VI TANIA TOME 19 2003

Revue interrégionale d'archéologie

Aquitaine Limousin Niidi-P)1rénées Poitou-Charentes

Revue jYubliée jxl'r la Fédération Aquilania avec le concours financier d,u Nlinistère de la Culture, Direction du Patrinwine, Sous-Direction de l'Archéologie, elu Centre National de la Recherche Scierüifique, de l'Université Michel de Niontaigne- Bordeaux 3 SoMMAIRE

S. RIUNÉ-LACABE, A. COLIN, Bergerac, Le Th erme : deux fosses du début du rer âge du Fer en Dordogne ...... 5

J. GORROCHATEGUI, Las placas votivas de plata de origen aquitano halladas en Hagenbach (Renania-Palatinado, Alemania) ...... 25

A. BEYRlE, D. GALOP, F. MONNA, V. MOUGIN, La métallurgie du fer au Pays Basque durant l'Antiquité. État des connaissances clans la vall ée de Baigorri (Pyrénées-Atlantiques) ...... 49

G. FABRE, Inscription et sculptures à caractère religi eux d 'époque romaine découvertes à IluTO (Oloron, Pyrénées-Atlantiques) ...... 67

A. BARBET, AVEC LA COLLABORATION DE C. GIRARDY-CAILLAT,j.-P. BOST, Peintures de Périgueux. Édifice de la rue des Bouquets ou la Domus de Vésone

l - Les peintures en place ...... 81

D. SCHAAD,J.-L. SCHENCK-DAVID, Le camp militaire romain de Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne) :nouvelles données ...... 127

A. BOUET,j.-L. TOBIE, Les thermes d'bnu.s Py-renaeus (Saint-:Jean-le-Vieux, Pyrénées-Atlantiques) ...... 155

J.-L. BOUDARTCHOUK, AVEC LA COLLABORATION DE S . BACH, L. GRlMBERT, l. RODET-BELARBI, F. VEYSSIÈRE, La villa rustique de Laraj adé (, ) , u n petit établissement rural aux portes d'Augusta Auscorum: l'approche archéologique ...... 181

A. BERDOY, Maisons fortes des vall ées béarnaises (xue-xrve siècles) ...... 221 j.-L. SCHENCK-DAVID, Démêler le vrai d u faux: un peu de nouveau sur l'évolutio n d u site de Saint-Just à Valcabrère (Haute-Garonne) ...... 253

c. L'\COMBE, De la Tou.r de la Vizonneà la Tou.T de 1/ésone. Réflexions autour d 'un toponyme et de l'histoire médiévale et moderne d ' un monument antique ...... 267

NOTES

K. ROBIN, C. SOYER, Un fragment d 'anse de bassin é trusque découve rt à Barzan (Charente-Maritime) ...... 285

W. MIGEON, AVEC LA COLLABORATION DE A . ZIEGLÉ, Nouveaux blocs inscrits o u décorés clans le rempart antique de Bordeaux ...... 291 j.-L. SCHENCK-DAVID, U ne inscription funéraire récemment découverte à Tournan (Gers) ...... 301

CHRONIQUE

A. COLIN, Recherches récentes sur l'âge de Fer clans le Sud-Ouest de la , d 'après la bibli ographie des années 1995-2001 ...... 313

MAÎTRISES

S. D UCONGÉ, Les poteries elu JJC âge elu Fer de la grotte des Pen·ats à Agris (Charente). Apport à l'interprétation des occupations elu site au cours de La Tène ...... 329

J. HÉNIQUE, Occupation du sol en moye nne va llée de la Garonne pendant l'Antiquité. Incidences du milieu naturel et des voies de communication sur les modali tés d'implantation des établi ssements ruraux ...... 331

P. BOITEL, L'occupation gall o-romaine des campagnes de la moye nne va ll ées de la Vère ...... 334

L. DAVERAT, Les voies antiques e ntre Charente et Garo nne ...... 336

J. ATKlN, Une contribution de l'archéologie navale à l'étude des ports atlantiques européens de l'Antiquité au Moye n Age: le réemploi d'éléments de bateaux clans les structures portuaires ...... 339

S. MONCOURT, L'occupation fu néraire des habitats ruraux gall o-romain s elu bassin de l'Adour et elu département du Gers durant la pé ri ode médiévale (Hautes-Pyré nées, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Gers) ...... 341

L. BONNEAU, Les prieurés de l'abbaye de la Sauve-Majeure cl ans l'Entre-deux-Mers bordelais ...... 343 Aquitania, XIX, 2003

Jean-Luc Schenck-David Con SC JTateur du patrimoine 1\ lusée arclH~ o l og iqu c dé partemental SaiJlt-Bertr;uJd-de-Co nJm iJJgcs

Une inscription funéraire récemment découverte à Tournan (Gers)

RÉSUMÉ A..BSTRACT Trouvée de manière fortuite sur le territoire de la Found by chance on the district of Tournan (Gers, commune de Tournan dans le Gers, cette belle épitaphe 32), this interestingepitaph iscomposed offive !ines and de cinq lignes nous fait connaître un couple de presents a couple of free foreigners who have a marked pérégrins libres, à l'origine celte très marquée. Les Cel tic origin. The circumstances of discovery do not tell circonstances de la découverte ne nous apprennent rien us anything about the monument this funerary du monument auquel cette inscription funéraire aurait inscription could belong to. The epitaph could date pu appartenir. On daterait volontiers cette épitaphe de back to the second part of the 15' century AD. la seconde moitié du 1er siècle de notre ère.

MOTS-CLÉS Inscription funéraire, onomastique, architecture, Aquitaine, Narbonnaise, Antiquité 302 Aquitania, XIX, 2003 Jean-Luc Schenck-David

1. LES CIRCONSTANCES DE LA provenir de la carrière de la montagne de Rié, à DÉCOUVERTE Saint-Béat, sur la rive gauche de la Garonne. Tout comme le texte, le support 7 a fait l'objet d 'un soin Ce beau marbre funéraire fut découvert au particulier (fig. 1) . La plaque est parfaitement printemps 2002 sur la commune de Tournan, aux équerrée et, malgré quelques épaufrures qui en limites méridionales du département du Gers. Il affectent les arêtes, les chants supérieur, inférieur fut mis au jour par M. Alain Duffourg, lors de et latéral gauche sont bien dressés et travaux de drainage effectués au lieu-dit "Gariac"; soigneusement polis. Le côté droit, seul, ne situé aux confins des communes de Tournan, répond pas aux critères de perfection qui et , ce secteur n'avait, semble-t­ semblent avoir régi la préparation du support : il, pour l'instant livré aucun vestige curviligne, il présente les marques d 'une fracture 1 archéologique . Il est vrai que les notices de la ancienne, qui s'est sans doute produite lors d'une Carte archéologique du Gers, qui concernent la tentative de débitage et de récupération, commune de Tournan et ses deux immédiates auxquelles se superposent les traces de cassures voisines, ne sont pas très riches. Ainsi, si rien n'est plus récentes. La face postérieure, qui a fait, lors signalé pour Sabaillan, dont l'église s'orne de la confection du support, l'objet des mêmes aujourd'hui, au chevet, d'une tête masculine soins attentifs de finition que les chants et la face 2 récemment découverte , la notice consacrée à principale, porte également les stigmates de cet Simorre fait état d'un fragment d'auge cinéraire essai de récupération : un trait de scie, et d 'un chapiteau de marbre tardif3 et celle de perpendiculaire aux longs côtés, limite une zone Tournan mentionne une tête funéraire irrégulièrement démaigrie à la pointerole, qui 4 remployée dans les murs de l'église du village . correspond (mais est-ce le fait du hasard ?) Ces découvertes sporadiques et dispersées 5 exactement à l'alignement à droite de révèlent toutefois une occupation antique dense, l'inscription. Ces stigmates sont-ils le résultat dont les composantes, encore bien mal connues, d'une tentative avortée de réfection d'une plaque commencent à apparaître grâce aux prospections funéraire qui se serait cassée au moment de la systématiques menées par M. Robert Abila sur le pose? Sont-ils la marque d'un essai de 6 territoire de ces communes gersoises récupération tardive de matériau ? La question reste sans réponse. La face inscrite enfin porte, à 2. LES CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES droite, les traces, elles aussi difficiles à expliquer 8, DU SUPPORT de l'usage, posteneur au polissage mais curieusement soigné, d'un ciseau-gradine qui a L'épitaphe de Tournan a été gravée avec soin entamé la surface d 'origine, bien lissée. sur une plaque de marbre cristallin grisâtre à Les chants supérieur et inférieur ne sont pas passées gris foncé et blanches, qui pourrait percés des trous de scellements habituels, qui servent d'ordinaire au logement des crampons nécessaires au maintien d'une plaque contre la 1. Proprié taire des terrains el in venteur, lvi. AJain Duffourg a aimablement confié sa découverte à M. Roben Abila, archéologue à maçonnerie d 'un mur. En revanche, le chant l'Instilllt national de recherche archéologique préventive, qui a gauche est entaillé par deux mortaises destinées à al e rté M. Daniel Schaad au Service régional d'archéologie de Midi­ deux scellements verticaux, l'un, à la partie Pyrénées. La procédure est assez exemplaire pour être saluée ici. Daniel Schaad a eu l'obligeance de m e confier l'étude de cette supérieure 9, qui pourrait avoir reçu un got~ on inscription. Qu'il soit ici remercié de son amabilité et de son aide, longitudinal ou en T, l'autre, à la partie ainsi que Nl. Alain DufTourg et M. Robert Abila pour leur confiance. 2. Lapan & Pe tit 1993, 235. Lapan 1997-1998, 334. 3. Lapan & Petit 1993, 236. 4. Lapan & Pe tit 1993, 236. Initialement remployé au chevet, ce buste a été déplacé e t est aujourd'hui inséré dans le porche, à 7. Les dimensions en mm (entre pare nthèses les mesures l'intérieur de l'édifice. incomplètes) du support sont les suivantes : long.: (5 10); larg.: 5. On se reportera également aux notices de la Carle archéologique, 373 ; ép. : 64. consacrées aux autres communes du canton de : Lapart & 8. Ces traces s ont~e ll es à me ttre e n relation avec celles que l'on voit Petit 1993, 233-238. sur la face arrière? Question également san s réponse. 6. Les résultats de ces trava ux seront publiés prochainemenl. 9. Dimensions en mm : prof. : Il 0 ; larg. : 19. Notes -Inscription fu néraire découve rte à Tournan (Gers) Aquitania, XIX, 2003 303

-64-

f ( tl '

Fig. 1. A vers, chant latéral gauche et revers de la jJlaque. 304 Aquitania, XI X, 2003 J ean-Luc Schenck-Davicl

inférieure 10, ayant sans doute abrité un goujon en l'habileté du graveur qui a choisi de remplacer pi ou en double gamma. Le système de fixation de entre filiae et uxori le point triangulaire lancéolé, cette plaque emprunte donc aux techniques de la utilisé tout au long de l'épitaphe, par une hédéra, construction en grand appareil, détail qui laisse certes un peu raide, mais qui a l'avantage d e penser que ce marbre n'était pas isolé, mais qu'il combler le vide inesthétique d 'une ligne un peu était sans doute solidaire d'autres plaques qui creuse en raison de la faible emprise des lettres. devaient lui être juxtaposées ou superposées. Ailleurs, des points triangulaires séparent chacun des mots, à l'exception toutefois du nom Namm( i) 3. LE TEXTE, PALÉOGRAPHIE ET et du mot abrégé fi( lii). Il ne s'agit peut-être pas d'un oubli, mais d 'une omission délibérée qui LECTURE pourrait faire entendre que le Ide la ligature de Le texte se développe sur cinq lignes assez fi(lii) doit être également associé au nom uniformément espacées 11 . Les lettres, des précédent Namm(i) dont le I du génitif aurait capitales carrées, sont d'une graphie régulière, volontairement été abandonné afin de ne pas soignée et rigoureuse 12 . Les biseaux sont bien créer de surcharge graphique à la ligature des M. tracés, les empattements bien soulignés. Les Malgré quelques éraflures récentes de la face lettres ne présentent pas de particularités, à inscrite, qui ont altéré quelques lettres, on lit sans l'exception du C de Buculi (ligne 2) dont le bas de aucune difficulté (fig. 2) : la boucle s'affine sans se refermer et dont la partie supérieure est marquée d'un apex fortement DIS· MANIBVS développé, et à l'exception également du Q de BVCVLI · NA'MM' 'FI' posterisq( ue) dont la queue se développe largement ET · TITVLLAE · HO 'MV' et élégamment sous les deux premières lettres du LJ · :PJLIAE hedera VXOEI mot qui suit (ligne 5). L'inscription est alignée à POS'TE'EJSQ · EOEVM droite ; il s'agit là d'une intention délibérée du lapicide, comme en témoignent, sans doute Dis Manibus / Buculi Namm(i) fi( lii) / et Titullae possible, l'habile compénétration des deux M de Hmnu / li filiae uxori / jJosterisq( ue) eorum 13. Namm(i) et la ligature duFetdu Idefi(lii) à la ligne 2, l'intégration du V dans le Mele Homu/ li à la ligne 4. L'ONOMASTIQUE, UNE ORIGINE 3, et, à la ligne 5, enfin, la petite taille du M de CELTE INDÉNIABLE eorum. Une ultime belle ligature associe le Tet le Ede jJosterisq( ue) à la dernière ligne du texte. A la Cette inscription, qui associe aux dieux Mânes ligne 3, l'allongement de deux des trois T, dont les de Buculus sa femme Titulla et, de manière plus hastes horizontales chapeautent les lettres générale, leurs descendants, nous révèle une voisines, et la haute taille de quelques I (lignes l , famille issue du milieu des pérégrins libres, 2 et 5) scandent le texte, faisant écho aux grandes comme l'atteste la mention de la filiation qui suit lettres ligaturées. Ce parti pris ajoute à l'élégance les noms uniques des deux époux et parents. de la composition, mais cherche peut-être aussi à Titulla porte un nom latin, répandu, au féminin faire oublier les difficultés qu'a pu rencontrer le comme au masculin, dans les zones celtiques. 1. lapicide, tenu par les contraintes de l'alignement Kajanto compte ainsi clans les indices du CIL à droite du texte. On retrouve encore à la ligne 4 soixante-neuf occurrences 14 . En Aquitaine méridionale, où l'on recense, à ce jour, sept Titullus et Titulla, la cité des Convènes avec cinq

1 O. Dimensions e n mm : prof. : 96 ; larg. : 20. 11. Hauteur des interlignes en mm : Bord-LI : 30 ; Ll-L2 : 20 ; L2- L3 : 23; L3-L4: 23 ; L

Fig. 2. L 'éjJilaphe de Buculus, fils de Nammus (cliché K. Schenck-David).

m entions tient, semble-t-il, une place privilégiée les terres convè nes par rapport à ces mêmes autres dans la distribution de ce nom : on connaît, en cités. On remarquera, en revanche, gue les noms effet, outre la nouvelle Ti tuila ausgue, une Titulla Titull us et Titulla sont utilisés sur l'ensemble du chez les Lactorates 15, une Ti tuil a et quatre Ti tull us territoire de l'Empire, avec une forte convènes 16. La bonne représentation de ce nom représentation en Narbonnaise et dans les dans les Pyrénées centrales ne suffit pas cependant provinces méridionales de l'Occident. On à l'inscrire dans la tradition locale, ainsi gue recense, en effet, mascu lin et féminin confo ndus, l'affirment un peu abruptement G. Fabre et trente-sep t exemples en Narbonnaise, onze en P. Sillières 17. Tout au plus pourra-t-on parler Espagne, trois seulement en Lyonnaise, trois d 'u ne faveur convè ne particulière pou r ce encore en Gaule Cisalpine, deux en Dalmatie et cognomen latin si l'on compare les chiffres bruts de un en Germ anie Supérieure. la cité d es Convènes à ceux des autres cités, ou Moins courant est le nom Homulus gue porte d 'une fréquence fortuite si l'on ti ent compte du le père d e Titulla. Avec une orth ographe très nombre important des inscriptions retrouvées sur variable, il apparaît trente-quatre fois seulement au mascu li n et onze fois au féminin clans l'ensemble du CIL 18. D 'origine latine, il est assez égalemen t réparti entre les provinces occidentales 14. K t~a n t o 1965, 17 1. Ces occurrences se répanisscnt de manière de l'Empire: o n rencontre ainsi huit exemples presque égale entre le féminin e t le mascul in, auss i bie n chez Kajan to q ue dans OPEL, fV, 125 qui compte 6 1 men lions œ n aines. cl ans les Tro is Gaules (dont notre Homulus gui est 15. CIL, X II I, 502 = /LA, , 1. 16. CIL, X II I, 40, 113, 185, 11005; Fo uet1 969, 156- 159. 17. !LA, Lectoure, 126. D 'ailleurs la transformation in digène de ce surn o m par l' ~o ut d 'un suffi xe "aquitanisant", Titul uxsa, se 18. K ~an to 1965 , 62 et 222. On retro uve aussi bien Ho mul us avec un rencontre, no n pas à proxim ité des Pyrénées, mais à Gim o nt (CIL, 1-1 et un L que Homu llu s avec H e l deux /... , Omulus sans /-/ el avec X II I, 471) ch ez les Auscii. un Lou encore Omu ll us sans H mais avec deux /.... 306 Aquilania, XIX, 2003 J ean-Luc Sch enck-Davicl

le troisième connu en Aquitaine), s1 x en ailleurs, la représentati on des autres noms est plus Narbonnaise, quatre en Es pagne, et l'Italie du diffuse. On remarquera cependant que les trois Nord n'est pas en reste avec six exemples en noms masculins son t réperton es en Gaule Ligurie et en Transpadane 19. Cisalpine où Homulus, en outre, est bien signalé Bien plus rares encore son t les deux noms qui (à parité avec la Narbonnaise). Nous n 'en sont gravés à la première ligne de l'inscription . conclurons certes pas ex abi'UjJ lo que cette famille On ne rencontre, en effet, Buculus avec un seul puise ses racines en Cisalpine ou en Narbo nnaise. C, tel qu'il apparaît donc à Tournan, que deux Mais si l'originalité et la rareté des noms masculins fois : une fois en Germanie Supéri eure et une fois s'opposent au caractère plus commun du nom de en Itali e du Nord 20. Aussi peu fréquent est le Titulla, l'origine celtique de la famille ne laisse cognomen Bucculus écrit avec deux C, qui n 'est aucun doute 2'' . recensé que cinq fois parI. Kaj anto, trois fois au On notera pour finir que la commune de masculin et deux fois au féminin 21. Ce diminutif Tournan, que l' on intègre au territoire des Auscii, qui pourrait être d 'origine celte serait à a la particularité de se situer aux confins de trois rapprocher de Buccio, un dérivé latin de bucca, cités, celles d 'Auch , de Toulouse, et des Convè nes plus fréquemment employé. Peut-être Buculus à et de deux provinces, l'Aquitaine et la un C n 'est-il qu'un avatar orthographique du Narbonnaise. Que l'on déplace les limites, très Bucculus à deux C. Nous proposons, cependant, approximatives et flu ctuantes 25 , de ces cités et!' on d 'y vo ir un nom emprunté au règne animal, peu t faire de Buculus et des sien s, une famille d e comme le sont de très nombreux cognomina, Toulousains de la Prouincia (ce que l'onomastique Asinus, Coruus entre autres et même Vitellus moins ne nous interdit pas, l e t~r s noms y étant glorieux que Buculus <~ e un e taureau >> . Nammus, répertoriés) ou une famille d ' Auscii (et il n 'y aurait enfin, cognomen tout aussi rare que le précédent, rien d 'étonnant en cela, dans une cité d 'Aquitaine n 'apparaît qu'une fois en Gaule Cisalpine et une méridionale où l'on con state que, si fois également, avec un seul M , en Narbonnaise 22 . l'onomastique latine est maj oritaire, les noms On raj outerait cependant vo lo ntiers au dossier de celtes et aquitains sont bien présents, selon une ce nom peu fréquent une inscription funéraire répartition assez équilibrée) ; on peut aussi autrefois trouvée sur le territoire des Bituriges en s'autoriser un rapprochement, que d 'aucuns Aquitaine septentrionale. ALu ourd'hui disparu, ce jugeront peut-ê tre osé, avec un texte convène. texte fragmentaire aurait mentionné un Cantus, fils de Nammus 23. 5. T!TULLA H OMULLI FIL/A : UNE H ormis Titulla, dont le nom, courant en TENTATIVE DE RAPPROCH EMENT Narbonnaise, connu en Espagne, en Cisalpine et en Aquitaine, n 'est que sporadiquement attesté L'existence, chez les Convènes, d 'une Titu lla H omulli filia, dont le nom apparaît sur un autel votif trouvé à Saint-Béat 26, est troublante . La

19. OPEL, Il, 184. dédican te y honore une divinité aquitaine, Abelio, 20. CIL, Xlii, 6837 et CIL, V, 5042; cr. OPE/,, I, 326. sorte d 'Apollon pyrénéen qui domine le panthéon 2 1. Kajanto 1965, 225. de cette o te des Pyrénées centrales. Mais 22. OPJ ~L, Ill , 395. On rencon tre cependant cin q fois le nom avec la désinence en -o, Nammo (en Gaule Belgique, en Cisai pi ne, dan s Je reconnaître en la dévote d 'Abelio la Titulla de Norique eL en Pa nnoni e). Le nomen Nammiu s est llll peu pl us Tournan est un exercice difficile. fréquent (5 occurrences). Enfin , on se rait tenté de rapprocher ce nom du cognomen fé min in Namnis connu à Eph èse (AE 1993, 1479 = AE 1997, 1436: Cornelia Namnis.) e t peut·être aussi du diminutif Namulla, apax retrouvé en Italie {IV~ 1990, 4 16). ou encore de 24. Sur la racine celte Nam- , vo ir Evans 1967, 234-235. Cf auss i Ho lder Nammiola connue e n Aq uit aine (CIL, Xlii, 1007). O n no tera e nfin Il, Na m· et Nam li·, col. 675-68 1. deux mentio ns tronquées d ' un Na111111[-] en Ita li e (liE 1991, 787) c t 25. Pour les limites de la cité d 'A uch, vo ir l.apart & Petit 1993, 33 e n Germani e Supérieure (CIL, Xlii, 7589), sans q u' il soit possible (texte) et 42, 4'1-46 (cartographi e très succincte) ; pour ce ll es de la de dé termin er s' il s'agit de Nmnmus, de Nammo, ou encore d'un cité de Toul ouse, cf. Pai ll e t el al. 2002, 307-326, qui me t l'accent sur diminutif. les divergences d'opinions et la rareté des donn ées fiables. Pour 23. Donnée par le CIL, Xlii, 1332, D(is)? Man(ibus) ' 1 Ca11 ti? 1 cell es, enfin , de la cité des Convè nes, on sc reporte ra LOtûours aux Na m / mi j(ilii)? la lecLUre est très douteuse. Ell e est cependant études anciennes de R. L.i zop (l.izop 1931, carte hors texte). reprise, sans cr it iq ue ni commenta ire, dans Chevrot & Troadec 26. CIL, XIII , 40: Abelio 11 i 1 deo 1 Ti tuila l-lo 1 111111/i ](ilia) 11(otnm) 1992,67. s(oluil) l(ibe11s) m(e>;lo). Notes- Inscription funéraire découverte à Tournan (Gers) Aquilania, XIX, 2003 307

A l'encontre d'une te lle identification, on une divinité pyrénéenne ? Ré pondre à cette avancera d 'abord que le nom du père de la Ti tuila question par 1' affirmative reviendrait à accorder à ausque s'écrit avec un seul L, alors que celui du Abelio, typ iquement aquitain, une audience plus père d e la Titulla convène a deux L. Mais cette large que celle, reconnue jusque-là, du monde des différen ce n'est pas véritablement dirimante, car dévots convènes (cinq des onze dédicaces à Abelio l'orthographe d 'Homulus varie beaucoup et les sont le fait de pérégrins libres d 'origine aquitaine, inscriptions ne. sont pas avares de patronymes et une revient à un pérégrin libre au nom celte et d e théonymes dont la transcription est hésitante quatre émanent d e citoyens) et à lui octroyer des et changeante (le nom d 'Abelio lui-même, pour compéten ces plus étendues que la seule fo n ction n e prendre qu'un exemple, s'écrit selon quatre d 'un dieu tutélaire local ; ce que nos faibles orthographes différentes). Nous ne pouvo ns connaissances des caractéristiques du panthéon exclure, dans ce cas, u ne étourderie du lapicide. local ne nous autorisent pas. Et pou rquoi à Saint­ On all èguera alors que la comparaison des deux Béat plutôt qu'à Fabas, Aulon, ou encore Saint­ inscriptions ne joue pas en faveur du Aventin, là où d 'autres inscriptions consacrées à rapprochement des deux T i tuil a, car les lettres de Abelio ont été retrouvées 28 ? Faudrait-il accorder l'inscription commingeoise sont d 'une gravure au sanctuaire sain t-béatais d' Abelio dont on malhabile et le texte d 'un agencement maladro it; ignore tout (a-t-il m ême existé?) un pouvoir on remarquera aussi que les capitales de la d'attraction plus fortqu 'aux sanctuaires des autres d édicace convène sont plus hautes et plus étroites sites (tout aussi hypothétiques et peu que cell es, carrées, régulières et soignées de documentés) ? l'épitaphe gersoise, et qu'il y a là peut-être Le lien entre Saint-Béat et la T i tuila de Tournan discordance chronologique. Mais nous passerait-il par les carrières de marbre et leur rétorquerons que ces lettres ne présentent aucune exploitation ou la diffusion du matériau ? Dans ce particularité graphique qui permettrait de les cas, la dédicace aurait plutôt été adressée au dieu dater avec sûreté, qu 'en l'absence de topique, Eriape, largement honoré d ans le monde caractéristiques précises, ces différences n 'ont des marbriers, qu'ils aient été carriers, ·nwTnwra1ii aucune valeur chronologique et que l'on pourrait ou officinatores. parfaitement les porter au compte du travail de Autant d e questions qui restent donc sans deux lapicides. Et nous noterons tout de même réponse. Et l'on peut soit regretter le laconisme que l' autel votif de la Ti tuila convè ne présente (en des textes vo tifs convènes qui dévoilent rarement contradiction, selon nos critères modernes de les raisons d es offrandes, si l'on persiste à croire jugement, avec le caractère malhabile de la que l'homonymie des deux Titulla n 'est pas le gravure du texte) une forme que nous simple fait du hasard, soit rejeter quali fierions de canonique, proche, par le rapport catégoriquement, d evant la faiblesse des d e ses mesures du modèle classique importé, qui arguments, l'hypothèse selon laquelle les deux témoigne du choix d'une dévote sensible aux Titulla pourraient n'être qu'une seule et m ême effets de la romanisation 27. personne 29 . Aucune obj ection, aucun argument n 'étant donc très pertinents, on se posera deux questions 6. EN GUISE DE CONCLUSION d 'ordre plus général. PROVENANCE ET ESSAI DE DATATION Une Titulla de la cité ausque, à l'origine celte fortement marquée, offrirait-e lle un autel votif à Il est impossible de déterminer le type et la forme du mo nument auquel cette inscription a pu appartenir . Les caractéristiques techniques du

27. Il est d'a ill eurs curi eux de remarquer qu e la fo rm e, les dim ensions (leurs rapports) e t la modénature de l'autel consacré à Abe li o sont presque idcnliques à celles d'un atatcl consacré au dieu Fagu s par un e dédicante de condition li bre, trouvé à Cénérest, non 28. Sabla)'rolles & Schenck 1990, 53. Les onze déd icaces à Abelio loi n de Saint-Bertrand-de-Comminges (CIL, Xlii, 225, Sabla)' roll es provienne nt de que lque sept sites du Comminges antique . & Sc hen ck 1988, 29). Pour l'étude de la forme e t de ses in cidences, 29. Identité de personne pour laquelle on pourrait trouver enco re voir Sche nck 1995. bie n d'autres ra isons, sim ples su ppositions impossibl es à démon trer. 308 Aquitania, XIX, 2003 J ean-Luc Schenck-David

marbre (dont le chant gauche présente les traces scellement contre les parois, deux techniques qui de deux scellements) et la particularité du texte laissent souvent des traces de mortier que 1'on n 'a (dont la précision de l'alignement à droite paraît pas retrouvées sur l'inscription de Tournan. Mais être le résultat d 'un acte volontaire) semblent notre proposition, invé rifiable pour l'instant, indiquer que cette épitaphe n'était pas isolée et n'exclut pas d'autres hypothèses, celle de plaques qu'elle faisait partie d 'un lot de plaques funéraires qui auraient pu appartenir à un enclos funéraire qui pouvait s'intégrer dans un monument selon les par exemple. règles d'agencement qui régissent l' architecture Tout aussi hypothétique sera la datation d e de grand appareil 30_ On regrettera que les études cette inscription, fondée uniquement sur la consacrées à l'épigraphie soient tmuours si mention des dieux Mânes et la paléographie dont lacunaires, si ce n 'est pas muettes, quand il s'agit on sait bien les limites. Que l'invocation aux dii de décrire les caractéristiques du support gravé 3l ; JVlanes de Buculus (seul défunt au moment de la mais l'on pourra peut-être rapprocher la plaque préparation de l'épitaphe puisque les noms des de Tournan de celles, fragmentaires, trouvées en autres bénéficiaires de la sépulture d ont ils sont Arles et qui devaient, selon une restitution assez aussi les bâtisseurs, sa femme Titulla et ses convaincante 32, constituer par juxtaposition dans descendants, ne sont pas associés aux dieux un encadrement de frise à rinceaux la façade d 'un Mânes) soit exprimée en toutes lettres indiquerait mausolée bâti selon le modèle d 'un petit temple. une période assez haute que l'on situerait On intègrera donc plus volontiers ce marbre dans volontiers dans la seconde moitié du Jer siècle 34 d e la structure d'un mausolée plutôt que dans n otre ère ; datation que nous maintenons en dépit l'agencement de 1'u ne de ces piles funéraires dont de quelques indices paléographiques de très haute le Gers est si ri che. Ces piles, en effet, qui sont des époque, comme la compénétration d es lettres 35 monuments pleins à deux étages 33, sont bâties en ou encore la forme élégante du C du défunt petit appareil et les inscriptions qu'elles portaient Buculus, époux de Titulla et père, peut-être, d'une devaient être soit intégrées dans la maçonnerie du nombreuse descendance, qui aura, espérons-le monument, soit appliquées avec des pattes de pour la suite de la recherche à Tournan, laissé derrière elle des vestiges d 'une qualité aussi remarquable que cette plaque funéraire. 30. Aucun e trace de monier n'a été trouvée sur la face arrière de la plaque. 31. Ce tte lacune a largement été dénoncée par j ean-Noël Bonnevi ll e (Bonnevill e 1984, 11 7- 11 8), mais la leçon n'a guère porté. ELil esl rare que l'épigraphiste condescende à dé laisser momentan ément le 34. Dond in-Pa)'re & Ra epsaet-Charlier 1999 , 7, "critères de data tion cher obj e t de ses études pour en regarder le support. Les ana lyses, épigraphique" présentés sans comm entaire. Voir Burnand 1992, 25 malheureusement li mitées aux aute ls vo tifs, que J' on trouve pour la Lyonnaise . aujourd'hui dans les vo lum es des fuscrijJiions latin es d'Aquitaine ou 35. La compénélralion des Je ures, dont l'in scripüon de Tournan dans ceux des lnscrijJiions romain es de Cata logne pa r exempl e, fotll présente deux beaux exemples, serait toujours selon M. Dondin­ totUours figures d'exceplions. Payre e t t-.1. -Th. Raepsaet-Charli e r un indice de très haute é poque : 32. Euzenn aL & Hallier 1987, 11 2- 11 3 et 11 4; Landes et a/ii, 2002 ,32 début du Jcr siècle pour l'Aquitain e méridionale (Dondin -Payre & et6 1. Raepsae t-Charlier 1999 , 9). A notre avis, dans le cas prése nt ces 33. Landes et al. 2002, 86-100, par exe mple; Sillières & Soukiassian inclusions de le ttres sont le résultat d'un e mise en form e déli bérée 1993, 300-306. du texte. Notes- Inscription funéraire découverte à Tournan (Gers) Aquitania, XIX, 2003 309

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