LA VIERGE NOIRE DE DU MÊME AUTEUR :

Profils d'Egypte (Le murmure des siècles). Un volume in-12, de 286 pages, orné de 7 gravures hors-texte, 1930.

Croisières Apostoliques de Saint Paul. In-12 de xxin-270 pages, carte et 19 gravures hors-texte, 1931.

Voix Messianiques (Sur les pas du Christ). In-12 de XXlv-312 pages, orné de 13 gravures hors-texte, 1932.

Croquis Chypriotes (Souvenirs de voyage à Chypre). In-i2 de 384 pages, carte et 8 gravures hors-texte, 1933. 7 La et l'Orient (Gesta Dei per Savogienses). Un volume in-16 couronne, de 644 pages, 1934.

Chignin-en- Savoie. Grand in-8°, de 572 pages, orné d'un plan cadastral et de 4 gravures, 1938.

Le Prieuré de Saint-Jeoire (Savoie). Un fort volume in-8° raisin, de 2-72 pages, avec plan cadastral et 7 gravures hors-texte, 1941.

En préparation : Récits et Légendes de Savoie.

En vente chez l'auteur : Myans (Savoie). Abbé A. CARTIER

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LA VIERGE NOIRE DE MYANS (SAVOIE)

Nondum erant AbysfL, Et ego jam concepta eram. Les Abîmes n'étaient point encore, Et déjà j'étais en vie. Proverbes VIII, 24. Nihil obstat :

Chambéry, le 15 mai 1942. R. NAZ.

Imprimatur : Chambéry, le 15 mai 1942.

t PIERRE-MARIE, Archevêque de Chambéry. PRÉFACE

Une gravure ancienne, commémorant la chute du en 1248, juxtapose les noms de trois localités voisines du lieu de l'éboulement historique : « Vilage de ... S. Ioyre... Nostre Dame de Myans en Savoye... ». Trois joyaux, certes, du superbe écrin qu'est la cluse de Chambéry, riches d'un passé mémorable, dignes, à tous égards, de séduire, d'inspirer un ouvrier de la plume ou du Pinceau. Telleest la cause de l'éclosion, de la venue au jour d'une sorte de trilogie, que clôt le présent livre, d'un triptyque, dont ce travail anime le troisième volet. Après avoir campé la silhouette de « Chignin-en-Savoie», la féconde et commune patrie de Saint Anthelme et du « berger on » exquis, après avoir, secondement, tracé le profil du « Prieuré de Saint-Jeoire », qui abrita, plus de six siècles durant, une élite d'hommes pieux et bienfaisants, qui vit, tout récemment, périr ses ruines elles- mêmes, il était naturel d'esquisser l'image de la Vierge Noire de Myans, reine et Protectrice immédiate et locale du terroir qu'évoque notre gravure. D'autant Plus naturel qu'aux siècles passés, un lien religieux unissait étroitement les paroisses susnommées : les chanoines de Saint-Jeoire n'étaient-ils pas curés de Chignin et confédérés avec les Pères de Myans ? Aussi bien, sur cette terre de , où fleurissent nombre d'églises mariales célèbres dans le monde entier, connues, du moins, dans toute l'étendue du « Regnum Galliœ, Regnum Marice», il est malheureusement trop vrai que Notre-Dame de Myans est à peu près ignorée hors de la province de Savoie et des cantons limitrophes. Cette Pénombre, dans laquelle s'obscurcit la Vierge myanaise, n'est-elle point, un tantinet, le résultat du silence trop général gardé jusqu'ici autour de ce qui la concerne, de l'opacité du voile qui a recouvert, pendant le cours des âges, le mystère de ses origines, les curieuses vicissitudes de son oratoire, l'émouvante épopée des pèlerinages qu'elle a suscités, les annales séculaires du clergé très divers préposé à sa garde, et qui lut, ne l'oublions pas, l'agent Principal, le ministre indispensable de son règne. Ce n'est point, toutefois, que Notre-Dame de Myans ait été tenue sous le boisseau. De nombreux écrivains l'ont connue, glorifiée, ont répandu son renom, le bruit de ses bienfaits. Mais chacun d'eux n'a fait qu'explorer un coin de son champ d'action. Plusieurs, reproduisant de très près les données et souvent les Phrases mêmes du Plus ancien, se sont bornés à la nommer dans leur récit de la chute du Granier. Fodéré, sans doute, en sa « Narration historique » (1619), fournit des détails introu- vables ailleurs, sur la seconde moitié du xv- siècle. Mais il est d'un regrettable laconisme, en ce qui concerne le xvi. et les débuts du XVIIe. D'une « Histoire de Notre-Dame de Myans », par le Chartreux Dom Martin, annotée et augmentée vers 1670, par l 'Observantz*n Gaïus, il ne reste que le souvenir. Les XVIIe et xvm« siècles n ont vu paraître aucun autre ouvrage sur le sujet qui nous occupe. En la première moitié du siècle suivant, le chanoine Chevray fit imprimer une brochure qui, consacrée principalement à l'exposition des « Moyens pour faire avec fruit le pèlerinage à N.-D. de Myans », se limitait presque, du point de vue histo- rique, à vulgariser un petit nombre de faits ébruités avant lui. Vers le même temps, le docteur Gouvert publia sa « Notice sur les A bîmes de Myans », dont le titre cir- conscrit clairement l'objet. Bientôt après, parut (Chambéry, Puthod, 1856) un opus- cule qui reprenait en sous-œuvre la partie historique de Chevray, la diluait, y ajou- tait des citations, mais toutefois donnait le récit inédit de l'érection de la statue monumentale en 1855. Un autre opuscule, également anonyme : « Le Chemin du Saint-Rosaire érigé à Notre-Dame de Myans », paru en 1859, nous fournit une relation grandiloquente sur l'établissement des Stations du Rosaire. En 1860, le curé Dominique Pâquet, Par la voie de l' « Imprimerie Nationale », fait connaître au public les résultats de la M souscription pour la Statue monumentale de Notre-Dame de Myans et pour les Stations du Saint-Rosaire ». Cette dernière année voit venir au jour : « Notre-Dame de Savoie », de l'abbé Grobel, qui, en vertu même de son Plan, n'a droit de réserver qu'un espace très res- treint à la Vierge Noire de Myans. En 1862, c'est le tour du baron C. Despine : sa Plaquette : « Sanctuaire et-,Abîmes de Myans » révèle certaines particularités intéressantes, mais ne dépasse pas le cadre des œuvres précédentes. 1 Venons-en à deux auteurs Plus récents, que l'on peut assimiler à Fodéré, pour - l'importance des documents, qu'ils ont rassemblés, sans qu'aucun d'eux, au surplus, ait envisagé le sujet dans son ampleur. Tout d'abord, l'abbé Trépier, en ses « Recherches historiques sur le Décanat de Saint-André (de Savoie) ». Il a mis en bedette et en regard de nombreux textes historiques racontant la chute du Granier, s'est efforcé d'élucider les circonstances concomitantes de l'événement, dans leurs rapports avec Notre-Dame des Abîmes, a compulsé, publié, commenté les renseignements ecclésiastiques touchant la chapelle- église de Myans, extrait des textes originaux et fait imprimer la plupart des comptes rendus spécialement financiers des Pèlerinages chambériens à Myans (xve-XVIIIe siècles).De cette masse de documents, il s'est appliqué à tirer les conclusions naturelles et nécessaires, en faveur de la Vierge Noire et de son église : apport historique, certes, considérable et précieux, mais, comme on le voit, tout à fait fragmentaire. L'édition que nous avons sous les yeux est de 1879. ' En second lieu, l'abbé Maillet, qui a publié deux petits ouvrages. L'un, le « Pèlerinage de Myans », Savoie (1900) », consacre 130 pages, sur un total de 180, à reproduire presque exclusivement des faits déjà notoires. Le reste est un exposé inédit, mais trop succinct des modifications survenues dans l'église et le presbytère, de 1860 à 1900 : ouvrage également peu compréhensif, mais d'une lecture agréable et illustré de cinq phototypies. L'autre est un opuscule, paru en 1905, sous le titre: « Le Cinquantenaire et le Couronnements. On y raconte les fêtes célébrées à Myans, les 15-17 août 1905, pendant lesquelles la Vierge Noire fut liturgiquement couron- née, à l'occasion du cinquantenaire de l'érection de la Vierge monumentale. De plus, on y analyse deux gravures anciennes, conservées au presbytère, ainsi que des Homélies prononcées lors d'un pèlerinage de 1613. Ici encore, le lecteur s'en rend compte, le sujet est rapetissé, réduit à de simples épisodes.

1 Charles Buet, ne l'oublions pas, fit paraître : La Dame Noire de Myans, chronique du XIIIe siècle. Nous ne dirons rien de l' « Œuvre du Solennel Hommage », recueil, sans plus, de prières officielles, éditées par L. Bouchage, à propos d'un Pèlerinage de 1900, ni d'une « Notice Historique » de l'abbé Gex (1924), qui, en quelques- pages, fait part de ses vues sur les pèlerinages myanais au xx- siècle. L'anonyme « Guide illustré du Pèlerin » (1941 ), à côté d' « Illustrations intéressantes », réunit, en petit nombre, des notions nouvelles sur « les Vierges Noires » et sur des faits récents. Enfin, l'on annonce la publication imminente d'un travail du chanoine Garin sur Myans. Cette brève nomenclature des publications qui se sont occupées de la Vierge Noire souligne suffisamment les lacunes de son histoire. Origines probables de la statue traditionnelle, de son oratoire et de son culte, organisation de la paroisse primitive sous le patronage de la Vierge, statut de ses desservants initiaux, genèse et dévelop- pement chronologique des pèlerinages, annales suivies des Observantins myanais à travers les âges, ainsi que des Conventuels, qui leur ont succédé, leur rôle dans le duché de Savoie, leur suppression à la Révolution, pastorat des curés de Myans dans la première moitié du XIX- siècle, succession des divers Corps de Mission- naires diocésains jusqu'à nos jours : voilà nombre de sujets extrêmement importants, dont très peu ont été sommairement ébauchés, et la plupart, à peine effleurés. Telles sont les brèches que le modeste présent travail s'est efforcé de réparer. Le lecteur trouvera, au rayon de la Bibliographie, les sources auxquelles il a été donné de puiser. Malgré la longue liste des Imprimés qui s'y échelonnent, ce sont les sources manuscrites et inédites qui ont été incomparablement les Plus exploitées, les plus libérales et les plus abondantes. Les Archives départementales et les Archives paroissiales de Myans, entre autres, nous ont livré une luxuriante moisson de docu- ments. A propos de ces dernières, il convient de citer les principaux chroniqueurs, dont la plume défunte a conservé le souvenir des faits saillants, et plutôt modernes, relatifs à la question ici traitée : les curés Jolivet, Pollet, Claude-Michel Calloud, et surtout Pâquet, Peyssard, Maillet. Gardons-nous d'oublier le Père de Guiseuil, Jésuite, qui nous a envoyé des notes de première main sur la Période 1860-1877, et le P. Talon, auteur d'une petite notice touchant la Société des actuels Missionnaires diocésains. Quant aux sources imprimées, c'est à Fodéré, à Trépier et au P. Maillet, que nous sommes le Plus redevable. Les relations déjà publiées de certains pèlerinages, et de nombreux faits merveilleux attribués à la Vierge, ont dû être transcrits généra- lement dans leur intégrité, sous la responsabilité des premiers narrateurs. Inutile d'ajouter que notre texte tout entier se reconnaît justiciable des Bulles d'Urbain VIII sur cet objet. Un mot sur la disposition des matières et documents mis sur le tapis. La Vierge Noire, point central, vers quoi tout converge, est restée substantiellement la même, nonobstant les légères accommodations subies par l'oeuvre du sculpteur médiéval. Mais le cadre qui a contenu l'image vénérable, à savoir l'édifice consacré à lui servir d'habitation, a constamment évolué, soit dans sa structure intime, soit dans ses, annexes : agrandissements ou modifications architectoniques, territoire et nature de sa juridiction spirituelle, statut et genre d'activité de ses desservants, tantôt séculiers, tantôt réguliers, afflux plus ou moins grand des pieux visiteurs, caractères spécifiques des divers pèlerinages. Ecrire l'histoire de la Vierge myanaise, c'est donc narrer les vicissitudes du cadre qui renferme la statue millénaire, exposer les états successifs de sa chapelle- église, considérée dans ses développements matériels, mais surtout dans son rôle cultuel, relativement à la Vierge Noire. L'on est ainsi amené, après avoir scruté les origines de l'effigie sainte, à étudier la genèse de l'oratoire créé pour l'abriter, les destinées de ce dernier comme chapelle rurale, sa transformation en église observantine, puis conventuelle, sa désaffectation momentanée sous la Révolution, sa résurrection et sa survie, en tant qu'église paroissiale depuis le Concordat, les modalités de son existence actuelle. Et dans ce temple marial, qu'un perpétuel « devenir » achemine sans répit vers le mieux, l'on verra en action le clergé multiple qui le dessert, les fidèles qui y affluent de toute la région, et, par-dessus tout, la Vierge Noire qui y trône, recevant les hommages et les prières, répandant les grâces et les bienfaits. A propos de ces grâces et bienfaits, il est nécessaire de le répéter, les relations qui en ont perpétué le souvenir seront ici généralement reproduites dans leur texte originel, afin de ne pas les déflorer et d'en laisser la propriété et la responsabilité à leurs auteurs, Toutefois, l'adage : « Non nova, sed nove » trouve, en l'espèce, son application. Au lieu de les juxtaposer sans ordre rigoureux, à la façon des devanciers, l'on a tâché d'assigner à chacune une place approuvée par la chronologie, et adaptée au milieu historique : d'où résulte une Plus vive lumière, une compréhension amé- liorée. D'autre part, désireux d'aplanir les voies et d'assouplir notre exposé au gré et à la commodité du lecteur, nous avons eu soin d'élaguer du texte, et de renvoyer en note, au bas des Pages, toutes les notions purement documentaires ou simplement anecdotiques, aptes à être négligées, sans que soit coupé le fil du rée/it. Enfin, des gravures de choix illumineront le texte. 2 Voici une ou deux remarques sur certains termes ici employés. Pour désigner les Religieux établis à Myans de 1458 à 1793, les mots : Franciscains, Frères Mineurs, Cordeliers, seront écartés, parce que trop compréhensifs et donc, impropres. Seront uniquement utilisés, comme seuls adéquats, les noms d' « Observantins » (1458-1777), puis, de «Conventuels » (1777-1793). Le nom de chaque religieux sera ordinairement précédé du signe F. (Frère), ainsi qu'on le lit dans les signatures des actes authentiques. Le mot « sanctuaire » sera réservé à la partie de l'église contenant le maître autel et délimitée par de communion. Reste un dernier devoir à remplir : remercier les collaborateurs, sans qui l'œuvre ne fût point née : M. l'archiviste P. Bernard, qui, depuis dix ans, nous a départi, sans pouvoir les épuiser, les trésors de son obligeance et de sa compétence ; les Pères Missionnaires de Myans, dont les Archives, soit écrites, soit orales, nous ont été un élément, un renfort indispensable. Merci également à M. le chanoine Naz, qui a bien voulu relire le présent texte. Bon souvenir, enfin, aux municipalités des Marches et de Myans, à tous ceux qu'il serait trop long de nommer. 3

Et maintenant, parmi les innombrables offrandes déposées aux pieds de la , Vierge Noire de Myans par la piété et par le vœu des générations, veuille la Reine des Abîmes ménager un humble coin à ce livre, écrit à l'ombre de son oratoire, et offert, lui aussi, en ex-voto. Si elle daigne l'agréer, il aura, grâce à Dieu, frappé le but.

2 Le lecteur comprendra qu'en ces temps difficiles, il a fallu, sur ce terrain, se restreindre au strict nécessaire. 3 Le plan de l'église a été dessiné par M. Albert Girard-Madoux. D'autre part, un calque satis- faisant du vieux cadastre n'a point paru exécutable. BIBLIOGRAPHIE

NOTA : Plusieurs indications bibliographiques sont suivies de l'abréviation qui sera employée dans le corps de l'ouvrage.

I. — MANUSCRITS

I. — ARÇHIVES DE L'ETAT, TURIN (Inv. parz. di Savoia, N° 120) = A.E.T. II. — ARCHIVES DE LUCQUES. III. — ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L'ISÈRE = A.D.I. : G. IV. — ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA SAVOIE = A.D.S. 1° Sénat : Procès. - Registres ecclésiastiques = A.D.S. : S.S. 20 Série C. — Série H. — Série L. — Série Q = A.D.S. : C., etc. 30 Tabellion de Montmélian = A.D.S. : A.T.M. 4 ° Liasses non classées. V. — ARCHIVES DIOCÉSAINES DE CHAMBÉRY = A.D.C. 1° Regître du Diocèse de Chambéry, 1793-1802. 20 Visites épiscopales, 1781-1905. 30 Recueil de renseignements historiques (début xixe siècle). 40 Registres des correspondances épiscopales officielles (xixe siècle). 50 Officialité du Décanat depuis 1826. VI. — ARCHIVES DE MYANS. A. Paroissiales = A. P. M. a) Documents tomés : 1° Tome 1 er : Usages et événements, 1842-1858. 2° Tome II : Ephémérides, 1858. 30 Tome III : Statue monumentale, 1852-1859. 40 Tome IV : Mémoire sur le Sanctuaire, 1248-1860. 50 Tome V : Ephémérides, 1859. 6° Tome VI : Mémoire sur le Sanctuaire, 1248-1936. 70 Tome VII : « Registre paroissial, 1803-1887. » b) Documents non tomés : 1° Registres de catholicité, 1803-1908. (Onze numéros.) 2° « Cayer » Jolivet. Histoire de l'église de Myans, 1248-1822. 30 Ephémérides (sacristie), 1861-1863. 40 Double inventaire, 1861-1877. 50 Statuts des Missionnaires, 1877. 6° Travaux des Missionnaires, 1889-1918. 70 Registre des prêtres-pèlerins, 1893-1917. 8° Feuilles détachées. B. Communales = A.C.M. 1° Délibérations du Conseil municipal, 1880-1920. 20 Cadastre contemporain. VII. - ARCHIVES DES MARCHES. A. Paroissiales - A.P.L. Registres de catholicité, 1686-1803. (Six numéros.) B. Communales — A.C.L. 1° Délibérations du Conseil municipal, 1822-1880. 20 Cadastre de 1738. 30 Journalier, 1739-1832. 40 Livre des transports, 1762-1803. VIII. — ARCHIVES PAROISSIALES DE : CHIGNIN = A.P.C. — FRANCIN = A.P.F. St-BALDOPH = A.P.B. St-jEOIRE = A.C.J. 1 IX. — GEX (F.). Notes inédites sur les pèlerinages de Saint-Pierre d'Albigny.

II. — IMPRIMÉS

ALBANIS BEAUMONT. Description des Alpes... in 4", Paris, 1866. ALLOBROGE. Revue scientifique et littéraire..., Grenoble, 1841. Anonyme. Notre-Dame de Myans, Chambéry, Puthod, 1856. Anonyme. Le Chemin du Saint-Rosaire, Chambéry, Place St-Léger, 1859. Anonyme. Guide illustré du Pèlerin, 1941. BELLET. Histoire du Cardinal Le Camus, Paris, 1886. BERNARD DE MONTMÉLIAN. Histoire de Sainte Solange, Paris, 1878. BESSON. Mémoires pour l'histoire ecclésiastique... Nancy (Annecy), 1759- BILLIET (Mgr). Mémoires pour servir àl'hist. eccl..., Chambéry, 1865. BOUCHAGE (F.). Joseph-Marie Favre, Paris, 1901. BOUCHAGE (L.). L'Œuvre du Solennel Hommage, Chambéry, 1901. BOURBON. Vie de M. de Bretonvillers, in-18, Paris (vers 1673).. BRÉHIER. Les Vierges Noires, Comptes rendus des Séances de l'Académie des Ins- criptions et Belles-Lettres, 1935. BRUCHET (M.). La Savoie d'après les anciens voyageurs, Annecy, 1908. BUENNER. Saint-Joseph Lez-Grenoble, 1934. BUET (Charles). La Dame Noire dp, Myans, Chronique du xme siècle. BURLET (J.). Les Cordeliers de Chambéry, 1777 à 1793, Chambéry, 1894. BURNICHON (le P.). La Compagnie de Jésus en France, 1814-1914. T. III, Paris 1919. CAMUS (Mgr). Premières Homélies divines..., Cambrai, 1620. CAPRÉ DE MÉGÈVE. Traité historique de des Comptes de Savoye, in-4°; Lyon, 1662. CARTIER (A.). Chignin-en-Savoie, Paris, 1938. — Le Prieuré de Saint-Jeoire (Savoie), Chambéry, 1941. CHAMOUSSET (Abbé). Le Marais du Chêne, Chambéry, 1867. CHAPPERON (T.). Chambéry à la fin du xive siècle, Paris, 1863. CHAUGY (Mère de). Vie et vertus de Jeanne-Françoise de Chantal, Paris. CHEVALIER (U.). Visites pastorales... (Evêques de la Maison de Chissé), Lyon, 1874. CHEVRAY (Chne). Notice historique sur Notre-Dame de Myans, Chambéry, 1848. COCHON (J.). L'église des Cordeliers..., Chambéry, 1918. COLLIN DE PLANCY (L.). Légendes des Saintes Images. Paris, 1862. CONSEIL (Mgr). Instruction du ministère pastoral, Annecy, 1786. Constitutiones Urbance Ord. Fratr. Min. Sti Francisci Conv. Venetiis, 1741. Courrier des Alpes, 1850-1860. CROISOLLET (F.). Histoire de Rumilly, Supplément, Rumilly, 1882. CUAZ (E.). Histoire... des Célestins, Lyon, 1902. DESPINE (C.). Sanctuaire et Abîmes de Myans, Annecy, 1862. DROCHON (P.). Histoire illustrée des pèlerinages français de la S te Vierge, Paris, 1896. DUPLAN (A.). Les Cordeliers à Evian, Ac. Chablaisienne, T. XXIII, 1909. DURAND-LEFEBVRE (M.). Etude sur l'origine des Vierges Noires, Paris, 1937. Elucidatio separationis Fratrum de Observantia ab aliis, Paris, 1499.

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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

La protohistoire 1

PARAGRAPHE PREMIER : La Vierge de Myans

Les moraines glaciaires. — La moraine myanaise. —■ Le front nord. — Le flanc occidental. — Le front sud. — Le flanc oriental. —■ Le site mariai. — Un triptyque. — Vocables archaïques. — Etymologie. — Le « haut lieu ». — Un temple païen. — Substitutions de culte. — Transition lente. —■ Triomphe de Marie. — Genèse de la statue noire. — Carence de Saint Luc. — Hypothèses : La survie d'une idole. — Une importation orientale. — Un don du ciel. — Une œuvre de chez nous. — En bois de chêne. — Noircissement. — Le double entoilage — Précellence de la couleur noire. — « Nigra » sum. — Les idoles noires de l'anti- quité. — La poésie à la rescousse. — Iconographie copte. — Le « type » hébraïque. — La floraison des Vierges Noires. — Une mise au point.

En évacuant la cluse préalpine de Chambéry, les glaciers2 ont allongé, le plus souvent du nord-ouest au sud-est, des bourrelets morainiques presque parallèles à la vallée. L'un d'eux, vers l'angle sud-ouest de cette combe savoyarde, saille entre la muraille du Granier et la montagne de Chignin, à quelque huit kilomètres de la première et environ trois de la seconde. Son altitude accuse 331 mètres. Le front nord s'abaisse par ressauts irréguliers, qu'habillent, au cœur de l'été, des vignes aux reflets cuivrés, emmêlées de prairies et ponctuées d'arbres divers. A mi-côte, somnole un groupe de maisons vieillottes, arborant de capri- cieux pignons. Le pied plonge en un pré-marais ou heurte des champs acculés aux méandres du Bondeloge 3, dont le flot menu gazouille sur les viscosités des cailloux. La ramure des hauts peupliers riverains frémit, inclinée vers le sud par la « traverse » du Nivolet, comme on voit, à Paphos, en Chypre, les faux- poivriers tordus par les vents du large. Au creux des saules crépusculaires, les nocturnes préludent à leur hululement. L'angle nord-est se relie à la moraine de Saint-Jeoire par un seuil, au travers duquel la voie ferrée Chambéry-Turin fore une tranchée profonde, tandis que l'angle nord-ouest s'amortit dans un ensellement séparatif de la moraine de

. 1 La protohistoire, en l'espèce, embrasse les temps antérieurs aux Cartulaires de Saint Hugues (IIOO). 2 Les géologues affirment qu'à deux reprises les glaciers de Beaufort, de l'Isère et de l'Arc ont envahi et recouvert la cluse de Chambéry. 3 Ruisseau qui prend sa source dans le lac des Pères ou de Tirebuche, puis s'infléchit vers le sud, séparant Myans et les Marches de Saint-Jéoire et de Chignin, et va se jeter dans l'Isère. Chacusard 4, d'abord basse, vallonnée, puis s'élevant progressivement jusqu'aux abords du hameau de ce nom. En résumé, ce front nord tombe assez brusquement. Celui de l'ouest, au contraire, développe une inclinaison insensible. Ses reliefs, aussi bien, ne sont point l'œuvre exclusive des glaciers. Un autre agent naturel, que nous définirons bientôt, a charrié là des matériaux associés à la moraine primitive, ménageant une déclivité adoucie et prolongée à distance, sous un tapis de luxuriante végétation. Cà et là, des carrés de tuiles, diversement nuancés au cours des ans, recouvrent des centres de vie humaine. En avançant vers le sud, les surfaces deviennent plus raboteuses, plus accidentées, piquées d'irré- guliers menhirs, telles des bouées improvisées sur une mer en mouvement. Vers l'extrémité sud-ouest, non loin des maisons, deux buttes évoquent la silhouette de boulets lancés par une artillerie titanesque. Le front méridional de la moraine se façonne tout pacifiquement en plan de Galilée, sectionné par la route de Myans à Saint-André 5, étalant ses cultures et ses inflexions, avant de s'abîmer dans une blachère 6, où croît un maigre foin de marais. Quant au flanc oriental, il intéresse spécialement notre sujet, parce qu'il a mieux su garder son anatomie primordiale, et qu'il a des rapports plus étroits avec la Vierge Noire. Les pentes sont généralement plus prononcées, abruptes vers le nord, modérées au centre, par suite d'une sorte d'effondrement de ce pla- ( teau inégal, humanisées, dirai-je, au midi, par un succession de murs de soutène- ment, voire par la création de jardins suspendus. Le profil septentrional dresse et arrondit comme une croupe, sur laquelle se hérissent des haies et des rochers, dominés par des bosquets ombreux. Puis, la ligne de faîte s'incurve en arc légèrement concave, frangé de hutins 7, bu funèbrement crénelé de monuments aux morts 8. Elle se relève, tout au sud, en un haut lieu, pour porter la pittoresque bourgade de Myans. Celle-ci, dans sa symétrie, offre à l'œil un tableau trigéminé. La Vierge colossale, ainsi qu'il sied, culmine au centre, répandant ses reflets d'or et ses bénédictions, du haut de sa tour accolée à l'église, qui, de son côté, élance vers l'azur sa très svelte abside, son toit aigu, son campanile effilé. La Vierge et son église, pôle magné- tique de la piété savoisienne, s'encadrent, à droite, des édifices modernisés du vieux couvent ; à gauche, d'un « lucus », bois sacré, qui associe les pins grêles aux immenses marronniers. Ce volet central a pour compléments, au midi du couvent, la noire futaie d'un marmenteau, et, au nord du lucus, un lot de maisons ancien style, représentant la localité, qui se dissimule à l'arrière-plan.

4 Anciennement Jacusa, hameau de la commune des Marches jusqu'en 1880, et aujourd 'hui, de celle de Myans. 5 Hameau sis à l'extrémité sud-ouest de la commune des Marches. 6 Voir CHAMOUSSET : Le Marais du Chêne... Chambéry, 1867. 7 Files de ceps arborescents, disciplinés par des fils de fer et de hauts piquets et appuyés sur l'érable ou le cerisier. 8 Cimetière de Myans, inauguré en 1900. 1 . Tel est, en raccourci, l'aspect de la colline de Myans 9, une « Colline inspirée », elle aussi, une colline « médiane », dont le parfum embaume les deux vallées qu'elle sépare. L'on ne s'étonnera mie qu'elle ait été élue comme centre d'un culte religieux. N'est-elle pas un de ces hauts lieux que, de tous temps, l'homme a érigés en escabeaux, pour se rapprocher de la divinité et lui offrir, de plus près, si l'on ose dire, ses hommages ? Le rocher de l'Acropole, vous le savez, est l autel géant que les Athéniens dédièrent à Minerve, protectrice de leur cité. Rome gravissait le Capitole pour brûler son encens en l'honneur de Jupiter « très bon et très grand ». Bien mieux, n'est-ce pas sur le tertre de Silo, que, plusieurs siècles durant, trôna l'arche d'alliance, sur le Mont Moriah, que Salomon dressa le premier temple du vrai Dieu ? La colline de Myans était donc naturellement appelée à jouer un rôle religieux, avant même l'ère chrétienne, au sentiment du célèbre voyageur Albanis-Beau- mont 10. «En visitant les environs du couvent de Myans, écrit-il, il m'a paru qu'il y avait anciennement sur ce même local un temple de construction romaine ; il y existe même encore dans une des faces du mur du couvent, du côté du couchant, les fragments d'une pierre votive11 ; mais comme la partie supérieure de l'inscription, qui indique en général la divinité à laquelle on s'adressait, est brisée, il n'est possible de connaître à quel dieu ce temple était consacré. » Grâce à certaines substitutions de culte historiquement constatées en plus d'un lieu, il n'est pas absurde de penser que le temple myanais, vis-à-vis de celui de Mercure, qui, croit-on, couronnait les hauteurs de Chignin 12, était

9 Quelques lecteurs sauront gré de trouver ici les formes différentes qu'a revêtues, au cours des âges, le nom du domicile de la Vierge Noire : Mea, vers 1100. Cartulaire de Saint Hugues, N° 43, p. 216. Decimœ de Mean, vers IIOO. IIIe Cartulaire de Saint Hugues : C. N° 43. Ecclesia de Meianes, vers 1100. Ibid., Ne 1. Ricardus de Meians, vers IIOO. IIe Cartulaire de Saint Hugues : C. N° III. Actum apud Mians, 1248. Cartul. ms d'Aillon, N° 92. Capella de Means, 1340. U. CHEVALIER : Visites Chissé, p. 24. Domina de Myano, 1466. ARMORIAL, V. CLERMONT. Beata Maria de Mvanis, vers 1500. CHAPPERON : Chambéry..., p. 407. Monasterium de Myannis,- 1551. A.D.I., Série G., ann. 1551. Cosnobium, quod Amianum vocatur, vers 1550. AYMAR DU RIVAIL, ms, f° 27. Mianum loco nomen est, vers 1560. PINGON : Chronicon, ms, f° 332. Myans. Annuaires officiels de la Savoie. Folklore.

Quant à l'étymologie de ce nom, plusieurs tentatives de solution s'affrontent. Myans, d'après la première, équivaut à Mi-an, soit moitié d'année, parce que les pèlerinages s'y font pendant « six mois n, d'avril à septembre. (A. PILOT : Fêtes et coutumes du Dauphiné, Grenoble, 1841, p. 60-61.) Albanis-Beaumont tire Myans de Mi-land, mot qui, dit-il, signifie « terre de Mercure », en raison d'un temple élevé à ce dieu en cet endroit. (ALBANIS-BEAUMONT, Description... III,p. 500). Selon P. Maillet, Myans vient de Mea, Mean, vocable folklorique, avec le sens de « passage d'un point à un autre ». Ce lieu, en effet, était emprunté par les piétons pour se rendre de la colline de Chignin à celle de Myans. (MAILLET : Pèlerinage..., p. 18.) Enfin, une dernière interprétation, plus récente et plus sûre, est apportée par M. le chanoine A. Gros : Myans, ou plus logiquement Mians (jadis Meians), reproduit Medianus, médian (A. GROS : Did. étym., v. Myans). Effective- ment, ajouterons-nous, Myans, sur sa hauteur, est mitoyen, « mi-lieu ,, entre la vallée du Bondeloge et l'ancienne vallée de Saint-André. De plus, la disparition du d latin dans le mot français dérivé est un phénomène amplement constaté par les lois qui règlent la question. Ainsi en est-il également pour le mot Mediana (Vinea de Mediana : TRÉPIER : Doc., p. 266) qui, en italien, donne Meana (Piémont). Des homonymes savoyards se présentent à la mémoire : Grand-Méan, glacier aux sources de l'Arc ; Puy-Méan, commune de . 10 Jean-François Albanis-Beaumont, né à Chambéry., ingénieur, architecte, écrivain, mort à Sixt, en Faucigny (1753-1811). ! 11 Ce monument a disparu depuis, semble-t-il. 12 V. A. CARTIER : Chignin-en-Savoie, p. 97. inféodé à une déité féminine : Diane, peut-être, la «chaste sœur d'Apollon », ou Cybèle, la « bonne déesse », ou enfin, une divinité indigène 13, destinée à représenter, bien que confusément, la femme qui, au premier feuillet de la Bible14, était annoncée comme la libératrice du genre humain. Si véritablement l'une de ces idoles a été adorée à Myans, le passage dû paga- nisme à la foi chrétienne, à la croyance en la Vierge Marie, a dû être facilité, au sein des familles gallo-romaines. Il en fut ainsi, par exemple, à Larnaca (Chypre), où l'auteur du présent ouvrage a vu les foules honorer la « Panaghia », la Toute-Sainte, dans un ancien temple d'Aphrodite (Vénus), et dans la Haute- Egypte 15, où il constata que Je vrai Dieu a remplacé le dieu Amon-Rà dans cer- tains «naos» pharaoniques. Supposition d'autant moins absurde, qu'en nos régions, s'était propagé le culte des Déesses-Mères qui, disent tels historiens, affectaient précisément l'attitude donnée à la Vierge Marie tenant l'Enfant Jésus 16. Dans le cas où l'on contesterait l'affirmation d'Albanis-Beaumont relative à son temple myanais, où l'on nierait avec preuves que la Mère de Jésus ait succédé, sur place, à une déité païenne, le problème de l'origine du culte de Marie à Myans resterait insoluble, sans néanmoins compliquer, outre mesure, la ques- tion qui nous retient, à savoir, une enquête sur l'apparition première de notre Vierge Noire. Il n'est point superflu de remarquer, à ce sujet, qu'à Myans comme ailleurs, ce n'est pas sans peine que Marie a supplanté les idoles dans l'esprit et le cœur des premières générations de l'ère chrétienne. Sans faire état des traditions suivant lesquelles on aurait élevé des autels à Marie, dans Jérusalem ou au Mont-Carmel, même avant sa mort, il est à croire que, peu après son envol vers le ciel, la terre d'Asie, ce berceau des religions anciennes, lui ménagea des oratoires. De là, son culte passa bientôt en Grèce et dans les Iles, puis en Italie et à Rome, où le Pape Calixte 1er dédia une chapelle à « N.-D. au-delà du Tibre ». La Gaule vint à son tour : les menhirs druidiques se couronnèrent d'une croix et les chênes panachés de gui reçurent, dans leurs flancs, des images de Marie 17. Le Concile d'Ephèse (431), en affirmant sa Maternité divine, avait donné un élan incomparable à l'expansion de son culte. Toutefois, l'évolution est généralement lente dans le tréfonds de l'âme populaire, dans les couches réfractaires des masses campagnardes. Il est donc difficile de rien soutenir avec certitude sur le moment précis où Marie s'imposa. Il est à présumer, néanmoins, que son intronisation n'est point postérieure à,la fin du VIe siècle. Les historiens, en effet, concordent à établir qu'au siècle suivant, toutes les déesses païennes avaient cessé d'être adorées nominativement. A la tremblotante lueur de ces données, demandons-nous à quelle époque prit corps la Vierge Noire de Myans et quelle main la façonna. Fut-elle, comme l'insinue le « Novum Theatrum Pedemontii... », l'œuvre de Saint Luc, «Opus, ut credunt, B. Lucœ » ? Rappelons-nous que cet Evangéliste était médecin.

13 V. BURLET : La Savoie avant le Christianisme, Chambéry, 1901, passim. 14 A Chartres, les druides adorèrent une statue de femme assise, tenant un petit enfant sur ses genoux. -'Cf. A. CARTIER : Croquis chypriotes, p. 247. — Profils d'Egypte, p. 59 et suiv. 16 Voir PLAISANCE, op. cit. t. I, p. 51. — Cf. Encyclopédie des Sciences religieuses, t. V, p. 433. . 17 Cf. ORSINI, op. cit., p. 331 et suiv. Mais nul argument irréfutable ne prouve qu'il fut aussi peintre et sculpteur18. Aucune toile ou statue ne peut lui être authentiquement attribuée. Saint Augus- tin écrit que les traits de Marie sont inconnus 19. Conséquemment, ils ne nous ont pas été transmis par Saint Luc. Notre Vierge n'a donc point cette illustre origine. Mais le simple fait d'être mise, par la légende, sous le patronage d'un contemporain des Apôtres, lui vaut, si l'on peut ainsi parler, un brevet de grande ancienneté. Si elle n'est point de Saint Luc, quel autre artisan l'a sculptée ? Doit-on voir en elle, selon l'opinion d'Emile Plaisance, « une statuette de déesse-mère, noircie par un long séjour dans le sol » et ramenée au jour par hasard ou par miracle 20 ? Fut-elle, conformément à la tradition relative à N.-D. d'Antioche (Madrid) ou de Boulogne-sur-Mer 21, apportée d'Orient par quelque bourdonnier des premiers âges, tels le « Pèlerin de Bordeaux » (333), la Galicienne Ethérie (vers 385) 22, voire, avant eux, Saint Pothin, venu à Lyon (117), avec, dans une main, l'Evangile et, dans l'autre, l'image de la Vierge, afin de montrer que le culte de la Mère est inséparable de la religion du Fils ? Irons-nous même, pour ne point négliger certaines légendes, jusqu'à nous demander si la Vierge de Myans n'aurait pas la même origine que le monastère cyprien d'Achéropitou, dont le nom signifie qu'il n'a point été fait de main d'homme 23 ? Il serait trop long d'instituer un débat sur chacune de ces questions, aux- quelles nous croyons pouvoir répondre négativement. Il semble que, selon toute probabilité, la Madone myanaise est l'œuvre d'un artisan de chez nous, ermite, cénobite ou simple ouvrier façonnier, qui avait voué son travail à la Mère de Dieu ou gagnait sa vie en ce genre d'occupation. Il a tiré cette statue d'un bois, dont aucun expert jusqu'ici n'a défini l'essence. L 'on connaît des Vierges anciennes exécutées en cèdre, en olivier, en noyer, en ébène, en vigne, en ormeau, en chêne. Nous avons en notre possession une parcelle du bois de la statue myanaise, recueillie en 1902 24. Elle a la nuance ocre rouge atténuée ; elle est devenue spongieuse à la façon du liège, avec filaments intérieurs assombris ; une poussière très ténue s'en dégage. Tout ceci invite à conjecturer que la Vierge est en bois de chêne, et qu'en sortant des mains de l 'ouvrier, elle arborait une belle couleur d'ocre rouge ou jaune.

Et aujourd'hui, c'est une Vierge au visage d'un noir de jais qui pose sous nos yeux. Par suite de quel phénomène le décor a-t-il changé ? Par le noircissement, semble-t-il, ainsi qu'on le constate au Musée de Cluny (Paris), dont une Vierge a le visage noir, alors que des traces de couleur ocre ont subsisté dans les plis - des vêtements 25. Le séjour prolongé dans un lieu humide, l'exposition assidue a la fumée des cierges et de l'encens, l'altération chimique du bois, la caresse

18 DURAND-LEFÊBVRE, Op. cit., p. 109 et suiv. — MARTIGNY, op. cit., p. 660. 19 De Trinitate, VIII. 20 Voir aussi GROBEL, op. cit., passim. 21 L. GARRIGUET : Mois de Marie, p. 193. GAMURRINI : Sancttz Sylvice perégrinatio ad Loca sancta, Rome, 1887. 23 Voyage à Chypre, sept. 1919. — Cf. René DELAPORTE : L'Ile de Chypre, p. 184 et suiv. Donnée par P. Maillet à l'abbé Quenard, aumônier de Saint-Anthelme. 25 DURAND-LEFEBVRE : op. cit., p. 107 : Catalogue des objets de bois, B. 116. d'une flamme d'incendie : voilà d'indéniables agents de noircissement, surtout avec la complicité des ans et des siècles. Vint l'heure où ce bois vénérable, sous la morsure du temps et des éléments, fit craindre qu'il ne s'effondrât sur lui- même. Il fallut l'étayer, lui rendre, de quelque façon, sa consistance et sa fixité. D'après le témoignage d'un religieux qui s'est assuré du fait par lui-même, et dont nous transcrirons plus loin les paroles, l'opérateur médiéval ne trouva rien de mieux que de coller, sur le bois de la statue, une première toile blanche, puis une toile cirée 26 : procédé analogue à celui que l'on constate avoir été pra- tiqué à Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme), où N.-D. du Mont Cornadore 27 a son bois de chêne recouvert de toile marouflée. Celui des gardiens séculaires de la Vierge, qui a pris ces dispositions pour la conserver, a-t-il également apposé sur son visage le masque noir que nous lui voyons aujourd'hui ? Le témoin que nous avons cité en convient implicitement, car il ne fait aucune restriction. Dans ce cas, la toile aurait simplement perpétué la couleur que le bois avait revêtue par le noircissement. Mais pourquoi avoir stabilisé cette obscure teinte donnée par la vétusté à une matière primitivement ocreuse, et représentant la Vierge « belle comme la lune, éclatante comme le soleil » 28, Marie, fille d'Anne et de Joachim, de la tribu de David et donc, d'au- thentique race blanche ? A cette question, plusieurs réponses peuvent être proposées. Au siècle où se produisit ce menu événement, l'on était particulièrement féru de la Bible et . des gloses dont on truffait le texte inspiré. Or, le premier chapitre du Cantique des Cantiques attribue à la Sunamite, figure et porte-voix de la Sainte Vierge, les paroles suivantes : « Nigra sum »29, je suis noire. C'en fut assez, peut-on croire, pour que notre artisan, exégète superficiel, infligeât à son personnage sémitique le plus beau noir de jais qu'ait arboré une descendante de Cham. Mais avait-il songé que la Sunamite avait tenu un langage probablement méta- phorique, parlant des propriétés de l'âme plutôt que des attributs corporels ; que le mot hébreu 30 prononcé par elle et fautivement traduit par « Nigra » signifiait, non point noire, mais simplement, brunie, hâlée par le soleil ; que la couleur noire, apanage des nègres, impliquait nécessairement cheveux crépus, grosses lèvres, nez épaté, mâchoires proéminentes ? Une indigène du centre africain ne saurait avoir les traits d'Hérodiade ni de Salomé. Ou bien, notre opérateur a-t-il tiré sa prédilection pour la couleur noire, du prestige religieux dont elle jouissait déjà dans l'antiquité païenne, et qui l'entoure encore de nos jours 31 sous certaines latitudes ? L'on n'a pas oublié que le dieu d'Emèse, qui eut pour grand prêtre l'empereur Héliogabale, se présentait sous la forme symbolique d'une pierre noire conique 32. Noirs également, les bétyles de Cybèle à Pessinonte et d'Aphrodite à Paphos 33, le buste de Diane à Ephèse 34.

26 A.P.M., : « Sacristie ». 27 DURAND-LEFEBVRE, op. cit., p. 28. 28 Cani. des Cantiques, chap. VI, v. 9. 29 Cant. des Cantiques, chap. I, v. 4. 30 Le mot « schechora ». ' 31 A la Mecque, la pierre noire de la Caaba s'offre aux baisers rituels des actuels « hadjis » ou pèlerins musulmans. 32 Voir Lampride, dans Panckouke, 2e série, Paris, 1847. 33 L. HOURTICQ : Vie des Images, p. 143. — L'historien Tacite en donne une description. (Voir � A. CARTIER : Croquis chypriotes, p. 334.) 34 C. PICARD : Ephèse et Claros, p. 474. Cérès, dans une grotte du Péloponèse, était appelée la « Noire » par ses adorateurs 35. La poésie contemporaine de ces noires divinités vient à la rescousse. Rappelez- vous le héros mythologique Persée, épris de la princesse Andromède : « Candida si non sum, placuit Cepheia Perseo Andromede, patriœ fusca colore suce » 36, et la leçon de choses donnée par le berger sicilien : « Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur » 37. Peut-être encore, le moine qui maroufla la Vierge de Myans attribuait-il, à la couleur noire, la vertu esthétique que lui octroie l'iconographie copte 38, au pays même d'Andromède, fille de Céphée. Là, sur les iconostases souvent poussiéreuses, l'Apôtre Saint Pierre, à qui l'artiste entend concéder toutes les qualités idéales du corps et de l'âme, montre un « faciès » d'un ébène renforcé, tandis que Judas l'Iscariote, objet de répulsion, n'a en partage qu'un glabre d'une « candeur)) japhétique. On jurerait vraiment que la Vierge myanaise, qu'un de nos historiens qualifiera « noyre en éthiopienne», appartient à cette école. Au surplus, aurait-on prétendu, par cet obscurcissement du bois de la statue, reproduire le type hébraïque des «filles de Sion», auquel appartient la Vierge ? En ce cas, il est permis de reconnaître que la tentative n'a pas été couronnée de succès. Nous avons parcouru à loisir et à plusieurs reprises les Lieux Saints, Palestine, Judée, Galilée, pays d'origine de Marie, avec le souci constant d'y ^ retrouver des traces rappelant Jésus et sa Mère 39 : nous n'avons rencontré, en aucune localité juive ou arabe, type humain, dont le teint ou l'anatomie ait été l'objet d'imitation dans nos représentations occidentales de la fille d'Anne et de Joachim, y compris notre Vierge Noire. Quoi qu'il en soit de ces considérations, il est un fait qui pourrait, à lui seul, trancher la question. Pareille coloration serait un produit de la mode intro- duite par la luxuriante floraison des Vierges Noires peintes et sculptées, qui prirent naissance à maintes époques 4°. L'auteur très érudit d'une « Etude sur l'origine des Vierges Noires » a, dit-il, recensé 272 peintures ou statues de ce genre. Encore n'a-t-il pu repérer la totalité de ces œuvres, telle la Vierge Noire de Rochemelon. (Piémont) « qu'il suffit d'embrasser pour obtenir la guérison de tous ses maux 41. Le lecteur curieux trouvera dans ce substantiel ouvrage une nomenclature que nous ne pouvons même amorcer. 42 Quant à la Vierge de Myans, nous clorons ici provisoirement le paragraphe

35 Voir Dict. des Ant. de Saglio, Article Cérès, par Fr. LENORMAND. 36 OVIDE : Héroïdes, Ep. XV, v. 35-36. La « poétesse x Sapho s'adresse au jeune Phaon : Peu importe le teint de mon visage, car « Andromède, fille de Céphée, noire en Ethiopienne, ne déplut point à Persée ». Rappelons, pour mémoire, que la femme de Moïse était une Ethiopienne : « jEthiopissa » (Num. XII. 1). 37 VIRGILE : Eglogue II, v. 18. « Le troëne est blanc : on le laisse tomber ; le vaccinier est noir : on le recueille. » 38 Les Coptes sont les chrétiens d'Egypte et d'Ethiopie. 39 Voyage en 1912. Séjour en 1926 et 1927. 40 Nous ignorons l'auteur de la Vierge Noire. Connaît-on davantage l'architecte des Pyra- mides, celui de N.-D. de Reims, l'auteur de l'Iliade, le statuaire de la Vénus de Milo, les peintres et les mosaïstes de Pompéi ? 41 A.-J. Du PAYS : Itinéraire de l'Italie et de la Sicile, p. 160. 42 DURAND-LEFEBVRE, op. cit. qui concerne spécialement la statue, et qui a fourni des données suffisantes pour que l'on prenne intérêt à ses annales. Dans le cours de l'ouvrage, au gré des conjonctures, des détails s'ajouteront, pour rafraîchir les notions initiales, en attendant que les dernières pages du livre, achevant le portrait, tâchent de laisser dans le cœur et l'esprit du lecteur, comme bouquet spirituel, le souvenir vivant de N.-D. de Myans, la foi agissante qui l'enrôlera sous ses drapeaux.

PARAGRAPHE II : Son gîte

Le domicile de la Vierge. — Hypothèses admissibles. — Les migrations. — Le site actuel. — Le fondateur initial. — Intervention épiscopale. — Les pèlerinages. — Lieux privilégiés. — Pèlerinages non chrétiens. — Jérusalem et Lourdes. — Pèlerinages régionaux. — Myans. — Silence des chroniques. — La paroisse. — Matière du présent ouvrage. — Son plan. — Lacune à combler.

A l'instar des principales divinités païennes, la Vierge de Myans n'était point sans domicile, sans au moins un «sacellum», une petite enceinte en plein air, que lui aura préparée une main pieuse. Habita-t-elle, au début, comme telles autres Vierges primitives, le creux d'un chêne, l'anfractuosité d'un rocher, le fond d'une grotte ? Elut-elle séjour, si l'on peut dire, dans une chaumine en bois ou, au contraire, dans la villa élégante de l'un de ses fidèles, au lieu et place du lare ancestral1 ? Fut-elle sujette à des migrations, sous la pression des circons- tances, ainsi que Notre-Dame de Saint-Etienne de Grés, qui fut conservée à Paris, successivement dans la rue Soufflot, puis rue de Sèvres, et qu'on honore maintenant à Neuilly 2 ? Ou bien, a-t-elle été simplement apportée du monas- tère de Granier ? En toute occurrence, dès les premiers balbutiements de l'histoire, la Madone myanaise nous apparaît en possession de l'oratoire qu'elle occupe encore de nos jours, et dont les origines sont aussi mystérieuses que sa genèse propre. Peut-être remplaça-t-il, sur la corniche orientale de la moraine, le temple païen duquel Albanis-Beaumont a conjecturé l'existence. C'est ainsi que la cathédrale de Syracuse s'est substituée à un temple de Minerve. D'autre part, continuerait- il la chapelle privée d'une villa toute voisine, repérée en ce lieu par le même auteur ? L'on a, dit-il, « trouvé en bâtissant une des ailes du couvent, vers le commencement du siècle dernier (xviie siècle), un petit pénate de bronze qui a été vendu, un peu avant la Révolution de France, à un amateur de Grenoble, ainsi que quelques médailles romaines » 3. A ces demandes encore, la réponse ne saurait être de tout repos. Probablement, notre oratoire aura pris forme sous la direction d'un choré- vêque4, sinon à la fin de l'époque gallo-romaine, du moins aux temps mérovin- giens, ou carolingiens, au moment où le culte chrétien commençait à s'orga-

1 Dieu domestique veillant sur la famille ou sur les dons que dispensent les Pénates. 2 DURAND-LEFEBVRE, op. cit., p. 41. — ORSINI, op. cit., p. 616, cite Notre-Dame de Vivonne- en-Savoie, découverte grâce aux signes de respect donnés par des animaux passant près du lieu qui la dissimulait. 3 ALBANIS-BEAUMONT, op. cit., t. III, p. 500 et suiv. 4 « Evêque de village », vicaire de l'évêque diocésain, organisant le culte en son nom à travers le diocèse. niser dans les campagnes. Notre région, qui eut pour chefs religieux, d'abord les évêques de Lyon ou de Vienne, fut soumise, vers 381, à celui de Grenoble. Ses délégués eurent mission de pourvoir à l'érection des édifices cultuels. Ce qui aura aiguillé vers Myans la sollicitude du messager épiscopal, ce furent, sans doute, les faits merveilleux attribués par les fidèles à l'intervention de la Ma- done locale : apparitions, guérisons instantanées, préservation des fléaux naturels, bienfaits extraordinaires. Qui donc, avant les apparitions de la Sainte Vierge, songeait à la montagne de la Salette 5 ou à la grotte de Massabielle 6 ? Et ces événements insolites, ces miracles, dont la mémoire des hommes a oublié les circonstances et la nature, ont automatiquement orienté vers la colline prédestinée de Myans, ces pèlerinages, que le présent travail a surtout pour but de mettre en relief, car ils sont l'œuvre et la gloire de la Vierge Noire.

Le Dieu créateur de la terre et du ciel a le don d'ubiquité. En tout lieu 7, il lui est donné de recevoir les adorations et les prières de l'homme. En tout lieu, ses saints peuvent être honorés et invoqués. Il est, néanmoins, des endroits privilégiés, où Dieu accueille plus volontiers les hommages et les vœux de ses créatures, où les saints de Dieu agréent plus favorablement la visite de leurs amis d'ici-bas. Rien de plus naturel, dès lors, que ce phénomène des pèlerinages, déclenchés vers les lieux marqués d'un signe divin et sanctifiés par leur contact avec la divinité, avec quelque saint personnage, ou même, simplement, avec certains objets devenus reliques insignes, vers les endroits où, par suite, les grâces et les bienfaits d'en haut coulent plus facilement et plus abondamment. Les païens, déjà, ressentaient ce besoin inné et, autant qu'il était en eux, recherchaient ces avantages. Voyez les Grecs, les Romains affluer à Epidaure 8, où ils cherchent la guérison du corps, à Eleusis 9, qui leur vaudra la faveur d'être admis aux grands mystères, d'être élevés au rang d'éphores 10 et de voyants. Suivez des yeux ces Egyptiens et leurs nefs bruyantes, voguant sur le Nilll, en direction de Bubaste et d'Héliopolis, pour consulter l'oracle de Bast 12 ou adorer le Soleil13. Et même de nos jours, le chemin de fer de l'Hedjaz 14, bravant la canicule et les déserts de sable, ne déverse-t-il pas des flots de Musulmans, qui affrontent annuellement les fièvres et la peste, pour mériter le titre d'hadji, c'est-à-dire de pèlerin de la Mecque et de Médine ?

Mais le vrai pèlerinage est le monopole des adorateurs du Dieu de vérité. Depuis trois millénaires bientôt, Jérusalem, la cité sainte, accueille, sur ses collines bibliques, les rangs pressés des visiteurs pieux, appelés, d'abord, par la loi mosaïque, sous les portiques du Temple15 au Mont Moriah, puis, par le

Apparition de la Vierge, le 19 septembre 1846, à environ 85 km. au sud-est de Grenoble. Grotte de Lourdes, célèbre depuis l'apparition du 11 février 1858. 7 Malachie, ch. I, v. 11. 8 Dans le Péloponèse ; temple d'Asclépios, dieu-médecin, avec cliniques, hospices, palestres, théâtre, ex-voto pour guérisons. Ruines vues par un clair de lune (1913). ,^ans l Attique ; temple de Déméter, où les initiés étaient admis à contempler les « mystères », vérités morales traduites par des images symboliques. Privilégiés parvenant à « l'époptie », vision suprême des mystères de la nature. 11 Voir HÉRODOTE, livre II, ch. LX. A Hérodote l assimile à Diane. 700.000 personnes, sans compter les enfants, assistaient à sa fête. 18 Le Soleil, en grec Hélios, a donné son nom à la ville d'Héliopolis. "V 14 Province d'Arabie, où sont situées les villes « saintes » de l'Islam. Construit vers l 'an mille avant notre ère par Salomon, rebâti par Zorobabel vers 536, et par Herode 18 ans avant J.-C. Détruit par Titus en 70 de notre ère. Testament nouveau, dans l'édicule sacré du Saint Sépulcre 16. L'espace nous manque pour signaler dignement les autres centres d'afflux religieux, célèbres dans le monde entier, depuis Bethléhem et Nazareth, jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle 17 et Lourdes la pyrénéenne. Or, ces lieux sont, pour la plupart des chrétiens, d'un accès difficile, ne peuvent être atteints qu'en pensée et à travers un mirage. Voilà pourquoi Dieu, qui a pitié de la foule, a mis à sa portée d'autres points d'attraction moins connus, mais aussi hospitaliers, sources non moins fécondes de douces et salva- trices émotions, déversoirs, oserai-je dire, des largesses divines. Myans, dans sa région, joue ce rôle providentiel. Dieu, par la main de la Vierge Noire, y a, dès le principe, accompli des œuvres qui ont séduit la multitude : site magnifi- quement choisi, du reste, et qui, selon un sagace étymologiste 18, créa le nom du lieu : Myans, Mean, soit « médian », à cheval sur l'arête divisionnelle de deux vallées, celle de Saint-André et celle du Bondeloge. Inopportunément, Myans n'a point eu son Grégoire de Tours. Le mutisme des chroniques a relégué dans l'oubli les manifestations extraordinaires, dont la Providence s'est servie, au commencement, pour accréditer la Vierge Noire ; le souvenir précis de ces événements eût donné plus de relief à la localité. C'est aussi un crève-cœur, pour l'historien, que d'ignorer le statut canonique originel de l'oratoire mariai, les modalités du service divin qu'il abritait, la nature du personnel desservant, le nom des bourdonniers célèbres qui ne manquèrent pas d'y venir en pèlerinage. Car, aucun texte antérieur à l'an mille, environ, ne men- tionne nominativement notre oratoire 19. Toutefois, nous pouvons déduire, des documents les plus anciens, que le petit territoire dans les limites duquel il était situé, formait une paroisse. D'où l'on a généralement conclu qu'il remplis- sait la fonction d'église paroissiale. Le chapitre suivant examinera s'il convient d'ajouter foi intégrale à cette opinion, qui a fait loi jusqu'ici. Il tâchera ensuite de dégager, autant que possible, les conditions historiques qui présidaient au développement du culte, les moyens mis à la disposition des pèlerins, pour qu'ils pussent, au mieux, satisfaire leur piété, tirer les meilleurs fruits de leur féale entreprise. Un pèlerinage, en effet, n'a toute son ampleur, ne réalise son plein rendement, que s'il atteint Dieu lui- même, à qui revient gloire entière et suprême hommage. Il faut que le culte d'hyperdulie rendu à la Vierge soit complété par le culte de latrie, réservé à Dieu. En d'autres termes, il est nécessaire que le pèlerin trouve, sur le lieu . du pèlerinage, toutes les ressources qu'offre la religion, et que requiert la sainteté du but envisagé. Il a donc besoin qu'en cet endroit, un prêtre, ou mieux encore, une commu- nauté de prêtres lui ménage le renfort de la présence de Jésus-Eucharistie, la possibilité de recourir, séance tenante, aux sacrements et d'assister aux céré- monies liturgiques, aliment de la piété et source d'un prestige incomparable.

16 Creusé par Joseph d'Arimathie, dégagé par Constantin et enveloppé d'un édicule qui a été renouvelé plusieurs fois. 17 Santiago de Compostela, province de Galice (Espagne), tombeau et église de Saint-Jacques le Majeur. Crypte sous la Capilla Mayor. 18 Voir Dictionnaire étymologique..., Belley, 1935, par A. GROS. 19 Le premier texte est tiré des Cart. de Saint Hugues, qui fut évêque de Grenoble de 1080 à 1132. Cette date, au surplus, inaugure l'histoire de la presque totalité des paroisses du Décanat. Or, en ce qui regarde le rôle historique du prêtre, gardien de la Vierge Noire au cours des anciens âges, les premières communautés religieuses préposées à la réception de ses innombrables et pieux visiteurs, le clergé, enfin, régulier ou séculier, dont le dévouement millénaire rendit possibles les merveilles qui ont illustré et sanctifié cette colline auguste, le pèlerinage de Myans, nous l'avons dit dans la Préface, n'a point encore eu son historien 2°. Le présent travail comblera-t-il cette lacune ? Au lecteur de répondre, s'il a le courage de nous suivre jusqu'au bout.

20 Voir, à ce propos, ce qui est relaté dans la Préface et dans diverses pages de cet ouvrage.

LIVRE PREMIER

L'Oratoire primitif

1100-1248

CHAPITRE PREMIER

Les origines historiques

Hugues de Châteauneuf. — Evangélisation initiale. — Genèse de la paroisse. — Le premier texte. — « Ecclesia de Meianes ». — Une opinion caduque. — Une restitution historique. — Une église paroissiale « distincte ». — Une paroisse de 400 habitants. — Oratoire non paroissial. — Exiguïté : Ier vice rédhibitoire. — Appellations symptomatiques. — Eglise paroissiale engloutie. — Détresse mo- bilière : 2e vice. — Excentricité : 3e vice. — Insinuation de Fodéré. — Objection vaine. — Localisation de l'église paroissiale.— Le Mollard-du-clocher. — Arguments plausibles. — Précellence de l'oratoire. — Modalités du culte. —? Un mutisme fâcheux. — Un prêtre desservant. — Ebo ou Mallénus ? — Le Chapitre de Saint- André. — Pierre de Myans. — Jean, « capellanus de Mians ». — Les premiers pèlerins. — Les bourdonniers illustres. — Anthelme de Chignin. — Hugues d'Avallon. — Pierre le Vénérable. — Profil de l'oratoire. — Son aspect originel. — Description de Fodéré. ¡- Description de la gravure. — L'autel. — La Vierge. — Le triptyque. — La voûte.

En l'an 1100, le siège épiscopal de Grenoble était occupé par Hugues de Châteauneuf, « haute figure de pasteur des peuples, d'une beauté légendaire », organisateur émérite d'un diocèse qu'il réforma de fond en comble. De lui émane le premier texte qui éclaire notre sujet x. L'on sait que, vraisemblablement dès la fin du premier siècle de notre ère, la grande Voie prétorienne2, venue de Rome jusqu'à nous par le Petit-Saint- Bernard, amena dans notre région les missionnaires évangéliques. La nouvelle doctrine, s'imposant à toutes les classes de la société parla sublimité de ses ensei- gnements, la pureté des mœurs qu'elle préconise, la part royale qu'elle fait aux déshérités de la fortune, recruta sans retard des adhérents innombrables. Si bien que, vers le Ve siècle ou le VIe, il fallut inaugurer l'organisation du pays en paroisses. A une date imprécise, Myans devint l'une d'entre elles. C'est ce qui nous est révélé par une liste des paroisses du diocèse de Grenoble, dressée vers 1100 par le susdit évêque, et comprenant : « Ecclesia de Meianes » 3, l'église de Myans. Il a paru, jusqu'à nos jours, que cette « Ecclesia de Meianes » désignait l'oratoire mariai, que les pages précédentes ont présenté : oratoire qui, répétons-le, était debout bien avant l'année 1100, et qui remontait, peut-être, à l'époque mérovingienne. Sur cette existence immémoriale, il ne saurait s'élever aucun doute. -

1 Cf. Du BOYS : Vie de Saint Hugues, évêque de Grenoble, fondateur, notamment, du prieuré de Saint- Jeoire-en-Savoie. 2 Voir A. CARTIER :• Chignin-en-Savoie, p. 39. F 3 Ille Cart. de Saint Hugues, N° 1, Grenoble, p. 187. Mais cet édicule était-il l' « église de Myans », qui tient rang comme église paroissiale dans le Cartulaire de Saint Hugues ? Nous ne le croyons pas 4. L'examen du susdit document nous fournit d'abord une constatation. Donnant une liste des paroisses du Décanat de Savoie, il inscrit, à côté de chaque nom, le montant de la redevance payée à l'évêque en visite pastorale. D'après l'abbé Trépier, spécialiste en ces questions, cette sorte d'impôt, ce «droit de parée» était proportionné au nombre des paroissiens. Or, l'église de Myans se trouve taxée à six deniers 5, exactement comme celle de Saint-Pérange, qui, selon l'estimation du même auteur, comptait, au moins, 400 habitants 6. C'est dire que Myans englobait, à peu près, autant de fidèles, dont les deux tiers 7 étaient tenus au devoir simultané de l'assistance à la messe dominicale. D'autre part, l'on sait que l'oratoire marial primitif n'avait que les dimensions du choeur ou sanctuaire 8 actuel de l'église inférieure. Que dis-je ? Il était plus petit 9, et nous verrons, plus tard, dans quelles circonstances il a été agrandi. Conçoit-on que plus de 250 personnes pussent tenir dans ces quelques mètres carrés où, encore, devaient évoluer le prêtre célébrant et ses enfants de choeur ? Nul n'osera soutenir, d'un autre côté, que, sur cette colline cinglée par la bise, l'on a pu célébrer les fêtes hivernales autrement qu'en vase clos. Puis, l'édifice cultuel qui, en 1100, est appelé uniment « église de Myans», est qualifié en 1340 : « Eglise ou chapelle de Myans. » Pourquoi cette seconde et nouvelle appellation ? N'est-ce point que cette église de 1340 diffère de celle de 1100 ? Allons plus loin. N'est-ce point que notre oratoire ou « chapelle » de la Vierge est devenu « église » paroissiale à son tour, comme nous tâcherons de l'établir en temps et lieu ? Au surplus, en cette même année 1340, le curé des Marches soutient que l'oratoire n'est qu'une simple chapelle 10. Ce texte ne prouverait-il pas que l'édicule ne saurait avoir été une église antérieurement ? Si l'on en croit le groupe des historiens les plus autorisés, l'éboulement a englouti « au moins cinq églises paroissiales ou paroisses », dont le nom ne repa- raît plus dans les textes subséquents. Or, Trépier, historien sagace, avoue n'avoir restitué avec certitude que quatre des noms qui les désignaient : Saint- André, Vourey, Granier et Saint-Pérange. Quant à , rien ne prouve que cette paroisse ait été ensevelie, n'ayant laissé aucun vestige sur le terrain ou dans le folklore. D'autre part, comme il est « fort peu vraisemblable que l'église d'Apre- mont ait péri en 1248 », comme celle de Chapareillan a « échappé au désastre », l'examen des lieux n'invite-t-il pas naturellement à substituer, au nom de Cognin, celui de Myans dans le catalogue des églises disparues, bien que le second

f Le présent chapitre était écrit, quand nous eûmes la satisfaction de lire, dans le^ tome VI des Annales du Sanctuaire, sous la plume de R Il Pâquet, curé de Myans (1847-1860), l'assertion suivante : « Il paraît qu'il y avait une église paroissiale à Myans, distincte de la Chapelle actuelle, , et qui aurait aussi été détruite. » Il semble bien qu'il y a là un écho d'une tradition, dont nous n'avons surpris les traces nulle part ailleurs, et que Trépier, croyons-nous, n'a pas soupçonnée. 1 II n'est pas facile de préciser la valeur du denier, qui se prenait autrefois, pour toute espèce de monnaie. 6 TRÉPIER, op. cit., t. I, p. 541. 7 L'autre tiers était, pour motifs divers, retenu à la maison. S Par « sanctuaire », en ces pages, nous entendons exclusivement la partie de l'église réservée au maître autel et aux ministres du culte pour leurs évolutions liturgiques. D L'oratoire marial développe environ 25 mètres carrés. 10 Voir U. CHEVALIER : Visites Chissé, p. 24. ait continué à figurer dans les comptes rendus épiscopaux postérieurs ? Pareille survivance du nom, avec changement du lieu, ne se reproduit-elle pas aux Marches, où l'église fut détruite en 1248 et, sans mutation de vocable, rebâtie ailleurs, ainsi qu'à Chignin, paroisse dont l'église, sous une appellation identique, occupait, en 1696, la cime de la colline, et en 1701, le creux du vallon11 ? Et vraiment, la détresse qui pèse, au xive siècle, sur l'oratoire mariai, où l'évêque visiteur n'entend la messe ni ne confirme, et trouve des fonts baptis- maux, s'il y en a, sans fermeture à clef ni « operimentum » de lin ou de laine, et de plus, un autel pourvu seulement de deux nappes, d'une palle et d'un calice en étain12, cette détresse n'a aucunement l'air de correspondre à une vocation paroissiale antédiluvienne. Au demeurant, la situation de l'édicule sur les extrêmes confins habitables du territoire juridictionnel apparaîtra difficilement comme normale pour un édifice cultuel destiné à contenir tous ses ressortissants, dans des conditions pour le moins acceptables. Bref, Fodéré lui-même, le plus ancien auteur qui a essayé de décrire notre oratoire, Fodéré vous communique-t-il l'impression d'une église paroissiale, quand il vous présente une chapelle qui « n'est que d'une petite voute » et dont le « deuant... n'estoit fermé que de balustres de bois de sappin »13 ? Et quel lecteur ou spectateur, mis en face de la gravure du xvie siècle reproduisant la Chapelle au moment de la chute du Granier, reconnaîtra un centre cultuel paroissial dans ce sanctuaire, où quatre religieux pressés les uns contre les autres remplissent la moitié de l'espace 14 ? Concluons. Le faisceau des arguments qui précèdent, sans préjudice pour ce qui, au fil du récit, pourra venir s'y ajouter, permet, croyons-nous, d'affirmer avec très grande vraisemblance et sans faire aucun tort à l'édicule mariai, que les Myanais possédaient, avant 1248, une église paroissiale distincte de la Cha- pelle et disparue dans le cataclysme. Et si vous me demandez de vous conduire sur le lieu de son emplacement, oyez ce qui suit : « Il existe à quelques centaines de pas au sud-ouest de Cha- cusard (hameau de Myans appelé Jacusa dans les Cartulaires de Saint Hugues) une petite butte désignée par les habitants des environs sous le nom de Mollard-

11 Voir TRÉPIER, op. cit., t. I, passim. 12 Voir U. CHEVALIER : Visites .de Chissé, passim. 13 Ici se présente une objection appuyée, nous dit-on, sur un texte de Trépier énumérant de la façon suivante les paroisses « abîmées » par la chute du Granier : 1° Villa Sancti Andreae (2.500 h. Despine), 20 Monasterium de Granerio, 30 Ecclesia Stl Perangii ou Serangii, 40 Ecclesia de Voluredo, 5° Ecclesia de Cohonino ? 6° Parochia de Mians ? Il y a donc un choix à faire entre ces deux dernières, pour arriver au nombre cinq fixé par les historiens. CeCi posé, voici comment est for- mulée l'objection : « La conjecture qu'il y avait à Myans une église paroissiale outre la chapelle n'est peut-être pas bien fondée, d'autant que le document ci-dessus pour les autres paroisses dit : Ecclesia, tandis que, pour Myans, il dit : Parochia. Ici « parochia » n'indique-t-il pas le cc territoire » ? Autrement, pourquoi cette différence d'expression ? Et pourquoi retrancher l' « ecclesia de Coho- nino qui n'est pas là sans cause ni raison ? » (Mém., t. VI, p. 115.) A ces assertions, nous répondrons : 1° nous n'avons pas trouvé cette énumération dans Trépier, Rech. Hist. 1879, ouvrage qui résume les conclusions de cet auteur. Nous croyons qu'elle appartient à Despine (p. 16), qui, en ce même endroit, attribue au XIIIe siècle un livre du xvue ; 20 chacun sait que le mot parochia paroisse, signifie parfois église paroissiale ; 30 d'après Trépier, Cognin doit être éliminé, n'ayant laissé aucune trace d'aucune sorte ; 40 si, pour Saint-André, le mot i t la comprend l'église, a fortiori, pour Myans, l'église peut être comprise dans parochia. le Voir ci-dessus, n. 9. du-Clocher. Suivant la tradition du pays, ce monticule ou Mollard, sur le flanc duquel il y avait autrefois un trou à peu près vertical, aujourd'hui comblé, cacherait dans ses profondeurs le clocher de l'une des paroisses englouties ; et de là lui serait venu le nom parlant de Mollard-du-Clocher. La tradition ajoute que, il y a 60 ou 80 ans à peine, quand on jetait une pierre dans ce trou, la pierre, en tombant, allait frapper un corps qui rendait le son métallique d'une cloche, et la plupart des habitants du pays croient à l'existence d'une cloche dans les entrailles de la terre, à l'endroit de ce monticule15. » L'abbé Trépier, qui, dans cette page, s'évertue à localiser l'église de Saint- Pérange, conclut justement à la possibilité, à la probabilité de l'existence d'une église en ce lieu, mais il a tort, d'après ses propres arguments 16, de la situer éventuellement hors de ce lieu, tort aussi d'y installer, même par hypothèse, l'église de Saint-Pérange, puisque nous sommes aux portes de Chacusard, hameau de Myans, et dans l'axe de Myans 17. Ne vous semble-t-il pas, au contraire, bien plus naturel, bien plus conforme à la tradition locale, à la vraisemblance, aux faits eux-mêmes, de placer le site de la première église paroissiale de Myans au Mollard-du-Clocher, près de Chacusard, le village le plus considérable de l'agglomération cultuelle, à portée des autres centres d'habitation situés sans doute vers le sud, au pied et sur le flanc occidental de la colline myanaise d'avant 124818 ? Nous livrons cette hypothèse nouvelle à l'examen attentif et impartial du lecteur compétent, prêt à nous ranger à un avis contraire, s'il est appuyé de raisons sinon évidentes, du moins plus certaines et plus convaincantes. Aussi bien, l'existence d'une église paroissiale aux côtés de l'oratoire mariai, n'a pas dû faire ombrage à celui-ci. N'est-ce pas vers lui, exclusivement, que se portait le flot des pèlerins, vers lui que même les paroissiens de Myans venaient avec prédilection, pour confier à la Vierge Noire leurs ennuis et leurs intérêts les plus chers, en lui offrant leurs hommages et leurs prières ? Ceci nous induit à nous demander dans quelles conditions étaient accueillis et soignés ces pèlerins, quelles étaient les modalités du culte public, dans l'édicule myanais. Regrettons, à ce propos, que les premiers siècles ne nous aient trans-mis aucun compte rendu des visites pastorales effectuées par les évêques de Grenoble, que nul chroniqueur ou historien n'ait communiqué fragment de parchemin à lettres onciales ou gothiques, que nul Corps judiciaire ou administratif n'ait livré à la postérité le texte d'une sentence ou d'un arrêt, fût-ce en un latin inconnu de Cicéron et de Virgile.

15 TRÉPIER, Op. cit., t. I, p. 552. 16 Deux faits relatés par notre auteur militent en faveur du Mollard lui-même et non en faveur du voisinage. Les voici: « Le nommé François Chevron, de Chacusard, nous a affirmé que sa mère, Thérèse Collombe (sic), avait encore, de son vivant, jeté des pierres et entendu des sons de cloche dans le trou du Mollard-du-Clocher. — Le nommé Vincent Floret, en faisant des fouilles superficielles au Mollard-du-Clocher, dont le sol appartient à Mme Porte, de Saint-Jeoire, aurait trouvé des débris de poterie ayant eu la forme de burette. (TRÉPIER, loc. cit, note.) 17 Le Mollard-du-Clocher appartient au territoire communal de Myans. 18 Rien ne permet vraiment « de douter que la grande majorité des paroissiens de Myans n'ait péri dans le désastre de 1248 ,). Souvenons-nous, toutefois, qu'en ce qui touche les évêques, plusieurs de ces prélats, tels Bernérius et Isarn1?, chefs d'un diocèse occupé par des envahis- seurs pillards et sans foi, étaient souvent réduits à porter le harnais de guerre, au lieu de revêtir l'étole pontificale. Mais, à défaut de texte précis, il est loisible de recourir aux lumières de l'ana- logie, aux ressources de l'hypothèse prudente, de poser quelques questions plausibles, de parvenir ainsi au vraisemblable sinon au vrai, qui se dérobe trop souvent. Tout d'abord, constatons qu'était nécessaire la présence, au moins intermittente, d'un prêtre préposé ou intéressé à la conservation matérielle de l'édicule et de la Vierge Noire. Or, à quelle époque pourrait-on assigner l'installation d'un prêtre à demeure, curé ou non de la paroisse, établi par l'autorité ecclésiastique, entretenu, soit par les offrandes des fidèles locaux et des pèlerins, soit par un riche propriétaire de l'endroit, tels Ricard et David 20, au début du XIIe siècle, soit enfin par les revenus d'un manse régulièrement constitué ?

Serait-il abusif de reporter le mérite de pareille institution sur l'évêque Ebo 21, qui, à l'époque de Charles le Chauve, collabora à la rédaction de maints canons conciliaires, sur Mallenus, un contemporain du Comte Guigues-le-Vieux, avec qui il régla nombre de différends, sur Saint Hugues, principalement, dont les créations de toutes sortes transformèrent, on l'a dit, le diocèse de Grenoble ? Il est fort possible que le souci de l'oratoire ait été confié au Chapitre de Saint-André, bien antérieur au XIe siècle. Un des chanoines aura pu être délégué à cette charge, comme le fut un membre du prieuré de Saint-Jeoire, relativement aux paroisses de Chignin et de Triviers 22. Notons qu'entre ce dernier lieu et le prieuré, se développait une distance sensiblement égale à celle qui devait séparer Saint-André de Myans. Quant au prieuré bénédictin de Granier, il apparaît moins que ses religieux aient été affectés à une fonction de ce genre. D'autre part, une charte stipulée à Saint-Jeoire en 1207 révèle l'existence de Pierre de Myans, prêtre et l'un des signataires de l'acte 23. Est-il permis d'insi- nuer que cet ecclésiastique a peut-être exercé le ministère paroissial dans le lieu que rappelle son nom ? A toutes ces suppositions, qui ne sont qu'un pis-aller, succède, enfin, l'an 1248, une certitude accueillie par l'historien avec l'empressement que met un naufragé à saisir une bouée de sauvetage. Une seconde charte, signée à Myans même 24, le 12 des calendes de mars, mentionne, au nombre des témoins néces- saires, un « Johannes, capellanus de Mians ». Ce Jean, dont le titre de « chapelain », au sens obvie du mot, tend à désigner le desservant d'une chapelle, d'un oratoire, plutôt que d'une église paroissiale, ouvre, pour nous, la série, des prêtres préposés à la réception des pèlerins de la Vierge Noire.

" Voir TRÉPIER : Doc., p. 10 et II. 20 lIe Cart. de Saint Hugues : C. N° III. 21 Liste des évêques de Grenoble. Citée par TRÉPIER : Doc., p. 10. De même pour Mallenus, p. 12 22 Voir A. CARTIER : Chignin-en-Savoie, p. 97-98. — Le prieuré de Saint-Jeoire, page 215. 23 Le seigneur Boson d'Aiglères cède à la Chartreuse d'Aillon tous ses avoirs et droits sur le territoire des Frasses-de-Morbez, dans la Combe de Lourdens. (Cartulaire ms d'Aillon, No 18.) 24 Giroud de cède à la même Chartreuse le servis annuel d'un setier de vin, à prendre , sur une vigne située à Triviers, jouxte celle des chanoines de Saint-Jeoire. (Même Cart., N° 92.) Car, les pèlerinages, alors, plus encore qu'aujourd'hui, étaient à l'ordre du jour. Avant même que Pierre de Chignin, selon toute vraisemblance, et Anselme de Saint-André 25 fussent allés « ultra mare », sur les pas de Godefroy de Bouil- lon, avant surtout que Geoffroi de Miolans et Odon de la Chambre, à la suite du comte Amédée III26, eussent prié dans la grotte où Marie reçut la visite de l'Ange, leurs compatriotes s?, avec moins d'efforts, avaient; en grand nombre, rendu visite à la « Bienheureuse Marie » sur son tertre « médian ». Avant de clore ce chapitre et de tourner le feuillet sur cette seconde phase des origines historiques, que nous aurions voulu élucider, il est à propos de pré- ciser, autant que possible, le profil architectural de l'oratoire myanais. Malheu- reusement, font défaut les documents contemporains de l'époque où nous sommes arrivés. Seules, s'offrent à nous, provisoirement, une gravure attribuable à la première moitié du xvie siècle et une trop courte description, qui remonte au premier tiers du' siècle suivant. Toutefois, malgré leur récence relative, ces pièces, qui se réfèrent à un objet sacré et religieusement conservé, ont, dirons- nous, le relent et la vertu des documents originels et de première main. Nous n'en tirerons ici que les traits applicables à l'état des choses existant avant le mois de novembre 1248. Disons aussitôt que, pour le site lui-même, la topographie, on en est réduit aux conjectures. Au lieu du plateau élargi qui hospitalise, sous nos yeux, un village étendu, ses jardins et ses clos, la moraine glaciaire offrait, probablement, une cime plus ou moins étroite, une arête plus ou moins aiguë, sur laquelle l'oratoire était à cheval et littéralement « médian» entre les deux vallées. L'autel, presque en corniche sur le flanc oriental, observait les préceptes de la norme basilicale ; les murs avaient emprunté aux reliefs laissés par les glaciers,

25 Ille Cart. de Saint Hugues, n° 41. — Cf. A. CARTIER : La Savoie et l'Orient, p. 160. 28 ODON DE DEUIL : Collect. de Mém. sur l' Hist. de France. 27 Parmi la foule anonyme de ces bourdonniers, quelques noms de pèlerins célèbres n'auraient- ils pas' survécu ? Cet éphèbe qui accompagne le seigneur Hardouin de Chignin, descendu de son manoir de la Biguerne, et accouru à travers les marais du Bondeloge, c'est son jeune fils Anthelme, qui s'en vient confier à la Vierge Noire, sa voisine, le secret de sa vocation religieuse. (Cf. A.N.S., v. Chignin.) Cette démarche est d'autant plus probable que, d'après une tradition recueillie par M. le chanoine R. Naz, le fils du baron Hardouin aurait été voué à la Vierge de Myans, dès le sein de sa mère. Dans son roman CI Le Lac noir », Henry Bordeaux parle d'une hôtellerie de Myans placée, vers 1869, « sous le vocable.de Saint Anthelme », avec « une rangée de saints pendus aux murs ». (Ch. IX.) Le damoiseau que nous surprenons, un tiers de siècle après, au pied du même autel, et aux côtés du seigneur Guillaume d'Avallon, n'est-ce pas l'adolescent Hugues, qui a pieusement franchi l'Isère, pour mériter la protection de la Madone myanaise, qui sera, un jour, chartreux comme Anthelme de Chignin, et comme lui, évêque et honoré sur les autels ? (Voir : Vie de Saint Hugues d'Avallon, CURRIÈRE, 1895.) Et ce vieux moine, qu'enveloppe la bure bénédictine, et dont une barbe patriarcale allonge le visage austère, serait-ce Pierre le Vénérable, l'illustre abbé de Cluny, amené dans nos parages par six voyages en Italie, et hôte transitoire du monastère d'Arbin. (Cf. : TRÉPIER, op. cit., 1.1, p. 263.) Quant à Hugues de Châteauneuf, l'évêque du lieu, il dut, bien des fois, au gré de ses tournées pastorales, faire halte dans notre oasis mariale. Admettons, enfin, au rang des pèlerins, très vraisemblablement, Ile bienheureux Ayrald, doyen de Saint-André et futur évêque de Mauriep.ne ; Humbert de Chignin, prieur de Saint- Jeoire ; Artald, prieur du monastère de Granier. - Bien plus, si l'on fait écho à une 'tradition enregistrée par un historien, Saint François d Assise en personne, dans une de ses pérégrinations à travers le pays, aurait fléchi le genou devant la Vierge Noire, et, saisi d'un esprit prophétique, aurait annoncé qu'un jour, un couvent célèbre de son Ordre serait édifié en cet endroit. La suite du récit montrera bientôt sj la prédiction était véridique. (PICgUET : Provinciœ D. Bonaventurœ Descriptio., Tournon, 1610, p. 174 et suiv.) les pierres et les cailloux roulés, qui constituaient leur principal élément. Des lozes, peut-être, ou des ancelles 28 les préservaient des intempéries. Plus d'une chapelle, sans doute, dans nos hautes vallées savoyardes, montre aux visiteurs, aux touristes de nos jours, une membrure également solide et trapue, un aspect pareillement sévère, mais accueillant. Voici maintenant les quelques lignes écrites à ce sujet par l'historien Fodéré 29, destiné à tenir bon rang dans ce travail : Au « lieu de Myans, deuant plusieurs siècles, et de temps immémorial, s'est treuué une petite chapelle de Nostre Dame bastie sur un tertre... Ceste Chapelle n'est que d'une petite voute, en laquelle sont dépeincts les Apostres, les figures desquels sont' toutes noires de viellesse sans qu'il paroisse autre couleur : le deuant de la Chapelle n'estoit fermé que de balustres de bois de sappin : en ceste Chapelle est l'image de Nostre Dame noyre en éthiopienne, tenant deuant elle son petit enfant de' mesme couleur, le tout en relief de la hauteur d'environ un pied et demy, d'une matiere que l'on iugeroit estre de drappeaux de toile battus; et gettes (jetés) en moule, colloquée dans une niche enfoncée en la muraille au-dessus de l'autel » 30. La gravure représente le même oratoire en novembre 1248. « Au premier plan, après les balustres de la table de communion, se voit un autel très simple, marqué d'une croix grecque sur le devant. La table porte deux gradins peu élevés au-dessus desquels est posé le tabernacle, dont la façade, ornée de quatre colonnettes, montre sur la porte l'image du Christ en pied et, à droite et à gauche, les effigies de la Vierge et de Saint Joseph 31 ou d'un autre saint. Il est couvert en partie par un conopée, formant pavillon, décoré de franges et de broderies en rinceaux. Une simple croix sans Christ le surmonte 32. »

\ 28 Les lozes sont d'épaisses plaques de pierre en forme d'ardoises ; on donne le nom d'ancelles à des bardeaux de sapin. 29 Nous avons reproduit sans changement le langage de l'historien : il a le ton naïf et charmant, qu'on retrouve dans le Plutarque d'AMYOT, son contemporain (1513-1593). 30 FODÉRÉ, op. cit., p. 790. L'on a vu ce qu'il faut penser de cette assertion. 31 Saint Joseph, représenté en dehors de la Sainte Famille, n'apparaît que tardivement. 32 « A la droite de l'autel, l'unique fenêtre qui éclaire le chœur est fermée par un vitrail de losanges dans un treillis de plomb. Au-dessus de la fenêtre sont suspendus des ex-voto, mem- bres en cire, béquilles, etc... Derrière l'autel, plus haut que le tabernacle, apparaît la Vierge, sous son manteau formant chape, festonné de dentelles et laissant à découvert la tunique, qui est ornée d'arabesques et, au milieu, d'une grosse pierre précieuse entourée de brillants. La Vierge est ceinte de la couronne ducale, sertie de pierres, ainsi que celle de l'Enfant ; celle-ci est formée d'un bandeau avec dentelures en pointes. Le voile qui entoure le visage de Marie, paraît, en retom- bant, se confondre avec le manteau. ■ « L'Enfant-Dieu, vêtu d'une robe en forme de chape fermée, avec broderie au bas, est porté sur le bras gauche de sa Mère, dont la main reste visible encore, malgré les ornements qui dissi- mulent les vrais traits de la statue. « La niche, creusée dans le mur de l'abside, dont elle occupe le milieu, est flanquée de deux pilastres, sur lesquels s'appuie l'arc plein-cintre, orné de sept têtes d'anges ailées. Un triptyque formant rétable, de manière à encadrer la niche, présente, comme sujet principal, la Nativité de Notre-Seigneur, avec les figures de Jésus, de Marie et de Joseph, d'un côté, et celle du bœuf, à son râtelier, de l'autre. Dans le compartiment de droite (côté de l'Evangile) est la scène de l'An- nonciation ; dans celui de gauche, l'Adoration des Mages. Au sommet des parois du chœur court une frise portant dés têtes d'anges ailées. : « « Dans voûte en forme de calotte, est peinte la Vierge-Mère, debout sur un croissant ; sa ji tête et celle de son Fils sont entourées d'auréoles rayonnantes. Elle porte sur son bras gauche j l'Enfant-Dieu, dont la main droite bénit, tandis que la gauche tient ouvert le Livre des Evangiles. | Saint François d'Assise, la croix en main, sainte Claire, avec l'ostensoir, l'un à droite, l'autre à | gauche, s'inclinent avec un respectueux amour devant Jésus et Marie. » (P. MAILLET : Cinquan- tenaire..., p. 68 et suiv.). Gravure signée Humbelot. Une gravure d'âge postérieur nous fournira plus tard des indications supplémentaires.

CHAPITRE II

La Chapelle rurale

L'année 1248, pour la Vierge de Myans et son oratoire, est une « époque »1, aurait dit Bossuet, une date très importante, marquée par un événement qui change notablement le cours de leur histoire, en accroissant le prestige de la première, et en conférant au second un statut nouveau. Pendant que le comte Amédée IV gouvernait la Savoie, que le pape Inno- cent IV occupait le siège de Saint Pierre, et l'évêque Pierre III, celui de Saint Hugues de Grenoble (novembre 1248), eut lieu l'éboulement du Granier 2, qui suscita, en plus d'un pays d'Europe, une émotion profonde. Il s'agit ici de donner, d'abord, un récit objectif et, s'il se peut, scientifique, du cataclysme, puis, de circonscrire le domaine de la pure légende et celui de la saine tradition, souci capital en l'espèce, enfin, de dégager les répercussions du phénomène sur les destinées de l'oratoire marial et de la Vierge Noire.

PARAGRAPHE PREMIER : L'éboulement du Granier

Le Mont Granier. — Ses éléments constitutifs. — Causes de la chute. — La fissure verticale. — Le gel. — L'affouillement. — Le tremblement de terre. — La locomotion des matériaux. — Leur ligne terminale. — Leur" « pierre d'achop- pement ». — Convexité significative. — Les témoins historiques. — Fra Salimbene. — Mathieu Paris. — Pierre de Tarentaise. — Trépier. — Les circonstances. — Jacques Bonivard. —. Ses intrigues. — Son salaire. — Eviction brutale. — La ripaille tragique. — Réfutation. — Conclusion.

Sur la limite sud-ouest de la cluse préalpine de Chambéry, se dresse le Mont Granier, dont la cime actuelle culmine à 1.940 mètres. Or, le 24 novembre 1248, un pan titanesque évalué à plus de 150.000.000 de mètres cubes, se détacha du noyau de la montagne, s'abattit vers le nord-est sur la vallée, qu'elle couvrit de ses débris, amoncelés jusqu'à une distance de huit kilomètres.

1 BOSSUET : Discours sur l'Histoire universelle. Avant-propos. 2 Ce nom, au sentiment de Trépier, pourrait provenir d'un grenier, « granarium », établi par les Romains au pied de la montagne. Certains auteurs écrivent : Mont Grenier. Rien de plus naturel que d'instituer une courte enquête sur les causes et les modalités de ce monstrueux transfert de terrains et de matériaux. En premier lieu, la nature des éléments qui constituent la montagne. A l'extrémité supérieure, domine la masse des calcaires urgoniens1, durs, compacts, épais de 150 à 200 mètres, lourde falaise verticale et menaçante. En dessous, les couches alterna- tivement marneuses et calcaires de l'hauterivien, qui bombent légèrement par rapport à la muraille urgonienne. Elles reposent sur un petit ressaut de calcaire valanginien, auquel succède un long talus, installé sur la forte épaisseur des marnes valanginiennes. A leur base, court un nouveau bandeau résistant, celui du . calcaire tithonique, que la courbure synclinale abaisse ici jusque vers 450 mètres d'altitude 2. D'où vint maintenant ce que Pascal appellerait la chiquenaude, qui mit en branle ce gigantesque appareil ? Les anciens Grecs auraient tôt fait de tisser une réponse à cette demande embarrassante. Neptune, disent-ils, irrité contre le géant Polybotès, arracha à l'île de Cos un gros rocher, qu'il lança contre lui, et qui forma l'îlot de Nisyros. Nos savants sont plus circonspects. Ont-ils plus d'exactitude et de bonheur dans leurs explications ? Adhuc sub judice lis est 3. Pour rendre raison de l'éboulement, un auteur l'a attribué à une grande fissure verticale, qui, partie du sommet de la montagne et traversant toutes les couches dures, sera arrivée à la couche argileuse inclinée vers la vallée. La tranche aura glissé dans le sens de l'inclinaison, quand l'équilibre de la masse aura été rompu 4. Un autre a mis en cause l'écartement produit par la congélation des eaux retenues entre les parois des fentes ou crevasses de la montagne 5. D'après un troisième, il s'est passé un « processus » d'affouillement, comme il s'en produit sur des couches, dont les plus élevées et, en même temps, les plus résistantes, se trouvent en équilibre instable, au-dessus des plus basses. L'érosion progresse rapidement dans les bancs valanginiens à la fois imperméables et très friables ; elle tend à abaisser rapidement leur profil. Par là, elle met en porte à faux les couches supérieures et, en particulier, les calcaires urgoniens très résistants ; ceux-ci, qui demeurent verticaux, se trouvent exposés à un sapement, qui en fait crouler des pans entiers. Ce sapement est favorisé par la présence de diaclases 6 élargies par les eaux souterraines, au travers de cette masse perméa- ble 7. D'autres enfin, à l'avis desquels nous nous rangeons, font appel à un tremble- ment de terre, 'dont l'action aura été facilitée et grossie par la structure géolo- gique de la montagne. Il est, en effet, bien difficile, sans l'intervention d 'un séisme à expansion horizontale, d'expliquer le jet violent de blocs comme Pierre Hachée8, jusqu'à huit kilomètres du point de départ. Quelle qu'ait pu être la cause physique et naturelle de l'événement, si précieux que soit le verdict de la science, il importe encore plus grandement à notre sujet

1 Voir : Revue de Géographie Alpine, t. XXV, fascicule IV, Grenoble, 1937, P. 583-617. 2 Revue de Géographie Alpine, p. 589. 3 HORACE : Art Poét., 78 « Le procès est encore devant le juge ». 4 CHAMOUSSET : Mém. Ac. de Sav., Ire série, t. XI, p. xxxn et xxxiii. s GOUVERT : Ibid:, Ire série, t. VII, p. 85. 6 Diaclasis, en grec, signifie fracture, cassure. 7 Revue de Géographie Alpine, p. 589. 8 Nous en donnerons plus loin les dimensions. de préciser, sur le terrain, les points extrêmes atteints par les matériaux éboulés qui forment, à l'est, une ligne terminale Favraz-Myans-Séloge. Au sein de la cluse de Chambéry, le dernier glacier a abandonné des moraines latérales non inconnues du lecteur. Parallèles à l'axe de la cluse, elles sont discontinues, laissent entre elles des ensellements 9. La masse des terrains et des blocs, partie ou lancée, comme une lave, du Granier, s'est, à la fin, heurtée perpendiculairement à ces moraines et adaptée à leur dessin irrégulier. « Tout au nord, la moraine qui porte le hameau de Chacusard a été la borne septentrionale de la coulée de blocs qui s'est arrêtée le long de son flanc sud. Mais ce vallum s'abaisse dans la direction de Myans, et cet ensellement a été franchi par l'éboulement, d'autant que nous sommes ici au droit de l'axe de chute ; on voit donc les blocs, traversant l'emplacement de la voie ferrée, venir s'emboutir sous les pentes de Favraz en deux palmettes caractéristiques, l'une débordant par son flanc est la moraine de Chacusard, l'autre poussant sa pointe émoussée au nord de la moraine de Myans. Celle-ci n'a été coiffée que dans son extrémité septentrionale ; lorsqu'elle s'élève vers le sud jusqu'à 365 mètres (Chacusard : 340), elle a rempli avec efficacité son rôle de barrage. Mais, au-delà du village de Myans, le vallum s'affaisse de nouveau vers le sud et a été franchi derechef ; une nouvelle digitation très émoussée de l'éboulement s'inscrit en avant de la route Myans-les-Marches jusqu'à la colline de Séloge qui a formé barrage 10. » Ce que nous avons à retenir ici, c'est que la frontière terminale de projection des éboulis, au levant, n'est pas rectiligne, mais arquée, la convexité tournée au couchant. En d'autres termes, les matériaux, dans leur « steeple-chase », dirai-je, ont moins progressé dans la direction de l'est à Myans qu'à Favraz et à Séloge. Après avoir recueilli les leçons provenues de l'étude du terrain, interrogeons l'histoire. Celle-ci dispose, sur la question, de documents contemporains de l'événement et remplissant toutes les conditions exigées par la critique historique. Trois mois après la catastrophe, dont le bruit, pour ainsi parler, retentissait encore, le frère Mineut Salimbene de Adam, né à Parme en 1221, passait dans notre région et séjournait à Lyon (février 1249). Moine curieux et voyageur , infatigable, précurseur de l'Observantin Fodéré, il a consigné dans sa « Chro- nica » 11 tout ce qu'il a vu et entendu sur une foule de sujets. Concluons qu'il fourmille de renseignements sûrs et de première main. Tel est celui que nous relevons à propos de la chute du Granier. L'imprécision géographique n'ôte rien à la substance du fait. Le religieux parmesan nous dit donc qu'un an.avant son séjour dans la province franciscaine de Bourgogne, en « la vallée de Mau- rienne, qui va de Suse à Lyon et qui passe entre Grenoble et Chambéry, une très haute montagne s'écroula la nuit, au-dessus d'une plaine appelée le Val de Savoie, a une lieue de Chambéry ; elle remplit tout le vallon sur une longueur d'une lieue et sur une largeur d'une lieue et demie... Ainsi s'accomplirent ces paroles de Job : la montagne se mine et tombe et le rocher est arraché de sa place » 12.

' Cf., Revue de Géographie Alpine, p. 594. 10 1 bid., p. 594-595. 11 Chronica : Hanovre et Leipzig, 1905-1913. . 12 Cf. PÉROUSE, op. cit., p. 113. — JOB, ch. XVIII, v. 4. ACHEVÉ D'IMPRIMER

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