A Hard Day’s Night » (1964), et « I Feel Fine » (1965). « Help ! » (1965), le morceau titulaire de l’album qui clôt cette première période de leur carrière, est probablement l’exemple le plus achevé du son qu’ils développèrent à cette époque.

The Rolling Stones (1964). Pendant les années 1960, The Rolling Stones se sont profilés comme les concurrents provocateurs des Beatles, offrant une musique et une image orientées non vers le consensus mais vers la transgression. Ils incarnent en cela le versant radical de la British Invasion. Le groupe fut formé en 1962 par Brian Jones (guitare, chant, harmonica), Mick Jagger (chant, harmonica) et Keith Richards (guitare)—de jeunes musiciens de la banlieue de Londres passionnés de blues et de rhythm and blues américain. Ils furent ensuite rejoints par Bill Wyman (basse) et Charlie Watts (batterie). Alors que The Beatles s’affirmaient comme les chefs de file du Merseybeat, le versant pop du rock and roll anglais, The Rolling Stones se positionnèrent comme les leaders de ce que les musiciens eux-mêmes appelaient le rhythm and blues britannique (British rhythm and blues). Ce style s’était développé à la fin des années 1950 dans des clubs de jazz, notamment sous l’impulsion d’Alexis Korner, le fondateur du groupe Blues Incorporated. Il était l’apanage de fans-experts, des puristes défendant un style musical presque inconnu du public britannique et encore mal connu du public blanc américain. Les fans britanniques de rhythm and blues s’enorgueillissaient du fait qu’ils s’inspiraient parfois de disques achetés directement aux Etats-Unis et ramenés au Royaume Uni par des marins anglais. Le rhythm and blues britannique servit de vivier d’apprentissage à de nombreux groupes et musiciens qui devinrent célèbres dans des courant ultérieurs de la scène rock—The Who, The Yardbirds, The Spencer Davis Group, John Mayall and the Bluesbreakers, , Jeff , Ginger Baker, Jack Bruce, Jimmy Page. Les apologues du rhythm and blues britannique se présentaient au départ comme des dissidents de la scène jazz.

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Dans des salles londoniennes comme le Marquee Club et le Crawdaddy Club, ils côtoyaient les pratiquants du trad boom tout en défendant un style qui paraissait plus radical et plus moderne. Ceci implique que ces musiciens, y compris The Rolling Stones, ne se profilaient pas initialement comme des fans de rock and roll car ce label leur semblait entaché de commercialisme.

De manière symptomatique, le répertoire initial des Rolling Stones était composé presque exclusivement de cover versions (reprises). Ces morceaux provenaient soit du versant afro-américain du rock and roll—« Carol » et « Little Queenie » de Chuck Berry ; « Mona » de Bo Diddley—, soit du blues électrique—« Mannish Boy » de Muddy Waters ; « I Just Want to Make Love to You » et « Little Red Rooster » de Willie Dixon et Howlin’ Wolf. Afin de produire de telles reprises, les Stones, tout comme les autres adeptes du rhythm and blues britannique, durent se plier à l’apprentissage de techniques spécifiques. Mick Jagger apprit à imiter les inflexions des chanteurs noirs, y compris même leurs accents dialectaux. Il acquit aussi une maîtrise remarquable de l’harmonica blues. Richards and Jones se familiarisèrent avec le jeu de la slide guitar. Avant tout, la tradition du blues leur apprit à construire des morceaux sur base de riffs. Ce terme désigne des cellules rythmiques et mélodiques réitérées en séquence tout au long d’une partie significative (parfois l’intégralité) du morceau. « Satisfaction » (1965) des Rolling Stones ou leur reprise de « Little Red Rooster » des bluesmen Willie Dixon et Howlin’ Wolf sont de purs exemples de morceaux « riff-based ».11 Au fil du temps, ce qui pouvait paraître comme de la pure imitation de sources afro-américaines se transforma en une capacité remarquable de faire évoluer la tradition du rhythm and blues par des compositions originales. Ainsi, Keith Richards est, parmi les guitaristes de rock, célébré comme un maître dans l’invention de nouveaux riffs.

Pendant la période de la British Invasion, les Rolling Stones ne se sont pas contentés de reprendre des morceaux du blues électrique des années 1950. Leur musique s’est aussi enrichie du nouvel apport de la musique soul naissante (Wilson Pickett, Solomon Burke) (voir 2.3.2.2). De plus, les Stones durent suivre la dynamique musicale imposée par The Beatles : ils adoptèrent certains traits du Merseybeat—harmonies vocales, mélodies, balades—tout en en offrant une version moins lisse d’un point de vue sonore. Parmi les morceaux témoignant de ce mélange, citons « Satisfaction » (leur plus grand hit des années 1960), « Nineteenth Nervous Breakdown » (1966) ou « Let’s Spend the Night Together » (1967).

Pour ce qui est de la construction de leur image de marque, en revanche, The Rolling Stones adoptèrent une stratégie très différente de celle de leurs rivaux de Liverpool. Sous l’impulsion de leur manager Andrew Loog Oldham (1944-), une figure influente de la vie

11 Le rock and roll des années 1950 faisait déjà appel à des structures en riffs, bien que de manière moins systématique qu’en rhythm and blues. L’importance de cette technique pour la musique rock ne fera que croître vers la fin des années 1960 et au début des années 1970 avec le développement du heavy metal (Led Zeppelin, Deep Purple, Black Sabbath).

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londonienne des années 1960, les Stones se créèrent une image en rupture avec les normes parentales, et donc susceptible de séduire la portion la plus rebelle des adolescents et des jeunes adultes. Cette image s’alimentait en partie de sources littéraires. Elle s’inscrivait dans la continuité du mouvement des années 1950 surnommé les « angry young men » (les jeunes hommes en colère), rassemblant des dramaturges comme John Osborne et des romanciers tels qu’Alan Sillitoe et Kingsley Amis, dont les œuvres défiaient l’establishment britannique. De manière symptomatique, Oldham, afin de façonner l’image de ses protégés, prit comme source d’inspiration le roman d’Anthony Burgess A Clockwork Orange (1962) mettant en scène un groupe de délinquants dans une société du futur proche.12

L’image rebelle des Stones était non seulement l’enjeu d’un positionnement médiatique mais aussi l’expression de leur mode de vie dans les années soixante. En raison de leur consommation de drogue et de leur conduite jugée indécente, ils durent faire face à des poursuites judiciaires (Mick Jagger et Keith Richards furent brièvement détenus en 1967). Ils durent également batailler sans cesse avec leur maison de disque et avec les censeurs en raison de certains de leurs textes ou pochettes de disques jugés obscènes selon les critères très restrictifs de l’époque. L’attitude rebelle des Stones eut également un effet bénéfique sur leurs choix de textes. En effet, à partir du moment où Jagger et Richards se mirent à écrire leurs propres morceaux, ils produisirent des textes critiques de la société de consommation (« Satisfaction », « Get Off of My Cloud » [1965], « Mother’s Little Helper » [1966]) ou des chansons qui offrent une chronique réaliste ironique de la société anglaise (« Play With Fire » [1965], « Nineteenth Nervous Breakdown »). Jagger, dont les talents de parolier sont parfois sous-estimés, était en ceci influencé par la rencontre des Stones avec Bob Dylan lors de leurs premières tournées américaines.

Nous verrons dans un chapitre ultérieur que la carrière des Rolling Stones, tout comme celle des Beatles, connut deux phases principales (voir 2.7). Dans le cas des Stones, la transition entre première et deuxième période eut lieu autour de 1968 et 1969. Ces années marquent d’une part la fin de la période psychédélique, dont les Stones, au contraire des Beatles, ne furent pas des acteurs majeurs, et d’autre part le moment où Brian Jones quitta le groupe. (Il décéda quelques mois plus tard, épuisé par l’alcoolisme, l’addiction à la drogue, et l’impact psychologique des rivalités au sein du groupe). Comme nous le verrons plus bas, la carrière des Stones se poursuivit de manière très fructueuse à l’époque du rock classique (voir 2.7)

The Animals (1964) Ce groupe de British rhythm and blues était formé de musiciens de Newcastle-upon-Tyne (extrême nord-est de l’Angleterre). Ils connurent un succès fulgurant durant leur courte carrière, notamment aux Etats-Unis. The Animals avaient comme atouts principaux la vigueur de leur chanteur Eric Burdon—avec Roger Daltrey des Who, sans doute le

12 A Clockwork Orange fut l’objet d’une adaptation cinématographique célèbre par Stanley Kubrick en 1971, un film critiqué à l’époque pour sa violence.

180 vocaliste le plus doué de la British Invasion—et le talent de leur organiste Alan Price. The Animals enregistrèrent essentiellement des morceaux des plus grand noms du rhythm and blues américain (Jimmy Reed, Nina Simone, John Lee Hooker). Leur version du morceau folk « House of the Rising Sun » (1964), basé sur des versions précédentes de Bob Dylan et Dave Van Ronk, devint un hit mondial. Parmi leurs autres succès, citons aussi « We Gotta Get Out of this Place » (1965) et « Don’t Let Me Be Misunderstood » (1965), une chanson rendue célèbre par Nina Simone. The Animals se séparèrent en 1966 en raison de différends au sein du groupe et également à cause de leur incapacité à gérer les aspects financiers de leur carrière. Eric Burdon et Alan Price entamèrent des carrières solo. Leur bassiste Chas Chandler devint le manager de Jimi Hendrix et, dans les années 1970, du très populaire groupe de pub rock Slade.

The Who (1964, 1965) Ce groupe londonien s’est formé au début des années 1960 à l’initiative de leur chanteur Roger Daltrey (1944). Celui-ci fut rejoint par le bassiste John Entwistle (1944-2002), le guitariste Pete Townshend (1945) et le batteur Keith Moon (1946-78). En terme de durabilité et d’impact artistique, The Who sont d’une importance comparable aux Beatles et aux Rolling Stones. Les musiciens des Who possédaient une maîtrise musicale remarquable, supérieure à beaucoup de leurs contemporains : Daltrey est un chanteur extrêmement puissant et expressif, Townshend un guitariste rythmique hors pair et un chanteur compétent, John Entwistle un bassiste d’exception et Keith Moon un des batteurs les plus inventifs de l’histoire du rock. Les qualités de chanteur de Pete Townshend permirent au groupe de produire des harmonies vocales d’une qualité comparables à celles des Beatles. Pendant les années de la British Invasion, les Who se profilaient comme un groupe de British rhythm and blues, cultivant les mêmes influences que les Stones ou The Animals. Leur spécificité résidait dans la complexité technique de leurs morceaux—« I Can’t Explain » (1965), « My Generation » (1965), « I Can See for Miles » (1967), « Magic Bus » (1965, 68)—et dans la violence symbolique de leurs prestations de concert (jeu de scène extraverti, destruction du matériel). Leur image s’est construite en partie autour de leur lien avec le mouvement mod, une subculture emblématique du Swinging London, rassemblant des jeunes gens de la classe moyenne affichant un attachement de fans-experts pour la musique soul (voir VOL I, 1.4.5.3.3.2 ; 2.2.2.3.3.3).

Comme les Beatles et les Stones, The Who réorientèrent leur carrière vers la fin des années 1960. En composant l’opéra rock Tommy (1969), ils apportèrent une contribution importante à la transition entre le mouvement psychédélique et le rock classique des années 1970 (voir 2.7). Cette évolution fut facilitée par les conseils de leurs managers Chris Stamp et Kit Lambert qui servirent en partie de conseillers artistiques. A partir de la fin des années 1960, Townshend devint la figure dominante du groupe. Dans les décennies ultérieures, The Who continuèrent à produire des albums—Who’s Next (1971), Quadrophenia (1974)—contenant des morceaux combinant puissance et clarté mélodique. La carrière du groupe s’est prolongée malgré la mort de Keith Moon en 1978 et de John Entwistle en 2002.

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The Kinks (1964) Ce groupe londonien fut fondé par deux frères, Dave et Ray Davies, respectivement guitariste et chanteur. Ils connurent un grand succès avec des morceaux tels que « You Really Got Me » (1964), « Sunny Afternoon » (1966), « Waterloo Sunset » (1967) et « Lola » (1970). Leur style musical mélange le rhythm and blues et le folk. Des balades telles que « Sunny Afternoon », « Dedicated Follower of Fashion » (1966) et « Waterloo Sunset » furent fort appréciées pour leur capacité à exprimer une sensibilité typiquement anglaise, et donc distincte des accents américains du British rhythm and blues. Leur album folk-rock The Kinks are the Village Green Preservation Society (1968), encensé par la critique, exprime le plus clairement leur attachement à l’évocation de l’Angleterre. La carrière des Kinks s’étendit, avec des hauts et des bas, sur trois décennies. Ils mirent fin à leur collaboration au milieu des années 1990 en raison du déclin de leur succès commercial. Le groupe exerça une influence considérable sur différents mouvements du rock anglais, notamment sur certains aspects de la musique de Pink Floyd et sur les groupes britpop des années 1990 (Oasis, Blur).

The Spencer Davis Group (1964) Formé autour des personnalités du guitariste Spencer Davis et du chanteur-claviériste Steve Winwood, ce groupe originaire de Birmingham se spécialisa dans la composition de morceaux influencés par la soul music. Leur plus grands succès sont « Keep On Running » et « I’m a Man » (1967). En 1967, Steve Winwood quitta le groupe pour former Traffic. Il sera plus tard membre du supergroupe Blind Faith et se lança dans une carrière solo. Musicien très apprécié, Winwood a collaboré avec de nombreuses figures de la musique rock et soul, parmi lesquels Jimi Hendrix, Eric Clapton, Lou Reed, Isaac Hayes, Talk Talk et Christina Aguilera.

Them (1965) Ce groupe d’Irlande du Nord s’est formé autour de la personnalité du chanteur Van Morrison. Leur répertoire était caractéristique du British rhythm and blues. Plusieurs de leurs singles connurent un très grand succès—« Gloria » (1964), « Baby Please Don’t Go » (1965) et « Here Comes the Night » (1965). Ces morceaux mettent en valeur l’impressionnante maîtrise vocale de Van Morrison, dont le registre monte fort haut dans les aigus. Van Morrison quitta le groupe en 1966 pour se lancer dans une carrière solo. Il enregistra en 1968 un splendide album de folk rock intitulé Astral Weeks qui s’inscrit dans la mouvance psychédélique. Encore actif aujourd’hui, Van Morrison est considéré comme un des artistes et compositeurs les plus marquants du rhythm and blues et folk rock anglais. Les fans de rock des années 1970 ont pu redécouvrir Them par l’intermédiaire de la célèbre reprise de « Gloria » par (1975).

The Yardbirds (1965) Ce groupe de blues et de rhythm and blues londonien a connu sinon un grand succès populaire, du moins un très grand succès d’estime auprès des critiques de rock. Il a en effet

182 servi de terrain d’apprentissage à plusieurs guitaristes prestigieux—Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page—, les futurs guitar heroes de la scène britannique. Le groupe obtint son plus grand succès avec le single « For Your Love » (1965). On les aperçoit dans le film Blow-Up de Michelangelo Antonioni (1966), une œuvre symptomatique de l’esprit du Swinging London. La musique des Yardbirds se distingue par l’inventivité de ses guitaristes et par certaines innovations techniques (utilisation de la guitare en distorsion, progrès des techniques d’amplification). Le groupe souffrait cependant de l’absence d’un chanteur charismatique pouvant rivaliser avec McCartney, Lennon, Jagger, Burdon, Van Morrison ou Daltrey.

L’impact des Yardbirds se mesure à la trajectoire brillante de ses différents ex- membres dans le champ du psychédélisme de la fin des années 1960 et du rock classique des années 1970. Clapton quitta The Yardbirds pour fonder le super-groupe Cream, un des piliers de la scène psychédélique britannique (voir 2.6.2.4.2.1). Jeff Beck se lança dans de nombreux projets musicaux. En 1967, avec le chanteur Rod Stewart, le guitariste Ron Wood et le claviériste Nicky Hopkins, il fonda The Jeff Beck Group, dont l’excellent album Truth (mai 1968) exerça une influence significative sur les débuts du heavy metal (voir 2.7.2.2.2.1). Reconnu comme un des plus grands guitaristes de la scène britannique, Beck ne fut malheureusement pas capable de réunir durablement autour de lui un groupe capable d’obtenir une reconnaissance publique à la mesure de son talent. Dans les années 1970, il s’orienta vers le jazz-fusion (le jazz rock). Jimmy Page, le dernier guitariste des Yardbirds, réussit là ou son ami Jeff Beck avait en partie échoué : il se créa une réputation de guitar hero en fondant Led Zeppelin, une formation qui devait initialement s’appeler The New Yardbirds. Led Zeppelin devint l’attraction majeure du heavy metal classique du début des années 1970. Il est aujourd’hui considéré comme un des groupes clés de l’ensemble de l’histoire du rock (voir 2.7.2.2.2.2.1).

Managers et producteurs : Les esquisses biographiques ci-dessus soulignent l’importance de différentes figures— managers et producteurs—qui permirent à plusieurs groupes de la British Invasion de négocier leur statut vis-à-vis de l’industrie du disque. Nous reviendrons dans une section ultérieure sur la structure l’industrie médiatique dans les années 1960 [voir 2.6.3]. A ce stade, nous pouvons souligner le fait que les managers et producteurs des groupes de la British Invasion—Brian Epstein, Andrew Loog Oldham, Chris Stamp, Kit Lambert— ne se limitaient pas à régler les aspects financiers et logistiques des activités des musiciens. Ils ont également façonné leur musique et leur image. En cela, ils jouaient un rôle de médiateurs : ils aidaient à concilier les projets des musiciens, souvent en décalage par rapport aux normes culturelles traditionnelles, et les exigences de profitabilité et de censure. Nous verrons également dans le chapitre consacré au psychédélisme que certains des producteurs des groupes de la British Invasion—en particulier George Martin et Phil Spector—ont joué un rôle déterminant dans l’évolution du son de la musique des années 1960 et ont amorcé la révolution technologique des méthodes d’enregistrement.

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2.5.3.3 Caractéristiques musicales et culturelles de la British Invasion

La British Invasion fut une période importante mais relativement courte de l’histoire du rock—de 1963 à 1967, approximativement. Elle a rapidement laissé place aux accents modernistes du psychédélisme, auquel un grand nombre des nouveaux groupes anglais ont apporté leur contribution. Il n’est donc pas simple de distinguer des traits culturels entièrement spécifiques à cette période. Certains points méritent cependant d’être soulignés.

2.5.3.3.1 Un registre stylistique allant de la pop mélodique au rock dur.

Nous avons vu plus haut que le répertoire de la plupart des groupes de la British Invasion mélange les accents mélodiques du Merseybeat—un style qui ferait aujourd’hui partie de ce que nous appelons la pop—avec le style plus rude inspiré du rhythm and blues. Ainsi, le continuum musical de la British Invasion comporte des éléments qui seront la matière première non seulement de la frange la plus mélodieuse de la musique psychédélique mais aussi de courants plus vigoureux qui apparaîtront à partir de la fin des années 1960 et au milieu des années 1970—le heavy metal et le punk rock. Certains morceaux de la British Invasion—« You Really Got Me » (1964) des Kinks ; « I’m Free » des Who (1968)—présentent la structure en riff répétitifs qui caractérisera le heavy metal classique (Led Zeppelin, Deep Purple). D’autres morceaux—la reprise de « I Wanna Be Your Man » des Beatles par les Rolling Stones (1964), « Wild Thing » des Troggs (1966)— adoptent la texture brute et en apparence improvisée qui deviendra la marque de fabrique du punk.

2.5.3.3.2 Le concept de groupe musical.

La British Invasion a imposé le groupe musical comme format de performance standard pour la musique rock. Il s’agit d’une évolution significative par rapport à la musique des années 1950. Cette dernière était dominée soit par des vedettes individuelles (Elvis Presley, Eddie Cochran, Little Richard) ou par des formations menées par un leader bien identifié (Gene Vincent and His Blue Caps, Buddy Holly and the Crickets, Dion and the Belmonts). La scène des années 1950 présentait aussi il est vrai un grand nombre de groupe musicaux (les groupes de doo-wop, notamment) mais les personnalités des membres de ces groupes étaient perçues comme relativement interchangeables.13 Il n’y avait à l’époque que peu d’efforts de promotion visant à attribuer à chacun une personnalité spécifique. Au contraire, les groupes de la British Invasion se profilaient comme des associations volontaires d’individus aux personnalités à la fois distinctes et complémentaires. The Beatles ont fourni le meilleur modèle de ce format musical : ils se composaient d’un séducteur sympathique (Paul McCartney), d’un rebelle affichant un certain radicalisme artistique et politique (John Lennon), d’un garçon réservé et appliqué (George Harrison) et d’un comique bienveillant qui jouait le rôle de clown (Ringo Starr). De même, les Rolling Stones jouaient sur le contraste qui opposait, d’une part, les tempéraments rebelles de Mick Jagger (séducteur provocateur et sarcastique) et Keith Richards (fan de blues au style de

13 Dans les groupes de doo-wop, le principe de différenciation entre musiciens était en général la tessiture de la voix— ténor, baryton, basse.

184 vie chaotique) et, d’autre part, la personnalité beaucoup moins extravertie du batteur Charlie Watts qui incarnait les traditions du trad jazz associées à une image d’élégance britannique.

Le concept de groupe musical se prête bien à la perspective de recherche duale des cultural studies. Nous avons vu en effet que cette approche méthodologique essaie d’identifier dans chaque phénomène de la culture de masse non seulement une dynamique d’émancipation mais aussi une —dimension de cooptation idéologique (voir VOL I, 1.1). Le groupe musical présente une dualité de ce type. L’association d’individualités complémentaires au sein des groupes de la British Invasion était en partie le résultat des affinités spontanées des musiciens, et donc un gage d’authenticité. Les groupes de rock n’étaient pas censés être de purs artefacts commerciaux réunis à l’initiative d’un producteur ou d’une maison de disque. En revanche, cette association n’en était pas moins un atout commercial : les campagnes de promotion des groupes s’en nourrissaient. De manière symptomatique, la même technique de construction de l’image fut utilisée par les boys bands des années 1990 et 2000 dans une perspective commerciale très explicite (exploitation systématique de stratégies de merchandising liées à la construction de la personnalité de chaque musicien).

Dans le cas de la British Invasion, la dimension commerciale de la construction de l’image des groupes musicaux peut être mise en lumière notamment par le fait que la plupart de ces groupes ont fait dès le départ appel à des musiciens qui ne faisaient pas partie de la formation officielle mais qui restaient dans l’ombre car leur profil était considéré comme incompatible avec l’image que le groupe désirait projeter.14 Notons aussi que le format du groupe musical, alors qu’il devint une norme en apparence incontestée pour la musique rock à partir du milieu des années 1960, a commencé à perdre de son hégémonie dans les années 2000. Sous la pression du rap et de la musique électro, l’idée que la musique populaire doit émaner d’un collectif stable a progressivement cédé la place à des formats musicaux tournant autour d’individualités ou de duos se cachant sous des pseudonymes ou encore d’associations temporaires de personnalités musicales. Nous verrons dans un chapitre ultérieur que la dynamique de la composition des groupes musicaux est un enjeu important de la construction des rôles genrés en musique rock.

2.5.3.3.3 Des musicien.ne.s et des vedettes qui s’imposent comme auteur.e.s-compositeur.e.s

En plus d’imposer l’image du groupe comme collectif d’identités complémentaires, la British Invasion a déclencha une révolution dans la chaîne de créativité de la musique populaire. Les nouveaux groupes anglais ont en effet encouragé leur public à considérer comme normal, même nécessaire, que les groupes musicaux soient les auteurs-compositeurs de leur propre répertoire. Les Beatles ont joué le rôle de pionniers en la matière : le duo Lennon-McCartney s’est dès le début imposé comme le principal fournisseur des chansons du groupe.15 Ce choix s’inscrivait en

14 Ian Stewart, pianiste des Rolling Stones, est un des exemples les plus connus de musiciens relégués au second plan pour des raisons d’image. Il joua plus tard le rôle de road manager du groupe. 15 Please Please Me comporte huit compositions de Lennon-McCartney et six reprises de rhythm and blues ; Rubber Soul, trois ans plus tard, est composé intégralement par les Beatles : douze titres de Lennon-McCartney et deux de George Harrison.

185 décalage par rapport aux pratiques des années 1950. La première décennie du rock and roll, nous l’avons vu, a produit un certain nombre d’auteurs-compositeurs remarquables—Chuck Berry, Eddie Cochran, Buddy Holly [voir 2.2.2.1]. Mais, comme l’exemple d’Elvis Presley le révèle, s’affirmer comme compositeur était loin d’être une obligation pour les musiciens et chanteurs de l’époque. En cela, la scène du rock and roll prolongeait la tradition la tradition de Tin Pan Alley— le monde de l’édition musicale qui voulait que le répertoire populaire soit écrit par des auteurs/compositeurs professionnels.

Ceci implique aussi que, à part les exceptions mentionnées ci-dessus, les musiciens de rock and roll de première génération ne considéraient pas la composition comme un composante élément de leur personnalité médiatique. Cette dernière se construisait, comme nous l’avons vu, sur base d’un certain style de performance musicale et scénique—le déhanchement d’Elvis ; sa maîtrise des inflexions vocales afro-américaines ; les techniques instrumentales de ses musiciens (voir 2.3.3.4.2.2)—, non sur la capacité de créer des morceaux originaux. Une pratique courante des années 1950 le confirme: en plus d’enregistrer des morceaux d’artistes de rhythm and blues peu connus du public blanc (Big Joe Turner, Big Mama Thornton), les Kings of Rock and Roll jouaient et enregistraient fréquemment des cover versions des morceaux de leur contemporains immédiats—et donc en fait de leurs rivaux. Il y a ainsi de nombreuses versions de « Blue Suede Shoes », de « Johnny B. Goode », de « Sweet Little Sixteen », ou de « Long Tall Sally », publiées par différents interprètes parfois à quelques mois d’intervalle. La possibilité d’interpréter des chansons dont le succès était garanti primait sur l’originalité.

A partir du milieu des années 1960 au contraire—et particulièrement à partir de la période psychédélique—les musiciens et leurs publics en vinrent à considérer une telle pratique comme le signe d’un déficit artistique : le talent de composition était devenu un une marque indispensable de l’individualité musicale de chaque groupe. L’évolution des Rolling Stones a valeur d’exemple. Ces dernier, nous l’avons vu, ont débuté majoritairement comme les interprètes de covers de morceaux de rhythm and blues afro-américains (voir 2.5.3.2.2). L’influence des Beatles les convainquit cependant de la nécessité de s’affirmer comme compositeurs. Aftermath (avril 1966), leur quatrième album, fut leur premier disque à ne présenter que des morceaux signés par Jagger et Richards. Notons aussi qu’une évolution comparable eut lieu en musique folk. Les musiciens du folk revival s’enorgueillissaient au départ de jouer des morceaux anciens, puisés dans le répertoire folklorique américain. Tout au plus s’accordaient-ils ou elles une marge de créativité dans la possibilité d’en modifier l’arrangement.16 Le développement de la carrière de Dylan imposa cependant l’image du musicien folk créateur de morceaux originaux.

2.5.3.3.4 Une musique indirectement liée à des revendications de classe sociale.

Dans le chapitre consacré au rock and roll de première génération, nous avons vu qu’il est souvent difficile d’analyser les mouvements musicaux comme de pures expressions de la division en

16 Les différentes versions de « House of the Rising Sun » illustrent ce phénomène. Dave Van Ronk, une figure centrale de la scène folk new yorkaise, revendiqua la paternité non du morceau lui-même, mais de l’arrangement enregistré par Dylan, puis, dans sa version la plus célèbre, par The Animals.

186 classes sociales. Ainsi, nous avons indiqué que la rébellion adolescente des années 1950 aux Etats- Unis ne relayait pas explicitement des revendications liées aux classes dans le sens marxiste du terme et ne servait pas de porte-parole à des mouvements politiques officiels (voir 2.3.3). La situation du rock anglais est légèrement différente sur ce point. La rigidité et la visibilité du système de classes britannique même encore après la Deuxième Guerre Mondiale ne permettaient pas aux mouvements culturels de la jeunesse d’afficher une image indépendante de la stratification sociale. En particulier, il était impossible de ne pas remarquer que la génération de musiciens des années 1960 provenait soit de la classe ouvrière (The Beatles, The Animals, issus du nord industriel), soit de la petite classe moyenne (The Rolling Stones). L’émergence de la British Invasion donna donc une visibilité considérable à des vedettes dont l’ancrage familial et social se situait loin de l’establishment britannique ou de la fraction de la classe moyenne qui s’identifiait à ses normes conservatrices. Ce différentiel de classe était bien apparent lors du concert célèbre donné par les Beatles au Royal Albert Hall en présence de la famille royale en 1963.

Ceci n’implique pas que la thématique des classes sociales se soit manifestée de manière insistante dans les textes de la British Invasion. Certains morceaux des Rolling Stones (« Mother’s Little Helper », « Spider and the Fly », « Nineteenth Nervous Breakdown »), des Animals (« We Gotta Get Out of This Place ») et de Gerry and the Pacemakers (“You’ll Never Walk Alone” [1963], “Ferry across the Mersey” [1964]) y font bien allusion. Mais dans la plupart des cas— notamment dans les premiers albums des Beatles—, les chansons d’avant l’époque psychédélique s’alignaient sur la thématique adolescente inspirée du rock and roll américain : « My Generation » des Who est un hymne générationnel, non un appel à la solidarité de classe.17 La British Invasion était donc un phénomène de classe moins par ses textes que par l’ancrage social du personnel musical. Plus précisément, il faudrait dire que pour les musiciens de la British Invasion, l’adoption de l’habitus du rock and roll (l’image de la rébellion adolescente) permettait de faire valoir de manière indirecte une différence sociale et un désir d’émancipation de classe. En particulier, le rock and roll permettait aux musiciens de faire valoir leur propres normes—les codes de la mode, par exemple, ainsi qu’évidemment la définition de ce qui est acceptable en terme de musique— dans des domaines qui étaient jusqu’aux années 1950 encore réglementés par les classes moyennes et supérieures.18 Nous verrons plus en détail dans le chapitre consacré à la scène psychédélique anglaise (2.6.2.3.2) que pour beaucoup de musiciens britanniques, ce désir d’émancipation fut favorisé par le fait qu’ils bénéficièrent en milieu scolaire d’une éducation artistique. Un grand nombre d’entre eux—John Lennon, Keith Richards, Pete Townshend, Eric Clapton, Ray Davies, Syd Barrett, Jimmy Page—étaient inscrits dans des art schools19—les sections de l’enseignement secondaire destinés aux futurs artistes. Même si certains avaient choisi cette option par défaut, cela leur permettait de se familiariser avec les pratiques artistiques et cela leur conférait un statut social en marge des filières d’enseignement plus traditionnelles.

17 En revanche, « Working-Class Hero » (1970) de John Lennon/Plastic Ono Band affiche bien une thématique prolétarienne, mais il s’inscrit dans le contexte plus tardif du rock progressif. 18 Le film Phantom Thread (2017) de Paul Thomas Anderson offre une reconstitution saisissante des milieux de la mode britanniques des années 1950, encore entièrement dédiés à une clientèle de la classe supérieure. 19 Le premier bassiste des Beatles, Stuart Sutcliffe, devint même, avant son décès prématuré, un artiste abstrait reconnu.

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Une logique similaire structurait la composition du public de la British Invasion. Le public rock britannique des années 1960 (et 1970), beaucoup plus que son équivalent américain, se divisait en « subcultures »—en mouvements culturels alternatifs.20 Du milieu des années 1950 jusqu’au milieu des années 1960, les principales subcultures structurant la jeunesse britannique étaient les Teddy Boys, les Rockers et les Mods. Chaque groupe avait sa propre signature vestimentaire : les Teddy Boys portaient des vestons aux épaules larges qui parodiaient la mode du début du 20ème siècle (époque edwardienne);21 les Rockers privilégiaient les blousons de cuir et les coupes des cheveux à la Elvis Presley ; les Mods portaient des costumes provenant des magasins de mode de Carnaby Street, qu’ils recouvraient d’une longue parka ; leur mode de locomotion était la mobylette Vespa. Chaque subculture s’identifiait par son ancrage social : les Teddy Boys et les Rockers venaient de la classe ouvrière ; les Mods de la petite classe moyenne. Leurs membres affichaient aussi des préférences musicales distinctes : rock and roll de première génération pour les Teddy Boys et les Rockers ; jazz moderne, musique soul et British Invasion pour les Mods. Ces trois subcultures sont donc les précurseurs de mouvements ultérieurs—les skinheads, les punks, les new romantics, les goths, etc (voir VOL I : 1.4.4.3).

Cette prolifération de sous-groupes indique que les divisions de classe de la société britannique affectaient bien la structure de la culture de la jeunesse (la « youth culture »). Même s’il n’est pas possible d’établir une correspondance univoque entre chaque subculture et une origine sociale particulière, on voit bien se dessiner un système d’habitus reproduisant de manière indirecte les hiérarchies existant dans la société des adultes. Notons cependant que, pour ce qui est de la production musicale, la plupart des groupes de la British Invasion ne cherchaient pas à s’attirer l’adhésion d’une subculture précise : ce geste aurait contrecarré leur attrait commercial. Seuls The Who étaient initialement associés à une subculture particulière—les Mods.

2.5.3.3.5 L’expansion du public et de la part de marché du rock and roll.

Ce qui incitait les musiciens de la British Invasion à ne pas s’aligner de manière restrictive sur les divisions entre les différentes subcultures, c’était en effet l’énorme succès commercial dont bénéficia rapidement leur musique. La British Invasion et la scène culturelle du Swinging London eurent un effet décisif sur le marché du disque et sur la part de marché qu’y occupait le rock and roll. Cependant, ce développement commercial présentait des caractéristiques contradictoires, analysables également selon la perspective duale des cultural studies. D’un côté, la Beatlemania et la British Invasion eurent comme conséquence une expansion considérable du marché du disque conférant au rock and roll un impact économique déterminant. Nous notions plus haut qu’au milieu des années 1960, les ventes des disques des Beatles représentaient une part significative des

20 Le terme « subculture » ne peut se traduire par « sous-culture » car, au contraire du français, il ne comporte pas nécessairement de connotation péjorative< 21 « Teddy » est le diminutif d’« Edward » : la période edwardienne correspond au règne d’Edward VII, fils de Victoria.

188 revenus fiscaux de la Grande Bretagne.22 Simultanément, l’emprise du rock and roll s’étendit à des classes d’âge et des groupes sociaux qu’il n’avait jamais atteints jusqu’alors. Dans les années 1950, le rock and roll était surtout une culture d’adolescents rebelles, souvent marginalisés. Avec les Beatles et la British Invasion, il s’est imposé comme une pratique culturelle qu’aucun groupe social ne pouvait ignorer.

Il serait simpliste cependant d’analyser ce nouveau phénomène économique comme une adhésion pure et simple de la youth culture au système médiatique capitaliste. En effet, ce marché en pleine expansion n’était pas encore un espace économique rationalisé et stabilisé. En d’autres termes, le marché du disque au moment de la British Invasion (tout comme à l’époque psychédélique qui lui succéda) n’était pas prêt à faire face à ce qui était encore un mouvement émergent et donc en partie imprévisible (voir 2.5.3.3.4). Ce manque de rationalisation économique (ou, en terme plus positif, l’esprit d’aventure qui caractérisait ce domaine économique) s’est manifesté en premier lieu par le fait que les grandes maisons de disques se montraient souvent hostiles aux initiatives des musiciens, jugées inacceptables et transgressives. Il y eut donc une longue histoire de conflits artistiques et de censure opposant musiciens et maisons de disques. Les rapports conflictuels des Rolling Stones avec Decca en sont le meilleur exemple (conflit portant sur le choix des morceaux, des paroles, des pochettes de disque). Deuxièmement, l’amateurisme économique (ou l’esprit pionnier) des groupes de la British Invasion se remarque également par le fait qu’ils étaient à l’époque souvent peu capables de gérer ou même de percevoir les revenus de leur musique (ce fut le cas des Animals mais aussi des Stones à leurs débuts). Ils étaient souvent à la merci de leur manager ou de leur maison de disque.

De même il n’existait pas encore de relai médiatique officiel susceptible de donner aux musiques de la Beatlemania une diffusion radiophonique ou télévisuelle qui corresponde à leur énorme succès discographique. La BBC des années 1960 disposait d’un monopole de la radiodiffusion et n’ouvrait pas encore très largement son antenne à la musique rock. La diffusion radiophonique de cette musique s’effectua donc en partie par des radios privées non officielles— les radios pirates. Ces dernières—Radio Caroline et Radio London, par exemple—émettaient à partir de bateaux ancrés en Mer du Nord dans les eaux internationales. Comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, ce n’est qu’à partir du début des années 1970 que ce nouveau marché médiatique s’est stabilisé et s’est optimalisé. C’est seulement à partir de ce moment-là que la plupart des musiciens des années 1960 ont accumulé les énormes fortunes qui ont alimenté leur réputation de rock star. De manière symptomatique, les innovations du Swinging London dans le domaine de la mode ont suivi une dynamique similaire. La minijupe der Mary Quant était au départ un produit révolutionnaire commercialisé dans des circuits commerciaux restreints. Après quelques années, elle devint cependant un produit standardisé de l’industrie du prêt à porter.

22 Les Beatles, peu désireux de payer le plein montant de leurs impôts, écrivirent à ce sujet le morceau « Taxman » (1966) accusant les politiciens de l’époque—Harold Wilson et Edward Heath—de les spolier.

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2.6 Rock progressif et psychédélisme : modernisme et musique populaire

2.6.1 Le contexte historique et social de la culture psychédélique

2.6.1.1 Le tumulte historique et politique des années 1960

2.6.1.1.1 Une décennie de violence, d’espoir, de contestation et de révolutions

Si l’on prend en considération la période qui s’étend des années 1950 jusqu’au présent, la deuxième moitié des années 1960 représente le moment clé l’évolution de la musique populaire anglo- américaine : ces quelques années furent caractérisées par un degré de créativité artistique et par des métamorphoses culturelles inégalées dans l’histoire de la musique rock et du rhythm and blues. Dans ce qui suit, nous utiliserons les termes rock psychédélique et, de manière plus précise, rock progressif psychédélique (« psychedelic progressive rock » ou « psychedelic prog-rock)—pour désigner la musique rock élaborée à cette époque. Au sein de ce mot composé, le label « psychédélique » désigne à la fois un projet artistique—l’esthétique de l’expansion de la conscience lié au mouvement hippie (voir 2.6.1.2.4)—et une période historique—la deuxième moitié des années 1960, le moment où le psychédélisme constituait le courant dominant de la musique rock. En revanche, « Progressif » désigne un genre—un courant de la musique rock qui s’est prolongé sous différentes formes jusqu’au présent. Le terme « progressive rock » fut utilisé à partir de la deuxième moitié des années 1960 pour rendre justice au fait que la musique de la culture underground (un autre terme désignant la culture du mouvement hippie) avait des ambitions esthétiques et sociales que l’on ne décelait pas le rock and roll de la première décennie. « Progressif » impliquait donc l’émergence d’une musique aux accents plus sérieux, qui renonçait à la naïveté apparente des origines du rock and roll. Dans cette définition, le terme « rock progressif » peut évidemment s’appliquer à des variétés de rock expérimental qui ne souscrivent plus strictement à l’esthétique psychédélique ou qui ont été produites en dehors des limites chronologiques de cette période. Nous verrons, en particulier, que la musique psychédélique donna naissance au début des années 1970 au rock progressif post-psychédélique (souvent appelé l’ « art-rock») qui s’en distingue artistiquement et politiquement.

Vu l’importance de la musique psychédélique, il est particulièrement important de décrire le contexte historique, politique et culturel qui lui a donné naissance. La période en question— souvent décrite sous le simple label « années 60 »—est particulièrement complexe et contrastée. Elle a donc suscité des réactions contradictoires. En Europe, elle bénéficie d’une réputation prestigieuse, en fait presque idyllique. On s’en souvient comme d’un moment d’utopie politique portée par le mouvement hippie aux Etats-Unis et par la contestation étudiante de mai 1968 en France. Les années 1960 marquèrent aussi l’avancée décisive de la révolution sexuelle, rendue possible par la commercialisation de la pilule contraceptive. Elle a également laissé le souvenir d’une période de prospérité et de plein emploi : il s’agit du cœur des « Trente Glorieuses », les années de développement économique ininterrompu qui ont suivi la Deuxième Guerre Mondiale. Aux Etats-Unis, en revanche, les années 1960 ont une image plus contrastée—une période utopienne, en partie, mais aussi un moment de violence politique et de désenchantement. La

190 décennie fut en effet marquée par trois meurtres politiques majeurs—le Président John Fitzgerald Kennedy en 1963, le leader du mouvement des droits civils Martin Luther King en 1968 ; le candidat à la Présidence Robert Kennedy en 1968. Elle fut aussi caractérisée par la violence accrue suscitée par le mouvement pour l’obtention des droits civils des afro-américains (voir plus bas 2.3.3.1.1.2). Enfin, pendant les années 1960, le gouvernement américain se lança dans son intervention catastrophique au Viêt Nam, qui donna lieu au début des années 1970 à la première défaite de l’armée américaine dans une guerre étrangère (voir 2.6.1.1.3). La Guerre du Viêt Nam eut un impact considérable sur la culture des jeunes américains car, à une époque où la conscription existait encore, tous les jeunes hommes étaient susceptibles d’être enrôlés pour se battre en Extrême Orient. L’opposition des étudiants à la Guerre du Viêt Nam, tout autant que l’engagement dans la lutte pour les droits civils, fut donc un des thèmes fondateurs de ce que l’on appela à l’époque la contre-culture—un mouvement de remise en cause générale des normes politiques et culturelles.

Au total, il n’est pas simple pour les fans de musique rock de se créer une image objective des années 1960 : les jugements émotionnels et nostalgiques prennent souvent le pas sur l’évaluation équilibrée. Il est donc non seulement utile de rappeler que cette époque connut un haut degré de violence politique, mais aussi de souligner le fait que ces années offrirent plutôt une promesse d’émancipation et de prospérité que la réalisation concrète de ces grands espoirs. Dans les faits, la culture des années 1960 fut encore soumise à la censure très stricte qui sévissait dans les décennies précédentes (les déboires des groupes de rock quant à la gestion de leur image en font foi). De même, le confort matériel et le bonheur consumériste célébrés à l’époque n’étaient pas encore à la portée de tous. Le mode de vie réel des années 1960—particulièrement en Grande Bretagne, fort affectée par la Deuxième Guerre Mondiale—était plus austère qu’on ne l’imagine aujourd’hui. Beaucoup d’avancées que l’on attribue volontiers à cette décennie privilégiée ne se concrétisèrent que plus tard—dans les années 1970 et même 1980. On assiste donc ici au décalage inéluctable entre promesse utopienne et réalisation concrète.

2.6.1.1.2 La lutte des minorités dans les années 1960 : droits civils, nationalisme ethnique et décolonisation

Nous avons vu que le rock and roll des années 1950 s’est développé en parallèle avec le mouvement des droits civils. Dans les années 1950, ces liens étaient encore assez indirects car le rock and roll n’était pas suffisamment pris au sérieux pour être considéré comme une musique politisée (voir 2.2.5.2.5). Dans les années 1960, au contraire, l’intervention de la musique populaire dans le champ de la politique devint beaucoup plus explicite. Des artistes folk (Bob Dylan, Joan Baez, ), rock (Jimi Hendrix) et soul (Sam Cooke, Aretha Franklin, James Brown, Edwin Starr, Marvin Gaye) ont joué le rôle de défenseurs des droits civils et d’opposants à la guerre du Viêt Nam. Cependant, en ce qui concerne les droits civils, on observe un glissement entre le début et la fin de la décennie. Les années 1960 ont en effet eu un impact très paradoxal sur les noirs américains. D’une part, cette période a été marquée par de grandes victoires politiques. D’autre part, les militants noirs ont ressenti de vives frustrations causées par le sentiment de ne n’avoir obtenu qu’une émancipation incomplète au prix d’un combat fort amer

191 contre un racisme blanc de plus en plus virulent. Ceci a amené le mouvement des droits civils à se durcir et à prôner des modes d’action politique violents.

Le mouvement des droits civils dans les années 1950, mené notamment par Rosa Parks et Martin Luther King, Jr. avait adopté la non-violence comme stratégie politique. Martin Luther King s’inspirait du Mahatma Gandhi, le chef de file du mouvement anticolonialiste qui avait mené l’Inde à se libérer de la Grande Bretagne. Gandhi s’était affirmé comme le théoricien majeur de la non-violence politique. Aux Etats-Unis, des actions non-violentes—manifestations, boycotts, sit-ins, campagnes de « freedom riders » facilitant l’inscription d’électeurs noirs dans les états du Sud—permirent au mouvement d’engranger des progrès importants, même si ces stratégies exposaient les militants à la violence des racistes blancs. Les victoires les plus marquantes ainsi obtenues furent les lois de faisant de la ségrégation un crime fédéral (« Civil Rights Act ») et garantissant le droit de vote dans le Sud (« Voting Rights Act »), signées respectivement en 1964 et 1965 par par le Président Lyndon B. Johnson. Cette victoire législative était le fruit de l’émoi suscité, d’une part, par la gigantesque marche sur Washington organisée par Martin Luther King, Jr. en 1963, et, d’autre part, par l’assassinat du prédécesseur de Johnson, John Fitzgerald Kennedy à la fin de la même année. Dans une perspective plus large, ces lois étaient le fruit de dix ans de lutte sur plusieurs fronts et d’environ un siècle d’action antiségrégationniste de la part d’organisations afro-américaines et de politiciens progressistes.

Les lois protégeant les droits civils des noirs avaient malheureusement été obtenues face à des actions de plus en plus violentes émanant de racistes blancs, y compris des groupes se revendiquant du Ku Klux Klan. A partir de 1954, le système éducatif fut déségrégué par une décision de la Cour Suprême Fédérale. Cependant, les étudiants noirs qui s’inscrivirent dans les universités du Sud durent au départ faire face à des foules haineuses et violentes, à tel point qu’ils et elles durent bénéficier d’une protection militaire. En juin 1963, Medgar Evers, un activiste de la National Association for the Advancement of Colored People, fut assassiné dans le Mississippi. En septembre de la même année, un attentat du Ku Klux Klan coûta la vie à quatre enfants dans une église baptiste noire de Birmingham, Alabama. En juin 1964, dans le Mississippi, trois militants du Congress of Racial Equality furent enlevés et assassinés par le Ku Klux Klan. Il y avait peu d’espoir que ces violences racistes décroissent après 1964 et 1965. En effet, après avoir obtenu une victoire dans le domaine de l’égalité juridique, les activistes afro-américains, dont Martin Luther King, se mobilisèrent afin d’adopter des politiques visant l’égalité économique. Ce programme était perçu comme incompatible avec l’individualisme capitaliste défendu par la majorité des américains blancs conservateurs. L’adoption de revendications économiques était pourtant un geste que le mouvement des droits civils se devait de poser : vers le milieu des années 1960, de nombreux afro-américains ne supportaient plus de se voir cantonner dans les ghettos pauvres des grandes villes américaines. Des émeutes avaient déjà éclaté—notamment dans le quartier de Watts à Los Angeles (1965), causant une trentaine de victimes et des pillages à grande échelle.

Ce climat de violence atteignit son sommet lors de l’assassinat de Martin Luther King en 1968 : le meurtre déclencha des émeutes, des pillages et des incendies dans de nombreuses villes

192 américaines. La mort tragique de King mettait semblait signaler la défaite des politiques humanistes non violentes basées sur une vision universaliste des droits humains. Cet événement favorisa donc les revendications nationalistes basées sur le principe selon lequel les afro- américains avaient très peu à espérer d’une collaboration avec les blancs et devaient donc viser à s’assurer un développement politique et culturel séparé. Le nationalisme noir—parfois résumé par le slogan « black power »—n’était pas intégralement nouveau dans la communauté afro- américaine. Il s’était exprimé dès le début du 20ème siècle, notamment dans le programme du militant d’origine jamaïcaine Marcus Garvey qui prêchait le retour des afro-américains vers l’Afrique. Dans les années 1960, ce programme nationaliste s’affirma dans l’action de militants tels que Elijah Muhammad, Malcolm X, The Black Panther Party et Angela Davis. Il reçut aussi le soutien des écrivains et artistes associés au Black Arts Movement—Amiri Baraka, Maya Angelou, Ishmael Reed. Des sportifs de premier plan—le boxeur Muhammad Ali, les athlètes Tommie Smith et John Carlos—s’y associèrent également. Smith et Carlos se rendirent célèbres en faisant le « black power salute » lors de la remise de leurs médailles aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

On peut distinguer dans le nationalisme noir deux domaines de développement—l’un économique, politique et social, l’autre culturel. Dans le premier cas, la priorité consistait à créer des structures économiques et politiques contrôlées par les afro-américains eux-mêmes et répondant directement à leur besoin. C’est ce type de programme qui fut défendu par Malcolm X et par les Black Panthers. Dans le deuxième cas, les efforts portaient sur le développement et l’approfondissement d’une identité noire plongeant ses racines dans les traditions africaines. Ce sont les objectifs qui furent poursuivis par des artistes tels que Baraka, Reed, et Angelou. Le nationalisme noir ne mena pas à une rupture intégrale entre militants afro-américains et leurs sympathisants blancsmais elle rendit leurs rapports plus complexes et paradoxaux. Dans le contexte des Etats-Unis des années 1960 (et encore plus de l’Europe de l’Ouest), il n’était en effet pas possible d’imaginer que des programmes politiques séparatistes puissent intégralement être menés à bien. D’autre part, même si le nationalisme noir virait dans certains cas au racisme anti- blanc—la période de collaboration de Malcolm X avec Elijah Muhammad ainsi que certains textes d’Amiri Baraka en font foi—, ce projet culturel présentait l’avantage d’offrir aux artistes afro- américains la possibilité d’affirmer une identité qui ne se résumait pas à une adhésion intégrale aux normes artistiques d’origine européenne.

Le nationalisme noir doit aussi se comprendre dans ses rapports avec le vaste mouvement international de décolonisation qui se développa après la Deuxième Guerre Mondiale. Le conflit mondial mena en effet à la désagrégation des empires coloniaux européens en Asie et en Afrique. La plupart des pays africains, en particulier, furent libérés de la tutelle européenne aux alentours de 1960. La décolonisation politique s’accompagnait d’un mouvement de solidarité liant les populations de couleurs au niveau international. C’est dans ce contexte que l’on parlait de panafricanisme—un programme politique déjà esquissé dans la première moitié du vingtième siècle par le sociologue et romancier afro-américain W. E. B. Dubois (1868-1963). Dans cette optique, le mouvement pour les droits civils ainsi que le black power étaient perçus comme l’expression d’un mouvement planétaire : les noirs américains étaient décrits comme des sujets

193 soumis à une domination de type colonial. Leur combat entrait donc en résonance avec la lutte de tous les peuples de couleur contre l’oppression euro-américaine.

Dans le domaine de la culture populaire, l’itinéraire qui mena du combat universaliste pour les droits civils au nationalisme du black power ne porta pas un coup d’arrêt irrémédiable au processus qui permettait aux musiciens blancs de s’inspirer de la musique noire et aux musiciens noirs d’intégrer les nouveautés introduites par les musiciens blancs. Cependant, certaines lignes de démarcation furent tracées à partir de la fin des années 1960. Nous avons vu que la plupart des groupes de la British invasion—en particulier les musiciens du British rhythm and blues— prônaient une adhésion sans réserve à la musique noire (voir 2.5.2.3). Au contraire, nous verrons plus bas que le rock progressif psychédélique chercha une partie de son inspiration dans des domaines autres que la culture afro-américaine—la musique orientale, la musique classique européenne et la musique contemporaine, par exemple (voir 2.6.3.3). Il y eut donc une reconfiguration, même un déclin, du processus d’hybridisation culturelle qui avait donné naissance au rock and roll au début des années 1950.

De même, la musique noire à partir de la fin des années 1960, à travers le développement de la soul des années 1970 (le funk, en particulier), se constitua en un domaine partiellement séparé du rock et de la pop blanche. L’assassinat de Martin Luther King peut servir de pivot chronologique à cette évolution. Avant cet évènement tragique, la musique soul s’était parfois développée sur base de collaborations entre musiciens noirs et blanc. Booker T and the MGs, le groupe en résidence aux studios du label Stax de Memphis, Tennessee, était composé à la fois de musiciens noirs et blancs. Ils collaborèrent aux plus grands succès de Wilson Pickett et d’Otis Reding. De même, la Muscle Shoals Rhythm Section, travaillant aux studios de Muscle Shoals, Alabama, était composée de musiciens blancs. Ces derniers accompagnèrent un grand nombre de vedettes soul, dont Percy Sledge, Wilson Pickett (« Mustang Sally ») et Aretha Franklin (« Respect »). Ces musiciens étaient d’ailleurs très fiers de pouvoir, au cœur même du vieux Sud ségrégationniste, apporter leur contribution à l’essor de la musique noire. Après la mort de Martin Luther King, de telles collaborations interethniques devinrent plus difficile à mettre en œuvre.

On peut donc dire que la démarcation entre musique noire et musique blanche acquit un nouveau sens sous la pression du black power. Par le passé—à l’époque de la race music—la séparation culturelle sur base de distinction raciale était un fait politique et économique imposé à la communauté noire par l’establishment blanc et l’industrie du disque. Les musiciens noirs ne bénéficiaient en la matière que d’un degré de liberté négligeable. Au contraire, à partir de la fin des années 1960, cette séparation put être assumée comme un choix culturel délibéré visant à affirmer une identité afro-américaine. On assista donc dans une certaine mesure à la création d’une démarcation identitaire assumée. Cependant, ce désir de distinction ethnique n’aboutit jamais à l’établissement de barrières indépassables. Une anecdote concernant la carrière de David Bowie (1947-2016) peut nous permettre de mesurer ce changement de climat culturel. En 1975, Bowie contacta à New York des musiciens noirs (le guitariste Carlos Alomar, notamment) afin d’enregistrer un nouvel album—Young Americans (1975)—composé intégralement de musique funk, le style dominant dans la scène afro-américaine de l’époque (James Brown, Isaac Hayes).

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Ce geste apparaissait comme une transgression interethnique car il intervenait, nous l’avons vu, dans un champ musical où les démarcations ethniques s’étaient durcies. Or, Bowie ne faisait par là-même que perpétuer la démarche interculturelle initiée par ses prédécesseurs—Elvis Presley, The Rolling Stones, The Animals ou même les musiciens de jazz à partir du début du 20ème siècle. De même, à toutes les époques—l’exemple du rap à partir des années 1980 le montre bien—, le public se réserva toujours la prérogative de transgresser les barrières culturelles et ethniques imposées par l’industrie du disque et parfois par les musiciens eux-mêmes.

2.6.1.1.3 Guerre Froide et Guerre du Viêt Nam

Les années 1960 représentent le cœur de la Guerre Froide—le conflit larvé opposant les Etats- Unis et l’Union Soviétique, chacun flanqués de leurs alliés respectifs (OTAN, Pacte de Varsovie). Les deux blocs étaient capables de s’anéantir mutuellement au moyen de leur arsenal thermonucléaire, ce qui incitait à une politique d’équilibre de la terreur sans affrontement généralisé. La rivalité militaire et diplomatique se doublait d’une opposition idéologique— défendre le capitalisme (le « monde libre », selon le vocabulaire des pro-atlantistes) ou propager le communisme (l’« internationale prolétarienne »). La Guerre Froide a donné lieu à un certains nombres de crises où les deux blocs s’affrontèrent face à face: la crise de Berlin de 1961 donna lieu à la construction du mur séparant les zones ouest et est de l’ancienne capitale allemande ; la crise des missiles de Cuba en 1962 mena brièvement à une situation pouvant déclencher la guerre nucléaire. Cependant, dans la plupart des cas, la Guerre Froide s’est manifestée à travers des conflits régionaux. Les belligérants impliqués dans ces affrontements étaient des pays issus du démantèlement des anciens empires coloniaux (Afrique, Asie, Moyen Orient) ou des états d’Amérique Latine. Leurs armées étaient soutenues soit par les Etats-Unis, soit par l’Union Soviétique et la Chine communiste. Donc, entre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et la chute du Mur de Berlin en 1989, tout conflit régional devenait d’une manière ou d’une autre un enjeu de la Guerre Froide.

Le conflit régional lié à la Guerre Froide le plus étendu et le plus meurtrier se déroula au Viêt Nam—la partie orientale de l’ancienne Indochine colonisée au dix-neuvième siècle par la France. La Guerre du Viêt Nam opposa les armées de la République Démocratique du Viêt Nam (le « Nord Viêt Nam » communiste) à son opposant pro-américain la République du Viêt Nam (ou « Sud Viêt Nam »). Chaque pays fut soutenu par ses alliés respectifs—d’une part l’Union Soviétique et la Chine et d’autre part les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle Zélande. La Guerre du Viêt Nam tirait son origine de la décolonisation. Dès 1945, le nord du Viêt Nam était passé sous le contrôle d’un gouvernement communiste (le « Viêt Minh ») sous l’égide du leader anticolonialiste Ho Chi Minh. Les colonisateurs français tentèrent vainement de reconquérir ce territoire durant ce que l’on appela la Première Guerre d’Indochine (1945-54). En 1954, après la défaite française, une conférence de paix entre belligérants et grandes puissances consacra la scission du Viêt Nam : le nord devenait l’état communiste de la République Démocratique du Viêt Nam avec comme capitale Hanoi et le sud la République du Viêt Nam pro-occidentale avec comme capitale Saigon. Le gouvernement du Nord Viêt Nam ne perdit cependant pas l’espoir

195 d’unifier les deux régions. Il créa un mouvement de guérilla communiste au Sud Viêt Nam—le Front National de Libération du Sud-Viêt Nam (FNL), aussi appelé Viêt Cong—chargé d’attaquer les autorités gouvernementales du Sud. Afin de contrer cette insurrection, le gouvernement du Sud Viêt Nam demanda dès la fin des années 1950 le soutien de conseillers militaires américains. En 1965, le Président américain Lyndon B. Johnson se prononça en faveur d’une escalade de l’effort militaire états-unien et décida d’envoyer au Viêt Nam des troupes d’infanterie régulière soutenues par l’armée de l’air et la marine. Le gouvernement américain craignait de voir un nombre croissant de pays d’Extrême Orient basculer vers le communisme. Cette hypothèse était surnommée la « théorie des dominos ».

L’intervention amorcée par Johnson fut le début d’un conflit ouvert long de huit ans qui mena à une défaite américaine et à l’unification du Viêt Nam sous un régime communiste. Malgré les énormes ressources militaires investies par les Etats-Unis, il s’avéra très rapidement que l’armée américaine s’était engagée dans un combat qu’elle ne pouvait gagner. Au contraire des conflits conventionnels auxquels les américains étaient habitués, la guerre du Viêt Nam était un conflit asymétrique où il était impossible d’affronter l’ennemi de manière directe et décisive. Les américains étaient réduits à se battre dans la jungle contre un mouvement de guérilla qui bénéficiait d’un vaste soutien de la population. L’administration Johnson se vit rapidement obligée de mentir au sujet de ses insuccès militaires. En 1968 déjà, les militaires et le public américains avaient été surpris de voir le Viêt Cong mener une offensive qui leur permit brièvement d’occuper Saigon avant d’être repoussés vers le nord (l’« offensive du Têt »). Simultanément, la perception négative du conflit fut alimentée par la couverture de presse, en particulier la couverture télévisuelle quotidienne. Les équipes de tournage américaines présentes au Viêt Nam bénéficiaient d’une large liberté de mouvement. De ce fait, ils et elles purent obtenir des images qui révélaient crûment la violence du conflit : bombardement des villages au napalm ; utilisation de produits défoliants toxiques pour empêcher les convois de ravitaillement du Viêt Cong de se cacher dans la jungle. La couverture journalistique démontrait aussi que les soldats américains se rendaient coupables de crimes de guerre—destruction des villages lors des missions « search and destroy » ; massacre de plus de 350 civils à My Lai. Vu l’impasse militaire, des négociations de paix furent entamées dès 1968 à Paris. Elles n’aboutirent qu’en 1973, permettant aux Américains de retirer leurs troupes. Deux ans plus tard, l’armée de la République Démocratique du Viêt Nam envahit les provinces du sud et s’empara de Saigon, qui fut rebaptisée Ho Chi Minh Ville.

L’opposition à la Guerre du Viêt Nam au sein de la jeunesse américaine se manifesta très tôt, dès l’envoi de troupes en 1965. Ces mouvements de protestation furent souvent coordonnés par des organisations étudiantes—les Students for a Democratic Society, par exemple—qui avaient également pris part à des actions en faveur des droits civils et à des manifestations d’opposition à la guerre nucléaire. Parmi les stratégies de résistance typiques de l’opposition à la Guerre du Viêt Nam, citons les « teach-ins »—des conférences improvisées sur les campus—et les actions lors desquelles les jeunes gens appelés à rejoindre l’armée brûlaient leur carte de conscription (« draft card burning »). Un très grand nombre de grandes marches et manifestations furent organisées, notamment la « Marche contre le Pentagone » [« March on the Pentagon »]. Le romancier Norman Mailer y pris part et relata cette expérience dans le roman non-fictionnel

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Armies of the Night (1968). Les jeunes américains étaient d’autant plus incités à protester contre la guerre qu’ils étaient soumis à la conscription. Un certain nombre d’entre eux émigrèrent au Canada pour échapper à l’armée. De leur côté, les jeunes afro-américains protestèrent contre la surreprésentation des noirs dans les troupes américaines au Viêt Nam.

La Convention du Parti Démocrate, organisé à Chicago en 1968, fut un des moments-clés de la campagne antimilitariste. Le Président Johnson, vu l’échec de sa politique, s’était désisté de la campagne présidentielle. Les militants du Parti Démocrate devaient donc élire un nouveau candidat (ils choisirent le vice-président Hubert Humphrey). Cette convention fut cependant troublée par les manifestations organisées par les opposants à la guerre. Leurs actions furent durement réprimées par la police locale, incitant les manifestants, sachant qu’ils étaient filmés par des équipes de télévision, à crier « [t]he whole world is watching ! ». L’évènement fut perçu à la fois comme une vitrine pour la nouvelle contre-culture et comme un traumatisme pour les progressistes traditionnels. Il révélait que la Guerre du Viêt Nam avait divisé les forces progressistes entre les centristes du Parti Démocrate, favorables à la guerre, et, d’autre part, la contre-culture. De manière ironique, les élections de 1968 furent remportées non par le Démocrate Humphrey mais par le candidat Républicain, Richard Nixon. Cet ancien vice-président d’Eisenhower s’était fait connaître au début des années 1950 pour avoir codirigé le House Un- American Activities Committee (HUAC), chargé de purger l’industrie hollywoodienne de ses membres les plus à gauche (voir 2.3.1.). Son élection à la présidence amorçait donc un mouvement de répression conservatrice (voir 2.6.1.2.3).

La musique populaire apporta une contribution déterminante au mouvement de protestation contre la guerre du Viêt Nam. Les artistes les plus explicitement hostiles au conflit furent, sans surprise, les musiciens folk, auteurs de protest songs—Joan Baez, Bob Dylan, Phil Ochs, et Barry McGuire (« Eve of Destruction » 1965). Pour les musiciens folk, l’opposition à la guerre était en parfaite continuité avec leur engagement pour les droits civils et le désarmement nucléaire. L’engagement politique des musiciens de rock et de soul fut au départ moins direct. Vers la fin de la décennie, il était cependant clair que l’opposition à la guerre du Viêt Nam avait gagné une grande majorité du public rock également. Les idéaux d’amour et de paix (« peace and love ») prônés par le mouvement hippie (le « flower power ») exprimaient le refus du militarisme (voir 2.4.1.2.3). De manière symptomatique, plusieurs artistes participant au festival de (1969)—Richie Havens, Joan Baez, , Jimi Hendrix—se prononcèrent explicitement contre la guerre. L’activisme pacifiste de John Lennon et de (« Give Peace a Chance ») allait dans la même direction. L’album What’s Going On (1971) de Marvin Gaye démontrait que l’engagement politique était devenu possible même dans le domaine très censuré de la soul commerciale. Avant Marvin Gaye, le chanteur soul Edwin Starr avait offert un des morceaux antimilitaristes les plus virulents de la décennie (« War » 1969). Enfin, la version électrique de l’hymne américain (« The Star-Spangled Banner ») interprétée par Jimi Hendrix à Woodstock est souvent considérée comme un des gestes culturels majeurs contre le militarisme des années 1960. Hendrix y imite le bruit des bombardements au moyen de la distorsion électrique et de glissades de whammy bar. Il montre ainsi à quel point les valeurs démocratique états- uniennes, dont l’hymne américain est le symbole, peuvent être infléchies et perverties.

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2.6.1.1.4 La société de consommation comme utopie et objet de contestation

Les violences politiques liées à la lutte pour les droits civils et à l’opposition à la Guerre du Viêt Nam constituent certainement la part sombre des années 1960. Il serait par contre simpliste de considérer que le développement du consumérisme fut perçu en des termes aussi unilatéralement négatifs à l’époque. Ce dernier a en effet joué pour la musique populaire un rôle de repoussoir mais aussi de catalyseur. La société de consommation incarnait pour beaucoup d’observateurs l’image même du confort, du bonheur et de la modernité. Pour d’autres—notamment pour les penseurs liés à la contre-culture, elle constituait au contraire le système économique et le discours idéologique qu’il fallait à tout prix déconstruire. Il n’a évidemment pas fallu attendre la période d’après la Deuxième Guerre Mondiale pour assister au développement d’une économie capitaliste basée sur la consommation de masse. Les prémisses de ce système remontent à la fin du dix- neuvième siècle. Sa naissance fut décrite dans des romans naturalistes tels qu’Au bonheur des dames d’Emile Zola. Au fil du 20ème siècle, le développement du consumérisme connut plusieurs périodes d’accélération : les années 1920 (les « années folles » ou les « roaring twenties ») et, comme nous l’avons vu plus haut, les années 1950 aux Etats Unis, dont l’idéologie consumériste donna naissance au rock and roll (voir 2.3.1). Il y eut également des moments de ralentissement inévitable—les deux guerres mondiales et la crise des années 1930. Les années 1960 bénéficient d’un statut privilégié dans cette évolution car elles correspondent au moment où la prospérité consumériste attint l’Europe (même si, nous l’avons remarqué plus haut, nous tendons souvent à exagérer le niveau de ce bien-être matériel supposé).

Plus fondamentalement, c’est à partir des années 1960 que la notion même de consumérisme comme phénomène de société fut popularisée. Beaucoup de commentateurs de l’époque décelèrent un véritable changement d’environnement social engendré par les valeurs consuméristes et par l’appareil économique et technologique sur lequel elles reposent. La consommation n’agissait plus uniquement comme un phénomène économique : elle créait une culture spécifique, caractérisée par une expansion spectaculaire de la publicité et de nouveaux médias (la télévision dans les années 1950-60 ; les médias électroniques et informatiques à partir des années 1980).

Parmi les signes indiquant la prise de conscience du développement d’une culture de la consommation dans les années 1960, citons notamment le fait que l’avant-garde artistique la plus caractéristique du début de la décennie, le Pop Art (Andy Warhol ; Roy Lichtenstein ; Claes Oldenburg), s’était détournée de l’art abstrait pour se consacrer à la représentation plus ou moins ironique de l’imagerie de la consommation (publicité, bande dessinée). De même, les années 1960 furent le contexte dans lequel se développèrent des réflexions théoriques extrêmement novatrices portant sur le changement culturel et social occasionné par le consumérisme. Ce discours théorique se divise entre approches utopiennes, célébrant le consumérisme et le contexte qui l’accompagne, et approches critiques qui voient dans la consommation une exacerbation de la déshumanisation capitaliste.

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Parmi les approches utopiennes, citons les écrits du sociologue canadien Marshall McLuhan. Dans The Gutenberg Galaxy (1961) et Understanding Media (1964), Marshall McLuhan suggère que les technologies de communication du capitalisme consumériste—ce qu’il fut le premier à appeler les mass media—ont la capacité de créer un environnement qualitativement différent de celui généré par la culture du texte imprimé. De manière assez utopienne mais partiellement prophétique, McLuhan décrit le développement d’une nouvelle culture de la communication orale qui créerait un village global par des moyens électroniques (pensons au développement ultérieur des téléphones portables). McLuhan pense donc qu’il est plus important de réfléchir à la nature des nouveaux supports médiatiques qu’aux messages qu’ils prétendent véhiculer (c’est le sens de sa célèbre formule « The medium is the message »). Dans la lignée de McLuhan, le futurologue américain Alvin Toffler, dans des ouvrages tels que Future Shock (1970) et The Third Wave (1980) prédit l’évolution des sociétés capitalistes vers un état « super-industriel » (ou post-industriel) libéré des contraintes déshumanisantes de l’industrie de masse. Dans le futur envisagé par Toffler, les nouvelles technologies électroniques faciliteraient le développement d’une multitude de styles de vies caractérisés par une grande fluidité et liberté.

Les penseurs qui développèrent une approche critique du consumérisme ne pouvaient évidemment par partager l’optimisme de McLuhan et Toffler. Parmi les critiques majeurs de la société de consommation, citons Herbert Marcuse, Guy Debord, et Jean Baudrillard. Dans L’homme unidimensionnel (1964), Herbert Marcuse accuse le stade avancé du capitalisme—et donc la société de consommation—de mettre sur pied des mécanismes de répression discrets mais efficaces, basés sur la capacité à créer de faux besoins. Les idées de Marcuse s’inscrivent donc dans la continuité de l’Ecole de Francfort, et en particulier de Theodor Adorno (voir VOL I : 1.3.4). Dans Le système des objets : la consommation des signes (1968) et La société de consommation (1970), Baudrillard décrit le consumérisme non seulement comme un nouvel ordre économique mais aussi comme un nouvel environnement culturel—en fait, un nouveau système de signification. Dans le consumérisme, selon Baudrillard, le sens des objets n’est plus lié à leur utilité concrète : il est entièrement construit par le discours du capitalisme, notamment par la publicité. Tout devient marchandise négociable selon la logique du marché, y compris les biens culturels. Le sujet humain n’est plus qu’un produit : il est réifié. De même, dans La société du spectacle (1969), Debord décrit le consumérisme comme un nouveau stade du capitalisme dans lequel les relations économiques et sociales sont établies principalement par le spectacle de la consommation. Ces critiques du consumérisme eurent un impact direct sur les mouvements de révolte étudiante de la fin des années 1960 (voir 2.4.1.2.2). A partir des années 1970 et 1980 elles alimentèrent aussi l’analyse critique de la culture postmoderne—un stade de développement sociétal que Baudrillard et de Fredric Jameson décrivent comme un prolongement du consumérisme des années 1960 (voir VOL I : 1.4.5.3.2).

Nous verrons plus bas que la musique rock s’est positionnée de manière assez ambigüe par rapport à la problématique du consumérisme. Dans une optique populiste et romantique, il serait agréable de croire que la musique populaire s’est intégralement ralliée aux valeurs de la contre- culture et a a véhiculé un discours unanimement contestataire vis-à-vis du marché de la culture. Un tel positionnement oppositionnel s’est manifesté, il est vrai, dans le champ de la musique folk

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(voir 2.3.2.1). La musique rock et le rhythm and blues, au contraire, ne pouvaient rompre intégralement avec les nouvelles stratégies du consumérisme. Nous verrons plus bas que L’attitude dominante prônée par la musique populaire a donc été celle d’un consumérisme alternatif—un encouragement à la consommation qui semble rompre en surface avec les normes conservatrices de l’après-guerre, mais prolonge en partie le consumérisme sous une forme nouvelle (voir 2.3.1.2.6).

2.6.1.2 La contre-culture

2.6.1.2.1 Un mouvement de contestation multiforme

Nous avons mentionné plus haut que les évènements politiques majeurs des années 1960 donnèrent naissance à des mouvements de protestation, particulièrement au sein de la jeunesse. Dans les pays anglophones, on décrit souvent les revendications politiques, sociales et culturelles de la jeunesse des années 1960 sous le terme de « contre-culture » (« counterculture »). En France, on a souvent utilisé le terme « contestation » pour désigner ce phénomène. Ces termes visent des mouvements de contestation multidimensionnels. Nous analysons ci-dessous leurs composantes principales. Notons cependant que ces différentes tendances n’étaient souvent pas mutuellement exclusives. Chaque personnalité ou chaque mouvement de l’époque s’inspiraient dans la plupart des cas de plusieurs courants. Les rubriques mentionnées ci-dessous sont donc avant tout des repères et non des catégories fermées.

2.6.1.2.2 Gauchisme et nouvelle gauche

Une partie importante de la contre-culture s’est exprimée sous la forme d’un renouveau de la gauche d’inspiration marxiste. On parle ainsi de gauchisme ou de Nouvelle Gauche (« New Left »). La situation de la gauche après la Deuxième Guerre Mondiale était assez différente en Europe et aux Etats Unis. En Europe, particulièrement en France et en Italie, les mouvements et partis communistes prosoviétiques étaient encore puissants dans les décennies d’après-guerre. Leur base de recrutement se situait en grande partie dans les milieux prolétariens (ouvriers d’usine). Leur action se déployait non seulement par des partis politiques mais aussi à travers les syndicats. Aux Etats-Unis, en revanche, après avoir connu un certain essor pendant la crise des années 1930, la gauche prolétarienne fut sévèrement malmenée par les campagnes maccarthystes des années 1950. Sa représentation syndicale était limitée. Dans les années 1960, aux Etats-Unis comme en Europe, cette ancienne gauche d’inspiration communiste fut progressivement décrédibilisée par la méfiance croissante qui se manifestait vis-à-vis de l’Union Soviétique. Les gens de gauche eux-mêmes ne pouvaient plus ignorer l’étendue de la répression stalinienne car une partie de ces atrocités avaient été révélées par les autorités soviétiques elles-mêmes après la mort de Staline en 1953. De plus, la renommée croissante des romans de l’écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne avait mis en lumière les pratiques du totalitarisme soviétique. Enfin, les troupes de l’Union Soviétiques avaient réprimé de manière violente les mouvements de réformes

200 démocratiques qui étaient apparus en Hongrie (1956) et en Tchécoslovaquie (le « Printemps de Prague », 1968). La répression du Printemps de Prague, en particulier, avait anéanti l’espoir de voir le communisme soviétique se réformer. La vieille gauche prolétarienne de tradition stalinienne fut donc concurrencée dans les années 1960 par de nouveaux courants se basant sur des sources d’inspiration légèrement différentes du marxisme prolétarien. Ces mouvements trouvaient leur source de recrutement non plus parmi des milieux ouvriers mais parmi les étudiants de la classe moyenne. Pour les Etats-Unis, particulièrement, ce phénomène marquait un renouveau important de la gauche.

Les sources d’inspiration de la Nouvelle Gauche étaient d’ordre marxiste mais favorisaient des courants et penseurs rejetés par le communisme soviétique. La Nouvelle Gauche s’inspirait notamment de Léon Trotski, l’adversaire direct de Staline, et de Mao Ze Dong, le leader communiste chinois. En plus du trotskisme et du maoïsme, les mouvements d’étudiants d’extrême gauche prenaient comme point de repère les révolutions et mouvements de guérilla d’inspiration communiste d’après-guerre. Dans cette liste, nous pouvons citer la révolution communiste chinoise (1949), y compris la très contestable Révolution Culturelle instiguée par Mao Zedong en 1966 ; la révolution cubaine (1959) menée par Fidel Castro; les mouvements de guérilla latino- américains; et les mouvements de résistance palestiniens, en particulier l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) dirigée par Yasser Arafat. On peut prendre la mesure de l’enthousiasme suscité par les révolutions issues de ce que l’on appelait à l’époque le tiers monde par le fait que Che Guevara, le compagnon de lutte de Castro, devint une icône de la culture populaire.

L’essentiel des sympathisants de la Nouvelle Gauche se recrutait dans les milieux étudiants progressistes qui avaient pu bénéficier de l’expansion de l’enseignement supérieur après la Deuxième Guerre Mondiale. Les campus devinrent des centres de mobilisation, notamment à l’occasion des mouvements de protestations contre la guerre du Viêt Nam ou des actions en faveur des droits civils. Aux Etats-Unis, ces actions politiques prirent par exemple la forme de sit-ins et de teach-ins (assemblées et cours alternatifs). Les étudiants de la Nouvelle Gauche ont donc été le noyau organisateur des grands mouvements de contestation étudiante qui ont marqué la fin des années 1960 aux Etats-Unis (campus de Berkeley), en Allemagne, et particulièrement en France lors des émeutes de mai 1968. On oublie en effet parfois que les mouvements étudiants, dont la rébellion de mai 1968 à Paris reste l’exemple le plus célèbre, avaient une forte composante gauchiste et marxiste dont l’impact s’exprimait en partie par des actions syndicales. Rétrospectivement, on a surtout retenu de cette contestation la composante écologiste et les revendications de liberté sexuelle et d’égalité du genre (voir 2.4.1.2.5). Mais à l’époque, il semblait logique de voir, par exemple, les étudiants gauchistes essayer de créer un front de solidarité avec les ouvriers d’usine. Cette composante gauchiste de la contre-culture a permis à un certain nombre de leaders progressistes de s’imposer : Rudi Dutschke en Allemagne et surtout Daniel Cohn- Bendit, leader du mouvement de mai 1968 en France. Aux Etats-Unis, les figures les plus proches du gauchisme européen se se sont manifestées au sein du groupe clandestin The Weather Underground (« The Weatherman »)—Bernardine Dohrn, John Jacobs—et parmi les militants

201 afro-américains, dans la constellation entourant les Black Panthers—Bobby Seale, Angela Davis et Eldridge Cleaver.

Rétrospectivement, le bilan de la composante marxiste et gauchiste de la contre-culture est partagé. Les actions menées contre la Guerre du Viêt Nam pour les droits civils des afro-américains étaient certainement admirables. De même, la Nouvelle Gauche marxiste a servi de soutien à des agendas politiques tels que le féminisme et l’écologie qui dépassaient son périmètre d’action et qui ont eu un retentissement plus grand que les revendications marxistes au sens strict. Enfin, la Nouvelle Gauche a fourni le contexte intellectuel qui a permis le développement des nouvelles théories de la culture—les cultural studies et le poststructuralisme—qui révolutionnèrent le champ académique de la fin du vingtième siècle (Voir Vol I).

Le versant négatif de la Nouvelle Gauche peut se mesurer par le fait que ses militants s’enthousiasmèrent pour des causes qui rétrospectivement apparaissent comme peu louables. Ils et elles encensèrent la Révolution Culturelle de Mao Ze Dong qui fit des milliers de mort et maintint la Chine dans l’obscurantisme stalinien pendant plusieurs années. Les partisans de la gauche radicale se rallièrent aussi à des régimes communistes—notamment le régime cubain de Fidel Castro—qui violèrent tout autant les droits humains que ne l’avait fait l’Union Soviétique. C’est aussi dans le sillage de la Nouvelle Gauche que se développèrent des mouvements d’action directe tels que le Weather Underground américain, la Rote Armee Fraktion en Allemagne (surnommée la « Bande à Baader »), les Brigades Rouges italiennes, Action Directe en France et les Cellules Communistes Combattantes en Belgique. Ces mouvements terroristes ne jouirent que d’un soutien négligeable de la part du groupe social—la classe ouvrière—qu’ils prétendaient défendre.

De même, d’un point de vue pragmatique, le radicalisme de la Nouvelle Gauche menait à une impasse. Selon la terminologie de Raymond Williams, la Nouvelle Gauche se profilait comme un mouvement oppositionnel (voir VOL I : 142) : son but ultime était de faire la révolution. Or, elle déclencha une réaction conservatrice de la part des groupes sociaux et institutions qui lui étaient opposés. En France, la réaction immédiate à la contestation de mai 1968 fut un regain de la coalition conservatrice gaulliste. De manière encore plus prononcée, l’activisme des années 1960 déclencha aux Etats-Unis un contrecoup politique qui porta au pouvoir une coalition conservatrice. Le président Républicain Richard Nixon, élu après la déroute des Démocrates en 1968, mit sur pied un programme de répression policière baptisé COINTELPRO qui prit comme cible, sous couvert de la lutte contre la drogue, les différentes composantes politiques de la contre-culture. En 1972, Nixon fut réélu par un raz-de-marée électoral face au candidat de la gauche Démocrate George McGovern. Cette défaite cuisante démocrate confirmait l’insuccès des politiques de gauche auprès et de la contre-culture auprès de la majorité des électeurs américains.

La militance de la Nouvelle Gauche, malgré sa très grande visibilité médiatique, fut le versant de la contre-culture avec laquelle la musique rock entretint les liens les plus indirects. Il est vrai que, de manière ironique, le groupe de militants d’action directe américain The

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Weatherman tirait son nom d’une formule apparaissant dans « Subterranean Homesick Blues », un morceau de Bob Dylan (Bringing It All Back Home 1965). Cependant, ni Dylan ni aucun des musiciens majeurs des années 1960 n’apporta un soutien durable à la Nouvelle Gauche marxiste. Certaines des figures les plus engagées de la scène musicale—John Lennon et Yoko Ono—se sont clairement prononcées en faveur de la non-violence et se sont donc distanciées de l’action directe des militants gauchistes. C’est le thème de « Revolution », un morceau des Beatles composé par Lennon (1968). De même, « Street Fighting Man » des Rolling Stones (1968), malgré son titre, prend une distance ironique par rapport à la violence politique : sans grande surprise, il propose le rock and roll et non le militantisme comme projet de vie. Mick Jagger a confié également que les paroles de « Gimme Shelter » (Let It Bleed 1969) exprimaient son désenchantement vis-à-vis de la violence de la décennie presque écoulée. L’auteur compositeur Don McLean décrit les sources d’inspiration de son grand succès « American Pie » (1971) dans des termes presque identiques. Il eût d’ailleurs été assez illogique de voir des musiciens dont les revenus provenaient d’un système de vedettariat capitaliste professer un engagement politique d’ordre marxiste.

2.6.1.2.3 Le mouvement hippie : le pastoralisme anti-consumériste

Si la Nouvelle Gauche n’eut que des rapports indirects avec la scène musicale de la deuxième moitié des années 1960, le mouvement hippie en constitua au contraire une des composantes centrales. Ce mouvement se déploya à partir de 1965 jusqu’au milieu des années 1970. Certains de ses jalons les plus marquants sont des évènements musicaux, notamment les festivals de Monterey (1967), Woodstock (1969) et, de manière tragique, Altamont (1969). Woodstock représente l’apogée du mouvement : les fans de rock s’en souviennent comme une d’utopie libertaire et communautariste qui rassembla plusieurs centaines de milliers de personnes l’espace de quelques jours. Le moment d’émergence du mouvement eut lieu deux ans plus tôt, en 1967, pendant les quelques mois du Summer of Love. En cette période des dizaines de milliers de jeunes hippies convergèrent vers San Francisco. Au-delà de la musique, le mouvement hippie se fit connaître par son style vestimentaire (cheveux longs pour les hommes et les femmes, vêtements rappelant les Amérindiens, revendication de la nudité), par ses symboles visuels (le Peace sign, les fleurs comme emblème de la non-violence), par sa prédilection pour le mode de vie communautaire, par son rejet du consumérisme, par son enthousiasme pour les drogues psychédéliques et par l’adoption d’une sexualité libérée. Ce mouvement était au départ un phénomène essentiellement américain et, plus précisément, une culture issue de la côte ouest des Etats-Unis. Il trouva rapidement un écho en Grande Bretagne où il put fusionner avec les pratiques et styles visuels du Swinging London avant de se répandre en Europe continentale.

Le mouvement hippie s’est structuré comme une constellation décentralisée, dépourvue de leaders officiels. Certaines personnalités que l’on pourrait qualifier de proto-hippies lui ont cependant servi de précurseurs immédiats. Dès le début des années 1960, l’écrivain Ken Kesey et ses compagnons, les Merry Pranksters adoptèrent un mode de vie itinérant et prônèrent l’utilisation des drogues hallucinogènes. A la même époque, le psychologue Timothy Leary

203 pratiqua des expériences sur les drogues psychédéliques à l’université de Harvard et en fit l’apologie (voir 2.4.1.2). En 1965, Chandler A. Laughlin III rassembla une communauté proto- hippie—The Red Dog Experience—dans un saloon de Virginia City, Nevada, et y organisa les premiers concerts de rock psychédélique. Ces proto-hippies s’inscrivaient dans la continuité du mouvement Beat—l’avant-garde contre-culturelle des années 1950 (voir plus bas). Au-delà de ces quelques figures notables, les valeurs du mouvement hippie furent disséminées par de multiples acteurs, en particulier les musiciens rock eux-mêmes—The Beatles (particulièrement John Lennon et George Harrison), Jimi Hendrix, The Jefferson Airplane, The Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service, Janis Joplin, Big Brother and the Holding Company, ou Crosby, Stills, Nash, and Young.

Le mouvement hippie est aussi associé aux lieux où il s’est développé dans sa phase initiale. Le quartier de Haight-Ashbury à San Francisco fut le pivot du Summer of Love. Certaines universités, notamment le campus de Berkeley de la University of California, jouèrent un rôle comparable. L’Etat de Californie dans son ensemble devint lui-même devint le symbole du nouveau mode de vie et fut à ce titre célébré dans de nombreuses chansons—« California Dreamin’ » par The Mamas and The Papas (1965), « San Francisco (Be Sure to Wear Flower in Your Hair ») par Scott McKenzie (1967), « Going to California » de Led Zeppelin (1971).

De plus, certaines sources en apparence périphériques par rapport au mouvement ont permis de propager ses valeurs auprès du grand public C’est le cas des comédies musicales comme Hair : The American Tribal Love-Rock Musical (1967) ou Jesus Christ Superstar (1970) et des films comme Easy Rider (1969) et Woodstock (1970), ce dernier consacré au festival du même nom. Easy Rider fait partie du genre cinématographique qui exprimait les aspirations de la contre- culture—les road movies. Ces films—Zabriskie Point (1970), Two-Lane Blacktop (1971), Vanishing Point (1971)—décrivent des protagonistes qui se lancent dans une errance volontaire et souvent suicidaire, en rupture avec la conformité et le matérialisme. Ils sont donc proches de l’esprit du mouvement hippie mais ils en retiennent surtout la composante libertaire et individualiste et non l’esprit de solidarité communautaire.

L’idéal des hippies correspond à la définition de ce que Raymond Williams appelle une pratique alternative (voir VOL I : 1.4.5.1) : au contraire de la Nouvelle Gauche, les hippies ne cherchaient pas à renverser l’ordre établi de manière violente. Ils et elles désiraient plutôt créer un espace de vie existant en parallèle avec le monde de la conformité. Les hippies pensaient pouvoir basculer vers cet espace de liberté par un simple choix de mode de vie. Cette aspiration alternative s’exprime dans un des slogans hippie les plus connus—« Turn on, tune in, drop out ». Cette formule, popularisée par Timothy Leary, nous incite à nous brancher sur la nouvelle culture et abandonner les institutions de la conformité (école, travail, armée). De même, le slogan « Peace and Love », symbolisé par le Peace sign, indique que ce changement devrait se faire par des voies pacifiques. C’est aussi pour cette raison que le mouvement hippie fut surnommé le flower power— le pouvoir des fleurs, symboles de douceur—, ce qui le distinguait du black power, plus activiste. Une variante politisée du mouvement hippie, les yippies (The Youth International Party) apparut en 1967. Ses membres—, Anita Hoffman, Jerry Rubin—désiraient pratiquer

204 une action politique par des stratégies de dérision absurdiste : essayer de faire léviter le Pentagone (le bâtiment du Ministère de la Défense), inscrire un cochon comme candidat à l’élection présidentielle .... Ils se positionnaient donc à mi-chemin entre la non-violence hippie et les stratégies d’action directe du Weather Underground.

Le mouvement hippie s’est distingué de tous les courants de la jeunesse des années 1960 par son orientation communautariste et pastoraliste. Dans son expression la plus radicale, l’idéal des hippies spécifiait que la résistance à la société de consommation devait mener à un retour à la terre—à la création de communautés de fermiers libertaires. De nombreuses communautés hippies furent créées aux Etats-Unis et en Europe, rassemblant des centaines de milliers de participants. Parmi les plus connues et les plus durables, on peut citer « Strawberry Fields » (un nom inspiré du célèbre morceau des Beatles), créée par Gridley Wright en Californie, et « The Farm », fondée par Stephen Gaskin et Ina May Gaskin dans le Tennessee.

Le pastoralisme hippie s’inscrit dans une tradition philosophique qui remonte au (pré)romantisme de la fin du 18ème siècle—notamment à Jean-Jacques Rousseau et au poète anglais William Wordsworth. La célébration de la nature comme source d’authenticité et de spiritualité fut un thème particulièrement important pour le romantisme en général et pour la culture américaine en particulier. Aux Etats-Unis, cette thématique eut une dimension littéraire— la poésie de Walt Whitman au milieu du 19ème siècle—mais aussi politique. Les Etats-Unis du 19ème siècle se décrivaient comme une république à vocation agraire. C’est le sens de l’idéal politique du Président Thomas Jefferson, un des fondateurs des Etats-Unis. Dans l’optique de Jefferson, seul le mode de vie agraire peut garantir la liberté, l’égalité et la vertu citoyenne. A partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, l’idéal jeffersonien de la République agraire fut approprié par des penseurs et des écrivains qui s’opposaient à l’industrialisation et l’urbanisation galopante des Etats Unis. Henry David Thoreau, dans Walden, or Life in the Woods (1854), prône le retrait vers la nature car cette dernière offre un mode de vie simple et rationnel ainsi que la plénitude spirituelle. Thoreau est aussi un théoricien de la désobéissance civile (Resistance to Civil Government 1849). A ces deux titres, il se profile comme une source d’inspiration importante pour la contre-culture des années 1960.

Vu le caractère apparemment irréversible de l’urbanisation et de l’industrialisation des Etats- Unis à partir de la fin du 19ème siècle, le rêve de Thoreau était voué à l’échec. Au 20ème siècle, le pastoralisme américain ne disparut pas, mais il prit un tour nostalgique. Un des thèmes majeurs de la littérature américaine du 20ème siècle fut la perte de la possibilité de se régénérer dans la nature— un sentiment que le critique Jacques Cabau résume par la formule très parlante de la « prairie perdue ». Le pastoralisme romantique fut un des thèmes majeurs de certains écrivains de la Beat Generation des années 1950—le poète Allen Ginsberg et le romancier Jack Kerouac, particulièrement. Ces auteurs ont été à la fois par leurs écrits et leur mode de vie les précurseurs immédiats des hippies. Ginsberg prit d’ailleurs part à la contre-culture des années 1960 et devint l’ami de Bob Dylan. Dans son poème « A Supermarket in California » (1955), Ginsberg suggère que le romantisme de la nature, incarné par la figure de Walt Whitman, pourrait encore servir de pensée de résistance face à une société intégralement matérialiste. Dans son célèbre roman

205 autobiographique On the Road (1957), Kerouac est mû par le désir de se lancer dans une vie errante, à la recherche de lieux qui échappent à l’empreinte de la consommation et du puritanisme. Les thématiques d’On the Road sont à l’origine des road movies. Les protagonistes de ces films sont comparables aux « clochard célestes » décrits par Kerouac. Ils sont des vagabonds modernes en quête de spiritualité et perpétuent donc la thématique de la prairie perdue et du mouvement Beat.

On peut reprocher au pastoralisme hippie son côté utopiste ainsi que son inapplicabilité à des sociétés complexes. L’utopie du vivre ensemble qui semblait avoir pris forme lors du Summer of Love et du festival de Woodstock ne put en effet servir de modèle durable. Dès la fin des années 1960, plusieurs événements révélèrent que l’angélisme apparent des hippies pouvait cacher un fond de violence. En décembre 1969, quelques mois après Woodstock, les Rolling Stones et plusieurs autres groupes et artistes (The Jefferson Airplane, Tina Turner, The Grateful Dead) avaient prévu d’organiser un festival gratuit dans la région de San Francisco. Mis sur pied de manière hâtive—le site du circuit automobile d’Altamont fut choisi à la dernière minute—, le concert tourna au désastre. Il fut le théâtre d’un meurtre, de plusieurs morts accidentelles et de nombreuses violences infligées en grande partie par les Hells Angels, un groupe de motards fascisants chargé du service d’ordre. Altamont en vint donc à incarner la réfutation de l’esprit de Woodstock. La même année, les meurtres en série commis par Charles Manson et ses acolytes révélèrent que des personnes adhérant à un mode de vie communautariste inspiré des hippies pouvaient sombrer dans la violence psychotique. Manson était le leader d’une communauté sectaire surnommée The Manson family. Il prônait des théories apocalyptiques inspirées d’un morceau des Beatles intitulé « Helter Skelter » (1968). La secte de Manson fit au moins neuf victimes, la plus célèbre d’entre elles étant l’actrice Sharon Tate, compagne du réalisateur Roman Polanski.

L’héritage du mouvement hippie ne se résume évidemment pas à ces moments de violence. L’apport le plus durable de la contre-culture pastoraliste fut sans conteste le développement d’une conscience écologique et l’élaboration de politiques visant à la protection de l’environnement. La thématique environnementale était presque inexistante sur la scène politique des années 1950 et du début des années 1960. Le développement technologique et consumériste tenait lieu de projet de société en apparence incontestable. Seuls quelques penseurs isolés, ainsi que la tradition littéraire évoquée ci-dessus, se préoccupaient de l’impact de la technologie sur l’environnement. La contre-culture hippie donna à cette thématique un écho dont elle n’avait jamais bénéficié auparavant. Les préoccupations écologiques devinrent un enjeu explicite dès le début des années 1970, après la crise du pétrole de 1973. A ce moment, il devint clair que le consumérisme techno- centré contre lequel le mouvement Beat et la contre-culture hippie s’étaient mobilisés ne pouvaient plus constituer un projet d’avenir soutenable. Après le déclin du mouvement hippie au début des années 1970, une partie importante de ses membres s’engagèrent donc dans la militance environnementale.

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2.6.1.2.4 Le psychédélisme : la culture de la drogue comme utopie contestataire

La célébration de la consommation de drogue est sans doute un des aspects de la contre-culture et du mouvement hippie les plus délicats à évoquer aujourd’hui tant les conséquences négatives de l’abus des stupéfiants, à la fois d’un point de vue médical et social sont devenues évidentes. Il est néanmoins indispensable de souligner le fait que les hippies voyaient dans les drogues, en particulier les hallucinogènes comme le LSD, un moyen d’expansion de l’esprit. Les drogues, dans cette optique, possédaient un potentiel psychédélique : On leur attribuait la capacité d’ouvrir la voie à des expériences de l’ordre de l’illumination mystique. Elles servaient par là-même de catalyseur à la création artistique—un rôle dont le développement de la musique psychédélique semblait fournir la preuve.

Le psychédélisme de la contre-culture doit être contextualisé dans le cadre d’une histoire sociale de l’utilisation des stupéfiants dont les détails sont parfois paradoxaux. Dans les pays industrialisés d’avant les années 1960, la consommation de drogues dures (cocaïne, opiacés) ou même de drogues douces (marijuana) était cantonnée à des groupes très circonscrits—des milieux proches de la délinquance ou encore certaines catégories d’artistes comme les musiciens de jazz. Les réseaux de production et de distribution de stupéfiants étaient peu développés. Dans ce contexte, la contre-culture joua donc le rôle sans doute peu enviable de démultiplicateur de l’addiction. Mentionnons cependant qu’à la même époque, l’économie de la drogue obéissait aussi à des dynamiques sociales beaucoup plus puissantes que la seule culture du psychédélisme. Alors que les consommateurs de drogues de la contre-culture étaient en majorité des jeunes de la classe moyenne, la majorité des victimes d’addiction se comptèrent parmi les membres de groupes sociaux défavorisés. La ségrégation sociale et ethnique dans les grandes villes américaines créa en effet un dispositif social et culturel en vertu duquel l’addiction renforçait la pauvreté et la criminalité. Simultanément, un système économique illégal de production et de distribution de drogue se mit en place avec des conséquences catastrophiques non seulement pour les consommateurs—en majorité les habitants des quartiers urbains paupérisés (les « inner cities »)— et pour les pays producteurs soumis à la tyrannie des cartels.

En revanche, on peut s’étonner de voir que cette économie de la drogue concerne des substances qui étaient parfois commercialisées librement par le passé. C’était le cas de la cocaïne et des opiacés au 19ème siècle et, avant 1965, du LSD, un hallucinogène de synthèse. Il faut aussi tenir compte dans ce domaine d’une forte variabilité culturelle selon les différentes régions du monde. Des substances considérées comme des drogues illégales dans certains pays font partie des pratiques culturelles quotidiennes d’autres contrées (culture de la marijuana en Jamaïque ; utilisation chamanique des stupéfiants chez les peuples premiers). Enfin, les pays industrialisés n’interdisent pas la vente d’alcool alors que les conséquences de l’addiction alcoolique aigüe sont comparables à celles des drogues dites dures.

Les remarques précédentes suggèrent que la prohibition des stupéfiants—et par conséquent l’aura de transgression dont ils jouissent—n’a jamais été uniquement motivée par des considérations de santé publique, même si le danger médical que ces substances représentent est

207 indéniable. Les drogues sont l’objet d’un interdit construit au fil de l’histoire et de la culture. Dans les pays industrialisés, leur interdiction est ancrée d’une part dans la nécessité de maintenir une éthique du travail et, d’autre part, par le développement d’une vision du monde centrée sur le concept de rationalité et de responsabilité. L’expérience de la drogue semble en effet diamétralement opposée aux valeurs de disciplines requises par le marché du travail. A cet égard, la perspective d’une consommation de drogue à grande échelle a pu être perçue par les autorités et les employeurs moins comme une menace morale que comme une menace économique. De manière similaire, la consommation d’alcool a régulièrement été combattue au nom de la productivité : le constructeur automobile Henry Ford interdisait toute boisson alcoolisée à ses ouvriers. Mais la consommation d’alcool en Europe et aux Etats-Unis était trop profondément ancrée dans l’histoire et la culture pour être l’objet d’une prohibition totale. L’expérience désastreuse de la Prohibition aux Etats-Unis dans les années 1920 le prouva amplement. Les stupéfiants, au contraire, pouvaient plus facilement être démonisés car ils se profilaient comme une menace étrangère à la culture euro-américaine : ils provenaient pour la plupart (marijuana, opiacés) de pays perçus comme les marges des empires coloniaux européens—un monde de perversions exotiques.

Dans une perspective plus générale, l’expérience de dérèglement sensoriel et comportemental causée par les stupéfiants semble remettre en question des valeurs philosophiques qui mettent en avant la rationalité et la logique. C’est précisément parce que les stupéfiants et les hallucinogènes semblaient offrir un plaisir diamétralement opposé à l’éthique du travail et à la discipline intellectuelle du rationalisme qu’ils semblaient pouvoir servir d’outil à des artistes ou penseurs affirmant que des dispositifs coercitifs ont été instaurés au nom de la raison. C’est ainsi que ces substances ont pu être perçues comme un véhicule d’émancipation par les membres de la contre-culture. Les hippies espéraient atteindre au moyen des hallucinogènes une révolution psychologique et existentielle qui aurait permis de manière spontanée de créer une société libérée de tout interdit aliénant. A partir de la fin des années 1950, les bases de cette utopie psychédélique furent formulées sous le couvert d’un discours scientifique par Timothy Leary. Ce psychologue de Harvard menait des recherches visant à soigner des affections psychiatriques grâce à la consommation de substances psychédéliques—la psilocybine et le LSD. Il en conclut que l’impact de la consommation de ces substances dépassait la médecine et pouvait servir de base à un projet d’émancipation existentielle—une thèse à laquelle se rallia notamment le poète beat Allen Ginsberg. L’impact de Leary sur la contre-culture fut énorme. En revanche, ses expériences justifièrent son renvoi de Harvard et lui causèrent d’innombrables problèmes judiciaires.

L’utopie psychédélique défendue par Leary a eu d’autant plus de retentissement qu’elle s’inscrivait dans une tradition pré-psychédélique déjà établie en littérature—une thématique dont le mouvement hippie se fit la caisse de résonance. Au début du 19ème siècle, l’écrivain anglais Thomas De Quincey publia Confessions of an English Opium-Eater (1821), un ouvrage dans lequel il décrit en termes partiellement positifs les effets de son addiction à l’opium. Dans la tradition esquissée par De Quincey, la consommation de stupéfiant fut considérée par certains membres des avant-gardes issues du romantisme (Symbolisme, Modernisme) comme un adjuvant de la création artistique. La drogue devint une composante de l’habitus des « artistes maudits ».

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Le poète français Arthur Rimbaud, idole littéraire de la chanteuse rock Patti Smith, avait la réputation d’être un consommateur d’absinthe et d’opium. Le pionnier du théâtre moderniste Antonin Artaud fit part de son expérience de la mescaline dans un essai intitulé Les Tarahumaras (The Peyote Dance 1947). De même, dans The Doors of Perception (1954), le romancier anglais Aldous Huxley décrivit sa propre expérience de la mescaline en des termes qui anticipent directement le psychédélisme de la scène rock. Selon Huxley, la drogue permet de se libérer des perceptions inessentielles et d’accéder à un niveau spirituel supérieur—«The Mind at Large ». De manière symptomatique, les musiciens du groupe rock The Doors se sont inspirés du titre de Huxley pour baptiser leur formation. On discerne chez Artaud et Huxley une association d’idée qui devint un élément central du psychédélisme hippie. Selon eux, les stupéfiants ont un pouvoir émancipateur d’autant plus puissant qu’ils appartiennent au mode de vie et à la spiritualité chamanistique des civilisations extra-européennes et des peuples premiers. Cette idée est aussi le thème central de The Teachings of Juan : A Yaqui Way to Knowledge (1968), publié par l’anthropologue américain Carlos Castañeda. Dans un récit présenté comme autobiographique, ce dernier raconte l’initiation chamanistique dont il a bénéficié sous la guidance d’un « Homme de Savoir » perpétuant les traditions des peuples amérindiens du Mexique. Castaneda devint ainsi un point de référence incontournable pour les défenseurs du psychédélisme. Le mouvement fut aussi profondément influencé par les romans partiellement autobiographiques de William Burroughs (1914-97)—Naked Lunch (1959), The Soft Machine (1961), Nova Express (1964). Burroughs, un membre du mouvement Beat, essayait de reproduire l’expérience de la drogue par une technique de fragmentation textuelle—la cut-up technique. L’attitude de Burroughs vis-à-vis de la drogue est cependant moins utopienne que celle de Huxley et de Castaneda. Burroughs considère l’addiction comme un système de contrôle et donc comme un fardeau.23

Au-delà de la littérature, l’expérience psychédélique devint une source d’inspiration pour l’ensemble de la culture populaire de la deuxième moitié des années 1960. La musique électrique joua un rôle central dans cette évolution : elle avait la capacité d’imiter l’expérience psychédélique par l’utilisation d’effets sonores tels que la distorsion électronique, l’écho, la réverbération, les pédales d’effets pour guitares (wah wah pedal, fuzz box) et les effets de studios (jeu sur les boucles de bandes magnétiques, enregistrement multipiste). Les arts graphiques (pochettes de disques, affiches) et la mode vestimentaire essayèrent d’obtenir un résultat comparable par l’élaboration de designs sinueux, complexes et colorés (les vêtements du London Look et du Swinging London) ou, en photographie, par l’utilisation de pellicule solarisée (les célèbres portraits des Beatles réalisés par Richard Avedon en 1968). Cette ambiance graphique domina les dernières années de la décennie. Le cinéma joua quant à lui un rôle plus limité. Notons cependant la longue séquence psychédélique qui apparaît vers la fin de 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick (1968) ainsi que les scènes de trip dans The Girl on a Motorcycle (1968) de Jack Cardiff.

23 Ironiquement, de nombreuses expressions—noms de groupes (The Soft Machine) ou de genres musicaux (heavy metal)—sont empruntés aux écrits de Burroughs, ce qui suggère que les acteurs de la culture rock n’avaient pas toujours conscience de la dimension désabusée de l’œuvre de Burroughs.

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2.6.1.2.5 Révolution sexuelle, féminisme et gay rights

Les revendications émises par les hippies concernant la liberté sexuelle furent considérée comme tout aussi scandaleuses que leur rapport à la drogue. Nous verrons plus bas que ce programme s’inscrit dans une histoire qui traverse tout le vingtième siècle. Cependant, dans le contexte immédiat de l’après-guerre, ce que l’on a appelé la révolution sexuelle des années 1960 tirait une grande partie de son impact d’un sentiment d’extrême nouveauté : elle semblait se démarquer de manière abrupte de l’atmosphère de puritanisme qui avait caractérisé les années 1950 aux Etats- Unis (voir 2.1.1).

Ce qui fut présenté comme une révolution des mœurs s’est déployé selon plusieurs axes—à un niveau légal et médical, dans l’organisation de la vie quotidienne, dans le domaine de l’idéologie et sur le plan économique. Au niveau légal et médical, un des facteurs les plus décisifs fut l’invention et la commercialisation des pilules contraceptives. Celles-ci furent légalisées en 1960 aux Etats-Unis et à partir de 1967 en France. L’impact direct de ces nouveaux produits a été de faciliter une pratique aujourd’hui banale et presque universellement acceptée—les rapports sexuels avant ou en dehors du mariage. L’idéologie des hippies en matière de sexualité allait évidemment beaucoup plus loin que ce changement d’ordre pharmaceutique. L’idéal communautariste du flower power visait à établir des communes régies par un système d’amour libre. Ceci impliquait donc la possibilité d’entretenir des relations multiples, y compris dans des configurations comparables à la polygamie. Bien sûr, alors que la majeure partie de la jeunesse des années 1960 bénéficia des changements rendus possibles par la contraception, seulement une minorité s’engagea dans le radicalisme libidinal de l’utopie hippie.

L’idéal de libération du désir revendiqué par le flower power s’appuyait sur une tradition culturelle remontant au romantisme et dont l’évolution structura toute l’histoire culturelle des dix- neuvième et vingtième siècles. Pendant tout cette période, des artistes et écrivains défièrent les règles de censure qui pesaient sur la représentation de la sexualité en littérature et dans les arts graphiques. Leurs efforts donnèrent lieu à de nombreux procès de censure visant des œuvres célèbres telles que Les fleurs du mal de Charles Baudelaire, Madame Bovary de Gustave Flaubert, Ulysses de James Joyce (1922), Lady Chatterley’s Lover de D. H. Lawrence, ou Tropic of Cancer de Henry Miller. Dans le contexte du modernisme des années 1920, des milieux artistiques comme The Bloomsbury Group—le cercle d’intellectuels, peintres et écrivains dans lequel évoluait la romancière anglaise Virginia Woolf—revendiquaient un programme de liberté sexuelle qui incluait une défense de l’homosexualité. Ces opinions furent relayées par les artistes et intellectuels de Saint-Germain des Prés dans le Paris de l’après-guerre et par le mouvement Beat des années 1950 De telles idées bénéficiaient aussi de l’appui de la psychanalyse (Sigmund Freud, Carl Jung). Cette discipline dépeint en effet la sexualité comme une fonction fondamentale de la personnalité humaine et non comme un domaine tabou. Il est donc logique que, dans les années 1960, certaines des théories les plus libertaires en matière de sexualité furent disséminées ou élaborées par des penseurs qui s’inspiraient de la psychanalyse—Wilhelm Reich, Herbert Marcuse, Gilles Deleuze et Félix Guattari.

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Il existe bien un lien entre la révolution sexuelle et, d’autre part, le féminisme et les gay rights mais il serait fallacieux d’assimiler ces mouvements de manière simpliste. Le féminisme et les gay rights sont des mouvements dont le domaine d’action est en grande partie juridique et politique. Ils visent à l’égalité entre les genres, notamment dans des domaines tels que le droit de vote et les droits civils. Ils ont donc une histoire en partie distincte de celle de la libération libidinale. Aux Etats-Unis comme en Europe, l’histoire des mouvements féministes remonte au moins jusqu’au dix-neuvième siècle. Certaines victoires juridiques essentielles—le droit de vote pour les femmes—furent engrangées dans de nombreux pays avant la Deuxième Guerre Mondiale.

Le contexte de l’après-guerre et des années 1950 donna un élan nouveau au féminisme. En Europe, un jalon important fut la publication du Deuxième Sexe par Simone de Beauvoir (1949), un ouvrage dans lequel la philosophe décrit l’identité féminine comme un produit de l’histoire et de la culture et non comme un état ancré de manière immuable dans la nature. Aux Etats Unis, le féminisme connut un nouvel élan vers la fin des années 1950. A cette époque, le statut des femmes de la classe moyenne et moyenne supérieure était paradoxal. Beaucoup d’entre elles avaient pu bénéficier d’une éducation universitaire. Cependant, les normes sociales voulaient qu’elles restent cantonnées au rôle de mère et de femme au foyer, notamment dans les tous nouveaux faubourgs (suburbs) construits en partie pour accueillir les soldats à leur retour de la Deuxième Guerre Mondiale. (Cette configuration culturelle est fidèlement décrite dans les premières saisons de la série télévisée Mad Men ou dans la série Masters of Sex). En 1963, Betty Friedan publia The Feminine Mystique, un ouvrage qui dénonçait cette situation d’inégalité et d’enfermement. L’essai de Friedan eut un impact considérable. Il fut suivi par d’autres ouvrages du même type, notamment The Female Eunuch (1970) dans lequel l’écrivaine australienne Germaine Greer affirme le droit au désir et déconstruit les stéréotypes de la féminité construits par la culture populaire.

Dans les pays industrialisés, les grandes causes du féminisme dans les années 1960 et 1970 furent la lutte pour le droit à l’avortement (obtenu aux Etats-Unis en 1973 en vertu de l’arrêt de la Cour Suprême Fedérale Roe v. Wade) et les progrès dans l’accès des femmes aux postes de direction (la lutte contre le glass ceiling, le « plafond de verre »). A la fin des années 1970, le féminisme américain connut une défaite symbolique lorsque les états américains refusèrent de ratifier l’Equal Rights Amendment (ERA)—un amendement à la constitution fédérale qui aurait garanti l’égalité entre les genres. Cette défaite, causée notamment par la mobilisation d’organisations féminines conservatrices, était symptomatique du virage à droite amorcé par toute la scène politique américaine au tournant des années 1980. Elle marque donc l’essoufflement de l’élan politique initial de la contre-culture. En revanche, le féminisme parvint à se développer en tant que discipline académique grâce à la création de programmes de women’s studies et de gender studies dans de nombreuses universités.

En raison des tabous très stricts pesant sur l’homosexualité et les identités transgenres, les mouvements visant à garantir les droits juridiques des homosexuels (et plus généralement de la communauté LGBT—lesbian, gay, bi, and trans) se développèrent plus tard que le féminisme.

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Avant les années 1960, il existait bien des mouvements culturels, des personnalités ou des courants littéraires liés à l’homosexualité—le cercle de dandys entourant le poète et dramaturge Oscar Wilde (1854-1900) à la fin du 19ème siècle, par exemple, ou encore l’œuvre d’André Gide (1869- 1951). Mais ces mouvements étaient condamnés à maintenir une très grande discrétion. Plusieurs précurseurs de la contre-culture—Allen Ginsberg, William Burroughs—étaient homosexuels ou bisexuels mais cet aspect de leur personnalité n’était pas à l’époque considéré comme le pivot de leur réputation littéraire. Les premières revendications politiques explicites visant l’émancipation des LGBT eurent lieu aux Etats-Unis en 1969 lors des Stonewall Riots—des émeutes déclenchées en protestation à des raids de police visant le Stonewall Inn, un bar gay de New York. Des manifestations semblables eurent lieu à Paris dans la foulée de la contestation étudiante de mai 1968. Ces événements marquèrent le début d’un chemin d’émancipation dont les étapes se déploient encore au début du 21ème siècle—en particulier en ce qui concerne le droit au mariage gay et à l’adoption. Tout comme pour le féminisme, les revendications LBGT bénéficient aujourd’hui du soutien de programmes universitaires et de recherche académique dans les domaines des gender studies et des queer studies. Nous verrons aussi plus bas que le programme d’émancipation de la communauté LGBT est peut-être l’agenda politique qui a le plus efficacement pu s’appuyer sur l’évolution de la musique populaire. En effet, la culture LGBT s’exprime en grande partie par des performances subversives et elle a donc trouvé un mode d’expression dans différents courants musicaux basés sur des mécanismes comparables.

Au total, la contre-culture musicale a tenu vis-à-vis des revendications d’émancipation libidinale un rôle du même ordre que celui qu’a joué le rock and roll des années 1950 dans la lutte pour les droits civils : il existe entre musique et mouvement politique un lien significatif mais indirect (voir 2.1.3.4.3). La musique rock a de manière évidente fait de l’expression du désir une de ses priorités. Cependant, comme nous l’avons signalé précédemment, le désir qui a ainsi trouvé un canal d’expression était très majoritairement masculin (voir 2.3.3.1). Nous reviendrons plus en détail dans un chapitre ultérieur sur la construction de la masculinité en musique rock classique (classic rock). A ce stade, notons que le rock des années 1960 et 1970 n’a pu servir que de force d’appoint pour le féminisme. Un nombre limité de musiciennes—Janis Joplin, Grace Slick (Jefferson Aiplane), Tina Turner, Patti Smith—ont bénéficié du statut de rock star. Un nombre plus important de figures féminines ont pu déployer leur activité en marge du noyau central de la musique rock, en tant que compositrices-interprètes proches de la folk music (Joan Baez, Joni Mitchell, Carly Simon) ou encore en tant que photographes (Annie Leibovitz, Lynn Goldsmith) et journalistes (Lillian Roxon, Ellen Willis, Ann Powers). Pour le reste, toute approche féministe qui cherchait à s’inspirer de l’esprit du rock des années 1960 et 1970 devait accepter de s’identifier à une conception masculine du désir. En revanche, comme nous l’indiquons ci-dessus, plusieurs courants musicaux apparus à partir du début des années 1970—le glam rock, le disco, les New Romantics des années 1980—ont propagés des styles visuels et des pratiques de performance compatibles avec la culture LGBT. Ce geste n’aurait sans doute pu être possible sans l’élan initial de la contre-culture des années 1960.

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2.6.1.2.6 La culture rock comme consumérisme alternatif

Vu le caractère utopien des aspirations de la contre-culture, il n’est pas surprenant de voir que ce mouvement n’a pas pu atteindre tous les buts qu’il s’était assigné. De même, il est logique que la musique populaire, qui restait tributaire d’un mode de production capitaliste, n’ait pu intégralement suivre la contre-culture dans son élan politique. D’un côté, la musique de la deuxième moitié des années 1960 servit bien de porte-parole à différentes branches de la contre- culture. Plus précisément, elle permit de créer le territoire, à la fois physique (festivals, clubs) et symbolique sur lequel ces pratiques contre-culturelles ont pu se déployer. De ce point de vue, le rock progressif psychédélique se différenciait clairement de la génération des années 1950 qui, nous l’avons vu, exprimait sa rébellion par un désir de consumérisme sans états d’âme (voir 2.3.3.3). Mais simultanément, la nature du public du rock et rhythm and blues dans les années 1960 et au-delà, la technologie musicale que ces musiques mettaient en œuvre, leurs moyens de promotion et de diffusion ne leur permettaient pas de faire l’apologie d’une opposition politique radicale sans tomber dans l’hypocrisie.

Dans les faits, la musique associée à la contre-culture n’a donc pas provoqué de véritable révolution mais bien une reconfiguration partielle du champ social. C’est d’ailleurs ce positionnement oblique de la culture populaire des années 1960 qui a incité les théoriciens des cultural studies à développer un modèle d’analyse qui tienne compte non seulement de sa dimension émancipatrice mais aussi de sa capacité à maintenir et reproduire les idéologies préexistantes. En pratique, la musique des années 1960 a, sur le plan artistique, donné lieu à l’éclosion d’un mouvement moderniste au sein même de la culture populaire et de la culture de masse : elle a créé une avant-garde populaire. Ce terme implique qu’à défaut d’une révolution politique et sociale, la musique de la contre-culture a ouvert la voie à un renouvellement esthétique ouvert à un public de masse, beaucoup plus large que les élites culturelles auxquelles le modernisme classique était destiné (voir VOL I : 1.3.3). D’autre part, sur le plan économique, la musique des années 1960 et les pratiques culturelles qui lui sont liées ont permis le développement de ce que l’on peut appeler un consumérisme alternatif.

Nous examinerons les différentes modalités de l’avant-garde populaire issue de la musique rock dans des chapitres ultérieurs (voir 2.4.2). En revanche, en faisant référence au concept de consumérisme alternatif, nous voulons indiquer que la culture rock n’a pas aboli la logique de la consommation mais a créé au sein de celle-ci un sous-ensemble destiné (en tout cas au départ) à un public jeune. Ce domaine a servi de lieu de production et d’échange de produits spécifiques, parfois par le biais de structures jouissant d’un certain degré d’autonomie vis-à-vis des grands réseaux commerciaux. Le consumérisme alternatif de la musique rock a donc servi de base économique à la création et au maintien de ce que dans la terminologie de Pierre Bourdieu on peut appeler des habitus spécifiques—des pratiques comportementales et économiques sur lesquelles se basent les identités culturelles du public rock (voir VOL I : 1.4.5.2.1.2).

On peut discerner deux orientations à ce consumérisme alternatif. Ce dernier présente, pour reprendre la terminologie de Fredric Jameson, un versant utopien et d’autre part une dynamique

213 de cooptation (voir VOL I : 1.4.5.3.2). La cooptation idéologique dans ce cas-ci s’exprime par le fait que les innovations musicales ou vestimentaires introduites au départ comme des transgressions furent assez rapidement réintégrées dans les canaux commerciaux traditionnels. Dans cette optique, l’esprit libertaire qui semblait émaner de la scène musicale des années 1960 n’a fait que servir les buts du consumérisme. Le sort réservé aux innovations stylistiques du Swinging London ou du mouvement hippie illustre de manière flagrante ce processus de réintégration. Des vêtements qui au départ firent scandale (minijupes, jeans délavés et évasés, couleurs vives pour les vêtements masculins) devinrent en quelques années la base de l’offre du prêt-à-porter pour la jeunesse, donnant naissance à la mode pop du début des années 1970. L’impact de la contre-culture se limite donc dans cette perspective à ce que Theodor Adorno appelle un phénomène de pseudo-individualisation—un semblant de diversité qui cache la standardisation fondamentale de la culture de masse (voir VOL I : 1.3.4.2).

En revanche, le versant utopien du consumérisme alternatif consiste en sa capacité à créer des circuits de production et de distribution autonomes, comparables à ce que Pierre Bourdieu appelle une scène de production restreinte (voir VOL I : 1.4.5.2.1.3). Dès les années 1950, le rock and roll s’est développé sous l’impulsion de petits producteurs indépendants—le label Sun de Sam Phillips, Stax Records à Memphis). Les différents aspects de la culture hippie (musique, clubs musicaux, organisations de concerts et de festivals, arts graphiques) se déployèrent en grande partie sur base d’une économie de producteurs et distributeurs alternatifs. Le désir de maintenir une économie alternative connut un léger déclin dans la première moitié des années 1970, au moment où la musique rock se constitua en une industrie rationalisée (voir 2.5). Mais ce désir refit surface avec beaucoup de vigueur vers la fin de la décennie avec les mouvements punk et post- punk (les labels Mute Records, Fiction; Factory Records ; le réseau de distribution Rough Trade). La capacité de créer un tel circuit alternatif est un élément vital de la culture rock car il offre une garantie de ne pas voir les innovations culturelles réabsorbées dans le domaine de la consommation de masse. Il est d’autre part important de préciser que certaines des innovations musicales les plus importantes, particulièrement dans les années 1960, se sont développées dans le cadre de grands médias capitalistes (c’est le cas de la musique des Beatles et de Bob Dylan, par exemple). Il y a donc eu en fait une constante interaction entre circuits autonomes et grandes structures de la culture de masse, créant ainsi les conditions structurelles d’un pluralisme culturel qui n’existait pas avant 1960.

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2.6.2. Historique de la musique psychédélique et du rock progressif

2.6.2.1 Un moment de rupture : discontinuité moderniste ou évolution graduelle ?

La deuxième moitié des années 1960, nous l’avons déjà indiqué (voir 2.6.1.1.1), fut d’un point de vue musical un moment d’innovation radicale : cette période marque l’émergence du rock progressif psychédélique. Une anecdote célèbre de la carrière de Bob Dylan illustre le sentiment de nouveauté causé par ce virage culturel—le moment où l’auteur de “Blowing in the Wind” “passa à l’électrique” [“went electric”]. En juillet 1965, Dylan décida de se produire au Newport Folk Festival, un haut lieu du mouvement folk où il avait déjà joué à deux reprises en compagnie de Joan Baez. Cette fois-ci, au lieu de se contenter d’une prestation acoustique habituelle, il apparut accompagné d’un groupe dont tous les instruments étaient amplifiés. Selon le récit qu’en fit la presse rock, la performance fit scandale car elle violait les principes esthétiques et politiques du mouvement folk : celui-ci voyait dans la musique électrique une capitulation au commercialisme (voir 2.5.1). Dylan se fit donc huer par une partie du public. On raconta même que Pete Seeger, la figure tutélaire du folk revival, voulut couper à la hache les câbles d’amplification. Pour Dylan, au contraire, ce moment représentait un virage créatif essentiel : il signalait son évolution vers une nouvelle musique dont les arrangements électriques accompagnaient des textes aux accents existentiels et surréalistes. Même après Newport, ce changement fut mal accepté par son public : pendant sa tournée européenne de 1966, il dut à plusieurs reprises faire face à des réactions hostiles de la part de ceux qui étaient au départ ses propres fans : lors d’un de ses concerts, un membre du public le traita de « Judas ».

Face à cette anecdote, nous devons cependant nous poser la question que nous avions déjà soulevée au sujet des années 1950 (voir 2.3.3.2) : un renouveau aussi rapide et radical des pratiques culturelles est-il possible ? Y-a-t’il donc eu une véritable rupture artistique dans la deuxième moitié des années 1960 ? Au contraire, l’apparence de nouveauté ne cachait-elle pas une évolution graduelle ? La question de la nouveauté a ici une importance particulière car il s’agit d’un critère clé de l’esthétique moderniste (voir VOL I : 1.3.3). Pour ceux qui croient au caractère révolutionnaire du rock progressif, l’incident de Newport aurait la même valeur que les scandales provoqués par l’émergence de l’art moderne—on pense par exemple aux pugilats provoqués en 1913 lors de la première du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky. Le rock progressif psychédélique pourrait donc aspirer au statut prestigieux de pratique culturelle moderniste. De la part des fans et des critiques, la tentation est donc grande de surestimer le degré de nouveauté dont firent preuve les musiciens de la deuxième moitié des années 1960. Il est à cet égard symptomatique de constater que certains observateurs ayant assisté à la performance de Dylan à Newport n’en ont pas fait un récit aussi spectaculaire que celui élaboré par beaucoup d’historiens du rock. Ils n’y ont vu qu’un concert semi-improvisé faisant appel à une sonorisation déficiente. Pete Seeger lui-même a précisé que ses velléités de couper les câbles à la hache étaient purement métaphoriques : ce n’était qu’une remarque prononcée dans un moment d’exaspération.

Si l’on veut respecter les nuances de l’évolution culturelle, il convient donc de maintenir en équilibre deux perspectives opposées. D’une part, il faut prendre acte du fait que le sentiment de

215 nouveauté qu’ont éprouvé les musiciens et leur public n’était pas une pure illusion. De nombreuses anecdotes et interviews en témoignent. Dans le discours qui saluait l’accueil de Bob Dylan au Rock and Roll Hall of Fame,24 souligna que pour les adolescents des années 1960, le coup de caisse claire introduisant “Like a ”, le premier morceau de l’album Highway 61 de Dylan (août 1965), « ouvrait à coup de pied la porte de l’esprit » [« The snare drum … kicked open the door of the mind »]. De même, quand David Crosby, à l’époque membre des Byrds, assista à la mastérisation de « A Day in the Life » des Beatles (Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band, mai 1967), il en ressorti abasourdi, conscient qu’il venait d’entendre une musique intégralement inédite dans son expérience. Il est aussi symptomatique qu’un tel dynamisme ne se soit pas manifesté à toutes les époques. Nous avons vu plus haut (voir 2.2) que l’histoire de la musique populaire a connu des moments d’accélération et des moments de stabilisation, même de recul. En musique rock, il serait pas possible de caractériser le tournant des années 1960 (voir 2.4), le milieu des années 1970 ou le milieu des années 1980 comme des périodes de grand renouvellement. Par contre, le milieu des années 1950 (la naissance du rock and roll ; voir 2.3), la deuxième moitié des années 1960 (le rock psychédélique) et la deuxième moitié des années 1970 (le punk et le post-punk) sont bel et bien des moments de créativité spectaculaires.

En revanche, si l’on soumet ces périodes de révolution esthétique à une analyse historique scrupuleuse, il est toujours possible de montrer que la nouveauté apparente est le fruit de tendances qui se sont développées dans la durée. A côté des grandes figures du renouveau, on parvient toujours à identifier des précurseurs restés dans l’ombre (voir 2.3.3.2). Les grands moments de rupture ont souvent été moins décisifs qu’on ne l’imagine et ils ont toujours été précédés de moments d’évolution plus discrets. Avec le recul, nous pouvons jeter sur ces bouleversements un regard à la fois de plus distant et mieux informé, mettant mieux en lumière leur complexité. Les récits très contrastés qu’en ont faits au départ les observateurs contemporains s’en trouvent considérablement nuancés.

Afin de rendre justice à cet équilibre précaire entre nouveauté et évolution graduelle, nous allons dans les remarques suivantes définir une terminologie nous permettant de catégoriser les productions culturelles et les événements-clés de l’époque psychédélique: nous supposerons qu’il y a eu des œuvres ou des événements de transition, de rupture, de consécration et de recentrage. Remarquons que cette terminologie reprend en partie les mots-clés introduits précédemment pour désigner les grandes articulations de l’histoire du rock : cette dernière, nous l’avons indiqué, s’articule selon des moments de rupture et de consolidation (voir 2.2). Les trois termes qui complètent ce vocable déjà familier nous permettront de décrire la dynamique de la création culturelle plus en détail, sur des périodes de temps de plus petite amplitude.25 Par « transition », nous désignons bien sûr les œuvres ou événements qui amorcent l’évolution vers le changement ; « rupture », comme nous l’avons vu précédemment, fait référence à l’émergence spectaculaire de la nouveauté—la tentative de suivre ce que Deleuze et Guattari appellent des « lignes de fuites » (voir 2.2 ; voir vol. I : 1.4.5.2.2) ; « consécration » exprime tout ce qui confirme la pérennité du

24 L’institut situé à Cleveland, Ohio qui commémore la contribution des artistes de rock et de rhythm and Blues 25 Il est symptomatique de l’accélération culurelle des années 1960 que nous soyons obligé de dater les oeuvres non seulement par année mais aussi par mois.

216 virage amorcé ; la notion de recentrage décrit le moment où un artiste s’éloigne de l’expérimentation et revient à un style plus classique. C’est ce qu’exprime aussi le terme « reterritorialisation » chez Deleuze et Guattari (voir vol. I : 1.4.5.2.2). Dans la carrière de Dylan, par exemple, deux albums amorcent une transition qui éloigne le chanteur du format classique des protest songs. Another Side of Bob Dylan (août 1964) présente encore une orchestration acoustique mais les textes des chansons ont une teneur existentielle et non directement politique. Bringing It All Back Home (Subterranean Homesick Blues) (mars 1965) développe ces thématiques existentielles à travers un répertoire en partie acoustique et en partie électrique. Highway 61 Revisited (août 1965) est le véritable album de la rupture : il est presque intégralement électrique et marque donc le basculement de Dylan vers une forme de musique rock encore inédite. Le double album Blonde on Blonde (mai 1966) marque la consécration de ce nouveau style : il indique que Dylan se positionne de manière confiante dans une nouvelle pratique artistique. L’album John Wesley Harding (nov. 1967), en revanche, marque dans une certaine mesure un recentrage car Dylan revient aux instrumentations folk du début de sa carrière sans pour autant abandonner les problématiques existentielles introduites dans les albums électriques.

Les quatre termes transition, rupture, consécration et recentrage peuvent aussi nous aider à définir une chronologie schématique de la période. L’année 1965 marque le stade de transition, 1966 et 1967 le moment de rupture et 1968 et 1969 les années de la consécration (cette chronologie varie selon les artistes, bien sûr). A partir de 1970, nous verrons que l’ensemble de la scène rock vire vers une période de recentrage : l’expérimentation aventureuse est abandonnée au profit de genres musicaux stabilisés et commercialement rentables (voir 2.7).

2.6.2.2 Les pionniers du rock progressif et de la musique psychédélique

Trois artistes ou groupes ont joué un rôle décisif dans la transfiguration de la musique populaire anglo-américaine au milieu des années 1960 : Dylan, The Beatles et Jimi Hendrix. Les privilégier par rapport aux autres précurseurs de l’époque constitue il est vrai un geste de sélection canonique. Ce privilège canonique est dû en majeure partie au caractère remarquable de leur contribution artistique. Il se justifie aussi par le privilège de la chronologie : il s’agit des musiciens qui furent parmi les premiers à renouveler le champ musical. Si après plusieurs décennies ce privilège chronologique paraît parfois minime, signalons que, dans une période de renouvellement rapide telle que celle que nous abordons ici, des différences chronologiques en apparence modeste—des écarts de quelques mois ou de quelques semaines—s’avèrent parfois significatifs.

1. Bob Dylan : le virage électrique. Nous avons vu plus haut que le virage amorcé par Bob Dylan vers la scène rock au milieu des années 1960 s’est marqué à la fois par un changement d’instrumentation (on dit en anglais que Dylan « went electric ») et par une réorientation de ses textes vers une inspiration existentielle et symboliste. Dylan lui-même a parfois suggéré que ce virage lui a permis de trouver sa propre voix—une possibilité que ne lui offrait pas

217 le contexte de la scène folk où il se sentait corseté et manipulé politiquement. Au risque de le contredire, il faut rappeler que sa période folk lui a permis de produire de véritables chefs-d’œuvre qui ont eu un impact social déterminant. Mais il est vrai d’autre part qu’avec des albums électriques tels que Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde on Blonde Dylan a produit une musique qui n’avait à l’époque aucun équivalent. En alliant le pouvoir lyrique de la musique folk avec l’orchestration électrique de la British Invasion, il parvint à créer ce que, selon la terminologie de Pierre Bourdieu, il convient d’appeler une nouvelle position dans le champ culturel—un rôle inédit pour les créateurs de musique populaire. Le virage électrique de Dylan marque donc le début de ce que l’on appelle maintenant la musique rock (rock music) par opposition au rock and roll adolescent issu des années 1950, encore pratiqué par les Beatles dans les premières années de leur carrière.

La contribution majeure de Dylan au développement de la musique rock est certainement son talent d’auteur lyrique. C’est bien pour cette raison qu’il a obtenu le prix Nobel de littérature en 2016. L’attention portée par Dylan à l’écriture se remarque en premier lieu à la longueur même de ses morceaux. Dans une industrie du disque où la norme commerciale était le single d’une longueur maximale de deux minutes trente secondes, enregistrer des chansons de plus de cinq minutes—c’est le cas de la plupart des titres de Highway 61 Revisited (« Like a Rolling Stone », « Ballad of a Thin Man » et « Desolation Row »)—est déjà en soi un geste de transgression.

Dans l’évolution des textes de Dylan entre sa période folk et sa période électrique, on observe une double métamorphose. Les protest songs de la période folk étaient consacrées à des thématiques sociales évoquées dans des récits réalistes simples (la splendide « The Lonesome Death of Hattie Carroll ») ou dans des allégories aisément déchiffrables (l’appel au changement politique qui s’exprime dans « Blowin’ in the Wind » reste implicite mais clairement perceptible). Les textes de la période électrique et de la période de transition qui la précède s’intéressent au contraire à des thématiques personnelles—le changement de vie (« Like a Rolling Stone ») ; l’aliénation face à un monde familier (« Desolation Row ») ou face à un univers étrange (« Ballad of a Thin Man »). Ces thèmes sont évoqués dans des textes fragmentés où abondent les métaphores énigmatiques. Ils véhiculent également de nombreuses allusions culturelles (notamment à l’histoire des Etats-Unis) et de multiples références intertextuelles : « Tombstone Blues » et « Desolation Row » mentionnent par exemple le révolutionnaire américain Paul Revere, l’outlaw du Far West Belle Starr, la chanteuse de blues Ma Rainey, Beethoven, Ophelia, Einstein, ainsi que les poètes Ezra Pound et T. S. Eliot. Les morceaux électriques s’inspirent donc des procédés de la poésie moderniste, plus précisément du symbolisme et du surréalisme (ArthurRimbaud, T. S. Eliot, Dylan Thomas). Ce choix peut paraître surprenant : il donne l’impression qu’à partir du moment où Dylan s’apprêtait à s’adresser à un public plus large que celui de la scène folk, il décida aussi de parler par énigme, de masquer sa voix et ses intentions. Dans l’évolution ultérieure de sa très longue carrière (plus de

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50 ans déjà), Dylan ne se cantonna pas toujours à cette poétique énigmatique, mais certains des meilleurs morceaux écrits au-delà des années 1960—les chansons du magnifique album Blood on the Tracks (1975) ; « The Changing of the Guard » sur Street Legal (1978)—y font encore appel de manière magistrale.

Alors que les textes de Dylan, par leur dimension symboliste et surréaliste, nous poussent à conférer au chanteur le statut de précurseur du psychédélisme, la musique de sa période électrique ne semble pas se positionner dans un projet d’innovation comparable. C’est peut-être pourquoi la plupart des commentaires sur Dylan se sont focalisés sur les paroles. Cependant, Dylan a aussi eu un impact significatif en tant que musicien. Ses premiers albums électriques ont imposé un son distinctif, moins expérimental peut-être que celui de ses successeurs immédiats, mais capable cependant de marquer durablement la musique américaine. Pour l’enregistrement de Highway 61, Dylan fit appel au guitariste Mike Bloomfield ainsi qu’à Al Kooper. Ce dernier, guitariste au départ, joue principalement de l’orgue électrique sur cet album, notamment la célèbre phrase d’introduction de « Like a Rolling Stone ». Sur scène, Dylan s’entoura de musiciens—le guitariste canadien Robbie Robertson, le batteur Levon Helm—issus de The Hawks, un groupe de rockabilly au son radical. Ce choix confirmait un virage électrique sans concession. Robertson et Helm formèrent la base de , le groupe qui accompagna Dylan en concert de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970.26 La configuration instrumentale entourant Dylan en studio et sur scène—basse, batterie, guitare, orgue—était très semblable à celle des Animals en Grande Bretagne. Elle indique que Dylan cherchait à construire un son équivalent à celui de la British Invasion mais sur des bases américaines, c’est-à-dire avec des musiciens qui avaient un rapport plus direct que leurs équivalents britanniques au folk et à la country. L’éventail stylistique des premiers albums électriques de Dylan s’étendait donc du rock aux accents de la British Invasion jusqu’au blues et au folk électrifié. D’autres musiciens à l’époque s’étaient lancés dans une évolution comparable. The Byrds avaient enregistré plusieurs reprises électriques de Dylan, notamment « Mr Tambourine Man ». Ces reprises avaient eu un succès considérable (voir 2.6.2.3.1.2). Buffalo Springfield, avec Stephen Stills et Neil Young à la guitare, pratiquaient également une musique proche de Dylan et des Byrds. Stills, Young, et David Crosby des Byrds devinrent célèbres quelques années plus tard au sein de Crosby, Stills, Nash, and Young. Au total, avec son virage électrique, Dylan se positionna donc à l’origine d’un courant musical typiquement américain— entre rock, folk-rock et country-rock—auquel se joignirent un grand nombre de musiciens de la fin des années 1960 et des années 1970. Nous verrons plus bas qu’à partir des années 1980 cette musique fut rétrospectivement reconnue comme un genre à part entière baptisé le roots rock (voir 2.7). Au-delà des noms cités ci-dessus, ce mouvement inclut des groupes et musiciens tels que Creedence Clearwater Revival, The Eagles, Bruce Springsteen, J. J. Cale, America, , John

26 Le concert d’adieu du Band fut filmé par Martin Scorsese dans The Last Waltz (1976).

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Mellencamp, Elliot Murphy, The Counting Crows et, en Grande Bretagne, Mark Knopfler (Dire Straits).

La carrière de Dylan au-delà de Blonde on Blonde connut quelques années d’éclipse. Pendant l’été 1966, juste après la sortie de son double album, Dylan fut victime d’un accident de moto. Epuisé par les tournées et les enregistrements, il en profita pour se retirer avec des amis musiciens à Woodstock, dans le nord de l’Etat de New York. Dans la discrétion la plus complète, il y enregistra de nombreux morceaux—The Basement Tapes—qui ne furent commercialisés que dix ans plus tard et atteignirent le statut d’album culte. Pendant toute l’année 1967, en plein milieu du Summer of Love et de l’éclosion du mouvement hippie, Dylan fuit toute publicité. A la fin de 1967, il enregistra John Wesley Harding—un album qui marque un recentrage vers un style folk austère mais de très haute tenue. On y trouve « All Along the Watch Tower », superbement repris par Jimi Hendrix quelques mois plus tard. La carrière de Dylan au début des années 1970 manqua de cohérence. Il parvint cependant à retrouver un regain de créativité vers le milieu de la décennie : Blood on the Tracks (1975) reste un de ses albums les plus admirés. Quelques années plus tard, il s’engagea dans une conversion au christianisme fondamentaliste qui ne fit pas l’unanimité auprès de ses fans. Malgré des capacités vocales diminuées, Dylan continua à enregistrer des albums pendant toutes les décennies ultérieures et devint donc un des compositeurs- interprètes les plus prolixes de l’histoire de la musique populaire américaine. En 2004, il publia un volume de mémoire. Il y développe des remarques très généreuses vis-à- vis des musiciens et célébrités qu’il a côtoyés—un trait un peu surprenant venant d’un chanteur au tempérament notoirement ombrageux. Il y donne aussi de nombreuses preuves de sa connaissance encyclopédique de l’histoire de la musique populaire américaine.

2. The Beatles : l’aventure psychédélique. Vers 1965, les Beatles étaient devenus des vedettes mondiales. La Beatlemania avait pris des proportions telles qu’elle avait rendu leurs tournées ingérables : en plus des émeutes autour des hôtels et salles de concerts, les musiciens ne trouvaient pas de système d’amplification capable de couvrir les cris de leurs fans pendant les concerts (les techniques de sonorisation n’étaient pas encore à la hauteur des grands concerts rock). Dans un geste remarquable, avec l’aide de leur producteur George Martin, ils décidèrent alors d’orienter leur musique vers des expérimentations de plus en plus novatrices et, à partir de l’été 1966, d’abandonner les tournées pour se consacrer exclusivement au travail de studio. L’album Rubber Soul (déc. 1965) marque le moment de transition dans ce processus. L’exubérance du style Merseybeat dominait encore Help !, l’album sorti en août 1965. Sur Rubber Soul, celle-ci laisse place à des morceaux de tempo moyen et à des balades. Rubber Soul est souvent qualifié d’album folk-rock : certaines chansons (« Michelle » ; « Girl ») sont purement acoustiques, accompagnées des harmonies vocales remarquables du groupe. D’autres rajoutent à ce

220 format des guitares douze cordes électriques (« Nowhere Man »). Un morceau— « Norwegian Wood »—se singularise par l’utilisation du indien—une innovation qui trouvera son plein développement sur Revolver (voir 2.6.3.1.3.2). Dans ce nouveau format, Lennon et McCartney se donnèrent la possibilité de développer des textes plus complexes et nuancés que ne le permettait le tempo rapide du Merseybeat. On remarque donc une évolution vers des thématiques personnelles comparables à celles abordées par Dylan à partir de Another Side of Bob Dylan.

L’album Revolver (août 1966), même s’il prolonge les apports de Rubber Soul, s’impose comme une œuvre de rupture. Il constitue un des premiers albums clés de la musique psychédélique. Comme pour rassurer les fans, l’album s’ouvre par un morceau dans la lignée des productions antérieures du groupe (« Taxman »). Mais à partir du deuxième morceau—« Eleanor Rigby »—le groupe fait entendre des sons totalement inédits en musique populaire anglo-américaine. « Eleanor Rigby », une des chansons les plus mélodieuses des Beatles, est accompagnée uniquement d’un octuor à corde dont George Martin a fourni l’arrangement (voir 2.6.3.3.3). Le morceau parle de solitude en des termes qui ont suscité les louanges du poète Beat Allen Ginsberg. « », composé par George Harrison, est un des exemples les plus aboutis de ce que l’on a parfois appelé le raga rock : la musique anglo-américaine inspirée de la musique classique indienne (voir 2.6.3.3.2). Le morceau est accompagné au sitar joué par Harrison lui-même, au tampura et aux (percussions indiennes), joués par le percussionniste Anil Bhagwat. Le dernier morceau de l’album—« Tomorrow Never Knows »—est un classique de la musique psychédélique, repris ultérieurement par de nombreux groupes. Doté d’un tempo hypnotique, il est accompagné d’effets sonores empruntés d’une part au raga (notes de bourdon au tampura) et, d’autre part, à la musique classique contemporaine—des bandes magnétiques lancées à vitesse variable et au défilement inversé. La voix de Lennon est filtrée par des effets d’équalisation (distorsion du spectre des fréquences). Revolver présente une diversité stylistique considérable, particulièrement en ce qui concerne les arrangements : en plus des innovations citées plus haut, certains morceaux introduisent des claviers et des cuivres. L’album donne cependant une impression de cohérence et de maîtrise musicale insurpassables. Il est parfois décrit comme le sommet de la carrière du groupe de Liverpool.

La musique produite par The Beatles dans le sillage de Revolver eut valeur à la fois de rupture et de consécration. A la fin de l’année 1966, afin de satisfaire les attentes de leur public, le groupe enregistra deux morceaux—« Penny Lane » et « Strawberry Fields Forever »—qui sortirent sous forme de single. Le premier, composé principalement par McCartney, est une balade solaire dotée d’une partie instrumentale à la trompette inspirée des concertos brandebourgeois de Johann Sebastian Bach. Le deuxième, l’œuvre de Lennon, est un des chefs-d’œuvre de la musique psychédélique. Il fait appel à un nouvel instrument—le mellotron, ancêtre du sampler (l’échantilloneur numérique)—, ainsi qu’aux techniques de manipulation des bandes magnétiques

221 utilisées sur Revolver. Ce single à double face A (« double-A single ») est parfois décrit comme le meilleur disque de rock jamais produit. Ironiquement, il n’atteignit que la deuxième place du hit-parade britannique. Il anticipe l’esprit et les techniques d’enregistrement de l’album qui lui succéda—Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band (juin 1967). Cet album obtint un succès critique et commercial instantané : Il est considéré à la fois comme le manifeste de la musique psychédélique britannique et son accomplissement. L’album contient certaines des chansons les plus célèbres des Beatles—« With a Little Help from My Friends », « Lucy in the Sky with Diamonds », « She’s Leaving Home”. Il ne fut cependant pas conçu comme un simple recueil de chansons mais comme une œuvre totale dont les parties sont soigneusement intégrées. Ce souci de cohérence se marque par le fait qu’aucune pause ne sépare les différents morceaux : les chansons se fondent les unes dans les autres et l’album s’écoute d’une traite (exception faite du changement de la face A à la face B requis par le format des 33 tours vinyle). Tout comme Revolver, l’album parvient à créer un sentiment d’unité malgré la très grande diversité des styles et des arrangements. La réussite majeure de Sgt. Pepper’s est le morceau intitulé « A Day in the Life », qui clôture la face B. Cette chanson résulte du montage de deux morceaux—l’un de Lennon, l’autre de McCartney—qui étaient au départ d’esprit très différent : l’un développe des commentaires mélancoliques au sujet d’un fait divers tragique ; l’autre décrit un navetteur qui se lève précipitamment et court chercher son bus. Tous deux offrent une image poétique de la vie quotidienne. Les segments des deux morceaux sont liés par des crescendos orchestraux chaotiques inspirés de compositeurs contemporains tels que John Cale et . Ces passages furent enregistrés sous forme d’un happening psychédélique : les musiciens classiques, entourés de célébrités de la scène londonienne (Mick Jagger, Marianne Faithfull, Donovan), portaient des déguisements de carnavals. D’un point de vue technique, les passages orchestraux de « A Day in the Life » firent appel à l’enregistrement multipiste : deux enregistreurs quatre pistes durent être synchronisés, offrant ainsi huit pistes d’enregistrement au lieu des quatre utilisées pour tout le reste de l’album.

Au-delà de Sgt. Pepper’s, la production des Beatles fut affectée par les tensions au sein du groupe—en particulier entre ses compositeurs principaux, Lennon et McCartney. Le groupe parvint encore à sortir des singles à très grand succès—« Hey Jude » (août 1968), « Let It Be » (mars 1970) ainsi que plusieurs albums et un film d’animation—Yellow Submarine (mai 1968). Magical Mystery Tour (déc. 1967) est une compilation reprenant la bande-son d’une émission télévisée—un programme de noël dont l’esthétique psychédélique influença de nombreux clips vidéo ultérieurs. L’album contient des morceaux importants tels que « Fool on the Hill » et « I Am the Walrus ». La réalisation majeure de cette dernière période fut l’enregistrement d’un double album intitulé The Beatles (nov. 1968), généralement surnommé « l’album blanc » [The White Album] en référence à sa pochette dénuée de toute photo ou dessin. Ce disque peut être considéré comme une deuxième œuvre marquant la consécration du style expérimental des Beatles. Il contient un bon nombre de morceaux de très

222 grande valeur musicale couvrant presque tout le spectre de la musique rock, de l’acoustique (« Blackbird ») au rock le plus dur (« Helter Skelter ») en passant par le psychédélisme (« Dear Prudence ») et même la variété pop (« Ob-La-Di, Ob-La-Da »). Cependant, les Beatles, en raison de la crise au sein du groupe, ne parvinrent pas à homogénéiser la très grande diversité de ce double album en un ensemble cohérent : nous avons clairement affaire à des morceaux issus de trois compositeurs différents : en plus de Lennon et McCartney, l’album contient certains des meilleurs morceaux de George Harrison, notamment « While My Guitar Gently Weeps ». Au-delà de l’ « album blanc » les Beatles enregistrèrent Let It Be (Mai 1970) dans des conditions de grande tension. Après avoir décidé de se séparer, ils enregistrèrent le très bel Abbey Road (sept. 1969), qui fut commercialisé avant Let It Be.

Après la séparation du groupe, aucun de ses membres ne parvint à retrouver durablement le niveau de créativité de la période psychédélique. Déjà avant la rupture, John Lennon, avec sa nouvelle compagne Yoko Ono, s’était prononcé en faveur d’une musique plus dure et plus engagée politiquement que celle des Beatles. C’est ce style qu’il pratique sur l’album John Lennon/Plastic Ono Band (déc. 1970). Au début des années 1970, il parvint à produire quelques morceaux majeurs—« Working Class Hero » (1970), « Jealous Guy » (1971) et « Imagine » (1971), une chanson devenue culte. La carrière de Lennon au milieu des années 1970 souffrit de ses problèmes personnels. En 1980, après avoir commercialisé un nouvel album, il fut tragiquement assassiné à New York. George Harrison et Ringo Starr produisirent également plusieurs albums qui obtinrent un certain degré de succès commercial. Harrison mourut du cancer en 2001. Il eut la double malchance d’être victime d’une attaque au couteau alors que sa maladie s’était déjà déclarée. McCartney mit son talent de mélodiste et de multi-instrumentiste au service d’une musique pop-rock commerciale. C’est ce style qu’il pratiqua au sein du groupe Wings, accompagné de sa femme Linda Eastman au clavier. D’une manière plus substantielle, après la séparation de Wings, McCartney s’est lancé dans de longues tournées où il joue splendidement non seulement ses chansons solos mais aussi le répertoire des Beatles, y compris des morceaux de la période psychédélique qui n’avaient jamais été joués sur scène auparavant.

3. Jimi Hendrix : virtuosité et révolution sonore. La courte carrière de Jimi Hendrix telle qu’on la perçoit à travers sa discographie ne semble pas avoir connu de période de transition. Dès ses premiers disques, Hendrix s’est imposé comme un artiste en rupture radicale. Né à Seattle en 1942, James Marshall « Jimi » Hendrix apprit à jouer de la guitare pendant son adolescence. Dans la première moitié des années 1960, il devint guitariste accompagnateur de plusieurs musiciens de rhythm and blues et de rock and roll (The Isley Brothers, Little Richard, et Curtis Knight). Il forma également son propre groupe, Jimmie James and the Blue Flames. En 1966, le talent de Hendrix fut reconnu par plusieurs membres

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de la scène musicale londonienne en visite à New York. Chas Chandler, l’ex-bassiste des Animals (voir 2.5.3.2.3), l’encouragea à s’installer à Londres et devint son manager. Dans un univers musical refaçonné par la Beatlemania et la naissance du psychédélisme, le talent de Hendrix se développa de manière spectaculaire. Avec l’aide de Chandler, Hendrix recruta les deux musiciens qui formèrent le trio baptisé The Jimi Hendrix Experience—Noel Redding à la basse et Mitch Mitchell à la batterie. Redding et Mitchell étaient des musiciens hors pair doté d’une excellente connaissance du blues et du rhythm and blues. Tous trois formèrent un trio d’une virtuosité alors inégalée. Cette configuration musicale—trois musiciens à la technique très aboutie—est dans le vocabulaire du rock souvent désignée par le terme power trio. Les premières prestations de The Jimi Hendrix Experience firent sensation. Dès le départ, les plus célèbres figures de la British Invasion reconnurent en Hendrix un musicien hors norme.

Les premiers singles du Jimi Hendrix Experience—« Hey Joe », « Purple Haze », « The Wind Cries Mary »—furent commercialisés à la fin de 1966 et au printemps 1967. Le premier album—Are You Experienced ?—parut en mai 1967. Tous ces enregistrements jouirent à la fois d’un succès critique et commercial considérable. Hendrix y développe une musique expérimentale d’une puissance exceptionnelle que l’on pourrait schématiquement qualifier de blues psychédélique. « Red House » et « Foxy Lady » démontrent en effet qu’Hendrix était capable de sublimer les traditions du blues, du rhythm and blues et de la soul par l’utilisation de techniques de guitare bien au-delà de ce que la British Invasion avait offert jusqu’alors. Simultanément, Are You Experienced ? développe un son psychédélique exubérant: le morceau titulaire— « Are You Experienced ? »—ainsi que « Third Stone from the Sun » utilisent des effets sonores comparables à ceux qui apparaissent sur Revolver des Beatles. Les paroles, dont la tonalité révèle l’influence de Dylan, renforcent ce climat surréaliste. Sous cette texture psychédélique, on reconnait aussi des harmonies empruntées au jazz, ce qui fait de Hendrix un des précurseurs majeurs du jazz fusion (le jazz-rock).27 Le deuxième album du Jimi Hendrix Experience—Axis Bold as Love (déc. 1967)—ne fit que confirmer les qualités du premier. Un peu plus sobre dans sa texture, il inclut certaines des compositions les plus mélodieuses de Hendrix—« Little Wing », « Castles Made of Sand ». Le troisième album—Electric Ladyland (oct. 1968)—fut achevé au terme de sessions longues et désorganisées dans des studios régulièrement envahis de nombreux invités. Pour ce double LP, Hendrix se montra d’un perfectionnisme pointilleux, multipliant les prises d’enregistrement. A sa sortie, le disque connut un succès commercial considérable—il fut le seul des albums d’Hendrix à atteindre la première place des hit-parades. Certains critiques reprochèrent ai guitariste de s’y être laissé aller à des excès musicaux, par exemple dans « Voodoo Child (Slight Return) », un morceau basé presque intégralement sur des guitares en pleine distorsion. Au fil du temps, ce disque fut cependant reconnu non seulement

27 On fait en général débuter le jazz fusion avec les albums Miles in the Sky (1968) et In a Silent Way de Miles Davis (1969).

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comme la consécration de la carrière d’Hendrix mais aussi comme un des albums de musique rock les plus importants de tous les temps. Tout comme les deux albums précédents, Electric Ladyland couvre un large spectre de styles, du rock le plus dur— « Voodoo Child (Slight Return) », « House Burning Down »—en passant par le blues—la version lente de « Voodoo Chile »—, le jazz—« Rainy Day, Dream Away »—, le funk—« Have You Ever Been (to Electric Ladyland) »— et les improvisations psychédéliques—« 1983 … (A Merman I Should Turn to Be)/ Moon Turn the Tides … Gently, Gently Away ». Le disque contient aussi la célèbre reprise de « All Along the Watchtower » de Dylan, qui transforme ce morceau folk-rock dépouillé en un chef-d’œuvre du psychédélisme. En 1970, The Jimi Hendrix Experience se sépara temporairement. Hendrix enregistra avec deux autres musiciens, notamment le batteur Buddy Miles, un album en public sous le nom de Band of Gypsys. Cet album semblait amorcer un virage de Hendrix vers le funk, le style-clé de la musique noire des années 1970. On peut y déceler une tentative de recentrage musical, mettant en avant une musique moins expérimentale. Hendrix essaya cependant de reformer The Jimi Hendrix Experience, mais cet effort fut interrompu par son décès en septembre 1970. Sa mort fut attribuée à une asphyxie dûe à une overdose de barbituriques.

En parallèle à son œuvre discographique, Hendrix s’est aussi imposé comme une des attractions de concert les plus populaires de la fin des années 1960. Il devint rapidement célèbre non seulement par sa virtuosité mais aussi par son jeu de scène spectaculaire : aux moments les plus intenses de ses concerts, il faisait passer sa guitare derrière le dos tout en continuant à jouer, ou donnait l’impression de pincer les cordes avec les dents.28 A plusieurs reprises, il mit le feu à sa guitare en fin de concert en l’aspergeant de liquide inflammable. En seulement quatre ans, en plus de longues tournées aux Etats-Unis et en Europe, Hendrix participa à la plupart des festivals majeurs qui ont structuré la période hippie. En juin 1967, il se produisit au Festival, où jouèrent aussi The Who, Otis Reding, et Janis Joplin. Ce festival constitue un moment de rupture signalant l’avènement de la contre-culture. En août 1969, Hendrix joua au festival de Woodstock, l’évènement qui marque la consécration de cette même période. Il y improvisa sa célèbre version électrique de l’hymne national américain—« The Star-Spangled Banner ». Cette performance est souvent interprétée comme une protestation contre à la Guerre du Viêt Nam : la distorsion et les glissades à la whammy bar semblent imiter le bruit des bombardements. Peu avant sa mort, en Août 1970, Hendrix se produisit également au festival de l’île de Wight (Isle of Wight Festival). Ses prestations lors des grands festivals furent enregistrées et filmées. Le concert de Monterey, où Hendrix se produit avec Redding et Mitchell, est de loin le plus brillant. Il constitue un des meilleurs enregistrements en public de la période psychédélique.

28 Les guitaristes ne s’accordent pas sur le fait de savoir si Hendrix pinçait réellement les cordes avec les dents ou s’il faisait plutôt appel à la technique appelée plus tard fingerboard tapping (notes produites en pinçant les cordes sur le manche de la guitare).

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La cohérence de la musique d’Hendrix est en grande partie dûe au fait que sa texture complexe est générée par l’exploration des possibilités d’un seul instrument—la guitare électrique. Le son ainsi produit faisait appel aux recherches sonores les plus modernes. Tout comme les Beatles, Hendrix s’était façonné un son à la pointe de la technologie disponible à son époque. Il faisait appel à des amplificateurs poussés au- delà du seuil de distorsion ainsi qu’à des processeurs d’effets novateurs—en particulier la pédale wah-wah (« Voodoo Child (Slight Return)) et le phasing stéréo (« Little Wing »). Hendrix en vint à apporter une attention croissante au travail de studio, aidé en cela par son ingénieur du son Eddie Kramer. Assez logiquement, vers la fin de sa carrière, Hendrix décida de créer à New York son propre studio d’enregistrement, baptisé Electric Lady. Ouvert en 1970, ce studio ne put que brièvement être utilisé par Hendrix lui-même mais il accueillit de nombreux groupes ultérieurs—Led Zeppelin, David Bowie, Kanye West.

L’impact musical de Hendrix fut immense. Il devint l’incarnation même de ce que l’on appelle un guitar hero et définit pendant longtemps les limites de la virtuosité dans le jeu de la guitare électrique. Hendrix marqua de son empreinte des artistes de courants en apparence très différents. Nous avons mentionné plus haut le lien qui le relie au jazz. De même, la dimension psychédélique de sa musique fit de lui une des sources d’inspiration principale des groupes de rock progressifs psychédéliques et post-psychédéliques (ce que l’on appelle aussi l’« art rock »—Pink Floyd, Yes). La fidélité de Hendrix aux racines du blues et du rhythm and blues permit à sa musique de servir de modèle pour les musiciens noirs des décennies ultérieures, en particulier Prince. Enfin, la texture sonore radicale des morceaux de Hendrix servit de modèle aux groupes de heavy metal. On trouve même dans ses arrangements des éléments qui serviront plus tard au rap.

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2.6.2.3 La scène psychédélique américaine

2.6.2.3.1 L’émergence du rock progressif américain : le surf rock et le folk rock virent au psychédélisme

Aux Etats-Unis, la musique de la deuxième moitié des années 1960 se développa dans le cadre d’un mouvement culturel—le mouvement hippie ou flower power—qui ambitionnait de refaçonner tout le champ social (voir 2.6.1.2.3). Un grand nombre d’artiste apportèrent leur contribution à ce renouveau musical. Au-delà de très grands précurseurs comme Dylan et Hendrix, il nous faut d’abord citer des artistes qui ont joué le rôle de figures de transition. Il s’agit de musiciens qui, dans une scène rock américaine fort affectée par la British Invasion, ont assuré le passage entre, d’une part, le rock and roll des années 1950 et le folk du début des années 1960 et, d’autre part, les expérimentations musicales du psychédélisme

1. The Beach Boys. Ces musiciens californiens s’étaient positionnés initialement comme les représentants de la fraction la plus commerciale du rock and roll du début des années 1960—la surf music (voir 2.4.2). Sous l’égide de leur compositeur principal Brian Wilson, ils s’orientèrent au milieu de la décennie vers une musique expérimentale qui ne reniait cependant pas les accents mélodiques qui avaient précédemment assuré leur succès. Cette évolution se concrétisa par la sortie de l’album Pet Sounds (mai 1966) et du splendide single « Good Vibrations » (oct. 1966) qui obtinrent un succès considérable. Les Beach Boys se profilaient ainsi comme les concurrents américains des Beatles, privilégiant des arrangements musicaux ancrés dans des traditions multiples, l’introduction de nouveaux sons électroniques et une grande virtuosité dans les harmonies vocales. Brian Wilson avait prévu que Pet Sounds soit suivi par un album encore plus novateur intitulé Smile. Cet album était censé contenir des morceaux structurés comme des suites orchestrales (« Heroes and Villains ») (voir 2.6.3.3.3.3). Victime de dépression et d’addiction, Wilson ne put cependant achever ce projet. Privé de leur leader, les Beach Boys se remirent, avec un degré de succès variable, au pop- rock qui avait assuré leurs succès initiaux. Une édition incomplète de Smile parut seulement plusieurs décennies plus tard.

2. The Byrds. Nous avons vu plus haut que The Byrds s’inscrivaient dans la tradition musicale associée à Bob Dylan (voir 2.6.2.2). Les musiciens des Byrds—notamment Jim (« Roger ») McGuinn et David Crosby—faisaient partie de la scène folk de Los Angeles. En plus de l’impact incontournable de Dylan, ils éprouvaient une grande admiration pour les Beatles. Ils parvinrent à concilier ces deux influences en enregistrant des versions électriques de deux morceaux de Dylan—« Mr. Tambourine Man » (avril 1965) et « All I Really Want to Do » (juin 1965) sur des rythmes

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empruntés au Merseybeat et aux Beach Boys. On trouve dans ces enregistrements la signature sonore des Byrds : guitares électriques à douze cordes et des harmonies vocales serrées, comparables à celles des Beatles. Le succès fut considérable : ces morceaux marquent la naissance du folk rock. La très belle adaptation de « Turn, Turn, Turn » (déc. 1965) de Pete Seeger utilise la même configuration musicale. Le groupe évolua ensuite vers la musique psychédélique, notamment avec le morceau « Eight Miles High » (mars 1966) dont le titre fait implicitement référence à l’expérience de la drogue. Avec son solo de guitare au format très libre, « Eight Miles High » est considéré comme un des premiers classiques de la musique psychédélique ainsi qu’un des premiers exemples du raga rock—le psychédélisme orientalisant (voir 2.6.3.1.3.1). Le son des Byrds eut une influence déterminante sur les groupes américains de la fin des années 1960 : il servit de modèle au Jefferson Airplane, par exemple.

3. Autres figures de transition du psychédélisme américain En plus des Beach Boys et des Byrds dessous, nous pourrions également mentionner The Mamas & the Papas (« California Dreamin’ » déc. 1965), The Lovin’ Spoonful (« Summer in the City » juillet 1966), Buffalo Springfield (« For What It’s Worth » Jan. 1967), et Scott McKenzie (« San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair” Mai 1967) ”. Leurs succès commerciaux aidèrent à définir le son de l’époque et à populariser les valeurs du flower power.

2.6.2.3.2 San Francisco, Los Angeles, New York: les points d’ancrage du psychédélisme américain

San Francisco

Afin de passer en revue les grands noms du psychédélisme américain, il est utile de faire appel à une logique géographique. En effet, certains lieux—San Francisco, Los Angeles, New York— devinrent des pivots de la contre-culture. Ils permirent le développement de scènes musicales au sein desquelles les musiciens se rencontraient et collaboraient, définissant ainsi un style commun. Dans cette logique, le point d’ancrage le plus important de la musique psychédélique américaine est sans contexte San Francisco, la ville qui servit d’incubateur et de point de ralliement du mouvement hippie (le flower power) (voir 2.6.1.2.3). Les groupes et artistes les plus importants de la scène de San Francisco sont The Jefferson Airplane, The Grateful Dead, Janis Joplin, Santana, Sly and the Family Stone ainsi que, avec un impact moindre, Quicksilver Messenger Service. Décrire une scène musicale ancrée dans un lieu particulier—San Francisco, en l’occurrence—n’implique cependant pas que tous les acteurs en présence souscrivaient au même style. San Francisco est en général associé à la version psychédélique du folk-rock (le San Francisco Sound) pratiquée par Jefferson Airplane et The Dead. Mais le public hippie de l’époque était également ouvert à des musiques qui s’orientaient vers d’autres horizons

228 musicaux—le Latin rock de Santana et la soul psychédélique de Sly Stone. L’existence d’une scène musicale unifiée dans sa diversité se vérifie cependant par le fait que tous les artistes de San Francisco mentionnés ci-dessous ont pris part aux grands festivals de l’époque, en particulier Monterey (1967) et Woodstock (1969) (voir 2.6.1.2.3).

1. The Jefferson Airplane. Ce groupe est le représentant le plus célèbre du son de San Francisco (le San Francisco Sound). Il est donc intimement lié au mouvement hippie. Les membres du Jefferson Airplane fréquentaient une salle de concert de San Francisco nommée The Matrix, gérée par la figure fondatrice du groupe, Marty Balin. Le groupe se forma en 1965 et, dans sa configuration classique, accueillit en plus de Balin la chanteuse Grace Slick, le guitariste soliste Jorma Kaukonen et le bassiste Jack Casady. Le lien entre Jefferson Airplane et le flower power se marque notamment par le fait que le groupe participa à tous les festivals majeurs de l’époque—Monterey, Woodstock, Altamont. Leurs textes, parfois fort politisés, font écho à toutes les thématiques des hippies— liberté, expansion de l’esprit, sexualité hédoniste, antimilitarisme. Les allusions à la drogue y sont nombreuses. De la même manière que les paroles de rock and roll construisent une isotopie connotative d'ordre sexuel et que la soul fait indirectement allusion aux droits civils (voir 2.3.3.4.2.4 ; 2.5.2), les groupes psychédéliques jouent sur une isotopie sémantique faisant référence aux hallucinogènes. Les musiciens de Jefferson Airplane durent donc sans cesse batailler avec leur maison de disque afin que leurs paroles ne soient pas censurées. Il est sans doute symptomatique que ce groupe si profondément ancré dans l’esprit d’une époque ait vu son impact, pourtant très novateur, en partie oublié par le public des décennies ultérieures.

La musique du Jefferson Airplane était initialement très proche du folk rock. Leur deuxième album, Surrealistic Pillow (fév. 1967), leur permit d’atteindre une renommée internationale. Il ressemble à un équivalent américain de Rubber Soul des Beatles. Il contient quelques morceaux rock inspirés de la British Invasion— « Somebody to Love » et « 3/5 of a Mile in Ten Seconds »—et, d’autre part, des balades (« Comin’ Back to Me ») et des morceaux de guitare acoustique témoignant de la virtuosité impressionnante de Kaukonen (« Embryonic Journey»). Les morceaux les plus typiquement psychédéliques sont « White Rabbit », « She Has Funny Cars » et « Plastic Fantastic Lovers ». « White Rabbit » a d’ailleurs souvent été interprété comme une représentation allégorique d’un trip de LSD. Ces morceaux psychédéliques font appel aux harmonies vocales incantatoires de Slick, Kantner et Balin—l’aspect le plus reconnaissable du son du groupe—ainsi qu’à des solos de guitares lancinants. Le contralto très bien maîtrisé de Grace Slick, souligné par l’utilisation généreuse de la réverbération, donne à la musique du groupe une tonalité un peu sépulcrale qui anticipe le son d’artistes féminines punk ou post-punk comme Siouxsee and the Banshees ou Sinead O’Connor. Le troisième album, After Bathing at Baxter’s (nov< 1967), est une œuvre de rupture : sous l’influence d’Hendrix, du

229 groupe britannique Cream (voir 2.6.2.3.2.1), et de Frank Zappa, Jefferson Airplane y développe des morceaux à la structure complexe dotés de guitares agressives ainsi que de passages composés de montages sonores surréalistes (l’influence de Zappa et de la musique concrète—un des courants de la musique contemporaine—est ici évidente). Tout comme sur Sgt. Pepper’s des Beatles, les morceaux sont disposés en suite continue. De manière assez prévisible, cette œuvre novatrice connut moins de succès que l’album précédent. Le quatrième album—Crown of Creation (sept. 1968)—parvient en revanche à maintenir l’équilibre entre mélodies accessibles et expérimentation, ce qui permit au groupe de renouer avec le succès. Crown of Creation comporte plusieurs balades psychédéliques remarquables et inclut également un court morceau bruitiste de musique électronique. L’album Volunteers (nov. 1969) amorce un recentrage stylistique ; il présente un mélange efficace de rock psychédélique et de country-rock qui laisse moins de place à l’expérimentation sonore et répond par là- même aux attentes d’un plus large public. Après Volunteers, le groupe se scinda en plusieurs projets différents—Hot Tuna et Jefferson Starship. Ils se reformèrent brièvement à la fin des années 1980.

2. The Grateful Dead Issus de la région de San Francisco (« The Bay Area »), The Grateful Dead se formèrent en 1965 autour des guitaristes Jerry Garcia et Bob Weir. Comme beaucoup de leurs contemporains, ils avaient débuté dans la tradition du folk mais avaient été influencés de manière décisive par les Beatles et par la période électrique de Dylan. The Grateful Dead devinrent des membres importants de la communauté hippie de la région de San Francisco : ils accompagnèrent notamment les happenings—les « acid tests »— organisés par Ken Kesey et ses Merry Pranksters (voir 2.6.1.2.3). Tout comme The Jefferson Airplane, la production discographique de The Grateful Dead suivit une courbe qui mène du folk rock vers l’expérimentation psychédélique, avec ensuite un retour à des styles américains plus traditionnels. Leur premier album—The Grateful Dead (mars 1967)—déploie des accents folk, country et blues assez proches de la British Invasion. En revanche, les deuxième et troisième—Anthem of the Sun (juillet 1968) et Aoxomoxoa (juin 1969)—élaborent une musique très variée qui inclut de longs moments d’improvisation influencés par le jazz et la musique concrète. Le groupe y fait appel à des instruments inhabituels en musique rock—tymbales, crotales, kazoo. En revanche, Workingman’s Dead (juin 1970) et American Beauty (nov. 1970) marquent un recentrage vers un country rock plus classique.

Les enregistrements studio de The Grateful Dead ne rendent pas entièrement justice à l’impact culturel du groupe. Ces musiciens s’exprimaient principalement par des performances scéniques où ils pouvaient donner libre cours à leur goût pour l’improvisation. Cette liberté musicale s’illustre sur leurs nombreux albums en public Live/Dead (nov. 1969), Europe 72 (1972). The Grateful Dead furent d’ailleurs les pionniers de l’amplification scénique : ne faisant pas confiance au matériel disponible

230 dans les salles de concert, ils se créèrent un système de sonorisation gigantesque pour l’époque. The Dead parvinrent à rassembler un groupe de fan extrêmement fidèles— les « deadheads »—qui accompagnèrent le groupe dans leurs très nombreux concert sur une période de trente ans. La mort de Jerry Garcia en 1995 mit fin à leurs activités, si l’on fait exception de quelques concerts réunissant les musiciens survivants.

3. Janis Joplin Originaire du Texas, Janis Lyn Joplin s’était affirmée dès le départ comme une adolescente non conformiste. Dans un milieu conservateur empreint de racisme, elle s’était constitué une éducation culturelle et musicale où figuraient des bluesmen et des blueswomen tels que Leadbelly, Bessie Smith et Ma Rainey ainsi que les poètes beat. A vingt ans, en 1963, elle quitta le Texas pour San Francisco—le futur quartier hippie de Haight-Ashbury— et enregistra quelques chansons avec Jorma Kaukonen, futur membre de Jefferson Airplane. Déjà à cette époque, Joplin avait basculé dans plusieurs types d’addiction—stupéfiants et alcool. En 1966 elle rejoint le groupe Big Brother and the Holding Company. Elle ne se profilait alors pas encore comme une chanteuse solo, mais bénéficiait au sein du groupe d’un statut comparable à celui de Grace Slick dans The Jefferson Airplane. La prestation de Joplin avec Big Brother au festival de Monterey fit sensation : le public découvrit une chanteuse d’une grande expressivité qui parvenait à fusionner les inflexions des artistes country avec les accents des chanteuses soul et des blueswomen (Aretha Franklin, Big Mama Thornton). Big Brother enregistra avec Joplin l’album Cheap Thrills (août 1968), considéré aujourd’hui comme un des enregistrements majeurs de la scène psychédélique de San Francisco. Il contient le single « Piece of My Heart » qui atteignit les sommets des charts. Joplin quitta Big Brother en 1968 et mit sur pied consécutivement deux groupes d’accompagnateurs—le Kozmic Blues Band et le Full Tilt Boogie Band—dont le style à mi-chemin entre la soul, le blues et la country convenaient mieux à sa voix que les accents plus strictement psychédéliques de Big Brother. Elle enregistra avec ces musiciens respectivement les albums I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama ! (sept. 1969) et Pearl (jan. 1971). Ce dernier, qui contient les excellents morceaux « Move Over » et « Me and Bobby McGee », fut commercialisé à titre posthume : Janis Joplin, victimes de ses addictions à l’héroïne et à l’alcool, décéda à vingt-sept ans, en octobre 1970, deux semaines après Jimi Hendrix.

De son vivant, Joplin était considérée comme une des figures les plus importantes de la scène rock liée au mouvement hippie. Avec ses musiciens, elle a tourné de manière presque incessante pendant sa courte carrière. En plus de Monterey, elle s’est produite dans plusieurs festivals majeurs, y compris Woodstock. Avec Grace Slick, elle fut aussi une des rares figures féminines à avoir atteint le statut de grande vedette dans le milieu très majoritairement masculin du rock progressif. Paradoxalement, nous avons déjà indiqué que des genres musicaux en principe principe plus commerciaux ou conservateurs que le rock—la soul de Motown et la country, par exemple—ont

231 offert un terrain plus favorable pour les vedettes féminines que les courants supposément plus authentiques ou radicaux du rock. Il est donc d’autant plus important de souligner l’impact de Joplin: elle a en effet démontré qu’une chanteuse pouvait incarner l’esprit de rébellion de la musique électrique. D’un point de vue purement musical, elle a prouvé qu’une chanteuse blanche pouvait se façonner un timbre de voix et une gamme de possibilités vocales empruntés largement à la musique noire. Ce type de voix a servi de modèle à de nombreuses chanteuses des décennies ultérieures, en particulier dans le country rock.

4. Santana Formé à San Francisco en 1966 par le guitariste mexicain-américain Carlos Santana, ce groupe devint une des figures fondatrices du genre baptisé Latin rock : sa musique déploie une fusion de rock psychédélique, de jazz et de musique afro-cubaine. Le son de Santana se caractérise par la prédominance des percussions (en particulier les congas), par l’utilisation généreuse des claviers (orgue et piano électrique), et par la virtuosité du jeu de guitare de Carlos Santana lui-même. Les efforts de Santana visant à produire une fusion entre le rock et la musique afro-cubaine suscitèrent un certain scepticisme au départ. Leur musique bénéficia cependant d’une promotion considérable grâce à leur prestation époustouflante au festival de Woodstock. Le premier album, Santana (août 1969) fut commercialisé peu après le festival et peut être considéré comme une œuvre de rupture vu l’originalité du mélange stylistique qu’il présente. L’album révèle une musique extrêmement rythmée favorisant les improvisations instrumentales (« Soul Sacrifice »). Le psychédélisme y tient au caractère hypnotique des rythmiques et aux envolées à la guitare ou aux claviers. En plus de la puissance des passages dominés par les percussions, le groupe s’avère capable de créer des textures sonores chatoyantes dans ses moments plus calmes. Le chant, en revanche, est rarement l’attraction principale chez Santana : il est présent seulement sur quelques morceaux au format plus traditionnellement afro-cubain. Leur deuxième album, Abraxas (sept. 1970), reconduit cette formule musicale avec encore plus de brio : il marque la consécration du Latin rock, offrant une variété de formats musicaux allant d’instrumentaux psychédéliques (« Samba Pa Ti ») au mambo (« Oye Como Va ») en passant par les improvisations jazz (« Singing Winds, Crying Beasts »). La magnifique pochette d’Abraxas illustre le morceau « Black Magic Woman ». Elle constitue un des exemples les plus célèbres du graphisme psychédélique sur un thème afro-féministe.

Comme les deux premiers albums de Santana le préfiguraient déjà, la carrière de Carlos Santana s’orienta vers le jazz fusion : le guitariste collabora avec des figures majeures du jazz des années 1960 et 1970—John McLaughlin, , , Miles Davis. Carlos Santana, reconnu comme un des grands virtuoses de la guitare électrique, élabora dans ce contexte une musique empreinte de spiritualité orientale. Il produisit occasionnellement des albums plus commerciaux qui

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lui ont permis de consolider le succès considérable dont il a bénéficié à travers plusieurs décennies.

5. Sly and the Family Stone L’énumération des grands noms du psychédélisme américain peut donner l’impression que ce mouvement était l’apanage de musiciens blancs, avec seulement une ouverture partielle à la musique latino-américaine dans les œuvres de Santana. L’interaction entre musique noire et blanche dans la deuxième moitié des années 1960 fut en effet moins prononcée qu’entre 1950 et 1965. Nous avons déjà décrit le contexte qui a causé cette séparation partielle (voir 2.6.1.1.2). Il faut cependant noter l’existence d’au moins un groupe de San Francisco qui a fait le lien entre le son du flower power et de la soul—Sly and the Family Stone, les pionniers de ce que l’on appellera plus tard la psychedelic soul (voir 2.8).

Sly Stone (Sylvester Stewart) était un multi-instrumentiste précoce issu d’une famille noire religieuse. Avec plusieurs membres de sa famille il débuta sa carrière dans le gospel et le doo-wop. Il travailla comme DJ dans des stations rhythm and blues de San Francisco—un rôle qui lui permit d’exercer une influence importante sur le développement de la musique soul. En tant que claviériste, il accompagna un grand nombre d’artistes de rhythm and blues et de soul. En 1966, il créa Sly and the Family Stone avec deux membres de sa famille. Le groupe était multigenre et multiethnique : deux de ses membres étaient des femmes et le saxophoniste et le batteur étaient blancs. Dès le départ, Sly and the Family Stone produisirent de la soul rayonnant d’un optimisme teinté d’ironie narquoise. Musicalement, elle était basée sur des rythmiques comparables à celles développées à la même époque par James Brown. Sly Stone peut d’ailleurs, au même titre que Brown, être considéré comme un des pionniers du funk— la formule musicale qui dominera la musique noire des années 1970 (voir 2.8). Sly and the Family Stone obtinrent un succès commercial avec le single « Dance to the Music” (fév. 1968). Leur troisième album Stand ! (mai 1969), avec les singles « Everyday People » et « I Want to Take You Higher », fut considéré comme un jalon majeur de la musique soul et de la musique psychédélique. Il contient des chansons soul très mélodiques (la plage titulaire « Stand ! »), des morceaux funk à la rythmique impitoyable (« I Want to Take You Higher »), ainsi qu’une longue improvisation funk témoignant de la virtuosité musicale du groupe (« Sex Machine »).29 Sly and the Family Stone se produisirent avec grand succès à Woodstock.

Après cette période fructueuse, Sly Stone fut affecté par ses addictions et par le pessimisme qui succéda à la période psychédélique. Cette évolution s’exprima dans le single « Thank You (Fellettinme Be Mice Elf Agin) » (déc. 1969) et, particulièrement, dans l’album There’s a Riot Goin’ On (nov. 1971). Stone enregistra ce disque en

29 Contrairement à ce que son titre suggère, ce morceau n’est pas la version originale du single homonyme de James Brown (1970).

233 grande partie en solo avec une intervention minimale des autres membres du groupe, avec lesquels il n’était plus en bon termes. There’s a Riot Goin’ On peut être considéré comme la consécration de la psychedelic soul : il aborde les thèmes pessimistes de la vie sociale de la communauté noire et déploie des rythmiques et des sons funky qui influenceront l’ensemble de la musique noire ultérieure. Sly Stone fut en effet considéré comme une influence majeure par des artistes comme Stevie Wonder, Michael Jackson et Prince.

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Los Angeles

Los Angeles n’eut pas la même importance que San Francisco dans le développement de la musique psychédélique. Cependant, ce très grand centre urbain, en plus de son rôle comme capitale du cinéma américain, était un endroit clé pour l’industrie de la musique car il abritait le siège social de maisons de disque importantes (Capitol Records). Los Angeles avait également vu se développer une scène jazz à partir des années 1930. Dans les années 1960, la région de Los Angeles vit apparaître plusieurs groupes rock importants—The Beach Boys, The Byrds, Buffalo Springfield, Love et Spirit. Le groupe psychédélique le plus célèbre originaire de la ville fut sans aucun doute The Doors. La scène musicale du sud de la Californie fut également l’environnement où se développèrent les carrières de Frank Zappa et de son ami Don Van Vliet, mieux connu sous le nom de Captain Beefheart.

6. The Doors. Ce groupe se forma en 1965 à Los Angeles à l’initiative du chanteur Jim Morrison et du claviériste Ray Manzarek. Le guitariste Robbie Krieger et le batteur John Densmore s’y joignirent la même année. Le choix de leur nom signalait leur affiliation au psychédélisme puisqu’il s’inspire du titre de l’essai autobiographique d’Aldous Huxley The Doors of Perception (1954) dans lequel le romancier britannique décrit son expérience de la mescaline (voir 2.6.1.2.4). Les Doors se firent connaître par leurs prestations dans plusieurs clubs de Los Angeles. Après avoir essuyé quelques refus, ils obtinrent un contrat d’enregistrement. Le premier album, The Doors, fut enregistré en été 1966 et commercialisé en janvier 1967. Le deuxième single tiré de l’album, « Light My Fire » (mai 1967), atteignit le sommet des hit-parades. D’une très grande valeur musicale, l’album s’imposa d’emblée comme une œuvre de rupture mettant en lumière tous les aspects novateurs de la musique du groupe. Le son des Doors est instantanément reconnaissable à la voix puissante, profonde et extrêmement bien modulée de Morrison ainsi qu’à la virtuosité de Manzarek à l’orgue et au piano électrique (en concert, Manzarek assurait aussi les lignes de basse). Tous deux comptent parmi les musiciens les plus accomplis de la scène psychédélique américaine. Musicalement, les Doors mélangent les influences du rhythm and blues (« Break On Through [To the Other Side]” ; « Soul Kitchen ») et du folk rock psychédélique (« The Crystal Ship”) avec des traditions plus éloignées des sources musicales du rock—comédies musicales expressionnistes (« Alabama Song » de Kurt Weill), musique classique (l’intro au clavier de « Light My Fire »), flamenco (« Spanish Caravan » sur le troisième album, Waiting for the Sun) et jazz (« Touch Me » sur le quatrième album, The Soft Parade). Le premier album se termine par une longue balade psychédélique (« The End ») comportant un bridge (partie centrale) permettant à Morrison de développer un récitatif poétique.30 Le deuxième album, Strange Days (sept. 1967), confirme les qualités du premier. Il se termine également

30 Plus de dix ans après sa sortie, « The End » connut un regain de popularité quand elle fut choisie par Francis Ford Coppola pour la bande-son d’Apocalypse Now (1979), un des films majeurs consacrés à la Guerre du Viêt Nam.

235 par un long morceau psychédélique, le magnifique « When the Music’s Over », doté d’un récitatif à la thématique psychanalytique. Après ces deux albums, la production des Doors connut un fléchissement dû en partie à la personnalité de plus en plus fantasque de Morrison. Le cinquième album, Morrison Hotel (fév. 1970), eut donc une valeur de recentrage : il ramène les Doors vers un rhythm and blues vigoureux et efficace, comme en témoigne le morceau d’ouverture, « Roadhouse Blues ». Le dernier album enregistré du vivant de Morrison, L.A. Woman (avril 1971), s’inscrit dans la même lignée. Il se clôture par la balade psychédélique « Riders on the Storm », un chef-d’œuvre de la musique américaine du tournant des années 1970. Morrison mourut d’une overdose à Paris en juillet 1971. Il rejoignit donc la liste déjà longue des victimes de la scène rock. Les trois autres membres du groupe enregistrèrent encore deux albums au début des années 1970. A la fin de la décennie, ils enregistrèrent le très bel album An American Prayer (1978) dans lequel ils élaborent un accompagnement musical pour des poèmes que Morrison avait enregistré a cappella (sans soutien instrumental).

The Doors représentent le versant sombre du psychédélisme américain. Un grand nombre de leurs textes ont un caractère littéraire prononcé, tirant leurs sources du symbolisme, de l’existentialisme, de la psychanalyse et de la littérature Beat. A cet égard, les Doors semblent suivre la trace de Dylan, même si les thématiques abordées par Morrison—l’inceste, la violence, l’autodestruction, la transfiguration du moi— sont plus violentes et plus sombres que celles développées par l’auteur de Blonde on Blonde. Morrison était en particulier fasciné par le shamanisme des populations amérindiennes. C’est une thématique qu’il avait développée dans une suite poétique et musicale, « The Celebration of the Lizard », qui n’apparut de son vivant que sur l’album public Absolutely Live (juillet 1970). Les autres musiciens et leur producteur trouvaient ce projet trop littéraire pour un album rock ; la version studio incomplète ne fut commercialisée que dans des rééditions tardives. Le désaccord suscité par « Lizard » révèle une tension entre le caractère libertaire et autodestructeur de Morrison et d’autre part l’esthétique beaucoup plus disciplinée incarnée par Manzarek. Musicalement, derrière une surface psychédélique défiant les normes, les morceaux des Doors sont structurés de manière stricte et complexe. Le tempérament libertaire de Morrison s’exprimait également en concert. Il avait développé un jeu de scène extraverti empruntant certains de ses gestes aux rituels shamaniques. Il affectionnait la provocation, provoquant des incidents avec le public et les forces de l’ordre : il fut arrêté deux fois pour trouble à l’ordre public et indécence. A terme, ce comportement, alimenté par la drogue et l’alcool, ne pouvait que mener à sa fin tragique et à la séparation du groupe.

7. Frank Zappa (The Mothers of Invention) Frank Zappa grandit dans le sud de la Californie, dans les environs de San Diego et de Los Angeles. Il fut une des personnalités les plus originales issues du rock

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psychédélique américain et aussi une des plus prolifiques, apparaissant sur une soixantaine d’albums. La musique qu’il a produite pendant ses trente ans de carrière est inclassable : elle se situe à la limite du rock progressif, du jazz fusion et de la musique classique contemporaine. Déjà pendant son adolescence, Zappa était fasciné d’une part par le rhythm and blues (il se constitua une collection imposante de disques de doo-wop) et par des compositeurs modernistes comme Edgard Varèse, John Cage et Anton Webern. Avant même de fonder le groupe qui l’a rendu célèbre, The Mothers of Invention, il avait accompli plusieurs projets musicaux, notamment en tant que compositeur de musique de films. The Mothers attirèrent l’attention de Tom Wilson, un producteur qui avait travaillé avec Dylan et Simon and Garfunkel. Leur premier album, un double LP intitulé Freak Out ! (Juin 1966),31 s’imposa d’emblée comme une des œuvres les plus étonnantes des premières années de la contreculture (l’album sortit un mois après Blonde on Blonde de Dylan et deux mois avant Revolver des Beatles). Les deuxième et troisième albums des Mothers—Absolutely Free (mai 1967) et We’re Only in It for the Money (mars 1968)—s’inscrivent dans la lignée du premier. La musique de Zappa et des Mothers incarne ce que l’on peut appeler selon la terminologie de Mikhaïl Bakthine la dimension carnavalesque de la contreculture (voir Vol I, 1.4.5.3.1.2 ; Vol II 2.6.3.3.5): elle a une valeur satirique et parodique qui fait penser à l’esprit de l’avant-garde dadaïste. Malgré le fait que ces albums soient divisés en morceaux selon les conventions de l’industrie musicale, on ne peut parler ici de chansons : les morceaux sont composés de fragments au tempo extrêmement variable sur lesquels sont surimposés soit des bribes de paroles chantées, soit des récitatifs dans lesquels on reconnait la voix sarcastique de Zappa. Cette musique était produite en partie par des collages de bandes magnétiques et des enregistrements provenant d’émissions radio. Elle est par définition extrêmement hybride. Les fragments de morceaux sont souvent des pastiches de genres musicaux préexistants. We’re Only in It constitue la consécration de ce style. Dans leur pratique scénique, Zappa et The Mothers donnèrent de nombreux concerts dans lesquels ils mélangeaient les improvisations avec des performances de leurs morceaux studio. Pendant deux ans, de 1966 à 1968, Zappa s’installa à New York pour assurer une série de concerts. Après son retour à Los Angeles, il dissout les Mothers (le groupe fut reformé au début des années 1970).

En 1969, Zappa enregistra Hot Rats (oct. 1969) à titre d’artiste solo. Ce disque, en grande partie instrumental, donna une nouvelle impulsion à sa carrière : il offrait une musique de tonalité moins satirique que par le passé mais d’une virtuosité impressionnante : on passe du psychédélisme au post-psychédélisme. Zappa s’y affirme comme un des guitaristes les plus doués de la scène rock (« Willie the Pimp » contient un solo hendrixien de près de cinq minutes). Il est accompagné de musiciens à la technique tout aussi aboutie (notamment Jean-Luc Ponty au violon). Après les albums libertaires des Mothers, Hot Rats pourrait faire figure de recentrage musical, mais ce qualificatif serait inapproprié tant la musique de Zappa reste éloignée des

31 Freak Out ! est donc, après Blonde on Blonde de Dylan, le deuxième double LP de l’histoire du rock.

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canaux habituels du rock et du jazz traditionnel. Commercialisé peu après In a Silent Way de Miles Davis, Hot Rats peut être interprété comme un des premiers albums majeurs de jazz fusion. Il anticipe également l’art rock post-psychédélique des années 1970 (Genesis, Yes). Les étapes ultérieures de la carrière de Zappa se déroulèrent dans la continuité de ce qui est esquissé dans Hot Rats : une musique très variée à l’instrumentation mélangeant le rock et le jazz, et stylistiquement proche du classique contemporain. Zappa collaborera notamment avec les musiciens classiques et .

New York

A travers tout le vingtième siècle, New York s’est profilée comme un des centres musicaux les plus féconds des Etats-Unis. La ville était le siège d’un grand nombre de maisons d’édition musicale où travaillaient les compositeurs qui alimentaient l’ensemble du marché de la musique populaire aux Etats-Unis. Ceux-ci étaient regroupés dans le quartier entourant la 28ème rue surnommé « Tin Pan Alley », en référence au son des multiples pianos droits utilisés par les compositeurs. New York a aussi été un centre important pour le jazz, le blues, et le doo wop. La ville était également le siège de nombreuses stations de radio et de télévision, y compris la chaîne WINS où travaillait Alan Freed, le DJ qui contribua à la naissance du rock and roll (voir 2.3.2.2.1). Nous avons vu également qu’au début des années 1960, le quartier de Greenwich village fut l’incubateur du folk revival avec des artistes comme Bob Dylan, Dave Van Ronk et Joan Baez (voir 2.4.1).

Au moment de la British Invasion, la ville ne pouvait cependant pas se targuer d’avoir une scène rock prestigieuse. En revanche, elle était devenue depuis les années cinquante le centre incontournable des avant-gardes artistiques dans le domaine des arts graphiques. Des mouvements comme l’expressionisme abstrait (Jackson Pollock, Hans Hartung), le Pop Art (Andy Warhol, Roy Lichtenstein) et l’art conceptuel (Lawrence Weiner, Sol LeWitt) avaient fait de la ville le haut lieu du modernisme et du postmodernisme naissant. Une partie du rock new yorkais porte les traces de la proximité de ces avant-gardes. Les groupes de la période psychédélique, du punk et du post-punk tirent leur spécificité du fait qu’ils se sont développés en cohabitation avec des artistes à la pointe de l’expérimentation esthétique.

8. The Velvet Underground. Formé en 1965 par Lou Reed (guitare et chant), John Cale (violon alto, piano), Sterling Morrison (guitare) et Maureen « Moe » Tucker (batterie), The Velvet Underground déclenchèrent une révolution musicale dont l’impact ne fut pleinement ressenti qu’une dizaine d’année après leur formation. Le nom du groupe est emprunté à un essai journalistique consacré aux pratiques sexuelles minoritaires. Ce goût de la transgression sous-tend les paroles de leurs chansons. Ironiquement, le terme « underground » décrit aussi leur faible niveau de popularité. Pendant leurs quelques

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années d’activité, du milieu des années 1960 jusqu’au début des années 1970, la réputation du Velvet Underground se limita en effet aux cercles artistiques new yorkais et à la frange la mieux informée du public rock. L’intérêt pour leur musique crût à partir du moment où Lou Reed, ayant quitté le groupe, devint une vedette majeure du rock classique des années 1970. Vers la fin de cette décennie, The Velvet Underground furent reconnus comme des précurseurs majeurs du punk et du post-punk.

Vu l’importance du Velvet Underground dans l’histoire du punk, il peut paraître étrange de les rattacher au psychédélisme. Cependant, le groupe mérite ce statut non seulement pour des raisons chronologiques mais aussi musicales. Reed et Cale étaient des amateurs d’art contemporain. Cale avait travaillé avec des compositeurs de musique moderne, LaMonte Young, notamment. Dès leurs débuts, The Velvet Underground privilégièrent donc des arrangements instrumentaux inhabituels pour des musiciens rock. Cale utilisait l’alto pour jouer des staccatos répétitifs ou pour produire des « drones »—des notes tenues et lancinantes. Tucker utilisait une batterie personnalisée dépourvue de cymbales, lui permettant de produire des rythmes aux consonances africaines. Le caractère novateur du Velvet attira l’attention d’Andy Warhol, la figure centrale du Pop Art. En 1966-67, celui-ci engagea le groupe pour accompagner un spectacle intitulé The Exploding Plastic Inevitable. Il leur demanda aussi d’intégrer une chanteuse dans leur formation—le mannequin d’origine est- allemande Nico (Christa Päffgen), à la voix grave et obsédante. Pendant les performances de l’Exploding Plastic Inevitable, le groupe disposait d’un light show avant-gardiste composé en partie de projections de films de Warhol. Ces spectacles étaient comparables aux shows psychédéliques élaborés par Pink Floyd à Londres à la même époque, même si l’inspiration du Velvet différait fort de celle du groupe anglais.

Le premier album, The Velvet Underground & Nico (mars 1967),32 révèle une musique de rupture dont le spectre s’étend de balades dépouillées (« Sunday Morning » ; « Femme Fatale ») à des morceaux expérimentaux aux arrangements bruitistes (« Heroin » ; « European Son »). Les balades, loin de signaler une concession au sentimentalisme, rompent avec la pop commerciale par leur caractère épuré et contemplatif. Dans leur registre médian, The Velvet Underground proposent des morceaux rock en apparence (« I’m Waiting for My Man » ; « Venus in Furs ») mais dotés d’arrangements au rythme hypnotique sur base d’une instrumentation inédite pour l’époque (staccato au violon ; percussions sourdes). « All Tomorrow’s Parties » est sans doute l’exemple le plus réussi de cette fusion entre rock et avant-

32 The Velvet Underground & Nico était doté d’une pochette comportant une image provocante imaginée par Warhol. Dans sa version initiale, le disque donnait à voir une banane jaune sur fond blanc signée du nom du peintre. La peau jaune de la banane était un autocollant muni d’une légende : « Peel slowly and see » [« Pour voir, détachez lentement »]. Si l’on suivait ces instructions, on découvrait sous l’autocollant l’image sexuellement connotée d’une banane rose. Le nom du groupe ne figurait pas sur la pochette avant. Les éditions ultérieures ne reprirent pas ce gimmick : seule la banane jaune y figure, accompagnée du nom du groupe.

239 garde. Les textes abordent la drogue (« Waiting for My Man » ; « Heroin ») et le sadomasochisme (« Venus in Furs ») sans concession à la censure. Le succès du premier disque fut limité. Le deuxième, White Light/White Heat (janv. 1968), fut produit après que le groupe ait rompu avec Warhol et Nico. Il pourrait passer pour la consécration de l’avant-gardisme du Velvet si son insuccès commercial ne rendait le terme légèrement inapproprié. Une minorité de chansons se raccrochent au format rock (« White Light/White Heat » ; « Here She Comes »). Les autres se composent de récitatifs superposés à ce que l’on pourrait appeler une pulsation bruitiste, produite par des effets électroniques (distorsion, saturation, feedback) poussés à l’extrême. Le groupe s’enorgueillissait d’ignorer les précautions techniques des ingénieurs du son. Les thèmes abordés sont à nouveau la drogue, la sexualité (y compris l’expérience transgenre) avec occasionnellement une dose d’humour distancié (« The Gift »). Rétrospectivement, cet album s’impose comme une des œuvres les plus radicales des années 1960.

Les troisième et quatrième albums—The Velvet Underground (mars 1969) et Loaded (nov. 1970)—furent produits après le départ de John Cale. Sans l’avant- gardisme de ce dernier, ces disques marquent un recentrage vers les traditions du rock et des balades folk-rock. Les chansons n’en sont pas moins de très haute tenue. Nombre d’entre elles figurent d’ailleurs parmi les standards du rock—« Candy Says », « What Goes On » et « Pale Blue Eyes » sur The Velvet Underground ; « Sweet Jane » et « Rock and Roll » sur Loaded. Lou Reed, qui composa la plupart d’entre elles, les joua souvent sur scène dans le cadre de sa carrière solo. Au total, The Velvet Underground fait donc le lien entre deux moments avant-gardistes de l’histoire du rock. Composée lors des années psychédéliques, leur musique ne connut son plein impact qu’à la fin des années 1970, lorsque le punk remit l’industrie musicale en question. Le positionnement marginal du groupe servit de modèle à la scène alternative post-punk de la fin des années 1970 et des années 1980.

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2.6.2.4 La scène psychédélique en Grande Bretagne

2.6.2.4.1 Le Swinging London vire au psychédélisme

La scène psychédélique britannique se développa dans la continuité directe de la Beatlemania. La Grande-Bretagne à l’ère psychédélique ne fut à vrai dire pas le théâtre d’un mouvement social de masse comparable au Summer of Love de San Francisco (voir 2.6.1.2.3). Il n’est donc pas faux de penser qu’entre 1966 et 1970 le pays avait cédé l’initiative de l’avant-garde musicale à la Californie. Malgré tout, le Swinging London offrait un contexte favorable pour le développement de la musique psychédélique. La présence des musiciens de la British Invasion, encore en plein élan créatif, constituait un atout évident (c’est ce qui avait attiré Jimi Hendrix à Londres). Le public musical pouvait aussi interagir avec des groupes explicitement politisés comme la Campaign for Nuclear Disarmament et avec des collectifs inspirés du mouvement Beat américain. Ceci posa la base d’un versant britannique du mouvement hippie.

Le mouvement psychédélique britannique trouva son ancrage dans plusieurs endroits privilégiés—les points de rencontre de ce que l’on appelait alors la scène underground. En juin 1965, Le Royal Albert Hall accueillit un happening de poésie beat où se produisirent Allen Ginsberg, Gregory Corso, et Lawrence Ferlinghetti devant un public de 7000 personnes (par prudence, la salle refusa toute ré-édition de cet évènement). Les jeunes britanniques désirant s’intégrer à la nouvelle contre-culture mêlant littérature, politique et musique pouvaient aussi fréquenter des librairies et des galeries d’art telles que Better Books et la Indica Gallery (John Lennon y rencontra l’artiste d’avant-garde Yoko Ono). Ils et elles pouvaient aussi bénéficier des conseils de la London Free School, un collectif anarchiste installé dans le All Saints Church Hall.

Parmi les lieux de concerts de la musique psychédélique, citons le Marquee Club de Soho où se produisirent presque tous les groupes rock de l’époque, et en particulier Pink Floyd. Le lieu le plus emblématique du mouvement était l’UFO Club, créé par Joe Boyd et John « Hoppy » Hopkins, qui accueillit des concerts de Pink Floyd, Jimi Hendrix et Soft Machine. L’UFO Club était célèbre pour ses light shows innovateurs élaborés par Mark Boyle et sa compagne Joan Hills. Ces spectacles mélangeaient des projections de film d’avant-garde et des fonds lumineux mouvants créés en diffusant la lumière de projecteurs à travers des filtres colorés dans lesquels circulaient des bulles d’huile. Ils étaient donc comparables aux happenings de l’Exploding Plastic Inevitable organisés à New York par Andy Warhol avec l’aide du Velvet Underground. L’UFO Club diffusait également des affiches de Michael English et Nigel Waymouth dont le style surréaliste devint la marque de fabrique du graphisme psychédélique britannique. Après la fermeture de l’UFO club, son rôle en tant que point de ralliement de la scène hippie fut repris par d’autres salles telles que Middle Earth ou The Speakeasy Club. En plus de Londres, d’autres villes britanniques contribuèrent au développement du mouvement. Canterbury, en particulier, était le lieu d’origine de Soft Machine.

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Tout comme la musique psychédélique aux Etats-Unis, le rock progressif britannique s’est alimenté de courants préexistants. Nous examinerons plus en détail les caractéristiques musicales du psychédélisme dans une section ultérieure (2.6.3.1). Nous pouvons cependant déjà brièvement esquisser la tonalité dominante de la musique britannique de la fin des années 1960 ainsi que sa diversité. Certains artistes de la scène britannique ont suivi la dynamique du mouvement américain. Le folk-rock a donc servi pour eux de stade de transition vers le psychédélisme. Nous avons vu que The Beatles se sont engagé dans cette voie lors de la composition de Rubber Soul. De même, Donovan, un chanteur folk d’origine écossaise, a débuté sa carrière dans un registre acoustique comparable à la période folk de Dylan (« Catch the Wind » mars 1965 ; « Universal Soldier » août 1965), avant de composer Sunshine Superman (août 1966), un des premiers albums psychédéliques britanniques. Ce dernier fut écrit en partie sous l’influence de The Jefferson Airplane. Mais plus que le folk-rock, il était logique pour les groupes britanniques de prendre comme matière première la musique qui s’était développée au sein de la British Invasion, en particulier le British rhythm and blues. Ainsi, une partie du psychédélisme britannique—Cream, en particulier, mais aussi Jimi Hendrix, si l’on tient compte du fait que le guitariste américain faisait partie de la scène londonienne—a élaboré ce que l’on pourrait appeler blues psychédélique—une version intense et libérée du rhythm and blues pratiqué pendant les années de la Beatlemania. A ce fonds musical tiré du blues se sont rajoutées les influences de la musique classique européenne, des musiques orientales (en particulier le raga indien dont les Beatles s’étaient approprié), du jazz, de la musique contemporaine, ainsi que certains éléments du folklore anglais et celtique (voir 2.6.3.3).

Dans ce mélange éclectique, la musique classique a joué un rôle important, distinguant les groupes britanniques de leurs équivalents américains. Plusieurs grands succès commerciaux de l’époque—« A Whiter Shade of Pale » de Procol Harum (1967) et « Nights in White Satin » des Moody Blues (1967)—jouent sur le mélange entre slow rock et orchestration classique (le thème principal de « A Whiter Shade of Pale ») est inspiré d’une cantate de Johann Sebastian Bach). Il est aussi symptomatique que plusieurs groupes britanniques (Procol Harum, Deep Purple, Pink Floyd) aient produit des albums accompagnés d’un orchestre symphonique, avec il est vrai des résultats mitigés (voir 2.6.3.3.3).

2.6.2.4.2 Les acteurs principaux de la scène psychédélique britannique

1. Cream (1966) Cream est un power trio formé en 1966 par Eric Clapton (guitare et chant), Jack Bruce (basse et chant) et Ginger Baker (batterie). Les trois musiciens s’étaient déjà créé une réputation d’excellence dans les milieux du British rhythm and blues et du jazz britannique. Cette formation est donc souvent considérée comme le premier supergroup (groupe composé de célébrités à la réputation confirmée). Ses membres étaient liés par de multiples collaborations antérieures. Clapton s’était bâti une réputation de guitar hero au sein des Yardbirds et de John Mayall and the

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Bluesbreakers. Bruce et Baker avaient joué dans Blues Incorporated sous la direction d’Alexis Korner ainsi que dans The Graham Bond Quartet. Rejoindre Cream leur permettait de développer leur musique et leur virtuosité dans un cadre plus libre que ce que leurs groupes antérieurs ne leur permettaient.

On peut appliquer aux trois albums studio de Cream le schéma transition/rupture/consécration que nous avons utilisé précédemment. Dans cette optique, Fresh Cream (déc. 1966) est un album de transition qui s’inscrit encore dans la tradition du British rhythm and blues, avec toutefois beaucoup de souplesse dans la structure des morceaux et une part importante laissée à l’improvisation. Disraeli Gears (nov. 1967) contient certains des morceaux les plus connus du groupe—« Strange Brew », « Sunshine of Your Love », « Tales of Brave Ulysses »—et s’éloigne en partie de la structure du blues pour adopter les mélodies et suites d’accords caractéristiques du psychédélisme britannique.33 Wheels of Fire (juillet 1968) est un double album enregistré à moitié en studio, à moitié en public. La partie studio contient l’excellent « White Room »—une des contributions majeures de Cream au canon de la musique rock. On y remarque une diversification croissante des influences musicales (notamment les accents orientalisants popularisés par les Beatles) ainsi qu’une liberté de composition et une virtuosité encore accrues. Le jeu de Clapton y est puissant et inventif et justifie son statut privilégié dans la lignée des grands guitaristes rock. Le disque live rend justice à ce qui avait été dès le début un des atouts majeurs du groupe—sa capacité à jouer sur scène des versions étendues de leurs propres morceaux ou des reprises de classiques du blues, sur base d’improvisations et de solos.

Des tensions entre les trois musiciens causèrent la séparation du groupe. Clapton aspirait à une musique plus disciplinée—le style qu’il pratiqua dans sa longue carrière solo. Bruce et Baker poursuivirent également leurs carrières dans les décennies successives. Baker s’est notamment distingué en tant que défenseur de l’afro-rock— le rock ouest-africain intégrant une grande variété de percussions. Au total, malgré sa carrière assez courte, Cream exerça un impact décisif sur la musique du tournant des années 1970. Tout comme Jimi Hendrix l’avait fait à la même époque, le groupe démontra le type de rock progressif qu’il était possible d’élaborer en mêlant le blues avec le psychédélisme. L’influence de Cream sur des groupes de rock classique tels que Led Zeppelin et sur l’ensemble du heavy metal du début des années 1970 fut donc considérable.

33 La pochette de Disraeli Gears, dessinée par l’artiste australien Martin Sharp, montre les visages des trois musiciens dans un tourbillon de couleurs. Il s’agit d’une des images les plus connues du psychédélisme britannique, comparable aux photographies solarisées des Beatles par Richard Avedon et à la pochette de Sgt. Pepper’s, Ironiquement, elle fut planifiée en dernière minute et sa réalisation retarda la sortie de l’album de plusieurs mois.

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2. Pink Floyd (période Syd Barrett) Fondé par Syd Barrett (guitare et chant), Roger Waters (basse et chant), Richard Wright (claviers) et Nick Mason (batterie), Pink Floyd s’imposa comme le groupe phare de la scène psychédélique britannique. Les membres de Pink Floyd étaient des étudiants en art et architecture issus de la classe moyenne supérieure. Au moment de la Beatlemania, ils se mirent à jouer de la musique inspirée du British rhythm and blues sous différents noms, notamment The Tea Set. Ils devinrent ensuite un des pivots de la scène underground londonienne. Le nom qu’ils adoptèrent alors, Pink Floyd, fait référence à deux bluesmen américains, Pink Anderson et Floyd Council. Au départ, Pink Floyd jouait des standards de rhythm and blues auxquels ils ajoutaient de longs passages d’improvisation. C’est à partir de ces improvisations que se développa leur son distinctif. En 1966, aidés par leurs managers Peter Jenner et Andrew King, Pink Floyd enrichit ses concerts d’un light show faisant appel à des diapositives multicolores, créant ainsi un spectacle total qu’ils présentèrent dans différents endroits de la nouvelle scène underground (The Marquee Club, All Saints Church Hall, The UFO Club).

S’étant créé un groupe de fan grâce à leurs concerts, ils purent signer un contrat d’enregistrement avec EMI. Deux singles—« Arnold Layne » (janv. 1967), « See Emily Play” (mai 1967) et un album The Piper at the Gates of Dawn (août 1967)— furent commercialisés la même année. Ils s’inscrivent dans la logique de rupture caractérisant l’émergence du psychédélisme. De manière remarquable, on ne trouve sur ces enregistrements que très peu de trace du rhythm and blues que le groupe jouait à ses débuts. Les morceaux, composés majoritairement par Syd Barrett, se répartissent en deux catégories. Certains d’entre eux—les deux singles ainsi que, sur l’album, « The Gnome », « Flaming » et « The Bike »—semblent offrir une version psychédélique de la musique de cabaret : ils racontent des anecdotes surréalistes sur fond d’une musique énigmatique dont les effets frisent le comique. Ce style— également pratiqué par les Beatles à l’époque et, de manière plus radicale, par Frank Zappa—peut être qualifié de carnavalesque psychédélique (voir 2.6.3.3.5). D’autres morceaux—« Astronomy Domine », « Interstellar Overdrive », “Pow R. Toc H. ”— constituent les premiers exemples du style qui rendra Pink Floyd célèbre ultérieurement—le space rock. Sur base d’improvisations bruitistes et de récitatifs faisant référence à l’exploration spatiale, ils créent un équivalent sonore du sentiment d’expansion de l’esprit qui définit l’expérience psychédélique. La grande originalité de cette musique ne l’empêcha pas d’obtenir un certain succès commercial—« See Emily Play » se hissa à la 6ème place du hit-parade britannique34—et d’être encensée par la critique. L’importance de ces premiers enregistrements a été soulignée par tous les commentateurs ultérieurs et par les nombreux musiciens qui en furent influencés.

34 Il existe d’ailleurs des archives vidéo montrant Pink Floyd interprétant « See Emily Play” pour l’émission Top of the Pops de la BBC—un programme où défilaient les artistes du hit-parade britannique.

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Dès l’enregistrement de The Piper at the Gate of Dawn, Syd Barrett présenta des signes de troubles psychiatriques. Cette condition, exacerbée par la consommation de LSD, ne fit qu’empirer par la suite. Barrett ne participa qu’à quelques morceaux du deuxième album, A Saucerful of Secrets (juin 1968). La tragédie de Syd Barrett resta pour le groupe un traumatisme important : ils l’évoquent dans leurs albums les plus populaires—The Dark Side of the Moon (1973) et Wish You Were Here (1975). En Décembre 1967, Barrett fut remplacé à la guitare par un ami du groupe, David Gilmour. Ce changement de personnel, nous le verrons plus bas, eut un impact important sur la musique de Pink Floyd : il favorisa le recentrage de leur musique vers ce que nous appellerons plus bas le style post-psychédélique du rock classique (voir 2.7.2.1.3).

3. Soft Machine Ce groupe originaire de Canterbury fut formé par Robert Wyatt (percussions et chant) et Kevin Ayers (guitare, basse et chant). Leur nom est emprunté à The Soft Machine, un roman surréaliste de l’écrivain beat américain William Burroughs.35 Les musiciens de Soft Machine s’intégrèrent rapidement à la scène underground londonienne. Ils furent notamment proches de Jimi Hendrix et de Syd Barrett. Leur succès sur la scène psychédélique internationale était comparable à celui de Pink Floyd. Leur premier album—The Soft Machine (avril 1968)—révèle que leur musique s’orientait dès le départ vers le jazz et la musique contemporaine: leurs morceaux ont recours à des signatures rythmiques inhabituelles en musique rock, à de nombreux changements de rythme, à des dissonances, et à l’improvisation. Leur style est donc proche de celui de Frank Zappa, avec cependant une moindre dimension satirique. Volume Two (avril 1969) et Third (juin 1970)confirmèrent leur statut de pionniers du jazz fusion britannique. Leur musique devint à partir de cette époque essentiellement instrumentale : sur le double album Third, chaque morceau dure un peu moins de vingt minutes et occupe donc une face entière de chaque disque vinyle. Ayers quitta le groupe en 1968 pour poursuivre une longue carrière dans les milieux du rock progressif des années 1970. Wyatt quitta également Soft Machine en 1971 et subit un accident qui le laissa paraplégique (en état d’ébriété, il tomba par une fenêtre du quatrième étage). Ceci ne l’empêcha pas de continuer à enregistrer et se produire en concert. Il devint une figure importante de la musique engagée en Grande Bretagne, notamment en opposition à Margaret Thatcher. Soft Machine, sans ses membres fondateurs, continua à se produire sous différentes formations jusqu’aux années 2000. Ils restent des figures légendaires du prog-rock et du jazz fusion.

35 William Burroughs était un des écrivains favoris des musiciens des années 1960 et 1970. De nombreuses expressions de la culture rock sont tirées de son œuvre, notamment le terme « heavy metal »<

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4. Jethro Tull Formé en 1967 autour de la figure d’Ian Anderson (chant et flute), ce groupe emprunte son nom au Vicomte Jethro Tull, un aristocrate du 18ème siècle qui révolutionna les techniques d’agriculture. Jethro Tull se distingue des autres groupes anglais de l’époque par la tonalité à la fois rauque, nasale et ironique du chant d’Anderson (il est originaire d’Ecosse) et par le fait que ce dernier choisit la flute traversière comme instrument de prédilection (il fit ce choix excentrique pour ne pas se cantonner au rôle de guitariste médiocre). Leur premier album, This Was (oct. 1968), fut enregistré après que le groupe se fasse connaître par de nombreux concerts. This Was s’inscrit encore dans la tradition du blues britannique du milieu des années 1960 mais en diffère par les tonalités jazz qu’y rajoute la flute d’Anderson. Le deuxième album, Stand Up (sept. 1969), contient déjà tous les éléments qui caractériseront le groupe ultérieurement : un mélange de blues, de jazz, de classique et de folk anglais. L’album contient notamment une adaptation rock de la « Bourrée en mi mineur » de Jean Sébastien Bach. Sur ces enregistrements, les membres du groupe font preuve d’une maîtrise musicale exceptionnelle. Tous les instruments ont leur moment de virtuosité et le groupe affectionne les changements de signature rythmique et de tempo. Ces éléments caractérisent également leur album concept Aqualung (mars 1971) qui bénéficia d’un succès considérable. Aqualung, en plus de son morceau titulaire, contient l’excellent « Locomotive Breath », un morceau basé sur un riff de heavy metal qui devint un des classiques du rock des années 1970. Tout comme King Crimson et le Pink Floyd de David Gilmour, Jethro Tull anticipe par son professionnalisme le virage vers l’époque post-psychédélique.

5. King Crimson Ce groupe se forma en 1968 à Londres à l’initiative de trois musiciens originaires du Dorset. Parmi eux se trouvait le guitariste Robert Fripp qui devint rapidement la figure dominante du groupe et reste aujourd’hui le seul musicien à avoir fait partie de toutes ses multiples reconfigurations. Fripp et King Crimson jouissent d’un statut remarquable car ils ont fait le lien non seulement entre le psychédélisme et le rock progressif post-psychédélique (l’« art rock »), mais aussi vers le post-punk. Par son jeu de guitare moderniste mêlant le rock parfois très dur, le jazz et la musique classique contemporaine Fripp s’est imposé comme un des musiciens les plus originaux de l’histoire du rock.

Le premier album de King Crimson, In the Court of the Crimson King (oct. 1969) fut enregistré avec, en plus de Fripp, le chanteur et bassiste Greg Lake, le claviériste Ian McDonald, le batteur Michael Giles et l’apport de Peter Sinfield pour l’écriture des textes. Sa texture sonore marque la transition entre le psychédélisme des débuts et l’art-rock post-psychédélique. On y distingue deux orientations musicales qui caractériseront durablement l’histoire du groupe. « Twenty-First-Century Schizoid Man » déploie un son rude et dissonant, produit notamment par l’application de

246 distorsion sur la voix (ce procédé, inédit à l’époque, sera popularisé plus tard par les musiciens de heavy metal des années 1980). Les guitares de Fripp y alternent entre le rock dur et le jazz : le morceau contient un long bridge en mesure de 5/4 inspiré du jazz moderne. A l’opposé de ce modernisme sans concession, plusieurs morceaux— « Epitaph », « The Court of the Crimson King »—développent une musique ancrée dans la tradition du classique. Ce style plus mélodieux jette les bases du son post- psychédélique adopté par de nombreux groupes anglais du début des années 1970. L’instrument qui y domine est le mellotron—un clavier déjà utilisé dans les grands succès des Moody Blues et dans certains morceaux des Beatles. Le mellotron produit des arrangements de cordes sur base de bandes magnétiques (c’est l’ancêtre analogique du sampler et des synthétiseurs numériques). Il confère donc au son de King Crimson une texture symphonique. L’utilisation du mellotron est parfois critiquée comme un procédé facile et doucereux. Cependant, dans « Epitaph » et « The Court of the Crimson King », l’instrument produit un son acide et fluctuant aux effets somptueux. Il met en valeur le remarquable talent vocal de Greg Lake.

Les albums succédant immédiatement à In the Court of the Crimson King répètent sous une forme moins imaginative le style introduit dans les premiers enregistrements. Vers le milieu des années 1970, Fripp renouvela intégralement la composition du groupe en y joignant le bassiste et chanteur John Wetton et le batteur virtuose Bill Bruford. Sous cette nouvelle formation, King Crimson produisit deux albums remarquables—Lark’s Tongue in the Aspic (1973) et Red (1974)—à un moment où la scène post-psychédélique montrait déjà des signes d’essoufflement. Ultérieurement Fripp s’engagera dans de nombreuses collaborations musicales, en particulier avec David Bowie (il joue la guitare solo sur Heroes [1977]), et Brian Eno. L’impact de King Crimson s’est fait ressentir non seulement sur l’ensemble du rock progressif mais aussi sur le post-punk et le grunge (Kurt Cobain a cité King Crimson parmi les sources de Nirvana).

Autres figures du psychédélisme britannique Au-delà de ces noms bien connus, d’autres groupes ont émergé au sein de la scène britannique de la fin des années 1960. En plus des The Moody Blues et de Procol Harum que nous avons mentionné plus haut, pensons à Family, dont l’album Music in a Doll’s House (Juillet 1968) met en valeur le talent excentrique du vocaliste Roger Chapman, à Caravan (Caravan 1968), dont le mélange de rock et de jazz ressemble s’inscrit dans la lignée de Soft Machine, de Van der Graaf Generator, proches de King Crimson et de Soft Machine, ainsi qu’à The Nice, le groupe du claviériste vedette Keith Emerson. L’exemple de Keith Emerson, qui deviendra célèbre au sein d’Emerson, Lake and Palmer, nous rappelle que les divisions chronologiques ne sont jamais nettes : la plupart grands noms de l’art-rock post-psychédélique du début des années 1970 ont fait leur apprentissage et ont enregistré leurs premières œuvres pendant la période psychédélique classique. C’est le cas de Pink Floyd, Yes et

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Genesis. De même, les groupes phares du heavy metal classique—Led Zeppelin, Deep Purple—ont débuté leur carrière avant 1970.

Si l’on cherche à établir un contraste entre les scènes psychédéliques américaine et britannique, il convient de mettre l’accent, d’une part, sur la fidélité des groupes américains au folk rock et au country rock et, d’autre part, sur l’impact qu’ont exercé sur la musique britannique les apports musicaux étrangers au blues et au folk. De nombreux groupes américains se sont recentrés vers le folk rock et le country rock à partir de la fin des années 1960. En Grande Bretagne, au contraire, il n’y a pas eu recentrage vers un seul style mais plutôt bifurcation. Une partie des musiciens du psychédélisme (Eric Clapton après Cream, notamment) sont revenus au style inspiré du blues qu’ils pratiquaient avant la deuxième moitié des années 1960. De plus, l’influence du British rhythm and blues s’est perpétuée à travers le hard rock et de heavy metal, comme en témoignent la musique de Led Zeppelin. Les groupes de l’art-rock post-psychédélique ont au contraire continué à puiser dans le classique, le jazz, la musique contemporaine—, mais sous la forme maîtrisée et professionnelle caractéristique de la musique des années 1970. Notons que ces deux courants—blues et expérimentation classique et jazz—ne sont pas mutuellement exclusifs. Les groupes des années 1970, y compris les musiciens de heavy metal classique tels que Led Zeppelin et Deep Purple—, s’y sont alimenté tour à tour.

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2.6.3 Les stratégies musicales du psychédélisme et du rock progressif

2.6.3.1 Comment cartographier la diversité du psychédélisme ?

Décrire l’identité musicale spécifique du psychédélisme présente, on s’en doute, certaines difficultés. Tout d’abord, nous avons indiqué ci-dessus que les musiciens de la deuxième moitié des années 1960 se sont fait une fierté de s’inspirer d’une pluralité de traditions, et en particulier de musiques mal connues du public du rock and roll. Il est donc délicat de réduire cette pluralité à un idiome psychédélique identifiable. De plus, la spécificité de la musique psychédélique tient pour une large part à sa texture sonore. Cette dimension de la pratique musicale, nous l’avons vu, résiste à la caractérisation objective (voir 2.1.1.1). Il est difficile de la décrire sans recourir des descriptions impressionnistes en apparence peu rigoureuses.

Ces difficultés ne sont cependant pas insurmontables. Tout d’abord, nous pouvons tirer parti du fait qu’il existait déjà dans les années 1960 un stéréotype du psychédélisme musical. Comme dans toute classification culturelle, certaines œuvres avaient valeur de repère. Le psychédélisme, dans le sens étroit du terme, s’exprime dans des morceaux qui rajoutent aux accents du Merseybeat et du folk-rock des éléments orientalisants (voir 2.6.3.3.2). De tels morceaux étaient censés reproduire ou accompagner l’expérience des drogues hallucinogènes, en particulier le LSD (voir 2.6.1.2.4). Cette formule musicale s’illustre par exemple dans « Tomorrow Never Knows », « Strawberry Fields Forever » et « Lucy in the Sky with Diamonds » des Beatles ; « 2000 Light Years from Home » des Rolling Stones ; « Astronomy Domine » de Pink Floyd ; « Eight Miles High » des Byrds ou « White Rabbit » de Jefferson Airplane. C’est d’ailleurs le son de ces morceaux-repères qui est imité dans les nombreux pastiches ultérieurs du style psychédélique— « Sister Europe » des Psychedelic Furs (fév. 1980), les merveilleux albums de The Dukes of Stratosphear (1985, 1987)36 ou encore « Beautiful Stranger » de Madonna (1999). Ce cœur de cible du corpus psychédélique coexistait avec des morceaux intégrant des éléments de jazz, de musique classique ou de musique contemporaine qui élargissaient le champ musical du mouvement au-delà de ses caractéristiques stéréotypées.

Nous verrons aussi qu’il est impossible de décrire la texture du son psychédélique sans retracer l’évolution de la technologie musicale disponible pendant la deuxième moitié des années 1960. Le psychédélisme est considéré à juste titre comme une période d’essor spectaculaire des technologies audio. Nous devrons cependant nuancer ce stéréotype en rappelant que, sur base de critères du 21ème siècle, les techniques d’enregistrement des années 1960 étaient à certains égards encore limitées, souvent en retrait par rapport aux ambitions artistiques des musiciens (voir 2.6.3.1.2.2). Ironiquement, ce sont ces limites mêmes qui confèrent à la musique enregistrée à l’ère du flower power un profil reconnaissable. C’est notamment ainsi qu’elle se distingue de la musique post-psychédélique, techniquement plus aboutie.

36 The Dukes of Stratosphear était un groupe parodique des années 1980, mis sur pied par trois musiciens du groupe post-punk XTC.

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2.6.3.2 La texture sonore

2.6.3.2.1 L’érosion des contours

La définition littérale de la musique psychédélique est, nous l’avons vu, basée sur le rapport aux hallucinogènes (voir 2.6.1.2.4). Même si tous les morceaux du mouvement ne sont pas ancrés dans cette expérience, l’évocation de l’expansion de l’esprit par la drogue est bien au cœur du psychédélisme musical. Il nous faut donc transposer à l’analyse musicale les termes mêmes utilisés par les hippies pour justifier la prise de stupéfiants. Nous avons vu que ce mouvement recherche dans la déstabilisation sensorielle causée par la drogue une échappatoire à la logique de rationalisation caractérisant la société capitaliste bureaucratisée (voir 2.6.1.2.4). En ce sens, les hippies cherchaient dans les hallucinogènes (et la musique) ce que le poète symboliste Arthur Rimbaud appelait un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Il nous faut donc identifier dans la texture de la musique psychédélique les éléments qui mettent en œuvre une telle déstabilisation—les procédés contribuant à créer ce que l’on pourrait appeler une érosion des contours sonores.

L’érosion du contour sonore à laquelle nous faisons allusion peut être mise en lumière par contraste avec la musique des années 1950. Le rockabilly et la surf music avaient recours à des effets sonores innovants, en particulier ce que l’on appelle les effets d’ambiance—la réverbération [reverb] et l’écho [delay], produits respectivement par les chambres de réverbération et les chambres d’écho. Nous en trouvons les meilleurs exemples dans « Be-Bop-a-Lula » de Gene Vincent ; « Heartbreak Hotel » d’Elvis Presley ; « Peggy Sue » de Buddy Holly ; et « Miserlou » de Dick Dale and the Deltones. Or dans ces morceaux, les effets d’ambiance avaient pour but de maximaliser l’impact rythmique de la musique. Il y avait donc, métaphoriquement parlant, plutôt un renforcement du contour sonore que son effacement. Les mixages psychédéliques, au contraire, visent à créer une atmosphère défamiliarisante évoquant l’image d’un environnement en proie à un processus de dissolution ou de reconfiguration. L’effet recherché est la simulation d’une perte de repères sensoriels.

De nombreux procédés sont capables de produire ces effets de dissolution et d’érosion. Ils se manifestent à tous les niveaux du tissu musical. Dans les remarques qui suivent, nous les regroupons principalement en fonction de l’effet sensoriel général qu’ils mettent en œuvre, et secondairement selon le registre musical auquel ils s’appliquent ou selon les moyens utilisés pour les produire. Nous ferons donc une distinction entre les effets de glissement, d’expansion, et de rupture sonore.

Les effets de glissement Il existe en musique classique un procédé appelé le glissando qui permet aux musiciens (violonistes, guitariste) de glisser d’une note à l’autre sans discontinuité. On peut dès lors affirmer que le son psychédélique fait appel à un glissando généralisé. Le sentiment de déstabilisation psychédélique est en effet produit en partie par des procédés de dérive

250 sonore affectant plusieurs dimensions de l’édifice musical, en particulier la tonalité et le spectre de fréquence.

Glissements de tonalité De nombreux morceaux—« Strawberry Fields Forever » et « Tomorrow Never Knows » des Beatles ; « Astronomy Domine » de Pink Floyd ; « Eight Miles High » des Byrds—sont ponctués par des glissements de tonalité entre des accords de hauteur assez proche—glissement d’un ton (intervalle de seconde majeure) ou même d’un demi ton (seconde mineure). Dans « Strawberry Fields Forever » ces glissements sont effectués en amorce de couplet, à la guitare puis aux cuivres ; dans « Tomorrow Never Knows » un glissando relie presque tous les changements d’accords ; dans « Astronomy Domine » ils apparaissent avec l’intervention de la guitare rythmique. Ces glissements d’intervalles proches se distinguent des changements d’accords plus francs du rhythm and blues qui mettent en jeu des intervalles plus larges (quartes et quintes). Dans certains cas, cependant—le solo de guitare dans la reprise de « All Along the Watchtower » de Bob Dylan par Jimi Hendrix—le glissement s’effectue sur des intervalles plus vastes, jusqu’à une octave.

De même, la prédilection des groupes psychédéliques pour la musique indienne et son instrument majeur, le sitar, est en accord avec l’esthétique du glissement sonore (2.6.3.1.3.1). Le sitar produit naturellement des notes qui glissent de l’une à l’autre (voir « Love You To » des Beatles ou « Paint It Black » des Rolling Stones). Le glissement d’un ton à l’autre peut également être simulé par le jeu de guitare en arpège, qui permet aux guitaristes d’égrener des accords avec de légères variations de notes autour de l’accord principal. De tels arpèges permettent une transition tonale aisée. C’est la technique utilisée dans « Dear Prudence » des Beatles et dans de nombreux morceaux des Byrds—« Turn, Turn, Turn (To Everything There Is a Season) ; « So You Want To Be a Rock ’n’ Roll Star ». Chez les Byrds, le son des arpèges est magnifié par l’utilisation de guitares à douze cordes, un instrument qui servit de signature sonore aux premiers morceaux de la musique psychédélique.

Le son psychédélique fait également appel à des glissements atonaux, c’est-à-dire des glissandos vers des sons de tonalité indéterminée. Ces modifications atonales sont en général produites par la manipulation de la vitesse de défilement des bandes magnétiques, ce qui cause un effet de pleurage affectant la hauteur du son. « Tomorrow Never Knows » des Beatles utilise largement ce procédé : le morceau contient des sons aigus faisant penser à des cris de mouettes ; de même, « Moon Turn the Tides (Gently, Gently Away) » de Jimi Hendrix égrène des notes de guitares reprises en boucle par la chambre d’écho sur une tonalité décroissante. Comme ces exemples l’indiquent, le glissando psychédélique s’alimente du progrès de la technologie audio : plusieurs effets sonores y contribuent—les chambres d’écho utilisant des bandes magnétiques à vitesse variable ainsi que les pédales d’effets telles que la pédale wah-wah, qui

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déstabilise la tonalité des notes traitées (voir l’intro de « Voodoo Child (Slight Return) » d’Hendrix).

Glissement du spectre sonore Les progrès de la technologie audio ont permis aux groupes psychédéliques d’introduire des glissements sonores affectant non seulement la tonalité mais aussi le spectre de fréquence du son d’un instrument, de la voix, ou même de l’ensemble du mixage. On entend ce type d’effet de modulation dans des morceaux tels que « Little Wing » de Jimi Hendrix (guitare et voix), dans « Lucy in the Sky with Diamonds » des Beatles (voix) et dans « Echoes » de Pink Floyd (les notes de piano en intro). Au départ, ce type de modulation ne pouvait s’obtenir qu’au moyen d’un Leslie speaker, un dispositif assez volumineux utilisé depuis les années 1940 pour modifier le son des orgues électriques. A partir de la fin des années 1960, un effet comparable a pu être produit au moyen du phaser électronique, plus maniable. L’effet tournoyant du phasing s’adapte idéalement à l’esthétique de dérèglement sensoriel du psychédélisme. A partir des années 1970, de nombreux autres processeurs électroniques (flanger, chorus) vont permettre de produire des effets comparables.

Les effets d’expansion Les effets d’expansion visent à suggérer que le son émane d’un espace vaste, plus grand qu’un studio d’enregistrement, une salle de répétition ou une petite salle de spectacle. Technologiquement parlant, il s’agit donc des effets d’ambiance—réverbération et écho—que nous évoquions ci-dessus. Ces effets sont des éléments essentiels de ce que nous appelons plus bas la spatialisation du son (voir 2.6.3.1.2.2). Ils peuvent aussi contribuer à l’érosion du contour par un effet de diffusion : la réverbération, quand elle est utilisée généreusement, adoucit la définition du son (elle en érode les contours, d’une manière presque littérale). De même, l’écho allonge et multiplie l’ampleur du son original, ce qui le rend moins distinct.

Le recours aux effets d’ambiance, nous l’avons vu, précède l’époque psychédélique. En premier lieu, leur utilisation est une nécessité technique. Dans tout enregistrement en studio, on rajoute une enveloppe minimale de réverbération sur les voix pour compenser le fait que l’environnement du studio produit un son « sec » dépourvu de toute ambiance, donc de toute profondeur spatiale. Ce son nu a un caractère artificiel, même déplaisant. L’enveloppe de réverbération rajoutée ainsi par défaut est à peine perceptible dès que les voix se mélangent au reste de l’arrangement. Les groupes de rockabilly et de surf music allaient bien au-delà de cette coloration discrète : ils utilisaient la réverbération et l’écho pour dynamiser leur son. Dans la deuxième moitié des années 1960, dans le contexte du psychédélisme, cette expansion spatiale du son prit une toute autre valeur : elle permettait d’offrir un équivalent sonore à l’idéal de l’expansion de l’esprit. L’utilisation de la réverbération à cet effet est perceptible dans les mixages du Jefferson Airplane (« White Rabbit » ; « Somebody to Love ») où elle paraît parfois un peu maladroite ; on la

252 remarque sous une forme plus maîtrisée chez Jimi Hendrix (« The Wind Cries Mary » ; « All Along the Watchtower » ; « 1983 …A Merman I Should Turn to Be »).

Les effets de rupture Nous appelons effets de rupture les procédés qui semblent mener le son vers un point de désintégration—un excès transgressant les limites des moyens technologiques mis en œuvre. Il s’agit donc pour l’essentiel des effets de distorsion [« distortion » ; « overdrive »], appliqués dans la plupart des cas à la guitare électrique. « Voodo Chile (Slight Return) » de Jimi Hendrix en offre un des exemples les plus célèbres. La distorsion s’applique plus rarement à la voix—« Twenty-First-Century Schizoid Man » de King Crimson ; « One of These Days » de Pink Floyd—ou aux claviers—l’orgue électrique de Jon Lord dans Deep Purple.

L’utilisation de la distorsion a connu un succès fulgurant à l’époque psychédélique. D’une part, selon la logique du psychédélisme, elle pouvait servir à exprimer les aspects les plus intenses et dangereux de l’expérience de la drogue. D’autre part, d’un point de vue musical, son succès est lié au statut de plus en plus prestigieux des guitaristes solistes—les guitar heroes tels que Jimi Hendrix et Eric Clapton. Le recours à la distorsion n’était cependant pas un phénomène intégralement nouveau : elle est apparue dans des morceaux de rhythm and blues dès la fin des années 1940—« Rock Awhile » de Goree Carter (1949) et « Rocket ’88 » Jackie Brenston and His Delta Cats (1951). Le rockabilly, au contraire, évitait la distorsion car elle ne convient pas à une musique qui se veut essentiellement rythmique : l’érosion du contour sonore qui en résulte brouille la netteté du rythme. En revanche, le procédé devint de plus en plus courant parmi les groupes de rhythm and blues de la British Invasion—les Rolling Stones l’utilisèrent dans leur version de « I Wanna Be Your Man » des Beatles et pour le célèbre riff de guitare de « Satisfaction » ; les Kinks y firent appel dans « You Really Got Me ». A l’époque psychédélique, l’utilisation occasionnelle ou généralisée de distorsion électronique devint un outil que tout guitariste aspirant au statut de soliste se devait de maîtriser. La distorsion—souvent combinée à la compression dynamique et à l’effet d’accrochage (effet Larsen)—permet en effet rallonger les notes de guitare bien au-delà de leurs limites initiales. Quand elle est dépourvue d’effets, la guitare, tout comme le piano, produit des notes avec une forte attaque et une faible rémanence [un faible « sustain »]. Ceci limite la capacité à jouer des mélodies. Avec de la distorsion, au contraire, la note peut s’allonger et imiter le son du violon ou du violoncelle. Pour toutes ces raisons, des guitaristes tels que Clapton, Hendrix et Carlos Santana ont trouvé en elle une composante indispensable de leur son.

Dans les premiers temps, la distorsion ne pouvait être produite qu’en poussant les amplis au-delà de leurs limites normales (et donc en jouant à très haut volume). Les anciens amplis à lampes (diodes) se prêtaient particulièrement bien à cette manipulation. La

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distorsion pouvait aussi être obtenue par l’utilisation de micros de guitare particuliers.37 On parle alors de distorsion naturelle. A partir des années 1960, des pédales d’effet produisant de la distorsion électronique furent commercialisées. Ces fuzz boxes permettaient d’obtenir un son en distorsion à moindre volume. Keith Richards en utilisa une pour « Satisfaction » et Jimi Hendrix pour un grand nombre de morceaux. A fil des décennies, ces dispositifs ne firent que se multiplier. Les générateurs numériques actuels offrent aux guitaristes des centaines de réglages de distorsion permettant de produire des textures de son très variées. Le genre musical pour lequel ces effets de ruptures se sont avérés le plus important est, sans surprise, le heavy metal.

2.6.3.2.2 La spatialisation du son

L’époque psychédélique marque une étape importante dans la tentative de déployer une image sonore spatialisée de l’écoute musicale. Dans la logique du psychédélisme, cette spatialisation de l’audio crée parfois un paysage sonore sans rapport à ce que l’on pourrait appeler une image acoustique réaliste ou mimétique de la performance instrumentale. Notons que, dans le domaine de la musique populaire, cette évolution s’est amorcée déjà dans les années 1950 et s’est prolongée jusqu’aux années 1990. La deuxième moitié des années 1960 représente donc une période d’accélération remarquable dans une séquence couvrant plusieurs décennies. Il faut aussi remarquer que des recherches sur la spatialisation audio se sont également développées à partir des années 1950 dans le domaine de la musique classique contemporaine—les recherches acousmatiques du compositeur français Pierre Schaeffer, par exemple. Nous verrons plus bas que la musique psychédélique s’est inspirée de certains aspects de cette « musique nouvelle » (voir 2.6.3.3.4). Il n’est cependant pas certain que cette source d’influence ait affecté la spatialisation du son. Les musiciens classiques contemporains développaient leurs recherches dans un contexte très différent de celui de la musique populaire. Ils ou elles n’étaient pas confronté.e.s aux contraintes commerciales et industrielles qui régissaient la diffusion de la musique rock. Cette dernière ne pouvait donc trouver dans la musique nouvelle un modèle de développement applicable à son profil sonore et à ses modes de médiatisation technologique.

La description de la spatialisation du son pose des problèmes méthodologiques comparables à ceux que nous avons rencontrés dans l’analyse de la texture sonore. En premier lieu, l’hypothèse d’une spatialisation non-mimétique du son nous oblige à définir ce qui pourrait tenir lieu de norme réaliste en matière d’enregistrement. Ce point de repère est indispensable pour évaluer dans quelle mesure la musique aurait la capacité de se libérer de cette norme. En cela, nous pouvons prendre comme point de départ les réflexions de Walter Benjamin au sujet de la reproduction mécanique de l’art (voir Vol I : 1.3.4.4). Selon la logique décrite par le théoricien allemand, il nous faut définir dans quelles conditions des œuvres enregistrées pourraient être pourvues d’une aura—d’un

37 Il est arrivé occasionnellement que la distorsion soit produite par le dysfonctionnement du matériel. La distorsion sur la piste de guitare de « Rocket ‘88 » était la conséquence inattendue du fait que les cônes de l’amplificateur de Ike Turner avaient été endommagés lors d’une chute. La distorsion dans « You Really Got Me » des Kinks fut obtenue en lacérant les haut-parleurs de l’ampli de Dave Davies.

254 ancrage dans des conditions spatio-temporelles garantissant leur authenticité. Cette aura, dans la théorie de Benjamin, est vouée à être reconfigurée par la reproduction mécanique.38 Pour la musique classique, la définition d’un son auratique pose peu de problèmes : celui-ci provient de performances se déployant dans un contexte spatial défini par les conditions du direct (salle de concert ; configuration de studio reproduisant les conditions d’une prise directe). Tout se complique cependant dans le cas des musiques amplifiées électroniquement. La seule situation qui pourrait servir de repère serait celle de musicien.ne.s jouant en acoustique. Mais dès qu’un groupe fait appel à l’amplification électrique, l’image audiospatiale se brouille : même lors d’une performance amplifiée en direct, le son de chaque musicien.ne ne provient plus de l’endroit où il ou elle joue de son instrument ; il est produit par les amplis de scène (le « backline ») et le système de sonorisation (le « PA [Public Address system]»). A ceci s’ajoute le fait que les technologies de studio développées à partir de la fin des années 1960 produisent pour l’essentiel une spatialisation artificielle. Même si le groupe et ses ingénieurs du son choisissent d’évoquer une image audio- spatiale auratique, celle-ci sera simulée électroniquement. Sans ignorer ces difficultés, nous devrons partir du principe qu’il existe un continuum allant d’enregistrements pseudo-auratiques évoquant la disposition des musicien.ne.s et instruments dans un espace de performance familier (petite salle de concert ; local de répétition) et, à l’autre extrême, des mixages non-mimétiques que l’on peut qualifier de psychédéliques, qui cherchent à produire un paysage sonore en rupture avec les conditions spatiales dans lesquelles les pistes ont été enregistrées initialement.39

A ces problèmes méthodologiques se rajoutent les complexités de l’historique du déploiement des dispositifs technologiques. Nous devons en effet tenir compte de plusieurs séquences chronologiques décalées : la chronologie du matériel d’enregistrement, du matériel d’écoute destiné au grand public et, d’autre part, de l’évolution des projets esthétiques que les musiciens cherchent à exprimer au moyen de ces moyens techniques. Pour ce qui est de la base technologique, il faut tenir compte du fait que l’élaboration du matériel de studio professionnel a précédé la commercialisation à grande échelle de nouveaux dispositifs d’écoute musicale. Pour s’en convaincre, il suffit de noter le fait que les bases technologiques de l’enregistrement stéréo remontent aux années 1930 mais que la commercialisation du premier disque vinyle stéréo n’eut lieu qu’en 1957 et ne concernait au départ que les enregistrements réservés aux spécialistes de l’audio.40

38 Notons que la théorie de l’aura formulée par Benjamin nous amène dans une certaine mesure à trahir l’idéal de la musique psychédélique car elle implique que l’authenticité de l’aura originelle sera perdue et que la reproduction mécanique produit un art inauthentique. Le psychédélisme, au contraire, rejoint le surréalisme dans l’espoir que l’expérimentation mènera à un surcroît d’authenticité. 39 Dans la plupart des cas, le mixage pseudo-auratique— le mixage essayant de reproduire une image sonore réaliste sur base des ressources du studio—positionnera le chant principal et la guitare basse au centre de l’image sonore (latéraliser la basse entraînerait un déséquilibre radical du son). La batterie sera latéralisée selon sa disposition spatiale originelle (caisse claire et hi-hats à gauche, et floor tom à droite pour un batteur droitier; cymbales selon leur position). Guitares et claviers peuvent être légèrement latéralisés. Certaines pistes (backing vocals, petites percussions) peuvent être latéralisées de manière plus franche pour servir d’effets spéciaux audio. Cependant, toute manipulation qui attire l’attention sur la construction de l’image sonore—passage d’un son de droite à gauche, rajout de réverbération ou de delay ; modification du volume d’une piste—fera basculer le mixage vers le psychédélisme. 40 Les toutes premières recherches concernant la stéréo remontent aux années 1880, quand l’inventeur français Clément Ader essaya de développer un système d’écoute en stéréo transmis par téléphone. Des recherches plus

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Si l’on se penche sur l’environnement du studio, les technologies qui permirent une spatialisation du son sont les effets d’ambiance (réverbération et écho) l’enregistrement multipiste, et le mixage stéréo.

Les effets d’ambiance Au début des années 1950, seuls les effets d’ambiance—réverbération (reverb) et écho (delay)—étaient disponibles en studio. Ils étaient particulièrement prisés car ils permettaient de définir un avant-plan et un arrière-plan même dans des mixages mastérisés et commercialisés en mono.41 Ceci indique, comme nous l’indiquons plus en détail ci-dessous, qu’il était déjà possible de créer une image audio-spatiale même à l’époque où la stéréo n’était pas disponible.

L’enregistrement multipiste L’enregistrement multipiste est une technique qui permet le traitement séparé d’une pluralité de prises d’enregistrement destinées à être combinées en un mixage unique. En plus d’offrir une très grande liberté dans l’organisation des sessions d’enregistrement, l’enregistrement multipiste est un facteur clé pour la spatialisation : dans sa forme aboutie, il permet de définir l’orientation latérale de chaque piste d’enregistrement. Ce degré de contrôle de l’image audio-spatiale ne fut cependant atteint qu’au fil d’une évolution couvrant plusieurs décennies. Le guitariste américain Les Paul fut un pionnier de cette technique. Au milieu des années 1950, il mit au point un enregistreur huit pistes lui permettant de combiner plusieurs prises d’enregistrement captées à des moments distincts. Ses recherches convainquirent les fabricants de matériel d’enregistrement de commercialiser des enregistreurs trois pistes. Ce standard permettait de combiner une piste de chant et deux pistes réservées à l’accompagnement musical. Il devint dominant à la fin des années 1950. Pendant les années 1960, la capacité du matériel d’enregistrement fut élevée à quatre pistes. C’est sur ce type de matériel que travaillèrent les groupes de la British Invasion et en particulier The Beatles. Le mixage final était, jusqu’à la moitié de la décennie, réduit en mono. Selon une anecdote célèbre, en 1967, le producteur des Beatles George Martin improvisa un sytème d’enregistrement huit pistes pour la prise de son d’« A Day in the Life ». Pour ce faire, il synchronisa deux enregistreurs quatre pistes (les autres morceaux de Sgt. Pepper’s, l’album où figure « A Day in the Life » furent enregistrés en quatre pistes). A l’extrême fin des années 1960, Frank Zappa eut l’occasion d’utiliser un studio seize pistes. Au milieu des années 1970, Pink Floyd commença à enregistrer en vingt-quatre pistes. Ce nouveau standard se généralisa à la fin de la décennie. L’introduction de l’enregistrement numérique dans les années 1990 offrit aux musicien.ne.s une capacité d’accumuler les prises d’enregistrement avec pour seule limite

substantielles furent accomplies dans les années 1930, notamment par l’ingénieur Alan Blumlein. Elles furent appliquées à la retransmission en direct de concerts classiques et, sur base expériementale, à la sonorisation de films (Fantasia de Walt Disney). 41 Certains enregistrements de jazz des années 1950—les disques de la chanteuse Julie London, par exemple—font généreusement recours à ce procédé.

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la capacité de computation des ordinateurs. La notion même de piste d’enregistrement comme facteur limitatif perdit donc de sa pertinence. De même, l’informatisation permit d’accroître considérablement le nombre des manipulations de mixage, y compris les réglages de spatialisation, intervenant dans le même morceau. Puisque tout réglage pouvait dès lors être mis en mémoire, il n’était plus nécessaire de se limiter aux gestes que les ingénieurs du son peuvent accomplir en temps réel pendant le mixage.

La stéréo Le mixage et l’écoute en stéréo constituent évidemment les facteurs clés de la spatialisation sonore : la stéréo permet l’azimutage des pistes—le réglage de latéralisation répartissant le son de droite à gauche. La stéréo ajoute donc une dimension essentielle aux effets de profondeur générés par les effets d’ambiance disponibles déjà pour les enregistrements monos. La commercialisation de disques et de platines stéréo se déploya de manière progressive tout au long des années 1960. C’est seulement à partir de la fin de cette décennie que l’écoute stéréo devint une norme majoritaire. Cette mutation technologique se déroula suivant une logique parfois plus proche des intérêts commerciaux que des considérations artistiques. La musique classique fut pionnière en ce domaine non seulement parce que son public était plus à même d’acheter ce que l’on appelait à l’époque une chaîne stéréo, plus coûteuse qu’un tourne-disque mono, mais aussi parce que ce genre musical n’eut aucune difficulté à définir le type de spatialisation sonore réaliste ou auratique qui convient à son esthétique. De plus, la musique classique contemporaine, comme nous l’avons mentionné plus haut, se lança dans des expérimentations novatrices concernant la spatialisation de la performance musicale en direct. En musique légère et en rock, au contraire, la stéréo eut au départ le statut d’un gadget. A l’époque de la British Invasion, les albums étaient habituellement commercialisés en deux versions, l’une mono, l’autre stéréo. La version stéréo était souvent du ressort de ce que l’on peut appeler la stéréo naïve ou même la pseudo-stéréo. Il s’agit dans le premier cas d’enregistrements dans lesquels la répartition spatiale des deux canaux paraît simpliste ou illogique.42 Par exemple, le chant peut se trouver complètement séparé de l’arrangement musical.43 La pseudo-stéréo caractérise de nombreux disques originellement produits en mono mais remixés en stéréo par manipulation électronique. C’est seulement vers la fin des années 1960 qu’apparurent des mixages stéréo intégraux et raisonnés, c’est-à-dire voués dès l’origine à être mixés sur deux canaux selon les vœux des ingénieurs du son, des producteurs et des musiciens.44 Cette image spatio-sonore en « full stereo » était cependant encore assez schématique : les premiers albums psychédéliques—Sgt. Pepper’s des Beatles, notamment—furent enregistrés sur des tables de mixage ne possédant que trois positions de latéralisation— centre, droite et gauche. Les potentiomètres panoramiques permettant une latéralisation graduelle de chaque piste de la table de mixage ne se généralisèrent que dans les années

42 Il est symptomatique qu’au cours des années 2000, The Beatles aient réédités le répertoire de leur début en version mono, faisant valoir le fait que les versions artificiellement converties en stéréo étaient de moindre qualité. 43 C’est le cas par exemple dans la version stéréo de « Ferry across the Mersey » de Gerry and the Pacemakers. 44 Dans beaucoup de cas, le choix de la latéralisation du son est laissé aux ingénieurs du son car ces derniers sont souvent plus compétents que les musiciens pour évaluer l’équilibre spatial du profil sonore.

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1970. Ainsi, le profil sonore auquel aspiraient implicitement certaines variétés de musique des années 1960 ne put être réalisé pleinement que cinq à dix ans après la fin de la première vague du psychédélisme. La longue évolution de latéralisation stéréo s’étala jusqu’aux années 1990. A partir de ce moment, la plupart des instruments électroniques—les claviers, les effets sonores rajoutés aux guitares—furent capable de produire leur propre signal stéréo pouvant être repris tel quel dans le mixage.

Enfin, nous devons aussi prendre en considération le fait que la spatialisation ne tient pas uniquement à la technologie mais aussi aux projets artistiques qui s’expriment à travers elle. En particulier, le désir de développer une image sonore spatialisée a souvent précédé les moyens technologiques permettant d’atteindre ce de manière intégralement maîtrisée.45 Avant le psychédélisme, nous avons vu que le rockabilly se construisait une image sonore sur base des effets d’ambiance (voir 2.4.2). Ce type de spatialisation est clairement perceptible dans « Peggy Sue » de Buddy Holly ; « Be-Bop-a Lula » de Gene Vincent ; et dans « Sittin’ in the Balcony » d’Eddie Cochran. Dans la surf music—dans « Walk Don’t Run » de Dick Dale and the Ventures—l’expansion spatiale dûe à la réverbération et l’écho est également soulignée par les glissandos à la whammy bar et l’utilisation systématique du vibrato. Les Beach Boys apportèrent une contribution décisive à cette évolution en produisant des morceaux (« I Get Around ») dont les harmonies vocales paraissaient spatialement magnifiées grâce à l’utilisation de prises multiples (le « dubbing », rendu possible par l’enregistrement multipiste).46 De même, à partir du début des années 1960, le producteur américain Phil Spector accomplit un travail de pionnier par l’invention de ce que l’on appela à l’époque le wall of sound—un mixage au son dense et profond, rompant avec l’austérité policée des crooners des années 1950. « Be My Baby » des Ronettes en est un des exemples les plus célèbres ainsi que « River Deep, Mountain High » (1966), interprété par Tina Turner. Les pistes de voix de ces morceaux furent enregistrées en plusieurs versions qui furent superposées au mixage et plongées dans une ambiance de réverbération très ample. L’effet général fait penser à un groupe de chanteuses dans une cathédrale. L’influence de Spector fut considérable, notamment sur les Rolling Stones. Ceux-ci, dans leurs enregistrements des années de la Beatlemania, s‘inspirèrent du wall of sound pour produire des morceaux au son brouillé avec des pistes de chants mixées en arrière des instruments (« Nineteenth Nervous Breakdown » ; « Have You Seen Your Mother, Baby, Standing in the Shadow »). Un autre jalon de l’enregistrement spatialisé fut posé en 1966, lorsque les Beach Boys enregistrèrent « Good Vibration » : la chanson fut bâtie sur base de prises multiples enregistrées dans plusieurs studios différents. De manière remarquable, les différents segments du morceau (couplet, refrain, bridge) sont dotés de profils spatio-sonores distincts. Notons cependant que ce mixage spatialisé ne fut à l’origine mastérisé qu’en mono.47

45 Dans le cas inverse, des musiciens ont aussi pu choisir de ne recourir que de manière minimale aux technologies de spatialisation disponibles. 46 Les tables de mixage quatre pistes obligeaient les musiciens à enregistrer leur musique dans des conditions proches du direct. Mais il était possible de contourner cette limite en faisant appel à la technique de la « track reduction » (appellée aussi « bouncing »). Celle-ci permet de fusionner plusieurs prises d’enregistrement sur une ou deux pistes. Il faut dans ce cas accepter une perte de flexibilité au niveau du mixage—les prises fusionnées ne sont plus mixables de manière autonome—ainsi qu’une certaine perte de qualité de l’enregistrement. 47 Une version stéréo fut créée en 2012 avec l’accord des musiciens.

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Les grands albums de la période psychédélique furent enregistrés selon des procédés comparables à ceux utilisés dans « Good Vibrations » mais avec l’addition de la latéralisation stéréo, aussi schématique fut-elle à l’époque. “Astronomy Domine” et “Interstellar Overdrive” sur The Piper at the Gates of Dawn de Pink Floyd révèle à quel point ces mixages psychédéliques pouvaient produire un environnement défamiliarisant. Notons que les normes techniques et les pratiques d’enregistrement évoluèrent très rapidement pendant ces années. Electric Ladyland d’Hendrix et The Beatles [« The White Album »], tous deux sortis en 1968, déploient des paysages sonores sur base de mixages stéréo intégraux qui font preuve d’une maîtrise du son bien supérieure à celle d’enregistrements du milieu de la décennie. On peut juger du progrès ainsi réalisé à l’écoute de « 1983 … (A Merman I Should Turn to Be) », l’improvisation psychédélique occupant la majeure partie de la troisième face d’Electric Ladyland. Ces progrès techniques seront la base du son des groupes de rock classique tels que Led Zeppelin, dont les premiers albums parurent dès la fin des années 1960 (voir 2.7). Ces groupes s’inspirèrent des avancées parfois aventureuses de leurs prédécesseurs psychédéliques et les élaborèrent sous la forme d’un professionnalisme accompli. Vers le milieu et la fin des années 1970, on remarque un glissement vers des mixages spatialisés dont la sophistication technologique est mise au service du versant commercial de la musique rock—le FM rock pratiqué par des groupes comme The Eagles, Electric Light Orchestra, Ten CC ou . On peut donc parler d’une évolution des mixages psychédéliques vers une spatialisation ornementale. Au lieu d’offrir une expérience défamiliarisante, le son du rock FM plonge l’auditeur dans un environnement flatteur et rassurant, mettant ainsi en œuvre au niveau de l’image sonore la logique de standardisation et de fausse réconciliation tant critiquée par les théoriciens de l’Ecole de Francfort (voir Vol. I : 1.3.4.3).

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2.6.3.3. L’intertextualité transgressive

2.6.3.3.1 Intertextualité générique et intertextualité transgressive

Au-delà de la texture sonore, nous avons indiqué que le sentiment de nouveauté qu’a inspiré la musique psychédélique tient à la décision des musiciens de s’approprier des styles et traditions musicales, artistiques et littéraires qui ne faisaient pas partie à l’époque du champ culturel du rock and roll. Ce geste est du ressort de ce que les théoriciens de la culture de la fin du 20ème siècle ont appelé l’intertextualité (voir Vol. I : 1.4.5.3.3). Plus spécifiquement, il met en œuvre ce nous pouvons appeler l’intertextualité transgressive. Pour Mikhaïl Bakthine, Julia Kristeva et, Roland Barthes l’intertextualité est le processus qui permet à de nouvelles œuvres (de nouveaux textes, de nouveaux énoncés) de se construire sur base de textes préexistants dans le domaine de la culture. Chaque texte exploite ce que l’on pourrait décrire comme sa propre matière première. Ceci implique que tous les textes d’une culture, tous les genres, tous les énoncés sont liés entre eux par des liens virtuels. Bakhtine qualifie ces derniers de rapports dialogiques (voir Vol. I : 1.4.5.3.1) tandis que Kristeva les appelle des liens intertextuels. Dans cette logique, il est normal, même nécessaire, qu’un texte (un genre, un énoncé) situé dans un champ dialogique s’approprie les conventions d’un autre genre, texte, ou énoncé. Cependant, il est possible de faire la différence entre des gestes d’appropriation banalisés et des appropriations originales ou inattendues. Nous devons donc distinguer ce que l’on peut appeler l’intertextualité générique de l’intertextualité transgressive. La première désigne des liens interculturels suffisamment établis par tradition pour cesser d’être perçus comme des emprunts externes ; la seconde désigne la pratique par laquelle un genre ou une œuvre s’approprie des traditions considérées comme étrangères ou incompatibles avec les codes du genre ou de l’œuvre en question.

Dans le domaine du rock and roll du milieu des années 1960, les emprunts à la musique noire étaient devenus suffisamment habituels pour être interprétés comme des manifestations d’intertextualité générique. Alors que ces accents afro-américains avaient fait scandale dix ans auparavant (et avaient donc eu à l’époque une valeur de rupture), ils faisaient maintenant partie de la signature sonore banalisée du rock and roll blanc. Au contraire, la fusion du folk et du rock and roll revendiquée par Bob Dylan à partir de 1965 fut, nous l’avons indiqué, perçue initialement comme une transgression insupportable. De même, les emprunts à la musique indienne, au jazz, à la musique classique ou à la musique contemporaine étaient si surprenants qu’ils s’imposaient comme un geste de transgression délibérée. De manière symptomatique, quand Paul McCartney voulut d’inclure dans « Penny Lane » (fév. 1967) une ligne de trompette inspiré des Concertos Brandebourgeois de Jean Sébastien Bach, l’idée lui semblait tellement en rupture avec les normes de la musique populaire qu’il ne pensait pas pouvoir la réaliser sans l’accord du producteur George Martin, lequel était évidemment trop heureux de contribuer à ce projet.

De tels actes d’intertextualité transgressive, comme le montre l’histoire du psychédélisme, ont la capacité de redessiner les lignes de démarcation structurant le champ culturel. Dans le contexte de l’histoire culturelle du vingtième siècle, ils sont aussi les signes de reconnaissance

260 des mouvements modernistes. Nous avons indiqué que le modernisme se définit comme une esthétique de la rupture, de la nouveauté et de la transgression esthétique (voir Vol. I : 1.3.3). Nous verrons donc plus bas que la prédilection du psychédélisme pour l’intertextualité transgressive le positionne comme un mouvement moderniste au sein de la culture populaire (voir 2.6.3.4.2).

2.6.3.3.2 Le « raga rock » : le psychédélisme orientalisant

Le courant musical qui constitue la signature sonore la plus reconnaissable du psychédélisme est tout entier le produit de l’intertextualité transgressive: il s’agit du style orientalisant résultant de l’appropriation par des musiciens anglo-américains des mélodies, harmonies et instrumentations du raga, la musique classique indienne. Cette dernière était pratiquée dans les années 1960 par le sitariste virtuose indien , qui devint un ami des Beatles. L’idiome musical résultant de cette fusion est parfois désigné sous le terme raga rock. Sa version la plus aboutie apparaît sur Revolver et Sgt. Pepper’s des Beatles. Quelques morceaux d’autres groupes anticipèrent les productions orientalisantes du groupe de Liverpool. C’est le cas notamment de « Heart Full of Soul » des Yardbirds (juin 1965), de « See My Friends » des Kinks (juillet 1965) et de « Eight Miles High » des Byrds (mars 1966). Ces morceaux comprennent des mélodies de guitare qui imitent les inflexions des instruments clé du raga—le sitar, produisant des lignes de solos aux notes infléchies, ainsi que le tampura, produisant des notes tenues (notes de bourdon). Les Yardbirds font aussi appel à une rythmique basée sur les tablas, les petits tambours mélodiques de la musique indienne. Avant Revolver, deux autres chansons accompagnées au sitar jouirent d’un succès international—« Norwegian Wood » des Beatles eux-mêmes (sur Rubber Soul ; déc. 1965) et « Paint It Black » des Rolling Stones (mai 1966). Revolver poursuivit cette expérimentation sous une forme plus radicale. Un de ses morceaux les plus connus—« Tomorrow Never Knows »—fusionne de manière magistrale les instruments rock, indiens (sitar et tampura) ainsi que les effets spéciaux psychédéliques (manipulation de la vitesse des bandes magnétiques, notes inversées). L’album comporte aussi un morceau de George Harrison (« Love You To ») intégralement orchestré selon les normes du raga : il ne fait entendre que le sitar, le tampura et les tablas. « » sur Sgt. Peppers utilise une instrumentation similaire. En plus du sitar et du tempura, on y entend aussi du (une cithare ressemblant à une petite harpe) et du (instrument à corde frottée comparable à une vieille européenne). Au-delà des Beatles, le psychédélisme orientalisant influença la musique de nombreux musiciens de la fin des années 1960, notamment le Butterfield Blues Band (« East West », août 1966) et Donovan (« Hurdy Gurdy Man », sept. 1968). On décèle également ce style dans le rock classique de Led Zeppelin, en particulier dans le splendide « Kashmir » (fév. 1975). La tradition se perpétua dans les années 1970 dans la musique de George Harrison lui-même, mais aussi de Carlos Santana, John McLaughlin (The Mahavishnu Orchestra) et Peter Gabriel. Elle contribua à l’intérêt porté à la à partir des années 1980.

Le raga rock est en partie le fruit de la situation postcoloniale de la Grande Bretagne. Au départ, les Beatles s’intéressèrent spontanément à l’utilisation du sitar. Mais leur maîtrise des instrumentations inspirées du raga ne fut rendue possible que par les contacts que George Harrison

261 noua à partir de 1965 avec l’Asian Music Circle, un cercle de musique indienne fondé à Londres par le musicien Ayana Angadi. C’est grâce à Angadi qu’Harrison rencontra Shankar ainsi que le percussionniste Anil Bhagwat. Le premier lui permit de progresser dans l’apprentissage des instruments indiens ; le second assura la piste de percussion de « Love You To ». Tous deux firent partie du cercle d’amis de Harrison jusqu’à son décès. D’autre part, l’intérêt porté à la culture indienne et à la spiritualité orientale répondait aux impératifs culturels du psychédélisme (voir 2.6.1.2.3) : musiciens et fans étaient à la recherche d’une sagesse qu’ils et elles pouvaient opposer au matérialisme occidental. Il est donc symptomatique que la fascination ressentie par les Beatles pour la culture indienne ne se soit pas limité à la musique : en 1967, ils prirent part une retraite auprès d’un guru indien, le Maharishi Mahesh Yogi.

Enfin, l’enthousiasme pour le raga rock répondait à une nécessité musicale et instrumentale. Les guitaristes de l’époque psychédélique trouvèrent dans les improvisations au sitar un modèle mélodique et une texture sonore qui leur permit de développer leur virtuosité en tant que solistes. Jusqu’au milieu des années 1960, l’espace réservé à la virtuosité instrumentale en musique rock restait limité. Les morceaux devaient notamment se plier aux contraintes de longueur imposées par les normes commerciales (la longueur d’un single sur un vinyle en 45 tours ne dépassait pas trois minutes). La musique indienne illustrait la possibilité de dépasser ces limites. Elle suggérait également comment la guitare électrique pouvait acquérir un son mélodique flexible. Celle-ci pouvait ainsi rivaliser en tant qu’instrument solo avec les saxophones et trompettes du jazz expérimental des années 1940, 1950 et 1960. « East West » du Butterfield Blues Band offre une illustration frappante de ces techniques guitaristiques. Elles constituent aussi une composante importante du jeu de guitare de Jimmy Page dans Led Zeppelin (« Dazed and Confused », janv. 1969 ; « Whole Lotta Love », nov. 1969 ; « The Song Remains the Same », mars 1973). Au-delà de la guitare, d’autres instruments ont été mis en œuvre pour simuler les tonalités du raga. C’est le cas en particulier du mellotron (voir 2.6.2.4.2.5), utilisé par les Rolling Stones dans le splendide « Two Thousand Light Years from Home » (déc. 1967) et par Led Zeppelin dans « Kashmir ».

2.6.3.3.3 L’’apport du classique : arrangements symphoniques, suites orchestrales et albums concept

Vu le positionnement de la musique rock dans le champ culturel de la fin du vingtième siècle, les emprunts à la musique classique représentent une transgression intertextuelle significative, bien que moins surprenante que l’association à la musique indienne. De manière schématique, le rock, tout comme le jazz à ses débuts, occupait une position sur l’échelle du capital culturel à l’opposé de la musique sérieuse. Les fans de musique classique n’ont au départ pas fait mystère du fait qu’à leurs yeux, un gouffre infranchissable séparait la musique sérieuse du rock and roll (ou, selon la terminologie des années 1960, de la musique « pop »). Les fans et musiciens de rock and roll eux- mêmes, comme le suggère « Roll Over Beethoven » de Chuck Berry, se glorifiaient de cette incompatibilité présumée. En pratique, cette distinction de positionnement ne pouvait évidemment pas être absolue. Pour ce qui était des arrangements musicaux, par exemple, il était d’usage déjà dans les années 1950 et au début des années 1960 d’utiliser des sections de cordes—une

262 composante des orchestres symphoniques classiques—pour compléter l’arrangement des balades. C’est le cas pour « As Tears Go By » des Rolling Stones (1964/65) et “Yesterday” des Beatles (août 1965). Ceci implique que des musiciens ayant bénéficié d’une éducation classique participaient déjà à certains enregistrements de rock et pop.

Des morceaux psychédéliques tels qu’ « Eleanor Rigby » et « She’s Leaving Home » des Beatles (respectivement sur Revolver et Sgt. Pepper’s) sont cependant d’un tout autre ordre que de simples balades pop utilisant l’orchestre classique comme apport subsidiaire. Dans « Eleanor Rigby », les voix des Beatles sont soutenues uniquement par un octuor à cordes dont le staccato est inspiré de la bande son de Psychose [Psycho] d’Alfred Hitchcock (1960), composée par Bernard Herrmann. Ce choix musical signale ce que nous pourrions appeler, par référence à Pierre Bourdieu, une rupture d’habitus : les Beatles, en tant que groupe pop/rock and roll, migrent soudain vers le champ de la musique sérieuse et exigent par là même que le capital culturel de leur musique soit réévalué. Notons que les petites formations de cordes se révélèrent particulièrement appropriées à la musique rock car leur configuration est comparable à celle d’un groupe de quatre ou cinq musiciens. Lorsque des groupes rock furent tentés de faire appel à des orchestres symphoniques complets, le résultat fut beaucoup moins probant : ils ou elles ne disposaient pas de la formation nécessaire pour maîtriser cet outil plus ambitieux. The Moody Blues dans Days of Future Passed (nov. 1967), Deep Purple dans Concerto for Group and Orchestra (Déc. 1969), Pink Floyd dans Atom Heart Mother (oct. 1970) ou Procol Harum dans Procol Harum Live: In Concert with the Edmonton Symphony Orchestra (nov. 1971) ne parvinrent pas à élever leurs arrangements symphoniques au-delà des accents de la variété ou de la musique de film hollywoodienne.

Au-delà des arrangements, le rock psychédélique et post-psychédélique put puiser dans la musique classique certains principes permettant d’organiser ses compositions. Cette influence structurelle se remarque au niveau de la longueur des morceaux, de leur organisation interne et des efforts visant à assurer la cohérence à la fois des chansons et des albums. En bref, la musique classique offrait des principes de structuration unifiants—la capacité de rendre cohérentes des œuvres comportant une pluralité de parties distinctes. En premier lieu, les conventions de la musique classique rendaient légitime l’écriture de morceaux dont la longueur transgressait les normes commerciales (les limites imposées par l’espace disponible sur les singles vinyles ainsi que les contraintes de la programmation radiophonique). Ce désir de défier le carcan médiatique s’était exprimé dès le milieu des années 1960. Dylan avait déjà enregistré des morceaux folk de plus de dix minutes—« Desolation Row » (août 1965) et « Sad-Eyed Lady of the Lowlands” (mai 1966).48 « Goin’ Home » des Rolling Stones (avr. 1966) était de longueur comparable ainsi que « The End » (janv. 67) et « When the Music’s Over » (sept. 1967) des Doors.49 Vers la fin de la décennie, il était usuel pour les groupes de rock progressif psychédélique de commercialiser des LP comportant au moins un très long morceau—« Voodo Chile » sur Electric Ladyland d’Hendrix

48 Bob Dylan, « Desolation Row », Highway 61 (août 1965 ; 11 m. 21s.); « Sad-Eyed Lady of the Lowlands”, Blonde on Blonde (mai 1966 ; 11 m. 22 s.). 49 « Goin’ Home » des Rolling Stones (Aftermath : avr. 1966 ; 11 m. 33 s.); The Doors, « The End », The Doors janv. 67 ; 11 m. 42 s.); « When the Music’s Over », Strange Days (sept. 1967 ; 10 m. 42 s.)

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(15 m.) ou « Where but for Caravan Would I ? » sur le premier album de Caravan (jan. 1969 ; 9 m.).50 Les groupes post-psychédéliques poussèrent les limites de longueur encore plus loin en proposant des morceaux d’une vingtaine de minutes couvrant l’intégralité d’une face de LP. C’est le cas d’« Echoes » de Pink Floyd (oct. 1971) et de « Close to the Edge » de Yes (sept. 1972).51 Par définition, ce type de morceaux ne pouvait figurer sur des singles et ne pouvait être programmé que sur des chaînes de radio alternatives : il s’agissait d’un format réservé spécifiquement à l’écoute de LPs.

Afin de structurer ces compositions en format long, les musiciens psychédéliques et post- psychédéliques pouvaient dans une certaine mesure reprendre les formats préexistants de la musique populaire sous une forme étendue et démultipliée. Mais dans d’autres cas, le recours aux schémas du classique semble évident. Jusqu’au milieu des années 1960, les morceaux de rock and roll étaient construits comme la plupart des chansons du vingtième siècle : ils se composaient d’une alternance de couplets et de refrains à laquelle s’ajoutait souvent une courte introduction, une partie instrumentale médiane (un « bridge ») et une coda, évoluant éventuellement vers une extinction graduelle du volume (un fade-out). Certains morceaux longs du milieu des années 1960 se contentent soit de démultiplier la séquence couplet/refrain— « Desolation Row » de Dylan (août 1965) comporte dix couplets—, soit d’étirer spectaculairement le bridge, lui conférant l’apparence d’une longue improvisation. « When the Music’s Over » des Doors, par exemple, ne comporte que trois couplets et deux refrains mais développe un bridge de plusieurs minutes doté d’un récitatif poétique. L’influence du classique se fait en revanche sentir dans des morceaux composés d’une pluralité de segments différents qui ne peuvent s’analyser selon la triade couplet/refrain/bridge. Les Beach Boys jouèrent le rôle de pionniers dans le développement de telles structures. Des morceaux tels que « God Only Knows » (mai 1966), « Good Vibrations » (oct. 1966) et « Heroes and Villains » (oct. 1966) furent enregistrés lors de sessions mêlant instruments rock et instruments classique. Leurs différents segments se distinguent non seulement par des changements de suites d’accords et d’arrangement mais aussi par des variations de tempo et de signature rythmique, donnant parfois l’impression d’un redémarrage intégral du morceau. « A Day in the Life » des Beatles, le chef-d’œuvre de Sgt. Pepper’s, crée un effet comparable : sa structure alterne entre deux morceaux au départ distincts dont les segments sont joints par de célèbres crescendos orchestraux chaotiques. Le terme de cette évolution fut atteint dans des morceaux de rock post-psychédélique dont les segments sont soit numérotés —« Shine On You Crazy Diamond » de Pink Floyd (sept. 1975)—, soit pourvus d’intertitres—« Close to the Edge » et « And You and I » de Yes.52 Il serait exagéré de prétendre que de tels morceaux transposent fidèlement les structures strictement codifiées des compositions classiques—fugues, sonates, concertos, ou symphonies. Le terme « suite », précisément parce qu’il est assez vague, décrit sans doute mieux leur principe structurel.53

50 Jimi Hendrix, « Voodo Chile », Electric Ladyland (15 m.); Caravan, « Where but for Caravan Would I ? », Caravan (Jan. 1969 ; 9 m. 1 s.). 51 Pink Floyd, “Echoes”, Meddle (oct. 1971; 23 m. 32 s.); Yes, “Close to the Edge”, Close to the Edge (sept. 1972; 18 m. 12 s.). 52 Pink Floyd, « Shine On You Crazy Diamond », Wish You Were Here (sept. 1975); Yes, “And You and I”, Close to the Edge (sept. 1972). 53 Crosby, Stills, & Nash mentionnent ce terme dans le morceau « Suite : Judy Blue Eyes » (mai 1969).

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Le concept de suite orchestrale se révèle aussi utile pour l’analyse de ce que l’on a appelé à partir du milieu des années 1960 les albums concept (« concept albums »). Jusqu’au milieu des années 1960, les LPs de musique populaire n’offraient rien de plus qu’un échantillon du répertoire des artistes au moment de la commercialisation du disque. L’assortiment des chansons respectait bien certains principes d’équilibrage—les albums de rock and roll, nous l’avons indiqué, comportaient toujours un certain nombre de balades—, mais il n’y avait pas de la part des musiciens de volonté de mettre en avant une cohérence thématique et esthétique marquée. Seuls certains artistes folk—Woody Guthrie avec Dust Bowl Ballads (1940)—et certains crooners— Frank Sinatra avec In the Wee Small Hours (1955)—avaient produit des albums dont les textes étaient liés par un thème unificateur. A partir de l’époque psychédélique, au contraire, beaucoup de musiciens choisirent de signaler leurs ambitions artistiques par l’élaboration d’albums dotés d’une cohésion identifiable. L’exemple le plus célèbre de cette démarche est sans conteste Sgt. Pepper’s des Beatles. La cohérence de cet album est soulignée, d’une part, par le fait que le morceau titulaire apparaît en deux versions, l’une en tête de la première face du vinyle, l’autre— « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) »—en avant-dernière position de la deuxième face. D’autre part, les morceaux de l’album sont enchaînés sans les pauses de silence habituelles marquant leur séparation. Certains morceaux se chevauchent même légèrement, ce qui perturbe d’ailleurs la programmation en radio. Ce procédé audio signale donc que l’ensemble de l’album doit être perçu comme une œuvre cohérente, fonctionnellement comparable aux morceaux classiques comportant plusieurs segments. Les Rolling Stones adoptèrent une stratégie comparable pour Their Satanic Majesties Request (1968). Les morceaux de cet album sont enchâssés dans l’équivalent audio d’un récit cadre : des segments de dialogues comiques ponctués d’effets spéciaux audio introduisent chaque face de l’album et relient les pistes entre elles. L’évolution ainsi amorcée culminera avec l’enregistrement d’opéras rock tels que Tommy des Who (mai 1969) et The Wall (déc. 1979) de Pink Floyd. Ces derniers déploient des morceaux dont les textes sont liés par un récit continu. Les structures ainsi créées ne sont pas, à vrai dire, entièrement comparable à des œuvres orchestrales classiques. En pratique, elles se rapprochent plutôt de la bande son de comédies musicales. Mais il est cependant important d’y déceler un désir de cohérence esthétique dont la musique sérieuse offrait à l’époque la représentation emblématique. Au total, des expérimentations comme celle pratiquée sur Sgt. Pepper’s ont durablement affecté la perception de la valeur culturelle des albums de musique rock. Même en l’absence de procédés soulignant l’unité de l’ensemble, tout album à partir du milieu des années 1960 se présenta comme un geste doté d’un certain degré d’unité. Le marché de la musique rock au début des années 1970 s’en trouva profondément affecté : pour la musique post-psychédélique de l’époque du rock classique, l’album—et non le single—devint le format de commercialisation principal.

2.6.3.3.4 L’apport du jazz et de la musique contemporaine

Dans sa première décennie, le rock and roll avait entretenu avec le jazz une relation fonctionnellement comparable à celle qui le séparait de la musique classique ; il s’en distanciait

265 par ce que nous avons appelé plus haut une distinction de positionnement : un nouveau public— plus jeune, mais aussi souvent moins privilégié socialement—exprimait par le biais de son affiliation au rock and roll une rupture d’habitus par rapport à ce qui avait été la musique de rébellion de la génération précédente (voir 2.3.3 et VOL I. : 1.4.5.2.1). Pour des raisons historiques évidentes, le rock and roll avait cependant maintenu avec le jazz des liens beaucoup plus étroits qu’avec la musique classique. Ses codes musicaux étaient issus de domaines musicaux—le blues et le rhythm and blues—inclus au départ dans le périmètre du jazz, même s’ils occupaient dans la hiérarchie de ce genre une position subalterne. Un bon nombre d’éléments musicaux issus du jazz subsistaient encore dans le rhythm and blues/rock and roll des années 1950 : les combos du rhythm and blues reproduisaient sous une forme plus modeste les orchestrations des big bands ; les bridges instrumentaux étaient fréquemment joués au saxophone solo ; le shuffle rhythm emprunté au swing des années 1930 était encore omniprésent (voir 2.3.3.4.2.3). De plus, de nombreux musiciens de rock and roll avaient été formés au moins partiellement dans la tradition du jazz. C’est le cas de certains noms importants de la British Invasion—Charlie Watts, le batteur des Rolling Stones, Jack Bruce, le bassiste de Cream, et Mitch Mitchell, le batteur du Jimi Hendrix Experience. Le lien au jazz était encore plus explicite en musique soul : James Brown dans les années 1960 était accompagné par un groupe jouant une version remaniée du hard bop (parfois appelé funky jazz) des années 1950.

Les emprunts aux jazz que l’on remarque en musique psychédélique sont cependant d’une autre nature que la simple exploitation résiduelle d’un d’héritage musical. Les musiciens de la deuxième moitié des années 1960 se tournèrent vers les formes de jazz les plus contemporaines, c’est-à-dire le cool jazz (Miles Davis) et le free jazz (John Coltrane). Les musiciens psychédéliques les plus directement influencés par le jazz furent, nous l’avons indiqué, Jimi Hendrix, Frank Zappa, Captain Beefheart et Carlos Santana (ce dernier pouvait aisément puiser dans le Latin jazz, inspiré de la musique latino-américaine). De même, dans leurs moments les plus expérimentaux, les groupes folk-rock psychédéliques de San Francisco tels que Jefferson Airplane et The Grateful Dead puisèrent leur inspiration dans le jazz, comme le firent aussi des musiciens de la scène londonienne tels que Soft Machine, King Crimson et Caravan. Cette interaction, nous le soulignons plus bas, fut un processus réciproque car c’est aussi à partir de cette époque que des jazzmen—en particulier Miles Davis dans des albums tels que In a Silent Way (juillet 1969) et Bitches Brew (mars 1970)—se rapprochèrent des orchestrations de musique rock pour créer le genre que l’on appela jazz fusion ou jazz rock (voir 2.7).

Le jazz des années 1960 apportait aux musiciens de rock progressif un potentiel contrasté. D’un côté, il offrait un modèle de sophistication musicale. D’un autre côté, il ouvrait le rock expérimental à l’improvisation, notamment pour les instruments solos tels que les guitares, les claviers et, de manière prévisible, le saxophone. Le surcroît de complexité que le jazz pouvait apporter au rock concerne la structure harmonique (le choix séquences d’accords), les schémas mélodiques (emploi de modes inhabituels en musique rock), et les signatures rythmiques. Nous avons vu que le rock, parce qu’il tire son inspiration du rhythm and blues, se composait majoritairement de suites d’accords limitées à la tonique, la sous-dominante et la dominante (voir 2.5.3.2.2). L’apport du folk et du doo wop avait rajouté à ceci des séquences comportant des

266 accords mineurs. Le jazz moderne, en revanche, utilisait des harmonies plus complexes tels que des accords de 6ème, 9ème, 11ème et des accords de 7ème majeure. Jimi Hendrix fait souvent appel à ces ressources harmoniques : c’est le cas dans « Third Stone from the Sun » (1967) et « Ain’t No Telling » (déc. 1967) et « Rainy Day, Dream Away » (1968). De même, les lignes mélodiques du jazz ouvraient des possibilités allant au-delà des gammes héritées du blues et du rhythm and blues. Ces dernières, nous l’avons vu, présentaient leur propre dimension de complexité (voir 2.3.3.4.2.3) mais la nouveauté qu’elles apportaient initialement s’était banalisée au cours de années 1960. Les modes mélodiques du jazz permettaient donc à nouveau de déclencher le choc de la nouveauté. On le perçoit dans des morceaux tels que « Have You Ever Been (to Electric Ladyland) » de Hendrix (oct. 1968), dont les accords et la ligne de chant anticipent le funk jazz des années 1970, et dans la partition d’orgue complexe de « Where but For Caravan Would I » de Caravan.

En ce qui concerne le rythme, nous avons vu que le rock and roll et le rhythm and blues étaient caractérisé par un certain degré de complexité interne dûe à l’utilisation de syncopes et de polyrythmes (voir 2.3.3.4.2.2). Mais, comme c’est encore le cas aujourd’hui, ces genres musicaux font preuve d’une simplicité délibérée dans le choix de leur signature rythmique : l’énorme majorité des morceaux en musique rock utilisent le 4/4 (éventuellement le 12/8, équivalent ternaire du 4/4)—, ce qui est effectivement un choix approprié à une musique de danse standardisée. Le jazz, au contraire avait depuis les années 1950 expérimenté avec des signatures rythmiques moins habituelles—en particulier des signatures impaires telles que le 5/4 (« Take Five » de Dave Brubeck) et le 7/4. En rock psychédélique, ces techniques apparaissent dans des morceaux tels que « Twenty-First-Century Schizoid Man » de King Crimson ou, de manière discrète mais très efficace, dans « All You Need is Love » des Beatles. Notons que ces deux morceaux oscillent entre plusieurs signatures—du 4/4 au 5/4 pour le premier, du 7/4 au 5/4 et au 4/4 pour le second— , ce qui accroît encore leur complexité. Au début des années 1970, l’utilisation de ces signatures rythmiques complexes, ainsi que les changements de signature rythmique au sein du même morceau, devinrent un des traits distinctifs de la virtuosité musicale du rock progressif post- psychédélique (l’« art rock ») et du jazz fusion (voir 2.7).

En revanche, au-delà de la complexité technique et des contraintes de virtuosité, le jazz ouvrait un champ d’émancipation musicale par la pratique de l’improvisation. Le jazz afro- américain a dès le départ comporté une part d’improvisation même si, pour des raisons commerciales, les musiciens devaient aussi se plier au format standardisé des chansons. Le swing des big bands des années 1930 (Benny Goodman, Duke Ellington, Glenn Miller), avec ses arrangements soigneusement calibrés, incarne le professionnalisme discipliné du jazz commercial. A partir des années 1940 au contraire, les différents mouvements du jazz moderne—be-bop, cool, hard bop—avaient défié ce carcan commercial en produisant une musique dans laquelle la performance improvisée—notamment lors des prestations scéniques—était la norme. Cette évolution atteignit son sommet avec l’apparition du free jazz (John Coltrane) dont les morceaux étaient structurés de manière intégralement libre. Par comparaison, le rock et le rhythm and blues n’accordaient qu’une part modeste à l’improvisation : celle-ci se limitait souvent au bridge instrumental de chaque chanson. L’exemple du jazz (tout comme, nous l’avons vu, l’exemple du raga) permit donc au rock progressif psychédélique de s’écarter de ces formats standardisés. Cette

267 liberté s’exprime dans des morceaux tels que « Still Raining, Still Dreaming » et « Moon Turn the Tides (Gently, Gently Away)” de Jimi Hendrix, dans « That’s It for the Other One » du Grateful Dead (juillet 1968), dans la musique de Santana et dans de nombreux morceaux de Soft Machine.

C’est aussi l’attrait de la libération musicale qui mena certains groupes de rock à s’inspirer de la musique classique contemporaine (moderniste et postmoderniste)—une source en apparence très éloignée de la musique populaire. Un nombre limité de musiciens des années 1960—Frank Zappa, The Velvet Underground, Soft Machine—étaient conscients de l’évolution de la musique sérieuse telle qu’elle s’était illustrée dans l’œuvre de Edgard Varese, John Cage, Pierre Boulez, Pierre Schaeffer, Pierre Henry et Karlheinz Stockhausen. Certains des compositeurs contemporains en question s’étaient inscrits dans la tradition moderniste de la musique sérielle— la musique dodécaphonique élaborée par Arnold Schönberg dans le cadre de l’Ecole de Vienne. D’autres avaient créé de nouveaux courants comme la musique concrète (Pierre Schaeffer) et la pratique postmoderniste des happenings (des évènements musicaux improvisés développés notamment par John Cage). Vu le positionnement culturel de la musique rock, on ne peut s’attendre à ce que cette dernière se soit alignée de manière fidèle et substantielle sur ces innovations radicales : la musique contemporaine (souvent appelée à l’époque « musique nouvelle »), contrairement au rock, pouvait se satisfaire de s’adresser à un public limité à l’érudition musicale considérable. Le rock progressif retint cependant de la « musique nouvelle » certaines options créatrices qu’il pouvait aussi trouver dans le free jazz, qui suivait une esthétique comparable : il y décelait la possibilité de s’engager dans des expériences sonores et des improvisations atonales maximalisant les dissonances. Par là-même, il se rendait aussi capable de produire une musique dotée d’une dimension métaculturelle, capable d’inciter son public à réfléchir sur les techniques et les buts de la musique elle-même. Certains des morceaux les plus excentriques de la scène psychédélique américaine—“ The Return of the Son of Monster Magnet ” des Mothers of Invention (Frank Zappa) (juin 1966) et « A Small Package of Value Will Come to You Shortly » de Jefferson Airplane (nov. 1967)—illustrent la manière par laquelle l’atonalité et l’ironie métamusicale se combinent. De longueur très différente (le morceau des Mothers fait plus de douze minute, celui de Jefferson Airplane seulement une minute trente), ces deux pistes sont composées d’une bande musicale atonale sur lesquelles sont surimposés des bribes de dialogues satiriques qui se chevauchent. Des moments atonaux de même nature apparaissent dans les longs morceaux improvisés figurant sur Anthem of the Sun (« That’s It for the Other One ») et Aoxomoxoa (« What’ Become of the Baby ») du Grateful Dead. Cette musique résolument dissonante et désarticulée est proche de l’esprit des happenings de John Cage. Elle met en scène une rupture fondamentale avec les conventions définissant la pratique artistique dans laquelle s’inscrivent les deux groupes rock en question. Il s’agit donc de métamusique qui, en déclenchant un choc défamiliarisant, invite son public à réfléchir sur la définition même de la musique. D’une manière assez semblable, le chaos bruitiste de White Light/White Heat (jan. 1968), le deuxième album du Velvet Underground, nous amène à réévaluer ce que l’on peut inclure dans le périmètre de l’expérience musicale. Ces pratiques de rupture n’auraient sans doute pas vu le jour si les musiciens n’avaient pas eu conscience d’exploiter des possibilités inaugurées par la musique nouvelle et le free jazz.

268

2.6.3.3.5 Le psychédélisme carnavalesque

Le recours aux dissonances et à la satire métaculturelle tels qu’il s’illustre chez Zappa, Jefferson Airplane et le Velvet Underground s’inscrit dans un large éventail de pratiques burlesques caractérisant la musique rock de la deuxième moitié des années 1960. Sur base de la terminologie de Mikhaïl Bakhtine, nous pouvons en effet suggérer que le psychédélisme comporte une dimension carnavalesque. Dans la dynamique du mouvement, cette esthétique satirique entre en contraste avec le projet idéaliste prônant l’expansion de l’esprit. Nous avons vu que Bakhtine définit le carnavalesque comme l’ensemble des stratégies de subversion culturelles qui se déploient par le biais du burlesque, du grotesque et de l’inversion satirique des conventions (voir Vol. I : 1.4.5.3.1). Ces pratiques se manifestent, comme le terme lui-même l’indique, préférentiellement lors des célébrations du carnaval—un moment qui permet à tous d’ignorer les conventions sociales et de les tourner en dérision. Le carnavalesque constitue aussi un mode habituel des œuvres littéraires satiriques—les textes du romancier français de la Renaissance François Rabelais, notamment, auquel Bakhtine a consacré un essai célèbre. Le carnavalesque est selon Bakhtine un aspect du dialogisme et de l’intertextualité. La satire carnavalesque prend en effet souvent la forme de la parodie du langage du pouvoir. On peut donc parler dans ce cas d’intertextualité transgressive à vocation satirique.

La dimension burlesque évoquée ci-dessus s’est manifestée dès le début du psychédélisme chez les musiciens les plus prestigieux du mouvement. « Rainy Day Women » sur Blonde on Blonde (juillet 1966) de Bob Dylan ressemble à un morceau de rhythm and blues joué par un combo de jazz Dixieland à la maîtrise musicale approximative, sur fond d’exclamations hilares provenant des musiciens. Le texte, chanté par Dylan comme s’il s’agissait d’une chanson à boire, fait la satire de la panique morale déclenchée par la contreculture, en particulier par la consommation de drogue. Pour de tels morceaux, Dylan pouvait s’inspirer du registre satirique de la musique folk—un style qu’il avait pratiqué lui-même dans « Talking World War III Blues » (mai 1963) et dans « Motorpsycho Nightmare » (juin 1964). De même, les Beatles ont fait du carnavalesque une part importante de leur personnalité culturelle. Chacun de leurs albums de la période psychédélique contient au moins un morceau sur le registre de la comédie—« Yellow Submarine » sur Revolver, « Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band » sur Sgt. Pepper’s ou « Back in the USSR” sur The Beatles [The White Album]. Dans une belle illustration de l’intertexualité satirique carnavalesque, le bridge musical de « Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band » est joué non par les habituelles guitares électriques, mais, par une fanfare, créant ainsi une disjonction comique vers un idiome musical étranger à la musique rock. Même les morceaux psychédéliques des Beatles en apparence les plus sérieux contiennent des moments de cacophonie. « A Day in the Life » sur Sgt. Pepper’s relie ses deux thèmes musicaux principaux—le premier, mélancolique, chanté par John Lennon, le deuxième, énergique, chanté par McCartney—au moyen de crescendos dissonants évoquant l’image d’un orchestre symphonique en décomposition. Lors de l’enregistrement, les Beatles avaient demandé aux musiciens de l’orchestre de se grimer au moyen d’accessoire de carnaval (faux nez, perruques) afin de se détendre et de perdre l’esprit de sérieux qu’on leur attribue d’habitude. « Hey Jude » et « All You Need is Love », qui ne sont pas en principe des morceaux comiques, se terminent tous deux par un final délirant dans lequel on

269 reconnaît des éléments de parodie musicale. Cet esprit festif et frondeur est, nous l’avons vu plus haut, mis en avant de manière encore plus systématique dans les premiers albums de Frank Zappa and the Mothers of Invention. On peut aussi ranger dans le registre du carnavalesque l’utilisation d’effets spéciaux audio défamiliarisants dans certains morceaux de Jimi Hendrix—« Third Stone from the Sun » and « And the Gods Made Love » (oct. 1968), par exemple.

Dans le champ de la contre-culture psychédélique, le carnavalesque servait avant tout d’outil de dérision parapolitique : dans un mouvement critique qui, nous l’avons vu, ne s’exprimait pas à travers les canaux politiques traditionnels, le carnavalesque permettait de combattre sur le registre du ridicule les valeurs—le conservatisme politique et culturel, l’esprit de sérieux—contre lesquelles la contreculture s’insurgeait. A un autre niveau, les formes les plus grotesques du carnavalesque répondaient aux exigences du psychédélisme dans la mesure où elles permettaient de représenter la dimension de l’expérience de la drogue qui ne correspond pas à l’expansion extatique de la perception : par la tension du rire satirique, le carnavalesque donne voix à l’angoisse du mauvais trip hallucinogène—l’expérience que l’on appelait à l’époque le « flip » (le voyage qui se retourne brutalement vers une expérience désagréable et fait donc « flipper »). Notons que cette esthétique satirique s’exprima également dans la mode vestimentaire des musiciens et des fans du psychédélisme hippie. Celle-ci se basait en partie sur la récupération ironique de symboles empruntés à des traditions sartorielles sans rapport à la musique populaire du début des années 1960 ; pensons par exemples aux tenues adoptées par Jimi Hendrix (la célèbre veste militaire du 19ème siècle ornée de brandebourgs sur laquelle sont surimposés des éléments améridiens et afro- américains) ou aux tenues portées par les Beatles sur la pochette de Sgt. Pepper’s et dans le show télévisuel de noël Magical Mystery Tour (déc. 1967). De manière symptomatique, le rock progressif post-psychédélique, privilégiant la virtuosité musicale et la distinction esthétique, se détourna de l’esthétique carnavalesque. Celle-ci se perpétua cependant dans le glam rock du début des années 1970 et fut pleinement ressuscitée sous une forme particulièrement grinçante par les mouvements punk et post-punk à partir du milieu de la même décennie (voir 2.9).

2.6.4 Une avant-garde populaire: le cauchemar d’Adorno

2.6.4.1 La rupture de la standardisation

Les réflexions développées dans les sections précédentes indiquent que les pratiques artistiques du psychédélisme ne sont pas du ressort d’une culture standardisée. La musique rock de la deuxième moitié des années 1960, ainsi que les pratiques culturelles qui lui sont associées dans d’autres modes d’expression (arts graphiques, mode), enfreignent les normes des médias dans lesquels elles se sont développées et s’orientent parfois vers la nouveauté radicale. Elles semblent donc suivre la logique de l’art moderniste. Plus surprenant encore, ce virage vers l’innovation esthétique ne provenait pas nécessairement des marges de l’industrie de la culture—des milieux alternatifs ou underground. Dans de nombreux cas, il émanait des plus grandes vedettes du marché de la musique—l’exemple des Beatles parle de lui-même—travaillant pour les « majors », les grandes

270 compagnies du paysage médiatique. A ce titre, le rock progressiste psychédélique semble réfuter un des principes centraux de l’étude critique de la culture de masse—l’hypothèse de la standardisation et de la fausse réconciliation développée par Theodor Adorno, Max Horkheimer et l’Ecole de Francfort (voir Vol I. : 1.3.4). Selon Adorno et Horkheimer, le mode de domination exercé par la culture de masse agit par la création d’un faux consensus résultant de la standardisation de l’offre culturelle. Toute apparence de diversité dans la culture de masse n’est que le fruit d’une pseudo-individualisation des produits culturels masquant leur uniformité. Seul l’art moderne le plus radical, exprimant l’aliénation extrême, peut, selon l’Ecole de Francfort, lutter contre cette standardisation capitaliste.

Cette apparente contradiction nous permet de mesurer le rôle essentiel que le rock progressif a joué dans le développement des cultural studies. La culture rock à partir du milieu des années 1960 révèle la possibilité d’une avant-garde populaire—ou, pour utiliser un terme encore plus provocateur, une avant-garde massifiée. Son développement confirme donc l’hypothèse centrale des cultural studies selon laquelle, contrairement à ce qu’affirme l’Ecole de Francfort, les pratiques de la culture populaire peuvent servir de vecteur à l’émancipation (voir Vol I. : 1.1 ; 1.4.5). Cette constatation est d’autant plus importante qu’elle ne repose pas sur des des présupposés aveuglément favorables à la culture populaire comparables à ceux que l’on rencontre chez John Fiske et les théoriciens du populisme culturel (voir VOL. I : 1.4.5.3.4.2): elle résulte au contraire de l’analyse historique. Comme nous l’avons vu ci-dessus, il est impossible de retracer l’histoire de la musique rock au-delà de 1965 sans rendre compte des multiples manières dont elle a modifié et contesté les normes de la pratique musicale héritées du début du rock and roll et de la musique populaire en général. Seule une adhésion purement axiomatique à l’hypothèse de la standardisation peut ignorer ces développement, entraînant une perception biaisée ou fragmentaire de la culture rock de cette époque.

Cette période de la musique rock nous place donc devant la difficulté méthodologique de déterminer le mode d’existence d’une avant-garde populaire (ou massifiée). Nous avons vu en effet que l’optimisme méthodologique des cultural studies est compensé par l’attention portée au fait que la culture populaire et la culture de masse restent inscrites dans le carcan idéologique de l’industrie des loisirs capitaliste (voir Vol I. : 1.1). Les désirs d’utopie qui s’y expriment, comme l’a indiqué Fredric Jameson, sont freinés par des stratégies d’endiguement idéologique; (voir Vol I. : 1.4.5.3.2.4). Analyser le rock progressif psychédélique en tant qu’avant-garde revient donc à cartographier un espace précaire.

2.6.4.2 Le rapport à l’avant-garde : modernisme ou postmodernisme ?

Afin de définir le mode d’insertion des expérimentations musicales du psychédélisme dans la culture de leur époque, il faut nous poser la question du rapport de la musique rock à deux grands courant esthétiques du vingtième siècle—le modernisme et le postmodernisme. Nous avons indiqué dans les remarques générales sur la périodisation de la musique rock que ces deux termes ne font pas partie du discours habituel des fans et journalistes et qu’ils peuvent donc paraître étrangers au monde du rock (voir 2.2). Les remarques qui suivent ne tentent pas de les imposer

271 comme des fétiches terminologiques. Nous pensons seulement qu’ils définissent des repères utiles permettant de relier la musique populaire, trop souvent considérée par les fans comme un domaine sui generis, à un contexte plus large. L’ensemble des réflexions développées dans ce chapitre ont déjà indiqué que la musique rock de la deuxième moitié des années 1960 et du début des années 1970—le rock progressif psychédélique et post-psychédélique—est fondamentalement un courant moderniste mettant en œuvre une esthétique de rupture. Nous n’allons pas ici contredire cette thèse, mais y apporter certaines nuances et des éléments de contextualisation plus détaillés. Le rock psychédélique s’est en effet développé à un moment où l’art expérimental dans d’autres domaines (littérature, arts graphiques, architecture) avait déjà basculé vers le postmodernisme. Pour cette raison, l’avant-garde psychédélique présente un caractère hybride : sa dominante moderniste interagit avec des éléments postmodernes. Notons déjà ici que le véritable virage de la culture rock vers le postmodernisme eut lieu quelques années après le psychédélisme : ce changement s’amorça à partir du milieu des années 1970 avec le développement du punk, du post- punk et de la pop des années 1980—des mouvements qui accordaient une grande importance aux pratiques métaculturelles caractéristiques de l’art postmoderne (voir 2.9).

La distinction entre modernisme et postmodernisme fut formulée dans le domaine de la critique américaine à partir du milieu des années 1960—au moment même où se développait le rock progressif. A cette époque, des critiques littéraires—Leslie Fiedler et Ihab Hassan— constatèrent que l’art expérimental—qualifié jusque-là de « moderne » ou « moderniste »—avait pris une orientation qui nécessitait la création d’une nouvelle catégorie—le « postmodernisme ». Au-delà de la littérature, l’hypothèse du développement d’une esthétique postmoderne eut un retentissement considérable dans le domaine de l’architecture à travers l’œuvre de théoriciens tels que Robert Venturi et Charles Jencks, ainsi que dans les arts graphiques avec l’apparition du Pop Art et du photoréalisme. Vers la fin des années 1970, le postmodernisme fut redéfini comme un courant philosophique notamment dans les écrits du philosophe français Jean-François Lyotard. Dans les années 1980, Jean Baudrillard et Fredric Jameson réexaminèrent ce concept à la lumière du marxisme et arrivèrent à la conclusion que le postmodernisme est l’expression culturelle de la société de l’information et représente donc une forme de domination idéologique.

Les essais initiaux d’Ihab Hassan décrivent de manière particulièrement claire les critères qui distinguent le modernisme du postmodernisme. Nous avons vu que le modernisme—en bref, l’art expérimental de la première moitié du vingtième siècle—se profile comme une esthétique de rupture qui favorise la nouveauté absolue quitte à briser les liens entre artistes et public (voir Vol. I : 1.3.3 ; 1.3.4.3 et 1.4.5.2.1.3). Hassan en conclut que le modernisme est une esthétique de la transcendance : elle rejette la banalité de la modernité et recherche une nouvelle perfection esthétique et un regain d’authenticité existentielle dans des domaines qui transcendent la trivialité du quotidien (la perfection géométrique, le monde des instincts, l’inconscient). De manière prévisible, ce modernisme canonique (« high modernism ») rejette la culture massifiée car cette dernière incarne la banalité du quotidien sous une forme bassement commerciale. Au contraire, l’art postmoderne apparu après les années 1950 ne cherche pas à se distancier de son propre présent ou de son passé proche. Il est ludique, ouvert à la participation du public et ouvert aux influences de la culture de masse et de la culture populaire. Il considère le passé culturel non comme un

272 repoussoir mais comme une source d’inspiration : la culture du passé ainsi que l’imagerie de la culture de masse peuvent être l’objet de pastiches—d’imitations respectueuses, une pratique fréquente dans l’art postmoderne. Enfin, en s’ouvrant à la culture du présent, l’art postmoderne doit aussi accepter le désordre du monde. Au lieu de se replier vers les domaines parfaits de la transcendance moderniste, il se positionne comme un art de l’immanence et de l’indéterminé. Hassan utilise le mot-valise indetermanence pour exprimer cette attitude.

A première vue, la distinction entre modernisme et postmodernisme ainsi posée nous inciterait à décrire la musique rock dans son ensemble non comme une émanation du modernisme mais plutôt comme une pratique postmoderne. Le terme même de « postmodernisme », comme nous le suggérons ci-dessus, fut créé afin de désigner une nouvelle forme d’art à la frontière de la culture canonique et de la culture de masse. Le Pop Art d’Andy Warhol et de Roy Lichtenstein, qui peut être considéré comme la première avant-garde postmoderne, incarne ce positionnement, ainsi que le font le photoréalisme (hyperréalisme) en peinture, l’architecture populiste prônée par Robert Venturi, les romans métafictionnels de Joseph Heller, Thomas Pynchon, et Kurt Vonnegut, la sf psychédélique de Philip K. Dick et Ursula LeGuin, et la bande dessinée underground de Robert Crumb (voir Vol. I : 1.4.1). La musique rock, pour autant qu’elle manifeste des ambitions d’innovation artistique, peut aisément être considérée comme un phénomène similaire, émergeant de la culture de masse pour rejoindre l’avant garde. De même, par le privilège qu’elle donne à l’émancipation, au plaisir et à la participation du public, la musique rock semble s’inscrire dans les avant-gardes ludiques et « indétermanentes » décrites par Hasan. Sa tonalité générale est en effet bien éloignée de l’austérité hautaine du « haut modernisme » de la poésie de T. S. Eliot ou d’Ezra Pound.

Dans son rapport à son contexte culturel et industriel, la musique rock semble également se profiler comme une pratique postmoderne. Tout d’abord, accepter l’hypothèse d’une musique rock postmoderne nous offre un raccourci conceptuel bien utile pour résoudre le paradoxe en vertu duquel une pratique artistique innovante—une avant-garde massifiée—peut se déployer au sein de l’appareil standardisé de l’industrie des loisirs. Ce qui apparaissait au départ comme une contradiction devient dès lors la simple conséquence de la définition même d’une avant-garde postmoderne dotée d’un statut hybride entre culture canonique et culture de masse. De manière encore plus concrète, la musique rock semble se fondre dans le postmodernisme par son positionnement chronologique. Contrairement à ce que pourrait suggérer une vision stéréotypée du positionnement du rock dans le champ culturel, il y eut déjà assez tôt—au début des années 1960—des contacts entre rock et avant-garde contemporaine. Un très grand nombre de musicien.ne.s de la British Invasion, nous l’avons indiqué, avaient fait leurs études dans des art schools où ils ou elles avaient pu découvrir les développements de l’art moderne (voir 2.5.3.3.4). Les Beatles, qui n’avaient pas tous bénéficié d’une telle formation, entrèrent en contact dès leur séjour à Hambourg avec un jeune couple—Astrid Kirchherr et —féru d’art moderne. Stuart Sutcliffe, le premier bassiste des Beatles, mort prématurément, avait entamé une carrière de peintre abstrait. The Velvet Underground fut au départ pris en charge par Andy Warhol, le chef de file du Pop Art. Celui-ci les fit participer aux happenings de l’Exploding Plastic Inevitable, proches de l’esprit de John Cage (voir 2.6.2.3.2.8). John Lennon rencontra

273

Yoko Ono, une artiste conceptuelle, dans une galerie d’art. L’exemple de Warhol et d’Ono indique qu’à partir de la deuxième moitié des années 1960, les contacts du rock avec le monde artistique avaient pris la forme de liens avec les avant-gardes postmodernes qui avaient acquis une position dominante dans la scène artistique. On pourrait en conclure que le mode d’insertion du rock progressif dans le marché de la culture était comparable au positionnement, au sein du marché de l’art de la « Factory », le collectif artistique dirigé par Andy Warhol à New York : il s’agissait dans un cas comme dans l’autre de pratiques artistiques qui, au contraire des artistes modernistes, n’ambitionnaient plus de s’opposer ou de se soustraire aux structures du capitalisme culturel mais acceptaient plutôt de composer avec elles (voir Vol I. : 1.3.3 ; 1.4.5.2.1).

Décrire le statut du rock progressif sous ce jour postmoderne n’est cependant possible que si l’on ignore certains principes esthétiques centraux du mouvement, si l’on simplifie à l’extrême son positionnement au sein de l’industrie des loisirs et si l’on s’en tient à une vision schématique de la chronologie du modernisme par rapport au postmodernisme. Le projet central de la musique psychédélique—produire une expérience musicale qui représente, simule ou même provoque l’ouverture des « portes de la perception » vers un champ d’authenticité absolue—est de toute évidence l’expression d’une esthétique moderniste de la transcendance. La thématique psychédélique de l’expansion de l’esprit s’inscrit dans une tradition de romantisme moderniste qui remonte au moins au surréalisme des années 1920 et fut transmise aux artistes des années 1960 par le biais du mouvement Beat des années 1950. Même les artistes pour qui la thématique psychédélique avait moins d’importance souscrivaient à une esthétique de l’authenticité : la problématique de l’aliénation telle qu’elle s’exprime dans les textes de Dylan présuppose qu’il est possible de critiquer l’environnement contemporain au nom de valeurs qui le transcendent. Ceci diffère spectaculairement du désenchantement des esthétiques postmodernes qui privilégient la manipulation ironique des codes culturels sans espoir de voir cet environnement changer de nature ou de pouvoir s’en libérer.

Si l’on essaie de rendre justice au romantisme moderniste du rock psychédélique, on ne peut évidemment pas adopter un récit chronologique présupposant que le modernisme fut tout entier éclipsé par le postmodernisme au début des années 1960. Il faut au contraire prendre en compte le fait que le modernisme se déploya au cours du vingtième siècle à un rythme variable selon les modes d’expression— dès le tournant du vingtième siècle en littérature et dans les arts graphiques, vers le milieu du siècle en cinéma, et dans les médias populaires à partir de la Deuxième Guerre Mondiale (jazz dans les années 1940 ; rock dans les années 1960). Ce paysage chronologique plus nuancé permet de comprendre comment un média populaire comme la musique rock a pu connaître son moment moderniste au moment où d’autres modes d’expression s’orientaient déjà vers le postmodernisme. Il permet aussi d’envisager la persistance d’un mouvement moderniste (ou transmoderniste) même au-delà du moment où chaque mode d’expression, musique populaire comprise, aurait pris le virage postmoderne.

Enfin, il serait également peu judicieux de dépeindre le mode d’insertion du rock psychédélique dans l’industrie des loisirs comme une réplique fidèle du positionnement de la Factory de Warhol dans le marché de l’art. Au lieu d’une intégration apaisée au capitalisme

274 culturel, ce que nous avons décrit à travers tout ce chapitre évoque au contraire un phénomène émergent causant une rupture dans les normes de l’industrie. Contre toute vision de la standardisation victorieuse, l’industrie du disque et du spectacle fut confrontée pendant quelques années à des développements qu’elle n’avait ni prévus ni planifiés, et qu’elle ne pouvait qu’accompagner sans les maîtriser pleinement. Il en résulta une suspension temporaire des normes de rentabilité et de censure qui permit la diffusion d’œuvres d’une originalité et d’un caractère subversif inédits dans le domaine. Ce moment d’ouverture, on s’en doute, ne fut que temporaire. A partir des années 1970, avec l’avènement du rock classique, le dispositif de l’industrie des loisirs parvint à canaliser la nouvelle musique populaire. Nous verrons dans le chapitre suivant que ce virage ne mit pas un point final à la créativité des différents courants de la musique rock. Il créa au contraire une situation paradoxale dans laquelle de la musique de grande qualité se développa dans le cadre d’une industrie des loisirs stabilisée.

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Index

Rubriques de l’index :

1. Théorie et méthodologie 2. Contexte historique 3. Contexte culturel : artistes et mouvements 4. Contexte culturel : œuvres 5. Auteurs, compositeurs ou interprètes de musique rock et de rhythm and blues 6. Œuvres musicales de musique rock et de rhythm and blues 7. Industrie de la musique 8. Terminologie musicale

Les termes apparaissant en italiques se réfèrent à des volumes ou des albums publiés en tant qu’œuvre autonome. Les termes entre guillemets se réfèrent à des chansons ou des textes publiés dans des albums ou des volumes comportant d’autres œuvres. Les termes entre crochets sont des mots-clés repris ailleurs dans l’index.

1. Théorie et méthodologie Désir d’africanité. Dialogisme [Mikhaïl Bakthine]. Adorno, Theodor (1903-1969). Théoricien marxiste Disposition [Bourdieu]. [Ecole de Francfort]. Ecole de Francfort [Marxisme]. Alliance affective [Lawrence Grossberg]. Endiguement idéologique [Jameson]. Aura [Walter Benjamin]. Fausse reconciliation [Adorno ; Ecole de Francfort]. Avant-garde massifiée. Fiedler, Leslie (1917-2003). Critique littéraire américain Avant-garde populaire. [postmodernisme]. Bakhtine, Mikhail (1895-1975). Théoricien de la culture Fiske, John (1939-). Théoricien des cultural studies. et du roman [Dialogisme]. Freud, Sigmund (1856-1939). Théoricien de la Balio, Tino. Historien de l’industrie cinématographique. psychanalyse. Barthes, Roland (1915-1980). Théoricien structuraliste Frith, Simon. Théoricien des cultural studies. Sociologue et post-structuraliste. de la musique rock. Baudrillard, Jean (1929-2007). Théoricien post- Fuzzy logic. Concept de la théorie cognitiviste [Eleanor structuraliste ; théoricien postmoderniste. Rosch]. Benjamin, Walter (1892-1940). Théoricien de la culture Gates, Jr., Henry Louis (1950). Théoricien des cultural allemand [Ecole de Francfort]. studies afro-américain. Bordwell, David. Historien et théoricien du cinéma. Gender studies. Bourdieu, Pierre (1930-2002). Sociologue français. Genres « historiques » Canonicité. Genres « théoriques » Carnavalesque [Mikhaïl Bakhtine]. Gilroy, Paul (1956-). Théoricien des cultural studies afro- Connotation. britannique. Consécration. Greimas, Algirdas (1917-1992). Sémiologue et Consolidation. sémanticien structuraliste français. Consumérisme alternatif. Habitus [Pierre Bourdieu]. Cooptation. Hassan, Ihab (1925-2015). Théoricien du Cultural studies. postmodernisme égypto-américain. Debord, Guy (1931-1994). Théoricien de la culture Hétéro-dénomination français. Homo-dénomination Deleuze, Gilles (1925-1995). Philosophe français Horkheimer, Max (1895-1973). Théoricien marxiste de [poststructuralisme]. l’Ecole de Francfort.

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Indetermanence [Ihab Hassan ; postmodernisme]. Intertextualité Intertextualité générique. 2. Contexte historique Intertextualité transgressive. Isotopie [Algirdas J. Greimas]. Action Directe. Groupe terroriste d’extrême gauche Jameson, Fredric (1934-). Théoricien néo-marxiste français. américain [postmodernisme]. Ali, Muhammad [Cassius Clay] (1942-2016). Boxeur et Jencks, Charles (1939-). Théoricien de l’architecture activiste des droits civils américain. postmoderne américain. Années folles, Les. Jeu performatif [Michel Foucault ; Judith Butler]. Arafat, Yasser (1929-2004). Leader politique Kristeva, Julia (1941-). Théoricienne poststructuraliste. palestinien. Lignes de fuites [Gilles Deleuze ; Félix Guattari]. Bay Area, The. Lyotard, Jean-François (1925-98). Philosophe français Berkeley, University of California at [Mouvement [postmodernisme]. hippie; Summer of Love]. Mattering maps [Lawrence Grossberg] Black Panther Party. Mouvement politique afro- Modernisme. américain [mouvement des droits civils].. Multi-accentualité [Mikhaïl Bakhtine] Black Panthers. Mouvement politique afro-américain. Positionnement, Distinction [Pierre Bourdieu] Black power [mouvement des droits civils]. Postmodernisme. Mouvement culturel, artistique et Black power salute [mouvement des droits civils]. philosophique. Brigades Rouges, Les. Groupe terroriste d’extrême- Poststructuralisme. Mouvement philosophique [théorie gauche italien. [Nouvelle gauche ; Action Directe ; de la culture]. Rote Armee Fraktion ; Cellules Communistes Pseudo-individualisation [Theodor Adorno ; Ecole de Combattantes]. Francfort]. Campaign for Nuclear Disarmament. Groupe politique Queer studies [Judith Butler]. progressiste [mouvement hippie ; Guerre Froide]. Rabelais, François (1483-53). Romancier burlesque Carlos, John Wesley (1945-). Athlète américain [Black français. power salute]. Recentrage. Castro, Fidel (1926-2016). Leader politique cubain. Reterritorialisation [Gilles Deleuze et Félix Guattari]. Cellules Communistes Combattantes Groupe terroriste Rosch, Eleanor. Théoricienne cognitiviste. d’extrême-gauche belge. [Nouvelle gauche ; Action Rupture. Directe ; Brigades Rouges ; Rote Armee Fraktion] Scène de production restreinte [Pierre Bourdieu]. Chasses aux sorcières [McCarthyisme]. Signifyin’ [Henry Louis Gates, Jr.]. Civil Rights Act, The (1964) [movement des droits Standardisation [Theodor Adorno ; Ecole de Francfort]. civils]. Territorialisation [Gilles Deleuze ; Félix Guattari]. Cleaver, Eldridge (1942-89). Activiste afro-américain Théorie des prototypes [Eleanor Rosch]. [The Black Panthers]. Thompson, Kristin. Historienne et théoricienne du Cohn-Bendit, Daniel (1945-). Dirigeant politique cinéma. germano-français [contre-culture ; mai 1968], Topographie de l’investissement psychologique COINTELPRO. Programme conservateur de lutte contre [« mattering maps »]. [Lawrence Grossberg] la contre-culture. Transition. Contestation. Transmodernisme. Contre-culture. Utopie (désir d’) [Fredric Jameson] Crise de Berlin de 1961 [Guerre Froide]. Wicca. Religion animiste. Crise des missiles de Cuba (1962) [Guerre Froide]. Williams, Raymond (1921-1988). Sociologue marxiste Davis, Angela (1944-). Activiste afro-américaine. britannique; théoricien des cultural studies [Centre for Deuxième Guerre Mondiale Contemporary Cultural Studies]. Dohrn, Bernardine (1942-). Activiste d’extrême gauche Women’s studies [The Weatherman]. Draft card burning. Action de protestation non-violente [contre-culture ; Guerre du Viêt Nam ; mouvement hippie]. Droits civils des afro-américains, Lutte pour les

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Dubois, W[illiam] E[dward] B[urghardt] (1868-1963). Hunter, Meredith [Altamont, Festival d’]. Sociologue afro-américain. Jacobs, John (1947-97). Militant d’extrême gauche Dutschke, Rudi (1940-1970). Activiste d’extrême américain [The Weatherman]. gauche allemand. Jefferson, Thomas (1743-1826). Homme d’état Eisenhower, Dwight (1953-1960). Commandant des américain ; Président des Etats-Unis. forces Alliées pendant la Deuxième Guerre Mondiale ; Johnson, Lyndon B. (1908-1973). Politicien américain ; Président des Etats-Unis (1953-60). Président des Etats-Unis. Equal Rights Amendment, The (ERA). Projet Kennedy, John Fitzgerald (1917-1963). Politicien d’amendement de la constitution américaine en faveur américain. Président des Etats-Unis. de l’égalité des genres. Kennedy, Robert (“Bobby”) Francis (1925-1968). Equilibre de la terreur [Guerre Froide]. Politicien américain. Attorney General ; candidat à la Ethique protestante du travail [Max Weber]. présidence des Etats-Unis. Evers, Megdar (1925-1963). Militant des droits civiques Mai 1968. Moment politique insurrectionnel. afro-américain. Manson family, The. Secte ; association criminelle. Farm, The. Communauté hippie. Manson, Charles (1934-). Leader d’une secte criminelle. Flower power [mouvement hippie]. Mao Ze Dong (1943-76). Leader politique ; Premier Ford, Henry (1863-1947). Constructeur automobile. Secrétaire du Parti Communiste Chinois. Freedom riders, The. Militants des droits civiques. Marche contre le Pentagone [« March on the Front National de Libération du Sud-Viêt Nam (FNL). Pentagon »] [Guerre du Viêt Nam]. Mouvement de guérilla. Martin Luther King, Jr. (1929-1968). Leader du Front populaire. Alliance politique anti-fasciste. mouvement des droits civiques. Gandhi, Mahatma [Mohandas Kararchand] (1869- Mass media 1948). Politicien anti-colonialiste indien. McCarthy, Joseph (1908-57). Politicien anticommuniste Garvey, Marcus (1887-1940). Militant nationaliste afro- américain [McCarthyisme]. américain. McCarthyisme. Mouvement politique anti-communiste. Gaskin, Ina May (1940-). Fondatrice d’une communauté Mendeleïev, Dmitri (1934-1907). Chimiste russe. hippie. Motor Town. Surnom de Detroit, MI. Gaskin, Stephen (1935-2014). Fondateur d’une Muhammad, Elijah [Elijah Robert Poole] (1897-1975). communauté hippie. Leader religieux afro-américain. Gauchisme My Lai. Village vietnamien ; lieu d’un massacre. Glass ceiling, The [le « plafond de verre »] New Deal, The. Programme de réformes économico- Guerre du Viêt Nam politiques [Franklin D. Roosevelt]. Guerre Froide New Left, The. Mouvement politique [contre-culture]. Guevara, Ernesto “Che” (1928-67). Politicien et Nixon, Richard (1922-1994). Politicien américain ; militant révolutionnaire argentin. Président des Etats-Unis (1969-74) [Watergate]. Hanoi. Capitale de la République Démocratique du Viêt Nouvelle Gauche, La. Mouvement politique [contre- Nam (Nord-Viêt Nam). culture]. Heath, Edward (1916-2005). Politicien conservateur Obama, Barack Hussein (1961-). Politicien américain ; britannique ; premier ministre. Président des Etats-Unis (2009-16) Hells Angels, The. Mouvement culturel [subculture]. Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Hippie movement. Mouvement culturel [subculture] Mouvement politique. Ho Chi Minh (1890-1969). Politicien marxiste et OTAN. Alliance géo-stratégique [Guerre Froide]. nationaliste nord-vietnamien. Pacte de Varsovie. Alliance géo-stratégique [Guerre Ho Chi Minh Ville. Anciennement Saïgon ; ancienne Froide]. capitale de la République du Viêt Nam (Sud-Viêt Panafricanisme Nam). Parks, Rosa (1913-2005). Militante des droits civils afro- Hoffman, Abbie (1936-89). Militant américain de la américaine. contre-culture [mouvement yippie]. Pilule contraceptive Hoffman, Anita (1942-98). Militante américaine de la Polanski, Roman (1933-). Cinéaste polonais. contre-culture [mouvement yippie]. Première Guerre d’Indochine (1945-54) HUAC (House Un-American Activities Committee) Printemps de Prague 1968. Mouvement politique [McCarthyism]. [Guerre Froide].

vii

République Démocratique du Viêt Nam [« Nord Viêt Viêt Minh. Mouvement de guérilla pro-communiste Nam »] [Guerre d’Indochine]. République du Viêt Nam [« Sud Viêt Nam ») Voting Rights Act (1965) Révolution cubaine, La (1959). Watts [mouvement des droits civils]. Révolution Culturelle, La (1966) [Mao Ze Dong]. Weather Underground, The [«The Weatherman»]. Roaring twenties, The. Mouvement d’extrême gauche américain. Roe v. Wade. Décret de la Cour Suprême des Etats-Unis Wilson, Harold. Politicien travailliste britannique ; légalisant l’avortement. premier ministre. Roosevelt, Franklin Delano (1882-1945). Politicien Wright, Gridley (1934-1979). Fondateur d’une américain ; Président des Etats-Unis (1933-1944) communauté hippie américain. [New Deal]. X, Malcolm [Malcolm Little] (1925-1965). Activiste et Rote Armee Fraktion, Die (la « Bande à Baader »). théoricien des droits civils afro-américain. Groupe terroriste d’extrême gauche allemand. Yippies, The [The Youth International Party]. Rubin, Jerry (1938-94). Leader politique de la contre- Mouvement politique américain [mouvement hippie ; culture américaine. psychédélisme ; Summer of Love]. Saigon. Capitale de la République du Viêt Nam. Seale, Bobby (1936-). Militant des droits civils afro- américain [The Black Panthers] Search and destroy. Technique de guerre totale [Guerre 1. Contexte culturel : artistes et mouvements du Viêt Nam]. Sit-ins. Pratique de protestation non-violente. Acid tests [Ken Kesey]. Rituel hallucinogène [mouvement hippie ; Summer of Love ; Nouvelle [psychédélisme ; Summer of Love]. Gauche]. All Saints Church Hall. Siège de la London Free School Smith, Tommie (1944-). Athlète américain [Black power [psychédélisme ; Swinging London]. salute]. Amis, Kingsley (1922-1995). Romancier britannique. Société de consommation Amour libre. [psychédélisme ; Flower Power] Staline [Joseph Vissarionovitch Djugatchvili] (1878- Angadi, Ayana (1903-93). Musicien anglo-indien [The 1953). Homme politique soviétique. Premier Asian Music Circle]. Secrétaire du Parti Communiste Soviétique (1929-53). Angelou, Maya (1928-2014). Poète afro-américaine Stonewall Riots. Manifestations en faveur de la cause [droits civils]. LGBTQ. Angry young men, The [« Les jeunes hommes en Strawberry Fields [The Beatles]. colère »]. Mouvement littéraire britannique. Students for a Democratic Society. Mouvement en Antonioni, Michelangelo (1912-2007). Cinéaste. faveur des droits civils et en opposition à la Guerre du Art conceptuel. Mouvement artistique. Viêt Nam. Artaud, Antonin (1896-1948). Auteur de théâtre et Suburbs théoricien du théâtre surréaliste français. Summer of Love, The. Artistes maudits, Les. [romantisme ; post-romantisme]. Tate, Sharon (1943-69). Actrice américaine [Charles Astaire, Fred (1899-1987). Danseur de comédie Manson; The Manson Family]. musicales américain. Teach-ins. Pratique de résistance non-violente Avedon, Richard (1923-2004). Photographe de mode [movement hippie; Summer of Love; Guerre du Viêt américain. Nam]. Bach, Johann Sebastian. Musicien baroque allemand. Thatcher, Margaret. Politicienne conservatrice Baraka, Amiri [Everett LeRoi Jones] (1934-2014). britannique ; Première ministre. Ecrivain et militant des droits civils afro-américain. Théorie des dominos. [Guerre du Viêt Nam] Barbet Schroeder (1941-). Réalisateur de cinéma suisse. Tiers monde. Baring-Gould, Sabine (1834-1924). Musicologue. Trente Glorieuses, Les. Baudelaire, Charles (1821-1867). Poète symboliste Trotski, Léon (1879-1940). Politicien révolutionnaire français. soviétique. Bazin, André (1918-1958). Critique cinématographique Viêt Cong. Mouvement de guérilla pro-communiste français. [Guerre du Viêt Nam]. Beat Generation, The. Mouvement littéraire [contre- culture].

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Beat Movement, The. Mouvement littéraire [contre- Ferlinghetti, Lawrence (1919-). Poète beat américain. culture] Flaubert, Gustave (1821-1880). Romancier réaliste Beethoven, Ludwig Van. Compositeur classique français. allemand. Ford, John (1894-1973). Réalisateur de cinéma Bethel, NY. Municipalité de l’état de New York américain. [Woodstock] Friedan, Betty (1921-2006). Théoricienne féministe Better Books. Librairie londonienne [psychédélisme ; américaine. Swinging London]. Gide, André (1869-1951). Auteur français ; militant Black Arts Movement, The. Collectif artistique afro- LGBTQ. américain. Ginsberg, Allen (1926-97). Poète beat américain. Bloomsbury Group, The. Groupe d’avant-garde Gordon, Robert Winslow (1888-1961). Musicologue moderniste britannique [Virginia Woolf]. américain. Borel-Clerc, Charles (1879-1959). Compositeur Gramsci, Antonio (1891-1937). Théoricien et politicien populaire français. marxiste italien. Boulez, Pierre. Compositeur contemporain français. Greer, Germaine (1939-). Théoricienne féministe. Bousquet, Louis (1871-1941). Compositeur de musique Grossberg, Lawrence (1947-). Théoricien des cultural populaire français. studies américain. Burgess, Anthony (1917-1993). Romancier britannique Guattari, Félix (1930-92). Théoricien poststructuraliste [The Rolling Stones]. frqnçais ; psychanalyste. Burroughs, William (1914-1997). Romancier américain. Haight-Ashbury. Quartier hippie de San Francisco Burroughs, William (1914-97). Romancier Beat et [Summer of Love]. postmoderne américain. Happenings [John Cage; psychédélisme; Summer of Cabau, Jacques (1931-). Critique littéraire français. Love]. Cage, John (1912-92). Musicien contemporain Hartung, Hans (1904-89). Peintre expressionniste américain. abstrait américain. Capra, Frank (1897-1991). Réalisateur de cinéma italo- Hawks, Howard (1896-1977). Réalisateur de cinéma américain. américain. Carnaby Street [Swinging London]. Heller, Joseph (1923-99). Romancier postmoderne Carnavalesque psychédélique [Mikhaïl Bakhtine] américain. Castañeda, Carlos (1925-98). Théoricien du Hipgnosis. Bureau de graphisme [Pink Floyd] psychédélisme [movement hippie; Summer of Love ; Hitchcock, Alfred (1899-1980). Cinéaste anglo- psychédélisme]. américain. Chaplin, Charlie (1889-1977). Acteur comique et Humphreys, Rachel (1952-199 ?). Célébrité transgenre réalisateur de cinéma anglais. américaine [Lou Reed] Contre-culture. Hurston, Zora Neale (1891-1960). Romancière afro- Corso, Gregory (1930-2001). Poète beat. américaine. Crumb, Robert (1943). Auteur de bande dessinée Huston, John (1906-1987). Réalisateur de cinéma underground américain. américain. Cut-up technique, The. Technique d’écriture. Huxley, Aldous (1894-1963). Romancier et essayiste De Beauvoir, Simone (1908-1986). Philosophe féministe britannique. française. Hyperréalisme. Courant de la peinture postmoderne. De Quincey, Thomas (1785-1859). Homme de lettres Indica Gallery. Galerie d’art [psychédélisme ; Swinging britannique. London]. Einstein, Albert (1879-1955). Physicien d’origine Jung, Carl (1875-1961). Théoricien de la psychanalyse allemande. suisse. Eliot, T[homas] S[tearns] (1888-1965). Poète Karloff, Boris [William Henry Pratt] (1887-1969). moderniste anglo-américain. Acteur de films d’horreur anglais. Ellison, Ralph (1913-1994). Romancier afro-américain. Karpeles, Maud (1885-1976). Musicologue américaine. Exploding Plastic Inevitable, The. Spectacle multimedia Kelly, Gene (1912-1996). Danseur de comédies [Andy Warhol; The Velvet Underground]. musicales américain. Factory, The. Collectif artistique [Andy Warhol ; Pop Kerouac, Jack (1922-69). Romancier beat américain. Art].

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Kesey, Ken (1935-2001). Fondateur d’une communauté Pop Art. Mouvement artistique (peinture ; sculpture) proto-hippie américain [The Merry Pranksters ; acid [Andy Warhol ; Roy Lichtenstein ; The Plastic tests]. Exploding Inevitable; The Velvet Underground]. Kubrick, Stanley (1928-1999). Cinéaste américain. Pound, Ezra (1885-1972). Poète américain Laughlin, Chandler A. III. Fondateur d’une [modernisme]. communauté hippie [The Red Dog Experience]. Psychédélisme Lawrence, D[avid]. H[erbert] (1885-1930). Romancier Pynchon, Thomas (1937-). Romancier postmoderne moderniste britannique. américain. Leary, Timothy (1920-1996). Idéologue du Quant, Mary (1934-). Créatrice de mode [minijupe ; The psychédélisme américain. London Look ; Swinging London]. LeGuin, Ursula K (1929-2018). Romancière de science- Red Dog Experience, The. Communauté hippie fiction et de fantasy américaine. [Chandler A. Laughlin, III]. LeWitt, Sol (1928-2007). Artiste conceptuel américain. Reed, Ishmael (1938-). Romancier afro-américain. Lichtenstein, Roy Fox (1923-1997). Peintre américain Reich, Wilhelm (1897-1957). Philosophe et théoricien [Pop Art]. psychanalytique. London Free School. Collectif anarchiste Rigg, Diana (1938-). Actrice britannique [The [Psychédélisme; Swinging London]. Avengers/Chapeaux Melons et Bottes de Cuir] London Look, The. Mouvement de mode. Rimbaud, Arthur (1854-91). Poète symboliste français. LSD. Drogue hallucinogène. Road movies. Films exprimant les valeurs de la contre- Maharishi Mahesh Yogi (1917-2008). Leader spirituel culture. indien [The Beatles ; George Harrison]. Rockers, The. Mouvement culturel et musical. Mailer, Norman (1923-2007). Romancier et essayiste Rousseau, Jean-Jacques (1712-78). Philosophe de américain. Lumières français. Marcus, Greil (1945-). Journaliste rock américain. Royal Albert Hall. Salle de concert londonienne [The Marcuse, Herbert (1898-1979). Théoricien de la culture Beatles] allemand [Ecole de Francfort]. Saint-Germain des Prés. Centre de la contre-culture McLuhan, Marshall (1921-1980). Sociologue canadien; parisienne après la Deuxième Guerre Mondiale. théoricien des médias. Sillitoe, Alan (1928-2010). Romancier britannique [angry Medium is the message, The”. [Marshall McLuhan]. young men]. Mehta, Zubin (1936). Chef d’orchestre de musique Soljenitsyne, Alexandre (1918-2008). Romancier russe. classique indien. Stockhausen, Karlheinz (1928-2007). Musicien Merry Pranksters, The. Groupe communautaire contre- contemporain allemand. culturel [psychédélisme ; Ken Kesey]. Stravinsky, Igor (1882-1971). Musicien moderniste Miller, Henry (1891-1980). Romancier moderniste russe. américain. Subcultures. Mind at Large, The [Aldous Huxley] Swinging London. Mouvement culturel. Minijupe. [Swinging London; The London Look] Teddy Boys, The. Mouvement culturel. Mods, The. Mouvement culturel britannique [Swinging Thomas, Dylan (1914-1953). Poète surréaliste London ; The Who]. britannique. Oldenburg, Claes (1929-). Sculpteur américain [Pop Thoreau, Henry David (1817-62). Ecrivain romantique Art]. écologiste américain. Ophelia. Personnage d’Hamlet de Shakespeare. Thorgerson, Storm. Artiste graphiste anglais [Pink Orwell, George (1903-1950). Romancier anglais. Floyd]. Osborne, John (1929-94). Dramaturge britannique [The Tin Pan Alley. Centre de l’édition musicale à New York. Angry Young Men]. Toffler, Alvin (1928-). Futurologue américain. Peace and Love [psychédélisme; mouvement hippie; Turn on, tune in, drop out. Slogan de la contre-culture Summer of Love]. [mouvement hippie ; Summer of Love ; Photoréalisme. Mouvement de peinture postmoderne psychédélisme]. [hypperréalisme]. Valentino, Rudolph (1895-1926). Acteur américain Pollock, Jackson (1912-56). Peintre américain d’origine italienne ; star du cinéma muet. [expressionnisme abstrait]. Varèse, Edgard (1883-1965). Musicien contemporain français naturalisé américain.

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Venturi, Robert (1925-). Architecte américain ; Confessions of an English Opium-Eater, Thomas de théoricien de l’architecture postmoderne Quincey (1821). Essai autobiographique. [postmodernisme]. Desperate Housewives, Marc Cherry (2004). Série Village global, Le. [Marshall McLuhan] télévisée. Volochinov, Valentin N. (1895-1836). Théoricien de la Deuxième Sexe, Le, Simone de Beauvoir (1949). Essai de culture soviétique [Mikhaïl Bakhtine]. théorie féministe. Vonnegut, Kurt (1922-2007). Romancier postmoderne Doors of Perception, The, Aldous Huxley (1954). Essai américain. autobiographique. Wadleigh, Michael (1942-). Cinéaste documentaire Easy Rider, Dennis Hopper (1969). Film. américain. Female Eunuch, The, Germaine Greer (1970). Essai de Warhol, Andy (1928-1987). Peintre et artiste graphique théorie féministe. américain [Pop Art ; The Velvet Underground ; Nico ; Feminine Mystique, The, Bettie Friedan (1963). Essai de The Plastic Exploding Inevitable]. théorie féministe. Webern, Anton (1883-1945). Compositeur Fleurs du mal, Les, Charles Baudelaire (1857). Poème contemporain autrichien [Arnold Schönberg]. symboliste. Weiner, Lawrence (1942-). Artiste conceptual Future Shock, Alvin Toffler (1970). Essai de futurologie. américain. Girl Can’t Help It, The (déc. 1956). Film musical. Welles, Orson (1915-1985). Réalisateur de cinéma Gutenberg Galaxy, The, Marshall McLuhan (1961). américain. Essai de théorie des medias. Whitman, Walt (1819-92). Poète romantique américain. Hair: The American Tribal Love-Rock Musical; James Wilde, Oscar (1854-1900). Ecrivain fin-de-siècle Rado, Gerome Ragni, Galt Mac Dermot (1967). britannico-irlandais. Comédie musicale. Wilder, Billy (1906-2002). Réalisateur de cinéma Heavy Metal Kid, The. Personnage de fiction américain d’origine austro-hongroise. [Burroughs, William; The Soft Machine]] Woolf, Virginia (1882-1941). Romancière moderniste Homme unidimensionnel, L’, Herbert Marcuse (1964). britannique. Essai philosophique. Wordsworth, William (1770-50). Poète romantique Jesus Christ Superstar, Andrew Lloyd Webber, Tim Rice anglais. (1970). Comédie musicale. Wright, Richard (1908-1960). Romancier afro- Lady Chatterley’s Lover, D. H. Lawrence: roman américain. moderniste (1928). Young, LaMonte (1935). Musicien contemporain Mad Men, Matthew Weiner (2007-). Série télévisée américain. Madame Bovary, Gustave Flaubert (1856). Roman réaliste Masters of Sex, Michelle Ashford (2013-15). Série 4. Contexte culturel : oeuvres télévisée Mythologies, Roland Barthes (1957). Essai de sémiologie 2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick (1968). Film de et de théorie de l’idéologie. sf. Naked Lunch, William Burroughs (1959). Roman Animal Farm (1945). Fable politique [Orwell, George] postmoderne. Armies of the Night, The, Norman Mailer (1968). Nova Express, William Burroughs (1964). Roman de sf Au bonheur des dames, Emile Zola (1883). Roman postmoderne. naturaliste. On the Road, Jack Kerouac (1957). Roman Avengers, The [Chapeau melon et bottes de cuir] (1961- autobiographique [mouvement beat]. 69). Série télévisée britannique [Swinging London]. Phantom Thread, Paul Thomas Anderson (2017). Film de Blackboard Jungle [Graine de violence]; Film (1955) fiction. [Bill Haley and His Comets]. Prairie perdue, La, Jacques Cabau (1966). Essai Blow-Up. Michelangelo Antonioni: film de fiction (1966). d’histoire littéraire [Swinging London]. Psycho, Alfred Hitcock (1960). Film ; thriller. Clockwork Orange, A, Anthony Burgess (1962). Roman Resistance to Civil Government, Henry David Thoreau britannique [The Rolling Stones]: (1849). Essai politique (1849). Clockwork Orange; A, Stanley Kubrick (1971). Film. Rhétorique de l’image, Roland Barthes (1964). Essai de sémiologie.

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Sacre du printemps, Le, Igor Stravinsky (1913) Ayers, Kevin (1944-2013). Guitariste, bassiste et Société de consommation, La, Jean Baudrillard (1970). chanteur [Soft Machine]. Essai de théorie de la culture. Baez, Joan [Joan Chandos Báez] (1941-). Chanteuse folk Soft Machine, The (1961). Roman américain [William américaine [Second Folk Revival ; Bob Dylan]. Burroughs, William] Baker, Ginger [Peter Edward Baker] (1939-). Batteur Soft Machine, The, William Burroughs (1961). Roman britannique [Cream]. postmoderne [mouvement beat]. Balin, Marty (1942-2018). Guitariste et chanteur rock Système des objets : la consommation des signes, Le, américain [The Jefferson Airplane]. Jean Baudrillard (1968). Essai de théorie de la culture. Band of Gypsys. Groupe rock américain [Jimi Hendrix ; Tarahumaras, Les [The Peyote Dance], Antonin Artaud Buddy Miles ; psychédélisme ; psychedelic soul ; (1947). Essai anthropologique. funk]. Teachings of Juan: A Yaqui Way to Knowledge, Carlos Band, The. Groupe folk/country-rock américano Castaneda (1968). Essai anthropologique. canadien [Bob Dylan]. Third Wave, The, Alvin Toffler (1980). Essai de Barrett, Syd (1946-2006). Guitariste et chanteur futurologie. britannique [Pink Floyd]. Tropic of Cancer, Henry Miller (1934). Roman Beach Boys, The. Groupe rock américain [Brian Wilson; moderniste. Carl Wilson; Dennis Wilson; surf music; surf rock; Two-Lane Blacktop, Monte Hellman (1971). Road psychédélisme]. movie. Beatles, The. Groupe rock britannique [Paul McCartney; Ulysses, James Joyce (1922). Roman moderniste. John Lennon; George Harrison; Ringo Starr ; British Understanding Media, Marshall McLuhan (1964). Essai Invasion; Merseybeat; Swinging London; de sociologie des medias. psychédélisme]. Vanishing Point, Richard Sarafian (1971). Road movie. Beck, Jeff [Geoffrey Arnold Beck] (1944-). Guitariste Walden, or Life in the Woods, Henry David Thoreau britannique [The Yardbirds; The Jeff Beck Group] (1854). Essai autobiographique écologiste. Beefheart, Captain [Don Van Vliet] (1941-2010). Woodstock, Michael Wadleigh (1970) Film documentaire Guitariste, chanteur et compositeur américain musical. [psychédélisme]. Yellow Submarine, The Beatles (1968). Film Berry, Chuck [Charles Edward Anderson Berry] (1926- d’animation. 2017). Guitariste, chanteur et compositeur de rock and Zabriskie Point, Michelangelo Antonioni (1970). Film de roll américain. fiction ; road movie. Bhagwat, Anil. Percussionniste indien [raga ; raga-rock]. Big Bopper, The [Jiles Perry Richardson] (1930-1959). Chanteur de rock américain. 5. Auteurs, compositeurs ou interprètes de musique Big Brother and the Holding Company. Groupe rock rock et de rhythm and blues américain [Janis Joplin ; psychédélisme]. Big Mama Thornton [Willie Mae Thornton] (1926- 2Pac. Artiste hip hop américain. 1984). Chanteuse de rhythm and blues américaine. AC/DC. Groupe de rock australien [heavy metal]. Bill Haley and His Comets. Groupe de rock and roll Aerosmith. Groupe de rock américain [heavy metal] américain. Alice Cooper. Groupe de rock américain [heavy metal] Björk [Björk Guðmundsdottir] (1965-). Chanteuse de Alomar, Carlos (1951-). Guitariste américain [David rock icelandaise. Bowie]. Black Sabbath. Groupe de heavy metal britannique. America. Groupe de country rock américain. Blackmore, Ritchie (1945-). Guitariste britannique Anderson, Pink (1900-1974). Bluesman américain. [Deep Purple]. Animals, The (1964). Groupe rock britannique [British Bloodrock. Groupe rock américain [hard rock; heavy rhythm and blues; British Invasion; Eric Burdon; Alan metal] Price; Chas Chandler]. Bloomfield, Mike (1943-1981). Guitariste américain Armstrong, Louis (1901-1971). Jazzman, trompettiste, [Folk-rock; Bob Dylan]. chanteur, compositeur américain. Blue Cheer. Groupe rock américain [hard rock: heavy Avalon, Frankie [Francis Avalone] (1940-). Chanteur de metal] rock and roll américain [shlock rock ; doo-wop]. Blue Öyster Cult. Groupe de heavy metal américain. Blue Yodeler, The [Jimmie Rodgers] (1897-1933).

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Chanteur hillbilly. Caravan. Groupe de rock britannique [rock progressif ; Blues Incorporated. Groupe de blues et rhythm and blues psychédélisme ; post-psychédélisme]. britannique [Alexis Korner]. Carter, Goree (1930-90). Chanteur et guitariste Blur. Groupe rock britannique [Britpop]. américain [rhythm and blues ; rock and roll]. Bo Diddley [Elias McDaniel/Elias Otha Bates] (1928- Casady, Jack (1944-). Bassiste américain [The Jefferson 2008). Guitariste, chanteur et compositeur de rhythm Airplane]. and blues et de rock and roll américain. Chapman, Roger (1942-). Chanteur de rock britannique Bon Jovi, Jon [John Francis Bongiovi, Jr.] (1962-). [Family] Chanteur de rock américain [heavy metal ; glam Charles, Ray [ Robinson] (1930-2004). metal] Chanteur de rhythm and blues américain. Bonham, John (1948-1980). Batteur britannique [Led Checker, Chubby [Ernest Evans] (1941-). Chanteur de Zeppelin] rhythm and blues américain [twist ; dance crazes]. Booker T and the MGs. Groupe rock et soul américain Chords, The. Groupe vocal masculin américain. [soul; Aretha Franklin]. Clapton, Eric (1945-). Guitariste britannique. [British Boone, Pat [Charles Eugene Boone] (1934-). Chanteur de rhythm and blues; rock classique] rock and roll américain [shlock rock]. Cliff Richard and the Shadows. Groupe de rock and roll Bowie, David (1947-2016). Chanteur, multi- britannique [surf rock] instrumentiste et compositeur britannique [glam rock ; Cobain, Kurt (1967-94). Chanteur américain. Nirvana. rock progressif post-psychédélique ; post-punk] Cochran, Eddie [Edward Raymond Cochran] (1938-60). Brenston, Jackie (1928-1979). Chanteur de rhythm and Chanteur de rock and roll américain. blues [Jackie Brenston and His Delta Cats]. Cohen, Leonard [Leonard Norman Cohen] (1934-2016). Brown, James (1933-2006). Chanteur de soul et de Chanteur folk canadien. rhythm and blues américain [soul; rhythm and blues; Coldplay. Groupe de rock britannique. funk]. Coleman, Ornette [Randolph Denard Ornette Coleman] Brubeck, Dave (1920-2012). Saxophoniste et (1930-2015). Saxophoniste de jazz américain [free compositeur de jazz. jazz]. Bruce, Jack [John Symon Asher Bruce] (1943-1914). Collins, Judy [Judith Marjorie Collins] (1939-). Bassiste britannique [Cream]. Chanteuse et compositrice de folk américaine [Second Bruford, Bill. Batteur (1949-). [Yes; King Crimson] Folk Revival] Buddy Holly and the Crickets. Groupe de rock and roll Coltrane, John (1926-1967). Saxophoniste de jazz Americain [Buddy Holly]. américain [free jazz]. Budgie. Groupe de heavy metal britannique. Commodores, The. Groupe de rhythm and blues Buffalo Springfield. Groupe de rock américain [Stephen américain [funk ; disco]. Stills ; Neil Young ; folk rock ; psychédélisme]. Cooke, Sam [Samuel Cooke] (1941-1964). Chanteur de Burdon, Eric (1941-). Chanteur de rhythm and blues soul et de rhythm and blues. britannique [The Animals]. Cooper, Alice [Vincent Damon Furnier] (1948-). Burke, Solomon (1940-2010). Chanteur soul afro- Chanteur de rock américain [Alice Cooper, band] américain. Council, Floyd (1911-1976). Bluesman américain. Butler, Geezer. Bassiste et auteur britannique [Black Counting Crows, The. Groupe de rock américain [folk Sabbath ; heavy metal]. rock] Byrds, The. Groupe folk-rock américain [David Crosby; Country Joe and the Fish. Groupe de folk-rock Roger McGuinn; folk-rock; Bob Dylan]. américain [protest songs]. Cale, J. J [James Weldon Cale] (1938-2013). Guitariste Country Joe McDonald (1942-). Chanteur folk-rock et chanteur folk et country-rock américain. américain [Country Joe and the Fish] Cale, John (1942-). Guitariste, violoniste et chanteur Cream. Groupe de rock britannique [Eric Clapton; Jack britannique [The Velvet Underground ; Lou Reed]. Bruce; Ginger Baker; British rhythm and blues; Capehart, Jerry (1929-98). Bassiste et compositeur de psychédélisme ; Swinging London] rock and roll américain [Eddie Cochran]. Creedence Clearwater Revival. Groupe de rock Captain Beefheart [Don Van Vliet] (1941-2010). américain [country rock; roots rock]. Chanteur et guitariste américain [Frank Zappa ; Crosby, Bing [Harry Lillis Crosby] (1903-1977). Crooner psychédélisme]. américain.

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Crosby, David (1941-). Guitariste et chanteur de folk- Donovan [Donovan Philip Leitch] (1946-). Chanteur de rock américain [The Byrds ; Crosby, Stills, Nash, and folk-rock écossais [psychédélisme ; Swinging Young] London]. Crosby, Stills, Nash, and Young. Groupe de folk-rock Doors, The. Groupe de rock américain [Jim Morrison ; américain [David Crosby ; Stephen Stills; Neil Young; Ray Manzarek ; psychédélisme]. Woodstock]. Dréjac, Jean [Jean André Jacques Brun](1921-2003). Crow, Sheryl (1962-). Chanteuse, guitariste et Compositeur populaire français. compositrice de rock américaine [country rock]. Dukes of Stratosphear, The. Group de rock britannique Crudup, Arthur (1905-1974) [psychédélisme ; post-punk ; XTC]. Cure, The. Groupe de rock britannique [post-punk] Dylan, Bob [Robert Allen Zimmerman] (1941-). Cybotron. Duo de musique électronique [Juan Atkins; Chanteur, guitariste et compositeur de folk-rock Richard Davis; Detroit techno] américain [folk ; folk-rock ; Second Folk Revival] Dale, Dick [Richard Anthony Monsour] (1937-2019). Eagles, The. Groupe de country-rock américain. Guitariste de rock américain [surf rock ; Dick Dale and Earth, Wind & Fire. Groupe vocal afro-américain the Del Tones] [rhythm and blues ; funk ; disco]. Daltrey, Roger Harry (1944-). Chanteur de rock Eastman, Linda (1941-1998). Photographe et claviériste britannique [The Who] américaine [Wings ; Paul McCartney]. Damned, The. Groupe de rock britannique [punk rock ; Eddie and the Hot Rods. Groupe de rock britannique goth rock] [punk rock]. Dave Clarke Five, The. Groupe de rock britannique Edwards, Nokie [Noyle Floyd Edwards] (1935-). [British rhythm and blues; British Invasion]. Guitariste de rock and roll américain [surf rock ; The Davies, Dave (1947-). Guitariste de rock britannique [The Ventures]. Kinks; Ray Davies] Electric Light Orchestra. Groupe de pop-rock Davies, Ray (1944-). Chanteur de rock britannique [The britannique [glam rock ; FM rock]. Kinks; Dave Davies] Ellington, Duke [Edward Kennedy Ellington] (1899- Davis, Miles [Miles Dewey Davis, III] (1926-1991). 1974) Trompettiste de jazz américain [cool jazz]. Emerson, Keith (1944-2016). Claviériste de rock [The Deep Purple. Groupe de heavy metal britannique. Nice; Emerson, Lake and Palmer; art-rock]. Deep Purple. Groupe de rock britannique [heavy metal]. Eno, Brian (1948-). Multi-instrumentiste, compositeur et Def Leppard. Groupe de heavy metal britannique [New producteur britannique [Roxy Music ; ] Wave of British Heavy Metal] Entwistle, John (1944-2002). Bassiste britannique [The Densmore, John (1944-). Batteur américain [The Doors] Who]. Dick Dale and the Del Tones. Groupe de rock américain Epstein, Brian (1943-67). Manager britannique [The [surf music]. Beatles]. Diddley, Bo [Ellas Otha Bates] (1928-2008). Guitariste, Fabian [Fabiano Forte] (1943-). Chanteur américain chanteur et compositeur de rhythm and blues et de [doo-wop; schlock rock] rock and roll américain [Bo Diddley]. Faith, Adam [Terence Nelhams Wright] (1940-2003). Dion [Dion DiMucci] (1939-). Chanteur de rock and roll Chanteur de rock and Roll britannique. américain [shlock rock; doo-wop]. Faithfull, Marianne (1946-). Chanteuse de rock Dion and the Belmonts. Groupe vocal américain [Dion]. britannique [Rolling Stones ; folk rock] Dire Straits. Groupe de folk-rock britannique [Mark Family. Groupe de rock britannique [psychédélisme ; Knopfler] rock progressif ; Roger Glover]. Dixon, Willie [William James Dixon] (1915-1992). Famous Flames, The. Groupe de rhythm and blues Chanteur, bassiste et compositeur de rhythm and blues américain [James Brown]. américain. Five Satins, The. Groupe vocal américain [doo-wop]. Domino, Fats [Antoine Domino, Jr.] (1928-2017). Fleetwood Mac. Groupe de rock américano-britannique. Chanteur de rhythm and blues et de rock and roll [FM rock ; folk rock]. américain. Four Tops, The. Groupe vocal de rhythm and blues Donegan, Lonnie [Anthony James Donegan] (1931- américain. 2002). Chanteur et guitarist de skiffle britannique Francis, Connie [Concetta Franconero] (1938-). [skiffle]. Chanteuse de rock and roll et de variété américaine.

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François, Claude (1939-1978). Chanteur de variété Hancock, Herbie (1940-). Claviériste de jazz américain français [yé-yé]. [jazz-fusion ; funk]. Franklin, Aretha [Aretha Louise Franklin] (1942-). Harpo, Slim [James Isaac Moore] (1924-1970). Chanteur Chanteuse de soul et de rhythm and blues américaine. et guitarist de blues américain. Freeman, Bobby (1940-). Chanteur de rhythm and blues Harrison, George (1940-2001). Guitariste, chanteur, et de soul américain. compositeur [The Beatles ; raga rock]. Fripp, Robert (1946-). Guitariste de rock britannique Harvey, PJ [Polly Jean Harvey] (1969-). Chanteuse et [King Crimson; psychédélisme; post-psychédisme ; compositrice rock britannique. art rock]. Havens, Richie [Richard Pierce Havens] (1921-2013). Full Tilt Boogie Band. Groupe de rock américain [Janis Chanteur folk afro-américain. Joplin; psychédélisme] Hayes, Isaac [Isaac Lee Hayes] (1942-2008). Chanteur et Fury, Billy [Ronald Wycherley] (1940-1983). Chanteur compositeur de rhythm and blues américain [funk; de rock and roll britannique. disco]. Gabriel, Peter (1950-). Chanteur, multi-instrumentiste et Helm, Levon (1940-2012). Batteur et chanteur [The compositeur britannique [Genesis]. Band; Bob Dylan]. Garcia, Jerry (1942-1995). Guitariste américain [The Hendrix, Jimi [James Marshall Hendrix] (1942-1970). Grateful Dead]. Guitariste, chanteur, compositeur [The Jimi Hendrix Garfunkel, Art (1941-). Chanteur de folk américain Experience ; Band of Gypsys ; psychédélisme]. [Simon and Garfunkel]. Henry, Pierre (1927-2017). Compositeur de musique Gaye, Marvin [Marvin Pentz Gaye, Jr.] (1939-84). contemporaine français. Chanteur de soul et de rhythm and blues américain. Herman’s Hermits. Groupe de rock britannique [British Gene Vincent and His Blue Caps. Groupe de rock and Invasion; Merseybeat] roll américain. Hermann, Bernard (1911-1975). Compositeur de Genesis. Groupe de rock britannique [post- musique de films américain. psychédélisme ; pop des années 1980]. High Tide. Groupe de rock britannique [rock progressif ; Gerry and the Pacemakers. Groupe vocal britannique hard rock] [British Invasion; Merseybeat] Hollies, The. Groupe musical britannique [Graham Giles, Michael (1942-). Batteur britannique [King Nash ; Merseybeat ; British Invasion]. Crimson]. Holly, Buddy [Charles Hardin Holley] (1936-1959). Gillan, Ian (1945-). Chanteur rock britannique [Deep Chanteur et guitariste de rock and roll américain Purple ; heavy metal] [rockabilly]. Gillespie, Dizzy [John Birks Gillespie] (1917-1993). Hopkins, Nicky (1944-1994). Claviériste britannique Trompettiste de jazz américain [be-bop]. [The Rolling Stones ; The Jeff Beck Group]. Gilmour, David (1946-). Guitariste [Pink Floyd ; post- Hot Tuna. Groupe de rock américain [The Jefferson psychédélisme]. Airplane]. Glover, Roger (1946-). Bassiste britannique [Deep Howe, Steve (1947-). Guitariste britannique [Yes ; post- Purple ; heavy metal] psychédélisme] Goodman, Benny (1909-1986). Musicien de jazz; Howlin’ Wolf [Chester Arthur Burnett] (1910-1976). clarinettiste; chef d’orchestre [swing jazz]. Chanteur et guitariste de blues afro-américain. Graham Bond Quartet, The. Groupe de rock Humble Pie. Groupe de rock britannique [heavy metal] britannique [British rhythm and blues]. Hunter, Steve (1948-). Guitariste américain [Lou Reed] Grand Funk Railroad. Groupe de rock américain [hard Iommi, Tony [Frank Anthony Iommi] (1948-). rock] Guitariste/compositeur [Black Sabbath] Grateful Dead, The. Groupe de rock américain Iron Butterfly. Groupe de rock américain [rock [psychédélisme ; country rock]. progressif ; hard rock] Guns N’ Roses. Groupe de rock américain [heavy metal]. Iron Maiden. Groupe de heavy metal britannique [New Haley, Bill [William John Clifton Haley] (1925-1981). Wave of British Heavy Metal] Chanteur de rock and roll et de country and western Isley Brothers, The. Groupe vocal afro-américain américain [Kings of rock and roll]. [rhythm and blues; doo-wop]. Hallyday, Johnny [Jean-Philippe Smet] (1943-2017). Jackie Brenston and His Delta Cats. Groupe de rhythm Chanteur de rock and roll et de rhythm and blues and blues [Ike Turner]. français [yé-yé].

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Jackson 5, The. Groupe de rhythm and blues [funk ; britannique [Led Zeppelin] disco ; Michael Jackson]. Joplin, Janis [Janis Lynn Joplin] (1943-1970). Chanteuse Jackson, Melvin « Lil’ Son » (1915-76). Chanteur de de rock et de rhythm and blues [psychédélisme ; rock rhythm and blues afro-américain. progressif ; San Francisco Sound]. Jackson, Michael (1958-2009). Chanteur de rhythm and Jordan, Louis (1908-1975). Chanteur de rhythm and blues [funk ; disco ; pop des années 1980 ; The blues. Jackson 5]. Joy Division. Groupe de rock britannique [post-punk]. Jackson, Wanda [Wanda Lavonne Jackson] (1937-). Kaukonen, Jorma (1940-). Guitariste et chanteur Chanteuse de rock and roll et de country and western américain [The Jefferson Airplane ; Hot Tuna]. américaine. Kenner, Chris (1929-1976). Chanteur de rhythm and Jagger, Mick [Sir Michael Phillip Jagger] (1943-). blues américain. Chanteur, harmoniciste et auteur-compositeur [The King Crimson. Groupe de rock britannique Rolling Stones ; British rhythm and blues] [psychédélisme ; Rock progressif ; post- James, Etta (1938-2012). Chanteuse de rhythm and blues psychédélisme ; art rock ; jazz fusion]. américaine. King, B. B. [Riley B. King] (1925-2015). Guitariste et Jay-Z [Shawn Corey Carter] (1969-). Chanteur de rap et chanteur ; bluesman américain. producteur américain [rap]. Kinks, The. Groupe de rock britannique [British Jeff Beck Group. Groupe de rock britannique [British Invasion; British rhythm and blues; folk-rock]. rhythm and blues; hard rock] Kiss. Groupe de heavy metal américain. Jefferson Airplane, The. Groupe de rock américain Knight, Curtis (1929-1999). Chanteur de rhythm and [psychédélisme ; San Francisco Sound ; Flower blues américain [Jimi Hendrix]. Power]. Knopfler, Mark. Guitariste et chanteur britannique [Dire Jefferson Starship. Groupe de rock américain [The Straits]. Jefferson Airplane ; post-psychédélisme]. Kooper, Al [Alan Peter Kuperschmidt] (1944-). Jethro Tull. Groupe de rock britannique [psychédélisme ; Guitariste, claviériste et producteur américain [Bob post-psychédélisme ; rock classique]. Dylan]. Jimi Hendrix Experience, The. Groupe de rock Korner, Alexis (1926-1984). Bluesman britannique américano-britannique [psychédélisme, rock [British rhythm and blues; British Invasion; The progressif]. Rolling Stones]. Jimmie James and the Blue Flames. Groupe de rhythm Kozmic Blues Band. Groupe de rock et de rhythm and and blues [Jimi Hendrix]. blues américain [psychédélisme ; Janis Joplin]. John Lennon/Plastic Ono Band. Groupe de rock [John Krieger, Robbie (1946-). Guitariste américain [The Lennon; Yoko Ono; The Beatles]. Doors ; psychédélisme]. John Mayall and the Bluesbreakers. Groupe de rhythm Lake, Greg (1947-2016). Bassiste; chanteur [King and blues britannique [British rhythm and blues]. Crimson; Emerson, Lake and Palmer]. John Mayall’s Bluebreakers. Groupe de blues Lavette, Bettye (1946-). Chanteuse de jazz et de soul britannique [British rhythm and blues]] américaine. John, Elton [Reginald Kenneth Dwight] (1947-). Leadbelly [Huddie William Ledbetter] (1888-1949). Chanteur britannique [pop ; rock classique] Bluesman et chanteur folk afro-américain. Johnson, Brian (1947-). Chanteur et parolier britannique Leake, Lafayette (1919-1990). Pianiste de rhythm and [AC/DC] blues américain [Chuck Berry]. Johnson, Johnnie (1924-2005). Pianiste de boogie- Led Zeppelin. Groupe de heavy metal britannique [hard woogie et de rhythm and blues américain [Chuck rock ; progressive rock] Berry]. Led Zeppelin. Groupe de rock classique britannique Johnson, Pete (1904-1967). Pianiste de boogie-woogie [heavy metal]. américain [Big Joe Turner]. Lee Hooker, John (1917-2001). Bluesman américain. Johnson, Robert (1911-1938). Bluesman, chanteur et Lee, Brenda [Brenda Mae Tarpley] (1944-). Chanteuse guitariste. de rock and roll et de country and western américaine. Jones, Brian (1942-69). Guitariste et chanteur [The Lennon, John (1940-1980). Chanteur, compositeur et Rolling Stones ; British rhythm and blues; British guitariste britannique [The Beatles ; Plastic Ono Invasion]. Band]. Jones, John Paul (1946-). Bassiste et claviériste

xvi

Lewis, Jerry Lee. (1935-). Pianiste et chanteur américain Miller, Glenn [Alton Glenn Miller] (1904-1944). [rock and roll] Clarinettiste de jazz américain, compositeur et chef Little Eva [Eva Narcissus Boyd] (1943-2003). Chanteuse d’orchestre [swing jazz]. de rhythm and blues américaine. Miracles, The. Groupe de doo-wop américain [Smokey Little Richard [Richard Wayne Penniman] (1932-). Robinson]. Chanteur et pianiste de rock and roll américain [Kings Mitchell, Joni. [Roberta Joan Anderson] (1943-). of Rock and Roll]. Chanteuse folk canadienne [singer-songwriter ; light Lord, Jon (1941-2012). Claviériste britannique [Deep soul]. Purple]. Mitchell, Mitch [John Graham Mitchell] (1946-2008). Love. Groupe de rock américain [folk rock ; Batteur britannique [The Jimi Hendrix Experience]. psychédélisme]. Monk, Thelonious Sphere (1917-1982). Pianiste de jazz Lovin’ Spoonful, The. Groupe de rock américain [folk- [be-bop]. rock; psychédélisme]. Moody Blues, The. Groupe de rock britannique Mahavishnu Orchestra, The. Groupe de jazz-rock [John [psychédélisme]. McLaughlin; jazz fusion] Moon, Keith [Keith John Moon] (1946-78). Batteur Malmsteen, Yngwie (1963-). Guitariste suédois [heavy britannique [The Who] metal; neoclassical metal] Morissette, Alanis (1974-). Chanteuse et compositrice Mamas the Papas, The. Groupe folk-rock américain rock canadienne [Psychédélisme; Flower Power; Summer of Love]. Morrison, Jim (1943-1971). Chanteur et compositeur Manzarek, Ray (1939-2013). Claviériste américain [The américain [The Doors]. Doors ; psychédélisme] Morrison, Sterling (1942-1995). Guitariste américain Margy, Lina [Marguerite Verdier] (1909-1973). [The Velvet Underground]. Chanteuse française. Mothers of Invention, The. Groupe de rock américain Martin, Dean [Dino Paul Crocetti] (1917-1995). [Frank Zappa] Chanteur et acteur italo-américain. Motörhead. Groupe de heavy metal britannique. Mason, Nick (1944-). Batteur britannique [Pink Floyd]. Mountain. Groupe de rock américain [Leslie West ; hard Massive Attack. Trio de musique électronique rock ; heavy metal] britannique [trip hop] Muddy Waters [McKinley Morganfield] (1915-1983). Mayall, John (1933-). Bluesman britannique [British Guitariste et chanteur de blues américain. rhythm and blues; British Invasion]. Murphy, Elliot (1949-). Chanteur et guitariste de folk- MC5. Groupe de rock américain [hard rock ; punk rock] rock américain. McCartney, Paul (1942-). Chanteur, compositeur, Nas [Nasir bin Olu Dara Jones] (1973-). Rappeur bassiste, multi-instrumentiste [The Beatles ; Wings]. américain. McDonald, Ian (1946-). Claviériste britannique [King New Yardbirds, The. Groupe de rock britannique [Led Crimson ; Foreigner]. Zeppelin ; Jimmy Page]. McGuinn, [James] Roger (1942-). Guitariste et chanteur Nice, The. Groupe de rock britannique [Psychédélisme ; américain [The Byrds]. Rock progressif ; Keith Emerson]. McGuire, Barry (1935-). Chanteur folk-rock américain. Nico [Christa Päffgen] (1938-1988). Chanteuse et McKenzie, Scott [Philip Wallach Blondheim, III] (1939- mannequin allemande [The Velvet Underground ; The 2012). Chanteur américain [folk-rock ; Summer of Plastic Exploding Inevitable]. Love]. Nine Inch Nails. Groupe de rock américain [grunge] McLaughlin, John [John Mahavishnu McLaughlin] Nirvana. Groupe de rock américain [grunge]. (1942-). Guitariste de jazz [The Manavishnu O’Connor, Sinéad [Sinéad Marie Bernadette O’Connor] Orchestra]. (1966-). Chanteuse rock irlandaise [post-punk ; rock Mellencamp, John [« Johnny Cougar »] (1951-). alternatif] Chanteur et guitariste américain [folk rock ; country Oasis. Groupe de rock britannique [britpop] rock]. Ochs, Phil [Philip David Ochs] (1940-1976). Chanteur . Groupe de rock américain [heavy metal]. folk américain [Second Folk Revival]. Miles, Buddy (1947-2008). Batteur américain [Band of Ono, Yoko (1933-). Artiste conceptuelle ; chanteuse [The Gypsys ; Jimi Hendrix]. Beatles; John Lennon]. Orbison, Roy [Kelton] (1936-1988). Chanteur de rock and roll américain.

xvii

Orioles, The. Groupe de doo-wop américain. Quicksilver Messenger Service. Groupe de rock Osbourne, Ozzy [John Michael Osbourne] (1949-). américain [psychédélisme ; San Francisco Sound]. Chanteur britannique [Black Sabbath ; heavy metal] Radiohead. Groupe de rock britannique [alternative Page, Jimmy [James Patrick Page] (1944-). Guitariste rock]. britannique [Led Zeppelin ; The Yardbirds ; The New Rage Against the Machine. Groupe de rock américain Yardbirds ; British rhythm and blue ; heavy metal]. [rock alternatif ; grunge] Paice, Ian (1948-). Batteur britannique [Deep Purple ; Rainey, « Ma » [Gertrude Pridgett] (1882-1939). heavy metal] Chanteuse de blues afro-américaine. Parker, Charlie (1920-1955). Saxophoniste de jazz Red Hot Chili Peppers. Groupe de rock américain. américain [be-bop]. Redding, Noel (1945-2003). Bassiste britannique [The Parry, Dick [Richard Parry] (1942-). Saxophoniste Jimi Hendrix Experience]. britannique [Pink Floyd] Redding, Otis [Otis Ray Redding, Jr.] (1941-1967). Paul Revere and the Raiders. Groupe de rock américain Chanteur de soul et de rhythm and blues américain. [garage bands ; punk rock] Reed, Jimmy [Mathis James Reed] (1925-1976). Pearl Jam. Groupe de rock américain [grunge]. Bluesman américain. Perkins, Carl [Carl Lee Perkins] (1932-1998). Guitariste Reed, Lou (1942-2013). Chanteur et guitariste américain et chanteur de rock and roll [rockabilly]. [The Velvet Underground ; John Cale ; Nico; The Peter, Paul and Mary. Groupe de folk américain [second Plastic Exploding Inevitable ; Andy Warhol ; The folk revival]. Factory; psychédélisme; punk; post-punk]. Phair, Liz (1967-). Chanteuse et compositrice rock Reeves, Martha [Martha Rose Reeves] (1941-). américaine. Chanteuse de soul et de rhythm and blues [Martha and Pink Floyd. Groupe de rock britannique [psychédélisme ; the Vandellas; Motown]. Swinging London]. Richard, sir Cliff [Harry Rodger Webb] (1940-). Placebo. Groupe de rock britannique [rock alternatif ; Chanteur de rock and roll et de variétés [Cliff Richard grunge]. and the Shadows]. Plant, Robert (1948-). Chanteur britannque [Led Richards, Keith (1943-). Guitariste de rock britannique; Zeppelin ; heavy metal; hard rock] compositeur [The Rolling Stones]. Platters, The. Groupe vocal américain [doo-wop]. Richie, Lionel [Lionel Brockman Richie, Jr.] (1949-). Pleasure Seekers. Groupe de rock américain [garage Chanteur soul et rhythm and blues américain [The bands] Commodores; light soul; disco]. Ponty, Jean-Luc (1942-). Violoniste de jazz [jazz fusion ; Robert, Camille (1872-1957). Compositeur et parolier The Mahavishnu Orchestra ; John McLaughlin ; Miles français. Davis]. Robertson, Robbie (1943-). Guitariste de folk-rock Presley, Elvis [Elvis Aaron Presley] (1935-1977). canadien [The Band ; Bob Dylan] Chanteur de rock and roll américain [Sun Records; Robinson, Smokey [William Robinson] (1940-). rockabilly]. Chanteur de soul et de rhythm and blues afro- Price, Alan (1942-). Claviériste de rhythm and blues américain [The Miracles]. britannique [The Animals; British rhythm and blues ; Rodgers, Jimmie [James Charles Rodgers] (1897-1933). British Invasion] Chanteur de country and western américain Prince [Prince Rogers Nelson] (1958-2016). Chanteur et [yodeling]. guitariste américain [funk ; soul ; rhythm and blues]. Rolling Stones, The. Groupe de rock britannique [British Procol Harum. Groupe de rock britannique rhythm and blues ; British Invasion; Mick Jagger; [psychédélisme]. Keith Richards]. Prodigy, The. Groupe de musique électronique Ronettes, The. Groupe vocal américain [Phil Spector]. britannique [trip hop]. Ronson, Mick (1946-1993). Guirariste britannique Psychedelic Furs, The. Groupe de rock britannique [David Bowie ; Lou Reed] [post-punk]. Ronstadt, Linda (1946-). Chanteuse de country-rock Public Enemy. Groupe de rap américain [hip hop]. américaine. Quarrymen, The. Groupe de skiffle britannique [The Ross, Diana (1944-). Chanteuse de soul et de rhythm and Beatles]. blues américaine [The Supremes ; Motown ; light Question Mark and the Mysterians. Groupe de rock soul ; disco]. américain [garage bands ; punk rock]] Roxy Music. Groupe de rock britannique [glam rock]

xviii

Run-DMC. Groupe de rap américain [golden age hip- Slick, Grace [Grace Barnett Wing] (1939-). Chanteuse hop]. rock [The Jefferson Airplane; Jefferson Starship; Sainte Marie, Buffy [Beverly Sainte Marie] (1943-). psychédélisme ; The San Francisco sound]. Chanteuse folk canadien d’origine amérindienne. Sly and the Family Stone. Groupe soul américain [soul Santana, Carlos (1947-). Guitariste américain d’origine psychédélique ; funk ; psychédélisme ; Woodstock]. mexicaine [Santana]. Smith, Bessie (1894-1937). Chanteuse de blues Santana. Groupe de rock américain [Carlos Santana ; américaine. Latin rock ; jazz fusion ; psychédélisme ; Woodstock] Smith, Patti [Patricia Lee Smith] (1946-). Chanteuse rock Saxon. Groupe de heavy metal britannique [New Wave of américaine [punk ; post-punk ; rock alternatif]. British Heavy Metal]. Snoop Dog [Cordozar Calvin Broadus, Jr.] (1971-). Schaeffer, Pierre (1910-1995). Compositeur de musique Rappeur américain contemporaine français. Soft Machine. Groupe de rock progressif britannique Schönberg, Arnold (1874-1951). Compositeur [psychédélisme ; post-psychédélisme ; jazz fusion]. moderniste autrichien. Sonic Youth. Groupe de rock américain [grunge]. Scott, Bon [Ronald Belford Scott] (1946-1980). Chanteur Spencer Davis Group, The. Groupe de rock britannique de rock australien [AC/DC; heavy metal] [British rhythm and blues; British invasion; blue-eyed Searchers, The. Groupe vocal britannique [British soul]. Invasion ; Merseybeat]. Spirit. Groupe de rock américain [psychédélisme ; San Seeger, Pete [Peter Seeger] (1919-2014). Chanteur folk Francisco sound] américain [First Folk Revival ; Second Folk Revival] Springsteen, Bruce (1949-). Chanteur et guitariste Seekers, The. Groupe de folk-rock australien. américain [folk-rock ; rock classique ; Bob Dylan] Sex Pistols, The. Groupe punk britannique. Standells, The. Groupe de rock américain [garage bands ; Shadows, The. Groupe de rock and roll instrumental punk rock] britannique [shlock rock]. Starr, Edwin [Charles Edwin Hatcher] (1942-2003). Shankar, Ravi (1920-2012). Musicien de raga indien. Chanteur soul américain. Shorter, Wayne (1933-). Saxophoniste et compositeur de Starr, Ringo [Richard Starkey] (1940-). Batteur jazz américain. britannique [The Beatles; British Invasion; Simon and Garfunkel. Duo folk-rock [; Art Merseybeat] Garfunkel]. Steppenwolf. Groupe de rock canadien [hard rock; heavy Simon, Carly (1945-). Chanteuse, auteure et metal] compositrice américaine [folk rock ; light soul]. Stewart, Ian [Ian Andrew Robert Stewart] (1938-1985). Simon, Paul (1941-). Chanteur, guitariste, auteur Pianiste de boogie-woogie; road manager [The compositeur américain [Simon and Garfunkel ; folk- Rolling Stones]. rock]. Stewart, Rod (1945-). Chanteur britannique [The Jeff Simone, Nina [Eunice Kathleen Waymon] (1933-2003). Beck Group; Faces]. Chanteuse de jazz afro-américaine. Stills, Stephen (1945-). Guitariste folk-rock américain Sinatra, Frank [Francis Albert Sinatra] (1915-1998). [Buffalo Springfield; Crosby, Stills, Nash, and Young; Chanteur américain [crooner]. Woodstock] Sinfield, Peter (1943-). Parolier britannique [King Stooges, The [Iggy and the Stooges]. Groupe de rock Crimson]. américain [punk rock] Siouxsee and the Banshees. Groupe post-punk Supertramp. Groupe de rock britannique [rock britannique. classique ; post-psychédélisme] Sir Lord Baltimore. Groupe de rock américain [hard Supremes, The. Groupe vocal américain [Diana Ross; rock ; heavy metal] Motown; soul; rhythm and blues]. Slade. Groupe de rock britannique [glam rock ; pub rock; Sutcliffe, Stuart (1940-1962). Bassiste britannique ; heavy metal]. peintre moderniste [The Beatles]. Slash [Saul Hudson] (1965-). Guitariste de rock Talk Talk. Groupe de rock britannique [post-punk ; américano-britannique [Gunz N’Roses ; heavy metal] 1980s pop] Sledge, Percy [Percy Tyrone Sledge] (1940-2015). Tangerine Dream. Groupe de musique électronique Chanteur soul afro-américain. allemand [post-psychédélisme ; électro] Taylor, James (1948-). Chanteur-compositeur américain [singer-songwriters]

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Taylor, Mick [Michael Kevin Taylor] (1949-). Guitariste Van Morrison [George Ivan Morrison] (1945-). Chanteur de rock britannique [The Rolling Stones] britannique [Them; British rhythm and blues; British Tea Set, The. Groupe de rock [Pink Floyd]. Invasion; folk rock] Television. Groupe de rock américain [post-punk]. Van Ronk, Dave [David Kenneth Ritz Van Ronk] (1936- Ten CC. Groupe de rock britannique [FM rock]. 2002). Chanteur et guitariste folk américain [Second Tharpe, Sister Rosetta [Rosetta Nubin] (1915-1973). folk revival ; Bob Dylan]. Chanteuse, guitariste et compositrice de gospel et de Vanilla Fudge. Groupe de rock américain [rock rhythm and blues afro-américaine [rhythm and progressif ; psychédélisme ; hard rock ; heavy metal] blues; gospel]. Velvet Underground, The. Groupe de rock américain Them. Groupe britannique [British rhythm and blues; [Lou Reed ; John Cale ; Moe Tucker ; psychédélisme; British Invasion]. punk rock ; Andy Warhol ; The Plastic Exploding This Mortal Coil. Collectif musical britannique [post- Inevitable]. punk ; rock alternatif] Ventures, The. Groupe instrumental américain [surf Thornton, Big Mama (1926-84). Chanteuse de rhythm rock ; Nole « Nokie » Edwards]. and blues [rock and roll; rhythm and blues; Elvis Vincent, Gene [Vincent Eugene Craddock] (1935-1971). Presley]. Chanteur de rock and roll américain. Tornados, The. Groupe de rock and roll instrumental Wagner, Dick [Richard Allen Wagner] (1942-1914). britannique [shlock rock]. Guitariste rock américain [Lou Reed] Torry, Clare (1947-). Chanteuse de gospel britannique Wakeman, Rick [Richard Christopher Wakeman] [Pink Floyd] (1949-). Claviériste britannique [Yes; Lou Reed; Townshend, Pete [Peter Dennis Blandford Townshend] David Bowie] (1945-). Guitariste et compositeur de rock [The Who]. Ward, Bill (1948-). Batteur britannique [Black Sabbath] Troggs, The. Groupe de rock britannique [British rhythm Waters, Roger (1943-). Bassiste, chanteur et compositeur and blues; British Invasion; hard rock; punk rock]. britannique [Pink Floyd] Tucker, Maureen « Moe » (1944-). Batteuse américaine Watts, Charlie (1941-). Batteur britannique [The Rolling [The Velvet Underground]. Stones]. Tupac Amaru Shakur [Lesane Parish Crooks] (1971- Weavers, The. Groupe folk américain [Pete Seeger] 1996). Rappeur américain. Weir, Bob (1947-). Chanteur rock américain [The Turner, Big Joe [Joseph Vernon Turner] (1911-1985). Grateful Dead]. Chanteur de rhythm and blues afro-américain. West, Kanye [Kanye Omari West] (1977-). Rappeur et Turner, Ike [Izear Luster Turner] (1931-2007). Guitariste producteur afro-américain. et chanteur de rhythm and blues américain. Wetton, John (1949-2017). Bassiste [King Crimson]. Ike and Tina Turner. Groupe de rhythm and blues Who, The. Groupe de rock britannique [Pete Townshend; américain [Ike Turner ; Tina Turner]. Roger Daltrey; Keith Moon; John Entwistle; British Turner, Tina [Anna Mae Bullock] (1939-). Chanteuse de rhythm and blues; British Invasion; The Mods; classic rhythm and blues américaine. rock]. U2. Groupe de rock irlandais [post-punk ; 1980s pop ; Wilde, Marty [Reginald Leonard Smith] (1939-). college rock] Chanteur de rock et de variété britannique. UFO. Groupe de rock britannique [hard rock ; heavy Wilson Pickett (1941-2006). Chanteur soul américain metal] [rhythm and blues; soul]. Uriah Heep. Groupe de rock britannique [rock Wilson, Brian (1942-). Chanteur et compositeur progressif ; hard rock ; heavy metal] américain [The Beach Boys ; surf music ; Valens, Ritchie [Richard Steven Valenzuela] (1941-59). psychédélisme]. Chanteur de rock and roll américain. Wilson, Carl (1946-1998). Chanteur, guitariste, Van der Graaf Generator. Groupe de rock britannique compositeur et producteur américain [The Beach [Psychédélisme ; Rock progressif]. Boys ; surf music ; psychédélisme]. Van Halen. Groupe de rock américain [heavy metal]. Wilson, Dennis (1944-1983). Chanteur, batteur et Van Halen, Eddie [Edward Lodewijk Van Halen] [Van compositeur américain [The Beach Boys ; surf music ; Halen] (1955-). Guitariste américain [Van Halen; psychédélisme]. heavy metal] Wilson, Tom [Thomas Blanchard Wilson, Jr.] (1931- 1978). Producteur américain [Bob Dylan ; The Mothers of Invention].

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Wings. Groupe de rock britannique [Paul McCartney ; « A Day in the Life », The Beatles: Sgt. Pepper’s Linda Eastman ; The Beatles ; FM-rock]. Lonelyhearts Club Band (juin 1967) Wire. Groupe de rock britannique [post-punk ; rock « A Quick One, While He’s Away », The Who: The Who alternatif]. Sell Out (déc. 1966) Wonder, Stevie [Stevland Hardaway Morris] (1950-). « A Small Package of Value Will Come to You Chanteur, multi-instrumentiste, compositeur et Shortly », Jefferson Airplane, After Sleeping at producteur américain [rhythm and blues ; soul ; funk]. Baxter’s (nov. 1967) Wood, Ronnie [Ronald David Wood] (1947-). Guitariste « A Whiter Shade of Pale », Procol Harum: single (mai rock britannique [The Rolling Stones; The Jeff Beck 1967) Group; Faces] « ABC », The Jackson 5: single (fév. 1970) Woody Guthrie [Woodrow Wilson Guthrie] (1912- « Achilles Last Stand », Led Zeppelin: Presence (mars 1917). Chanteur et guitarist folk américain [First Folk 1976)) Revival ; Second Folk Revival ; Bob Dylan] « Ain’t No Telling », Jimi Hendrix : Axis Bold as Love Wright, Richard (1943-2008). Claviériste britannique (déc. 1967) [Pink Floyd]. « Ain’t That a Shame », Fats Domino: single (avril Wyatt, Robert (1945-). Percussioniste et chanteur [Soft 1955) Machine]. « Alabama Song », The Doors [Kurt Weill]: The Doors Wyman, Bill (1936-). Bassiste britannique [The Rolling (janv. 1967) Stones]. « All Along the Watch Tower », Bob Dylan: John XTC. Groupe de rock britannique [post-punk]. Wesley Harding (nov. 1967) Yardbirds, The. Groupe de rock britannique [British « All Along the Watchtower », The Jimi Hendrix rhythm and blues; British Invasion; Jimmy Page; Jeff Experience: Electric Ladyland (oct. 1968) Beck; Eric Clapton]. « All Down the Line », The Rolling Stones: Exile on Yes. Groupe de rock progressif britannique [rock post- Main Street (mai 1972) psychédélique ; art rock]. « All I Really Want to Do », The Byrds: single [Bob Young, Angus (1955-). Guitariste australien [AC/DC; Dylan] (juin 1965) heavy metal] « All Tomorrow’s Parties », The Velvet Underground: Young, Neil [Neil Percival Young] (1945-). Guitariste, The Velvet Underground Nico (mars 1967) chanteur et compositeur de folk-rock canadien « All You Need is Love », The Beatles: single (juillet [Buffalo Springfield, Crosby, Stills, Nash, and 1967) Young]. « Almost Grown », Chuck Berry: single (fév. 1959) Zappa, Frank (1940-93). Guitariste, chanteur et « Amazing Journey », The Who: Tommy (mai 1969) compositeur de rock américain [The Mothers of « Anarchy in the UK », The Sex Pistols: single (nov. Invention ; psychédélisme ; rock progressif ; jazz 1976). fusion, musique contemporaine]. « And the Gods Made Love », Jimi Hendrix: Electric Ladyland (oct. 1968) « And You and I », Yes: Close to the Edge (sept. 1972) 6. Œuvres musicales de musique rock et de rhythm and « Another Brick in the Wall », Pink Floyd: The Wall blues (nov. 1979) « Apache », The Shadows (juillet 1960) 6.1 Singles et morceaux d’albums « Are You Experienced ? », The Jimi Hendrix Experience: Are You Experienced ? (mai 1967) « 1983 … (A Merman I Should Turn to Be)/ Moon « Arnold Layne », Pink Floyd: single (janv. 1967) Turn the Tides … Gently, Gently Away », The Jimi « As Tears Go By », The Rolling Stones: single (juin Hendrix Experience: Electric Ladyland (oct. 1968) 1964/déc. 65) [Marianne Faithfull] « 2000 Light Years from Home », The Rolling Stones: « Astronomy Domine », Pink Floyd: The Piper at the Their Satanic Majesties Request (déc. 1967) Gates of Dawn (août 1967) « 2000 Light Years from Home », The Rolling Stones: « Baba O’ Riley », The Who: Who’s Next (avril 1971) Their Satanic Majesties Request (déc. 1967) « Babe, I’m Gonna Leave You », Led Zeppelin: Led « 3/5 of a Mile in Ten Seconds », The Jefferson Airplane: Zeppelin I (janv. 1969) Surrealistic Pillow (fév. 1967) « Baby Please Don’t Go », The Animals: singles (nov. 1964)

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« Back in the USSR », The Beatles: The Beatles [The « Castles Made of Sand », The Jimi Hendrix Experience: White Album] (nov. 1968). Axis Bold as Love (déc. 1967) « Ballad of a Thin Man », Bob Dylan: Higway 61 « Catch the Wind », Donovan: single (mars 1965) Revisited (août 1965) « Celebration of the Lizard, The », The Doors: « Battle of Evermore, The » », Led Zeppelin: Led Absolutely Live (juillet 1970) Zeppelin IV [« Untitled »] (nov. 1971) « Change Is Gonna Come, A » Sam Cooke: single (déc. « Be Bop a Lula », Gene Vincent : single (juin 1956) 1964) « Be My Baby », The Ronettes: single (août 1963). [Phil « Changing of the Guard, The », Bob Dylan: Street Spector]. Legal (oct. 1978) « Beautiful Stranger », Madonna : single (mai 1999) « Cirrus Minor », Pink Floyd: More (juin 1969) « Bed, The », Lou Reed: Berlin (juillet 1973) « Close to the Edge », Yes (sept. 1972) « Behind Blue Eyes », The Who: Who’s Nex (avril 1971) « Come On, Let’s Go », Ritchie Valens (oct. 1958) « Behind the Wall of Sleep », Black Sabbath: Black « Comfortably Numb », Pink Floyd: The Wall (nov. Sabbath (févr. 1970) 1969) « Bellboy », The Who: Quadrophenia (oct. 1973) « Comin’ Back to Me », The Jefferson Airplane: « Berlin », Lou Reed: Berlin (juillet 1973) Surrealistic Pillow (fév. 1967) « Bike, The », Pink Floyd: The Piper at the Gates of « Coney Island Baby », Lou Reed: Coney Island Baby Dawn (août 1967) (janv. 1976) « Black Dog », Led Zeppelin, Led Zeppelin IV « Court of the Crimson King, The », King Crimson: In [« Untitled »] (nov. 1971) the Court of the Crimson King (oct. 1969) « Black Mountain Side », Led Zeppelin: Led Zeppelin « Crown of Creation, The Jefferson Airplane (sept. 1968) I (janv. 1969) « Crystal Ship, The » , The Doors: The Doors (jan. 1967) « Blackbird », The Beatles: The Beatles [L’album « D’Yer Mak’er », Led Zeppelin: Houses of the Holy blanc » / « The White Album »] (nov. 1968) (mars 1973)) « Blowin’ in the Wind », Bob Dylan: single (août 1963) « Dance to the Music », Sly and the Family Stone (fév. « Blue Monday », Fats Domino: single (déc. 1956) 1968) « Blue Suede Shoes », Carl Perkins: single (févr. 1956) « Dancing in the Street », Martha and the Vandellas: « Blueberry Hills ”, Fats Domino: single (1956) single (juillet 1964). « Bo Diddley », Bo Diddley: single (avril 1955) « Day the World Turned Blue, The », Gene Vincent: « Boogie Wonderland », Earth, Wind & Fire (with The The Day the World Turned Blue (1970) Emotions) (mars 1979) « Dazed and Confused », Led Zeppelin: Led Zeppelin I « Boppin’ the Blues », Carl Perkins: single (mai 1956) (janv. 1969) « Born to Be Wild », Steppenwolf (janv. 1968) « Dazed and Confused », Led Zeppelin: Led Zeppelin I « Bourrée en mi mineur », Jean Sébastien Bach (janv. 1969) « Break On Through [To the Other Side] », The Doors: « Dear Prudence », The Beatles: The Beatles [L’album The Doors (jan. 1967) blanc » / « The White Album »] (nov. 1968) « Breathe », Pink Floyd: The Dark Side of the Moon « Dedicated Follower of Fashion », The Kinks: single (mars 1973) (févr. 1966) « Brown Sugar », The Rolling Stones: Sticky Fingers « Desolation Row », Bob Dylan : Highway 61 Revisited (avril 1971) (août 1965) « Brown-Eyed Handsome Man », Chuck Berry: single « Didn’t It Rain », Sister Rosetta Tharpe (janv. 1952) (sept. 1956) « Do You Want to Dance », Bobby Freeman: single « C’mon Everybody », Eddie Cochran: single (oct. 1958) (1958) « California Dreamin’ », The Mamas the Papas: single « Do You Want to Dance », Cliff Richard and the (déc. 1965) Shadows: single (mai 1962) « Can’t Buy Me Love », The Beatles: single (mars 1964) « Don’t Let Me Be Misunderstood », Nina Simone: « Candy Says », The Velvet Underground: The Velvet single (1964) Underground (mars 1969) « Don’t Let Me Be Misunderstood », The Animals: « Carol », Chuck Berry : single (1958) single (janv. 1965) « Casino Boogie », The Rolling Stones: Exile on Main « Don’t You Want Me », The Human League: single Street (mai 1972) (nov. 1981) « Dynamite », Brenda Lee : single (mai 1957)

xxii

« East West », The Butterfield Blues Band: East West « God Only Knows », The Beach Boys: single (mai (août 1966) 1966) « Echoes », Pink Floyd: Meddle (oct. 1971) « Goin’ Home », The Rolling Stones: Aftermath (avr. « Echoes », Pink Floyd: Meddle (oct. 1971) 1966) « Eight Miles High », The Byrds: single (mars 1966) « Going to California », Led Zeppelin: Led Zeppelin IV « Eleanor Rigby », The Beatles: Revolver (août 1966) (nov. 1971) « Embryonic Journey », The Jefferson Airplane: « Going to California », Led Zeppelin: Led Zeppelin IV Surrealistic Pillow (fév. 1967) [« Untitled »] (nov. 1971) « End, The », The Doors: The Doors (janv. 1967) « Good Rockin’ Tonight », Roy Brown (juin 1947) « End, The », The Doors: The Doors (janv. 1967) « Good Times, Bad Times », Led Zeppelin: Led Zeppelin « Epitaph », King Crimson: In the Court of the Crimson I (janv. 1969) King (oct. 1969) « Good Vibrations », The Beach Boys: single (oct. 1966) « European Son », The Velvet Underground: The Velvet « Goodnight Ladies », Lou Reed: Transformer (nov. Underground Nico (mars 1967) 1972) « Eve of Destruction », Barry McGuire: single (juillet « Grand Vizier’s Garden Party, The », Pink Floyd: 1965) Ummaguma (nov. 1969) « Everyday People », Sly and the Family Stone: Stand ! « Great Balls of Fire », Jerry Lee Lewis : single (nov. (mai 1969) 1957). « Evil Woman », Black Sabbath: Black Sabbath (févr. « Great Gig in the Sky, The », Pink Floyd: The Dark 1970) Side of the Moon (mars 1973) « Femme Fatale », The Velvet Underground: The Velvet « Hard Day’s Night, A », The Beatles: single (juin 1964) Underground Nico (mars 1967) « Have You Ever Been (to Electric Ladyland) », The « Ferry across the Mersey », Gerry and the Pacemakers: Jimi Hendrix Experience: Electric Ladyland (oct. single (déc. 1964) 1968) « Flaming », The Piper at the Gates of Dawn: Pink Floyd « Have You Seen Your Mother, Baby, Standing in the (août 1967) Shadow », The Rolling Stones: single (sept. 1966) « Flight of the Rat », Deep Purple: Deep Purple in Rock « Heart Full of Soul », The Yardbirds: single (juin 1965) (juin 1970) « Heartbreak Hotel », Elvis Presley: single. (janv. 1956) « Fool on the Hill », The Beatles: Magical Mystery Tour « Heartbreaker », Led Zeppelin: Led Zeppelin II (oct. (déc. 1967) 1969) « For What It’s Worth », Buffalo Springfield: single « Help ! », The Beatles: single (août 1965) (jan. 1967) « Helter Skelter », The Beatles: The Beatles [« The « For Your Love », The Yardbirds: single (mars 1965). White Album » (nov. 1968) « Foxy Lady », The Jimi Hendrix Experience: Are You « Helter Skelter », The Beatles: The Beatles [L’album Experienced ? (mai 1967) blanc » / « The White Album »] (nov. 1968) « Get Off of My Cloud », The Rolling Stones: single « Here Comes the Night », Them: single (mars 1965) (nov. 1965) « Here She Comes », The Velvet Underground: White « Get Up (I Feel like Being Like a) Sex Machine », Light/White Heat (janv. 1968) James Brown (juillet 1970) « Heroes and Villains », The Beach Boys: single (oct. « Gift, The », The Velvet Underground: White 1966) Light/White Heat (janv. 1968) « Heroes, David Bowie (oct. 1977). « Gimme Shelter », The Rolling Stones: Let It Bleed « Heroin », The Velvet Underground: The Velvet (déc. 1969) Underground Nico (mars 1967) « Gimme Shelter », The Rolling Stones: Let It Bleed « Hey Joe », The Jimi Hendrix Experience: single (déc. (déc. 1969)) 1966) « Girl », The Beatles: Rubber Soul (déc. 1965) « Hey Jude », The Beatles: single (août 1968) « Give Peace a Chance », Plastic Ono Band: single « Hey! Bo Diddley », Bo Diddley: single (avril 1957) (juillet 1969) [John Lennon; Yoko Ono] « High School Confidential », Jerry Lee Lewis: single « Gloria », Them: single (déc. 1964) (1958) « Gnome, The », Pink Floyd: The Piper at the Gate of « Highway Star », Deep Purple: Machine Head (mars Dawn (août 1967) 1972)

xxiii

« Hoochie Coochie Man » [“I’m Your Hoochie Cooche 1975) Man »], Muddy Waters [Willie Dixon] (1954) « Interstellar Overdrive », Pink Floyd: The Piper at the « Hound Dog », Elvis Presley: single (juillet 1956) Gates of Dawn (août 1967) « Hound Dog », Willie Mae “Big Mama” Thornton: « Jailhouse Rock », Elvis Presley: single (sept. 1957) single (mars 1953) « Jealous Guy », John Lennon : Imagine (sept. 1971) « House Burning Down », The Jimi Hendrix Experience: « Johnny B. Goode », Chuck Berry: single (mars 1958) Electric Ladyland (oct. 1968) « Jumpin’ Jack Flash », The Rolling Stones: single (mai « House of the Rising Sun », The Animals: single (juin 1968) 1964) « Kashmir », Led Zeppelin : Physical Graffiti (fév. 1975) « Houses of the Holy », Led Zeppelin: Physical Graffiti « Kashmir », Led Zeppelin : Physical Graffiti (févr. (mars 1973) 1975) « Hurdy Gurdy Man », Donovan (sept. 1968) « Keep on Running », The Spencer Davis Group: single « I Am the Walrus », The Beatles: Magical Mystery Tour (nov. 1965) (déc. 1967) « Kicks », Lou Reed: Coney Island Baby (janv. 1976) « I Can See for Miles », The Who: single (sept. 1967) « Lady Day », Lou Reed: Berlin (juillet 1973) « I Can See for Miles », The Who: The Who Sell Out « Land of a Thousand Dances», Chris Kenner (oct. (sept. 1967) 1962) « I Can’t Explain », The Who: single (1965) « Land of a Thousand Dances», Wilson Pickett: single « I Feel Fine », The Beatles: single (nov. 1964) (juillet 1966) « I Feel Love », Donna Summer : I Remember Yesterday « Le Freak », Chic: single (sept. 1978) (juillet 1977). « Let It Be », The Beatles : single (mars 1970) « I Get Around», The Beach Boys: single (mai 1964) « Let It Loose », The Rolling Stones: Exile on Main « I Got the Blues »: Antonio Maggio (1908) Street (mai 1972) « I Just Want to Make Love to You », Muddy Waters « Let’s Dance », David Bowie: single (mars 1983) [Willie Dixon]: single (mai 1954) « Let’s Have a Party », Wanda Jackson: single (1960) « I Just Want to Make Love to You », The Rolling « Let’s Spend the Night Together », The Rolling Stones: Stones: The Rolling Stones (avril 1964) singles (1967) « I Just Want to See His Face », The Rolling Stones: « Let’s Twist Again », Chubby Checker: single (1961) Exile on Main Street (mai 1972) « Light My Fire », The Doors: single (mai 1967) « I Wanna Be Your Man », The Beatles (1964) « Like A Rolling Stone », Bob Dylan: single (juillet « I Wanna Be Your Man », The Rolling Stones [The 1965) Beatles]: single (nov. 1963) « Lisa Says », Lou Reed: Lou Reed (juin 1972) « I Wanna Hold Your Hand », The Beatles (nov. 1963) « Little Queenie », Chuck Berry (juillet 1959) « I Want to Take You Higher », Sly and the Family « Little Red Rooster », Howlin’ Wolf [Willie Dixon] Stone: Stand ! (mai 1969) (oct. 1961) « I Want You (She’s So Heavy) », The Beatles: Abbey « Little Red Rooster », The Rolling Stones (nov. 1964) Road (sept. 1969) « Little Wing », The Jimi Hendrix Experience: Axis Bold « I Will Survive », Gloria Gaynor: Love Tracks (oct. as Love (déc. 1967) 1978) « Loco-Motion, The », Little Eva: single (juin 1962) « I’m a King Bee », Slim Harpo [James Moore]: single « Locomotive Breath », Jethro Tull: Aqualung (mars (mars 1957) 1971) « I’m a King Bee », The Rolling Stones: The Rolling « Lola », The Kinks (juin 1970) Stones (avril 1964) « London Calling, The Clash (déc. 1979) « I’m Free », The Who: Tommy (mai 1969) « Lonesome Death of Hattie Carroll, The », Bob Dylan: « I’m Free », The Who: Tommy (mai 1969); single (juillet The Times They Are a-Changin’ (jan. 1964) 1969) « Long Tall Sally », Little Richard: single (mars 1956) « I’m Waiting for My Man », The Velvet Underground: « Love Me Do », The Beatles: single (oct. 1962) The Velvet Underground Nico (mars 1967) « Love Will Tear Us Apart », Joy Division (juin 1980) « Imagine », John Lennon: single (oct. 1971) « Love You To », The Beatles: Revolver (août 1966) « Immigrant Song », Led Zeppelin: Led Zeppelin III « Love, Reign O’er Me », The Who: Quadrophenia (oct. (oct. 1970) 1973) « In the Light », Led Zeppelin: Physical Graffiti (févr. « Lucille », Little Richard: single (févr. 1957)

xxiv

« Lucy in the Sky with Diamonds », The Beatles: Sgt. « Ob-La-Di, Ob-La-Da », The Beatles: The Beatles Pepper’s Lonelyhearts Club Band (juin 1967) [L’album blanc » / « The White Album »] (nov. 1968) « Magic Bus”, The Who: single (sept. 68) « Oh Bondage Up Yours », X-Ray Spex: single (sept. « Main Theme », Pink Floyd: More (juin 1969) 1977) « Mannish Boy », Muddy Waters (1955) « Oh, Boy! », Buddy Holly and the Crickets: single (oct. « Masters of War”, Bob Dylan: The Freewheelin’ Bob 1957) Dylan (mai 1963) « On the Run », Pink Floyd: The Dark Side of the Moon « Maybellene », Chuck Berry: single (juillet 1955) (mars 1973) « Me and Bobby McGee », Full Tilt Boogie Band [Janis « One of these Days », Pink Floyd: Meddle (oct. 1971) Joplin]: Pearl (jan. 1971) « One of These Days », Pink Floyd: single (nov. 1971) « Men of Good Fortune », Lou Reed: Berlin (juillet « Only the Lonely », Roy Orbison (mai 1960) 1973) « Oye Como Va », Santana : Abraxas (sept. 1970) « Message in a Bottle », The Police: single (sept. 1979) « Paint It Black », The Rolling Stones: single (mai 1966) « Message, The », : single (juillet « Pale Blue Eyes », The Velvet Underground: The Velvet 1982) Underground (mars 1969) « Michelle », The Beatles: Rubber Soul (déc. 1965) « Papa’s Got a Brand New Bag », James Brown: single « Miserlou », Dick Dale and the Del Tones: single (avril (juin 1965) 1962) « Paranoid », Black Sabbath: Paranoid (sept. 1970) « Mona (I Need You Baby) », Bo Diddley (avril 1957) « Pearl, Full Tilt Boogie Band [Janis Joplin] (janv. 1971) « Mona (I Need You Baby) », The Rolling Stones (avril « Peggy Sue », Buddy Holly: single (sept. 1957) 1964) « Penny Lane », The Beatles: single (févr. 1967) « Money », Pink Floyd: The Dark Side of the Moon (mars « Perfect Day », Lou Reed: Transformer (nov. 1972) 1973) « Piece of My Heart », Big Brother and the Holding « Moon Turn the Tides (Gently, Gently Away) », Jimi Company [Janis Joplin]: Cheap Thrills (août 1968) Hendrix: Electric Ladyland (oct. 1968) « Pinball Wizard », The Who: Tommy (mai 1969) « Mother’s Little Helper », The Rolling Stones: single « Plastic Fantastic Lovers », The Jefferson Airplane: (juillet 1966) Surrealistic Pillow (fév. 1967) « Motorpsycho Nightmare », Bob Dylan (Juin 1964). « Play with Fire », The Rolling Stones: Out of Our Heads « Move Over », Full Tilt Boogie Band [Janis Joplin]: (1965) Pearl (jan. 1971) « Please Please Me », The Beatles: single (janv. 1963). « Mr Tambourine Man », Bob Dylan: Bringing’ It All « Pow R. Toc H. », Pink Floyd: The Piper at the Gates of Back Home (mars 1965) Dawn (août 1967) « Mr. Tambourine Man », The Byrds [Bob Dylan] (avril « Promised Land », Chuck Berry: single (déc. 1964) 1965) « Punk and the Godfather, The », The Who: « Mustang Sally », Wilson Pickett: single (1966) Quadrophenia (oct. 1973) « My Generation », The Who: single (oct. 1965) « Purple Haze », The Jimi Hendrix Experience (1967) « My Generation », The Who: single (oct. 1965) « Purple Haze », The Jimi Hendrix Experience: single « Mystery Train », Elvis Presley: single (août 1955) (mars 1967). « Mystery Train », Junior Parker/Little Junior’s Blue « Pusher, The », Steppenwolf: Steppenwolf (janv. 1968) Flames: single (nov. 1953) « Race with the Devil », Gene Vincent (sept. 1956) « New York Telephone Conversation », Lou Reed: « Rain Song, The », Led Zeppelin: Houses of the Holy Transformer (nov. 1972)) (mars 1973) « Nights in White Satin », Moody Blues: single (nov. « Rainy Day Women », Bob Dylan: Blonde on Blonde 1967) (juillet 1966) « Nile Song, The », Pink Floyd: More (juin 1969) « Rainy Day, Dream Away », The Jimi Hendrix « Nineteenth Nervous Breakdown », The Rolling Experience: Electric Ladyland (oct. 1968) Stones: single (fév. 1966) « Ramble On », Led Zeppelin: Led Zeppelin II (oct. « No Quarter », Led Zeppelin: Houses of the Holy (mars 1969) 1973) « Rapper’s Delight », The Sugarhill Gang (sept. 1979) « Norwegian Wood », The Beatles. Rubber Soul (déc. « Rave On », Buddy Holly: single (avril 1958) 1965) « Real Me, The », The Who: Quadrophenia (oct. 1973) « Nowhere Man », The Beatles: Rubber Soul (déc. 1965)

xxv

« Red House », The Jimi Hendrix Experience: Are You « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) », Experienced ? (mai 1967) The Beatles: Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band « Respect », Aretha Franklin (avril 1967) (juin 1967) « Return of the Son of Monster Magnet, The », The « Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band », The Mothers of Invention: Freak Out! (juin 1966) Beatles: Sgt. Pepper’s Lonelyhearts’ Club Band (juin « Revolution », The Beatles (août 1968) 1967) « Riders on the Storm », The Doors: L.A. Woman (avril « Shake Your Hips », The Rolling Stones: Exile on Main 1971) Street (mai 1972) « River Deep, Mountain High ». Ike Tina Turner : single « Shake, Rattle and Roll », Big Joe Turner (avril 1954) (mai 1966) [Phil Spector]. « Shake, Rattle and Roll », Bill Haley and His Comets « Roadhouse Blues », The Doors : Morrison Hotel (fév. (juin 1954) 1970) « She Has Funny Cars », The Jefferson Airplane: « Rock ’n’ Roll », Led Zeppelin: Led Zeppelin IV Surrealistic Pillow (fév. 1967) [« Untitled »] (nov. 1971) « She Loves You », The Beatles: single (août 1963) « Rock and Roll Music », Chuck Berry: single (sept « She’s a Rainbow », The Rolling Stones: Their Satanic 1957) Majesties Request (déc. 1967) « Rock and Roll », The Velvet Underground: Loaded, « She’s Leaving Home », The Beatles: Sgt. Pepper’s (nov. 1970) Lonelyhearts Club Band (juin 1967) « Rock Around the Clock », Bill Haley and His Comets « Shine a Light », The Rolling Stones: Exile on Main (mai 1954) Street (mai 1972) « Rock Awhile », Goree Carter: single (avril 1949) « Shine On You Crazy Diamond », Pink Floyd: Wish « Rock Me », Muddy Waters (1956) You Were Here (sept. 1975) « Rock Your Baby », George McRae: single (juillet « Since I’ve Been Loving You », Led Zeppelin: Led 1974) Zeppelin III (oct. 1970) « Rock-a-Hula Baby », Elvis Presley (oct. 1961) « Sinead O’Connor. Chanteuse rock irlandaise [post- « Rocket ‘88’», Jackie Brenston and His Delta Cats/Ike punk; rock alternative]. Turner’s Kings of Rhythm: single (avril 1951) « Singing Winds, Crying Beasts », Santana : Abraxas « Rockin’ and Rollin’» Melvin Lil’ Son Jackson: single (sept. 1970) (déc. 1950) « Siouxsee and the Banshees. Groupe post-punk « Rocks Off », The Rolling Stones: Exile on Main Street britannique [post-punk]. (mai 1972) « Sister Europe », The Psychedelic Furs: The « Roll ’Em Pete », Pete Johnson et Big Joe Turner (déc. Psychedelic Furs (févr. 1980) 1938) « Sittin’ in the Balcony », Eddie Cochran: Singin’ to My « Roll Over, Beethoven », Chuck Berry (avril 1956) Baby (févr. 1957) « Royal Orleans », Led Zeppelin: Presence (mars 1976) « (Sittin’ on) the Dock of the Bay », Otis Redding (janv. « Sad Song », Lou Reed: Berlin (juillet 1973) 1968) « Sad-Eyed Lady of the Lowlands », Bob Dylan: Blonde « Sloop John B. », The Beach Boys: single (mars 1966) on Blonde (mai 1966) « Smoke on the Water », Deep Purple: Machine Head « Samba Pa Ti », Santana : Abraxas (sept. 1970) (mars 1972) « San Francisco (Be Sure to Wear Flower in Your « Smokestack Lightning », Howlin’ Wolf (janv. 1956) Hair) », Scott McKenzie: single (mai 1967) « So You Want To Be a Rock ’n’ Roll Star », The « Satellite of Love », Lou Reed: Transformer (nov. 1972) Byrds: single (janv. 1967) « Satisfaction (I Can’t Get No) », The Rolling Stones: « Somebody to Love », The Jefferson Airplane: single (août 1965) Surrealistic Pillow (fév. 1967) « Say It Loud – I’m Black and I’m Proud », James « Song Remains the Same, The », Led Zeppelin (mars Brown (août 1968) 1973) « See Emily Play », Pink Floyd: single (mai 1967) « Song Remains the Same, The », Led Zeppelin: Houses « See My Friends », The Kinks: single (juillet 1965) of the Holy (mars 1973) « Several Species of Furry Animals », Pink Floyd: « Song to the Siren », This Mortal Coils (sept. 1983) Ummagumma (nov. 1969) « Soul Kitchen », The Doors: The Doors (janv. 1967) « Sex Machine », Sly and the Family Stone: Stand ! (mai « Soul Sacrifice », Santana : Santana (août 1969) 1969)

xxvi

« Spanish Caravan », The Doors: Waiting for the Sun « Tales of Brave Ulysses », Cream: Disraeli Gears, (juillet 1968) Cream (nov. 1967) « Speed King », Deep Purple: Deep Purple In Rock (juin « Talking World War III Blues », Bob Dylan: The 1970) Freewheelin’ Bob Dylan (mai 1963) « Spider and the Fly », The Rolling Stones: Out of Our « Tangerine », Led Zeppelin: Led Zeppelin III (oct. Heads (juillet 1965) 1970) « Stairway to Heaven », Led Zeppelin: Led Zeppelin IV « Taxman », The Beatles: Revolver (août 1966) [« Untitled »] (nov. 1971) « Telstar », The Tornados (août 1962) « Stand Up, Jethro Tull (sept. 1969) « Ten Years Gone », Led Zeppelin: Physical Graffiti « Stand ! », Sly and the Family Stone: Stand ! (mai 1969) (févr. 1975) « Star-Spangled Banner, The ”, Jimi Hendrix [Hymne « Thank You (Fellettinme Be Mice Elf Agin) », Sly and américain.] (août 1969) the Family Stone: single (déc. 1969) « Staying Alive », The Bee Gees: The Saturday Night « Thank You », Led Zeppelin: Led Zeppelin II (oct. Fever Soundtrack (déc. 1977) 1969) « Still Raining, Still Dreaming », Jimi Hendrix: Electric « That’s All Right », Elvis Presley: single (juillet 1954) Ladyland (oct. 1968) « That’s All Right », Arthur Crudup: single (1946) « Strange Brew », Cream: Disraeli Gears, Cream (nov. « That’s It for the Other One”, The Grateful Dead: 1967) Anthem of the Sun (juillet 1968) « Strawberry Fields Forever », The Beatles: single « That’s the Way », KC and the Sunshine Band: single (févr. 1967) (juin 1975) « Street Fighting Man », The Rolling Stones: single « Third Stone from the Sun », The Jimi Hendrix (août 1968) Experience: Are You Experienced ? (mai 1967) « Street Fighting Men », The Rolling Stones: Beggars’ « Time », Pink Floyd: The Dark Side of the Moon (mars Banquet (déc. 1968) 1973) « Stupid Cupid », Connie Francis (août 1958) « Tombstone Blues », Bob Dylan: Higway 61 Revisited « Subterranean Homesick Blues », Bob Dylan: (août 1965) Bringing It All Back Home (mars 1965) « Tomorrow Never Knows », The Beatles: Revolver « Suite : Judy Blue Eyes », Crosby, Stills, Nash : (août 1966) Crosby, Stills, Nash (mai 1969) « Torn and Frayed », The Rolling Stones: Exile on Main « Summer in the City », The Lovin’ Spoonful (juillet Street (mai 1972) 1966) « Touch Me », The Doors: The Soft Parade (juillet 1969). « Summertime Blues », Eddie Cochran: single (juillet « Try a Little Tenderness », Otis Redding (nov. 1966) 1958) « Tumbling Dice », The Rolling Stones: Exile on Main « Summertime Blues », Blue Cheer (janv. 1968) [reprise Street (mai 1972) d’Eddie Cochran] « Turn, Turn, Turn », The Byrds [Pete Seeger] (déc. « Sunday Morning », The Velvet Underground: The 1965) Velvet Underground Nico (mars 1967) « Tutti Frutti », Little Richard (oct. 1955) « Sunny Afternoon », The Kinks (juin 1966) « Twenty Flight Rock ». Eddie Cochran (1956/nov. « Sunshine of Your Love », Cream: Disraeli Gears, 1957) Cream (nov. 1967) « Twenty-First-Century Schizoid Man », King « Surfin’ USA », The Beach Boys: single (mars 1963) Crimson: In the Court of the Crimson King (oct. 1969) « Sweet Black Angel », The Rolling Stones: Exile on « Twist, The », Chubby Checker (juin 1960) Main Street (mai 1972) « Universal Soldier », Donovan: single (août 1965) « Sweet Jane », The Velvet Underground: Loaded, (nov. « Up the Khyber », Pink Floyd: Ummagumma (nov. 1970) 1969) « Sweet Little Sixteen », Chuck Berry (janv. 1958) « Venus in Furs », The Velvet Underground: The Velvet « Sweet Virginia », The Rolling Stones: Exile on Main Underground Nico (mars 1967) Street (mai 1972) « Vicious », Lou Reed: Transformer (nov. 1972) « Sympathy for the Devil », The Rolling Stones: « Vienna », Ultravox (janv. 1981) Beggars’ Banquet (déc. 1968) « Voodo Child », Jimi Hendrix: Electric Ladyland (oct. « Sysyphus », Pink Floyd: Ummagumma (nov. 1969) 1968) « Take Five », Dave Brubeck: single (sept. 1959)

xxvii

« Voodoo Child (Slight Return) », The Jimi Hendrix « Within You Without You », The Beatles: Sgt. Peppers Experience: Electric Ladyland (oct. 1968) (mai 1967) « Walk Don’t Run », The Ventures: single (juin 1960) « Wizard », Black Sabbath: Black Sabbath (févr. 1970) « Walk on the Wild Side », Lou Reed: Transformer (nov. « Won’t Get Fooled Again », The Who: Who’s Next 1972) (avril 1971) « War », Edwin Starr: single (juin 1970) « Working-Class Hero », John Lennon: John « Waterloo Sunset », The Kinks: single (mai 1967) Lennon/Plastic Ono Band (déc. 1970) « We Gotta Get Out of this Place », The Animals (juillet « Wouldn’t It Be Nice », The Beach Boys (juillet 1966) 1965) « Yellow Submarine », The Beatles: Revolver (août « We Love You », The Rolling Stones: single (août 1967) 1966) « We Shall Overcome », Joan Baez (août 1963) « Yesterday », The Beatles: single (août 1965) « West End Girls », The Pet Shop Boys (avril 1984) « You Can’t Always Get What You Want », The « What Goes On », The Velvet Underground: The Velvet Rolling Stones: Let It Bleed (déc. 1969) Underground (mars 1969) « You Got to Move », The Rolling Stones: Sticky Fingers « What’s Become of the Baby », The Grateful Dead: (avril 1971) Aoxomoxoa (sept. 1968) « You Never Can Tell », Chuck Berry: single (janv. « When a Man Loves a Woman », Percy Sledge: single 1964) (mars 1966) « You Really Got Me », The Kinks: single (août 1964) « When the Levee Breaks », Led Zeppelin: Led Zeppelin « You’ll Never Walk Alone », Gerry and the IV [« Untitled »] (nov. 1971) Pacemakers: single (juillet 1963) « When the Music’s Over », The Doors: Strange Days « You’ve Got the Silver », The Rolling Stones : Let It (sept. 1967) Bleed (déc. 1969) « Where but For Caravan Would I », Caravan (janv. 1969). 6.2 Albums « While My Guitar Gently Weeps », The Beatles: The Beatles [L’album blanc » / « The White Album »] (nov. A Night at the Opera, Queen (nov. 1975) 1968) Abbey Road, The Beatles (sept. 1969) « White Light/White Heat », The Velvet Underground: Abraxas, Santana (sept. 1970) White Light/White Hea (janv. 1968) Absolutely Free, The Mothers of Invention [Frank Zappa] « White Rabbit », The Jefferson Airplane: Surrealistic (mai 1967) Pillow (fév. 1967) Aerosmith, Aerosmith (janv. 1973) « White Room », Cream: Wheels of Fire (juillet 1968) After Bathing at Baxter’s, The Jefferson Airplane (nov. « Who Do You Love », Bo Diddley: single (1956) 1967) « Who’s Next, The Who (août 1971) American Beauty, The Grateful Dead (nov. 1970) « Whole Lotta Love », Led Zeppelin: Led Zeppelin II An American Prayer, The Doors (nov. 1978) (nov. 1969) Animals, Pink Floyd (janv. 1977) « Whole Lotta Love », Led Zeppelin: Led Zeppelin II Animals, The, The Animals (sept. 1964) (oct. 1969) Another Side of Bob Dylan, Bob Dylan (août 1964) « Whole Lotta Shakin’ Goin’ On », Jerry Lee Lewis Anthem of the Sun, The Grateful Dead (juillet 1968) (avril 1957) Aoxomoxoa, The Grateful Dead (juin 1969) « Why Must I Be a Teenager in Love”, Dion and the Appetite for Destruction, Guns N’ Roses (juillet 1987) Belmonts (mars 1959) Aqualung, Jethro Tull (mars 1971) « Wild Child », Lou Reed: Lou Reed (juin 1972) Atom Heart Mother, Pink Floyd (oct. 1970) « Wild Horses », The Rolling Stones: Sticky Fingers Atom Heart Mother, Pink Floyd (oct. 1970) (avril 1971) Avalon, Roxy Music (mai 1982) « Wild Thing », The Troggs: single (avril 1966) Axis Bold as Love, The Jimi Hendrix Experience (déc. « Wild Thing », The Troggs: single (avril 1966) 1967) « Willie the Pimp », Frank Zappa: Hot Rats (oct. 1969) Back in the USA, MC5 (janv. 1970) « Wind Cries Mary, The », The Jimi Hendrix Band of Gypsys, Jimi Hendrix/Band of Gypsys (mars Experience: single (mai 1967) 1970). « With a Little Help from My Friends », The Beatles: Basement Tapes, The, Bob Dylan Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band (mai 1967) Basement Tapes, The, Bob Dylan (juin 1976 [1967])

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Beatles, The [L’« album blanc »/« The White Album »], Europe 72, The Grateful Dead (nov. 1972) The Beatles (nov. 1968) Exile in Guyville, Liz Phair (juin 1993) Beggars Banquet, The Rolling Stones (déc. 1968) Exile on Main Street, The Rolling Stones (mai 1972) Berlin, Lou Reed (juillet 1973) Fat of the Land, The, The Prodigy (juin 1997) Black Sabbath Vol. 4, Black Sabbath (mai 1972) Fear of a Black Planet, Public Enemy (avril 1990) Black Sabbath, Black Sabbath (févr. 1970) Fireball, Deep Purple (juin 1971) Blank Generation, Richard Hell and the Voidoids (sept. For Your Pleasure, Roxy Music (mars 1973) 1977) Fragile, Yes (nov. 1971) Blonde on Blonde, Bob Dylan (mai 1966) Freak Out !, The Mothers of Invention [Frank Zappa] Blood on the Tracks, Bob Dylan (janv. 1975) (juin 1966). Bloodrock 2 [oct. 1972] Freewheelin’ Bob Dylan, The, Bob Dylan (juillet 1963) Blue Öyster Cult, Blue Öyster Cult (janv. 1972) Fresh Cream, Cream (déc. 1966) Blue, Joni Mitchell (juin 1971) Fun House, The Stooges (juillet 1970) Book of Taliesyn, The, Deep Purple (oct. 1968) Get Yer Ya-Ya’s Out, The Rolling Stones (sept. 1970) Boy, U2 (oct. 1980) Goo, Sonic Youth (avril 1990) Breakfast in America, Supertramp (mars 1979) Goodbye Yellow Brick Road, (oct. 1973) Bringing It All Back Home [Subterranean Homesick Grateful Dead, The, The Grateful Dead (mars 1967) Blues], Bob Dylan (mars 1965) Ha! Ha! Ha!, Ultravox (oct. 1977) Brothers in Arms, Dire Straits (mai 1985) Head Hunters, Herbie Hancock (sept. 1973) Budgie, Budgie (juin 1971) Help!, The Beatles (août 1965) Can’t Slow Down, (oct. 1983) Highway 61 Revisited, Bob Dylan (août 1965) Caravan, Caravan (janv. 1969) Highway to Hell, AC/DC (juillet 1979) Chairs Missing, Wire (août 1978) Horses, Patti Smith (déc. 1975) Cheap Thrills, Big Brother and the Holding Company Hot Rats, Frank Zappa (oct. 1969) [Janis Joplin] (août 1968) Hotel California, The Eagles (oct. 1976) Clash, The, The Clash (avril 1977) Houses of the Holy, Led Zeppelin (mars 1973) Colour of Spring, The, Talk Talk (1986) Humble Pie, Humble Pie (juillet 1970) Concerto for Group and Orchestra, Deep Purple (déc. Hymn of the Seventh Galaxy, Return to Forever [Chick 1969) Corea] (oct. 1973) Concerto for Group and Orchestra, Deep Purple (sept. I Do Not Want What I Haven’t Got, Sinead O’Connor 1969) (mars 1990) Coney Island Baby, Lou Reed (janv. 1976) I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama !, Kozmic Country Life, Roxy Music (nov. 1974) Blues Band [Janis Joplin] (sept. 1969) Cut, The Slits (sept. 1979) In a Silent Way, Miles Davis (févr. 1969) Damned Damned Damned, The Damned (fév. 1977). In the City, The Jam (mai 1977) Dark Side of the Moon, The, Pink Floyd (mars 1973) In the Court of the Crimson King, King Crimson (oct. Dark Side of the Moon, The, Pink Floyd (mars 1973) 1969) Days of Future Passed, The Moody Blues (nov. 1967) In the Wee Small Hours, Frank Sinatra (april 1955) Debut, Björk (juillet 1993). In Through the Out Door, Led Zeppelin (août 1979) Deep Purple in Rock, Deep Purple (juin 1970) , (juin 1995) Deep Purple, Deep Purple (juin 1969) John Lennon/Plastic Ono Band, John Lennon (déc. Definitely Maybe, Oasis (août 1994) 1970) Diana Ross, Diana Ross (fév. 1976) John Wesley Harding, Bob Dylan (nov. 1967) Disraeli Gears, Cream (nov. 1967) Kingdom Come, Sir Lord Baltimore (déc. 1970) Document, R.E.M. (sept. 1987) Kinks are the Village Green Preservation Society, The, Doors, The, The Doors (jan. 1967) The Kinks (nov. 1968) Dry, PJ Harvey Trio (mars 1992) Kiss, Kiss (févr. 1974) Duran Duran, Duran Duran (juin 1981) L.A. Woman, The Doors (avril 1971) Dust Bowl Ballads, Woody Guthrie (juillet 1940) Larks’ Tongue in Aspic, King Crimson (mars 1973) Electric Ladyland, The Jimi Hendrix Experience (oct. Led Zeppelin I, Led Zeppelin (janv. 1969) 1968) Led Zeppelin II, Led Zeppelin (oct. 1969) Enter, Cybotron (1983) Led Zeppelin III, Led Zeppelin (oct. 1970)

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Led Zeppelin IV [« Untitled »], Led Zeppelin (nov. 1971) Pretty Hate Machine, Nine Inch Nails (oct.1989) Leisure, Blur (août 1991) Procol Harum Live: In Concert with the Edmonton Let It Be, The Beatles (Mai 1970) Symphony Orchestra, Procol Harum (nov. 1971) Let It Bleed, The Rolling Stones (déc. 1969) Psychedelic Furs, The, The Psychedelic Furs (mars 1980) Let It Bleed, The Rolling Stones (déc. 1969) Purple Rain, Prince (Juin 1984) Let There Be Rock, AC/DC (mars 1977) Quadrophenia, The Who (oct. 1973) Lifehouse, The Who: spectacle multimédia Quadrophenia, The Who (oct. 1973) Like a Virgin, Madonna (nov. 1984) Rage against the Machine, Rage against the Machine Live at Leeds, The Who (mai 1970) (avril 1992) Live/Dead, The Grateful Dead (nov. 1969) Raising Hell, Run-DMC (mai 1986) Loaded, The Velvet Underground (nov. 1970) Ramones, The Ramones (févr. 1976) Machine Head, Deep Purple (mars 1972) Rattus Norvegicus, The Stranglers (avril 1977) Made in Japan, Deep Purple (déc. 1972) Real Life, Magazine (juin 1978). Magical Mystery Tour, The Beatles (déc. 1967) Red, King Crimson (oct. 1974) Make It Big, Wham! (oct. 1984) Revolver, The Beatles (août 1966) Man-Machine, The, Kraftwerk (mai 1978) Rock ’n’ Roll Animal, Lou Reed (fév. 1974) Marquee Moon, Television (févr. 1977) Rolling Stones, The, The Rolling Stones (avril 1964) Master of Reality, Black Sabbath (juillet 1971) Rubber Soul, The Beatles (déc. 1965) Me against the World, 2Pac (mars 1995) Santana, Santana (août 1969) Meat Is Murder, The Smiths (fév. 1985) Saucerful of Secrets, A, Pink Floyd (juin 1968) Meddle, Pink Floyd (oct. 1971) Saucerful of Secrets, A, Pink Floyd (juin 1968) Metal Machine Music, Lou Reed (juillet 1975) Scream, The, Siouxsee and the Banshees (nov. 1978) Metallica [“The Black Album], Metallica [août 1991] Sea Chanties, High Tide Mezzanine, Massive Attack (avril 1998) Seventeen Second, The Cure (avril 1980) Modern Life Is Rubbish, Blur (mai 1993) Sgt. Pepper’s Lonelyhearts Club Band, The Beatles (juin Modern Sounds in Country and Western Music, Ray 1967) Charles (avril 1962) Shades of Deep Purple, Deep Purple (juillet 1968) More, Pink Floyd (juin 1969) She’s So Unusual, Cindy Lauper (oct. 1983) Morrison Hotel, The Doors (fév. 1970) Sheryl Crow, Sheryl Crow (sept. 1996) Mother’s Milk, The Red Hot Chili Peppers (août 1989) Smile, The Beach Boys [1966-67] Mothership Connection, Parliament-Funkadelic (déc Soft Machine, The, Soft Machine (avril 1968) 1975). Some Girls, The Rolling Stones: Some Girls (1978) Motörhead, Motörhead (août 1977) Song Remains the Same, The, Led Zeppelin (sept. 1976) Music in a Doll’s House, Family (Juillet 1968) Songs for Drella, Lou Reed et John Cale (avril 1990). My Life in the Bush of Ghosts, Brian Eno-David Byrne , Stevie Wonder (sept. 1976) (févr. 1981) Spiral Scratch, Buzzcocks: single (janv. 1977). Never Mind the Bollocks, The Sex Pistols (oct. 1977). Stand !, Sly and the Family Stone (mai 1969) Nevermind, Nirvana (sept. 1991) Sticky Fingers, The Rolling Stones (avril 1971) New York, Lou Reed (janv. 1989) Strange Days, The Doors (sept. 1967) No More Heroes, The Stranglers (juillet 1977) Sunshine Superman, Donovan (août 1966) Off the Wall, Michael Jackson (août 1979) Surfin’ Safari, The Beach Boys (oct. 1962) OK Computer, Radiohead (juin 1997) Surrealistic Pillow, The Jefferson Airplane (févr. 1967) Paranoid, Black Sabbath (sept. 1970) Sweetnighter, Weather Report (avril 1973) Paranoid, Black Sabbath (sept. 1970). Talking Heads: 77, The Talking Heads (sept. 1977). Pet Sounds, The Beach Boys (mai 1966) Teenage Depression, Eddie and the Hot Rods (nov. 1976) Phaedra, Tangerine Dream (févr. 1974) Ten, Pearl Jam (août 1991) Physical Graffiti, Led Zeppelin (févr. 1975) Their Satanic Majesties Request, The Rolling Stones Pink Flag, Wire (nov. 1977) Their Satanic Majesties Request, The Rolling Stones, Pink Floyd at Pompeii, Pink Floyd [film documentaire] (déc 1967) (sept. 1972, nov. 1973) There’s a Riot Goin’ On, Sly and the Family Stone (nov. Piper at the Gates of Dawn, The, Pink Floyd (août 1967) 1971). Presence, Led Zeppelin (mars 1976) Third, The, Soft Machine (juin 1970)

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This Was, Jethro Tull (oct. 1968) Boyle, Mark (1934-2005). Concepteur de light shows Three Imaginary Boys, The Cure (mai 1979) britannique [UFO Club ; Psychédélisme]. Thriller, Michael Jackson (nov. 1982) Brown, Myra Gale (1945-) [Jerry Lee Lewis]. Tommy, The Who (mai 1969) Capitol Records. Maison de disques. Tommy, The Who (mai 1969) Chandler, Chas (1938-1996). Bassiste britannique ; Transformer, Lou Reed (nov. 1972) manager [The Animals]. Twist Crazy Times, Gene Vincent (1960) Chess, Leonard [Lejzor Czyź] (1917-1969). Dirigeant de UFO, UFO (oct. 1970) maison de disque américain [Chess Records]. Ummagumma, Pink Floyd (nov. 1969) Chess, Phil [Fiszel Czyź] (1921-). Dirigeant de maison de Unknown Pleasures, Joy Division (avril 1979) disque américain [Chess Records]. Velvet Underground Nico, The, The Velvet Underground Child, Francis James (1825-1896). Musicologue et (mars 1967) folkloriste américain. Velvet Underground, The, The Velvet Underground Chitlin’ circuit, The. Circuit de salles de spectacles afro- (mars 1969) américaines. ...Very ’Easy Very ’Umble ... , Uriah Heep [juin 1970] Clark, Dick (1929-2012). Présentateur de télévision Volume Two, The, Soft Machine (sept. 1969) américain [American Bandstand]. Volunteers, The Jefferson Airplane (nov. 1969) Deadheads [The Grateful Dead] Voodoo Lounge, The Rolling Stones (1994) Decca. Maison de disque. Wall, The, Pink Floyd (déc. 1979) Dozier, Lamont (1941-). Compositeur et producteur Wall, The, Pink Floyd (nov. 1979) américain [Motown]. We’re Only in It for the Money, The Mothers of Invention Electric Lady. Studio d’enregistrement [Jimi Hendrix]. [Frank Zappa] (mars 1968) EMI. Firme de disque. What’s Going On, Marvin Gaye (mai 1971) Ertegün, Ahmet (1923-2006). Directeur de maison de Wheels of Fire, Cream (juillet 1968) disque et producteur américain [Atlantic Records] Where Did Our Love Go, The Supremes (août 1964) Factory Records. Maison de disque alternative White Light/White Heat, The Velvet Underground (janv. britannique [post-punk]. 1968) Fiction. Maison de disque alternative britannique [post- , Whitney Houston (févr. 1985) punk]. Who Sell Out, The, The Who (déc. 1967) Folkways. Maison de disques [folk] Who’s Next, The Who (avril 1971) Freed, Alan [Albert James Freed] (1921-1965). DJ radio Wish You Were Here, Pink Floyd (sept. 1975) américain. Wish You Were Here, Pink Floyd (sept. 1975) Goldsmith, Lynn (1948-). Photographe rock américaine. Without You I’m Nothing, Placebo (oct. 1998) Gordy, Jr., Berry (1929-). Patron de maison de disque Workingman’s Dead, The Grateful Dead (juin 1970) afro-américain [Motown]. Yardbirds, The Yardbirds (juillet 1965) Holland, Brian (1941-) Compositeur américain Young Americans, David Bowie (mars 1975) [Motown]. Isle of Wight Festival, The (1970). Festival musical Jenner, Peter (1943-). Manager britannique [Pink 7. Industrie de la musique Floyd]. King, Andrew (1942-). Manager britannique [Pink Ader, Clément (1841-1925). Inventeur français. Floyd]. Altamont (1969). Festival rock [The Rolling Stones] Kirchherr, Astrid (1938). Photographe allemande [The American Bandstand. Emission télévisuelle musicale Beatles]. [Dick Clark]. Kramer, Eddie (1942-). Ingénieur du son d’origine sud- Apple Computers. Producteur informatique américain. africaine [The Jimi Hendrix Experience]. Art schools. Etablissements scolaires britanniques. Lang, Michael (1944-). Entrepreneur musical américain Asian Music Circle, The. Association musicale [raga; [Woodstock] The Beatles; psychédélisme; Ayana Angadi]. Leibovitz, Annie (1949-). Photographe américaine. Atlantic Records [Ahmet et Nehisi Ertegün]. Lomax, Alan (1915-2002). Musicologue américain [First Backline. Amplification de scène. folk revival; Second folk revival] Blumlein, Alan (1903-42). Ingénieur du son américain Maggio, Antonio. Compositeur américain d’origine [spatialisation audio]. italienne.

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Majors, The. Maison de disques ; conglomérats Voormann, Klaus (1938). Bassiste et illustrateur médiatiques. allemand [The Beatles ; Astrid Kircherr]. Martin, George (1926-2016). Producteur britannique Whitfield, Norman (1940-). Compositeur américain [The Beatles]. [Motown; rhythm and blues; soul]. Monterey, Festival de [Monterey International Pop Willis, Ellen (1941-2006). Journaliste et politicienne Festival] (1967). Festival rock [psychédélisme; progressiste américaine. Summer of Love]. Woodstock (1969). Festival rock [mouvement hippie ; Motown [Tamla Motown]. Firme de disque [soul; rhythm psychédélisme]. and blues; Berry Gordy]. Woodstock Music and Arts Fair. [Woodstock]] MTV (août 1981) Yasgur, Max (1919-1973). Fermier américain Muscle Shoals Rhythm Section, The. Collectif musical [Woodstock] soul]. Mute Records. Firme de disque alternative britannique [post-punk] 8. Terminologie musicale Newport Folk Festival. Festival musical. Niche markets 45 tours microsillon (45 rpm single) Oldham, Andrew Loog (1944-). Manager et producteur A cappella. Chant non accompagné d’arrangement britannique [The Rolling Stones]. instrumental. Payola. Pratique de promotion illégale. Accord du diable. Intervalle musical: fausse quinte Phillips, Sam [Samuel Cornelius Phillips] (1923-2003). [triton] Patron de maison de disque et producteur américain Acousmatique. Recherches acoustiques en musique [Sun Records ; Elvis Presley ; rock and roll ; contemporaine. rockabilly ; rhythm and blues ; country and western]. Afro-rock. Style musical. Powell, Maxine (1915-2013). Professeur de maintien Albums concepts. afro-américaine [Motown]. Alligator, the. Danse des années 1960 [dance crazes]. Powers, Ann (1964-). Journaliste rock américaine. Art rock. Genre musical [rock progressif post- Radio M105 “Cleveland Classic Rock”. Station de radio psychédélique]. américaine. Atonale (Musique). RCA. Maison de disques; conglomérat médiatique. Beatlemania [The Beatles] Roberts, John P (1945-2001). Homme d’affire er Be-bop. Genre musical moderniste. entrepreneur musical américain [Woodstock] Black metal. Genre musical [heavy metal] Rock and Roll Hall of Fame, The. Blue notes. Notes caractéristiques des gammes de blues. Rough Trade. Label de distribution alternatif [punk ; Blues psychédélique. [Jimi Hendrix; Cream] post-punk ; reggae]. Blues, gammes de. Roxon, Lillian (1932-1973). Journaliste rock Blues. Style musical afro-américain. australienne. Boogie-woogie. Style pianistique. Sharp, Cecil (1859-1924). Musicologue britannique Boyd, Joe. Gérant de club musical. [UFO club; [First folk revival]. Psychédélisme]. Spector, Phil (1939-). Producteur américain [wall of Bridge. Elément de la structure d’une chanson. sound]. British Beat [Merseybeat]. Style musical [The Beatles]. Stax Records. Maison de disques américaine [soul British Invasion, The. Mouvement musical [The Beatles; music]. The Rolling Stones]. Sun Records. Maison de disques américaine [Sam British rhythm and blues. Mouvement musical [The Phillips; Elvis Presley; rock and roll; rockabilly; Rolling Stones; The Animals; Them]/ country and western; rhythm and blues]. Britpop. Mouvement musical [Oasis; Blur]. Swan Song Records. Maison de disques [Led Zeppelin]. Chambre d’écho. Effet audio. Tamla Motown. Maison de disques américaine [Berry Chorus. Effet audio. Gordy ; Motown]. Classic rock. Genre musical. Tradition Records. Maison de disques américaine [folk Cool jazz. Style de jazz moderniste [Miles Davis] music]. Country and western. Genre musical. Volt. Maison de disques américaine [James Brown]. Country music. Genre musical. Cover versions (reprises)

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Crotales. Instrument à percussion. Latin rock. Genre musical. Dance crazes. Mouvement culturel des années 1960. Leslie speaker. Effet audio. Death metal. Genre musical [heavy metal] Majeurs (accords) Dilruba. Instrument indien [raga]. Mambo, the. Danse afro-cubaine. Disco. Genre musical. Mandoline bluegrass. Instrument de musique folk Distorsion électronique. Effet audio. américain. Distorsion naturelle. Effet audio. Marquee Club. Club Musical. Londres. Distorsion. Effet audio. Mellotron. Instrument électro-acoustique. Doo wop. Genre musical. Merseybeat, The. Mouvement musical. Double-A single. Format de commercialisation. Métamusique. Dubbing. Technique d’enregistrement. Microsillon, disque. Support audio. Echo [delay]. Effet audio. Middle Earth. Club musical [Psychédélisme; Swinging Effets d’ambiance. Effet audio. London]. English, Michael. Concepteur d’affiches [Londres ; Mineurs, accords. Psychédélisme] Musique concrète. Genre musical. Fade-out. Element structurel d’un morceau ; effet audio. Musique dodécaphonique. Technique de composition de Flamenco. Genre musical. la musique moderniste. Flanger. Effet audio. Musique du diable. Surnom péjoratif du jazz et du rock Fly, The. Danse [dance crazes]. and roll. Folk (Musique). Genre musical. Musique planante. Genre musical [art rock; Folk Revival, The First. Mouvement musical. postpsychédélisme] Folk rock. Genre musical [Bob Dylan; The Byrds]. Musique sérielle. Genre musical de la musique Free jazz. Genre musical [Ornette Coleman]. moderniste. Full stereo. Technique d’enregistrement. Neoclassical metal. Genre musical [heavy metal] Funk jazz. Genre musical. New Romantics. Mouvement musical. Funk. Genre musical. New Wave of British Heavy Metal. Genre musical Fuzz box. Effet audio. [heavy metal] Garage bands. Genre musical. New wave. Genre musical [post-punk] Glam metal. Genre musical. Novelty songs. Genre musical. Glam rock. Genre musical. Overdrive. Effet audio. Glissando. Technique musicale. Pédale wah-wah. Gospel. Genre musical. Phaser. Effet audio. Goth rock. Genre musical [post-punk; heavy metal] Polyrythmes Grunge. Genre musical [Nirvana]. Pony, The. Danse du début des années 1960. Guitar hero Pop. Genre musical. Guitar heroes. Post-punk. Genre musical. Hard bop. Genre musical. Potentiomètres panoramiques Hard rock. Genre musical [heavy metal]. Power chords (« accords de puissance »). Technique Heavy metal. Genre musical [hard rock] guitaristique. Hillbilly music. Genre musical. Prog rock. Genre musical. Hills, Joan. Artiste visuelle britannique, conceptrice de Progressif, Rock. Genre musical. light shows [UFO Club ; psychédélisme]. Progressive rock. Genre musical. Hopkins, John « Hoppy ». Gérant de club musical [UFO Protest songs. Genre musical. Club; psychédélisme; Swinging London]. Pseudo-stéréo. Technique de mixage. Hucklebuck, The. Danse des années 1960. Psychedelic soul. Genre musical. Inflexions vocales Psychédélique, Rock. Genre musical. Jazz fusion. Genre musical [jazz rock]. Punk rock. Genre musical. Jazz rock. Genre musical [jazz fusion] Race music. Genre musical. Jerk, The. Danse des années 1960. Raga rock. Genre musical. Kazoo. Instrument carnavalesque. Raga. Genre musical de la musique classique indienne. Kings of rock and roll. Rap. Genre musical. Kung fu, The. Danse des années 1970. Reggae. Genre musical d’origine jamaïcaine.

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Réverbération [reverb] Waymouth, Nigel. Artiste graphique ; concepteur Rhythm and blues britannique. Mouvement musical. d’affiches britannique [psychédélisme ; Swinging Rhythm and blues. Genre musical. London] Riffs. Unité rythmique et mélodique. Whammy bar. Accessoire musical [surf music]. Rock and roll noir. Genre musical. Yodeling. Technique de chant. Rock and roll. Genre musical. Rock classique. Genre musical. Rock progessif psychédélique. Genre musical. Rock progressif postpsychédélique. Genre musical. Rock progressif. Genre musical. Rockabilly. Genre musical. Roots rock. Genre musical. Rythmes syncopés. San Francisco Sound. Style musical. Schlock rock. Version commerciale du rock and roll. Shuffle rhythm. Rythme caractéristique du jazz des années 1930 et du rhythm and blues. Singers-songwriters. Genre musical. Sitar. Instrument indien. Skiffle. Genre musical. Sleaze metal. Genre musical [heavy metal] Soul music. Genre musical. Soul psychédélique. Genre musical. Space Rock. Genre musical. Spatialisation ornementale. Technique de mixage. Spatialisation. Technique de mixage. Speakeasy Club, The. Club musical [Psychédélisme ; Swinging London]. Speed metal. Genre musical [heavy metal]. Stéréo naïve. Technique de mixage. Supergroup. Groupe composé de intégralement de vedettes réputées. Surf music. Genre musical. Surf rock. Genre musical. Swarmandal. Instrument indien. Swing jazz. Genre musical. Swing rhythm. Rythme caractéristique du jazz des années 1930. Tablas. Instrument de percussion indien [raga]. Tampura. Instrument indien [raga]. Thrash metal. Genre musical [heavy metal]. Trad boom, The. Mouvement musical. Triton. Intervalle musical: fausse quinte [« accord du diable »] Twist, The. Danse [Dance crazes]. UFO Club. Club musical londonien [Psychédélisme; Swingin London]. Underground Wah wah pedal. Effet audio. Wall of sound, The. Technique d’enregistrement et de mixage. Phil Spector.